Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 38 - Témoignages
OTTAWA, le jeudi 18 avril 2002
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, auquel a été renvoyé le projet de loi C-23, Loi modifiant la Loi sur la concurrence et la Loi sur le Tribunal de la concurrence, se réunit aujourd'hui, à 11 h 30, pour en faire l'examen.
Le sénateur E. Leo Kolber (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Chers collègues, nous avons le privilège d'accueillir aujourd'hui l'honorable Allan Rock, ministre de l'Industrie.
Monsieur le ministre, bonjour. Je vous souhaite la bienvenue.
L'honorable Allan Rock, ministre de l'Industrie du Canada: Honorables sénateurs, tout l'honneur est pour moi, et je vous remercie de m'avoir invité à comparaître.
Je sais à quel point vous avez travaillé fort à ce projet de loi, et croyez bien que nous vous sommes reconnaissants du temps que vous y avez consacré et du soin que vous y avez pris.
Le gouvernement considère le projet de loi à l'examen comme une mesure importante tant du point de vue économique que du point de vue du consommateur et de l'entreprise.
Il espère que le projet de loi stimulera la croissance économique et créera de l'emploi et de la richesse, le résultat final recherché.
[Français]
Ces objectifs permettront d'augmenter la part du Canada sur les marchés mondiaux; de créer des conditions favorables à l'investissement; d'améliorer le rendement du Canada sur le plan de l'innovation; et de favoriser l'existence d'un marché équitable, efficace et concurrentiel.
Dans cet optique, la législation canadienne en matière de concurrence a pour avantage de stimuler l'économie et de donner aux consommatrices et aux consommateurs un plus vaste choix de produits, des prix plus bas et un meilleur service.
[Traduction]
Qu'il s'agisse de documentation trompeuse, d'entraide internationale, de droit limité d'accès au tribunal pour les parties privées ou de mesures pour protéger la concurrence dans l'industrie canadienne des transports aériens, nous estimons que le projet de loi à l'étude est essentiel pour protéger l'intérêt public.
Je vais souligner brièvement chacun des éléments. Tout d'abord, comme le savent les honorables sénateurs, le projet de loi crée à l'égard de la documentation trompeuse une nouvelle disposition de nature criminelle qui interdit l'envoi de publication trompeuse par tout moyen, y compris par courrier électronique, tout en établissant des règles claires qui permettront aux gens d'affaires honnêtes de poursuivre leur activité légitime.
Le Canada s'est taillé une place peu enviable en matière d'envoi de documentation trompeuse. Il est primordial d'arrêter ce fléau par l'élaboration de règles strictes pour s'assurer que les renseignements diffusés aux consommateurs sont clairs et, ainsi, leur permettre de faire des choix éclairés.
Quant à l'entraide internationale, l'économie mondiale nous oblige à nous adapter rapidement aux défis que représente la création d'un monde sans frontières. Les changements constants qui en résultent forcent également les autorités à changer leurs méthodes d'enquête au sujet des pratiques ayant cours sur le marché puisqu'un grand nombre des dossiers examinés ont maintenant une dimension internationale.
L'ajout de dispositions sur l'entraide juridique permettra au Bureau de la concurrence de s'attaquer au comportement anticoncurrentiel comme l'abus par une multinationale de sa position dominante ou le fusionnement anticoncurrentiel entre plusieurs entreprises situées dans des pays différents.
L'approche proposée dans le projet de loi est d'autant plus importante qu'elle fera en sorte que les décisions de mise en application touchant la concurrence au Canada seront prises au Canada.
Pour ce qui est du droit d'accès limité au Tribunal de la concurrence, nous avons proposé une approche équilibrée qui permettra aux Canadiennes et aux Canadiens d'y recourir. Des mesures de protection rigoureuses ont été ajoutées afin de prévenir les risques de procédures stratégiques.
[Français]
Monsieur le président, permettez-moi d'insister sur l'importance de permettre un droits d'accès privé au tribunal. La proposition devant vous est le fruit de vastes réflexions et consultations et je crois fermement qu'elle constitue le meilleur résultat possible compte tenu des intérêts divergents.
Les bénéfices de l'accès direct au Tribunal de la concurrence sont nombreux. L'expérience australienne démontre que l'accès privé a rendu la législation sur la concurrence plus efficace et a assuré une meilleure observation de la loi. Toute crainte formulée qui fait référence au système de vigueur aux États-Unis est un faux-fuyant. L'approche choisie ici est très différente du régime américain car elle est, entre autres, limité à certaines pratiques et ne permet pas l'attribution de dommages-intérêts.
L'accès privé permettra aux petites et moyennes entreprises de prendre leurs affaires en main et de porter en justice les conflits qui sont privés ou locaux.
[Traduction]
En ce qui concerne les mesures de protection propres à l'industrie aérienne, comme le savent les honorables sénateurs, l'industrie a traversé une période d'instabilité et d'incertitude. Au printemps 2000, le gouvernement a mis en place une série de mesures au moyen du projet de loi C-26 pour traiter de la situation. Ce projet de loi a été longuement débattu par les membres des comités de la Chambre et du Sénat ainsi que par de multiples intervenants et transporteurs aériens canadiens. L'ensemble de ces mesures a reçu l'approbation des deux Chambres.
L'article 104.1 de la Loi sur la concurrence est entré en vigueur en juillet 2000. À la lumière de la situation critique qui prévaut dans l'industrie aérienne canadienne, l'article 104.1 est un outil administratif essentiel qui permet au commissaire d'exercer ses fonctions d'une façon efficace, utile et en temps opportun.
Depuis juillet 2000, nous avons été témoins de la disparition de CanJet, de Royal, de Roots et de Canada 3000, situation exacerbée par les événements tragiques du 11 septembre dernier. L'industrie aérienne a peine à s'en remettre. Les dispositions du projet de loi C-23 amélioreraient les mesures spéciales mises en place pour rectifier la situation et renforceront la politique mise en oeuvre en l'an 2000, grâce au projet de loi C-26.
Le projet de loi C-23 prévoit une légère modification visant à combler le vide qui existe entre l'expiration d'une ordonnance provisoire et le dépôt d'une demande auprès du Tribunal de la concurrence en vertu de l'article 79, c'est-à- dire de la disposition relative à l'abus de position dominante.
Le projet de loi C-23 inclut aussi une mesure en vue d'encourager le transporteur dominant à se conformer à la Loi sur la concurrence. En effet, le projet de loi permettrait au Tribunal d'imposer une sanction administrative pécuniaire au transporteur aérien qui a abusé de sa position dominante.
La proposition qui est devant vous n'est pas unique.
La Commission européenne jouit de pouvoirs analogues et peut imposer au transporteur une amende pouvant représenter jusqu'à 10 p. 100 de son chiffre d'affaires.
Avant de terminer, j'aimerais souligner que les modifications proposées dans le projet de loi C-23 sont nécessaires pour favoriser un marché canadien plus concurrentiel et pour veiller à ce que le Canada puisse suivre le rythme d'une économie mondiale en constante évolution. Elles feront en sorte que la Loi sur la concurrence et la Loi sur le Tribunal de la concurrence demeurent actuelles et efficaces. Je prie donc instamment et avec le plus grand respect le comité d'appuyer le projet de loi à l'étude qui constitue une saine politique favorisant l'intérêt public.
À nouveau, je remercie le comité de m'avoir invité à venir le rencontrer et je demeure à sa disposition s'il y a des questions.
Le sénateur Oliver: Monsieur Rock, je vous remercie et je vous souhaite la bienvenue. À la fin de votre déclaration, vous dites: «... que le Canada puisse suivre le rythme d'une économie mondiale en constante évolution». J'aurais quelques questions à vous poser au sujet du droit de la concurrence en général. Nous reconnaissons le principe que le Parlement est suprême et que l'un examen parlementaire de lois cadres comme la politique relative à la concurrence s'impose. Plusieurs témoins sont venus dire au comité que l'un des principaux problèmes posés par le projet de loi est qu'il ne prévoit rien pour donner au Parlement du Canada la possibilité d'en vérifier l'actualité.
La dernière grande refonte de la politique de la concurrence au Canada date du milieu des années 80. Des articles ont depuis lors été modifiés, mais il n'y a pas eu d'examen global. Les témoins ont affirmé que ce projet de loi en particulier sert à encadrer la politique du transport aérien au Canada. Comme vous l'avez dit dans votre déclaration tout à l'heure, cette politique est changeante, de sorte qu'il faut que la Chambre des communes et le Sénat en fassent l'examen constant.
Il faut modifier le projet de loi à l'étude de manière à y inclure une disposition selon laquelle un examen aura lieu tous les deux ans. Les parlementaires pourront ainsi vérifier que les lois du Canada sont contemporaines et qu'elles aideront nos entreprises à s'adapter à la nouvelle réalité mondiale. Qu'en pensez-vous?
M. Rock: Tout d'abord, j'aimerais souligner que le projet de loi à l'étude ne concerne pas la politique du transport aérien, mais bien la concurrence. La politique comme telle est arrêtée par le ministre des Transports et elle est bien différente de la Loi sur la concurrence, dont l'application est générale et étendue.
Le sénateur Oliver: Qu'en est-il des articles 104 et 103 projetés?
M. Rock: Il se peut que certaines parties de la Loi sur la concurrence visent plus particulièrement une industrie en raison de la dynamique qui lui est propre, mais je vous assure que je ne considère pas le projet de loi à l'étude ou la Loi sur la concurrence comme une mesure visant particulièrement les lignes aériennes. Ils visent la concurrence sur le marché.
Je suis persuadé que l'industrie du transport aérien comporte certains aspects uniques qui méritent des dispositions la visant plus particulièrement afin de permettre au Tribunal de la concurrence et à son commissaire de réagir lorsque survient une situation pressante. Toutefois, sénateur, le projet de loi à l'étude est loin d'être une politique du transport aérien. Au contraire, il s'agit d'une politique de la concurrence.
Quant à ce que vous avez dit au sujet de l'examen, j'ose dire qu'il n'y a pas de mesure législative adoptée par la Chambre, voire par le Sénat, dans laquelle on ne pourrait pas justifier l'insertion d'une disposition exigeant l'examen, que ce soit au bout d'une période précise ou non. Rien de ce que nous faisons en tant que législateurs n'est certes à l'abri de l'obligation de constamment réévaluer. En fait, une des obligations essentielles du gouvernement, selon moi, est de réévaluer en temps réel si ses lois coïncident avec la conjoncture sociale, économique et internationale en évolution à laquelle nous faisons tous face. Cela ne signifie pas pour autant qu'il faut que chaque mesure législative ait un pareil article, sans quoi nous ne ferions rien d'autre. Je ne voudrais pas empiéter sur votre temps ou vos priorités en tant qu'assemblée législative en vous imposant...
Le sénateur Oliver: Je parle uniquement de lois cadres d'importance, ce que représente la politique sur la concurrence.
M. Rock: Le sens des mots d'importance et «lois cadres» est relatif. Ce n'est pas que je veuille nier l'importance de la Loi sur la concurrence ou du besoin de continuellement la mettre à jour et l'examiner. Par contre, j'hésite à inclure par réflexe un examen dans la Loi, de crainte d'enrayer le processus parlementaire puisqu'il exigerait constamment la tenue d'audiences officielles pour réévaluer ce qui s'est fait dans le passé. Je préférerais me tourner vers l'avenir — regarder la route devant moi plutôt que dans le rétroviseur.
Il en a été question hier quand le ministre des Transports a comparu devant votre comité. Le ministre a fait remarquer, je crois, que le comité et le Sénat ont le pouvoir de recommander dans le rapport qui sera présenté à la fin de l'examen du projet de loi qu'une réévaluation ait lieu dans un délai particulier. Il plaira peut-être au comité d'envisager cette possibilité. Manifestement, le comité comme le Sénat en a le pouvoir. Toute recommandation en ce sens serait accueillie avec le plus grand sérieux en raison du profond respect que nous inspire cet endroit et ses pouvoirs.
Le sénateur Oliver: En tant que ministre responsable du projet de loi sur la concurrence, quelle serait votre réaction si nous demandions qu'un examen ait lieu dans les deux ans?
M. Rock: J'examinerais votre recommandation avec le plus grand sérieux. Toutefois, je m'opposerais à une modification officielle du projet de loi, parce qu'elle serait inutile et malvenue.
Le sénateur Oliver: Nous avons tous deux en commun le fait que nous sommes spécialisés dans les litiges civils. D'une part, je m'étonne un peu que vous vous réjouissiez tant que la Loi ne prévoit pas de dommages-intérêts. J'aimerais que l'avocat en vous me dise s'il ne voit vraiment pas la nécessité d'en prévoir. Vous êtes conscient de leur importance dans notre système de litige civil.
D'autre part, faut-il punir ceux qui souhaitent faire valoir leurs droits en les obligeant à obtenir une autorisation préalable? Est-il vraiment nécessaire d'exiger cette autorisation?
M. Rock: En réponse à votre première question, je dirais que tout dépend de la façon dont vous concevez le rôle du Tribunal. Je ne le vois pas comme un moyen d'accorder des dommages-intérêts à la partie lésée. Je le vois plutôt comme un organisme de réglementation du marché dans le meilleur intérêt public. Il existe des cours de justice pour entendre les réclamations de dommages-intérêts ou, lorsqu'il y a lieu, de réparation, et je ne voudrais pas voir le rôle fondamental du Tribunal modifié en lui conférant le pouvoir d'arbitrer en matière d'intérêts privés et d'accorder des indemnités individuelles.
Quant à votre seconde question, sénateur, il existait, comme vous le savez fort bien, au sein du comité de la Chambre une véritable tension découlant d'intérêts conflictuels. D'une part, il y avait ceux qui préféraient que les intérêts privés aient accès au Tribunal et, d'autre part, ceux qui estimaient qu'il faudrait laisser aux autorités publiques le soin de déterminer dans quelles circonstances on pourrait s'adresser au Tribunal.
On a largement débattu de moyens qui permettraient de donner accès au Tribunal tout en évitant certains pièges auxquels ont été confrontées d'autres compétences. Il a été particulièrement question à cet égard des États-Unis. Le comité de la Chambre a donc proposé un train de mesures qui permettait l'accès au Tribunal à certaines conditions, y compris le pouvoir d'exiger le remboursement des frais, ce qui pourrait décourager certains qui, autrement, entameraient...
Le sénateur Oliver: ... des poursuites frivoles.
M. Rock: Vous avez bien compris. L'autorisation exigée faisait partie des freins et contrepoids qui permettaient d'avoir accès au Tribunal tout en évitant que celui-ci ne soit saisi de questions frivoles.
Je le vois dans ce contexte. Bien qu'il y ait peut-être un aspect du projet de loi qui me plaise moins, j'estime que, dans l'ensemble, le comité de la Chambre a admirablement réussi à concilier des intérêts conflictuels de manière à bien servir l'intérêt public.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette: À la page 5 de la version française, il est indiqué que la Commission européenne bénéficie de pouvoirs similaires et peut imposer contre un transporteur, une sanction administrative pouvant aller jusqu'à 10 p. 100 du chiffre d'affaires de l'entreprise.
Ces pouvoirs s'appliquent-ils seulement au domaine aérien, puisqu'il existe plusieurs compagnies aériennes au sein de la Commission européenne, entre autres, Lufthansa, Air France et Al Italia?
Cette mesure s'applique-t-elle à ce secteur économique en particulier ou touche-t-elle à toute l'industrie? Et si est touche à l'ensemble de l'industrie, pourquoi n'avez-vous pas pensé de l'appliquer à toute l'industrie?
On dit que c'est un secteur unique, mais les gens de l'industrie de l'énergie ainsi que les banques disent qu'elles sont uniques. Chacun pense qu'il est unique.
La comparaison est difficile à faire puisqu'il n'existe aucun transporteur qui domine le marché. Je n'en vois pas dans la Commission européenne. Donc, la similarité n'est pas la même. Est-ce que la procédure est la même?
M. Rock: Premièrement, dans l'Union européenne c'est seulement pour les compagnies aériennes. Deuxièmement, oui, je pense que la situation est unique pour l'industrie aérienne. Nous avons des facteurs particuliers, c'est-à-dire que nous avons des atouts que nous pouvons bouger partout au Canada. Nous pouvons changer l'approche, changer la politique d'une compagnie aérienne immédiatement, dans cinq minutes ou deux heures. Nous pouvons changer les routes, déplacer des avions, les remplacer par d'autres, changer les règles du jeu. Oui, je suis convaincu que le secteur de notre économie, c'est-à-dire l'industrie aérienne, est tout à fait unique. Il faut mettre en place les mesures, les pouvoirs pour traiter des circonstances uniques de cette industrie et c'est pour cette raison que nous avons proposé les mesures dans le projet de loi. J'admets que les autres secteurs peuvent présenter leurs arguments à l'effet qu'ils sont aussi uniques, mais nous avons récolté de l'expérience au Canada au cours des cinq ou sept dernières années pour démontrer clairement que nous avons besoin de ces pouvoirs. Vous avez déjà entendu les témoignages de M. von Finckenstein qui a parlé clairement de son expérience de la réalité à laquelle il doit faire face quotidiennement. Alors nous avons inclus ces mesures pour refléter cette réalité.
Le sénateur Hervieux-Payette: Pourrait-on recevoir un dossier sur les modalités d'application, c'est-à-dire comment le processus se déroule? À l'heure actuelle, le seul élément spécifique que nous avons est la pénalité de dix p. 100.
Le commissaire de la Commission européenne dispose-t-il des mêmes pouvoirs de rendre une décision et d'entendre de façon presque interlocutoire la plainte? Il faudrait nous donner la base. J'essaie d'imaginer la position qui pourrait permettre à une compagnie aérienne en Europe de s'emparer du marché de façon dérogatoire. Il s'agit de géants, de grandes compagnies aériennes comme Air France, Lufthansa et d'autres. Je ne vois pas de similitudes avec le contexte canadien. Il serait important, si on est pour faire une comparaison, de dire que ce pouvoir existe dans d'autres législations. L'Union européenne est importante puisque c'est une sorte de fédération comme le Canada. J'aimerais que nous puissions disposer d'informations plus complètes.
M. Rock: Je vais demander aux fonctionnaires de vous fournir ces informations.
[Traduction]
Le sénateur Kelleher: C'est à votre collègue qui était ici hier que vous devez la question que je m'apprête à vous poser. Si vous n'êtes pas d'accord, je vous prierais de bien vouloir vous en prendre à lui plutôt qu'à moi.
Hier, je l'ai en effet questionné au sujet des dispositions relatives à l'entraide juridique internationale du projet de loi. Il a répondu: «Ce n'est pas à moi qu'il faut poser la question, mais je connais quelqu'un qui sera ici demain et qui se fera un plaisir d'y répondre.»
Ma question concerne donc ces dispositions. Elle vient en partie de ce qu'a dit un de vos ex-commissaires ou administrateurs, George Addy. Il craint que certaines dispositions du projet de loi à l'étude ne causent un préjudice grave aux entreprises nationales. Par exemple, le paragraphe 30.11(3) peut servir à conférer à un juge étranger le pouvoir d'interroger un citoyen canadien pour obtenir des éléments de preuve. Une instance étrangère peut aussi avoir compétence pour interroger un citoyen canadien aux termes de l'alinéa 30.16(2)b). Ainsi, à l'article 30.17, le citoyen canadien est assujetti aux lois étrangères relatives à l'interrogation. En vertu du paragraphe 30.17(4) plus particulièrement, le citoyen canadien peut être reconnu coupable d'outrage au tribunal et, aux termes de l'article 30.18, il peut être arrêté pour avoir refusé de répondre à une question.
Les dispositions qui m'inquiètent le plus sont celles qui concernent l'entraide juridique et qui permettent de soumettre à des autorités étrangères des renseignements commerciaux de nature délicate. Je songe notamment à la partie de bras de fer que se livrent Bombardier et Embraer et au fait que des renseignements commerciaux de nature délicate appartenant à Bombardier puissent se retrouver dans les mains d'Embraer. La concurrence est plutôt vive entre les deux.
Je me demande si nous ne devons pas revenir sur ces dispositions pour voir si mes préoccupations sont fondées. Si elles le sont, il faudrait peut-être adopter une loi ou une mesure quelconque pour éliminer ces éventuelles échappatoires.
M. Rock: Sauf votre respect, je dirais que vous avez l'obligation de faire cette seconde réflexion et que c'est justement ce que vous êtes en train de faire. Nous vous en sommes d'ailleurs reconnaissants.
Quand vous aurez terminé cette réflexion, je crois que vous serez convaincus que les dispositions sont raisonnables et essentielles si nous voulons parvenir à nos fins.
Tout d'abord, je tiens à dire à quel point je sais gré à mon collègue, le ministre des Transports, d'avoir délimité les champs de compétence à cet égard. Je m'en réjouis parce que la question est centrale au projet de loi et qu'il s'agit après tout de mon projet de loi.
Je vais répondre à votre question non seulement en tant que celui qui pendant 22 ans, comme l'a dit le sénateur Oliver, s'est spécialisé dans les plaidoiries devant des tribunaux civils du Canada, mais également en tant que celui qui a eu le privilège pendant quatre ans d'assumer les fonctions de ministre de la Justice, dont la responsabilité consiste justement à négocier ces traités d'entraide juridique.
Partons de l'objectif public général. Il consiste à permettre au Canada de travailler de concert avec d'autres pays à régler un problème à dimension de plus en plus internationale. Par là j'entends que le droit de la concurrence sur le marché mondial est en pleine évolution. Il faut donner effet à des règles nationales en matière de concurrence dans le contexte du commerce international.
Nous en sommes venus à la conclusion que le Canada ne peut plus agir seul. Il faudrait reconnaître officiellement la coopération dont nous avons souvent besoin d'autres pays. Il faudrait avoir en place dans le domaine de la concurrence des méthodes de travail tout aussi rationnelles, prévisibles et efficaces avec d'autres gouvernements que nous en avons dans le domaine du droit pénal, de l'immigration et ainsi de suite. Cela se fait par traité.
J'ai pris connaissance du témoignage de M. Addy, dont les réalisations, la vaste expérience et le point de vue m'inspirent le plus grand respect. J'avoue que l'âpreté de ses propos, surtout en ce qui a trait à l'exemple brésilien, m'a étonné. Faut-il que je précise que je ne suis pas d'accord avec lui?
Si l'on tient compte de tous les articles du projet de loi dans l'ordre où ils y figurent, on constate qu'il existe un processus systématique et méthodique à respecter avant de statuer sur un cas particulier. Tout d'abord, le ministre de la Justice est responsable de négocier un traité, et il ne le ferait que s'il est convaincu que le système juridique de l'autre pays est sensiblement analogue au nôtre. Si des ressortissants canadiens dans cet autre pays étaient assujettis à son système juridique, ils seraient soumis à un processus qui leur reconnaîtrait les mêmes droits et les mêmes recours que nous avons ici au Canada. Nous ne signons pas de traité avec un autre État à moins que son système juridique ne soit pour l'essentiel analogue au nôtre.
Deuxièmement, même lorsqu'un pareil traité est en place, les recours permis sont toujours protégés par la procédure judiciaire. Il faudrait, dans le cas qui nous occupe, qu'un juge détermine si un Canadien peut être obligé par le tribunal à fournir de l'information à un autre État.
Cette décision serait prise après que des avis aient été signifiés aux parties intéressées, qui pourraient présenter des mémoires. Pour qu'il puisse rendre un jugement, le tribunal utiliserait ses propres critères en ce qui concerne les droits et les privilèges des citoyens, les intérêts économiques touchés et l'objectif général visé par la Loi sur la concurrence. Toutefois, la procédure est encore plus détaillée, et j'ai demandé aux fonctionnaires de préparer une réponse détaillée à cette question parce que je savais que les sénateurs s'en préoccupent. Je suis heureux de vous fournir ces détails, mais je vous encourage respectueusement à faire une seconde réflexion critique sur ce mécanisme. Vous constaterez qu'il y a des garanties, qu'une approche responsable est proposée et qu'il est possible à tout stade du processus de vérifier et d'évaluer si les droits des Canadiens sont respectés et si l'échange et la divulgation d'information sont conformes à l'intérêt public. Ces dispositions du projet de loi mettront en place dans le domaine de la concurrence le même genre de mécanisme que celui qui est utilisé depuis des années dans d'autres domaines et qui garantit le respect des intérêts canadiens ici et à l'étranger. Je me permets donc de vous laisser cette réponse détaillée, que vous pourrez lire lorsque cela vous conviendra. Ainsi, nous n'épuiserons pas le temps dont nous disposons aujourd'hui.
C'est la conclusion à laquelle je suis arrivé après avoir étudié ces dispositions.
Le sénateur Kelleher: Je ne suis pas en désaccord avec le principe que vous venez d'énoncer, c'est-à-dire avec la nécessité d'adopter des mesures législatives adaptées à la mondialisation, mais nous devons être certains qu'il existe des garanties adéquates. Comme vous l'avez dit, lorsqu'un homme respecté comme l'ancien commissaire George Addy se montre inquiet, cela me donne aussi des inquiétudes. J'aimerais beaucoup obtenir des renseignements supplémentaires. Je sais que vous désirez que ce projet de loi puisse aller de l'avant. Par conséquent, avant que nous prenions une décision, il serait utile que ces renseignements nous soient transmis le plus rapidement possible.
M. Rock: Je les ai en main et je demanderai au greffier de vous les remettre. Vous pourrez ensuite me dire s'ils sont suffisants. Il s'agit d'un document plutôt volumineux, et afin de sauver du temps, je n'en ferai pas la lecture officielle. Je vous le remettrai, et vous me direz s'il vous est utile.
Le président: Je suggère que nous en fassions faire un exemplaire pour chaque sénateur.
Le sénateur Oliver: Le document devrait être déposé aux fins du compte rendu.
M. Rock: La documentation n'est disponible qu'en anglais parce qu'elle a été rédigée dans cette langue et que nous n'avons pas eu le temps de la faire traduire. Je vais demander à mes collaborateurs de la faire traduire dans les meilleurs délais.
Le sénateur Tkachuk: En ce qui concerne la question du sénateur Oliver au sujet des articles 103 et 104 proposés, je ne suis pas satisfait de votre réponse et je vais essayer d'être plus précis.
Pourquoi avez-vous ressenti le besoin d'accroître les pouvoirs de la Commission en renforçant l'article 104.1 et en ajoutant l'article 103.3, qui prévoit des pouvoirs semblables sans que des sanctions pécuniaires ne s'appliquent à une industrie en particulier?
M. Rock: D'abord, je signale que l'article 104.1 a été adopté par l'actuelle législature en 2000. Après un certain temps, nous avons constaté une faible lacune, c'est-à-dire que la durée de l'ordonnance n'est pas suffisante pour permettre au commissaire d'en venir à une conclusion lorsqu'il ne dispose pas de toute l'information requise. Par conséquent, en vertu du projet de loi à l'étude aujourd'hui, nous proposons que la durée soit prolongée dans de pareilles circonstances. La politique relative à l'ordonnance provisoire a été arrêtée par le Parlement en 2000. Cet article est en vigueur depuis lors et il a été invoqué à une occasion.
Les modifications proposées dans le projet de loi sont complémentaires et elles ne visent qu'à combler des lacunes de la politique approuvée en 2000.
Le comité se souvient de l'affaire dans laquelle le tribunal a dû décider de la constitutionnalité et de la pertinence de l'article 104.1 dans certaines circonstances. Le tribunal a alors évalué ces éléments et a déterminé que l'article était constitutionnel. Il a donc rejeté la plainte déposée contre la décision du commissaire d'invoquer cet article dans cette affaire en particulier.
Le sénateur Tkachuk: Nous suivons cette affaire parce que nous examinons la loi-cadre sur la concurrence. Toutefois, voilà que nous nous trouvons aussi à examiner la politique des transports. Le ministre Collenette a laissé entendre hier qu'il était pertinent de l'inclure dans le projet de loi. Je ne sais pas s'il l'aurait fait dans un projet de loi sur l'agriculture dont aurait été saisie la Chambre des communes et que vous auriez intercepté. C'est une façon désorganisée d'élaborer la politique des transports.
Pouvez-vous me dire s'il existe d'autres exemples de dispositions spécifiques à une industrie dans une loi fédérale, sauf en ce qui concerne la sécurité publique? Nous parlons de concurrence, non pas de sécurité publique. A-t-on déjà ajouté à une loi-cadre générale une disposition spécifique à une industrie, comme c'est le cas dans ce projet de loi relativement aux compagnies aériennes? Pouvez-vous nous en donner d'autres exemples?
M. Rock: Je ne voudrais pas répondre à votre question de manière trop cavalière. Laissez-moi y penser et vous donner une réponse réfléchie. Je vais maintenant me contredire en vous disant qu'en général, le Code criminel s'applique, mais qu'il existe des dispositions spécifiques à des activités particulières. Parfois, des dispositions générales doivent être appliquées à un contexte spécifique.
Si un transporteur aérien dominant s'engage dans des pratiques visant à réduire la concurrence ou à nuire à un concurrent, les mesures prises pour régler le problème ne sont pas tant reliées à la politique relative aux compagnies aériennes qu'à la politique de la concurrence telle qu'appliquée aux compagnies aériennes.
Il ne s'agit pas d'une loi sur les compagnies aériennes, mais bien d'une loi sur la concurrence. Au Canada, l'expérience nous a appris que la politique de la concurrence doit être adaptée aux exigences particulières d'une industrie. C'est pour cette raison que le ministre des Transports s'est présenté devant vous hier et que nous discutons maintenant de lignes aériennes — non pas parce que nous essayons d'arrêter une politique des transports et des lignes aériennes, mais parce que nous essayons d'appliquer les principes de la politique de concurrence à un secteur en particulier. Le projet de loi à l'étude ne vise pas Air Canada. Il pourrait tout aussi bien viser CanJet ou tout autre transporteur aérien qui occupe une place dominante et qui essaie d'en tirer profit par des moyens illicites.
Enfin, le Sénat et la Chambre des communes ont décidé d'accorder ce pouvoir au commissaire il y a deux ans.
Le sénateur Oliver: Il y a eu un changement. Le projet de loi C-23 lui accorde plus de pouvoir sans prévoir de révision judiciaire. C'est ce qui ne va pas avec ce projet de loi.
M. Rock: Peut-être, mais ce n'est pas comme si nous ne savions pas ce qui se passera si ce pouvoir lui est conféré ou comment il l'exercera. Nous le savons puisqu'il a ce pouvoir depuis deux ans et que nous avons pu constater comment il l'utilise, c'est-à-dire avec modération et, selon le tribunal, de manière responsable et efficace. Le commissaire a le pouvoir de rendre une ordonnance provisoire de son propre chef depuis 2000. Il l'a fait une fois. Sa décision a été contestée devant les tribunaux, puis examinée par un juge qui a statué que, du point de vue de la Constitution, il avait utilisé ce pouvoir de manière justifiée et adéquate. J'espère que cela rassurera les honorables sénateurs.
Le sénateur Tkachuk: Mon interprétation n'est peut-être pas bonne, mais la Loi sur la concurrence comporte-t-elle d'autres dispositions spécifiques à l'industrie, par exemple au secteur de la distribution d'aliments et d'essence?
M. Rock: Il faudrait que je fasse une lecture plus attentive du texte de loi pour bien répondre à votre question.
Le sénateur Tkachuk: Ne croyez-vous pas qu'il importe qu'un ministre ait ces renseignements? Vous parlez d'ajouter des dispositions très spécifiques à la Loi sur la concurrence. Je ne trouve rien à redire si c'est la politique du gouvernement et si vous précisez que c'est en tant que telle que vous l'appliquerez. Vous ou un de vos collaborateurs pouvez-vous me dire s'il existe d'autres dispositions spécifiques à une industrie que je ne connais pas? Pouvez-vous aussi me dire si ce sera la politique de votre gouvernement d'inclure des dispositions spécifiques à une industrie dans la Loi sur la concurrence lorsque le besoin s'en fera sentir?
Le président: Il y en a d'autres dans la loi — entre autres pour les agences de voyage et le milieu sportif.
M. Rock: Le projet de loi ne propose aucun changement à la Loi sur la concurrence qui accorderait un traitement distinct aux compagnies aériennes; cette loi est la même que celle qui s'applique aux autres secteurs de l'économie. Le processus et la procédure applicables aux compagnies aériennes sont différents parce que nous accordons au commissaire le pouvoir de rendre des ordonnances provisoires dans certaines circonstances et pour certaines périodes. Le processus est différent pour les compagnies aériennes étant donné leurs circonstances particulières, mais la loi ne change pas. Le transporteur dominant de l'industrie du transport aérien doit respecter la même loi que le fournisseur dominant dans les industries de l'alimentation, du gaz ou du commerce de détail.
Le sénateur Tkachuk: Cette disposition peut-elle s'appliquer à l'industrie de l'alimentation?
M. Rock: Je crois que je n'ai pas été clair, sénateur. La politique sur laquelle s'appuie la Loi sur la concurrence demeure la même, mais le projet de loi et les mesures législatives de 2000 prévoient des modalités spécifiques pour que la loi puisse être invoquée, exécutée et appliquée dans l'industrie du transport aérien.
Le sénateur Tkachuk: D'accord. Répondrez-vous par l'affirmative lorsque je vous demande si la politique de votre gouvernement est dorénavant d'inclure des dispositions spécifiques à l'industrie dans la Loi sur la concurrence? Autrement dit, est-ce qu'il y aura des dispositions spéciales pour l'industrie de l'alimentation et l'industrie du gaz prévoyant des sanctions différentes de celles qui sont prévues pour l'industrie du transport aérien?
M. Rock: En tant que ministre de l'Industrie, si je suis persuadé que les buts visés par notre politique et notre loi sur la concurrence ne peuvent pas être atteints à moins d'adopter des mesures correctives ou des modalités spécifiques à l'égard d'un secteur de l'économie en particulier, j'étudierai alors la possibilité d'apporter des modifications qui nous permettront de mettre en application la même loi pour tous les secteurs de l'économie.
Le sénateur Tkachuk: Le but du gouvernement est d'empêcher un monopole et, comme vous l'avez dit plus tôt, de stimuler l'industrie du transport aérien et de permettre une plus grande concurrence. Croyez-vous qu'Air Canada jouit d'un monopole en ce moment?
M. Rock: C'est une question de droit sur laquelle on peut avoir des opinions différentes. Le ministre des Transports a dit au comité qu'Air Canada accaparait 80 p. 100 du marché. Les professeurs de droit ne seraient peut-être pas d'accord avec cette affirmation et vous-même, vous pourriez aussi être d'un autre avis. Mon but n'est pas de trancher des questions de droit délicates, mais de veiller à ce que la loi et la politique sur la concurrence respectent l'intérêt public. D'après l'expérience des fonctionnaires en ce qui concerne une industrie en particulier, ce sont des facteurs et des circonstances qui exigent des mesures correctives particulières. C'est pour cette raison que j'appuie le projet de loi.
Le sénateur Tkachuk: Comme l'a expliqué M. Collenette hier, le gouvernement a apporté des changements à la Loi sur les transports au Canada pour permettre la fusion de Canadien International et d'Air Canada et, plus tard, l'acquisition de Canadien International par Air Canada — à laquelle Onex a participé. Il me semble qu'à l'époque, le gouvernement a décidé que la fusion de ces deux compagnies aériennes et que l'acquisition d'une compagnie aérienne par une autre ne posaient pas de problèmes. L'une ou l'autre de ces opérations garantissait qu'un monopole contrôlerait 80 p. 100 de l'industrie du transport aérien au Canada. Pourquoi le gouvernement a-t-il changé d'idée? Pourquoi ces craintes deux ans plus tard? Le gouvernement ne savait-il pas à l'époque ce qui se passerait après cette transaction?
M. Rock: Votre question confond principes de droit et principes d'économie au point où ils s'altèrent les uns les autres. Nous n'avons pas ordonné à Air Canada d'acheter Canadien International ni de l'absorber; Air Canada a elle- même pris cette décision d'affaire.
Le sénateur Tkachuk: Je le sais.
M. Rock: La façon dont Air Canada gère son entreprise ne regarde qu'elle, sauf lorsqu'elle entre en conflit avec le droit criminel. Il en va de même pour toutes les compagnies aériennes. Nous devons veiller à ce qu'un marché concurrentiel soit maintenu. Ce sont les buts visés par la Loi sur la concurrence et par ces modifications. Ce n'est pas comme si nous étions d'accord avec quelque chose il y a deux ans et que nous avions maintenant changé d'idée.
Le sénateur Tkachuk: Le gouvernement a pris des mesures qui ont permis que cela se produise.
M. Rock: La loi au Canada a toujours prévu qu'on ne peut pas abuser d'une position dominante sur le marché, et cette loi s'applique toujours. Je cherche seulement à assurer le maintien d'un marché vigoureux et concurrentiel. Monsieur le sénateur, les mesures législatives proposées visent à s'assurer que notre loi sur la concurrence régit efficacement les pratiques commerciales.
L'acquisition de Canadien International par Air Canada il y a deux ans n'a eu aucun impact sur la concurrence. Aussi longtemps qu'Air Canada, ou toute autre compagnie aérienne, utilise des pratiques commerciales conformes aux principes de la Loi sur la concurrence, elle peut mener ses affaires comme bon lui semble. Comme tous le disent si bien, c'est un pays libre. Toutefois, personne ne doit abuser de sa position dominante, que ce soit CanJet, Air Canada ou tout autre transporteur. Par conséquent, nous devons faire en sorte que notre loi sur la concurrence demeure actuelle et efficace; c'est pourquoi nous proposons ces modifications.
Le sénateur Tkachuk: Je ne suis toujours pas convaincu. Peut-être n'est-ce pas la place pour débattre de cette question, mais j'essaie de comprendre et j'ai de la difficulté.
M. Rock: Quelles informations voulez-vous obtenir, sénateur?
Le sénateur Tkachuk: Je veux savoir quelle est votre politique en matière de concurrence. Le gouvernement a pris les mesures requises pour permettre une fusion qui n'aurait pas eu lieu sans son approbation. Prenons l'exemple des fusions de banques. Oui, nous sommes dans un pays libre, mais la liberté n'est pas si absolue qu'une banque peut en absorber une autre puisque vous prendriez alors les mesures requises pour l'en empêcher. Le gouvernement a délibérément décidé de permettre la fusion ou l'achat de Canadien International par une autre compagnie, c'est-à-dire Onex ou Air Canada, si elle le désirait. Et c'est ce qui s'est passé. Le gouvernement a donc permis qu'une compagnie aérienne s'accapare 80 p. 100 du marché des voyages. Lorsque cela s'est produit, le gouvernement s'est dit qu'il devait régler ce problème. Mais le problème n'existait pas auparavant, lorsqu'il y avait plusieurs compagnies aériennes.
M. Rock: Une fois de plus, vous mélangez pommes et oranges. Vous parlez de politique du transport aérien, une question qui relève du ministre des Transports, puis des mesures que nous prenons après l'acquisition d'une compagnie aérienne par une autre et, enfin, de la politique de la concurrence. Je ne suis pas venu ici aujourd'hui pour vous parler d'un projet de loi relatif aux compagnies aériennes. Je suis ici pour vous parler de mesures législatives qui s'appliquent à la politique de la concurrence. Qu'une compagnie aérienne décide ou non d'en acheter une autre, elle devra se conformer à notre loi sur la concurrence, qui l'empêche d'abuser de sa position dominante. Je suis ici pour vous dire que, compte tenu des réalités du secteur du transport aérien et de la rapidité à laquelle la situation évolue, notre loi sur la concurrence requiert que des mesures soient rapidement prises par le commissaire et le tribunal.
C'est ce qui était prévu dans les mesures législatives de 2000; le projet de loi que vous étudiez aujourd'hui apporte seulement des améliorations.
Cela n'a rien à voir avec le fait de savoir si une compagnie aérienne peut en acheter une autre.
Le sénateur Tkachuk: Au contraire, si le ministre des Transports prend une décision qui crée un monopole, le ministre responsable de la Loi sur la concurrence doit l'en informer et lui expliquer que cela n'est pas permis. Vous ne croyez pas que le ministre de l'Industrie d'alors aurait dû lui expliquer qu'il créait ainsi un monopole correspondant à 80 p. 100 du marché? Cette politique a été adoptée par votre gouvernement.
M. Rock: La Loi sur la concurrence était alors en vigueur et elle le demeure encore aujourd'hui. Nous serons vigilants et nous verrons à ce qu'elle soit respectée, afin que peu importe de quelle compagnie il s'agit, la concurrence continuera d'exister sur le marché. C'est ce que prévoit le projet de loi.
Le sénateur Tkachuk: Manifestement, nous n'arriverons pas à nous entendre sur ce point.
[Français]
Le sénateur Poulin: Au tout début de votre présentation, vous avez parlé de l'importance de la compétition et vous avez énuméré toutes les raisons de son importance, et ce, surtout au niveau du service public et du service pour les Canadiens, d'un bout à l'autre du pays. Une chose nous a frappés. D'après les représentants de l'industrie, il est important que les amendements à la loi existante sur la compétition soit passés, le plus tôt possible, à cause des changements.
Je sais aussi que vous avez à coeur que nos entreprises canadiennes réussissent. Y a-t-il un article dans cette législation qui vise nos transporteurs, que ce soit un transporteur dominant ou un transporteur minoritaire, qui pourrait contribuer à la perte d'un transporteur dominant?
[Traduction]
Ne serions-nous pas en train de mettre en péril la réussite future d'Air Canada? Nous savons que nous sommes en période de transition. Nous savons que les trois dernières années ont été difficiles pour de nombreuses raisons. Ce projet de loi comporte-t-il des éléments qui pourraient nuire à Air Canada? Cette compagnie aérienne devrait pouvoir obtenir d'aussi bons résultats que n'importe quelle autre compagnie aérienne.
[Français]
Je voudrais que toutes les compagnies aériennes réussissent dans le marché du Canada. Premièrement, ce projet de loi n'est pas seulement pour Air Canada. C'est un projet de loi pour l'ensemble du marché canadien. Le projet de loi s'applique à toutes les compagnies aériennes du pays.
Deuxièmement, je ne vois pas, dans ce projet de loi, un article qui constitue une menace au succès d'Air Canada ou n'importe quelle autre compagnie aérienne. Toutes ces compagnies doivent respecter la Loi sur la concurrence. Ce projet de loi constitue des modifications importantes à la Loi sur la concurrence et les activités de toutes les compagnies aériennes, j'assume, sont légales.
C'est la raison pour laquelle je dis que nous avons seulement les procédures et les articles pour faire face au comportement illégal allégué. Je ne pense pas que ce projet de loi menace le succès d'Air Canada ou de n'importe quelle autre compagnie aérienne, ici au Canada.
[Traduction]
Le sénateur Tunney: L'intervention du sénateur Poulin a partiellement répondu à ma question, mais j'aimerais tout de même ajouter quelque chose. Je ne parle pas des compagnies aériennes; je parle de la concurrence, peu importe le secteur.
Ne devez-vous pas prendre garde de ne pas appliquer des règles si rigides et si étroites qu'elles peuvent compromettre la survie des compagnies en essayant d'avantager les consommateurs? Je devrais peut-être poser ma question autrement. Ne seriez-vous pas trop sévères envers les compagnies compétitives si vous les empêchez de manoeuvrer afin de réduire la concurrence? Cela avantagerait probablement les consommateurs, mais serait-il possible que vous soyez trop rigides et que les compagnies ne survivent pas à de telles mesures? Est-il possible d'être trop rigide ou trop souple?
M. Rock: Monsieur le sénateur, vous avez raison de dire qu'en bout de ligne, ce qui est important, c'est d'avoir un marché où les entrepreneurs peuvent investir et réussir et où les consommateurs profitent de la concurrence. Mais il doit aussi y avoir un organisme de réglementation vigilant qui assure le respect de règles clairement définies et qui intervient de manière responsable, dans l'intérêt public, lorsqu'une entreprise ne se conduit pas adéquatement ou ne respecte pas les règles.
Si je peux me le permettre, votre question porte sur la mise en exécution de la loi. Cela doit être fait d'une manière qui n'est pas abusive, mais qui respecte l'intérêt public. C'est une question d'équilibre.
Le sénateur Fitzpatrick: Ma question fait suite à celle du sénateur Tkachuk et elle m'aidera peut-être à mieux comprendre votre réponse.
Monsieur le ministre, vous avez dit qu'une compagnie aérienne qui en achetait une autre se conduisait en acheteur averti. Il existe des règles que vous devez respecter si vous devenez un transporteur dominant. Ces règles sont clairement définies dans la Loi sur la concurrence. Vous les connaissez donc à l'avance. Ce sont les mesures prévues par la loi à l'égard de toute activité déloyale à laquelle pourrait se livrer une compagnie aérienne. Je ne sais pas si cela est utile ou non, mais je comprendrais mieux si vous pouviez répondre à cette question.
M. Rock: Sénateur, c'est une très bonne explication, avec laquelle je suis entièrement d'accord.
Le président: Est-ce que le gouvernement n'a pas en réalité suspendu la Loi sur la concurrence, le temps de permettre à Air Canada d'acheter Canadien International?
M. Rock: Il a toujours été convenu que la compagnie aérienne résultant de la fusion mènerait ses activités commerciales en respectant les principes de la concurrence.
Le président: Le fait est que la loi a été suspendue.
Le sénateur Oliver: Le ministre Collenette l'a laissé sous-entendre hier dans son témoignage.
M. Rock: J'ai cru que le sénateur me demandait si nous pensions qu'un monopole non conforme à la loi serait créé. Le sénateur Fitzpatrick l'a très bien expliqué. L'acheteur connaissait les règles à l'avance. Il assumait une position sur le marché qui lui imposait certaines obligations clairement définies dans la Loi sur la concurrence. Nous avons supposé qu'il respecterait ces obligations.
Le président: Merci, monsieur le ministre. Chers collègues, pouvons-nous poursuivre la séance à huis clos pendant quelques minutes?
La séance se poursuit à huis clos.