Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 40 - Témoignages
OTTAWA, le mardi 30 avril 2002
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 15 h 30 pour examiner, afin d'en faire rapport, la situation actuelle du régime financier canadien et international.
Le sénateur E. Leo Kolber (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Aujourd'hui, nous avons l'honneur d'entendre M. Dodge, le gouverneur de la Banque du Canada. Il est accompagné de M. Knight, premier sous-gouverneur, et de Mme Kennedy, sous-gouverneure.
Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Dodge, et je vous cède la parole.
M. David A. Dodge, gouverneur, Banque du Canada: Honorables sénateurs, c'est un honneur de témoigner devant vous aujourd'hui.
Quand M. Knight et moi-même nous sommes présentés devant votre comité à la fin de novembre dernier, une lourde incertitude pesait sur les perspectives économiques du monde entier et du Canada. Cette incertitude découlait en grande partie des attentats terroristes survenus aux États-Unis, au moment où l'on constatait un ralentissement plus marqué que prévu de l'économie mondiale.
Pour faire échec à cette incertitude et ranimer la confiance des consommateurs et des entreprises, la Banque du Canada est intervenue énergiquement en vue d'assouplir les conditions monétaires. De septembre 2001 à janvier 2002, nous avons abaissé les taux d'intérêt de 200 points de base, ce qui a porté à 375 points de base leur diminution totale depuis janvier 2001.
[Français]
Tout compte fait, la confiance des consommateurs n'a pas été affaiblie autant que beaucoup le craignaient par suite de ces événements tragiques. Elle s'est vivement redressée à mesure que les incertitudes géopolitiques et économiques s'atténuaient. L'économie mondiale a commencé à se ressaisir. Ici au Canada, une reprise solide semble être en cours. La croissance au quatrième trimestre 2001 et au premier trimestre 2002 a été nettement plus forte que prévu, de sorte que le niveau de l'activité économique est maintenant supérieur à ce que nous croyions il y a six mois. Cette vigueur se reflète dans le nombre très élevé d'emplois créés depuis le début de 2002. Si on se réfère aux deux scénarios que nous avons formulés en novembre dernier, il est manifeste que c'est le plus optimiste de ces deux scénarios qui se réalise actuellement, celui où le rétablissement de la confiance des consommateurs ramène promptement la reprise de la croissance économique.
[Traduction]
Comment la Banque envisage-t-elle l'avenir de l'économie? Au premier semestre de 2002, la croissance économique du Canada devrait se situer entre 3,5 et 4,5 p. 100 en taux annuels. Nous prévoyons qu'au deuxième semestre de 2002 ainsi qu'en 2003, l'économie du pays poursuivra sa progression à un rythme légèrement supérieur à celui de sa capacité de production, que nous estimons à environ 3 p. 100 par année.
Les sénateurs se rappelleront que lors de notre dernière présence parmi vous, j'ai parlé du concept de production potentielle. Nous formulons la politique monétaire de manière à garder l'inflation à un taux bas et stable, contribuant ainsi à maintenir la croissance de l'économie au niveau de son plein potentiel.
Il y a six mois, nous pensions que le rythme d'expansion de l'activité serait bien inférieur à celui des capacités de production au quatrième trimestre de l'année dernière et au premier trimestre de cette année. Nous étions alors d'avis que l'écart entre le niveau d'activité observé et celui de la production potentielle se creuserait au cours de cette période, mais nous ne sommes pas infaillibles, Dieu merci; au lieu de cela, la croissance a été beaucoup plus vigoureuse qu'on ne s'y attendait. Cela signifie que notre économie tourne à un niveau beaucoup plus élevé que prévu; par conséquent, l'écart est plus mince que ce que nous avions projeté et il est en train de se rétrécir. En fait, nous croyons maintenant qu'il aura disparu au second semestre de 2003.
[Français]
Le profil d'évolution que nous envisageons aujourd'hui est de nature à amener l'inflation mesurée par l'indice de référence à s'établir à deux p. 100 vers la fin de 2003. Le taux d'augmentation de l'IPC global continuera probablement à varier dans les prochains mois, sous l'effet des fluctuations des prix du pétrole et du gaz naturel. Mais, tout comme l'inflation mesurée par l'indice de référence, il devrait se situer à deux p. 100 vers la fin de 2003.
Bien que l'inquiétude soit moins grande que l'automne dernier, les perspectives sont toujours entachées de risques et d'incertitudes considérables qui sont susceptibles de renforcer ou de ralentir la progression de l'activité.
Étant donné la forte détente monétaire et budgétaire en place, l'expansion de la production pourrait même être supérieure à ce qui est projeté, mais il est possible également que le dynamisme récent des achats de biens de consommation durables tienne en partie à des dépenses anticipées, de sorte que la croissance de la dépense des ménages sera plus faible que prévue. Il subsiste une incertitude marquée quant au moment et à l'ampleur de la relance des investissements des entreprises en Amérique du Nord, surtout à cause de la faiblesse persistante des profits. De plus, les tensions qui règnent au Proche-Orient risquent de se répercuter sur les prix du pétrole brut et sur l'économie mondiale.
[Traduction]
Bien que le Canada soit confronté aux mêmes risques que les États-Unis, il existe entre les situations de nos pays deux différences dignes de mention.
D'abord, comme nous l'indiquons dans notre Rapport sur la politique monétaire, la demande finale au Canada devrait s'avérer un moteur plus important de la croissance de l'économie au premier trimestre, tandis que l'apport venant de la reconstitution des stocks sera moindre ici qu'aux États-Unis.
Deuxièmement, si la fragilité plus marquée que prévu de la confiance des grandes entreprises constitue encore un risque pour les deux pays, il reste que les secteurs qui font face aux plus grands défis, comme le matériel informatique et les télécommunications, représentent une proportion plus importante de l'activité économique aux États-Unis qu'au Canada.
Comment interpréter l'évolution récente de l'économie canadienne du point de vue de la politique monétaire? Comme je l'ai dit, notre économie tourne nettement plus rapidement que prévu, de sorte que la marge de capacité inutilisée se rétrécit et devrait se résorber plus tôt que nous ne le supposions en novembre dernier.
Dans un tel contexte, notre tâche consistera à évaluer la vitalité de l'économie à mesure qu'elle s'approchera des limites de sa capacité et à réduire la détente monétaire en temps opportun et avec mesure. Nous veillerons à ce que l'inflation se maintienne près du taux visé, afin que l'économie puisse continuer à fonctionner à plein régime à moyen terme.
Qu'entendons-nous par «en temps opportun et avec mesure»? Honorables sénateurs, l'importance d'agir «en temps opportun» tient au fait qu'il y a toujours un décalage entre le moment où nous prenons des mesures de politique monétaire et celui où elles se font sentir sur l'économie. Nous devons aussi être tournés vers l'avenir, car nos interventions mettent de un an à 18 mois avant de se répercuter entièrement sur la production, et de 18 mois à deux ans avant d'agir pleinement sur l'inflation.
Et nous devons faire preuve de «mesure»dans les jugements que nous porterons lorsque notre économie s'approchera des limites de sa capacité. Si les données que nous recevrons indiquent que les capacités excédentaires sont absorbées plus rapidement que prévu, nous devrons réduire le degré de détente avec plus de célérité. Par contre, si elles laissent entendre que le retour à la pleine utilisation des capacités se fait plus lentement que nous le croyions, nous devrons alors ralentir le pas.
Sénateurs, permettez-moi, pour conclure, d'utiliser une analogie bien connue — du domaine de la conduite automobile. Au cours de la dernière année, nous avons donné un coup d'accélérateur pour aider l'économie canadienne à remonter la pente. À présent que la route s'est aplanie, la prudence nous dicte de relâcher la pression sur l'accélérateur — je dis bien relâcher la pression, et non écraser les freins — afin de poursuivre notre chemin à une vitesse de croisière sûre. C'est dans cet esprit que nous avons relevé le taux cible du financement à un jour de 25 points de base le 16 avril.
Monsieur le président, M. Knight, Mme Kennedy et moi sommes maintenant prêts à répondre à vos questions.
Le sénateur Kelleher: Nous sommes heureux de vous accueillir de nouveau, monsieur le gouverneur et madame la sous-gouverneure. Cela nous fait plaisir de vous voir de temps à autre.
J'aimerais revenir à mon sujet préféré, c'est-à-dire le dollar canadien. Êtes-vous d'accord avec l'ancien gouverneur de la Banque du Canada, M. Thiessen, d'après qui la faiblesse du dollar a atténué les effets de la concurrence étrangère sur les entreprises nationales? Et si c'est le cas, les avantages d'une telle situation sont-ils à court terme ou à long terme?
M. Dodge: Premièrement, la valeur de notre devise est semblable à tous les autres prix. Elle est déterminée par l'offre et la demande sur le marché. Il y a à cela deux aspects. Il y a une part, la demande et l'offre relatives à l'égard des produits et services que nous produisons et des produits et services que nous souhaitons importer — c'est ce qu'on appelle le compte courant — et d'autre part, les mouvements de capitaux. À court terme et à moyen terme du moins, ces mouvements de capitaux dépendent de l'équilibre entre l'épargne et l'investissement dans l'économie.
Un taux de change flottant vise à équilibrer ces mouvements en modifiant la valeur de la devise et, par conséquent, en influant sur les décisions. Il est très utile que le taux soit flottant. Lorsqu'il existe une forte demande à l'égard des produits canadiens, le taux flotte à la hausse et a donc pour effet de ralentir une partie de cette demande tout en facilitant la concurrence exercée par les importations. Dans le cas inverse, la valeur de la devise diminue et c'est le contraire qui se produit.
Il en va de même des mouvements de capitaux. À court terme, ce sont les mouvements de capitaux qui dominent. En l'absence de contrôle des changes — et Dieu merci cela n'existe pas chez nous depuis de nombreuses années — ces mouvements de capitaux aident également à équilibrer les choses.
Depuis 1994, les gouvernements tant fédéral que provinciaux ont agi avec une extraordinaire rapidité pour réduire notre désépargne nette. En fait, au lieu de retirer 6 p. 100 du PIB de notre épargne commune, nous contribuons maintenant à cette épargne. L'ajustement a été extrêmement rapide, et cela pendant que les États-Unis allaient dans une direction diamétralement opposée.
Il n'est pas étonnant de voir que, durant cette période, du côté du mouvement des capitaux, il y a eu, à juste titre, une pression à la baisse sur le dollar, ce qui a favorisé le rajustement. Celui-ci a pu se faire de façon plus harmonieuse et avec moins de perturbations en ce qui a trait à la production réelle et à l'économie que cela n'aurait été possible dans un régime de taux fixe.
Le sénateur Kelleher: Êtes-vous d'accord avec l'ancien gouverneur, M. Thiessen, lorsqu'il a dit que la faiblesse du dollar canadien avait atténué les effets de la concurrence étrangère sur les entreprises nationales?
M. Dodge: La diminution de la valeur d'une devise par rapport à une autre a pour effet, entre autres, de décourager les importations et d'encourager les exportations. C'est le but d'une monnaie flottante. De la même façon, lorsque les pressions inflationnistes sont très fortes, la valeur de la devise augmente, ce qui tend à contrôler l'inflation et réduit la nécessité d'augmenter tous les prix dans l'économie nationale.
Le sénateur Kelleher: Toujours au sujet du dollar, pourquoi le dollar canadien a-t-il perdu du terrain depuis 1990 malgré le fait que les éléments fondamentaux de l'économie nationale se sont améliorés, comme tous s'entendent pour le dire?
M. Dodge: Pour revenir à ce que j'ai dit précédemment, en 19909, 1991 et 1992, notre pays comptait fortement sur l'épargne étrangère pour financer les déficits du gouvernement puisqu'il n'y avait pas ici suffisamment d'épargne privée pour cela. Lorsqu'il faut faire appel à l'épargne étrangère, deux choses se produisent. Premièrement, les taux d'intérêt augmentent au pays et, deuxièmement, ces dollars américains, ces livres britanniques et ces francs belges ont dû être convertis en dollars canadiens parce que les gouvernements en avaient besoin pour payer leurs achats. La demande de dollars canadiens a donc été très forte.
Mais nous sommes passés d'une situation de désépargne énorme à une situation d'épargne nette; nous avons renversé la vapeur. Les dollars canadiens prennent maintenant la place des devises étrangères puisque nous prêtons à d'autres pays l'argent de notre épargne. Cela pousse le cours du dollar canadien à la baisse. C'est en grande partie ce qui s'est passé dans les années 90, lorsqu'il est tombé d'environ 89 cents à un niveau en dessous de la barre des 70 cents.
Le sénateur Furey: Ma première question porte sur les observations que vous avez faites lors d'une allocution que vous avez prononcée il y a quelque temps à votre alma mater. J'ai lu dans vos observations que vous reconnaissez le lien qui existe entre la réduction des taux d'intérêt et la diminution du taux de change. Ai-je bien analysé vos propos?
M. Dodge: Il est certain que quand les taux d'intérêt sont beaucoup élevés au Canada qu'aux États-Unis, le dollar canadien a tendance à augmenter. Et le contraire est également vrai.
Le sénateur Furey: Dans ce cas, pourquoi n'y a-t-il pas une augmentation correspondante de l'indice des prix à la consommation? Croyez-vous que cela en serait la conséquence?
M. Dodge: Vous posez là une excellente question. Je vais demander à M. Knight de vous en dire davantage parce qu'il a étudié ce sujet dans de nombreux pays.
Nous avons tous été étonnés dans les années 90 qu'il n'y ait pas davantage de «transfert» à cause de la dévaluation du dollar canadien par rapport à la devise américaine. Il ne faut pas oublier non plus que notre devise n'a pas beaucoup fluctué par rapport au panier de monnaies des autres pays. Oui, nous avons été étonnés qu'il n'y ait pas davantage de transfert, mais nous ne sommes pas le seul pays à avoir eu cette surprise.
M. Malcolm Knight, premier sous-gouverneur, Banque du Canada: Dans les années 70 et 80, il est certain qu'il y avait au Canada un fort transfert des prix d'importation sur le prix général des produits de consommation à cause de la diminution du taux de change. À cause de cela, l'inflation avait tendance à s'accélérer et nous nous sommes trouvés dans un cercle vicieux où l'inflation provoquait une diminution du taux de change, qui augmentait l'inflation, et cetera.
Depuis que nous nous sommes fixé des objectifs en matière d'inflation, des objectifs précis que les banques tentent d'atteindre, nous avons remarqué que les changements dans les prix d'importation à partir des fluctuations du taux de change sont transférés moins directement sur les prix à l'échelle nationale.
La plupart des pays qui ont réussi à se doter d'objectifs en matière d'inflation et qui appliquent ce système depuis un certain nombre d'années constatent le même phénomène. À vrai dire, nous n'en connaissons pas exactement la cause. Cela vient en partie de ce que nous avons un objectif crédible en matière d'inflation parallèlement à une diminution du taux de change de la devise canadienne. Ainsi, les sociétés qui importent de façon intensive savent qu'elles devront trouver d'autres façons de réduire leurs coûts si elles ne veulent pas que leurs bénéfices en soient réduits. Elles ne seront pas en mesure d'augmenter les prix de leurs produits pour payer cette diminution de la devise, car nous contrôlons l'inflation. C'est peut-être pour cette raison, entre autres, que les sociétés ont constamment cherché des moyens d'être plus efficaces, en fonction des fluctuations du taux de change.
Le sénateur Furey: La Banque du Canada s'inquiète-t-elle de la diminution de l'épargne et, parallèlement, de l'augmentation de la dette à la consommation? Et si oui, que peut faire la Banque à ce sujet?
M. Dodge: Je vais commencer, puis je demanderai à Mme Kennedy, qui a étudié cette question, de vous en dire davantage.
Qu'il s'agisse des gouvernements, des ménages ou des entreprises, s'ils sont lourdement endettés, ils sont plus fragiles et plus vulnérables face aux fluctuations rapides de l'économie ou des taux d'intérêt. Cela dit, l'augmentation récente de la dette à la consommation au Canada a servi à financer un parc de logements plus important. Le rapport entre l'endettement et l'actif n'a donc pas beaucoup changé.
Mme Cheryl Kennedy, sous-gouverneure, Banque du Canada: Le gouverneur Dodge a mis dans le mille. Oui, il y a eu une augmentation de l'endettement des ménages par rapport au revenu disponible, au cours des dernières années. Cela semble être dû en partie à la croissance des dépenses de ménage, surtout pour l'achat de maisons, mais aussi de biens de consommation durables. Pour l'ensemble de la situation financière, on constate que l'achat de logements entraîne parallèlement, dans l'autre colonne du bilan, une augmentation de la valeur des logements. C'est pourquoi le rapport entre l'endettement et l'actif est demeuré relativement stable au cours des dix dernières années.
Pour ce qui est de la capacité de faire face à cet endettement, un élément essentiel pour le bien-être financier général, nous constatons que le ratio du service de la dette a beaucoup diminué depuis dix ans. En 1990-1991, il était de 12 p. 100; il est maintenant de 8 p. 100. Les gens semblent donc en meilleure posture. C'est l'analyse qu'on peut faire de tout le secteur. Cela ne signifie pas que certaines personnes ne se trouvent pas dans une situation différente.
M. Dodge: Je vais demander à M. Knight de vous parler un peu des bilans d'entreprise, puisque c'est l'un des autres éléments que nous surveillons.
M. Knight: Nous avons tous entendu parler de secteurs qui connaissent des difficultés financières graves; c'est entre autres le cas des secteurs des télécommunications, de l'automobile et des pièces d'automobile, de l'exploitation forestière et du transport.
Si nous examinons la situation générale des entreprises au Canada, nous constatons qu'il y a deux tendances. La première est une diminution importante des bénéfices en 2001, puisqu'il s'agissait d'une période de faiblesse économique. Cela signifie que le rapport entre le service de la dette d'une société et le total de ses bénéfices bruts a augmenté. Durant cette même période, les entreprises canadiennes ont, collectivement, ralenti leur endettement. D'après nous, cela indique que malgré les difficultés financières accrues au cours de l'année dernière, surtout jusqu'en novembre, depuis les écarts de rendement ont eu tendance à diminuer en même temps que les taux d'intérêt; ainsi, les sociétés devraient être mieux en mesure financièrement de progresser.
Le sénateur Meighen: Nous sommes heureux de vous accueillir aujourd'hui. Nous apprécions beaucoup que vous soyez prêt à participer à ce genre de dialogue avec nous, en fait avec les Canadiens de tout le pays. Le sénateur Furey n'a peut-être pas osé dire que votre alma mater est l'université Queen's. Je vais le faire pour vous. Je sais que le gouverneur Dodge est très fier de l'université Queen's.
Permettez-moi de commencer par un sujet dont nous avons déjà discuté et qui, je le suppose, revient chaque année, c'est-à-dire que la Banque du Canada est persuadée de la nécessité de fixer des objectifs en matière d'inflation. Pourriez-vous nous répéter quels avantages il y a, d'après vous, à se fixer une cible de 1 à 3 p. 100 et nous expliquer pourquoi les États-Unis — je ne veux pas toujours parler des États-Unis, mais puisque c'est notre principal partenaire commercial, il est difficile de l'éviter — n'ont pas d'objectif en matière d'inflation. Il y a eu récemment une augmentation relative de la productivité aux États-Unis. La croissance économique par habitant a été plus élevée et le chômage plus faible. Est-ce lié au fait que les États-Unis n'ont aucun objectif en matière d'inflation? Peut-on faire un lien avec l'absence de tels objectifs?
Enfin, compte tenu des étroites relations économiques que nous entretenons avec ce pays, dans quelle mesure l'augmentation de 1,25 p. 100 du taux par la Banque, avant les États-Unis, pourrait-elle nuire à notre position relative? Je crois savoir que les États-Unis n'augmenteront pas leurs taux jusqu'à l'été, si même ils le font.
M. Dodge: Votre question en contient plusieurs. Je vais y répondre en quatre parties.
Comme tous les pays, nous avons appris durant les crises des années 70 et du début des années 80 que nous devons vraiment ancrer notre politique monétaire. Pour cela, il n'y a que deux mécanismes crédibles qui puissent continuer de s'appliquer sur une longue période. L'un de ces mécanismes, que nous avions appliqué depuis les accords de Bretton Woods, consistait à avoir des taux de change fixes. Cela était censé stabiliser notre devise. Mais nous savons quels en ont été les effets. Les États-Unis ont enfin abandonné ce mécanisme en 1993 et la plupart des autres pays leur ont emboîté le pas.
Comme vous le savez, notre situation est particulière à cet égard. Nos taux ont été flottants durant la plus grande partie des années 50, jusqu'en 1962, et de nouveau en 1970. Dans mon allocution à l'université Queen's, j'ai expliqué le grand problème des économistes, le fait qu'on n'a pas élaboré de moyens pour bien fonctionner dans un monde où les taux sont flottants. Il a fallu beaucoup de temps pour cela, alors que de plus en plus de pays adoptaient des taux de change flottants. Nous avons eu beaucoup de difficulté à trouver une solution. Nous avons essayé d'adopter des cibles monétaires. Cela n'a pas été très efficace.
Enfin, à la fin des années 80, nous avons décidé que la politique monétaire devrait viser à stabiliser plus ou moins les prix. C'est ce qu'ont fait à peu près toutes les banques centrales du monde, y compris aux États-Unis.
Nous avons été l'un des premiers pays à le faire. C'est la Nouvelle-Zélande qui a été, je crois, le premier pays à cibler directement l'inflation. Depuis cette époque, la plupart des pays ont décidé d'en faire autant. Pour la plupart, ils ont assez bien réussi.
Pourquoi pas les États-Unis? Il y a deux réponses à cela. Il y a d'abord une réponse purement politique. C'est celle que donne habituellement Bill McDonough, le président de la Banque fédérale de réserve de New York, c'est-à-dire que la période de déflation et de taux de chômage élevés des années 30 est gravée dans la mémoire des Américains. Par conséquent, les Américains ont un double objectif, stabiliser les prix et réduire le chômage.
L'autre réponse est tout simplement que les États-Unis sont la réserve mondiale de devises. C'est pour cette raison que les taux de tous les autres pays flottent en regard du taux américain. Du point de vue de la théorie économique, l'adoption de taux flottants n'est peut-être pas aussi logique pour les États-Unis.
Du point de vue pratique, la seule vraie différence, une différence très importante à mon avis, c'est que la Banque et les gouvernements peuvent avoir à rendre des comptes puisque nous avons un objectif officiel et que nous savons tous quand nous nous écartons de cet objectif. Il y a une très solide structure de responsabilité.
La Réserve fédérale américaine opte davantage pour une ambiguïté constructive au sujet de son objectif réel. C'est dans les mesures qu'elle prend qu'elle doit deviner quel est cet objectif. C'est très pratique lorsque M. Greenspan se retrouve devant le Sénat américain, car on ne peut pas lui demander le même genre de comptes qu'on peut nous en demander à tous les trois. Dans les faits, toutefois, les objectifs en matière d'inflation sont un moyen pour atteindre une fin. Cette fin, c'est de favoriser une aussi grande croissance économique que possible. C'est une façon abrégée, si l'on veut, d'expliquer ce que nous faisons afin que les gens puissent comprendre et prévoir, ainsi que pour expliquer tout cela à la population canadienne dans des termes qu'elle comprend.
Je ne pense pas que le Canadien moyen sache très bien ce que signifie un objectif M1 ou que le président de la Bundesbank ait vraiment réussi à expliquer qu'il n'a pas vraiment d'objectif en matière d'inflation, mais plutôt une mesure appelée M3. Cela ne fonctionne pas très bien. La clarté, la transparence et la responsabilité ont de grands avantages. Pour que cela fonctionne, il faut bien sûr que le taux de change soit flottant. Cela ne peut pas fonctionner autrement. Si la situation mondiale est bonne, le taux augmente; si la situation mondiale est faible, le taux diminue. Il faut que le taux de change soit flottant.
Est-ce la raison qui explique la différence importante enregistrée ces dernières années entre le Canada et les États- Unis sur le plan de la productivité et de l'emploi? En fait, je ne pense pas que cela ait quoi que ce soit à voir avec le taux de change.
Tout d'abord, les résultats du Canada sur le plan de l'emploi ont été satisfaisants; c'est du côté de la productivité que la situation a été inquiétante. Dans un certain sens, lorsque l'offre de main-d'oeuvre est excédentaire, il est normal que l'on cherche à l'utiliser. Une offre excédentaire de main-d'oeuvre diminue la nécessité de faire des investissements qui permettront d'économiser la main-d'oeuvre et d'augmenter ainsi la productivité. C'est parfaitement logique du point commercial comme du point social.
Il y a aussi d'autres facteurs. Soyons honnêtes: Au début des années 90, notre pays s'est préparé à l'application du chapitre 11. Nous avons fait d'énormes efforts, du début des années 90 jusqu'en 1998 pour pouvoir nous en sortir et recommencer à fonctionner normalement. Cela a créé de fortes pressions. Que fait une entreprise lorsqu'elle est visée par le chapitre 11? Elle réduit ses immobilisations et retarde l'achat de biens en capital. Il n'est donc pas étonnant qu'en 1997 et 1998 nous ayons diminué nos investissements en capitaux ainsi que notre productivité. Au cours des cinq premières années de cette décennie les choses devraient commencer à s'améliorer et nous en constatons déjà certains signes.
Quant à votre dernière question, sénateur, vous avez demandé pourquoi changer nos taux avant les États-Unis? La Banque centrale européenne, s'occupe de plusieurs pays, mais chaque banque centrale doit établir une politique monétaire qui correspond aux conditions du territoire dont elle est responsable. Il est extrêmement important que chaque banque centrale le fasse pour répondre aux conditions qui existent dans son pays.
Il est vrai qu'au cours des six derniers mois, nous nous sommes rapprochés un peu plus de notre potentiel que les Américains et qu'une proportion plus importante de la croissance que nous avons enregistrée au cours du dernier semestre provenait de la demande finale plutôt que d'une simple liquidation des inventaires. Dans un certain sens, nous nous rapprochons de notre potentiel plus rapidement que les États-Unis.
Enfin, nous avons certains secteurs dans lesquels la progression sera lente. Il s'agit notamment des télécommunications, de la technologie de l'information, de la machinerie et de l'équipement ainsi que de la production de bien d'équipements. Il y aura également quelques redressements dans un ou deux autres secteurs, comme celui de l'automobile. Il est vrai que quelques industries resteront stagnantes, mais dans l'ensemble nous nous rapprochons de notre plein potentiel à un rythme plus rapide que les Américains.
Le sénateur Meighen: Pour répondre à ce que vous venez de dire, je suppose que c'est une raison de plus pour ne pas nous laisser diriger par la réserve fédérale américaine et rester libres d'établir notre propre politique monétaire.
M. Dodge: Cela nous permet d'établir notre propre politique monétaire et de redresser la barre en fonction des fluctuations des prix relatifs étant donné que l'économie canadienne n'est pas structurée de la même façon que l'économie américaine.
Le sénateur Setlakwe: De nombreuses économistes ont prédit que le déficit du compte courant que les États-Unis enregistrent depuis plusieurs années contribuerait à raffermir le dollar canadien. Cela ne semble pas s'être matérialisé.
Ils ont dit également que cela se répercuterait sur l'euro. Notre dollar est relativement stable par rapport à l'euro, mais il est beaucoup plus faible qu'il y a dix ans par rapport au dollar américain. Vous dites que cela ne reflète pas notre prospérité et que si nous restions chez nous, nous nous sentirions beaucoup plus riches que si nous voyageons à l'étranger.
Je me demande quand vous pensez que la situation du compte courant américain pourra aider le dollar canadien? La dernière partie de ma question porte principalement sur ce que le sénateur Meighen a dit au sujet de notre indépendance vis-à-vis de la réserve fédérale. Même si vous êtes là depuis peu de temps, êtes-vous satisfait de la politique indépendante du Canada à l'égard de son taux de change?
M. Dodge: Comme je l'ai dit, quand la valeur du dollar américain a augmenté, cela a eu des répercussions sur les prix que nous avons tous ressenties. Oui, les vacances en Floride sont devenues beaucoup plus coûteuses pour les Canadiens, mais le prix des vacances en France est resté à peu près le même. Il coûte maintenant beaucoup moins cher aux Américains d'aller passer leurs vacances au Canada ou en France que chez eux. Les prix nous envoient certains messages auxquels nous répondons en tant que consommateurs.
Permettez-moi de demander à M. Knight de répondre à votre question principale, qui est extrêmement pertinente.
M. Knight: En ce qui concerne le déficit du compte courant américain, comme M. Dodge l'a dit au départ, la façon dont les comptes courants évoluent avec le temps ne dépend pas de ce qui se passe sur le marché des produits de base, mais plutôt des incitations à investir et à placer des fonds dans l'économie mondiale. Si vous remontez au milieu des années 90, l'économie américaine a connu une croissance très rapide par rapport aux autres. Sa productivité a fortement augmenté, non seulement par rapport à nous, mais aussi par rapport aux autres pays.
On pouvait donc s'attendre à un taux de rendement élevé. En raison de ces attentes, les investisseurs du monde entier ont voulu acheter des éléments d'actifs aux États-Unis. C'est alors qu'a eu lieu le «miracle du point com» que nous appelons maintenant la «bulle du point com». Il s'est passé deux choses. Premièrement, le désir d'investir aux États- Unis a fait grimper le dollar américain par rapport à toutes les autres devises. Deuxièmement, cette poussée du billet vert a rendu les marchandises américaines plus coûteuses pour le reste du monde. C'est ce qui a entraîné le déficit du compte courant. Ce déficit persiste depuis longtemps et il est beaucoup plus important qu'il ne l'a été par le passé, sauf pendant une brève période au milieu des années 80.
Suite à cet important déficit qui se répète chaque année — l'année dernière, il était d'un peu plus de 4 p. 100 de la production américaine totale — les États-Unis, qui étaient un pays créancier au début des années 90, sont devenus peu à peu un pays débiteur. Selon certaines estimations, leur dette internationale est passée à environ 20 p. 100 de leur PIB.
Il est probable qu'à un moment donné cette tendance devra se renverser. Quand cela arrivera, les moyens utilisés feront notamment appel à une dépréciation du dollar américain par rapport aux autres devises. Cela pourrait se faire graduellement. Néanmoins, ces mécanismes mettent longtemps à donner des résultats. À une certaine époque, la valeur du dollar américain a très fortement augmenté par rapport à toutes les autres devises. C'était entre 1978 et 1985. Le gros déficit des États-Unis avait fait grimper les taux d'intérêt.
Une fois la situation rétablie, le dollar américain a connu une longue période de fléchissement. À certains égards, le contexte actuel est très similaire en ce sens que les États-Unis ont une monnaie très forte et un déficit de leur compte courant. La différence est que, jusqu'à maintenant le déséquilibre du compte courant était dû à un déséquilibre entre l'épargne et l'investissement du secteur privé. Une forte proportion des investissements américains a été financée par l'épargne étrangère. C'est la vigueur de la croissance de la productivité des États-Unis par rapport aux autres pays et ses répercussions sur la rentabilité qui déterminera pendant combien de temps cette situation pourra durer.
Il est difficile de le prédire, mais il est probable qu'à long terme le pays plus riche ne pourra plus se servir de l'épargne accumulée dans le reste du monde.
M. Dodge: La dernière question me demandait si je pensais que notre indépendance sur le plan de notre politique monétaire nous avait été profitable. Je dirais que oui. Je parle seulement des 14 derniers mois. Si vous prenez les années 90, cela nous a été extrêmement utile. Aucun autre pays dans une situation financière aussi difficile que celle où nous nous trouvions au début des années 90 n'a pu s'en sortir aussi rapidement, avec aussi peu de bouleversements économiques et sociaux. C'est vraiment remarquable. Le fait de pouvoir établir notre politique monétaire en toute indépendance au cours de cette période nous a permis de faire baisser nos taux bien en dessous des taux américains. Au début des années 90, nos taux se situaient à 250 points de base au-dessus de ceux des États-Unis. Cela a contribué à faciliter ce processus de redressement pourtant difficile. Si je devais faire un bilan pour la décennie de 1992 à 2002, je dirais que cette indépendance nous a été extrêmement profitable.
Le sénateur Bolduc: Votre profession vous amène à surveiller le comportement des prix dans l'économie. Comme vous le savez, de 1994 à 2000, nous avons eu ce que M. Greenspan a qualifié «d'exubérance du marché». Comment se fait-il que vous n'ayez pas vraiment tenu compte de cette inflation et laissé les taux d'intérêt baisser? Même si nous avons une capacité excédentaire, les particuliers et les entreprises sont très endettés, mais vous commencez à relever les taux d'intérêt.
M. Dodge: C'est une question extrêmement intéressante. Autrement dit: pourquoi ciblez-vous l'inflation sans tenir compte du prix des actifs? C'est un sujet dont on discute énormément dans les pays qui cherchent à s'attaquer à l'inflation. La réponse m'apparaît relativement claire, en tout cas en ce qui concerne le prix des actifs financiers étant donné qu'aucune banque centrale ne connaît le juste prix d'un actif. Le juste prix est celui auquel l'actif se vend ce jour- là sur le marché.
En résumé, nous n'avons pas vraiment une bonne idée de ce qui constitue le juste prix des actifs. Beaucoup de gens pensaient qu'à 4 000, le niveau du Nasdaq n'était pas excessif. Bien des gens jugent excessif son niveau actuel de 1 700. C'est au marché qu'il revient d'établir le prix des actifs et non pas à la banque centrale.
La question est un peu plus complexe en ce qui concerne le logement étant donné qu'il est directement inclus dans notre indice des prix. Avec le temps, lorsque le prix des maisons augmente, cela se reflète dans l'indice des prix. Il est donc vrai qu'il faut surveiller de près le prix de cet actif dans un régime qui vise l'inflation.
La réserve fédérale américaine a des responsabilités qu'aucune autre banque centrale n'assume en ce sens que l'indice boursier de New York représente l'étalon à partir duquel on mesure le prix des actifs dans un grand nombre d'autres pays. S'il est une banque centrale qui devrait surveiller ce genre de choses, c'est bien la réserve fédérale. Cela ne veut pas dire qu'elle devrait cibler le prix des actifs, mais il est certainement plus logique que ce soit la réserve fédérale qui surveille les cours de la Bourse de New York que nous surveillions l'indice boursier de Toronto ou que la Banque d'Angleterre surveille le Footsie.
Le sénateur Bolduc: Ma deuxième question concerne votre rapport sur la politique monétaire. Au bas de la page 6 on peut lire: «L'indice de référence que la Banque utilise depuis mai 2001 exclut les huit composantes les plus volatiles de l'IPC et l'effet des modifications des impôts indirects sur les composantes restantes. Ces huit composantes sont les fruits, les légumes, l'essence, le mazout, le gaz naturel, le transport interurbain, les produits du tabac et les intérêts sur les prêts hypothécaires.»
Peut-on dire que c'est le taux d'inflation qui s'applique aux gens qui ne mangent pas, ne boivent pas, ne fument pas, ne conduisent pas, ne chauffent pas leurs maisons ou ne possèdent pas de logement?
Mme Kennedy: De façon générale, pour ce qui est de notre indice de référence, nous mesurons l'inflation de la totalité des composantes de l'IPC. Nous avons toutefois constaté qu'il y avait une certaine volatilité des prix, dans les deux sens, pour certaines composantes telles que les fruits et les légumes, par exemple.
Le meilleur indice d'inflation future, celle que nous ciblons lorsque nous intervenons aujourd'hui ce qui a, avec le temps, des effets sur la production et finalement sur l'inflation — l'indice de référence est le meilleur indicateur que nous ayons de la tendance future, des tendances sous-jacentes de l'inflation. Voilà pourquoi nous excluons ces composantes. Nous nous fions quand même à l'IPC.
Le sénateur Bolduc: Je dois dire que certaines de ces composantes me posent des problèmes.
Mme Kennedy: Ce qu'il y a d'intéressant au sujet de cette liste — comme certains d'entre vous s'en souviendront, il y a quelques années, nous avions exclu les produits alimentaires et l'énergie — lorsque nous avons exclu ces deux composantes, cela représentait une proportion plus importante du panier que cette liste pourtant plus longue. Ce sont les petites composantes qui sont les plus volatiles. Si je me souviens bien, cela représente environ 20 p. 100, plus précisément de 17 p. 100.
Le sénateur Bolduc: Finalement, vous êtes convaincue que c'est une bonne façon de le faire?
Mme Kennedy: Nous continuons d'examiner toute une série d'indices. Nous tentons toujours de déterminer si nous avons bien cerné les perspectives d'avenir. Même en ce qui concerne notre indice de référence, comme vous le remarquerez dans le commentaire, lorsqu'il change, cela peut être pour des raisons temporaires ou pour des raisons plus fondamentales. Ce n'est pas comme si nous étions sur le pilote automatique en ce qui concerne certains indices.
Le sénateur Bolduc: Je peux comprendre que les fruits et les légumes sont des composantes volatiles en raison des saisons et du climat canadiens. Cependant, en ce qui concerne le mazout ou l'essence, c'est un peu différent en raison de la situation internationale. Ce n'est pas aussi facile pour vous. Le tabac est surtout une question de politique gouvernementale, comme nous le savons. M. Dodge le sait.
Mme Kennedy: M. Knight voudra peut-être ajouter quelque chose, mais nous examinons les éléments qui sont volatils dans les deux sens. Les marchés internationaux ont une incidence sur les prix du mazout et de l'essence, mais on constate que ces prix fluctuent. Nous tentons donc d'en tenir compte. Le consommateur doit certainement tenir compte des prix qui montent, mais avec le temps, il y a toujours une certaine volatilité et les prix diminuent également.
M. Knight: Comme Mme Kennedy l'a dit, notre objectif à moyen terme n'exclut pas les prix de ces produits. Nous utilisons l'indice de référence comme objectif opérationnel pour nous aider à déterminer quel sera le taux d'inflation en ce qui a trait aux politiques courantes dans un an et demi à deux ans. Dans ce contexte, le prix du pétrole et les marchés mondiaux à l'heure actuelle sont très peu pertinents pour nous lorsque nous tentons d'établir notre politique monétaire, car ces prix pourraient être très différents dans un an ou deux. En réalité, notre engagement envers les Canadiens consiste à maintenir un taux d'inflation peu élevé et stable, tel qu'il est mesuré par l'IPC total.
M. Dodge: Je voudrais ajouter quelque chose en réponse à la question du sénateur Bolduc.
Sénateur, vous vous rappelez que dans les années 70 nous avions un sérieux problème d'inflation au Canada. Et étant donné que nos attentes n'étaient pas très bien établies relativement à l'inflation, lorsque les prix du pétrole ont augmenté au début des années 70, les salaires ont suivi, les coûts ont augmenté et cela a entraîné une hausse générale des prix. En fait, ces composantes volatiles ont rapidement été transférées dans le prix global. Cela nous a compliqué énormément la vie pendant un certain nombre d'années.
Depuis, nous avons bien compris les attentes des Canadiens, de sorte que peu importe qu'ils aiment le gouverneur de la Banque du Canada ou non, la Banque va s'assurer que le taux d'inflation reste à environ 2 p. 100 au cours d'une certaine période.
Lorsque nous avons eu une montée des prix du pétrole, comme vous pouvez le voir à la page 6, les salaires et les autres prix n'ont pas suivi, de sorte que lorsque les prix du pétrole sont finalement redescendus, le niveau des prix est demeuré assez stable.
C'est extrêmement important car si on n'a pas de point d'ancrage, non seulement on se retrouve avec des problèmes économiques, mais aussi avec des problèmes sociaux. Qu'il s'agisse de problèmes sociaux comme ceux de l'Argentine avec une hyper-inflation ou des problèmes comme ceux que nous avons connus au début des années 70 où les structures salariales bien établies ont été tout à fait détruites par l'inflation, peu importe. Cela cause des dommages tant sur le plan social qu'économique.
Comme nous l'avons déjà dit, nous sommes d'avis que notre meilleure contribution consiste à tenter de maintenir le taux d'inflation autour de 2 p. 100.
Le sénateur Kroft: J'aimerais aborder une question légèrement différente. Je le fais particulièrement à titre de sénateur du Manitoba, une province qui se porte assez bien sur le plan économique mais, en réalité, comme bon nombre d'autres provinces, nous sommes inévitablement limités à long terme à cause de la population et du pouvoir économique tant dans le secteur public que dans le secteur privé. Je pose cette question dans le contexte de la perspective à long terme où dans une large mesure le bien-être des Canadiens dépendra de deux secteurs importants, soit les soins de santé et l'éducation, des secteurs qui relèvent de la compétence provinciale.
Cela étant dit, j'aimerais que vous me disiez, à la lumière de la situation actuelle et des perspectives assez positives pour l'économie, si, à votre avis, à moyen et à long terme, les Canadiens de toutes les régions pourront profiter des avantages de la situation économique?
M. Dodge: Il s'agit là d'une question à laquelle il est extrêmement difficile de répondre.
L'économie canadienne a tendance à être entraînée par deux forces très distinctes. Il y a d'abord le produit des prix non énergétiques, qui proviennent en grande partie de votre province.
Tout d'abord, bien que les prix de ces produits en termes réels ont tendance à rester peu élevés avec le temps, ils ont une volatilité cyclique élevée. Deuxièmement, nous produisons ces choses de façon incroyablement efficace et c'est toujours extrêmement rentable, bien que ce ne soit pas le cas tous les ans, comme vous le savez très bien.
L'autre force est celle des industries manufacturières, que vous avez dans la ville de Winnipeg, et plus particulièrement, l'industrie légère. Dans ce cas-ci, naturellement, la situation est différente car la concurrence est serrée partout dans le monde. Cependant, ce qui est intéressant, c'est que malgré la vive concurrence, l'industrie manufacturière canadienne s'est portée assez bien pendant les années 90. On ne sait pas cependant si cela continuera à être le cas.
Vous avez mentionné une chose qui est extrêmement importante — le capital humain et l'éducation. Manifestement, le Canada ne réussit pas aussi bien dans le secteur de l'industrie du savoir. C'est dans ce secteur que collectivement, les entreprises, les citoyens et les gouvernements devront trouver une façon de progresser davantage et plus rapidement au cours de ce nouveau siècle, car les progrès accomplis le sont grâce à ce que nous avons entre les deux oreilles plutôt que grâce aux minéraux, aux arbres et au sol qui nous donnaient par le passé un avantage historique. Nous avons donc réellement un défi à relever.
Le sénateur Kroft: La richesse et le pouvoir industriel sont extrêmement concentrés en Ontario — le déséquilibre est peut-être encore plus marqué que dans la plupart des pays occidentaux.
Que pensez-vous de l'orientation à long terme? L'économie canadienne est-elle en train de s'équilibrer davantage au niveau régional? Est-ce que la concentration s'accroît en Ontario? Les choses vont-elles se stabiliser? Cela a des conséquences énormes parce que les gens vont là où il y a de l'emploi et le capital se déplace donc en conséquence.
M. Dodge: C'est une question à laquelle il est difficile de répondre. Je ne tenterai donc pas de le faire, mais j'aimerais cependant faire deux simples observations. Tout d'abord, il y a des industries qui se développent dans des endroits où elles ne se développaient pas auparavant. Prenez par exemple les villes de Calgary et de Vancouver, qui n'avaient pratiquement aucune industrie il y a 30 ou 40 ans, sauf quelques scieries à Vancouver. On a aujourd'hui une industrie manufacturière haut de gamme dans la ville de Calgary. Il y a également des changements structurels à Winnipeg et à Halifax. Tout n'est donc pas concentré à Toronto et à Montréal, loin de là.
Ce qui est moins clair cependant, c'est si le Canada se spécialisera davantage et par conséquent se concentrera de plus en plus dans des petits créneaux de l'industrie où nous excellons sur le marché mondial. Par conséquent, notre structure économique serait de plus en plus différente de celle des États-Unis. Il n'est pas très clair non plus si les structures des deux économies convergeront. Ce sont donc des questions auxquelles nous n'avons pas de réponse.
Le sénateur Oliver: Vous avez donné votre point de vue sur la valeur du dollar canadien et sur les taux d'intérêt. Notre comité sait très bien que vous avez pour objectif un taux d'inflation fixe de 2 p. 100. Je devais vous poser une question au sujet de la dette et des dépenses de consommation. Cependant, avec Mme Kennedy, vous y avez répondu pour les sénateurs Furey et Kelleher. Par conséquent, je me vois obligé de vous poser trois questions que je n'avais pas prévu poser.
D'abord, j'aimerais vous questionner au sujet du logement et de la politique à l'égard des taux d'intérêt, au sujet de l'union monétaire et de l'article de Terence Corcoran paru aujourd'hui sur les taux d'intérêt et de la politique fiscale.
Je m'intéresse à la question du logement, et j'aimerais savoir quelles sont les conséquences des taux d'intérêt à la hausse sur le marché immobilier. Outre les taux d'hypothèque peu élevés, quelles sont certaines des autres raisons pour lesquelles la demande est forte sur le marché immobilier, particulièrement dans les provinces Atlantique?
J'aimerais savoir quel est votre raisonnement. Si la demande est forte sur le marché immobilier, cela pourrait-il faire augmenter l'inflation? Si c'est le cas, allez-vous devoir augmenter les taux d'intérêt? Cela ne va-t-il pas à l'encontre du but recherché? J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
Deuxièmement, en ce qui concerne l'union monétaire, nous devrions vraiment savoir quels en seront les coûts et les avantages. À votre avis, quels sont les coûts et les avantages d'une telle union? La faiblesse récente du dollar canadien renforce-t-elle ou affaiblit-elle les arguments en faveur de l'union monétaire?
Troisièmement, pourriez-vous nous dire ce que vous pensez de l'article de Terence Corcoran paru aujourd'hui dans le National Post intitulé «Interest rates v. tax policy» dans lequel il critique certaines des politiques de la Banque? Si vous voulez que je cite directement cet article pour vous aider, je peux le faire.
M. Dodge: Je demanderais à M. Knight de répondre à votre question concernant le marché immobilier.
M. Knight: Monsieur le sénateur, le marché immobilier a été intéressant en rétrospective l'année dernière et cette année. Au cours des dernières années, les dépenses des ménages canadiens pour le logement ont augmenté et il y a eu une augmentation progressive du prix des logements après une longue période de stabilité. Il est intéressant de constater que, en l'année dernière — bien que les économies nord-américaines aient connu une période de faiblesse importante — la demande de construction résidentielle est restée forte. C'est l'un des éléments importants qui ont soutenu l'économie et qui ont fait en sorte que la période d'affaiblissement a été beaucoup moins marquée qu'elle ne l'a été antérieurement.
Cela a été le cas au Canada et aux États-Unis. C'est en grande partie attribuable au fait que tant la Réserve fédérale que la Banque du Canada ont considérablement réduit les taux d'intérêt. Par conséquent, les ménages ont été en mesure de s'endetter davantage pour acheter une maison tandis qu'en même temps, comme Mme Kennedy l'a dit, le pourcentage total du service de la dette des ménages par rapport au revenu disponible a, en fait, diminué l'an dernier.
Qu'adviendra-t-il du prix du logement? Les taux d'intérêt à court terme n'ont jamais été aussi bas. Les taux hypothécaires ont légèrement augmenté tandis que la demande sur le marché immobilier s'est maintenue. Nous prévoyons que l'économie canadienne va continuer de se renforcer au cours de l'année, et les taux d'intérêt — les taux d'intérêt à très court terme — vont sans doute augmenter. Cependant, nous nous sommes engagés à garder un taux d'inflation stable et peu élevé. Dans un tel environnement, les taux d'intérêt à plus long terme, à moyen et à long terme, qui sont pertinents pour les versements d'intérêts hypothécaires et auxquels l'intérêt hypothécaire est relié, ont été moins élevés au cours de la période où nous avons ciblé l'inflation, et ils ont été beaucoup plus stables. Cela signifie que même s'il est nécessaire d'augmenter les taux d'intérêt stratégiques à mesure que l'économie continue de se renforcer pour atteindre notre objectif qui consiste à maintenir un taux d'inflation peu élevé et stable, l'impact sur le service de la dette des ménages sera modéré par le fait que les taux à plus long terme augmenteront sans doute moins.
Par ailleurs, à mesure que l'économie se renforce, l'emploi devrait se renforcer tout comme le revenu disponible. Ces deux facteurs — notamment le fait que les taux d'intérêt à plus long terme sont moins sensibles au mouvement des taux d'intérêt à très court terme que nous contrôlons et le fait que s'il est nécessaire d'augmenter les taux, on le fera si l'économie canadienne est plus forte — ont tendance à modérer l'impact des mouvements et des taux d'intérêt stratégique sur le service de la dette des ménages. Par conséquent, nous n'entrevoyons pas de problème pour le marché immobilier au Canada à cet égard.
En même temps, en partie parce que le marché immobilier et la construction sont restés forts pendant une période d'affaiblissement, certains achats immobiliers sont allés de l'avant alors qu'ils auraient peut-être été faits plus tard au cours du cycle. La croissance du marché immobilier contribuera sans doute un peu moins que par le passé à la reprise économique par rapport à d'autres éléments de la demande.
M. Dodge: Au sujet de l'union monétaire, il y a deux choses qui valent la peine d'être répétées. D'abord, un taux flottant nous est très utile parce que la structure de notre économie est différente de celle des États-Unis. Pour cette raison, les prix relatifs fluctuent. Avoir plus d'un prix dans l'économie signifie que nous pouvons apporter des ajustements dans un sens ou dans l'autre de façon beaucoup moins perturbatrice.
Toutefois, si vous allez un peu plus loin et posez la question dans le cadre de l'intégration nord-américaine — dont nous pouvons débattre le pour et le contre — logiquement, il faudrait d'abord réaliser la pleine intégration de notre marché des produits et des services, ce qui n'est pas chose faite. En gros, nous avons réussi l'intégration du marché des capitaux; il y a des frictions, mais elles sont relativement mineures. Mme Kennedy n'aime pas m'entendre dire cela parce que c'est elle qui est chargée de les éliminer.
Il y a très peu d'intégration dans notre marché de la main-d'oeuvre. Si nous procédions à une union monétaire sans d'abord s'être adaptés, tous les ajustements devraient se faire dans le marché du travail. Il y aurait de grosses fluctuations; on passerait d'un chômage très élevé à une pénurie de l'offre de main-d'oeuvre selon l'évolution du cycle. Il ne serait pas possible d'atténuer ces fluctuations en laissant les travailleurs se déplacer du nord au sud ou du sud au nord selon la phase du cycle.
Si l'on estime que l'intégration de l'Amérique du Nord est une bonne chose, ce n'est pas par l'union monétaire qu'il faut commencer. Il faut d'abord instituer un marché unique des biens d'équipement, des services et de la main- d'oeuvre, et couronner le tout, par une union monétaire. Aller en sens inverse exigerait un coût colossal en adaptation économique.
Le sénateur Oliver: C'est la question que j'allais vous poser: le coût. Avez-vous effectué une étude qui nous donne une idée des coûts et des avantages? C'est ce que les Canadiens voudraient savoir. Dans l'affirmative, quels seraient ces coûts?
M. Dodge: Il n'y a pas qu'une seule étude mais plutôt toute une série d'analyses en cours. Nous travaillons à la pièce, pour ainsi dire, parce qu'il est très difficile de le faire d'un seul tenant. Nous publions constamment les résultats de nos travaux dans la Revue de la Banque du Canada, une publication trimestrielle. Jusqu'à présent, ils indiquent que les avantages du taux flottant — dans la structure économique actuelle en tout cas — l'emportent largement sur les coûts, même s'ils existent. Il y a des coûts de transaction, de couverture, et cetera. Les coûts d'un taux fixe pour l'économie seraient très élevés; autrement dit, les avantages économiques nets du taux flottant sont très élevés.
Le sénateur Fitzpatrick: Je viens de l'intérieur de la Colombie-Britannique. Pardonnez-moi si mes questions ont l'air raisonnables.
Nous croyons savoir que l'économie canadienne est aujourd'hui plus robuste. Notre reprise semble devancer celle des États-Unis. La Banque a réagi en augmentant ses taux de 25 points de base, ce qui est compréhensible dans les circonstances. Je crois savoir que dans l'avenir d'autres mesures pourraient être prises en ce sens. Nous avons aussi observé un léger raffermissement du dollar canadien.
Ma question porte sur les problèmes économiques de la Colombie-Britannique, qui n'a pas connu de reprise semblable et qui pâtit du litige concernant le bois d'oeuvre. J'estime que l'augmentation des taux d'intérêt et du dollar viennent exacerber les difficultés de la province.
Qu'est-ce que la Banque peut faire pour améliorer la situation au pays sans aggraver celle en Colombie-Britannique ou, au moins, modérer son action pour qu'elle ne nuise pas aux efforts de la Colombie-Britannique pour rattraper le reste du pays?
M. Dodge: Il ne fait pas de doute que les régions du pays qui dépendent des mines et des forêts connaissent une période difficile. Dans l'intérieur de la Colombie-Britannique, même si la région est très belle, on dépend encore beaucoup de l'industrie forestière. Le cours des pâtes à papier est si bas qu'il suffise à peine à maintenir une usine en activité et encore moins à payer les frais généraux.
Quant à ce que nous pouvons faire, j'ai peu à vous offrir pour vous consoler. La politique monétaire est une arme générale; elle n'est pas conçue pour lutter contre le problème que vous soulevez. L'un des problèmes de la Colombie- Britannique, c'est qu'elle possède certaines des scieries les plus efficaces au monde. Le dollar canadien a fléchi par rapport au dollar américain et c'est pourquoi — soyons honnêtes — les scieries américaines sont incapables de soutenir la concurrence et devraient fermer.
Facile de le dire au Sénat du Canada; plus difficile d'en convaincre vos collègues du sud.
Voilà donc une illustration classique du peu d'intégration des marchés des biens et des services. Le mieux que nous puissions faire, c'est de regarder ailleurs pour supprimer ces obstacles. Je regrette de vous dire qu'il y a peu de choses que nous puissions faire pour améliorer directement la situation difficile de la Colombie-Britannique.
Le sénateur Fitzpatrick: Je crois comprendre ce que vous venez de décrire et le fait qu'il est difficile de composer avec les différences régionales. Toutefois, la province compte aujourd'hui une population de 4 millions d'habitants et occupe une place plus importante dans l'économie du pays. Une croissance démographique comme celle-là dans une région va compliquer le rôle de la Banque dans le choix d'une action pancanadienne parce que plus de gens et une plus grande partie de l'économie seront touchés. Si elle n'est pas en phase avec le reste du pays, cela cause plus de difficultés.
M. Dodge: Je vais laisser Mme Kennedy vous répondre. Je ne pense pas que vos prémisses soient justes. Oui, même dans une province, la structure de l'économie de l'intérieur est différente de celle du Lower Mainland. Il se peut bien que le Lower Mainland prospère lorsque l'intérieur périclite, et vice versa. Partout au pays, on observe des différences à l'intérieur d'une même province. Je ne crois donc pas que j'accepte vos prémisses. Mme Kennedy a elle aussi travaillé dans ce secteur.
Mme Kennedy: Je dirais la même chose que M. Dodge sur deux points. Comme nous l'avons dit, la politique monétaire est une arme globale qui s'applique à l'ensemble du territoire. Nous examinons la situation en moyenne. Parfois les gens pensent que l'on ne tient compte que du point névralgique de l'heure, comme l'inflation. En fait, nous considérons l'ensemble. Quand une région du pays prend de l'importance dans l'ensemble, l'effet qu'elle joue sur la moyenne est proportionnel.
M. Dodge a fait remarquer qu'il y a diverses régions à l'intérieur d'une même province. Mais plus importantes encore sont les différences sectorielles. En politique monétaire, nous avons constaté que de veiller à ce que l'inflation soit faible, stable et prévisible aide l'industrie à investir et à se restructurer.
Même si ces difficultés sectorielles existent, et certaines exigeront des solutions qui dépassent largement la portée de la politique monétaire, maintenir l'inflation à bas niveau et stable est un facteur positif.
Cela diminue également la variabilité des taux d'intérêt, même s'ils vont monter ou descendre pour donner ou retirer la stimulation nécessaire à la croissance économique sur le moyen terme. L'effet est moins limité que lorsque nous faisons face à un cycle d'expansion et de contraction. Face à une économie qui ralentit, nous continuons de faire monter les taux d'intérêt au début du ralentissement pour éliminer les problèmes d'inflation qui s'étaient accumulés dans l'économie. Aujourd'hui, nous pouvons soutenir davantage de manière plus opportune puisque les attentes sont bien connues.
Enfin, en ce qui concerne la situation récente, les PME se sont très bien débrouillées pendant cette période de ralentissement. Les grandes entreprises et certains secteurs précis, eux, ont été plus touchés. Cela n'aide évidemment en rien les localités qui dépendent d'une grande entreprise ou d'un secteur donné de l'économie, mais la demande des ménages et la vigueur des PME ont apporté un peu plus d'appui à toutes les régions pendant la période. C'est un facteur positif pour toute l'économie.
Le sénateur Angus: Vous vous souviendrez que lors de votre comparution à Noël, nous étions d'avis que le dollar ne flottait pas, mais plutôt qu'il se noyait et que cela inquiétait vivement les Canadiens. Vous avez répondu, à juste titre, que vous deviez bien peser vos paroles pour ne pas ébranler la confiance dans notre monnaie. J'ai été ravi quelques semaines plus tard de lire les grands titres: «Le ministre des Finances et le gouverneur de la Banque se rendent à New York soutenir le dollar», et ainsi de suite. Vous vous souvenez de ce voyage, j'imagine. Quel était votre objectif, monsieur Dodge?
M. Dodge: Nous nous rendons habituellement à New York à quelques reprises dans l'année. Je devais me rendre à New York aux environs du 20 septembre, mais je n'y suis pas allé pour des raisons évidentes. Comme nous devions tous nous rendre au Forum économique mondial — je ne paierai pas le billet d'avion pour aller à Davos — j'ai cru plus simple d'aller à New York. Le ministre et moi-même devions être là le même jour et nous avons décidé de rencontrer la communauté financière de New York ensemble plutôt que séparément, comme nous le faisons normalement. C'était important puisque, comme vous l'avez dit vous-même, les Canadiens commençaient à être un peu découragés. Voilà pourquoi la rencontre a fait les manchettes.
Le sénateur Angus: Bien que je respecte l'indépendance de la Banque, et que je sais que vous y tenez et que vous la défendez farouchement, j'ai été ravi de voir une telle communication entre le ministère des Finances, par l'entremise du ministre — ce que j'appellerais le côté politique — et le vôtre, qui vous a amenés à agir ensemble pour faire passer le message.
Les principaux baromètres de l'économie restent au vert. Vous dites que nous ne sommes pas en récession et que nous constatons une relance de l'économie qui est même plus rapide ici qu'aux États-Unis. Tout cela est bien beau. Je ne veux pas être un rabat-joie.
Je note en lisant la documentation qui nous a été distribuée pour la réunion de ce matin que les obligations des sociétés coûtent plus cher au Canada qu'ailleurs. Je note que les consommateurs auront renoué avec la confiance, mais que le rétablissement de la confiance des investisseurs et des entreprises semble plus fragile. Cela m'inquiète quelque peu. Bien entendu, c'est ce que disent nos amis américains. Ne réagissons pas trop rapidement. Les entreprises restent très inquiètes. Elles ne se sont pas encore remises de l'éclatement de la bulle. Comme vous l'avez dit, cela touche plus durement le secteur de la haute technologie, celui des télécommunications, et cetera. Mais le phénomène semble plus généralisé.
J'aimerais entendre votre réaction à ce constat. Je crains que si nous ne tenons compte que de la confiance des consommateurs en négligeant celle des milieux d'affaires, nous devancerons la musique.
M. Dodge: Je vais d'abord répondre à vos commentaires sur les investissements des entreprises, après quoi Mme Kennedy vous parlera du marché des obligations des sociétés.
Nous avons tenu compte, parmi les risques, de la reprise des investissements des entreprises. Manifestement, le risque persiste. Nous l'avons admis quand nous avons comparu l'automne dernier. Quand nous sommes venus vous rencontrer le printemps dernier, nous vous avons dit: «Nous espérons une reprise des investissements des entreprises d'ici la fin de 2001, mais il faudra peut-être attendre 2002», puis les événements du 11 septembre sont venus tout repousser.
On ne saurait nier que les investissements des entreprises, qui ont été le moteur de l'expansion économique aux États-Unis du début des années 90 jusqu'en l'an 2000, n'ont pas retrouvé leur vigueur. Il y a un risque très réel qu'ils ne retrouvent pas la vigueur qu'ils avaient au sortir de la récession de 1991. Il est quasiment certain que quelques secteurs connaîtront une croissance plutôt anémique.
Par ailleurs, nous constatons quelques signes précoces d'une relance de l'investissement dans le secteur du matériel et de l'outillage. Au Canada, ces signes nous viennent des données sur les importations puisqu'environ 85 p. 100 de l'équipement que nous utilisons est importé. Ailleurs dans le monde, c'est le secteur de la fabrication de puces — je veux parler des puces utilisées en informatique, sénateur. La reprise s'amorce. Nous constatons une reprise des commandes dans le secteur des biens d'équipement. Les petites et moyennes entreprises en général ont tenu bon et seront sans doute les premières à afficher des meilleurs résultats.
Toutefois, les grandes entreprises des secteurs où il n'y a pas déjà surcapacité devront bien emboîter le pas. Il est vrai que certains dirigeants d'entreprises, surtout ceux qui ont des liens étroits avec Wall Street — plus on est proche de Wall Street, plus ou est déprimé — ont réussi à se convaincre que leur déprime est justifiée. Ça c'est plutôt inquiétant. Ce sont eux qui prennent les décisions, et les passions humaines sont importantes, comme le disait Keynes.
Je ne suis pas en mesure de vous garantir que les investissements des entreprises atteindront les niveaux que nous avons projetés. Le risque de faiblesse des investissements est très réel. Tant que les marges bénéficiaires des entreprises ne se seront pas améliorées, ce risque continuera d'exister.
Je ne crois pas que la première partie de votre question était tout à fait juste, et je vais donc demander à Mme Kennedy d'y répondre.
Mme Kennedy: Il y a deux façons de voir les choses. Vous comparez le coût du capital au Canada et aux États-Unis. Nous sommes d'avis que les conditions de financement des entreprises canadiennes ont été assez favorables sur le marché obligataire. Certains secteurs et certaines entreprises semblaient être en difficulté financière, et l'écart se creuse. Toutefois, si vous prenez l'ensemble d'un secteur, l'écart entre le taux d'intérêt sur les obligations des sociétés et celui des obligations du gouvernement a été à son plus large vers le mois de novembre. Les taux d'intérêt ont augmenté au courant de l'an dernier, particulièrement à l'automne quand une lourde incertitude pesait sur les perspectives économiques. Ils ont depuis diminué. Sur longues périodes, il y a un écart entre les taux canadiens et américains. Le marché américain a l'avantage de la liquidité et du volume. Cela reste vrai. De fait, les entreprises canadiennes qui se financent en dollars canadiens sur le marché des entreprises ont bénéficié d'un niveau d'activité et de demande très soutenu sur le marché obligataire.
Comme nous l'avons dit, la demande de crédit aux entreprises s'est ralentie quelque peu à court terme. Il se peut que les sociétés se financent non pas auprès des banques, mais plutôt sur le marché obligataire pour des échéances plus longues. C'est peut-être aussi parce que les banques fixent des conditions d'emprunt plus restrictives à ce stade du cycle. Il est toujours difficile de dire avec précision s'il y a resserrement du crédit ou diminution de la demande.
Le sénateur Angus: Je vous remercie de ces commentaires. Je n'ai pas l'occasion de suivre l'évolution de la situation au jour le jour, comme vous pouvez le faire. Dans un article paru dans The Economist du 27 avril, on disait expressément que le Canada se classait à cet égard au premier rang des neuf pays étudiés. Votre réponse me convient.
La réponse de M. Dodge à ma question sur le rétablissement de la confiance des entreprises et des investisseurs m'amène à dire que nous devons prendre des mesures de précaution en ce qui a trait aux taux d'intérêt. Je me souviens de l'époque où l'écart entre les taux américains et canadiens était fixe, particulièrement pour ce qui est des taux à long terme. Des Américains venaient ici placer leurs fonds en dépôt à terme, et la Banque royale offrait un taux plus élevé sur ces dépôts à terme libellés en dollars américains. Au fur et à mesure que j'enrichissais mes connaissances à cet égard en venant à ce comité et en écoutant les témoignages du gouverneur de la Banque du Canada, j'ai remarqué que l'écart se rétrécissait. D'ailleurs, ces dernières années, nos taux étaient inférieurs à ceux des États-Unis. Ils sont maintenant de nouveau supérieurs.
J'ai noté avec intérêt votre réaction au changement survenu l'autre jour. La valeur du dollar a fait un petit bond. J'ai toujours cru que la valeur du dollar canadien restait ferme et plus élevée lorsque l'écart entre les deux taux d'intérêt était constant et que nos taux d'intérêt étaient régulièrement plus élevés. Je pense que ce que vous avez fait l'autre jour visait davantage à soutenir notre dollar qu'à annoncer une relance générale de l'économie.
M. Dodge: Vous feriez erreur. Notre politique vise à rapprocher la croissance de l'économie de son plein potentiel et de la maintenir à ce niveau-là. Nous ne voulons pas risquer une surchauffe de l'économie, car cela enclencherait un cycle d'instabilité et nous ne voulons pas non plus réduire trop rapidement la liquidité ou resserrer la politique monétaire par crainte de casser la croissance. Nous relâchons tout simplement la pression sur l'accélérateur.
Vous constaterez que sur le marché obligataire, l'écart entre les taux canadiens et américains au point de la courbe correspondant à l'échéance de deux ans s'est effectivement creusé tandis que l'écart pour les échéances entre 10 et 30 ans est resté relativement stable, nos taux étant de 30 points de base supérieurs aux taux américains, ce qui est beaucoup plus faible au regard de la normale historique que lors des périodes antérieures dont vous avez parlé où l'écart aurait typiquement été de 100 à 150 points de base au-dessus des taux américains.
Le sénateur Mahovlich: Il y a trois ou quatre ans, quand je suis arrivé sur la scène politique, la rumeur voulait que nous adoptions la devise américaine. Savez-vous si, d'après la rumeur, les gens souhaitent toujours que nous adoptions le dollar américain?
Le sénateur Tkachuk: Vous ne seriez pas à l'origine de ces rumeurs, monsieur le gouverneur?
M. Dodge: Je n'ai pas pour habitude d'être un véhicule pour les rumeurs. C'est important que vous posiez une question au sujet du dollar canadien car, quand nous avons mis en circulation notre nouvelle coupure de 5 $, nous souhaitions célébrer la réalité canadienne même si l'enfant qui orne la coupure porte un chandail des Canadiens de Montréal.
Le sénateur Mahovlich: A-t-on mis le bon numéro sur ce chandail?
M. Dodge: Les habitants de Montréal vous répondraient oui.
Le président: Vingt-sept.
Le sénateur Mahovlich: Vous avez mentionné les difficultés que connaît l'Argentine. Doit-on blâmer leur David Dodge qui n'aurait pas su juguler l'inflation dans son pays, ou le problème est-il d'ordre purement politique?
M. Dodge: Depuis les années 40, l'Argentine a eu des problèmes sociaux, politiques et économiques. On a du mal à croire qu'un pays qui était plus riche que le Canada au tournant du siècle ait pu sombrer dans un tel chaos. Je ne crois pas pouvoir vous expliquer toutes les causes de ses difficultés.
Dans les années 80, l'Argentine était aux prises avec une hyper-inflation absolument débridée. Le peso était arrimé au dollar US. L'avantage que cela conférait au départ à l'Argentine s'est rapidement retourné contre elle quand ses deux principaux partenaires commerciaux, le Brésil et l'Europe, ont dévalué leur monnaie par rapport au dollar US, la laissant faire cavalier seul.
L'Argentine n'a pas eu la volonté sociale et politique de s'attaquer à ses problèmes comme nous avons dû nous attaquer aux nôtres. De fait, nos problèmes financiers étaient bien pires, exprimés en pourcentage du PIB, quand nous nous y sommes attaqués au début des années 90 que ne le sont ceux de l'Argentine aujourd'hui.
Le sénateur Tkachuk: Depuis 1998, les honoraires quotidiens des membres du conseil d'administration de la Banque du Canada sont passés de 200 $, à 300 $, à 565 $ et à 665 $ aujourd'hui. Leurs honoraires annuels, qui variaient entre 1 500 $ et 3 000 $ en 1998, varient maintenant entre 7 500 $ et 8 600 $. Cette rémunération les placent-elles au haut ou au bas de l'échelle? Leur charge de travail est-elle alourdie ou s'ils tentent de devancer l'inflation?
M. Dodge: J'aimerais d'abord exprimer ma reconnaissance aux membres du conseil d'administration. Ils sont extrêmement diligents. Ils nous apportent une aide précieuse. Ils apportent un éclairage régional à nos discussions. Ils font un excellent travail.
Le sénateur Tkachuk: J'en suis certain.
M. Dodge: Sont-ils surpayés ou sous-payés?
Le sénateur Tkachuk: Ce n'est pas ce que j'ai demandé.
M. Dodge: Vous connaissez le niveau de rémunération des membres des conseils d'administration des sociétés. Je ne crois pas que les membres du conseil d'administration de la Banque du Canada soient trop payés. Il faudrait plutôt poser cette question au gouvernement qui fixe la rémunération par décret en conseil.
Le sénateur Tkachuk: C'est vous qui parlez des 2 p. 100. Le montant de la rémunération de la plupart des membres des conseils d'administration des sociétés cotées en bourse est du domaine public comme le sont les salaires de leurs dirigeants. Le montant de notre rémunération est du domaine public. Je tiens tout simplement à signaler au comité, publiquement, que le montant des honoraires a doublé depuis quatre ans alors même que la Banque du Canada nous parle d'un taux d'inflation de 2 p. 100. Voilà pourquoi j'ai soulevé la question.
M. Dodge: En fait, ils ont doublé au cours des 20 dernières années.
Le sénateur Tkachuk: Ils ont doublé entre 1998 et aujourd'hui. Voilà ce que je soulignais.
En répondant à d'autres questions, vous avez parlé de l'évolution des taux d'intérêt au cours des 10 dernières années. Puisque nous tentions d'attirer les investisseurs étrangers pour satisfaire à nos besoins de capitaux, nos taux d'intérêt étaient plus élevés et l'argent rentrait. Bien entendu, nous n'avons plus le même besoin de capitaux et nos taux d'intérêt ont donc été légèrement inférieurs à ceux des États-Unis. Les rentrées de capitaux dans un pays sont-elles dues non seulement aux taux d'intérêt, mais aux investissements de capitaux? Les rentrées de capitaux sont-elles dues à des facteurs autres que l'action du gouvernement fédéral ou les taux d'intérêt?
M. Dodge: Bien entendu.
Le sénateur Tkachuk: Je ne suis pas certain d'avoir bien compris votre réponse et je vous pose donc cette question: puisque nos taux d'intérêt ont baissé, il n'y a aucune autre raison qui inciterait les investisseurs étrangers à venir investir au Canada, à y dégager des bénéfices et à payer des impôts, et tout le reste, et par conséquent notre dollar se déprécie; leur décision dépend totalement des taux d'intérêt. Est-ce bien ce que vous nous dites?
M. Dodge: Non. J'espère ne pas vous avoir donné cette impression. Comme je l'ai dit, il faut tenir compte de l'équilibre entre l'épargne et l'investissement. De fait, tout au long des années 80 et au début des années 90, les Canadiens ont eu un taux de désépargne net très élevé. Notre taux de désépargne s'est transformé en taux d'épargne net. Cela implique déjà une sortie de fonds.
Bien entendu, il n'y a pas que des sorties de fonds. Si nous prenons les investissements directs, nous constatons que les entreprises canadiennes augmentent leurs investissements à l'étranger, ce qui est une bonne chose, tandis que des sociétés étrangères font davantage d'investissements directs du Canada.
Quant aux placements en portefeuille, nous avons constaté à la fin des années 90 un flux net d'investissements à l'étranger.
Le sénateur Tkachuk: J'essaie de savoir si le gouvernement devrait modifier sa politique puisque notre dollar vaut 63 cents. ou 64c. par rapport à la devise de notre principal partenaire commercial. Nous ne nous comparons pas à des pays avec lesquels nous n'avons pas d'échanges commerciaux. La plupart de nos échanges commerciaux se font avec les États-Unis. Un agriculteur de la Saskatchewan paiera 210 000 $ comptant ou 265 000 $ s'il finance l'achat pour une moissonneuse batteuse John Deere Cylinder/Walker. Aux États-Unis, le même agriculteur paierait 143 000 $ comptant. C'est une différence appréciable. Je crois que c'est dû au fait que la moissonneuse batteuse est fabriquée aux États-Unis et expédiée au Canada, et que notre dollar est faible. Quand on tient compte du taux de change, voilà ce qu'est le prix.
M. Dodge: La politique macroéconomique, quelle soit monétaire ou budgétaire, a pour principal objectif d'encadrer la croissance dans ce pays. Comme je l'ai dit plus tôt, nous étions en difficulté à la fin des années 80 et au début des années 90. Nous avons fait de gros efforts dans les années 90 pour nous en sortir. C'est tout à l'honneur des Canadiens que nous ayons réussi.
Toutefois, il a fallu sur cette période renoncer à faire certains des investissements que nous aurions aimé faire, autant dans le secteur privé que dans le secteur public. Nous sommes en maintenant en période de rattrapage.
Le prix du dollar est comme n'importe quel autre prix. C'est un prix. Je sais que ce prix-là suscite beaucoup d'émotion que la plupart de nous vivant à l'extérieur de la Saskatchewan ne ressentirions pas pour le canola-colza. Cependant, c'est un prix, et il fait ce qu'on attend de lui en permettant à l'économie de procéder aux ajustements nécessaires tout en nous permettant d'avoir le plus fort taux de croissance possible.
Le sénateur Tkachuk: Même si c'est vrai, cela soulève des préoccupations d'ordre régional dans l'Ouest. La faiblesse du dollar canadien est peut-être un avantage pour le fabricant de Oakville, Windsor ou Toronto, mais dans l'Ouest, nous sommes des vendeurs de denrées exposés aux cours mondiaux, sans aucun contrôle sur le dollar et qui payons beaucoup trop cher une moissonneuse-batteuse ou un camion d'une demi-tonne. Par exemple, au Canada, un agriculteur paiera 30 440 $ un camion d'une demi-tonne dont il a besoin à la ferme plutôt que pour circuler en ville, tandis que l'agriculteur aux États-Unis paiera lui 18 795 $. Nous dans l'Ouest canadien nous inquiétons de la faiblesse du dollar canadien en raison de notre dépendance sur les importations. Nous vendons des denrées et nous recevons des importations. Notre secteur de la fabrication n'est pas très important. C'est très inquiétant pour nous et il est grand temps que vous et le gouvernement du Canada commenciez à prendre la question au sérieux, car nous en subissons les contrecoups.
M. Dodge: Sauf le respect que je vous dois sénateur, je crois que vous oubliez le revers de la médaille, à savoir que le prix de la plupart des produits primaires canadiens est fixé à la bourse de Chicago en dollars US.
En règle générale — et je sais ce qu'il en est puisque je suis moi-même agriculteur en quelque sorte — vous avez un avantage, même s'il n'est pas énorme, puisque vous devez acheter certains de vos intrants en dollars US. Toutefois, à la limite, il est certainement avantageux d'avoir une devise qui flotte en période d'adaptation, comme cela a été notre cas.
Le président: Merci d'être venu cet après-midi, monsieur Dodge.
La séance est levée.