Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 42 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 8 mai 2002
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 16 h 10 pour examiner, afin d'en faire rapport, la situation actuelle du régime financier canadien et international.
Le sénateur E. Leo Kolber (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Nous sommes heureux d'accueillir, de la société Rosen and Associates Limited, M. Lawrence S. Rosen. M. Rosen a un CV vraiment impressionnant, qu'il me faudrait un long moment pour lire. Il est comptable agréé, comptable en management accrédité, et a une foule d'autres titres.
Monsieur Rosen, la parole est à vous.
M. L. S. (Al) Rosen, président, Rosen & Associates Limited: Honorables sénateurs, je vais passer en revue les grandes lignes des cinq premières pages du document qui a été distribué, en utilisant le rétroprojecteur. Nous passerons ensuite aux questions.
J'aborderai également un certain nombre d'autres points.
Vous entendez constamment parler d'Enron, des entités spéciales, et cetera. Je tiens à souligner qu'en ce qui concerne le Canada, ce n'est pas vraiment un grand problème. Je ne dis pas que ce n'est pas une question difficile, mais, dans le contexte canadien, nous avons des problèmes beaucoup plus graves que celui-ci.
Le Canada est le seul grand pays du monde qui confie au même groupe la responsabilité de la comptabilité et de la vérification. Dans ces conditions, les vérificateurs sont chargés de vérifier leurs propres règles, et l'on peut se demander si ces règles conviennent vraiment à la communauté financière du pays.
Il y a une foule de situations dans lesquelles les règles canadiennes sont très faciles à tourner. Il y a quelques années, j'ai déposé un affidavit auprès de la Cour suprême du Canada établissant qu'il existe des centaines, voire des milliers de façons de comptabiliser la même opération. Cela ne s'applique pas dans tous les cas, mais, pour certaines opérations, on peut recourir à tant de possibilités qu'il devient tout simplement impossible de faire des comparaisons entre sociétés différentes. L'un des arguments avancés pour justifier qu'un groupe détienne un monopole est que nous pouvons disposer d'états financiers comparables. Malheureusement, ce n'est pas du tout le cas.
Nous en arrivons maintenant à la question des bénéfices. Dans cette situation, il n'est pas inhabituel au Canada qu'une société appliquant les règles comptables canadiennes déclare des bénéfices de cet ordre. Toutefois, si l'on appliquait les règles américaines aux mêmes opérations, les bénéfices seraient nettement moindres et pourraient même se transformer en pertes.
Nous entendons dire très souvent que si le Canada resserrait ses règles, il ne pourrait plus se comparer aux États- Unis et aux autres pays avec qui nous sommes en concurrence pour la vente de biens et de services. Les données ne le confirment cependant pas. Trop souvent, les bénéfices canadiens sont beaucoup plus élevés par rapport aux États- Unis. Le schéma général n'est pas très cohérent. Un investisseur canadien qui examine une société canadienne peut penser qu'elle est très rentable. Pourtant, si l'on utilisait un autre système comptable, comme le système américain ou le système international, on obtiendrait des bénéfices sensiblement moindres ou des résultats très différents. Ce point est très important parce qu'il faut soumettre l'information financière à un examen approfondi pour comprendre vraiment ce qui se passe.
Je m'occupe en un sens de deux entreprises depuis que j'ai quitté l'enseignement. L'une de mes activités consiste à conseiller les fonds de pension et les sociétés de fonds communs du Canada pour leur dire, dans le cas de certaines entreprises, que nous n'aimons pas telle ou telle façon qu'elles ont de traiter les opérations et qu'elles devraient donc modifier leurs états financiers, parce que nous ne croyons pas qu'ils présentent vraiment l'information qu'ils devraient présenter.
À titre d'exemple, j'ai quelques documents concernant Nortel. Voici un article du Financial Post daté du 26 juillet 2000. A-t-il été distribué?
Le président: Oui, nous l'avons.
M. Rosen: Vous remarquerez que l'article mentionne le PDG de Nortel et moi-même, dans la dernière colonne de droite. L'argument présenté dans l'article est le suivant: si nous faisons les changements que je décris, il serait difficile pour les Canadiens d'obtenir du financement pour leur entreprise. Il est intéressant de considérer ce qui est arrivé à Nortel parce que l'argument selon lequel on ne sera pas en mesure d'obtenir du financement ne tient pas très longtemps. À un moment donné, les gens finissent par comprendre que le système comptable canadien souffre de graves problèmes.
Dans le cas de ce problème particulier, si les vérificateurs peuvent définir leurs propres règles et si ces règles sont laxistes et permettent beaucoup de latitude, alors les principes comptables sont plus ou moins dilués, ce qui permet aux sociétés canadiennes de déclarer d'importants bénéfices.
Ma seconde activité, c'est la comptabilité judiciaire ou juricomptabilité. À cet égard, nous voyons toutes ces combines à la Ponzi, dans lesquels on rend aux investisseurs leur propre argent en leur disant que c'est un bénéfice. D'après les règles américaines ou internationales, on ne peut pas assimiler cela un profit. Dans ce scénario, les gens croient traiter avec une société canadienne très rentable et, de ce fait, ils font monter le cours de ses actions. C'est ainsi que se produisent des situations comme celle de Nortel.
La diapositive 4 illustre un problème très grave. Les règles figurent dans le manuel de l'Institut canadien des comptables agréés, elles parlent de l'importance des créanciers et des investisseurs, soulignant que les états financiers sont établis dans l'intérêt de ces créanciers et investisseurs. Et pourtant, il est beaucoup trop souvent arrivé que des vérificateurs poursuivis devant les tribunaux affirment que ce n'est pas là l'objet des états financiers. Ces gens prétendent que les états financiers n'ont pas pour but d'aider les investisseurs privés à prendre des décisions d'investissement. Les affirmations de ces vérificateurs sont donc diamétralement opposées à ce qu'on trouve dans les règles comptables.
C'est la position qu'ils adoptent devant les tribunaux, position qui a été acceptée jusqu'au niveau de la Cour suprême du Canada. Comment nous est-il possible de laisser les vérificateurs définir les règles? Les règles devraient être établies pour protéger les investisseurs. Si les vérificateurs soutiennent devant les tribunaux qu'ils n'ont pas à protéger les investisseurs, alors qu'il y a quelque chose qui ne va pas du tout dans le système.
Le Canada est le seul pays qui attribue aux vérificateurs deux rôles, définir à la fois les règles comptables et les règles de vérification. Ils vont devant les tribunaux et nient toute responsabilité. Que doit faire l'investisseur? À qui doit-il s'adresser pour obtenir de l'aide?
Nous avons des situations très étranges qui, malheureusement, sont très particulières au Canada. Elles sont vraiment troublantes du point de vue de l'investisseur.
Je vais maintenant passer à la diapositive 5. Cela complique la situation parce que nous essayons d'avoir un seul ensemble de règles, contrairement à ce qu'on trouve aux États-Unis et dans d'autres pays, mais pas partout. Nous essayons d'appliquer un seul jeu de règles à tous les secteurs.
Je parle en me basant sur mon expérience de juricomptable. Si l'on examine les grandes faillites des 15 ou 20 dernières années, on constate qu'elles se sont surtout produites dans les secteurs des banques et de l'immobilier. Pourquoi les règles comptables canadiennes ne conviennent-elle pas aux banques et aux sociétés financières? La réponse, c'est qu'elles n'imposent pas de prêter une attention suffisante à la question des liquidités.
L'un des dossiers que vous avez contient les états financiers de deux années successives de la Victoria Mortgage Corporation Ltd., de la Banque commerciale du Canada, de la Compagnie Standard Trust et de la compagnie d'assurance-vie Confédération.
Nous pourrions peut-être consacrer une minute à la Banque commerciale du Canada. Le jour de la fête du travail, en 1985, la Norbanque et la Banque commerciale du Canada ont été mises en faillite. Au verso de la première page, on peut lire: «Banque commerciale du Canada, compte de résultats consolidé.»
Pour sa dernière année avant la faillite, c'est-à-dire en 1984, la Banque commerciale du Canada a déclaré un revenu net positif. En 1983, le revenu net était beaucoup plus élevé, à 6,5 millions de dollars. Les règles canadiennes permettent de déclarer de tels bénéfices. Quelques changements y ont été apportés depuis, mais essayons d'examiner cela.
Le sénateur Furey: Ces états financiers montrent que la Banque commerciale du Canada a déclaré des bénéfices nets au cours des deux années qui ont précédé sa mise en faillite. En réalité, cela fait moins de 12 mois avant la faillite.
M. Rosen: Oui.
Le sénateur Oliver: Qu'est-ce qui devrait être différent? À la rubrique du revenu d'intérêt, qu'aurait-il fallu déclarer différemment?
M. Rosen: Il s'est avéré que la provision pour pertes était de 14 millions de dollars, ce qui signifie qu'elle était beaucoup plus élevée. D'une façon générale, c'est la différence entre la comptabilité de caisse et la comptabilité selon les PCGR ou principes comptables généralement reconnus. Les PCGR constituent les règles comptables du Canada. Dans toute entreprise qui a des difficultés de trésorerie, les PCGR ont tendance à les masquer.
Il en est de même pour les sociétés immobilières. D'après les règles comptables canadiennes, tous les biens sont déclarés au coût d'origine. Leur valeur peut grimper ou dégringoler, mais les règles canadiennes imposent de s'en tenir au coût historique. Avec nos étudiants, nous utilisons l'exemple de la série télévisée The Beverly Hillbillies dans laquelle Jed tire un coup de feu dans le sol et découvre ainsi un immense champ pétrolifère. Dans ce cas, où figurent les millions de barils de pétrole de Jed à la page 1 du bilan de son entreprise? Eh bien, nulle part, si l'on applique les règles canadiennes. Sur le bilan, on ne trouvera que le prix d'achat de la balle tirée dans le sol. Voilà jusqu'où peuvent mener les règles comptables canadiennes.
Le sénateur Furey: Avant d'aller plus loin, pouvez-vous nous dire, au sujet de la provision pour pertes sur prêts figurant dans l'état consolidé de la Banque commerciale du Canada, si cela peut être quelque chose d'aussi simple qu'un remboursement d'impôt éventuel qui finit par être radié?
M. Rosen: Au Canada, les sociétés ont tendance à avoir des dépenses et des pertes sous-déclarées, qu'elles compensent en déclarant une moins-value ponctuelle. C'est avec ces moins-values ponctuelles que la plupart des investisseurs se font piéger. Pendant deux ou trois années, une société déclare ce que la plupart des gens considèrent comme un profit artificiel, puis elles font le grand plongeon en déclarant une énorme moins-value.
Le président: Dans le cas des banques, est-ce que les provisions pour pertes sur prêts sont essentiellement des prédictions?
M. Rosen: Oui, mais il y a prédiction et prédiction, c'est le problème. J'ai témoigné dans l'affaire de la Norbanque. Vous pouvez dire: «Dans des limites de tant, nous pouvons avoir une perte ici et une autre perte là, mais de toute façon, elles ne dépasseront pas tel montant». Bien sûr, on exerce un certain jugement, ou même beaucoup de jugement en comptabilité. Toutefois, si les faits montrent que beaucoup de débiteurs n'ont pas effectué de paiements depuis longtemps, si le prêt a déjà été rééchelonné une ou deux fois, si les versements ont été réduits, si le taux d'intérêt a été abaissé, si la valeur des biens déposés en garantie a considérablement chuté, nous ne parlons plus de jugement. En réalité, il n'y a peut-être pas plus d'une chance sur 100 de revoir cet argent.
Le président: Je peux vous suivre, mais que peut-on faire dans un cas comme celui de Téléglobe, quand BCE commence par affirmer qu'elle garantit sa dette, puis, ayant elle-même des difficultés financières, revient sur son engagement? Voilà qu'en l'espace d'un instant, des milliards de dollars ont disparu. Il est probable qu'aucun banquier n'aurait pu le deviner.
M. Rosen: Je ne suis pas trop sûr de votre dernier énoncé. Vous dites qu'aucun banquier n'aurait pu le deviner. Or cela fait deux ans que nous faisons part de nos préoccupations au sujet de BCE.
Le président: À cause de Téléglobe?
M. Rosen: À cause de Téléglobe et de certaines autres entreprises, oui. C'est l'un des points que je voulais établir. Si les quelques personnes que compte notre entreprise peuvent déceler des difficultés et en parler en public — car nous l'avons dit aux journaux, aux revues, et cetera, comme nous l'avons fait dans d'autres cas deux ou trois ans avant que les choses n'aillent vraiment mal —, alors d'autres gens devraient également pouvoir le faire.
Le président: J'accepte volontiers cet argument.
Le sénateur Furey: Dans ma question précédente, j'ai parlé de la provision pour pertes sur prêts, mais je pensais en réalité à la rubrique «impôts sur le revenu (récupérables)» et à la façon dont ces impôts sont radiés, ce qui complique encore plus le problème de la radiation dans le cas de la provision pour pertes sur prêts. Dans quelle mesure cette pratique est-elle vraiment courante? Est-ce qu'il arrive souvent aux comptables de déclarer d'éventuels impôts récupérables tout en sachant qu'ils vont les radier un ou deux ans plus tard?
M. Rosen: Oui. J'ai écrit un article pour la revue Canadian Business, il y a quelques mois, exactement à ce sujet. Des entreprises disent qu'elles ont fait des pertes, mais qu'elles les recouvreront; elles inscrivent donc un élément d'actif selon lequel elles ont de l'impôt à récupérer. Ensuite, elles y repensent l'année suivante, puis inscrivent une énorme radiation.
Le sénateur Furey: Mais, pendant cette année-là, leurs actions montent.
M. Rosen: Elles pourraient même monter pendant deux ou trois années. Le pire problème que j'aie connu est celui du groupe Loewen. J'avais pensé: «Voilà les problèmes. La débâcle se produira n'importe quand l'année prochaine.» En réalité, elle ne s'est produite que quatre ans plus tard. Cela vous donne une idée du point où ces sociétés peuvent pousser les choses, mais on sait qu'en définitive, elles auront de gros ennuis. En ce qui concerne Nortel, nous en parlions déjà depuis 18 mois ou deux ans, alors que l'action se vendait encore à 120 $. Vous le verrez dans la documentation que je vous ai remise.
J'ai trouvé quelques chose sur QLT ce matin. Je cherchais un papier juste avant de prendre l'avion pour venir à Ottawa. Nous avons annoncé ces problèmes et, comme vous le savez, les actions de QLT ont chuté ces derniers jours. Vous trouverez dans les annexes une liste des autres sociétés dont le cours a dégringolé.
Le sénateur Tkachuk: Vous est-il déjà arrivé d'annoncer quelque chose qui ne s'est jamais produit?
M. Rosen: De temps en temps. N'oubliez pas cependant que, lorsque nous conseillons les gestionnaires de fonds de pension et de fonds communs, nous sommes surtout à la recherche de ce que nous appelons les torpilles. Quand nous faisons des recherches approfondies et que nos résultats indiquent qu'une société est vraiment en difficulté, nous sommes très sûrs du jugement que nous portons.
Le sénateur Kroft: Je ne veux pas dénigrer ce que vous faites, mais je tiens à comprendre votre façon de procéder et votre façon de communiquer et à savoir à qui vous transmettez votre information.
Supposons que nous ayons affaire à un marché parfait, dans lequel chacun a accès à une information égale ou comparable. Si vous et des gens comme vous révélez ce genre de renseignements au public dans vos articles ou dans les communications privées que vous avez avec vos clients, et compte tenu de votre crédibilité — qui, disons-le, est notoire —, je suis curieux de savoir de quelle façon réagissent les gens que vous conseillez. S'ils ne réagissent pas, pourquoi ne le font-ils pas?
Si vous avez annoncé des choses au sujet d'une certaine entreprise, il y a deux ans, si ce que vous avez annoncé a été diffusé et compris, pourquoi cela ne s'est pas reflété dans l'activité boursière de vos clients et, en définitive, sur le cours des actions de l'entreprise en question? Autrement dit, est-ce votre information qui ne circule pas assez pour produire des effets manifestes, ou est-ce que l'entreprise a un si grand effet sur le marché que sa situation se maintient en dépit de votre information?
M. Rosen: Il y a trois ou quatre facteurs qui jouent, et vous avez mentionné quelques-uns. Tout d'abord, les gens doivent apprendre à vous faire confiance. Lorsque nous avons commencé, je me suis beaucoup battu au sujet de la Cott Corporation. Puis notre information a été reprise par des revues américaines et, quelque temps plus tard, les actions de la société ont sérieusement chuté. Elle a maintenant une toute nouvelle direction, qui n'a rien à voir avec la précédente. Mais ce que je veux dire, c'est qu'il est essentiel que les gens en viennent à croire en vous.
Il y a un grand problème qui devrait faire l'objet d'une enquête au Canada, et plus tôt on le fera, mieux cela vaudra. C'est le problème des fonds indiciels. Si vous êtes l'un des quatre experts financiers d'un fonds de pension d'université, par exemple, et que votre rendement sur l'investissement est trop différent de celui des autres, vous pouvez facilement être remercié. Il est donc important que votre rendement suive l'évolution du marché. La situation de Nortel était devenue ridicule: l'action de la société pesait tellement lourd dans l'indice de Toronto que la plupart des experts financiers étaient quasiment obligés d'en acheter dans la proportion qu'elle représentait dans l'indice. Ces gens me disaient: «Vous me dites qu'à 120 $, Nortel est grossièrement surévaluée, mais je ne peux pas vendre mes Nortel. Si la situation se maintient pendant trois ou quatre mois après que j'ai vendu, on me dira que je fais bien mal mon travail.» Nous devons faire quelque chose au sujet de ces fonds indiciels qui finissent par obliger tout le monde à grimper ensemble et, malheureusement, à tomber ensemble au fond du précipice.
Nous somme en train de consacrer un peu plus de temps à l'éducation. Il y a des programmes d'études, comme le cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada, qui enseignent encore des notions complètement dépassées. Je me suis entretenu une fois avec les responsables pour essayer de les convaincre. Je ne suis arrivé à rien. Par conséquent, s'il y a beaucoup d'experts financiers qui suivent ces programmes que je considère comme dépassés, ils ne vous croiront pas quand vous les mettrez en garde.
Ne l'oubliez pas, nous devons examiner les états financiers canadiens, qui ne nous donnent pas les renseignements dont nous avons besoin. Par conséquent, quand nous cherchons de la documentation, nous devons aller la trouver aux États-Unis et ailleurs. Si les experts financiers ne prennent pas le temps de le faire, ils auront tendance, comme vous le dites, à suivre simplement le marché.
Ce qui me dérange le plus, c'est que les gens qui ont beaucoup d'argent placé peuvent examiner cette documentation, ils peuvent engager des gens comme moi pour le faire. Ils sont protégés parce qu'ils ont le pouvoir, l'argent et l'expérience.
Le sénateur Oliver: Ils ont aussi les connaissances.
M. Rosen: Exactement. C'est le petit expert financier et le Canadien moyen qui ne sont pas protégés, à mon avis. Les commissions des valeurs mobilières sont éparpillées dans les provinces, les règles comptables sont établies par les vérificateurs et, dans certains cas, par la Cour suprême du Canada. Il y a donc beaucoup de protections et de garanties qui manquent.
Je me demande si les Canadiens doivent vraiment aller aux États-Unis pour bénéficier d'une certaine protection, parce qu'ils ne sont pas vraiment protégés dans notre pays.
Le sénateur Furey: Les investisseurs qui ont certaines connaissances ne peuvent-ils pas accéder à ces renseignements?
M. Rosen: Cela pourrait être difficile. Ils pourraient s'adresser directement aux sociétés en leur disant qu'ils y ont placé des montants considérables et qu'ils veulent donc obtenir certains renseignements. Bien sûr, cela pourrait alors poser des problèmes parce qu'il s'agirait de divulguer de l'information à un groupe puissant plutôt qu'au public. C'est une forme difficile de divulgation sur laquelle travaillent d'ailleurs quelques commissions provinciales des valeurs mobilières.
Le sénateur Oliver: Pour revenir à ces états financiers de la Banque commerciale du Canada, vous avez dit que, dans ce cas particulier, le problème résidait dans la provision pour pertes sur prêts de 14 millions de dollars. Sur le plan de la régie, ce serait un rapport produit par les vérificateurs de la société, mais il passerait également par le comité de vérification et, en définitive, par le conseil d'administration.
Au sujet de cette erreur de déclaration portant sur les 14 millions de dollars de provision pour pertes sur prêts, quels seraient, à votre avis, les parts de responsabilité du cabinet d'experts-comptables, du vérificateur, du comité de vérification et du conseil d'administration?
M. Rosen: Tout d'abord, les méthodes comptables utilisées sont choisies par les dirigeants de la société, probablement avec l'approbation des administrateurs. Il y a de multiples façons de comptabiliser une opération. La société décide si elle préfère la méthode qui maximise le profit, qui le minimise ou qui le maintient entre les deux extrêmes. Supposons que la société choisisse la méthode intermédiaire et s'y tienne pendant cinq ou six ans. Le comité de vérification et les vérificateurs peuvent ensuite discuter des étapes suivantes à adopter. Les vérificateurs ont alors à décider s'ils sont d'accord ou non sur le choix de la méthode comptable, si elle a été appliquée d'une manière raisonnable et ainsi de suite.
Dans la plupart des situations dont j'ai été témoin, le comité de vérification ne dispose pas de son propre groupe consultatif indépendant. Nous avons été engagés à l'occasion pour enquêter et dire au comité de vérification si la façon de procéder est acceptable ou non, mais, à ma connaissance, c'est vraiment rare au Canada.
Après avoir été produits, les états financiers sont approuvés par le comité de vérification, puis par l'ensemble du conseil d'administration. Une fois qu'ils sont signés par les vérificateurs, ils sont publiés. Si les vérificateurs ne sont pas parfaitement satisfaits, mais sont quand même relativement satisfaits, ils vont en général signer les états financiers.
Par conséquent, au Canada, il est non seulement nécessaire d'examiner les règles, mais il faut prendre du recul par rapport aux états financiers de la société et se demander s'ils représentent d'une façon raisonnable sa situation. C'est ce que mon entreprise fait. Nous essayons de prendre du recul.
Quand je prends des états financiers, je m'intéresse en premier à la question de savoir s'il y a une importante différence entre le Canada et les États-Unis sur le plan des bénéfices. J'examine ensuite les méthodes comptables. Parfois, je pense que les nombres sont parfaitement insensés, compte tenu de ce que je sais de l'entreprise. C'est alors que nous commençons à approfondir les recherches. Il arrive aussi que les chiffres ne me plaisent pas, mais qu'ils ne soient pas trop loin de ce que je considère comme normal.
Nous sommes donc dans cette situation étrange où nous n'exigeons pas, comme règle fondamentale, qu'on prenne du recul, qu'on examine les états financiers dans leur ensemble pour déterminer si l'entreprise n'a pas tout simplement choisi les règles qui lui convenaient le mieux pour en arriver à des résultats absurdes. Il y a bien trop de cas de ce genre dans notre pays.
Voilà, incidemment, ce qui est intéressant dans le cas de Victoria Mortgage. Votre question fait une excellente entrée en matière pour cette situation particulière.
Le sénateur Furey: Pour faire suite à l'observation du sénateur Oliver, je veux dire qu'hier soir, nous avons parlé à M. Brown, de la Commission des valeurs mobilières. L'une des questions qui m'intéressaient était de savoir si une société pouvait recourir à un vérificateur indépendant, qui n'aurait aucun lien avec ses experts-comptables et qui guiderait, aiderait ou superviserait les travaux du comité de vérification. Je ne m'intéresse pas vraiment au système à double vérification qu'appliquent des pays comme la France, mais c'est là qu'il est allé. En fait, je veux savoir s'il est extrêmement coûteux pour une société de recourir à un vérificateur indépendant pour superviser le comité de vérification?
M. Rosen: Il pourrait être très coûteux d'avoir deux vérificateurs, mais ce n'est pas là que je voulais en venir. Je parlais plutôt de laisser le comité de vérification avoir un budget distinct qui lui permettrait d'obtenir des conseils indépendants, sans liens avec les vérificateurs ni avec personne d'autre.
Le sénateur Furey: Et surtout sans liens avec le cabinet d'experts-comptables de la société.
M. Rosen: Cela ne serait pas du tout coûteux. Certaines des enquêtes que nous avons faites n'ont pas coûté plus de 15 000 $ ou 20 000 $. Nous nous rendons sur place et nous signalons au comité de vérification les secteurs qui nécessitent une plus grande attention. Je ne considère pas cela comme un prix exorbitant.
Le sénateur Oliver: Y a-t-il beaucoup de sociétés qui le font?
M. Rosen: Nous n'en avons eu que deux ou trois l'année dernière. C'est probablement attribuable au scandale Enron, qui incite des gens à se dire: «Il vaudrait peut-être la peine d'obtenir l'avis de quelqu'un d'autre.»
Notre cabinet de juricomptabilité comporte également deux éléments, pour ce qui est de la négligence des comptables et des vérificateurs. Trois affaires sur quatre qui nous sont confiées consistent en évaluations pour la police d'assurance des comptables agréés, le plus souvent des petites entreprises. Dans une affaire sur quatre, nous nous présentons devant le tribunal pour déclarer qu'à notre avis, les administrateurs, les dirigeants et les vérificateurs de grandes sociétés canadiennes n'ont pas correctement fait leur travail. Je peux vous affirmer que, dans la majorité des cas, les juges acceptent nos arguments et se rangent à notre avis.
Le sénateur Kroft: Au sujet des différences dans les états financiers, beaucoup de sociétés canadiennes ont des opérations et sont cotées en bourse tant au Canada qu'aux États-Unis. Leurs rapports peuvent être conformes aux PCGR d'un côté de la frontière et conformes aux règles américaines, de l'autre.
M. Rosen: Il y a un rapprochement à la fin.
Le sénateur Kroft: Compte tenu du nombre de ces entreprises et des exigences de rapports qu'impose leur enregistrement dans les deux pays, les différences ne sont-elles pas rapidement dénoncées par les analystes qui examinent deux jeux de comptes pour la même société?
M. Rosen: J'aimerais bien pouvoir disposer de données sur cet aspect. Le sujet de votre question me dérange depuis des années. Si vous ne présentez des rapports que du côté canadien... Vous savez, 70 p. 100 d'un REER doivent être investis au Canada. C'est peut-être cynique de ma part, mais je me demande souvent si ce sont les Canadiens qui, en lisant les états financiers canadiens, font monter les cours ou bien si les Américains ne tentent pas de vendre l'action à découvert dans l'espoir de faire baisser le cours au niveau où ils le veulent.
Cela a l'air absurde, mais nous essayons de vendre notre bulletin aux États-Unis aussi. Or nous entendons certains experts financiers qui demandent: «Pourquoi devrai-je investir au Canada?» Je trouve cela troublant. Peu d'entre eux sont vraiment au fait de la situation au Canada. Nous avons une réaction — que je n'aime pas beaucoup personnellement — de la part des gestionnaires de fonds américains hautement spéculatifs, qui nous disent: «Vous autres, vous avez le record des actions en chute libre.» Je sais pertinemment ce que ces gens font. Ils vendent à découvert.
J'aurais bien voulu disposer de preuves utilisables à cet égard, parce qu'en réalité, je ne sais pas vraiment. J'ai cependant l'impression qu'en un certain sens, les Américains nous tondent un peu trop souvent quand nous avons ces actions, même s'il leur arrive de monter de 1 $ ou 2 $.
Le sénateur Kroft: Dans le cas des valeurs intercotées, si des renseignements sont divulgués, une action peut tomber très bas s'il y a de très grosses ventes à découvert. En cas de disparités dues à des différences dans les renseignements publiés, les arbitragistes auront tôt fait d'intervenir, ce qui élimine rapidement les écarts.
M. Rosen: Ce que vous dites se tient parfaitement d'après la théorie économique, mais mon expérience ne l'a pas confirmé. Vous trouverez dans l'une des annexes de la documentation une liste des sociétés qui ont vraiment dégringolé. Vous constaterez qu'un bon nombre d'entre elles ne sont pas intercotées. Par conséquent, les Canadiens se font d'une certaine façon piéger dans ces sociétés, qui font ensuite le grand plongeon.
Les Américains ont finalement beaucoup de valeurs mobilières avec lesquelles ils peuvent jouer. Pourquoi donc se soucieraient-ils des valeurs canadiennes, sauf pour les vendre à découvert?
Votre question me dérange depuis longtemps, mais ce n'est pas ce que nous constatons dans les procès auxquels nous participons.
Le sénateur Kroft: Dans le cas de Nortel, les gens se sont fait prendre de la même façon des deux côtés de la frontière.
M. Rosen: Oui, et les conséquences pour le Canada sont sérieuses. Quelques-uns de mes anciens étudiants, qui avaient des affectations à Londres et à Tokyo, craignaient d'admettre qu'ils étaient Canadiens parce qu'ils se font constamment taquiner par les gens qui leur disent: «Eh oui, on vous connaît bien avec vos Bre-X, vos Nortel et le reste.» Il y a un aspect sérieux dans cette situation.
Le président: Nortel n'est pas un cas unique dans le monde des télécommunications. Des dizaines de sociétés sont dans la même situation, par exemple, Nokia, Ericsson ou Alcatel. Nous faisons tout un plat dans le cas de Nortel parce que c'est une société canadienne, mais sa situation n'a rien d'unique.
M. Rosen: Oui et non. Elle est unique par l'importance de sa dégringolade.
Le président: Il y a pire.
Le sénateur Oliver: Elle baisse encore.
M. Rosen: Nous pourrions faire une liste pour déterminer le nombre de valeurs américaines qui ont connu des difficultés par rapport au nombre total de valeurs américaines, puis le nombre de valeurs canadiennes qui ont connu des difficultés par rapport au nombre total de valeurs canadiennes. J'ai la nette impression que la situation est autrement plus grave au Canada qu'aux États-Unis.
Le président: Il y a au moins quelque chose où nous sommes les premiers!
Je crois que nous nous en prenons indûment à une société particulière. C'est un exemple parfait de ce qui arrive quand les choses vont vraiment mal, mais Nortel est loin d'être la seule dans son cas.
M. Rosen: La documentation que j'ai distribuée comprend plusieurs annexes. À l'annexe B, il y a plusieurs cas où les montants en cause n'étaient pas petits et comprenaient pas mal d'argent canadien. À l'annexe D, nous avons les sociétés dont les actions ont brutalement chuté. J'aurais pu en énumérer des pages et des pages. J'ai choisi ces sociétés comme exemples.
Une fois devant les tribunaux, il n'est pas difficile de prouver que les difficultés découlaient de sérieux problèmes de comptabilité et de vérification. Même si des règlements à l'amiable sont conclus avec l'accord des juges, ces affaires signalent quand même que nous avons des problèmes de vérification, des problèmes de comptabilité, des problèmes de supervision, des problèmes reliés aux lois sur les valeurs mobilières, et cetera.
Le président: Veuillez poursuivre, monsieur Rosen.
M. Rosen: Au sujet de ces premières pages, c'est une question qui me dérange vraiment. J'espère que vous recevrez d'autres témoignages à ce sujet. Est-il possible que les commissions des valeurs mobilières s'en prennent aux petites gens et les font condamner sans avoir le moindre effet sur les grandes sociétés, les grands souscripteurs, les grands vérificateurs, et cetera? Je crois que nous aurons quelques condamnations, mais je ne crois pas qu'elles comptent vraiment, parce que nous devons les évaluer en fonction de leur importance relative.
La diapositive 7 est très populaire. C'est très simple: si vous n'aimez pas le chiffre des profits qui figure sur vos états financiers, eh bien, inventez-en un. Si vous n'inscrivez pas toutes les dépenses, si la société semble très rentable et que les cadres supérieurs obtiennent de gros bonis, mais que les actionnaires n'ont presque rien, alors la situation est très grave.
Le sénateur Oliver: N'est-ce pas de la fraude?
M. Rosen: Pour parler de fraude, il faut prouver l'intention criminelle, ce qui est plutôt difficile. C'est peut-être très proche de la fraude. Permettez-moi de vous donner un exemple de fraude qui je trouve abominable et qui se produit au Canada. Encore une fois, il est difficile d'obtenir des preuves.
Au Canada, il vous est possible d'acheter pour 100 millions de dollars d'équipement et de le payer 150 millions. Pourquoi payer 50 millions de plus, me direz-vous? La personne qui touche ces 50 millions paie l'impôt correspondant, puis vous rend le reste. Supposons que l'impôt sur 50 millions de dollars est de 20 millions. Il en reste 30 millions. Alors, on vous rend 5 millions de dollars par trimestre pendant six trimestres. Que se passe-t-il? Les 50 millions supplémentaires se transforment en achalandage. Les règles canadiennes concernant l'achalandage vous permettent de déclarer une plus-value annuelle, ce qui représente un changement par rapport à l'été dernier. Vous pouvez donc récupérer 5 millions de dollars chaque trimestre.
Le sénateur Kroft: Comment? Sous forme de capitaux propres?
M. Rosen: Non, c'est simplement de l'argent qui revient dans un contrat de services. La société bénéficiaire est censée fournir certains services et reçoit l'argent en contrepartie. L'effet net est que 5 millions de dollars en espèces reviennent à la société qui a acheté l'équipement. Sur cette base, vous pouvez, pendant un certain nombre de trimestres, augmenter votre revenu net trimestriel avant impôts, ce qui fait monter le cours de vos actions. Au terme des six trimestres, vous avez alors le choix d'acheter un nouvel équipement pour recommencer, ou bien de laisser vos actions baisser. C'est de la fraude.
Le sénateur Kroft: L'amortissement est basé sur 150 millions de dollars.
M. Rosen: Vous pouvez amortir l'équipement sur 20 ou 30 ans. Vous retirez 30 millions de dollars sur six trimestres, tandis que les 50 millions supplémentaires sont amortis sur, mettons, 20 ans. Si c'est de l'achalandage, on peut même laisser le montant là plus longtemps.
J'ai eu trois cas de ce genre. Dans un cas, je sais que la commission des valeurs mobilières est au courant, et j'attends pour voir ce qui se passera. C'est sans contredit de la fraude. Il n'y a aucun doute quant à l'intention dans ce cas. Je serai vraiment fâché s'il n'y a pas de poursuites bientôt. Voilà à quel point nos marchés sont déréglés à l'occasion.
Le sénateur Kroft: C'est évidemment la question que vous nous laissez. Quelles chances y a-t-il pour qu'une personne, même s'il s'agit d'un expert compétent travaillant pour un grand établissement, puisse découvrir la valeur réelle d'une opération d'achat de biens d'équipement?
M. Rosen: Pratiquement, aucune. Voilà pourquoi nous avons besoin de règles comptables plus strictes, de vérificateurs qui vérifient vraiment ce genre de chose. Si l'on compare les cas de fraude et les recherches faites pour les découvrir, on constate encore une fois que le Canada est très faible sur ce plan. Les Américains et les Européens, par exemple, se soucient beaucoup plus des possibilités de fraude. Ils définissent les obligations qu'ont les vérificateurs dans l'exercice de leurs fonctions.
Le vérificateur doit agir pour le compte des investisseurs ou des actionnaires.
Le sénateur Kroft: Vous dites que, dans ce cas, un vérificateur américain, que ce soit pour appliquer les règles ou autrement, s'intéresserait particulièrement à une importante immobilisation de ce genre?
M. Rosen: Il devrait, à moins qu'il ne s'agisse d'une énorme société. Cela dépend donc de la taille de l'entreprise, des conditions et ainsi de suite. Si l'entreprise a ajouté 50 millions de dollars à l'achalandage ou à l'équipement, le vérificateur devrait peut-être s'intéresser aux derniers achats effectués.
De toute évidence, il est très facile pour le vérificateur de manquer une opération de ce genre parce que la vérification se fonde sur l'échantillonnage, mais il serait difficile de la manquer année après année après année. Il y a des cas où les vérificateurs ont ainsi manqué des fraudes pendant 14 ou 15 ans. Cela devient grave. Après quelques années, les prétextes sont difficiles à trouver. Après une telle période de temps, l'échantillonnage aurait dû révéler quelque chose.
Quoi qu'il en soit, je veux en arriver à ceci: il faudrait modifier l'article 44 du Règlement sur les sociétés par actions de régime fédéral. Laissons l'article 45 aux vérificateurs pour qu'ils améliorent ce qu'ils font. Toutefois, pour ce qui est d'une solution, je ne vois vraiment rien d'autre que la création d'un organisme de réglementation distinct, qui dirait: «Voilà comment vous devez comptabiliser telle ou telle opération.» Il faut réduire les choix.
Le sénateur Oliver: Qui pourrait faire partie de cette commission indépendante? Comment les membres seraient-ils nommés?
M. Rosen: À mon avis, elle devrait probablement relever du ministère ou du Bureau du surintendant des institutions financières. Le BSIF pourrait s'occuper du côté bancaire, des courtiers et des autres aspects comprenant des opérations en espèces. Ensuite, le ministère devrait renforcer ses services qui s'occupent de l'application de la Loi canadienne sur les sociétés par actions. Nous aurions alors une certaine supervision. Pour 20 ou 25 millions de dollars, le Canada pourrait disposer d'un personnel permanent suffisant pour faire le travail, il pourrait monter cette organisation. Pendant qu'il le fait, il pourrait toujours appliquer les anciennes règles des États-Unis ou du Canada.
Le président: Vous rendez-vous compte que la Loi canadienne sur les sociétés par actions ne s'applique qu'aux sociétés constituées au niveau fédéral? À ma connaissance, ces sociétés ne sont pas très nombreuses.
M. Rosen: Vous avez raison, mais il s'agit d'inciter les provinces à faire des changements semblables. Si l'on remonte aux années 70, on constate qu'un groupe gouvernemental a commencé par approuver l'équivalent de l'article 44 du règlement. Les autres ont emboîté le pas. Il faut que quelqu'un déclenche le processus.
Le président: Pensez-vous que cela marcherait vraiment?
M. Rosen: Nous sommes actuellement témoins de ce que j'appellerai des violations flagrantes et un contournement de règles trop laxistes. Nous avons donc intérêt à agir. Vous pourrez poser la même question à d'autres témoins que vous convoquerez.
Il y a trente ans ce mois-ci, l'Institut canadien des comptables agréés a publié une étude que j'avais réalisée sur les différents moyens de remplacer le coût historique. Au cours des 30 dernières années, il ne s'est pas fait grand-chose pour améliorer les règles. Je suis peut-être trop cynique quant aux chances d'améliorer quoi que ce soit tant que le pouvoir est entre les mains de gens qui agissent simultanément comme comptables et comme vérificateurs. Il faut essayer quelque chose de différent.
Le sénateur Hervieux-Payette: Je ne suis pas la comptable de la famille, mais j'en ai un dans la famille. Chaque année, j'assiste aux conférences de l'Association fiscale internationale. On nous y parle de protocoles internationaux permettant de comprendre les états financiers, que l'on soit en Australie, en France, au Canada ou aux États-Unis.
N'allons-nous pas nous pénaliser nous-mêmes en prenant une certaine direction tandis que le reste du monde en prend une autre? Qu'en dirait l'OCDE? Qui devrait montrer la voie? Allons-nous pénaliser nos entreprises? Le Canada a toujours tendance à être plus catholique que le pape.
M. Rosen: Pas dans ce domaine, loin de là.
Le sénateur Hervieux-Payette: Nous voyons cela sur la scène internationale, dans d'autres domaines. Nous sommes parfois les seuls à croire à une nouvelle structure et à de nouvelles règles qui, en définitive, ne sont pas nécessairement dans l'intérêt de tout le monde.
À mon avis, il serait préférable qu'au moins les pays du G-7 ou de l'OCDE progressent ensemble dans ce domaine. Ainsi, nous ne serions pas le seul pays à agir et nous éviterions de nous isoler des autres.
M. Rosen: Les éléments de preuve que j'ai essayé de vous présenter et qui se trouvent dans la documentation montrent bien que le Canada est loin derrière. Permettez-moi de vous donner un exemple simple.
Vous pouvez avoir du matériel et de l'équipement et les faire figurer sur votre bilan au coup d'origine. Au Canada, le montant peut rester là jusqu'à ce qu'on sache que la valeur a considérablement baissé, et ce, pendant plusieurs années successives. Vous pouvez donc laisser sur votre bilan des éléments d'actif — terrains, bâtiments, équipement, et cetera — qui ne valent plus grand-chose.
Les Américains, eux, disent qu'il faut réexaminer cet actif à intervalles plus courts et le radier s'il y a lieu. Quant aux Européens, ils exigent non seulement de réexaminer l'actif, mais aussi de tenir compte des taux d'intérêt.
C'est un peu comme une obligation. Vous dépensez 1 000 $ aujourd'hui pour une obligation portant intérêt à 10 p. 100. Dans quelques années, elle vaudra 50 p. 100 de plus. Les pays européens estiment que si une entreprise actualise son capital selon les règles américaines, elle doit inscrire une moins-value. Le Canada est tellement loin derrière tout le monde dans ce domaine. Nous ne sommes en avance sur personne.
Le facteur que vous mentionnez est l'une des raisons pour lesquelles je préconise la formation d'un groupe indépendant. Ce groupe pourrait prendre contact avec les groupes comptables internationaux pour se renseigner sur ce qu'ils font et se renseigner sur ce que font les Américains. Nous devrons faire un choix: soit nous suivons les groupes internationaux, soit nous suivons les Américains.
Nous sommes très, très loin de mener à cet égard. Nous sommes en fait très loin derrière les autres. Encore une fois, il vous suffit de jeter un coup d'oeil à ces nombres que nous produisons. Avec cela, il est tellement facile de monter des combines à la Ponzi au Canada que c'en est tout simplement déprimant.
Le sénateur Hervieux-Payette: L'analogie qui vient à l'esprit est celle des règles comptables et du système bancaire du Japon. J'ai toujours eu l'impression que l'un des grands problèmes des Japonais résidait dans leur façon de présenter leurs rapports. Ils sont en train de le payer cher maintenant. Dans notre cas, en agissant maintenant, nous pouvons probablement éviter d'avoir à payer cher plus tard.
M. Rosen: Si vous voulez bien jeter un coup d'oeil au premier groupe de documents qui a été distribué, vous trouverez vers le milieu une section qui explique pourquoi il est maintenant temps d'agir. C'est précisément pour les raisons que vous mentionnez. La communauté internationale est en train d'exercer des pressions sur nous. Les États- Unis aussi.
Les vérificateurs canadiens admettent dans leurs propres études qu'ils sont dans une situation unique au monde. Ils sont les seuls à jouir de droits aussi bien en comptabilité qu'en vérification. Personne d'autre ne cumule les deux. Cela nous place loin derrière le reste du monde, du point de vue de l'indépendance. Comment peut-on vérifier ses propres règles quand on a établi des règles laxistes?
Les vérificateurs ont dit qu'ils n'ont pas à protéger les investisseurs. À cet égard, ils contredisent les dispositions de la Loi canadienne sur les sociétés par actions. Nous en sommes arrivés au point où il est indispensable de faire quelque chose tout de suite. Vous aurez la possibilité de lire cela plus tard, mais il y a de bonnes raisons d'agir maintenant, c'est- à-dire cette année-ci ou la prochaine, si possible.
Le sénateur Kroft: Pourquoi la situation est-elle si grave? Si nous acceptons tout ce que vous nous avez dit — et vous l'avez fait d'une façon très persuasive... Le Canada n'est pas un pays où l'on se soucie peu des normes. Comme pays, nous avons tendance à être soigneux et assez conservateurs. Pourquoi, à votre avis, sommes-nous tombés si bas au- dessous de la norme qui semble acceptable?
M. Rosen: J'ai travaillé 20 ans pour deux des quatre grands cabinets d'experts-comptables qui restent. C'était vraiment très clair pour moi lors de la récession de 1980-1981. Le mot d'ordre avait alors circulé: «Il nous faut plus d'honoraires!» Comme résultat, nous avons eu une forte croissance des services consultatifs, de la planification fiscale et de tout le reste. Il fallait vendre, vendre et vendre. Je crois que cela est bien établi. Depuis que le scandale Enron a éclaté, beaucoup de partenaires de cabinets le disent.
Nous avons constaté au Canada que les cabinets s'intéressaient de moins en moins à payer des recherches. J'étais l'un des premiers titulaires d'un doctorat à travailler pour une entreprise publique d'experts-comptables du pays. Il est devenu moins important d'engager des gens ayant ce genre de bagage. Il valait mieux accumuler les honoraires et consacrer moins d'efforts à la recherche.
Il suffit de suivre les règles du manuel de l'ICCA. Et vous constaterez que ces règles deviennent de plus en plus faibles.
Le sénateur Kroft: Nous avons la même situation macroéconomique qu'aux États-Unis. Je ne sas pas comment les grands cabinets établissent leur discipline et leurs normes internes des deux côtés de la frontière. N'y a-t-il pas des critères communs?
M. Rosen: Non, pas en ce moment. J'ai dit à quelques-uns des partenaires qu'ils ne dirigeaient plus rien maintenant parce que tous les ordres viennent des États-Unis. La plupart en conviendront en privé. D'autres diront que ce n'est pas vrai.
Peu d'efforts sont consacrés à ces normes. Pensons-y. En 1997, la décision rendue dans l'affaire Hercules Management c. Ernst and Young établissait que les vérificateurs ne peuvent pas être poursuivis par des investisseurs privés. Ce principe est affiché partout maintenant. Je l'entends constamment. Les choses n'ont fait qu'empirer dans les cinq dernières années. «Vous ne pouvez pas nous poursuivre à moins qu'il ne s'agisse d'un prospectus». C'est la situation de Victoria Mortgage.
Qui s'aviserait de faire le tour du pays pour dire aux administrateurs, aux dirigeants et aux vérificateurs de cesser de faire ce qu'ils font? Nous n'avons que des commissions des valeurs mobilières éparpillées. Vous n'avez qu'à examiner le nombre de poursuites. Il y a eu Livent en Ontario, et bien peu d'autres. J'ai travaillé avec la Commission pendant 15 ans sur l'affaire Calgroup Graphics. Il n'y a pas tant de procès que cela. S'il y en avait cinq par an, je serais peut-être satisfait.
J'ai lu les discours de David Brown. Sur le plan des principes, je ne suis pas en désaccord avec lui, mais je m'oppose au manque de mise en vigueur de la réglementation. Si la même chose s'applique dans tout le pays, s'il n'y a pas de mise en vigueur, c'est l'équivalent de l'article 44 pour chacune des provinces. Qui aurait intérêt à agir?
Le sénateur Kroft: La fragmentation des autorités de contrôle des valeurs mobilières préoccupe le comité depuis un certain temps. Nous l'avons au moins signalé depuis longtemps. Il est également décevant de constater que rien n'en a résulté. Croyez-vous que cette question particulière contribue sérieusement au problème?
M. Rosen: C'est un problème très grave, à mon avis. Sans mise en vigueur de la réglementation, sans l'imposition de sanctions, les associations provinciales de comptables agréés ne disciplinent pas leurs membres. Les autres associations de comptables ont déjà bien peu de discipline. Pour votre gouverne, je suis le principal évaluateur des litiges mettant en cause les petits cabinets de comptables agréés. La plupart des cas me sont soumis personnellement. Je les examine et je décide s'il vaut la peine d'aller en cour ou s'il est préférable de trouver un règlement à l'amiable. La plupart du temps, j'opte pour le règlement à l'amiable parce que ces choses sont très difficiles à défendre devant les tribunaux. En un sens, cela me dérange que d'autres gens ne voient pas les choses du même oeil.
Le sénateur Furey: Dans quelle proportion des cas avons-nous affaire à de la simple négligence par opposition à un conflit d'intérêts? Il y aurait conflit, par exemple, si le cabinet de comptables donne des conseils sur des questions extérieures.
M. Rosen: Il est parfois très difficile de faire la distinction. L'un des problèmes des polices d'assurance, c'est que si on prouve qu'il y a fraude, l'assurance n'est plus valide. Nous n'allons que jusqu'à un certain point. Même quand nous avons des preuves solides, nous laissons tomber. Nous n'abordons pas vraiment les causes et les effets. Votre question est donc très intéressante.
Le sénateur Furey: Beaucoup de cabinets font encore du travail de consultation pour les sociétés clientes même s'ils se retrouvent ainsi dans une situation de conflit d'intérêts. Est-ce qu'ils enfreignent ainsi les règles générales de leur police d'assurance?
M. Rosen: C'est possible, mais les polices contiennent une clause dite du «partenaire de bonne foi». S'il s'agit d'un partenariat de bonne foi, le cabinet reste couvert.
Le sénateur Furey: Que pensez-vous des cabinets qui font du travail de consultation?
M. Rosen: J'ai vu trop de cas où ce travail influe sur la qualité de la vérification. Ce n'est pas ce que je croyais il y a dix ans. J'en suis maintenant au point où je crois que le travail fiscal crée trop de conflits, mais il est certain que le cumul de la comptabilité et de la vérification constitue un conflit majeur.
Je vais vous donner un exemple. Au sujet des opérations entre personnes apparentées, qui deviennent de plus en plus courantes dans notre pays, les règles comptables et de vérification sont tellement faibles qu'elles permettent toutes sortes de transactions. Ni les unes ni les autres n'imposent de mesurer la juste valeur marchande et de comparer au prix auquel l'opération s'est faite. Il n'y a que très peu d'exceptions. Ainsi, sur les états financiers, on ne voit jamais de notes disant: «À cause de liens de parenté, nous avons obtenu tel ou tel article à 10 p. 100 de sa valeur marchande.»
À mesure que nous croissons, que nous obtenons du nouveau financement et de nouvelles opérations, la comptabilité doit croître en conséquence, mais ce n'est pas le cas. Par conséquent, tout ce secteur est très faible, et il devient indispensable de faire quelque chose. C'est là qu'intervient l'organisme indépendant dont j'ai parlé.
Le sénateur Kroft: J'espère que vous ne prendrez pas ma prochaine question en mauvaise part.
M. Rosen: Essayez toujours. N'oubliez pas que j'ai enseigné pendant des années.
Le sénateur Kroft: Je voudrais vous demander de comparer votre cercle d'amis à ce qu'il était il y a 20 ans. Plus particulièrement, comment ont évolué vos relations professionnelles? Que disent de vous les cabinets d'experts- comptables quand vous participez à des réunions? J'essaie tout simplement de vous placer en contexte. J'espère que vous comprenez où je veux en venir.
M. Rosen: D'une façon générale, lorsque je rencontre un collègue en privé, on me dit: «Je suis d'accord sur 90 p. 100 de ce que vous dites.» Toutefois, quand je m'entretiens avec des groupes, on me traite comme un pestiféré et on m'évite. C'est un schéma qui s'est développé depuis des années déjà. Je me suis rendu compte depuis longtemps que c'est une question importante, et je ne m'en fais plus. Il y a un prix à payer quand on fait certaines choses.
J'ai payé ce prix la semaine dernière. Je ne voulais pas comparaître devant le comité consultatif qui supervise le groupe chargé des normes comptables, mais certaines personnes qui devaient assister à la réunion m'ont demandé de venir. J'ai donc prononcé mon discours. Tous les micros avaient été débranchés, les gens s'étiraient sur leur siège et ainsi de suite. Je m'y attendais, et c'est bien ce qui s'est produit. Cela ne m'a pas dérangé outre mesure, parce que je savais que ce groupe avait déjà décidé que les normes comptables devaient continuer à relever de l'ICCA.
Soit dit en passant, cela s'applique à beaucoup des groupes qui se sont formés après le scandale Enron. Il est essentiel de considérer chacun et de se demander: quel est le mandat de ce groupe? Qui en fait partie? Qui, parmi les membres, a des opinions arrêtées? Et qui est ouvert à d'autres possibilités? En ce moment, je ne connais aucun groupe du Canada qui soit vraiment ouvert au changement et qui soit prêt à envisager des mesures globales. Les groupes qui existent tendent à étudier un petit secteur dans lequel ils vont modifier tel point ou tel autre, sans apporter en définitive des changements vraiment importants. C'est un schéma que je n'ai vu que trop souvent.
Ou est-ce que je me situe? Je n'ai pas trop de difficultés lorsque je m'entretiens en privé avec les gens, mais la situation est différente lorsqu'il y a des groupes.
Le sénateur Kroft: Ils organisent la résistance.
M. Rosen: Oui.
Le président: Avez-vous des conseils à donner au comité? Vous êtes notre premier témoin dans une étude qui durera probablement quatre mois. Au terme de cette période, nous voudrons bien sûr formuler des recommandations concrètes. Je ne sais pas du tout dans quelle direction l'étude s'orientera. Pouvez-vous nous donner une idée de l'approche que nous devrions adopter, à votre avis, et du but que nous devrions chercher à atteindre?
M. Rosen: J'ai essayé de vous présenter mes preuves aujourd'hui dans la documentation qui a été distribuée. Si je ne vous ai pas convaincus, dites-le-moi, et je m'efforcerai de réunir davantage d'information. Il y a tant de gens qui racontent aux médias des histoires qui ne correspond pas du tout aux faits. Je peux réunir des renseignements sur les vérifications mal faites, sur la comptabilité mal faite, sur la composition des comités, et cetera. Je crois qu'il faut traiter la question comme si nous étions devant un tribunal, toujours avec des preuves à l'appui.
Il n'y a pas de doute que le comité devrait essayer de placer la comptabilité dans un groupe distinct, comme aux États-Unis. Pourquoi le Canada devrait-il se distinguer à cet égard?
Votre comité devrait faire ce qu'il peut pour convaincre le maximum de gens que nous avons besoin d'une commission nationale des valeurs mobilières ou de l'équivalent, ou qu'il importe d'examiner les sociétés fédérales et peut-être de les réunir avec celles de certaines provinces.
Le point essentiel à établir pour le moment, c'est qu'il n'existe au Canada pratiquement aucune protection pour les investisseurs, malgré les discours et malgré les personnalités qui affirment: «Nous ferons ceci et nous ferons cela.» Allez donc relire les discours que ces personnalités ont prononcés il y a deux ans ou deux ans et demi. Il n'y a rien de différent.
Je ne crois pas qu'il soit difficile de modifier l'article 44 du règlement. Il suffit de former ce nouveau groupe, qui ralliera beaucoup d'appuis tout simplement parce qu'il est national ou fédéral et qu'il comprend certaines personnes parmi ses membres. La semaine dernière, on m'a demandé comment je choisirais les membres de ce nouveau groupe. Je crois que beaucoup de Canadiens peuvent en faire partie. Certains soutiennent que seuls des comptables devraient y siéger. Je rejette complètement cet argument. Comment faire alors?
Le sénateur Oliver: Vous aurez besoin de quelques avocats.
Le président: Le sénateur Oliver est avocat, vous l'aurez sûrement deviné.
M. Rosen: J'ai constamment affaire à des avocats.
Quant à la composition du groupe, il faudrait certainement un représentant du BSIF et un autre de la Direction générale des corporations... je ne suis pas sûr du titre. On aurait également besoin d'un universitaire et de plusieurs représentants de la communauté financière. Les comptables et les vérificateurs ne devraient pas former plus de 20 à 25 p. 100 des membres. Nous avons désespérément besoin de changement. Nous n'en aurons pas si la composition du groupe n'est pas différente.
Je suis très troublé par la question de la Commission des valeurs mobilières. Je trouve que les administrateurs se réunissent un peu trop souvent.
Permettez-moi de revenir à l'affaire Kripps, par exemple. Il est important d'y donner suite. Après avoir pris connaissance des témoignages donnés devant les tribunaux inférieurs, la Cour suprême du Canada a entendu des représentants de l'Institut canadien des comptables agréés et du cabinet de vérificateurs, qui sont venus dire que les investisseurs privés n'avaient pas à se servir des états financiers pour prendre des décisions d'investissement. Cette assertion est tout à fait contraire à leurs propres règles ainsi qu'aux dispositions de la Loi canadienne sur les sociétés par actions. Comment peut-on avoir laissé cette décision pendant cinq ans sans la contester? Je croyais que, dans l'année suivante, chacune des provinces aurait déclaré, par l'entremise de sa commission des valeurs mobilières, que la situation était intolérable parce que les investisseurs ne jouissent d'aucune protection. Les vérificateurs qui, d'après les lois du pays, doivent vérifier pour le compte des actionnaires ont abandonné ces derniers. Et rien n'a encore été fait.
Le sénateur Tkachuk: Pour qui les vérificateurs estiment-ils qu'ils travaillent?
M. Rosen: Ils soutiennent que c'est pour l'ensemble du groupe qu'ils évaluent les administrateurs et les dirigeants. C'est à cet égard, je regrette de le dire, que la Cour suprême du Canada s'est montrée extrêmement naïve, car qui est-ce qui choisit au départ les principes et les politiques comptables? Ce sont évidemment les administrateurs et les dirigeants. Quel administrateur, quel dirigeant choisirait une politique qui pourrait lui nuire? C'est tout simplement absurde.
Pourtant, rien ne s'est produit depuis cinq ans. C'est pour moi le fait le plus alarmant parce qu'il prouve que quelque chose ne va pas dans les commissions des valeurs mobilières. Sont-elles tout simplement trop proches des comptables et des vérificateurs du Canada?
Le président: En considérant cela en rétrospective, on voit ici qu'il y a deux ans, Nortel s'attendait à une augmentation de 40 p. 100 de ses revenus. Roth vous critiquait, mais vous aviez parfaitement raison. Aurait-il été possible de prévenir ce que Greenspan a appelé l'exubérance irrationnelle si nous avions de meilleures règles comptables? J'ai l'impression que les facteurs en jeu vont nettement au-delà de la comptabilité.
M. Rosen: Tout à fait. Beaucoup de facteurs influent sur le cours d'une action. Mais je me pose la question suivante: pourquoi le Canada devrait-il se désavantager lui-même et désavantager du même coup les Canadiens ordinaires?
Le président: Je n'en disconviens pas, mais je me demande jusqu'où nous devrions aller. Nous aimerions aborder la question des options d'achat d'actions et des formules de rémunération. Nous aimerions parler de la responsabilité des avocats. Personne n'a abordé ce sujet dans l'affaire Enron. Il est évident que les avocats ont fait des erreurs grossières. Je ne sais pas comment nous pourrions étudier cet aspect.
M. Rosen: Tout ce que vous pouvez faire, je crois, c'est dire dans votre rapport final, je devrais peut-être dire votre rapport préliminaire: «Voici les questions à aborder dans la prochaine étape». Je crois que je me soucierai d'abord des choses simples que le comité peut réaliser. Pourquoi ne pas en finir avec ces petites choses, puis revenir ultérieurement pour étudier les autres facteurs?
Il est évident que vous devez examiner sérieusement l'aspect des ventes. En ce qui concerne les banques, il n'y a pas de doute que nous avons besoin d'établir plus d'un système comptable. Il est également important de considérer les liquidités et de s'occuper des intérêts des investisseurs. Toutefois, cela peut venir plus tard. Il serait impossible d'établir un groupe de réglementation composé de huit ou neuf personnes. Il est indispensable de former des sous-comités chargés des questions spécialisées.
Bien peu de gens comprennent la titrisation, les instruments financiers et le reste, même s'ils sont CGA, CA ou autre. C'est un domaine très complexe. Je ne pense pas que le comité puisse s'occuper de tout cela dans le délai dont il dispose. Il peut cependant utiliser ce délai pour apporter quelques changements de base, comme la modification du Règlement sur les sociétés par actions de régime fédéral.
Le président: Pourriez-vous utiliser les cinq dernières minutes pour nous expliquer les dangers que certains d'entre nous voient dans le marché des instruments dérivés?
M. Rosen: Je vais probablement perdre la plupart d'entre vous. C'est un domaine complètement fou. Dans un marché d'instruments dérivés, les effets sont multiples. Considérons par exemple la vente à découvert. Si une action est en train de grimper et que vous l'avez vendue à découvert, vous aurez subi une énorme perte. Si vous avez acheté un contrat d'option de vente ou un contrat d'option d'achat, vous ne risquez que le montant que vous avez payé, quel qu'il soit.
Le marché des instruments dérivés grossit démesurément les gains ou les pertes de la société, à moins qu'elle ne se soit mise à l'abri autrement.
Pour revenir aux états financiers, on ne peut pas dire en regardant les rapports annuels quel volume d'activité il y a eu sur le plan des instruments dérivés pendant la période considérée. Une société peut simplement disparaître à cause du risque qu'elle a pris dans cette période ou même dans un seul trimestre. Les enjeux sont énormes.
Le président: Est-ce qu'une banque canadienne doit indiquer, dans une note ou ailleurs, dans quelle mesure elle a été exposée au marché des instruments dérivés?
M. Rosen: Pas autant qu'elle devrait. Il y a certaines exigences au sujet de l'inscription de ces instruments à la valeur marchande.
Le président: C'est un peu comme le fait d'être enceinte un peu ou beaucoup. On l'est ou on ne l'est pas.
M. Rosen: Vous avez bien résumé les règles comptables canadiennes. La plupart du temps, elles ne disent pas de faire ceci ou cela. C'est justement là que réside le problème.
Les gens parlent de la latitude qui existe au Canada et du fait que les règles sont plus strictes aux États-Unis. On a parfois besoin de règles strictes. Toutefois, il n'y a aucun moyen, après la publication des états financiers, de connaître le nombre d'opérations que ces sociétés ont effectuées. La seule chose qu'on puisse exiger — et ce serait difficile pour le comité —, c'est un rapport hebdomadaire, diffusé dans le cadre d'un communiqué de presse, sur les opérations relatives à des instruments dérivés particuliers. Mais vous n'obtiendrez jamais cela.
Le président: Croyez-vous que les sociétés elles-mêmes savent où elles en sont?
M. Rosen: Elles ont intérêt à le savoir.
Le président: Je sais bien qu'elles ont intérêt à le savoir, mais le savent-elles?
M. Rosen: Non, j'ai eu connaissance de cas où elles ne le savaient pas.
Le président: C'est ce que je pensais, mais je ne peux pas en être sûr.
M. Rosen: J'ai eu connaissance de plusieurs cas où de très grosses sociétés cotées à la Bourse de Toronto n'avaient pas la moindre idée de ce qui se passait, en dépit du fait qu'elles avaient subi des pertes de plusieurs millions de dollars.
Le président: Accepteriez-vous de revenir nous voir?
M. Rosen: Bien sûr. Vous savez, je crois, que je serai critiqué. J'aimerais bien en fait voir les arguments qu'on m'opposera pour pouvoir réunir des preuves établissant qu'ils ne concordent pas avec les faits.
Le président: Ce serait vraiment très utile. Je trouve extrêmement intéressant de vous écouter. J'espère que les attaques dirigées contre vous ne seront pas trop virulentes. Nous serons également attaqués, mais cela fait partie de notre travail.
M. Rosen: Je suis souvent soumis à des contre-interrogatoires quand je me présente au tribunal. J'y suis habitué.
Le président: Nous vous remercions d'être venu, monsieur Rosen.
La séance est levée.