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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie


Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 44 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 30 mai 2002

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit ce jour à 11 h pour examiner, afin d'en faire rapport, la situation actuelle du régime financier canadien et international.

Le sénateur E. Leo Kolber (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Nous poursuivons ce matin nos audiences en vue d'examiner, afin d'en faire rapport, la situation actuelle du régime financier canadien et international. Nous allons entendre deux témoins. Le premier est Thomas S. Caldwell, président de Caldwell Securities.

M. Thomas S. Caldwell, président, Caldwell Securities Ltd: Merci de m'avoir autorisé à vous soumettre un exposé. Je vais traiter des grandes questions touchant les marchés financiers et, en conséquence, notre niveau de vie. J'espère vous dresser le contexte dans lequel s'inscrivent vos travaux actuels. Les questions sont vastes, et je vais tâcher de vous en donner un aperçu général.

Nos marchés financiers naviguent dans des eaux dangereuses depuis quelque temps. Dans les nouveaux secteurs de croissance novateurs, plus petits, il est devenu difficile, voire impossible, d'obtenir un financement de plusieurs millions ou dizaines de millions de dollars. Les structures ne sont pas là pour financer les sociétés plus petites.

Typiquement, les plus gros courtiers contrôlés par les banques ont besoin de transactions de 100 millions de dollars ou plus pour alimenter leurs départements de souscription et de distribution. Il ne reste plus qu'une poignée de sociétés de courtage, comparativement à la situation d'il y a 20 ans, qui peuvent faire cela. Toute société de cette taille qui vient nous voir pour du financement est tout de suite encouragée à aller voir aux États-Unis.

L'autre problème est que les grosses sociétés ont par ailleurs des soucis côté marché financier. Il est devenu de plus en plus serré pour les sociétés canadiennes de faire des opérations dans le contexte du marché canadien, en partie parce que nous avons éliminé l'environnement marché aux enchères de la Bourse de Toronto et que le gros de l'activité est monté au palier supérieur des opérations de position. En conséquence, le marché aux enchères est très mince. C'est pourquoi les prix peuvent être déplacés, manipulés et modifiés en prévision d'une plus grande activité de spéculation à plus long terme.

Autrefois, vous montriez un bloc d'actions à un teneur de marché sur le parquet qui avait l'assurance d'en obtenir un bout, et vous aviez un bon prix. Aujourd'hui, vous ne montriez jamais cela à un arbitragiste de banque, surtout en tant que société indépendante.

Il y a un excellent article dans le National Post intitulé «The End of Bay Street?», que je vous encouragerais à lire, car il traite de certaines de ces questions.

Ces deux choses existent du fait des structures que nous avons créées. Nous avons créé de grosses entités et détruit l'environnement indépendant, plus petit.

Il s'agit néanmoins de questions techniques, et nous pourrons y revenir plus tard. Elles ne sont pas très bien comprises par le public investisseur. Elles pourraient nous mener à notre perte.

Ce sont les grandes questions de gouvernance qui constituent la réelle menace pour le système. Elles sont extrêmement visibles et clairement comprises par le public. C'est la métaphore de la «tempête parfaite», dans laquelle les points techniques sont la tempête. Ils peuvent facilement nous faire périr. C'est la dernière grosse vague qui pourrait nous anéantir.

La situation actuelle présente toutes les marques de l'avidité, de l'intérêt à outrance, de la manipulation et d'un manque de confiance des investisseurs à l'égard des marchés des valeurs mobilières. Nous estimons qu'il nous incombe d'agir maintenant.

Nous avons fait passer dans les quotidiens nationaux une annonce adressée aux conseils d'administration et cadres des sociétés cotées en bourse. La réaction extrême d'un bout à l'autre du pays du spectre d'investisseurs nous a étonnés. Ce n'était pas juste l'actionnaire à une seule action Sweeney mécontent qui se plaignait de perdre de l'argent avec Nortel. Cela venait également d'administrateurs et de cadres supérieurs dans de grosses sociétés. Il nous faut synthétiser le problème au-delà d'une simple déclaration voulant que des vides moraux et éthiques existent et que nous n'ayons pas de système de valeurs consensuel.

J'aimerais regarder la chaîne alimentaire et retracer le problème qui y existe. Je pense que les régimes de rémunération des cadres absolument fous, qui mènent généralement à l'abus d'options sur titres, sont un facteur qui a beaucoup contribué à la situation actuelle. Dès lors que les cadres se voient accorder une rémunération disproportionnée, le problème commence à filtrer à travers les couches. Je dépose auprès de vous cet article du Financial Post, et je vous encourage à le lire. En bout de ligne, les entreprises finissent par être gérées par les gestionnaires pour les gestionnaires. On commence à mettre davantage l'accent sur la promotion des actions. Les symptômes du phénomène sont une obsession à l'égard des gains trimestriels, le désir de battre les estimations hors bourse — General Electric est un bon exemple — la dissimulation des aspects négatifs dans les états financiers et la reclassification des rubriques pour arranger les états financiers. La société IBM en est une bonne illustration. L'annonce de mauvaises nouvelles est retardée. Certaines ventes d'actions dans le secteur des télécommunications ont été faites entre la diffusion de déclarations de perspectives positives et des désastres soudains. Je citerai le cas de Nortel.

Cette pression redescend jusqu'au COF, qui a beaucoup à perdre, et revient au conseil, qui doit approuver les régimes de compensation des cadres. Le vieil argument voulant que les PDG soient des super vedettes ne tient pas. J'ai entendu les membres de comités de compensation dire qu'il leur fallait verser aux présidents de ces entreprises d'importantes sommes d'argent de crainte que ceux-ci s'en aillent aux États-Unis.

Un membre d'un comité de compensation d'une banque m'a dit cela. J'ai dit que j'habite New York. Une chose que je n'ai jamais entendue à New York est qu'il nous faut avoir un Canadien là-bas pour gérer Citicorp ou J. P. Morgan. À mon avis, ces arguments ne passent tout simplement pas.

Les membres de conseils d'administration ont tendance à s'aligner sur les gestionnaires et les autres administrateurs. Ils oublient qu'ils ont des comptes à rendre aux propriétaires des entreprises et aux actionnaires. Ils les considèrent comme étant une force externe. Les administrateurs bien branchés hésitent à renvoyer des cadres.

Je dirais, dans leur défense, que les membres de conseils d'administration peuvent se faire avoir. Je siège à plusieurs conseils, notamment ceux de filiales de compagnies américaines ici au Canada. On peut nous tromper sans grand effort. L'expertise nécessaire devrait ou se trouver à l'intérieur des conseils d'administration ou être disponible à l'extérieur.

Côté comptabilité, nous sommes considérés par les Américains comme étant une contrée tout à fait sauvage. Seules les institutions financières les plus sophistiquées feront des opérations ici et aucune d'entre elles ne connaît la différence entre les principes comptables généralement reconnus du Canada et les PCGR américains. Je pense que cela fait des années que la recherche dans notre secteur des valeurs mobilières est catastrophique, et les investisseurs obtiennent ce qu'ils achètent. S'ils ne veulent pas payer de commission, la recherche sera payée par le financement des entreprises. Des situations telles celles de Merrill Lynch et M. Blodget sont monnaie courante.

Le Tsunami, qui est une menace pour nos marchés financiers, commence à se faire sentir. Les investisseurs s'en vont en masse. Ils considèrent les marchés publics comme étant truqués. La plupart d'entre eux n'ont pas fait d'argent depuis des années. Il est clair que les gardiens ne gardent pas le système.

Les investisseurs s'intéressent à d'autres catégories d'avoirs, par exemple immobilier, bateaux, condominiums et voitures. Nous pourrions tendre vers un scénario genre années 30, dans le cadre duquel les investisseurs individuels se désintéresseront des actions ordinaires.

Cela aurait des ramifications pour les investisseurs institutionnels.

Vous ne pouvez pas attaquer directement les régimes de compensation des cadres, mais il est clair que là où il y a conduite intentionnelle ou dommageable, des sanctions pénales devraient être poursuivies plus rigoureusement.

Les options sur titres devraient figurer comme étant une dépense. Les actionnaires paient sous forme de propriété diluée. En dépit de toutes les études et de toutes les recommandations faites au fil des ans, les conseils d'administration n'ont toujours pas axé leurs prévisions sur l'intérêt des actionnaires. Il importe qu'il y ait une plus grande reddition de comptes.

Il est facile pour moi de faire des suggestions. Les honorables sénateurs devront avoir la sagesse de Salomon pour trouver des réponses.

Je pense qu'il faudrait qu'il y ait une exigence en matière d'investissement minimal dans l'entreprise de la part des administrateurs, mettons 50 000 $, sans prêt aux administrateurs et sans option sur titres pour eux. Si 20 p. 100 des actionnaires sont mécontents, alors le même montant d'argent devrait être dépensé pour déloger un membre du conseil d'administration que la société n'en dépense pour le défendre. Qu'il soit plus facile de recueillir des noms pour obtenir les 20 p. 100. Il importe que les conseils soient plus vulnérables.

Il faudrait peut-être qu'il y ait une limite au nombre de conseils d'administration auxquels peut siéger une personne. Cinq ne serait pas un mauvais chiffre. Les entreprises devraient par ailleurs prévoir des fonds pour payer des conseillers et des vérificateurs indépendants qui seraient chargés de conseiller le comité de vérification. Les vérificateurs peuvent eux aussi être victimes de pressions.

Vous avez eu plusieurs audiences portant sur le volet vérification de l'équation. La flexibilité côté comptabilité a, en ce qui me concerne, enlevé tout sens à de nombreux états financiers. Je suis un utilisateur plutôt qu'un producteur de données. Si vous regardez les changements dans les rapports de vérificateurs, ils ont en quelque sorte régressé. La valeur comptable ne signifie plus grand-chose. Il n'y a pas d'avertissement d'effondrement éminent. Nortel et Laidlaw sont des exemples éloquents de cela.

Lorsque je regarde des états financiers, il me faut beaucoup fouiller pour déterminer comment on a essayé de colorer les choses. J'ai discuté avec un ancien PDG d'Air Canada pour essayer de savoir d'où provenaient les vrais chiffres. Il y a dans la vie deux secteurs dans lesquels la créativité est découragée — le pilotage et la comptabilité, et il était actif dans les deux.

Bell Canada a déchiqueté 700 000 rapports annuels il y a quelques semaines. Pourquoi? Est-ce que le bleu était de la mauvaise teinte? Y avait-il une faute de grammaire? Il est clair que les chiffres avaient été trafiqués ou qu'il y avait un problème et que les vérificateurs n'étaient pas satisfaits.

Il y a un certain cynisme. Il nous faut aujourd'hui des états financiers simples et clairs. Tout comme les prospectus, la seule chose qu'ils protègent c'est le niveau de vie des personnes qui les préparent.

Lorsque j'ai lancé la Caldwell Securities en 1981, la seule chose qui comptait pour moi c'était l'argent comptant. Lorsque j'ai abandonné cette méthode simple en faveur de la comptabilité d'exercice, j'ai perdu ce sens de contrôle. Il nous faut revenir aux vrais chiffres d'encaisse réelle. Il existe en la matière de nombreux exemples. Les états des mouvements de la trésorerie sont inutiles car le problème commence avec la comptabilité d'exercice.

J'ai récemment rencontré un représentant d'une société de technologie. Je lui ai dit qu'il n'y avait que trois choses qui m'intéressaient relativement à l'entreprise. Je voulais savoir combien d'argent elle avait en banque, combien d'argent rentre chaque mois et combien d'argent sort chaque mois. Tout ce qui m'intéresse, ce sont les perspectives de survie. Il lui a fallu 20 minutes pour me donner une réponse, alors ou il mentait ou il est stupide. J'espère qu'il mentait.

Des personnes plus compétentes que moi en la matière traiteront des PCGR canadiens comparativement aux PCGR américains. J'ai passé beaucoup de temps dans notre bureau à New York. Les Américains considèrent toujours que ce qui est «différent d'eux» est inférieur à eux. Il y a un solide argument en faveur d'un certain alignement. La réputation du Canada en matière de qualité et de conservatisme devrait s'étendre à la comptabilité.

Paul Volker, ancien président de la Réserve fédérale, aujourd'hui à la retraite, a recommandé que soit créé un conseil de surveillance indépendant qui serait chargé d'établir et de contrôler les normes en matière de vérification. Des exemples parallèles seraient la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario (CVMO) et l'Association canadienne des courtiers en valeurs mobilières (ACCOVAM).

Si les organes de réglementation n'agissent pas, alors c'est le secteur privé qui bougera. Standard & Poors ont récemment établi leurs propres normes quant à l'analyse des entreprises. Ce sont ces normes que je vais utiliser. Si des sociétés canadiennes n'y figurent pas, alors peu m'importe.

Quant aux organes de réglementation des titres, nous sommes dans notre industrie un peu schizophrènes. Nous infligeons des sanctions extrêmes aux petits contrevenants pour des raisons de perception, mais nous laissons les grands coupables se tirer avec leurs sous. On a pu voir cela à l'intérieur de la ville d'Ottawa: un délit d'initié d'une valeur de 23 millions de dollars n'a donné lieu qu'à une amende de 1 million de dollars — pas une mauvaise transaction.

Il nous faut aujourd'hui un organe de réglementation national. À l'époque de l'affaire Bre-X, je siégeais au conseil de direction de la Bourse de Toronto. Je discutais avec le président Visa aux États-Unis. Il a dit que le Canada n'avait pas de commission des valeurs. J'ai essayé de lui expliquer, et il est tout simplement parti.

L'argument régional en faveur de commissions distinctes ne tient plus aujourd'hui parce que les petites entreprises ne sont pas en mesure de financer cela. Ce n'est pas faisable. Nous nous sommes éloignés de cela.

Si le Québec ne veut pas en faire partie, comme on a pu le lire dans les journaux aujourd'hui, alors nous ne pouvons plus jouer à ce jeu. Il nous faut établir une commission nationale d'un genre ou d'un autre. Si le Québec veut s'y joindre, très bien. S'il ne veut s'y joindre, alors très bien. Cependant, une maison divisée dans ce contexte ne résistera pas. Il nous faut garder cela à l'esprit. S'ils sont suffisamment gros pour avoir leur propre commission, alors peut-être qu'ils sont suffisamment gros pour ne pas être protégés avec leurs sièges sociaux à Montréal. Mais c'est là une toute autre question.

Nous devons être concurrentiels à l'échelle internationale, et il nous faut une voix en matière de valeurs mobilières pour traiter avec la Securities and Exchange Commission et avec d'autres organes de réglementation. Par exemple, nous ne pouvons pas obtenir de cotation canadienne sur les appareils de cotation américains, parce que nous ne pouvons pas négocier.

Le président: Pourriez-vous, s'il vous plaît, parler plus lentement. Les interprètes vous seraient reconnaissants de bien vouloir ralentir.

M. Caldwell: J'essaie de boucler dans le temps qui m'était alloué, et il me reste encore une page.

Un examen quinquennal comportant de nombreuses recommandations va bientôt sortir. Les recommandations Merrill et Spitzer sont adéquates. L'ACCOVAM a également fait des recommandations.

Afin d'encourager de nouvelles émissions, les négociants de banque devraient être tenus d'offrir des participations plus importantes de type «syndicat de vente» à de petites sociétés indépendantes. Cela leur permettrait de poursuivre leurs activités dans cet environnement de nouvelles émissions et encouragerait le financement de sociétés plus petites.

En ce qui concerne les faillites, lorsque les gardiens échouent, et c'est ce qui arrive régulièrement, il nous faut envisager des changements qui permettent aux entreprises de surmonter la faillite tout en préservant la valeur pour les actionnaires. Tout le monde devrait assumer sa part dans ces affaires.

Je soulignerai également les possibilités aux États-Unis en vertu du chapitre 11. Par exemple, Laidlaw était une société à participation multiple, mais les banques ont néanmoins demandé le plein remboursement de son exposition totale, ce au détriment des actionnaires. Les actionnaires devraient eux aussi avoir l'occasion de récupérer une partie de leurs pertes. Peut-être qu'ils se retrouveront avec 10 p. 100. Chrysler est ici un bon exemple.

Un autre écroulement d'envergure aura des ramifications massives sur notre système. Je ne veux pas penser à ce qui se passerait si les marchés dérivés de 111 billions de dollars US se débouclaient, ou si perdaient leur couverture les nombreux fonds de couverture achetés à crédit, comme par exemple le capital à long terme.

On blaguait autrefois en disant, pour employer le terme anglais pour couverture, «hedge», que les seuls «hedge» parfaits (haies) se trouvent en Angleterre et sont coupés deux fois par semaine. Il n'y a pas de couverture. Il y a deux risques, et il faut espérer que l'un compense l'autre.

Le problème, en bout de ligne, est que de nombreux cadres et institutions financières s'efforcent de servir trop de maîtres. Il en résulte que le vrai client, l'investisseur, non seulement est mal servi, mais il est mal protégé.

Le sénateur Hervieux-Payette: Nous n'avons pas été renseignés au sujet de l'entreprise de M. Caldwell. Donnez-nous quelques renseignements à son sujet.

M. Caldwell: Je suis une voix solitaire qui crie dans la nuit.

Le sénateur Hervieux-Payette: J'ai aimé votre exposé, mais j'aimerais savoir qui nous parle.

M. Caldwell: Nous vous avons envoyé un résumé. J'oeuvre dans le domaine de l'investissement depuis l'obtention de mon diplôme de McGill en 1965. J'ai travaillé au Canada et aux États-Unis avec des gros cabinets. J'ai lancé la Caldwell Securities à Toronto en 1981. J'en suis aujourd'hui le président et je gère nos opérations à New York. Nous sommes des courtiers indépendants.

Nous sommes membres de la Bourse de Toronto et de l'ACCOVAM. Nous sommes également gestionnaires d'investissement pour un certain nombre de clients très fortunés.

J'ai siégé au conseil d'administration de l'ACCOVAM et j'ai été nommé pour y servir à nouveau, ce que je vais entreprendre de faire sous peu. Je suis ancien administrateur de la Bourse de Toronto. J'ai activement défendu de mon mieux, au fil des ans, les intérêts des actionnaires.

Le sénateur Kelleher: Certains des témoins qui vous ont précédés ont dit, sans doute à juste titre, que les lois du Canada sont quelque peu déficientes dans ce domaine. Peut-être qu'elles ne sont pas suffisamment exigeantes. D'aucuns nous ont dit que nous devrions nous rapprocher davantage du système américain.

Il importe d'y réfléchir, étant donné que ce sont le système et les règles américains qui ont donné lieu à l'affaire Enron. Il y a lieu de se demander s'il nous faut avancer sur cette voie.

Notre comité s'est rendu en Angleterre il y a quelques années, tout juste au moment où entraient en vigueur les nouvelles lois britanniques. Je suis certain que vous connaissez la structure britannique en la matière.

Bien évidemment, le Québec s'y est penché. Son nouveau système, comme cela est dit dans les journaux de ce matin, laisse entendre que c'est bien le cas. Ne devrions-nous pas nous pencher également sur le système britannique avant de courir adopter en vrac le système américain? Peut-être qu'il y a là-dedans quelque chose qu'il nous faudrait inclure également.

M. Caldwell: J'aime bien les choses simples. Nous vivons dans un contexte nord-américain. Les Britanniques sont de petits investisseurs dans le Canada, s'agissant de titres ou de financement. Nos transactions se font avec les États-Unis. Ma préférence serait qu'on s'aligne sur les États-Unis. Nous pourrions examiner les systèmes britanniques pour y relever les aspects qui présentent un certain mérite.

Le secteur des valeurs mobilières est l'un des plus réglementés au monde. Nous avons de bonnes lois sur papier, mais il nous faut les appliquer. Il y a quelques lacunes. Si l'ACCOVAM impose une amende à quelqu'un qui quitte le secteur, l'amende n'est jamais payée. Il y a de nombreux cas de personnes qui se sont fait imposer des amendes de 100 000 $ et qui ont été rayés à vie. Pourquoi de telles personnes paieraient-elles l'amende? Elles s'en vont tout simplement. Il doit y avoir en place un système qui puisse être appliqué.

Il nous faut nous pencher sur la criminalité. Je ne parle pas d'emprisonner quelqu'un pendant cinq ans. Mais incarcérer un PDG de haute voltige pendant deux semaines ou 30 jours attirerait autant l'attention des gens que des amendes.

Nous avons sur papier des lois qui pourraient être mieux appliquées. Il y a des lacunes, mais côté réglementation, je favoriserais un alignement sur les États-Unis, car nous investissons là-bas et les Américains investissent ici.

Nous voulons que les Américains s'intéressent davantage aux valeurs mobilières canadiennes. Je ne peux pas parler pour la Bourse de Toronto, mais il serait merveilleux que des entreprises canadiennes soient exposées à des courtiers aux États-Unis. Cela veut dire qu'il faudrait un organe de réglementation national qui s'occupe de la négociation, sans quoi l'OSE ou le TSE tenteront de négocier et ils sont tous deux considérés comme étant des parties régionales ou intéressées.

Le sénateur Kelleher: Certains des prétendus «experts» dans le domaine disent que nous ne devrions pas trop nous aventurer avec de nouvelles règles. Il nous faut être prudents pour ne pas nous retrouver dans une situation dans laquelle il y a une telle sur-réglementation qu'il n'est plus possible de faire affaire; tout ce qu'on fait alors c'est augmenter les coûts.

Est-ce, dans le contexte actuel, une inquiétude valable?

M. Caldwell: Il s'agit d'une inquiétude valable, car dès que vous avez des désastres comme Enron et Nortel, tout le monde veut faire quelque chose. La question est de savoir quoi faire et à quel degré. L'on craint que les réactions soient exagérées.

J'ai souligné un autre problème en matière de réglementation au fil des ans. L'activité était autrefois réglementée par le TSE. Les gens diront peut-être que la bourse pourrait être de mèche avec le secteur. Cependant, c'était efficace. Si nous avions un problème ou pouvions en voir venir un, il était possible d'appeler le TSE et de demander ce qui se passait, ce que cela signifiait. Nous discutions de toutes ces choses. Il y avait davantage de discussions. C'était une réglementation efficace.

Lorsque les organes de réglementation ont pour but de dire «ça y est, je t'ai vu», les gens ne vont rien leur raconter du tout. Même s'il y a peut-être davantage de règles, nous avons perdu la capacité de comprendre ce qui est vraiment important dans le secteur.

Il y a en matière de comptabilité, de réglementation des valeurs mobilières, de faillites, de compensation et d'imputabilité des conseils d'administration des questions qu'il nous faut régler. Ce sont ces questions-là que j'examinerais.

Le sénateur Angus: J'ai trouvé votre exposé fantastique. Plus tôt dans la journée, je me demandais qui vous étiez et qui vous alliez représenter. Nous sommes allés sur l'Internet dans mon bureau pour nous renseigner et j'ai appris beaucoup de choses au sujet de Caldwell. Si j'ai bien compris, vous êtes l'un des seuls cabinets de courtage «indépendants», si je puis dire, qui existent encore. Vous êtes fiers d'être indépendants par rapport aux grosses banques.

Serait-il juste de dire que l'une des raisons pour lesquelles vous parlez aussi franchement de ces questions, et dans certains cas avec autant de courage, est que vous êtes directement intéressé à veiller à ce que nos marchés financiers ne se trouvent pas en situation de «tempête parfaite» et à ce qu'ils retrouvent leur santé?

M. Caldwell: Absolument. C'est une convergence d'intérêt propre et d'intérêt national. Nous avons en tant que cabinet indépendant certaines possibilités. Nos plus gros concurrents respectent cela et nous ont à l'occasion appuyés. Lorsque nous avons défendu les intérêts des actionnaires, l'une des grosses banques a fait affaire avec nous pour nous aider.

Du fait de notre indépendance, nous ne nous occupons pas de souscription ou de financement pour les gens. Nous voyons là un conflit dans la gestion d'argent. Nous avons l'occasion de nous prononcer sur ce qui se passe. Ce sont des questions qui sont importantes pour la survie de toute société active dans le secteur des valeurs mobilières, y compris la nôtre. Nous nous sommes toujours rangés du côté de l'investisseur. Notre intention a toujours été la même.

Le sénateur Angus: Je vous félicite pour cela. Il est essentiel que des personnes jouissant de votre crédibilité prennent la parole. Votre indépendance vous permet de faire plus que ne le peuvent les autres.

Sur votre site Web, il y a un examen et des prévisions économiques dans lesquels vous déplorez la situation actuelle. Même si l'économie regagne un peu de son optimisme, en tout cas selon le gouverneur de la Banque du Canada, vos collègues ont dit qu'il y a un manque de crédibilité et que les investisseurs se méfient des pratiques comptables des sociétés. Ils se méfient des chiffres. Vous concluez en disant qu'il faudrait qu'il y ait une relance économique plus large assortie d'une comptabilité plus conservatrice, ce qui devrait déboucher sur de meilleurs marchés boursiers à l'avenir.

Le mot «conservateur» est l'un de mes mots préférés. Qu'entendez-vous par là? Nous avons eu une séance intéressante hier avec deux experts. J'ai fini par être quelque peu confus quant aux PCGR américains, PCGR canadiens, FASB, FASB international, et commissions chargées des normes de comptabilité. Un autre témoin ce matin va préconiser l'adoption de normes internationales de comptabilité par opposition aux normes américaines ou canadiennes. Je suis confus.

Pourriez-vous nous expliquer un peu cela ainsi que ce que vous entendez par comptabilité «conservatrice»?

M. Caldwell: Les marchés boursiers et l'économie se sont déboîtés. Nous avons vu de bons chiffres économiques, mais les gens du marché disent que cela ne compte pas pour eux. Ils ne croient pas ce qui se passe. Il y a eu une séparation des deux.

Les marchés ont été relativement élevés ces derniers temps conformément aux gains publiés. Il y a eu un écart. Le sentiment est que ou le marché doit revenir à ce qui est raisonnable, soit peut-être 7 000 sur le Dow par rapport aux multiples des gains, en supposant que vous les acceptez, ou il faudra négocier à l'intérieur d'une fourchette donnée en attendant que les gains rattrapent l'écart. Cependant, nous avons tout d'un coup découvert que ces gains ne sont pas là, mais bien de l'autre côté. Tout le monde est aujourd'hui en train d'apprendre ses leçons et de revenir à terre. Les vérificateurs sont exigeants. Je siège à plusieurs conseils d'administration, et les gestionnaires n'obtiennent pas ce qu'ils veulent des vérificateurs. C'est ce qui va arriver.

Le sénateur Angus: Lorsque vous dites qu'ils sont «de l'autre côté» voulez-vous dire que la qualité des gains telle que rapportés s'améliore?

M. Caldwell: Nous avons découvert à cet égard certaines erreurs, qui ont été enlevées. Cela est en train de s'abaisser au fur et à mesure que tout le monde essaie de se rattraper et de ne pas être trop agressif côté comptabilité. Les questions des PCGR, canadiens et américains, et des normes internationales sont complexes. Bien franchement, cela me dépasse. J'utilise ces données et je le sais lorsqu'ils bricolent les chiffres. Pour en revenir à la boîte de technologie, ma question était de savoir combien d'argent est là. Peut-elle survivre? C'est une question pour Nortel: cette entreprise peut-elle survivre? C'est cela qui m'intéresse. Je veux examiner cela, mais je ne veux pas me lancer ici dans des recommandations en matière d'actions.

Je vais vous soumettre une idée. Le gros de nos affaires et de notre commerce se fait avec les États-Unis et non pas avec l'Europe ou un quelconque autre pays. C'est avec les États-Unis. J'encourage le comité et les autres à garder cela à l'esprit. Nos cousins américains ont le sentiment, réel ou imaginé, que si l'on n'utilise pas ce que eux utilisent, alors ce n'est pas bien. L'un de mes partenaires, qui est à peu près aussi aveugle que moi, s'est récemment rendu à Nashville. Il a dit «Vous devriez avoir des billets de banque de couleurs différentes, comme nous. C'est très nettement supérieur». Il n'a pas réussi à les convaincre. Si les États-Unis font les choses de telle façon, alors cette façon doit forcément être meilleure. Il nous faut reconnaître cette réalité. Voilà la seule suggestion générale que je ferai.

Le sénateur Angus: Je comprends la logique de cela. C'est certainement ce point de vue qu'avait le professeur Thornton hier. C'est notre monde. C'est dans ce contexte que nos transactions se font et que nos capitaux doivent être trouvés. On nous a donné certains renseignements dans le cadre de cette étude, notamment des états financiers et le bilan conformément aux PCGR américains et au PCGR canadiens. Il y a peut-être un écart de 40 p. 100 en bout de ligne. J'ai trouvé cela très éloquent. Le pauvre investisseur particulier, lequel, je l'espère, vous représentez lorsque vous dites...

M. Caldwell: Nous espérons qu'ils ne sont pas pauvres à l'heure actuelle. Chaque fois que j'ai discuté avec un investisseur américain, il a été question de la comptabilité canadienne agressive. «Vous ne pouvez pas faire confiance aux chiffres là-haut». Ils nous voient comme de mauvais garçons. J'ai essayé de les convaincre que ce sont les Australiens qui sont les mauvais garçons, mais ils nous assimilent à eux s'agissant de ce genre de choses. Ce serait là ce que je vous encouragerais à faire. C'est le sujet numéro un aux États-Unis. Si nous voulons que l'investissement ici remonte, il nous faut nous aligner sur ces règles. Oubliez le nationalisme et le régionalisme. Qu'on se lance dans le grand jeu.

Le sénateur Angus: Je siège au conseil d'administration d'Air Canada, et je suis également membre du comité de vérification. Pourriez-vous répéter ce que vous avez dit? Je lisais mes notes lorsque je vous ai entendu citer l'un de nos anciens PDG.

M. Caldwell: Comme vous le savez, votre compagnie ne baigne pas dans la gloire depuis quelques années pour ce qui est des profits.

Le sénateur Angus: Ce n'est pas une question de qualité. Il n'y en a tout simplement pas eu.

M. Caldwell: Cela a été glané auprès d'autres secteurs, soit par vente et cession-bail, soit par la vente de Galileo, dans ce cas-ci.

Le sénateur Angus: C'était bien sûr la faute au sénateur Fitzpatrick.

M. Caldwell: Cela ne me demande en général pas si longtemps pour offenser les gens que dans le cadre de la réunion en cours. Je pense que Galileo a été intégré aux gains. Pourquoi voudriez-vous augmenter vos gains juste avant d'entamer des négociations avec les pilotes? Je ne pouvais pas comprendre cela, mais il y a beaucoup de choses que je ne comprends pas.

Le sénateur Angus: J'aimerais répéter cela plus tard à Robert Milton.

M. Caldwell: Il y a dans la vie deux domaines dans lesquels la créativité est découragée, le pilotage et la comptabilité. Vous oeuvrez dans les deux.

Le sénateur Banks: J'ai été ravi de vous entendre dire que les gestionnaires n'obtiennent pas ce qu'ils veulent des vérificateurs.

M. Caldwell: Cette tendance est en train de commencer. Je vois cela dans toutes les entreprises auprès desquelles je suis actif. Franchement, les vérificateurs ont peur. Tout le monde doit se sentir un peu vulnérable dans ce processus.

Le sénateur Banks: Il y a de bonnes raisons à cela. C'est une question hypothétique, mais elle découle d'une chose que vous avez mentionnée et qui a été soulevée ailleurs. Si nous mettions en place un régime axé sur le modèle américain de PCGR, mais haussions la barre et faisions en sorte que ce soit très exigeant, je sais que certains secteurs de l'économie paniqueraient. Pensez-vous qu'après quelques difficultés à court terme cela pourrait déboucher sur des gains à long terme? Si l'on se méritait le «label de qualité pour bonne tenue» cela attirerait-il l'investissement au Canada?

M. Caldwell: Je me débats avec cette question depuis plusieurs jours. Personne n'a jamais regretté avoir acheté de la qualité. Qu'en serait-il si nous étions la norme en matière de qualité? Qu'en serait-il si nous étions un cran au-dessus des autres et que les gens disaient «Oui, c'est là qu'il faut être»? Cela semble bien en théorie, mais, dans la pratique, cela nous ramène encore une fois à cette question de billets de banque de couleurs différents. C'est clairement supérieur. Je présume que nous ne serions pas appréciés. J'aime l'idée de la qualité canadienne. Je vis et je travaille à New York et je suis en concurrence avec des types assez costauds. Nous pouvons réussir là-bas. J'aime l'idée du conservatisme et de la qualité canadiens, et j'aimerais voir cela dans de nombreux domaines. Qu'on s'en occupe.

Ce que je pense c'est que nous sommes parfois confrontés à un sentiment de fierté. Je ne veux pas critiquer les Américains, car si nous devions choisir des voisins, l'on ne pourrait pas en choisir de meilleurs que les Américains.

Le sénateur Banks: Je ne parle pas de fierté.

M. Caldwell: C'est leur fierté. C'est différent de leur façon de faire; ce n'est pas aussi bien. Cela pourrait être néfaste dans la pratique. J'ai vu les deux côtés de la médaille.

Le sénateur Meighen: Prenez votre temps, monsieur Caldwell. Cette séance est très intéressante.

M. Caldwell: Je ne veux pas être un courtier-bonimenteur ici.

Le sénateur Meighen: Il n'est pas habituel à Ottawa, comme vous le comprendrez, d'entendre les gens parler franchement. C'est formidable. Peut-être que notre erreur fondamentale a été d'autoriser les courtiers de banque. Quelles sont vos suggestions pour débrouiller l'omelette? La seule chose que je vois serait de se mettre à genoux et de leur demander d'avoir la gentillesse d'inclure dans leurs syndicats une certaine indépendance. Ce ne semble pas être une solution fondamentale.

M. Caldwell: Ce ne l'est pas, mais c'est une solution partielle.

Cela ne me plaît pas d'être assis devant vous et de dire «Je vous l'avais dit», mais j'ai consacré beaucoup de temps et d'efforts à la révocation de la loi aux États-Unis, autorisant les banques commerciales et d'investissement à refusionner. Le Canada a emboîté le pas aux États-Unis. J'ignore si nous avions beaucoup de choix dans l'affaire. Je n'ai peur ni des grosses banques ni des fusions bancaires. Le génie est déjà sorti de la bouteille.

Le sénateur Meighen: Vous auriez dû venir ici il y a quelques années.

M. Caldwell: On ne m'avait pas invité.

Le sénateur Meighen: Vous avez une invitation ouverte.

M. Caldwell: Je crois néanmoins que ce fut une erreur catastrophique pour le développement économique canadien. Cela a carrément anéanti la capacité de financer aux niveaux inférieurs. Peu m'importe si des compagnies disent «Nous avons un bras capital-risque».

Nous n'avons plus les moyens de financer de nouvelles entreprises aux niveaux les plus élevés. Le système a cessé de donner des conseils en investissement et s'occupe aujourd'hui d'obtenir des dépôts.

Dans ma première présentation, j'ai parlé de la théorie des ensembles mathématiques. Si vous faites ceci, cela va arriver; si vous faites telle autre chose, ceci va arriver; si vous faites les deux, les résultats peuvent être à huit milles d'ici. Je me souviens que la réponse que l'on m'avait donnée à l'époque était que les quatre piliers allaient tenir, notamment compagnies d'assurance, compagnies de fiducie, banques et courtiers. Clairement, trois des piliers étaient faits de pâte à modeler. Je ne pense cependant pas que nous puissions défaire la situation. Elle est là. Il y a de nombreuses décisions dans ma vie que j'aimerais pouvoir reprendre, mais je ne le peux pas. Il me faut avancer, et il nous faut avancer avec ce que nous avons. Cela a été très dommageable. Comment pouvons-nous bricoler cela?

Le sénateur Meighen: Quelles entraves y a-t-il à l'émergence de nouvelles sociétés du type Caldwell Securities? Ont- elles du mal à attirer des clients du fait de la présence écrasante...

M. Caldwell: Il vous faut comprendre qu'une banque peut dépenser plus sur de la publicité en une seule journée que nous nous pouvons en dépenser en l'espace de toute une année. Les banques ont une exposition massive. Il y a quelques années, j'ai parlé au comité des ventes liées, et vous vous souviendrezpeut-être que les banques disaient qu'elles n'existaient pas. Aujourd'hui, elles ont des règles à cet égard, qui ne sont pas appliquées, mais elles ont également un énoncé de politique. Lorsqu'un type arrive pour un prêt, on lui dit «Nous aimerions beaucoup vous accorder un prêt, mais il nous faut nous occuper de votre situation bancaire totale. Pouvons-nous nous occuper de votre REER, de votre voiture, de votre hypothèque et de votre assurance-vie?»

C'est comme Toronto, qui est un gros trou noir qui avale tout, et ce n'est pas bon pour le pays — les banques sont de gros trous noirs qui avalent tout. Il y aura toujours des doutes quant à ce qui est arrivé à Eaton's, qui était en affaires depuis 150 ans, puis a eu des problèmes avec ses banques. Les sociétés contrôlées par les banques ont fait une souscription et ont vendu pour 150 millions de dollars à des actionnaires qui ne se doutaient de rien, et qui étaient séduits par une société à grande valeur symbolique. Moins d'une année plus tard, la société était acculée à la faillite et les investisseurs ont tout perdu. Voilà le pourquoi de Glass-Steagall aux États-Unis en 1933. J'ignore comment l'on fait pour arriver là.

Je me lève chaque matin et je suis en concurrence avec des gens qui ont 10 000 fois nos capitaux et 10 000 fois notre personnel. Je pense être en mesure de leur livrer concurrence, mais c'est néanmoins un dur métier. Encore une fois, chaque règle qui est adoptée ne nuit pas aux banques, mais aux sociétés indépendantes. Chaque fois que je vois pointer une nouvelle règle, je la regarde et je me demande «Comment vont-ils essayer de nous coincer cette fois-ci?» Ils ont des armées de gens pour faire cela.

Je regardais mon rapport ici et je trouvais qu'il était un peu embrouillé parce que j'ai un travail à faire le jour — je gère l'argent des gens et il me faut y consacrer du temps. Nous n'avons pas assez de gens pour envoyer quelqu'un ici à Ottawa. Lorsque j'ai comparu devant le comité lorsqu'il examinait les ventes liées, je me sentais comme «M. Smith s'en va à Washington» lorsque j'ai vu à quel point le lobby des banques était fort ici. Je n'ai ni le temps ni le personnel qualifié pour ce genre de chose. C'est un peu difficile.

Comme l'a dit Solzhenitsyn, des brins d'herbe vont pousser à travers le béton. Il existe des sociétés indépendantes remarquables. Les sociétés bancaires ne sont pas si mauvaises non plus. Elles font ce qu'elles peuvent. Le problème est qu'elles emmagasinent des dépôts et qu'elles vendent de la marchandise en masse, au lieu de tout simplement s'occuper de donner des conseils.

Le sénateur Meighen: Je partage votre avis en ce qui concerne les niveaux de compensation absolument obscènes. Je ne comprends pas du tout pourquoi il faut que quelqu'un encaisse 25 millions de dollars. Pour citer le sénateur Angus, je me considère comme étant un «conservateur». Le seul argument que j'aie jamais entendu est que si c'est là ce que se font payer les dirigeants de grosses boîtes et que vous voulez les meilleurs, alors il faut payer ce que paie le marché.

M. Caldwell: Chainsaw Al ne valait pas 50 millions de dollars lorsqu'il a démoli Sunbeam. Il n'y a pas de superstars. Détrompez-vous si vous n'êtes pas convaincus que la gestion de toute compagnie, quelle qu'elle soit, est un sport d'équipe. Même dans une société de la taille de la nôtre, qui a moins de 100 employés, c'est un travail d'équipe.

Regardez le sondage du Post. Je ne vais pas citer de noms, mais il y a au Canada des boîtes dont les PDG ont été payés davantage l'an dernier que leurs prédécesseurs ont touché pendant toute leur carrière, au sein de la même entreprise, même après rajustement pour l'inflation. Ce n'est pas possible! Si vous allez me payer 85 millions de dollars pour faire mon travail, j'accepte. Les personnes responsables sont les conseils d'administration et les comités de compensation. L'argument quant à la nécessité de verser une certaine compensation aux superstars ne tient pas. Il y a beaucoup de gens très forts qui peuvent bien gérer des boîtes dans ce pays pour la piètre somme d'un peu moins de 10 millions de dollars.

Le sénateur Meighen: Il y a des superstars qui peuvent faire un mauvais travail.

M. Caldwell: Ils ont tendance à le faire, car le danger est que vous croyez les coupures de presse.

Le sénateur Meighen: Vous avez à quelques occasions mentionné que, du fait des incertitudes qui planent sur le marché et des «scandales» dont on entend parler presque à chaque jour dans les journaux, des foules d'investisseurs s'en vont. Je n'en doute pas, mais avez-vous des données pour appuyer cela? Les fonds mutuels, toujours présents, surtout sur notre marché, compte indirectement pour une part importante des investisseurs.

M. Caldwell: En effet. C'est surtout anecdotique. Je parle chaque jour à de nombreuses personnes dans notre secteur. Si vous parlez à une seule personne, c'est anecdotique. Si vous parlez avec un nombre suffisant de personnes, alors c'est la réalité. Vous pouvez regarder le secteur des fonds mutuels, et les récupérations nettes sont monnaie courante. Les investisseurs se retirent en grand nombre, mais ce n'est peut-être pas permanent.

Je discutais récemment avec un client à New York qui m'a dit «Nous sommes vraiment très mécontents des marchés, alors nous avons acheté de l'immobilier, et nous nous sentons mieux. L'argent sera investi dans quelque chose. Nous n'allons pas regarder du côté d'actions ordinaires ou d'obligations de sociétés parce que nous ne faisons pas confiance aux chiffres». Tout d'un coup, il y a quelque chose qui sort de nulle part. Laidlaw se débrouillait très bien puis, tout d'un coup, ses chiffres n'étaient plus très bons. Si nous avions voulu de la recherche sur la gestion de déchets, il aurait suffit de regarder The Sopranos, car la comptabilité n'a aidé personne. Ils n'ont pas averti une seule personne de ce qui se passait. Les investisseurs n'ont pas gagné d'argent, ils voient les scandales et les régimes de compensation incroyables, et ils optent donc pour d'autres types d'investissement.

Le sénateur Meighen: Pour que les choses soient claires, vous ai-je bien entendu dire que si le Québec voulait maintenir une commission indépendante, si le reste du pays s'organisait, cela ferait beaucoup pour régler les problèmes que vous constatez à l'heure actuelle?

M. Caldwell: Je pense qu'il nous faut faire cela. Nous ne pouvons plus nous permettre de jouer avec cela. Le pays a passé tout son temps à essayer de danser autour de cette question. Il nous faut avancer. Nous ne sommes plus engagés dans une compétition nationale, dans laquelle nous essayons de nous battre les uns les autres. Nous avons de plus grands concurrents qui nous regardent. Si nous ne nous occupons pas de cela, nous aurons un problème. L'une des solutions serait la création d'une commission nationale des valeurs mobilières. J'espère et je prie que le Québec se joindra à nous à un moment donné — mais peut-être qu'il ne le fera pas.

S'il y avait au Canada une commission nationale considérée sur un pied d'égalité avec son pendant américain, je pense que le Québec serait peut-être intéressé à y adhérer à un moment donné. Il aurait peut-être de bons points à partager avec nous. Il nous faut progresser. Nous ne pouvons pas rester immobiles en attendant qu'il se joigne à nous. Il nous faut faire un dépôt en Saskatchewan, car nous avons des investisseurs là-bas. Le problème est qu'il nous faut passer à travers cet exercice. Il est coûteux pour n'importe qui de se faire enregistrer dans toutes les provinces. Nous voulons une commission qui soit sensible et à l'aspect géographique et à l'aspect industriel, et non pas une commission qui se limite aux gros joueurs.

Le sénateur Meighen: Je vais vous donner un petit tuyau politique gratuit: suggérez que la commission nationale ait son siège à Montréal, et vous gagnerez peut-être.

Le sénateur Hervieux-Payette: Je proposerais, en guise de compromis, que cette commission soit établie à Ottawa, et il vous faudrait sans doute veiller à ce qu'ils ne passent pas leur temps à faire la cour aux gros joueurs du secteur financier torontois.

M. Caldwell: Vous voudriez qu'il y ait un peu de cela, car il vous faudrait de la rétroaction. Je constate que la division antifraude de la GRC est à Orillia — un véritable foyer de fraude, sans doute — mais c'est à Toronto que cela se passe. Qu'on les envoie là où il y a de l'action, et qu'on ne les en éloigne pas. Cependant, nous sommes en train de sauter des étapes ici.

Le sénateur Hervieux-Payette: Où se trouve cette commission aux États-Unis?

M. Caldwell: Le siège social est peut-être à Washington, mais il me semble qu'il y a plein de gens qui se promènent autour de New York.

Le sénateur Hervieux-Payette: Je voulais vous interroger au sujet de cette commission, car nous en avons une au Québec. J'étais membre du conseil d'administration d'une petite entreprise. En bout de ligne, je n'étais pas satisfaite du comportement de la direction. Je n'y siège plus, bien sûr.

En tant qu'administrateurs, nous avons une tâche fiduciaire.

Lorsque j'ai constaté qu'il y avait certaines irrégularités, la bourse et la commission m'ont dit qu'ils étaient dans l'impossibilité de faire quoi que ce soit. Il faut alors se demander pourquoi nous avons une commission.

Il y avait eu une promotion enthousiaste des actions, et leur valeur avait augmenté. Je n'arrivais plus à dormir car je trouvais que la valeur ne reflétait pas les activités de l'entreprise. J'ai alors essayé de convaincre la direction de mettre fin à la promotion. Comme je le disais, nous avons ces deux institutions et je leur avais demandé d'intervenir. Si ma seule option est de démissionner, je ne sers par les intérêts des actionnaires.

Si nous allons avoir une commission nationale, comment peut-on stopper les activités que je viens d'évoquer, et que l'on a vues dans le cas d'Enron?

M. Caldwell: Il me faut dire que si un membre du conseil d'administration d'une entreprise abordait l'organe de réglementation au sujet de la vente d'actions et que celui-ci, dans le cas que vous avez mentionné, la Bourse de Toronto, n'intervenait pas vigoureusement, j'en serais très étonné. La responsabilité de ces organes est de veiller à la vente ordonnée des titres et à la visibilité de tous les renseignements disponibles.

Les commissions ont eu tendance à avoir un petit retard s'agissant de la vente véritable des titres. C'est en règle générale lorsque quelque chose tourne mal et qu'il y a un problème et, ce qui est rare, un battage médiatique, qu'elles se voient obligés d'intervenir.

Un organe de réglementation — je ne connais pas les circonstances dans cette affaire — aurait dû mieux vous écouter, car vous êtes alors confrontée à la possibilité de démissionner et de laisser tomber les gens.

Le sénateur Hervieux-Payette: J'espère que nous pourrons empêcher cela à l'avenir. En ce qui me concerne, les promoteurs sont dangereux et ils ne tiennent pas compte des autres «membres de la famille».

M. Caldwell: Grâce à ces options sur titres, nous transformons nombre de gestionnaires de grosses sociétés en promoteurs d'actions.

Le sénateur Hervieux-Payette: Il y a un commentaire intéressant à la page 7, au sujet des actionnaires versus les banques. Il y a eu une transaction en vue du refinancement d'une société à Toronto, CallNet, dans le cadre de laquelle des prêts étaient négociés et des actions de l'entreprise étaient par la suite acquises. Pensez-vous que les banques devraient assumer une plus grande responsabilité à l'égard des actionnaires, qu'il devrait y avoir une approche plus équilibrée à l'égard de l'endettement, afin de protéger les investisseurs? Existe-t-il un modèle pour une telle approche?

M. Caldwell: Oui. C'est le jeu de la fin. Lorsque les gardiens n'ont pas assuré la surveillance et que le système est rompu, alors que se passe-t-il? Ce qui se passe traditionnellement au Canada est que les créanciers plongent et, selon leur ordre de priorité, ils récupèrent une partie ou la totalité de l'argent. Le détenteur d'actions ordinaires ne touche jamais rien.

Prenons le cas de Laidlaw en guise d'exemple. Laidlaw était sans doute l'une des entreprises à plus grand nombre d'actionnaires au Canada. Beaucoup de gens avaient des actions de Laidlaw dans leurs fonds mutuels, dont certains étaient contrôlés par de grosses sociétés elles-mêmes contrôlées par certaines des banques, par exemple. Des banques — peut-être pas les mêmes banques — consentaient des prêts à ces sociétés. Dès que Safety-Kleen, la filiale américaine, a déclaré que les livres n'étaient pas pertinents, cela a plongé l'entreprise dans la faillite. La direction dit «Nous aurons en bout de ligne une entreprise solide». Ils n'ont pas accepté d'essuyer des pertes; ils vont garder leurs emplois, exception faite de M. Bullock, qui était alors président. On dirait que les banques vont récupérer une grosse partie de l'argent et que les actionnaires n'auront rien du tout. Ce n'est pas bien. Lorsque les gardiens échouent, chacun devrait assumer une partie des pertes. Il devrait toujours y avoir une volonté et un désir de préserver une certaine valeur pour les propriétaires résiduels de l'entreprise, car ceux-ci n'exercent aucun contrôle.

La société Laidlaw est solide à l'heure actuelle, mais les titulaires d'actions ordinaires se sont retrouvés les mains vides. À un moment donné, on allait annuler les actions ordinaires. Je ne sais pas si cela est légal. Le chapitre 11 aux États-Unis permet à une entreprise de restructurer, comme l'a fait Chrysler il y a de cela des années, et les actionnaires ont récupéré une bonne partie de leur argent par suite de cette mise en tutelle provisoire. Je ne suis pas avocat, mais je demanderais que l'on envisage prévoir une phase intermédiaire permettant de conserver la valeur des avoirs détenus par les titulaires d'actions ordinaires.

Les titulaires d'actions ordinaires de Laidlaw sont très ennuyés par ce qui s'est passé. Ils essaient d'obtenir une sollicitation de procuration pour déloger les administrateurs et engager une nouvelle négociation. Cependant, ils n'ont pas assez d'argent pour y parvenir, car l'argent qui reste à la société va être utilisé contre eux. Il faut faire en sorte que les conseils d'administration se sentent plus vulnérables, et c'est l'entreprise qui devrait payer la sollicitation. Je pense que la cause des titulaires d'actions ordinaires de Laidlaw est une cause juste.

Le sénateur Hervieux-Payette: Vous dites qu'il faut faire en sorte que les conseils d'administration se sentent plus vulnérables, mais ne devrait-on pas plutôt faire en sorte qu'ils soient «plus redevables»? Ils devraient représenter les actionnaires.

M. Caldwell: Cela ne signifie rien de devoir être redevable, à moins que ne soient prévues des pénalités en cas de manquement.

Le fait d'être redevable, la responsabilité, devrait résulter en leur renvoi. Il est extrêmement difficile de déloger un conseil d'administration. Il nous faut faire en sorte que cela soit plus facile, afin que les conseils d'administration se sentent plus vulnérables.

Le sénateur Hervieux-Payette: Vous avez mentionné que nous devrions être «verts», comme nos voisins, avec notre argent. Votre rapport recommande que les options sur titres soient reflétées de façon réaliste dans les livres. Cela n'est pas vert; c'est sans doute jaune. Comment concilier cela avec le reste?

M. Caldwell: Les États-Unis bougent en ce sens.

Le sénateur Hervieux-Payette: Vous dites que c'est presque un fait accompli.

M. Caldwell: C'est là l'une des recommandations, en plus de la création d'un conseil indépendant chargé de surveiller les vérificateurs, à la manière du CVMO et de l'ACCOVAM. L'ancien président de la Réserve fédérale, M. Volker, a recommandé cela.

Le sénateur Hervieux-Payette: Vous avez dit que nous devrions plus ou moins être le miroir des États-Unis. Cette comparaison est en train d'être faite dans tous les comités sur la Colline qui sont chargés de se pencher sur des lois et des règlements. Il y a une approche commune avec nos amis américains. Vous comprendrez que nous résistions à ce prétendu «processus d'harmonisation».

Hier, l'un des témoins que nous avons entendus a dit que nous ne voulons pas suivre dans les traces de la Nouvelle- Zélande et de l'Australie. Nous voulons un système fiable. Je ne dis pas que tous les Européens vont vouloir venir ici, mais il y a de l'argent en Europe et il est en train d'être investi aux États-Unis, vraisemblablement pour les raisons que vous avez mentionnées.

M. Caldwell: Ils cherchent une zone devise sûre. J'étais en Angleterre il y a deux semaines. Ils n'ont pas d'investissements canadiens ni d'intérêts dans le marché canadien. Ils viennent en Amérique du Nord pour acheter des compagnies nord-américaines.

Le sénateur Setlakwe: Vous avez mentionné le manque de capital-risque et de capital de lancement pour les petites entreprises et le manque d'intérêt en la matière de la part des banques. Pensez-vous qu'il y ait des institutions gouvernementales qui puissent jouer un rôle à cet égard?

M. Caldwell: Non.

Le sénateur Setlakwe: Je songe à la Banque de développement du Canada.

M. Caldwell: Elle va aider avec le détail. Toute la paperasse entourant tout programme gouvernemental est telle que cela n'en vaut pas la peine. Il vous faut oeuvrer dans un environnement entrepreneurial. Ce n'est pas que les banques ne le feront pas. Les banques ne sont pas structurées pour faire du petit financement. Il leur faut des investissements de 100 millions de dollars ou plus pour alimenter leur appareil de distribution et de souscription. Il vous faut reconnaître cela.

Les fonds de travailleurs aident de-ci de-là, mais je n'ai encore vu, ni n'ai pu imaginer, aucun programme fédéral qui puisse fonctionner car vous avez des non-entrepreneurs qui traitent avec des entrepreneurs. Le financement de petites entreprises exige une vision entrepreneuriale, et pas forcément bureaucratique — non pas que l'une soit pire que l'autre. Tout simplement, elles sont différentes. Je ne sais pas comment faire.

Le président: Merci de votre exposé, monsieur Caldwell.

Le témoin suivant est M. Legault, de l'Association des comptables généraux accrédités du Canada.

[Français]

M. Guy Legault, président et directeur général, Association des comptables généraux accrédités du Canada: C'est avec grand plaisir que je suis avec vous ce matin au nom de l'Association des comptables généraux accrédités du Canada.

[Traduction]

J'aimerais vous présenter mon collègue, le professeur James Gaa, FCGA. Détenteur d'un doctorat, il enseigne les systèmes d'information de gestion et les systèmes comptables à l'Université de l'Alberta et était, entre 1997 et 2000, un membre canadien du conseil d'administration du Conseil des normes comptables internationales (CNCI). En outre, il a été membre sans droit de vote au Conseil de surveillance de la normalisation comptable jusqu'en janvier 2001.

L'Association des comptables généraux accrédités du Canada est l'association nationale regroupant plus de 55 000 comptables généraux accrédités et étudiants inscrits dans des programmes de comptabilité au Canada, aux Bermudes, dans les pays des Antilles, à Hong Kong et en République populaire de Chine. L'association se consacre à la défense des intérêts de ses membres et du public au moyen d'interventions nationales et internationales et de l'établissement de normes, de pratiques et de services professionnels.

Je crois comprendre que les membres du comité ont reçu des copies du mémoire que l'Association des comptables généraux accrédités du Canada a préparé en vue de notre comparution devant le Conseil de surveillance de la normalisation comptable, le 3 mai. Ce mémoire répond tout à fait aux questions que vous posez à l'égard d'un certain nombre de points que le Conseil a dû étudier à propos des retombées de l'affaire Enron. Je ne reprendrai pas ici tous les sujets étudiés dans ce mémoire. Je me propose plutôt de rappeler un certain nombre des principaux points couverts, puis de consacrer le plus de temps possible à un échange de points de vue.

Vous aurez remarqué dans notre mémoire au CSNC que nous avons traité en détail certaines questions touchant aux normes comptables. Mais nous avons également abordé un certain nombre d'autres dossiers devenus d'actualité lors de l'épisode Enron et qui nous ont semblé pertinents, car nous estimons qu'en tant que comptables, nous avons également l'obligation d'examiner et de commenter ce que j'appellerais les questions connexes au dossier Enron.

[Français]

Une analyse honnête des retombées de l'affaire Enron doit tenir compte de toutes les questions qui s'y rattachent, car il est clair que nous, comptables ou vérificateurs, n'évoluons pas en vase clos.

[Traduction]

Si l'on s'en tient à la foule de commentaires qu'a suscités l'affaire Enron, je dirais que nous sommes tous d'accord pour reconnaître que les préoccupations vont bien au-delà des normes comptables et portent notamment sur la possibilité de conflit entre le rôle de vérificateur et celui de consultant et l'étendue du mécanisme de contrôle dans le domaine de la gouvernance des entreprises. Bien que nous devions veiller à ne pas préjuger des résultats de nombreuses poursuites judiciaires concernant Enron, l'on peut déjà dire que toutes ces questions semblent être liées à un réseau de conspiration et de tromperies.

[Français]

Au coeur de notre position se trouve la proposition suivante: toute la profession doit examiner les conséquences de l'affaire Enron et fournir des correctifs qui servent les intérêts du public. Ce doit être là notre objectif prioritaire.

[Traduction]

À l'occasion d'un sondage mené pour notre compte par l'organisme de recherche POLLARA au début du mois, plus de 45 p. 100 des répondants ont dit que le gouvernement était le premier organe responsable de l'exécution de réformes visant à faire en sorte qu'un phénomène comme la faillite de l'entreprise Enron ne se produise pas au Canada.

Nul n'ignore que notre organisation demande depuis 1999 un débat public sur des questions comme l'établissement et l'application de normes comptables. Il est dommage qu'il ait fallu que quelque chose d'aussi nuisible que l'affaire Enron se produise pour que le débat soit entamé.

Je désire néanmoins féliciter le comité de mener ces audiences pour préparer une analyse approfondie des événements qui ont mené à l'affaire Enron et des propositions visant à protéger, dans la mesure du possible, les Canadiens contre de telles éventualités.

Au coeur de notre position se trouve la proposition suivante: toute la profession doit examiner les conséquences de l'affaire Enron et fournir des correctifs qui servent les intérêts du public. Ce doit être là notre objectif prioritaire.

Nous croyons par ailleurs que les questions à examiner vont bien au-delà des lacunes de normes comptables particulières. Nous devons nous interroger sur le type de normes à adopter et sur les besoins des différents types d'entités comptables. Nous devons aussi nous interroger sur les normes dont nous avons besoin à l'avenir et sur la manière dont celles-ci devraient être élaborées. Nous devons nous interroger sur le fonctionnement de nos cabinets comptables et sur la manière dont nous faisons la part des choses entre notre souci de rentabilité et nos obligations envers le public.

Nous devons également nous interroger sur la façon dont les sociétés auxquelles nous offrons nos services — qu'elles soient grandes, moyennes ou petites — mènent leurs affaires, et notamment sur la manière dont les citoyens qui exercent des activités commerciales doivent faire la distinction entre leurs responsabilités privées et leurs responsabilités publiques.

À notre avis, la profession comptable peut et doit s'améliorer. Le temps est venu de réexaminer la nature même des normes comptables et le processus d'élaboration de ces normes.

L'affaire Enron nous donne sans conteste l'occasion de discuter sérieusement des questions de politique publique en vue de répondre judicieusement aux préoccupations légitimes exprimées par les investisseurs, les créanciers, les auteurs de l'information financière, les organismes de réglementation et le grand public.

Pour ce qui est de la question particulière des normes, nous estimons que la faillite de Enron confirme ce que nous disons depuis longtemps, à savoir que les normes comptables américaines, fondées sur des règles normatives très strictes plutôt que des principes généraux et sur le jugement de professionnels, ont contribué à l'effondrement de l'entreprise. Les normes américaines encouragent une mentalité fondée sur le respect des règles. Les respecter suffit et, si on ne le respecte pas, tout va mal.

Cette approche peut obscurcir la véritable situation financière des entreprises, comme cela a été le cas de Enron. Il nous faut adopter ce qu'il y a de mieux. À cette fin, nous pensons qu'il nous faut adopter les normes comptables mises au point par le Conseil des normes comptables internationales, lesquelles constituent une base solide pour l'établissement d'un ensemble de normes comptables acceptées par tous.

Un consensus se dessine au Canada et ailleurs en faveur de l'adoption de normes comptables internationales de grande qualité. Bill MacKinnon, PDG de KPMG, a récemment déclaré qu'il espère que la profession adoptera de façon universelle les propositions de qualité avancées par le Conseil des normes comptables internationales. Sir David Tweedie, président du CINC, faisait observer que l'affaire Enron a fourni l'occasion d'examiner la question de normes de comptabilité internationales de qualité élevée et confirmé le rôle de chef de file que le Canada doit jouer en ce sens.

Pour ce qui est de l'opinion publique, la recherche menée par POLLARA, à laquelle j'ai fait allusion plus tôt, révèle que 58 p. 100 des Canadiens préféreraient que le Canada se rapproche des normes du CINC et que moins d'un cinquième préféreraient que le Canada se rapproche de celles des États-Unis.

On dit que le Canada souffrirait de l'adoption des normes du CINC en raison des liens étroits qui le lient sur le plan économique à ses voisins du sud. Ainsi, les entreprises canadiennes inscrites auprès de la Security and Exchange Commission (SEC), soit directement, soit en tant que filiale d'une société mère américaine, trouveraient plus efficace d'utiliser uniquement les PCGR reconnus aux États-Unis. On ignore toutefois ce qui se produirait si les entreprises canadiennes adoptaient les PCGR des États-Unis.

Comme il semble manifeste que les États-Unis et le Canada finiront par adopter des normes internationales, l'adoption des PCGR américains représenterait un fardeau supplémentaire pour les sociétés non inscrites auprès de la SEC.

Le débat ne devrait pas porter sur le fait d'adopter ou non des normes internationales, mais plutôt sur la question de savoir quand et comment nous le ferons. Mais les recherches doivent également être conçues pour nous aider à comprendre comment faciliter la transition. À ce sujet, l'Association des comptables généraux accrédités du Canada a demandé à l'Institute for Collaborative Government de trouver des modèles novateurs qui pourraient servir à établir, à appliquer et à faire respecter les normes comptables au Canada.

Les résultats de cette étude seront rendus publics.

Même si les normes du CINC étaient adoptées à l'échelle internationale, les divers pays auraient toujours des systèmes nationaux visant à adapter ces normes en fonction de leur situation propre. À cet égard, nous estimons que le statu quo au Canada exigera également des ajustements. À notre avis, l'époque de création et d'application par la profession de ses propres normes est désormais révolue au Canada. Le problème découle en partie des nombreuses «casquettes» que portent les comptables, particulièrement au Canada. Dans notre pays, les normes comptables émanent d'un comité qui se compose en grande partie de comptables en exercice et dont le financement et le personnel proviennent d'un seul membre de la profession.

Ensuite, les comptables, en leur qualité d'employés ou de consultants, dressent les états financiers. Enfin, en leur qualité de vérificateurs, les comptables examinent les états financiers et font rapport sur la conformité de ces derniers avec les normes établies par des comptables et mises en application par d'autres comptables.

Et, pour couronner le tout, les comptables conseillent les comptables de sociétés quant à la façon de mettre en oeuvre les règles créées par d'autres comptables. Il y a, pour le moins, apparence de conflit d'intérêts.

Par conséquent, CGA-Canada recommande que, en plus d'une orientation vers l'adoption de normes comptables internationales et pour satisfaire aux impératifs de la rectitude et de l'intégrité, l'élaboration et la surveillance des normes comptables soient confiées, au Canada, à un organisme autonome entièrement indépendant de tous les organismes comptables professionnels.

J'aimerais illustrer par un exemple concret les raisons pour lesquelles nous estimons que cette évolution s'impose. Il s'agit des options d'achat d'actions. Il est désormais largement admis que les options d'achat d'actions devraient être passées en charge. Pourtant, au Canada, le Conseil des normes comptables hésite à corriger la situation par crainte de ne plus être sur un «terrain de jeu égal» avec les États-Unis.

En cette époque marquée par l'incertitude, où le public exige la transparence et où les dirigeants économiques partout dans le monde, comme le président de la Réserve fédérale américaine, M. Alan Greenspan, soupèsent les arguments pour et contre cette évolution, le moment est venu de faire preuve de courage et de choisir la bonne formule.

L'effondrement d'Enron soulève une question cruciale: témoignait-il d'une lacune systémique dans le secteur de la comptabilité, lacune liée au fait que le même cabinet assurait à la société des services de conseil et de vérification? Il semble en effet que la relation conseil-vérification aurait joué un rôle dans l'échec présumé de la vérification. Selon l'information divulguée, Andersen aurait abordé explicitement les problèmes comptables d'Enron, au cours de conférences téléphoniques, dans le cadre de discussions portant sur le fait que les honoraires que le cabinet recevrait d'Enron passeraient à 100 millions de dollars US.

Les sociétés cotées en bourse ont des responsabilités vis-à-vis des investisseurs, qui se fient en tout ou en partie sur les états financiers publiés pour prendre leurs décisions. Elles ont également une responsabilité envers les bailleurs de fonds qui s'appuient sur leurs états financiers publiés.

Nous estimons néanmoins qu'une approche universelle en la matière n'est ni nécessaire ni fonctionnelle. Comme vous le savez, les petites et moyennes entreprises créent beaucoup d'emplois et de croissance dans l'économie canadienne. Toute réforme du régime comptable doit tenir compte de leurs besoins.

Par exemple, lorsqu'on envisage des mesures visant à protéger contre d'éventuels conflits d'intérêts visant les vérificateurs, c'est-à-dire entre services de vérification et services de conseil, il nous faut tenir compte du lien unique qui lie la PME à ses comptables. Dans le cas de PME non cotées en bourse, le comptable fournit en règle générale une vaste gamme de services à son client.

À notre avis, si les comptables ne fournissaient de services de conseil qu'aux PME pour lesquelles ils n'assurent aucune fonction de vérification, cela ne serait ni constructif pour le secteur ni nécessaire, car il n'y a pas d'intérêt public à protéger. Toutefois, on ne peut pas en dire autant des sociétés cotées en bourse, surtout les très grosses entreprises et celles à capital largement réparti.

Enfin, j'aimerais aborder le thème de la gouvernance des sociétés. C'est une question qui a attiré d'attention aux États-Unis et au Canada ces dernières années. Les groupes de défense des droits des actionnaires, les groupes de réflexion et d'autres organes indépendants ont, collectivement, fourni une foule de conseils aux entreprises, à leurs gestionnaires et à leurs administrateurs, dont la majorité semblent avoir pour objectif d'améliorer la transparence tout en tenant compte de l'obligation des sociétés de bonifier la valeur des actionnaires.

Un grand nombre de sociétés agissent séparément pour consolider les mandats de leur conseil d'administration et les doter des nouveaux outils dont ils ont besoin pour assumer leurs importantes tâches. Dans le cas d'Enron, notamment, l'on se pose des questions légitimes sur le rôle du conseil en général et sur son comité de vérification en particulier. Ces gens étaient-ils complices ou simplement ignorants? Comment auraient-ils pu assumer la responsabilité en matière de surveillance des affaires de la société de manière à empêcher son effondrement?

La composition du comité de vérification d'Enron posait problème. Il semble, selon les indications initiales, que les membres de ce comité n'avaient ni l'expérience ni les connaissances nécessaires pour s'acquitter efficacement de leur rôle de surveillance. La composition du comité semble avoir été choisie dans le but de réduire au minimum le risque de détection des irrégularités imposées par la direction.

Comme l'a déclaré le ministre des Finances, M. Paul Martin, dans un discours prononcé le 21 mai devant l'Association canadienne du capital de risque et la Bourse de Toronto, «Le comité de vérification de Enron s'était réuni cinq fois l'an dernier, tandis que le comité chargé des questions de rémunération s'était réuni dix fois».

Il est impossible de savoir avec certitude si une surveillance externe aurait permis de détecter ou de prévenir les agissements de la direction. Cependant, les vérificateurs auraient dû s'apercevoir de la faiblesse du comité de vérification et s'interroger quant à sa composition. De même, si les vérificateurs avaient lu les procès-verbaux du conseil d'administration, ils auraient constaté que la société avait abandonné son code de conduite, ce qui aurait dû déclencher l'adoption de mesures dans leur programme de vérification.

CGA-Canada appuie les récentes initiatives qui mettent davantage l'accent sur la relation entre le vérificateur et le comité de vérification. Les nouvelles recommandations du Conseil des normes de certification exigent que le vérificateur discute avec le comité de vérification non seulement de l'acceptabilité des conventions comptables adoptées par la société, mais également de la qualité de ces conventions.

Ces conventions sont-elles celles que la société devrait adopter dans les circonstances? Les circonstances qui ont mené à l'adoption des conventions actuelles ont-elles changé? Conviendrait-il maintenant d'adopter de nouvelles conventions? En un mot, il faut mettre en place un mécanisme pour s'assurer que le comité de vérification soit composé de personnes compétentes, disposées à étudier minutieusement l'information financière que leur remettent la direction de l'entreprise et les vérificateurs dont elles ont retenu les services.

Il se pourrait bien également qu'il faille remanier la Loi canadienne sur les sociétés par actions qui, comme le comité le sait bien, vient d'être récemment modifiée, pour y incorporer des dispositions qui permettront de régler ces problèmes de façon responsable et pragmatique.

Cela m'amène à la fin de mes remarques liminaires. Je sais que j'ai couvert un large éventail de questions. Dans le temps dont nous disposons, je n'ai peut-être pas pu rendre justice à chacun d'entre eux. Ce sont des questions complexes, et aucune personne ni organisation ne possède toutes les réponses.

[Français]

CGA-Canada ne détient certainement pas toutes les réponses, mais sachez que nous prenons ces questions très au sérieux. Nous avons l'intention de faire notre part pour veiller à ce que la profession comptable rétablisse et même rehausse sa réputation, laquelle est caractérisée par l'intégrité et le professionnalisme.

[Traduction]

Je peux assurer au comité que CGA-Canada prend ces questions très au sérieux. Dans la mesure où nous pouvons travailler avec vous et d'autres parlementaires pour réformer notre législation et nos systèmes de manière à mieux protéger les intérêts des Canadiens, nous sommes à votre service.

Le sénateur Angus: Ma première question porte sur la page 2 de votre mémoire.

Vous dites: «Néanmoins, je veux féliciter votre comité de tenir ces audiences en guise de préliminaire à une analyse en profondeur des événements qui ont conduit à la crise Enron...»

Donnez-vous à entendre que nous n'effectuons pas une analyse en profondeur? Si vous pensez que nous ne le faisons pas, qui, à votre avis, le fait au Canada?

M. Legault: Ce n'est pas ce que je pense. Au contraire, nous sommes reconnaissants au Comité sénatorial des banques de se pencher sur ces problèmes. Nous réclamons depuis 1999 un débat exhaustif sur les normes comptables. Nous sommes très satisfaits.

Nous constatons aujourd'hui que tous les acteurs du monde des finances s'efforcent de s'améliorer et de trouver les solutions à certains des problèmes mis à jour, surtout depuis Enron.

Nous avons besoin d'une instance au Canada qui puisse centraliser ces réponses. Nous avons besoin qu'une entité rassemble toutes les pièces du puzzle. Nous pensons que votre comité est cette entité. Nous saluons vos travaux. Nous pensons que ce que vous ferez dans ce domaine sera extrêmement important.

Le sénateur Angus: Pouvons-nous rayer le mot «préliminaire» et le remplacer par le mot «synthèse»?

M. Legault: Je vous en prie.

Le sénateur Angus: Je veux parler normes avec vous. Vous recommandez catégoriquement d'adopter les normes internationales plutôt que les normes américaines ou celles de quiconque d'autre. Vous étiez là tout à l'heure lorsque j'ai dit que je perds mon latin. Vous avez également entendu M. Caldwell dire que lui aussi ne s'y retrouvait plus.

Tout cela me paraît fondamental. Si je vous ai bien compris, vous dites que la réglementation américaine s'inscrit dans un système fondé sur des règles, alors qu'au Royaume-Uni et dans d'autres pays, c'est plutôt un système fondé sur le jugement. On dit la même chose au sujet des règles bancaires. À Londres, on nous a parlé des difficultés qu'ils ont du fait que les grandes banques américaines persistent à vouloir utiliser leur propre système. Aussi, les banques américaines internationales présentes sur le marché de Londres sont sujettes à deux ensembles de règles car elles doivent également être vérifiées sous le régime de la législation britannique, en sus des leurs propres.

Je ne comprends pas pourquoi il existe tant de méthodes comptables différentes. La comptabilité est la comptabilité. C'est la manière de présenter les données financières. Il y a un chevauchement considérable entre les normes du CNCI, du FASB ou de ces autres organisations aux sigles compliqués, n'est-ce pas?

Je ne pense pas qu'aujourd'hui les gens soient indéfectiblement attachés aux PCGR américains ou canadiens ou aux principes du CNCI. Rectifiez si je me trompe, mais les gens disent plutôt: «Nous avons un gros problème avec la façon dont les sociétés présentent leurs données financières». On nous dit qu'il y a un laxisme considérable à cet égard et que, même en suivant les PCGR canadiens et les principes FASB, on peut camoufler quantité d'éléments, surtout ceux hors- bilan.

Au lieu d'adopter les normes CNCI qui, pour les raisons que M. Caldwell a expliquées, ne facilitent pas les relations avec les investisseurs américains, pourquoi ne pas envisager une norme nouvelle pour tout le monde? Ne sera-ce pas là l'aboutissement de l'affaire Enron?

J'entends les gens aux États-Unis parler d'une refonte radicale des normes comptables. Vous-même préconisez un changement. Tous les témoins disent qu'il faut une comptabilité plus précise et plus prudente.

M. Legault: Vous dites la même chose que nous, à savoir que le monde a besoin d'un ensemble de normes globales. Un effort international est en cours pour créer ces normes globales. Les Américains hésitent à y adhérer, mais eux aussi se penchent sur le problème car eux aussi considèrent qu'il faut un ensemble de normes globales. Ils aimeraient que ces normes soient les normes américaines, mais ils ont conscience qu'il faudra bien une harmonisation.

L'ancien président de la Réserve fédérale, Paul Volker, a déclaré récemment qu'un ensemble de normes globales est indispensable et que la convergence interviendra d'une façon ou d'une autre. La question est de savoir quoi faire dans l'intervalle. Nous considérons la situation et nous disons: «Nos normes canadiennes ont été, et restent dans une certaine mesure, fondées sur des principes et des jugements, tout comme les normes internationales». En revanche, les normes américaines sont fondées sur des règles et sont très prescriptives.

Il est beaucoup plus rationnel pour le Canada d'adopter les normes internationales, puisque nous partageons la même philosophie sous-jacente. Cela facilite la transition.

Sinon, nous ferions d'abord la transition vers les normes américaines, et puisque tout le monde dit que celles-ci vont converger vers un ensemble de normes internationales, il faudra une deuxième transition. Un sénateur a demandé si le jeu en vaut la chandelle. Je pense que oui. Pourquoi ne pas s'engager d'emblée sur la voie internationale?

Dans le même temps, force est de constater l'envergure du marché financier américain. Le président de la Bourse de New York a fait savoir il y a quelques années que le marché boursier américain a diminué en importance relative d'environ 11 p. 100 sur une période de 13 ans. Ce marché est en expansion, mais moins rapide que la capitalisation mondiale totale. Par conséquent, il est judicieux de s'interroger sur la direction à emprunter.

Le sénateur Angus: Vous avez indiqué que la position que vous exprimez aujourd'hui est essentiellement la même que celle que vous avez récemment esquissée au Conseil de supervision des normes comptables. Hier, certains d'entre nous ont demandé quel est ce conseil, qui en nomme les membres et quelle est son autorité. On nous a dit que les comptables délèguent quelques prêtres et un ou deux sénateurs et cherchent ainsi à se blanchir. Quelle autorité a ce conseil? Quel est son rôle s'agissant de résoudre ce problème?

M. Legault: C'est une question intéressante. Cela nous ramène à notre deuxième idée, celle d'un organisme indépendant de fixation des normes pour le Canada. La fixation des normes a été déléguée à l'Institut canadien des comptables agréés par le règlement d'application de la Loi canadienne sur les sociétés par actions.

De manière à rendre ce travail quelque peu indépendant, vu l'évolution des choses dans le monde, les pays industrialisés, à l'exception du Canada et du Danemark, ont retiré à la profession comptable le rôle de fixation des normes comptables. Toutefois, il n'en a pas résulté un processus véritablement indépendant. L'ICCA a créé ce soi- disant «processus indépendant» mais il le finance et lui fournit le personnel et les locaux. Ce n'est donc pas un organe indépendant. Voilà l'objection que nous soulevons. Nous pensons qu'il faut un débat politique et public exhaustif, non seulement sur le choix des normes comptables, mais aussi sur la création d'un mécanisme de fixation des normes véritablement indépendant. À l'heure actuelle, cet organe s'efforce de paraître indépendant. Les personnes ont peut- être une certaine indépendance, mais pas l'institution.

Le professeur Gaa voudrait peut-être ajouter quelques mots sur les réunions et les autres aspects.

M. James C. Gaa, professeur de comptabilité, Département de comptabilité et des systèmes d'information de gestion, University of Alberta School of Business: Honorables sénateurs, la création du conseil était une bonne idée. C'était une mesure positive. Le conseil est présenté comme un organe indépendant. Ayant siégé lors de plusieurs réunions et ayant participé à ses audiences il y a quelques semaines, je peux dire que les membres sont certainement des personnes intègres et je ne veux en rien les critiquer.

Il n'en demeure pas moins que le conseil est une émanation de la profession comptable, comme le disait M. Legault. Il est financé par l'institut qui lui fournit son personnel et il lui fait rapport. Bien que les membres du conseil aient été nommés initialement par l'institut, il peut maintenant coopter de nouveaux membres, sous forme de recommandations de nomination adressées au conseil d'administration de l'institut. Donc, encore une fois, le conseil est dépendant de la profession à plusieurs égards.

Pour être pleinement indépendant, le conseil devrait couper ces liens avec la profession et devenir un organe indépendant financé par d'autres moyens. C'est possible. Dans ce cas, il se rapprocherait des autres structures de fixation de normes existant ailleurs dans le monde.

Le sénateur Angus: Au bas de la page 8 de votre rapport, vous parlez de cette relation entre le comité de vérification et les vérificateurs. Vous avez évoqué de nouvelles recommandations émanant du Conseil des normes de certification. De qui s'agit-il? C'est encore un autre organe. Ce n'est pas le FASB sous un autre nom, n'est-ce pas?

M. Legault: Il s'agit d'un comité de l'Institut canadien des comptables agréés.

Le sénateur Angus: Tout cela est fait pour nous dérouter.

M. Gaa: C'est un comité de l'institut qui établit les normes de vérification et de certification. Ce comité publie les règles qui régissent le processus de vérification à l'intention des comptables agréés.

Le sénateur Furey: Dans votre exposé, vous avez évoqué certains des problèmes que posait le comité de vérification d'Enron. Plusieurs témoins ont parlé de l'indépendance des comités de vérification. D'autres témoins ont dit que si l'on adjoignait un vérificateur indépendant au comité de vérification de la société, le coût serait prohibitif et que ce serait dans une certaine mesure redondant. Qu'en pensez-vous?

M. Legault: Je m'inscris dans un point de vue générique, soit qu'il faut faire ce qui s'impose et prendre les devants. C'était le message du ministre des Finances, Paul Martin, dans son discours du 21 mai auquel j'ai fait référence.

Beaucoup de gens disent qu'il faut prendre les devants et veiller à ce que nous ayons, au Canada, des normes meilleures et de meilleure qualité. Nous ne faisons pas ce qui s'impose si nous nous réfugions derrière l'argument du coût ou de l'écart par rapport aux États-Unis. Je pose la question: Que voulons-nous? Nous ne pouvons avoir et le beurre et l'argent du beurre.

Par conséquent, face à ces problèmes, il faut certes évaluer le coût et les conséquences, mais nous devons décider de faire le nécessaire pour protéger les investisseurs. C'est cela qui est déterminant.

M. Gaa: Le rôle traditionnel des vérificateurs internes était d'être au service de l'administration et de faire leur travail conformément aux systèmes de la société.

Lorsque la tâche est sous-traitée à des vérificateurs externes, la question se pose de savoir pour qui travaillent ces derniers et s'ils ne vont pas se retrouver à vérifier leur propre travail.

Une possibilité qui n'a pas été suggérée, s'agissant de rendre les comités de vérification plus efficaces, est que la fonction de vérification interne relève du conseil d'administration lui-même, plutôt que d'être assurée par des membres de la direction. S'il relevait exclusivement d'un comité de vérification du conseil d'administration, et lui faisait rapport directement, cela pourrait renforcer les capacités de gouvernance du conseil d'administration, qui sont actuellement limitées.

Le sénateur Furey: Les comités de vérification des sociétés sont composés de membres du conseil d'administration et de cadres supérieurs et sont guidés par le cabinet comptable qui représente la société. N'est-ce pas là un des problèmes?

M. Gaa: La question est-elle de savoir si les comités de vérification devraient comporter des membres de la direction?

Le sénateur Furey: Ne se fient-ils pas au cabinet comptable qui représente les sociétés?

M. Gaa: Oui. Les comités de vérification ne devraient pas comporter de membres de la direction, bien que ce soit le cas de certains. Dans certains pays, c'est interdit.

Le sénateur Furey: Rétrospectivement, si l'on regarde aujourd'hui les rapports annuels d'Enron, est-ce qu'un oeil exercé pourrait y déceler des signaux d'alarme?

M. Gaa: J'ai lu dans un journal que, considérés rétrospectivement, les indices étaient là et que toutes les personnes modérément avisées pouvaient les détecter. Cependant, pour une raison que j'ignore, personne ne les a détectés. Je ne parviens pas à l'expliquer.

Le sénateur Furey: Êtes-vous d'accord avec cette appréciation?

M. Gaa: Je n'ai pas examiné les états financiers d'assez près pour le dire. Je sais que certains de ces mécanismes, les entités à vocation spéciale, et cetera, sont extrêmement complexes et difficiles à comprendre. Je ne sais pas très bien pourquoi il est si facile, rétrospectivement, de déceler tous les problèmes.

Le président: L'un de nos témoins, M. Gibson, du régime de pension des enseignants de l'Ontario, a dit avoir lu les états financiers et examiné les renvois. Il lui est apparu évident que quelque chose clochait et il a vendu les actions.

M. Gaa: Il est difficile de savoir pourquoi certains voient et agissent. Bre-X est un autre exemple.

Le sénateur Meighen: J'aimerais revenir à cette idée d'adopter les PCGR américains ou ceux du CNCI. Comme M. Caldwell l'a fait remarquer, nos voisins du Sud tendent à considérer que tout ce qui ne vient pas de chez eux est moins bon.

Vous avez indiqué que M. Volker a préconisé l'adoption des normes comptables internationales aux États-Unis. Est-ce que d'autres associations professionnelles, ou d'autres personnalités aussi éminentes, recommandent la même chose et que pensez-vous qu'il sortira de ce débat? L'autre possibilité serait de ne rien faire, ou très peu, en attendant de savoir dans quelle direction les Américains vont s'engager. Un autre moyen serait d'essayer d'exercer des pressions internationales sur les États-Unis, encore que cela n'ait jamais donné de résultats, afin qu'ils adoptent les normes internationales.

Je crains que si nous-mêmes optons pour les règles internationales, même si c'est ma préférence subjective, nous nous retrouverons avec un ensemble de règles qui différera sensiblement des normes comptables américaines pendant une période indéterminée.

M. Gaa: Il peut sembler acceptable d'attendre, de voir ce que vont faire les États-Unis. Malheureusement, cela fait déjà très longtemps que nous attendons au Canada. Un certain nombre de normes comptables canadiennes sont retardées depuis des années, en attendant que les États-Unis ou d'autres pays bougent.

Le sénateur Meighen: Quel inconvénient cela présente-t-il?

M. Gaa: Nous n'avons toujours pas, et n'aurons pas avant un an, de normes canadiennes de comptabilisation des instruments financiers. Les États-Unis en ont une depuis des années, et les sociétés canadiennes inscrites en bourse aux États-Unis suivent ces règles, et les autres sociétés sont libres de le faire.

Il n'existe pas de normes canadiennes prescrivant la manière de mesurer la valeur de ces instruments financiers ou leur présentation dans les états financiers. C'est considéré comme une lacune majeure des normes comptables depuis plus de 15 ans.

Le sénateur Meighen: Quelle est la position de vos homologues, tel que l'Institut canadien des comptables agréés, à ce sujet?

M. Legault: L'ICCA, et je ne puis parler en son nom, par le biais de son conseil des normes de certification, a essentiellement suivi une stratégie d'harmonisation avec les États-Unis, en dépit des retards qui en résultent, si j'en juge d'après les faits. On n'en a guère parlé ces derniers temps. Depuis l'affaire Enron, on a changé un peu de cap pour tenter de limiter les dégâts, en disant que nous avons les meilleures normes au Canada.

La politique a été d'harmoniser avec les États-Unis tout en se fixant pour but ultérieur d'adopter les normes internationales. Eux aussi essaient d'avoir et le beurre et l'argent du beurre.

Le sénateur Meighen: Est-ce que votre association adopte une position différente?

M. Legault: Oui.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette: À la page 7 de votre mémoire, on fait référence au Conseil de surveillance de la normalisation comptable, et on y lit que l'on devrait se diriger vers les «International Accounting Standards Board,» et vous citez trois pays — et je trouve cela un peu décourageant — qui les ont adoptés. Vous nous mettez dans la ligue que la Croatie, Chypre et la République Dominicaine.

Évidemment, cela ne fait pas une cause très solide pour une avocate comme moi, de dire que nous allons entrer dans le club de la Croatie et de Chypre, et que c'est la raison pour laquelle nous allons l'adopter. Je comprends qu'il y a des pays qui ont des nouvelles économies naissantes, mais ce ne sont certainement pas des grands pays qui sont reconnus pour leur gestion financière.

Vous citez d'autres pays mieux connus et certainement mieux placés sur la scène internationale, mais vous faites aussi référence à l'Argentine, ce qui n'aide pas beaucoup suite aux événements présents.

Le seul raisonnement ayant un peu de substance pour nous convaincre de se diriger vers les normes internationales, c'est celui où vous dites à la page 19, que cela servirait bien les intérêts des PME, parce ce qu'il serait plus facile pour elles de s'adapter; que le Canada est une économie de PME, et que pour les grandes entreprises, de toute façon, ce ne serait pas plus compliqué pour elles de le faire.

Les PME, à ce que je sache, se financent rarement sur les marchés américains. Il leur faut un bon bout de temps avant de s'y rendre. Notre économie canadienne en bénéficierait, selon votre raisonnement.

Admettons qu'on prenne un parti-pris pour les PME et qu'on s'en va au «International Accounting Standard», tout d'abord, est-ce que le Canada y participe, et quel rôle est-ce qu'on y joue? Est-ce que c'est parce que c'est supérieur, que c'est plus facile à comprendre? Quelle est la rationnelle? Une fois qu'on aurait décidé de le faire, pourquoi est-ce qu'on le ferait?

M. Legault: J'aimerais peut-être adresser votre première question, qui concerne les différents pays. Je pense que ce qu'il faut regarder c'est que l'Union Européenne a décidé qu'en l'an 2005, ils vont permettre l'utilisation des normes internationales. Alors, c'est peut-être l'élément le plus important à se rappeler. Je pense que c'est à la page 9 de notre document.

Le sénateur Hervieux-Payette: Oui, mais cela n'est pas «adopter»; c'est «permettre.»

M. Legault: C'est de permettre, à partir de 2005. Exact. La situation change tous les jours. On s'aperçoit qu'il y a de plus en plus de pays qui se joignent, et de toute façon, il y a aussi des efforts considérables qui se font, autant avec le Canada qu'avec les États-Unis, de travailler avec les normes internationales pour essayer qu'il y ait de plus en plus de convergence de toutes les nouvelles normes qui sont établies.

Alors, de ce côté-là, il y a un travail important qui se fait et on pense qu'avec l'Union Européenne qui bouge dans cette direction, elle fera partie d'un bloc important où il faut aller.

L'élément fondamental qui nous amène à dire qu'il faut aller vers les normes internationales, c'est le fait que la philosophie sous-jacente à l'établissement des normes est une philosophie de principe et de jugement, et non pas de règle, qui fait que c'est beaucoup plus facile à passer d'un système qui a la même fondation plutôt que d'aller vers un système qui est tout-à-fait différent, et qui va nous obliger probablement à revenir vers un autre système, si on est d'accord qu'il va y avoir convergence. C'est là qu'est l'élément fondamental de notre argumentation.

Le sénateur Hervieux-Payette: Vous me dites que l'on part de la même base, que c'est plus proche, mais est-ce que les «International Accounting Standards» sont supérieurs aux «Règles»? Ils ne sont pas pareils, mais est-ce qu'ils sont supérieurs?

Est-ce qu'il y a une raison de dire qu'il y a plus de transparence, qu'il y a plus d'exactitude? Il faut qu'il y ait quelque chose de plus pour qu'on puisse aller dans cette direction. Il ne faut pas que ce soit tellement vague pour que tout le monde l'adopte et qu'en fin de compte on n'ait pas plus de bons chiffres.

M. Legault: Je me suis permis dans mes propos de faire référence au PDG de KPMG qui parlait d'établir ou de prendre les meilleurs normes. Il parlait des «best of the best». Il y a d'autres personnes dans l'environnement qui nous disent que, oui, ce sont des normes qui sont très bien. Ce n'est pas uniquement de notre propre jugement. Il y a plusieurs personnes qui contribuent à établir ces normes. Autant les Canadiens que les Américains participent à l'établissement de ces normes internationales. Ces normes ont été reconnues sur le plan international par l'organisme IOSCO, qui est l'organisme qui regroupe toutes les commissions de valeurs mobilières. On s'aperçoit que ces normes sont excessivement valables, et comme il faut se diriger vers des normes globales, il semble que ce sont des normes qui sont tout-à-fait acceptables par plusieurs intervenants.

Le sénateur Hervieux-Payette: L'équation, c'est qu'on aurait une qualité de normes et on irait vers la mondialisation, et donc, que ce serait un geste positif pour nos entreprises canadiennes d'aller vers ce système plutôt que vers les «Règles» américaines?

M. Legault: Effectivement, et cela fait partie de l'argument que je mentionnais tantôt. Tout le monde parle de leadership, et comment exerce-t-on un leadership. Est-ce qu'on exerce le leadership uniquement en suivant les États- Unis, et en se dirigeant sur les normes internationales quand ils seront prêts? Il faut être prêts à prendre les décisions qui s'imposent.

[Traduction]

Le sénateur Kelleher: Je crois que les sénateurs Meighen et Angus ont exploré à fond ces aspects.

[Français]

Le sénateur Setakwe: Si ces règles internationales sont appliquées et qu'on adopte une position contraire à celle que vous venez d'énoncer pour les PME sur le plan de la consultation et de la vérification, qu'est-ce qui arriverait?

M. Legault: Ce que l'on mentionne, c'est l'importance de regarder les différences entre les compagnie qui sont à la Bourse et les autres.

Le sénateur Setakwe: Mais s'il y avait des règles internationales qui l'interdisaient à toutes les compagnies, petites et grandes, et que vous voudriez faire une distinction pour les PME, qu'arriverait-il s'il y avait des règles internationales qui s'appliquaient à toutes les compagnies, interdisant les consultants et les vérifications en même temps?

M. Legault: Dans le système, si on décide d'adopter les normes internationales, il faut quand même garder un organisme indépendant au Canada pour évaluer si tout doit s'appliquer ou si on doit faire des distinctions.

[Traduction]

Le président: Merci, messieurs, d'avoir comparu devant notre comité aujourd'hui.

La séance est levée.


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