Aller au contenu
BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie


Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 43 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 29 mai 2002

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 15h40 pour examiner, afin d'en faire rapport, la situation actuelle du régime financier canadien et international.

Le sénateur E. Leo Kolber (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Nous nous sommes réunis aujourd'hui pour examiner ce que nous appelons l'«Enronite». Nous accueillons deux témoins. Le premier est M.Danien Thornton de l'Université Queen's. Bonjour, monsieur Thornton.

M. Daniel Thornton, professeur, université Queen's: Honorables sénateurs, je suis très heureux d'avoir l'occasion d'aborder aujourd'hui le sujet de la qualité de l'information financière. Je résumerai d'abord les opinions que j'ai exprimées dans un mémoire antérieur. J'aborderai en outre diverses questions qui, d'après votre conseiller principal en matière de politiques, pourraient vous intéresser.

La chaîne de la qualité de l'information financière est constituée de plusieurs maillons qui ont été forgés dans le contexte d'un marché international axé sur la concurrence. Une surveillance réglementaire vigoureuse —qui relève probablement de vos attributions— est un important facteur médiateur. Cependant, je me permets de signaler que la surveillance réglementaire peut seulement tremper l'acier d'une chaîne qui est déjà solide. Il ne peut pas en forger une neuve. Si les renseignements sont inadéquats ou si d'autres maillons de la chaîne sont faibles, celle-ci ne sera pas en mesure de produire de l'information financière de qualité.

Je me propose d'examiner d'abord divers documents d'étude sur la comptabilité portant sur l'établissement des prix en matière de vérification et des principes comptables dans le contexte de marchés concurrentiels. Le thème de ces observations est que la vérification et la comptabilité sont des créations de la société qui sont soumises à la loi de l'offre et de la demande. Les règles dont il sera question sont essentiellement le produit de l'interaction des personnes qui fournissent volontairement des renseignements comptables et des personnes qui les achètent de leur plein gré.

Sur des marchés qui fonctionnent bien, les investisseurs se protègent par le biais des prix. C'est un principe fondamental qui se dégage des études universitaires. Ce que l'on entend par là, c'est que les investisseurs exigent des taux d'intérêt ou de rendement plus élevés des entreprises dont les rapports financiers sont moins crédibles. Par conséquent, les entreprises assument volontairement les frais de publication d'états financiers vérifiés parce que les avantages d'une telle pratique sont supérieurs aux coûts. Dans ce type de marché, les vérificateurs jouissant d'une excellente réputation exigent des honoraires plus élevés. Ils savent qu'ils courent de gros risques si leurs clients publient de l'information financière trompeuse. Ils savent qu'ils peuvent faire l'objet de poursuites. Ils doivent acheter une assurance-responsabilité. Les risques sont élevés

Dès lors, des honoraires élevés sont généralement synonymes de qualité de la vérification parce qu'ils doivent inclure le coût de l'assurance-responsabilité lorsque les vérificateurs expriment une opinion sur les états financiers.

Le président: Vous dites que les taux de rendement sont élevés lorsqu'il s'agit d'entreprises dont les rapports financiers sont moins crédibles. Pourriez-vous expliquer comment un investisseur sait qu'un rapport est moins crédible?

M. Thornton: D'après les études universitaires, le principal signe de qualité des rapports financiers est la vigueur du signal de vérification et du comité de vérification. Au cours des dernières années, cette mesure a été complétée par d'autres méthodes d'évaluation de la qualité de l'information financière que je compte mentionner dans les diapositives suivantes.

Sur les marchés qui fonctionnent bien, les entreprises exigent spontanément la présence d'une institution centrale qui établit généralement les principes comptables reconnus. Elles les mettent en application spontanément et appuient cette institution. Dans un tel marché, il n'est pas nécessaire d'interdire aux vérificateurs de toucher des honoraires non liés à la vérification. Si l'entreprise veut faire savoir au marché que la qualité de ses rapports financiers est élevée, elle décidera d'elle-même de payer les frais supplémentaires qu'entraînent des vérifications faites en toute indépendance des services d'experts-conseils qui compromettent l'indépendance des vérificateurs. C'est la décision qu'ont prise au cours des dernières semaines deux des principales banques canadiennes: la CIBC et la Banque Toronto-Dominion.

Les marchés ne sont jamais parfaits. Le marché de la vérification a sa part de lacunes. D'aucuns prétendent que la vérification est un oligopole, étant donné que la vérification des états financiers de la plupart des grandes multinationales est faite par un nombre restreint de cabinets de vérificateurs. Cependant, on a eu de la difficulté à confirmer cette allégation dans le cadre d'études universitaires, notamment en raison de la difficulté de faire une évaluation quantitative du service. On éprouve en outre de la difficulté à faire la différence entre les profits dus à un oligopole des honoraires plus élevés exigés par les vérificateurs pour des services de qualité supérieure et une couverture mondiale.

Certaines personnes prétendent par ailleurs que les partenariats à responsabilité limitée ont émoussé la qualité des signaux sur notre marché. Dans les ouvrages économiques, la responsabilité limitée est considérée comme un succédané de l'assurance-responsabilité. Cependant, ce n'est qu'un succédané imparfait étant donné que les actions des cabinets de vérificateurs ne sont pas échangées sur des marchés concurrentiels et que les vérificateurs ne sont peut-être pas aussi conscients des coûts de la responsabilité qu'à l'époque où ils devaient acheter de l'assurance-responsabilité et étaient solidairement responsables. Cette allégation a été faite également et certaines personnes la confirment alors que d'autres en nient la validité.

J'estime cependant que la plus grave lacune est un problème d'information. La plupart des investisseurs ne comprennent pas la nature des activités des vérificateurs et de nombreux dirigeants d'entreprises —sauf peut-être depuis quelques semaines ou quelques mois— ne comprennent pas l'importance d'une bonne vérification. Par conséquent, les cabinets de vérificateurs ont dû avoir recours à ce que l'on appelle dans les études universitaires «low- balling», autrement dit «fausser leurs honoraires à la baisse». Ils ont dû utiliser la vérification comme produit d'appel pour attirer des commandes concernant d'autres services sur lesquels ils pouvaient faire davantage de profits.

La qualité des comptables débutant dans la profession était en outre soumise à diverses pressions. Si les honoraires de vérification n'étaient pas élevés et que d'autres services comme des services fiscaux, des services de consultation en gestion et des services d'information étaient ceux qui permettaient d'exiger des honoraires plus élevés, de réaliser de plus gros bénéfices et de se valoir le respect au sein du cabinet, les étudiants les plus doués ne voulaient pas devenir vérificateurs. On le constate déjà depuis quelques années à l'université Queen's où les étudiants les plus brillants de la faculté d'administration ne s'orientent pas vers la comptabilité.

En outre, depuis une dizaine d'années environ, le secteur des services financiers a une longueur d'avance sur celui de la comptabilité dans la mise au point d'instruments et de transactions sophistiqués. Comme l'indiqueront des diapositives que je projetterai plus tard, le processus d'établissement des principes comptables est très lourd; la réalisation d'un consensus dans les milieux d'affaires est un processus laborieux. Cependant, la conception d'instruments nouveaux ou sophistiqués ne prend que quelques minutes et peut être quasi instantanée. Notre objectif commun serait donc d'atteindre un niveau élevé de qualité dans la déclaration des renseignements financiers dans le contexte de ces marchés imparfaits.

Cette qualité est comparable à une chaîne faite de quatre maillons. Le premier est la gestion des incitations et des attitudes. À l'occasion de la débâcle d'Enron, nous avons pu constater que si des cadres intelligents s'appliquent à contourner les règlements, à gérer les résultats et à transférer subrepticement des comptes du bilan à des entités ayant un objet particulier, les trois autres maillons de la chaîne doivent être remarquablement vigoureux pour compenser cette faiblesse.

La qualité de la vérification est le deuxième maillon de la chaîne. Elle est généralement évaluée —du moins d'après les ouvrages de comptabilité— en fonction du pourcentage des honoraires facturés à un client par le vérificateur pour la vérification proprement dite par rapport à d'autres services. Les ouvrages spécialisés indiquent que les vérificateurs peuvent tenir tête à la direction de l'entreprise lorsqu'elle tente de contourner les règlements mais ils ont davantage de difficulté lorsque les principes comptables sont ambigus ou lorsque les chiffres qui figurent dans les états financiers sont estimatifs.

La compétence du comité de vérification est un autre maillon de la chaîne. Dans le mémoire que je vous ai envoyé, vous remarquerez que de nouvelles études passionnantes ont été faites au sujet de l'interaction des comités de vérification avec les vérificateurs et vous y trouverez les facteurs qui déterminent la qualité supérieure d'un tel comité. Elle dépend notamment de la fréquence des réunions du comité, des compétences de ses membres et de divers autres facteurs.

Le quatrième maillon de la chaîne, ce sont des normes comptables solides. C'est un domaine dans lequel j'ai de l'expérience. Il est très difficile d'établir des normes comptables parce que les principes comptables généralement reconnus doivent mériter le respect des milieux d'affaires. C'est pourquoi nous devons recueillir les opinions des gens d'affaires. Nous devons nous assurer que les personnes pour lesquelles nous établissons ces normes sont en mesure de les mettre en application. Dans la plupart des cas, c'est un processus laborieux. En outre, avec des normes comptables trop précises, la direction saurait peut-être comment contourner les règles et présenter son entreprise sous un jour favorable. Par conséquent, c'est un processus ardu.

C'est un processus qui se déroule dans un contexte international. Au Conseil des normes comptables, dont je suis membre, on a souvent l'impression d'avoir perdu la maîtrise de notre programme, de converger dans la plupart des cas vers les principes comptables américains. Nous convergeons vers des normes comptables internationales. Nous n'avons pas la latitude d'établir nous-mêmes notre programme. Nous sommes un instrument de forces internationales qui établissent des normes en fonction de nombreux facteurs, dans un contexte concurrentiel, et qui exigent l'intervention d'experts à toutes les étapes du processus.

J'ai dit que la surveillance réglementaire est un facteur médiateur. Je mentionnerai brièvement diverses expériences que j'ai eues l'année dernière à la Securities and Exchange Commission à Washington, D.C. Je considère la SEC comme le principal organisme de réglementation à l'échelle mondiale mais une réglementation de meilleure qualité et une surveillance plus efficace ne peuvent que tremper l'acier d'une chaîne qui est déjà solide. Elles ne peuvent pas forger le métal de la chaîne.

Je voudrais également parler de certains résultats mentionnés dans de récents ouvrages spécialisés en ce qui concerne la qualité de l'information financière et la gestion des résultats. Le thème est que les chiffres comptables qui figurent dans les états financiers des entreprises sont le produit de la vigueur des quatre maillons de cette chaîne et de la surveillance réglementaire. Ces ouvrages indiquent pour la première fois, en chiffres précis, qu'une meilleure qualité de l'information financière est avantageuse pour les entreprises et pour leurs actionnaires car elle réduit le coût du capital et fait par conséquent monter le prix des actions.

La démarche consiste généralement à déceler des indices de la qualité des résultats en examinant les chiffres dans divers pays du monde et en faisant des hypothèses sur les propriétés qu'auraient ces chiffres dans le contexte d'un processus de déclaration des renseignements financiers de haute ou de faible qualité. Par exemple, nous tentons d'établir ou évaluons le pourcentage des entreprises ayant des résultats positifs mais des mouvements de trésorerie négatifs. Vous serez peut-être étonnés d'apprendre que, dans les pays en développement, c'est un phénomène beaucoup plus fréquent qu'il n'est souhaitable,et certainement plus fréquent qu'au Canada. C'est peut-être une indication que ceux qui produisent ces chiffres les manipulent de façon à présenter leur entreprise sous son jour le plus favorable.

Ce n'est pas le genre de conclusion que l'on puisse tirer avec un certain degré de certitude en se basant sur une seule entreprise mais, quand on se base sur les états financiers de plusieurs milliers d'entreprises de divers pays, les propriétés statistiques d'une mesure comme celle-ci deviennent beaucoup plus convaincantes.

Le ratio produits à recevoir-valeur comptable— les produits à recevoir étant ce qui augmente le bénéfice sans figurer dans les mouvements de trésorerie— donne une autre indication. D'une façon générale, ce ratio est calculé par action.

Une autre indication est le ratio nombre d'entreprises déclarant des résultats positifs minimes —nombre d'entreprises d'un pays déclarant des résultats négatifs minimes. Le principe est que les petites pertes sont très néfastes pour les entreprises. La direction ne veut pas les déclarer. Elle fait le maximum pour que les chiffres correspondant aux résultats soient légèrement positifs. Ce ratio est dès lors un indice du recours à cette tactique.

Le président: Peut-on revenir à votre premier indice? Vous donnez l'impression —et c'est peut-être ce que vous voulez— que si les résultats positifs sont supérieurs aux mouvements de trésorerie, c'est nécessairement un mauvais indice.

M. Thornton: Ce ne l'est pas nécessairement en ce qui concerne une entreprise isolée et si c'est pour une seule année. Cela peut faire partie d'un plan stratégique à long terme. Cependant, si l'examen porte sur plusieurs centaines d'entreprises et que la situation est très fréquente, elle indique que c'est peut-être dû à une manipulation des résultats. Ce n'est pas nécessairement un indice significatif lorsqu'il s'agit d'une seule année et d'un cas isolé, je vous l'accorde.

Le dernier indice, ce sont les mesures exploratoires. Je n'en ai pris conscience que depuis quelques mois. Lorsque j'étais à l'Université de l'Iowa, le mois dernier, un des étudiants au niveau du doctorat tentait de déterminer si les soldes d'impôt reporté sont un indice de la manipulation des résultats. L'hypothèse sur laquelle il se fonde est que, toutes choses étant égales, les entreprises veulent paraître pauvres aux yeux du fisc et riches aux yeux des actionnaires. Par conséquent, elles ont tendance à réduire le plus possible leurs revenus imposables et à maximiser les revenus qu'elles déclarent aux actionnaires. En se basant sur un grand nombre d'entreprises, on constate que les entreprises ayant des soldes d'impôt reporté élevés auraient tendance, toutes choses étant égales par ailleurs, à être celles qui manipulent leurs résultats.

Quelles sont les preuves concrètes? Je voudrais mentionner brièvement les résultats d'une étude effectuée par mon collègue, Michael Welker, à l'université Queen's. Avec des collègues américains, il a examiné les deux premiers indices et les a confondus pour obtenir un score composite. Ils ont ajouté des variables de contrôle couvrant plus de 30pays pour tenter d'absorber toutes les autres incidences que la gestion des résultats ne saisissait pas et ils se sont posé la question suivante: quel est le coût de l'opacité des résultats? Quel est le coût de la gestion des résultats, selon cette méthode de mesure statistique? La réponse est qu'une augmentation de la qualité globale des résultats du 25erang- centile au 75erang-centile réduit le coût des capitaux propres de l'entreprise de 3p.100. C'est donc 300points de base, ce qui est énorme. Par conséquent, leur conclusion est que la qualité des renseignements financiers est rentable. J'en conclus que la qualité de la vérification est probablement une denrée sous-évaluée.

Ces comparaisons couvrant plusieurs pays sont très intéressantes, mais comment procéder pour évaluer la qualité des résultats et la qualité de l'information financière dans le même pays? D'après les observations que j'ai pu faire au cours des cinq dernières années, et plus particulièrement grâce aux expériences que j'ai eues aux États-Unis l'année dernière, à la SEC, je dirais que nous en sommes arrivés à la conclusion quasi unanime que la qualité de l'information financière est fondée sur au moins cinq critères essentiels. La plupart des personnes prétendent la remarquer au premier coup d'oeil mais, au cours des dernières années, diverses personnes ont essayé de déterminer les critères qui permettent de l'évaluer. Je voudrais les énumérer.

On s'accorde en outre généralement à considérer la qualité des résultats comme un sous-produit de la qualité de l'information financière; on estime par ailleurs que les comités de vérification doivent interpréter et appliquer ces principes et tenter de les instituer.

Quels sont les cinq attributs qui permettent de déterminer l'utilité de l'information financière ou qui font la qualité des résultats, qui font somme toute que la qualité des rapports financiers est élevée? Premièrement, l'information financière de haute qualité est aussi claire et simple que possible, étant donné que même les lecteurs les plus avertis décrochent mentalement quand elle est trop complexe. Einstein a dit que la science devait être aussi simple que possible, mais pas trop. Je pense que ce principe est en quelque sorte une adaptation de celui qui est appliqué dans le domaine des sciences physiques.

Deuxièmement, l'information financière de haute qualité révèle les résultats des divers segments de l'entreprise à travers les yeux de la direction. Les commentaires et analyse de la direction expliquent les raisons pour lesquelles les résultats sont positifs ou négatifs en ce qui concerne les divers segments au lieu de répéter simplement les chiffres.

Troisièmement, l'information financière de haute qualité est tournée vers l'avenir et est publiée à temps. La partie réservée aux commentaires et à l'analyse de la direction révèle tous les événements connus ou les incertitudes qui pourraient avoir une incidence sur les résultats ultérieurs.

Quatrièmement, l'information financière de haute qualité ne confond pas les opérations non récurrentes avec les recettes et dépenses courantes dans un seul et même poste et explique de façon convaincante pourquoi ces opérations sont non récurrentes. Tout analyste veut savoir quel type de multiple il doit attribuer à cet élément des résultats pour évaluer le prix ou la valeur intrinsèque d'une action.

Enfin, l'information financière de haute qualité identifie les actifs incorporels et les principaux indicateurs du rendement, y compris ceux que la comptabilité ne mentionne pas explicitement comme la qualité élevée de la main- d'oeuvre ou les brevets, dont la valeur marchande n'est pas mentionnée.

La qualité de la comptabilité ou la qualité des résultats est un sous-produit de tous ces facteurs. Dans les ouvrages spécialisés, on mentionne généralement qu'elle est liée à trois attributs: le premier est qu'elle adhère aux principes comptables généralement reconnus mais révèle en outre les mouvements de trésorerie en utilisant la méthode directe. Les investisseurs ont besoin d'obtenir des renseignements à ce sujet. Le deuxième est qu'une comptabilité de haute qualité est neutre. Elle n'insiste pas exagérément sur les recettes et n'a pas recours à des subterfuges pour présenter les résultats sous un jour plus favorable. Le troisième est qu'une comptabilité de haute qualité indique toutes les estimations faites par la direction sur lesquelles sont fondés les états financiers.

Je voudrais consacrer quelques minutes à la question de la surveillance réglementaire parce que je sais que c'est ce qui vous intéresse tout particulièrement. Je vous parlerai du séjour que j'ai fait l'année dernière à la SEC.

La SEC a, vous en êtes certainement conscients, le pouvoir statutaire de prescrire des principes comptables. La plupart des Canadiens sont étonnés d'apprendre que la SEC pense en outre avoir le pouvoir d'établir des normes de vérification. Elle exerce toutefois les pouvoirs qui lui sont conférés pour encourager et soutenir l'élaboration de normes de comptabilité et de vérification par des organes privés —principalement par la Financial Accounting Standards Board, qui est l'équivalent américain du Conseil des normes comptables canadien, dont je suis membre.

La SEC a le pouvoir d'établir des normes depuis longtemps, mais elle l'a délégué de sa propre initiative au secteur privé. À l'occasion, elle en a repris possession et établi des principes elle-même. D'une façon générale cependant, elle laisse le soin à la FASB de fixer les normes comptables. Si elle délègue ce pouvoir, la SEC n'en renonce pas pour autant à participer, bien au contraire. Le bureau du chef comptable de la SEC surveille les activités de la FASB de beaucoup plus près que n'importe quel organisme ne suit les normes comptables au Canada.

Sa Enforcement Division est active. En août2001, elle se préparait à intenter des poursuites au sujet de plus de 2000infractions aux règles, la plupart concernant l'information financière.

La SEC a un programme d'information complète. Chaque jour, des centaines de comptables professionnels et d'avocats de la Division of Corporate Finance contestent les pratiques des entreprises inscrites en matière de comptabilité et de divulgation de l'information. J'ai passé la plupart de mon temps dans cette division. La situation est difficile à décrire à quelqu'un qui n'a pas vu le siège de la SEC à Washington; c'est un édifice gigantesque. Deux mille personnes y travaillent. En outre, un millier de personnes travaillent au poste central des opérations qui se trouve en ville. Plusieurs centaines d'autres employés travaillent dans les diverses régions du pays. Toutes ces personnes appliquent les règlements et examinent les états financiers, assurant une rétroaction en temps réel au sein du système d'information financière.

Leurs enquêtes permettent de relever un nombre surprenant d'erreurs comptables, un nombre surprenant de lacunes en matière de divulgation et de nombreuses interprétations douteuses des principes énoncés dans les ouvrages spécialisés. Le but de l'opération est d'assurer une rétroaction en temps réel au sein du processus américain d'établissement des normes. Dans le contexte de leurs activités courantes, les organismes de réglementation américains sont plus dynamiques et plus influents que les organismes canadiens.

Il est important de signaler qu'aux États-Unis, la SEC est considérée comme une école où l'on a l'occasion de mettre en valeur ses dons et ses aptitudes. Plusieurs jeunes avocats et comptables des plus prometteurs considèrent un séjour à la division comme une garantie de réussite dans le secteur privé. Comme vous le savez probablement, l'actuel président de la SEC, Harvey Pitt, est passé par là. Il a ensuite exercé le droit dans le secteur privé et il est à nouveau dans cette division. Le passage du secteur privé au secteur public et vice versa est un phénomène courant. Ce mouvement perpétuel régénère la vigueur intellectuelle de cet organisme. La SEC alimente cet enthousiasme en organisant des séances hebdomadaires de formation sur des questions juridiques et comptables d'actualité et permet à son personnel de participer à des séminaires animés par quelques-uns des experts les plus renommés à l'échelle mondiale en matière de comptabilité et de finances. Le Bureau of Economic Analysis compte parmi son effectif davantage d'économistes titulaires d'un doctorat que la plupart des universités.

Je suis certain que vous avez déjà entendu parler de l'initiative du président Levitt concernant la gestion des résultats. Il a décidé de présider un groupe de travail chargé d'examiner les documents déposés par les sociétés inscrites pour y détecter des preuves de gestion des résultats. Son groupe de travail a décelé un nombre effarant d'irrégularités que j'appelle des «chevaux de Troie». Elles ont déjoué la méfiance de nombreux investisseurs. Pour tenter d'enrayer ce fléau, les cabinets de comptables ont remanié leurs directives internes et organisé des séances de formation spéciales pour leurs équipes de vérificateurs. Les problèmes de mise en oeuvre mis à jour par ce groupe de travail, se sont retrouvés à l'ordre du jour de plusieurs institutions comptables comme le Emerging Issues Task Force (groupe de travail sur les questions émergentes).

La SEC a publié des lignes directrices informelles à l'intention des sociétés inscrites et des vérificateurs dans les bulletins destinés au personnel. Vous avez peut-être entendu parler du Staff Accounting Bulletin no101 ou SAB101, qui porte sur la constatation des produits. Il a eu une incidence marquante sur les pratiques comptables aux États-Unis et a depuis peu une influence tout aussi grande au Canada.

Certaines des constatations faites à la suite des investigations du groupe de travail étaient tellement élémentaires qu'elles influencent les projets d'établissement de normes de la FASB.

On pourrait se demander pourquoi l'on n'adopte pas tout simplement au Canada les principes comptables généralement reconnus aux États-Unis si le système américain est plus efficace que le nôtre. Pourquoi a-t-on établi au Canada une Commission des normes comptables? La réponse est simple: on ne peut pas importer les principes américains au Canada aussi facilement qu'on importe de la viande de boeuf si l'infrastructure réglementaire nécessaire n'est pas en place.

J'ai mentionné brièvement le gigantisme d'une organisation comme la SEC. Nous n'avons pas le dixième de sa puissance au Canada. Les PCGR américains représentent une masse composée de normes et d'interprétations écrites, de pratiques de vérification faisant l'objet d'un vigoureux système de vérification et de rétroaction permanente de la part de la SEC. Je doute qu'aucune entreprise non inscrite à la SEC puisse prétendre sérieusement suivre les PCGR américains parce qu'elles ne font pas partie du système. C'est pourquoi un Conseil des normes comptables est nécessaire au Canada.

Je voudrais maintenant conclure mon exposé par un bref résumé et par quelques commentaires finaux.

J'ai mentionné que la qualité des rapports financiers nécessite une expertise et une intégrité au niveau des divers maillons de la chaîne, à savoir les incitations et les attitudes de la direction, la qualité de la vérification, la compétence du comité de vérification et des normes comptables vigoureuses.

J'ai en outre développé la thèse qu'une surveillance réglementaire efficace peut tremper l'acier dont est constituée la chaîne et l'améliorer mais ne peut pas la forger à partir de rien.

Enfin, je formulerai l'opinion suivante: les forces d'un marché non réglementé peuvent contribuer à une utilisation efficace des ressources spécialisées à condition que les participants comprennent la nature des services qu'ils paient, que ceux qui fixent les normes aient des ressources suffisantes et qu'un système de surveillance réglementaire vigoureux soit en place, de préférence à l'échelle nationale.

Le sénateur Angus: Je suis l'un des nombreux Canadiens à qui l'on a dit, au cours d'une période ou l'autre de leur vie, que la comptabilité est très austère et très ennuyeuse. Je dois reconnaître cependant que j'ai trouvé votre exposé et les documents que vous nous avez fait parvenir extrêmement intéressants. Je pourrais faire bien d'autres commentaires à ce sujet, mais je m'efforcerai de me concentrer sur les leçons à tirer de la débâcle d'Enron.

Êtes-vous comptable, monsieur?

M. Thornton: Oui.

Le sénateur Angus: Êtes-vous un comptable agréé?

M. Thornton: Oui.

Le sénateur Angus: Quelle est la différence entre un CA et unCGA?

M. Thornton: En ce qui me concerne, la principale différence entre un CA et un CGA est que les CA se sont spécialisés en comptabilité financière. Je suis professeur de comptabilité générale. De nombreux CGA compétents s'y connaissent en comptabilité générale. Cependant, dans la plupart des cas, la comptabilité publique au Canada est faite par des CA et la plupart des personnes qui veulent se spécialiser dans ce domaine empruntent cette voie plutôt que d'autres.

Le sénateur Angus: J'ai posé cette question parce que nous allons accueillir des représentants de l'Association des CGA et des représentants de l'Institut canadien des comptables agréés (ICCA). Les CGA estiment qu'ils ne bénéficient pas de la même reconnaissance et des mêmes privilèges que les autres comptables et, dans notre environnement actuel, les différences entre les deux disciplines s'estompent. Vous avez probablement lu les commentaires faits par le directeur exécutif sur certaines des questions à l'étude.

Je suis très heureux que vous soyez un CA et que vous soyez membre du Conseil des normes parce que ça nous permet d'aborder ces questions de plein fouet. Vous avez dit que même si nous avions l'infrastructure nécessaire pour adopter un système analogue au système américain au Canada, vous trouvez que le système américain est supérieur au nôtre. Est-ce bien cela?

M. Thornton: Je crois que c'est le cas en matière de surveillance réglementaire.

Le sénateur Angus: S'agit-il des normes et de l'ensemble des principes comptables généralement reconnus aux États- Unis?

M. Thornton: Il ne faut pas oublier que c'est le système qui a enfanté Enron.

Le sénateur Angus: C'est précisément là que je voulais en venir. D'après vous et d'après d'autres experts, le système américain est supérieur au nôtre mais ils n'ont pas empêché la débâcle d'Enron. Au Canada, les entreprises transfrontalières se posent constamment la question suivante: faut-il établir les rapports financiers selon les PCGR américains ou selon les PCGR canadiens? Que faut-il faire lorsque les vérificateurs se présentent devant le comité de vérification? Ça fait des histoires à n'en plus finir. Je pense que le système est dysfonctionnel.

Si l'on veut faire des réformes et améliorer la réglementation canadienne, les normes et les principes afin de protéger les investisseurs —ce qui est, je suppose, le but final de l'opération—, quelle est la meilleure méthode à utiliser? J'ai toujours cru comprendre que la comptabilité est une profession autoréglementée, qui est dotée d'un organisme professionnel. Les examens de comptabilité sont préparés par des comptables et ce sont des comptables qui décident à qui accorder le statut de comptable agréé.

Pour en revenir à ma question, j'ai toujours été impressionné lorsqu'on me dit que l'on a un comptable qui est membre de l'ICCA car l'ICCA est une organisation respectable. J'ai toujours pensé que tout était régulier lorsque les états financiers d'une entreprise étaient précédés par une attestation indiquant que le vérificateur et que le cabinet de vérification concernés sont membres de cette association. Les investisseurs se basent là-dessus. Pourtant, vous insinuez que ce n'est pas nécessairement vrai.

Vous avez parlé des divers maillons de la chaîne et vous avez dit que la robustesse de celle-ci dépend de celle de ses divers maillons. Je crois cependant que si nous vous avions posé la question, ce que nous ferons peut-être, vous auriez dit que c'est la faiblesse de ses divers maillons qui font la faiblesse de la chaîne. Est-ce que ce serait une façon de s'exprimer aussi appropriée que la vôtre?

M. Thornton: Je le suppose.

Le sénateur Angus: Comme l'a mentionné notre président avant d'entamer cette étude, des lois, des normes et des règlements sont en place mais lorsqu'on n'en tient pas compte, on est témoin d'événements comme la débâcle d'Enron. La présence de la police n'empêche pas les cambriolages dans les banques. Les lois habituelles sont en place mais on a toujours dit qu'il n'était pas possible de légiférer en matière de moralité, entre autres choses.

Ne peut-on plus avoir confiance dans les lettres «CA»? N'est-ce plus une garantie suffisante? Voulez-vous dire que, contrairement aux banques, secteur où des plans de sécurité et des lois pénales peuvent être en place, dans ce secteur plutôt flou où le recours au jugement et l'établissement de normes sont nécessaires, on n'a pas le choix et il faut avoir confiance dans l'intégrité de ceux qui réglementent le secteur, c'est-à-dire les comptables eux-mêmes?

M. Thornton: Je voudrais faire trois commentaires à titre de réponse.

Le premier est que les études que j'ai mentionnées dans mon exposé indiquent que si un des maillons de la chaîne est faible, il est possible que les trois autres compensent cette faiblesse. Il y a une interaction. Les divers maillons ne sont pas indépendants les uns des autres. Cependant, lorsqu'un maillon est très faible, les trois autres doivent être beaucoup plus solides pour compenser la faiblesse du quatrième.

Je dirais que dans le cas d'Enron, les quatre maillons étaient faibles. C'est comme dans le film intitulé «The Perfect Storm» où tous les éléments convergent. Les attitudes et les valeurs de la direction n'étaient pas d'un niveau élevé. La vérification laissait manifestement à désirer. Le comité de vérification n'avait pas fait beaucoup d'efforts. On a appliqué des normes qui, il faut le reconnaître, doivent être améliorées; il faut prévoir des garanties et des entités spéciales. Les quatre maillons de la chaîne étaient faibles et dans ce cas, un organisme de surveillance comme la SEC éprouve de la difficulté à savoir ce qui se trame parce qu'il n'obtient pas de l'information de qualité.

En ce qui concerne les normes, étant donné que je suis membre du Conseil des normes comptables, je ne considère pas que j'établis des normes pour l'ICCA. En fait, le guide n'est pas préparé par l'ICCA, mais par le Conseil des normes comptables. J'estime que nous sommes entièrement indépendants de l'ICCA. S'il a quelque influence sur la façon dont je vote ou sur ma conception de la comptabilité, elle doit être subliminale parce que je n'en ai pas conscience.

Le Conseil des normes comptables a déjà compté des CGA parmi ses membres. Je ne pense pas que ce soit le cas actuellement mais il n'y a pas plus d'un an, le sous-vérificateur général du Québec était un de nos membres. Ce n'est pas un monopole des CA ni un cercle très fermé. Le Conseil de surveillance de la normalisation comptable tente de recruter des personnes qui ont des compétences techniques et un bagage de connaissances suffisant pour établir des normes. Le groupe professionnel auquel appartient l'individu n'a aucune importance si nous pensons que ce serait une bonne recrue.

Vous recevrez bientôt Tom Allen qui pourra le confirmer. Le Conseil de surveillance de la normalisation comptable dont il est président nomme des personnes comme moi. En fait, un de vos collègues, le sénateur Kirby, en est membre. Je ne pense pas qu'il y ait à ce niveau le moindre problème de monopole des comptables agréés.

Le sénateur Angus: Ce n'est pas ce que j'insinuais, bien au contraire. Je suis membre de la profession juridique qui est une profession autoréglementée. Cela m'a toujours fasciné.

Plusieurs de mes collègues sont allés au Royaume-Uni il y a quelques années pour faire une étude comparative de la surveillance dans le contexte des banques. On venait d'y établir la Financial Services Authority, la FSA. C'est un organisme chargé d'établir la réglementation en matière d'états financiers, de prospectus et d'autres données financières à déclarer que les comptables et les avocats sont censés observer. Nous avons trouvé cette initiative très insolite.

Je suis content que la profession juridique établisse ses propres normes. L'observation des règles de déontologie est constamment surveillée. Il y a effectivement quelques individus d'une moralité douteuse dans notre milieu.

Quant aux comités de vérification, ils se basent sur l'information qui leur a été fournie par la direction. S'il s'agit d'une grosse entreprise publique, les membres du comité de vérification ont beau être des experts, ils ne seront pas vraiment au courant de ses activités. Les vérificateurs rappellent constamment qu'il y a divers niveaux d'importance et ils se fient sur les états financiers, les engagements et les attestations de la direction et tentent d'en établir la véracité. Le premier commentaire que vous avez fait au sujet de l'intégrité de la direction est qu'elle est honnête ou pas.

Le point délicat en ce qui me concerne est la question de l'indépendance des vérificateurs et la question de savoir s'ils font preuve d'intégrité professionnelle, peu importe qu'ils offrent ou non des services consultatifs. Vous avez dépeint cette situation comme un conflit d'intérêts. S'ils ne sont pas indépendants parce qu'ils deviennent plus «coulants» avec la direction à propos de deux ou trois questions et parce qu'ils veulent toucher des honoraires sur l'installation d'un nouveau système informatique, ils sont en conflit d'intérêts. Je crois que personne n'en disconviendra.

Que pensez-vous au sujet du maintien de l'indépendance? La vérification est une denrée précieuse, je vous l'accorde. Peut-on toutefois compter sur l'intégrité des vérificateurs pour s'assurer qu'ils conservent leur indépendance et tiennent tête à la direction? Les comités de vérification ne devraient-ils pas être constamment à l'affût de toute infraction à cette règle?

M. Thornton: On peut certainement compter sur eux pour être à l'affût de ces irrégularités et tenter de tenir tête à la direction.

Dernièrement, à la suite de la publication du rapport du Blue Ribbon Committee américain, on a institué une nouvelle règle stipulant que le vérificateur doit rencontrer les membres du comité de vérification et leur donner ses opinions sur la qualité des rapports financiers —pas seulement sur l'acceptabilité de la comptabilité, mais sur son agressivité ou son caractère conservateur. Le fait de pouvoir se baser sur certains chiffres devrait contribuer dans une large mesure à compenser une certaine impuissance du comité de vérification.

Des infractions au code de la route sont commises tous les jours. Je l'ai mentionné dans mon mémoire. Des automobilistes font de l'excès de vitesse. Je suis certain que si l'on installait un pistolet-radar sur la401 pendant un an, on repérerait quelqu'un qui roule à 120milles à l'heure. Il y aura toujours des gens qui ont des comportements extrêmes. Quel pourcentage d'infractions peut-on tolérer? On ne mettra jamais un terme aux excès de vitesse. Il y aura toujours des automobilistes qui font de l'excès de vitesse. Il y aura toujours quelque par une Enron en puissance. Combien d'aberrations sont acceptables? Nous aimerions tous qu'il n'y en ait aucune, c'est certain.

La situation évolue d'une semaine à l'autre dans le milieu des affaires. Les économistes financiers proposent de nouveaux instruments financiers qui ne sont pas encore connus des comptables. La situation évolue constamment. On ne peut pas s'attendre à régler tous les problèmes une bonne fois pour toutes dans l'immédiat parce que tout évolue.

Il y aura toujours une Enron à l'état latent. La question est de savoir si les maillons de la chaîne sont suffisamment résistants pour circonscrire le monstre avant qu'il ne surgisse.

Le président: Lorsqu'il a témoigné devant le Congrès, il y a environ deux mois, Alan Greenspan a déclaré que, quand il exerçait dans le secteur privé, il avait été membre de plusieurs comités de vérification et qu'il ne savait pas quelles questions il fallait poser. Je pense qu'une telle déclaration donne matière à réflexion.

Le sénateur Furey: À la fin de votre exposé, vous avez mentionné qu'un conseil national des normes était nécessaire. Quelle devrait être, selon vous, la différence entre un tel conseil et le conseil des normes dont vous êtes actuellement membre?

M. Thornton: J'ai mentionné qu'il était nécessaire d'établir un organisme de réglementation du commerce des valeurs mobilières. Un organisme national de normalisation est déjà en place. En tout cas, nous nous considérons comme un organisme national. Nous n'avons peut-être pas des représentants de toutes les provinces et territoires en permanence, mais nous sommes 13membres. Nous considérons que nous établissons les normes pour le Canada et pas pour une région en particulier.

Le sénateur Furey: Je voudrais poser des questions sur l'indépendance du CNC dont vous avez parlé. Le CNC a-t-il été établi par l'ICCA? Dans ce cas, quelle en est la composition? Est-ce que ses membres sont élus ou sont-ils nommés, et par qui?

M. Thornton: Vous voulez savoir comment sont nommés les membres du Conseil des normes comptables. Nous sommes nommés par le Conseil de surveillance de la normalisation comptable qui est composé en majeure partie de membres qui ne sont pas des comptables. Je peux vous donner la liste des membres. Je crois qu'ils sont au nombre de18, dont le sénateur Kirby, le président de la Bourse de Toronto, plusieurs avocats, des gens d'affaires et des membres du clergé. La composition de ce comité est très éclectique.

Le sénateur Furey: Cela a rapport avec la question que le sénateur Angus vient de poser. Le comité de surveillance est établi par l'ICCA.

M. Thornton: Si je comprends bien, c'est l'ICCA qui lance le ballon. Il nomme les membres mais une fois nommés, ceux-ci sont complètement indépendants de l'Institut. C'est l'Institut qui décide qui devrait être membre du Conseil des normes comptables.

Le sénateur Furey: Si votre conseil décidait de mettre en oeuvre une pratique précise, combien de temps faudrait-il pour la mettre en place?

M. Thornton: Voulez-vous dire pour mettre en place une nouvelle norme? Paul Cherry, le président du Conseil des normes comptables viendra témoigner sous peu. Il devrait être en mesure de citer un chiffre précis et de donner d'autres renseignements. Je me fie à ma mémoire. Je dirais qu'il faut en moyenne un an et demi.

On ne peut pas établir des normes qui n'auront pas l'appui des milieux d'affaires. Il faut faire des propositions et solliciter des commentaires et il est parfois nécessaire de rédiger plusieurs versions.

Le comptable en chef de la SEC a déclaré devant le Sénat américain que la comptabilité pour les regroupements d'entreprises était à l'ordre du jour de la FASB, la Financial Accounting Standards Board, depuis la naissance de son fils et que maintenant, son fils avait terminé ses études universitaires. Cet organisme n'est pas parvenu à établir de normes à cet égard. L'établissement d'une norme peut être un long processus en raison de la complexité de la norme et des essais qu'il faut faire pour vérifier si les solutions proposées sont réalisables et acceptables pour les milieux d'affaires.

Le sénateur Furey: Je voudrais poser des questions sur un autre sujet, à savoir sur le comité de vérification, que le sénateur Angus a brièvement abordé. Si j'ai bien compris, la plupart des entreprises sont dotées d'un comité de vérification composé de membres du conseil d'administration et de membres de la haute direction. D'une façon générale, lorsque ce comité a besoin d'information, il s'adresse aux comptables de l'entreprise. Vous recommandez, bien entendu, que le comité de vérification soit indépendant. Vous pensez probablement que c'est un vérificateur indépendant du cabinet de comptables représentant l'entreprise qui devrait superviser ce comité.

On nous a laissé entendre qu'une telle façon de procéder serait redondante et d'un coût prohibitif. Quels commentaires auriez-vous à faire à ce sujet?

M. Thornton: Je ne considère pas que ce soit redondant parce que le comité jetterait un regard neuf. C'est un autre aspect de l'indépendance. À mon avis, ce n'est pas redondant, mais plutôt complémentaire.

C'est effectivement coûteux. Pour ma part, je pense que les entreprises canadiennes devront s'habituer à dépenser beaucoup plus pour signaler que leurs rapports financiers sont de haute qualité. Cela fera augmenter les honoraires des vérificateurs parce que si les vérificateurs ne sont pas en mesure de récupérer une partie des frais de vérification en fournissant des services d'experts-conseils qui sont lucratifs, ils devront augmenter leurs honoraires et il faudra par conséquent verser des honoraires plus élevés aux membres du comité de vérification. Il faudra s'y habituer.

Je ne sais pas ce que décidera le marché, mais je suis convaincu que les entreprises accepteront de faire des dépenses supplémentaires pour signaler au marché que leurs rapports financiers sont de haute qualité et qu'elles ont fait faire des vérifications indépendantes et se sont dotées de comités de vérification indépendants.

Le sénateur Hervieux-Payette: J'ai l'impression qu'il y a 15ans, les entreprises ne négociaient pas et ne marchandaient pas en ce qui concerne leurs honoraires de vérification. Avaient-elles tendance à lancer un appel d'offres et à accorder le contrat au plus bas soumissionnaire? Vous affirmez que ce sera plus coûteux. Je suis d'accord. A-t-on décidé d'inclure les frais de vérification dans les postes visés par les mesures de réduction des dépenses?

M. Thornton: Les vérificateurs se font concurrence depuis une dizaine d'années au niveau des prix. Dans quelques cas, c'est la direction de l'entreprise qui a tenté de faire baisser les honoraires parce qu'elle n'appréciait pas une bonne vérification à sa juste valeur. Parfois même, des cabinets de vérificateurs ont fait une offre. Les ouvrages spécialisés indiquent qu'au cours des premières années, ils ne recouvrent même pas leurs frais. Ils espèrent récupérer progressivement les frais de leur engagement initial au cours d'une longue relation avec le client.

Je présume qu'après le fiasco d'Enron, les entreprises voudront s'assurer de bons services de vérification et feront de gros efforts pour que la vérification soit indépendante. Elles n'hésiteront pas à payer des honoraires plus élevés parce que ceux-ci seront largement compensés par la diminution du coût du capital et l'accroissement de la prospérité des actionnaires.

Le sénateur Kelleher: Le sénateur Angus a abordé un point que je voudrais examiner de plus près. Nous avons fait un voyage en Angleterre il y a environ un an et nous étions là lorsqu'on était en train d'établir un nouvel organisme réglementaire.

M. Thornton: S'agit-il du Conseil des normes comptables internationales?

Le sénateur Kelleher: Non. Il s'agit de l'organisme qui supervise les avocats, les comptables et la bourse.

Je pense qu'il est naturel que nous nous intéressions aux mesures prises dans ce domaine par les États-Unis en raison des relations qui existent entre nos deux pays. Cependant, n'y aurait-il pas des éléments du système britannique qui pourraient nous être utiles ou nous aider à corriger la situation? Est-ce que certaines initiatives britanniques auraient pu nous aider?

M. Thornton: Je ne vois rien de bien précis. Nous suivons de très près les activités du Conseil des normes comptables internationales qui a son siège en Angleterre. En ce qui concerne les structures réglementaires britanniques, je ne suis pas suffisamment bien renseigné à leur sujet. Je n'en connais pas personnellement les rouages. Je ne puis malheureusement pas vous aider.

Le sénateur Kelleher: De nombreuses personnes pensent qu'il ne faut pas y aller trop fort et instaurer un si grand nombre de règlements et de lois que l'on risque d'empêcher les entreprises d'être fonctionnelles. Est-ce une préoccupation ou une menace véritable dans les circonstances actuelles?

M. Thornton: Je n'ai pas de données précises à ce sujet.

Le sénateur Kelleher: Je ne m'y attends pas. Je voudrais votre opinion. Est-ce à craindre?

M. Thornton: À mon avis, la seule solution pour tenter de régler ce problème consisterait à adopter de nouveaux règlements et à imposer aux entreprises de nombreuses contraintes coûteuses parce que ce ne serait efficace que si les autres maillons de la chaîne sont robustes. Les facteurs qui déterminent la solidité de ces maillons sont principalement les forces du marché. La surveillance disciplinaire interne est très importante mais c'est grâce au jeu de l'offre et de la demande dans un marché vigoureux que l'on arrive à attirer les jeunes les plus prometteurs et les plus brillants dans la profession; la surveillance réglementaire n'intervient que très peu à ce niveau.

Je suis entièrement en faveur de réduire le plus possible les frais de transaction. J'ai une formation en économie. Je crois que bien des économistes pensent qu'il est bon de réduire les frais de transaction. Cependant, une certaine surveillance est manifestement nécessaire et cette surveillance entraîne inévitablement des frais de transaction. Si l'on demande à une entreprise moyenne s'il est plus facile d'avoir affaire à la SEC ou aux nombreuses commissions des valeurs mobilières canadiennes, sa réponse serait ambivalente. Elle trouverait que les relations avec la SEC seraient beaucoup plus difficiles, que celle-ci leur imposerait beaucoup plus de contraintes mais qu'elle est la seule commission alors qu'au Canada, où les contraintes sont moins nombreuses, si l'on veut réunir des capitaux, on doit parfois se soumettre aux règlements de plusieurs commissions des valeurs mobilières ayant des programmes différents.

Le sénateur Fitzpatrick: C'est une question qui est manifestement très complexe et qu'il faut un certain temps pour assimiler. Je voudrais poser plusieurs questions. Je pourrais peut-être les poser une après l'autre et vous pourriez ensuite y répondre.

La première question porte sur le roulement des vérificateurs en ce qui concerne les entreprises, et plus particulièrement les grandes entreprises. D'après ce que j'ai pu constater, les vérificateurs ont tendance à être choisis et nommés à nouveau d'une année à l'autre; on a en outre tendance à négocier les honoraires. Je crois que ce système fonctionne de deux façons. Je me demandais si un certain roulement n'est pas obligatoire après un certain nombre d'années et s'il n'accroîtrait pas l'efficacité du processus.

Ma deuxième question concerne un noyau de mesures, de ratios et d'indicateurs qui devraient être inclus dans les commentaires et analyse de la direction. Je crois que ces commentaires et analyse ont considérablement amélioré le processus de divulgation de l'information mais je me demande s'il n'y a pas possibilité pour les vérificateurs d'améliorer encore davantage celui-ci. Nous comptons souvent sur les mêmes ratios et indicateurs que les analystes. Je préférerais examiner ces ratios et indicateurs du point de vue d'un vérificateur plutôt que de celui d'un analyste.

Il y a ensuite la question du professionnalisme dans les comités. Je pense que les comités de vérification sont actuellement, même si ce n'est pas obligatoire, principalement composés de membres du conseil d'administration ne faisant pas partie de la haute direction, et je trouve que c'est très bien. Cependant, ne serait-il pas souhaitable que des professionnels soient membres des comités de vérification? Cette règle serait peut-être difficile à respecter pour les petites compagnies. Il est difficile de suggérer qu'il faille faire passer un examen aux membres du comité de vérification mais ils devraient au moins avoir quelques notions de comptabilité pour savoir quelles questions poser. J'ai été membre de plusieurs comités de vérification. Le président a mentionné que lui aussi. On ne sait pas toujours quelles questions il faut poser. Nous avons tous deux une certaine expérience en affaires.

L'autre question est peut-être contestable. Les régimes de rémunération sont liés à la valeur des actions et aux bénéfices. Je trouve que certains régimes de rémunération deviennent extravagants. Je me demandais si ce n'est pas un autre élément qu'il conviendrait d'examiner. Je sais que cette question ne relève pas nécessairement de la comptabilité, mais j'aimerais savoir ce que vous en pensez.

Voudriez-vous avoir l'obligeance de répondre à ces questions?

M. Thornton: En ce qui concerne la question dans laquelle vous demandez si un roulement obligatoire des vérificateurs n'augmenterait pas la qualité des rapports financiers, je dois dire qu'il est très difficile d'y répondre parce qu'on n'a aucune donnée à ce sujet. Il n'y en a jamais eu. Personne n'a été en mesure de faire une expérience pour voir ce que cela donnerait. Par conséquent, je réponds en quelque sorte à l'aveuglette.

Quand il y a roulement chez les vérificateurs, le processus y perd en profondeur parce que l'ancien vérificateur a une connaissance de l'entreprise qui peut être précieuse. Par contre, un nouveau vérificateur apportera peut-être un regard neuf et remarquera peut-être certaines anomalies que l'ancien ne voyait pas. Cela pourrait donc augmenter l'indépendance et la qualité des rapports financiers.

Je crois que cela ferait une différence, mais je ne suis pas en mesure d'affirmer que ce serait mieux.

Le sénateur Fitzpatrick: Il y a également un certain roulement de personnel dans les cabinets de vérificateurs qui pourrait peut-être atténuer la profondeur que vous avez mentionnée. Continuez, je vous en prie.

M. Thornton: Les commentaires et analyse de la direction sont un domaine qui m'intéresse et dans lequel je me suis investi activement au cours de la période pendant laquelle j'ai travaillé à la SEC. La SEC oblige depuis plusieurs années les dirigeants de l'entreprise à expliquer, dans la rubrique «commentaires et analyse de la direction», leur point de vue personnel sur la gestion de l'entreprise. En principe, s'il y a une question qui les préoccupe, ils doivent l'aborder. Ils doivent en outre interpréter les chiffres et expliquer les raisons pour lesquelles la situation de compagnie est ce qu'elle est. Ils doivent également faire état de la liquidité.

Plusieurs cas d'entreprises dont les commentaires et analyse de la direction ne donnaient pas une image fidèle de la situation ont été très médiatisés. Sony a fait la une parce qu'elle ne signalait pas séparément qu'un de ses segments importants faisait un gros déficit. Elle avait fusionné les résultats de ce segment avec ceux des autres segments. Lorsque la SEC a fait des enquêtes, elle a constaté qu'il avait été question de ce segment à diverses réunions du conseil d'administration qui avait décidé de ne pas faire de rapport distinct dans un but stratégique; c'était donc une omission volontaire. La direction n'avait donc pas abordé le sujet dans ses commentaires et analyse. Il est par conséquent nécessaire d'encourager les entreprises à signaler leurs problèmes de gestion parce que c'est la seule possibilité de divulguer certains problèmes plus persistants.

Je signale qu'en ce moment même, l'ICCA publie une étude sur les commentaires et analyse de la direction, faite par Julie Desjardins et Allen Willis. Cette étude est basée notamment sur une visite qu'ils ont faite à la SEC pendant que j'y étais, l'année dernière. Ils recommanderont d'adopter un système se rapprochant davantage du système américain qui contraint la direction à divulguer son point de vue sur la marche des affaires de son entreprise et à signaler les opportunités et les risques.

En ce qui concerne le professionnalisme du comité de vérification, je pense avoir mentionné dans mon exposé qu'après la publication du rapport du Blue Ribbon Committe américain, les comités de vérification doivent être composés de personnes qui ont quelques notions en finances ou par des experts en la matière. Les experts en finances sont des personnes qui ont une longue expérience dans le domaine des rapports financiers comme des chefs des services financiers ou des agents principaux de cabinets de vérificateurs qui sont peut-être à la retraite. Il s'agit en bref de personnes qui seraient en mesure de faire des analyses minutieuses et de comprendre les finesses de la comptabilité. Les personnes qui ont des notions en finances sont celles qui ont des notions de comptabilité suffisantes pour poser des questions intelligentes.

Une des constatations très intéressantes qui se dégagent des récentes études est que ces deux sortes de membres des comités de vérification se complètent. Les personnes qui ont une formation en finances ont tendance à poser des questions de haut niveau qui sont très importantes pour les investisseurs, comme: Est-ce que cette entreprise a des SPE? Dans l'affirmative, pourquoi ne sont-ils pas consolidés? Et puis, pourquoi un SPE? Pourquoi l'entreprise a-t-elle fait cela? Pourquoi a-t-elle tenté de se débarrasser de ces actifs et de les mettre dans un SPE? Que représente cet achalandage? A-t-on vérifié si ce n'était pas un obstacle? Ce sont des questions qu'un expert trouverait naïves mais c'est le type de questions que poseraient les personnes qui ont quelques notions en finances. Ce sont des questions que l'on pose uniquement par curiosité et qui mériteraient peut-être une réponse, qui serait susceptible d'intéresser au plus haut point les actionnaires.

Les experts financiers ont tendance à poser des questions surles comptes proprement dits comme: pourquoi l'amortissement a-t-il été calculé autrement cette année que l'année dernière? Comment a fonctionné cette consolidation? Ils posent des questions très précises et très concrètes. D'après les constatations faites dans les ouvrages spécialisés, ces deux races de chiens de garde sont complémentaires. Un comité de vérification doit être composé de représentants des deux races pour produire les meilleurs résultats.

Enfin, en ce qui concerne la rémunération et le fait qu'elle soit liée à la valeur des actions, je signale que c'est une question à laquelle je m'intéresse beaucoup personnellement depuis des années. Vers le milieu des années70, j'ai appris à évaluer les options. J'ai toujours été très intrigué par les raisons pour lesquelles les organismes de réglementation n'avaient pas mis l'accent sur le fait que le coût exact des options n'était pas mentionné dans les états financiers. Nous avons pourtant les outils nécessaires pour l'évaluer. Les étudiants du premier cycle de l'université Queen's peuvent calculer la valeur des options que reçoivent les cadres alors que presque aucune entreprise canadienne ne mentionne cette valeur dans ses états financiers, si ce n'est depuis peu. La situation change cependant. Comme vous l'avez peut- être remarqué dans la presse dernièrement, plusieurs banques indiquent maintenant les dépenses exactes que représentent les options au moment où elles sont accordées aux membres de la direction.

Aux États-Unis, plus de 16000 entreprises sont inscrites à la SEC et seulement deux d'entre elles ont volontairement indiqué le coût des options dans leurs états financiers. La FASB, c'est-à-dire notre pendant, a tenté d'inciter les entreprises à le faire, mais celles-ci ont fait du lobbying auprès du Congrès et ont littéralement forcé la FASB à battre en retraite.

La FASB, et maintenant le Conseil des normes comptables canadien, insistent pour que les entreprises signalent ces dépenses dans les notes mais elles ne les indiquent toujours pas dans les états financiers proprement dits. Depuis la débâcle d'Enron, le nombre d'entreprises qui le font augmente, parce que c'est un autre moyen de signaler au marché que l'entreprise divulgue des chiffres de haute qualité dans ses états financiers.

Tôt ou tard, ces dépenses seront mentionnées dans les résultats. La question est de savoir quand. En ce qui concerne les options, le plus tôt sera le mieux. Quand je dis qu'elles seront mentionnées dans les résultats, je pense que dans certains cas, elles seront mentionnées de façon indirecte sous forme de coût de renonciation pour les actionnaires mais ces options seront un jour indiquées dans les résultats des entreprises.

Le sénateur Fitzpatrick: J'ignore si c'est obligatoire, mais les entreprises auxquelles je suis associé font examiner les états financiers trimestriels et les états financiers annuels par le comité de vérification.

J'aimerais savoir combien de jours il faut, d'après vous, pour examiner de façon sérieuse les états financiers d'une entreprise de taille moyenne.

M. Thornton: Je serais étonné que cela puisse se faire en moins d'une semaine, une fois par trimestre.

Le président: Une semaine complète?

M. Thornton: Si l'on veut comprendre la situation, compte tenu des réunions et des autres facteurs, cela serait effectivement long.

Le président: J'ai été membre du comité de vérification de Dupont et cela prenait trois heures.

Le sénateur Angus: Aviez-vous lu les documents avant la réunion?

Le président: Oui.

Le sénateur Angus: Combien d'heures cela prenait-il?

Le président: Pas beaucoup.

Le sénateur Kroft: Je dois dire que je suis de plus en plus déçu. C'est le deuxième témoin qui déclare que notre système est très déficient ou qu'il est moins efficace que le système américain. Pourtant, le système américain a engendré Enron et je me demande par conséquent où nous sommes placés sur l'échelle de la réussite ou de la réussite probable.

D'une part, il y a les règlements et, d'autre part, les mentalités et les attitudes, les relations et les présomptions, bref tout le cadre de relations humaines dans lequel ces règles sont mises en application. Le système n'est probablement pas équitable du tout mais il est très aisé d'en arriver à la conclusion que les relations entre les vérificateurs et la direction ont évolué d'une manière qui n'est pas particulièrement flatteuse pour la direction.

Ainsi, dans le cas d'une entreprise privée n'ayant aucune obligation de donner de l'information une fois par semaine par exemple, se préoccupant uniquement de consolider son bilan et d'entretenir des relations satisfaisantes avec sa banque, on aurait probablement tendance à adopter un point de vue plus prudent, à savoir que les vérificateurs et les banquiers sont davantage du même avis.

Je me fonde sur l'hypothèse que la situation a évolué de telle façon que les relations entre les vérificateurs et la direction sont très souvent plus tendues. À part dans les cas où il pourrait y avoir collusion entre les cabinets de vérificateurs et la direction—comme dans celui d'Enron, peut-être—, il me semble évident que dans des relations honnêtes, la direction dont les motivations sont fondées sur les profits et dont le régime de rémunération est basé sur la performance des actions, a tendance à être de plus en plus en opposition avec les vérificateurs.

Cette affirmation est fondée sur de nombreuses hypothèses —peut-être dans le but d'inviter à la réflexion— mais les relations sont davantage fondées sur l'opposition ou risquent de l'être parce que cette direction hypothétique tente de gonfler les profits, ce qui gonfle le prix des actions et augmente la valeur des régimes de rémunération plantureux.

Une telle affirmation est fondée sur une généralisation à outrance qui condamne injustement bien des personnes. Cependant, lorsque les Canadiens apprennent, en lisant leur journal, l'existence de ces régimes d'indemnisation dont on ne rend pas compte qui incitent la direction à gonfler les profits à son avantage, en quoi cela pourrait-il améliorer des relations professionnelles où l'on pourrait, pour ainsi dire, être soupçonné de commettre des irrégularités? Je prends la liberté d'exagérer beaucoup mais ce sont des suppositions que l'on n'a aucune peine à faire lorsqu'on lit les journaux.

Vous avez mentionné que le comité de vérification joue un rôle extrêmement important et que de grosses responsabilités y sont rattachées. Je n'ai pas interprété les propos des témoins précédents de la même façon que le sénateur Furey en ce qui concerne l'indépendance des comités de vérification, mais je pense qu'il est absolument nécessaire qu'ils soient conseillés par des experts indépendants dans ce cas. M.Rosen a dit que ce serait possible à un coût raisonnable.

Quels commentaires avez-vous à faire au sujet de l'évolution des relations entre la direction et la profession, qui a été accélérée par la nature des régimes de rémunération des cadres des grandes entreprises?

M. Thornton: Je voudrais d'abord tenter de répondre en me basant sur des études universitaires. Dans mon exposé, je cite un article d'Eugene Fama, un éminent professeur de finances de l'Université de Chicago, où il indique que les membres de la direction ont intérêt à coopérer avec les vérificateurs et autres experts parce que cela augmente la valeur de leur capital humain. Autrement dit, si la direction monte une combine pour faire augmenter brièvement le prix des actions et en profite, elle pourra réussir une fois, mais la valeur de son capital humain et leurs perspectives d'emploi diminueront. À long terme, elle n'a peut-être pas autant intérêt à le faire que vous ne l'insinuez. C'est l'explication d'un professeur.

Une explication concrète serait toutefois qu'au cours de la période faste des cyberentreprises, dans les années90, alors que les actions étaient très volatiles et que leur prix grimpait pour dégringoler ensuite, les relations de confrontation entre les vérificateurs et la direction ont posé un problème. J'espère que ce n'est plus un aussi gros problème qu'alors. Cependant, personne ne peut dire si j'ai raison ou tort.

Je pense qu'en déclarant la valeur des options dans les états financiers, cela contribuerait énormément à atténuer cette confrontation. Si les membres de la direction savaient qu'ils doivent signaler la juste valeur des options qu'ils reçoivent au moment où ils les reçoivent, cela contribuerait à mon avis à atténuer cette confrontation.

Le président: Les cabinets d'experts-comptables n'ont pas à décider qui reçoit des options et quelle quantité. Ils sont chargés de le signaler de façon adéquate.

Le sénateur Angus: Il faut tenir compte des options dans la comptabilité.

Le président: Je le comprends parfaitement, mais on ne peut pas rejeter toutes les responsabilités sur les comptables. La gouvernance de l'entreprise entre en ligne de compte.

Le sénateur Angus: Ce n'est pas ce que je voulais dire, monsieur le président.

Le président: Je le sais. Nous radotons beaucoup. Il semble que la discussion soit décousue.

Le sénateur Kroft: Je tente d'attirer l'attention sur les relations entre la débâcle d'Enron et le régime de rémunération qui est, à mon avis, le principal responsable de ce fiasco. J'insiste beaucoup là-dessus parce que c'est une des principales causes.

Vous avez parlé de la vigueur de l'organisme de réglementation américain et de son énorme effectif. Nous avons, dans le domaine de la comptabilité, une tradition qui remonte à deux siècles et cette situation persiste. Je suis tenté de demander: «Qu'est-ce qui est nouveau et différent?». Un des éléments nouveaux et différents —pas tout nouveau mais de façon accélérée— est le montant et la méthode de rémunération qui ont en quelque sorte dépassé les bornes. Je soupçonne instantanément, par voie de déduction, que c'est une des principales causes de ce problème émergent.

M. Thornton: Cela devient une des principales causes du problème dans la mesure où la direction pourrait faire grimper l'action en manipulant la comptabilité. Le problème que vous mentionnez est dû en partie à un régime de rémunération trop généreux. C'est peut-être une question que les conseils d'administration auraient intérêt à examiner. Ce n'est pas un simple problème de comptabilité.

Le sénateur Kroft: Je dis que c'est davantage une question de gouvernance que de comptabilité.

Le sénateur Angus: Vous avez reconnu que les comptables ne connaissent pas ces nouveaux produits sophistiqués; des produits financiers comme les produits dérivatifs peuvent être créés en quelques minutes. Ils ne sont pas compliqués. Pourtant, les comptables d'Enron n'ont pas refusé de signer les états financiers parce qu'ils ne comprenaient pas certaines opérations. C'est toujours ainsi dans les grandes entreprises.

Enron n'est pas la seule à avoir connu la «tempête parfaite». D'après le Wall Street Journal, une cinquantaine de grandes entreprises dont les actions sont cotées en bourse sont dans une situation analogue, mais pas aussi grave.

Les comptables ont eu l'audace de faire semblant de comprendre les produits et de signer les états financiers. Je ne suis qu'un pauvre petit avocat, mais c'est à ce niveau que le problème devient vraiment épineux. Les banques, par exemple, passent par pertes et profits des centaines de millions de dollars parce qu'elles se sont fait avoir dans le cadre du mouvement de mondialisation.

Vous avez décelé le problème. Les prêteurs n'ont pas fait preuve de diligence raisonnable.

Le président: Nous avons rencontré un prêteur et il a dit que les institutions de prêt se basaient uniquement sur ce qu'elles voyaient dans les états financiers.

Le sénateur Setlakwe: Vous pourriez vous demander s'il reste encore des questions après toutes celles qui ont été posées. J'ai cependant deux petites questions à poser. Vous avez peut-être abordé ces deux sujets brièvement, mais je voudrais des informations plus précises.

Compte tenu du mouvement de mondialisation dont nous sommes témoins, dans quelle mesure les normes comptables internationales convergent-elles?

Ma deuxième question porte sur les commentaires que vous avez faits au sujet de la nécessité d'une surveillance réglementaire et des problèmes que causent les options et les nouveaux instruments financiers. Je me demandais dans quelle mesure l'ICCA pourrait devenir un organisme de réglementation comparable à l'Association du Barreau canadien.

M. Thornton: En ce qui concerne l'émergence de normes comptables internationales, notre stratégie consiste à essayer de faire converger les normes comptables canadiennes avec les PCGR américains. C'est notre principale priorité. Cependant, s'il s'avère que les normes internationales promulguées par l'organisme qui a son siège à Londres sont supérieures aux PCGR américains, ce sont celles que nous adopterons.

En outre, notre Conseil des normes comptables a tendance à rédiger des règles qui ressemblent davantage aux règles internationales qu'aux règles américaines. Les règles comptables américaines rempliraient une bibliothèque couvrant tout le mur du fond de cette pièce alors que les normes internationales et canadiennes peuvent être casées dans quelques classeurs. Elles sont beaucoup moins prolixes. Elles sont davantage fondées sur un jugement, elles sont moins précises et fondées davantage sur des principes que les normes américaines.

Notre objectif reste toutefois d'harmoniser nos règles avec les normes américaines, du moins pour ce qui est du fond, voire des dispositions précises. Nous nous intéressons aux règles américaines et aux règles internationales. Nous avons conscience que nous ne pesons pas lourd sur la scène internationale mais nous avons avant tout une obligation envers les Canadiens. Nous nous efforçons de tirer ce qu'il y a de mieux des deux systèmes.

Pour ce qui est de la question concernant la tendance de l'ICCA à devenir un organisme semblable à l'Association du Barreau canadien ou à l'Association professionnelle des avocats, ce n'est pas l'institut canadien qui détient le pouvoir disciplinaire dans le milieu des comptables agréés. Ce pouvoir est l'attribut des provinces. Si je commettais une infraction grave au code de déontologie, c'est un organisme provincial de l'Alberta et de l'Ontario et non l'ICCA qui m'imposerait des sanctions. En ce qui concerne le Conseil des normes comptables, cette activité est totalement indépendante du pouvoir disciplinaire des organismes comptables provinciaux. Nous considérons que notre rôle se limite strictement à établir des normes comptables. Nous ne concevons pas qu'il consiste à agir comme des CA, par exemple.

Le sénateur Setlakwe: Les associations professionnelles d'avocats prennent des mesures disciplinaires. Le faites- vous?

M. Thornton: Oui, les instituts provinciaux de comptables agréés ont divers organes disciplinaires. Je reçois régulièrement un bulletin de l'organisation qui indique toutes les mesures disciplinaires qui ont été prises contre des comptables agréés qui n'ont pas appliqué les principes comptables généralement reconnus comme il se doit ou qui n'ont pas effectué des vérifications selon les normes de vérification reconnues. Il existe un mécanisme disciplinaire analogue.

Le sénateur Hervieux-Payette: J'ai une petite question à poser en ce qui concerne le mécanisme d'adoption de ces normes comptables et leur mise en oeuvre ainsi que leur exécution. Je me demande pourquoi l'on n'a pas appliqué de normes comptables aux options. Quelles sont les mesures américaines qui influencent l'établissement de normes? Nous apprenons que les normes ou pratiques américaines sont supérieures aux nôtres mais que nous n'avons pas fait d'efforts particuliers pour améliorer les nôtres.

Où en sommes-nous à cet égard, car en Europe, la situation semble être différente? Comment mener à terme l'évolution qui se fait en matière d'établissement de normes comptables?

M. Thornton: C'est un processus très laborieux. Un des témoins qui comparaîtront plus tard, Paul Cherry, serait la personne la plus apte à en discuter. C'est lui qui suit les divers systèmes et qui les compare pour trouver la meilleure solution pour le Canada.

En ce qui concerne le problème des options, si nous ne les incluions pas dans les dépenses jusqu'à tout dernièrement c'est, à mon avis, à cause du lobbying qu'ont fait les entreprises américaines auprès du Congrès et du refus de ces entreprises de les inclure. Dès lors, les gens d'affaires canadiens estimaient qu'ils seraient désavantagés par rapport aux entreprises américaines pour réunir des capitaux et que leurs gains seraient moins élevés. Aucune entreprise ne voudrait plus s'établir au Canada et toutes les entreprises quitteraient le Canada. Les milieux d'affaires n'en voulaient pas non plus. Nous hésitions à imposer aux entreprises canadiennes une norme qui serait plus stricte que celles auxquelles ils ont couramment affaire aux États-Unis.

Il y a toujours cette tension. On veut prendre des mesures adéquates mais qui ne soient pas totalement inacceptables pour les milieux d'affaires. Nous devons tenir compte des opinions des gens d'affaires tout en restant fidèles à notre profession.

Le sénateur Hervieux-Payette: Vous devriez tenir compte des besoins des actionnaires en leur communiquant des informations exactes. Les actionnaires sont notamment des caisses de retraite. L'avenir de tous les travailleurs est en jeu. Ce qui me préoccupe, c'est que des entreprises comme Enron et diverses entreprises canadiennes ont fait perdre de l'argent aux caisses de retraite, et pour toujours. Pourquoi imitons-nous toujours les États-Unis dans ce qu'ils ont de pire? Pourquoi n'adoptons-nous pas leurs meilleures initiatives. Nous ne faisons pas ce qu'il faut.

Je comprends votre raisonnement. Vous m'avez donné la réponse. Cependant, j'ai cru comprendre d'après vos commentaires que lorsqu'on adopte de bonnes pratiques comptables, la valeur de l'entreprise est reconnue. M.Rosen nous a dit que de l'information financière trompeuse fait fuir les investisseurs parce qu'ils n'ont pas confiance dans les chiffres qu'on leur présente. Plus on peut avoir confiance, et plus les analystes ont tendance à acheter les actions parce que ce sont en fait eux qui achètent les actions par l'intermédiaire des fonds de retraite importants.

M. Thornton: Le cas des options est spécial. Dans 99p.100 des cas, nous insistons beaucoup pour prendre les mesures adéquates. Nous nous efforçons par exemple de resserrer les règles concernant les entités à but spécial et les garanties et de le faire rapidement parce que nous nous rendons compte que ces questions sont extrêmement importantes pour les investisseurs et qu'il faut les protéger contre de l'information trompeuse. Le problème des options est généralement insoluble en raison de la vive opposition des milieux d'affaires.

Le président: Je vous remercie d'être venu témoigner, monsieur Thornton. Notre témoin suivant est le représentant du Conseil du régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l'Ontario.

Je souhaite la bienvenue à Brian J. Gibson. Un article qui lui était consacré a été publié il y a deux jours dans le National Post. On y disait qu'il surveille des portefeuilles d'actions d'une valeur de 13 milliards de dollars pour le Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l'Ontario. Il a été confronté aux mêmes choix que d'autres experts financiers lorsqu'on prévoyait une très forte croissance pour Enron. Qu'a-t-il fait? Il a vendu les actions. Pourquoi les a-t-il vendues et a-t-il réalisé de plantureux bénéfices alors que les autres experts ne semblaient pas comprendre cela?

Soyez le bienvenu. Veuillez faire votre exposé.

M. Brian J. Gibson, vice-président principal, Actions, Conseil du Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l'Ontario: Honorables sénateurs, c'est un honneur pour notre organisation de faire un exposé. J'espère qu'il vous sera utile. Je serai bref, étant donné que nous n'avons pas envoyé de mémoire. Je m'en tiendrai aux grandes lignes. Je tiens à laisser tout le temps nécessaire pour les questions. Je répondrai d'abord à la question que le sénateur Kolber a posée au sujet d'Enron.

Le grand nombre de faillites d'entreprises et la dégringolade du prix de nombreuses actions ont attiré à nouveau l'attention sur la régie d'entreprise, sur les normes comptables et sur la rémunération des cadres supérieurs qui sont des sujets de préoccupation. Ce sont des questions qui nous préoccupent en fait depuis une dizaine d'années. D'après les constatations que nous avons pu faire, une bonne régie est garantie de bénéfices accrus. Je recommande à ceux et celles qui pensent que ce n'est pas le cas d'examiner les chiffres concernant les taux de rendement du capital investi dans des pays comme la Russie et l'Indonésie, où les normes de régie sont moins strictes. Cela fait une différence.

C'est pourquoi la régie est importante pour les investisseurs. Pourquoi pensons-nous que c'est important pour le pays et pour vous? Le Canada est une économie ouverte et de relativement petite taille et nous dépendons des autres pays pour nous procurer les capitaux nécessaires. Nous devons attirer des capitaux par le biais des marchés financiers mondiaux. Nous devons être concurrentiels dans plusieurs domaines, y compris ceux de la transparence et de la bonne régie.

Il y a un autre aspect de la recherche de capitaux auquel on ne pense pas et c'est une des tâches les plus difficiles qui m'incombent. Je dois souvent vendre des entreprises canadiennes de qualité à des acheteurs étrangers. C'est le cas lorsque nos entreprises sont évaluées à un niveau moins élevé que des entreprises d'autres pays, surtout américaines. Dans la mesure où la régie augmente le coût du capital et fait baisser les évaluations, le Canada risque de ne pas être capable d'attirer les capitaux nécessaires et de perdre un grand nombre de ses entreprises de qualité.

Nous sommes confrontés à ce type de problèmes depuis un certain nombre d'années. Nous savons que des modifications et des réformes importantes de la réglementation sont des processus longs et pénibles. Je ne suis pas là pour recommander des réformes importantes. Nous estimons qu'en apportant quelques modifications aux lois actuelles, il serait possible d'améliorer dans de très brefs délais la régie d'entreprise et les normes comptables.

Nous pensons que le rôle du gouvernement consiste à établir un cadre permettant aux investisseurs d'obtenir, sur les marchés financiers, à la suite des décisions qu'ils doivent prendre régulièrement, le type de résultats auxquels nous aspirons. Nous demandons au gouvernement de donner aux investisseurs responsables quelques outils supplémentaires qui les aident à exercer des pressions en faveur d'une meilleure régie et d'une plus grande transparence.

Nous ne pensons pas qu'il soit opportun de faire preuve de réserve lorsqu'il s'agit d'exiger des normes très strictes. Nous avons entendu tout à l'heure un exposé indiquant que des normes élevées réduisent le coût du capital. Étant donné que nous investissons des fonds dans une douzaine de pays de diverses régions du monde, nous savons que des normes peu exigeantes augmentent le coût du capital. Le Canada n'a pas intérêt à ce qu'il augmente.

Certaines personnes ont tendance à penser que le Canada serait dans une position désavantageuse par rapport à ses concurrents en établissant des normes plus strictes que celles des autres pays. C'est à Londres, par exemple, que se trouve le plus vaste marché financier en dehors de l'Amérique du Nord. Le coût du capital des entreprises américaines est peu élevé à l'échelle mondiale. C'est pourtant à Londres et au Royaume-Uni que les normes de régie d'entreprise sont les plus strictes. Dès lors, je ne vois pas pourquoi on craindrait d'exiger des normes sévères. Notre pays est déjà un chef de file mondial dans plusieurs domaines et nous pourrions tenter de l'être également en ce qui concerne la gouvernance et la transparence. Le coût du capital diminuerait et nos entreprises auraient plus de facilité à attirer des capitaux.

Nous avons abordé de nombreux sujets dans notre exposé et fait plusieurs recommandations mais il y en a six que je voudrais mettre en évidence avant de vous laisser poser des questions. Ce sont les six initiatives qui constitueront nos outils de base pour faire du meilleur travail.

La première recommandation est de modifier la Loi sur les corporations commerciales canadiennes, la LCCC, pour exiger que toutes les entreprises dont les actions sont cotées en bourse divulguent publiquement les résultats de tous les votes aux assemblées d'actionnaires et aux assemblées spéciales. Actuellement, elles ne sont pas tenues de le faire et les actionnaires que cela intéresse ont beaucoup de difficulté à réclamer des changements et à savoir quel appui ils auraient.

Le président: Les sociétés cotées en bourse sont-elles toutes des entreprises constituées en vertu de la loi fédérale?

M. Gibson: Non, pas toutes. La grosse majorité des entreprises comme celles qui sont inscrites à la Bourse de Toronto se sont constituées à nouveau en société en vertu de la LCCC au cours des dix dernières années, pas toutes mais la plupart.

La deuxième recommandation que nous faisons consiste à modifier la Loi sur les normes de prestation de pension pour préciser que tous les gestionnaires de caisses de retraite régies par cette loi aient des lignes directrices en matière de vote par procuration et révèlent publiquement chaque année les résultats précis des votes. Un des gros problèmes en ce qui concerne la gouvernance et l'amélioration de la transparence est que de nombreux votes par procuration ne sont pas utilisés.

Une troisième recommandation est de modifier la LCCC afin de supprimer la contrainte imposée aux actionnaires qui veulent en consulter d'autres au sujet de diverses questions concernant la société et exercer des pressions en vue d'un changement. La limite actuelle est de 15autres actionnaires et, par conséquent, les actionnaires qui sont préoccupés ont de la difficulté à comparer leurs opinions et leurs suggestions pour exiger un changement.

Notre quatrième recommandation principale est de modifier la LCCC de sorte à exiger que tous les comités de vérification adoptent les recommandations du Blue Ribbon Committee en ce qui concerne l'exercice de leurs devoirs. C'est volontaire au Canada. Ce sont d'excellentes normes. Si toutes les entreprises étaient obligées de les adopter, la situation s'améliorerait.

Notre cinquième recommandation est de modifier la LCCC de façon à exiger que toutes les sociétés cotées en bourse incluent le coût de leur régime d'options d'achat d'actions dans leurs résultats.

Enfin, notre sixième recommandation est de modifier la Loi de l'impôt sur le revenu de façon à supprimer les distorsions et le traitement prévu pour divers types de régimes de rémunération à base d'actions. Les dispositions actuelles de la loi favorisent l'octroi d'options par rapport à d'autres formules comme l'octroi d'actions ordinaires et d'actions subalternes, qui sont en fait de meilleurs outils de rémunération. Le régime fiscal recèle une distorsion qui encourage l'octroi d'options au détriment d'autres formes de rémunération qui pourraient être plus efficaces.

Ce sont en bref nos opinions. J'écoute maintenant vos questions et je m'efforcerai d'y répondre de mon mieux.

Le sénateur Angus: Étiez-vous ici pendant que le témoin précédent a fait son exposé?

M. Gibson: Oui.

Le sénateur Angus: Vous avez mentionné que c'est au Royaume-Uni que les normes en matière de régie d'entreprise sont les plus strictes à l'échelle mondiale. Votre commentaire m'a fort étonné. Où peut-on trouver ces règles de régie d'entreprise britanniques? Tout ce que nous avons, ce sont les lignes directrices de la Bourse de Toronto qui sont extraites du rapport Dey. Les normes en question sont-elles codifiées?

M. Gibson: Elles sont en effet codifiées et énoncées de façon très précise. C'est l'organisme central de réglementation, qui a son siège à Londres, qui est responsable de la réglementation dans ces domaines. Il s'agit en quelque sorte d'une entité omnibus couvrant les compagnies d'assurance, les marchés boursiers, les banques, etcetera. Cet organisme établit des normes claires et précises, des règles de conduite à l'intention des entreprises et des processus qui permettent aux investisseurs d'agir s'ils estiment que les conseils d'administration ou la direction commettent des irrégularités. Il établit en outre des normes rigoureuses en matière de comptabilité.

Le sénateur Angus: Il s'agit de la Financial Services Authority, la FSA, qui est présidée par Howard Davies. C'est un organisme de réglementation pour le secteur des services financiers.

En ce qui concerne la régie d'entreprise en soi, conviendrait-il d'exiger que le président et le p.-d.g. soient deux personnes différentes? J'ignorais qu'il y avait une liste semblable à celle que nous avons ici au Canada. En fait, depuis le rapport Dey, j'avais tendance à penser que nos normes étaient aussi strictes que celles de n'importe quel autre pays en ce qui concerne la régie d'entreprise.

M. Gibson: Les principales normes de la FSA ne couvrent pas toutes les questions concernant le p.-d.g. et le président du conseil d'administration. Elles portent surtout sur le caractère équitable des transactions, la divulgation, les droits des investisseurs et leur capacité d'intervenir. Le rapport Dey, qui a été adopté par la Bourse de Toronto, contient plusieurs excellentes lignes directrices auxquelles nous adhérons sans réserve. Le problème au Canada est que l'observation de ces lignes directrices est purement volontaire. Les entreprises bien gérées ont par conséquent adopté ces normes et divulguent l'information.

Ce ne sont toutefois pas ces entreprises qui sont concernées en l'occurrence. Les entreprises concernées sont celles qui ne sont pas bien régies. Ces entreprises ne sont pas forcées d'adhérer aux normes ni même de faire un dépôt de prospectus. C'est strictement volontaire. Une des autres recommandations que nous faisons dans notre exposé est de faire en sorte que ces normes soient obligatoires pour que toutes les entreprises soient tenues d'y adhérer. Nous avons recommandé de le faire par le biais de la LCCC.

Le sénateur Angus: Je n'y vois aucun inconvénient. Je parlais de la situation au Royaume-Uni. Je pense que c'est une question de nomenclature. Vous parlez de régie d'entreprise et d'autres sujets qui relèvent du droit des sociétés et des règles en matière de divulgation, que je n'inclus pas dans les questions qui concernent la régie d'entreprise.

Il a beaucoup été question aujourd'hui d'options et de leur inclusion dans les résultats. C'est un poste hors trésorerie. Comment rendriez-vous compte des options? Les entreprises sont tenues par la LCCC d'indiquer divers types de rémunération des membres de la haute direction. Elles précisent que le p.-d.g. et le directeur des finances ont droit à un nombre déterminé d'options à un prix déterminé. Je suis d'accord, ce n'est pas indiqué dans les résultats et c'est effectivement un gros problème, mais j'ignore comment le résoudre.

M. Gibson: Aux États-Unis et au Canada, les organismes du secteur de la comptabilité ont donné des instructions précises à ce sujet. Le problème qui a été mentionné par le témoin précédent est que, si les règles principales précisent qu'il faut inclure les options dans les dépenses et donnent des instructions précises à ce sujet, les règles américaines et les nouvelles règles canadiennes prévoient une exemption, à savoir que si l'on est un administrateur ou un membre du personnel de la société, celle-ci ne doit pas inscrire le coût des options. C'est seulement un choix.

Si une entreprise veut inclure les options dans ses dépenses, elle est libre de le faire. La norme est déjà en place. Il lui suffit de ne pas avoir recours à l'exemption; dans ce cas, la norme donne des instructions.

Le sénateur Angus: On dirait que l'exception fait la règle. Combien de non-initiés et de personnes non visées par l'exemption reçoivent des options? Cela ne se produit pratiquement jamais.

Les investisseurs souhaitent que les actions de leur caisse de retraite prennent de la valeur. Nous avons entendu parler de «black shoals» et nous sommes en mesure de signaler que cette formule présente autant de lacunes qu'elle n'a de mérites; je dirais même que le nombre de lacunes est supérieur aux mérites. Comme investisseurs et comme enseignants, comment souhaiteriez-vous que les options d'achat d'actions des p.-d.g., par exemple celles du p.-d.g. de Bombardier, soient incluses dans les états financiers?

M. Gibson: Je peux vous expliquer comment nous procédons, étant donné que nous faisons un rajustement en fonction des options pour toutes les entreprises dans lesquelles nous investissons. C'est un rajustement que nous faisons de façon systématique. Nous nous intéressons aux bénéfices futurs de la société lorsque nous prenons notre décision. Par conséquent, nous puisons tous les renseignements requis sur le régime d'options d'achat d'actions dans les circulaires de procuration et le rapport annuel. Nous prévoyons ensuite l'exercice probable des options au cours des années suivantes. Si nous avons des prévisions en matière de bénéfices pour les cinq prochaines années, avant de les convertir en bénéfices par action ou en encaisse par action, nous rajustons le nombre d'actions de façon à tenir compte de l'exercice des options. Nous apportons ensuite de légers changements aux résultats pour tenir compte du fait que l'entreprise a réalisé des recettes sur l'exercice d'options.

Le sénateur Angus: Est-ce bien le bénéfice dilué par action plutôt que l'autre mesure que vous examinez?

M. Gibson: C'est bien cela. Si l'on veut par exemple examiner uniquement le bénéfice par action pour cette année, la façon la plus simple consiste à s'intéresser à la ligne où est indiqué le bénéfice net: celui-ci ne changera pas, peu importe le nombre d'options. Si l'entreprise a réalisé un bénéfice de 10millions de dollars, ce bénéfice reste de 10millions de dollars. C'est lorsqu'on calcule le bénéfice par action que le problème se pose. Quand l'entreprise établit le bénéfice par action, elle ignore l'incidence des options et c'est ce dont nous nous efforçons de tenir compte dans nos prévisions.

Lorsque vous achetez une action de la Banque Toronto Dominion, ce n'est pas le bénéfice total qui vous intéresse. Vous voulez savoir quel est le bénéfice par action et si le prix que vous payez, 50$ par exemple, est un prix avantageux par rapport au bénéfice. Le problème est que, selon les cas, le bénéfice réel par action est inférieur de 20 à 30p.100 au chiffre indiqué à cause de la dilution due aux options. S'il le savait, l'investisseur paierait probablement de 20 à 30p.100 de moins pour les mêmes actions.

Le sénateur Angus: C'est de toute façon une excellente réponse puisque vous avez expliqué qu'un bénéfice de 10millions de dollars reste un bénéfice de 10millions de dollars. Le prix de l'action pourrait être influencé davantage par ce bénéfice de 10millions de dollars que par la dernière ligne des états financiers, celle qui concerne le bénéfice dilué par action. C'est toutefois un sujet que nous réservons pour une autre fois. Je crois qu'on en discute actuellement, et mon jury se demande toujours comment il doit être traité.

C'est aujourd'hui qu'est paru le rapport du comité d'examen quinquennal, appelé comité Purdy Crawford, où il fait quelques recommandations importantes. Avez-vous eu l'occasion d'en prendre connaissance?

M. Gibson: J'ai lu le résumé paru dans le journal ce matin. Je suis ici pour la journée et je n'ai donc pas parlé à M.Crawford.

Le sénateur Angus: Estimez-vous que, dans l'ensemble, ce comité est sur la bonne voie? Il recommande d'imposer des amendes extrêmement lourdes pour les délits d'initiés et autres délits connexes. Il fait de nombreuses recommandations à ce sujet.

M. Gibson: Nous pensons que les recommandations mentionnées dans le Globe and Mail sont vraiment raisonnables, surtout celles qui portent sur une majoration des amendes et des peines imposées en cas de délit. Le Manitoba compte modifier sa loi sur le commerce des valeurs mobilières pour porter le montant maximum de l'amende de 1 à 10millions de dollars. Les auteurs de fraudes en valeurs mobilières ou de fraudes financières tentent généralement de gagner des dizaines de millions de dollars. Quand ils se font coincer et condamner, l'amende maximum à laquelle ils peuvent être condamnés est de 1million de dollars. C'est un prix dérisoire à payer. Ce n'est pas dissuasif.

L'énergie que consacrent les organismes de réglementation comme la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario à l'application des règlements et la conformité ne donne pas en fin de compte les résultats que cela devrait donner lorsque les amendes ne sont pas très lourdes parce que les coupables ne s'en préoccupent pas à outrance. C'est un secteur où j'estime que le modèle américain est supérieur au nôtre. Tous les Américains savent que si la SEC prouve que vous êtes coupable de fraude, elle a le pouvoir de vous le faire payer cher ou de vous faire incarcérer. Elle peut imposer une amende qui balayera tous les bénéfices. Malgré cela, plusieurs personnes persistent à commettre des actes frauduleux mais elles doivent y réfléchir à deux fois.

Ces amendes ont considérablement accru l'influence dissuasive de la commission. Au Canada, si vous me demandiez quelle mesure on pourrait prendre pour tenter de résoudre ces problèmes, je répondrais que la première devrait être d'appliquer les lois actuelles de façon plus stricte et d'imposer des amendes beaucoup plus lourdes.

Le sénateur Angus: Je vous remercie.

Le sénateur Kroft: J'ai trois courtes questions à poser.

La première concerne les commentaires que vous avez faits au sujet du Royaume-Uni. Diverses personnes, qui sont chargées d'établir des règlements en matière d'investissement et de surveiller ou d'établir les règles de régie du secteur de l'investissement au Canada nous ont mis en garde de ne pas aller trop vite ni être trop stricts car si nous sommes plus stricts que les Américains, nous créerons un environnement hostile qui pourrait décourager les investisseurs américains. On dit que les règlements sont beaucoup plus stricts aux États-Unis. On nous dit d'autre part que c'est au Royaume- Uni qu'ils sont les plus stricts. Craint-on d'être raisonnable mais plus strict au point d'éloigner les investisseurs?

La deuxième est: quelles sont vos opinions au sujet de la proposition qui consisterait à exiger que les comités de vérification se fassent conseiller par des comptables indépendants? Vous pouvez fixer un seuil minimum pour l'entreprise.

La troisième concerne un article du National Post du 26mars dans lequel on cite les motifs pour lesquels vous avez vendu les actions d'Enron. Je citerai deux ou trois renseignements que vous avez tirés des rapports annuels 10-K et des notes aux actionnaires. Par exemple, la soeur de Ken Lay était propriétaire de la moitié d'une agence de voyages qui faisait affaire avec la compagnie; le comité exécutif qui avait reçu des pouvoirs considérables n'était pas du tout indépendant et le crédit sur certains des investissements non déclarés était énorme. Ils étaient déclarés comme minoritaires alors qu'ils étaient en fait majoritaires. Ce sont de toute évidence des irrégularités. Sans vouloir être trop précis, nous pouvons rédiger des règlements comme nous l'entendons. On ne peut pas empêcher les personnes malhonnêtes d'être malhonnêtes. Je me demande comment formuler une question à ce sujet. Je suppose que la solution se trouve dans la recommandation que vous avez faite dans votre dernière réponse, à savoir imposer de lourdes amendes.

M. Gibson: Vous me rappelez que je n'ai pas encore répondu à une question semblable du sénateur Kolber. Je parlerai d'abord d'Enron puis, je répondrai à vos deux autres questions plus tard, si vous le permettez.

J'ai écrit cet article parce que, en ma qualité d'expert en investissement, j'ai été terriblement embarrassé que certains de mes pairs déclarent à Washington qu'ils n'étaient pas du tout conscients des manigances qui se faisaient chez Enron. Ce sont des experts en investissement qui ont travaillé pour de gros cabinets de New York, doublés d'analystes financiers. Cette ignorance m'embarrassait parce que nous sommes tous formés et payés pour gérer des fonds appartenant à d'autres personnes. Ces fonds ne nous appartiennent pas. Nous avons par conséquent un devoir de diligence. Nous faisons payer ce service.

J'ai été embarrassé que des analystes très avertis déclarent à Washington qu'ils n'étaient pas du tout conscients de ce qui se tramait parce que je pense que c'est faux. C'est ce qui m'a poussé à écrire cet article. Nous avons fait affaire avec Enron en raison d'un investissement privé que nous avions fait par l'intermédiaire de notre banque d'investissement dans une entreprise appelée MetroNet. Nous avons ensuite vendu cette société à Enron à un prix assez élevé. En échange, nous avons reçu des actions d'Enron. Nous avons divulgué cette transaction dans le communiqué que nous avons publié l'automne dernier. Ces actions valaient alors 450millions de dollars. Nous ne tenions pas particulièrement à recevoir des actions, mais c'était la nature de la transaction. Nous avons dû prendre une décision importante et nous poser la question suivante: que faire des actions d'Enron, une société dont nous n'étions pas actionnaires avant cette transaction? L'action était alors évaluée à environ 50$US.

Nous avons pris une décision qui pourrait surprendre plusieurs d'entre vous. Nous n'avons pas utilisé l'ordinateur. Nous n'avons même pas utilisé une calculatrice. Nous avons examiné deux choses et cela nous a pris environ une heure. Nous avons lu les notes du rapport annuel. Les notes ne contenaient pas seulement un ou deux avertissements, mais un grand nombre d'avertissements courants. Elles nous ont appris que le comité de vérification n'était pas indépendant et qu'il n'était pas compétent. Toutes les responsabilités du conseil d'administration avaient été confiées à ce petit comité. Nous avons aussi cherché les entités à objet spécial (EOS). Le rapport annuel que nous avons examiné est celui de l'année dernière pour l'exercice2001. Nous avions reçu ces actions vers la fin de l'exercice précédent, c'est-à-dire en décembre2000. C'est au cours du premier trimestre que nous les avons vendues. Les EOS n'étaient pas mentionnées de façon précise. Au cours des derniers mois, nous avons constaté que la situation était bien plus grave qu'on ne pouvait l'imaginer.

Le rapport contenait toutefois de nombreux renseignements. Nous avons constaté que plusieurs milliards de dollars investis dans ces entités à objet spécial (EOS) n'étaient pas inscrits au bilan, mais les notes révélaient que l'entreprise avait beaucoup de dettes et réalisait des pertes. Les notes signalaient une EOSintéressante. Les dirigeants de l'entreprise inscrivaient leurs propres actions comme actif de l'EOS et ils avaient une option d'achat sur ces mêmes actions. Si le prix de l'action augmentait, ils exerçaient leur option d'achat et déclaraient les bénéfices ainsi réalisés comme revenus courants. Vous imaginez le processus: le prix de l'action monte, et l'entreprise inscrit le gain, de 1million de dollars par exemple, dans ses résultats. Les bénéfices augmentent donc de 1million de dollars. Le multiple étant de30 ou35, la valeur de l'entreprise augmente de 35millions de dollars; par conséquent, ses actions augmentent davantage et on vend encore d'autres actions grâce à ces options.

Tous ces renseignements étaient divulgués. Aucune des révélations qui ont été faites dans la presse depuis octobre ne nous ont surpris, sauf que, à plusieurs égards, la situation était encore plus grave que nous le pensions. La régie d'entreprise allait à l'encontre de pratiquement tous nos principes. Nous publions sur notre site Web des lignes directrices en matière de gouvernance et nous encourageons les entreprises à les suivre. Enron les enfreignait presque toutes. S'il s'était agi d'une entreprise qui enfreignait une ou deux de ces règles, nous nous serions dit que ce n'était pas très souhaitable mais que ce n'était tout de même pas trop grave. Cependant, dans le cas d'Enron, le nombre d'infractions était très élevé. Nous n'avons même pas pris la peine d'utiliser nos ordinateurs et les tableaux de ventilation. Ce n'était pas le type de compagnie dont nous voulions posséder des actions et, par conséquent, nous avons vendu les nôtres.

En ce qui concerne votre question sur les normes britanniques, elles ne sont pas plus efficaces que les autres. On entend souvent le même refrain, surtout de la part de plusieurs organismes provinciaux de réglementation. Cela ne tient pas debout parce que l'expérience nous a appris —du moins à long terme— que les investisseurs sont très avisés. Lorsqu'il s'agit d'une entreprise qui réalise de solides bénéfices et qui est bien gérée, ils sont disposés à payer davantage et les multiples sont plus élevés. Par contre, lorsqu'ils pensent que les normes de gouvernance sont inexistantes, les multiples baissent. Si vous pensez que si le Canada établissait des normes très strictes, il serait désavantagé par rapport à ses concurrents, c'est que vous voulez que le coût du capital soit plus élevé pour les entreprises canadiennes. C'est un compromis qui est possible. Cependant, nous estimons que moins le coût du capital est élevé, plus nous sommes prospères.

À propos de concurrence réglementaire, lorsque les normes sont laxistes, elles engendrent des marchés semblables au marché russe ou au marché indonésien de ces dernières années. Si ce type de normes était si intéressant, tout le monde aujourd'hui aurait une haute opinion d'Arthur Andersen.

Un relâchement des normes n'est pas profitable à long terme. Le Canada est un pays relativement petit. Nos marchés boursiers représentent environ 2p.100 des marchés financiers mondiaux. Les étrangers n'ont aucune raison particulière d'investir au Canada parce que c'est un petit marché. Donc, s'ils ont le moindre doute au sujet de l'intégrité de nos marchés, ils peuvent facilement décider qu'il ne faut pas s'intéresser au Canada car c'est un pays trop petit. Nous ne sommes pas un grand pays comme les États-Unis. Nous n'avons pas les moyens de mettre notre réputation en jeu en s'attendant à attirer malgré tout le capital. Notre pays est trop petit. Il faut éviter de donner un prétexte de ne pas investir dans notre pays.

Par ailleurs, on pourrait également décourager les Canadiens. À notre époque, en cliquant avec la souris, on peut investir dans des entreprises de toutes les régions du monde. Je ne suis pas obligé d'investir dans des entreprises canadiennes et notre caisse de retraite non plus. Nous ne décidons d'investir dans des entreprises canadiennes que si le rendement de cet investissement est concurrentiel, si l'information financière est de qualité raisonnable et que les états financiers des entreprises sont transparents. Nous pourrions investir, mais nous paierions beaucoup moins qu'ailleurs. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi des normes strictes —même plus strictes que celles de notre voisin— pourraient causer un problème. Le Canada n'est pas un pays assez grand pour se permettre de mettre sa réputation en jeu.

Votre autre question concerne les services consultatifs indépendants aux comités de vérification. Ils peuvent déjà y avoir recours, s'ils le veulent. Ils peuvent dire qu'ils ne comprennent pas telle ou telle question et qu'ils veulent consulter des experts indépendants. Ils peuvent payer pour ces services. La plupart d'entre eux n'y pensent pas, notamment parce que cela représente beaucoup plus de travail. Nous faisons affaire avec de nombreuses entreprises. Nous avons fait à maintes reprises des exposés devant des comités de vérification et d'autres comités et ce, gratuitement, pour les aider à comprendre certaines questions complexes, surtout lorsqu'il s'agit d'entreprises dont nous détenons un grand nombre d'actions. Nous pensons que tous les actionnaires intéressés devraient proposer ce service.

On ne peut pas s'attendre à ce que tous les comités de vérification soient composés uniquement de personnes brillantes qui savent tout sur la comptabilité et la finance. Ce ne serait pas raisonnable. Ce que nous voulons, c'est que ces personnes soient très intègres et sachent quand il faut poser des questions lorsqu'elles ne comprennent pas. Une des meilleures questions qu'elles pourraient poser est: «Oui, nous comprenons qu'il existe des exigences minimales dans ce domaine, mais quelles seraient les meilleures exigences ou que devons-nous tenter de signaler à nos actionnaires?» On pourrait poser des questions aussi simples que cela car elles pourraient amorcer des discussions intéressantes sur certains aspects qui auraient pu passer inaperçus.

Les comités de vérification peuvent donc se faire conseiller. Malheureusement, ils n'y pensent pas et ils se fient trop à l'information communiquée par l'entreprise.

Le sénateur Kelleher: J'ai l'impression —à raison ou à tort— que notre dernier témoin nous conseillait de prendre les normes américaines comme modèle. Il pense que ce sont les meilleures. Je comprends pourquoi, étant donné les relations commerciales entre nos deux pays.

J'ai été à vrai dire légèrement déçu lorsque je lui ai posé une question sur le système britannique. Il a été très direct. Il a dit: «Je suis désolé, mais je ne suis pas très bien renseigné à ce sujet». Lorsque nous sommes allés au Royaume-Uni, il y a deux ans, nous avons été impressionnés par l'approche britannique, qui est très différente de la nôtre.

Je crois qu'avant d'établir un plan d'action, il serait bon, monsieur le président, d'écouter les commentaires d'une personne qui est bien renseignée sur l'autre système, pour tirer le meilleur des deux systèmes.

Pourriez-vous faire des commentaires à ce sujet?

M. Gibson: Si vous voulez entendre un témoin qui est un expert dans le système britannique, nous pouvons vous trouver un numéro de téléphone. Nous pourrons arranger cela avec votre conseiller parce que nous avons de nombreuses relations d'affaires avec des directeurs des investissements britanniques. Nous pouvons certainement vous aider à trouver quelqu'un.

Vous avez une idée du fonctionnement du système britannique. Il est différent du nôtre et très différent du système américain.

Le sénateur Kelleher: Je ne suis pas très bien renseigné non plus.

M. Gibson: La présence de ces normes —qui, dans certains cas, sont plus poussées que les normes nord-américaines et dans d'autres, équivalentes— n'a pas nui au marché financier britannique et n'a pas mis les entreprises britanniques dans l'impossibilité de réunir des capitaux à un coût raisonnable.

Si d'aucuns prétendent que si l'on va trop loin au Canada nous serons désavantagés par rapport à nos concurrents, j'estime que cet argument ne tient pas debout. Le Royaume-Uni a des normes très strictes depuis plusieurs années. La prime de risque du capital-actions n'est pas plus élevée sur ce marché qu'ailleurs. Il ne leur en coûte pas davantage qu'aux entreprises des autres pays pour attirer du capital.

Le sénateur Kelleher: Est-ce que cela nous obligerait à prendre divers règlements nouveaux et coûteux?

M. Gibson: Même si l'on établit les règlements les plus parfaits et que l'on s'inspire des règlements de divers pays du monde en prenant le meilleur de tous les systèmes pour déterminer le type de règlements qu'il faudrait établir au Canada, le problème est que si l'on n'a pas un système efficace de mise en application des règlements et que l'on n'impose pas de sanctions très strictes, ces règlements ne permettront pas d'obtenir les résultats souhaités. Si vous voulez tirer le meilleur parti des efforts du gouvernement, nous vous recommandons de mettre l'accent sur l'application des règlements et les amendes.

Les règlements canadiens ne sont pas mauvais. Nous nous questionnons beaucoup à cause de tous ces problèmes. Les règlements et les normes de régie d'entreprise qui sont volontaires pour la Bourse de Toronto, et nos normes comptables, nécessitent quelques améliorations dans divers secteurs mais globalement, ce n'est pas si mal. Le problème au Canada est que l'on ne s'attend pas à ce que les personnes se conduisent de façon irréprochable et on ne leur intente pas de poursuites lorsqu'elles ne se conduisent pas bien. On ne leur impose pas de sanctions.

Nous avons réclamé six outils supplémentaires. Cependant, si nous ne les obtenons pas, je pense que la solution la plus facile et la moins coûteuse pour accroître l'intégrité de nos marchés et améliorer la réputation du Canada serait de faire respecter les règles existantes. La différence serait énorme et le problème que vous tentez de régler serait probablement résolu à 80p.100.

Le sénateur Kelleher: À votre avis, serait-il intéressant d'inviter un témoin qui pourrait nous parler du système britannique et de ses rouages?

M. Gibson: Je pense que ce serait très utile. Dans le contexte de plusieurs des recommandations que nous avons faites, le système juridique britannique donne beaucoup plus de facilité aux actionnaires pour prendre des mesures lorsque les entreprises n'ont pas un bon rendement. C'est un des secteurs où la régie d'entreprise est supérieure à notre système et au système américain. La régie d'entreprise comporte plusieurs volets dont l'un est qu'une entreprise doit être bien dirigée en ce qui concerne sa structure et son organisation. Un autre volet de la gouvernance est la possibilité pour les actionnaires de prendre des mesures s'ils estiment que l'entreprise n'est pas bien gérée.

C'est très difficile au Canada, même si nos lois sont relativement en avance sur celles de la plupart des autres pays. Les actionnaires concernés ont beaucoup de difficulté à exercer des pressions pour pousser les entreprises à apporter des changements constructifs. Je suis en mesure de faire une telle affirmation parce que nous le faisons depuis une dizaine d'années et que nous avons lu des rapports sur certaines des mesures que nous avons prises. C'est un aspect important de la gouvernance parce que c'est une question de poids et de contrepoids. Les questions qu'il faut se poser sont: est-ce que les règlements prévoient des amendes et des sanctions lorsque la direction et le conseil d'administration d'une entreprise commettent des irrégularités et les actionnaires ont-ils des moyens de pression? En ce qui concerne toutes les entreprises à problèmes auxquelles nous avons eu affaire, la situation a été rectifiée rapidement lorsque nous avions un nombre suffisant d'actions, donc la possibilité d'avoir de l'influence.

Le sénateur Furey: Je me demande si vous ne pourriez pas nous parler des mérites ou de la précision des PCGR canadiens par rapport aux PCGR américains. Par ailleurs, lorsque vous faites diligence raisonnable avant de prendre une décision sur un investissement, n'avez-vous pas accès à beaucoup plus de renseignements sur les entreprises que l'investisseur moyen, en raison même de votre influence et de votre pouvoir sur le plan économique?

M. Gibson: Je répondrai d'abord au sujet des PCGR, puis je répondrai ensuite à votre deuxième question.

Il ne faut pas croire aveuglément que la comptabilité est une science exacte. Au Canada, nous avons des principes que nous observons en ce qui concerne les états financiers. Les États-Unis ont un système fondé sur des règles. Les deux systèmes sont basés sur beaucoup d'estimations, notamment en ce qui concerne la dépréciation, l'amortissement et l'exercice futur d'options. Plusieurs facteurs qui entrent en ligne de compte dans l'établissement du bénéfice sont basés sur des estimations. Dans le cas d'une entreprise comme Bombardier, qui construit des avions, quand on vend le premier, on fait une estimation du coût de cet avion parce qu'on essaie de deviner combien d'appareils il faudra construire pour amortir les coûts de démarrage. En comptabilité, on se base souvent sur des chiffres estimatifs.

Comme investisseurs, nous n'avons pas de préférence pour les PCGR américains ou pour les PCGR canadiens, pour autant que nous soyons relativement sûrs que les entreprises observent les normes de façon adéquate. Nous pouvons rajuster les chiffres et nous le faisons. Dans certains domaines, les PCGR américains ne donnent pas un meilleur résultat. Par exemple, dans le secteur de l'assurance, le mode de déclaration du revenu et des frais de vente des entreprises canadiennes est plus efficace que le système américain, qui est plus libéral. Ce n'est toutefois pas toujours le cas car le système américain produit moins de bénéfice et donne un aperçu plus fidèle de la situation. Pour autant que l'on connaisse les normes et les règles, on peut les interpréter en conséquence.

Lorsque nous examinons des possibilités d'investissement dans d'autres pays comme le Japon, l'Allemagne ou le Brésil, nous constatons que leurs normes sont complètement différentes de celles auxquelles nous sommes accoutumés. Nous adoptons une solution à court terme pour régler ce problème: nous avons tendance à nous intéresser surtout aux entreprises qui sont inscrites à la commission des valeurs mobilières qui ont peut-être émis des obligations ou qui ont des certificats américains d'actions étrangères. Par conséquent, nous recevons les documents sur les PCGR américains que les Canadiens peuvent comprendre.

La deuxième approche que nous adoptons est la suivante: nous aidons le Conseil des normes comptables internationales à établir des règles en matière de comptabilité internationale. Nous préférons les normes mondiales aux diverses normes nationales. Les États-Unis, qui représentent la moitié du marché, ont peut-être des motifs personnels de ne pas y participer. En ce qui nous concerne, nous considérons que tous les pays sont des sources potentielles d'investissement. Il est préférable de se baser sur les normes internationales que de choisir entre les normes canadiennes et les normes américaines.

Votre autre question porte sur l'information. Nous ne tenons absolument pas à obtenir des renseignements qui ne sont pas publics parce que, dès l'instant où nous les avons, nous devons nous imposer des restrictions sur les transactions d'actions. Nous avons élaboré un système de conformité qui est strict. Si vous en doutez, essayez de vous rappeler combien de fois au cours des dix dernières années un de nos employés a été accusé d'avoir fait des transactions déloyales. Ce système est strict. Cela ne nous intéresse pas du tout d'obtenir de l'information qui n'est pas publique car il nous est alors interdit de faire des transactions.

Nous ne rencontrons pas des représentants des entreprises pour discuter de leurs bénéfices trimestriels ou annuels. Lorsque nous discutons avec le p.-d.g., nous nous efforçons de déterminer s'il fait une affectation efficace du capital, s'il sait dans quelle voie l'entreprise doit s'orienter et quel est l'environnement concurrentiel et s'il a une bonne équipe qui dirige l'entreprise.

Les réponses à ces questions nous indiqueront si l'entreprise a des chances de prospérer. Nous faisons des prévisions et des évaluations. Nous n'avons pas la moindre idée des estimations internes des entreprises au sujet des bénéfices et elles n'ont pas la moindre idée de nos estimations. Ce n'est pas important. Nous sommes capables de faire des évaluations et des prévisions. Nous voulons être convaincus que l'équipe de direction est une bonne équipe qui se préoccupe du capital des actionnaires et obtient un bon rendement sur le capital.

Le sénateur Furey: Je ne voulais pas insinuer que vous essayez d'obtenir de l'information privilégiée mais c'est la culture d'entreprise qui semble importante pour vous lorsque vous cherchez à savoir dans quoi vous investissez. Est-ce bien cela?

M. Gibson: C'est très important. La plupart des entreprises sont en affaires depuis 20 ou 30ans, voire davantage. Si leurs bénéfices augmentent ou diminuent de 5p.100 le trimestre suivant, ça ne changera pas beaucoup la valeur de l'entreprise. Cependant, si la direction n'affecte pas adéquatement le capital lorsqu'elle investit les ressources de l'entreprise et si elle ne sait pas louvoyer dans le paysage concurrentiel, cela a beaucoup plus d'influence sur la valeur de l'entreprise que les bénéfices du trimestre suivant.

Le sénateur Hervieux-Payette: Je m'excuse à l'avance pour ma question vicieuse. Je me demande si vous avez appliqué la même technique d'analyse lorsque vous possédiez des actions de Nortel ou d'autres sociétés de télécommunications parce qu'on dirait que ce secteur s'est effondré. Les analystes ne semblaient pas remarquer que les actions étaient surévaluées. La fluctuation de la valeur des actions était liée à certains des chiffres qui étaient publiés. Comment avez-vous procédé en ce qui concerne ce secteur?

M. Gibson: Nos portefeuilles ne contenaient pas ce type d'actions lorsque nous étions à la recherche d'actions intéressantes, ce qui est une des tâches de mon groupe. Nous n'avions pas d'actions de ce secteur. Même en1999, nous avons eu un rendement supérieur à celui du marché sans posséder d'actions de ce type d'entreprises. Ce n'était pas facile, mais nous avons réussi.

Nous possédions des actions de ce genre dans nos fonds indiciels. Notre fonds indiciel le plus important est celui qui est basé sur l'indice de la Bourse de Toronto; il était évalué à une douzaine de milliards de dollars lorsqu'il a atteint son point culminant en1999. Je vous rappelle que Nortel représentait un tiers de cet indice. Nous aurions dû normalement avoir une exposition de 4milliards de dollars à Nortel dans le fonds indiciel.

Ce n'était toutefois pas le cas. Nous avons décidé qu'il était ridicule de placer 30p.100 de notre fonds indiciel dans une seule action. Nous n'avons pas tenu compte du fait qu'il s'agissait d'un fonds indiciel. Nous nous sommes demandé pourquoi nous avions investi 4milliards de dollars dans les actions d'une entreprise qui se vendaient à un multiple de 80 ou 90par rapport au bénéfice et nous ne faisions pas confiance au bénéfice déclaré. Nous avons vendu un pourcentage important des actions de Nortel qui étaient dans notre fonds indiciel et nous avons fait attraper des cheveux gris à nos responsables de ce fonds, mais nous pensions que c'était plus prudent.

Nous en possédons encore quelques-unes parce que nous ne les avons pas vendues toutes. C'eût été une décision extrême de vendre des actions de Nortel valant 4milliards de dollars qui se trouvaient dans un fonds indiciel. Si nous l'avions fait en1998, cela aurait coûté très cher à notre fonds de retraite. Nous les avons toutefois vendues en1999.

Nous avons vendu en outre les actions de plusieurs entreprises du secteur de la technologie se trouvant dans notre fonds indiciel et nous nous sommes servis des recettes de ces ventes pour acheter des actions moins coûteuses évaluées à un niveau raisonnable. Nous avions une position vendeur très importante sur le NASDAQ, où la surévaluation était la plus forte. Cela nous a permis de générer des résultats raisonnables lorsque toutes les actions se sont effondrées, même si nous possédons toujours une partie de nos actions de Nortel et d'autres entreprises du secteur.

Le sénateur Fitzpatrick: Je suis désolé, mais j'ai manqué une partie de votre exposé, monsieur Gibson. J'ai écouté vos réponses et je suis sûr que votre exposé était excellent.

Ces derniers temps, il a été question de rendre le processus des analystes indépendant des maisons de courtage en ce qui concerne les recommandations faites aux clients. Pensez-vous que ce serait une bonne initiative?

M. Gibson: C'est une bonne question. En fait, nous avions abordé le sujet dans notre exposé initial. J'y ai renoncé parce que je ne voulais pas faire un exposé trop long. Je peux vous dire quelles étaient nos recommandations à cet égard.

Si les maisons de courtage estiment qu'il est important de faire des études, nous recommandons que le service de recherche soit indépendant de la maison de courtage. Il devrait avoir un budget fixe pour l'année, qui ne soit pas lié aux recettes de l'entreprise provenant des autres sources. Le département de recherche devrait être supervisé par un conseil consultatif formé d'administrateurs externes indépendants. Cela permettrait de séparer les fonctions et de régler les problèmes de conflit d'intérêts. Les maisons de courtage sauraient alors combien leur coûte la recherche. Elles devraient dès lors décider si cela vaut le prix que cela coûte.

Si le service de recherche était indépendant, elles pourraient vendre leurs études à des tiers. Par exemple, si nous pensions que la recherche d'une maison de courtage ou d'un de ses services de recherche est de haute qualité, nous achèterions volontiers ses études, et nous ne serions pas les seuls.

Si les maisons de courtage ne peuvent pas offrir des services de recherche indépendants, les investisseurs établiront des firmes indépendantes parce qu'ils auront toujours besoin d'analyses adéquates, d'évaluations raisonnables et de diligence raisonnable. Nous ne pouvons pas consacrer personnellement une dizaine d'heures par jour à la gestion de nos portefeuilles. Nous devons compter sur d'autres personnes. Il y aura toujours des personnes qui sont prêtes à payer. Il est aussi possible que la recherche ne soit pas faite par les maisons de courtage. Elle peut être faite séparément. Merrill Lynch a accepté les solutions qui résolvent en partie le problème, mais elle ne fait pas une séparation complète entre la recherche et les autres services de l'entreprise. En outre, aucun règlement n'exige que la recherche soit supervisée par des administrateurs extérieurs indépendants.

Le président: C'était extrêmement intéressant. Merci d'avoir participé. Nous vous convoquerons peut-être à nouveau.

La séance est levée.


Haut de page