Aller au contenu
BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie


Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 33 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 13 mars 2002

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, auquel a été renvoyé le projet de loi C-23, Loi modifiant la Loi sur la concurrence et la Loi sur le Tribunal de la concurrence, se réunit aujourd'hui à 15 h 45 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur E. Leo Kolber (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, je vois que le quorum est réuni. Nous allons entendre deux groupes de témoins.

Notre premier témoin est George N. Addy, qui est par ailleurs l'ancien commissaire du Bureau de la concurrence.

M. George N. Addy: Honorables sénateurs, je n'ai pas rédigé un mémoire en bonne et due forme pour les besoins de votre comité. J'ai toutefois transmis au greffier le mémoire officiel que j'ai déposé devant le comité de la Chambre des communes chargé d'examiner ce projet de loi.

[Français]

Mes remarques vont être, pour la plupart, en anglais, mais il me fera plaisir de répondre aux questions, s'il y en a, en français, suivant mon exposé.

[Traduction]

Je suis ici, monsieur le président, afin de partager avec vous quelques observations à titre d'avocat expérimenté qui a conseillé des clients de toutes tailles, y compris le Bureau du commissaire, à titre d'ancien commissaire, à titre de défenseur des politiques de concurrence et à titre d'homme d'affaires.

Je ne parlerai que du projet de loi C-23, soit le texte que votre comité est en train d'examiner. J'ai proposé au comité de la Chambre un certain nombre d'amendements supplémentaires qu'il lui appartenait d'examiner et qui n'ont pas été retenus parmi les dispositions du projet de loi C-23. Si cela intéresse les honorables sénateurs, j'ai remis cette proposition au greffier.

Les observations que je vais faire aujourd'hui ne cherchent nullement à infléchir les opinions ou les points de vue du commissaire actuel, de son personnel ou du bureau. J'ai le plus grand respect pour M. Von Finckenstein et pour les fonctionnaires de son bureau et je me rends bien compte des défis qu'il leur faut relever quotidiennement.

Ce qui me préoccupe surtout au sujet de ce projet de loi, c'est le fait que l'on insiste trop sur «l'efficacité de l'application» et que l'on s'écarte, dans certains cas, de la concurrence pour privilégier les concurrents. Je m'en tiendrai tout d'abord au manque d'équilibre entre la nécessité de garantir l'efficacité de l'application et, d'autre part, les droits des particuliers à être protégés contre toute intervention indue du gouvernement dans leurs affaires à la suite des conditions ou des critères juridiques devant être réunis avant que des mesures d'application ne puissent être imposées en vertu de la loi.

En second lieu, il y a une absence d'équilibre et d'équité procédurale dans les dispositions régissant l'entraide juridique dans le projet de loi. Je soulève cette question au sujet des dispositions s'appliquant à l'annonce de gains trompeurs lors d'un concours de même que lorsqu'on autorise le commissaire, contrairement aux règles de l'équité, à renvoyer unilatéralement la question devant le tribunal aux termes du projet d'article 124.2.

Quant à l'entraide juridique, je dirais, tout d'abord, que c'est une bonne chose. Lorsque j'étais commissaire en 1994- 1995, j'ai essayé, lors d'une première ronde de modifications, d'englober l'aide juridique, mais à la suite des questions juridiques non résolues par suite de l'affaire Airbus, le concept a dû être abandonné. Je suis cependant ravi que cette question refasse surface à l'heure actuelle.

Il est important de garder deux choses à l'esprit lorsque le commissaire envisage d'instituer des dispositions d'entraide juridique. Il faut se rappeler que l'une des pierres angulaires d'un mécanisme d'entraide juridique, y compris celui qui est prévu par le projet de loi C-23, est la réciprocité. Les Canadiens et les sociétés canadiennes peuvent toujours être victimes d'activités monopolistiques étrangères qui peuvent n'être renversées qu'avec l'aide d'une autorité étrangère. Une telle aide pourrait constituer un avantage important pour les Canadiens.

En second lieu, il est faux de croire que toutes les autorités en matière de concurrence sont indépendantes ou que toutes les lois en matière de concurrence sont les mêmes. Comme nous le savons, il y a souvent place à des interprétations divergentes des textes de loi et les motifs justifiant l'établissement des priorités d'application sont également assez variés.

Sur un troisième point, il est également important de ne pas perdre de vue le fait que le projet d'entraide juridique décrit dans le projet de loi C-23 prévoit la prise de mesures exécutoires par le commissaire à l'encontre des Canadiens à la demande d'un gouvernement étranger. Les renseignements relevés sur des Canadiens seront alors envoyés à une autorité étrangère en matière de concurrence. Malgré tous les efforts déployés en vue de conclure une convention d'entraide quelconque, le Canada n'a, en bout de ligne, aucun contrôle sur les décisions prises dans des territoires étrangers. Le Canada n'a aucun contrôle sur l'utilisation des renseignements à compter du moment où ceux-ci sortent du Canada. Nous sommes toutefois en mesure de contrôler les ordonnances rendues par nos tribunaux à l'encontre des Canadiens.

[Français]

J'en fais d'abord la mention afin de souligner l'importance de la décision qui devra être rendue par le ministère de la Justice à l'égard des articles au paragraphe 30.01.

[Traduction]

À mon avis, il n'est pas à notre avantage, en tant que nation, d'assujettir les Canadiens à des mesures exécutoires au Canada à la demande d'un gouvernement étranger, à moins d'être certain que les Canadiens ne seront pas désavantagés sur le plan juridique par rapport à des procédures semblables entamées au Canada.

Toute entente d'entraide devrait être conditionnelle au fait que les Canadiens faisant l'objet de mesures d'application à la demande d'un gouvernement étranger ne soient pas désavantagés par suite des modifications proposées.

À cet effet, j'attire l'attention des honorables sénateurs sur les dispositions de l'article 30.01 du projet de loi. Le texte de l'alinéa 30.01a), dans sa forme actuelle, est préoccupant, surtout la disposition suivante:

[...] que ces comportements relèvent ou non du droit criminel;

Si un comportement était réputé susceptible d'examen au Canada, et j'entends par là une pratique non criminelle qui pourrait ou non être illégale, selon les circonstances, mais considéré comme une infraction criminelle dans le territoire de l'autorité étrangère qui fait la demande, j'aurais alors de sérieux doutes sur le bien-fondé d'une procédure que pourraient entamer les autorités canadiennes au nom du pays étranger. Cette disposition est inquiétante parce qu'elle semble signifier qu'il est indifférent de savoir si l'activité étrangère relève du civil ou du pénal.

L'intervention du gouvernement, au moyen de mandats de perquisition, d'ordonnances de production de documents ou de demandes d'auditions, ne devrait pas s'effectuer à la légère, à mon avis. Bien que, sur le plan des politiques en matière de concurrence, je puisse considérer le comportement sous-jacent à une demande étrangère pour de l'aide, si elle est fondée, comme étant offensant, je m'inquiète davantage de l'utilisation inappropriée des pouvoirs coercitifs par l'État que du maintien du comportement anticoncurrentiel.

S'il faut choisir entre permettre à des activités monopolistiques de continuer sans surveillance dans un pays étranger ou autoriser notre gouvernement à avoir recours à une procédure obligatoire d'une façon qui viole les droits des Canadiens et l'application régulière de la loi, je choisis la première solution.

À mon avis, le projet d'entraide juridique renferme deux failles fondamentales, mais non irréparables. D'abord, les conditions et seuils qui doivent être respectés en vue de prendre des mesures d'application n'offrent pas l'équilibre nécessaire entre le besoin de mise en application, d'un côté, et, d'un autre côté, le droit des particuliers à la protection contre une incursion inappropriée du gouvernement dans leurs activités.

Ensuite, puisqu'il omet d'exiger la signification d'un avis, il n'offre pas d'équité procédurale. Les sénateurs savent pertinemment que l'application régulière de la loi constitue un point fondamental du système judiciaire canadien. La notion d'équité procédurale fait de plus en plus partie des conventions que le gouvernement du Canada conclue.

Dans la dernière ébauche du texte de la ZLEA que j'ai pu me procurer, on évoque précisément ces questions de transparence, de non-discrimination et d'application régulière de la loi. Nous les incorporons à nos obligations en vertu du traité. Elles ont aussi été évoquées dernièrement dans la Déclaration de Doha.

À mon avis, la transparence et l'équité procédurale suggèrent que le programme d'entraide juridique ne devrait pas être utilisé ex parte, sauf dans les cas urgents. C'est le mécanisme inverse que nous avons aujourd'hui.

Monsieur le président, je vous ai donné un exemple dans mon document. Si vous me le permettez, je vais vous démontrer à l'aide de cet exemple quels sont les côtés pratiques du programme d'entraide juridique dans sa forme actuelle et les honorables sénateurs pourront ainsi se rendre compte de ce que cela signifie pour les entreprises canadiennes.

Supposez que le Canada ait conclu une entente avec le Brésil comportant ce régime. Supposez que vous êtes l'un des principaux dirigeants de Bombardier, éventuellement le chef de la direction. Supposez qu'un de vos confrères parmi les membres du comité est fournisseur de pièces d'avion pour cette entreprise. Un employé de l'un de vos concurrents, Embraer, par exemple, ou quelqu'un d'autre éventuellement, se plaint à l'autorité antimonopole brésilienne que votre société adopte un comportement inapproprié au Brésil. Les autorités brésiliennes en matière de concurrence préparent un document dans lequel elles déclarent qu'elles croient ce qui leur a été rapporté. Elles envoient une demande au Canada en disant que vous avez eu connaissance de certains événements et que votre société possède des renseignements susceptibles de faciliter l'enquête. Les autorités transmettent cette demande au Canada. Le ministre de la Justice vérifie que, en effet, nous avons bel et bien conclu une entente avec le Brésil et envoie les documents au commissaire pour qu'il prenne les mesures nécessaires.

Que se passe-t-il alors? Le commissaire se présente alors devant le tribunal, sans que vous ne le sachiez, afin d'y obtenir des ordonnances, y compris des mandats de perquisition, des ordonnances de production de documents ou des ordonnances exigeant une déclaration de renseignements, ou même des ordonnances de déposition qui vous obligeraient à vous présenter devant la cour et à fournir des preuves sous serment.

Vous voilà donc à votre bureau le lundi matin lorsque des représentants du commissaire y font irruption. Ils entrent dans votre bureau et ils saisissent des documents qui se trouvent dans votre bureau et dans votre usine. Puisqu'ils y sont, ils vous signifient une ordonnance de comparution qui vous obligera à répondre à des questions sous serment, à propos de quelque chose qui vous échappe totalement puisqu'il n'existe aucune disposition dans la loi qui prévoit que vous devez avoir accès aux dossiers des autorités brésiliennes. Vous ne savez pas vraiment ce qui se passe. Tout ce que vous savez, c'est que vous êtes sommé de comparaître.

Lorsqu'ils quittent votre bureau, parmi les documents qu'ils emportent avec eux figurent des documents importants se rapportant à votre fournisseur de pièces d'avion. Vous êtes contrarié et vous souhaitez contester les ordonnances. Malheureusement, vous ne pouvez pas faire grand-chose, vous n'avez aucune chance.

Vous comparaissez à l'endroit et à la date précisés afin d'y être interrogé sous serment et on vous dit éventuellement que vous n'avez pas le droit d'être représenté par un avocat puisque la loi ne vous accorde pas ce droit. Il se pourra — cela arrive à l'occasion — que l'avocat du commissaire autorise votre avocat à assister à la procédure. Le plus souvent, ce sera uniquement à titre d'observateur et non pas dans son véritable rôle d'avocat.

De plus, puisque l'ordonnance monopolisait votre attention, vous avez oublié d'aviser votre fournisseur que quelques-uns de ses documents ont été saisis et sortis de votre bureau et qu'ils pourraient être expédiés au Brésil. Ainsi, il ignore tout de ces événements et il ignore que vous êtes interrogé sous serment.

Au cours de l'interrogation, on vous pose des questions sur vos affaires au Canada et au Brésil et éventuellement sur celles de votre fournisseur de pièces d'avion qui, en passant, n'est pas dans la salle, n'est pas représenté, et n'est peut- être même pas au courant de ce qui se passe.

Après cette interrogation, vous quittez la cour convaincu qu'il s'agissait d'une démarche entreprise pour des raisons autres que l'application légitime des lois en matière de concurrence et vous demandez à votre avocat ce que vous pouvez faire. Vous voulez faire appel. Les motifs d'appel sont très limités en vertu de cette disposition. Là encore, vous n'avez pas de chance.

Je vous signale en passant qu'à la fin du processus, un rapport est présenté à un juge à l'égard de l'exécution du mandat de perquisition, de la production de documents, de la déclaration de renseignements et de l'interrogation de témoins. Vous n'avez pas le droit de consulter ce rapport et vous ne savez pas ce que l'on a dit au juge en ce qui a trait à ce processus et à la façon dont il a été conduit.

Le juge à qui est destiné le rapport autorise l'envoi des renseignements saisis à l'autorité étrangère qui en fait la demande et il a le droit d'y inclure des modalités visant à protéger les intérêts d'un tiers ou de personnes qui prétendent avoir un intérêt dans les documents saisis ou produits. Encore une fois, le problème est que les tiers, comme votre fournisseur de pièces d'avion, qui sont des personnes qui pourraient avoir un intérêt dans les documents saisis ou produits, pourraient n'avoir aucune idée de ce qui se passe.

Plus tard, vous préparez un rapport rendant compte de ces événements à votre conseil d'administration. Vous demandez combien il en coûte à votre entreprise pour se conformer à des prétentions du Brésil qui apparaissent abusives. On vous dit qu'il en coûte 150 000 $ parce qu'il a fallu compiler, entre autres, de nombreuses données. Vous vous rendez compte que vous ne pouvez même pas facturer la note au Brésil.

Dans mon exemple, c'est l'entreprise qui fait effectivement l'objet d'une plainte, mais ces dispositions peuvent aussi s'appliquer à des tiers. Vous pourriez éventuellement être obligé de subir toute cette procédure même si votre société n'est pas celle qui est accusée de n'avoir pas respecté les règles de la concurrence au Brésil.

Tout cela renvoie à des activités que notre loi considère comme n'étant pas criminelles. Cela renvoie à des pratiques susceptibles de faire l'objet d'un examen judiciaire. J'ai pris un exemple que d'aucuns trouveront délibérément outré — je ne le nie pas. Je ne pense pas, toutefois, que ce soit du domaine de l'impossible.

J'aurais pu prendre l'exemple du bois d'oeuvre avec les États-Unis, des pâtes avec l'Italie, etc. Il y a une quantité de scénarios qui sont susceptibles de mettre en relief ces difficultés.

La procédure établie sur le plan civil — le commissaire l'a bien indiqué lorsqu'il a témoigné devant le comité — reflète ce qui se passe sur le plan pénal. C'est justement ce que je reproche à la procédure. Nous n'avons pas affaire ici à des comportements moralement répréhensibles en droit pénal; nous avons affaire à des agissements qui sont ou non passibles de contrôle judiciaire en vertu de notre législation. Pourtant, la procédure que nous avons mise en place ne fait pas appel, à mon avis, à un élément fondamental de l'application régulière de la loi ou de l'équité procédurale — en l'occurrence, la notification. Comment justifier que le commissaire n'ait à informer personne qu'il va s'adresser au tribunal pour demander un mandat, la production de documents, et cetera.? Je ne comprends pas pourquoi la notification serait une telle contrainte dans une procédure civile.

Je reconnais que le commissaire peut délibérément fournir tous ces renseignements aux personnes faisant l'objet des ordonnances, lui conférant ainsi davantage de pouvoirs. L'inconvénient, c'est que cette mesure n'est pas expressément mentionnée dans le projet de loi. Si le commissaire reçoit la demande suivante de la part de l'organisme étranger: «Veuillez ne pas divulguer le dossier quand vous fournissez de l'aide», il lui serait éventuellement bien difficile de communiquer, même volontairement, cette information. Il a les mains liées.

Enfin, l'aide est dispensée sans que l'on exerce un contrôle en dernier recours. Personne ne se pose la question suivante: Est-il dans l'intérêt du Canada de fournir l'aide requise dans ce cas particulier?

En somme, le régime d'entraide juridique est défectueux parce que les demandes de notification ex parte sont la norme et non l'exception. Les demandes étrangères sont acceptées sans que l'on exige qu'une infraction à la loi étrangère soit alléguée. Il suffit que l'on fasse une enquête. Rien n'exige que l'on signifie la procédure aux parties qui font l'objet de l'ordonnance ou aux tiers dont les droits peuvent être affectés. Rien n'exige que l'on tienne une audience pour entendre les objections présentées oralement. La partie susceptible d'être visée par cette procédure n'est pas autorisée à avoir accès à tous les renseignements dont dispose le commissaire pour justifier les mesures d'entraide juridique qu'il prend. Le droit d'appel est très limité. Surtout, on ne vérifie pas s'il est dans l'intérêt du Canada de réagir dans chacun des cas considérés.

Je vais aborder très rapidement le projet de paragraphe 53(5), où l'on se propose d'imposer une responsabilité aux personnes qui n'ont pas personnellement connaissance de l'infraction ou qui n'y ont pas effectivement participé. C'est la disposition concernant la documentation trompeuse. L'Association du Barreau canadien a présenté au comité de la Chambre un mémoire demandant d'abroger cette disposition, et je suis d'accord avec elle sur ce point. J'ai du mal à accepter que l'on attache une responsabilité pénale à des personnes qui n'ont pas effectivement connaissance des faits considérés.

Il y a peut-être une question d'ordre plus général sur laquelle votre comité pourra éventuellement se pencher — lorsqu'on impose ce type de responsabilité, on nous dit que l'on facilite l'application de la loi. Je ne sais pas si c'est toujours vrai. Il y a une chose que l'on voit se produire de plus en plus souvent dans d'autres lois actuelles. Au sein des entreprises, comme le savent les honorables sénateurs, le conseil d'administration va demander à la haute direction: «Donnez-nous un blanc-seing tous les mois ou tous les trimestres en attestant que nous n'avons enfreint aucune loi sur l'environnement, sur les valeurs mobilières», et cetera. Cette procédure de contrôle viendra alors s'ajouter à leur liste. Je ne suis pas sûr que cela fasse changer véritablement le comportement des entreprises. Je ne crois absolument pas que ce genre de disposition va renforcer l'application de la loi. Il s'agit là d'une question de portée bien plus large que les honorables sénateurs pourraient éventuellement étudier à une autre occasion.

Le troisième élément que je tiens à aborder rapidement est celui de la procédure d'ordonnances de consentement. Le projet de loi C-23 modifie la procédure et la façon de faire actuelles. Selon la loi actuelle, lorsqu'on présente au tribunal une demande d'ordonnance, dont les conditions sont arrêtées en commun par le commissaire et la partie qui présente la demande d'ordonnance, le tribunal est habilité à réviser l'ordonnance et, s'il est satisfait de son contenu, il délivre l'ordonnance selon ces conditions. La modification proposée par le projet de loi C-23 enlève au tribunal le pouvoir discrétionnaire de réviser une ordonnance de consentement et la transforme essentiellement en un simple dépôt d'un document standard. Il devient opérant dès son dépôt. Il se peut très bien que le juge n'en voie jamais la couleur et que le greffier appose son cachet et l'expédie.

Aux termes des dispositions du projet de paragraphe 106(2), un tiers peut demander au tribunal d'annuler ou de modifier l'ordonnance dans les 60 jours de sa délivrance. Il y a deux failles dans cette façon de procéder. Tout d'abord, la demande présentée par ce tiers ne peut faire état que d'un manque de compétence du tribunal de la concurrence, qui n'était pas habilité au départ à délivrer cette ordonnance, sans que l'on puisse alléguer que le recours est abusif ou qu'un autre type de recours serait susceptible d'être plus favorable à la concurrence.

En second lieu, je me demande comment un tiers pourrait bien savoir qu'une ordonnance a été délivrée. Selon les dispositions du projet de paragraphe 106(1) du projet de loi C-23, qui traitent des possibilités de recours privés, les ordonnances de consentement délivrées selon cette procédure n'entrent pas en vigueur au moment de leur dépôt, mais 30 jours après leur notification. Nous avons donc une disposition prévoyant une notification. Aussi étrange que cela paraisse, il y a, si je comprends bien, une disposition imposant une notification dans un conflit privé. Il n'y a toutefois aucune exigence de notification dans une affaire qui implique l'intérêt public. Il se peut qu'on règle la question en temps utile dans la réglementation. Toutefois, je n'ai connaissance d'aucune déclaration du commissaire ou d'un autre responsable sur ce sujet. Lorsque le commissaire exerce de telles responsabilités qui relèvent de l'intérêt général, il faut que le public puisse avoir son mot à dire en ce qui a trait à ces ordonnances de consentement.

Je me souviens d'avoir discuté avec certains commissaires qui m'ont précédé, qui se plaignaient d'être critiqués par ceux qui leur reprochaient de passer des accords en coulisses. C'est ce qui pourrait bien se passer si l'on ne permettait pas au public de participer officiellement à la procédure de délivrance des ordonnances de consentement.

Ma dernière intervention portera sur les renvois devant le tribunal. Le projet d'article 124.2 est une mesure positive qui permettra de traiter discrètement les affaires et, peut-on espérer, d'accélérer la procédure. La seule réserve que je ferais à cette disposition, c'est qu'elle autorise conjointement le commissaire et la personne qui fait l'objet de l'enquête, ou unilatéralement le commissaire, à faire un renvoi devant le tribunal. Je ne vois pas pourquoi on ne permettrait pas aussi à la partie visée par la procédure de saisir unilatéralement le tribunal sur ce genre de question. On peut là aussi faire le même genre de reproche, soit que l'on a dérogé aux principes d'équilibre ou d'application régulière de la loi pour privilégier l'efficacité de l'application.

Voilà qui met fin à mon exposé. Je vous remercie.

Mme Tamra Thomson, directrice, Législation et réforme du droit, Association du Barreau canadien: Honorables sénateurs, l'Association du Barreau canadien et, plus particulièrement, la section nationale du droit de la concurrence se félicitent d'avoir la possibilité aujourd'hui de comparaître devant votre comité au sujet du projet de loi C-23.

L'ABC est une organisation nationale qui représente plus de 37 000 juristes au Canada, dont 1 400 environ sont membres de la section du droit de la concurrence. Nous avons principalement pour objectifs de renforcer le droit ainsi que l'administration de la justice. C'est en ayant ces objectifs à l'esprit que nous avons rédigé le mémoire que les honorables sénateurs ont devant eux et c'est dans cette optique que nous présentons notre exposé d'aujourd'hui.

J'ai à mes côtés M. Kennish, qui préside la Section du droit de la concurrence. Je vais lui demander d'aborder les questions de fond qui sont évoquées dans notre mémoire.

M. Tim Kennish, président, Section nationale du droit de la concurrence, Association du Barreau canadien: Honorables sénateurs, comme vient de le dire Mme Thomson, nous sommes très heureux de l'occasion qui nous est donnée ici de faire connaître notre point de vue au sujet du projet de loi C-23.

Lorsque ce projet de loi a été déposé pour la première fois cet automne, notre section a présenté un exposé d'ordre plus général au Comité de l'industrie, de la science et de la technologie de la Chambre des communes. Certaines de nos recommandations ont été adoptées, d'autres non.

Nous nous rendons compte que le nombre de points sur lesquels nous pouvons éventuellement vous persuader d'intervenir est limité dans la pratique. Nous avons donc voulu nous en tenir à ceux qui étaient susceptibles de revêtir une importance et un intérêt particuliers.

Cette liste a été encore réduite étant donné que, contrairement aux règles habituelles de la procédure législative, des amendements ont été apportés au projet de loi après la remise de notre mémoire. Jusqu'à présent, nous n'avons pas eu la possibilité de faire connaître notre point de vue les concernant. Deux de nos interventions portent sur des dispositions qui sont en fait nouvelles et postérieures au mémoire que nous avons présenté à l'origine.

Notre section est de manière générale favorable à l'ensemble des amendements apportés au projet de loi C-23. L'un dans l'autre, nous considérons qu'ils améliorent la loi. Dans certains domaines, il y a cependant encore place à l'amélioration et nous aimerions faire part de nos commentaires à ce sujet.

M. Addy a fait état du régime d'entraide juridique envisagé par le projet de loi. Nous accueillons nous aussi favorablement cette initiative, mais il y a un domaine qui continue à nous préoccuper. Si nous sommes de manière générale en faveur d'un échange d'information au plan international entre les organismes chargés de l'application de la loi au Canada et ceux des autres pays dans le domaine civil, ce qui n'a pas été le cas jusqu'à présent, nous sommes préoccupés par l'information ayant trait aux fusions. Ce sont généralement des renseignements d'entreprise très confidentiels qui remettent en cause les plans stratégiques précis des sociétés concernées ainsi que certaines de leurs données historiques essentielles. L'échange de tels renseignements justifie que l'on accorde la protection maximale qui s'applique aux renseignements confidentiels.

Si certains intéressés ont peur que les renseignements fournis au Bureau de la concurrence puissent être transmis sans aucune réserve à des tiers, il est possible que cela les empêche à l'avenir de participer à des fusions.

Nous sommes conscients du fait que certains autres pays ne respectent pas comme nous le voudrions les renseignements confidentiels communiqués dans le cadre de ces échanges d'information. Dans certaines situations exceptionnelles, il a pu arriver que les autorités étrangères responsables de l'application des lois aient transmis ces renseignements à des concurrents ou à des opposants d'une fusion.

C'est vraisemblablement la raison pour laquelle les responsables de la lutte contre les coalitions aux États-Unis ne sont pas autorisés à communiquer les dossiers Hart-Scott-Rodino qui traitent des fusions sans avoir obtenu au préalable une renonciation des parties concernées. L'Union européenne a recours à la même pratique avant de divulguer des dossiers de fusion à d'autres pays. Nous estimons que l'on devrait limiter de la même manière l'information que peut divulguer le bureau canadien. Autrement dit, il faudrait qu'il obtienne une renonciation des parties concernées avant d'être autorisé à fournir des renseignements aux autres pays qui se chargent par ailleurs d'examiner la même transaction. À cet égard, je peux vous dire après en avoir fait personnellement l'expérience que les parties en cause refusent rarement des demandes raisonnables de renonciation émanant de pays qui respectent ce genre d'information confidentielle.

Le deuxième point a trait aux nouvelles dispositions du projet de loi qui ont été rajoutées par le Comité de l'industrie. Le projet d'article 79 se propose d'amender le paragraphe actuel (3.1) pour autoriser le Tribunal de la concurrence à ordonner à l'organisme — effectivement dans ce cas Air Canada — de payer une pénalité administrative pouvant s'élever à 15 millions de dollars s'il détermine qu'il y a eu un abus de position dominante en vertu des dispositions de la loi.

Voilà qui soulève deux objections. Tout d'abord, on s'oriente encore davantage en faveur de l'application de la Loi sur la concurrence, qui est au départ une loi d'application générale — une loi-cadre, si vous préférez — de façon à réglementer certains secteurs d'activités donnés. En l'espèce, c'est un domaine d'application encore plus restreint étant donné qu'un seul concurrent au sein d'un secteur donné est visé.

Il y a là une tendance bien marquée. On trouve désormais dans la loi des dispositions traitant précisément des agents de voyage et des sociétés de transport aérien, et le bureau a publié les lignes de conduite s'appliquant au commerce de détail et aux fusions bancaires.

Nous considérons que le bureau n'est pas vraiment qualifié pour s'ériger en responsable de la réglementation de certains secteurs d'activité. En engageant le bureau dans ce genre d'activité, qui risque avant tout de porter sur des secteurs très médiatisés et impopulaires comme les banques ou le transport aérien, le danger c'est aussi que l'on amène indirectement le public à se poser des questions sur son indépendance.

En second lieu, cette pénalité administrative est imposée au sujet d'une pratique pouvant faire l'objet d'un recours civil. On trouve dans la loi des dispositions distinctes relevant aussi bien du pénal que du civil. Un grand nombre de dispositions relevant du droit civil sont susceptibles d'être appréciées par le tribunal. En disant qu'elles peuvent «être appréciées par le tribunal» on entend par là qu'il s'agit normalement d'une activité commerciale qui n'est pas nécessairement mauvaise en soi. Selon les circonstances, elle peut avoir pour effet de restreindre la concurrence.

Cette façon de voir les choses permet de porter l'affaire devant le tribunal. Ce dernier se penche sur cette pratique commerciale en tenant compte des faits et détermine dans quelle mesure elle va trop loin et nuit à la concurrence. Si c'est le cas, le tribunal interdit alors cette activité contraire à la concurrence et l'entreprise ne peut plus l'exercer à l'avenir. Toutefois, il n'impose aucune sanction pour le comportement passé. Ici, il y a un risque d'amendes ou de pénalités imposées pour un comportement antérieur au jugement déterminant qu'il y a eu une activité illicite.

De plus, le montant de la pénalité envisagée, soit 15 millions de dollars, dépasse de 5 millions de dollars l'amende maximale imposée au titre des ententes criminelles sur les prix selon les dispositions de la Loi sur la concurrence. Toutefois, ce n'est pas vraiment le montant qui pose un problème. Nous sommes opposés au départ à ce que l'on impose une pénalité au titre d'un tel comportement susceptible d'être apprécié par un tribunal. C'est le droit civil qui s'applique ici et, je le répète, on part du principe qu'il s'agit d'une activité licite tant qu'un tribunal n'a pas décidé le contraire après avoir examiné les faits, après quoi cette activité est interdite à l'avenir.

Sur un plan plus général, ces dispositions nous inquiètent parce que nous craignons qu'elles entraînent l'adoption d'amendes administratives visant d'autres pratiques susceptibles d'être appréciées par un tribunal, et qu'elles empêchent les entreprises d'exercer ce genre d'activité, dont la plupart vont normalement dans le sens de la concurrence, comme les ventes exclusives, par exemple.

Je crois savoir que l'on a longuement discuté des ordonnances provisoires au sein de votre comité. Sur les ordonnances provisoires, nous avons une opinion très précise. On trouve dans le projet de loi une disposition importante qui autorise la personne contre laquelle on a pris une ordonnance — l'intimé — à demander au Tribunal de la concurrence de revoir cette ordonnance, ce qu'il doit faire dans les 10 jours de son entrée en vigueur. Ces ordonnances sont généralement délivrées ex parte et avec un délai de notification très court. Il appartient Tribunal de la concurrence de déterminer si une ou plusieurs des conditions préalables à la délivrance de l'ordonnance ont été respectées.

Les critères sont les suivants: dommages causés à la concurrence; perspectives d'élimination d'un concurrent; dommages potentiels causés à un concurrent.

Dans ces circonstances, le projet de loi ne précise pas qui a la charge d'apporter la preuve dans la demande de révision. Nous considérons qu'il faut évidemment que ce soit le commissaire. C'est lui qui doit être tenu de veiller à la validité des critères qui ont présidé l'ordonnance. Sinon, la charge de la preuve serait dans la pratique inversée. L'intimé faisant l'objet d'une ordonnance ex parte s'est vu délivrer une ordonnance accordée lors d'une audience à laquelle il n'a pas participé et il dispose de 10 jours pour porter l'affaire devant le Tribunal de la concurrence afin de la faire annuler. Traditionnellement, c'est la partie ayant obtenu l'ordonnance ex parte qui est tenue d'en justifier la validité. Nous souhaiterions que ce soit expressément indiqué dans la disposition pertinente, soit celle du paragraphe 103.3(7).

Il y a aussi la question du droit d'intervention en justice des personnes susceptibles d'être affectées directement par une ordonnance temporaire. Le projet de loi accorde automatiquement ce droit aux personnes relevant de cette catégorie, ce qui les autorise à apporter des témoignages et à présenter des preuves. Nous considérons que cette façon de procéder peut avoir des effets pervers et ralentir considérablement la procédure devant le tribunal.

Nous estimons que les règles qui s'appliquent par ailleurs aux intervenants dans les procédures relatives à la concurrence sont mieux adaptées. Elles restreindraient le droit d'ester en justice et de prendre part à ces procédures aux personnes agréées par le Tribunal de la concurrence, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire.

Pour vous donner un exemple, 140 personnes différentes pourraient être directement affectées de la même manière par une ordonnance provisoire et auraient essentiellement les mêmes choses à dire en la matière. Toutefois, selon ce dispositif, chacune d'entre elles peut demander à être entendue.

Un autre point précis, qui a son importance cependant, est celui des ordonnances de consentement délivrées au titre du projet de loi. Ces dispositions prévoyant la délivrance d'une ordonnance de consentement peuvent être modifiées ou abrogées si les circonstances changent. L'une des parties peut demander que cette ordonnance soit abrogée ou modifiée. Le projet de loi ne prévoit pas le dépôt d'un dossier faisant état du changement de circonstances ou de l'évolution historique.

Comme c'est actuellement le cas pour les ordonnances de consentement, le commissaire étant alors chargé de déposer un exposé des motifs et des faits pertinents, il faudrait que le projet de loi soit amendé afin de prévoir ce genre de dépôt. À l'avenir, par conséquent, si quelqu'un voulait présenter une demande d'abrogation ou de modification, on aurait ainsi la preuve du fait que la situation a changé.

Le président: Dans la partie correspondant aux ordonnances provisoires, vous n'avez pas évoqué le paragraphe 104(1) du projet de loi. Je sais qu'il n'est théoriquement pas soumis à notre examen, mais avez-vous une opinion à ce sujet?

M. Kennish: Je me présente devant vous, monsieur le président, en tant que délégué. Notre section a mis sur pied un groupe d'étude chargé de présenter l'opinion que vous avez ici devant vous. Nous avons effectivement présenté d'autres observations au Comité de l'industrie. Celles que vous avez devant vous sont celles que notre groupe a convenu de vous présenter. Je peux difficilement parler au nom de mon association sur d'autres questions.

Le président: Vous représentez ici votre association, n'est-ce pas?

M. Kennish: Oui, mais nous nous sommes entendus sur une intervention qui reflète le point de vue d'un groupe d'étude auquel je ne participe pas.

Je me ferai un plaisir, à titre personnel, de vous donner mon opinion à ce sujet.

Ma dernière observation porte sur les dispositions s'appliquant aux actions intentées par des particuliers, qui ont été rajoutées au projet de loi par le Comité de l'industrie, et plus précisément sur le projet d'article 75, qui permet de délivrer une ordonnance en cas de refus de vendre. Désormais, les particuliers, et non pas seulement le commissaire, pourront ainsi demander à obtenir une telle ordonnance. L'important ici, c'est que jusqu'à présent rien n'oblige, pour obtenir une telle ordonnance, que l'on apporte la preuve que ce refus d'approvisionnement ou de vente entraîne un préjudice notable pour la concurrence. Nous avons fait valoir au Comité de l'industrie qu'il convient d'exiger la preuve, avant que l'on ne puisse délivrer une telle ordonnance, que ces agissements ont largement porté préjudice à la concurrence. Le problème ne s'est pas posé jusqu'à présent parce que le commissaire a uniquement invoqué ce pouvoir lorsqu'il y avait un effet préjudiciable sur la concurrence.

Pour répondre en partie à nos objections et à celles d'autres intervenants, le projet de loi a été amendé afin d'indiquer qu'il faut un effet préjudiciable sur la concurrence. Toutefois, il est très simple de prouver qu'il y a eu un effet préjudiciable sur la concurrence. Le critère retenu par la loi dans les affaires civiles revient à exiger que l'on ait nettement affaibli ou gêné la concurrence. Par conséquent, nous préconisons que le critère retenu soit rendu plus strict et que, sans se contenter qu'il y ait eu un effet préjudiciable sur la concurrence, on exige que cet effet ait été substantiel.

Pour que les honorables sénateurs se rendent compte de la situation, on pourrait prendre l'exemple d'un distributeur écarté d'un réseau de distribution, qui pourrait alléguer que l'on réduit ainsi le nombre de concurrents, alors qu'il s'agit peut-être tout simplement de mettre en place une structure de distribution plus efficace et, en fait, favorable à la concurrence. Nous préconisons ici que l'on rajoute le terme «substantiel».

Le sénateur Meighen: Monsieur Kennish, de nombreuses personnes vous consultent et certaines d'entre elles paient même pour avoir votre avis. Bien sûr, je n'ai pas à le faire aujourd'hui. Je vous serais très reconnaissant de nous donner votre avis personnel en oubliant que vous êtes un délégué de section.

M. Kennish: Le président pourrait-il me rappeler sur quel point il souhaite précisément avoir une réponse?

Le président: Le paragraphe 104(1) confère au commissaire le droit d'obtenir une ordonnance ex parte sans rien avoir à prouver. Il suffit qu'à son avis les agissements soient contestables. Certains honorables sénateurs en ont conclu que ce n'était pas une bonne chose.

M. Kennish: Je partage vos préoccupations sur ce point.

Le président: Je suis quelque peu abasourdi de voir que cela ne figure pas dans votre mémoire.

M. Kennish: Je ne peux pas vous dire pourquoi ce point précis n'y figure pas.

Le président: Je ne vous demande pas de vous exprimer sur ce point. Je vous dis simplement quelle est ma réaction.

Le sénateur Tkachuk: Que répondez-vous?

M. Kennish: Je dis comme vous que ce critère n'est pas assez exigeant. Il y a là une procédure qui va se poursuivre pendant un certain temps et l'intimé doit réagir à une demande sans que le dossier soit éventuellement très solide.

Le sénateur Meighen: Vous avez évoqué assez longuement, de manière plutôt critique, le paragraphe 79(3.1). Cet article a été déposé après la présentation de votre mémoire; c'est bien ça? Certains parlent de «disposition Air Canada».

M. Kennish: Oui, c'est bien ça. Le Comité de l'industrie l'a ajouté au projet de loi après notre déposition, et celle d'autres intervenant, devant le comité, et avant que nous ayons eu la possibilité d'en dire davantage sur la question.

Le sénateur Meighen: Pouvez-vous dire à notre comité pour quelle raison cette disposition a été rajoutée à ce moment-là et si on l'a fait à la suite des témoignages qui ont été entendus?

M. Kennish: Je n'ai aucun renseignement à ce sujet.

[Français]

Le sénateur Poulin: J'aimerais remercier nos trois témoins d'être ici aujourd'hui. Comme vous le savez, nous nous penchons de façon sérieuse sur ces changements proposés aux deux lois régissant la compétition au Canada.

Monsieur Addy, si j'ai bien compris, vous avez déjà été commissaire au Bureau de la compétition?

M. Addy: C'est juste.

Le sénateur Poulin: De quelle année à quelle année?

M. Addy: J'ai géré la Direction des revues de fusionnement entre 1989 et 1993. Puis, en 1993, je suis devenu ce qui était à l'époque directeur des enquêtes et recherches jusqu'en 1996.

Le sénateur Poulin: S'agit-il des mêmes rôles et responsabilités que le commissaire assume aujourd'hui?

M. Addy: Oui.

Le sénateur Poulin: C'est le titre qui a changé en 1996?

M. Addy: Oui.

Le sénateur Poulin: Si je comprends bien, vous pratiquez aujourd'hui le droit commercial?

M. Addy: Oui, je suis retourné à la pratique du droit.

Le sénateur Poulin: J'aimerais comprendre un peu la philosophie de gouvernance du commissaire.

[Traduction]

J'aimerais vraiment que vous compreniez notre point de vue sur certaines questions que nous avons évoquées ces dernières semaines, notamment sur les questions de préjudice causé à la concurrence, de perte de part de marché par une entreprise, de perte de recettes pour une entreprise, de rendement structurel et de possibilité de contester les marchés. Dans votre exposé, vous avez fait remarquer que ces changements apportés à la loi actuelle nous faisaient privilégier les concurrents par rapport à la concurrence. J'aimerais savoir quels sont les principes que vous souhaitez appliquer.

M. Addy: Selon ma conception, si vous voulez, du rôle du commissaire, il s'agit d'un fonctionnaire public qui s'efforce, dans l'intérêt public, de faire appliquer la loi traitant de la dynamique du marché.

Je considère moins le commissaire comme un chef d'équipe que comme un garde-frontière. Il est là pour faire respecter la frontière entre ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas.

Je ne pense pas que le commissaire ou son bureau, quelles que soient les bonnes intentions et la quantité de travail que l'on a pu constater à l'époque et que l'on constate encore aujourd'hui, puisse être suffisamment spécialisé dans tous les secteurs de l'économie pour être plus au fait de la question que les personnes qui sont tous les jours impliquées dans des activités commerciales.

C'est un point de vue global, et M. Kennish a fait état d'une des dispositions précises. Les dispositions précisément axées sur un secteur ou sur des circonstances particulières dans lesquelles peut se trouver un concurrent donné à un moment précis placent le commissaire et le bureau dans une situation très délicate. Il est très difficile de ne pas prendre une mauvaise décision.

L'une des grandes difficultés de ce travail, c'est d'essayer de bien tracer la ligne de démarcation entre le jeu des forces du marché et les relations entre les différents intervenants. Certains concurrents arrivent sur le marché et disparaissent. D'autres perdent des parts de marché; ils perdent de l'argent. Ils ne peuvent plus être rentables sur le marché. C'est ainsi qu'opèrent les marchés concurrentiels.

Dans cette situation, il faut toujours s'assurer que l'on se place dans le droit fil de la dynamique de l'offre et de la demande, par opposition aux différentes stratégies propres à chacun des intervenants.

Le sénateur Poulin: En votre qualité de commissaire, êtes-vous préoccupé par le fait que votre information soit limitée?

M. Addy: Pas spécialement. Tout dépend ce que l'on entend par «information limitée».

Il y a toujours eu des façons d'obtenir l'information. Si l'on réfléchit bien à la question et si l'on généralise, il faut bien avouer que toutes les données sont lacunaires. Nous l'avons vu à la suite de l'affaire Enron, des états financiers jugés fidèles par l'opinion publique peuvent se révéler très imprécis et peu pertinents. Il y a toujours des problèmes avec les statistiques.

Est-ce que j'ai déjà eu le sentiment de n'être pas suffisamment informé pour faire mon travail? Non.

Le sénateur Poulin: Comment faisiez-vous la distinction entre une perte de recettes liée au jeu normal de la concurrence et une perte de recettes découlant d'un comportement contraire à la concurrence? Estimez-vous que nous devrions nous inquiéter du manque à gagner d'une entreprise ou d'un secteur d'activité en particulier?

M. Addy: On ne devrait pas chercher à examiner les pertes de recettes jusque dans le moindre détail. C'est peut-être le signe que l'entreprise n'est tout simplement plus concurrentielle. Elle ne réussit peut-être plus à aller chercher l'argent de ses clients et elle en subit les conséquences.

Par contre, elle peut aussi être la victime d'abus d'une position dominante. Il faut relever ses manches, aller au fond des choses et prendre la meilleure décision possible. Voilà justement en quoi consiste le travail.

Le sénateur Tkachuk: J'aimerais enchaîner sur la disposition Air Canada et évoquer ensuite une ou deux autres questions.

Ce projet de loi devrait viser à maintenir la concurrence. Je suis quelque peu préoccupé par certaines de ses dispositions, par les pénalités imposées et par l'obligation d'agir de la part du commissaire.

Parallèlement, nous avons ici un monopole. Air Canada, pour des raisons quelconques de politique, est devenue le principal opérateur dans notre pays. Estimez-vous qu'il convient de prendre des dispositions dans la Loi sur la concurrence pour remédier à cet état de chose?

Comment préserver la concurrence lorsqu'une entreprise occupe à elle seule 85 p. 100 du marché? Je considère que c'est la politique du gouvernement qui a créé cette situation. Comment y remédier?

M. Addy: À vous parler franchement, je n'aime pas le paragraphe 104(1). Je ne pense pas qu'il incombe au commissaire de devenir le responsable de la réglementation des sociétés de transport aérien et j'ai peur que ce soit là où nous mène le régime actuel.

Traditionnellement, nous avons au Canada des marchés qui ne sont pas concurrentiels en raison des dictas politiques ou d'autres formes de réglementation. Nous le constatons dans les télécommunications et dans d'autres secteurs comme celui des oléoducs. Ce n'est pas à moi à prendre en la matière des décisions politiques.

Toutefois, lorsque je vois le fardeau que représente pour les ressources et le personnel du commissaire le fait d'essayer de régler le problème posé par Air Canada dans des actions intentées devant le tribunal, en s'efforçant de devenir un spécialiste de l'établissement du prix des transports aériens — qu'est-ce qu'un coût que l'on peut éviter, quel est le rythme d'amortisation acceptable des appareils, le taux de rotation s'appliquant à leur reconditionnement et autres paramètres de ce type — j'ai l'impression que le bureau n'est pas à sa place lorsqu'on entre dans ce genre de détail. Pour rester tout simplement au courant de ce qui se passe, il est bien certain qu'il lui faut y consacrer des ressources considérables.

Le sénateur Tkachuk: Je le regrette aussi pour lui mais, d'un autre côté, il y a le problème qui se pose pour la concurrence dans une économie de marché. Les Américains ont cassé une société de téléphone jouissant d'un monopole en — je ne sais plus combien — cinq ou six morceaux, parce qu'ils considéraient que ce n'était plus dans l'intérêt du consommateur.

Air Canada — et nous avons parlé de risque moral en ce qui a trait aux banques — domine tellement son marché qu'elle peut se présenter en considérant, j'imagine, qu'elle peut mettre en faillite ses concurrents, même si elle perd de l'argent ce faisant, parce que le gouvernement va la remettre à flot. Si c'est la façon dont elle raisonne — et je pense que nous sommes tous convaincus que le gouvernement ne laissera pas Air Canada faire faillite — sa direction va adopter ce genre de comportement. Cela place WestJet et d'autres petites entreprises dans une situation très précaire étant donné qu'elles savent qu'à partir du moment où elles n'ont plus d'argent, c'est fini. Comment résoudre ce problème sans prendre des mesures extrêmes? C'est là la difficulté. Si l'on écarte ces dispositions, je sais ce qui va se passer.

M. Addy: Je vous répondrai en faisant deux observations. C'est un problème très complexe, vous le reconnaissez. Tout d'abord, la position d'Air Canada sur le marché actuel est en partie renforcée par d'autres politiques qui protègent ce marché. Le bureau a pris l'habitude de se pencher sur les marchés commerciaux et sur le flux des échanges pour définir le marché géographique.

La frontière a été artificiellement limités dans le secteur du transport aérien en raison des politiques qui interdisent les vols assurant la liaison au plan national. Ainsi, d'autres concurrents pouvaient être intéressés à offrir un service. Il se pourrait qu'American Airlines souhaite organiser des vols sur le trajet Toronto-Vancouver pour concurrencer Air Canada. Comment le savoir? Toutefois, en raison de décisions politiques, la concurrence sur le marché a été artificiellement limitée à la frontière. Il faut bien voir que l'on ne peut pas comparer cette situation à celle d'un marché totalement libre au sein duquel une entreprise serait progressivement parvenue à acquérir 85 p. 100 des parts de marché.

Le deuxième argument porte sur la confusion des rôles que nous faisons désormais jouer au commissaire et à son personnel. Grâce au pouvoir d'imposer la cessation d'une activité, par exemple, le commissaire est désormais enquêteur, juge et jury. Je vous avoue bien franchement que je n'aimerais pas être placé dans une telle situation.

D'aucuns ont soutenu que nous avions besoin de cette possibilité de recours en raison du caractère d'urgence. Je n'accepte pas cet argument parce que l'on peut toujours obtenir une injonction provisoire. Cela se fait quotidiennement dans les tribunaux de notre pays avec un préavis d'un jour. Nous pouvons toujours maintenir un équilibre grâce au contrôle judiciaire dont je suis très partisan, je vous l'avoue, et qu'à mon avis nous apprécions tous dans le cadre de notre système d'administration de la justice.

Le sénateur Tkachuk: Au sujet du régime d'entraide juridique, vous nous donnez à la page 4 de votre mémoire l'exemple de Bombardier et d'une société brésilienne et vous poursuivez en ces termes: «Si vous êtes interrogé par un juge, qui peut être étranger...». Comment cela se fait-il? Est-ce que l'on fait venir cet homme ou cette femme en avion?

M. Addy: Il y a une disposition qui autorise que l'on témoigne devant un juge étranger. C'est de cette manière que l'on peut trancher sur-le-champ les objections qui sont faites aux questions posées.

Le sénateur Tkachuk: Est-ce que le projet de loi s'applique aux ententes passées entre les pays? Est-ce qu'il sert de guide et de la loi encadrant l'entente? Comment cela se passe-t-il lorsque les lois du pays étranger sont éventuellement totalement contraires aux nôtres?

M. Addy: Devant le comité des Communes, le commissaire a déposé un modèle d'entente. Le procureur général, qui est le responsable chargé de négocier ce genre de choses, analysera le droit étranger et déterminera aux termes du projet d'article 30 s'il est «essentiellement le même» que le droit canadien. Ce faisant, il se demandera par exemple: à quoi ressemble le droit des fusions? En quoi consistent les dispositions portant sur les abus ou le monopole? Y a-t-il des dispositions pénales et, dans l'affirmative, s'apparentent-elles à celles de notre droit? Si elles sont essentiellement les mêmes que les nôtres, il s'entendra avec cet État pour collaborer et communiquer l'information.

Ce que je tenais à signaler, c'est qu'à partir du moment où nous considérons qu'une pratique ne relève pas du droit pénal alors qu'un autre pays considère que c'est le cas, je pense alors que les disparités sont suffisantes pour que nous n'autorisions pas le recours à des mesures contraignantes à l'encontre de Canadiens au Canada.

Le sénateur Kroft: J'aimerais aborder deux ou trois domaines. Le premier a trait à cette «disposition Air Canada», le projet d'article 104 au sujet duquel vous nous avez donné sans ambages votre point de vue, monsieur Addy. J'allais chercher à trier différentes dispositions pour essayer de garder quelque chose d'un concept qui me paraît par ailleurs difficile à accepter, mais j'ai en fait tendance à vous poser une question directe en partant de vos observations. Est-il nécessaire que nous procédions ainsi?

Je considère que cette disposition comporte deux grandes failles. Il y a tout d'abord ce que vous avez appelé, je pense, les «patrouilles aux frontières», ce qui revient essentiellement à dire qu'une mesure de police ne remplace pas un cadre de réglementation. Vous serez peut-être rassuré de savoir, ou peut-être pas, que lorsque j'ai demandé au commissaire actuel s'il estimait pouvoir assurer un jour la stabilité du marché en vertu des seuls pouvoirs dont il disposait aux termes de ce projet de loi, il m'a répondu que non. Je ne pense pas que votre avis soit très différent. Il n'en reste pas moins qu'il se présente pour défendre cet article alors que vous en êtes le critique sévère.

Êtes-vous prêt à dire avec moi qu'en raison à la fois du fait qu'il ne s'agit pas d'une bonne politique visant à la mise en place du cadre de réglementation nécessaire et que l'on accorde par ailleurs des pouvoirs sans contrôle au commissaire, ce mécanisme est faussé à la base? Je crois que vous avez déclaré que vous ne vous sentiez pas à l'aise à ce sujet. Si on retire à cet article son objectif ainsi que les techniques d'application, il n'en reste pas grand-chose selon l'interprétation que j'en fais.

M. Addy: On pourrait régler le problème. La meilleure façon de procéder, à mon avis, sur le plan des politiques publiques et compte tenu du degré de compétence, de connaissances et de familiarité avec la question qui est exigée par le contrôle du secteur des transports aériens, c'est de confier cette question à l'Office des transports du Canada.

Si on continue à la faire relever de la Loi sur la concurrence, un problème plus large se pose qu'ont évoqué M. Kennish et l'ABC: jusqu'à quel point veut-on que cette loi-cadre contienne des dispositions qui s'appliquent à un secteur en particulier? Cela mis à part, si l'on se donne pour objectif de conserver des dispositions dans la Loi sur la concurrence, je préconise que ces pouvoirs ne soient pas confiés au bureau du commissaire. Il faudrait plutôt que le commissaire soit habilité à demander une ordonnance et qu'il lui faille s'adresser au Tribunal de la concurrence, sans pouvoir la délivrer lui-même.

Le sénateur Kroft: Je vous remercie de votre analyse. Elle était très claire.

J'en viens maintenant à l'entraide juridique. J'en garde une impression assez confuse étant donné que vous avez déclaré au départ qu'il était important de passer des ententes de ce type, mais vous nous avez donné ensuite un exemple qui m'a paru assez aberrant. Je ne sais pas si vous forciez la mesure pour bien vous faire comprendre ou si c'est une chose qui peut raisonnablement arriver. J'ai l'impression que c'est la deuxième hypothèse que vous retenez. Ce n'est pas un exemple purement sorti de votre imagination, mais quelque chose qui, à votre avis, peut logiquement survenir.

Étant donné tous les risques que vous avez évoqués, avez-vous le sentiment que nous pourrions trouver les moyens d'améliorer cette disposition et de retirer tout ce qui peut s'opposer à l'application régulière de la loi, mettre indûment en cause des tiers et autres inconvénients de ce type — sans parler de la nécessité de tenir compte de ce qui relève du droit pénal dans un autre pays et non pas dans le nôtre? Cette question fondamentale me préoccupe. Lorsque je vous suis bien et si je retire toutes les dispositions qui vous inquiètent, je vois difficilement ce qui nous reste. Est-ce que l'on peut garder quelque chose quant au fond?

M. Addy: On peut garder beaucoup de choses. J'ai pris cet exemple pour illustrer les failles du régime. Dans le mémoire que j'ai présenté au comité de la Chambre, j'ai fait figurer un tableau, que j'ai laissé au greffier, indiquant article par article quels sont les changements que l'on pourrait apporter à ce régime.

Le problème fondamental, je vous l'avoue, est celui que vous avez souligné — les dispositions pénales s'opposant aux dispositions civiles et l'absence de notification. Lorsque nous avons affaire à un comportement relevant du droit civil, je ne vois pas pourquoi nous n'appliquerions pas notre procédure normale permettant de notifier les parties susceptibles de faire l'objet de ces ordonnances en leur signifiant que le commissaire s'apprête à réclamer une ordonnance de ce type auprès du tribunal et qu'il va être autorisé à être entendu par celui-ci. Les requêtes ex parte devraient être l'exception et non pas la norme. Il est tout à fait possible de remédier à cette difficulté.

Le sénateur Kroft: J'aimerais évoquer un autre aspect de la question. Prenons l'exemple des États-Unis, parce que c'est éventuellement le plus logique et celui sur lequel nous devons nous appesantir. Dans un recours civil pur et simple — une poursuite intentée par des intérêts privés en cas d'allégation d'abus de position dominante — y a-t-il un lien avec ces droits de recueillir l'information? Est-ce que ces droits ne s'appliquent en quelque sorte qu'à un organisme étranger et non pas aux particuliers qui intentent des poursuites civiles?

M. Addy: Les dispositions du projet de loi C-23 limitent le recours à cette information par l'organisme étranger à ses propres activités. Il n'est même pas censé la communiquer à d'autres ministères de ce gouvernement étranger. Les particuliers qui sont parties au procès ne doivent pas avoir accès à cette information. C'est là ce qui est prévu.

C'est pourquoi je considère qu'il serait préférable de débattre pleinement de toutes les questions devant un arbitre impartial, éventuellement devant un juge. L'intimé — la partie qui fait éventuellement l'objet de cette ordonnance — pourra se lever et dire: «Votre honneur, c'est le gouvernement de tel pays qui présente cette demande et nous savons qu'il y a d'énormes fuites dans ses services. Nous sommes en pleine guerre commerciale avec une société d'État de ce pays et, en tant qu'intimé, je suis quelque peu préoccupé par ce qu'il pourrait advenir des renseignements confidentiels sur ma société s'ils étaient transmis à l'étranger.» Dans un tel exemple, si l'on envoyait une notification aux parties, elles pourraient au moins avoir la possibilité de soulever ce genre de problème.

J'ai proposé que l'on rajoute la notion d'intérêt public parce que même les Américains appliquent en toute occasion des réserves au nom de la «sécurité nationale». Les Américains ont même prévu la possibilité de se désengager des ententes signées en vertu de leur Loi sur l'aide apportée à l'échelle internationale en matière d'application de la législation anticoalitions. Nous n'avons pas l'équivalent. Si au cours d'une audience un responsable pouvait se prononcer sur les questions des politiques publiques ou de l'intérêt national — lors des rondes de consultations antérieures, on a proposé que ce soit le procureur général, par opposition au commissaire à la concurrence — ce serait là aussi utile.

Le sénateur Kroft: Vous n'avez absolument pas abordé les dispositions du projet de loi touchant les recours privés. Je me demande quelle est votre opinion à ce sujet.

M. Addy: J'ai fait la preuve que j'étais en faveur des recours privés, lorsque j'ai proposé l'adoption de cette disposition lors de la ronde de 1995. On ne s'est pas entendu sur la question à l'époque et l'on en a reporté l'étude et l'analyse à plus tard. Elle est aujourd'hui remise sur le tapis.

J'étais commissaire lorsque j'ai envisagé pour la première fois les recours privés, et je me suis attelé à la question du manque de ressources. J'ai considéré, par exemple, qu'il n'était pas utile de dépenser des fonds publics pour financer un conflit entre deux multinationales disposant de beaucoup d'argent. Pourquoi ne s'adresseraient-elles pas directement au tribunal sans se faire financer par le Trésor public? Voilà quelle était ma grande motivation lorsque j'ai évoqué la question à l'époque.

Si je comprends bien, ce que l'on souhaite aujourd'hui, c'est faire en sorte que les petites ou les moyennes entreprises qui ont l'impression que le bureau du commissaire se désintéresse d'elles puissent agir elles-mêmes. Je ne suis pas convaincu, mais je pense que l'on peut tenter l'aventure.

Je vous avoue franchement que je ne suis pas persuadé que ce soit le bon moyen d'agir. Les poursuites coûtent cher. Si une petite entreprise souhaite, par exemple, poursuivre un gros fournisseur lors d'un recours privé, ce sera très onéreux. Je ne suis pas convaincu qu'il y aura de nombreuses poursuites.

Le sénateur Kroft: Les recours privés donnent des résultats dans un milieu particulier. Je viens du Manitoba et je ne sais pas quelles sont les dispositions des Barreaux du Québec ou de l'Ontario qui régissent les conventions de versement d'honoraires en fonction des résultats. Bien évidemment, dans un recours purement civil, lorsque des dommages- intérêts peuvent être accordés, c'est un facteur qui a son importance. Pouvez-vous me dire quelle est la façon de procéder en Ontario?

M. Addy: Sur le plan civil, il est possible de verser des honoraires en fonction des résultats ou d'intenter des recours collectifs, mais pas dans le cadre de ce projet de loi.

Le sénateur Kroft: Je ne savais pas s'il était possible de passer des ententes de versements d'honoraires en fonction des résultats dans ces provinces et vous avez répondu à ma question.

M. Kennish: Si vous me le permettez, la question des recours privés ne fait pas l'unanimité au sein du barreau et nous n'avons pas réussi à parvenir à une entente. Je dirais que la moitié des professionnels qui se sont penchés sur la question estiment que les recours intentés pour des raisons stratégiques risquent de poser de gros problèmes qu'il ne serait pas possible de régler par des dispositions pertinentes ou en prenant des précautions. D'autres ont le sentiment que des mesures appropriées existent et qu'il est possible de se protéger.

Il y a dans le projet de loi actuel des mesures de protection qui remédient aux préoccupations qui ont été exprimées. Les avis continuent à être partagés concernant l'utilité de faire figurer ces dispositions dans le projet de loi. La seule mention que nous avons jugé important d'ajouter consiste à exiger que la concurrence ait été nettement affectée avant qu'une ordonnance ne puisse être délivrée au titre du projet d'article 75. J'ai évoqué ce point précédemment.

Le sénateur Kelleher: Quelles sont les autres cas où cette Loi sur la concurrence sert à réglementer des secteurs d'activité donnés? Est-ce que cette espèce «d'intrusion» dans le secteur du transport aérien est assez inhabituelle?

M. Addy: Oui et non, en ce sens que je ne me souviens pas d'un autre cas — c'est peut-être différent pour M. Kennish — où certaines dispositions aient visé spécialement un secteur en particulier. Il y a cependant des dispositions qui exemptent certains secteurs d'activité de l'application de la loi, ainsi les pêches, les sports professionnels et, plus récemment, les agents de voyage.

M. Kennish: Il y a en quelque sorte pour les agents de voyage une disposition qui fait pendant à celles qui s'appliquent au transport aérien.

Le sénateur Kelleher: Pensez-vous qu'il soit approprié pour le gouvernement d'insérer dans ce projet de loi des dispositions précises s'appliquant à des secteurs d'activité en particulier? D'après vos réponses précédentes, j'en déduis que cette idée ne vous enchante pas.

M. Addy: Vous avez raison; elle ne m'enchante pas du tout.

M. Kennish: Je vous ai indiqué tout à l'heure que nous nous y sommes précisément opposés à un certain nombre de reprises. L'article 104 figure déjà dans la loi. On en étend les dispositions en ajoutant les conséquences liées aux sanctions administratives. Nous espérons qu'il n'y aura aucune autre extension de ce genre de disposition.

Le sénateur Kelleher: Monsieur Addy, M. Kennish nous a fait part de ses préoccupations en nous disant qu'au moment où il est intervenu devant le comité, un certain nombre d'amendements qui ont été insérés plus tard dans le projet de loi n'y figuraient pas, ce qui l'a empêché de donner son opinion à ce sujet devant le comité de la Chambre. Avez-vous été confronté à la même situation?

M. Addy: On m'a pratiquement posé les mêmes questions qu'aujourd'hui sur les recours privés et j'ai donné les mêmes réponses. Mon mémoire a été remis au comité de la Chambre avant que cette question ne soit évoquée. J'ai effectivement eu la possibilité d'en parler et je suis au fait de la question depuis le milieu des années 90. Je n'ai pas eu de mal à en parler avec le comité.

Le sénateur Kelleher: Quand j'entends dire que lors du déroulement de la procédure législative, on voit soudainement apparaître à la dernière minute, venant apparemment de nulle part, ce genre d'amendement, je pense qu'avant que je puisse aborder ce problème, il est utile que je m'interroge sur les raisons qui ont motivé cette opération. Pouvez-vous me dire ce qui a motivé ces amendements de dernière minute? Il faut qu'il y ait une raison quelque part. On peut penser que certaines personnes ont senti une inquiétude et ont voulu remédier à certains maux. Quelqu'un peut-il me dire quelle était la raison de ces amendements au départ? Qu'a-t-on voulu corriger?

M. Addy: Il serait préférable de poser la question aux députés du comité de la Chambre, car ce sont eux qui ont proposé ces mesures.

Le sénateur Kelleher: J'aimerais bien savoir quelle est votre réponse.

M. Addy: Je crois comprendre que certains secteurs de la société canadienne avaient l'impression de ne pas recevoir toute l'attention nécessaire de la part du commissaire. Par conséquent, ils voulaient avoir le droit de saisir eux-mêmes le tribunal — c'est tout.

Le sénateur Kelleher: C'est la question des recours privés.

M. Addy: Effectivement.

Le sénateur Kelleher: Et en ce qui concerne les autres amendements apportés aux articles 103 et 104?

M. Addy: Je ne peux vraiment pas vous répondre sur ce point. Des amendes administratives ont été prévues au départ. Je crois savoir que ce principe se retrouve assez fréquemment dans la loi canadienne. À l'heure actuelle, Parcs Canada impose des amendes administratives. Nous avons prévu dans la loi des amendes administratives s'appliquant aux téléachats ou à ce que nous appelions auparavant la «publicité trompeuse». Je n'arrive pas à me rappeler, je vous l'avoue, à quel moment cette disposition est intervenue dans la procédure ayant mené au dépôt de ce projet de loi.

Le sénateur Kelleher: Nombre de membres du comité sont préoccupés après avoir entendu les exposés de cet après- midi et ceux de l'autre jour. En tant qu'avocat, je me demande parfois si le projet de loi qui est présenté au comité est amendable. Est-il possible de remédier aux principales préoccupations sans procéder à une refonte fastidieuse de tout le projet de loi?

M. Addy: Tout dépend de ce que vous entendez par «fastidieux». J'ai présenté des propositions article par article. Pour ce qui est de l'entraide juridique, il s'agit d'amender la disposition prévoyant que les demandes seront délivrées ex parte et de s'assurer, dans toutes les nouvelles dispositions s'appliquant à l'entraide juridique dans le projet de loi, que la procédure sera notifiée aux parties risquant d'être affectées. Je ne pense pas que ce soit là une véritable refonte.

Quant à l'article 104.1, je laisse aux honorables sénateurs le soin de juger s'il peut être ou non amendé.

Le sénateur Kelleher: Aux yeux d'un avocat, est-ce que cela exigerait — sans vouloir nous demander s'il convient de le faire ou non — une refonte considérable, ou s'agirait-il simplement d'apporter quelques amendements?

M. Addy: J'ai pris connaissance de certains mémoires qui ont été présentés en ces lieux. J'ai lu par exemple le mémoire qui a été déposé, je crois, par la Chambre de commerce du Canada au sujet de l'article 103. Elle proposait de modifier le critère de façon à exiger qu'il y ait eu une diminution substantielle ou une suppression de la concurrence, reprenant ainsi le critère relatif au marché qui apparaît par ailleurs dans la loi pour l'adapter à cet article. Je ne pense pas que ce soit là une tâche fastidieuse, mais il y a cependant ici un principe en jeu sur lequel il vous faut vous prononcer.

Le sénateur Kelleher: Je le comprends. J'essaie de rapprocher les principes de la formulation effective. Pour une simple mentalité de juriste comme la mienne, la tâche me semble bien fastidieuse. Ainsi, selon vous, cela n'exigerait pas une grosse refonte?

M. Addy: Je pense que ça peut se faire.

Le sénateur Kelleher: Le projet de loi est donc amendable?

M. Addy: Je considère qu'aucun des défauts que nous avons relevés n'est irréparable.

Le sénateur Furey: J'ai une question à vous poser au sujet des recours privés et du critère relatif aux effets sur la concurrence. Pensez-vous qu'il serait bon de durcir le critère en exigeant une limitation substantielle de la concurrence et non pas un simple préjudice? Estimez-vous que ce serait une bonne chose en ce qui concerne les recours privés?

M. Addy: C'est conforme à ma conception de cette loi-cadre. La loi devrait s'attacher à remédier aux répercussions sur l'ensemble du marché et non pas aux effets limités. Si vous ramenez l'intervention à l'échelle individuelle, vous vous attachez à des litiges qui ne sont pas différents de ceux que l'on voit tous les jours dans les tribunaux.

Le sénateur Furey: Est-ce qu'en imposant le critère d'un affaiblissement substantiel de la concurrence on placerait la barre trop haut pour les recours privés?

M. Addy: C'est difficile à dire sans exemple précis.

Le sénateur Furey: Estimez-vous que le critère d'un simple préjudice causé à la concurrence n'est pas assez strict jusqu'à un certain point?

M. Addy: Il n'est peut-être pas assez strict. M. Kennish a pris l'exemple de la distribution. Si une entreprise fait appel à des tiers pour distribuer ses produits et si pour des raisons d'efficacité, qui est l'un des objectifs de la législation, elle décide de procéder elle-même à la distribution de ses produits, tous ces distributeurs pourraient faire appel à la loi. Ils seraient considérés comme des concurrents ayant disparu du marché, ce qui aurait des effets pernicieux.

Sur le plan de l'efficacité, l'opération resterait une bonne chose, mais il n'en reste pas moins que les distributeurs pourraient quand même intenter un recours. Est-ce cela que nous voulons?

Le président: Vous êtes tous deux en faveur d'un réexamen au bout de cinq ans?

M. Addy: Oui, j'y serais favorable. Lorsque nous avons rencontré le ministre de l'industrie de l'époque, nous avons procédé à cette opération en 1995, parce que nous avons pris l'habitude de revoir cette loi tous les dix ans. Il faut des années pour procéder à des modifications. Nous voulions pouvoir disposer d'un modèle permanent permettant d'améliorer constamment la loi. Un mécanisme de révision périodique, que ce soit tous les trois ou cinq ans, est une bonne chose.

M. Kennish: Nous sommes tout à fait en faveur d'un examen et d'une révision périodique de cette loi. Nous avons récemment rencontré le commissaire et les membres de la haute direction pour leur présenter, compte tenu de notre expérience, nos recommandations de changements devant être apportés à la loi.

Nous avons instauré un dialogue en ce qui a trait aux amendements souhaités. Nous n'avons pas proposé que cette révision ait lieu tous les cinq ans, mais nous voulons tous améliorer de façon tangible la procédure législative.

Le président: Je vous remercie de votre intervention. Nous reprendrons nos séances à 10 heures demain matin.

Le comité lève la séance.


Haut de page