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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie


Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 32 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 7 mars 2002

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, saisi du projet de loi C-23, Loi modifiant la Loi sur la concurrence et la Loi sur le Tribunal de la concurrence, se réunit ce jour à 11 h 05 afin d'examiner le projet de loi.

Le sénateur E. Leo Kolber (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Nous avons trois groupes de témoins, dont deux comparaîtront conjointement. Le premier représente l'Association canadienne des agents de voyage. Monsieur Taller, vous avez la parole.

M. Martin Taller, membre du Conseil, Association canadienne des agents de voyage: Honorables sénateurs, l'Association canadienne des agents de voyage, qui représente environ 5 000 agences de tout le pays, est heureuse de pouvoir présenter sa position sur les modifications de la Loi sur la concurrence. Comme vous le savez déjà, aucun autre secteur de l'économie ne connaît une situation de dominance aussi grande de la part d'un seul grand fournisseur, une réalité que nous vivons au quotidien.

Nous sommes constamment pressurés par un moyen ou un autre et considérons donc la Loi sur la concurrence comme le principal instrument en mesure d'instaurer une situation équitable. Dans ce contexte, nous souhaitons faire valoir trois éléments.

Premièrement, nous aimerions aborder la question des pouvoirs élargis accordés au tribunal par le projet de loi C- 23. Deuxièmement, nous aimerions attirer votre attention sur les répercussions de la dernière série de modifications de la Loi sur la concurrence. Troisièmement, nous aimerions suggérer quelques points à inscrire à l'ordre du jour de la prochaine refonte de cette loi.

Étant données les garanties que représente la procédure sommaire et l'imputation des frais, l'ACTA est en faveur d'un accès direct limité au tribunal. Nous pensons que les petites et moyennes entreprises devraient disposer de cette possibilité supplémentaire de rechercher un remède aux pratiques déloyales dont elles s'estiment être victimes. Tout comme les procédures en cour des petites créances, une telle disposition n'aurait pas nécessairement d'effet mesurable au niveau macro-économique et, pour cette raison, ne sera pas forcément bien accueillie par le bureau. Toutefois, certaines entreprises pourraient en tirer avantage dans leurs opérations d'achat et de vente, lorsqu'elles se heurtent à des pratiques telles que le refus de vendre, la vente liée, la restriction de marché et la vente exclusive.

Comme vous vous en souvenez, la Loi sur la restructuration du transport aérien, le projet de loi C-26, a modifié l'article 4 de la Loi sur la concurrence de façon à permettre aux agences de voyage de faire front commun pour négocier collectivement une juste rémunération avec le fournisseur dominant de services aériens. Un comité spécial représentant toutes les agences de voyage a donc été formé, qui a entamé de bonne foi des négociations avec Air Canada. Après des mois de lents progrès, le transporteur dominant a annoncé le 27 août 2001 qu'il réduisait unilatéralement les taux de commission, mettant ainsi un terme à la négociation. L'intention du Parlement d'introduire un outil législatif de négociation pour les agents de voyage a ainsi été contrecarrée.

Le comité a aujourd'hui la possibilité d'imposer la volonté du Parlement. L'ACTA propose un amendement au projet de loi C-23, qui ajouterait une nouvelle disposition élargissant la portée de l'article 4. En substance, nous demandons la mise sur pied d'un mécanisme d'arbitrage dans des situations telles que la rupture des négociations. Ayant exprimé une volonté de résultat, le Parlement devrait maintenant imposer les moyens.

On peut trouver un précédent pour ce mécanisme d'arbitrage auquel nous songeons dans l'ordonnance de consentement rendue par le Tribunal de la concurrence dans le cas de la fusion d'Indigo et de Chapters. Afin de remédier à la perte de concurrence sur le marché du livre, le distributeur dominant a dû accepter d'assujettir à un certain plafond les conditions de ses contrats avec les maisons d'édition. Un mécanisme d'arbitrage est prévu pour trancher les différends résultant de ce remède comportemental. L'ACTA aimerait simplement que les agences de voyage disposent d'un mécanisme similaire.

Comme le gouvernement a clairement indiqué son intention de remanier la Loi sur la concurrence par étapes, l'ACTA désire mettre deux éléments sur la table pour examen futur: la modification de l'article 45 et le remaniement de l'article 78.

L'ACTA a salué le fait que le Bureau de la concurrence ait commencé à consulter des experts sur la meilleure façon de gérer au Canada le nombre croissant d'accords complexes entre concurrents. Il est manifestement nécessaire de revoir l'article 45 maintenant que les communications et le partage d'information sont devenus si faciles.

Nous avons besoin, d'une part, d'une procédure civile qui puisse assujettir les alliances stratégiques et les coentreprises à un critère de raison et, d'autre part, d'une procédure pénale pour sanctionner les cas patents de collusion, indépendamment de leur effet sur la concurrence. Depuis quelque temps déjà, l'ACTA soulève la question des alliances: à quel moment une coopération raisonnable devient-elle une collusion déloyale? Par exemple, le regroupement des principales compagnies aériennes mondiales en deux alliances globales a amené la Commission européenne à examiner la manière dont les tarifs aériens internationaux sont établis. Aux États-Unis, les cinq plus gros transporteurs ont créé une agence en ligne unique, du nom d'Orbitz, qui offre aux consommateurs un accès exclusif à des tarifs réduits uniquement disponibles sur Internet.

Les articles 78 et 79 de la loi, qui traitent de l'abus de position dominante, sont un autre aspect que l'ACTA aimerait voir clarifié lors du prochain cycle de modifications. Chaque fois qu'il y a manque de concurrence, il importe que les autorités surveillent de près les agissements de la ou des entreprises dominantes. Toutefois, ces comportements peuvent s'exercer sur l'axe vertical aussi bien qu'horizontal. Il ne s'agit pas seulement de voir comment ces entreprises traitent des rivaux potentiels dans leur domaine d'activité principal, mais également comment elles traitent les entreprises secondaires en aval et en amont avec lesquelles elles entrent parfois en concurrence. Nous rappelons au comité qu'Air Canada n'est plus seulement un transporteur dominant, étant devenu également un distributeur au détail en concurrence directe avec les agences de voyage.

Dans le cadre de la dépénalisation en cours de la Loi sur la concurrence, il conviendrait de modifier les principales dispositions sur l'abus de position dominante de façon à focaliser sur ce qu'une entreprise fait pour préserver ou renforcer sa domination et sur les effets réels et probables de ce comportement, plutôt que de s'interroger sur les raisons ou l'intention. C'est pourquoi l'ACTA aimerait que les expressions «dans le but de» et «ayant pour objectif de» de l'article 78 soient remplacées par l'expression «ayant l'effet probable de».

L'ACTA invite instamment le comité à envisager sérieusement les amendements à l'article 4 que nous proposons et, de façon générale, à poursuivre son étroite surveillance de l'état de la concurrence dans notre pays. Vu la situation actuelle des entreprises canadiennes, le remaniement de la Loi sur la concurrence appelle un travail à temps plein et de longue haleine.

Je serais ravi de répondre aux questions que vous pourriez avoir.

Le sénateur Tkachuk: Vous avez mentionné, si j'ai bien compris, que le transporteur dominant a annoncé le 27 août 2001 qu'il réduisait unilatéralement les taux de commission. De quel ordre a été cette réduction, ou bien la commission a-t-elle été supprimée entièrement?

M. Taller: Nos taux de commission ont été réduits globalement de 5 p. 100, avec un plafonnement à 28 $, chiffre qui devient le montant maximal que nous pouvons toucher par billet. La commission maximale sur un billet de ligne intérieure de 3 000 $ est de 28 $.

Le sénateur Tkachuk: Est-ce que tous les transporteurs aériens ont fait la même chose au même moment? Est-ce que les taux de commission n'avaient pas été réduits avant 2001?

M. Taller: Cela a commencé en 1996 et a continué. La réduction la plus brutale, qui a eu le plus gros impact, a été imposée en août, avec mise en vigueur par Air Canada le 1er novembre. L'impact du 11 septembre, combiné aux réductions de commissions qui ont pris effet à cette date, a été traumatisant pour l'industrie.

Le sénateur Tkachuk: Est-ce que les deux transporteurs avaient déjà réduit les commissions avant août 2001?

M. Taller: Oui.

Le sénateur Tkachuk: Si ma mémoire est bonne, Lignes aériennes Canadien international et Air Canada ont agi comme si elles étaient en concertation ou en collusion.

M. Taller: Absolument. De fait, Air Canada et Canadien formaient dans la pratique un duopole.

Elles s'emboîtaient le pas mutuellement, non seulement sur le plan des commissions mais également sur celui de la tarification et du service aux consommateurs, ce genre de chose.

Le sénateur Tkachuk: Est-ce que le Bureau de la concurrence a jamais fait enquête sur cette relation plutôt étroite, relativement à des aspects tels que les commissions des agents de voyage et certains tarifs pratiqués?

M. Taller: Je ne crois pas. Des questions ont été soulevées au sujet de concurrents qui voulaient s'implanter au Canada et qui se faisaient évincer parce que et Canadien et Air Canada baissaient leurs prix et les poussaient à la faillite.

Le sénateur Tkachuk: À mon avis, c'est un moyen pour elles d'augmenter les prix. Si je me souviens bien, elles peuvent assurer la distribution de détail et vendre leurs propres produits. C'est excellent. Elles en profitent.

Elles cherchent à éliminer la commission. Il n'y a plus de guichet de vente de billets, sauf à Toronto. Je crois que Toronto est la seule ville au Canada où Air Canada a encore des agents en chair et en os auprès desquels on peut acheter un billet et faire des réservations. Partout ailleurs, on est contraint de le faire par téléphone, et encore avec de la chance, ou par l'Internet, si vous avez la chance d'avoir un ordinateur. On est donc contraint d'aller dans une agence de voyage parce qu'il n'y a aucun autre endroit où on peut acheter un billet. Depuis, les compagnies ont réduit la commission et, par conséquent, accroissent leurs bénéfices car la baisse n'a pas été répercutée sur le consommateur, évidemment.

M. Taller: À Ottawa, le guichet de vente a fermé il y a environ trois mois. Nous avons commandé une étude à KPMG qui montrait que le coût moyen de production d'un billet était de l'ordre de 40 $ à 45 $. À ce tarif, les bureaux de vente en ville n'étaient probablement pas rentables. Ce n'était pas un modèle commercial viable. De ce point de vue, les compagnies ont constaté que leurs billetteries ne fonctionnaient pas bien.

De ce fait, elles ont pris la décision commerciale de les fermer. En tant que concurrents, nous sommes toujours ravis de fournir un service meilleur. La difficulté tient à la rémunération que l'industrie nous verse. Il devient difficile de fonctionner sans imposer à nos clients des frais accessoires, ce qui majore dans la pratique le coût du voyage.

Le sénateur Tkachuk: Existe-t-il un équivalent de WestJet dans l'est du Canada, en Ontario, au Québec et dans les Maritimes?

M. Taller: Non. Il a existé, pendant un temps un petit transporteur d'appoint entre Ottawa et Québec. C'était OntAIR, qui faisait partie du groupe Canadien. WestJet est un transporteur de l'Ouest qui opère sur le même modèle que Southwest Airlines.

Le sénateur Tkachuk: Pourquoi pensez-vous qu'il n'y en a pas dans l'Est du Canada?

M. Taller: L'axe Calgary-Edmonton-Vancouver est assez robuste. La compagnie a ouvert de nouvelles liaisons vers d'autres localités et cela a été bien reçu par les consommateurs de l'Ouest. D'ailleurs, Air Canada est très forte dans l'Est et beaucoup moins dans l'Ouest. WestJet jouit d'un grand capital de sympathie dans l'Ouest. Elle a bénéficié d'un regain populaire du voyage, en tant que compagnie à un seul niveau, un seul tarif.

[Français]

Le sénateur Poulin: Vous dites que vous représentez 5 000 membres des agences de voyage. Il y a combien d'agences de voyage au total au Canada? Je pensais qu'il y en avait 5 000 seulement en Ontario.

[Traduction]

M. Taller: Il existe environ 5 000 agences de voyage. Notre association en représente environ 3 000. L'Ontario compte environ 2 000 agences, 2 002 pour être précis.

Sur le plan du volume, la plupart sont des entreprises de petite et moyenne taille. Le Canada compte une centaine de grosses agences de voyage, servant surtout la clientèle d'affaires. Par exemple, les voyages du gouvernement sont adjugés sur appel d'offres à une grosse compagnie.

Leur existence déforme les chiffres de volume, mais il s'agit principalement de petites et moyennes agences.

[Français]

Le sénateur Poulin: En parlant de petites et moyennes entreprises, vous êtes probablement au courant que la Fédération des petites et moyennes entreprises a témoigné hier devant le comité. Je suis certaine qu'ils seront très heureux de savoir que vous appuyez les dispositions du projet de loi C-23 qui permettent l'accès direct aux petites et moyennes entreprises qui veulent se voir accorder une possibilité additionnelle de trouver une solution à ce qu'elles croient être des pratiques déloyales.

J'aimerais connaître de façon plus approfondie pourquoi et comment fonctionnerait la mise sur pied d'un processus d'arbitrage. Je ne comprends pas pourquoi vous voulez ajouter, dans les amendements à la Loi sur la concurrence, un processus d'arbitrage. Comment voyez-vous le fonctionnement du processus appliqué à l'industrie du transport aérien?

[Traduction]

M. Taller: Les voyagistes, par le biais de leur association professionnelle, se sont longuement efforcés de négocier les modalités de leurs services avec les transporteurs. Ces derniers sont actuellement dans une terrible situation financière. Nous le savons.

Il est difficile pour nous de faire valoir nos besoins et de les faire coïncider avec les objectifs propres des transporteurs. Leurs objectifs sont axés sur la satisfaction du consommateur, tout comme les nôtres, et également la profitabilité, tout comme nous.

Aussi, afin de disposer d'une passerelle lorsque les négociations échouent, le mécanisme d'arbitrage constituerait un module structurel, un pilier sur lequel construire les relations.

Lorsque Air Canada a quitté la table, nous étions réellement déçus. Nous avions à la table de nombreuses agences représentatives tant des grosses que des petites agences. Nous avons été déçus, non seulement parce que les transporteurs ont choisi leur propre moyen de distribution sans tenir compte de notre industrie, qui emploie 30 000 personnes et se compose de 5 000 agences, mais aussi parce que nous pensons pouvoir les aider à réduire leur coût de distribution, si seulement nous pouvions collaborer et disposer d'un mécanisme d'arbitrage entre nous, afin que nous puissions faire ce que nous pensons possible, non seulement pour réduire nos coûts mais aussi préserver notre profitabilité.

À la manière des oligopoles, elles suivent leur propre tendance, souvent sans réfléchir à l'impact à long terme sur les systèmes de distribution.

[Français]

Le sénateur Poulin: Le processus d'arbitrage que vous recommandez exigerait-il des coûts additionnels de vos membres?

[Traduction]

M. Taller: Non, il n'y aurait pas de coût supplémentaire. L'association professionnelle est, à toutes fins pratiques, bénévole. Nous avons un personnel rémunéré à notre bureau national, à Ottawa, mais ceux qui négocient abattent un travail considérable pour le compte des membres et considèrent de leur responsabilité professionnelle d'établir une relation d'entreprise à entreprise avec nos fournisseurs.

Nous cherchons le moyen de ramener les gens à la table de négociation. Si nous ne parvenons pas à nous entendre entre nous, il nous faut trouver une procédure d'arbitrage contraignant pour les deux parties.

Le président: N'est-ce pas une tendance mondiale que de marginaliser les agences de voyage?

M. Taller: Voyons un peu les canaux de distribution. L'Internet en est un. Les agences de voyage en sont un autre. La vente directe en est un troisième, et cetera. Les transporteurs se tournent vers le commerce électronique comme moyen de réduire leurs frais de distribution. Mais il est encore trop tôt pour prononcer un jugement. Il y a une tendance mondiale, mais notre industrie résiste bien et les consommateurs continuent de s'adresser aux agences de voyage.

Le président: Est-ce dû à votre perception de la dominance d'Air Canada, ou bien est-ce simplement une tendance?

M. Taller: Le Canada est à part en ce sens qu'Air Canada contrôle aujourd'hui près de 80 p. 100 du marché. La compagnie représente le gros de nos services.

Le président: Êtes-vous sûr de ce chiffre? On nous a dit que sa part de marché était de 60 à 80 p. 100.

M. Taller: Sa part avait baissé pendant la période de croissance assez robuste de Canada 3000 et avec l'arrivée de WestJet sur le marché. Cependant, depuis la disparition du Canada 3000, la part de marché d'Air Canada a énormément grossi.

Le président: Où pourrions-nous obtenir le chiffre précis? Pourriez-vous nous le fournir?

M. Taller: Notre association vous le fournira avec plaisir.

Le sénateur Oliver: J'ai deux courtes questions. La première concerne la dernière phrase de votre mémoire, qui dit: «Vu la situation actuelle des entreprises canadiennes, le remaniement de la Loi sur la concurrence appelle un travail à temps plein et de longue haleine». J'imagine que vous entendez par là qu'une loi-cadre aussi importante que celle-ci devrait être revue à intervalles réguliers, mettons de cinq ans, afin de l'adapter et de la mettre à jour, au lieu d'attendre 15 ans. Un tel réexamen aiderait le Canada à soutenir la concurrence des autres pays du monde.

M. Taller: Je suis tout à fait d'accord.

Le sénateur Oliver: J'en reviens à votre amendement à l'article 4, qui prévoit un tribunal. Faudrait-il inscrire dans une loi-cadre de cette importance quelque chose d'aussi élémentaire que la forme de l'arbitrage en cas de différend.

Vous citez l'exemple d'Indigo et de Chapters. Leur fusion a été effectuée par voie d'ordonnance de consentement. Aucune disposition de la loi ne prévoyait cette pratique.

Vous nous demandez d'inscrire dans la loi un mécanisme, sur la base d'un précédent qui prenait la forme d'une ordonnance de consentement. Pensez-vous réellement qu'il faille encombrer une loi-cadre avec des choses comme l'arbitrage?

M. Taller: L'arbitrage, pour une petite ou moyenne entreprise confrontée à un fournisseur dominant, quel que soit le secteur — il faut un dispositif. Je laisse aux honorables sénateurs le soin de déterminer si la meilleure solution est de procéder par voie d'ordonnance de consentement ou d'une disposition légale. Toutefois, lorsqu'il s'agit de rompre une impasse, il est nécessaire d'avoir une procédure d'arbitrage et le moment est venu d'en instaurer une.

Le sénateur Oliver: Je n'ai pas lu l'ordonnance sur Indigo-Chapters, mais j'imagine qu'il est prévu que chaque partie désigne un représentant et que ces deux représentants vont ensuite choisir un président, ensuite de quoi ce tribunal se met au travail. Est-ce ce qui est prévu?

M. Taller: Je n'ai pas tous les détails ici, mais j'imagine que telle est bien la procédure. Nous pourrons vous communiquer ce renseignement, si vous le souhaitez.

Le sénateur Fitzpatrick: Monsieur Taller, vous avez fait état de votre préoccupation au sujet de la dominance du transporteur principal. Nous avons eu quelques discussions au sein du comité au sujet du paragraphe 104(1) actuel, qui donne au commissaire le pouvoir de prendre unilatéralement des mesures contre le transporteur dominant, Air Canada. Vous avez parlé de l'influence que le transporteur dominant exerce sur votre industrie.

J'aimerais avoir votre point de vue sur l'accès direct du commissaire à des mesures contre le transporteur dominant, sans qu'il doive passer par le tribunal, si vous me permettez cette question.

M. Taller: C'est justement pour obtenir l'accès direct que nous sommes ici. Il ne devrait exister que dans les cas de vente liée, de vente exclusive ou de refus de vendre ou de restrictions du marché. Ce sont les principaux points qui devraient être couverts.

Franchement, il s'agit là d'un garde-fou. Le tribunal peut rejeter les plaintes et imposer les frais au perdant, le cas échéant. Ce serait un pas modeste dans la bonne direction.

Le sénateur Fitzpatrick: Aux termes du paragraphe 104(1), le commissaire peut agir unilatéralement sans passer par le tribunal.

M. Taller: C'est exact.

Le sénateur Fitzpatrick: Votre réponse ne m'indique pas si vous êtes en faveur de cela ou non.

M. Taller: L'accès direct du commissaire est important. Notre association est en faveur de l'accès direct du commissaire. Je pense que ce serait la meilleure approche et je suis en faveur.

Le sénateur Fitzpatrick: Une action unilatérale, sans devoir passer par le tribunal?

M. Taller: Oui, c'est juste.

Le sénateur Eyton: Monsieur Taller, pouvez-vous me dire comment vous en êtes venu à faire cette présentation au nom de votre association? C'est le processus qui m'intrigue. Par exemple, dans quelle mesure les 5 000 agences membres de votre association connaissent-elles les positions que vous défendez aujourd'hui?

M. Taller: Cela fait 20 ans que je m'intéresse à l'association et que je travaille en son sein. J'ai siégé au comité national et au conseil d'administration national. Je suis actuellement président du Comité de la gouvernance de la Travel Industry Conference of Ontario et membre du conseil d'administration de celle-ci.

Le sénateur Eyton: Peut-être n'ai-je pas été clair: j'aimerais savoir dans quelle mesure les membres sont au courant de cette présentation et y souscrivent.

M. Taller: Nous avons une association professionnelle nationale dynamique et robuste dont le siège se trouve à Ottawa. Cette information est affichée sur notre site Internet. Nos membres reçoivent par télécopieur et courriel tous les renseignements sur le travail intensif qui se fait à Ottawa.

Je représente l'association, mais je n'en suis pas le président. Je suis l'un de ces voyagistes qui sont consultés sur une base quotidienne et inclus dans la boucle de communication.

Le sénateur Eyton: Existe-t-il un comité au sein de votre association qui a examiné et avalisé la présentation?

M. Taller: Oui, et il est d'envergure nationale.

Le sénateur Eyton: Suite à la question du sénateur Oliver sur l'arbitrage, c'est une chose que de demander une procédure d'arbitrage de façon générale, mais il y a arbitrage et arbitrage. J'espérais que vous nous disiez de façon un peu plus précise ce à quoi vous songez concrètement.

Sans y avoir réfléchi plus d'une seconde, il peut s'agir d'un seul arbitre, de trois, ou de tout nombre que vous voudrez, rendant un jugement solennel après avoir écouté les arguments de part et d'autre. Il y a l'arbitrage comme celui qui existe, par exemple, dans la ligue majeure de baseball où chacun court le risque de perdre et où l'arbitre choisit A ou B. L'un est gagnant, et l'autre perdant. Au-delà de la décision, il y a la question de savoir dans quelle mesure les décisions sont contraignantes.

J'imagine que vous envisagez un mécanisme assez simple qui puisse agir relativement rapidement et aboutir à un jugement, positif ou non. Avez-vous réfléchi au genre de procédure d'arbitrage que vous aimeriez? C'est très important.

M. Taller: Absolument. La procédure d'arbitrage que nous souhaitons serait naturellement aussi rapide que possible. Cependant, elle doit également refléter les intérêts autour de la table.

Les négociations que nous avons essayé de mener avec Air Canada jusqu'à présent étaient très ouvertes, avec des représentants de toute l'industrie et de toutes les régions. Nous n'en attendions pas moins d'Air Canada. C'est pourquoi nous sommes tout à fait prêts à accepter un arbitrage contraignant. Le fait d'opter pour l'arbitrage représente pour nous un grand pas. Nous serions plus que ravis de suivre les conseils du Sénat, s'agissant de la procédure la plus rapide, la plus opportune et la moins coûteuse pour le public.

Le sénateur Eyton: Admettez-vous, monsieur Taller, que l'option préférable serait une libre négociation?

M. Taller: Notre association y a toujours été disposée. Nous voudrions maintenir cela, absolument.

Le sénateur Eyton: Pouvez-vous m'indiquer comment la négociation avec Air Canada s'est déroulée avant la décision unilatérale de cette dernière de réduire vos commissions?

M. Taller: Avant d'entamer les négociations, nous avons investi près de 100 000 $ dans cette étude de KPMG pour déterminer le coût de la distribution.

Nous nous sommes engagés dans ces processus avec sérieux. Nous avons rencontré la compagnie à plusieurs reprises.

Le sénateur Eyton: Dans quelle mesure avez-vous eu des contacts avec Air Canada?

M. Taller: C'était des rencontres régulières et répétées, avec une représentation de tout le pays. Cela a été assez long à organiser.

Le sénateur Eyton: Sur quelle période s'est déroulée la négociation?

M. Taller: Je crois que c'était plus de six mois. Il y avait des reports périodiques car certains des négociateurs ne pouvaient se libérer. Néanmoins, nous nous réunissions. Pendant l'arbitrage, Air Canada a quitté la table de façon plutôt unilatérale et a réduit les commissions du jour au lendemain.

Le sénateur Eyton: Est-ce que les pourparlers étaient alors au point mort?

M. Taller: Non.

Le sénateur Eyton: Combien de temps s'est écoulé entre la dernière réunion et les décisions unilatérales d'Air Canada?

M. Taller: Je ne connais pas la durée exacte, sénateur. Cependant, la compagnie a quitté la table très soudainement.

Le sénateur Eyton: Sans avertissement?

M. Taller: Nous avons été pas mal surpris.

Le sénateur Eyton: Elle est partie sans avertissement aucun?

M. Taller: C'est juste.

Le sénateur Eyton: Connaissez-vous une autre juridiction, en Amérique ou en Europe ou ailleurs, où existe un mécanisme d'arbitrage que pourrait saisir une association professionnelle comme la vôtre?

M. Taller: Non, sénateur. Ce serait une première dans le monde.

Le sénateur Eyton: Il n'y a rien de semblable aux États-Unis.

M. Taller: Non.

Le sénateur Eyton: Bien que les mêmes pressions s'y exercent?

M. Taller: C'est juste.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette: Je considère le rôle des agents de voyage un peu comme celui de mon courtier lorsque j'achète des assurances et que je veux une certaine couverture. Je sais que l'agent de voyage a plusieurs fournisseurs et qu'il peut me donner des conseils. Quand je vais voir un agent plutôt que d'acheter directement, c'est que je veux obtenir les meilleurs conseils afin d'organiser un voyage.

J'aimerais savoir quel est le pourcentage, dans le chiffre d'affaires habituel d'une agence de voyage, des billets d'avion versus les autres services tels les tours, les réservations de voiture, les chambres d'hôtel, et cetera. Quelle est la proportion dans votre chiffre d'affaires de cet item?

[Traduction]

M. Taller: Il existe deux types d'agences au Canada. Les agences de gestion de voyage font principalement affaire avec des entreprises. Les agences de voyages d'agrément sont plus représentatives du secteur du voyage au Canada. Elles s'occupent principalement de voyages à l'étranger et interprovinciaux, vendant des billets dans tout le Canada et aussi aux États-Unis sur le marché transfrontalier. Cette activité représente de 60 à 70 p. 100 du volume d'une agence. Du fait de la diminution des commissions, chacun cherche à intensifier les services qui sont plus — j'allais dire plus lucratifs — mais en tout cas moins sensibles aux prix et exigeant moins de labeur que les billets d'avion.

Les agences de voyage se sont mises peu à peu à facturer des frais de service lorsqu'elles émettent un billet, ce dont le consommateur n'est pas ravi. À bien des égards, les fonctions que nous remplissons sont principalement celles du transporteur. Nous faisons des choses à la demande des clients, par exemple faire des recherches pour trouver le meilleur billet, et les clients acceptent en échange de payer nos frais.

Cependant, nous faisons beaucoup de choses pour un transporteur. Par exemple, lorsqu'il y a un changement d'horaire, qu'un billet doit être réémis ou qu'il se pose des problèmes qui échappent au contrôle du consommateur, nous sommes là. Nous ne sommes jamais rémunérés dans ces cas-là et les transporteurs n'ont aucun barème de paiement pour nous à ce stade.

Nous aimerions retourner à la table de négociation pour trouver une façon de transiger les uns avec les autres, de manière structurée et qui nous rémunère équitablement. Tout ce que recherchent les agents de voyage, c'est une juste rémunération.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette: Comment négociez-vous, par exemple, avec les autres fournisseurs les produits que vous vendez? Il y a plusieurs fournisseurs dans le domaine des chambres d'hôtel. Si je prends un billet d'avion pour aller à Toronto, je vais demander qu'on me réserve une chambre d'hôtel d'une telle catégorie. Est-ce que l'industrie ou chaque agent de voyage négocie et obtient un taux différent? Si vous êtes un grossiste, vous obtenez un meilleur prix. En tant que consommateur, ai-je intérêt à recourir aux services de mon agent de voyages? Vais-je payer le même prix si je téléphone directement à l'hôtel? Je ne connais pas la structure de vos compensations. J'aimerais savoir si c'est très différent dans les autres secteurs pour la location d'une voiture, par exemple? Avez-vous un pourcentage ou un montant forfaitaire lorsque vous effectuez une réservation sur un tour pour un client?

Vous faites affaires également avec des grossistes, qui sont parfois aussi détaillants. Avez-vous connu dans votre industrie une évolution? Vos commissions ont-elles été réduites? Comment cela fonctionne-t-il depuis l'avènement du commerce sur Internet?

[Traduction]

M. Taller: Le secteur du voyage s'est progressivement mis à l'heure du commerce électronique. De fait, les relations électroniques entre entreprises et avec le public sont affinées chaque jour. Pour ce qui est de notre chaîne d'approvisionnement, que ce soit par le biais de l'Internet, en direct, par téléphone, par télécopieur, par lettre ou toute autre façon traditionnelle de transiger, la tendance est de faire une réservation et d'être indemnisé par une commission d'environ 10 p. 100 du prix de vente. Normalement, la commission est versée une fois que le client a payé le produit ou le service. Nous attendons donc nos commissions, et nous pouvons les suivre à la trace. Nous avons aujourd'hui des logiciels qui permettent de suivre une réservation jusqu'au paiement du service. La plupart des agences n'inscrivent ces revenus dans leurs états financiers qu'une fois le versement effectué. En effet, les réservations peuvent changer, le client peut les annuler ou en déplacer la date. Il se passe donc un certain délai et les commissions ne rentrent pas aussi rapidement que nous le voudrions, mais elles finissent par arriver.

La différence entre les recettes provenant des transporteurs aériens et celles provenant des voyagistes est que les premières sont toujours dans un état mouvant. Une réservation n'est jamais statique. Elle peut être modifiée ou il peut y avoir des changements d'horaire. Même une fois que le passager a embarqué, on ne sait toujours pas si ce sera un voyage simple. Il peut y avoir des retards dus à la météo, à la congestion des aéroports, et cetera.

De ce fait, l'effort consacré à un billet n'est parfois pas proportionnel à la valeur de celui-ci. Nous travaillons plus fort que jamais à l'émission des billets d'avion à cause du 11 septembre. Tout le monde a travaillé très fort pour assurer que tous les voyageurs ont les bonnes correspondances et tous les renseignements voulus pour un voyage sans encombres et tout cela nous le faisons pour une rémunération moindre que jamais auparavant.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette: Si je comprends bien, pour la réservation d'une chambre vous recevez 10 p. 100, pour la location d'une voiture 10 p. 100, pour un tour de 800 $ vous recevez 10 p. 100, sauf pour les compagnies aériennes?

[Traduction]

M. Taller: C'est juste.

Le sénateur Fitzpatrick: Je ne sais pas ce que je deviendrais sans mon agence de voyage, si je devais traiter directement avec la compagnie aérienne dominante.

M. Taller: Merci.

Le sénateur Fitzpatrick: Avez-vous des statistiques, ou bien pouvez-vous nous donner des chiffres sur les effets sur votre secteur de cette réduction de la commission? Combien d'agences de voyage ont-elles fermé leurs portes? Quel est le pronostic pour votre industrie? Dans quelle mesure cela a-t-il nui à votre industrie?

M. Taller: La profession ne suit pas les fluctuations du nombre d'agences. En Ontario, il y a eu des regroupements. Beaucoup d'agences ont fermé, ont fusionné ou ont dû se restructurer en faveur d'un modèle d'exploitation non traditionnel. Elles ne parvenaient plus à servir leur clientèle de manière rentable.

De façon générale, on constate en Ontario une diminution des agences de voyage. Auparavant, il y avait eu une croissance continue, principalement en raison de l'évolution démographique et cetera. Cependant, depuis il y a eu un ralentissement, spécialement depuis le 11 septembre.

Je peux vous dire que le «gâteau des voyages», si on peut l'appeler ainsi, est allé grandissant. Le public voyageur est devenu plus nombreux et le nombre des agences a augmenté en conséquence. Cependant, il est devenu plus difficile de servir ce public à cause de la baisse des recettes en provenance des compagnies aériennes.

Le président: Moi aussi je soutiens votre industrie. Je fais largement appel aux agences de voyage.

Cela dit, êtes-vous informé du jugement récent de la U.S. District Court dans l'affaire American Airlines, qui était accusée d'évincer les agences de voyage? Le tribunal a tranché que ce n'était pas un comportement anticoncurrentiel. Êtes-vous au courant de ce jugement?

M. Taller: Non.

Le président: Je vous recommande de lire ce jugement et de nous faire part de votre réaction par écrit. Il peut être motivé par toutes sortes de choses, mais il existe une certaine jurisprudence. J'aimerais savoir comment vous réagissez.

Le sénateur Setlakwe: Certaines agences compensent la diminution des commissions en faisant payer des frais. Est-ce un phénomène généralisé?

M. Taller: Toute agence qui ne perçoit pas des frais de transaction pour l'émission de billets d'avion perd de l'argent sur chaque billet. Les études que nous avons faites montrent que l'émission d'un billet coûte environ 40 $. Cela englobe non seulement le temps passé face à face ou par téléphone avec le passager, mais aussi toute la comptabilité, les opérations de traitement, la communication avec le transporteur, et les frais bancaires. Oui, nous faisons payer des frais de transaction.

Le sénateur Setlakwe: Est-ce que toutes les agences le font, ou seulement quelques-unes?

M. Taller: La majorité le font aujourd'hui. C'est proche de 90 p. 100.

Le président: Merci, monsieur Taller.

J'invite maintenant M. John Dillon, du Conseil canadien des chefs d'entreprise et M. Alain Perez, de l'Institut canadien des produits pétroliers à prendre place.

M. John Dillon, vice-président et conseiller juridique, Conseil canadien des chefs d'entreprise: Honorables sénateurs, c'est un plaisir que d'être parmi vous. Certains d'entre vous connaissent peut-être notre organisation sous son ancien nom anglais, Business Council on National Issues. Nous l'avons rebaptisée au début de l'année.

Je traiterai principalement aujourd'hui d'un seul sujet, mais je veux d'abord inscrire notre déclaration liminaire en contexte. Sachez que mon organisation, l'Institut canadien des produits pétroliers et de nombreuses autres associations professionnelles ont suivi l'évolution de la politique de concurrence au fil des années, avec les divers remaniements intervenus, la grande réforme de 1986 qui a vu une refonte radicale de l'ancienne Loi relative aux enquêtes sur les coalitions. Nous avons souscrit à ces changements, ainsi que vous le savez sans doute.

Nous avons participé également activement au réexamen auquel se livrent depuis quelques années le Bureau de la concurrence et Industrie Canada. Nous avons été très actifs dans les forums de discussion qui ont débouché sur maints changements contenus dans le projet de loi C-23.

À notre sens, dans l'ensemble, la législation canadienne en matière de concurrence fonctionne raisonnablement bien, surtout depuis son remaniement en profondeur en 1986. Néanmoins, il ne faut pas perdre de vue que le rythme du changement sur le marché s'accélère et que le droit de la concurrence, tout comme les autres politiques d'encadrement économique, doivent suivre la cadence pour que le Canada puisse continuer d'attirer les investissements et d'offrir une assise solide aux entreprises afin qu'elles puissent livrer concurrence à l'échelle internationale.

Effectivement, ces politiques doivent soutenir la capacité des entreprises canadiennes de maintenir et d'accroître le rythme de l'innovation afin de réussir sur le dynamique marché international. Les changements apportés à la Loi sur la concurrence doivent faciliter plutôt qu'entraver les alliances stratégiques et les nouvelles ententes commerciales auxquelles les entreprises devront recourir pour fonctionner efficacement sur le marché mondial.

Pour économiser du temps, je dirai seulement quelques mots sur le projet de loi C-23, avant d'aborder plus particulièrement la question de l'accès privé, qui a été un point focal de notre activité et, je n'en doute pas, de l'intérêt des honorables sénateurs également.

Dans l'ensemble, nous estimions que le projet de loi C-23, tel qu'il a été introduit à la Chambre des communes, représentait un ensemble équilibré de modifications nécessaires. Mais comme les honorables sénateurs le savent, au cours de l'examen en comité de la Chambre des communes, des amendements ont été apportés de façon à permettre aux particuliers de se pourvoir devant le tribunal. C'est le principal sujet dont je veux traiter aujourd'hui.

Ce n'est pas là une idée nouvelle; elle circule depuis pas mal de temps. Elle a été l'objet de débats académiques dans les revues spécialisées. Elle était le principal sujet d'un projet de loi d'initiative parlementaire. Une bonne partie des dispositions de ce dernier se retrouvent dans les modifications introduites par le commissaire et le gouvernement avant l'étude article par article du comité de la Chambre des communes.

En dépit de tous ces débats et études, je dois dire que notre organisation, et nos membres, ne sont pas convaincus que le bien-fondé du droit à l'accès privé a été établi. Nous estimons fondamentalement que le recours au tribunal doit être limité aux cas où il est nécessaire de protéger l'intérêt public en matière de concurrence et qu'il appartient au bureau, et non à des intérêts privés, de juger quels cas répondent à ces critères. Cela dit, permettez-moi de souligner que nous n'avons pas l'intention de demander au Sénat de rouvrir le projet de loi et d'apporter d'autres amendements. Nous avons conscience que tous les partis à la Chambre étaient en faveur de l'inclusion du droit d'accès privé. Nous ne sommes pas venus ici pour poursuivre le débat à cet égard. Cependant, le Sénat peut légitimement examiner cette disposition et se demander si le droit d'accès privé tel que prévu est susceptible de fonctionner de la manière que le gouvernement et ses partisans souhaitent.

Il me semble que deux questions se posent à ce sujet. Premièrement, et même les partisans de l'accès privé l'admettent, ce nouveau droit d'intenter un recours conféré à des intérêts privés ouvre le risque et la possibilité que d'aucuns s'en servent de manière peu scrupuleuse, c'est-à-dire non pas pour promouvoir la concurrence, mais plutôt comme une manoeuvre tactique lors de négociations contractuelles ou commerciales entre intérêts privés. On est donc amené à se demander comment assurer que seuls des recours légitimes soient intentés par le biais de l'accès privé.

Des efforts considérables ont été déployés et il y a eu toutes sortes de discussions. Nous reconnaissons que les amendements apportés au projet de loi à la Chambre assurent une certaine protection et comportent des garde-fous pour éviter un usage abusif de ces dispositions. C'est indéniable. Cependant, il faut y regarder de plus près.

En second lieu, l'argument souvent utilisé en faveur de l'accès privé est que c'est un remède essentiel, en particulier pour les petites entreprises qui n'ont pas autrement de recours. Mais il ne faut pas perdre de vue que ce genre d'arrangements commerciaux complexes entre sociétés ne sont jamais simples. Le bureau dispose évidemment de ressources considérables, mais le particulier qui veut intenter un recours privé devra engager des experts à grands frais. Nous ne sommes pas convaincus que cela représente réellement un remède efficace pour les petites et moyennes entreprises. Lorsqu'il s'agit d'un accord complexe, le bureau lui-même estime que ces procès pourraient facilement coûter un million de dollars en moyenne. Ce n'est pas là une somme que la plupart des petites entreprises peuvent facilement se permettre.

Un certain nombre d'options et d'idées ont été avancées dans le but de protéger les intérêts de la petite entreprise. Nous-mêmes et d'autres organisations en avions repris certaines dans le mémoire que nous avons présenté au comité de la Chambre des communes. Peut-être faudra-t-il revenir à certaines d'entre elles. Il reste en effet à voir si les petites entreprises voudront et pourront se prévaloir de ces dispositions sur l'accès.

Pour ce qui est des questions fondamentales que posent les changements apportés au projet de loi, les nouvelles dispositions et les nouvelles parties du projet de loi contiennent-elles des garde-fous suffisant pour prévenir les abus de concurrents peu scrupuleux et vont-elles effectivement avantager les petites entreprises?

En ce qui concerne l'examen du projet de loi au Sénat, je sais que le Commissaire à la concurrence a déjà comparu devant vous. Je ne sais pas si vous avez l'intention de le réinviter. Cependant, il serait utile que vous lui posiez les questions suivantes: comment compte-t-il traiter ces cas, quel rôle le bureau a-t-il l'intention de jouer dans ce type de différends, et dans quelle mesure le commissaire ou le bureau publieront-ils des lignes directrices pour aider les particuliers et d'autres parties à déterminer dans quelles conditions le commissaire pourrait intervenir et dans quelles conditions les parties privées seront seules à plaider.

Ce sont là des questions légitimes, en particulier si cette disposition ne s'avère pas aussi bénéfique pour les petites entreprises que ses partisans ne le pensent. Il se pourrait bien que nous soyons de retour dans quelques années pour apporter d'autres changements à la loi.

Je suis accompagné de M. Perez, qui est le président de l'Institut canadien des produits pétroliers. Il m'a rappelé que vous avez probablement déjà entendu les distributeurs indépendants de produits pétroliers et aimeriez sans doute connaître aussi la position des raffineurs et grands distributeurs.

Nous avons collaboré étroitement sur ce projet de loi C-23 et avons des avis similaires à son sujet. Nous serons ravis de répondre aux questions que vous pourriez avoir.

Le sénateur Tkachuk: Nous avons entendu les détaillants. Je crois que le monsieur qui a fait la présentation venait de la région Atlantique, en particulier des Maritimes. Il a parlé des difficultés que ces détaillants rencontrent à approvisionner leurs pompes en essence et de certains autres problèmes.

Peut-être avez-vous eu connaissance de ce témoignage. Pourriez-vous nous dire votre version des faits et répondre à certaines de ces objections.

M. Alain Perez, président, Institut canadien des produits pétroliers: Honorables sénateurs, l'exemple que ce monsieur de Wilson Fuels a mentionné, lorsqu'il a comparu devant vous, était une affaire remontant à 1995 mettant en jeu Petro-Canada. C'est une affaire que l'on ressort sans cesse. On nous a demandé à maintes reprises, de même qu'à Wilson Fuels, de donner des exemples où l'approvisionnement aurait été réduit ou bien où des livraisons insuffisantes auraient causé des difficultés à ces détaillants. À ma connaissance, aucun exemple n'a jamais été donné. D'ailleurs, s'il y en avait eu un, le bureau aurait fait enquête et le tribunal aurait tranché.

À ma connaissance, jamais le Tribunal de la concurrence n'a été saisi d'un problème d'approvisionnement. À ce jour, aucun des membres de mon organisation à qui j'ai parlé personnellement n'est au courant d'un quelconque problème d'approvisionnement chez aucun de leurs clients.

Si vous regardez de plus près le témoignage, vous voyez que le problème passe rapidement d'un problème d'approvisionnement à un problème de prix. La tarification a fait l'objet de nombreuses doléances, exprimées dans différentes enceintes, par ce segment de l'industrie. Cependant, la tarification n'a rien à voir avec le projet de loi C-23, rien à voir avec l'accès privé.

J'espère que je réponds à votre question. Pour compléter le témoignage de M. Dillon, je peux vous dire que les stations-service indépendantes ne se prévaudront pas de l'accès privé instauré par le projet de loi C-23, à cause du coût. Mais surtout, les indépendants n'en tireront pas parti car aucune des difficultés dont ils se plaignent publiquement, telles que les prix et l'approvisionnement, ne peuvent faire l'objet d'un recours privé de la manière dont celui-ci a été structuré. C'est exclu. Ce n'est pas une solution au problème dont ces détaillants se plaignent.

Le sénateur Tkachuk: L'une de leurs préoccupations concerne l'accès. S'il y a des difficultés d'approvisionnement, ils demandent qu'on leur garantisse un certain pourcentage. Autrement dit, s'il y a une baisse de 20 p. 100 de l'offre, ils veulent avoir leur 80 p. 100 comme tout le monde. Le prix n'était pas le problème.

M. Perez: Cela relève du droit commercial.

Le sénateur Tkachuk: Est-ce possible de le faire?

M. Perez: Il s'agit là de relations commerciales. Les relations commerciales sont régies par la législation provinciale, et non par la Loi sur la concurrence.

Je sais d'après mon expérience dans le domaine de l'exploitation que certains de mes clients, à l'époque, avaient de telles clauses dans leurs contrats. C'est une affaire de négociation.

En ce qui concerne l'éventualité de graves pénuries, je ne prévois pas de tels problèmes. Nous n'avons pas eu de pénurie pendant les nombreuses guerres au Moyen-Orient. Même pendant l'embargo, nous n'avons pas eu ce genre de pénurie. Cependant, même s'il en survenait une, le Cabinet, avec ses pouvoirs d'urgence, pourrait régler le cas, mais pas la Loi sur la concurrence.

Si l'on commence à axer le droit de la concurrence sur les questions commerciales et d'approvisionnement, on va réduire l'intensité de la concurrence entre raffineurs désireux d'approvisionner le même client. Par exemple, j'aimerais mieux, hypothétiquement, qu'ESSO signe un contrat offrant ce genre de garanties et que les autres, s'ils veulent être compétitifs, s'alignent là-dessus. Ce sont là des arrangements commerciaux, qui ne relèvent en rien de la Loi sur la concurrence ou de l'accès privé. Ce n'est pas par ce biais que la solution interviendra.

Le sénateur Tkachuk: Combien de sociétés de raffinage existe-t-il au Canada? Combien de compagnies raffinent les produits pétroliers?

M. Perez: Il y en a sept ou huit. D'est en ouest, vous avez North Atlantic Refining, Irving, ESSO, Sunoco, Petro- Canada, Shell, Husky, Parkland et Chevron.

Le sénateur Tkachuk: Ces raffineries sont dispersées à travers le pays. Est-ce qu'ESSO achète de l'essence à la raffinerie de Shell?

M. Perez: Oui, il y a des échanges.

Le sénateur Tkachuk: Oui?

M. Perez: Oui, dans l'Est, par exemple, Irving vend ses produits au Nouveau-Brunswick mais achète ceux d'une autre compagnie en Nouvelle-Écosse. Si vous achetez des produits en Ontario, ils sont susceptibles de provenir d'Imperial, de Shell ou de Sunoco, même s'ils portent une autre marque. Les échanges sont constants.

Le sénateur Tkachuk: Il y a les frais de transport et d'autres facteurs. Comme toutes les grandes compagnies qui se fournissent l'une chez l'autre, les indépendants paieront le même prix que ceux qu'Irving demande à une autre grande compagnie pétrolière qu'elle approvisionne en Nouvelle-Écosse, à partir d'une autre raffinerie.

M. Perez: C'est juste. Une grave pénurie frapperait tout le monde au même titre. Elle frapperait les compagnies qui s'échangent des produits entre elles. Je suis sûr qu'elles ont toutes négocié des dispositions à cet égard, et c'est tout à fait normal.

Le sénateur Tkachuk: De nombreuses compagnies, même les grosses, ne seraient plus en mesure d'approvisionner leurs propres stations-service avec leurs seules raffineries. Est-ce exact?

M. Perez: C'est juste. Par conséquent, elles devront importer le produit. Si vous étiez un indépendant et me demandiez ce genre de garantie, je proposerais probablement un contrat tel que, si mon coût augmente parce que je dois faire venir le brut de Russie ou du Moyen-Orient, nous nous partagerons le surcoût. C'est ainsi que les choses se passent concrètement lorsque des détaillants indépendants demandent et obtiennent ce genre de garantie.

Le sénateur Taylor: Vous dites que le commerce de détail est très souvent réglementé au niveau provincial. Comme vous le savez, de nombreuses provinces ne permettent pas à une brasserie d'être propriétaire d'un bar ou d'une distillerie. Comment pouvez-vous justifier cela, ou bien trouveriez-vous justifiée une loi empêchant une raffinerie de posséder une station-service? Actuellement, les raffineurs, usant de manipulations et de guerres des prix, sont en mesure de «passer un sapin» aux détaillants indépendants. C'est l'expression la plus polie qui me vienne à l'esprit dans l'instant. Le Canada est l'un des rares pays au monde à laisser les raffineurs et vos associés en faire autant à leur tête. Comment avez-vous le culot de vous plaindre de ce projet de loi?

M. Perez: Il va de soi que je rejette certaines des prémisses de ce que vous venez de dire, sénateur.

Vous parlez ici de la règle de démarcation, que certains indépendants réclament également. Notre industrie comprend à la fois des sociétés intégrées, que je représente, et des sociétés non intégrées, c'est-à-dire des sociétés qui ne font que vendre et doivent acheter le produit ailleurs.

Les messieurs qui sont intervenus ici sont des membres légitimes du segment non intégré, mais ils sont minoritaires dans ce segment. Ce dernier est de plus en plus dominé par des distributeurs qui ne font pas partie de ces associations, par exemple Costco, Loblaws Superstores, Parkland, United Farmers of Alberta et Canadian Tire, qui est membre de mon organisation.

Si vous regardez les 20 plus gros détaillants du segment non intégré, 18 ne sont pas membres des associations qui réclament ces changements. Cependant, cela ne signifie pas que leurs demandes ne soient pas légitimes, de leur point de vue. Je dis simplement que vous ne pouvez pas schématiser, en plaçant d'un côté les raffineurs et de l'autre les détaillants qui ont comparu devant vous. C'est beaucoup plus complexe que cela.

Actuellement, la dynamique dans mon secteur change. C'est arrivé également dans d'autres secteurs, comme celui de la quincaillerie et du commerce général. Par exemple, Wal-Mart a annoncé la semaine dernière son intention de construire au Canada 20 stations-service par an au cours des cinq prochaines années. Ce sont là les acteurs qui modifient la dynamique de mon industrie.

Si j'étais un indépendant inefficient, ce sont là les concurrents que je craindrais. Pour revenir à la question du sénateur, je n'ai jamais entendu Loblaws ou Costco ou les autres indépendants réclamer la «démarcation». Elle existe dans cinq États américains qui n'ont pas de raffinerie. Elle n'existe nulle par ailleurs dans le monde occidental.

La démarcation diminuerait la concurrence. Je ne parle pas ici au nom d'Imperial Oil, mais du haut de mon expérience personnelle. Si j'étais cadre chez Imperial Oil et confronté à une loi interdisant de raffiner et de distribuer en même temps, et si j'avais aussi de gros réseaux de distribution ailleurs vendant sous ma marque ESSO, je choisirais probablement de fermer mes raffineries et de continuer à faire de la distribution. Je peux faire venir mon produit des États-Unis par pipeline et bateau. Face à un dilemme aussi terrible, je suis sûr que certains raffineurs choisiraient d'arrêter le raffinage et de se limiter à la distribution. Ils ont leur marque. Ne pas vendre sous sa marque serait comme demander à Coca-Cola de réaliser la recette mais de ne pas mettre en bouteille et distribuer. Ce serait une mesure dangereuse, dans le meilleur des cas.

Le sénateur Taylor: Votre exemple de Coca-Cola est probablement judicieux. Coca-Cola autorise les détaillants qui achètent son produit à vendre autre chose. Ces détaillants peuvent choisir ou non d'acheter du Coca-Cola; on ne va pas les fermer du jour au lendemain s'ils cessent d'acheter du Coca-Cola. Ce n'est pas la même chose dans le cas de l'essence. La plupart des stations-service sont louées aux exploitants et ne leur appartiennent pas. Ces derniers sont dans une situation difficile, car ils doivent faire ce que dit le raffineur. Le détaillant indépendant au bout de la rue peut facilement être mis en faillite par un raffineur qui livre sa propre station-service à un prix différent de celui qu'il paye.

Y a-t-il une règle? Que dites-vous à ces stations-service indépendantes qui se plaignent de devoir payer le produit plus cher que les stations-service qui vous appartiennent? Pour faire l'analogie avec un bar, le bar d'en face paierait moins cher la bière que lui.

M. Perez: Ce n'est pas vrai. Le Bureau de la concurrence a mené des douzaines d'enquêtes là-dessus. Ces allégations ne sont pas fondées. Elles sont totalement fausses. Elles se transforment en mythe que l'on ne cesse de nous renvoyer à la figure.

Le Canada possède probablement la législation en matière de concurrence la plus rigoureuse et l'une des meilleures administrations sur le plan de la rédaction et de l'application. Ces deux tâches sont centralisées aux mains d'un même organisme, à savoir le Bureau de la concurrence.

Le bureau a fait savoir maintes fois que jamais il n'a pu trouver le moindre fondement à ces allégations. Ce serait peut-être une question à poser au commissaire.

Le sénateur Poulin: Monsieur Dillon, pourquoi le Business Council on National Issues a-t-il changé son nom en faveur de Canadian Council of Chief Executives en anglais?

M. Dillon: Je suis heureux d'avoir l'occasion d'expliquer cela publiquement.

Le président: En quoi cela est-il lié à la concurrence?

Le sénateur Poulin: J'y viens.

M. Dillon: Je pourrais ainsi distribuer ce procès-verbal lorsqu'on me posera la question. Il y a trois raisons. Premièrement, l'organisation a quelque peu modifié son mandat, de façon à adopter une vision plus globale des enjeux dont nous nous occupons. Il s'agissait donc de voir si notre nom reflétait bien ce nouveau mandat.

Un deuxième problème était que le mot «canadien» n'apparaissait nulle part dans notre nom. Or, nous avons de nombreux contacts avec l'étranger. Lorsqu'on parle anglais dans une réunion à l'étranger, les gens supposent automatiquement que vous êtes Américains. Il était donc important que le mot «canadien» soit présent dans le titre, aux fins de nos relations avec l'étranger.

Troisièmement, il se posait la question de savoir si les sujets dont nous traitons sont véritablement nationaux, plutôt qu'internationaux. D'ailleurs, depuis de nombreuses années, notre nom français était «Conseil canadien des chefs d'entreprise. Il suffisait donc d'aligner le nom anglais sur le nom français.

Le sénateur Poulin: Puisque vous avez parlé de votre mandat, monsieur Dillon, pourriez-vous également nous dire qui sont vos membres?

M. Dillon: C'était la principale raison du changement de nom, car nos membres sont tous des PDG d'entreprise. Le nom reflète maintenant mieux la nature des membres. Nos membres sont 150 chefs d'entreprise, principalement de grosses sociétés canadiennes, mais nous couvrons tous les secteurs et toutes les régions du pays.

Le sénateur Poulin: Avez-vous bien dit «grosses sociétés»?

M. Dillon: Oui, c'est juste.

Le sénateur Poulin: Comme vous le savez, la Fédération des petites et moyennes entreprises a comparu devant nous hier.

M. Dillon: Oui, je sais.

Le sénateur Poulin: Elle s'est prononcée très fermement en faveur du nouveau recours au tribunal dont les petites entreprises vont dorénavant disposer. Vous avez dit dans votre mémoire que les arguments en faveur de l'accès direct au Tribunal de la concurrence ne sont pas convaincants. Quels arguments auriez-vous fait valoir contre cet accès? Est- ce parce que les garde-fous sont insuffisants? Si oui, lesquels aimeriez-vous voir?

M. Dillon: Pour répondre d'abord à votre première question, j'ai pris connaissance du sondage effectué par la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante auprès de ses membres. Je crois savoir qu'il s'agit d'une association démocratique qui exécute la volonté de ses membres. La question réellement posée aux membres était celle-ci: «Pensez- vous qu'il y a lieu de renforcer la Loi sur la concurrence?» Il n'y a pas même pas une majorité de membres pour répondre «oui» à cette question. Je crois que le chiffre était de 43 p. 100. Je ne suis pas certain que l'on ait réellement expliqué aux membres en quoi consiste l'accès privé et combien il en coûterait d'intenter un tel recours. Voilà pour ma réponse à la première question.

Nous nous demandons quelle en sera l'efficacité, en premier lieu parce que le commissaire et le bureau ont l'obligation légale de faire enquête lorsqu'une plainte est déposée. Le bureau possède une série de lignes directrices et de critères à prendre en considération à cette fin. Nous nous disons depuis de nombreuses années que si le bureau manque de ressources pour faire enquête sur toutes les plaintes qui lui sont soumises, il faut évidemment lui donner les ressources voulues.

En fin de compte, le but de la loi est de protéger l'intérêt public en matière de concurrence, et non une entreprise en particulier. Le commissaire est investi de cette responsabilité. Il lui incombe de déterminer si un agissement quelconque nuit à la concurrence sur le marché en général. Si des litiges contractuels particuliers surgissent entre deux parties, il existe des recours en droit privé pour les régler, en dehors du Tribunal de la concurrence.

Cela dit, si réellement il existe des arguments convaincants, notre principale réserve, comme nous le disons dans le mémoire, tient au fait que ce ne sont pas les petites entreprises qui vont se prévaloir de ce recours; ce seront plutôt de grosses sociétés qui vont s'en servir pour paralyser des concurrents légitimes et les entraîner dans des procès inutiles. Nous ne pensons pas que ce soit une bonne chose pour les entreprises, quelle que soit leur taille, ni pour l'économie canadienne.

Le sénateur Poulin: Je crois savoir que l'accès direct existe aux États-Unis. Pensez-vous que cela a augmenté le coût de l'activité commerciale aux États-Unis? Est-ce que cela a pesé sur l'investissement aux États-Unis?

M. Dillon: Je ne prétends pas que cette disposition va dissuader d'investir au Canada. Disons les choses clairement. Je parlais plus généralement de la nécessité d'instaurer au Canada un climat propice à l'investissement.

Je ne suis pas expert du droit de la concurrence aux États-Unis, mais je pense que l'excès de contentieux privés pose problème, pas seulement relativement à la concurrence mais aussi dans d'autres domaines. L'existence de dommages- intérêts aux États-Unis pousse dans ce sens. Si vous parlez aux avocats qui ont travaillé sur certaines de ces causes ou ont des collègues qui l'ont fait, vous verrez qu'il s'est produit des cas où des parties privées se font cette sorte de procès au lieu de réellement encourager la concurrence. C'est là notre préoccupation.

Cela dit, le législateur s'est réellement efforcé d'inclure des garde-fous dans ce texte, et je ne veux pas minimiser cet effort. Nous attendons de voir dans quelle mesure ils rempliront leur office, mais en fin de compte, si une société est réellement déterminée à paralyser un concurrent potentiel, surtout un nouvel entrant américain sur le marché canadien, nous savons qu'elle en aura les moyens financiers. Peu lui importera le coût du procès devant le tribunal ou ailleurs. Elle pourra faire appel à tous les avocats voulus et multiplier les motions pour faire traîner les choses, quelles que soient les garanties prévues dans le projet de loi. Le problème est là.

Comme je l'ai dit, ce n'est pas que nous craignons que les petites entreprises entraînent nos membres dans ce genre de contentieux. En effet, nous ne pensons pas qu'elles auront les ressources requises pour faire ce genre de procès.

Le sénateur Kelleher: Monsieur Dillon, j'aimerais avoir votre avis sur l'opportunité de faire mention dans ce projet de loi d'une industrie spécifique, comme Air Canada, ou si ce devrait être une loi de nature générale applicable à tous les secteurs?

M. Dillon: Sénateur, permettez-moi de déclarer ma partialité dû au fait qu'Air Canada est un de nos membres.

Le sénateur Kelleher: Je comprends.

M. Dillon: Tout comme beaucoup d'autres entreprises qui sont soumises à la concurrence d'une façon ou d'une autre.

Je pose comme principe général que la Loi sur la concurrence devrait être une loi-cadre protégeant la concurrence, et ne pas avoir pour objet de réglementer une compagnie ou une industrie en particulier. Il existe évidemment des secteurs dans ce pays qui restent réglementés, où il n'y a pas de concurrence. On a vu beaucoup d'exemples — le téléphone interurbain est un bon exemple — de secteurs où la concurrence a été introduite, et manifestement les consommateurs en sortent gagnants. De façon générale, cette législation ne devrait pas servir à réglementer les industries particulières.

Cela dit, le secteur aérien au Canada connaît manifestement une situation pareille à nulle autre, sur le plan de la prépondérance d'une entreprise. Étant donné l'importance des capitaux requis dans ce secteur, le gouvernement estime devoir imposer des limites réglementaires à cette société particulière. Nos membres sont en faveur de la concurrence. Il faut trouver le moyen d'introduire davantage de concurrence dans le secteur du transport aérien au Canada.

Le sénateur Kelleher: Cela dit, le projet de loi semble aller plus loin, puisqu'il confère au commissaire des pouvoirs spéciaux à l'égard du secteur aérien, en contournant le tribunal. Qu'en pensez-vous?

M. Dillon: C'est un problème. M. Perez se souviendra, tout comme les honorables sénateurs, qu'il était question au cours du débat sur la réforme de donner au commissaire le pouvoir d'émettre des ordonnances temporaires de son propre chef. Nous nous sommes opposés à cette idée. Le commissaire jouit maintenant de ce pouvoir, mais uniquement à l'égard du transport aérien.

En règle générale, il est dangereux d'avoir une situation où le procureur est également l'arbitre. Les sénateurs se souviendront que sous le régime de l'ancienne Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, le directeur des enquêtes, comme on l'appelait alors, c'est-à-dire le commissaire actuel, avait le pouvoir d'émettre ses propres mandats de perquisition. Cette affaire est allée jusqu'en Cour suprême du Canada, laquelle a jugé qu'un agent d'application et un arbitre ne pouvait pas également lancer des mandats de perquisition. Il faut passer par un tribunal.

La notion que le commissaire puisse rendre une ordonnance temporaire et, à toutes fins pratiques, prononcer un jugement avant qu'une audience complète ait eu lieu pose un problème juridique qui pourrait bien aboutir devant les tribunaux. Nous admettons tous qu'il peut exister des situations d'urgence où une société risque la faillite en l'absence d'un redressement rapide. Cependant, il existe des procédures à cet effet et nous sommes tout à fait en faveur d'une ordonnance temporaire, à condition que le commissaire doive passer par le tribunal pour obtenir ce jugement indépendant. Évidemment, il faudra que la procédure soit rapide et le jugement immédiat. Mais comme principe juridique général, il faudrait une séparation claire entre le Bureau de la concurrence et le tribunal.

Le président: S'il n'y a pas d'autres questions, je vais remercier M. Dillon et M. Perez de leur participation ce matin.

La séance est levée.


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