Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 35 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 20 mars 2002
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, auquel a été renvoyé le projet de loi C-23, Loi modifiant la Loi sur la concurrence et la Loi sur le Tribunal de la concurrence, se réunit aujourd'hui à 15 h 50 pour examiner le projet de loi.
Le sénateur E. Leo Kolber (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, nous allons entendre cet après-midi quatre témoins au sujet du projet de loi C- 23. Les deux premiers, M. John Baker et M. Stephen Markey, représentent Air Canada.
Messieurs, soyez les bienvenus. Vous avez la parole.
M. John Baker, premier vice-président et conseiller juridique général, Air Canada: Monsieur le président, honorables sénateurs, nous nous réjouissons d'être ici aujourd'hui. Soyez assurés que nous comprenons et respectons l'échéancier strict que vous devez respecter et souhaitons répondre à vos questions le plus tôt possible. Néanmoins, étant donné que nous en sommes à notre première occasion officielle d'aborder quelques-unes des propositions qui ont été déposées devant nous, nous sollicitons votre indulgence pendant tout le temps que nous allons faire notre exposé.
En préparation de notre comparution, nous avons fait parvenir aux membres de votre comité une soumission détaillée cherchant à offrir des suggestions constructives pour l'amélioration de la loi. Nous allons souvent nous reporter à ce document dans le cadre de nos discussions d'aujourd'hui, mais il ne sera pas consigné dans votre procès- verbal car je n'en ferai pas la lecture intégrale.
Monsieur le président, en guise de préambule, je me permets de vous faire remarquer que certaines des dispositions de la Loi sur la concurrence appliquées par le Commissaire à la concurrence, dont celles qui vous sont présentées aujourd'hui, marquent un net et dangereux retour vers la reréglementation du secteur du transport aérien au Canada et, en particulier, d'Air Canada. Ce retour semble aller à contre-courant de l'intention de déréglementer l'industrie qui a été la marque de la politique en matière de transport aérien des dernières années, et de la tendance dans le reste du monde.
Passons maintenant à l'étude du projet de loi. Comme vous le savez, le projet de loi C-23 a été déposé pour la première fois à la Chambre des communes, sans acception visant le fond, le 4 avril 2001, dans le cadre d'une révision générale de la politique et de la Loi sur la concurrence. Nous avons comparu en novembre 2001 devant le Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie de la Chambre des communes. Cependant, ce n'est qu'immédiatement avant cette audience que nous avons été informés que le Commissaire à la concurrence comptait introduire certains des amendements qui sont devant vous aujourd'hui, selon la proposition de WestJet, notre principal concurrent. Aucune information sur les propositions n'était accessible au public lors de notre comparution. Donc, attendu que nous n'avons pas été consultés pour l'élaboration de ces propositions de dernière minute et que certaines des dispositions essentielles du projet de loi nous concernent presque exclusivement, nous vous sommes doublement reconnaissants de nous accorder cet après-midi l'occasion d'exprimer nos inquiétudes.
Nous sommes d'avis que le commissaire à la concurrence a des pouvoirs très étendus en vertu de la Loi sur la concurrence, surtout si elle est amendée par l'ajout de l'article 103.3, pour sanctionner les comportements anticoncurrentiels dans tout secteur d'activité. Il n'est pas nécessaire d'accorder un traitement différent à Air Canada ou d'introduire d'autres dispositions portant uniquement sur les transporteurs aériens.
Les sujets qui sont primordiaux pour Air Canada sont de trois ordres: tout d'abord, la persistance et l'élargissement de la portée de l'article 104.1; ensuite, le besoin d'une approche plus nuancée à l'article 103.3; enfin, les sanctions pécuniaires administratives sans précédent proposées qui toucheraient seulement les transporteurs aériens.
En ce qui a trait à l'article 104.1, nous demandons que l'article soit supprimé en entier. L'article 103.3 introduit par le projet de loi C-23 permettra encore au commissaire de s'adresser rapidement au tribunal pour obtenir des ordonnances provisoires, tant contre Air Canada que contre tout autre intervenant sur le marché, sans avoir à donner de préavis à la partie faisant l'objet de l'ordonnance. Autrement dit, on procédera ex parte. Cette disposition soulève la question de l'équité de la procédure étant donné que l'on se demande pour quelle raison on devrait procéder ex parte, mais elle a au moins le mérite d'exiger que le Tribunal de la concurrence, un tiers indépendant, rende l'ordonnance. On s'assure ainsi qu'Air Canada reçoit le même traitement en vertu de la loi que quiconque.
Par conséquent, comme vous pouvez le constater, Air Canada n'est pas ici pour mettre en doute le besoin pour le commissaire d'obtenir une injonction au début d'une enquête. Nous reconnaissons cette nécessité.
Le commissaire a fait valoir qu'il avait besoin des pouvoirs extraordinaires que lui confère l'article 104.1 en raison du caractère unique de l'industrie du transport aérien. Ses arguments ne tiennent pas compte du fait que, selon l'article 103.3, il pourra dans les deux ou trois jours qui suivent le dépôt de la demande, s'adresser au tribunal afin d'obtenir une ordonnance provisoire. En bref, par rapport à l'article 104.1, l'article 103.3 ne prolongera le processus d'émission d'une ordonnance provisoire que de deux ou trois jours.
Le commissaire doit instituer une enquête et instruire la procédure. Au moment où il tire les conclusions nécessaires, il dispose, aux termes de l'article 104.1, du pouvoir discrétionnaire de prendre une décision immédiate. L'article 103.3 l'obligerait à s'adresser au tribunal pour que ce dernier prenne cette décision. Nous considérons, conformément aux avis d'experts que nous avons consultés, que cette démarche nécessitera un délai d'un, deux ou trois jours. Nous soutenons que ce délai négligeable est nécessaire pour garantir un principe fondamental d'équité, à savoir que les fonctions de procureur, de juge et de jury doivent demeurer distinctes, et pour qu'Air Canada ait les mêmes droits que quiconque en vertu de la loi. Nous offrons de plus amples renseignements sur cette question aux pages 10 à 14 de notre mémoire.
Comme nous l'avons mentionné, aucune discussion sur l'article 104.1 ne serait complète sans un examen de l'article 103.3. Nous sommes d'avis que certains aspects du pouvoir général proposé pour l'obtention d'injonctions provisoires d'urgence doivent aussi être modifiés. À ce sujet, nous faisons remarquer que d'autres témoins ayant comparu devant le présent comité, dont la Chambre de commerce du Canada, l'Association canadienne du Barreau et M. Stanley Wong, ont exprimé les mêmes préoccupations au sujet de l'article 103.3.
En résumé, notre principale préoccupation en ce qui a trait à l'article 103.3 porte sur le critère du préjudice. Nous estimons que la proposition de norme exigée du commissaire est beaucoup trop faible. Elle focalise sur le préjudice porté à des concurrents en particulier plutôt qu'à celui porté à la concurrence. La distinction est importante car le devoir du commissaire est de protéger la concurrence et non chacun des concurrents. Elle risque aussi d'atténuer la vigueur de la concurrence, question que vous avez déjà vous aussi évoquée dans vos délibérations, monsieur le président. Par définition, une concurrence vigoureuse influe naturellement sur les parts de marché et les bénéfices. Nous considérons que cela doit être protégé.
La norme que le commissaire doit respecter pour l'obtention d'une prorogation d'une ordonnance de «cesser et s'abstenir», soit l'ordonnance d'origine, nous inquiète elle aussi. Nous considérons qu'elle est trop faible. Nous faisons respectueusement valoir que des prorogations d'une durée indéterminée de la période de validité maximale, déjà très longue, de 80 jours, de l'ordonnance, devraient obliger le commissaire à respecter des normes ou des seuils plus stricts. Nous évoquons la question aux pages 15 à 19 de notre mémoire.
Pour ce qui est de la sanction pécuniaire administrative, nous arguons que l'amende proposée en fonction d'un comportement non criminel n'a aucun précédent dans la législation fédérale du Canada et qu'elle est répressive.
Nonobstant les déclarations qui vous ont été faites par le Commissaire à la concurrence, force m'est de constater qu'une amende pouvant atteindre 15 millions de dollars serait très répressive, notamment pour une entreprise qui vient tout juste de déclarer une perte annuelle de 1,25 milliard de dollars. Aux pages 20 et 21 de notre mémoire, nous avons énuméré différents exemples qui démontrent clairement que dans la législation fédérale, la norme actuelle pour les sanctions pécuniaires administratives varie de 5 000 $ à 200 000 $. Ces nouvelles sanctions, qui visent uniquement les transporteurs aériens, ne sont pas nécessaires et devraient être supprimées intégralement, comme l'ont demandé différents témoins ayant comparu devant vous.
Nous souhaiterions à présent vous faire part de quelques autres réflexions d'ordre plus général. Personne ne sera surpris de savoir que l'histoire de l'industrie du transport aérien au Canada est marquée par les regroupements. Si la fusion de Canadien avec Air Canada est bien connue des Canadiens et a, en fait, été le moteur de différentes propositions, notamment celle-ci, nous devons nous garder de réagir de façon exagérée en ce qui a trait aux politiques gouvernementales. Nous devons nous montrer réalistes et viser le long terme lorsque nous étudions les conséquences possibles des propositions contenues dans le projet de loi C-23 sur l'état du transport aérien et sur la place d'Air Canada au sein de ce dernier.
Des discussions sur notre part de marché ont été tenues devant le présent comité. Notre industrie est complexe et les statistiques sont souvent utilisées hors contexte. Il n'en reste pas moins que le recours à des données gonflées sur les parts de marché par notre principal concurrent pour justifier ses critiques incessantes à l'égard d'Air Canada est incontestablement preuve de mauvaise foi.
WestJet est un transporteur qui connaît beaucoup de succès, dont les bénéfices sont importants et la capitalisation boursière supérieure à la nôtre. Avec tout le respect que nous devons à WestJet, et nous respectons énormément cette société, il faut bien dire qu'elle n'a pas besoin de notre protection.
Air Canada est consciente de l'inquiétude légitime de bon nombre de Canadiens à propos de la vitalité de notre industrie. De nombreux événements expliquent les difficultés qu'éprouvent actuellement Air Canada, l'industrie et le gouvernement, notamment une fusion difficile et complexe, une baisse sans précédent du trafic pour les voyages d'affaires à rendement élevé et, bien entendu, la tragédie du 11 septembre.
Comme les autres intervenants, Air Canada a déployé d'immenses efforts pour résoudre ses propres problèmes. Fondamentalement, la Société s'est repositionnée afin de répondre au déplacement de la demande des consommateurs. Quelques-uns de nos projets ont soulevé des questions sur notre vision de l'avenir de l'industrie. La réalité, c'est que nous, ni personne d'autre d'ailleurs, ne disposons pas de boule de cristal qui nous permettrait de prédire l'avenir et de voir si nous pouvons faire face au déplacement actuel de la clientèle des transporteurs offrant des services complets vers un modèle à prestations simplifiées.
Dans ce contexte, nous redoublons d'efforts pour mettre en oeuvre des initiatives qui nous permettront d'offrir plus efficacement nos produits et services, à la fois pour répondre à la demande de nos clients et pour redevenir rentables.
Par ailleurs, il suffit de savoir que nous avons récemment annoncé une perte de 1,25 milliard de dollars pour 2001 pour comprendre pourquoi nous ne pouvons nous permettre d'attendre sans agir.
Nous croyons que ce dont l'industrie a besoin c'est de temps. Tout ce que chacun d'entre nous peut faire est d'essayer d'offrir aux Canadiens le genre de service qu'ils veulent et qu'ils sont prêts à appuyer. C'est cette philosophie qui a inspiré la croissance de notre principal concurrent, lequel avait, au milieu des années 90, évalué avec justesse l'appétit des Canadiens pour les voyages à tarif réduit et à prestations simplifiées. Nous cherchons constamment à définir des modèles acceptés par les consommateurs et voulus par ceux-ci.
Avant de conclure, sénateurs, nous souhaiterions résumer brièvement les principaux enjeux que nous avons présentés. Il y en a trois.
Premièrement, l'amendement apporté à l'article 104.1 sacrifie injustement les droits fondamentaux d'Air Canada en donnant au commissaire les fonctions de procureur et de juge. Cet amendement devrait être supprimé. Le projet d'article 103.3 est de loin la méthode la plus appropriée pour permettre au commissaire de demander des ordonnances provisoires.
Deuxièmement, nous ne nous objectons pas à la création d'une autorité générale pour l'obtention des ordonnances provisoires, mais l'article 103.3 doit être amélioré de trois façons. Il convient de renforcer le critère du préjudice sans atténuer la vigueur de la concurrence; d'exiger qu'une norme plus élevée soit respectée avant la prorogation d'ordonnances provisoires au-delà de 80 jours; enfin, il convient d'apporter un simple amendement afin d'éviter qu'une ordonnance provisoire soit prorogée indéfiniment lorsqu'un plaignant ne fournit pas l'information demandée.
Troisièmement, nous estimons que les sanctions pécuniaires administratives doivent être supprimées. À tout le moins, l'amende de 15 millions de dollars doit être harmonisée avec les sanctions du même type prévues dans les autres lois fédérales.
Je vous le répète, notre but n'est pas ici de diminuer le rôle du Commissaire de la concurrence, mais de nous assurer qu'un cadre législatif protège la concurrence sans favoriser des concurrents en particulier. Cela étant dit, monsieur le président, nous sommes maintenant prêts à répondre à vos questions.
Le sénateur Tkachuk: J'ai un certain nombre de questions à vous poser avant d'en arriver au projet de loi. Je relève que MM. Mulder et Hunter vont comparaître à titre personnel après votre intervention. Nous leur avons demandé de témoigner à titre personnel même si nous savons qu'ils ont des contrats avec Air Canada.
Le président: Je tiens à préciser, pour que ce soit consigné dans notre procès-verbal, qu'ils sont employés par Air Canada.
Le sénateur Tkachuk: Susan Hutton est venue témoigner devant la Chambre de commerce. Je pense qu'elle travaille par ailleurs chez Stikeman Elliott. Est-ce qu'elle travaille pour le compte d'Air Canada?
M. Baker: Elle a travaillé pour nous dernièrement, sénateur. Normalement, elle ne fait pas beaucoup de travail pour Air Canada. Je crois savoir qu'elle a comparu au sein d'une délégation représentant un comité de la Chambre de commerce en l'absence de Paul Crampton, qui devait comparaître à sa place.
Il est clair, par conséquent, qu'elle relève dans son travail de la Chambre de commerce. Elle est membre, cependant, du bureau d'Ottawa de Stikeman Elliott.
Le sénateur Tkachuk: Est-ce qu'elle travaille pour le compte d'Air Canada?
M. Baker: Elle fait partie, chez Stikeman Elliott, d'un groupe dirigé par Lawson Hunter et spécialisé dans le droit sur la concurrence, qui s'est entièrement dévoué à notre cause sur des questions de droit de la concurrence.
Le sénateur Tkachuk: Ce n'est pas une chose qui me préoccupe personnellement, mais elle aurait dû nous le dire. Je pense qu'il faut que ce soit consigné dans notre procès-verbal. Elle a comparu en qualité de témoin de la Chambre de commerce du Canada. Je tenais à ce que ce soit précisé pour qu'on ne se contente pas de rumeurs.
Le président: Sénateur Tkachuk, vous frappez en plein dans le mille et on est en train de rédiger une lettre que je m'apprête à signer de façon à ce qu'elle précise sa situation et qu'il en soit pris acte. Je vous remercie d'avoir posé cette question.
Le sénateur Tkachuk: C'est par un concours de circonstances très étrange que l'on en est arrivé à la fusion entre Air Canada et Canadien. Pouvez-vous nous dire s'il était dans votre intérêt, dans l'exercice normal de vos activités, de reprendre l'exploitation de Canadien et s'il vous a fallu entreprendre certaines démarches auprès du gouvernement fédéral? Ce sont des questions que j'ai déjà posées à d'autres témoins. Avez-vous dû prendre certains engagements ou assumer certaines obligations envers le gouvernement fédéral qui vous empêchent d'exercer librement votre concurrence? Vous a-t-il fallu promettre d'accorder certains avantages au public canadien? Pouvez-vous nous expliquer ce qui s'est passé pour que nous puissions avoir une meilleure idée de la situation?
M. Baker: Il est évident que les événements de l'été et de l'automne 1999 qui ont mené à la transaction de décembre 1999 étaient extraordinaires et ne correspondaient pas au cours normal de nos activités. Il ne s'agissait certainement pas d'activités normales que j'aimerais voir se reproduire tous les mois.
Ces événements étaient extraordinaires. Canadien était en état de faillite. Sa survie était en jeu. Air Canada faisait l'objet d'une prise de contrôle hostile depuis le 24 août 1999. Les événements se sont succédé de façon très dramatique, si vous vous souvenez bien.
Pendant tout le déroulement de ces événements, nous avons offert d'acquérir Canadien. Par la suite, l'opération de prise de contrôle hostile a été abandonnée. Notre offre a été maintenue et, dans ce cadre, nous sommes entrés en novembre et en décembre en discussion avec le gouvernement, en l'occurrence avec le Bureau, le commissaire, Transports Canada et le ministre, afin de savoir dans quelle mesure et sur quel point une prise de contrôle exercée par Air Canada ou une fusion entre Air Canada et Canadien serait appuyée par le gouvernement. Ces discussions ont eu une portée très large et se sont traduites finalement par une série d'engagements et d'obligations prises envers Transports Canada et le Bureau. Ces engagements et ces obligations ont finalement été insérés dans le projet de loi C- 26, déposé en février 2000 et adopté au cours du printemps.
Toutefois, d'autres amendements, notamment au sujet de la Loi sur la concurrence et de l'Office des transports du Canada, ont été déposés devant le Parlement au cours de l'hiver et du printemps 2000. En ce qui nous concerne, ils ne nous avaient pas été soumis et n'avaient pas fait partie de nos discussions avec le gouvernement.
Nous avons discuté avec le ministère des Transports et avec le bureau. On peut comprendre, j'imagine, que les personnes impliquées dans les discussions n'avaient pas pu prévoir tous les événements et que le législateur a dû logiquement avoir son mot à dire dans l'élaboration des dispositions intégrées au projet de loi C-26, et c'est cela qui nous est présenté aujourd'hui.
Le sénateur Tkachuk: Est-ce que le gouvernement fédéral a fait des promesses à Air Canada, à la Société, en échange de la reprise de Canadien?
M. Baker: Aucune promesse qui n'ait pas été prise en compte dans les engagements et les obligations dont je viens de vous parler.
Le président: Excusez-moi, mais je n'ai pas vraiment compris le sens de cette réponse. J'avais compris la question différemment. Est-ce que vous avez eu l'impression que le gouvernement du Canada vous forçait à fusionner avec Canadien?
M. Baker: C'est une question d'opinion personnelle, sénateur, et je pense que mon avis personnel n'est pas pertinent en la matière.
Le président: Est-ce que nous pourrions entendre un représentant d'Air Canada dont l'avis est pertinent?
M. Baker: Je pense que la volonté du gouvernement de sauver Canadien allait dans le même sens que notre volonté de mener à bien cette transaction. Nous n'avons pas manqué d'ouvrir l'oeil en procédant à cette série de transactions.
Le sénateur Tkachuk: C'était une bonne question.
Le président: C'était une bonne question, mais nous n'avons toujours pas obtenu de réponse.
Le sénateur Tkachuk: Enchaînez.
Le président: J'ai l'impression que le gouvernement avait intérêt à sauver Canadien, et avec raison, étant donné que quelque 20 000 emplois étaient en jeu, alors que vous aviez intérêt à conclure l'affaire. Êtes-vous en train de me dire que vos intérêts étaient conformes à ceux du gouvernement et que, par conséquent, vous n'êtes pas prêt à m'indiquer s'il a exercé des pressions pour que l'affaire se fasse, ce qui était la seule façon de vous amener à intervenir? Est-ce là votre réponse?
M. Baker: Effectivement, je pense que l'option qui a été retenue en novembre et en décembre 1999 était à cette époque la seule option viable répondant à nos intérêts.
Le sénateur Tkachuk: Certaines restrictions ont été imposées à Air Canada à la suite de la Loi sur la privatisation, pour ce qui est des services bilingues, par exemple. Quelles sont les autres dispositions imposées à Air Canada par voie de réglementation dont les autres sociétés aériennes peuvent se dispenser et qui sont susceptibles de vous coûter de l'argent ou de vous rendre moins concurrentiel?
M. Baker: Sénateur, lorsque nous avons été privatisés en 1988 et en 1989, la Loi sur la participation publique a été adoptée. Certaines restrictions et certaines obligations nous ont été imposées. Vous avez mentionné les services bilingues. Il y a des obligations précises dans ce domaine que nous respectons. D'autres exigences bilingues s'appliquent aussi aux autres transporteurs du pays. Toutefois, il y a des obligations particulières qui nous sont imposées. D'autres dispositions de la loi traitent de l'emplacement du siège social ou de l'entretien des bases de Winnipeg et de Montréal, et ce sont là des dispositions qui ne nous dérangent absolument pas et que nous n'avons aucune difficulté à respecter.
Le sénateur Tkachuk: Est-ce que cela vous coûte de l'argent?
M. Baker: Oui, comme il en coûte généralement de l'argent à ceux qui doivent respecter les dispositions réglementaires ou législatives.
Le sénateur Tkachuk: Avant la fusion ou la prise de contrôle de Canadien, quelle était votre part de marché au pays?
M. Baker: Je ne suis pas en mesure de vous donner le chiffre exact mais, si je me souviens bien, la part combinée de Canadien et d'Air Canada sur le marché national était de l'ordre de 70 à 75 p. 100.
Le sénateur Tkachuk: Est-ce que vous aviez entre 45 et 50 p. 100?
M. Baker: Oui, à peu près.
Le sénateur Tkachuk: Depuis la prise de contrôle, est-ce que vous avez aujourd'hui ce même pourcentage?
M. Baker: Laissez-moi saisir cette occasion pour vous donner éventuellement quelques précisions au sujet de l'expression «part de marché». Je pense que vous avez entendu parler de différents critères de mesure. WestJet vous a dit qu'à son avis Air Canada possédait 84 ou 85 p. 100 du marché national, sinon davantage.
Parmi les critères de mesure que l'on emploie dans notre secteur, il y a ce que nous appelons la quantité de sièges- milles disponibles. Il s'agit du nombre de milles effectués en vol multiplié par le nombre de passagers. Ce critère de mesure fausse en soi les statistiques en gonflant le chiffre correspondant à Air Canada étant donné que, même au plan national, nos appareils volent sur de plus longues distances que nombre de nos concurrents. Notre chiffre est gonflé de ce point de vue.
Si l'on retient un autre critère tel que la quantité de recettes par mille-passager, qui rapproche les recettes tirées de chaque siège du nombre de milles parcourus, là encore notre chiffre est gonflé parce qu'Air Canada, qui offre toute la gamme des services, possède une classe d'affaires et une classe à plein tarif qui procurent davantage de recettes. Là encore, cela fausse les chiffres.
Nous proposons que l'on retienne un critère de mesure plus représentatif, soit celui de la capacité des sièges offerts sur le plan national. Nous pouvons le mesurer par l'intermédiaire du Guide officiel des sociétés de transport aérien. Comme nous l'avons publiquement indiqué, notre part du marché intérieur s'est élevée selon cette formule à quelque 67 p. 100 au cours du premier trimestre 2002.
Le sénateur Tkachuk: Le président de WestJet a précisé dans son témoignage que dans le cadre d'une offre présentée aux États-Unis, vous aviez indiqué que votre part du marché canadien était de 78 p. 100. À quoi faisait-il référence?
M. Baker: Je n'ai pas ces chiffres devant moi, sénateur. Je m'efforcerai de les retrouver et de vous donner une réponse.
Le sénateur Tkachuk: Vous n'êtes pas au courant?
M. Baker: Non, je ne sais pas dans quel cadre a été mentionné ce chiffre de 78 p. 100.
Le sénateur Tkachuk: Au sujet des dispositions des articles 103.3 et 104.1, vous nous dites que vous voulez être traité comme tout le monde, mais vous n'êtes pas comme tout le monde.
Quand il faut choisir entre vos chiffres ou tous les autres qui ont été mentionnés, il y a ici une grande confusion, parce que cela va de 67 p. 100 à plus de 80 p. 100. Il doit bien y avoir quelqu'un qui sait exactement de quoi il en retourne.
Air Canada n'est pas une entreprise quelconque. Vous occupez une situation dominante sur le marché et vous exercez pratiquement un monopole. Vous n'êtes pas comme tout le monde. Préférez-vous avoir ces 40 ou 45 p. 100 de part du marché dont vous vous contentiez auparavant ou devoir faire face à ces quelques dispositions législatives que vous jugez déplacées, tout en ayant 78 p. 100 du marché? Que préférez-vous?
M. Baker: Sénateur, je ne crois pas que ce soit un crime dans notre pays d'être une entreprise ayant une certaine assise et une certaine ampleur. Dans d'autres secteurs d'activité en général, de nombreuses entreprises dominent leur marché ou ont une taille non négligeable. Je ne pense pas qu'il soit très fréquent que des entreprises de ce type se voient accorder un traitement exceptionnel du point de vue des dispositions de la Loi sur la concurrence. Je ne vois pas beaucoup d'exemples d'utilisation de la Loi sur la concurrence pour réglementer un secteur d'activité ou un participant de ce secteur en particulier de la façon dont on se propose de le faire dans le projet de loi C-23.
Il y a quand même des juristes qui sont venus témoigner devant vous et qui s'inquiètent fortement de cette utilisation de la Loi sur la concurrence pour réglementer un secteur en particulier et pour en faire effectivement, dans ce cas précis, l'outil de réglementation d'Air Canada. Nous considérons qu'il y a un principe fondamental de justice et d'équité qui fait qu'une entreprise, qu'elle soit de notre taille, plus petite ou plus grosse, a droit à un traitement égal en vertu de la loi. C'est la pierre de touche des amendements ou des dispositions que nous vous proposons d'examiner.
Le sénateur Tkachuk: Vous ne pensez pas qu'étant donné le fait que vous dominez tellement votre marché, il est justifié de vous accorder un intérêt particulier? Nous voulons que les entreprises de notre pays se développent mais, en notre qualité de parlementaires, il nous faut aussi veiller à ce qu'une concurrence s'exerce sur le marché. Toutes les entreprises veulent acquérir un monopole. Elles veulent toutes avoir une plus grosse part de leur marché. Les gens d'affaires nous disent toujours qu'ils adorent la concurrence, mais ils s'efforcent toujours d'augmenter leur part de marché. Au bout du compte, il nous appartient, à nous qui sommes les représentants du peuple, de trouver des moyens de promouvoir la concurrence; sinon, autant vivre en régime socialiste. C'est notre dilemme.
Vous jouez un rôle dominant sur votre marché. Je conviens avec vous que ce projet de loi va un peu loin, mais que pouvons-nous faire d'autre? Doit-on démembrer votre entreprise en proposant, par exemple, que vous vous départiez de certaines de vos activités? Nous pourrions peut-être proposer que vous reteniez 45 p. 100 du marché et que quelqu'un d'autre en prenne 30 p. 100. Il ne nous appartient pas, toutefois, de décider quel est le pourcentage qui convient. Nous devons nous assurer que vous n'ayez pas tout le marché parce que ce ne serait pas bon, ni pour vous ni pour les consommateurs. Que pouvons-nous faire d'autre?
M. Baker: La Loi sur la concurrence est plus précisément celle qui traite des comportements abusifs. Elle est axée sur les plaintes. Ce dont nous avons besoin, ce sont de règles de base justes et équitables pour tous les participants, grands ou petits, parce que la situation évolue constamment. Nous devons savoir quelles sont les règles de base de la concurrence. La concurrence est par définition vigoureuse si elle s'exerce librement sur le marché. Il y aura des gagnants et des perdants, des changements de parts de marché, une évolution des recettes, l'intervention de facteurs exogènes tels que les événements du 11 septembre, des augmentations du coût des carburants, et cetera, tous ces facteurs exerçant une grosse influence sur la viabilité et la permanence de ce secteur d'activité et des entreprises qui en font partie. Nous ne pensons pas que la Loi sur la concurrence soit le bon cadre, le bon moyen ou le bon outil de réglementation de notre secteur. Si le gouvernement et les parlementaires n'aiment pas la façon dont il est structuré, il y a alors d'autres moyens d'y remédier.
En partie, ce qui nous préoccupe, ce qui préoccupe le commissaire et toutes les parties prenantes au sein du secteur à l'heure actuelle, c'est que nous n'avons aucune certitude et que nous ne savons pas, par exemple, comment notre société, WestJet ou tout autre intervenant doit se comporter sur le marché.
Vous savez très bien en quoi consiste l'affaire dont est saisi le Tribunal de la concurrence qui, dans un premier temps, est appelé à déterminer quelle doit être la définition des «coûts évitables». C'est une initiative prise par Air Canada en collaboration avec le bureau afin d'essayer de définir clairement cette notion pour que nous puissions examiner au fond l'affaire dont est saisi le tribunal. Nous l'avons proposée parce que nous avons besoin, comme tous les autres intervenants, de certitude. Nous avons besoin de savoir quelles sont les règles de base. À l'heure actuelle, Air Canada, qui est le «transporteur jouissant d'une position dominante» selon la définition qui en est donnée, a bien du mal à savoir comment il lui faut réagir dans telle ou telle situation. Nous marchons sur des oeufs lorsque nous devons agir sur le marché. Tant que la situation ne sera pas plus claire, il nous sera très difficile, et il sera très difficile au Bureau et aux autres parties prenantes, de savoir comment réagir.
Une partie de nos difficultés, lorsqu'on aborde les dispositions du projet de loi C-23, viennent du fait que l'on a affaire à des comportements ostensiblement menaçants que le transporteur jouissant d'une position dominante peut adopter sur le marché de manière prématurée, soit en l'occurrence avant de savoir à quoi va ressembler le marché et avant que l'on ait une idée claire des règles de base s'appliquant aux comportements exercés sur le marché.
Voilà un certain nombre des difficultés avec lesquelles se débat Air Canada à l'heure actuelle. Je sais que le Bureau est aux prises avec les mêmes difficultés.
Le sénateur Fitzpatrick: Estimez-vous que la déréglementation ou que la politique «ciel ouvert» donne de bons résultats? Bien des gens estiment que l'on a désorganisé le transport aérien et s'en inquiètent fortement. Selon la façon dont la situation a évolué, c'est ce qui a permis à Air Canada de bénéficier d'une position dominante.
J'aimerais aussi connaître votre avis au sujet de la procédure de déréglementation que nous avons appliquée et savoir si vous pensez que l'on a réalisé là une bonne opération.
M. Baker: Le problème est de savoir à quelle étape nous nous trouvons actuellement. Nous sommes passés par une phase de déréglementation et c'est ce qui a amené notre privatisation. Les contraintes ont été allégées et c'est là la politique qui a été ostensiblement suivie par les pouvoirs publics.
Depuis les événements de 1999, nous avons constaté — et je reconnais bien volontiers que c'est là probablement une réaction compréhensible — la volonté de nous tenir en laisse pour éviter que la situation exceptionnelle résultant de la fusion de ces deux sociétés de transport aérien n'amène des excès au sein du système, pour permettre à de nouveaux arrivants d'accéder au marché et pour favoriser le maintien et le développement des entreprises existantes. Il est dans notre intérêt que ce modèle fonctionne. Nous sommes en faveur d'un marché dynamique et concurrentiel.
En matière de déréglementation, je vous signale qu'à la fin de l'année dernière, notre président se montrait le partisan déclaré d'une politique «ciel ouvert» améliorée aux États-Unis sur la question que nous appelons des six libertés permettant de réaliser des opérations de transport aller-retour d'ici aux États-Unis et réciproquement. Nous considérons qu'il y aurait là des avantages mutuels pour les transporteurs des États-Unis et du Canada. Nous continuons à être favorables à cette proposition et nous invitons le gouvernement à poursuivre dans cette voie. Nous croyons savoir que le ministre Collenette consacre du temps à ce dossier.
C'est là une façon d'améliorer la concurrence au Canada dans l'intérêt de toutes les parties prenantes.
Le sénateur Fitzpatrick: Vous nous avez dit tout à l'heure qu'il fallait à votre avis qu'un certain nombre de règles de base soient fixées. Je pense que vous entendiez par là qu'il fallait recourir à la réglementation. Cela veut dire, en ce qui me concerne, que vous aimeriez pouvoir exercer vos activités dans le cadre d'une certaine réglementation. Je sais qu'on ne voit pas très bien ce qu'il faut faire dans le secteur du transport aérien au Canada, mais il semble toutefois qu'il y ait là une contradiction dans votre raisonnement. Vous nous avez dit qu'à votre avis ce n'était pas au moyen de la Loi sur la concurrence qu'il fallait réglementer, mais estimez-vous qu'il faille un minimum de réglementation à l'heure actuelle dans le secteur du transport aérien au Canada? Pouvez-vous nous confirmer que vous souhaitez que l'on établisse un certain nombre de règles de base?
M. Baker: Les règles de base auxquelles je me référais sont celles qui décrivent et qui définissent les dispositions de la Loi sur la concurrence insérées dans le projet de loi C-26. Nous n'avons pas proposé ni voulu que ces dispositions figurent dans cette loi, mais cela étant, il nous faut donner un sens logique à ce qui a été incorporé à la loi. Voilà les règles de base auxquelles je me référais.
Au sein d'un marché libre et ouvert, nous voulons que le jeu des forces du marché s'exerce normalement. Ce n'est pas possible lorsque tout est bloqué. Il convient de réglementer le jeu des forces du marché pour éviter les abus. Nous en convenons, mais nous voulons que l'application soit la même pour tous, qu'il y ait plus de clarté dans l'application de ces dispositions et que l'on n'y ait pas effectivement recours uniquement pour réglementer à nouveau le «transporteur jouissant d'une position dominante au sein du secteur».
Le sénateur Fitzpatrick: C'est la situation dominante qui pose un problème ici. Que ce soit bon ou mauvais pour vous, vous êtes placés dans cette situation et il nous faut la régler. Cela m'amène à évoquer les amendements proposés aux articles 104.1 et 103.3.
Je déduis de vos propos que vous jugez l'article 104.1 injuste. Le commissaire agit en qualité de procureur et de juge et il n'y aurait pas vraiment d'inconvénient ou de préjudice pour le commissaire de recourir à l'article 103.3 comme mesure de substitution.
Quel est le préjudice que vous cause, en tant que transporteur jouissant d'une position dominante, le fait pour le commissaire d'avoir le droit de recourir à l'article 104.1, et jusqu'à quel point le préjudice serait différent en raison de ce délai de deux à trois jours si l'on recourait aux dispositions de l'article 103.3? Quel est le préjudice que cela cause à votre société de transport aérien?
M. Baker: Le préjudice causé est net, de même que le préjudice potentiel. N'oubliez pas qu'aux termes de l'article 104.1, le commissaire et son personnel décident de leur propre initiative, au terme de cette enquête, de délivrer ou non une ordonnance. Nous n'avons pas la possibilité d'être entendus. Nous n'avons pas la possibilité de nous opposer aux arguments présentés. Nous devons faire face aux termes de l'ordonnance pendant 20 jours dans un premier temps, et ensuite pendant un délai qui peut aller jusqu'à 80 jours. Aux termes de cette loi, cette disposition peut essentiellement se prolonger indéfiniment. Cela nous lie absolument les mains dans un certain nombre de domaines qui font l'objet de cette ordonnance. Là encore, cela nous empêche de savoir comment réagir par la suite.
Il faut bien comprendre que la portée de l'application de l'ordonnance visant à faire cesser tel ou tel comportement à la suite du dépôt d'une plainte peut s'appliquer à une multitude de trajets potentiels lorsqu'on intente des poursuites en matière de prix. Si nous essayons de nous aligner sur la concurrence sur tous les trajets, le Bureau pourra recevoir des plaintes alléguant qu'Air Canada a appliqué des tarifs abusifs sur 10 ou 20 trajets raccordant une ville à une autre. Après enquête, il peut décider de sa propre initiative de fermer ces lignes pendant 80 jours et plus. Le préjudice est substantiel.
Le sénateur Fitzpatrick: Cette ordonnance visant à faire cesser un comportement donne lieu à une enquête. C'est la première étape de la procédure. Comme vous venez de le dire, cela peut porter sur plusieurs trajets.
Je ne sais pas si l'on a réussi à démontrer qu'une ordonnance visant à faire cesser l'application d'un tarif donné ou la mise sur le marché de sièges excédentaires par Air Canada est susceptible de causer un préjudice économique ou autre à cette société pendant la période correspondant à cette enquête.
Sur le plan financier, prenons le cas, par exemple, d'un vol reliant Vancouver à Terrace. Supposons qu'un concurrent ait entrepris d'organiser des vols sur ce trajet et qu'Air Canada décide de mettre en vente des sièges supplémentaires et de s'aligner sur les tarifs de ce concurrent. Si l'on vous demande de cesser ce comportement, quel sera le préjudice causé à Air Canada?
M. Baker: Vous n'ignorez pas, sénateur, que nous exploitons tout un réseau. Nous partons d'un modèle d'exploitation dans lequel toutes les lignes secondaires alimentent les lignes principales et les différentes plaques tournantes, ce qui est essentiel. Les passagers de la ligne qui relie Terrace à Vancouver ont donc une grande importance car ils vont peut-être ensuite se rendre à Toronto ou à Hong Kong.
Si vous le souhaitez, nous pourrons faire parvenir plus tard au greffier de votre comité certains chiffres visant à démontrer l'étendue du préjudice susceptible d'être causé dans un exemple comme celui-là. Les données ont besoin d'être quantifiées et je ne suis pas en mesure de le faire ici. Si vous le souhaitez, nous pourrons essayer de vous donner une réponse précise à cette question en partant d'un exemple structuré.
Le sénateur Fitzpatrick: L'autre possibilité, au cas où il y aurait, par exemple, une société appelée Terrace Airlines effectuant des vols entre Terrace et Vancouver, consisterait pour le passager à emprunter Terrace Airlines, à voler jusqu'à Vancouver pour avoir le choix, ensuite, de prendre l'un de vos vols ou celui d'un ou deux de vos concurrents s'il veut se rendre à Hong Kong, par exemple. Vous nous dites que vous voulez vous saisir de ce passager et le confiner au sein de votre réseau sans lui donner le choix. Il faudrait pouvoir donner aux passagers la possibilité de choix.
M. Baker: Je ne vous suis pas dans votre démonstration. Il est évident que nous voulons donner à ce passager la possibilité de choisir entre nous et nos concurrents. N'oublions pas que le consommateur a son mot à dire en la matière. Si nous ne dispensons pas un service intéressant à un prix intéressant, ce consommateur ne restera pas chez nous. Nous ne devons jamais perdre de vue le consommateur dans notre analyse.
Nous nous efforçons de dispenser un service et de disputer ce consommateur à la concurrence, c'est évident.
Le sénateur Fitzpatrick: À quel stade vous référez-vous, sur le trajet de Terrace à Vancouver ou sur celui qui va l'emmener à Hong Kong?
M. Baker: À tous les stades.
Le sénateur Kelleher: Je vais m'efforcer de revenir sur les questions que vous ont posées les sénateurs Tkachuk et Kolber. Le moins que l'on puisse dire, c'est que nous n'avons pas l'impression que l'on ait répondu à ces questions.
Je ne suis pas un génie de la finance. Je connais très peu de choses sur les questions financières et vous pourriez peut- être éclairer ma lanterne en répondant à la question suivante. Qu'est-ce qui a pu amener Air Canada à accepter de prendre en charge l'intégralité de la dette de Canadien, qui est venue se rajouter à votre propre dette et qui vous impose désormais une charge très lourde? N'aurait-il pas été préférable pour vous de rester sur la touche, de laisser Canadien faire faillite et de ramasser ensuite les morceaux ou encore de ne rien faire du tout? Pourquoi ne l'avez-vous pas fait?
M. Baker: Sénateur, je ne tiens pas à spéculer sur cette question. Pendant des années, nous avons affronté la solide concurrence exercée par Canadien. Cette entreprise disposait d'un excellent personnel. Elle avait tout un réseau, des éléments d'actif et des lignes internationales qui nous intéressaient. De nombreuses raisons rendaient à l'époque la fusion intéressante avec un partenaire comme Canadien.
Je ne suis pas en mesure de spéculer, et je ne pense pas que ce soit utile, sur ce qui aurait pu se passer si nous avions procédé différemment. Nous étions satisfaits, et nous le sommes encore, du choix que nous avons fait. Nous avons fait le maximum pour que cette fusion soit profitable à nos actionnaires, à nos clients et à nous-mêmes.
Le sénateur Kelleher: Monsieur le président, je n'arrive pas à en obtenir plus que vous.
Le président: C'est vrai.
Le sénateur Kelleher: Je n'arrive toujours pas à comprendre pourquoi vous avez accepté de vous charger de l'endettement de Canadien. Vous semblez nous répondre qu'il y avait d'autres avantages venant compenser tout cet endettement. C'est bien ce que vous nous dites?
M. Baker: Oui, il y avait d'autres avantages. N'oubliez pas non plus qu'une fois réalisée cette opération, nous nous sommes prévalus des dispositions de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies pendant plusieurs mois, jusqu'au printemps 2000. L'endettement a été largement réaménagé. D'autres concessions ont été obtenues des créanciers. Au bout du compte, la fusion avec Air Canada est devenue bien plus viable.
La conjoncture, à la fin de l'année 1999 et au début de l'année 2000, était de toute évidence marquée par la croissance, réelle et potentielle. Les événements se sont quelque peu retournés contre nous au cours des deux années qui ont suivi, pour des raisons que vous comprenez tous parfaitement.
Toutefois, nous ne remettons pas en cause et nous ne regrettons absolument pas le raisonnement à la base de la fusion.
Le sénateur Kelleher: Je vais changer de sujet.
Considérons les amendements qui sont proposés aux articles 103 et 104. Vous avez déclaré, et d'autres avec vous, que l'on n'a pas vraiment besoin de l'article 104 du projet de loi.
Un témoin nous a dit que lorsqu'il est intervenu devant le comité de la Chambre, cet amendement apporté à l'article 104 ne figurait pas dans le projet de loi. C'est une chose qui est apparue en cours de route. C'est pour nous un mystère.
Quelle est l'explication de cette irruption soudaine du projet d'amendement apporté à l'article 104? À partir du moment où des personnes raisonnables, qui connaissent bien le secteur, nous disent que nous n'avons pas besoin de l'article 104 et que l'article 103 suffit largement, quelle est la raison d'être de cet amendement déposé à la dernière minute?
M. Baker: J'aimerais bien connaître la réponse à cette question.
Le sénateur Kelleher: Pouvez-vous essayer d'y répondre?
M. Baker: Malheureusement, ce n'est pas à nous qu'il faut poser la question. Comme vous l'avez indiqué, et comme je l'ai précisé dans mon exposé, l'apparition de ce pouvoir de faire cesser une activité dans le texte du projet de loi au printemps 2000 nous a pris nous aussi par surprise.
Le président: Sénateur Kelleher, est-ce que vous vous référez au projet d'amendement apporté à l'article 104 dans le projet de loi qui nous est présenté ou tel qu'il figure dans la Loi sur la concurrence?
Le sénateur Kelleher: Il s'agit du projet de loi qui nous est présenté.
Le président: Je pense qu'il y figurait dès le départ. C'est ce que me dit l'attaché de recherche de la Bibliothèque du Parlement en se référant aux dispositions introduites par le projet de loi C-26 il y a deux ans.
Le sénateur Kelleher: Que faut-il penser alors du témoignage qui nous a été donné?
Le président: Pourriez-vous nous expliquer ce qui se passe?
M. Baker: Le .1 de l'article 104 a été déposé dans le cadre du projet de loi C-26 au printemps de l'an 2000. Mes observations portaient sur le délai correspondant à cette disposition. Ce qui vous est présenté aujourd'hui, c'est une proposition d'extension de la portée de l'article 104.1 permettant de prolonger les ordonnances visant à faire cesser un comportement; en outre, on introduit l'article 103.3, qui porte création du pouvoir de délivrer des ordonnances provisoires d'application générale dans tous les secteurs d'activité.
Nous estimons qu'il vous faut appuyer le dépôt de l'article 103.3, qui est d'application générale et qui exige que le commissaire s'adresse au tribunal pour faire délivrer cette ordonnance.
Le président: Veuillez nous excuser. Apparemment, c'est nous qui avons raison et c'est lui qui a tort.
Le sénateur Kelleher: Ça n'arrive pas très souvent. Je vous remercie.
Vous avez répondu à ma question en me disant que vous ne connaissiez pas la réponse parce que ce n'est pas vous qui avez rédigé la loi. Entre avocats, je peux vous dire que lorsque je conseille quelqu'un dans une affaire, j'ai une assez bonne idée, et je suis sûr que c'est aussi votre cas, de ce qui a pu se passer et de ce qui a motivé tel ou tel événement. Pouvez-vous nous donner votre avis personnel ou professionnel pour nous expliquer ce changement si soudain?
M. Baker: J'en suis incapable. Je peux vous dire que nous avons toujours considéré que l'adoption de cette disposition était tout à fait inutile. L'Association du Barreau, entre autres, avait fait savoir devant différents comités, au printemps de l'an 2000, qu'il n'était pas normal que le commissaire ait le pouvoir d'enquêter, d'instruire la cause et d'être à la fois juge et jury. C'est tout à fait anormal. Nous l'avons savoir dans nos interventions à l'époque.
Il faut bien avouer qu'au printemps de l'an 2000, les arguments fondés sur l'équité et sur la régularité de la procédure ne touchaient pas beaucoup notre auditoire parce que l'on venait de créer cette espèce de monstre quelques mois auparavant.
Quant à savoir quels pouvaient être les arguments dans notre camp, le commissaire considérait bien évidemment qu'il avait besoin de ce pouvoir pour agir sur-le-champ, tellement vite qu'il n'avait même pas le temps de s'adresser au tribunal et de retarder sa décision de deux ou trois jours.
Le sénateur Kelleher: C'est tout ce que vous savez concernant la raison du dépôt de cette disposition?
M. Baker: Oui, c'est tout ce que l'on nous a dit à son sujet. J'imagine que si le commissaire avait quelques préoccupations, s'il lui fallait procéder à l'enquête et à l'instruction et en arriver à une conclusion et s'il devait convaincre un arbitre impartial de la nécessité d'imposer cette ordonnance, avec toutes les conséquences que j'ai mentionnées, il serait bien plus simple pour lui de décider lui-même. Je comprends très bien cette motivation.
Le sénateur Kelleher: Je saisis bien votre réponse. Elle nous aide à comprendre. Monsieur le président, j'aimerais maintenant passer à un autre article de la loi.
Que pensez-vous — et nous avons entendu certains témoignages qui s'y opposent — des dispositions de la loi s'appliquant à l'entraide juridique? En êtes-vous satisfaits? Certains témoins l'ont critiqué en alléguant que dans certains cas des renseignements vous concernant pourraient être communiqués à l'un de vos concurrents dans le pays d'où émane la demande, par exemple. Il ne vous convient pas que ces renseignements soient communiqués à vos concurrents. Pouvez-vous me donner votre avis au sujet de ces dispositions? Avez-vous des propositions à faire en ce qui concerne cette partie de la loi?
M. Baker: En tant qu'avocat, je reste inquiet au sujet de ces dispositions. Je ne me suis pas préparé à en faire l'analyse ici. Air Canada fait partie d'un groupe des politiques sur la concurrence, qui a commenté toutes les dispositions du projet de loi C-23. Ce groupe d'entreprises s'est inquiété de la divulgation des renseignements confidentiels et des risques d'une diffusion inconsidérée. En tant qu'avocat, cette question me préoccupe, mais je ne suis pas en mesure de vous faire un commentaire détaillé des dispositions de ce projet de loi.
Le sénateur Kelleher: Malheureusement pour nous, monsieur le président, nous avons devant nous l'ensemble de ce projet de loi. Des témoins sont venus nous dire, au sujet de cette disposition précise de la loi, qu'elle était mal rédigée, qu'elle était sujette à critique et qu'elle soulevait des préoccupations. Il est certainement dans l'intérêt d'Air Canada de nous dépêcher un témoin en mesure de se prononcer de façon plus détaillée sur les défauts de cette disposition.
M. Baker: Si vous me le permettez, je me ferai un plaisir de vous présenter un témoin dans 10 minutes environ. M. Lawson Hunter ne se fera pas prier pour vous faire connaître son point de vue sur la question.
Le sénateur Kelleher: Très bien. Soyez rassuré, je n'ai plus de questions à vous poser.
Le sénateur Furey: Je vous renvoie tout d'abord à la réponse que vous avez donnée à la question posée par le sénateur Tkachuk concernant les parts de marché. J'imagine qu'il n'y a pas de critères de mesure établis dans le secteur. Je crois comprendre que vous préférez vous référer à la capacité d'utilisation des sièges au plan national, ce qui vous permet d'arriver à votre chiffre de 67 p. 100. Qu'est-ce que cela signifie exactement? Est-ce que vous ne tenez alors aucun compte de vos vols internationaux? Est-ce que cela s'étend à vos vols régionaux? Est-ce que cela englobe Tango? Comment arrivez-vous à ce chiffre de 67 p. 100 en parlant de «vols nationaux»?
M. Baker: Ces 67 p. 100 sont enregistrés à l'échelle nationale, c'est le nombre de sièges offerts au Canada. Ça comprend, je pense, les vols Tango, parce que Tango est une marque du réseau principal d'Air Canada. Cela comprend l'intégralité du réseau régional d'Air Canada.
Le sénateur Furey: Est-ce que cela englobe Tango et l'intégralité du réseau régional des lignes aériennes?
M. Baker: Oui.
Le sénateur Furey: Ma question suivante renvoie aux observations faites par le commissaire concernant la nécessité pour lui de disposer des pouvoirs exceptionnels conférés par l'article 104.1 en raison de la nature particulière du secteur du transport aérien. Je sais que vous avez traité de la façon de procéder du commissaire à ce sujet. J'aimerais que vous commentiez son affirmation lorsqu'il nous dit que le secteur du transport aérien est effectivement particulier. Il a évoqué la possibilité de déplacer rapidement le matériel, de l'évolution des parts de marché, et cetera. Quel est votre avis?
M. Baker: C'est l'explication qu'il a donnée pour justifier la nécessité de disposer de ce pouvoir. Je ne pense pas que la mobilité des éléments d'actif soit aussi caractéristique qu'il ne l'indique. Notre secteur consomme beaucoup de capitaux immobilisés dans de nombreux éléments d'actif que l'on ne peut pas déplacer ailleurs. Les activités qu'il veut faire cesser pendant le déroulement des enquêtes devraient être examinées en fonction des lois sur la concurrence et non pas de la mobilité des éléments d'actif.
Lorsqu'il comparaîtra devant votre comité, M. Hunter pourra vous donner des explications plus complètes à ce sujet en rapprochant cette situation de celle des autres secteurs d'activité au Canada.
Le sénateur Furey: Laissez-moi vous poser une autre question en me faisant l'avocat du diable. Si vous êtes convaincu que l'article 103.3 peut permettre au commissaire d'intervenir rapidement, où serait la différence si nous ne touchions pas à l'article 104.1 en lui accordant la même rapidité d'intervention?
M. Baker: La différence est fondamentale.
Le sénateur Furey: On lui permet d'agir de sa propre initiative, sans s'adresser au tribunal. Je parle de rapidité de l'intervention. Quel serait pour vous le préjudice causé s'il intervenait quelques heures ou un jour plus tôt en vertu de l'article 104.1 et non pas de l'article 103.3?
M. Baker: Le préjudice tient à la façon de procéder pour en arriver à cette décision. Il s'agit ici de la justice fondamentale découlant du fait que l'on autorise le commissaire à prendre cette décision.
Nous soutenons que le tribunal doit être l'arbitre qui prend cette décision. Nous prétendons que le commissaire et que le plaignant ne perdent absolument rien si l'on modifie la procédure afin que la décision soit prise par le tribunal. On rajoute un jour ou deux, trois au maximum, à la procédure. Le fait de conserver les articles 103.3 et 104.1 dans la loi, si c'est ce que vous préconisez, et je ne suis pas sûr que ce soit le cas, fait double emploi et est inutile.
Si je suis Air Canada, n'ai-je pas à craindre désormais que le commissaire entreprenne de délivrer une ordonnance aux termes de l'article 103.3, en passant par le tribunal et que, se rendant compte qu'il n'est pas en mesure de convaincre les juges du tribunal, il va prendre lui-même sa décision en se réclamant de l'article 104.1?
Si vous comprenez nos préoccupations et si vous êtes d'accord avec nous pour dire qu'il appartient au tribunal de prendre cette décision, vous disposez alors de l'article 103.3, tel qu'il a été rédigé à l'origine et compte tenu des amendements que nous préconisons. Vous n'avez pas besoin de l'article 104.1. S'il était convaincu que l'article 104.1 est le mécanisme adéquat, conforme à tous les critères juridiques, notamment à ceux qui ont trait à la régularité de la procédure, à l'équité et à la justice, le commissaire proposerait de l'étendre à tous les secteurs d'activité. Ce n'est pas ce qu'il a fait. Il a déclaré qu'à son avis il nous fallait nous adresser au tribunal.
Le sénateur Furey: Combien de temps faut-il au commissaire pour obtenir une ordonnance en vertu de l'article 103.3?
M. Baker: À notre avis, il peut le faire en un, deux ou trois jours. Le travail que doit faire le commissaire pour en arriver à sa conclusion est effectué au cours de sa période d'enquête. Il lui appartient de déterminer combien de temps il lui faut.
Au cours de cette période, il peut rédiger, dans le cadre de son enquête, la demande devant être présentée au tribunal. Lorsqu'il est parvenu à sa conclusion, il déclenche la procédure et peut dire aux parties concernées qu'elles vont se retrouver le lendemain devant le tribunal. La question des délais est tout à fait superfétatoire. L'important est de savoir qui prend la décision.
Le sénateur Kroft: J'ai beaucoup entendu parler des articles 104.1 et 103.3 depuis deux semaines. Pour essayer d'en comprendre la logique, j'en reviens aux principes de base. L'un de ces principes, que nous avons tous appris à la faculté de droit, c'est que quel que soit le recours, et dans quelque domaine du droit que ce soit, il faut tenir compte du risque ou du danger. Il faut maintenir un équilibre raisonnable. Le moyen de défense ou la réaction au danger doit être raisonnable compte tenu de l'ampleur de celui-ci.
En examinant les articles 103.3 et 104.1, la possibilité de recours ex parte et la capacité d'agir avec ou sans le tribunal, j'essaie de comprendre tout d'abord l'ampleur de la menace. Quelle est sa gravité? Si elle est extrêmement grave sur le plan des délais et des dommages causés, il pourrait donc être légitime de réagir de manière plus résolue, et éventuellement d'une façon qui, dans une situation normale, ne serait peut-être pas jugée convenable ou ne respecterait pas la régularité de la procédure. Instinctivement, j'ai tendance à considérer au départ que les recours ex parte sont exceptionnels. Lorsqu'on procède sans notifier les parties on emploie une procédure exceptionnelle. Je considère que le recours à un enquêteur qui est à la fois juge et jury est de nature exceptionnelle. Ces recours extraordinaires ne peuvent se justifier que lorsqu'il y a une raison et je me pose alors la question suivante: «Y a-t-il une raison?»
Lorsqu'il est venu témoigner ici, M. Beddoe nous a cité une série d'exemples. Je reprends son témoignage. Il a cité une affaire survenue à Moncton et une autre à Abbotsford. Il a parlé de CanJet et de Royal dans l'est du Canada. Ce sont là des histoires à dormir debout qui amènent à penser qu'il faut faire quelque chose d'exceptionnel pour faire cesser ce genre de comportement. Je peux vous donner les chiffres, mais je suis sûr que vous avez pris connaissance de toutes ces dépositions et que vous les avez examinées de près.
Comment ne pas voir d'un bon oeil une solution exceptionnelle compte tenu du fait que votre entreprise semble être en mesure de doubler ou de tripler le nombre de sièges, de faire baisser le nombre de jours, et cetera? Pourquoi ne pas y être favorable?
Ces cas sont suffisamment graves pour retenir mon attention. Est-ce qu'il y a quelque chose ici que nous ne comprenons pas? Y a-t-il un élément d'équilibre quelque part?
M. Baker: Il faut être bien conscient, et je sais que vous l'êtes, qu'il s'agit là d'un cas relaté par l'une des parties plaignantes. La plupart des questions que vous évoquez ici au sujet de WestJet sont en cours d'examen par le tribunal. Cette question va faire l'objet d'un débat très vigoureux et contradictoire.
Le premier point concerné porte sur la détermination des coûts évitables, dont j'ai parlé tout à l'heure. À mon avis, il est prématuré et peu indiqué de réagir sur le plan législatif à des prétentions sur lesquelles le tribunal n'a pas encore eu le temps de se prononcer. Vous n'avez entendu qu'une version de l'affaire dans un scénario très compliqué.
Le sénateur Kroft: Je comprends bien, mais le commissaire ne va-t-il pas vous dire que lorsque nous aurons eu le temps d'entendre l'autre version de l'affaire, le dommage sera fait — une société de transport aérien n'aura pas pu démarrer ou un service aura dû être abandonné, par exemple? N'est-ce pas justement pour cette raison qu'il faut pouvoir délivrer rapidement des ordonnances de type exceptionnel?
M. Baker: Vous avez bien raison, et c'est pourquoi nous avons déclaré et nous répétons que nous n'avons aucune objection à faire au pouvoir de délivrer des ordonnances provisoires. C'est la procédure adoptée dans le cadre de ce pouvoir à laquelle nous nous opposons. Nous estimons qu'il appartient au tribunal de décider de délivrer une ordonnance faisant cesser tel ou tel comportement. Là encore, nous estimons que le plaignant n'y perdrait rien et qu'il ne risquerait pas de faire faillite sur une période d'un, de deux ou de trois jours, soit le temps qu'il faut pour s'adresser au tribunal.
Il s'agit ici de la procédure. Sénateur, où est la notion d'équilibre entre la menace et le risque de préjudice subi par le plaignant et la suppression de toutes les garanties juridiques qu'offre notre système lorsqu'on autorise le commissaire à être à la fois juge et jury?
Le sénateur Kroft: C'est une question qui me préoccupe et j'ai hâte d'entendre M. Hunter sur le sujet. J'ai besoin de me faire à l'idée de ce délai de deux ou trois jours ouvrables, parce que c'est un sujet bien particulier. Si vous pensez qu'il y a bien des scénarios différents sur la question des parts de marché, il y en a encore bien plus lorsqu'on parle du délai nécessaire pour intenter un recours devant le tribunal. Je reviendrai sur le sujet avec M. Hunter.
Vous nous avez présenté votre entreprise comme une société de transport dotée de tout un réseau alimenté par des lignes nationales et débouchant sur un réseau international. J'habite Winnipeg. À une certaine époque, je pouvais aller à Londres à partir de Winnipeg. Ce n'est plus possible. Il me faut passer par Toronto ou par Montréal. Si j'emprunte les lignes aériennes d'Air Canada, je peux ensuite prendre votre vol Toronto-Londres. Cependant, si j'effectue le vol de Toronto en passant par une autre société de transport aérien, cette dernière peut aussi m'offrir la possibilité de passer par sept autres compagnies aériennes qui ont des vols sur Londres, mais ce n'est pas cette possibilité de choix qui m'intéresse. Ce que je veux, c'est prendre un seul avion et aller directement à Londres.
Comment s'exerce la concurrence? Vous avez intérêt à ce que je prenne le vol de Toronto pour que vous puissiez me vendre ensuite un billet à prix élevé sur la ligne Toronto-Londres, ce qui est bien normal. Comment s'exerce la concurrence sur le trajet Winnipeg-Toronto? Y a-t-il des prix concurrentiels? Est-ce que vous êtes en mesure de m'offrir un billet moins cher sur le trajet Winnipeg-Toronto parce qu'au niveau de la transaction globale, vous êtes en mesure de me faire un prix sur cette partie du trajet parce que je vais ensuite acheter un billet très cher pour aller de Toronto à Londres? Comment tout cela joue sur le plan de la concurrence?
M. Baker: Nous allons vous faire payer le prix du billet de Winnipeg à Londres, que vous preniez ou non une correspondance, et nous allons structurer ce tarif en fonction des différents éléments du trajet. Le prix exact correspondant à la partie du trajet allant de Winnipeg à Toronto ne sera éventuellement pas le même que si vous aviez effectué ce seul trajet Winnipeg-Toronto. L'établissement de tous ces prix intermédiaires met en jeu un ensemble de facteurs précis et complexes que se chargent d'appliquer les directeurs des services du calcul de la rentabilité dans toutes les entreprises concernées. Bien évidemment, nous voulons vous donner la possibilité de voyager sans anicroche et sans complication à partir de Winnipeg en changeant à Toronto pour faire enregistrer vos bagages, et cetera. Si vous passez par un concurrent sur le trajet de Winnipeg à Toronto, en changeant ensuite d'aérogare, nous assurerons là aussi votre prise en charge.
Le sénateur Kroft: Êtes-vous prêt à dire que, de manière générale, vous êtes mieux placé que votre concurrent parce que vous assurez une correspondance avec le vol international; ou est-ce que vous allez me coûter plus cher parce que vous me tenez en otage pour que je puisse accéder à votre réseau? Est-ce que le Bureau de la concurrence se préoccupe de ces choses?
M. Baker: Nous examinons quelles sont vos possibilités de choix entre Winnipeg et Londres. En appliquant le tarif, nous examinons exactement comment se décomposent les différents tronçons de votre vol au cas où vous passeriez par quelqu'un d'autre que nous. Nous devons examiner votre coût total et évaluer dans quelle mesure nous pouvons vous offrir un tarif intéressant.
Le sénateur Kroft: Que se passe-t-il si je veux passer par British Air et aller de Toronto à Londres avec British Air alors qu'il me faut d'abord me rendre de Winnipeg à Toronto. J'ai déjà ma réservation sur British Air mais je vous demande alors de prendre le vol de Toronto. Quelle est la différence entre le prix du billet de Winnipeg à Toronto pour me raccorder au vol de British Air et celui de ce même trajet de Winnipeg à Toronto si je fais correspondance ensuite avec Air Canada?
M. Baker: Je ne peux vous donner de détails à ce sujet, sénateur. Je peux bien sûr m'engager à vous remettre plus tard, ainsi qu'à l'ensemble du comité, plus de précisions à ce sujet.
Le sénateur Kroft: J'essaie de comprendre, du point de vue du consommateur, quels sont les avantages pour le Canada de disposer d'un réseau international complet et pleinement intégré. Est-ce simplement pour faire vibrer notre fibre nationaliste parce que nous avons alors un transporteur qui bat pavillon canadien, ou est-ce que cela nous donne davantage de possibilités de choix? Est-ce que cela favorise effectivement la concurrence au sein du système?
En vous posant ces questions, je ne cherche pas à vous mettre sur la sellette et voir jusqu'à quel point vous avez bien consulté vos écrans pour connaître le moindre tarif horaire avant de venir vous voir. Nous avons tous bien du mal à apprendre ici sur le tas. Si je sais comment s'exerce la concurrence, je serai mieux en mesure de me prononcer sur le bien-fondé d'accorder à quelqu'un un pouvoir relativement arbitraire lui permettant d'agir sur-le-champ. C'est ce que nous devons décider ici. Est-ce que ce pouvoir est plus ou moins raisonnable que ne l'exigent les circonstances?
M. Baker: Je vous répète que nous ne nous opposons pas à ce que le commissaire puisse demander la délivrance d'une ordonnance provisoire et l'obtenir rapidement. Ce qui nous dérange, c'est la façon dont il va le faire et le fait que c'est lui qui va décider.
Le sénateur Kroft: Nous allons poser la question à M. Hunter.
Le sénateur Gustafson: L'objectif de cette loi, et le vôtre évidemment, doit être de bien servir le client.
M. Baker: Comme toujours.
Le sénateur Gustafson: Il fut une époque où Canadien et Air Canada assuraient des vols de Regina à Toronto, et l'on n'aurait pas pu bénéficier d'un meilleur service dans le monde. Il ne reste plus maintenant qu'Air Canada. Voilà 23 ans que j'effectue ce trajet en avion, et il semble qu'il y a toujours quelque chose qui ne va pas. Nous sommes parfois en retard, et je comprends bien que le mauvais temps peut poser parfois des problèmes. Je ne tiens pas à voler par mauvais temps. Toutefois, on a parfois l'impression que Regina est considéré comme le bout du monde. Quelle est la protection que confère cette loi aux consommateurs? J'espère que ce service va s'améliorer par le simple fait d'avoir mentionné ici Regina. Le service ne donne vraiment pas satisfaction.
Ainsi, la dernière fois que j'ai pris l'avion, aucun équipage n'était disponible. Lorsqu'un équipage a fini par arriver, on s'est aperçu qu'il allait dépasser son nombre d'heures de vol en effectuant ce trajet et il a donc fallu trouver un autre équipage. Nous sommes restés assis dans l'avion pendant environ une heure et 45 minutes avant de pouvoir partir. Ce genre de choses arrive très souvent.
Il n'y a aucun intérêt à adopter des lois qui ne profiteront pas à l'ensemble des Canadiens. Je n'ai aucun reproche à faire à la partie du trajet Toronto-Ottawa. L'avion et l'équipage sont toujours prêts. Un repas est servi même si la plupart des passagers n'en ont pas besoin sur un vol de 45 minutes. Par contre, lorsque je quitte Toronto à 7 h 40 pour arriver à Regina à minuit, aucun repas n'est servi. Air Canada aurait vraiment intérêt, il me semble, à se pencher sur la question.
M. Stephen Markey, vice-président, Relations gouvernementales et Affaires réglementaires, Air Canada: Regina est un marché important même si vous avez le sentiment que nous ne lui accordons peut-être pas toute l'attention qu'il mérite. En évoquant la période antérieure à la fusion, vous nous faites remarquer que Canadien et Air Canada desservaient toutes deux ce marché. Vous avez tout à fait raison. Nous disposions d'une grande capacité, de beaucoup de sièges et les fréquences étaient nombreuses. Jusqu'à un certain point, c'est la raison pour laquelle nous avons dû en venir à une fusion. Compte tenu de ce qui s'est passé depuis lors, nous comprenons votre point de vue. La fusion a été extrêmement complexe et difficile. Nous avons fait des erreurs de parcours, mais nous nous efforçons d'y remédier. Les repas, notamment, constituent l'une des principales sources de frictions avec les passagers qui empruntent fréquemment nos lignes parce qu'ils ont tendance à les intégrer dans leurs horaires. Nous avons apporté des changements ces derniers mois. Nous avons écouté nos clients, et plus particulièrement ceux qui volent souvent avec nous, et nous nous efforçons de leur donner satisfaction.
Le sénateur Gustafson: Cet avion est toujours comble. Il arrive que l'on offre de l'argent aux passagers pour qu'ils abandonnent leur siège. Ces vols vous font certainement gagner beaucoup d'argent. J'aimerais que vous vous penchiez sur la situation.
M. Markey: Je serai sur le vol de Regina dans quelques semaines et je vérifierai personnellement la qualité du service dispensé. S'il y a des défaillances — et je sais qu'il y en a, et pas seulement sur ce trajet, d'autres parties du réseau ne donnent pas entièrement satisfaction — nous devons y remédier.
Le sénateur Di Nino: Je suis sûr que vous allez aborder la question lors des discussions qui ont eu lieu au sujet de la concurrence et des moyens d'améliorer les services dispensés aux Canadiens, mais pourriez-vous nous dire quelle est la position adoptée par Air Canada en ce qui concerne les vols de correspondance intérieurs?
M. Baker: Nous avons souvent réitéré notre position. Nous y sommes favorables à condition que ce soit réciproque. Si l'on parvient à négocier un accord bilatéral avec les États-Unis en la matière, nous serons pleinement d'accord. Le programme modifié des six libertés que nous avons évoqué tout à l'heure au sujet du renforcement de la politique «ciel ouvert» permettrait d'accéder à ce type de modèle. Il s'agit là aussi d'un programme d'application réciproque et nous sommes tout à fait en faveur d'une telle mesure. Nous ne sommes pas partisans d'un mécanisme unilatéral de vols de correspondance intérieurs permettant aux transporteurs étrangers de venir chez nous sans qu'Air Canada ou WestJet ou toute autre entreprise nationale ait réciproquement la possibilité d'effectuer des vols sur leur marché intérieur.
Le sénateur Tkachuk: Je vous invite à consulter votre propre site Internet. Je ne sais pas exactement comment interpréter ces chiffres, mais ce dont je suis sûr, c'est que vous affirmez que votre part du marché intérieur est de 73 ou de 78 p. 100. C'est l'un des deux, ce qui représente une part significative du marché.
M. Baker: Nous étudierons la chose et nous vous communiquerons les résultats, mais il se peut que ce chiffre englobe des ententes de partage des sièges avec d'autres. Je ne sais pas exactement ce que représente ce chiffre, mais je m'efforcerai de le déterminer.
Le sénateur Tkachuk: On nous dit «que Air Canada maintient et renforce ses positions sur tous les marchés: pour le marché intérieur, c'est 73 p. 100 et 78 p. 100.» C'est ce que l'on trouve sur votre site Internet. Si ces chiffres sont erronés, il faudrait peut-être les changer.
Vous êtes inquiet à propos des amendements qui sont proposés aux articles 103.3 et 104.1 de ce projet de loi, et ce qui vous préoccupe surtout, c'est que le commissaire peut intervenir sur le marché, prendre des mesures et faire cesser les vols ou telle ou telle pratique adoptée par un transporteur s'il estime que cette pratique est contraire à la concurrence. Vous nous avez dit tout à l'heure qu'il pourrait prolonger ce délai autant qu'il le voulait. Ai-je raison d'affirmer, cependant, que pour le prolonger au-delà d'une période de 80 jours, il doit demander à l'office de réglementation l'autorisation de le faire?
M. Baker: Oui.
Le sénateur Tkachuk: Les questions qu'on va lui poser seront les suivantes: «Qu'avez-vous fait jusqu'à présent?» et «Que se passe-t-il maintenant?» Il est certain qu'on ne lui accordera pas cette prorogation de délai simplement parce qu'il l'a demandée.
M. Baker: Nous espérons que non.
Le sénateur Tkachuk: Il ne va demander une prolongation de 80 jours que s'il est en mesure de prouver qu'il en a besoin, n'est-ce pas?
M. Baker: L'un des sujets de préoccupation en ce qui a trait à la prorogation du délai d'application des ordonnances visant à faire cesser certains comportements vient du fait que, telle que la loi est rédigée à l'heure actuelle, si le commissaire a besoin de plus de temps parce qu'il n'arrive pas à obtenir tous les renseignements dont il a besoin pour conclure son enquête et si ce défaut d'information ne vient pas — supposons qu'en l'espèce on se plaigne d'Air Canada — d'un manque de collaboration d'Air Canada mais de celui d'autres parties, Air Canada se retrouverait alors dans une situation qui fait qu'une ordonnance continue à lui être opposée, avec tout le préjudice que cela peut causer, pour des raisons sur lesquelles elle n'a aucune prise et que ses adversaires peuvent manipuler dans leur propre intérêt en refusant de collaborer, en totalité ou en partie, avec le bureau. C'est pourquoi l'un des amendements que nous proposons consiste à demander que l'ordonnance ne soit prorogée que si le manque d'information dont se plaint le commissaire provient du défaut, de l'incapacité ou du refus d'Air Canada de fournir cette information et non pas d'une autre cause.
Le président: Je n'en suis pas sûr, parce que la formulation est un peu vague, mais je crois que le texte du projet de loi confirme les dires du témoin. On n'y précise pas si le défaut d'information doit provenir de la personne accusée. Il semble que ça s'applique aux deux parties. C'est là votre argument, n'est-ce pas?
Le sénateur Tkachuk: Il faut quand même que le commissaire s'adresse à l'office de réglementation pour l'obtenir.
Le président: Je ne cherche qu'à préciser les choses.
Le sénateur Tkachuk: On va s'assurer que le marché ne subit pas un préjudice. Je comprends vos craintes car vous estimez, étant donné que vous êtes le transporteur jouissant d'une position dominante, que vous allez faire l'objet de nombre de ces plaintes.
M. Baker: Oui. L'autre condition que j'aimerais invoquer, c'est qu'à partir du moment où une ordonnance est prolongée de 20 jours, de 30 jours puis encore de 30 jours jusqu'au délai de 80 jours et au-delà, le critère que doit faire valoir le commissaire pour convaincre le tribunal qu'il convient de proroger l'ordonnance devrait être de plus en plus strict. Il convient qu'il démontre que le préjudice que risque de subir le plaignant est pratiquement certain pour compenser les dommages et les conséquences subis par Air Canada en l'espèce. Nous ne pensons pas que le projet de loi soit rédigé de manière à maintenir cet équilibre.
Le sénateur Tkachuk: À l'heure actuelle, il peut délivrer une ordonnance faisant cesser certaines activités, mais il doit s'adresser à l'office de réglementation. C'est bien ça?
M. Baker: Non, ce n'est pas nécessaire. À l'heure actuelle, il peut le faire sans demander l'avis de personne.
Le sénateur Tkachuk: L'a-t-il fait?
M. Baker: Oui, à une occasion, sur une plainte de CanJet.
Le sénateur Tkachuk: Quel était le vol concerné?
M. Baker: Il s'agissait de différentes lignes dans l'est du Canada: Halifax-Ottawa, Halifax-Toronto et, je crois, Ottawa-Windsor.
Le sénateur Tkachuk: Quelles sont les difficultés que vous a créées cette ordonnance interdisant certaines de vos activités?
M. Baker: Nous n'avons pas pu pratiquer les tarifs que nous envisagions sur ces vols. Il est intéressant de remarquer que dans ce cas-là le commissaire n'a pas prorogé l'ordonnance pendant toute la période de 80 jours. Il l'a retirée avant l'expiration de ce délai. Après en avoir discuté avec le commissaire, nous n'avons pas rétabli les prix visés dans cette affaire. L'effet de dissuasion a été considérable.
Le sénateur Tkachuk: Que vous ayez 67 p. 100 du marché, comme vous l'affirmez, ou 78 p. 100, comme l'indique le document, est-ce que la formule Tango a pour but de maintenir ou au contraire d'augmenter la part de marché dont vous disposez déjà?
M. Baker: Il s'agit de répondre aux besoins indiqués par les consommateurs. Bien avant le 11 septembre, le marché enregistrait une désaffection du trafic commercial. Nous n'étions pas les seuls à le constater, c'était dans le monde entier.
Nous en avons pris acte et nous avons réaménagé un certain nombre de nos appareils pour nous adapter au secteur du marché à tarif réduit. C'est, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, l'orientation qu'a prise notre secteur et nous voulions nous adapter à cette tendance et prendre une partie de ce marché.
Lorsque la formule Tango a été mise en place, Air Canada avait fortement réduit sa capacité. Nous avions annoncé au départ une réduction pouvant aller jusqu'à 20 p. 100 du marché intérieur. Dans le cadre de ce service réduit équivalant, disons, à 80 ou à 85 p. 100 de ce qui existait antérieurement, nous avons mis en place la formule Tango. Autrement dit, nous avons retiré certaines lignes principales et nous leur avons appliqué la formule Tango.
Le sénateur Tkachuk: Je sais que vous êtes très préoccupé par la possibilité, pour le commissaire, de procéder comme vous dites qu'il va le faire. Je sais que vous vous en inquiétez, mais je sais aussi que sur un marché qui vous appartient à 78 p. 100, à 67 p. 100 ou dans un pourcentage de cet ordre, si l'on vous empêche de voler de Saskatoon à Edmonton, ou encore de Saskatoon à Vancouver en passant par Calgary, ce n'est pas une grosse perte, n'est-ce pas?
M. Baker: Je dirai que c'est une très grosse perte. Là encore, si vous voulez la quantifier, je suis prêt à le faire pour vous. Ne concluez pas automatiquement que même si ce ne sont pas de très longues distances et si ces lignes ne relient pas les grands centres urbains du pays, les répercussions de ces ordonnances interdisant certaines activités ne sont pas significatives. Elles le sont, bien sûr.
Le sénateur Tkachuk: Ce serait aussi une grosse perte si vous faisiez preuve d'un comportement contraire à la concurrence, n'est-ce pas?
M. Baker: La grosse question est de savoir comment il convient de procéder pour écarter certaines lignes. Il appartient en fin de compte au tribunal de déterminer si nous jouissons d'une position dominante, si nous recourons à des pratiques contraires à la concurrence et si notre comportement s'est traduit par un affaiblissement substantiel de la concurrence.
Le président: Messieurs, je vous remercie.
Nous allons entendre Nick Mulder et Lawson Hunter.
Messieurs, pour que cela soit consigné dans notre procès-verbal, je pense que vous avez certains liens avec Air Canada. Pouvez-vous nous les préciser exactement? Est-ce que chacun d'entre vous va faire un exposé?
M. Nick Mulder, directeur, Global Public Affairs: Nous allons vous expliquer qui nous sommes. Nous souhaitons tous deux aborder plus particulièrement une ou deux questions qui ont été évoquées. Nous comprenons bien que vous n'avez éventuellement pas beaucoup de temps.
Le président: Ne vous inquiétez pas du temps.
M. Mulder: Pour ce qui est de mes liens avec Air Canada, je possède depuis trois ans mon propre cabinet de consultation. L'un de mes clients est Global Public Affairs, une société de relations publiques qui conseille le gouvernement au Canada. Cette société compte Air Canada parmi ses clients. Je conseille Global Public Affairs et Air Canada sur différentes questions de politique et en matière de relations avec les gouvernements.
Le président: Est-ce que vous avez un contrat avec Air Canada?
M. Mulder: Pas directement. J'ai un contrat avec Global Public Affairs, qui est un de mes clients.
Le président: Directement ou indirectement, vous avez quelque chose à voir avec Air Canada.
M. Mulder: Oui, j'ai des intérêts financiers avec Air Canada puisque cette dernière est cliente de Global Public Affairs.
M. Lawson Hunter, c.r., associé, Stikeman Elliott: Depuis 1999, date marquant le début de la restructuration, je suis en relation avec Air Canada sur les questions de concurrence et de réglementation. Depuis cette date, je suis son avocat sur les questions de concurrence. J'ai témoigné pour son compte devant le comité de la Chambre des communes.
Le président: Je vous remercie.
M. Mulder: Comme Lawson, je suis originaire d'une petite ville du Nouveau-Brunswick et nous sommes très heureux de pouvoir comparaître devant le Sénat. C'est une tribune importante.
Sans perdre de temps, j'aimerais aborder rapidement trois questions qui ont déjà été évoquées. Il y a tout d'abord la question de savoir pourquoi un certain nombre de sociétés de transport aérien n'ont pas très bien réussi dans notre pays. Si j'en crois mon expérience, entrecoupée d'interruptions périodiques, du secteur du transport depuis le début des années 70, le manque de réussite de la plupart des sociétés de transport aérien n'a rien à voir avec le comportement de leurs concurrents; il s'explique par leur modèle de gestion, selon qu'elles y sont tenues ou qu'elles s'en sont écartées.
Ainsi, Greyhound avait adopté un modèle d'exploitation que tout le monde critiquait et qui n'a pas marché. Le modèle d'exploitation de Routes Air n'a pas obtenu de bons résultats. Nation Air s'était dotée d'un modèle d'exploitation dont elle s'est écartée, ce qui a entraîné des difficultés. Un certain nombre d'entreprises se sont retrouvées dans cette situation.
J'ai beaucoup d'admiration pour WestJet. Elle est partie de presque rien en 1996. Elle s'est donnée au départ un modèle d'exploitation et elle s'y est tenue. Elle obtient de très bons résultats en dépit de la concurrence et des chocs entraînés par les taux d'intérêt, le prix de l'énergie, le 11 septembre, et cetera. Elle se débrouille très bien parce qu'elle est bien gérée. Elle s'en est tenue à son modèle d'exploitation.
En second lieu, il y a la question de la position dominante. Sur les lignes aériennes internationales, on ne devrait jamais parler de chiffres globaux. Il y a très peu de petites villes et de villes moyennes en Amérique du Nord et en Europe qui sont desservies par plus d'une société de transport aérien. Il n'est pas très pertinent de considérer les chiffres à l'échelle du réseau parce que même dans certains pays, comme les États-Unis, où une société de transport aérien n'a peut-être que 25 p. 100 du marché national, sur certaines liaisons joignant entre elles deux villes, telle ou telle société de transport aérien pourrait bien avoir 80 ou 100 p. 100 du marché. Il faut toujours considérer les liaisons entre deux villes.
Lorsqu'on évalue la concurrence sur de courtes liaisons, il ne faut pas seulement considérer les sociétés de transport aérien mais aussi la route, le chemin de fer et l'autobus, parce que la population a le choix. CanJet et WestJet n'exercent pas autant d'activités dans l'Est du Canada, parce que les distances entre les villes sont plus courtes. J'ai des parents au Nouveau-Brunswick et, lorsqu'ils veulent se rendre à Montréal, ils sautent dans la voiture et prennent la route et non pas l'avion.
Pour évoluer une position dominante, il faut examiner ce qui se passe d'une ville à l'autre et tenir compte de tous les autres concurrents. Dans bien des cas, il n'y a qu'une seule société de transport aérien qui dessert la plupart des villes, que ce soit en Amérique du Nord ou pour d'autres pays dans lesquels je voyage, comme l'Indonésie ou la Malaisie.
Troisièmement, il faut privilégier les passagers. Je sais bien qu'il faut être conscient du rôle des sociétés de transport aérien, de leur viabilité et de l'ampleur de la concurrence, mais en dernière analyse une politique de transport doit toujours être axée sur les passagers et sur les expéditeurs de marchandises. Ce qui est bon pour eux doit nécessairement l'être pour l'ensemble du pays. La déréglementation a renforcé la concurrence, avec des hauts et des bas. Toutefois, dans l'ensemble, ce sont les passagers qui en bénéficient.
Le principe de la réglementation, que l'on fasse appel à un bureau de la concurrence ou à un groupe de fonctionnaires de Transports Canada — j'en faisais partie — n'est pas mon fort, car, même si nombre de ces gens sont intelligents et compétents, on ne peut pas réglementer ce secteur. Il évolue trop rapidement.
Le président: Pour que les sénateurs en prennent acte, pourriez-vous nous préciser exactement quelles étaient les fonctions que vous occupiez antérieurement?
M. Mulder: De 1975 à 1987, j'étais sous-ministre adjoint au ministère des Transports et j'ai eu l'occasion, entre autres, d'oeuvrer avec M. Mazankowski et M. Axworthy à la déréglementation de ce secteur, après quoi je suis revenu en 1993 en qualité de sous-ministre pour travailler pendant environ trois ans et demi pour le compte de Doug Young et de David Anderson. J'ai quitté le ministère au printemps 1997.
M. Hunter: Pour ceux qui ne le savent pas, j'occupais au cours des années 80 le poste de directeur, qui était alors l'équivalent de celui de commissaire à la concurrence. J'aime à dire, et j'ai vraisemblablement raison, que j'ai été le principal architecte des amendements apportés à la loi en 1985 et 1986, qui constituent en fait les parties essentielles du projet de loi dont nous parlons en ce moment.
Comme M. Mulder, en ma qualité de directeur, j'ai largement participé à l'époque à la déréglementation du secteur des transports aériens et d'autres secteurs d'activité parce que le Bureau a toujours préconisé une réglementation réduite au minimum. Comme vous l'avez fait avec M. Baker, nous pourrions nous lancer dans une discussion portant sur la réglementation. Vous le savez, il y a différents types de réglementation.
J'aimerais faire quelques observations générales au sujet de la politique de la concurrence, principalement des sociétés de transport aérien, mais je suis prêt aussi à répondre à toutes les questions que vous voudrez me poser au sujet des différentes dispositions du projet de loi C-23.
Je dois dire tout d'abord que la procédure est un élément essentiel de la politique de la concurrence. Il y a très peu d'affaires contestées en justice en vertu de la Loi sur la concurrence. Ce n'est pas seulement au Canada, mais aussi dans le cadre de tous les régimes de lutte contre les coalitions dans le monde entier, le responsable des enquêtes jouissant d'un énorme pouvoir discrétionnaire parce que le monde des affaires ne veut pas devoir s'adresser à la justice au moyen de procès longs et coûteux. Il est particulièrement important de respecter la régularité de la procédure et que chacun rende bien compte de ses actes parce que, dans bien des cas, la procédure débouche sur un résultat sans appel.
À mon avis, les amendements proposés aux articles 104.1 et 103.3 du projet de loi figurent parmi les plus importants qui aient jamais été proposés dans notre pays en matière de politique de la concurrence. Ils confèrent des pouvoirs provisoires dans des domaines où la loi est souvent peu précise. Ils peuvent facilement se traduire par des résultats sans appel étant donné que le monde des affaires, lorsqu'il fait face à des pouvoirs provisoires qui peuvent se prolonger pendant un certain temps, peut très bien se dire: «Il est inutile de lutter; autant abandonner.»
En considérant le préjudice, il vous faut non seulement tenir compte du préjudice causé aux parties essayant de lutter contre un concurrent en place ou contre une entreprise jouissant d'une position dominante, mais aussi du préjudice subi par le consommateur si ce dernier se voit refuser les avantages de la concurrence, même sur une courte période.
Je considère par ailleurs que les critères qui sont retenus par les articles 104.1 et 103.3 pour autoriser la délivrance d'ordonnances provisoires sont mal conçus, manquent d'équilibre et ne relèvent pas d'une bonne politique de la concurrence. Je ne suis pas contre le fait qu'il faut pouvoir accorder provisoirement certains pouvoirs, mais il faut alors maintenir soigneusement un certain équilibre entre les questions de fond et la procédure employée parce que, comme l'a indiqué M. Mulder, c'est le consommateur qui est le premier concerné par la politique de la concurrence. Il n'est presque jamais dans l'intérêt public de faire augmenter les prix payés par le consommateur en refusant aux entreprises en place ou à tout autre concurrent la possibilité d'appliquer des tarifs réduits.
En second lieu, je soutiens que la concurrence est inhérente au transport aérien. Dans le monde entier, on voit apparaître de nouvelles entreprises et en disparaître d'autres. Bien souvent, ce sont des petites qui apparaissent, évidemment, et des grosses entreprises qui sortent du marché. Aux États-Unis, Continental s'est restructurée à deux reprises. Depuis le 11 septembre, dans le monde entier, de très grosses sociétés de transport aérien ont cessé leurs activités.
On a posé une question au sujet des éléments d'actif mobiles. C'est parce qu'il y a des éléments mobiles dans le secteur du transport aérien que celui-ci est concurrentiel. Imaginez que vous disposez d'un aéronef sur la ligne A-B, qui n'est pas très rentable. Celui qui a une usine fixe comme une aciérie ne peut pas la déplacer là où elle est plus rentable mais, dans le secteur du transport aérien, c'est possible, et c'est ce qui nous rend si concurrentiel.
Il faut prendre bien soin d'éviter les notions trop simplistes de part de marché ou encore de position dominante. Je vous avoue franchement que M. Beddoe devrait mieux connaître la question. M. Mulder a abordé le problème des parts de marché du point de vue de la concurrence. Il faut y ajouter une dimension géographique. Ce n'est pas en parlant de la taille globale d'Air Canada que l'on comprend la nature de la concurrence qui s'exerce entre Regina et Toronto. Ce n'est pas parce qu'Air Canada fait un gros chiffre d'affaires dans l'est du Canada que cela nous fait comprendre ce qui se passe à Regina. Il faut examiner les parts de marché d'une ville à l'autre. Comme vous le savez, si l'on examine les parts de marché sous cet angle, on s'aperçoit que WestJet est le transporteur jouissant d'une position dominante sur la plupart des lignes dans l'ouest du Canada.
Il faut aussi bien savoir quels critères de mesure on emploie. Les recettes peuvent évidemment gonfler les parts de marché. Je pense qu'Air Canada se laisse parfois aller, ce que font la plupart des entreprises, en tenant à faire savoir quelle est forte et puissante. Il faut procéder à une étude géographique plus précise et en arriver à une notion plus juste des parts du marché.
Sur la question du préjudice causé à Air Canada, je tiens à me référer à l'ordonnance délivrée dans l'affaire CanJet. Le préjudice causé à Air Canada par la délivrance d'une ordonnance injustifiée est immédiat. Si on lui applique une ordonnance l'empêchant de baisser certains prix, elle perd des passagers. Elle perd des recettes. C'est précisément ce qui s'est passé lorsqu'on a délivré l'ordonnance dans l'affaire CanJet. Le préjudice financier causé à Air Canada devient significatif et l'on entre ainsi dans un cercle vicieux dans l'application des règles se rapportant à l'abus de position dominante.
Air Canada peut offrir un certain nombre de sièges sur une ligne donnée. Si un nouvel arrivant applique des tarifs réduits, Air Canada ne peut pas s'aligner. Les passagers passent alors au nouveau concurrent et Air Canada se retrouve avec des sièges vides. Soudainement, ses recettes ne couvrent plus ses coûts et le commissaire peut alors lui dire: «Il vous faut aussi cesser d'offrir ces sièges.» C'est un mécanisme de régulation de l'offre qui n'agit que dans un seul sens, et toujours au détriment d'Air Canada. Le préjudice financier subit par Air Canada est immédiat, mais l'on devrait surtout tenir compte du préjudice causé aux consommateurs. Les consommateurs n'auront plus le choix et ne pourront plus bénéficier de tarifs réduits.
Le sénateur Tkachuk: La question des parts de marché m'inquiète. Vous avez été tous deux des hauts fonctionnaires de l'administration, chargés de mettre en oeuvre la politique des transports et la politique de la concurrence. Si vous aviez été amenés à conseiller le ministre Collenette lorsqu'il a modifié la politique sur la concurrence pour permettre à Onex d'acheter à la fois Air Canada et Canadien, ce qui à l'époque, j'imagine, aurait entraîné la création d'une entreprise possédant à elle seule au moins 80 p. 100, sinon 90 p. 100 du marché, qu'est-ce que vous lui auriez dit de faire?
M. Mulder: C'est en partie une analyse effectuée a posteriori, mais il est certain qu'à l'époque nous étions un certain nombre à regarder les choses de l'extérieur et à nous demander si la meilleure solution n'était pas tout simplement de laisser Canadien subir les conséquences d'un manque de rentabilité plutôt que de favoriser une fusion. L'opération a été lancée et il y a eu une lutte entre Onex et Air Canada, qui ont fait de la surenchère. Air Canada est globalement une bonne société de transport aérien, mais elle a des charges intrinsèques qui remettent en cause sa viabilité à long terme, même si je pense qu'elle réussira.
J'ai fait savoir, au même stade, qu'Eaton n'était pas elle non plus en bonne posture, et elle a dû fermer ses portes. Plus de 25 000 employés ont perdu leur emploi. Je comprends bien qu'il est difficile pour une société de transport aérien de disparaître ou de faire faillite, par exemple, et que cela entraîne des bouleversements, mais il arrive qu'une compagnie aérienne soit mise en faillite et renaisse de ses cendres.
Je raisonne ici sur le plan global. Je comprends bien qu'il y a des répercussions sur la collectivité et sur les employés et que les enjeux politiques de cette décision étaient complexes, ce qui explique, finalement, que le gouvernement ait choisi d'appuyer une fusion sous une forme ou sous une autre.
M. Hunter: Du point de vue du droit de la concurrence, l'acquisition de Canadien plaçait le commissaire dans une situation délicate. Si le ministère des Transports n'était pas intervenu dans cette opération et si elle n'avait été examinée qu'à la lumière de la Loi sur la concurrence, je crois que le commissaire aurait été obligé de l'autoriser parce que Canadien était en train de faire faillite. Vous savez peut-être qu'en vertu de la Loi sur les fusions, il existe en substance un moyen de défense alléguant la faillite de l'entreprise. À partir du moment où une entreprise va de toute façon faire faillite, il est préférable de laisser un concurrent la reprendre parce qu'on sauve au moins des emplois. Le commissaire était placé dans une situation difficile. Si elle n'avait eu affaire qu'au commissaire, il est vraisemblable qu'Air Canada se serait retrouvée avec moins de contraintes qu'après avoir négocié avec le ministre des Transports.
Le sénateur Tkachuk: Le gouvernement souhaitait que la société de transport aérien ait une certaine part du marché.
M. Mulder: Il souhaitait une fusion et, dans toute la mesure du possible, il voulait protéger les services et les employés. Je doute fort que l'objectif était l'obtention de 90 p. 100 de parts de marché. Nous pouvons examiner les chiffres, mais lorsqu'on prend le nombre de sièges-mille disponibles, ça se monte à environ 80 p. 100.
M. Hunter: Les conditions négociées avec le commissaire visaient à faciliter l'entrée sur le marché de nouveaux arrivants. Air Canada, par exemple, devait mettre les milles Aeroplan à la disposition des petites sociétés de transport aérien nouvellement arrivées. Elle devait assurer des correspondances avec les lignes des petits transporteurs. Elle devait mettre des installations à leur disposition dans les aéroports. La politique du gouvernement et, bien entendu, du Bureau, était de favoriser l'accès au marché et d'imposer des restrictions à Air Canada pour que cela puisse se faire.
Le sénateur Tkachuk: Si Air Canada continue à augmenter sa part de marché en la faisant passer, disons, de 67, 73, 78 ou 80 p. 100 à quelque chose comme 85 p. 100, ce qui lui permettrait d'occuper une position dominante, quelle mesure pourrait prendre le gouvernement, avant d'adopter ce projet de loi, pour modifier cette situation?
M. Mulder: Pour en revenir aux liaisons entre deux villes données, je ne pense pas qu'Air Canada puisse vraisemblablement augmenter sa part de marché. Elle ne pourra que rebaisser à mesure que d'autres opérateurs entreront sur le marché.
Il y a deux points que j'aimerais aborder. Lorsqu'on parle d'augmenter la part de marché, si cela signifie qu'il y a une augmentation du trafic alors qu'en même temps les tarifs restent bas et les services sont de qualité, pourquoi se faire du souci? Si, dans la région de l'Atlantique, les tarifs sont plus bas, davantage de sièges sont disponibles, le service s'améliore et les opérateurs continuent à gagner de l'argent, qui va redire quoi que ce soit?
Depuis six ans, je suis en relation avec les sociétés téléphoniques de l'Atlantique. Elles continuent à assurer 92 p. 100 des communications téléphoniques interurbaines, en dépit du fait que ce marché a été déréglementé. C'est parce qu'elles fournissent un excellent service. Elles sont novatrices et leurs coûts sont peu élevés. AT&T et Sprint se lancent sur ce marché, mais elles n'ont pas beaucoup de succès.
Le sénateur Tkachuk: C'est le fait qu'elles ont peur d'aller sur ce marché qui est important.
M. Mulder: Je sais. Dans la région de l'Atlantique, n'importe qui, à n'importe quel moment, peut lancer une société de transport aérien. Si l'on s'en tient au modèle de WestJet, on peut réussir. Une fois sur ce marché, si l'on cherche à acquérir l'image d'Air Canada, on ne peut que se heurter à des problèmes de concurrence.
Le deuxième point est celui des politiques. Les politiques ne doivent pas consister à faire appel à une grande quantité de fonctionnaires chevronnés au sein du Bureau de la concurrence et de l'Office des transports du Canada pour réglementer ce secteur. Ça ne peut pas bien fonctionner. Le pape Alexandre n'a pas réussi à partager le monde et faire en sorte que cela dure. Le Bureau de la concurrence et l'Office des transports du Canada ne peuvent pas se prononcer sur l'alpha et l'oméga de la concurrence.
Nous devons continuer à élaborer une politique à long terme, comme nous l'avons vu faire dans le monde entier, en Amérique du Nord et au Canada, et ouvrir davantage notre secteur. Il faut permettre aux gens de voler de Toronto jusqu'à Chicago ou Vancouver. Il faut autoriser les sociétés de transport aérien telles que Cathay Pacific, lorsqu'elles arrivent à Vancouver, à poursuivre jusqu'à Toronto en faisant monter des passagers à Vancouver. Il faut libéraliser davantage les vols internationaux. Il nous faut une zone libre en Amérique du Nord. Nous devons régler le problème des portes dans les grands aéroports. Ce problème est parfois plus épineux que celui de la structure des tarifs sur le plan de la concurrence.
Il faut poursuivre ces politiques. C'est ce que nous devrions chercher à faire au cours des trois ou quatre prochaines années, plutôt que de donner davantage de pouvoirs à un groupe de spécialistes de la réglementation. L'évaluation des coûts à court terme est un cauchemar pour les comptables et un régal pour les avocats. Je suis passé par là. C'est impossible à faire. J'ai consacré trois années à une classification universelle des comptes dans le secteur des chemins de fer. Voilà pourquoi je me suis fait des cheveux gris avant mon temps. Ça n'a mené à rien. C'était fait dans le but de contrôler les tarifs de transport des marchandises par les chemins de fer. Le sénateur Gustafson connaît bien la question. Ça ne donne aucun résultat.
Ce n'est pas la peine de conférer davantage de pouvoirs au Bureau de la concurrence ou à l'Office des transports du Canada pour qu'ils puissent réglementer les parts de marché. En écartant Air Canada des petites localités pour la remplacer par une autre société de transport aérien, on ne fait que remplacer un monopole par un autre. Quel est l'intérêt pour les passagers?
Le sénateur Tkachuk: WestJet a bien servi les passagers de l'ouest du Canada et elle dessert les mêmes destinations qu'Air Canada. Cette société est excellente.
M. Mulder: Elle a bien débuté en 1996. Elle a procédé par étapes. Elle s'en est tenue à son modèle d'exploitation. Elle dispense un excellent service et elle est bien gérée. Elle a un produit bien ciblé. Ce modèle fonctionne, dans la mesure où l'on s'y tient.
WestJet est le parfait exemple d'une politique des transports qui fonctionne et du fait que la concurrence peut très bien s'exercer dans le secteur du transport aérien à partir du moment où une société est bien gérée, suit un bon modèle d'exploitation et dispense systématiquement un service de qualité.
Le sénateur Tkachuk: Quel est le modèle d'exploitation d'Air Canada? Cette société a perdu de l'argent.
M. Mulder: Elle est en train de changer son modèle d'exploitation.
Le sénateur Tkachuk: Qu'est-ce qu'elle cherche à faire?
M. Mulder: Tout le monde se rend compte au plan international que ce n'est plus à la partie supérieure du marché — la classe d'affaires et les passagers payant plein tarif — qu'il faut s'attaquer. Les clients n'en veulent plus. Entre 70 et 75 p. 100 des passagers voyagent aujourd'hui avec des billets comportant une remise, sous une forme ou sous une autre. Les clients se prévalent de billets à prix réduit. Ils veulent un modèle dont le coût est peu élevé.
Il fut un temps où les voyages en avion étaient considérés comme un luxe, l'événement de toute une vie. C'est devenu désormais un produit courant. Le client veut aller en avion du point A au point B. Il n'a pas besoin de services recherchés.
Tout le monde s'adresse maintenant à cette couche inférieure du marché. Ces deux dernières années, Air Canada s'est orientée dans ce sens. C'est pourquoi nous marchons sur les plates-bandes d'entreprises comme WestJet.
Où est le mal du point de vue des passagers? C'est le passager qui doit compter avant tout.
Le sénateur Tkachuk: Il n'y a aucun mal, à condition que l'on agisse de manière légitime et non pas pour évincer un concurrent.
M. Mulder: WestJet en est le parfait exemple. Malgré la présence de Canadien et d'Air Canada et de la fluctuation des taux d'intérêt et du prix des carburants, aggravée encore par les événements du 11 septembre, WestJet s'en est tenue à son modèle et s'en est très bien portée. Je reconnais à sa juste valeur le travail accompli par M. Beddoe et son équipe. C'est vraiment là la preuve que lorsqu'on sait ce qu'on fait, on peut réussir dans le secteur du transport aérien.
Le sénateur Poulin: Pourquoi alors M. Beddoe est venu ici même appuyer résolument les amendements apportés à la Loi sur la concurrence par ce projet de loi?
M. Mulder: Je n'en sais rien.
M. Hunter: Je me suis moi aussi posé la question. Il a parfaitement réussi avec WestJet. WestJet a une plus grosse capitalisation sur le marché qu'Air Canada. Vous savez peut-être que Southwest, qui a inspiré le modèle de WestJet, a une plus forte capitalisation boursière que l'ensemble des cinq grosses sociétés de transport aérien qui suivent aux États-Unis. Ce modèle donne des résultats.
Pourquoi vient-il ici alors qu'il a su mener sa petite affaire, comme nous l'a rappelé M. Mulder, en faisant bien son métier et en étendant progressivement mais inexorablement ses services à tout le pays? Il y voit un avantage stratégique. S'il peut se servir du gouvernement et de la politique de réglementation dans son propre intérêt commercial, pourquoi se gênerait-il? Nous vivons dans un pays libre.
Le sénateur Tkachuk: Les deux sociétés de transport aérien s'alignent sur le modèle de Southwest.
M. Hunter: Je ne pense pas qu'il en sera ainsi. Elles s'orientent dans ce sens. Je pense qu'il faut donner crédit à Air Canada de s'être aperçue, plus tôt que la plupart de ses concurrents internationaux, de cette orientation du marché en faveur d'un service minimum, à prix réduit.
Vous le savez peut-être, il y a deux ou trois ans, British Airways a annoncé qu'elle n'allait plus desservir le segment du marché à prix réduit. Depuis le 11 septembre, elle a fait une volte-face complète. Il lui faut s'attaquer à la concurrence.
Je suis surpris d'entendre, lorsqu'il y a un nouvel arrivant sur le marché qui baisse les prix, qu'il n'est pas normal qu'Air Canada s'aligne sur ces prix. Que veut-on qu'elle fasse? C'est une société de transport aérien comportant un réseau coûteux. Nous le savons tous. Nous savons que ses coûts sont plus élevés que ceux de WestJet. Nous savons qu'elle a des syndicats et qu'il lui faut respecter certains droits. Nous savons que le pays s'attend à ce qu'elle dispense de nombreux services, à plusieurs niveaux, et à ce qu'elle fasse flotter le pavillon canadien à l'étranger. Faut-il qu'Air Canada reste les bras croisés en se disant: «Nous ne pouvons pas baisser nos prix et nous allons donc perdre cette partie du marché»?
Si vous cherchez un modèle pour mettre Air Canada en faillite, vous l'avez trouvé.
Le sénateur Tkachuk: Est-ce qu'Air Canada, parce qu'elle a ces coûts plus élevés, doit pouvoir pratiquer des prix inférieurs à ses coûts?
M. Hunter: Air Canada doit trouver le moyen d'abaisser ses coûts de façon à pouvoir gagner de l'argent. C'est là, bien entendu, le rôle de Tango.
Le sénateur Kroft: La question de la mobilité du matériel est intéressante. J'ai été impliqué indirectement sur le sujet avec un autre client lorsque la mobilité du matériel était le grand avantage dont disposait tout le monde sur le marché, qu'il s'agisse des sociétés de chemin de fer, des supermarchés, et cetera. Nous avons eu cette conversation avec le commissaire.
J'ai promis à un témoin précédent de vous interroger à votre tour sur la question de la rapidité avec laquelle le commissaire peut s'adresser au tribunal. On nous a donné toutes sortes de chiffres et nous entendons dire constamment que la procédure est trop longue et qu'elle doit être accélérée. Pouvez-vous nous donner quelques assurances en la matière?
M. Hunter: N'oubliez pas que même aux termes des projets d'article 104.1 et 103.3, il est possible de présenter une requête ex parte au tribunal dans des cas exceptionnels. L'autre partie n'est pas entendue. Toutefois, le tribunal a prouvé de manière générale qu'il souhaitait agir rapidement sur ces questions. Dans les affaires de fusion, le commissaire peut obtenir des ordonnances provisoires, généralement de type interlocutoire et à effet suspensif. Je ne sais pas si vous êtes familiarisés avec cette notion. Elles sont généralement accordées par téléphone, sur requête, et souvent avec l'agrément des parties. Je ne pense pas que ce soit très long. Pour que le tribunal accorde cette ordonnance, il convient qu'il soit satisfait par ailleurs qu'il faudra un certain temps pour prendre une décision définitive. Je considère que ce critère, tel qu'il est structuré à l'heure actuelle, est mal adapté et n'est pas assez strict; toutefois, il n'est pas difficile à appliquer.
Le sénateur Kroft: Pourriez-vous nous exposer les critères qui, selon vous, permettent de s'adresser au tribunal?
M. Hunter: Selon le critère qui figure actuellement à l'article 104.1, il faut que le commissaire entame une enquête. Il en a le pouvoir. Il doit se demander si, en l'absence d'une ordonnance, un préjudice risquerait d'être causé à la concurrence auquel le tribunal ne pourra pas remédier de manière satisfaisante. C'est un bon critère, parce qu'il se rapporte aux effets causés à la concurrence.
Ce qui me dérange, cependant, c'est le sous-alinéa (ii) qui dispose:
soit un compétiteur sera vraisemblablement éliminé ou une personne subira vraisemblablement une réduction importante de sa part de marché [...]
Qu'est-ce que la concurrence? Certains concurrents gagnent des parts de marché et d'autres en perdent. Ce qui vient ensuite est pire. On dispose:
[...] une perte importante de revenu [...]
Qu'est-ce que la concurrence? Il s'agit de savoir qui gagne de l'argent. Si Air Canada s'aligne sur les tarifs d'un nouveau concurrent, on va lui dire ensuite: «Si vous n'aviez pas baissé vos tarifs, j'aurais gagné plus d'argent. J'ai maintenant un manque à gagner.» Le dernier critère est facile à appliquer, puisqu'on ajoute:
[...] ou des dommages auxquels le Tribunal ne pourra adéquatement remédier.
Le tribunal ne peut pas remédier au préjudice financier. Ce critère est trop laxiste.
Lorsque, pour la première fois, le commissaire a délivré une ordonnance, dans l'affaire impliquant CanJet — et Air Canada a fait appel devant le tribunal — la justice a déclaré que cette ordonnance ne se justifiait pas. Le gros inconvénient, c'est que personne n'exerce un contrôle sur ce fonctionnaire. La seule fois où le commissaire a fait usage de ce pouvoir, le tribunal a jugé qu'il l'avait fait abusivement.
Le sénateur Kroft: S'il existe une solution de rechange rapide et adéquate ainsi qu'une jurisprudence bien établie, tant au niveau de la procédure que du principe général, pourquoi pensez-vous que le gouvernement juge tellement nécessaire d'adopter cette mesure exceptionnelle?
M. Hunter: C'est une bonne question. Que ce soit au niveau de la réglementation ou de la politique de la concurrence, je ne vois pas pourquoi cette mesure est nécessaire dans le secteur du transport aérien. Comme nous l'avons dit et répété avec M. Mulder, il s'agit là probablement d'un secteur dans lequel la concurrence joue le plus facilement à la base. À quoi riment des mesures exceptionnelles visant expressément le secteur du transport aérien alors qu'il y a dans certaines villes des sociétés de téléphone et des journaux qui sont des monopoles? Nous en connaissons l'existence. Il y a aussi des sociétés comme Microsoft, qui possède plus de 90 p. 100 du marché, sans que le gouvernement ne prenne de mesures particulières à leur encontre. Il est bien plus difficile d'accéder à ces marchés. Je ne comprends pas. Si vous me demandez mon avis personnel, je pense que cela tient à la politique. Ce n'est pas une bonne façon d'administrer le secteur. Tout simplement, il est de bon ton de taper sur Air Canada. Je ne peux pas voir autre chose.
Le sénateur Kroft: J'aimerais aborder avec vous une autre question qui m'inquiète encore plus sur le plan de la régularité de la procédure, en l'occurrence la disposition qui porte sur l'entraide juridique.
L'un de vos anciens collègues, M. Addey — et d'autres intervenants ont aussi évoqué la question — a bien illustré la chose dans son exposé. Il a été frappé par l'absence de notification et par le fait qu'il n'était pas nécessaire d'entendre la partie concernée. Il nous a illustré par quelques exemples ce qui pouvait se passer. Il a évoqué dans son témoignage la possibilité, pour des fonctionnaires d'un pays étranger, d'entrer dans les bureaux de Bombardier et de se procurer des documents appartenant à un tiers, à un fournisseur, par exemple. C'était une histoire à faire se dresser les cheveux sur la tête. On nous a conseillé de ne pas écouter M. Beddoe car celui-ci ne présentait qu'un côté des choses.
Pourquoi adoptons-nous ces mesures d'entraide juridique? Est-ce nécessaire pour se conformer aux pratiques commerciales de nos partenaires de l'autre côté de la frontière?
M. Hunter: Le monde de la lutte contre les coalitions converge au plan mondial. Avec la mondialisation, si c'est le nom que vous voulez donner à la chose, on assiste à davantage de transactions et de fusions. On voit davantage d'entreprises se comporter comme Microsoft à l'échelle mondiale. Pourtant, nos lois sur la concurrence et contre les coalitions restent nationales. Il est dans l'intérêt du monde des affaires — et c'est certainement ce qu'on est prêt à alléguer sur le plan des fusions — à ce que l'application de nos lois dans ce secteur soit mieux harmonisée. Il est bon d'instaurer une certaine collaboration entre les différents organismes chargés de la répression. Ça ne fera que s'accentuer avec le temps.
Il faut, à mon avis, que le Canada évite de jouer les paladins et d'agir à son détriment vis-à-vis des autres pays. Certaines de ces dispositions m'inquiètent.
Il y a tout d'abord la portée de l'information divulguée par le Canada. Je m'inquiète au sujet des États-Unis, je vous l'avoue franchement, parce que ce pays est notre principal partenaire commercial. Comme vous êtes nombreux à le savoir, des recours en dommages-intérêts peuvent y être facilement intentés dans le domaine de la lutte contre les coalitions et leur usage est bien plus répandu aux États-Unis qu'au Canada. Leurs avocats sont bien plus rapaces que les nôtres. Il y a une multitude d'avocats se chargeant d'introduire des recours privés aux États-Unis et qui intentent un recours collectif à la moindre anicroche.
J'ai eu un client au Canada qui en a subi les conséquences. Les renseignements transmis aux États-Unis qui sont évoqués lors des enquêtes effectuées par les jurys d'accusation tombent rapidement dans le domaine public. Presque immédiatement, on intente des recours collectifs aux États-Unis. Même si l'enquête effectuée par le jury d'accusation ne débouche sur rien de concret, une fois que ce genre d'opération est lancée, il faut des années et des millions de dollars pour s'en débarrasser.
Nous n'avons pas vraiment la réciproque au Canada. On risque d'exposer des entreprises canadiennes à un régime juridique qui, pour elles, est plus onéreux que si les clients venaient au Canada. Cela m'inquiète. Nous devons éviter avec soin que ces dispositions autorisent le gouvernement canadien à jeter le discrédit sur des entreprises canadiennes alors qu'aucune mesure de répression n'est prévue au Canada. Si le Canada faisait enquête sur ce même genre de comportement, il n'y aurait aucun intérêt véritable à collaborer. On a à faire face de toute façon aux autorités des deux côtés de la frontière et autant faire connaître les faits et ne plus y penser. Toutefois, si ce n'est pas le cas, il faut se montrer plus prudent.
L'un des défauts du projet d'article 30.01, c'est que l'on ne parle pas du fond de l'affaire. La procédure est évoquée, mais pas ce qui va se passer effectivement. Ainsi, le projet de sous-alinéa 30.01c)(i) dispose:
des circonstances dans lesquelles le Canada a le droit de refuser, en tout ou en partie, une demande [...]
C'est l'élément clé. Toutefois, nous ne savons pas en quoi cela consiste. On peut présumer que s'il y a un accord, il faut qu'il y ait des consultations au sujet de cet accord. C'est l'essentiel, à mon avis. Quand peut-on alors refuser de coopérer?
M. Addy a allégué que l'on pourrait être passible de poursuites civiles chez nous et de poursuites pénales dans un autre pays, ce qui ne semble pas légitime. Je partage son point de vue. Nous devons être prudents sur ce point.
Le sénateur Kroft: L'absence de notification pose aussi un problème.
M. Hunter: Je ne suis pas aussi résolu que M. Addy sur la question parce qu'il faut pouvoir éviter de donner une notification lorsqu'on craint, comme on a pu le voir dans l'affaire Enron, que les documents disparaissent soudain et qu'on ne puisse plus les consulter. Il faut voir l'envers de la médaille. Néanmoins, je pense que l'on pourrait établir un certain critère en vertu duquel il faudrait notifier l'affaire à moins que l'on craigne la destruction de certains documents ou de certaines preuves.
Le sénateur Kelleher: Si nous supprimions l'article 104.1, est-ce qu'à votre avis ce projet de loi donnerait des résultats acceptables?
M. Hunter: J'en suis tout à fait convaincu. J'aimerais vous faire rapidement l'historique législatif de l'article 103.3.
Le sénateur Kelleher: J'ai essayé sans succès de faire des recherches sur ce point et vous êtes donc le bienvenu.
M. Hunter: L'article 104.1 a été adopté et M. Baker vous en a fait l'historique. Air Canada s'y était opposée à l'époque pour la même raison qu'à l'heure actuelle, soit qu'il apparaît illégitime de conférer aussi le rôle de juge au responsable de l'enquête. Le barreau s'y est opposé à l'époque, de même que d'autres intervenants. Toutefois, l'article a été adopté et nous étions en proie aux affres de la période ayant suivi la fusion alors que l'on s'inquiétait de la taille d'Air Canada.
Le commissaire a alors entrepris une nouvelle ronde de consultations sur les amendements devant être apportés à la loi. Il a organisé des tribunes publiques dans le pays pour savoir quelles étaient les dispositions ayant besoin d'être amendées et, dans le lot, on a proposé que ce pouvoir conféré par l'article 104.1 puisse être exercé par le commissaire à tout moment, dans l'ensemble des secteurs, comme c'est le cas actuellement. La réaction publique à l'issue de cette consultation a été presque unanime. On a considéré que l'idée était mauvaise et qu'il n'était pas justifié de conférer au commissaire les pouvoirs d'un juge. C'est pourquoi on a introduit les dispositions de l'article 103.3. Tout le monde a estimé que ce n'était pas légitime.
Voilà où nous en étions, le projet de loi avait déjà été adopté et on en est resté là. C'est à mon avis ce qui s'est passé.
[Français]
Le sénateur Poulin: On a entendu plusieurs témoins et ce qui me frappe le plus dans ces témoignages, c'est le nombre de témoins qui appuient le projet de loi et le nombre de témoins qui s'y opposent. J'ai été surprise quand j'ai appris que la Chambre des Communes avait voté unanimement pour ces amendements à la Loi sur la concurrence. Vous avez parlé tantôt de questions politiques; toutefois, à la Chambre des Communes, il n'y a pas eu de questions politiques parce que les partis ont voté en faveur du projet de loi. Comment expliquez-vous ce vote?
[Traduction]
M. Mulder: Je n'étais pas là lorsque cette mesure a été présentée. Je crois savoir qu'elle l'a été le 4 décembre alors que nous en étions à l'étude article par article. Il n'y a pas eu de débat de fond et aucun témoin n'a été appelé à intervenir. Je crois qu'elle a été adoptée en quelques jours dans le cadre d'un projet de loi d'application générale qui a été renvoyé devant la Chambre des communes.
On peut certainement se demander — et j'ai pris part à l'élaboration de bien des lois — si l'on a bien respecté ici la régularité de la procédure. Je ne sais pas si l'on a débattu suffisamment de cette mesure ou ce que le commissaire a bien pu dire avant que le comité ne le convainque que c'était la meilleure façon de procéder, mais on peut se demander, à partir du moment où il a déposé des amendements à la dernière minute, si les parlementaires n'avaient pas au minimum le devoir d'entendre les témoignages, pour ou contre cette mesure, de la part des différents groupes d'intérêt. On pourrait penser que la régularité de la procédure aurait dû être respectée. Je ne sais pas ce qui a fait changer d'avis les parlementaires.
Le sénateur Poulin: Ma question porte sur un problème évoqué par plusieurs témoins et je vous la pose en votre qualité d'ancien sous-ministre connaissant le secteur et son évolution.
Bien des gens se sont demandés s'il était bon d'agir dans le cadre de la Loi sur la concurrence pour s'assurer que le secteur des transports opère avec succès dans un bon régime de concurrence. Pouvez-vous nous dire ce qu'il est advenu au fil des années des règlements d'application de la LTC que vous avez mentionnée tout à l'heure?
M. Mulder: C'est M. Hunter qui est le spécialiste en matière de politiques et de lois sur la concurrence, mais si je comprends bien, c'est une législation de portée générale qui doit s'appliquer à tous les secteurs et non pas s'en tenir à un secteur ou à une entreprise en particulier. Je suis pleinement d'accord avec cette orientation. Les responsables ne devraient pas faire de la réglementation. Ils devraient garantir la concurrence.
À la fin des années 70 et au début des années 80, la Loi sur les transports au Canada servait à tout réglementer. Nous continuons à réglementer de nombreux accords bilatéraux internationaux. Tout ce dont les parties ne conviennent pas expressément est automatiquement exclu. C'est là un autre domaine qu'il convient d'aborder. L'Office des transports du Canada n'a, tout bien considéré, plus aucun rôle à jouer dans la réglementation du transport aérien. J'ai été d'accord en partie avec M. Axworthy et M. Mazankowski puis, par la suite, avec Doug Young. J'ai été l'un des principaux responsables à réclamer que l'office ne se mêle plus de réglementation. J'ai fait toute une carrière de fonctionnaire. Lors des 15 premières années de cette carrière, je considérais que le gouvernement ne pouvait jamais mal faire. J'ai conclu au bout de 15 ans qu'il pouvait arriver bien souvent au gouvernement de faire beaucoup de mal.
L'un des domaines qui ne nous convient pas, et ce n'est pas faute de talents ou de compétences, c'est celui de la réglementation d'un secteur donné. Lorsqu'il cherche à réglementer ou à gérer dans ses moindres détails le secteur de l'énergie, celui des télécommunications ou celui des transports, le gouvernement ne peut pas s'en sortir. Il n'en a pas la capacité. Il est bien préférable qu'il s'en tienne tout simplement aux jeux des forces du marché, qui s'en chargeront. J'ai proposé tout à l'heure que nous poursuivions la mise en place de toute cette politique «ciel ouvert» en libéralisant, c'est- à-dire en adoptant, les cinq libertés, les six libertés, que sais-je encore. C'est la façon de procéder. Dans la mesure où vous avez de bons entrepreneurs qui connaissent leur métier, comme WestJet, tout va bien se passer.
M. Hunter: Je vais ajouter deux mots à cette réponse au sujet de l'organisme des transports. Il y a encore des dispositions dans la LTC qui permettent aux responsables de revoir les prix sur les lignes faisant l'objet d'un monopole, et ce pouvoir a pris de l'ampleur au moment de la fusion parce que l'office a eu ainsi la possibilité d'agir de sa propre initiative et non pas simplement en répondant à une plainte.
De manière générale, lorsqu'on déréglemente un secteur, on se préoccupe de savoir si l'on va se retrouver en face d'un monopole, et c'est pourquoi, lorsque le téléphone était un monopole, on réglementait ses tarifs. Une fois que la concurrence s'est exercée, tout a changé, mais il reste certains pouvoirs permettant d'intervenir au sujet de la quantité et de la qualité des services dispensés sur les lignes desservies par une seule société de transport aérien.
Le sénateur Poulin: En arrivant, vous nous avez dit que vous étiez tous deux originaires de l'est du pays. Je viens de Sudbury et je sais que, selon votre définition, Bearskin va être heureuse d'apprendre qu'elle est une société de transport aérien jouissant d'une position dominante dans le nord de l'Ontario. Étant donné que bien des régions de notre pays ne sont pas aussi accessibles que d'autres, n'êtes-vous pas d'accord pour dire que certains services essentiels doivent être assurés par des sociétés alimentées par des fonds publics?
Vous nous dites que dans le secteur du transport aérien de notre pays, une déréglementation totale et une libre concurrence — même s'il existe des sociétés de transport bénéficiant d'une position dominante — permettront de dispenser un bon service aux passagers. Selon vous, c'est la qualité du service fourni aux passagers, à un coût raisonnable, qu'il convient finalement de garantir. Pensez-vous que notre pays puisse s'en sortir dans ces conditions?
M. Mulder: Votre question est excellente, parce que c'est un point fondamental. Je ne vois aucune petite localité de 5 000 à 10 000 habitants dans notre pays — même si j'imagine que ça peut arriver à des villages d'une centaine de personnes — qui n'ait pas accès aux services d'une société de transport aérien dans un rayon de 50 kilomètres. Je pense même à une localité dans laquelle j'ai longtemps habité, Perth. On peut aller à Kingston pour y prendre l'avion. Il peut certes y avoir des localités éloignées dans le grand nord. Toutefois, même si vous allez à Pangirtung — j'y suis allé à plusieurs reprises ces 15 dernières années — il y a toujours une société de transport aérien.
Quant au montant des tarifs qui doivent être pratiqués, c'est une autre question. Il y a aussi d'autres éléments à considérer. Les taxes immobilières sont bien plus faibles. S'il faut choisir, est-ce que les gens vont vouloir bénéficier de tarifs inférieurs ou encore de meilleures écoles et de meilleurs services médicaux? J'ai déjà travaillé au sein des hôpitaux et je sais que bien des gens dans ces régions éloignées veulent avoir un médecin dans chaque localité. En quoi serait-il plus important pour de nombreuses petites localités de bénéficier d'un transport aérien bon marché plutôt que de bon nombre d'autres services essentiels dont elles ont besoin? Si le gouvernement cherche à les subventionner, il est bien possible que ces populations demandent une amélioration des services médicaux plutôt qu'une réduction des tarifs aériens alors que seulement 10 p. 100 des gens se déplacent régulièrement en avion.
Le sénateur Poulin: Je ne préconise pas de faibles tarifs, je préconise des tarifs raisonnables car, pour les habitants du nord de l'Ontario, le transport aérien est fondamental. Vous nous avez dit que les habitants de l'Est peuvent choisir de prendre leur voiture, le train ou l'autobus. Dans le nord de l'Ontario, il n'y a pas pratiquement pas de train de passagers et les possibilités de choix sont donc limitées.
M. Mulder: Je ne qualifierais absolument pas Sudbury de localité isolée, mais pour les habitants de Moosonee, la seule solution est la voie des airs. Une société de transport aérien opère dans cette localité.
En matière de modèle d'exploitation, j'admire particulièrement une société comme First Air. Elle exerce ses activités depuis plus de 20 ans et elle a toujours gagné de l'argent parce qu'elle s'en est tenue à son modèle de base.
Le sénateur Poulin: Je ne parle pas des collectivités isolées, mais plutôt de régions qui doivent absolument passer par Toronto, par Montréal ou par Vancouver pour faire des affaires, et qui, par conséquent, doivent pouvoir bénéficier de liaisons aériennes à un coût raisonnable. Il y a aussi le côté pratique de ces affaires. Il faut que les gens puissent faire l'aller-retour en avion dans la journée. Je trouve intéressant qu'en définissant la stabilité de la concurrence, vous soyez totalement en faveur d'une politique «ciel ouvert».
M. Mulder: Oui, dans la mesure où Air Canada a été obligée à desservir de nombreuses petites localités. Si elle n'était pas tellement impliquée dans ce secteur, Air Canada encouragerait peut-être davantage d'opérateurs à faible coût à exploiter ces lignes. Cela pourrait d'ailleurs entraîner une amélioration de la fréquence des vols tout en réduisant le fardeau d'Air Canada. Toutes les localités ne sont pas nécessairement bien desservies par une société de transport aérien jouissant d'une position dominante.
Le sénateur Poulin: En vous fondant une fois encore sur votre expérience, pourriez-vous nous dire, monsieur Mulder, quelle serait l'application dans la pratique du projet d'article 104.1?
M. Mulder: Je ne suis pas spécialiste de la question.
Le sénateur Poulin: Pourriez-vous nous en faire part, monsieur Hunter?
M. Hunter: Vous voulez parler de l'article 104.1 ou de l'article 103.3?
Le sénateur Poulin: Il s'agit du projet d'article 104.1.
M. Hunter: Sauf pour ce qui est du responsable de la décision, ils sont très semblables. Il y a une autre différence que je vais vous indiquer. Je suis sûr que ça s'est produit un certain nombre de fois au sein du Bureau, mais prenons l'exemple de CanJet. CanJet démarre et pénètre sur certains marchés; Air Canada réagit en abaissant ses prix et CanJet se plaint au Bureau en alléguant qu'il convient à son avis que le Bureau fasse enquête parce que ce comportement est abusif aux termes des dispositions de l'article traitant de manière générale de l'abus de position dominante. Le commissaire fait alors enquête pour savoir ce qui se passe exactement et dans quelle mesure cette société subit un préjudice, quel est précisément le comportement d'Air Canada et quelles seraient les répercussions pour cette dernière. Comme vous le savez, le commissaire a déclaré qu'il était préoccupé par la difficulté de recueillir des renseignements et que c'est pourquoi il avait besoin de cet article. Comme vous l'a dit M. Baker, Air Canada craint que certaines personnes puissent en profiter à des fins stratégiques pour retarder la procédure et éviter qu'Air Canada ne puisse faire valoir sa cause.
Le commissaire recueille toutes ces données et à un certain moment il lui faut décider, le plus rapidement possible, si les éléments de preuve sont suffisants pour que l'on puisse faire valoir le critère que je viens d'évoquer. À l'heure actuelle, s'il estime que c'est bien le cas, il peut tout simplement délivrer une ordonnance, comme il l'a fait dans l'affaire CanJet.
La question qui se pose alors est la suivante: quelle est la nature de cette ordonnance? En l'espèce, Air Canada avait appliqué dans l'Est un tarif qualifié de L14 et le commissaire a décidé de lui interdire de le faire. Air Canada en a alors été réduite à se demander quel tarif appliquer. Cela fait partie du problème. Toutefois, cela tient à la nature de l'ordonnance.
Si l'on avait procédé aux termes de l'article 103.3, le commissaire aurait là encore recueilli les éléments de preuve et se serait ensuite adressé à un juge du tribunal, qui est un membre de la Cour fédérale détaché auprès du tribunal, et déposer une requête pour obtenir cette ordonnance en faisant appel aux mêmes critères que l'on vient de voir, à moins que vous l'amendiez. À ce moment-là, la partie visée par l'ordonnance a le droit de se faire entendre. La loi dispose aussi que n'importe quelle autre partie a le droit de se faire entendre.
Il est remarquable qu'aux termes du projet d'article 104.1, le commissaire n'ait pas tenu de conférer à Air Canada, ou à toute autre partie — Bearskin, par exemple — qui est visée par cette ordonnance, le droit de se faire entendre. Il peut paraître extraordinaire qu'une ordonnance puisse être délivrée sans même que l'on demande l'avis des intéressés. Voilà essentiellement la façon dont sont recueillis les éléments de l'affaire.
N'oubliez pas, d'ailleurs, que tout ça ne se passe pas du jour au lendemain. C'est pourquoi l'argument des deux ou trois jours de délai est bien superfétatoire, comme l'a déclaré M. Baker, parce que pour monter un dossier de ce type, le commissaire doit recueillir certains éléments, ce qui ne se fait pas du jour au lendemain. Je ne sais pas combien de jours il a fallu dans cette affaire. Ça peut prendre plusieurs semaines.
M. Mulder: Quatre à cinq semaines.
M. Hunter: Il n'est pas nécessaire que ce soit aussi long. Dans cette affaire, il a fallu tout ce temps, mais ce n'est pas absolument nécessaire.
Le sénateur Tkachuk: Pendant que j'étais sorti quelques instants, vous nous avez dit que ce projet de loi était politique et vous avez cité l'exemple de Microsoft. Pouvez-vous vous expliquer?
M. Hunter: Je vais m'expliquer sur les deux points. Quand je dis que c'est une politique, c'est avec un «p» minuscule; je me réfère tout simplement à ce que le public est prêt à tolérer. L'exemple de Microsoft servait simplement à illustrer le dilemme qui suit: puisque Air Canada a pris une telle importance, doit-on lui appliquer des règles spéciales? Comme M. Mulder, j'ai fait valoir qu'il y avait bien des entreprises et bien des secteurs d'activité dans notre pays dont la part de marché était supérieure à celle d'Air Canada dans un secteur bien défini. Aucune règle spéciale ne leur est appliquée et je soupçonnais Microsoft d'être dans ce cas. La plupart des grandes villes n'ont qu'un seul journal. Aucune règle spéciale ne leur est opposée en vertu de la Loi sur la concurrence. C'est le régime général qui s'applique. J'ai ajouté en outre qu'il était bien plus difficile de faire son entrée sur ces marchés que dans le cas des sociétés de transport aérien.
Le sénateur Tkachuk: La difficulté pour le gouvernement, lorsqu'il a voulu démontrer que Microsoft agissait comme un monopole, c'est que les prix de cette société ont toujours baissé. Elle a mis les logiciels du matériel de bureau à la portée de tout le monde. En partant de cette analogie, j'aimerais que vous me citiez, si vous le pouvez, à quelle occasion Air Canada a déjà baissé ses prix lorsqu'elle n'était pas obligée de le faire.
M. Mulder: Les tarifs spéciaux annoncés récemment pour les mois de mai et juin en sont peut-être un exemple. Air Canada solde constamment des sièges. Ses autres concurrents internationaux le font peut-être aussi, mais chaque fois qu'Air Canada fait des prévisions en tenant compte du caractère saisonnier de son entreprise, des coûts fixes et du nombre d'appareils disponibles, elle solde souvent des sièges. Sans la perspective de gagner davantage d'argent, pourquoi réduire ses prix?
J'ai trois frères qui font le commerce de la viande et pas un d'entre eux ne va réduire le prix de sa viande s'il n'a pas à le faire, à condition que les clients continuent à acheter.
Le sénateur Tkachuk: C'est exactement ce que je veux dire. Elle n'avait pas à le faire.
M. Mulder: C'est la nature même du commerce.
Le sénateur Tkachuk: C'est aussi pourquoi il nous appartient d'éviter la constitution de monopoles — pour les empêcher de procéder ainsi.
M. Mulder: Excusez-moi, sénateur, mais Air Canada n'est pas un monopole. Je vous l'ai déjà dit. Considérez les parts de marché. Dans l'ouest du Canada, WestJet a une plus grande part du marché qu'Air Canada. La population peut se déplacer en train ou en automobile entre Toronto, Montréal et d'autres villes. Lorsqu'on n'est pas pressé, on peut prendre un vol nolisé ou passer par d'autres sociétés de transport aérien. Air Canada n'est pas un monopole.
Le sénateur Tkachuk: On peut aussi marcher.
M. Mulder: Je dis simplement que ce n'est pas un monopole.
M. Hunter: La mise en place de la formule Tango sur des lignes sans concurrent offrant des tarifs au rabais illustre bien, à mon avis, le fait qu'Air Canada est en train de s'adapter à la demande du public en offrant un service bon marché. Cette attitude n'a pas été précipitée par l'arrivée d'un nouveau concurrent.
Je ne veux pas vous abreuver de considérations économiques au sujet du transport aérien, mais il est vrai qu'il y a des différences de prix dans le secteur du transport aérien entre les lignes qui font l'objet d'un monopole et les autres.
Je vais vous donner un exemple pour vous faire comprendre la nature de cette concurrence. Alors que j'étais directeur du Bureau de la concurrence, Loblaws a étendu ses grands supermarchés à l'ouest du Canada. Comme vous le savez probablement, Safeway jouissait alors d'une position dominante dans le secteur des supermarchés de cette région. On les retrouvait partout. Ils ont été attaqués selon les dispositions prévues dans la Loi sur la concurrence. Loblaws a alors décidé d'installer l'un de ses grands magasins à Saskatoon. Malheureusement, toutefois, elle ne l'a pas fait à Regina. Il en est résulté que Loblaws a abaissé ses prix, ce qui correspond à son modèle d'exploitation, et le magasin Safeway de Saskatoon s'est aligné sur ces prix. J'ai été inondé de plaintes en provenance de Regina, dont la population me demandait que Safeway abaisse ses prix à Regina. Cette entreprise ne faisait que réagir face à la concurrence et c'est à ça que sert le marché.
Le sénateur Tkachuk: Je sais bien à quoi sert le marché. Vous n'avez pas besoin de me l'expliquer.
M. Hunter: Tout ce que je dis, c'est que l'on réagit en fonction de la concurrence qui s'exerce.
Le sénateur Kroft: Quelqu'un a dit tout à l'heure qu'il ne savait pas vraiment pourquoi M. Beddoe était venu témoigner ici étant donné que tout marchait si bien pour lui. Il a fait 20 p. 100 de bénéfice. Voilà qui nous amène à nous poser toute une série de questions sur lesquelles il sera important de réfléchir. Il nous a fait savoir qu'il n'était pas venu pour son propre compte mais pour tous ceux qui veulent faire démarrer une entreprise et qui ne peuvent pas recueillir les capitaux nécessaires en raison des conditions qui règnent dans le secteur.
M. Hunter: Voici ce que je peux répondre à cela. Il y a un mois environ, on a pu lire dans un article du journal qu'à l'heure actuelle neuf sociétés de transport aérien étaient en voie de constitution au Canada. Vous allez peut-être vous demander qui peut bien placer de l'argent dans ce genre d'entreprises lorsqu'on examine le rendement offert par les sociétés de transport aérien au Canada et dans tous les pays du monde et lorsqu'on le rapproche du rendement offert par les entreprises de l'indice TSE 500. Vous allez constater que le rendement des sociétés de transport aérien est très au-dessous de la moyenne.
On continue à investir des capitaux dans ces entreprises. On en voit arriver de toutes sortes. Rien ne permet de dire que les marchés ne fournissent pas les capitaux nécessaires aux nouvelles sociétés de transport aérien de notre pays.
M. Mulder: WestJet est en voie d'acquérir de nouveaux appareils et d'étendre son exploitation. Air Transat prend elle aussi de l'expansion et certains opérateurs de vols nolisés actuels l'envisagent eux aussi. Il y a des hauts et des bas et les marges, dans le secteur du transport aérien, ne sont pas très fortes.
Lorsqu'on adopte un point de vue à long terme, ce qui est l'objet de cette législation, il y a toujours de nouveaux arrivants et des entreprises qui disparaissent. C'est le jeu de la concurrence. Transports Canada va publier dans deux semaines un rapport qui nous révèle que, comparativement à l'indice des prix à la consommation, les prix des billets d'avion ont baissé au Canada ces 20 dernières années.
Le sénateur Tkachuk: Est-ce que cela s'explique par la déréglementation?
M. Mulder: Il y a diverses raisons et, parmi elles, l'abaissement des frais d'exploitation et la déréglementation.
Le président: Merci, messieurs. Ce fut particulièrement instructif.
La séance est levée.