Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 31 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 6 mars 2002
Le Comité sénatorial des banques et du commerce, auquel a été renvoyé le projet de loi C-23, Loi modifiant la Loi sur la concurrence et la Loi sur le tribunal de la concurrence, se réunit aujourd'hui à 15 h 50 pour examiner ledit projet de loi.
Le sénateur E. Leo Kolber (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Bienvenue. Nous nous réunissons pour examiner le projet de loi C-23. Nos premiers témoins représentent la Chambre du commerce du Canada et la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante. Ils ont préparé une déclaration préliminaire que je leur demanderais de présenter à tour de rôle. Les sénateurs leur poseront ensuite des questions. Je vous prie de bien vouloir commencer.
M. Matthew Ivis, analyste des politiques, Conseil canadien pour le commerce international, Chambre de commerce du Canada: Je vous remercie, monsieur le président. Bonjour. La Chambre de commerce du Canada est ravie d'avoir l'occasion de présenter ses observations à propos du projet de loi C-23, Loi modifiant la Loi sur la concurrence et la Loi sur le tribunal de la concurrence au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce.
La Chambre de commerce du Canada est l'association de gens d'affaires la plus nombreuse et la plus représentative du Canada. Par l'entremise de son réseau de quelque 350 chambres et bureaux de commerces locaux, elle est le porte- parole d'environ 170 000 entreprises de toutes tailles, représentant tous les secteurs d'activité et toutes les régions du pays.
Les questions de concurrence revêtent une importance capitale pour la Chambre de commerce du Canada et ses membres. À cet égard, le groupe de travail sur le droit et la politique de la concurrence de la Chambre de commerce a participé activement aux consultations qui ont mené au projet de loi C-23, et il entend fermement maintenir sa participation à l'avenir.
La Chambre de commerce du Canada s'est présentée devant le Comité permanent de l'industrie, de la science et de la technologie le 16 octobre 2001. Les questions importantes concernant le projet de loi C-23 qu'elle a soulevées à cette occasion restent pertinentes aujourd'hui, notamment le sujet le plus débattu au cours des consultations du Comité de l'industrie: l'accès privé au Tribunal de la concurrence. La position de la Chambre de commerce sur cette question est bien documentée dans sa présentation au Comité de l'industrie et, par conséquent, elle ne sera pas abordée dans le présent exposé.
La Chambre aimerait discuter des sujets suivants. Premièrement, le test des effets sur la concurrence proposé pour la disposition de la loi relative au refus de vendre; deuxièmement, la disposition sectorielle: les sanctions administratives pécuniaires imposées dans le secteur du transport aérien et le maintien d'une disposition maintenant devenue superflue visant spécifiquement la même industrie; et troisièmement, le test relatif à la délivrance d'une ordonnance provisoire d'urgence relativement aux pratiques de marketing non criminelles et le prolongement d'une telle ordonnance au-delà de 80 jours. Nous aborderons à tour de rôle chacun des ces domaines de préoccupation.
Parlons d'abord des incohérences du critère des effets sur la concurrence à l'article 75. La disposition sur les cas de «refus de vendre» de la Loi sur la concurrence se trouve à l'article 75. Elle permet au Tribunal de la concurrence de rendre une ordonnance pour remédier au tort subi par une personne qui s'est vu refuser l'approvisionnement d'un produit alors que la concurrence entre les fournisseurs du produit est insuffisante.
Le projet de loi C-23 propose d'ajouter un critère des effets sur la concurrence à l'article 75. La Chambre du commerce du Canada est consciente que la proposition vise à répondre aux préoccupations selon lesquelles les plaideurs privés, qui pourraient maintenant introduire une instance aux termes du nouveau régime d'accès privé proposé, entameraient des instances motivées non pas par les effets négatifs sur la concurrence elle-même, mais plutôt par des effets négatifs sur eux-mêmes.
Le critère des effets sur la concurrence proposé, qui a été ajouté à la fin de l'étude du projet de loi C-23 effectuée par le Comité de l'industrie et après la présentation des observations de la Chambre de commerce du Canada sur le projet de loi, exigerait que la conduite en question «a ou aura vraisemblablement pour effet de nuire à la concurrence dans un marché». Ce nouveau critère des effets sur la concurrence est problématique car il crée un seuil plus bas pour les mesures de redressement que le critère «aura vraisemblablement pour effet d'empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans un marché» que l'on retrouve ailleurs dans la Partie VIII de la loi. Par contre, si le projet de loi C-23 est adopté sous sa forme actuelle, il donnera lieu à une application d'un critère inégal quant aux effets sur la concurrence de la pratique commerciale contestée.
De plus, conjugué à la proposition du projet de loi C-23 de permettre l'accès privé au Tribunal de la concurrence, le seuil moins élevé pour les effets sur la concurrence énoncé dans l'alinéa 75(1)e) proposé est, de l'avis de la Chambre de commerce du Canada, hautement problématique. En termes pratiques, l'usage d'un critère exigeant seulement la preuve que la conduite «a ou aura vraisemblablement pour effet de nuire à la concurrence dans un marché» conjugué au droit d'accès privé au Tribunal soulève la possibilité que les plaideurs privés démontrent une entrave relativement mineure à la concurrence par opposition à l'entrave qui «aura vraisemblablement pour effet d'empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans un marché» que le commissaire doit démontrer en vertu des autres dispositions de la Loi pour avoir droit à un redressement de la part du Tribunal. Ainsi, un plaideur privé pourra invoquer la Loi sur la concurrence et les pouvoirs de redressement du Tribunal pour obtenir la modification d'une conduite susceptible de n'avoir qu'un léger impact sur la concurrence.
La Chambre de commerce du Canada craint que la disposition apparemment conçue pour protéger contre les litiges stratégiques, à savoir l'alinéa 75(1)e), ne décourage ni ne prévienne ce genre de litige. La Chambre de commerce du Canada recommande par conséquent que le libellé de l'alinéa 75(1)e) du projet de loi soit modifié et se lise comme suit: «que le refus de vendre a ou aura vraisemblablement pour effet d'empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans un marché.»
Nous voulons maintenant aborder la question des dispositions sectorielles, notamment les sanctions administratives pécuniaires imposées dans le secteur du transport aérien et le maintien dans la loi d'une disposition d'un article maintenant devenu superflu visant la même industrie.
La Chambre de commerce du Canada estime qu'en élargissant la portée du Tribunal dans un secteur particulier, en l'occurrence le transport aérien, la modification proposée exacerbe la tendance très troublante d'avoir recours à la Loi sur la concurrence, une loi d'application générale visant à régir tous les secteurs de l'économie canadienne, aux fins de réglementation sectorielle.
Par ailleurs, la Chambre de commerce du Canada aimerait signaler que l'article 104.1 de la loi devient superflu étant donné que le Tribunal pourra émettre des ordonnances provisoires d'urgence à l'égard d'une vaste gamme de conduites contestées dans tous les secteurs de l'économie en vertu de l'article 103.3. Par conséquent, la Chambre de commerce du Canada souscrit à la conclusion tirée par la Direction de la recherche parlementaire dans ses premières observations sur le projet de loi C-23 en septembre 2001, à savoir que le nouvel article 103.3 était fondé sur le pouvoir existant du commissaire de rendre une ordonnance provisoire relativement à une conduite éventuellement non concurrentielle de la part d'une compagnie aérienne intérieure en vertu de l'article 104.1.
Il semble injustifié d'accorder un traitement spécial à un secteur particulier lorsque le commissaire peut obtenir rapidement, aux termes d'un pouvoir général, un redressement provisoire du Tribunal. Par conséquent, la Chambre de commerce du Canada demande instamment au Sénat de modifier le projet de loi pour abroger l'article 104.1 de la loi.
Le président: Si cet article est abrogé, que faire du reste du contenu du projet de loi sur la concurrence? Si je ne m'abuse, la Loi sur la concurrence comporte toujours un article 104.
Mme Susan Hutton, membre, Groupe de travail sur le droit et la politique de la concurrence, Chambre de commerce du Canada: L'article 104 de la loi actuelle vise l'émission d'ordonnances provisoires lorsqu'une demande en ce sens est faite par le commissaire.
Le président: Je me demande simplement si la suggestion que vous faites de supprimer ce qui se trouve dans le projet de loi C-23 règle vraiment le problème.
Mme Hutton: Sauf votre respect, je ne pense pas que M. Ivis ait proposé de supprimer ce qui se trouve dans le projet de loi C-23.
Le président: Non?
Le sénateur Oliver: Il a simplement dit qu'il faudrait abroger l'article 104. C'est ce que j'ai compris.
Mme Hutton: Compte tenu du fait que l'ajout dans le projet de l'article 103.3 qui propose de permettre l'émission d'ordonnances provisoires à l'égard de tous les secteurs de l'économie, l'article 104.1 actuel devient superflu. Cet article a été ajouté à la loi il y a environ un an.
Le président: Pensez-vous que cela justifie l'élimination complète de l'article 104.1?
Le sénateur Oliver: De la loi-cadre?
Mme Hutton: Oui.
Le président: Êtes-sous sûre que cela soit possible?
Mme Hutton: Du point de vue de la procédure, non.
Le président: Nous non plus. Je m'excuse. Poursuivez votre exposé.
M. Ivis: C'est une bonne question.
Le président: Je sais que c'est une bonne question et je voudrais qu'on me donne une bonne réponse.
M. Ivis: Non seulement le projet de loi C-23 propose-t-il le maintien de cet article devenu superflu, mais il exacerbe le problème en visant à permettre au Tribunal de la concurrence d'imposer une sanction administrative pécuniaire maximale de 15 millions de dollars en plus d'une mesure injonctive lorsque le Tribunal juge que le transporteur aérien a abusé de sa position dominante dans le marché.
La Chambre de commerce du Canada recommande donc que les articles 11.4 et 11.5 du projet de loi C-23 soient entièrement éliminés. Si on les conserve, cependant, la Chambre de commerce du Canada presse le Sénat de revoir la somme maximale qui peut être imposée. Une amende de 15 millions de dollars pour une conduite non criminelle est tout à fait disproportionnée par rapport aux amendes imposées dans le cas d'une conduite criminelle en vertu de la loi et constitue un précédent inquiétant.
Ma collègue, Mme Hutton, vous parlera maintenant du critère relatif à la délivrance d'une ordonnance provisoire et du prolongement d'une telle ordonnance au-delà de 80 jours.
Mme Hutton: Cette partie de notre mémoire se rapporte directement à la question que soulevait le sénateur Kolber, soit la proposition qui est faite dans le projet de loi C-23 de permettre la délivrance d'une injonction provisoire avant le dépôt d'une requête au Tribunal de la concurrence. Cette injonction serait délivrée au début de l'enquête du Commissaire de la concurrence sur une conduite pouvant être contestée dans une instance civile. Ce pouvoir, prévu à l'article 104.1 de la Loi, ne s'applique à l'actuelle qu'à l'industrie aérienne. Le projet de loi C-23 propose l'ajout de l'article 103.1 qui donnerait au commissaire le pouvoir, au début d'une enquête et avant même qu'il ait recueilli suffisamment de preuves lui permettant de présenter une requête et d'introduire une instance devant le Tribunal de la concurrence, de demander la délivrance d'une injonction provisoire d'urgence aux termes de l'article 103.3.
Au regard des ordonnances provisoires, le projet de loi C-23 élimine la proposition qui nous préoccupait le plus dans le projet de loi C-472. Précisément, alors que le projet de loi C-472 aurait permis au commissaire d'émettre l'ordonnance provisoire, le projet de loi C-23 exige que le Tribunal de la concurrence rende l'ordonnance. Cette modification protège la distinction importante entre enquêteur et arbitre que le projet de loi C-472 aurait éliminée. La Chambre de commerce du Canada appuie cette mesure.
Cependant, le projet de loi C-23 ne règle pas certaines lacunes du projet de loi C-472 liées aux ordonnances provisoires. En particulier, il obvie au droit d'en appeler de la délivrance d'une ordonnance provisoire, il permet la délivrance d'ordonnances provisoires sans avis à la partie affectée et il se focalise indûment sur les retombées éventuelles de la conduite reprochée pour les concurrents individuels, plutôt que pour la concurrence.
À cet égard, les alinéas 103.1(2)b) et c) autoriseraient le Tribunal à rendre une ordonnance s'il détermine qu'une personne: sera vraisemblablement éliminée comme compétiteur; subira vraisemblablement une réduction importante de sa part de marché; subira vraisemblablement une perte importante de revenu; subira vraisemblablement des dommages auxquels le Tribunal ne pourra adéquatement remédier.
La Chambre de commerce du Canada estime que le projet de loi sous sa forme actuelle prévoit un seuil inutilement bas qui pourrait empêcher une conduite favorisant grandement la concurrence puisqu'il met l'accent sur la protection du concurrent par opposition à la protection de la concurrence. Or, la concurrence vise justement à permettre à une entreprise d'attirer les clients d'une autre. Ce critère sera satisfait même si la conduite favorise la concurrence.
Nous faisons valoir que ces dispositions devraient être retirées du projet de loi. Ainsi, il s'agirait simplement de déterminer, à l'aide d'un critère explicite et approprié, si la concurrence subira vraisemblablement un préjudice auquel le Tribunal ne pourra adéquatement remédier.
La Chambre de commerce du Canada aimerait également commenter le critère énoncé dans le nouveau paragraphe 103.3(5.3) du projet de loi, en vertu duquel le Tribunal peut ordonner que la période de validité de l'ordonnance provisoire soit prolongée au-delà de la période maximale initiale de 80 jours, si le commissaire démontre que les renseignements nécessaires à l'enquête n'ont pas encore été fournis ou qu'un délai supplémentaire nécessaire pour les étudier.
Selon le libellé actuel, l'ordonnance peut être prolongée quel que soit l'auteur de la demande de renseignements. Or, elle devrait se limiter au cas où la partie faisant l'objet de l'enquête n'a pas fourni les renseignements, entravant ainsi sa propre enquête et entraînant éventuellement l'expiration de l'ordonnance et le piétinement de l'enquête.
On ne devrait pas permettre, cependant, qu'un délai causé par une personne non visée par une ordonnance puisse prolonger indéfiniment une ordonnance d'urgence provisoire extraordinaire.
La Chambre de commerce fait remarquer également que le libellé actuel de l'article 103.3 n'oblige pas le Tribunal, lorsqu'il prolonge l'ordonnance au-delà de 80 jours, à déterminer s'il existe des motifs suffisants justifiant la délivrance de l'ordonnance. Cette échappatoire doit être éliminée et le Tribunal doit être tenu d'établir si la concurrence continue d'être compromise.
La Chambre de commerce recommande respectueusement que le projet de loi 103.3(5.3) soit modifié de manière, premièrement, à faire en sorte que le commissaire démontre que les renseignements nécessaires à l'enquête n'ont pas été fournis par la personne visée par l'ordonnance et, deuxièmement, à réitérer nouveau le critère visant à établir si la concurrence risque d'être sérieusement compromise et, par conséquent, que les circonstances ayant justifié la délivrance de l'ordonnance provisoire continuent d'exister avant de prolonger cette ordonnance au-delà de 80 jours.
Au lieu de vous lire ces passages assez longs de notre mémoire, je me permets de vous demander de vous y reporter.
En conclusion, nous sommes très reconnaissants d'avoir eu la possibilité de présenter ces observations et nous envisageons avec enthousiasme de travailler effectivement avec le comité, le ministre ou le Bureau de la concurrence pour améliorer la Loi sur la concurrence et assurer qu'elle renferme les outils nécessaires pour que les entreprises canadiennes continuent à profiter des avantages découlant d'un marché concurrentiel.
Le président: J'aimerais obtenir une précision de votre part à titre d'avocate. Vous avez parlé d'une situation d'urgence qui justifierait que le commissaire obtienne une injonction immédiatement. Combien de temps un avocat normal dans un tribunal normal met-il à obtenir une injonction? Quel est le délai prévu à cet égard?
Mme Hutton: Il faut normalement introduire une instance pour obtenir une injonction. Il faudrait présenter une requête demandant la délivrance d'une injonction.
Le président: Il faut le faire devant un tribunal.
Mme Hutton: Oui.
Le président: Très bien.
Mme Hutton: Pour ce qui est de la procédure, le délai pour la délivrance d'une ordonnance est celui qui est nécessaire pour constituer un tribunal. On ne peut pas constituer un tribunal en trois secondes, mais on pourrait le faire dans un jour ou deux.
Le président: Est-ce un pouvoir dont le commissaire a besoin? C'est ce que souhaite savoir le comité.
Mme Hutton: La raison pour laquelle il veut ce pouvoir, c'est qu'il devrait autrement attendre que son enquête soit suffisamment avancée pour qu'il ait recueilli les renseignements voulus pour présenter une requête dans l'instance principale. Il réclame ce pouvoir pour ne pas devoir attendre qu'il ait recueilli tous les renseignements voulus. Ce n'est pas que le Tribunal met trop de temps à rendre l'ordonnance.
Le président: Il faut recueillir les mêmes renseignements et satisfaire au même critère, n'est-ce pas?
Mme Hutton: Non. Dans l'instance principale, il lui faudrait recueillir suffisamment de renseignements pour prouver que la conduite aura vraisemblablement pour effet de diminuer sensiblement la concurrence, ce qui n'est pas la même chose que de prouver qu'un tort peut être causé à la concurrence auquel le Tribunal ne pourra pas remédier.
M. Garth Whyte, premier vice-président, Affaires nationales, Fédération canadienne de l'entreprise indépendante: Au nom des 102 000 propriétaires de petites et moyennes entreprises au Canada qui sont membres de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, nous remercions le comité de nous avoir invités aujourd'hui afin de discuter des modifications proposées à la Loi sur la concurrence.
L'objectif de notre exposé d'aujourd'hui comporte trois volets. D'abord, nous voulons brièvement parler du rôle que jouent les PME dans l'économie canadienne, deuxièmement, nous allons présenter certaines des préoccupations de longue date de nos membres quant à la Loi sur la concurrence et, troisièmement, nous allons préciser les raisons majeures pour lesquelles nous soutenons pleinement le projet de loi C-23, et plus précisément les modifications concernant le droit limité à l'accès privé, que nous appuyons. Notre exposé se fonde sur des enquêtes et sur les commentaires recueillis auprès de nos membres au Canada.
Les petites et moyennes entreprises jouent un rôle important dans l'économie du Canada. Sur environ un million d'entreprises canadiennes, plus des trois quarts emploient cinq personnes ou moins, et plus de 95 p. 100 des entreprises ont moins de 50 employés.
Nous voulons aussi examiner les raisons pour lesquelles on envisage de modifier la politique et pourquoi il faut changer la Loi sur la concurrence. Notre économie a évolué. La part de l'emploi total des PME ne cesse d'augmenter au fil des ans. Aujourd'hui, ces petites et moyennes entreprises représentent 50 p. 100 du PIB, et plus de 50 p. 100 de l'emploi total et la quasi-totalité des nouveaux emplois créés ces dernières années.
Non seulement les PME jouent un rôle majeur dans la création d'emplois et la croissance économique, mais elles contribuent grandement au bien-être de leur collectivité. Cependant, pour bien remplir leur rôle, ces PME requièrent non seulement des règles de concurrence justes mais aussi un processus juste et efficace de réparation.
Le but convenu de la Loi sur la concurrence consiste à maintenir et à encourager la concurrence au Canada afin de promouvoir l'efficience et l'adaptabilité de l'économie canadienne, dans le but d'assurer notamment que la petite et moyenne entreprise a une chance honnête de participer à l'économie canadienne, de même que d'assurer aux consommateurs des prix compétitifs et un choix dans les produits.
La FCEI demande depuis des années l'examen de la Loi sur la concurrence afin de remédier à son incapacité apparente d'atteindre le but visé, c'est-à-dire appliquer des règles de concurrence justes sans nuire à la nature dynamique de l'économie canadienne. De plus, ces dernières années, l'industrie et des groupes de consommateurs se sont adressés aux gouvernements provinciaux pour obtenir de l'aide en raison du manque d'efficacité de la Loi sur la concurrence. La FCEI a présenté plusieurs exposés à des commissions d'enquête sur la question du prix de l'essence mis en place par les gouvernements du Québec et du Nouveau-Brunswick.
En 1999, nous avons mené un sondage auprès de nos membres pour déterminer si le gouvernement fédéral devrait ou non renforcer la Loi sur la concurrence. Sur les 8 700 répondants ayant une opinion, 64 p. 100 ont dit oui et 35 p. 100 ont dit non. La FCEI a écrit au Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie en avril 1999 pour faire part de son soutien au projet de loi C-235, parrainé par le député Dan McTeague, qui visait à renforcer les dispositions de la loi sur l'établissement de prix abusifs. Nous avons félicité le comité à ce moment-là pour sa décision d'examiner la Loi sur la concurrence et sa mise en application.
Par la suite, le Bureau de la concurrence a commandé une série d'études. Dans le rapport Van Duzer, qui examinait l'efficacité de la Loi sur la concurrence et le rendement du Bureau, les auteurs font remarquer que, sur une période de cinq ans, le Bureau de la concurrence a reçu 931 plaintes sur de supposées pratiques d'établissement des prix injustes, mais que très peu ont fait l'objet d'une enquête officielle et qu'un nombre encore moindre ont fait l'objet d'un litige. En fait, pour les 931 plaintes, il y a eu trois procédures officielles d'application.
Il est impossible de déterminer combien d'entreprises ont préféré ne pas déposer de plainte auprès du Bureau de la concurrence, estimant que c'était une perte de temps ou par crainte de représailles de la part des concurrents visés. Cependant, selon les informations recueillies par la FCEI au fil des ans, c'est un problème sérieux.
Le rapport Van Duzer met également en lumière la nécessité d'une plus grande jurisprudence. Les auteurs indiquent qu'un nombre minimal de procédures officielles d'application est essentiel si l'on veut que le secteur privé accorde une certaine crédibilité au Bureau de la concurrence et soit donc incité à respecter la loi.
M. André Piché, analyste principal des politiques, Affaires nationales, Ottawa, Fédération canadienne de l'entreprise indépendante: Nous connaissons des gérants de stations d'essence indépendantes qui ont dû injecter des capitaux considérables dans leur entreprise uniquement pour survivre à l'érosion de leur marge bénéficiaire imposée par les grossistes. Il y a aussi l'exemple des vitriers d'automobile indépendants qui devaient rechercher un numéro de facture d'une concurrence nationale avant de commencer à travailler sur une réclamation d'assurance. Ils devaient ensuite transmettre leur facture au concurrent, qui la réduisait jusqu'à 40 p. 100 avant de l'envoyer à la compagnie d'assurances. Le chèque était émis au concurrent, qui prélevait des frais administratifs de 15 $ pour ensuite payer la facture du vitrier.
Une chaîne d'épicerie dans la vallée d'Annapolis en Nouvelle-Écosse a fait faillite en raison de l'établissement de prix abusifs. Cette chaîne a dû fermer ses portes en raison des prix abusifs et du contrôle du marché de gros par les deux plus grosses chaînes de supermarchés de la région. Ce type de pressions a aussi touché d'autres petites chaînes d'épiceries, notamment Capital Stores dans la région de Halifax.
[Français]
Les serristes de la Nouvelle-Écosse ont fourni des exemples d'intimidation et de dumping de la part des détaillants locaux dominants, ce qui a entraîné la diminution du nombre de serristes de 16, il y a cinq ans, à sept en juin de l'année passée dans cette province. Par exemple, un important producteur de l'Ontario doit livrer 100 tonnes de tomates au marché de Boston. Dans le but d'assurer la qualité du produit, il produit 120 tonnes, et offre les 20 tonnes restantes à un prix abusif en Nouvelle-Écosse.
L'automne passé, la FCEI a travaillé sur une affaire soumise au Bureau de la concurrence quant à l'acquisition de Multi-Marque par Canada-Bread. S'il n'y avait pas eu d'intervention, cette transaction aurait permis à cette société de contrôler 90 p. 100 du marché au Canada atlantique, les 10 p. 100 restants étant partagés entre divers petits joueurs. Après un examen approfondi par le Bureau de la concurrence, des parts de marché ont été cédées aux autres joueurs et une concurrence minimale a été maintenue.
Finalement, des fabricants étrangers d'équipement d'impression tentent d'étouffer les petites et moyennes entreprises canadiennes qui remettent à neuves des fournitures d'impression comme des rubans, des cartouches de toner et des cartouches d'encre. Ces PME ont créé 5 000 emplois directs et indirects au Canada et ont permis de recycler 3 200 tonnes de plastique et de métal l'année dernière.
Le Bureau de la concurrence dispose de ressources limitées, comme l'a rappelé le commissaire lors de sa présentation au Comité permanent de l'Industrie, de la science et de la technologie et il doit traité des questions d'importance nationale en priorité, par exemple les fusions proposées dans le secteur bancaire ou l'industrie aérienne. Il faut donc établir d'autres façons pour les PME de se faire entendre.
[Traduction]
À la fin de l'automne dernier, la FCEI a fait un sondage auprès de ses membres à travers le pays sur la question suivante: les particuliers ou entreprises devraient-ils avoir directement accès au Bureau de la concurrence? Sur les 13 500 propriétaires d'entreprises qui ont répondu au sondage, 50 p. 100 ont dit oui, 17 p. 100 ont dit non et 33 p. 100 n'avaient pas d'opinion ou n'avaient pas d'intérêt pour cette question. Vous trouverez ces résultats au graphique 3 de notre document et nous pouvons vous communiquer des renseignements supplémentaires au besoin.
En conclusion, nous croyons que les modifications proposées sont un pas dans la bonne direction, alors qu'on cherche à améliorer l'équité et l'efficacité de la Loi sur la concurrence. En ce qui a trait au droit d'accès privé, nous sommes très favorables à cette proposition. Elle profitera à la fois aux petites et aux grandes entreprises, car elle aidera à clarifier certains aspects de la loi. La jurisprudence sur les pratiques sujettes à révision en vertu de la Loi sur la concurrence est minimale. L'accès privé remédiera en partie à ce problème, comme ce fut le cas en Australie, aux États- Unis et en Nouvelle-Zélande quand l'accès privé a été permis.
Nous pensons que les mesures proposées pour éviter les litiges stratégiques empêcheront les abus potentiels, car les recours utilisés par les tribunaux prendront la forme d'une injonction, et non pas celle de dommages pécuniaires et de l'allocation des dépens.
Nous sommes convaincus que toute petite ou moyenne entreprise dont la survie est menacée par un concurrent déloyal devrait avoir le droit de riposter et de se faire entendre, et nous sommes ravis de voir que cela est aussi l'avis du commissaire à la concurrence et de son prédécesseur.
Finalement, en ce qui a trait au consensus nécessaire pour accorder le droit d'accès privé, nous estimons respectueusement qu'il existe déjà une base solide de support en faveur de la modification proposée. Comme les résultats de notre sondage le montrent clairement, les petites et moyennes entreprises sont en faveur de cette modification. Compte tenu de la prédominance des petites et moyennes entreprises au Canada, comparativement aux grosses sociétés, nous croyons qu'il existe un appui très solide en faveur d'une modification à la loi. Le fait de ne pas aller de l'avant avec cette modification équivaudrait à accorder à quelques grosses sociétés un droit de veto sur les changements qui sont dans l'intérêt public.
Nous pensons que ce projet de loi vous permettra d'apporter des améliorations considérables à l'équité de la Loi sur la concurrence et nous vous pressons d'y accorder votre plein support.
Le président: Madame Hutton, pourriez-vous, un peu plus tard dans la journée ou un autre jour, appeler M. Kieley, qui est assis à ma droite? Votre réponse n'était pas très claire, soit parce que j'avais mal formulé ma question ou que je n'ai pas bien compris la réponse. Toutefois, elle ne semble pas concorder avec ce que je lis. Pour que les choses soient claires, il serait bon que vous en discutiez ensemble pour que nous puissions émettre une déclaration d'intention.
Mme Hutton: Certainement.
Le sénateur Oliver: Monsieur Piché et monsieur Whyte, l'essentiel de votre exposé était une récapitulation de l'évolution passée. Vous avez parlé de la façon dont M. McTeague a présenté ses amendements à la Chambre des communes et du projet de loi C-23 que nous avons maintenant et qui concerne l'accès privé; et vous êtes d'accord avec cela.
Vous avez dit que la Loi sur la concurrence devait être adaptée à l'époque contemporaine. Seriez-vous d'accord pour y inclure une clause stipulant qu'une loi-cadre de ce genre doit être réexaminée par les deux Chambres du Parlement tous les cinq ans?
M. Whyte: Sinon même plus souvent, oui, c'est une très bonne remarque.
Le sénateur Oliver: Je suis un peu étonné par le point deux de votre résumé où vous dites que pour éviter les litiges stratégiques — ce qui est plutôt une préoccupation des Américains, car nous n'avons pas cela au Canada — vous pensez qu'on ne devrait pas attribuer de dommages pécuniaires. Pourtant, si quelqu'un s'estime lésé par des prix d'éviction et fait appel à un tribunal qui conclut que c'est effectivement le cas et que cette personne a subi des torts pécuniaires importants, pourquoi ne pourrait-on pas octroyer des dommages pécuniaires? C'est normal dans d'autres secteurs du commerce au Canada. Pourquoi dites-vous cela?
M. Piché: Nous estimons que la recommandation actuelle est un bon premier pas et nous croyons qu'on pourrait faire plus. L'idée des dommages pécuniaires est peut-être justifiée et mériterait d'être examinée.
M. Whyte: C'est une excellente remarque. Nous avions peut-être tendance à réagir un peu trop au problème des requêtes frivoles, mais c'est vrai que certaines industries — pas seulement des entreprises — ont subi de graves torts. C'est peut-être quelque chose qu'il faudrait envisager.
Le sénateur Oliver: Vous étiez là quand les représentants de la Chambre de commerce du Canada ont présenté leur point de vue sur les articles 75 et 104. Ce point de vue est en contradiction avec le vôtre. Vous n'avez pas parlé de ces articles 75 et 104. J'aimerais savoir ce que vous pensez de leur position.
M. Whyte: Je n'ai pas vu leur mémoire; la déclaration initiale était explicite. Nous nous abstiendrons d'une contestation de front et nous essaierons d'atténuer les choses avec l'alinéa 71e) et l'article 104. Quel que soit le cas, essayons d'atténuer le plus possible les choses. Nous faisons confiance à la commission sur ce point. Nous avons confiance dans le processus. Nous pensons qu'il a bien fonctionné en Australie et en Nouvelle-Zélande et nous ne voyons pas la nécessité de faire ce genre de choses.
Je ne suis pas avocat, mais j'ai participé à la rédaction de la législation sur la consommation. Quand on ajoute des termes tels que «sensiblement» sans les définir, on ne fait qu'ajouter des mots. Franchement, je ne vois pas d'explication, sauf si c'est pour affaiblir toute cette idée de permettre aux personnes de faire appel aux tribunaux.
Le sénateur Oliver: J'ai une question pour Mme Hutton. Dans votre analyse, vous dites que vous êtes opposée à l'article 104.1 tel qu'il existe actuellement. Vous voudriez qu'on renforce l'article 103.3.2. Pourriez-vous m'expliquer cela un peu plus? À supposer qu'on supprime l'article 104.1, comment faudrait-il renforcer l'article 103 pour garantir cette protection?
Mme Hutton: Merci pour cette question. Je crois que l'article 103.3 tel qu'il est rédigé vise à élargir l'article 104.1 sans le modifier. Autrement dit, on prend une disposition qui ne s'applique qu'à un seul secteur et on l'élargit à l'ensemble de l'économie. Il y a des différences assez importantes que la Chambre de commerce approuve entièrement. Notamment, l'article 103.3 stipule que le commissaire doit présenter une demande au tribunal pour émettre l'ordonnance; il ne peut pas l'émettre lui-même.
Le critère du tort potentiel infligé à la concurrence, qui figure actuellement à l'article 103.3, est exactement le même à mon avis. La présentation est légèrement différente, mais c'est en gros le même critère que dans la disposition concernant les compagnies aériennes. La Chambre de commerce estime qu'il est difficile d'imaginer des situations où ce critère ne pourrait pas être établi. Toute entreprise concurrente, qu'elle ait une activité anticoncurrentielle ou non, qui réalise une vente réussie, prive par définition un concurrent d'un revenu potentiel.
Nous estimons que le critère de détermination du tort qui doit être établi avant qu'on puisse recourir à la mesure extraordinaire que constitue la délivrance d'une injonction — avant même que la requête ne soit présentée au tribunal — est trop indulgent dans l'article 104.1 actuel, et il se retrouve dans l'article 103.3 proposé.
Le sénateur Oliver: Vous voulez dire qu'ils font double emploi?
Mme Hutton: L'article 103.3 va complètement remplacer le 104.1, mais ce dernier figurera toujours dans la législation. Nous disons qu'on pourrait modifier le projet de loi C-23 en supprimant tout simplement l'article 104.1. Cela ne priverait pas le commissaire du pouvoir d'intervenir en cas d'urgence, qu'il s'agisse de compagnies aériennes ou d'un autre secteur de l'économie canadienne.
Le sénateur Oliver: Je voudrais vous poser la même question que celle que j'ai posée aux gens qui sont assis à votre gauche. Que pensez-vous de leurs conclusions, où ils se déclarent tellement en faveur du droit d'accès privé prévu dans le projet de loi C-23? Avez-vous des objections à ce qu'ils nous ont dit aujourd'hui?
M. Ivis: Je vous remercie de cette question. Je ne sais pas si la Chambre a des objections à ce qu'ils ont dit. Nous maintenons la position que nous avons toujours tenue auprès du Comité de l'industrie: le droit d'accès privé devrait être conçu de manière à permettre aux PME de faire appliquer plus efficacement les dispositions d'application de la loi en matière de concurrence.
Nous ne sommes pas totalement convaincus que le droit d'accès privé soit le meilleur instrument pour y parvenir. Je tiens cependant à souligner que nous sommes clairement les alliés des PME pour leur permettre de faire appliquer de façon efficace la législation en matière de concurrence.
Le sénateur Oliver: Vos membres sont-ils d'accord avec le droit d'accès direct au tribunal?
M. Ivis: Notre objection, c'est que ce n'est peut-être pas l'instrument le plus efficace pour bien faire appliquer la loi.
Le sénateur Oliver: Et quel serait l'instrument le plus efficace?
M. Ivis: Si vous vous reportez au mémoire que nous avons présenté au Comité de l'industrie, vous y trouverez plusieurs autres propositions de formules qui répondraient peut-être mieux aux préoccupations des PME.
Par exemple, on pourrait augmenter le financement du Bureau de la concurrence pour lui permettre de mieux faire appliquer la loi, notamment en ce qui concerne les PME; on pourrait créer un service de procédure accélérée pour les PME au Bureau de la concurrence pour examiner les problèmes et les plaintes des PME; on pourrait mettre en place un mécanisme analogue à celui qui existe actuellement en France, je crois, en vertu duquel le Bureau devrait fournir une réponse écrite expliquant pourquoi il n'a pas pris de mesures d'application en réponse à une plainte. De cette façon, on accroîtrait la reddition de comptes et la transparence du système et du Bureau.
Enfin, on pourrait aussi décriminaliser les dispositions de la loi concernant les prix d'éviction, la discrimination par les prix ou le régime de prix imposés tout en renforçant les dispositions concernant l'abus de position dominante grâce à un pouvoir d'imposer des amendes administratives et en abaissant le seuil de détermination d'un comportement anticoncurrentiel permettant de déclencher l'application potentielle de ces dispositions.
Nous pensons qu'il faudrait sérieusement envisager ces formules non seulement comme des formules de remplacement de l'accès privé, mais aussi parallèlement à la formule de l'accès privé dans le cadre d'un vaste processus de consultation où l'on pourrait soupeser tous ces instruments potentiels dans le but de permettre aux petites entreprises d'avoir le meilleur accès possible aux dispositions d'application de la loi.
Le président: Une petite précision. À l'article 75, on parle de «nuire à la concurrence». Est-ce que vous voulez dire qu'il faudrait conserver ce que l'on a dans le reste de la loi, c'est-à-dire une réduction sensible de la concurrence pour laquelle il existe toute une jurisprudence? Pouvez-vous nous dire la différence entre le fait de nuire à la concurrence et le fait de la réduire sensiblement?
Mme Hutton: En tant qu'avocate, je vous dirais qu'il y a une jurisprudence permettant d'interpréter ces deux expressions. Sans le terme sensiblement, je ne sais pas exactement en quoi peut consister le fait de nuire. Il faudrait que le tribunal légifère là-dessus. Je dirais aussi que la jurisprudence a établi un sens à la notion de réduction sensible ou d'empêchement de la concurrence.
Le président: Ce serait une erreur d'utiliser une nouvelle expression?
Mme Hutton: C'est certainement ce que nous croyons.
[Français]
Le sénateur Poulin: J'aimerais remercier les représentants de la Chambre de commerce et les représentants de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante d'avoir présenté un excellent mémoire.
Il est intéressant de voir deux associations qui représentent des entreprises canadiennes et qui ont à coeur un environnement sain et concurrentiel, prendre une position différente sur une même législation.
J'aimerais poser ma question aux représentants de la Chambre de commerce. Vous avez parlé du fait que vous n'étiez pas à l'aise avec les amendements apportés au projet de loi C-23 ou à la loi existante sur la concurrence, parce que cela changerait le rôle du commissaire ainsi que celui du Tribunal.
Ai-je bien compris, madame Hutton, que vous n'étiez pas à l'aise avec le fait que le rôle d'enquêteur du commissaire serait élargi et que le rôle du Tribunal d'agir comme juge serait aussi élargi? J'aimerais comprendre pourquoi vous êtes mal à l'aise.
[Traduction]
Mme Hutton: Cela ne m'inquiète pas. Je ne vois aucune objection à ce que l'article 103.3 autorise le commissaire à demander au Tribunal de rendre une ordonnance provisoire à l'égard d'un secteur donné de l'économie. C'est plutôt la version précédente du projet de loi qui m'inquiétait puisque le commissaire aurait pu rendre de son propre chef cette ordonnance sans avoir à demander au Tribunal de le faire. Il aurait alors agi comme enquêteur et arbitre dans un même dossier, et cela nous inquiétait énormément. L'article 103.3 du projet de loi C-23 corrige le problème. Il en va de même de l'article 104.4.
[Français]
Le sénateur Poulin: Monsieur Piché, en ce qui concerne le rôle du commissaire et du Tribunal, êtes-vous à l'aise avec la définition des rôles telle qu'elle apparaît suite aux changements apportés par le projet de loi C-23?
M. Piché: Nous sommes d'accord avec ce qui est proposé dans le projet de loi C-23. Nous n'avons pas de problème de ce côté.
[Traduction]
Le sénateur Tkachuk: La Fédération canadienne de l'entreprise indépendante s'opposerait-elle à ce que la disposition qui s'applique au transport aérien s'applique de la même façon à tous les autres secteurs d'activité?
M. Piché: Pourquoi pas. Ce qui s'applique au transport aérien devrait s'appliquer à tous les secteurs de l'économie.
Le sénateur Tkachuk: Les dispositions actuelles du projet de loi permettraient d'obtenir une ordonnance sans passer par le Tribunal pour empêcher quelqu'un de s'adonner à une activité quelconque dans tous les secteurs de l'économie?
M. Whyte: Si vous me le permettez, monsieur le président, nous aimerions faire un commentaire. Je suis assis là et je tente de rester calme. Les gens d'affaires viennent nous dire: «je suis au bord de la faillite. Mon grossiste me fait directement concurrence et fixe des prix inférieurs au prix du gros auquel il me vend le même produit.» Nous n'avons aucun recours. Si le Bureau de la concurrence ne peut nous aider, à qui pouvons-nous nous adresser? Pouvons-nous nous adresser à Industrie Canada? Pouvons-nous nous adresser aux provinces? Certaines des pratiques dont nous sommes victimes seraient interdites aux États-Unis et ailleurs. Prenez par exemple le prix de l'essence qui est parfois de 2,3, voire 5 cents en dessous du prix de gros.
Nous pourrions dresser la liste des problèmes article par article, mais ce qui compte c'est le principe. C'est un groupe de propriétaires de petites entreprises, et pas un seul, qui font front commun. Savez-vous à quel point il est difficile de former une association? Il s'est formé une association des détaillants d'essence indépendants parce que ces derniers avaient l'impression d'être écrasés par l'industrie; une association d'épiciers indépendants a été formée parce que ces derniers avaient l'impression d'être écrasés par l'industrie. Ces groupes se forment et n'ont pas eu la chance de présenter leur version des faits.
Le commissaire a aussi fait valoir que nous devons renouveler la jurisprudence pour qu'elle reflète mieux la nouvelle économie et notamment le fait que les petites et moyennes entreprises comptent maintenant pour 50 p. 100 de l'économie. Tant que ces changements figurent dans le projet de loi, nous l'appuierons.
Le sénateur Tkachuk: Qu'y a-t-il dans ce projet de loi pour accroître la concurrence à part le fait qu'il est plus facile d'empêcher une entreprise d'imposer des prix d'éviction?
M. Whyte: Je crois que c'est le commissaire qui l'a expliqué le mieux: qu'on tenterait de limiter la portée du projet de loi pour ne traiter que de quatre grandes questions, dont les prix d'éviction — je n'arrive pas à voir le reste — et nous sommes d'accord avec cela. Nous étions d'accord avec les quatre sujets choisis. Nous avons bien apprécié le rapport Van Duzer qui faisait état de 938 cas dont 3 seulement ont donné lieu à des enquêtes. Ce ne sont certainement pas nos membres qui les ont lancées. Vous pouvez mettre en place toutes les procédures que vous voudrez, que ce soit en vertu de l'Accord sur le commerce intérieur ou l'ALENA. Les petites entreprises ne se prévalent pas de ces procédures. Ces changements leur ouvrent à tout le moins un recours par l'entremise d'organisations comme la nôtre qui les aideront à défendre leur cause devant le Tribunal même si nous n'ayons pas à notre service toute une équipe d'avocats ou des ressources financières importantes.
Le sénateur Tkachuk: Si j'ai bien compris le déroulement de la procédure, une entreprise qui se croit victime d'agissements déloyaux sur le marché peut actuellement s'adresser au ministère pour enclencher le recours devant le Tribunal. Après enquête, le dossier est transmis au Tribunal. Je tente de bien cerner le problème tel qu'il existe maintenant — ce n'est pas que je sois contre la concurrence, loin de là; je n'aime pas non plus les prix d'éviction. Est-ce l'étape de l'enquête qui ralentit la procédure — autrement dit, les bureaucrates n'étaient pas très serviables lorsque venait le moment de faire appliquer les lois qui existent. Est-ce là le problème?
M. Piché: Dans une certaine mesure car, dans l'économie d'aujourd'hui, le temps est une denrée précieuse et cela s'applique sans doute aussi au cas d'Air Canada. Si Air Canada a pour projet d'éliminer un concurrent, elle peut le faire en très peu de temps tandis que les recours en exigent beaucoup. Le concurrent pourrait ne pas survivre. Le problème tient au fait que dans l'économie aujourd'hui, une entreprise ne peut pas survivre très longtemps si elle n'obtient pas un redressement très rapidement.
M. Whyte: Il n'y a pas que les ventes liées; il y a aussi le refus de vendre, l'exclusivité et la limitation du marché. Si vous me le permettez, monsieur le président, j'aimerais donner un exemple concernant la Loi sur les marques de commerce. Ce n'est pas un problème de concurrence. Certains d'entre vous savent peut-être que les exploitants indépendants Fred et Cynthia Brick étaient propriétaires de Brick's Fine Furniture. Ils ont été poursuivis par les magasins The Brick. Fred et Cynthia ont finalement eu gain de cause, mais cela leur avait coûté 100 000 $. La plupart des entreprises font faillite bien avant cela. À l'heure actuelle, il en coûte 100 000 $ pour obtenir un redressement.
J'ai visité aujourd'hui le site Web du Bureau de la concurrence pour voir s'il est facile de se renseigner sur les règles et les procédures. Pendant que la procédure suit son cours, il faut tenter de survivre et d'éviter la faillite. Je ne crois pas qu'il s'agisse d'une affaire vexatoire engagée par un détaillant d'essence indépendant ou un épicier indépendant. Il s'agit plutôt d'un regroupement de détaillants d'essence qui disent: «Il n'y a plus de détaillants d'essence indépendants à Terre-Neuve, ils sont moins nombreux en Nouvelle-Écosse et la même chose se produit au Québec.» Nous devrions pouvoir nous regrouper pour saisir le Tribunal. Je ne crois pas que cela soit vexatoire.
Le sénateur Tkachuk: Parlons maintenant du sondage que vous avez réalisé car je voudrais m'assurer d'avoir bien compris. Quand vous avez interrogé les membres de votre association pour savoir s'ils devraient avoir directement accès au Bureau de la concurrence, 50 p. 100 d'entre eux ont répondu oui et vous donnez le chiffre exact dans votre mémoire. Leur avez-vous demandé combien d'entre eux tenteraient de s'adresser au Bureau de la concurrence à l'heure actuelle?
M. Whyte: Nous n'avons pas posé cette question. Nous avons travaillé avec le Bureau de la concurrence; nous avons travaillé avec le comité car à l'époque les gens disaient: «Personne n'a demandé ce qu'en pensent les petites entreprises.» De fait, c'est la Chambre de commerce qui a dit que personne ne réclame ces changements. Nous avons donc décidé d'interroger nos membres et de leur poser directement la question afin de transmettre les résultats au comité. Nous avons expliqué la situation; nous avons présenté les arguments pour et contre. Nous n'avons pas posé une question tendancieuse, nous avons expliqué la situation afin de pouvoir connaître l'opinion des petites entreprises. Bien entendu, certains gens d'affaires se désintéressent de la question ou sont indécis — comme certains se préoccupent peu de savoir qui ne respectent pas le code de la route jusqu'à ce qu'ils soient eux-mêmes victimes d'un accident. Parmi les répondants, la proportion d'appui à cette question était de trois pour un.
Après les travaux du comité de la Chambre des communes, nous avons recueilli 13 500 réponses que nous vous présentons aujourd'hui. Nous sommes prêts à dire: «Voici ce que pensent les petites entreprises». Nous avons fait une ventilation par secteur et par province; le ratio était le même dans tous les secteurs. Il m'a semblé que le comité trouverait cette information utile puisque de nombreux autres groupes, surtout les représentants de la grande entreprise, prétendaient que personne ne réclamait ce changement. Nous voulions donner un autre son de cloche.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette: Merci pour votre présentation. Ma question s'adresse aux membres de la Chambre de commerce. Lorsqu'on a passé une loi spéciale qui permettait à Air Canada d'acquérir Canadien International, êtes- vous intervenus pour vous prononcer pour ou contre la fusion des deux compagnies aériennes?
[Traduction]
M. Ivis: Il faudra que je le vérifie. Je ne le crois pas, mais je pourrai vous donner une réponse plus précise après vérification.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette: Quand on a un transporteur national aussi important, il est bon de connaître votre position.
J'ai pris connaissance de vos recommandations. Si le comité n'éliminait pas la clause que vous recommandez d'éliminer, tout en considérant votre proposition de diminuer l'amende afin de s'adapter aux autres législations, est-ce que vous diriez — même si ce n'est pas votre préférence — que cette mesure devrait s'appliquer dans d'autres secteurs et ce, de façon générale, sans viser un secteur en particulier? J'aimerais connaître la philosophie de la Chambre de commerce sur le fait d'avoir, dans une loi, une mesure qui s'adresse à un seul secteur de l'économie.
[Traduction]
Mme Hutton: La Chambre de commerce du Canada ne croit pas que la Loi sur la concurrence soit le bon outil pour réglementer un secteur donné de l'économie canadienne, qu'il s'agisse du transport aérien, de l'épicerie, ou quoi encore. Par conséquent, nous n'appuyons pas la modification périodique de la Loi sur la concurrence dans le but de réglementer un secteur donné.
J'espère que cela répond à votre question.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette: Le président parlait tantôt de la question d'un remède via une injonction normale devant un tribunal civil ou la possibilité d'intervention devant un tribunal spécialisé comme, par exemple, la Commission des transports. Plutôt que de modifier la Loi sur la concurrence, devrions-nous prendre des mesures de redressement qui empêcheraient la concurrence, mais qui permettraient également d'avoir un choix dans le transport via le secteur lui-même? Votre remède serait-il le tribunal civil général ou une commission spécialisée dans le secteur?
[Traduction]
Mme Hutton: Nous sommes d'avis que la Loi sur la concurrence, modifiée par le projet de loi C-23, et plus particulièrement par l'ajout de l'article 103.3, lequel donne au commissaire le pouvoir d'obtenir, dès le début de son enquête, une ordonnance provisoire, ce qui lui donne un outil d'application générale qu'il peut utiliser pour empêcher ou corriger un comportement anticoncurrentiel dans n'importe quel secteur. La définition d'abus de position dominante à l'article 79 est extrêmement large et peut être élargie au-delà des exemples précis énumérés à l'article 78. Ainsi, le commissaire dispose d'outils suffisants pour interdire, au cas par cas, les comportements anticoncurrentiels, le cas échéant. Il est préférable de corriger les difficultés structurelles dans certains secteurs donnés au moyen de règlements applicables à ces secteurs, ou par une loi spéciale, et il faudrait peut-être alors créer un organisme de réglementation particulier. Je ne peux pas parler d'un secteur en particulier et je ne crois pas que la Chambre de commerce du Canada ait pris position sur un secteur en particulier.
Le président: L'article 103 permet-il au commissaire de s'adresser au Tribunal peu importe le secteur mis en cause?
Mme Hutton: Tout à fait.
Le président: L'article 104 impose-t-il des restrictions que certains jugent excessives, mais seulement pour le secteur du transport aérien?
Mme Hutton: C'est exact. L'article 104.1 lui permet de rendre une ordonnance de sa propre initiative sans autorisation d'un tiers.
Le président: Cela ne vaut que pour le transport aérien?
Mme Hutton: Exactement.
Le sénateur Fitzpatrick: J'aurais une question complémentaire. J'ai noté que vous dites que le Tribunal de la concurrence n'agit pas à titre d'organisme de réglementation. Vous avez parlé de règlements en voie d'élaboration. Dans le cas de l'article 104.1 qui s'applique au secteur du transport aérien, qui à votre avis devrait être chargé de la réglementation?
Mme Hutton: Je ne crois pas que nous ayons de candidats particuliers en tête. C'est au gouvernement d'en décider. Nous ne sommes pas venus aujourd'hui pour prendre position à l'égard d'un secteur particulier de l'économie mais plutôt pour réclamer que la Loi sur la concurrence soit une loi d'application générale. Elle doit s'appliquer à l'économie toute entière; elle doit fixer les règles régissant les comportements économiques dont dépendent la compétitivité et l'efficacité de l'économie canadienne. Dans un grand nombre de secteurs de notre économie, des règlements s'appliquent en sus de la Loi sur la concurrence et nous ne devrions pas faire de la Loi sur la concurrence autre chose qu'une solide loi-cadre.
Le président: Que pensez-vous du ministère des Transports comme réponse possible à votre question?
Le sénateur Fitzpatrick: J'allais y venir. J'ai cru comprendre que vous admettez qu'une réglementation puisse être nécessaire, alors à qui confier la réglementation? Est-ce que ce serait le ministère des Transports ou un autre organisme? Je sais bien que vous ne parlez pas au nom du gouvernement, mais j'aimerais savoir ce que vous en pensez.
M. Ivis: Je ne peux que répéter ce qu'a dit ma collègue plus tôt, à savoir que de nombreux secteurs ont leur propre organisme de réglementation. S'il y a un problème dans un secteur donné, il serait préférable que la réglementation se fasse à ce niveau-là. La Loi sur la concurrence par contre est une loi-cadre qui doit s'appliquer de façon générale. La Chambre de commerce estime qu'il ne faut pas y greffer des dispositions qui ne s'appliquent qu'à certains secteurs. En ce qui a trait à votre question, nous n'avons pas de position arrêtée.
Le sénateur Kelleher: Quelqu'un peut-il m'expliquer pourquoi il a dans le projet de loi une disposition qui s'applique exclusivement au secteur du transport aérien? Qui a eu cette idée, en réaction à quoi, et pourquoi est-ce nécessaire?
Mme Hutton: Nous sommes d'avis que cette disposition ne devrait pas figurer dans la loi. Vous devriez poser la question à ceux qui ont décidé, il y a environ un an, de modifier la loi.
Le sénateur Kelleher: Avez-vous une idée de ce qui a pu motiver ce changement?
Mme Hutton: Je pourrais vous donner un avis personnel mais je ne crois pas que ce soit pertinent; l'idée ne vient certainement pas de la Chambre de commerce du Canada.
Le sénateur Kelleher: Votre avis pourrait avoir un rapport avec ma question. Je ne suis pas associé au secteur du transport aérien. Je n'a pas participé aux consultations. J'aimerais savoir pour quelle raison on a ajouté cet article avant de décider si nous devrions ou non approuver ce projet de loi. À votre avis, qu'est-ce qui a motivé ce changement?
Mme Hutton: Je crois que le commissaire approuve l'idée d'élargir le pouvoir de rendre une ordonnance provisoire de façon à ce qu'il s'applique à tous les secteur de l'économie, et cela se reflète à l'article 103.3 du projet de loi C-23. Je ne peux que supposer qu'au moment où il a proposé ce changement à l'article 104.1, il était d'avis que le besoin s'en faisait sentir d'abord dans ce secteur en particulier. Toutefois, il a maintenant demandé d'ajouter au projet de loi l'article 103.3 qui élargit l'application du pouvoir de rendre une ordonnance provisoire et qui le rend applicable à tous les secteurs de l'économie.
Le sénateur Kelleher: Pourquoi le secteur du transport aérien est-il dans le collimateur?
Mme Hutton: C'est une excellente question et la Chambre de commerce du Canada s'y oppose.
M. Ivis: C'est une excellente question. Nous avons toujours maintenu que la Loi sur la concurrence est une loi-cadre, d'application générale, et qu'elle ne doit pas renfermer de dispositions ciblées ou applicables à certains secteurs seulement. Notre position est semblable à la vôtre.
M. Whyte: Nous ne comptons pas Air Canada parmi nos membres. Je crois qu'il serait utile de revoir le témoignage du commissaire quand il a comparu devant votre comité. Il a dit que depuis la disparition de CanJet, Royal et Canada 3000, Air Canada contrôle maintenant environ 80 p. 100 du marché intérieur du transport aérien.
Le président: Je ne suis pas convaincu de l'exactitude de ce chiffre. Vous devriez le vérifier. Je me trompe peut-être.
M. Whyte: Je lis ce qu'il a dit.
Le président: Sénateur Kelleher, j'aimerais poser la même question que vous. Quand le gouvernement a permis aux deux grands transporteurs de fusionner, il a créé un transporteur aérien dominant. Je suppose qu'il a voulu donner au Bureau de la concurrence ou au commissaire le pouvoir d'empêcher les excès. C'est une possibilité.
Le sénateur Tkachuk: C'est difficile à croire. Il leur a permis de contrôler 85 p. 100 du marché pour leur dire ensuite: «Ah, nous avons créé un problème et nous allons maintenant devoir légiférer».
Le président: Je ne crois pas que ce soit 85 p. 100, tant s'en faut.
Le sénateur Eyton: Je crois que nos témoins essaient de nous dire qu'ils ne peuvent pas prendre position à l'égard d'Air Canada et de son importance sur le marché jusqu'à ce qu'Air Canada ne devienne, et c'est inévitable, une entreprise de taille moyenne.
Le président: Je vous remercie tous d'être venus cet après-midi. La séance a été très intéressante.
Nous accueillons maintenant Stanley Wong. Monsieur Wong, pouvez-vous nous dire qui vous êtes et faire votre exposé liminaire. Allez-y, monsieur.
M. Wong, Davis & Company: Je m'excuse de ne pas avoir de mémoire écrit. Je comparais à titre personnel uniquement. Je suis associé du cabinet d'avocats Davis & Company. Je pratique à Vancouver et à Toronto et j'utilise souvent les services d'Air Canada. Cela étant, je me ferai un plaisir de parler des transporteurs aériens.
Je pratique surtout le droit de la concurrence bien que je travaille aussi dans le domaine de la propriété intellectuelle. Je plaide des causes et je travaille comme conseiller en matière d'acquisitions et de pratiques concurrentielles.
Avant de devenir avocat, j'ai été professeur d'économie pendant 11 ans. J'ai quitté cette honorable profession pour embrasser celle d'avocat. Ma mère a sans doute pensé que c'était une déchéance. Je suis le président sortant de la section sur le droit de la concurrence de l'Association du Barreau canadien. Je fais toujours partie du conseil exécutif, mais ce n'est pas au nom de la section que je vous parle aujourd'hui. La Section sur le droit de la concurrence comparaîtra devant le comité le 13 mars, je crois.
Pour ce qui est de mon expérience professionnelle, j'ai représenté le commissaire de la concurrence dans l'affaire Southam qui a été portée devant la Cour suprême du Canada. J'ai représenté aussi bien le gouvernement que le secteur privé pour le compte de diverses entreprises, grandes et petites.
Je voudrais faire quelques observations générales, mais je me concentrerai surtout sur le contexte de cette réunion. J'ai dit beaucoup de choses devant le Comité de l'industrie. M. Conway, l'un des membres du personnel, m'a rappelé qu'il avait lu attentivement mes propos. Je ne voudrais pas que mes déclarations contredisent ce qui est inscrit noir sur blanc.
Je commencerai par les dispositions du projet de loi concernant le consentement, à l'article 105. Pour le moment, aux termes de la Loi sur la concurrence, lorsque le commissaire et une partie donnent leur consentement, ils demandent une ordonnance au Tribunal de la concurrence, qui a été constitué en 1986. À l'époque, lorsqu'il y avait consentement, l'affaire allait devant le Tribunal et le public pouvait intervenir.
Au début, la procédure de consentement était très compliquée. Certains se souviennent peut-être que dans le cas d'Imperial Oil, la procédure de consentement a pris plus de temps que si l'affaire avait été contestée. Avec le temps, le Tribunal a modifié ses règles et rendu les interventions plus difficiles. À l'heure actuelle, les interventions ne posent pas de sérieux problèmes.
Ce qui a conduit à ce projet de loi c'est que le commissaire, de même que la partie au consentement, ont déploré qu'à plusieurs reprises le Tribunal a rejeté une ordonnance de consentement pour le motif qu'elle n'était pas applicable, par exemple. Voilà le contexte.
On propose que la procédure de consentement soit dissociée du processus du Tribunal. Autrement dit, lorsque le commissaire et une partie signe un consentement — cela s'applique également lorsqu'il est question de l'accès privé — il suffit au Tribunal de l'enregistrer. Ce n'est rien de plus qu'un bureau d'enregistrement. Le Tribunal n'examine pas le bien-fondé du document.
Il s'agit d'une politique désastreuse. N'oublions pas qu'en 1986, le Tribunal de la concurrence a été mis sur pied parce que tout le monde estimait que la Commission sur les pratiques restrictives du commerce était devenue inutile et que nous avions besoin d'un organisme d'arbitrage indépendant. Voilà ce qui a amené à la création du Tribunal de la concurrence qui est composé de juristes et de profanes. Ce tribunal devait également tenir compte de l'équité, de l'application régulière de la loi et de questions de ce genre.
Maintenant, le Tribunal n'a plus à se prononcer à moins que la modification de l'ordonnance ne soit demandée ultérieurement.
À titre de comparaison, les États-Unis ont la loi Tunney. Cette loi s'applique aux ententes conclues par le gouvernement des États-Unis. Dans le cas de l'affaire Microsoft, neuf des dix-huit États, de même que le ministère de la Justice des États-Unis, ont conclu une entente avec Microsoft. Ils ont demandé qu'elle soit approuvée aux termes de la loi Tunney.
Le tribunal doit tenir compte de l'intérêt public. Pendant ce temps, les neuf États qui n'ont pas conclu d'arrangements poursuivent l'affaire devant les tribunaux. Les deux procédures vont bientôt se téléscoper.
Nous avons constitué ce tribunal pour qu'il joue le rôle d'arbitre indépendant dans l'intérêt public. Si je signe un consentement avec le commissaire et que ce consentement est enregistré, c'est une excellent chose pour moi personnellement. Mais pour ce qui est de l'intérêt public, c'est catastrophique.
Je voudrais maintenant parler du droit d'accès privé. Il faut bien comprendre le contexte. À l'heure actuelle, la Loi sur la concurrence comporte deux parties, les dispositions pénales et non pénales. Les dispositions pénales sont du ressort des tribunaux. Les dispositions non pénales, ou encore les comportements susceptibles de poursuites en vertu du projet de loi, sont du ressort du tribunal de la concurrence.
Pour ce qui est des dispositions pénales, on a le droit d'accès privé aux tribunaux ordinaires. L'article 36 de la loi vous confère le droit d'intenter une poursuite pour les dommages subis à cause d'une conduite contraire à une disposition criminelle. Ce recours existe depuis 1976. La Cour suprême du Canada l'a déclaré constitutionnel dans les années 80. Il y a eu peu de causes de ce genre, mais la situation a changé en raison des recours collectifs. Le journal de mercredi dernier publiait l'avis d'une demande de certification et d'approbation d'entente concernant le complot international relatif à l'acide citrique.
Au Québec, en Ontario, en Colombie-Britannique et en Saskatchewan, la Cour suprême du Canada a déterminé que les règles de procédure en vigueur dans pratiquement toutes les provinces où s'applique le régime de la common law permettent des recours collectifs, quelle que soit la décision rendue antérieurement dans l'affaire Naken c. General Motors.
En ce qui concerne les comportements qui peuvent faire l'objet de poursuites, le commissaire qui demande une ordonnance au tribunal ne peut pas demander de dommages et intérêts. Il demande une ordonnance pour empêcher une fusion, par exemple. Une petite exception qui est passée inaperçue est celle prévoyant une sanction pécuniaire administrative pour les questions de publicité qui vont devant le Tribunal. Il y a deux voies parallèles. D'une part il y a une disposition concernant la publicité trompeuse qui vont devant les tribunaux et une disposition qui relève du Tribunal de la concurrence. Ces dispositions prévoient des sanctions pécuniaires administratives.
Rares sont les pays où les comportements anticoncurrentiels constituent des infractions criminelles. C'est le cas aux États-Unis et en Irlande. Le Royaume-Uni a annoncé qu'il créerait ce type d'infraction. Il n'y en a pas dans l'Union européenne.
Dans l'affaire du cartel international des vitamines, Hoffmann-La Roche, de Suisse, a été condamnée à une amende de 500 millions de dollars US. Au Canada, l'amende imposée était de 50 millions de dollars canadiens. Notre dollar est plus faible; je suppose que nous nous contentons de 10 p. 100. C'est pour le complot. L'Union européenne ne prévoit pas d'infraction pénale. Hoffmann-La Roche a été condamnée au départ à une amende de 900 millions d'euros. Un euro vaut 1,40 $ canadien. L'amende a finalement été réduite à 450 millions d'euros. Hoffmann-La Roche demeure une entreprise très rentable. Vous pouvez voir le contexte; la situation est très différente.
En ce qui concerne les dispositions non pénales de notre loi, il n'y a pas de sanctions pécuniaires. À l'étranger, on ne comprend pas pourquoi. Aux États-Unis, c'est ce qu'on appelle une «infraction de monopolisation»; dans l'Union européenne on appelle cela un «abus de position dominante». Il n'y a aucune raison de ne pas imposer de sanctions pécuniaires. On parle de «sanctions pécuniaires» uniquement dans les dispositions pénales. Il faudrait imposer une amende aux fautifs. Ce principe n'est pas là.
Dans ce contexte, le droit d'accès privé permet à une partie de s'adresser au tribunal mais seulement dans certaines circonstances qui sont énoncées aux articles 75, 76 et 77 de la loi: en cas de refus de vendre, de pratiques restrictives du commerce, d'exclusivité et de ventes liées. L'abus de position dominante n'est pas prévu dans la loi et, à part les fusions, c'est ce qui constitue, en réalité, les aspects non criminels de la loi. Il s'agit de trois types d'agissements: les fusions où vous avez des gens qui concluent des marchés au milieu de la nuit en cachant leurs yeux derrière des verres fumés; des fusions qui se transigent en public, et l'abus de position dominante dans lequel on profite indûment d'un monopole ou d'une position dominante.
Il n'y a aucune disposition dans le projet de loi en ce qui concerne l'abus de position dominante.
Il serait bon de se demander pourquoi. C'est une question que vous devriez poser au commissaire.
Si nous avons ce projet de loi c'est parce que les petites entreprises, que j'ai représentées, viennent dire au commissaire: «Voyez ce que m'a fait cette société. C'est de la concurrence déloyale.» Le commissaire leur répond qu'il dispose de ressources très limitées. Il a des pouvoirs de plus en plus importants, certains qu'il a demandé, mais il a bien d'autres choses à faire. Il leur dit qu'il ne peut pas s'occuper des affaires qui n'ont pas une importance nationale, ce qui est très compréhensible.
C'est donc là un recours pour les intérêts privés qui se sentent lésés et qui ne pensent pas pouvoir convaincre le commissaire d'intenter une poursuite au nom du gouvernement. N'oubliez pas que le demandeur va tout simplement agir à la place du commissaire et il devra démontrer que sa cause répond à certains critères. Il devra commencer par obtenir l'autorisation du tribunal.
Le demandeur privé peut obtenir exactement les mêmes réparations que la commission. Toutefois, en vertu de ce projet de loi, le commissaire pourra obtenir des sanctions pécuniaires administratives allant jusqu'à 15 millions de dollars contre Air Canada. À part cela, ce sera exactement la même chose.
Ça donne une situation plutôt bizarre. Si l'on révisait la loi, il faudrait prévoir des sanctions pécuniaires pour les comportements susceptibles de poursuites. Une partie qui a été lésée par des agissements anticoncurrentiels, qu'ils soient criminels ou non, devraient pouvoir être dédommagés des torts causés par une société dont le comportement a été jugé contraire à la Loi sur la concurrence. C'est ce que devrait prévoir la loi.
Malheureusement, sauf dans l'affaire Air Canada ou dans des cas de publicité trompeuse, nous ne permettons pas encore au commissaire de dire qu'un comportement non criminel doit donner droit à des dommages-intérêts. La loi n'est pas conçue pour protéger la personne ou la petite entreprise indépendante qui a été évincée du marché pour toutes sortes de raisons. Elle vise à protéger la concurrence.
Voilà pourquoi vous entendez constamment parler, comme l'a fait le groupe qui m'a précédé, dans tous les débats sur la loi et la politique de concurrence, du fait que l'on protège la concurrence plutôt que les concurrents comme tel. Le jeu de la concurrence veut qu'il y ait, bien entendu, des gagnants et des perdants.
En ce qui concerne l'article 75, je partage les inquiétudes de mes collègues quant à ses effets négatifs. Dans la Loi sur la concurrence, il y a en fait deux types de critères. N'oubliez pas que la loi ne veut pas s'attaquer à tout comportement anticoncurrentiel. Elle intervient seulement si la concurrence a été réduite de façon importante — ce qui représente la majeure partie des dispositions — ou indue, ce qui constitue les dispositions criminelles. Il y a une autre disposition, l'article 32, qui porte sur les brevets.
Dans l'ensemble, la jurisprudence est centrée sur le concept d'une réduction sensible et indue. Le critère utilisé aux États-Unis est celui d'une limitation importante de la concurrence. C'est le critère sur lequel se base notre propre jurisprudence et celui que l'Union européenne adoptera probablement dans ses lois.
Pour ce qui est des effets négatifs, selon celui qui me paye, je pourrais faire valoir qu'il s'agit d'une norme plus stricte qu'une réduction sensible ou l'inverse. Tel est le rôle des avocats. Toutefois, je crois que c'est une mauvaise politique. Je me demande comment nous en sommes arrivés là. Peu importe qui est le coupable, c'est répréhensible et il faudrait y remédier.
Il y a un petit défaut de plus. L'article 106.1 de la loi contient une disposition concernant les ententes entre les parties. Le paragraphe 106.1(4) est ainsi formulé:
The consent agreement shall be registered within 30 days [...]
Cela veut dire que s'il y a deux parties en cause, l'enregistrement devra être fait avant l'expiration d'un délai de 30 jours. Toutefois, la version française est entièrement différente. Elle dit ceci:
Le consentement est enregistré à l'expiration d'un délai de trente jours suivant sa publication [...]
Cela veut dire qu'une fois que le consentement a été publié dans La Gazette du Canada, vous devez attendre 30 jours avant de pouvoir l'enregistrer. Selon la version anglaise, l'enregistrement peut être fait dans les 30 jours suivant la publication. De toute évidence, il y a une erreur ici. Il ne s'agit pas de dire qu'il suffit de lire l'anglais et le français pour comprendre. Cela ne peut pas marcher. C'est un défaut mineur.
En ce qui concerne les transporteurs aériens, le problème est que nous avons pris la décision politique de ne pas réglementer le transport. En fait, la Loi sur les transports prévoit plutôt une procédure de plainte. Ce n'est pas comme du temps de la Commission canadienne des transports. L'Office national des transports est relativement inactif, sans vouloir insulter ceux qui connaissent le sujet mieux que moi.
La situation de nos lignes aériennes est très complexe. Nous sommes un grand pays avec une population très clairsemée. Nous avons des règles de propriété étrangère et nous croyons que chaque localité devrait être desservie par un transporteur aérien. J'ai beaucoup de sympathie pour Air Canada. Cette entreprise a pris toutes ces dispositions pour desservir toutes les petites localités et, de toute évidence, elle perd de l'argent. Cela pose un problème auquel il n'y a pas de solution toute faite. Notre problème tient au fait que nous ne voulons pas de la propriété étrangère et que chaque petite localité doit avoir son service de transport aérien.
Nous savons que le gouvernement ne laissera jamais Air Canada faire faillite. C'est la politique de la corde raide. Air Canada dit au gouvernement: «Si vous m'imposez ceci ou cela, je risque de faire faillite.» Le gouvernement ne voudrait pas qu'Air Canada fasse banqueroute. Ce serait catastrophique. À part les problèmes dont j'ai parlé, il y a celui de l'emploi qui évidemment ne relève pas de la Loi sur la concurrence. C'est une raison de plus pour examiner ces questions dans une autre tribune où toutes les politiques sociales, politiques, économiques et régionales pourront intervenir. Il n'est vraiment pas souhaitable d'inscrire cela dans la Loi sur la concurrence.
Le commissaire a déclaré lui-même que le problème de la concurrence serait réglé si nous laissions des étrangers établir des lignes aériennes chez nous. Il a eu quelques prises de bec avec le ministre, M. Collenette, à ce sujet.
En plus de cette amende de 15 millions de dollars, il y a l'ordonnance provisoire dont plusieurs personnes ont parlé. Il faut également comprendre le contexte de cette ordonnance provisoire. Elle figurait dans le projet de loi C-20. Le commissaire rendait une ordonnance que le transporteur dominant — c'est-à-dire Air Canada — pouvait contester.
Ensuite, on a estimé qu'il faudrait généraliser ce principe. Le projet de loi d'initiative parlementaire de la Chambre des communes proposait de le généraliser, avec l'appui du commissaire. Il s'agissait d'étendre l'application de l'article 104.1 aux autres comportements non criminels.
Quand la Chambre a été saisie du projet de loi d'initiative parlementaire, le commissaire à la concurrence a engagé mes services pour que je lui dise quelle serait l'ordonnance provisoire à rendre. Le contrat que j'ai réussi à extraire de son personnel me permet de parler de la loi, mais je ne peux évidemment pas vous faire part de ce que j'ai dit au commissaire. Je peux toutefois formuler librement certaines observations.
La Loi sur la concurrence contient des dispositions pénales que nous laisserons de côté. Sous l'angle non pénal, une ordonnance provisoire peut généralement être rendue une fois que le commissaire a fait une demande au Tribunal à propos d'une ordonnance internationale. Cela figure à l'article 104. S'il a fait sa demande, il peut obtenir l'ordonnance, mais il doit d'abord en faire la demande. Autrement dit, il doit faire une demande en bonne et due forme disant que la société XYZ abuse de sa position dominante et qu'il veut un certain type d'ordonnance.
Le sénateur Oliver: S'agit-il d'une demande ex parte?
M. Wong: Non. Une fois qu'il a présenté une requête, il va la défendre devant le Tribunal. Je l'ai fait dans l'affaire Southam à propos de la fusion. J'ai fait valoir que la fusion devait être arrêtée et qu'il fallait éviter de brouiller les cartes parce qu'il aurait été difficile au tribunal de rendre une ordonnance corrective.
L'article 100 de la loi autorise une ordonnance provisoire avant qu'une demande n'ait été présentée. Ce n'était possible que pour les fusions. On pouvait le faire dans les cas de demandes ex parte à condition que les circonstances l'exigent.
Voilà le contexte. Le premier cas de ce genre concernait Air Canada. Nous retrouvons maintenant cette possibilité à l'article 104.1. L'article 103.3 est en réalité une version différente du 104.1 dans la mesure où le commissaire ne peut pas rendre lui même cette ordonnance. Il doit transmettre la demande au Tribunal.
Néanmoins, l'article 104 continue à contenir nombre des problèmes pré-existants et je me permets de vous en citer quelques-uns. Prenons pour commencer les injonctions. Généralement, vous procédez par injonction lorsque vous dites que quelqu'un est sur le point de commettre un délit ou de rompre un contrat avec telle ou telle conséquence contre lesquelles vous avez besoin d'être protégés immédiatement.
Vous remarquerez qu'à l'article 104, qui correspond à la demande d'injonction après qu'une demande a été déposée, c'est le critère habituel des injonctions interlocutoires devant les cours supérieures qui est appliqué. C'est en gros ce que cela dit. Cependant, la proposition d'article 103.3 est assez différente. Je ne voudrais pas vous ennuyer mais je vous demande votre indulgence. Il est important de comprendre l'intention de la proposition d'article 103.3 que l'on peut trouver à la page 31 du projet de loi C-23.
La proposition de paragraphe 103.3(2) se lit comme suit:
Le Tribunal peut rendre l'ordonnance s'il conclut que le comportement ou les mesures pourraient être du type visé aux alinéas (1)a) ou b) [...]
En réalité, ce qu'ils disent c'est qu'une ordonnance provisoire interdit la poursuite d'un comportement qui pourrait faire l'objet d'une ordonnance, ce qui pour l'essentiel signifie que ce comportement pourrait faire l'objet de l'ordonnance ce qui confère la juridiction. J'y reviendrai.
De plus, il faut déterminer qu'il y a, disons, «des dommages irréparables». Je reviendrai à cette notion de «dommages» dans une injonction, généralement, il faut démontrer la vraisemblance d'une atteinte à la loi. Ici, il n'en est pas question. Le commissaire n'a pas à prouver qu'il y a vraisemblance, qu'elle soit forte ou faible, d'atteinte à un article de la partie VIII de la loi. Il n'y est pas tenu. Cette notion est peut-être cachée quelque part dans l'alinéa 10.1b) qui dit que le commissaire peut ordonner une enquête s'il a des raisons de croire qu'il y a des motifs de rendre une ordonnance. Il n'y a pas de contestation possible.
Pour l'essentiel, il dit que seul ce type de comportement peut faire l'objet d'une ordonnance dans les cas de comportements abusifs ou de ventes liées, par exemple. Ces actes pourraient faire l'objet d'une ordonnance. C'est tout ce qu'il a à démontrer.
Il doit ensuite démontrer que la concurrence subira vraisemblablement un préjudice auquel le Tribunal ne pourra adéquatement remédier et cela devrait s'arrêter là. Mais la loi ne s'arrête pas là elle va plus loin. Elle ajoute d'autres cas, qu'à défaut d'ordonnance un compétiteur sera vraisemblablement éliminé; qu'une personne subira vraisemblablement une réduction importante de sa part de marché, une perte importante de revenu ou des dommages auxquels le Tribunal ne pourra adéquatement remédier.
N'oubliez pas que c'est le principe de concurrence qu'il s'agit de protéger. S'il n'y a que deux concurrents, il est évident que l'élimination d'un concurrent entraîne automatiquement une perte sérieuse de concurrence. Par contre, s'il y a 50 concurrents, c'est son incompétence qui peut être la cause de l'élimination d'un concurrent. Si l'objectif est la fidélité au concept de protection de la concurrence, c'est absolument superflu.
Un pouvoir d'ordonnance provisoire, soit la possibilité de faire une demande d'ordonnance provisoire, est indispensable, mais à mon avis, ce n'est pas le bon.
Le sénateur Tkachuk: C'est l'article 104 que vous citez?
M. Wong: Je me réfère à la fois à l'article 104 et à la proposition d'article 103.
Le sénateur Tkachuk: En d'autres termes, pour répondre à ma première question, voulez-vous éliminer le 104 et le 103?
M. Wong: Personne ne m'a demandé de réécrire la loi, mais si vous me demandiez ce que j'aimerais, je crois qu'il ne devrait y avoir qu'une disposition pour régler cette question. Je recommanderais de prendre l'article 100, qui ne s'applique pour le moment qu'aux fusions et de le généraliser pour y inclure tous les champs de juridiction du tribunal. C'est ce que je ferais. C'est beaucoup trop détaillé.
Une observation: contrairement aux États-Unis qui modifient rarement leur législation antitrust, nous semblons avoir pris l'habitude de tout modifier. Chaque fois qu'un tribunal ou une cour rend un jugement déplaisant, nous essayons de modifier la loi. Ainsi, il est de plus en plus difficile de s'y retrouver et on a quasiment le sentiment qu'il faut à chaque fois repartir à zéro et réécrire la loi.
Le sénateur Tkachuk: En quoi la proposition du commissaire est-elle pertinente étant donné la spécificité de l'industrie du transport aérien? On nous a également parlé de la câblodistribution qui ne ressemble à aucune autre industrie, à tel point, nous a-t-on dit, qu'il faudrait lui donner pleins pouvoirs pour qu'elle puisse s'opposer à un diffuseur dominant.
M. Wong: Si c'est effectivement le cas, le commissaire peut s'adresser au tribunal. J'ai déjà entendu demander dans quel délai est-il possible de saisir le Tribunal. Tout dépend du prix que vous êtes prêt à payer. Les tribunaux civils reçoivent sans cesse des demandes d'injonction et cela peut se faire en quelques heures. Il n'y a aucune raison de ne pas saisir un organisme indépendant, un organisme d'arbitrage. Je ne suis pas ici pour défendre le Tribunal, mais bien pour défendre le processus existant.
Le sénateur Tkachuk: Mais la loi passe outre au processus pour des raisons d'efficacité ou de commodité.
M. Wong: C'est ce que dit clairement l'article 104.1. La proposition de l'article 103.1 donne un peu l'impression de vouloir rectifier les lacunes de l'article 104.1, mais il y a en l'occurrence des carences graves dont je viens d'ailleurs de vous parler.
Le sénateur Hervieux-Payette: Comme vous connaissez fort bien la loi, j'aimerais beaucoup avoir par écrit votre proposition de solution étant donné que vous nous avez dit que vous ne vouliez pas vous contredire. Il nous serait utile d'avoir votre version de la solution, à moins bien sûr que vous ne prétendiez que la loi précédente était déjà parfaite.
M. Wong: Le début de la semaine prochaine vous conviendrait-il?
Le sénateur Hervieux-Payette: Oui, si mes collègues y consentent.
M. Wong: Je pourrais envoyer ce texte aux membres du comité, libre à eux de l'accepter ou de le refuser.
Le sénateur Hervieux-Payette: Cela nous permettrait utilement de faire des comparaisons. Bien entendu, en raison de votre expérience, nous allons probablement juger que cette solution nous est utile. Je vous en remercie parce que je sais que vous êtes un simple citoyen et que vous comparaissez devant le comité à vos propres frais et sur votre propre temps alors qu'en votre qualité d'avocat, j'imagine qu'en temps normal vous travailleriez pour un client. Je vous sais gré de nous accorder ainsi votre temps, c'est fort civique de votre part de venir ainsi aider le comité.
Le sénateur Kelleher: Vous ne semblez pas hésiter autant à exprimer une opinion que les autres témoins, et c'est la raison pour laquelle je vais vous poser cette question. Pourquoi l'industrie du transport aérien a-t-elle été ainsi mise en exergue dans la loi et, selon la réponse que vous allez donner, cela est-il vraiment nécessaire ou faudrait-il faire la même chose pour tous les types de comportements anticoncurrentiels?
M. Wong: J'ai eu le luxe de pouvoir lire la transcription de vos travaux et si je ne me trompe pas, les sénateurs ont posé des questions les 5 et 6 mars au sujet précisément du fait que chaque industrie est un cas d'espèce. Chaque industrie est effectivement un cas d'espèce, je n'en disconviens pas. Le problème, comme je l'ai déjà dit, c'est que nos politiques en matière de transport nous mettent dans une situation intenable. Il est certes possible de réglementer le transport aérien et de le faire relever de la commission, mais ce n'est pas ce que le gouvernement a fait. Par conséquent, il y a le commissaire qui est appelé à entendre de certaines questions alors que la véritable solution, à son avis du moins — et je suis d'accord avec lui — c'est que dans le monde actuel, il n'est plus nécessaire d'avoir une compagnie aérienne pour être un véritable pays.
Jadis, il fallait qu'un pays ait une sidérurgie. Avoir une compagnie aérienne n'est pas une question de fierté nationale. J'espère à tout le moins que la puissance d'un pays ne se mesure pas seulement au fait qu'il possède des compagnies aériennes ou des chemins de fer. Par contre, nous avons décidé que c'était la seule manière possible de fonctionner, et c'est la raison pour laquelle nous nous trouvons dans cette situation baroque. Tous les pays occidentaux industrialisés sont actuellement en mode général de déréglementation.
En comparaison, nous sommes un petit pays dont la population est dispersée et nous ne pouvons pas laisser une ligne aérienne disparaître. En revanche, les consommateurs se plaignent qu'ils paient trop pour un service dont la qualité baisse, ce qui est inévitable. C'est parce qu'il n'y a pas de concurrents pour garder la ligue en éveil. Je l'ai certainement constaté, avec les ans, à force de prendre l'avion. C'est l'essence même du processus concurrentiel: le service est meilleur quand il y a plus qu'un fournisseur.
Le sénateur Kelleher: Je sais que vous n'en avez pas le pouvoir, mais si vous l'aviez, comment régleriez-vous le problème? Élimineriez-vous cet article, lui donneriez-vous une application générale ou garderiez-vous l'application précise prévue actuellement dans le projet de loi?
M. Wong: Il n'est pas nécessaire d'avoir des dispositions spéciales dans la loi. Si vous souhaitez des peines administratives sous forme d'amendes pour la partie VIII de la loi, on pourrait l'envisager. Ce n'est peut-être pas une mauvaise idée. Mais vous ne voulez pas inclure une pareille disposition simplement pour faire du tort à Air Canada, puisqu'il ne s'agit pas d'autre chose. On parle d'une ligne aérienne dominante, mais nous savons qu'il s'agit d'Air Canada.
Le sénateur Kelleher: Cela me préoccupe. Comme vous, je suis un partisan récalcitrant. Je ne voyage pas autant que vous, mais tout de même assez. Il doit y avoir une meilleure façon de régler le problème que de particulariser Air Canada.
M. Wong: Un pouvoir général devrait être prévu à l'article 104.1. Le commissaire peut convaincre le tribunal — l'organisme indépendant — de la nécessité de rendre ces ordonnances provisoires. Le Tribunal essaie de faire son travail. Vous n'avez pas toujours le résultat souhaité, mais c'est la raison d'être de l'arbitrage indépendant. On ne dit pas: «Puisque nous n'avons pas eu de la Cour suprême le résultat que nous voulions, abolissons-la.» Ce n'est pas la bonne attitude.
Le sénateur Kelleher: Pourquoi ne pas donner une application générale à cette disposition?
M. Wong: C'est ce que je ferais. Je répondais à la suggestion du sénateur Hervieux-Payette. Je propose une disposition d'application générale pour les pouvoirs intérimaires, avant que soit faite la demande; généralisons l'application de l'article 100.
Le sénateur Kelleher: Je crains que s'il y a un autre problème se pose dans le secteur X, et que nous n'insérons pas cette disposition dans le projet de loi, il nous faudra revenir et adopter une autre modification, parce que le tribunal déclarera ne pas avoir ce pouvoir.
Le sénateur Oliver: C'est déjà dans l'article 103, pourtant.
Le sénateur Kelleher: Si cela nous convient.
M. Wong: Il y a des projets de loi à la Chambre des communes qui ne se sont pas rendus au vote final. Des projets de loi sur le secteur de l'alimentation, le secteur de l'essence et sur l'abonnement par défaut pour le câble. Il est très difficile de résister. Je dirais que c'est ausi une mauvaise politique.
Le sénateur Kelleher: C'est pourtant politiquement bon.
M. Wong: Ce n'est pas mon rayon.
Le sénateur Kelleher: Je le comprends.
Le sénateur Furey: Merci pour votre savant exposé. Comme suivi à la question du sénateur Tkachuk au sujet de la durée que prendrait la demande du commissaire auprès du tribunal, un témoin précédent a affirmé que ce serait une question de jours, et vous déclarez que tout dépendrait de l'argent qu'on est prêt à dépenser. Parlez-vous de jours ou d'heures?
M. Wong: Tout dépend. Habituellement, dans une injonction, il faut prouver qu'un tort grave est imminent. Tout dépend des circonstances. Cela peut prendre un jour ou deux, selon le cas. Il faut préparer les documents. Il faut convaincre l'arbitre indépendant.
Remarquez bien que tout cela se fait ex parte, un seul côté faisant la demande, et que les tribunaux détestent d'habitude ce genre de demandes ex parte. Ils estiment qu'en toute justice, il faut entendre l'autre partie. Ce n'est que dans des circonstances exceptionnelles qu'on permet des demandes ex parte.
Le sénateur Furey: Selon vous, l'article 104.1 est inutile.
M. Wong: Je pense qu'il est inutile. C'est la loi. Je pense que l'article 103.3 penche trop en faveur du commissaire. Ce n'est pas bien équilibré. Quand il y a injonction, il est plus que probable qu'il s'agit d'un préjudice irréparable, et il y a équilibre. Rappelez-vous la finalité de l'article 103.3: on dit à une entreprise de s'abstenir de faire ce qu'elle peut légitimement faire, à première vue. Il y a des conséquences. On peut se débarasser d'un concurrent mais cela pourrait entraîner par ailleurs des pertes de millions de dollars. Cette disposition n'exige pas d'assurer un équilibre. C'est là la difficulté.
Le président: Dois-je comprendre qu'il y a ici chevauchement de pouvoirs? En d'autres termes, si le commissaire invoque l'article 103, sans succès, il peut agir de son propre chef en vertu de l'article 104?
M. Wong: C'est une bonne question. En parcourant cela — et je n'y ai pas pensé — je ne vois pas d'empêchement à recourir à l'article 103.3 ou à l'article 104.1, si on a échoué dans un cas. Il me semble que c'est ainsi à première vue mais je ne veux pas que ce soit ma réponse définitive. Je n'y avais pas pensé, mais c'est concevable.
Le président: Finalement, vous nous conseillez alors de nous opposer à l'article 104 et, de retirer les alinéas b) et c) de l'article 103, n'est-ce pas?
M. Wong: Pour commencer, puis de remanier le paragraphe (1) pour y introduire un critère de probabilité.
Le président: Je vois. Merci d'être venu. Vous avez été un témoin épatant. Pourrons-nous vous rappeler?
M. Wong: Volontiers.
Le président: Notre dernier témoin aujourd'hui est Duff Conacher, de Démocratie en surveillance.
M. Duff Conacher, coordonnateur, Démocratie en surveillance: J'espère que les honorables sénateurs ont pris connaissance du mémoire que j'ai soumis, c'est un résumé de notre position.
Merci de me donner l'occasion de venir témoigner. Démocratie en surveillance est un groupe de défense des citoyens qui s'intéresse à des questions de réforme démocratique, de responsabilisation du gouvernement et de responsabilité des sociétés au Canada.
Malheureusement, mon collègue, Daniel Martin Bellemare n'a pas pu m'accompagner aujourd'hui. C'est notre expert en matière de droit de la concurrence. Toutefois, je vais essayer de présenter notre position et de répondre à vos questions.
Je voudrais signaler que dans notre rapport de mai 2000, dont je vais laisser des exemplaires ici, figure un article intitulé «Revolving doors, The undue influence of Corporate lawers on the Competitive Bureau.» Dans ce rapport, nous expliquons sept cas pour lesquels des avocats de l'extérieur sont intervenus auprès du Bureau. Dans un de ces cas, un avocat de l'extérieur avait été retenu par le Bureau et par la société en cause en même temps. La société avait déposé une plainte auprès du Bureau. Nous nous inquiétons vivement quand des avocats du secteur privé représentent des grosses sociétés et en même temps, travaillent à l'occasion pour le Bureau. Manifestement, quand ils exercent dans le secteur privé, ces avocats sont appelés à s'opposer à l'exécution de mesures sévères antitrust. Quand ils travaillent pour le Bureau, nous pensons que cela peut avoir une influence sur les conseils qu'ils fournissent au commissaire parce que de telles mesures d'exécution pourraient tôt ou tard toucher leurs clients ou leurs clients potentiels à l'avenir.
Par conséquent, nous ne pensons pas que l'on peut s'attendre à ce que des avocats de l'extérieur puissent plaider de façon convaincante devant le tribunal car ils seraient portés à réclamer une interprétation libérale de la loi pour venir en aide à leurs clients de l'extérieur.
Deuxièmement, nous pensons qu'en retenant régulièrement des avocats de l'extérieur pour aider ou représenter le commissaire à la concurrence, le procureur général du Canada et le commissaire délèguent l'application et l'exécution de la Loi sur la concurrence à quelques avocats représentant les plus grandes sociétés canadiennes. Autre préoccupation: les avocats de l'extérieur tissent des liens étroits avec le commissaire et l'équipe qui le soutient au Bureau, et c'est ainsi qu'ils apprennent comment le commissaire et le procureur général préparent et défendent les causes. Nous pensons que ces avocats peuvent utiliser leurs contacts au Bureau du commissaire pour négocier, au nom de leurs clients, un règlement favorable ou la suspension d'une enquête.
Dans l'ensemble, nous pensons que le recours à ces avocats jette le discrédit sur le Bureau de la concurrence et le ministère de la Justice. En outre, nous pensons que cela enfreint les dispositions concernant les conflits d'intérêts dont s'est doté le ministère de la Justice pour les affaires civiles. Essentiellement, le ministère de la Justice considère les affaires de droit de la concurrence comme des affaires de classe 3, que le ministère estime pouvoir être confiées à des avocats de l'extérieur. Nous pensons qu'une affaire de classe 1 est une affaire où interviennent de nouvelles évolutions dans la loi, où il est crucial d'imprimer l'orientation voulue dès le départ sur le plan des principes, où la cohérence est nécessaire et où le travail exigé peut être excessivement coûteux ou difficile à surveiller s'il est donné en sous-traitance. Nous estimons que les litiges en matière de concurrence exigent de figurer dans la classe 1. Les affaires de classe 1, selon le ministère de la Justice, sont celles qui doivent être traitées à l'interne.
Il y a une difficulté avec l'application intérieure. Malheureusement, il n'y a pas de responsable indépendant capable de surveiller pour voir si le ministère de la Justice respecte les règles de la déontologie en matière de conflits d'intérêts. En outre, il y a un problème de ressources au Bureau. Le Bureau ne peut pas embaucher ou retenir assez d'avocats pour répondre au nombre de plus en plus grand de plaintes qui lui sont soumises.
Je vous exhorte à étudier cela de plus près et à vous inspirer de notre rapport, ce faisant. Si vous estimez que nous avons présenté la preuve qu'il y a un grave conflit d'intérêts qui doit être résolu, je vous exhorte à encourager le gouvernement à fournir au ministère de la Justice et au Bureau, les ressources nécessaires pour que les dispositions concernant les conflits d'intérêts soient appliquées et que la pratique actuelle cesse. Nous avons présenté sept cas circonstanciés — y compris un cas mettant en cause le témoin qui m'a précédé — et dans ces cas-là, nous avons constaté que les avocats de l'extérieur allaient et venaient au Bureau de la concurrence ou avaient des liens avec d'autres avocats exerçant dans des cabinets qui plaidaient devant le tribunal en même temps qu'ils étaient retenus par le bureau.
En ce qui a trait au projet de loi C-23, notamment le droit d'accès privé, nous ne pensons pas que les propositions du projet de loi soient assez équilibrées, essentiellement parce que l'on ne prévoit pas accorder des dommages-intérêts. En l'absence de dommages-intérêts, qui serait porté à respecter la loi? Je vous mets au défi de me citer une loi que l'on peut enfreindre impunément. Dans un tel cas, c'est un code volontaire. Certains vous diront qu'il y a l'opprobre d'être déclaré coupable, mais si vous êtes jugé coupable d'avoir évincé un concurrent, comment vos clients vont-ils vous punir? En allant chez votre concurrent? Le concurrent a fermé ses portes.
Nous pensons que le droit privé d'intenter des poursuites devrait être assorti d'une possibilité d'injonction et d'obtention de dommages-intérêts pour les infractions pénales et pour toutes les pratiques examinables, pas seulement celles qui figurent sur la liste restreinte. En outre, on devrait prévoir particulièrement des dommages-intérêts exemplaires.
Je répondrai volontiers à vos question pour vous expliquer pourquoi, selon nous, ce droit d'accès privé doit être renforcé. En particulier, il faudrait qu'on impose des sanctions et qu'on accorde des dommages-intérêts aux parties lésées.
Le sénateur Eyton: Je me reporte à votre mémoire. Au deuxième paragraphe, au bas de la page, je lis: «Les pratiques examinables doivent être formellement interdites plutôt que d'être décrétées examinables uniquement par le Tribunal de la concurrence.»
Que voulez-vous dire? Je ne pensais pas que l'on pouvait trouver une application pratique à cela.
M. Conacher: Vous me prenez au dépourvu aujourd'hui car notre expert en droit de la concurrence n'est pas ici. Je vais donc le consulter et vous fournir la réponse à votre question.
Le sénateur Eyton: À première vue, cela semble important, mais je ne pense pas que cela puisse avoir d'effet pratique concret.
M. Conacher: Dès qu'il s'agit des responsabilités des sociétés, nous estimons qu'il faut des règles fermes et claires, des organismes d'exécution indépendants disposant des ressources nécessaires pour faire respecter la loi, et qu'il faut imposer des sanctions qui découragent réellement les grandes sociétés d'enfreindre la loi. Nombre de ces éléments importants sont absents de notre régime actuel de droit de la concurrence. Comme je l'ai dit, le bureau n'est pas aussi indépendant qu'il devrait l'être; il ne dispose pas des ressources dont il a vraiment besoin, et il y a absence de règles dans bien des cas.
S'il n'y a pas d'autres questions, j'approuve l'idée que le pouvoir de rendre des ordonnances provisoires et d'imposer des sanctions s'appliquent de façon générale — pas seulement à l'industrie aérienne — car, encore une fois, les sanctions et les pouvoirs ne sont pas assez fermes dans notre droit de la concurrence pour empêcher les pratiques anticoncurrentielles dans notre pays.
La séance est levée.