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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie


Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 39 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 25 avril 2002

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, auquel a été renvoyé le projet de loi C-23, Loi modifiant la Loi sur la concurrence et la Loi sur le tribunal de la concurrence, se réunit aujourd'hui à 11h 05 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur E. Leo Kolber (président) occupe le fauteuil.

[Translation]

Le président: Je souhaite la bienvenue à nos témoins, M. Walt Lastewka, M. Konrad von Finckenstein, Mme Suzanne Legault et M. Donald Houston.

Comme vous le savez, le Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie de la Chambre des communes vient tout juste de publier un rapport sur le projet de loi C-23 intitulé «Plan d'actualisation du régime de concurrence canadien».

M. Walt Lastewka, député, président du Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie de la Chambre des communes: Premièrement, je voudrais vous présenter deux membres de notre comité qui m'accompagnent aujourd'hui: M. Dan McTeague, qui est vice-président du comité, et M. Dan Shaw, recherchiste à la Bibliothèque du Parlement. C'est un privilège pour moi de témoigner aujourd'hui devant votre comité pour expliquer un certain nombre de points au nom du comité des Communes.

Le Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie de la Chambre des communes a étudié le projet de loiC-23 et est satisfait de la forme actuelle du projet de loi. Je vous informe que tous les cinq partis politiques ont souscrit au rapport.

Je vais vous parler du rapport du comité, qui est intitulé «Plan d'actualisation du régime de concurrence canadien», qui a été déposé à la Chambre au début de la semaine. Comme vous le savez peut-être, un certain nombre de questions sont abordées à la fois dans le projet de loi C-23 et dans le rapport du comité. Je songe en particulier à la recommandation 4 de notre rapport, qui traite des dispositions de la loi qui visent spécifiquement l'industrie du transport aérien. Je tiens à dire très clairement qu'il n'y a aucun conflit entre le projet de loi C-23 et la recommandation du comité.

J'ai été personnellement troublé par certains commentaires laissant entendre que, d'après notre rapport, le projet de loi aurait des lacunes. Plus précisément, on a dit que le rapport du Comité de l'industrie appuie l'abrogation immédiate du nouvel article104.1 proposé. Je tiens à le dire très clairement: telle n'est pas l'intention de notre rapport. J'insiste sur le fait que le comité est satisfait du projet de loi C-23, y compris les modifications proposées à l'article 104.1. Nous recommandons à votre comité d'adopter le projet de loi dans sa forme actuelle. Je vais toutefois passer en revue le rapport du Comité de l'industrie.

Le rapport est un plan d'avenir et renferme 29recommandations intégrées.

Si l'on change un élément de la Loi sur la concurrence, le changement a des répercussions sur les autres aspects. C'est pourquoi il faut prendre globalement toutes les recommandations du comité. Il ne doit pas y avoir de ?picorage?, ce qui ne ferait qu'embrouiller le dossier.

Les témoins qui ont comparu devant le comité de la Chambre sont d'accord pour dire que le projet de loi C-23 est un bon point de départ; toutefois, notre tâche n'est pas achevée. Le rapport du Comité de l'industrie vise à terminer la tâche amorcée par le projet de loi C-23. Par exemple, vous avez entendu Air Canada se plaindre que la compagnie est singularisée par les sanctions administratives pécuniaires autorisées par le projet de loi C-23. C'est pourquoi nous avons recommandé que ces sanctions s'appliquent à tous les secteurs. Le potentiel d'abus d'une position dominante n'existe pas seulement dans le secteur du transport aérien, mais dans tous les secteurs. La possibilité d'imposer de telles sanctions ajouterait à la loi l'élément de dissuasion qui lui manque actuellement.

Les réformes que nous recommandons contribueraient beaucoup à remédier à toute lacune éventuelle de l'actuel régime de la concurrence. Toutefois, nous ne préconisons pas que ces recommandations soient mises en oeuvre immédiatement. Nous demandons plutôt au gouvernement de répondre sous la forme d'un livre blanc. Le rapport du comité est tourné vers l'avenir. C'est un rapport qui est publié dans la foulée du projet de loi C-23.

À la lecture du rapport, vous découvrirez que ces recommandations sont conçues pour renforcer et améliorer la concurrence dans tous les secteurs. Quand le ministre Collenette a comparu devant vous la semaine dernière, il a dit qu'il considérait le nouvel article 104.1 proposé comme une mesure temporaire qui serait abrogée dès qu'une saine concurrence serait rétablie dans le secteur du transport aérien. Le comité partage ce point de vue et cette attente. Cette mesure temporaire sera-t-elle en place pendant un an, deux ans ou trois ans? La question doit être discutée et tranchée.

La Loi sur la concurrence est conçue pour être une loi d'application générale. J'insiste sur le fait que le rapport du comité vise à présenter un plan directeur en vue d'un livre blanc du gouvernement qui lancerait la prochaine ronde de modifications à la fois à la Loi sur la concurrence et à la Loi sur le tribunal de la concurrence. Nous exhortons les honorables sénateurs à lire intégralement le rapport. Vous conviendrez qu'il représente un plan mûrement réfléchi en vue de moderniser le régime de la concurrence du Canada.

Le sénateur Oliver: Vous avez dit aujourd'hui que le rapport que vous avez réalisé et déposé à la Chambre des communes est un plan pour l'avenir. Vous avez dit que cet avenir pourrait se situer dans deux, trois ou quatre ans; c'est difficile à dire. La recommandation numéro 4 dit:

Que le gouvernement du Canada abroge toutes les dispositions de la Loi sur la concurrence qui visentprécisément l'industrie du transport aérien (paragraphes 79(3.1) à 79(3.3) et articles 79.1 à 104.1).

Puisque vous recommandez l'abrogation de ces dispositions, pourquoi ne pas le faire dès maintenant?

M. Lastewka: Il faut revenir à un certain nombre d'autres recommandations et au préambule. Si l'on modifie ces dispositions de la Loi sur la concurrence, l'article 104 de la loi deviendra redondant. Il faut toutefois apporter les changements en question avant de donner suite à la recommandation.

Le sénateur Oliver: Nous avons entendu le témoignage du professeur Wong, qui a étudié les articles 103 et 104 proposés. Il nous a dit que l'article 104 n'est pas vraiment nécessaire et que l'article 103 proposé serait davantage conforme à la loi et aux précédents au Canada. Que répondez-vous à cela?

M. Lastewka: Si l'on considère l'article 104 et la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement, l'objectif est de faire quelque chose dans un avenir immédiat. C'est une situation temporaire qui débouchera sur autre chose.

Le sénateur Oliver: Je dirais que les articles 103 et 104 proposés donneraient ce résultat.

M. Lastewka: Je n'en suis pas certain.

M. Dan McTeague, député, vice-président du Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie de la Chambre des communes: Il est question de l'industrie du transport aérien. Je vous fais remarquer que l'un des messages sous-jacents du comité, c'est que la justice différée est un déni de justice. Quant à la position de M. Wong, je ne crois pas qu'il puisse garantir qu'une ordonnance d'interdiction puisse être prononcée en temps voulu; en tout cas, ce n'est pas ce qui ressort des témoignages présentés antérieurement au comité.

Les entreprises commerciales fonctionnent d'une manière beaucoup plus sophistiquée que ce que les députés à la Chambre des communes, et peut-être même les honorables sénateurs seraient capables de déceler. Compte tenu de la nature de ces industries, le temps c'est de l'argent, et le temps peut être crucial. On peut perdre un concurrent vigoureux et efficace s'il faut attendre 24 jours ou 24 minutes ou 24 heures pour obtenir une ordonnance d'interdiction. Il est important de comprendre que l'article 104 est une mesure provisoire. Nous disons très clairement à la page 30, dans le préambule à la recommandation numéro 4, que la recommandation numéro 3 a une raison d'être bien précise. Je vais lire cette recommandation, honorables sénateurs, à titre d'information:

Que le gouvernement du Canada donne au Tribunal de la concurrence le droit d'imposer des sanctions d'ordre administratif à quiconque viole les articles 75, 76, 77, 79 et 81 de la Loi sur la concurrence. Le tribunal aurait toute discrétion pour établir ces sanctions.

On donne l'explication suivante au paragraphe (3):

Les dispositions visant les transporteurs aériens deviendraient inutiles et pourraient être abrogées. Ce troisième avantage est particulièrement intéressant aux yeux du comité puisqu'il permettrait de faire de nouveau de la Loi sur la concurrence une loi d'application générale.

Nous disons donc très clairement, et c'est ce que le président du comité vient de dire, que nous sommes tournés vers l'avenir. L'unique journaliste qui était présent à la conférence de presse a manifestement mal présenté la situation. Nous étions en présence d'un cas de force majeure dans ce secteur. Compte tenu de la situation dans laquelle se trouvait la compagnie Canada 3000, il est très probable que cette compagnie aérienne aurait pu faire faillite. Nous trouvons que c'est la bonne façon d'aborder ce dossier.

M. Lastewka: Mon intention, à titre de président du comité, était de m'assurer qu'il n'y avait aucun conflit entre les 29recommandations que nous demandons au ministère et au commissaire d'étudier avant de présenter un libre blanc et d'aller plus loin. Le commissaire est le témoin suivant. Vous voudrez peut-être lui poser cette question.

Le sénateur Oliver: Monsieur McTeague, je voudrais que vous me disiez pourquoi vous avez prévu une disposition obligeant une personne qui veut s'adresser à la justice pour obtenir réparation à demander d'abord l'autorisation; et deuxièmement, pourquoi ne permettez-vous pas à cette même personne qui a subi un tort, peut-être à cause de pratiques de prix d'éviction, d'obtenir au moins des dommages-intérêts?

M. McTeague: Il faut aussi tenir compte du fait que notre proposition envisage un régime de dissuasion comportant des sanctions administratives, des actions privées et la possibilité pour nous d'obtenir une ordonnance d'interdiction.

Le sénateur Oliver: Vous faites allusion à une action privée.

M. McTeague: Exactement. C'est une option. Cela n'empêche toutefois pas le commissaire de lancer sa propre enquête.

Le sénateur Oliver: J'en suis conscient. Mais pourquoi mettre tellement de bâtons dans les roues à une personne qui tente d'obtenir justice au moyen d'une action privée?

M. McTeague: Nous avons adopté la position qu'il pourrait y avoir possibilité pour les tribunaux, dans le cadre d'une action privée, d'octroyer des dommages-intérêts et, au besoin, d'imposer des sanctions administratives à une personne qui pourrait faire perdre son temps au tribunal en intentant une action frivole ou vexatoire.

Le sénateur Oliver: Où cela se trouve-t-il dans le projet de loiC-23?

M. McTeague: Je pensais que vous parliez de notre document. Nous prenons une mesure en direction de ce que nous avons recommandé dans notre rapport.

M. Lastewka: C'est pourquoi il est très important de bien comprendre que notre document envisage la situation postérieure à la mise en place du projet de loi C-23.

Le sénateur Oliver: Ce projet de loi ne devrait-il pas vous être renvoyé, puisque vous avez formulé ces recommandations et quasiment vu la lumière, afin que vous puissiez corriger beaucoup de ces éléments que vous considérez actuellement comme des lacunes? Ainsi, nous pourrions être saisis d'un projet de loi plus complet et approprié à notre époque.

M. Lastewka: Je ne vois pas les choses sous cet angle. Nous voulons que le ministère examine de nombreuses questions, 29recommandations en tout, et publie un livre blanc.

Nous avons tiré la leçon de notre expérience; nous avons appris à l'occasion des tables rondes qu'il y a beaucoup de débats sur cette question et que cela prend beaucoup de temps. Le projet de loi C-23 vise à prendre certaines mesures dès maintenant.

Le sénateur Oliver: Ce n'est pas ce qu'ont dit beaucoup de témoins. Mais j'ai déjà pris assez de temps.

[English]

Le sénateur Hervieux-Payette: Je souhaite la bienvenue à mes collègues de la Chambre des Communes. Il nous fait toujours plaisir de vous recevoir pour discuter de projets de loi. Parfois on est d'accord; parfois on ne l'est pas.

Sur le fond de la question, à savoir si on veut une concurrence saine et équitable, je pense qu'il n'y a pas de problème. Nous devons nous pencher surtout sur les moyens à prendre pour y arriver.

La question qui m'embarrasse est celle des modifications qu'on a apportées qui permettent maintenant aux entreprises de pouvoir initier des procédures. Il me semble que lorsqu'on donne le pouvoir au commissaire d'émettre une ordonnance, sans passer par un tribunal, qu'on le met dans une situation quasi impossible d'être juge et partie.

D'une part, si vous avez une entreprise de 1 000 ou de 100 000 actionnaires, et d'autre part, une entreprise plus petite sur le plan financier, vous avez une grosse entreprise qui est solide et une petite qui est faible, ce serait presque prendre ceci comme étant une vérité de La Palice.

On a vu hier qu'une entreprise importante telle Bell Canada peut, à un moment donné, avoir de très grandes difficultés. Je fais ici référence à mon passé en télécommunication.

En télécommunication, il y a eu pendant longtemps ce que vous appelez un «dominant carrier», en l'occurrence Bell. Depuis 1992, on a introduit le concept de la concurrence. Ce concept fut fait de façon ordonnée en donnant des pouvoirs au CRTC.

Maintenant, on est dans le domaine du «transport mail». Il faut se souvenir que les télécommunications et le transport utilisaient des lois semblables avant que l'on adopte la Loi sur les télécommunications. La Loi sur les télécommunications existe seulement depuis 1992. Auparavant le Railway Act traitait de ces questions.

Je vous soumets cette question afin de nous assurer d'une concurrence équitable. Vous nous dites qu'il faut une décision immédiate. Il y a des tribunaux qui peuvent rendre une décision immédiate pour prévenir un risque. C'est une partie indépendante.

Si vous allez devant la Cour supérieure du Québec et que vous obtenez une injonction, vous pouvez faire cesser une action qui pourrait causer un dommage important à une entreprise.

Dans ce cas-ci, c'est le commissaire qui prendrait la décision quant à ce qui pourrait causer un dommage important à l'une ou l'autre des deux parties. Ma philosophie du droit serait qu'un tribunal devrait avoir la possibilité d'entendre les deux parties, et que la question soit soumise à une partie indépendante. Ce pourrait être le Tribunal des transports ou les cours régulières.

Pourquoi avez-vous choisi ce mode d'intervention tout à fait inusité? Ce mode d'intervention est peut-être pratique, mais sur le plan juridique il répugne même au Barreau canadien?

[Translation]

M. Lastewka: Premièrement, l'évolution de la réglementation a été différente dans l'industrie des télécommunications et dans le secteur des compagnies aériennes. La situation était complètement différente. Cela remonte à la faillite de Canada 3000. Le gouvernement s'est trouvé coincé dans une situation très délicate. Maintenant, le temps presse.

Le sénateur Hervieux-Payette: Avez-vous entendu parler d'Unitel, dont la faillite a englouti près d'un milliard de dollars?

Le président: Vous pouvez procéder comme bon vous semble, mais la raison d'être de la comparution de ces messieurs devant nous, c'est pour leur permettre de donner des éclaircissements sur ce qu'ils ont fait, de nous dire pourquoi ils l'ont fait et de nous dire ce qui constitue à leurs yeux l'essence de ce projet de loi. Vous pouvez bien sûr leur poser toutes les questions que vous voudrez. Il serait toutefois préférable de poser certaines de ces questions au commissaire à la concurrence quand il témoignera. Je ne pense pas que nous devrions nous lancer dans un grand débat avec nos collègues de la Chambre des communes.

Ils ont expliqué clairement le pourquoi de leurs propos et le but qu'ils espèrent atteindre.

Le sénateur Tkachuk: Je n'en suis pas certain.

Le sénateur Di Nino: Je ne crois pas qu'ils l'aient fait.

Le président: Ils ne sont pas venus ici pour être jugés: c'est une faveur qu'ils nous font.

M. Lastewka: Le comité a étudié le projet de loi C-23 et a longuement discuté de la concurrence. Un examen de la législation sur la concurrence aurait dû avoir lieu depuis longtemps. Nous devions le faire.

Nous voulions étudier la Loi sur la concurrence et faire des recommandations telles que le gouvernement publierait au moins un livre blanc et encouragerait de plus amples discussions afin de rendre plus actuelle la Loi sur la concurrence. Voilà le but de notre rapport.

On aurait tort de choisir 27 mots dans un rapport de 127 pages et de dire que c'est sur quoi porte le rapport. Je tiens à dire très clairement que nous formulons 29 recommandations à l'intention du ministère et du commissaire et que nous les invitons à y donner suite en publiant un livre blanc.

Ayons une discussion franche, ouverte et transparente sur la Loi sur la concurrence. Cette loi doit être mise à jour à un certain nombre d'égards. Telle était l'intention de notre rapport. J'espère que nous pourrons capter l'attention des nombreuses personnes qui doivent se pencher sur notre Loi sur la concurrence telle qu'elle existe aujourd'hui.

Je pourrais passer en revue certaines lignes directrices et les critiquer. S'agit-il seulement de lignes directrices?

Je viens de l'industrie. Ces lignes directrices devraient s'appliquer à tous. Il y a un certain nombre de points qui doivent être tirés au clair. Nous avons la responsabilité, à titre de législateurs, de voir à ce que ça se fasse. Il faut espérer que tel sera le résultat du rapport.

Le sénateur Di Nino: Je vous souhaite la bienvenue, messieurs, et en particulier à vous, monsieur Lastewka.

Vous nous excuserez si certains d'entre nous sont sceptiques quand il est question de mesures législatives temporaires. Vous savez pertinemment, comme tous les Canadiens, que l'impôt sur le revenu était une mesure temporaire. Elle a été prise il y a des décennies. Nous avons des préoccupations à cet égard.

J'ai deux questions. Est-ce que tous les membres du comité, y compris ceux de l'opposition, partagent à l'unanimité l'interprétation que vous venez de donner de votre rapport?

M. Lastewka: Il n'y a pas eu d'opposition importante à notre rapport. L'opposition officielle a ajouté une opinion complémentaire, mais a souscrit sans réserve au rapport. Le NPD a fait un ajout différent, dans lequel on examine les principes fondamentaux de l'entreprise et de la concurrence, et je crois que ce texte s'éloignait quelque peu de l'intention du rapport.

Pour répondre à votre question, oui, l'opposition a appuyé le rapport.

Le sénateur Di Nino: MonsieurLastewka, je parlais de votre interprétation ce matin des questions que nous avons posées. Les autres membres du comité, en particulier ceux qui ne sont pas du parti ministériel, partagent-ils votre interprétation? Peut-être que vous n'avez pas eu l'occasion d'en discuter avec eux.

M. Lastewka: J'ai eu de brefs entretiens avec l'opposition officielle pour renforcer ce que je disais. Je n'ai pas eu le temps d'en parler à tout le monde.

Le sénateur Di Nino: C'est très bien.

M. Lastewka: Je ferai part de tout cela au comité.

M. McTeague: Pourrais-je ajouter un élément que vous trouverez peut-être intéressant. La grave préoccupation de l'Alliance, c'est que l'actuelle disposition sur les ordonnances de cesser et de s'abstenir n'est peut-être pas suffisante. Les alliancistes ont donné l'exemple du retard auquel a donné lieu la plainte de WestJet. À l'heure actuelle, il s'écoule près de deux ans avant qu'une plainte soit entendue, ce qui est l'une des raisons pour lesquelles l'Alliance avait une opinion légèrement différente et estimait que nous n'étions pas allés assez loin dans ce rapport.

Le sénateur Di Nino: Monsieur Lastewka, nous tenons à vous féliciter. Nous pensons que c'est un bon rapport.

J'ai eu l'occasion hier soir et ce matin d'en prendre connaissance. Comme mon ami le dit, le rapport montre que vous avez vu la lumière. On y propose certaines améliorations qui pourraient être apportées au projet de loi. Votre réponse à mon collègue le sénateur Oliver était que le projet de loi C-23 visait l'avenir.

Ne serait-il pas logique de peut-être vous renvoyer tout cela, à vous qui avez fait tellement du bon travail pour ce qui est de déceler les faiblesses et les lacunes, afin d'améliorer le projet de loiC-23, en particulier durant cette période où, on le sait, le menu législatif du Parlement n'est pas très chargé?

Le sénateur Oliver: Très juste.

M. Lastewka: J'en reviens aux observations de M.Collenette. Il s'agit d'une mesure temporaire destinée à être abrogée dès que la concurrence sera rétablie. Je souscris aux propos du ministre. Vous pourriez poser cette question au témoin suivant.

Nous sommes devant une certaine situation et nous devons prendre des mesures temporaires pour surmonter le problème. Ensuite, nous verrons ce qu'il convient de faire.

Le sénateur Di Nino: Si nous pouvions améliorer le projet de loi, ne serait-il pas bien de le faire dès maintenant? Vous avez découvert certaines faiblesses, alors renvoyons le tout. Vous pourrez alors apporter les changements voulus et nous les approuverons. Votre charge de travail n'est pas très lourde.

M. Lastewka: Je ne dirais pas cela. Notre charge de travail est très lourde, surtout que nous avons lancé une étude de l'innovation, de la compétitivité et de la productivité dans notre pays, ce qui est la priorité de notre comité pour les six prochains mois.

Je tiens à vous dire que le comité tout entier est d'avis que le projet de loi C-23 doit être adopté. Il nous faut placer nos compagnies aériennes dans une situation de concurrence et ensuite poursuivre l'étude de la Loi sur la concurrence. Notre rapport vise la période postérieure à l'adoption du projet de loiC-23. Vous devriez peut-être poser les mêmes questions au commissaire quand il témoignera.

Le sénateur Meighen: Je n'ai qu'une seule question à poser à M.Lastewka. Vous parlez de mesures temporaires. Comme l'a dit mon collègue le sénateur DiNino, vous avez fait de l'excellent travail. Il semble quasiment que nous devions suivre cela de près en permanence. La situation du marché change très rapidement.

On nous demande maintenant d'approuver une disposition précise traitant du secteur des compagnies aériennes à cause d'une situation qui a surgi et qui n'était pas prévue dans la loi existante. Seriez-vous en faveur d'un examen obligatoire de la loi dans un délai prescrit?

M. Lastewka: L'une de nos recommandations porte sur les fusions. Dans la loi, il est question de fusion d'une valeur de 35millions de dollars. Nous recommandons que cette disposition fasse l'objet d'un examen obligatoire tous les cinq ans. La situation évolue.

Je suis de ceux qui pensent que nous devrions réexaminer constamment la Loi sur la concurrence, au fur et à mesure que le monde change. Je désire ardemment que nous le fassions plus fréquemment parce que le changement est tellement rapide. Nous ne devrions pas être obligés de faire du rattrapage.

Le sénateur Meighen: Non, j'en conviens.

M. Lastewka: Nous devrions essayer de déterminer ce que l'avenir nous réserve et nous assurer que la Loi sur la concurrence soit valable en fonction de l'avenir. J'ai dit tout à l'heure que notre rapport vise la situation postérieure au C-23. Le gouvernement et le commissaire devraient examiner quelle devrait être l'évolution de la Loi sur la concurrence et effectuer des examens périodiques, que ce soit tous les cinq ans ou tous les sept ans. Nous devrions nous efforcer de rester constamment à jour, au lieu de faire du rattrapage.

Le sénateur Oliver: Cela ne devrait-il pas être écrit dans le projet de loi qui sera renvoyé au Parlement?

M. Lastewka: Vous parlez du projet de loi C-23. Moi, je parle du livre blanc et de l'avenir.

Le sénateur Meighen: Discutons de la politique de la concurrence au Canada. Telle est ma question et celle du sénateur Oliver. J'aime bien votre orientation. J'aime entendre dire que nous devons rester à jour. J'ai pourtant une réserve pour ce qui est de — non pas que ce soit mauvais — vouloir faire réexaminer périodiquement les dispositions précises portant sur les fusions. Pourquoi ne pas en faire autant pour les dispositions traitant précisément du transport aérien? Et pourquoi ne pas étudier la loi en entier à tous les deux ans?

M. Lastewka: Je n'ai aucune objection à ce que l'on examine toute la législation sur la concurrence tous les cinq ans.

Le sénateur Meighen: Cinq ans?

M. Lastewka: Vous pourriez peut-être poser la question au ministre. Il faut une certaine stabilité dans les affaires. On peut apporter des retouches. Dans le monde des affaires, on ne veut pas revenir là-dessus tous les deux ou trois ans. Je n'ai pas besoin de vous expliquer cela.

Le sénateur Meighen: Plus on s'avance dans l'avenir, moins la planification est précise.

M. Lastewka: Il faut des règles et des points de repère.

Le président: Je dois vous signaler que notre comité va demander un examen dans deux ans. Je suppose que cela correspond à l'objectif de votre rapport?

M. Lastewka: Nous n'avons pas défini la durée de la période temporaire.

Le président: Nous l'avons fait.

M. Lastewka: Je n'ai pas d'objection à cela. Je suis certain que le ministre n'aura pas d'objection non plus.

Le sénateur Meighen: J'espère que vous avez raison.

Le sénateur Tkachuk: Depuis la publication de ce rapport, et sachant que la majorité des membres du comité sont libéraux, nous essayons de comprendre quelle est exactement l'intention du gouvernement. A-t-il fallu un an ou deux pour aboutir à cela?

M. Lastewka: Cela fait plus de deux ans que nous avons commencé à étudier la Loi sur la concurrence et à en examiner les divers aspects. Nous avons tenu beaucoup de tables rondes sur la question. Une grande partie de ce travail a été fait pour que le comité puisse aller de l'avant.

Le sénateur Tkachuk: Votre recommandation numéro 4 est d'abroger les paragraphes 79(3.1) à 79(3.3) et les articles 79.1 et 104.1. Cette recommandation a-t-elle été ajoutée au rapport à la dernière minute? Avez-vous des discussions entre vous?

Le projet de loi a été présenté en avril 2001. Vous étudiez la Loi sur la concurrence depuis deux ans. Vous dites que nous devrons nous débarrasser de certaines dispositions du projet de loi à l'avenir. Comment en est-on arrivé là?

M. Lastewka: Premièrement, nous avons assurément des discussions entre nous. Les membres de notre comité travaillent en très étroite collaboration et de manière non partisane dans toute la mesure du possible.

Le sénateur Tkachuk: Ce n'est pas ce que je voulais dire. Je me demandais si vous, les ministres et les membres du caucus libéral étiez en communication. Comment cette disposition a-t-elle été insérée dans ce projet de loi alors que, parallèlement, vous étudiez une orientation tout à fait différente et que vous dites que cette disposition ne devrait pas exister?

M. Lastewka: Nous partons de la situation créée par le projet de loi C-23. Nous tirons les leçons du projet de loi C- 23 et de la disposition proposée à l'article 104 et nous envisageons un certain nombre d'autres mesures dans ce document.

Je vous demande de lire le document au complet et toutes les recommandations. Chaque recommandation portant sur un aspect de la Loi sur la concurrence a des répercussions sur les autres aspects.

Si l'on examine par exemple les ordonnances d'interdiction, l'octroi de dommages-intérêts et un certain nombre d'autres éléments, alors l'article 104 proposé deviendrait inutile. Cela fait partie de notre document et nous devons décider si nous ferons ou non ces changements. Si nous faisons ces changements, alors nous pourrions ensuite faire quelque chose d'autre.

Quand il est question de la Loi sur la concurrence, il faut toujours tenir compte de la première page et de la dernière page, parce que tout est lié.

Le sénateur Tkachuk: MonsieurLastewka, je ne m'étonne pas que le gouvernement libéral envoie un certain nombre de messages. J'essaie de comprendre comment vous élaborez une politique publique.

M. McTeague: Monsieur le président, avec votre indulgence, et mesdames et messieurs les sénateurs, si vous voulez bien me le permettre, je dirai que ce sujet n'est pas nouveau pour la Chambre des communes, ni même pour les Canadiens. Nous l'étudions périodiquement depuis 1996. On s'entendait généralement sur le fait que le but de cette loi n'était pas atteint, que son interprétation laissait à désirer.

Il y a eu un certain nombre d'études, notamment celle du forum des politiques publiques et du Conference Board. Vous constaterez au début du texte que l'on énumère tous les projets de loi dont s'inspire le projet de loi C-23. Il y a eu de nombreux rapports, y compris le rapport VanDuzer et ensuite un rapport provisoire.

Nous considérons que notre intervention s'inscrit dans le cadre d'un processus ouvert et fluctuant.

Nous croyons que la Loi sur la concurrence doit changer à mesure que le monde change. C'est l'approche pragmatique. Nous croyons aussi que si le comité avait adopté ce projet de loi C-23 en décembre, nous serions probablement aujourd'hui en mesure de passer à l'étape suivante et de rendre notre législation sur la concurrence plus compatible avec celles des autres pays du monde, et aussi de donner suite à la conviction profonde qu'il y a un certain nombre de changements, certains bons, d'autres mauvais, et d'autres encore très rapides, dans ce secteur. C'est vraiment sur cette base que nous avons proposé un plan d'avenir.

C'est un document de discussion. C'est une belle occasion, et oui, nous en avons discuté avec les membres du caucus. C'est une question qui a été soulevée; elle a été l'objet de nombreux rapports, comme je l'ai dit. Ce n'est pas nouveau et ce n'est certainement pas tombé du ciel.

Le sénateur Tkachuk: Était-ce délibéré?

M. McTeague: Que voulez-vous dire?

Le sénateur Tkachuk: L'ajout du numéro 104 à la Loi sur la concurrence.

M. McTeague: Si vous faites allusion à la recommandation numéro 4, je vous invite, comme je l'ai fait au début, à lire le texte intégral du rapport et à tenir compte de tout le contexte.

En attendant, monsieur, je dirais que nous étions confrontés à un cas de force majeure. Je crois que c'était extrêmement important pour la plupart des Canadiens et il est certain que cela faisait ressortir la pertinence, et peut- être aussi les lacunes de la Loi sur la concurrence.

Le sénateur Tkachuk: C'était important, je n'en disconviens pas. Nous demandons que la question soit réexaminée dans deux ans. Nous avons tous des réserves, non pas tellement quant à ce qui s'y trouve, mais quant à l'endroit où ça se trouve. C'est inscrit dans un projet de loi sur la concurrence et cela vise un secteur en particulier.

Vous dites que le ministre Collenette a dit que ce serait une mesure temporaire. C'est le projet de loi de M. Rock, pas celui du ministre Collenette. Il l'a dit au comité. Il a dit qu'il était seulement venu nous expliquer comment on en était arrivé à inscrire cela dans ce projet de loi. Il se trouve que ce projet de loi était à l'étude à la chambre et l'on a jugé que l'on pourrait en profiter pour régler un problème. M. Rock vous a donc dit que c'était une mesure temporaire? Je ne me rappelle pas qu'il nous l'ait dit à nous.

M. Lastewka: Vous devrez le demander à M. Rock.

Le sénateur Tkachuk: Nous lui avons demandé s'il voulait que nous examinions ce projet de loi en vue d'y apporter peut-être des amendements, mais il ne voulait rien savoir de cela. Il ne voulait pas d'amendement. Mes collègues me reprendront si je me trompe, mais je crois qu'il ne voulait pas d'un amendement qui provoquerait un nouvel examen de la question dans un certain nombre d'années.

Le sénateur Oliver: C'est exact.

Le sénateur Tkachuk: Il envisage cela comme un élément permanent de la Loi sur la concurrence.

M. McTeague: Je pense que vous auriez du mal à trouver une seule disposition de la Loi sur la concurrence qui n'était pas fondée à l'origine, même si c'est une loi d'application générale, sur un problème qui a surgi dans un secteur en particulier. Dans ce deuxième document, qui émane bien sûr du Parlement, et non pas du gouvernement — je pense que vous comprendrez la distinction —, on donne des conseils au gouvernement sur ce qu'il convient de faire à partir de maintenant. Le président l'a bien dit. Je soupçonne que la question des pouvoirs qui ont été conférés dans cette affaire est importante parce que c'est la seule solution provisoire qui pouvait empêcher l'effondrement d'un secteur en particulier ou la création d'un secteur qui serait sous l'emprise d'une entreprise dominante abusant de sa situation. Ce n'est pas par accident que le comité s'est penché sur la question. J'ai envoyé dans le passé de la documentation au sénateur Kroft et à d'autres, ce qui démontre bien que nous ne traitons pas à la légère ou de façon myope la question du secteur du transport aérien.

Le sénateur Tkachuk: Le ministre Collenette dit que c'est une mesure temporaire. Ce n'est pas ce que nous a dit M. Rock. Votre comité veut que ce soit abrogé. Recommanderiez-vous que nous utilisions le rapport de la chambre comme fondement pour modifier le projet de loi?

M. McTeague: Non, nous ne voulons pas que ce soit abrogé.

M. Lastewka: Non, si vous voulez choisir un seul élément, à votre guise. Le conseil que je vous donne, c'est que vous devez prendre les autres mesures que nous recommandons.

Le sénateur Tkachuk: Nous serions ravis de le faire.

M. McTeague: Sénateur, je vous ferai remarquer que votre propre homologue conservateur à la Chambre des communes a appuyé sans réserve les dispositions qui visent le secteur du transport aérien. Nous croyons que tout cela doit rester tel quel. Il ne serait pas juste de laisser entendre que nous disons une chose un jour et son contraire le lendemain, parce qu'en fait, nous sommes tout à fait cohérents. Nous croyons que les dispositions doivent demeurer en place jusqu'à ce que des modifications soient proposées à la suite du livre blanc. Je suppose que cela ne devrait pas tarder.

Le sénateur Tkachuk: C'est très bien.

Le président: Merci, messieurs, d'être venus nous rencontrer.

Nos témoins suivants sont du Bureau de la concurrence, nommément M. Konrad von Finckenstein, Mme Suzanne Legault et M. Donald Houston.

M. Konrad von Finckenstein, commissaire à la concurrence, Bureau de la concurrence, Industrie Canada: Je vous remercie de m'avoir invité à témoigner une fois de plus devant vous au sujet du projet de loi C-23.

Comme vous le savez, nous sommes convaincus que le projet de loi C-23 est une législation vitale dans le domaine économique qui bénéficiera aux entreprises et aux consommateurs. Par exemple, l'interdiction de l'envoi de documentation trompeuse est urgente. Ces arnaques visent les membres les plus vulnérables de notre société, surtout les aînés. Les pertes peuvent atteindre des milliers de dollars et, malheureusement, le Canada se forge une réputation d'être le paradis des fraudeurs de cette sorte. Nous sommes convaincus que cette interdiction et d'autres dispositions sont des éléments clés de la réforme qui s'impose.

Nous avons suivi vos audiences et nous avons écouté attentivement les commentaires des témoins. Aujourd'hui, je vais concentrer mes remarques sur quatre points qui ont été soulevés pendant vos discussions. Premièrement, le critère des effets sur la concurrence qui est proposé à l'article 75; deuxièmement, la question de l'entraide juridique; troisièmement, l'article 104.1 de la Loi sur la concurrence; et enfin, la sanction administrative pécuniaire.

[English]

L'article 75 vise principalement à protéger, dans des situations spécifiques, les petites entreprises au Canada.

A ce titre, cet article respecte en tout point un des objets de la loi énoncés à l'article 1.1 qui vise à «assurer à la petite et moyenne entreprise une chance honnête de participer à l'économie canadienne».

Afin de réduire les risques de procédure à des fins stratégiques, le projet de loi C-23 prévoit un critère «effet sur la concurrence» qui diffère de celui utilisé dans les autres affaires examinables, c'est-à-dire, «empêcher ou diminuer sensiblement la concurrence».

A cet effet, certains ont exprimé la préoccupation qu'un tel critère introduisait dans la loi une norme incompatible. Nous croyons, tout en demeurant en accord avec l'objet de l'article 75, que l'ajout du critère «effet de nuire à la concurrence» est adéquat puisqu'il codifie la jurisprudence actuelle.

Permettez-moi de vous donner un exemple qui explique la différence entre ces deux critères.

Un fournisseur dominant d'un produit prend la décision de cesser d'approvisionner une petite entreprise. Ainsi, la petite entreprise ne peut continuer ses activités, étant donné qu'elle est incapable de se procurer où que ce soit un produit de façon suffisante. Compte tenu qu'elle est un petit joueur sur un marché, sa disparition n'aura vraisemblablement pas un effet sensible sur la concurrence.

Ainsi, il est peu probable qu'une augmentation de prix résultera de cette situation. Cependant, cette disparition réduira le nombre de concurrents sur ce marché ainsi que le choix dans les produits.

Nous sommes ainsi en mesure de constater que cette situation aurait pour effet de nuire à la concurrence. Pour cette raison, nous croyons que cette modification est nécessaire.

[Translation]

Deuxièmement, au sujet de l'entraide juridique, vous avez beaucoup entendu parler de la dimension internationale des affaires qui nous occupent. Nous constatons une demande croissante, surtout dans les cas de fusion, d'examiner ces affaires dans une optique internationale. Cette tendance implique également sa part de difficultés d'ordre pratique, surtout en ce qui a trait au partage de l'information.

En règle générale, la mise en application des lois se limite au territoire du pays qui les a adoptées. En conséquence, la cueillette des éléments de preuve au sein du territoire d'une autre juridiction est l'un des principaux défis qui doit être surmonté par les autorités pour faire respecter notre loi. Ce fait a nécessité l'élaboration d'outils plus fiables pour tenir compte de la dimension internationale qui prend de plus en plus d'importance.

La nouvelle partie III du projet de loi C-23 vise à permettre au Canada de participer à des accords d'entraide juridique dans des affaires civiles en matière de concurrence. M. George Addy, mon prédécesseur, a exprimé des préoccupations au sujet du projet d'entraide juridique proposé en ce qui concerne l'équité procédurale. Franchement, je ne partage pas du tout ses préoccupations à cet égard, et je vais vous expliquer pourquoi.

Il ne faut pas perdre de vue que la nouvelle partie III prévoit l'inclusion de prérequis minimums dans tout accord d'entraide juridique.

Les dispositions énumérées à la partie III ne constituent pas un accord en soi. Quand j'ai comparu devant vous auparavant, je vous ai remis un modèle d'accord qui reflète les principaux éléments des dispositions de coopération contenues dans le projet de loi C-23 et qui seraient mises en oeuvre dans l'accord qui est autorisé par cette disposition proposée.

Avant qu'un accord ne soit conclu par le Canada, le ministre de la Justice — et non pas le commissaire — doit être convaincu que les lois sur la concurrence de l'État étranger sont semblables à la Loi sur la concurrence du Canada. Le ministre doit aussi être convaincu que les documents ou autres choses seront protégés par des lois en matière de confidentialité qui sont semblables aux lois canadiennes. Autrement dit, nous conclurons des traités seulement avec des pays qui ont le même niveau de protection que nous avons dans notre législation sur la concurrence.

Le ministre doit alors être convaincu que les exigences minimums sont comprises dans l'accord, par exemple des dispositions traitant des circonstances dans lesquelles le Canada a le droit de refuser une demande et des modalités de protection en matière de confidentialité des documents ou autres choses.

L'accord comportera des engagements de la part de l'État étranger que les documents ou autres choses transmis par le Canada ne seront utilisés qu'aux fins pour lesquelles ils ont été demandés.

L'accord comportera des engagements de la part de l'État étranger que les documents ou autres choses transmis par le Canada ne seront utilisés qu'aux conditions pour lesquelles ils ont été fournis, y compris celles qui portent sur les droits et privilèges applicables en droit canadien.

De plus, le ministre de la Justice devra être convaincu que toute demande présentée en vertu d'un accord est présentée en conformité avec la loi et l'accord.

Si le ministre approuve la demande, le commissaire s'adresse aux tribunaux pour obtenir un mandat de perquisition ou une ordonnance d'obtention d'éléments de preuve.

Avant d'émettre une ordonnance, le juge doit être convaincu qu'il existe des motifs raisonnables de croire qu'un comportement qui fait l'objet de la demande présentée par l'État étranger a bel et bien lieu, ou a eu lieu ou est sur le point d'avoir lieu. Le juge doit en être convaincu, pas le commissaire. Il doit aussi être convaincu que des éléments de preuve relatifs au comportement seront trouvés au Canada.

En outre, un mandat de perquisition sera émis seulement si le juge est convaincu qu'il ne serait pas opportun, dans les circonstances, de recourir à une ordonnance d'obtention d'éléments de preuve.

Bien sûr, aucun avis n'est remis aux parties devant faire l'objet de la perquisition. M. Addy a laissé entendre qu'il faudrait donner préavis. J'ignore pourquoi on devrait aviser quelqu'un qu'on veut perquisitionner chez lui. Cela encourage la destruction d'éléments de preuve; cela arrive parfois. Aucun avis n'est donné, car on n'avise jamais les gens avant de faire une perquisition.

Avant d'envoyer à l'étranger des documents ou autres choses saisies ou des éléments de preuve obtenus suite à l'émission d'une ordonnance d'obtention d'éléments de preuve, un juge prendra en considération toute représentation pertinente présentée par le ministre de la Justice, le commissaire de la concurrence, la personne de qui on a obtenu les éléments de preuve ou toute autre personne qui prétend avoir des droits sur ceux-ci. Cela veut dire qu'il y aura une audience sur les éléments de preuve recueillis afin de décider s'il y a lieu de les envoyer à un pays étranger, et toute partie intéressée aura l'occasion de faire valoir son point de vue à l'audience.

Il est important de réitérer que la nouvelle partie III proposée reprend essentiellement le cadre de travail existant pour les questions d'ordre criminel en vertu de la Loi sur l'entraide juridique en matière criminelle. En vertu de cette loi, 27 accords conclus avec divers pays sont actuellement en vigueur.

Les États-Unis et l'Australie ont conclu un accord en matière civile et criminelle en 1999 et plusieurs autres pays étrangers prévoient modifier leur législation afin d'obtenir l'autorité de négocier de tels accords. Nous sommes tous conscients qu'il est impossible de faire respecter une loi sur la concurrence à moins d'avoir la capacité d'échanger des renseignements et d'en recueillir dans des pays avec lesquels il existe des liens économiques étroits.

Des accords bilatéraux d'entraide juridique sont une étape importante visant l'amélioration de la mise en application des lois sur la concurrence dans l'économie mondiale d'aujourd'hui. C'est pourquoi cette disposition est incluse dans le projet de loi C-23.

Je vais maintenant passer à l'article 104.1 de la Loi sur la concurrence. Comme les honorables sénateurs le savent, cette loi a été adoptée en l'an 2000, au moyen du projet de loi C-26, et est maintenant en vigueur depuis plus de deux ans. L'article 104.1 donne au commissaire de la concurrence le pouvoir d'émettre une ordonnance provisoire concernant des pratiques reliées à l'abus de position dominante dans l'industrie du transport aérien.

L'article 104.1, qui faisait partie du projet de loi C-25, a été adopté suite à de longues audiences devant le Comité permanent des transports de la Chambre des communes et le Comité sénatorial permanent des transports et des communications. Les deux comités ont entendu le point de vue de plusieurs intervenants, dont des fonctionnaires, des experts de l'industrie, des associations professionnelles, des participants de l'industrie, des groupes de consommateurs, d'universitaires et d'experts en droit. Plus particulièrement, plusieurs petits transporteurs aériens canadiens ont exprimé leurs points de vue auprès des deux comités.

Jusqu'à maintenant, une seule ordonnance provisoire a été émise en vertu de cet article. C'était dans l'affaire CanJet le 12octobre 2000.

En outre, il est important de mentionner qu'Air Canada a contesté l'article 104.1 devant les tribunaux. Cette disposition est valide et a été maintenue par le Tribunal de la concurrence, la Cour supérieure du Québec et la Cour d'appel fédérale.

L'industrie du transport aérien est actuellement en crise. Donc l'article 104.1 est plus que jamais un outil administratif essentiel pour que le commissaire puisse protéger la concurrence dans cette industrie contre des pratiques abusives exercées par des transporteurs dominants.

Une ordonnance émise en vertu de l'article 104.1 permet au commissaire d'intervenir rapidement afin de «geler la situation factuelle» pendant un certain temps pour pouvoir terminer son enquête, de manière à éviter de causer un préjudice irréparable à la concurrence.

La seule question dont les sénateurs sont saisis dans le projet de loi C-23 est une modification marginale visant à combler l'écart entre l'expiration d'une ordonnance provisoire et le dépôt d'une demande devant le Tribunal de la concurrence en vertu de l'article79.

Au cours des deux dernières années, la part de marché d'Air Canada a connu des fluctuations. Toutefois, avec la disparition de CanJet, Royal, Roots et Canada 3000, nous sommes revenus aux niveaux observés après la fusion entre Air Canada et Canadien.

Nous avons entendu de la part d'entrants potentiels et d'investisseurs qu'ils n'entreront pas sur le marché sans que des mesures protectrices visant à contrer des comportements anticoncurrentiels de la part d'un transport aérien dominant ne soient en place.

Diluer le régime actuel endommagerait sérieusement la mise en application de la Loi sur la concurrence. Cela enverrait aussi un mauvais signal aux entrants potentiels qui désirent concurrencer dans l'industrie aérienne du Canada.

L'article 104.1 est un pouvoir qui n'est pas unique dans la législation canadienne. Des pouvoirs semblables existent dans d'autres lois fédérales comme la Loi sur la Société canadienne des postes, la Loi canadienne sur la protection de l'environnement et la Loi sur l'aéronautique.

Pour toutes ces raisons, nous sommes d'avis que la modification à l'article 104.1 proposée dans le projet de loi C-23 doit être adoptée et n'aura pas les conséquences que d'autres témoins ont annoncées.

[English]

Une sanction administrative pécuniaire peut être imposée seulement lorsque le Tribunal de la concurrence conclut, en conformité avec l'article 79 de la Loi sur la concurrence, que le transporteur dominant a abusé de sa position dominante. Actuellement, le Tribunal peut seulement émettre une ordonnance d'interdiction ou une ordonnance comportant des mesures correctives.

En l'absence d'un moyen de dissuasion sévère, un transporteur dominant peut être incité à s'engager dans des comportements anticoncurrentiels comme l'éviction. Une sanction administrative pécuniaire encouragera la conformité en dissuadant un transporteur aérien dominant de s'engager dans le futur, dans des pratiques abusives.

De plus, le projet de loi C-23 contient des modifications supplémentaires visant à assurer une plus grande conformité à la loi. En effet, des demandes concernant l'applicabilité de la Loi sur la concurrence au sujet d'un comportement précis peuvent être soumises au commissaire afin qu'il donne un avis écrit le liant.

Un transporteur aérien dominant pourra demander des directives au Bureau de la concurrence et éviter d'être en conflit avec les dispositions de la loi.

L'autorité d'imposer une sanction administrative pécuniaire, comme les ordonnances provisoires, n'est pas unique. En effet, la Commission européenne peut imposer une sanction administrative pécuniaire pouvant aller de mille à un million d'euros ou un montant ne dépassant pas 10 p. 100 du chiffre d'affaires lorsqu'elle conclut qu'un transporteur aérien s'est engagé dans un comportement anticoncurrentiel.

La plupart des régimes non-criminels en matière de droit de la concurrence dans le monde contiennent des dispositions générales prévoyant l'imposition de sanctions administratives pécuniaires visant à dissuader la non- conformité à la loi.

L'introduction de sanctions administratives pécuniaires est un ajout au régime spécial de la Loi sur la concurrence, entrée en vigueur en 2000, visant les transporteurs aériens intérieurs.

Ce régime vise à empêcher des comportements anticoncurrentiels et à préserver la concurrence dans l'industrie du transport aérien, un secteur vital de l'économie canadienne.

Sur ce point précis, dans sa récente décision relative à l'appel d'Air Canada concernant l'ordonnance émise en vertu de l'article104.1 dans l'affaire CanJet, la Cour fédérale d'appel a déclaré que: «[...] la santé économique du transport aérien au Canada est une question qui préoccupe grandement des millions de Canadiens.»

[Translation]

J'espère que vous conviendrez que le projet de loi C-23 est un ensemble équilibré de modifications qui a obtenu un vaste appui des intervenants et de tous les partis à la Chambre des communes. Il a été adopté avec l'appui de tous les partis. Il profitera aux consommateurs et aux entreprises. À notre avis, il fournit des outils modernes visant à renforcer la mise en application de la Loi sur la concurrence dans l'économie mondiale d'aujourd'hui. Je vous demande instamment d'adopter ce projet de loi dans sa forme actuelle et sans plus de délai. Je suis prêt à répondre à vos questions.

Le sénateur Tkachuk: Nous avons entendu tout à l'heure le président du Comité de l'industrie de la Chambre. Il a dit quelque chose qui m'a laissé perplexe. Le ministre vous a-t-il laissé entendre que l'article 104.1 sera une mesure temporaire?

M. von Finckenstein: Comme je l'ai déjà dit, je crois que notre industrie du transport aérien est en crise. Cet article a été ajouté pour régler cette crise. Il est clair que si la crise prend fin, cette disposition ne sera plus nécessaire. Il a toujours été implicite qu'il s'agissait d'un phénomène temporaire. Ce n'est pas là à tout jamais.

Le sénateur Tkachuk: D'après vous, le problème durera-t-il trois ans ou cinq ans?

M. von Finckenstein: Depuis que je suis devenu commissaire il y a cinq ans, j'ai mis en place un service des modifications et j'ai dit publiquement que la Loi sur la concurrence est une loi cadre. Elle doit être révisée périodiquement. J'ai l'intention de faire en sorte que, sous chaque gouvernement, nous fassions un examen de la Loi sur la concurrence afin de s'assurer qu'elle est à jour et appropriée à la conjoncture.

Nous avons eu, depuis que je suis devenu commissaire, deux projets de loi, le C-20 et maintenant le C-23. Entre les deux, le projet de loi C-26 a traité de la concurrence et d'autres questions relatives au secteur aérien. Pour avoir un cadre valable qui permet d'affronter les problèmes économiques, ce cadre doit être itératif. Il faut le modifier en fonction de la conjoncture. Cela veut dire qu'on peut ajouter ou enlever des éléments selon l'évolution de la situation.

Comme M.Lastewka l'a dit, le monde des affaires aime aussi la certitude. Il ne faut pas apporter des changements en profondeur sur le plan des concepts et de l'approche. Il faut ajouter ou retrancher, à partir des dispositions existantes, pour répondre aux besoins du temps présent.

Le sénateur Tkachuk: Outre l'article qui énonce l'objet de la Loi sur la concurrence et qui établit vos attributions et celles du Bureau de la concurrence, qu'est-ce qui limite votre pouvoir personnel quand vous invoquez l'article 104.1 pour obtenir une ordonnance provisoire contre un concurrent?

M. von Finckenstein: Comme vous le savez, cette disposition est sujette à révision, elle a fait l'objet d'un examen, et elle énonce d'ailleurs des prérequis qui doivent exister pour qu'elle puisse s'appliquer. La loi établit que je dois faire certaines constatations. Ce n'est pas comme si je pouvais décider n'importe quand, moi-même ou quiconque occupe mon poste, d'émettre une ordonnance d'interdiction. La décision doit être prise en conformité des prérequis qui sont établis dans la loi. C'est sujet à révision par le Tribunal de la concurrence. On peut aussi, bien sûr, contester l'ordonnance devant la Cour fédérale.

Dans le seul cas où la mesure a été invoquée, nous avons interdit un tarif parce que nous pensions qu'il était inutilement préjudiciable et qu'il ciblait CanJet. Un seul tarif, sur les milliers de tarifs d'Air Canada, sur cinq itinéraires précis. Le Tribunal de la concurrence a examiné mon intervention et a décidé que j'avais agi exactement en conformité de la loi. J'ai établi les faits nécessaires et j'étais habilité à tirer cette conclusion.

Le sénateur Tkachuk: D'après votre interprétation, le rapport du comité de la Chambre dit-il que le gouvernement du Canada devrait abroger les dispositions de la Loi sur la concurrence qui traitent expressément de l'industrie du transport aérien? Envisagez-vous que ces dispositions soient insérées dans une autre loi?

M. von Finckenstein: Non, j'interprète le rapport de la façon dont M.Lastewka l'a décrit. Dans ce rapport, on propose au gouvernement un plan directeur pour le prochain livre blanc. Le rapport a été fait à la suite d'un autre rapport qui avait été commandé et déposé à la Chambre. Ils ont tenu plusieurs audiences et tables rondes et entendu une foule de participants de l'industrie. Des questions très diverses ont été abordées: l'article sur l'établissement des prix, les fusions et les dispositions sur les cartels. Ce rapport reprend certaines instances qui ont été présentées à la Chambre des communes. La Chambre des communes a dit: «Ce sont des questions urgentes auxquelles il faut s'attaquer. Examinez-les. Quand vous le ferez, vous vous trouverez à changer en profondeur la Loi sur la concurrence».

Ils ont proposé, entre autres choses, l'accès privé sans restriction, non seulement pour les dispositions proposées dans le projet de loi C-23, mais aussi pour l'abus de position dominante. Ils ont proposé que le tribunal ait le pouvoir d'accorder des dommages-intérêts. Ils ont proposé d'importants changements pour donner des recours aux parties privées. Quand on aura institué tout cela, aura-t-on encore besoin de l'article104.1? Ils en sont venus à la conclusion que l'article103.3, conjugué au droit des petites compagnies aériennes de s'adresser aux tribunaux — et non seulement d'obtenir une injonction, comme c'est possible dès maintenant, mais aussi des dommages-intérêts pour compenser d'éventuels préjudices — plus la sanction administrative, c'était suffisant. Par conséquent, à ce moment-là, on n'aurait plus besoin de l'article104.1. Ils ont peut-être bien raison.

Aurons-nous ces modifications? Seront-elles adoptées? C'est une bonne question. Comme il l'a dit, vous ne pouvez pas choisir uniquement les recommandations qui vous plaisent. Si vous donnez suite à l'ensemble de ces recommandations, alors l'énoncé qui figure à la recommandation numéro 4 est vrai et la disposition n'est plus nécessaire. Cependant, allez-vous le faire?

Certaines personnes s'opposent férocement à certaines de ces idées. Il y a de très fortes divergences d'opinion sur la possibilité d'obtenir des dommages-intérêts au Canada. Les représentants de l'industrie vous diront que cela nous entraînera vers des litiges sans fin, comme c'est le cas aux États-Unis. Ils croient que l'absence de tels litiges chez nous est un grand avantage.

Nous n'avons jamais préconisé un cadre aussi ouvert. La Chambre des communes dit que nous devrions l'envisager. Les députés disent que si c'était fait, nous n'aurions pas besoin de l'article 104. Comme le président du comité l'a dit, tout cela vise une ère postérieure à l'adoption du projet de loi C-23. Ils disent que si vous prenez toutes ces mesures, vous n'aurez plus besoin de l'article 104.1. Je ne pense pas que l'on puisse contredire cette assertion, mais nous n'en sommes pas là. Nous avons encore beaucoup de chemin à faire.

Le sénateur Hervieux-Payette: J'en reviens à mon exemple des télécommunications, parce que c'est un autre secteur où nous voulions établir la concurrence. L'industrie était bien sûr réglementée et le CRTC avait des pouvoirs. Je me rappelle que très souvent, les compagnies se plaignaient de la conduite de la compagnie dominante. Elles se sont adressées au Bureau de la concurrence, qui les a dirigées vers le CRTC.

C'est bien cela, monsieur von Finckenstein?

M. von Finckenstein: Dans certains cas, oui. Comme vous le savez, le CRTC a encore de vastes pouvoirs dans le domaine des communications. Dans la mesure où le CRTC possède le pouvoir de réglementation et l'exerce, le Bureau de la concurrence n'a absolument aucune juridiction.

Le sénateur Hervieux-Payette: Avez-vous entendu parler de certains cas de petites compagnies qui voulaient entrer sur le marché de la revente et qui se sont plaintes que la compagnie dominante les en empêchait, et avez-vous accordé des recours en pareille situation?

M. von Finckenstein: Comme vous le savez, tout le domaine de la revente est placé sous l'autorité du CRTC. Je ne sais pas personnellement si des gens se sont plaints. Je sais que nous leur aurions répondu que cela relève du CRTC. Ils doivent donc s'adresser au CRTC, car ce n'est pas une question de concurrence.

Le sénateur Hervieux-Payette: C'est le point que je voulais faire valoir depuis un certain temps. Quand il s'agissait d'un secteur précis qui était déjà réglementé, le Bureau de la concurrence dirigeait les plaignants vers le tribunal compétent. Je n'ai rien contre le Bureau de la concurrence. Je dis seulement qu'il y a des organisations spécialisées. Bien sûr, l'Office des transports ne peut pas faire cela actuellement faute de loi habilitante. Nous allons examiner la politique des transports. Le ministre nous donne l'assurance qu'il déposera à l'automne un document sur sa nouvelle politique des transports. J'espère que la question de la concurrence y sera abordée, de manière qu'un tribunal spécialisé puisse s'occuper des questions du transport.

Ma deuxième question porte sur la somme d'un million d'euros ou de 15 millions de dollars. Il y a une grande différence. Un million d'euros, ce qui est l'amende maximale, représente environ 1,5 million de dollars canadiens. Par conséquent, pourquoi aller jusqu'à 15 millions de dollars au Canada? Lufthansa, Air France et Air Italia sont des compagnies aussi dominantes qu'Air Canada peut l'être ici. Lufthansa est probablement une compagnie beaucoup plus grande.

M. von Finckenstein: Je prends pour acquis que vous avez le bon taux de change.

Le sénateur Hervieux-Payette: J'y suis allée il y a deux semaines.

M. von Finckenstein: Aux termes du projet de loi C-23, c'est le tribunal qui impose la sanction, soit une amende maximale de 15millions de dollars. La loi établit expressément les facteurs en prendre en compte. Nous devons examiner la fréquence et la durée de la pratique en cause, la vulnérabilité de la catégorie de personnes qui en subissent les conséquences négatives, le préjudice causé à la concurrence dans le marché en question et les antécédents en matière de respect de la loi.

Le sénateur Hervieux-Payette: Je comprends cela. Pourquoi une amende maximale de 15 millions de dollars? Pourquoi ce montant est-il dix fois plus élevé que l'amende qui peut être imposée en Union européenne? C'est un grand écart.

M. von Finckenstein: Air Canada est une compagnie qui brasse des milliards de dollars. Elle a perdu plus d'un milliard de dollars l'année dernière. Cette compagnie possède par ailleurs une part de marché d'environ 80p.100 du marché canadien.

Personne ne veut faire de tort à Air Canada. Nous voulons nous assurer qu'Air Canada respecte la loi. Nous voulons un puissant rappel qu'il faut respecter les règles.

Soit dit en passant, en Union européenne, la pénalité est double. Elle est de mille à un million d'euros, ou 10p.100 du chiffre d'affaires. Je suis certain que 10p.100 du chiffre d'affaires d'Air France, c'est beaucoup plus que cela. La commission peut imposer l'une ou l'autre de ces sanctions, selon la compagnie à qui on a affaire.

Mme Suzanne Legault, sous-commissaire adjointe de la concurrence, Division des affaires législatives, Bureau de la concurrence, Industrie Canada: Si je peux me permettre, je voudrais revenir sur le premier point, au sujet d'une loi traitant spécifiquement d'une industrie en particulier. Il est important de préciser clairement que les dispositions du projet de loi C-23 qui visent l'industrie du transport aérien ne réglementent pas ce secteur. Elles visent seulement à faire en sorte que nous ayons les outils voulus pour mettre fin au comportement prédateur et à l'abus de la position dominante dans ce secteur. Ces questions sont du domaine de la concurrence et c'est pourquoi elles relèvent du Tribunal de la concurrence.

Le sénateur Hervieux-Payette: Je voudrais faire un parallèle. Quand les gens du secteur des télécommunications se plaignaient que l'on imposait des prix exorbitants aux revendeurs, vous les avez renvoyés au CRTC. Voilà mon argument. C'était une question mettant en cause la concurrence et c'est le CRTC qui s'en est chargé.

Le sénateur Oliver: Je vais aborder une question différente. Je pose la question à titre d'information personnelle, car c'est un point que je ne comprends pas.

À la page 6 de la déclaration que vous avez lue aujourd'hui, vous dites:

Jusqu'à maintenant, une seule ordonnance provisoire a été émise en vertu de l'article 104.1, soit dans l'affaire CanJet le 12 octobre 2000.

Vous avez dit également que l'industrie du transport aérien au Canada est en crise. Comment se fait-il qu'il n'y en a pas eu plus qu'une?

M. von Finckenstein: C'est un pouvoir qui permet d'intervenir dans des situations lorsque les autres moyens se révèlent insuffisants. La loi établit les prérequis qui doivent exister avant que l'on puisse invoquer cet article. Nous avons reçu beaucoup de plaintes et nous avons fait beaucoup d'enquêtes. Aucune d'entre elles n'a pu me convaincre, à titre de commissaire, que les prérequis prévus à l'article 104.1 existaient, ce qui permettrait d'invoquer cette ordonnance. Certaines compagnies soutiennent qu'Air Canada abuse de sa position dominante. Après avoir examiné la question, nous avons conclu que ce n'est pas le cas, que la concurrence est absolument équitable. Il y a peut-être des compagnies qui sont en difficulté, mais les affaires sont les affaires.

Le sénateur Oliver: Sur combien de plaintes de ce genre, approximativement, avez-vous fait enquête depuis le 12 octobre 2000?

M. von Finckenstein: Nous avons reçu 15 plaintes séparées de compagnies aériennes au sujet de diverses lignes d'Air Canada.

Le sénateur Oliver: Et une seule ordonnance provisoire a été émise?

M. von Finckenstein: Dans seulement un cas, nous avons constaté que la situation prévue par l'article 104.1 existait et nous avons donc invoqué le pouvoir de prendre une ordonnance. Comme vous le savez, l'ordonnance n'a pas été invoquée à l'égard de toutes les routes. Cela a été fait pour que nous puissions faire enquête sans que CanJet souffre de ces prix dont nous trouvions qu'ils étaient clairement des prix d'éviction.

Le sénateur Oliver: C'était le 12 octobre 2000. Cette affaire est-elle maintenant réglée?

M. von Finckenstein: Non.

Le sénateur Oliver: Dites-moi pourquoi, car nous sommes en avril 2002.

M. von Finckenstein: Je suis tout aussi déçu que vous que l'affaire ne soit pas réglée.

Le sénateur Oliver: N'avez-vous pas assez de personnel? Quel est le problème?

M. von Finckenstein: Cela n'a absolument rien à voir.

Le sénateur Oliver: Quel est le problème?

M. von Finckenstein: Je vais vous le dire. Nous avons émis l'ordonnance, qui a été, bien sûr, contestée par Air Canada. Nous nous sommes adressés à deux tribunaux séparés. Les tribunaux ont maintenu l'ordonnance. Nous avions ensuite besoin d'autres documents que seul Air Canada possédait, avant de pouvoir entamer une procédure en bonne et due forme. C'est l'une des raisons qui explique les amendements dont vous êtes maintenant saisi, qui stipulent qu'après 80 jours, ce qui est le maximum, si nous n'avons toujours pas obtenu les renseignements nécessaires pour procéder, nous pouvons nous adresser au tribunal et demander un nouveau délai. Seul le transporteur aérien dominant possède ces renseignements. Il a été incapable de les communiquer, ou a refusé de le faire.

Bref, pour abréger, Air Canada a fini par nous remettre la documentation. Nous en sommes venus à la conclusion qu'il existait bel et bien des motifs de faire une requête. Nous avons donc fait une requête en février et nous avons demandé une procédure accélérée. Le tribunal a fixé la date de la procédure accélérée à septembre. En dépit de cela, nous estimions tous les deux que la question était urgente.

Air Canada a collaboré et a précisé qu'il y avait quatre questions à tirer au clair. La compagnie voulait que le tribunal tienne une audience sur ces quatre questions. Quand le tribunal donne des directives, cela permet vraiment d'orienter l'affaire dans un sens ou dans l'autre.

Nous avons donc commencé les audiences en septembre. Puis le 11 septembre est arrivé. Air Canada a demandé l'ajournement de la procédure parce que le monde de l'aviation était complètement bouleversé à la suite des événements de ce jour-là. La compagnie a obtenu l'ajournement.

Nous avons essayé de reprendre le tout en avril. Le tribunal a fixé la date de la reprise à septembre de cette année.

Est-ce parce que le tribunal n'a aucun sentiment d'urgence, ou bien parce qu'il manque de personnel ou pour une autre raison? Vous devrez leur poser la question. Quant à nous, nous trouvions que c'était urgent et nous leur avons demandé d'accélérer les choses, mais en vain. Malheureusement, le juge qui entendait l'affaire est très malade actuellement et il n'est pas disponible. Nous sommes dans une situation un peu embrouillée.

M.Houston est l'avocat chargé de cette affaire. Il peut vous expliquer exactement où nous en sommes.

M. Donald B. Houston, conseiller du commissaire à la concurrence et avocat au cabinet Kelly Affleck Greene: M. von Finckenstein a bien décrit la situation; au départ, l'affaire était censée être entendue en ce moment même. Elle devrait avoir lieu actuellement. Malheureusement, le président du tribunal qui entend la cause est tombé malade.

Le sénateur Oliver: Personne d'autre ne peut le remplacer? Est-ce prévu?

M. Houston: Nous avons demandé au tribunal de reconstituer le tribunal pour que l'on puisse recommencer. Le tribunal s'est dit d'avis qu'il n'était pas approprié de faire cela. À ce moment-là, on s'attendait à ce que le juge soit de retour en septembre. Malheureusement, il semble maintenant que ce ne sera pas possible. Nous nous adresserons de nouveau au tribunal la semaine prochaine, et nous espérons que l'on constituera une nouvelle formation d'audience, pour que l'affaire puisse être entendue en septembre.

Le sénateur Oliver: C'est un cas de justice différée qui revient à un déni de justice. C'est un exemple épouvantable d'injustice au Canada. C'est honteux.

M. Houston: Cela a pris beaucoup de temps. Il y a eu des circonstances assez extraordinaires, notamment les événements du 11 septembre et la décision du tribunal, consécutive à ces événements, de reporter à plus tard l'examen de ces questions, jusqu'à ce que la situation se stabilise dans le secteur du transport aérien. Par ailleurs, le juge est malheureusement tombé malade. Tout cela est regrettable.

Vous avez raison, monsieur, de dire que l'audience de cette affaire a pris énormément de temps.

Le sénateur Oliver: Si le projet de loi C-23 était adopté et n'était pas renvoyé à la Chambre des communes, renferme- t-il des dispositions quelconques qui permettraient d'éviter un délai de deux ans dans une demande comme celle de CanJet, ou bien tout cela pourrait-il se reproduire?

M. von Finckenstein: Je ne peux pas vous le dire. Cela dépend du Tribunal de la concurrence et, s'il était saisi d'une nouvelle affaire, cela dépendrait des dates qui seraient fixées. Une fois qu'on s'est adressé au tribunal, on doit s'en remettre à ce dernier pour ce qui est de l'échéancier.

M. Houston: Je pense qu'il vaut aussi la peine de signaler que l'affaire dont le tribunal est actuellement saisi est en partie traitée comme une cause type. La question est de savoir si les prix exigés par Air Canada sont inférieurs à ce que l'on appelle les coûts «évitables».

Le sénateur Oliver: Autrement dit, c'est une affaire de prix d'éviction.

M. Houston: Oui. Ce n'est pas un terme simple. L'idée derrière l'affaire dont le tribunal est saisi, c'est en partie d'obtenir une décision pour tirer au clair toutes ces questions, afin qu'il n'y ait plus de délai du même genre dans de futures causes.

M. von Finckenstein: Sénateur, j'ai répondu de façon un peu trop hâtive tout à l'heure. Le projet de loi dont vous êtes saisis modifie également la Loi sur le tribunal de la concurrence. Aux audiences de ce tribunal, les affaires sont entendues par un juge de la Cour fédérale et deux membres du tribunal qui ne sont pas juristes, mais qui sont plutôt économistes, comptables ou hommes d'affaires. À l'heure actuelle, quatre juges de la Cour fédérale sont désignés pour présider les audiences du Tribunal de la concurrence. Le projet de loi va porter ce nombre à six. Ainsi, il y aura plus de juges de la Cour fédérale qui pourront siéger au Tribunal de la concurrence. En ce sens, on peut dire que ce projet de loi aidera à accélérer l'audition des affaires.

Le sénateur Meighen: Monsieur le commissaire, vous comprendrez aisément que ce n'est pas un domaine dans lequel je suis expert. Mes questions seront donc très simples.

En écoutant vos réponses aux questions du sénateur Oliver, dois-je conclure, à l'instar d'autres personnes qui ne sont pas expertes en la matière, que l'une des raisons fondamentales pour lesquelles on permet au commissaire d'émettre des ordonnances provisoires sans préavis, c'est que notre système judiciaire, de façon générale, est incapable de répondre rapidement et efficacement à des requêtes visant l'obtention de telles ordonnances?

M. von Finckenstein: Non, je pense que ce serait aller trop loin. J'ai amené M. Houston parce que je pense qu'il peut vous expliquer pourquoi il nous faut le 104.1 plutôt que le 103.3.

Le sénateur Meighen: Je ne veux pas vous interrompre, monsieur. J'étais avocat avant de cesser de pratiquer le droit. J'ai donc tout oublié ce que j'avais appris. Il me semble que la raison de cette requête ex parte, c'est qu'il y a urgence. Vous devez quand même vous adresser à un juge pour obtenir l'autorisation de faire de l'écoute électronique et pour obtenir un mandat de perquisition. Pourquoi le commissaire ne peut-il s'adresser à un juge et lui dire: «Écoutez, c'est une situation très grave et je dois agir rapidement», et plaider qu'il y a à première vue des raisons valables d'agir?

M. Houston: C'est essentiellement parce que cela prend du temps. Il est important de ne pas perdre de vue l'objet de l'ordonnance, qui n'est pas de déterminer s'il y a eu ou non pratique anticoncurrentielle, question que le tribunal est chargé de trancher, mais plutôt de protéger le concurrent dans un cas d'extrême urgence, en attendant l'aboutissement de l'enquête du commissaire. C'est prévu pour des situations où il est urgent d'agir.

Le tribunal est un organisme très compétent. C'est aussi un organisme très prudent. Il a une expérience limitée dans le domaine des ordonnances provisoires et autres procédures. Le temps qu'il faut pour s'adresser au tribunal peut être critique dans le contexte du transport aérien.

Je vais vous présenter un cas hypothétique pour illustrer mon propos. Comme vous le savez, le secteur du transport aérien est très saisonnier. Les transporteurs cherchent à convaincre les gens de voyager sur leurs vols en été, qui est une période de pointe. Ainsi, il est très courant qu'il y ait des soldes de places d'une durée limitée, mais qui s'appliquent à une longue période. On peut annoncer un solde de places de 10 ou 14 jours, mais qui s'applique à des vols durant tout l'été.

Imaginez une situation où, le mois prochain, vous avez un nouvel entrant qui dit: «Je vais commencer à offrir des vols en été sur un nombre limité de destinations». Il est critique pour ce nouvel entrant d'obtenir cet achalandage d'été, parce qu'à l'automne, les affaires ralentissent. S'il ne réussit pas à attirer les voyageurs d'été, il est dans le pétrin.

Disons qu'en réaction, le transporteur dominant annonce un solde de places d'une durée limitée, par exemple de 10 à 14 jours, et dit: «Vous pouvez obtenir des tarifs extrêmement bas sur ces destinations, et en plus, vous obtenez des points de grand voyageur», avec tous les avantages que cela comporte. Je soutiens qu'à cause de ce solde de places, il y a un risque que le nouveau transporteur se fasse essentiellement balayer, faute d'avoir pu attirer la clientèle d'été.

Sous l'égide du régime actuel de l'article 104.1, supposons que le nouvel arrivant se plaigne le lendemain de l'annonce du solde de places; la période de 14 jours est alors commencée.

Le sénateur Meighen: Excusez-moi. La plainte doit émaner d'une partie visée? Ce ne peut pas être le commissaire qui agit seul?

M. Houston: Ce n'est pas nécessaire, mais le commissaire agit essentiellement en réponse aux plaintes. Un prérequis est que le commissaire lance habituellement une enquête à la suite d'une plainte.

La vente de places est commencée. Il y a une plainte. Le personnel du commissaire fait enquête et établit en deux, trois ou quatre jours qu'il est important que des mesures quelconques soient prises pour préserver l'existence de la nouvelle entité. Aux termes de l'actuel article 104.1, une ordonnance pourrait alors être émise, disons le quatrième ou le cinquième jour, de manière à bloquer la situation et permettre au commissaire de mener à bien son enquête.

Air Canada a pleinement le droit de contester cela rapidement devant un tribunal et de régler la question. En l'absence du 104.1 et avec le nouveau 103.3, vous avez raison de dire que la requête pourrait être faite ex parte, mais je soutiens que cela ajoute quand même de sept à dix jours au processus. Une fois que le commissaire en est venu à la conclusion qu'il y a lieu d'émettre une ordonnance temporaire, alors il faut des affidavits; il faut recueillir des preuves. Il faut se présenter devant le tribunal. Celui-ci voudra présumément entendre des témoins. Le tribunal rend alors sa décision. Historiquement, le tribunal est prudent et prend du temps avant de rendre sa décision.

Il y a un risque dans ce scénario. La vente de places est terminée. Le transporteur dominant a attiré toute la clientèle sur ses destinations pendant l'été, et le nouvel entrant en est pour ses frais.

C'est pourquoi je soutiens que l'on a besoin de ce pouvoir extraordinaire, en cas de circonstances extraordinaires.

Le sénateur Meighen: Ne prenez pas ça personnellement, monsieur von Finckenstein.

Vous avez dit que le tribunal est prudent. Le commissaire émet une ordonnance. C'est pourquoi nous lui donnons ce pouvoir. Il se peut qu'il soit imprudent. Il est possible qu'il se trompe. Disons que le transporteur dominant — je pense que nous pouvons dire carrément «Air Canada» — n'a pas été convaincu de violation. Que fait-il alors? Il ne peut pas demander de dommages-intérêts, si je comprends bien. C'est le revers de la médaille.

M. von Finckenstein: Nous utilisons très délibérément l'expression «transporteur dominant». Nous avons affaire à des marchés précis. Il se peut que demain je reçoive une plainte contre WestJet, qui est dominant sur certaines destinations dans l'Ouest.

Deuxièmement, vous avez raison de dire que les commissaires pourraient agir de façon imprudente. Il faut espérer que cela n'arrivera jamais. J'ai écrit au président du comité et aux sénateurs pour leur expliquer comment nous avons utilisé l'article 104.1, quelles mesures nous prenons à l'interne pour analyser les circonstances, en allant plus loin que les exigences qui sont énoncées dans la loi.

Après coup, les tribunaux contrôlent nos faits et gestes. Tout commissaire, que ce soit moi-même ou celui qui me suivra, sait que le système fonctionne seulement tant et aussi longtemps qu'il y a intégrité dans le système. Il est bien entendu que les interventions du commissaire visent à protéger le système concurrentiel et qu'il ne doit pas prendre parti entre des concurrents. C'est absolument intégral à l'administration de la loi. Tout pouvoir conféré doit être exercé avec prudence, toujours en gardant à l'esprit que ce poste comprend un devoir envers le public, soit de garantir un système concurrentiel. Il ne faut pas prendre parti, choisir des gagnants et des perdants.

Le sénateur Meighen: Je m'en rends compte. J'ai dit au début que j'évoquais une situation hypothétique. Si une plainte, qu'elle soit logée par le commissaire ou par un concurrent, est déclarée non fondée, y a-t-il un recours quelconque?

M. von Finckenstein: C'est la même chose que si l'on obtient une ordonnance aux termes de l'article 103.3 proposé. Si un tribunal vous accorde une injonction temporaire et que l'on constate par la suite qu'il n'y a pas de conflit, alors on n'a aucun recours. Il n'y a aucune différence. C'est pourquoi nous avons prévu des conditions préalables qui doivent exister pour déclencher une telle intervention.

Oui, il pourrait y avoir un préjudice. Il faut mettre dans la balance ce tort potentiel et le tort qui est causé au concurrent qui pourrait être acculé à la faillite.

Le sénateur Meighen: Voilà qui est utile. Il est évident que ce pouvoir suscite beaucoup de préoccupations, et c'est compréhensible. L'autre préoccupation tient au fait que cette disposition vise une industrie en particulier.

Je vais vous poser une autre question simpliste. Au fond, nous cherchons à faire deux choses. Nous essayons d'empêcher un transporteur dominant de chasser du marché une compagnie moins importante en cassant les prix. Et nous essayons d'empêcher une compagnie dominante d'exploiter le public.

M. von Finckenstein: Non.

Le sénateur Meighen: Ne sont-ce pas là les deux buts essentiels que nous essayons d'atteindre?

M. von Finckenstein: Pour l'exploitation du public, c'est implicite, mais il n'y a rien dans la loi contre une telle pratique. Nous essayons de faire en sorte qu'il y ait des concurrents dans un régime concurrentiel. S'il y a des concurrents, il est impossible d'exploiter le public. Mais il n'y a rien dans la loi qui stipule expressément «il est interdit d'exploiter le public», ou que quiconque exploite le public sera traîné devant les tribunaux.

Le sénateur Meighen: Il n'y a rien dans la loi qui vous permettrait de prendre l'initiative et d'encourager un concurrent à entrer dans un marché qui est contrôlé par une seule entité?

M. von Finckenstein: C'est bien cela.

Le sénateur Meighen: Il faut bien amorcer la concurrence sur le marché d'une façon ou d'une autre.

M. von Finckenstein: Ma tâche consiste à préserver le statu quo, non pas à améliorer le marché. Ce n'est pas à moi d'amorcer la concurrence sur le marché. Mon travail consiste à examiner des cas qui se présentent et, disons dans le cas d'une fusion, à m'assurer qu'elle n'entraînera pas un amoindrissement marqué de la concurrence.

Dans le cas qui nous occupe, nous avons une compagnie qui domine un marché, et elle doit exploiter cette situation de façon légitime. Elle ne doit pas utiliser son pouvoir pour chasser des concurrents. Elle a tout à fait le droit de l'utiliser pour maximiser ses profits et prospérer. En dernière analyse, si vous êtes dans une position dominante, vous ne pouvez pas offrir des prix inférieurs aux coûts évitables. C'est le prix de la dominance, pour ainsi dire. Si vous faites cela, nous allons vous poursuivre devant le Tribunal de la concurrence. Si vous offrez des prix supérieurs aux coûts évitables et que vous prospérez, c'est très bien, tant mieux pour vous.

Le sénateur Meighen: Si j'essaie de prendre pied sur un marché, il est évident que le meilleur moyen d'y parvenir, c'est d'offrir mon produit à un prix inférieur au vôtre. Si je comprends bien, il n'y a rien de mal là-dedans, tant et aussi longtemps que mes prix ne sont pas des prix d'éviction. Le seul moyen de déterminer que ce sont des prix d'éviction, c'est après le fait.

M. von Finckenstein: Non, vous avez oublié un ingrédient. Vous devez être dominant. Si vous prenez pied sur un nouveau marché en offrant des prix inférieurs à ceux de la compagnie dominante, c'est très bien. Vous n'allez pas la chasser du marché en cassant les prix. Si, pour ce faire, vous offrez des prix inférieurs aux coûts évitables, vous devrez justifier cette pratique devant vos actionnaires, mais pas devant moi. C'est une décision purement commerciale.

Par contre, si vous avez déjà une position dominante, vous contrôlez déjà le marché, alors il n'y a absolument aucune raison, du point de vue commercial, de casser les prix et d'offrir des prix inférieurs à vos coûts évitables. Votre seule raison serait de vouloir chasser votre concurrent du marché.

Le sénateur Meighen: Dans l'Union européenne, je crois que les sanctions administratives pécuniaires, ou quel que soit le nom qu'on leur donne là-bas, s'appliquent à toutes les industries, pas seulement au secteur aérien. Je pense que le ministre nous a dit qu'il y a en Europe une disposition visant le secteur aérien. Il a peut-être étiré les faits quelque peu; peut-être qu'il l'ignorait. Je crois savoir que cela s'applique à tous les secteurs. Est-ce que le cas?

Mme Legault: Oui. En fait, ils ont les deux. Ils ont des sanctions administratives pécuniaires pour tous les secteurs, mais ils ont aussi un régime particulier pour le transport aérien.

Le sénateur Meighen: Est-ce que le secteur aérien est le seul régime particulier qu'ils ont dans le cadre général des sanctions administratives pécuniaires?

Mme Legault: Les transports en général.

Le sénateur Meighen: C'est le seul régime particulier?

Mme Legault: Pour autant que je sache.

Le sénateur Meighen: On m'a dit — j'ignore si c'est vrai; je vous pose la question — que les conditions requises pour imposer les sanctions sont plus rigoureuses en Europe qu'au Canada. Pouvez-vous faire la comparaison?

Mme Legault: Je ne suis pas une spécialiste du régime de l'Union européenne. Je sais toutefois que tous les régimes de la concurrence dans le monde comportent des critères différents et des cadres différents. Dans l'Union européenne, on a une commission qui est à la fois juge et jury. Les Européens ont peut-être des conditions différentes des nôtres. C'est tout ce que je peux dire.

Le sénateur Meighen: Que concluez-vous, monsieur le commissaire, du fait qu'aux termes de l'article 104.1, il y a eu 15 demandes ou enquêtes et seulement une ordonnance. Cela veut-il dire que l'article 104.1 a un bon effet dissuasif, ou bien qu'il y a beaucoup de demandes frivoles ou non fondées?

M. von Finckenstein: Les deux. Il y a des demandes non fondées. C'est peut-être un élément de la stratégie commerciale de se plaindre au Bureau de la concurrence, de nous demander de faire enquête, pour lancer un avertissement à un concurrent. Certaines demandes étaient formulées de façon boiteuse et fondées sur une mauvaise compréhension de la loi et de ce que nous pouvons faire. Il y a une idée fausse qui est assez répandue, selon laquelle notre tâche est de protéger les concurrents plutôt que le régime concurrentiel. Je suis certain qu'il y a un effet dissuasif, en ce sens que l'article en question influence la politique de la compagnie dominante en matière de prix et la façon dont elle fait concurrence aux autres.

Le sénateur Meighen: Je vous remercie pour vos réponses, monsieur von Finckenstein. Certains de mes collègues et moi-même sommes encore mal à l'aise devant le fait que nous avons déjà l'article 104.1 et que l'on nous demande d'ajouter l'article103.3 proposé. Vous avez dit, je crois, que si les recommandations du comité des communes étaient toutes adoptées, nous n'aurions probablement pas besoin des deux. On dirait que nous mettons tous les ingrédients possibles dans la soupe, dans l'espoir d'aboutir à une recette potable. Et puis, il y a deux ex-commissaires qui ont exprimé de graves préoccupations sur ce que nous faisons. Je sais toutefois que vous avez à coeur de défendre les intérêts des consommateurs et des producteurs.

M. von Finckenstein: Je voulais dissiper les craintes du sénateur. On a beaucoup parlé d'un examen. Vous avez interrogé les deux témoins précédents au sujet d'un examen après deux ans. Dans l'hypothèse que vous recommanderez qu'un tel examen ait lieu et que le gouvernement l'accepte, nous avons proposé une ébauche de mandat en vue d'un tel examen.

C'est très semblable à ce que nous avons fait à la Chambre des communes, lorsque nous avons demandé à un expert indépendant, le professeur VanDuzer de l'Université d'Ottawa, d'examiner certaines dispositions qui étaient litigieuses. Nous avions rédigé une ébauche de mandat que j'ai déposée au comité de la Chambre des communes. Ils l'ont examinée et ont apporté des changements. Ensuite, en fonction de ce mandat proposé, nous avons engagé le professeur VanDuzer pour effectuer l'examen proposé, et j'ai déposé le rapport. Si vous recommandez qu'un examen ait lieu dans deux ans et si le gouvernement l'accepte, c'est de cette façon que je propose de procéder. Cela répondrait précisément aux préoccupations que vous avez formulées. Avec votre permission, monsieur le président, je voudrais déposer cet énoncé de mandat.

Le président: Le sénateur Tkachuk et moi-même avons signé une lettre au ministre dans laquelle nous lui demandons que l'examen ait lieu après deux ans, et nous attendons sa réponse. Il aura reçu la lettre seulement aujourd'hui. Quand nous recevrons sa réponse, nous essaierons d'en terminer avec le projet de loi. Nous allons distribuer le document que vous venez de déposer à tous les membres du comité.

M. von Finckenstein: Je voudrais aborder une autre question. Votre personnel m'a signalé qu'il y a des préoccupations au sujet de l'article 106.1 proposé. Il y a là une erreur, un mot supplémentaire a été inséré. Le comité a- t-il envisagé d'amender le projet de loi à cette fin? Il y a une solution très simple à ce problème. Au paragraphe 106.1(4), il y a un mot de trop dans la version anglaise, qui ne figure pas dans la version française.

Le président: Vous me prenez par surprise. Il y a une différence entre l'anglais et le français?

M. von Finckenstein: Oui. Si vous jetez un coup d'oeil au paragraphe proposé 106.1(4), vous verrez qu'il y a un mot de trop, le mot «within» là où il faudrait lire «shall be registered 30 days after its publication». C'est ce que dit la version française. Le mot «within» dans la version anglaise a été laissé là par inadvertance, en modifiant le texte à l'ordinateur. Ces textes sont rédigés sur support informatique.

Il y a un moyen très simple de régler le problème. Tous les deux ans, le Parlement adopte une loi corrective modifiant diverses lois. C'est à cette occasion que l'on règle des problèmes de ce genre. Je propose que cet article ne soit pas proclamé tant et aussi longtemps que cette erreur n'aura pas été corrigée par la loi corrective, ce qui devrait se faire l'année prochaine. Il n'y a aucune conséquence. Cette disposition traite d'un jugement convenu dans le cas de l'accès des particuliers. Si vous adoptez le projet de loi C-23 tel quel, l'accès des particuliers sera possible s'il y a une affaire au titre des articles 75 ou 77, lorsque deux parties veulent un jugement convenu. L'article 106.1 stipule que les parties peuvent s'adresser au juge et dire: «Nous en sommes venus à un accord. Pourriez-vous prononcer le jugement en reprenant cet accord», et c'est ce qui arriverait. Dans l'intervalle, vous pouvez adopter ce projet de loi sans amendement et cet article proposé n'entrera pas en vigueur tant et aussi longtemps que l'on n'aura pas supprimé le mot «within» au moyen de la Loi corrective.

Le président: Que devons-nous faire pour qu'il en soit ainsi? Nous ne faisons rien du tout?

M. von Finckenstein: Je prends l'engagement que je vais recommander au gouvernement de ne pas proclamer le paragraphe proposé 106.1(4) tant qu'il n'aura pas été corrigé.

Le président: Pouvez-vous nous envoyer une lettre en ce sens?

M. von Finckenstein: Oui, je vais le faire.

Le président: Je vous remercie beaucoup d'avoir témoigné devant nous aujourd'hui.

La séance est levée.


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