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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants


Délibérations du comité sénatorial permanent de la
Défense et de la sécurité

Fascicule 4 - Témoignages


OTTAWA, le lundi 15 octobre 2001

Le Comité permanent de la défense et de la sécurité du Sénat se réunit aujourd'hui à 18 h 20 afin de faire une étude préliminaire des principales questions de défense et de sécurité qui touchent le Canada en vue de la préparation d'un plan de travail pour des études plus poussées.

Le sénateur Colin Kenny (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Mesdames et messieurs les sénateurs, la séance du Comité permanent de la défense et de la sécurité du Sénat est ouverte.

Je suis heureux de vous accueillir à cette réunion du comité. Que vous soyez ici dans la salle ou que vous suiviez nos travaux à la télévision ou grâce à Internet, nous poursuivons ce soir notre étude des principaux enjeux liés à la sécurité et à la défense.

Je m'appelle Colin Kenny, je suis sénateur et je représente l'Ontario. Participent également à notre réunion ce soir, à mon extrême droite, le sénateur Atkins, également de l'Ontario, le sénateur Cordy de la Nouvelle-Écosse et le sénateur LaPierre, lui aussi de l'Ontario.

Notre comité est plus petit que la normale ce soir. La journée a été fertile en événements à Ottawa, avec des sonneries d'alarmes et des évacuations. Nous avons même de la chance de pouvoir siéger dans cet édifice, qui nous a été ouvert il y a seulement 30 minutes. On ne savait pas s'il y aurait moyen de mettre la pièce à notre disposition ou même de tenir la réunion ce soir.

Notre comité permanent est le premier de son genre à avoir été créé par le Sénat avec le mandat d'étudier les questions liées à la sécurité et à la défense. Aujourd'hui, nous poursuivons donc notre étude générale des grands enjeux auxquels le Canada est confronté. Nous soumettrons un rapport au Sénat là-dessus d'ici la fin du mois de février.

Récemment, des troupes canadiennes ont été déployées pour soutenir les États-Unis dans le cadre de leur campagne contre le terrorisme. À cette occasion, certains se sont demandé si les Forces armées canadiennes étaient prêtes sur le plan opérationnel à entreprendre les missions que leur confie le gouvernement. Ce soir, nous accueillons des experts extrêmement compétents, qui nous donneront leurs avis éclairés au sujet de la situation des Forces armées canadiennes.

Permettez-moi donc de vous présenter les témoins. Nous comptons d'abord le lieutenant-général à la retraite Charles Belzile. L'illustre carrière militaire du lieutenant Belzile au sein des Forces armées canadiennes couvre la période de 1951 à 1986, pendant laquelle il a été en poste au Canada, en Allemagne, auprès des Nations Unies et de l'OTAN. À la retraite, il n'en demeure pas moins très actif. Ainsi par exemple, de 1987 à 1992, le général Belzile a été vice-président à l'expansion d'une entreprise au sein des Technologies industrielles SNC inc. et depuis 1992, il préside C.H. Belzile Consultants. C'est toutefois en tant que président de la Conférence des associations de la défense qu'il témoigne aujourd'hui.

La Conférence des associations de la défense, qui compte plus de 600 000 membres, a été créée en 1932 afin de se pencher sur les problèmes liés à la défense et à la sécurité et de promouvoir l'efficacité et le bien-être des Forces armées canadiennes. Le 27 septembre, la CAD a fait paraître son étude la plus récente, intitulée «Coincé entre les deux», une évaluation des Forces armées canadiennes.

Le général Belzile est accompagné aujourd'hui du colonel à la retraite Alain Pellerin, directeur exécutif de la Conférence des associations de la défense.

Messieurs, soyez les bienvenus parmi nous. La parole est à vous.

Le lieutenant-général à la retraite Charles Belzile, président, Conférence des associations de la défense: Mesdames et messieurs les sénateurs, la Conférence des associations de la défense et moi-même tenons d'abord à reconnaître le sens du devoir exceptionnel et le professionnalisme de nos hommes et de nos femmes en uniforme, au moment où ils s'apprêtent à participer à des opérations qui risquent d'être dangereuses, au sein de la coalition d'alliés dirigée par les États-Unis et déterminée à endiguer le terrorisme dans le monde. Tous mes voeux de bon voyage et de succès les accompagnent. J'espère que leurs familles continueront à faire preuve du courage qu'elles ont toujours montré pendant les périodes de séparation d'avec leurs êtres chers.

Ce soir, je suis heureux d'aborder pour vous la question de l'état de préparation opérationnelle des Forces armées canadiennes. Comme on l'a dit, par une heureuse coïncidence, la Conférence des associations de la défense vient de publier une étude intitulée «Coincé entre les deux: Une évaluation de l'état de préparation opérationnelle des Forces armées canadiennes».

Conformément à notre mandat, notre étude cherche à renseigner le public sur les enjeux liés à la sécurité du Canada et à faire des recommandations au gouvernement dans le but d'améliorer l'efficacité des Forces canadiennes.

Notre étude a été réalisée avant les événements tragiques du 11 septembre. On n'aime pas profiter d'attentats aussi horribles, mais nous devons avouer qu'ils rendent cette étude d'autant plus pertinente.

Je vais vous présenter un bref résumé du nouveau document, après quoi mon collègue et moi-même répondrons aux questions que vous pourriez vouloir nous poser. Des exemplaires de l'étude ont été envoyés par la poste à chacun des membres du comité. Je crois aussi savoir que le résumé a été distribué aujourd'hui même.

[Français]

La Conférence des associations de la défense, la CAD, est la plus ancienne et la plus importante association de défense au Canada. La CAD demeure la principale voix nationale en matière de défense et de sécurité. Comme vous l'avez déjà mentionné, monsieur le président, elle fut formée en 1932 et elle comprend maintenant 31 associations avec une adhésion totale de 600 000 membres à travers le Canada. Nous croyons qu'une défense crédible et des forces armées efficaces contribuent au bien être et à la prospérité de tous les Canadiens et Canadiennes.

[Traduction]

Cela fait déjà quelque temps qu'on se demande dans quelle mesure les Forces canadiennes sont prêtes sur le plan opérationnel à assumer les responsabilités que leur confie le gouvernement du Canada. Tel que précisé dans le livre blanc sur la défense de 1994, document que le gouvernement estime encore valable aujourd'hui, ces responsabilités sont les suivantes: d'abord, la protection du Canada, en second lieu, la coopération canado-américaine en matière de défense et, troisièmement, la participation à la sécurité internationale.

Lorsqu'on parle de l'état de préparation opérationnelle, on entend par là la capacité des forces armées de réunir des effectifs et du matériel, dans une période donnée, et sa capacité de s'acquitter avec succès de certaines missions dans le délai imparti. Cet état de préparation opérationnelle peut se scinder en diverses composantes comme la structure des forces, la doctrine, les effectifs militaires, le matériel, l'entraînement et la formation, le soutien logistique et le soutien médical.

Toutes ces composantes doivent être rendues efficaces pour, une fois réunies, constituer une force de combat. À cet égard, les forces armées ressemblent quelque peu à un orchestre symphonique, où le mélange des diverses sections rend possible la production des sons harmonieux. Si l'une des sections manque ou est faible, les résultats seront moins qu'harmonieux. Cette idée s'applique aussi aux forces armées, sauf que ces dernières comportent parfois des questions de vie ou de mort.

Comme des études précédentes effectuées par la Conférence des associations de la défense l'ont établi, cela fait près de 30 ans que les Forces canadiennes sont sous-financées, avec une baisse de 30 p. 100 particulièrement aiguë de son pouvoir d'achat au milieu des années 90. Au cours de la dernière décennie, pour faire face à la pénurie de fonds, on a eu recours à la solution facile constituant à réduire les effectifs des forces canadiennes, les faisant passer de 85 000 personnes à quelque 57 000, dont seulement 53 000 se retrouvent dans l'active. On m'a dit que grâce à la récente campagne de recrutement, le total des effectifs a remonté à quelque 59 000 personnes. Cependant, les effectifs de l'armée régulière, c'est-à-dire déjà entraînés et disponibles, n'ont pas varié de beaucoup.

Les nouveaux crédits budgétaires reçus par le ministère de la Défense nationale au cours des trois dernières années sont venus à point nommé, et ont été bien accueillis. Permettez-moi ici d'ouvrir une parenthèse pour rendre hommage au ministre Eggleton étant donné les efforts qu'il a déployés ces dernières années afin d'obtenir des crédits supplémentaires à l'intention des Forces canadiennes. Cela dit, ces augmentations de crédits ne correspondent qu'à peu près à 50 p. 100 de ce dont on aurait besoin pour seulement stabiliser le système et le relancer. En effet, le budget d'opérations et de maintenance, qui englobe tous les articles d'usage quotidien dont on a besoin pour administrer les forces armées, est dans une situation de déficit permanent d'un milliard de dollars par année. Cela ne tient pas non plus compte de la somme de 5 à 6 milliards de dollars, nécessaires selon le rapport du vérificateur général de 1999 si l'on veut tout simplement substituer du nouveau matériel à celui qui va irrémédiablement se détériorer au cours de la prochaine décennie.

On a bien adopté quelques nouveaux systèmes d'armes à technologie évoluée, comme le véhicule de reconnaissance Coyote et le véhicule blindé léger, mais bien que leur arrivée soit tout à fait opportune, elle n'affecte que temporairement la courbe générale à la baisse de l'état de préparation opérationnelle.

Le résultat le plus inacceptable du sous-financement du budget du ministère de la Défense nationale est la pression inacceptable que subissent les effectifs toujours à la baisse des forces canadiennes. Les gens souffrent de surmenage et bon nombre d'entre eux quittent la vie militaire.

Le ministère de la Défense nationale s'efforce de remédier à ces problèmes en se fixant des objectifs de maintien des capacités militaires actuelles et en changeant d'objectifs de manière à relever les défis de la technologie de pointe et des menaces asymétriques.

L'ennui, c'est qu'il n'y a pas assez d'argent dans le budget de la Défense nationale pour atteindre l'un ou l'autre groupe d'objectifs. C'est à cela que fait allusion le titre de notre étude. Les capacités actuelles des forces canadiennes sont en baisse et nous n'avons pas les moyens de nous en offrir de nouvelles: nous sommes donc coincés entre les deux.

La conclusion que nous dégageons dans notre étude, c'est que faute de fonds, nos forces arrivent à peine à remplir leurs engagements avec les moyens et dans les délais prévus dans les plans actuels.

Comme le temps presse, je vous laisse le soin de consulter le texte de l'étude pour connaître la méthodologie que nous avons employée pour parvenir à ces conclusions. Je vous renvoie tout particulièrement au passage tiré du plan d'activité de niveau 1 de la marine, de l'armée et de l'aviation, c'est-à-dire le résultat de leur propre analyse.

Enfin, même si cela est triste à dire, les attentats aux États-Unis font la démonstration d'un certain nombre d'affirmations énoncées dans l'étude. Tout d'abord, l'histoire n'a pas pris fin. Les intérêts de certains pays et groupes continueront d'être défendus par la violence. Deuxièmement, les événements récents comme ceux du Koweït, du Kosovo ainsi que les attentats aux États-Unis montrent bien que la menace peut se matérialiser avec très peu d'alerte stratégique. Troisièmement, il existe un vaste éventail de menaces dans l'après-guerre froide. On aurait tort de ne s'attarder qu'à l'une d'entre elles. Il faut donc maintenir à un état de préparation opérationnelle des forces armées modernes, polyvalentes et aptes au combat, capables donc de faire face à l'ensemble des menaces. Enfin, contrairement à l'idée communément admise, la technologie ne remplace pas l'élément humain au-delà de certaines limites bien définies.

En conclusion, l'objectif du gouvernement doit être de protéger les citoyens et de favoriser la stabilité et la prospérité. Cela est l'essence même de notre mode de vie démocratique et de notre ordre social agréable. Cela vaut-il la peine de se battre? Je suis convaincu que, comme moi, vous répondrez oui. Dans ce cas, la sécurité implicite dans les Forces canadiennes doit être assurée en plaçant le financement de la Défense nationale parmi les priorités nationales. Nous recommandons que son budget soit augmenté d'au moins un milliard de dollars au cours de chacune des cinq prochaines années.

En guise d'épilogue, j'ajouterai qu'il n'y a pas que la préparation opérationnelle des forces armées qui me préoccupe. Malgré l'intérêt récent des médias pour la sécurité et la défense, il reste en effet que la population ignore en général tout des questions de défense. Nous espérons que notre étude et, à terme, votre propre rapport aideront les Canadiens à mieux connaître ces questions.

Nous sommes à votre disposition pour répondre à vos questions.

Le sénateur LaPierre: Je vous remercie de votre exposé. Comme toujours, vous êtes très intelligent, mais vous nous faites peur. Je lis toujours que je ne suis pas prêt à me battre. L'histoire m'enseigne que je n'étais pas prêt à me battre pendant la Première Guerre mondiale, ni pendant la Seconde et certainement pas pendant la stupide guerre de Corée. Pourtant, la capacité du peuple canadien de trouver les moyens de soutenir un effort de guerre bien au-delà de son poids démographique a largement été prouvée.

Je suis préoccupé par ce que vous estimez être notre absence de préparation. La préparation pour ce qui est arrivée depuis le 1er septembre semble être largement différente de celle qui aurait été nécessaire pour la guerre du Golfe. N'est-ce pas?

M. Belzile: Monsieur le président, il est vrai que nos efforts de guerre du passé sont éminemment louables. Notre histoire a montré que, Dieu sait comment, nous avons trouvé les moyens qu'il faut, comme le sénateur LaPierre l'a dit. Toutefois, le problème, comme l'ont illustré les horribles attentats contre les États-Unis, c'est que l'alerte stratégique et le temps de préparation étaient toujours là. Pendant la guerre froide, longtemps nous avons vécu avec la quasi-certitude que nous allions connaître un affrontement nucléaire ou une escalade nucléaire et c'est pourquoi nous avons négligé nos réserves et notre capacité de conserver nos effectifs, en particulier. Nous avons accepté qu'il nous faudrait combattre avec ce qui était dans la vitrine.

Ceux d'entre nous qui ont travaillé à l'OTAN pendant de nombreuses années savent très bien que nous aurions pu être les otages du pays placés devant les éventuels hordes soviétiques. Or il se trouve que cette guerre n'a jamais été «chaude», mais je suis convaincu qu'il s'agissait bien d'une guerre et que nous l'avons gagnée parce que nous avons montré notre détermination à faire face à toute menace.

Le genre de menaces auxquelles nous sommes aujourd'hui confrontés sont différentes de certaines façons. La Défense nationale recense 11 types de conflits, allant de la sécurité intérieure aux opérations de recherche et de sauvetage en passant par la défense collective.

Un des problèmes du Canada, à cause de l'immensité de son territoire, c'est qu'il est absolument impossible que les Canadiens à eux seuls puissent défendre le pays. Que cela nous plaise ou pas, nous sommes obligés de coopérer avec des alliés et des forces coalisées, mais cela suppose en contrepartie un effort de notre part en faveur de ceux qui ont plus de puissance, comme les États-Unis.

Le sénateur LaPierre a dit que nous semblions toujours prêts à nous battre par le passé. À l'exception de la question du temps, on peut dire que nous sommes prêts à nous battre aujourd'hui également. Mais pour combien de temps? Nous sommes prêts à nous battre mais sans capacité de tenir. Après cinq ou huit mois, comme pour les opérations actuelles de l'ONU auxquelles nous participons, il faut mettre l'armée sens dessus dessous pour assurer la prochaine permutation. Nous n'en menons pas large.

Ce n'est pas particulier à l'armée. C'est là d'où je viens et j'ai tendance à parler davantage de l'armée que de l'aviation ou de la marine, mais celle-ci affecte le tiers de sa flotte de combat à l'opération Apollo. Elle affecte à ce corps expéditionnaire l'un de ces deux seuls navires de ravitaillement, ce qui n'en laissera qu'un au pays. Il faudra que le navire soit sur la côte est ou la côte ouest. Le reste des navires de la marine qui font des exercices sur la côte où il n'y aura plus de ravitailleurs connaîtront immédiatement une réduction de leur rayon d'action car ils devront revenir au port pour se réapprovisionner.

Tous ces éléments font partie de la définition de préparation opérationnelle. Cela ne signifie pas que les membres d'équipage de ces navires sont inférieurs à d'autres dans le monde. Une partie de notre matériel, en fait, est à la fine pointe de la technologie moderne, et nos frégates en sont le parfait exemple. On a réduit le nombre de nos chasseurs. Une petite fraction d'entre eux sont équipés de munitions à guidage de précision. Dans une large mesure, nos pilotes sont épuisés. Les affecter pendant de longues périodes à une mission comme celle du Kosovo les épuisent presque complètement.

Je ne veux pas faire que des critiques. Nous disons que vous devez revoir tous ces éléments pour vous assurer que vous avez de la profondeur en amont et que vous pouvez réviser nos plans de modernisation de la réserve de manière à avoir quelque chose derrière qui vous permet de mobiliser.

Le sénateur LaPierre: Je suis allé à une conférence il y a quelques années à Cornwall. Quelqu'un a dit que le Canada, petit pays de 30 millions d'habitants, avait peu de moyens mais un immense territoire et devrait se spécialiser dans certains domaines et investir là où sa contribution peut être la meilleure. Ce créneau est peut-être la capacité d'interventions rapides. Et non le matériel.

Quand vous et d'autres parlent de notre capacité militaire et de notre état de préparation, il semble toujours être question de quincaillerie. Un milliard de dollars ne vous permettra pas d'acheter grand-chose. Vous arriverez à peine à obtenir ce que vous dites qu'il vous faut.

Que deviendraient notre système de défense et la sécurité de notre pays - et ce n'est pas moi l'expert, c'est pour cela que vous êtes là - si nous nous spécialisions dans certains domaines qui nous permettraient de nous battre dans ce qui sera la guerre moderne du XXIe siècle d'après ce qu'on me dit? Ce ne sera plus comme les guerres du XXe siècle, et encore moins celles du Moyen Âge. Le Canada peut-il assurer la sécurité de sa population et de son territoire et assumer ses diverses responsabilités internationales en menant diverses formes d'actions spécialisées quelles qu'elles soient, et au diable le matériel? De combien de navires ai-je besoin? Combien d'avions me faut-il? Combien de chars? Combien de ceci et combien de cela?

Il va sûrement falloir augmenter le budget de la défense de 10 à 15 milliards de dollars par an pour nous doter d'un équipement comparable à celui des États-Unis et de la Grande-Bretagne. N'avons-nous pas une mission spéciale?

M. Belzile: Monsieur le président, c'est une bonne question que pose régulièrement de nombreuses personnes. Elle n'est pas dénuée d'intérêt.

Si vous le permettez, sénateur, je dirais qu'il n'est pas exact de dire que nous insistons dans notre rapport sur le matériel et l'équipement. Nous parlons surtout des effectifs humains. La spécialisation, c'est très bien si les armées de nos alliés et les coalitions avec lesquelles nous sommes susceptibles de fonctionner ont tout le reste. Le problème de la spécialisation, c'est que quand on renonce à une certaine capacité, quand on abandonne une certaine capacité, que ce soit le déminage en mer pour les zones côtières ou les capacités de parachutage, il faut beaucoup de temps ensuite pour rétablir cette capacité si on en a besoin un jour. Il faut beaucoup de temps pour réapprendre à utiliser des chars et diverses autres choses.

On part aussi du principe que les personnes avec qui on va travailler dans le cadre d'une coalition disposent de tout le reste et sont prêtes à vous le fournir, avec tous les problèmes que cela peut entraîner sur le plan de l'interopérabilité et du commandement. Vous vous retrouvez tout d'un coup avec des forces fractionnées d'une manière qu'elles ne correspondent peut-être pas à ce que souhaiterait votre propre gouvernement national. Je pense que ce genre de dispositif est valable pour un engagement bref et très précis. Si les choses traînent en longueur, comme c'est très possible dans ce cas précis, on entre dans un tunnel sans savoir ce qu'on va trouver à l'autre bout. Il ne serait pas prudent de se spécialiser dans un domaine aux dépens de tout le reste. Même si c'est probable, il n'est pas certain que nous aurons toujours tout le reste de l'OTAN pour nous appuyer complètement.

J'ai passé de nombreuses années à l'OTAN et j'ai pu y constater que tout le monde était d'accord pour l'interopérabilité et la standardisation. Tout le monde était d'accord à condition qu'on se spécialise et qu'on réalise l'interopérabilité à partir de son propre matériel. Toutes sortes d'organisations interviennent dans ces dispositifs, y compris l'économie du pays. M. Pellerin voudra peut-être vous en dire un peu plus à ce sujet. Toutefois, cette spécialisation m'inquiète parce qu'ensuite on ne peut plus revenir en arrière.

Le coloonel à la retraite Alain Pellerin, directeur exécutif, Conférence des associations de la défense: Pour ceux qui ont travaillé à l'OTAN, la spécialisation était traditionnellement un prétexte pour en faire moins, et c'est toujours inquiétant. Dans notre cas, nous avons examiné le Livre blanc, le document de stratégie du gouvernement, pour voir quelle est la tâche que nous a fixée le gouvernement et qui, à mon avis, malgré ce qui s'est passé le 11 septembre, demeure toujours valable pour les Forces armées, à savoir la protection du Canada, la coopération pour la défense canado-américaine et la participation à la sécurité internationale. C'est à partir de ces tâches qu'on organise les forces armées.

À mon avis, dans le livre blanc, on prévoit le minimum de forces nécessaires pour accomplir ces tâches. Je pense que pour les deux premières, qui sont plus ou moins regroupées maintenant depuis les événements du 11 septembre, il nous faudrait des forces plus importantes. On commence à s'occuper de contre-terrorisme. On commence à envisager une infrastructure critique et la protection de cette infrastructure au Canada. Nous allons rapidement manquer d'effectifs.

Lors de la tempête de verglas, nous avons déployé quelque 15 000 soldats dans l'est de l'Ontario et au Québec seulement. Lors de la crise d'Oka, 9 000 à 10 000 soldats ont été déployés. Il est évident que s'il s'agit de protéger nos infrastructures partout au Canada, nous aurons rapidement besoin d'effectifs militaires.

Nous devons également contribuer à la sécurité internationale. D'ailleurs, nous compterons bientôt quelque 4 000 soldats à l'étranger. Or, il sera difficile de maintenir ce rythme. Le livre blanc réclame que nous déployions au minimum l'équivalent d'une brigade, soit de 6 000 à 8 000 soldats, mais nous avons conclu que cela serait impossible à moins d'y consacrer six mois à un an d'entraînement. Et ce n'est qu'un minimum, car nous sommes cruellement à court de spécialistes en logistique ou en génie médical.

Vous dites que nous sommes un petit pays, mais nous faisons après tout partie des pays du G-7. La semaine dernière, M. Manley affirmait que notre pays devait faire plus encore. Nous sommes un pays riche, en effet, et un pays fortement commerçant qui a besoin de stabilité pour maintenir son bien-être. Or, les Forces armées canadiennes ont un rôle à jouer en ce sens. La qualité de nos forces armées est de notoriété publique, mais on ne cesse de se plaindre de son effectif réduit.

Le sénateur LaPierre: Pourquoi le Canada n'a-t-il pas développé sa force de réserve? Tout le monde sait que le ministère qui a détruit sa propre force de réserve. Le ministre avait même son propre comité de surveillance au sujet duquel il suffit d'interroger John Fraser. C'est partout un tel gâchis!

Pourquoi ne pas avoir fait comme les Américains, qui sont pour nous un grand exemple de sagesse, ne pas avoir mis sur pied une force de réserve qui aurait été d'une grande utilité au cours des événements que nous venons de vivre. Pourquoi avoir permis cette débandade?

M. Belzile: Je vais tenter de répondre à cette excellente question.

J'ai mentionné la guerre froide en réponse à votre première question. Au cours de cette guerre froide, la destruction mutuelle assurée est restée pendant longtemps la doctrine stratégique de l'OTAN, dont nous faisions et faisons toujours partie. C'était la première fois que l'on invoquait cette doctrine. En vertu de l'article 5, toute attaque à l'encontre de l'un ou l'autre des 15 pays de l'OTAN était considérée à l'époque comme une attaque à l'encontre de tous. Nous savions également que les possibilités d'escalade du conflit étaient énormes et qu'elles entraîneraient des affrontements massifs entre des armées se disputant - comme nous l'espérions - le territoire de l'Europe occidentale et seulement celui-ci. Si vous deviez perdre la première vague d'attaques, et si vous deviez tout perdre, vous n'auriez pas eu le temps de toute façon de mobiliser vos réserves comme vous l'aviez fait en 1939. L'armée et les réserves navales avaient des rôles spécifiques à jouer, tels que contrôler la marine marchande, les ports, etc. Il s'agissait de rôles dévolus spécifiquement à la réserve.

Puis, l'armée a été littéralement transformée en une opération de sauvetage post-frappe nucléaire censée pouvoir pénétrer dans des villes comme Granby au Québec - simulation à laquelle j'ai participé - en vue de récupérer des milliers de corps ou, au fur et à mesure que l'on s'éloigne du point zéro, de sauver des blessés; autrement dit, on lui réservait toutes sortes de tâches de nature à peine militaire.

Ces réserves de nature moins militaire ont commencé à dégénérer, non pas parce qu'on leur avait donné l'ordre, mais parce que des flots de réservistes abandonnaient la partie. On ne leur réservait plus aucun défi, du genre de ceux qui traditionnellement encouragent les jeunes à joindre les rangs de l'armée et qui peuvent les stimuler en leur offrant la possibilité d'aider leur pays. Et nous n'avons jamais réussi à les convaincre que leur service était tout aussi utile que l'autre pour leur pays

Les 30 dernières années de finances réduites n'ont fait qu'accélérer le désintéressement. J'ai commandé l'armée et, par conséquent, la réserve, de 1981 à 1986. À l'époque de mon départ, je commandais 45 000 soldats dont faisaient partie les réservistes. Cet effectif est aujourd'hui réduit à peu près de moitié et comprend la force régulière, de qui on attend toujours qu'elle réagisse rapidement comme elle le fait aujourd'hui en étant sur un pied d'alerte et capable d'embarquer du personnel, ainsi que les réserves, qu'il est impossible d'appeler sous les drapeaux et dont la présence n'est pas garantie, parce que traditionnellement son service est volontaire.

Nous sommes d'avis que ce type de réserve n'obtiendra aucun appui politique. D'ailleurs, elle fut un désastre en temps de guerre et il est peu probable que le gouvernement canadien invoque à nouveau un jour la nécessité d'en avoir une. Cette réserve n'offre aucune protection d'emploi. Même si notre effectif de réserve était trois fois plus élevé qu'il ne l'est, il faut comprendre que les réservistes ne se présentent au poste que s'ils le veulent bien. Nous aimerions pouvoir vous garantir que nous sommes capables de les motiver. Nous avons nui aux réserves pour bien des raisons, la principale étant simplement que trop longtemps, nous ne les avons utilisées que comme des pompiers pour faire du sauvetage, ce qui en a désintéressé plus d'un.

Le sénateur LaPierre: M. Chrétien ne peut tout de même pas dans un discours, annoncer qu'il augmentera de 75 milliards de dollars le budget de la défense. Il doit consulter les Canadiens, et depuis l'ère Trudeau, les Canadiens sont moins enclins à appuyer l'envoi des Forces armées canadiennes dans des conflits et prônent plutôt avec émotion que l'armée consacre toute son énergie au maintien de la paix.

Avez-vous consulté les Canadiens pour savoir s'ils appuient vos conclusions? Dans l'affirmative, comment nos dirigeants pourront-ils convaincre les Canadiens de faire les sacrifices nécessaires pour que le Canada ait une armée du niveau tel que celui que vous préconisez, quitte à ce que d'autres secteurs tels que l'éducation ou la santé soient laissés pour compte quelque temps ou que le déficit ou la dette augmente? Est-ce réalisable? Vous êtes-vous posé la question?

M. Belzile: Nous ne nous sommes pas posé directement la question dans le cadre de cette étude, mais toutes sortes d'éléments à l'extérieur de notre étude le démontrent. Au cours des derniers mois, les sondages ont démontré qu'environ 58 p. 100 de la population appuient une augmentation dans les dépenses en matière de défense et la valorisation des Forces armées canadiennes. Je prétends donc, en toute humilité, que le peuple canadien s'est prononcé. Comme mon collègue vous l'a expliqué, les Canadiens se rendent bien compte qu'ils font partie des pays du G-7 ou du G-8, selon le cas, et qu'ils sont citoyens d'un des pays les plus riches et les plus prospères du monde. Il faut cesser d'être à la remorque des autres et il faut payer notre part. Or, le fardeau de la défense doit être partagé par les 19 pays de l'OTAN alors que, comme le démontre notre étude, le Canada ne fait pas autant qu'il le devrait.

M. Pellerin: C'est sans doute parce que notre étude a été publiée le 27 septembre, peu après les événements tragiques du 11 septembre, mais les quelques sondages qui ont suivi, notamment dans le Toronto Star, ont démontré que la population canadienne est prête beaucoup plus qu'avant à appuyer une augmentation des dépenses de défense. Cela nous a rassurés, dans un certain sens. De plus, au cours des trois dernières semaines, notre petit bureau de trois bénévoles à peine a reçu au moins 200 demandes d'entrevues de la part de la radio, de la télévision et de la presse écrite. Lorsque je lisais les journaux de Toronto le week-end dernier, j'ai constaté que Graham Fraser du Toronto Star citait notre document dans un long article sur la défense. Chacun d'entre nous est passé à la télévision plusieurs fois. Nous avons aussi passé des heures à la radio dans le cadre d'émissions de ligne ouverte et avons constaté que les Canadiens appuient plus que jamais leur dispositif de défense. Malheureusement, dans le cas qui nous occupe, le gouvernement est à la remorque de la population sur la nécessité de soutenir des forces armées qui soient fortes et crédibles.

Le sénateur Atkins: Le sénateur Cordy s'est penchée vers moi pour m'expliquer à quel point il était difficile de faire mieux qu'un journaliste de télévision et de poser les bonnes questions. Quoi qu'il en soit, je vous souhaite la bienvenue, général Belzile. La dernière fois que nous nous sommes vus, c'était en France, lors du 55e anniversaire du débarquement en Normandie. Vous ne vous rappelez peut-être pas, mais vous étiez accompagné d'étudiants, et vous avez dirigé une cérémonie qui était, à mon avis, un des moments forts de notre voyage.

J'accompagnais des anciens combattants en Normandie et ce qui m'a frappé, même si je n'en étais pas à mon premier voyage avec des anciens combattants, c'est l'incroyable loyauté qu'ont nos anciens combattants à l'égard de nos forces armées et la fierté qu'ils en tirent. Or, je n'ai pas l'impression que les soldats d'aujourd'hui ressentent la même chose. Parfois, il est vrai qu'ils sont très fiers de la nouvelle vocation de leurs forces armées et des nouvelles tâches que celles-ci accomplissent brillamment. Les forces armées ont fait du travail remarquable dans des circonstances difficiles, mais, si je me rappelle ce qu'elles étaient dans les années 60, j'ai l'impression qu'on a rogné sur les forces armées et que nous en payons aujourd'hui le prix.

Qu'il s'agisse de la réserve ou du type de matériel dont nous équipons nos militaires, il me semble que ce que nous leur offrons n'est guère de nature à susciter l'intérêt, sauf dans certains domaines. Je sais que l'aviation a le CF-18, qui est un appareil de technologie assez récente. La marine a les frégates. Sans compter que nous avons rogné sur les forces armées de même que sur nos effectifs militaires. Pourquoi les jeunes choisissent-ils les rangs de la GRC plutôt que les forces armées? D'une certaine façon, les candidats ont à peu près les mêmes intérêts et les mêmes ambitions. Nous ne payons pas les militaires aussi bien que nous payons les agents de la GRC. Nous ne leur donnons pas de raisons de s'enrôler. Je n'ai pas lu votre rapport, mais on parle de 60 000. Est-ce suffisant pour nos forces armées?

M. Belzile: Notre rapport ne contient que six recommandations. La troisième vise un effectif de 60 000 pour que nous puissions faire ce que le gouvernement attend de nous, en supposant qu'il en a les moyens. Nous recommandons que l'effectif passe progressivement à 75 000 à tout le moins. Dans les années 60, il était de 120 000. Nous ne disons pas qu'il faut absolument revenir à ce niveau. Nous savons bien par ailleurs que la grande priorité de l'heure sera la sécurité nationale à cause de la nature de la menace qui existe maintenant. Nous ne voulons pas toutefois que l'orientation soit déterminée en fonction du «parfum du mois», de façon que, du jour au lendemain, on n'en ait plus que pour la lutte au terrorisme et que tout le reste disparaisse ou encore qu'on n'en ait plus que pour l'OTAN ou même pour la recherche et le sauvetage. C'est de cela qu'il s'agit finalement.

Je veux maintenant vous parler des efforts pour recruter le type de candidats dont nous avons besoin et de l'attrait que les force armées représentent pour eux. Je veux vous raconter une petite anecdote. Quand je suis revenu de Corée, je travaillais comme agent de recrutement à Edmonton, en Alberta. Nous avions à l'époque des quotas importants. Mon patron avait l'habitude de venir voir sur place à mon bureau qui se trouvait à l'angle de la 101e et de Jasper à Edmonton. Il engageait la conversation avec le jeune homme qui était assis sur le banc et qui attendait de passer à la prochaine étape du processus. Il lui demandait: «Depuis combien de temps attends-tu là, mon gars?» Si la recrue lui disait que cela faisait plus de 72 heures, j'étais fait.

Aujourd'hui, il nous faut parfois jusqu'à six mois pour enrôler quelqu'un. Tout est centralisé et passe par un seul système. Nous ne pouvons même pas faire passer facilement quelqu'un de la réserve à la force régulière. Les deux sont séparées par une membrane, et la membrane était là quand j'étais toujours en uniforme. Les gens me regardent et me demandent: «Pourquoi n'avez-vous pas pu corriger le problème?» Prenons le cas des unités de réserve qui veulent embaucher un ancien officier ou sous-officier de la force régulière qui a beaucoup d'expérience. Eh bien, même si le gars vient tout juste de sortir de la force régulière, il leur faudra des mois pour l'enrôler et pouvoir profiter de son expertise et de son expérience.

Nous agissons ainsi pour des raisons multiples. J'emploie ici le «nous collectif». Il y a notamment les évaluations de sécurité, etc. Ce n'est pas quelque chose qui nous préoccupait beaucoup autrefois. Nous formions nos fantassins pendant les trois ou quatre premiers mois, et tout le reste se faisait une fois qu'ils étaient enrôlés. Nous enrôlions des gens que nous n'aurions peut-être pas dû enrôler. Notre processus de sélection n'était peut-être pas toujours parfait car il arrivait que, deux ou trois ans plus tard, nous voulions nous débarrasser de certains éléments. Le problème qui se pose maintenant, c'est que beaucoup d'aspirants réservistes se rendent dans les centres de recrutement et partent parce qu'ils en ont assez. Ils attendent pendant six ou sept mois, sans savoir pourquoi on les refuse, et ils abandonnent. Ils vont travailler dans un McDonald ou ailleurs.

Notre effort de recrutement n'est pas ce qu'il devrait être. Nous ne devrions pas chercher à concurrencer les entreprises de pointe ou le salaire qu'elles offrent aux ingénieurs. Nous ne devrions pas essayer de concurrencer le système des soins de santé ou les honoraires qu'il assure aux médecins. Nous devrions plutôt chercher à recruter des candidats en faisant valoir les avantages d'un travail qui leur offre des possibilités illimitées de servir leur pays.

Nous devrions leur faire comprendre que ce que nous leur offrons, ce n'est pas un emploi, mais une vocation. Malheureusement, le travail est de plus en plus perçu comme un emploi, et ce, par la force des choses, étant donné que les militaires travaillent côte à côte avec des civils. Il ne peut pas exister deux ou trois normes différentes. Les gens finissent par souscrire à la même mentalité et dire: «Je travaille de neuf à cinq.» Mes collègues qui sont toujours en uniforme seraient mécontents de me l'entendre dire, mais je soutiens que leur système est maintenant trop axé sur la rémunération, la sécurité, sans plus. Les jeunes de 18, 19 ou 20 ans - c'est-à-dire, à moins qu'ils aient été très différents des autres - ne se préoccupaient pas tellement de ces choses-là à l'époque. Nous voulions faire quelque chose de passionnant. Je n'oublie pas non plus le terme «patriotisme». Nous nous sentions bien de porter un uniforme. C'est pour cela que nous nous enrôlions. Si on nous envoyait dans un endroit dangereux, en Corée ou à Chypre au tout début, nous en étions contents parce que nous rentrions chez nous avec l'impression d'avoir fait quelque chose pour notre pays. Je ne suis pas sûr que ce soit aujourd'hui ce à quoi on appelle les jeunes avec nos affiches de recrutement.

J'en ai connu beaucoup qui sortaient du 707 la mallette à la main, essayant de se donner l'allure d'un cadre qui a réussi dans la vie. Quand ils arrivaient à l'école d'infanterie, nous leur lancions un sac à dos, des raquettes, une carabine et une grosse poignée de munition et nous leur disions: «Désolés, mais pour les trois mois à venir, ce sera ça ta mallette.» Certains décidaient dès lors d'abandonner et partaient. Nous ne voulions d'eux, à vrai dire. Les vétérans avec qui on partait étaient extrêmement motivés. Il leur fallait un certain temps parfois à s'engager vraiment, mais une fois engagés, ils acceptaient le travail qu'on leur demandait. Ils l'acceptaient bien plus comme une vocation que comme moyen de s'assurer une pension. La plupart d'entre eux n'ont d'ailleurs jamais eu droit à une pension puisqu'ils ont quitté les forces armées tout de suite après la guerre.

Le sénateur Atkins: On y voyait en quelque sorte une aventure.

M. Pellerin: Les forces armées d'aujourd'hui sont différentes à bien des égards de celles que nous avions quand nous nous sommes engagés il y a 30 ou 40 ans. Il y a un changement important qui a un effet sur la dimension vocation du travail, à savoir que 60,5 p. 100 de nos militaires aujourd'hui sont mariés, alors que, quand nous nous sommes engagés, les militaires mariés n'étaient que 20 ou 25 p. 100. La taille des forces a aussi diminué et les troupes sont beaucoup plus souvent déployées à l'étranger, notamment pour les opérations de maintien de la paix. Certains militaires ont déjà fait six tours de service dans les Balkans depuis que nous avons commencé là en 1992-1993. Ces déplacements - et ce sera la même chose pour les marins si nous maintenons notre engagement actuel dans le golfe - sont très difficiles pour les familles qui, elles, doivent rester. Les femmes ont beaucoup de mal à travailler quand leur mari est parti pour une période de six mois. Le taux de rétention en souffre. Il est difficile de garder nos gens.

Les soldats d'aujourd'hui sont aussi bons que ceux que j'ai moi-même connus. En tant que soldats, ils sont généralement bien formés. C'est toute la structure qui a changé au fil des ans, avec les problèmes qui en découlent.

Le sénateur Atkins: Je suppose que la technologie a fait baisser la demande de ressources humaines, autrement dit, vous n'avez sans doute pas besoin d'autant de militaires qu'il vous en fallait il y a 40 ans pour faire le même travail. Quand on est militaire, on en tire une certaine fierté. Mais quand vous avez changé les uniformes - et je sais que la décision n'a pas été prise par les autorités militaires -, ne pensez-vous pas que cela a eu un effet néfaste sur les forces armées?

M. Belzile: C'est sûr.

Le sénateur Atkins: Cette décision a, à mon avis, détruit une bonne part de la fierté que ressentaient les militaires. Je ne pense pas que les forces armées s'en soient jamais remises. Pour ce qui est du recrutement, je le dis à qui veut m'entendre, les personnes qu'on recrute pour les forces armées devraient avoir droit à la même rémunération que quelqu'un qui s'engage dans la GRC. Pourquoi pas?

Vous avez évoquez la spécialisation. Je ne sais pas si l'on peut parler de spécialisation. Je pense que certaines forces d'élite ne seraient pas un mal. Étant donné les quantités, étant donné le nombre d'exigences, je ne pense pas que nous puissions nous passer de nos alliés. Je ne peux pas imaginer un cas où nous ne serions pas abouchés avec les États-Unis ou la Grande-Bretagne. Il est important que nous réévaluions notre orientation et, peut-être, que nous songions à des forces d'élite.

M. Belzile: Je suis entièrement d'accord avec vous, sénateur. Quand j'ai répondu à la question du sénateur LaPierre sur la spécialisation, j'ai abordé brièvement la chose. Permettez-moi de vous parler un peu de ce que nous en sommes venus à appeler «la révolution dans les affaires militaires», ce qui est l'équivalent de la haute technologie que vous évoquez.

La haute technologie, en grande partie, peut sauver un certain nombre de gens. Toutefois, cette haute technologie n'est satisfaisante que dans la mesure où les hommes et les femmes qui l'utilisent sont à la hauteur. Nous n'en sommes pas encore à remplacer les ressources humaines par des robots. Tôt ou tard, on constatera que les services rendus par la technologie sont limités. Toute tentative de remplacer les ressources humaines par la technologie se heurte presque invariablement à deux problèmes: d'une part, il faut un entraînement beaucoup plus poussé pour utiliser ce matériel, de sorte qu'il faut plus de temps pour l'entraînement des gens. Deuxièmement, le matériel de haute technologie exige, dans la plupart des cas, beaucoup plus d'entretien et de réparation. On se heurte à des problèmes quand il s'agit d'optimiser le fonctionnement de ce matériel.

Malheureusement, le matériel ne remplace pas encore les gens. On ne peut pas contrôler une parcelle de terre tant que des gens n'y sont pas implantés, les deux pieds dessus. Ce n'est pas nécessairement «la vieille école» ou des façons de faire obsolètes. C'est encore vrai aujourd'hui.

Le sénateur Atkins: Vous avez parlé d'un profil du militaire. À la lecture des journaux, les gens se renseignent sur le débat concernant les hélicoptères. Qu'est-ce qui pourrait inciter quelqu'un à s'enrôler dans l'armée, sachant qu'une bonne partie du matériel est désuet ou inexistant?

Les gens qui seraient intéressés vont voir ailleurs. Les forces armées doivent repenser tout leur profil et leur capacité à attirer de nouvelles recrues. Les Américains ont également du mal à recruter, mais il leur faut des centaines de milliers de militaires alors que nous en avons moins de 60 000. Je trouve renversant que nous ne puissions pas trouver 60 000 bons candidats pour l'armée.

M. Belzile: Vous avez dit que les forces armées devraient repenser leur profil, sénateur, mais j'ajouterais qu'à mon avis, le gouvernement du Canada devrait repenser sa politique étrangère et de défense. Les forces armées réagissent aux directives gouvernementales. Nous vivons en démocratie, notre organisation réagit à l'autorité civile au pouvoir. C'est notre conviction et c'est comme ça que nous servons le pays. Cela n'a pas changé. Il y a bien des pays au monde où cela n'est pas le cas.

Les forces armées vont toujours faire de leur mieux compte tenu des ressources dont elles disposent, comme vous l'avez sans doute constaté. C'était essentiellement la même chose pendant la Seconde Guerre mondiale. Nous n'avions jamais assez de trousses. Il y a une différence entre manquer de trousses et ne pas avoir ce qu'il faut pour maintenir les quelques opérations d'une armée en temps de paix.

Le problème n'est pas limité aux forces armées, il s'étend à tout le gouvernement du Canada.

M. Pellerin: J'ajoute que nous sommes aujourd'hui à un tournant. Nous évoquions l'appui de la population, appui qui n'existait pas il y a un ou deux mois. Il semble qu'on appuie davantage les forces armées désormais. Profitons de l'occasion. Il ne faudrait pas tout faire tourner autour de la chose militaire. Les forces armées sont convaincues qu'il faut une interrelation entre les civils et les militaires et que les forces armées doivent être contrôlées par le gouvernement.

Il est temps que le gouvernement commence un débat public avec les Canadiens. Quelles forces armées voulons-nous avoir dans notre société? Les forces armées sont un élément essentiel de nos valeurs démocratiques fondamentales. Or nous l'avons oublié dans le passé. Nous devons donc renouveler le débat et engager les Canadiens dans la discussion.

Le sénateur Atkins: Nous devons également tenir un débat sur le rôle que nous pouvons jouer.

Le sénateur Cordy: Je me fais l'écho des propos du général Belzile sur l'excellent travail que fait le personnel militaire, compte tenu des ressources limitées que vous avez évoquées. C'est ce que d'autres témoins nous ont dit également. Je suis de la Nouvelle-Écosse, et dès cette semaine, plus de 1 000 hommes et femmes seront déployés à partir de ma province.

Dans votre déclaration, vous avez fait allusion à l'épuisement professionnel des militaires. Aujourd'hui, j'ai pris l'avion de l'aéroport de Halifax sur Ottawa, et j'ai rencontré un aumônier militaire. Je ne rate jamais l'occasion d'en apprendre davantage, et j'ai donc commencé à lui parler de l'armée. Je lui ai demandé ce qui, à son avis, constituait les principaux problèmes. Il m'a répondu que le manque de personnel avait des conséquences pour les familles de militaires.

Vous avez dit également que le personnel était redéployé après deux ou trois semaines, sans avoir eu le temps de récupérer des effets que leur déploiement peut avoir sur leurs familles et sur eux.

Dans la guerre actuelle contre le terrorisme, à laquelle nous prenons part, personne dans cette salle ne peut s'attendre à ce que ce soit une bataille à court terme, qui durerait environ six mois. Ce ne sera pas une guerre interminable, mais ce sera certainement une guerre prolongée. Quelle sera l'incidence de cette pénurie de personnel sur notre capacité de défendre notre pays ou de lutter contre le terrorisme?

M. Belzile: Comme je l'ai dit au début de mon intervention, il est clair que nous devons réagir aux difficultés que nous constatons et qui sont source d'inquiétudes pour les Canadiens. Je dirai, comme vous, que nous avons besoin d'augmenter notre personnel. Il n'y a pas de doute dans mon esprit à ce sujet-là.

Nous devons également comprendre que l'armée n'est pas la seule dans cette situation. En effet, la GRC et le SCRS, et d'autres organismes qui assument un très grand rôle, ont une capacité d'intervention limitée. C'est pourquoi nous devons accroître nos troupes légères et les brigades d'intervention spéciales qui ont une capacité de déploiement rapide. Pour y arriver, il faut se doter de moyens de transport aérien ou maritime pour déplacer nos troupes et notre équipement relativement vite.

La soutenabilité, les renforts, la logistique et un bon système de soins de santé sont autant de facteurs pour montrer que nous avons à coeur l'intérêt de notre personnel. Les soins médicaux ont été considérablement éprouvés récemment. La force aérienne comme la marine doivent être suffisamment équipées pour soutenir les troupes et leur servir de renfort. La plupart des gens pensent désormais que la lutte contre le terrorisme pourrait mener à une confrontation avec des guérillas sur notre territoire même. Nous devons donc avoir la capacité de réagir rapidement dans une situation donnée.

Je ne suis pas ici pour faire de la politique et plaider la cause des troupes aéroportées, reste que les troupes aéroportées étaient conçues justement pour cette fin. Au sein de la FOI 2, nous avons encore quelques compagnies de parachutistes, quoique celles-ci n'aient jamais travaillé ensemble. Il y a des petits groupes à Valcartier, à Petawawa et à Edmonton, d'où la difficulté de les regrouper ou de les former ensemble. Les responsables militaires doivent réfléchir à toutes ces questions. La création d'un noyau ou le renforcement d'un noyau existant ne devrait pas prendre beaucoup de temps.

La soutenabilité et la déployabilité sont cruciales. Nous n'avons pas de moyens de transport de charges lourdes. Nous pouvons transporter des troupes légères sur de longues distances, mais pas d'équipement lourd. Nos navires n'ont pas été conçus pour cela. Nous engageons alors des transporteurs civils et nous entendons des histoires comme celle du navire GTS Katie, qui a tenu en otage dans l'Atlantique Nord le tiers de notre équipement militaire. Voilà le genre de chose auquel nous devons réfléchir.

M. Pellerin: Nous devons faire attention de ne pas tomber dans ce qu'on appelle communément la mode du jour. Je suis d'accord pour dire que le gouvernement doit lutter contre le terrorisme et assurer de meilleurs services de renseignement, et ainsi de suite. C'est ce qu'il faut faire. Comme l'a mentionné le général, il serait prudent pour le gouvernement de comprendre, comme vous l'avez si bien dit, que cette guerre ne se terminera pas demain. Ce sera certainement une campagne de longue durée.

Qui sait ce que l'on trouvera à la fin de ce tunnel obscure? Pensez aux régions où nos forces, ainsi que les forces américaines et britanniques, seront déployées: l'Asie méridionale et le Proche-Orient. Qui sait ce qui pourrait se produire là-bas?

À long terme, il serait prudent que le gouvernement garde à l'esprit les forces conventionnelles dont on a besoin en grand nombre, d'après le livre blanc. Ce n'est pas une façon de voir ancienne, mais simplement une façon de tenir compte des préoccupations d'aujourd'hui et de demain.

Pour revenir à ce que le sénateur LaPierre disait sur la question des réservistes, si nous voulons sérieusement accomplir les tâches cernées dans le livre blanc, notamment la protection du Canada et de ses infrastructures essentielles, nous devons sans plus tarder nous attaquer à la pénurie de réservistes. Les réservistes se trouvent partout au pays, et ils sont probablement mieux préparés pour ce genre de chose que les forces régulières, qui devraient être employées ailleurs, compte tenu de leur souplesse et de leur mobilité. Nous devons résoudre le problème des réservistes de manière satisfaisante.

Le sénateur Cordy: Je voudrais revenir à un sujet évoqué par le sénateur LaPierre, à savoir la volonté du peuple canadien. Si nous devions réaliser un sondage aujourd'hui, les gens seraient très nombreux, et c'est compréhensible, à être favorables à un soutien financier, à des impôts, etc., pour financer l'action militaire. Cependant, je pense que le changement s'est produit bien avant cela, puisque le public avait pris connaissance de l'état de nos forces armées. Au cours des cinq dernières années, on avait déjà l'impression que les gens voulaient se doter d'une bonne armée. Cela dit, quel est le prix que les Canadiens sont disposés à payer pour avoir une bonne armée? Comment entretenir ce sentiment? Nous ne devons certainement pas compter sur des guerres pour le faire, mais sans elles, comment faire en sorte que les Canadiens ressentent le besoin ou le désir de se doter d'une armée très forte?

M. Belzile: Nous avons abordé cette question dans notre rapport. Je vais vous épargner les détails du rapport, mais je vous dirai que bien des gens semblent croire qu'il n'y a pas moyen de concilier les différentes ressources dont dispose l'État et les différents services que l'on doit offrir. Nous ne pensons pas que les deux soient mutuellement exclusifs. Aujourd'hui, dans les Forces canadiennes, on prend à Pierre pour donner à Paul. On prend de l'argent dans le budget du personnel, étant donné qu'il s'agit d'une dépense sensiblement élevée, pour être en mesure d'acheter de l'équipement, financer certaines de nos opérations et faire marcher les choses. C'est un peu comme si on payait constamment son solde de carte de crédit. On injecte des fonds, mais dans l'ensemble, c'est pour quelque chose qui a déjà été dépensé, par exemple, les dépenses engagées dans l'opération au Kosovo.

Nous nous devons d'expliquer aux Canadiens que l'armée n'est pas en concurrence avec les services de santé. Il faut établir un équilibre raisonnable entre les deux. Les services de santé sont meilleurs dans un pays qui vit dans la prospérité, la sécurité, et où les gens peuvent jouir d'un mode de vie démocratique et y aspirer. C'est un objectif qui passe en partie par la capacité d'assurer une bonne sécurité. Nous devons assurer la stabilité et la sécurité de notre pays pour que nos emplois et nos marchés puissent fonctionner.

Nous sommes un pays commerçant. Nous devons parvenir à un accord avec les États-Unis, avec lesquels nous faisons environ 87 p. 100 de nos échanges, pour essayer d'harmoniser le transport par camion entre nos deux pays sans tout paralyser. Les États-Unis pourront encaisser mieux que le Canada, dont l'économie est plus fragile. Je présume que vous en savez davantage sur les principes économiques que moi, mais sachez que tout cela causera des problèmes énormes.

Je ne parle pas d'une somme annuelle de 25 milliards de dollars. Nos recommandations sont beaucoup plus modestes que cela. Nous préconisons une augmentation de un milliard de dollars sur cinq ans pour nous aider à inverser la tendance et, comme l'a laissé entendre le vérificateur général pour créer un compte spécial qui permettrait à la Défense nationale d'engager des dépenses semblables à celles de la plupart des autres pays, soit à hauteur de 22 à 23 p. 100 du budget pour l'acquisition d'équipements nouveaux afin de remplacer les plates-formes rouillées, celles des hélicoptères et des camions.

La décision appartient au ministère. Selon le Conseil du Trésor et le ministère des Finances, il s'agit de réaffecter des fonds. Si nous proposions de doubler ou de tripler le budget, on pourrait s'attendre à ce que le déficit augmente, mais ce n'est pas ce que nous recommandons. Je ne pense pas que l'augmentation dont nous parlons compromettrait les programmes de santé d'aucune façon et nous pouvons certainement nous permettre cette augmentation.

Le sénateur Cordy: Le sénateur Atkins a fait valoir que les militaires sont fiers d'appartenir à l'armée canadienne et que les Canadiens sont fiers de leur armée.

M. Pellerin: Dans la foulée des événements survenus le 11 septembre, nous avons recommandé que le gouvernement entreprenne une étude approfondie de toutes les questions liées non seulement à la défense, mais aussi à la politique étrangère, et que cette étude aboutisse à un livre blanc.

Nous devrions suivre l'exemple de l'Australie. Les forces armées australiennes connaissaient les mêmes difficultés que les nôtres et étaient également sous-financées. L'Australie a publié l'an dernier un livre blanc qui comporte un engagement du gouvernement signé par le premier ministre, le chef de l'opposition et le ministre de la Défense prévoyant une augmentation sur 10 ans du budget des forces armées de l'ordre de 23 milliards de dollars, le dollar australien étant à parité avec le dollar canadien. Cette somme s'ajoute au budget normal des forces armées.

On peut soutenir que le livre blanc est toujours un document valide, mais le gouvernement ne s'est jamais engagé à pleinement mettre en oeuvre les recommandations qui y figuraient. Voilà la cause principale du problème. Un livre blanc doit s'accompagner d'un engagement ferme du gouvernement d'accroître le budget de la défense.

Le président: Pourriez-vous répéter les sommes que vous avez proposées? J'ai entendu 1 milliard de dollars sur cinq ans, mais j'ai aussi entendu 1 milliard de dollars par année au cours des cinq prochaines années. S'agit-il de 5 milliards de dollars ou d'une augmentation de 1 milliard de dollars, suivie d'une autre augmentation de 1 milliard de dollars?

M. Belzile: C'est le point de départ. La somme totale au bout de cinq ans serait d'environ 16 milliards de dollars.

Le président: Vous avez parlé des parachutistes. Est-ce vraiment la meilleure façon d'assurer le transport de l'infanterie légère?

M. Belzile: Non, mais c'est parfois le seul moyen possible. On semble croire que les grandes flottes d'hélicoptères peuvent transporter les troupes n'importe où. Compte tenu de la géographie du Canada et des questions de sécurité interne, les hélicoptères n'ont pas un rayon d'action suffisant, ce que vous confirmeront les spécialistes de l'aviation. Un groupe de parachutistes peuvent être transportés à l'arrière d'un Hercules. Après cinq heures de vol, ils auront quelques courbatures, mais il sera possible de les larguer n'importe où et ils commenceront tout de suite à préparer une piste d'atterrissage. Le parachute est simplement un moyen d'intervention de plus. Ce n'est pas nécessairement le moyen auquel on aurait recours le plus souvent. C'est un moyen de plus. En outre, ce moyen comporte certains des éléments dont je parlais plus tôt. Les troupes aiment ce moyen de transport. C'est fantastique d'endosser son parachute et de se dire: «J'ai fait mes preuves. Je me suis lancé dans le vide et j'en suis fier.» C'est une petite lutte que le parachutiste se livre à lui-même. J'ai moi-même sauté en parachute et je peux vous assurer que c'est très stimulant.

Le président: J'en suis sûr, général.

Les officiers supérieurs qui ont comparu devant nous nous ont assurés que les Forces canadiennes étaient davantage prêtes au combat aujourd'hui qu'elles ne l'étaient il y a 10 ans lors de la guerre du Golfe. Partagez-vous cet avis?

M. Belzile: Si vous m'aviez posé la question il y a quelques mois, monsieur le président, j'aurais dit que non, mais je me suis rendu compte qu'il s'agit d'un argument vain. Il est bien évident que nous disposons de certaines capacités dont nous ne disposions pas il y a 10 ans. La flotte de frégates en est un bon exemple ainsi que l'équipement de pointe dont dispose l'armée comme le LAV III et le Coyote. La même chose vaut en ce qui touche notre flotte d'avions de combat qui a été modernisée. Cet équipement est certainement meilleur que celui dont nous disposions il y a 10 ans. Comme je l'ai cependant dit plus tôt, c'est bon que nous disposions de cet équipement, mais nous n'avons pas suffisamment de gens pour en tirer pleinement parti ou pour pouvoir l'entretenir pendant plus de quelques mois.

Reste à savoir si cela signifie qu'on peut vraiment dire que les forces sont prêtes au combat. Nous parlons de la préparation opérationnelle comme si cela signifiait la même chose que la préparation au combat parce que nous parlons d'une organisation générale composée de non-spécialistes. Peut-être peut-on dire que dans l'ensemble les forces sont prêtes, mais je doute fort que je ferais cette affirmation.

Cela étant dit, ceux qui ont pris leur retraite ont des avis partagés là-dessus ainsi que certains de ceux qui portent toujours l'uniforme. Nous en sommes venus à la conclusion que cette discussion ne mène nulle part. Tout dépend de la définition à laquelle on se reporte.

M. Pellerin: J'appuie complètement la position exprimée par le général. Nous avons cherché dans notre étude à ne pas nous demander si les forces armées étaient plus prêtes au combat aujourd'hui qu'il y a 10 ans ou qu'il y a même 50 ans.

La question qui se pose vraiment est de savoir si nous sommes prêts pour les missions d'aujourd'hui et de demain. C'est la question à laquelle nous avons cherché à trouver réponse. Il n'est pas vraiment utile de comparer notre degré de préparation au combat aujourd'hui à notre degré de préparation au combat il y a 10 ans. Cela ne nous permet pas vraiment de répondre à la question de savoir si les forces sont actuellement en mesure de remplir les missions que leur confiera le gouvernement.

Le président: Un thème est ressorti de la discussion de ce soir, général: les trois premiers sénateurs vous ont posé des questions au sujet de l'écart entre la perception que se fait la population canadienne des questions de défense et de notre politique de défense et ce que sont réellement cette politique et nos besoins. Je serai le quatrième à vous poser une question à cet égard, ce qui fera donc l'unanimité. Il est évident que cette question nous préoccupe beaucoup.

Nous avons joui de la paix pendant un demi-siècle. Notre pays est bordé par trois océans et partage au sud une frontière avec un voisin amical. Les Canadiens sont des gens rationnels qui ont tiré certaines conclusions de ces faits, conclusions dont ils ont fait part à leurs représentants élus.

Les événements survenus le 11 septembre ont amené les gens à réfléchir autrement à ces questions, mais on peut se demander si ce changement n'est qu'à court terme. Quoi qu'il en soit, on constate donc qu'il n'y a pas concordance entre la perception que se fait la population des questions de défense et la situation réelle à cet égard. Faisons abstraction des événements survenus le 11 septembre et revenons à la situation qui existait en août et à la perception des choses qu'avaient alors les Canadiens. Qu'est-ce qui cloche dans la façon dont le gouvernement communique avec le public? Votre organisation compte 600 000 membres affiliés. Comment se fait-il que la préoccupation de ces 600 000 membres ne se reflète pas lors du scrutin électoral?

M. Belzile: C'est le problème auquel font toujours face les organismes comme le nôtre qui sont souvent accusés d'être des groupes de pression. Je n'accepte pas ce terme parce que nous sommes plutôt un groupe de défense des droits. Nous croyons que les Forces canadiennes doivent disposer des ressources humaines dont elles ont besoin ainsi que de l'équipement et de la formation voulus pour exécuter les missions que leur confie le gouvernement du Canada. Ces missions ne tombent pas du ciel.

Le public est faussement rassuré dans une certaine mesure parce que nous avons connu 50 ans de paix, à l'exception de quelques incidents malheureux qui pendant quelques jours ont menacé le succès de nos opérations de maintien de la paix. Nous avons un faux sentiment de sécurité en raison de cela ainsi qu'en raison du fait que nous avons toujours pu compter sur l'amitié de notre voisin du sud. Nous savons instinctivement que si le Canada a du mal à contrôler son espace aérien parce qu'il manque d'avions, nous pouvons toujours faire appel à l'aide et aux avions de notre «grand frère». C'est d'ailleurs la raison pour laquelle existe les associations comme le NORAD et l'OTAN.

Au sein du ministère et entre nous, cela ne nous pose pas trop de difficultés. Nous tenons chaque année un atelier qui porte sur la collaboration. Il y a deux ans, l'objectif de cet atelier était pour notre association de rejoindre les parlementaires. Trois d'entre eux ont participé à l'atelier comme conférenciers invités. Nous avons décidé que l'an prochain, l'atelier aurait lieu pendant que le Parlement siège pour que nous puissions inviter tous les députés à y participer. L'an dernier, nous avons dû reporter notre réunion annuelle et notre atelier dont l'objet est exactement de formuler des suggestions portant sur les questions à l'étude.

Le président: Les avez-vous tous invités à prendre la parole?

M. Belzile: Non, mais il y de nombreux autres intervenants. Je regrette de dire que la majorité d'entre eux représentait l'opposition. Je ne suis pas politicien et je ne connais pas tous les rouages du Parlement. Le fait demeure que notre message est communiqué à nos 600 000 membres, et il n'est pas facile de mobiliser 31 associations, car certaines d'entre elles ont leurs propres intérêts. Nous organisons toujours des conférences pour les étudiants universitaires de deuxième cycle et nous leur demandons de fournir des textes; nous parlons aux groupes communautaires et dans une certaine mesure nous essayons de mobiliser toutes nos capacités. Vous ne parviendrez jamais à mobiliser chacun des 600 000 membres, mais les organisations qui les représentent peuvent être mobilisées.

La Légion canadienne, par exemple, qui est le groupe le plus important, joue un rôle essentiel au niveau des questions touchant les anciens combattants, comme les prestations. Elle fait également la promotion du bien-être des forces et a constitué un comité sur la défense qui prépare au besoin les documents qu'il faut.

Une autre organisation importante et la Fédération des instituts militaires et interarmées du Canada. On m'a dit que vous alliez entendre M. Clive Addy, qui est ancien président de la FIMIC. Il existe nombre de groupes. Il est impossible d'intervenir efficacement dans ces dossiers s'il n'y a qu'une personne qui s'en occupe; c'est pourquoi nous offrons toujours d'envoyer des représentants qui s'adressent aux amicales et aux groupes communautaires. Nous croyons sincèrement que nous changeons les choses. Les choses seront plus simples si les incertitudes actuelles se poursuivent un peu plus longtemps. Il existe une certaine nervosité qui encouragera encore plus la discussion au sein du public et qui à long terme permettra d'influencer le choix du public lorsque le temps vient d'élire un nouveau gouvernement.

Le président: J'aimerais bien qu'il y ait une façon plus facile de changer les choses, que ça ne prenne pas une crise pour y arriver.

Le sénateur Atkins: J'aimerais revenir à la question que vous venez de poser. Le gouvernement et les militaires communiquent avec le public, mais malheureusement ils transmettent le mauvais message. Le seul message positif que le public reçoit c'est lorsqu'il y a une crise au pays comme une tempête de verglas ou des inondations. Dans les autres circonstances, le public entend souvent un message négatif, et il n'aime pas ce qu'il entend. C'est la façon dont je vois les choses.

Le sénateur LaPierre: Je n'ai pas besoin de réponse. J'aimerais simplement vous dire que nous ne nous leurrons pas. Depuis la récession de 1982, les Canadiens ont fait preuve de beaucoup de créativité pour se sortir de cette dépression et pour créer un univers de mondialisation et de libre échange dans lequel leur principale responsabilité comme nation était de sauvegarder le filet de sécurité. Les Canadiens jugeaient que leur sécurité et leur participation aux affaires internationales étaient assurées par ce magnifique outil qu'est le maintien de la paix, et ils étaient prêts à agir.

II ne faut pas l'oublier. Les sondages dont on parle aujourd'hui portent sur des questions complexes. Comme la majorité d'entre nous, les Canadiens ne font pas la distinction entre défense nationale et sécurité nationale. Je crois que dans quelques mois, on insistera plus sur la sécurité nationale que sur l'appareil militaire ou les choses de ce genre.

Quant au fait que les jeunes n'éprouvent pas de grand sentiment de fierté à l'égard des Forces armées canadiennes, il n'y a rien de surprenant là-dedans. C'est bien simple, c'est parce qu'ils n'y sont pas bienvenus. Leur culture n'y est pas acceptée. Leur façon de voir les choses ne l'est pas non plus. Pendant bien longtemps, les femmes n'y étaient pas acceptées, et la discrimination contre les femmes existe encore aujourd'hui. La discrimination contre les homosexuels dans les forces armées existe encore aujourd'hui. Voilà autant de messages négatifs que nous devons combattre.

En dernière analyse, il faut se prononcer sur la structure des forces armées et sur leur commandement. Parlez à Des Morton. Il a écrit nombre d'ouvrages sur la question et a parlé en fait de la réaction négative des étudiants du niveau universitaire qui pourraient peut-être s'intéresser aux forces armées. Enfin, j'aimerais vous dire que l'enquête sur la Somalie et la diffamation qu'on connaît ont nui à la réputation des forces armées. Pourquoi un jeune homme ou une jeune femme voudrait-il devenir membre des forces armées après que le chef de l'état-major et tous ses subalternes aient insulté de cette façon les forces armées?

Ce n'est pas encore fini. Les jeunes qui ont un minimum d'imagination vont y réfléchir. L'armée, la marine et l'aviation ont une tâche gigantesque à accomplir dans le processus de rajeunissement des forces armées, et non seulement sur le plan du matériel. C'est une question d'esprit de corps qu'il faut interpréter uniquement dans le sens traditionnel.

En outre, une des grosses difficultés que nous rencontrons est le fait qu'il y a trop de généraux, de colonels et de capitaines retraités qui ne cessent de vitupérer la population canadienne et sa contribution aux forces armées. J'ose espérer, en usant de toutes mes émotions, de ma passion, de ma créativité et de mon charme, que vous mettrez bientôt un terme à cela.

Le président: Le sénateur LaPierre n'a pas demandé de réponse, mais, mon général, vous avez droit au dernier mot, si vous le souhaitez.

M. Belzile: Je ne souhaite rien ajouter à cela.

Le président: Au nom des membres du comité, je tiens à vous remercier tous les deux. Votre témoignage nous a éclairés et nous sera utile. Nous vous remercions d'être venus nous communiquer les renseignements que vous nous avez présentés, tout d'abord, parce que vous l'avez fait au pied levé et deuxièmement, parce que c'était un jour particulièrement difficile. Nous espérons que vous reviendrez et nous sommes impatients de vous écouter de nouveau.

Nous accueillons maintenant le major général (retraité) Clive Addy qui a servi dans le corps blindé de 1961 à 1996. Il a occupé des postes au haut commandement et dans les rangs, et il a notamment été chef de l'état-major des Forces canadiennes en Europe, chef du personnel au quartier général des Forces terrestres à Saint-Hubert, et il était en fonction pendant le déploiement en Somalie.

Depuis qu'il a pris sa retraite, il s'occupe de la Fédération des instituts militaires et interarmées du Canada, plus récemment à titre de président national du Corps canadien des commissionnaires.

La FIMIC est un groupe national de militaires à la retraite, d'universitaires et de civils concernés qui offre ses conseils dans le débat sur les questions de défense nationale et de politique étrangère. En février 2001, la FIMIC a diffusé un énoncé de principe intitulé «La sécurité stratégique du Canada 21» et une évaluation stratégique nationale de la situation au XXIe siècle.

Bienvenue. Allez-y.

Le major-général à la retraite Clive Addy, ex-président national, Fédération des instituts militaires et interarmées du Canada: Honorables sénateurs, pour confirmer ce qu'a dit le lieutenant-général Belzile, je suis venu vous dire le fond de ma pensée.

[Français]

C'est avec un grand plaisir et un sens accru du devoir que je me retrouve comme fier Canadien devant vous ce soir, pour témoigner de mon analyse du niveau de capacité opérationnelle de nos forces canadiennes. Je reviens tout juste de la base de Shearwater où j'ai eu le plaisir d'y rencontrer l'amiral MacLean et le commandant de la base. J'ose rapporter, avec fierté, la qualité de tout le personnel que nous devons envoyer outre-mer sous peu. Je ferai ma présentation en anglais, mais sachez que si vous avez des questions en français, je me ferai un devoir d'y répondre dans la langue de Molière.

[Traduction]

Monsieur le président, c'est peu dire que de dire que les choses ont changé depuis l'été dernier. Comme bien d'autres, en ces temps troublés et dangereux, des gens des médias m'ont pressenti pour me demander conseils, commentaires et opinions sur la situation de nos forces armées. J'y ai consenti, et j'ai constaté que d'autres l'ont fait, et il me semble que notre pays peut compter sur plus de conseillers que de soldats. Pour moi, ce seul fait est navrant, comme ce devrait l'être pour vous.

De fait, depuis les événements du 11 septembre, les préoccupations de la majorité des Canadiens se tournent vers la question de la sécurité, aspect fondamental et vital de notre prospérité et du maintien de la justice chez nous et à l'étranger. Plusieurs ont comparé un investissement dans la sécurité, et du côté de la défense, à une assurance-incendie. Tout le monde veut combattre l'incendie, mais tout citoyen responsable se munit d'une assurance suffisante pour couvrir les pertes éventuelles en cas d'incendie. La comparaison est assez valable mais je préfère évoquer l'image d'un investissement dans la sécurité qui constitue les fondations solides d'une maison pouvant abriter une nation où règnent la paix, l'ordre et le bon gouvernement et où nos citoyens peuvent prospérer.

La sécurité n'est pas une question de choix mais une obligation pour une nation responsable. Un élément capital de cette sécurité passe par le maintien de forces armées viables et efficaces. Dans notre cas, je me bornerai à dire que la situation opérationnelle de nos forces armées et le livre blanc de 1994, avec ses recommandations sur le financement notamment, sont d'une actualité vitale pour le Canada et les Canadiens et, partant, pour votre comité.

Dans les réflexions que j'ai envoyées à certains d'entre vous autour du 16 septembre, j'avais l'intention de vous faire part de certaines de mes premières idées concernant l'orientation que l'on pourrait prendre dans cette guerre contre le terrorisme. J'ai esquissé trois phases - rétablissement de la confiance, châtiment et reconstruction - qu'il faudra traverser après un attentat violent et criminel contre la population des États-Unis d'Amérique, contre l'Amérique du Nord elle-même, qui nous a mis en état de choc, nous et les démocraties du monde entier.

Si je veux interpréter les prédications télévisées de ce terroriste despotique et visionnaire d'une théocratie misogyne et diabolique, je dirai que cet être est effectivement l'incarnation du mal. Je ne dis pas nécessairement qu'il s'agit du combat entre le mal et le bien, mais c'est certainement un combat du mal contre nos démocraties bien imparfaites mais combien plus tolérantes.

À l'origine, je voulais faire une analyse assez sèche de l'état de préparation opérationnelle, de l'efficacité au combat, de la capacité au combat, de la capacité opérationnelle, de la vocation générale et polyvalente - autant de termes souvent employés avec beaucoup d'autorité par des gens qui ne savent en rien ce qu'ils signifient, les militaires y compris.

Je vais m'abstenir de cet exercice aujourd'hui apparemment futile mais je vais souligner toutefois qu'une grande partie du débat que l'on a tenu tournait autour de l'emploi sélectif de concepts mal définis et mal délimités. Les fondements de la définition sélective d'un polémiste par rapport à celle d'un autre ne méritent plus d'être défendus à mon avis. Comme le lieutenant-général Belzile, je pense que ce que nous étions il y a 10 ans n'a plus la moindre pertinence. Attachons-nous plutôt à ce que nous sommes aujourd'hui et à ce que nous voulons être dans 10 ans.

J'ai entendu notre ministre de la Défense nationale essayer de définir avec exactitude ce que nous pourrions produire et j'ai observé les gens se démener partout dans les Forces canadiennes pour organiser tant bien que mal ce qui est essentiellement une promesse de notre livre blanc, et tout cela a suffi à me convaincre que le changement est nécessaire, que nos forces sont en pénurie de fonds et d'effectifs, surchargées et dans bien des cas mal préparées. Ne vous méprenez pas: cela n'est en rien un reproche à ceux qui sont dans les forces armées. Nos forces font du mieux qu'elles peuvent avec ce qu'on leur donne.

Je vous rappelle à nouveau que je reviens tout juste d'un week-end à Shearwater, où j'ai rencontré les commandants et d'autres soldats prêts à partir par air et par mer. Ils s'acquitteront de leurs tâches de manière professionnelle, sans compter, et affronteront les dangers illimités que comporte leur profession. Comme c'est habituellement le cas, ils s'acquitteront de leurs tâches bien mieux que nous le méritons, vu le peu d'appui que nous leur donnons.

Alors que l'objectif de votre comité était à l'origine de déterminer exactement l'état de nos forces, il s'agit maintenant, ce qui est beaucoup plus concret, d'établir le point de départ de notre défense nationale actuelle et future dans une politique de sécurité nationale plus vaste et mieux coordonnée. J'ai donc décidé d'aborder quatre grands thèmes: la nécessité de mesurer notre capacité opérationnelle du mieux possible; la nécessité de procéder à un examen de la sécurité nationale; les lacunes de nos capacités actuelles; quelques mises en garde puis, j'espère, une conclusion.

En ce qui concerne la mesure de nos capacités, vous avez tous entendu les mots qui suivent: plus de 10 ans, moins que plus, plus que ceci et ce véhicule est meilleur que les autres. Permettez-moi de commencer en disant que désormais, quelle que soit la manière dont le gouvernement du Canada souhaite définir la capacité opérationnelle des Forces canadiennes, il doit le faire d'une manière telle que la capacité puisse être exercée et mesurée. Essayer de se faire une idée de ce qui est attendu est plutôt difficile dans le livre blanc actuel. Par exemple, au chapitre 3, il est dit que le maintien «de forces polyvalentes au combat est dans l'intérêt national». Les auteurs passent ensuite capricieusement plus de temps à définir ce que ce n'est pas plutôt que ce que c'est. Ils ont créé, il y a sept ans, une source de confusion et de débat constant qui allait permettre la poursuite de desseins personnels et contradictoires.

Le vérificateur général nous implore depuis un certain temps déjà de clarifier et de mesurer nos capacités. C'est toutefois un défi que les autorités militaires de tous les services ont trouvé difficile à relever, quelle que soit la méthode utilisée. Ce n'est pas chose facile à faire. La taille actuelle de nos forces et la multiplication excessive des fonctions qui leur sont confiées contribuent beaucoup à la difficulté de la tâche. Le problème a toujours été de savoir ce qu'il faut mesurer et ce que sont nos capacités par rapport à une norme donnée sur laquelle on s'entend. Pour en arriver à définir cette norme, le mieux à mon avis est de partir de scénarios fondés sur une politique claire en matière de défense et sur les menaces éventuelles à notre sécurité et ayant fait l'objet de recherche opérationnelle. Pour en arriver à réaliser un objectif, il est essentiel de s'entendre sur la façon de mesurer, aussi difficile que la tâche puisse sembler à certains et aussi banal que puisse être le sujet à examiner.

Sinon, il faut s'en remettre uniquement au jugement des commandants en chef et, parfois, des dirigeants politiques, voire des bureaucrates. Le système de mesure, quel qu'il soit, doit prévoir la prise en compte du jugement écrit des commandants militaires en chef, mais je soutiens qu'il ne peut se limiter à leur jugement. Une fois les calculs faits, les responsables politiques peuvent décider de ce qu'il convient d'en faire.

J'estime toutefois qu'en temps normal, les fonctionnaires n'ont pas compétence pour se prononcer sur la question. C'est que les fonctionnaires semblent manquer d'objectivité, comme on peut le constater d'après le témoignage d'un haut fonctionnaire de la direction générale des politiques du MDN qui a témoigné devant votre comité le printemps dernier. Je vous fais grâce de ses propos vides de sens sur les bataillons déployés et montrant son ignorance sélective de la nature de la 4e Brigade et de la 1re Division aérienne en Europe pendant la guerre froide ainsi que des deux groupements tactiques envoyés d'Europe aux Balkans en 1992. Je dois toutefois vous mettre en garde contre ces déclarations enfantines mais dangereuses, qui ont été faites avec le plus grand sérieux, mais qui apparaissent maintenant sans fondement, inexactes, contorsionnées et vagues.

Non, nous devons mesurer nos capacités de façon objective afin de rassurer les Canadiens, car c'est ce qu'ils nous demandent de faire. Quiconque s'y connaît dans les marchés boursiers vous dira que la sécurité commence dans la tête des investisseurs - en l'occurrence, dans la tête des Canadiens. Ils ont le droit de savoir ce qu'ils obtiennent pour chaque dollar consacré à la sécurité. Pour cela, il faut pouvoir mesurer les résultats et les leur communiquer.

Je veux ensuite vous parler de la nécessité d'effectuer un examen de la sécurité nationale. Permettez-moi tout d'abord de vous signaler que le livre blanc de 1994 devrait lui aussi, de l'avis de ma fédération, être réexaminé, mais que ce qui est plus important encore, c'est la stratégie en matière de sécurité nationale que nous réclamons dans le document que nous avons publié en février. Nous pensons que le Canada a absolument besoin d'une stratégie à cet égard, à laquelle participeraient, indirectement et directement, les ministères des Affaires étrangères, de la Défense nationale, du Solliciteur général, de la Justice, de l'Immigration et des Finances de même que, indirectement, la plupart des autres ministères.

Notre document, intitulé «Canada's Strategic Security 21», ne prétend pas avoir réponse à tout ni même faire état de toutes les questions qui se posent. Il affirme toutefois que la sécurité nationale ne concerne pas que le MDN et exige une réflexion intelligente de même qu'un effort de coordination et des ressources garanties à l'échelle nationale. La seule recommandation officielle que nous y formulons incite le gouvernement à confier à un aréopage d'experts indépendants la tâche d'élaborer rapidement une stratégie en matière de sécurité nationale pour le XXIe siècle. Le mandat du groupe consisterait à dégager le plus large consensus possible sur les questions clés relatives à la sécurité du Canada. Cette stratégie pourrait servir à orienter nos politiques en matière d'affaires étrangères, de défense, voire de finances. Le groupe devrait faire rapport au Parlement.

Notre fédération propose également la création d'un bureau de la sécurité nationale qui serait chargé de coordonner la stratégie au niveau national; ce bureau serait préférable à la combinaison actuelle Conseil privé/Bureau du PM qui ne semble pas marcher très bien ces jours-ci et pourrait certainement servir d'appui au comité spécial du Cabinet que préside actuellement le ministre Manley.

Il se peut bien que l'actuel livre blanc puisse, moyennant certaines modifications, répondre aux exigences de cette stratégie comme politique de défense nationale. Il ne fait toutefois aucun doute à notre avis qu'il faudrait un financement convenable et une meilleure utilisation des crédits alloués, peu importe la politique qui sera adoptée. Sur ce dernier point, par exemple, il va de soi que le Canada, en sa qualité de membre du G-7 ou du G-8, aurait besoin d'un important remodelage stratégique. Si toutefois ce remodelage grève tellement le budget que nous ne pourrions envoyer qu'une force très restreinte à un endroit uniquement, il convient de se demander s'il s'agit bien d'un placement solide en matière de sécurité nationale.

Dans le même ordre d'idée, la fédération attend avec impatience les réponses relatives au système d'achats qu'a demandées le Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants, ainsi que la réaction de ce dernier à ces réponses. Nous sommes d'avis que des mesures supplémentaires peuvent être prises pour réaliser des économies.

Enfin, nous croyons que le véritable rôle et le point de vue de la réserve ne peuvent être bien compris et définis que dans le contexte de la sécurité nationale, et que son financement adéquat ne peut être établi que dans un tel contexte.

Comme vous le savez peut-être, nous ne sommes pas les seuls à proposer un tel examen. M. David Bercusson, de l'Université de Calgary, appuyé par d'autres conseillers militaires bien connus dont M. Granatstein, M. Belzile lui-même et, bien sûr, le sénateur LaPierre élaborent actuellement une étude semblable, quoique plus détaillée.

Voici ma question suivante: quel est l'état actuel et futur de nos forces, et cet état est-il satisfaisant? En règle générale, vous entendrez des déclarations assorties de toute une gamme de qualificatifs, comme quoi nous pouvons tenir les engagements fixés dans le livre blanc sur la défense de 1994. La difficulté, c'est de savoir si ces forces présentent un niveau d'instruction militaire et un état de préparation suffisants, et si ces niveaux peuvent être soutenus à long terme. Dans certains cas, la réponse est oui. La plupart des individus connaissent leurs tâches et sont en mesure de s'en acquitter efficacement. Toutefois, à l'instar d'une équipe de football ou d'un orchestre, le succès ne dépend pas simplement de la somme des parties mais de la pratique et du travail d'équipe. D'après des déclarations des chefs de la marine, de l'armée de terre et de l'armée de l'air, on constate que le niveau de financement exclut dans la plupart des cas la possibilité d'atteindre le niveau de travail d'équipe jugé nécessaire à l'état de préparation opérationnelle.

Vous trouverez les déclarations les plus éloquentes à ce sujet dans les dernières versions de ce qu'on appelle les plans d'activité de premier échelon des commandants de la marine, de l'armée de terre et de l'armée de l'air, et vous en trouverez également dans l'étude de la CDA, que je vous encourage à lire. J'ai ici une liste de ces carences. Il suffit de dire que, dans tous les cas, les fonds sont insuffisants pour assurer une formation adéquate et une bonne préparation au combat. Les investissements sont toujours de nature superficielle; ou s'occupe d'abord des forces vitrines de l'armée obligeant ainsi le reste des forces à faire un effort de rattrapage inouï pour faire face à la prochaine rotation des missions.

Aucun des trois services n'arrive à respecter les engagements pris dans le livre blanc. Ils font de leur mieux pour s'en rapprocher le plus possible. Toutefois, ils sont tous engagés sur une pente savonneuse. Une fois les navires et les avions parvenus dans le Golfe, les Forces canadiennes auront déployé plus de 7 p. 100 de leurs effectifs totaux disponibles. C'est le plus haut pourcentage de forces disponibles déployés par un seul pays depuis longtemps.

Ne nous en vantons pas. Plus les effectifs sont restreints, plus il est facile d'en déployer une proportion importante. Cette force de plus de 4 000 hommes et femmes est l'équivalent de ce que le livre blanc de 1994 appelait la tête d'avant-garde. Rien de concret, ou presque, n'a été fait pour préparer la force de contingence principale dont parle ce document, soit une force d'environ 10 000 soldats. On répugne à parler de guerre, dans le cas de cette opération. Les forces terrestres auraient beaucoup de mal à déployer et à soutenir un groupement tactique de 1 000 hommes.

Que faisons-nous en cas d'élargissement du conflit? Quelle sera notre contribution? Le savons-nous? Je ne le crois pas.

Nous avons eu droit à un avertissement stratégique, celui que tout le monde attendait dans cinq ans. Il s'est produit le 11 septembre. Avons-nous amélioré notre état de préparation? Je ne le crois pas. Les Forces canadiennes déploient-elles des efforts importants? Je peux vous dire que oui. Aux endroits que j'ai visités, on travaille fort. Toutefois, les Forces armées aimeraient bien avoir un plan concret et disposer des crédits pour le mettre en oeuvre.

Je n'ai pas parlé du service des opérations et du service de la planification au quartier général de la Défense nationale. Toutefois, je peux vous dire que le service du renseignement de nos forces armées et le Centre opérationnel interarmées continue de fonctionner en sous-effectifs graves. La situation n'est guère plus réjouissante aux niveaux de la logistique et du soutien médical. Je vous demande de vous pencher là-dessus lors de vos visites et de vos auditions de témoins. Vous constaterez l'état de notre soutien médical, en particulier dans les opérations. Il est encore plus essentiel pour vous d'envisager les 12 prochains mois, voire les cinq à dix prochaines années, pendant lesquelles une injection supplémentaire de 5 ou 6 milliards de dollars sera nécessaire simplement pour remplacer les équipements fatigués, si c'est ce que nous souhaitons faire; et je ne parle pas de l'augmentation des budgets d'opération et d'entretien, ou encore des investissements dans les technologies de pointe qui permettront de remplacer les quelques spécialistes que nous avons paraît-il. Vous trouverez dans la revue On Track une analyse détaillée et intéressante de cette situation rédigée par le colonel Brian Macdonald. Je vous la recommande, car elle correspond d'assez près à ce que recommandait le vérificateur général il y a deux ans.

Il est assez facile de répondre à ces questions. Il y a en a qui considèrent que le milliard de dollars que réclame M. Belzile est une somme importante. «C'est certainement trop», affirment certains. «Avons-nous besoin de forces armées si nombreuses?», demandent d'autres. Les Canadiens se posent ces questions aujourd'hui, malgré tout l'enthousiasme et le patriotisme dans l'air.

Il est assez facile de répondre à ces questions, à condition de reconnaître le lien entre sécurité et bien-être, et de reconnaître que les Forces canadiennes réussissent à tirer une capacité opérationnelle relativement élevée par vu les troupes dont elles disposent.

Pour votre information, sénateur Kenny, il n'est pas facile d'obtenir ce que vous demandez, lorsque l'on considère que le ministre de la Défense lui-même noie le poisson. En effet, en réponse à l'appel aux armes de l'ambassadeur Cellucci publié dans le National Post du 2 août dernier, le ministre affirmait que:

[...] plus de 3 milliards de dollars avaient été réinvestis au cours des trois dernières années [...] et que le budget de défense du Canada était le septième en importance de l'OTAN.

Il y a trois semaines, le ministre répondait à une lettre semblable de la CDA datant du printemps: il y affirme cette fois que le montant affecté en l'an 2000 est de 2,3 milliards de dollars et réparti sur les quatre ou cinq prochaines années, en plus de 170 millions de dollars affectés à la qualité de vie l'année précédente.

Les chiffres, donc, portent à confusion, de même que les échéanciers. Mais la vérité, elle, se trouve dans le jugement que nos alliés et amis de l'OTAN portent sur nous, et non dans l'enrobage politique que nous donnons à la situation. Voici les faits: En moyenne, le Canada dépense 265 $ par habitant au chapitre de la défense. La moyenne des membres de l'OTAN, y compris les nouveaux membres, dont les moyens sont limités, se chiffrent à 589 $ par habitant. Nous affirmons être un pays riche, ce qui est bien le cas, mais nous sommes perçus comme un pays qui ne paie pas son écot.

En fait, c'est le pourcentage du PIB qui est retenu comme unité de mesure de la contribution à l'OTAN parce que cela tient compte de différences importantes comme la conscription, dans certains pays de l'Alliance, et parce que cela traduit, à la fois la capacité et la volonté des membres de s'accorder un soutien réciproque, plus fidèlement qu'un simple nombre de dollars américains constants. Soit dit en passant, les Pays-Bas, dont la population représente 60 p. 100 de la nôtre, et le territoire, le trentième de la surface canadienne viennent au huitième rang. Ce pays n'est baigné que par un seul océan, et pourtant sa contribution aux Nations Unies est plus importante que la nôtre; et, en matière de défense, sa contribution en dollars américains n'est que légèrement inférieure à la nôtre.

L'ambassadeur Cellucci, lord Robertson et le député travailliste britannique Bruce Roberts, qui est le président du Comité de la défense britannique, ont dit les choses aussi clairement qu'un ami peut le faire. En l'absence d'un auto-examen critique, nous devons nous fier à nos amis pour constater nos lacunes.

Quant au nombre de nos effectifs, nous n'obtenons pas autant par dollar investi dans la défense que la plupart des pays de l'OTAN. Les coûts liés à l'infrastructure qu'exige notre pays vaste au climat rigoureux, ainsi que le prix concurrentiel de la main-d'oeuvre pour nos forces volontaires sont deux raisons parmi d'autres qui expliquent la situation.

En résumé, en tant que membre du G-7, le Canada, un pays hautement tributaire du commerce et une nation qui croit au multilatéralisme comme outil d'amélioration du monde, doit projeter à ses citoyens l'image d'un pays qui contribue à sa propre sécurité et qui fait sa part pour aider ses alliés et amis. Environ 1,2 p. 100 du PIB consacré à la défense, en bout de ligne, c'est trop peu pour assumer ces responsabilités.

Voici certaines mises en garde. Tout à l'heure, il y a eu une question au sujet de la spécialisation. Je me méfierais d'abord du type de programme à la mode pour les forces armées. Les deux collègues qui sont intervenus avant moi ont soigneusement évité de plagier mes propos. À l'heure actuelle, c'est le terrorisme qui nous menace. Nous l'avons constaté le 11 septembre au World Trade Center. Nous participons à une lutte contre le terrorisme dans un territoire donné, l'Afghanistan. Nous ne savons pas si le conflit s'élargira. Nous ne savons pas s'il donnera lieu à des affrontements terrestres semblables à ceux de la guerre du Golfe. Ni ne savons-nous s'il nous sera nécessaire d'y prendre part, si nous souhaitons y prendre part ou s'il est sage de le faire. Honorables sénateurs, nous en serions incapables, peu importe notre inclination. Voila la réalité. Est-ce là le rôle que nous voulons jouer au sein d'une coalition? Je l'ignore. C'est à vous de décider. C'est au peuple canadien d'y réfléchir.

Nous faisons cela depuis des années. Nous nous sommes concentrés sur l'OTAN en Europe, en faisant fi de tout le reste. Le maintien de la paix, l'appui au pouvoir discret, l'imposition de la paix, la lutte contre le terrorisme, la défense de la patrie - voilà des expressions en vogue qui traduisent une volonté de spécialisation. C'est très risqué.

À mon avis, la solution est une approche qui permet à un pays de jouir de la plus grande souplesse. C'est ce que l'on appelle la capacité de combat général. Appelez cela comme vous voudrez. Mais prenez bien garde à la spécialisation. Lorsqu'on se spécialise, on a tendance à prédire le passé et non l'avenir.

Ensuite, je souhaite porter à votre attention le défi de l'espace. On parle beaucoup de militarisation et de démilitarisation de l'espace. Il est question du traité ABM et ainsi de suite. Je pose la question au comité: jusqu'à quel point sommes-nous devenus dépendants de l'espace pour l'information?

Il y a ensuite le défi lié à l'échange de communication entre les services de renseignement. Les événements du 11 septembre nous ont contraints à améliorer nos pratiques. Il serait sage que votre comité se penche sur nos pratiques actuelles.

Notre politique en matière de sécurité devrait minimiser les dommages subis lors des conflits. Elle ne saurait les prévenir. D'aucuns demandent: comment arrêter le terrorisme? Je ne crois pas qu'il soit possible de le faire. Toutefois, nous pouvons très bien limiter les dommages et restreindre les rangs des terroristes mieux que par le passé.

Il faut répartir les militaires au Canada en fonction du besoin national, et non par circonscription. Je n'ai pas honte de vous avouer qu'un cauchemar me hante. La province canadienne qui vient au troisième rang en superficie, et qui est exposée le plus aux catastrophes ne compte aucune base militaire. Je parle de la Colombie-Britannique. Je trouve cela honteux. Je ne sais pas pourquoi nous avons éliminé cette base, mais c'est une vraie honte. Pour justifier la décision, on affirme, qu'en cas de catastrophe, nous pouvons toujours aéroporter ce qu'il nous faut. Si vous réfléchissez aux types de catastrophes susceptibles de se produire dans cette province, vous constaterez que cet argument est quelque peu spécieux.

Comptez sur les capacités technologiques interarmées pour améliorer le rendement ou réaliser des économies, mais gardez-vous de renoncer à votre personnel et à votre matériel en échange d'une promesse d'achat technologique à terme. Les Forces armées canadiennes - les trois services - ont déjà été trahies par de telles promesses. Aujourd'hui, elles s'en méfient.

Les pays occidentaux sont réticents à déployer des troupes, de peur de subir des pertes. Sachez que les commandants, peu importe leur grade, en sont conscients. De tels déploiements ne sont pas pris à la légère. En revanche, un pays peut subir de pires torts encore en refusant d'envoyer des troupes au combat.

Veuillez pardonner mon esprit de clocher, mais remettons d'abord notre armée en état, le reste suivra. Je vous demande de formuler des recommandations courageuses. Le pays en a besoin.

Pour conclure, notre organisation considère que les besoins du Canada en matière de sécurité dépasse la politique de défense et exige une approche bien coordonnée qui s'inscrit dans ce contexte élargi. Nous croyons toujours que la sécurité du pays exige le maintien des forces armées. Nous croyons que les Forces canadiennes doivent être structurées, mandatées et financées de façon à répondre aux besoins du pays. Prenez l'exemple de l'Australie, l'un des meilleurs. Les besoins du Canada sont exprimés dans le livre blanc de 1994, mais les Forces canadiennes sont incapables de répondre à ces besoins au meilleur de leur capacité, et elles en sont conscientes. Ceci est imputable à un financement insuffisant, à des effectifs réduits et à des charges de travail systématiquement trop lourdes.

L'état actuel est peu réjouissant, mais l'avenir s'annonce pire encore. L'argent seul ne saurait résoudre tous ces problèmes. Il faut reconstruire et élargir. Il est temps d'adopter une stratégie de sécurité nationale nouvelle et élargie, qui débouchera sur une politique de défense remise à jour qui doit être suffisamment financée.

Le sénateur Atkins: Vous n'avez pas contredit nos témoins précédents, monsieur. Avez-vous eu l'occasion de parler au professeur Wark?

M. Addy: Non.

Le sénateur Atkins: Votre témoignage a repris en bonne partie le témoignage du professeur Wark devant le comité il y a quelques semaines. Bref, vous et moi partageons en principe le même avis. Chacun convient évidemment que les événements du 11 septembre nous ont ramenés sur terre. À votre avis, le Canada devrait avoir une agence de coordination. Suite à ce qui s'est passé, les Américains ont conclu que la création d'une telle agence était la première chose à faire. Certes, ils avaient certains services de renseignement, mais personne n'y a pris garde. J'aimerais que vous nous disiez comment une telle agence devrait fonctionner.

M. Addy: Je ne suis pas un expert du renseignement - les officiers des blindés le sont rarement. Nous avons obtenu nos renseignements du commandant Ted Heath, sous-directeur du renseignement à l'OTAN. Les renseignements qu'il nous a fournis étaient très complets. Je lis beaucoup et je vous dirai donc ce qu'il nous a dit. Il n'a pas seulement parlé de la nécessité de coordonner les activités entre les divers pays et leurs agences de renseignement respectives, sans parler de nos propres agences, mais du fait qu'il faille une organisation pour rassembler toutes les informations. La GRC et Interpol acheminent leurs renseignements de l'autre côté du canal Rideau. D'autres renseignements sont destinés au BCP. Et d'autres encore se rendent à la Défense nationale et au ministère des Affaires étrangères par le biais de plusieurs attachés.

Tous ces renseignements sont censés être acheminés vers le BCP et le CPM. On vient de créer un comité charge d'étudier tous ces renseignements. M. Heath siégeait à ce comité il y a plusieurs années, mais il a dit que le système ne fonctionnait pas.

Il faut un système qui puisse acheminer ces renseignements selon certaines procédures et règlements et ce, à l'aide de tous les moyens de communications qui sont à notre disposition aujourd'hui. Voilà notre recommandation. Aujourd'hui, nous ne croyons pas que nous sommes aptes à vous dire comment cela doit être réalisé, étant donné notre longue absence du métier. Par contre, à notre avis il est essentiel d'avoir un bon processus en place. Voilà ce qui est de l'aspect renseignement.

Au moment où le ministère de la Défense nationale a fait des réductions et des compressions, le service de renseignement a également connu des coupes. Est-ce que c'était une bonne idée? Autrement dit, la collecte des renseignements qui pourrait annoncer une menace potentielle n'aurait pas dû être affectée, car ces renseignements sont très importants. Voilà un des aspects de la situation.

L'autre aspect, ce sont les plans. Il est extrêmement important d'assurer la coordination des renseignements obtenus par la police, la défense et les provinces. Cela est d'autant plus important à la lumière des réactions terrifiées des citoyens devant les enveloppes contenant de l'anthrax. C'est presque devenu une tradition. Il est dangereux de voir les gens réagir ainsi. Ces menaces asymétriques provoquent ce genre de réaction. Nous devons en apprendre davantage sur les types, les capacités et les possibilités. C'est important.

Sur tous ces points, il est essentiel de communiquer des renseignements exacts aux Canadiens. Si l'on observe ce qui se passe au Canada, on voit un ministre se lever et parler un peu de ceci ou de cela. Les Américains semblent avoir mieux coordonner la façon dont ils transmettent l'information, même si ce n'est que lors d'une conférence de presse du président au cours de la journée. Il est le seul à informer les citoyens. Comment se fait leur collecte de données et de quelle façon est-elle traitée avant d'être communiquée au public de façon à le rassurer? Je crois qu'une telle agence de sécurité pourrait jouer ce rôle.

Le sénateur Atkins: Quels pouvoirs donneriez-vous à cette agence et comment ferait-il rapport au Parlement?

M. Addy: Je l'ignore. À titre de soldat et d'ancien militaire, je vous répondrai que cela relève plutôt de la relation entre les élus et les bureaucrates.

Le sénateur Atkins: Croyez-vous que cette agence devrait avoir des pouvoirs importants?

M. Addy: Certainement.

Le sénateur Atkins: S'agira-t-il d'une agence sans lien de dépendance avec le gouvernement?

M. Addy: Je ne pense pas qu'une agence oeuvrant dans un domaine aussi proche de l'exécutif que la sécurité nationale puisse être tout à fait sans lien de dépendance avec le gouvernement.

Le sénateur Atkins: Cette agence pourrait-elle compter de simples citoyens?

M. Addy: Je crois que ce serait une bonne chose. Nous songions à un organisme qui, à la mode américaine, n'appartiendrait pas à un parti politique donné - il serait sans doute davantage affilié -, mais choisi par l'exécutif en raison avant tout de ses compétences dans un domaine précis.

Le sénateur Atkins: Le président Bush a conféré des pouvoirs très étendus au président de cette agence. Lors d'une séance antérieure, ou a proposé à notre comité que cette agence relève du vice-premier ministre en raison de l'influence que celui-ci peut exercer en matière de présentation des rapports.

M. Addy: Je crois que c'est une recommandation valable. Je ne peux pas l'affirmer catégoriquement parce que je reconnais manquer d'expérience dans ce domaine et faire preuve d'une certaine naïveté.

Le sénateur Atkins: Vous avez parlé de la capacité de combat général. Je suppose que vous parlez de la préparation au combat militaire classique par opposition au combat nucléaire ou au combat avec des armes de haute technologie, n'est-ce pas?

M. Addy: La capacité de combat général est un concept selon lequel des troupes sont prêtes pour les combats terrestres, aériens et maritimes. Cela suppose de combattre avec la meilleure technologie dont on dispose et avec autant de moyens que possible dans chaque domaine. C'est le sens de l'expression.

La marine canadienne ne possède pas de porte-avions, par exemple. Elle possède cependant d'autres équipements et la même chose vaut de tous les services des forces armées. Nous n'avons pas de capacité en matière de défense aérienne de zone. Nous nous en remettons à cet égard à nos alliés. Voilà donc, de façon générale, le type de capacité que nous avons.

Le sénateur Atkins: Vous avez dit être très fier des militaires qui vont à l'étranger.

M. Addy: Oui.

Le sénateur Atkins: Avez-vous confiance dans l'équipement dont ils disposent?

M. Addy: C'est une bonne question. J'ai posé la même question à un major qui était autrefois capitaine à mon service en Europe. Il pilote l'un de ces appareils. Il m'a répondu ceci: «Si quelqu'un peut tirer quoi que ce soit de ces appareils, c'est nous, et nous en sommes fiers. Ne me demandez pas si j'aimerais mieux un autre appareil. J'aimerais beaucoup avoir un autre appareil, monsieur. Vous n'avez cependant pas à avoir honte. Si un appareil s'écrase, ou si nous ne parvenons pas à en assurer l'entretien, ce ne sera pas la faute des pilotes, des mécaniciens ou des navigateurs.»

Les risques auxquels seront exposés nos militaires seront-ils plus élevés parce qu'ils disposent de Sea King au lieu de nouveaux hélicoptères? Certainement. Ce risque est-il acceptable? Ce risque est évident pour les membres d'équipage auxquels j'ai parlé. L'heure n'était pas complètement aux réjouissances vendredi soir lors de la soirée à laquelle participaient aussi leurs femmes et leurs enfants. J'étais là et j'ai parlé avec ceux qui étaient présents. Une mère ne voulait absolument pas que son fils parte. Mais sa réticence n'avait rien à voir avec les Sea King.

Devons-nous doter ces navires de nouveaux hélicoptères? Absolument. Aurions-nous dû le faire avant? Absolument. Je ne pense cependant pas que l'amiral MacLean ou que l'amiral Buck permettrait que des gens pilotent des hélicoptères qui ne sont pas sûrs. Ils sont sûrs. Je ne serai pas celui qui dira qu'ils ne sont pas sûrs et je ne pense pas que qui que ce soit qui ait vraiment étudié la question le dise non plus. Nous voudrions cependant d'autres hélicoptères. Ceux que nous avons maintenant présentent des risques plus élevés que ce que nous voudrions.

Le sénateur Atkins: Nous parlons des hélicoptères.

M. Addy: C'est exact. Chaque fois que l'un d'eux part en mission, il y a des risques plus élevés, il y a une plus grande possibilité qu'il y ait un écrasement. Mais ils sont sûrs au moment de l'envol.

Le sénateur Atkins: Quelle place reviendrait au MDN dans cette agence de sécurité?

M. Addy: Le ministère de la Défense nationale en ferait partie et ses services de collecte de renseignements militaires en seraient un élément essentiel. Cette agence aurait également une fonction pertinente de planification, particulièrement pour la défense du territoire canadien. J'envisage également que les représentants des provinces jouent un rôle dans cette organisation.

Le sénateur Atkins: Vous ne pensez pas qu'il pourrait y avoir chevauchement?

M. Addy: Il y en aurait probablement un peu. Cela dit, un peu de chevauchement est inévitable dans ce cas-ci. Le chevauchement inévitable se produirait surtout dans le cadre de la défense du territoire national.

Le sénateur Atkins: En matière de financement, vous êtes d'accord avec M. Belzile.

M. Addy: M. Belzile vous a parlé du montant nécessaire pour stabiliser ce que nous avons maintenant pendant que nous examinons ce qu'il nous faudra à l'avenir. Je suis tout à fait d'accord avec ce montant. C'est le minimum nécessaire, simplement pour stabiliser les choses dans la situation actuelle.

Le sénateur Cordy: Je voudrais en revenir à l'idée d'un bureau de sécurité nationale. Vous avez parlé de réunir tous les renseignements de sécurité. Vous parlez là de renseignements provenant de l'intérieur du Canada. Iriez-vous jusqu'à y ajouter les renseignements provenant des activités internationales?

M. Addy: Certainement. En cette époque de globalisation, on ne peut plus se contenter de recueillir des renseignements sur ce qui se passe dans notre petit carré de sable. Nous devons savoir ce qui se passe partout autour de nous.

Le sénateur Cordy: J'étais à une conférence de l'OTAN la semaine dernière et la plupart des gens y parlaient de la nécessité pour les agences et les divers pays de l'OTAN de collaborer.

Nous avons également entendu l'exposé d'une agente du FBI travaillant pour Interpol. Elle nous a dit que, bien que tout le monde nous ait parlé de collaboration, cette collaboration est extrêmement difficile à réaliser. De par la nature même de son travail, l'agent de renseignement tente à être soupçonneux lorsqu'il s'agit de transmettre les renseignements en sa possession à d'autres. Il a été extrêmement difficile d'obtenir une véritable coopération ou transmission de renseignements. Quelqu'un a d'ailleurs fait remarquer, au sujet des événements du 11 septembre, que probablement un bon nombre d'organisations avaient eu en leur possession de petits éléments du casse-tête. S'il y avait eu communication de l'information entre ces organismes, les événements ne se seraient peut-être pas produits.

M. Addy: On essaie de changer la nature profonde d'une institution, et il faut reconnaître que cela prendra un certain temps. Mais l'autre option, c'est de ne rien faire, et ce n'est pas une option acceptable aujourd'hui. Je ne peux pas vous dire comment faire les choses, du point de vue strictement humain. Vous avez parfaitement raison, il n'y a rien de plus soupçonneux qu'un agent de renseignement. Cela fait partie de son travail. C'est d'ailleurs pour cela qu'il est un bon agent de renseignement. Toutefois, cette coordination est essentielle ces jours-ci.

Nous devons également abandonner la mentalité de la guerre froide, où le type de mine qui se trouve dans votre crayon est confidentiel parce que, sachant la quantité de plomb disponible sur la planète, on peut faire calculer l'utilisation que vous faites des minerais de base et du rythme auquel vous les utilisez. Il y a des renseignements qui sont moins secrets et qui devraient être échangés plus rapidement qu'on ne l'a fait dans le passé. C'est là une des grandes questions que nous soulevons.

Le sénateur Cordy: Même si ce qui s'est produit a suscité en nous l'indignation et l'incrédulité, il y a peut-être un résultat positif, c'est que nous nous rendons compte que les gens ne peuvent plus se contenter de parler de coopération, ils doivent agir.

M. Addy: Vous devriez parler au commissaire de la GRC qui vous dira très clairement qu'il y a eu, à tous ces égards, un énorme accroissement de la coopération depuis le 11 septembre. Le problème, comme vous l'avez dit plus tôt, monsieur le président, c'est que nous devons prendre bien soin de ne pas revenir à la situation où nous nous trouvions auparavant, où chacun s'occupe de son petit bol de riz et dissimule tout au regard des autres. Cela représente une de nos difficultés.

Le sénateur Atkins: Si vous me permettez d'intervenir, ni l'ancien commissaire de la GRC, ni l'ancien président du SCRS n'était favorable à une agence centrale.

M. Addy: Je le sais très bien. J'ai parlé d'un bol de riz et je m'en excuse.

Le sénateur Cordy: Les témoins que nous avons entendus ce soir, et vous êtes du nombre, ainsi que d'autres témoins également, ont parlé d'un milliard de dollars environ plus un milliard supplémentaire chaque année, ce qui donnerait 15 milliards de dollars sur cinq ans. Quelles seraient les priorités? Sait-on par quoi commencer ou s'agirait-il simplement de conserver ce que nous avons déjà?

M. Addy: Je ne voudrais pas trop extrapoler à ce sujet mais, dans cette étude, cela nous ramènerait simplement à ce que réclamait le livre blanc pour la force de contingence de la brigade, l'effectif nécessaire pour la constituer, les avions nécessaires pour que les F-18 puissent être convenablement armés et équipés. Il y a un nouveau camion qui marche bien et qui vient remplacer le vieux modèle que nous avons actuellement. Pas plus que cela. Il n'y a là rien de bien nouveau et aucune nouvelle priorité par rapport au livre blanc. Cela représente simplement le financement nécessaire selon le Livre blanc pour pouvoir continuer.

Le sénateur Cordy: La capacité de combat est-elle la même dans les trois armes? Vous avez dit dans votre intervention que si nous nous occupions d'abord de l'armée de terre, le reste suivrait. Pourriez-vous être plus clair?

M. Addy: On pourrait m'accuser ici de ne m'intéresser que de ce qu'il y a dans mon assiette mais, en toute objectivité, si vous regardez chacune des trois armes, si vous songez à leurs effectifs et à leur matériel actuel, toutes les trois sont en piètre état. Mais celle qui souffre le plus, c'est l'armée de terre. Lorsque vous partirez en tournée, je vous demande simplement de porter votre propre jugement. Moi c'est la déduction que je tire, les trois armes sont mal en point.

Le sénateur Cordy: Nous l'avons effectivement constaté depuis quelques mois. Vous avez donc le sentiment qu'il faudrait renforcer l'armée de terre?

M. Addy: Cela nous donnerait plus de souplesse d'intervention dans le monde entier.

Le sénateur LaPierre: Deux choses m'ont frappé depuis le cataclysme du 11 septembre. La première, c'est l'incapacité de la forteresse américaine, malgré tout l'argent qui va à la sécurité nationale, malgré la CIA, malgré ceci et cela, cette incapacité de prédire où et quand, et même d'empêcher les événements du 11 septembre alors que la majorité de ceux qui ont détourné ces avions avaient tout à fait légitimement immigré aux États-Unis. La plupart d'entre eux avaient suivi en Floride des cours de pilotage sur 747, et un 747 n'est pas un Cessna. Je considère donc un peu spécieuse la comparaison entre l'état de préparation du Canada et celui des États-Unis. Par ailleurs, je constate également que lorsque les États-Unis ont déclaré cette guerre - peu importe le terme qu'on utilise - ils n'étaient pas prêts à 100 p. 100 à intervenir militairement. Par contre, les États-Unis avaient les moyens d'acquérir cette capacité très rapidement. Cela, c'est la première chose qui m'a frappé.

En second lieu, lorsque le président Bush a constitué la coalition avec l'aide, notamment, de M. Blair - ce que M. Chrétien a pu apporter de son côté, seule l'histoire nous le dira - il me semble que vous aviez alors minimiser ou tourner en ridicule le processus de spécialisation. Pourtant, il semblerait que les États-Unis aient sollicité le concours de certaines parties ayant des spécialités qu'eux-mêmes n'avaient pas, par exemple des bases au Moyen-Orient, des bases dans l'océan Indien comme en ont les Britanniques, des sous-marins nucléaires comme ceux de la Royal Navy, et ainsi de suite. Ils nous ont demandé certaines choses pour lesquelles nous sommes davantage spécialisés, sachant fort bien que nous n'avons pas une armée énorme et que nous n'en aurons d'ailleurs jamais une. Par conséquent, je vous en prie, arrêtez de rêver en couleur. J'ai un peu l'impression qu'ils vont à la chasse aux spécialités, et qu'ils vont continuer à le faire auprès des Allemands, auprès des Français, auprès des Australiens et auprès de quiconque se joindra à eux.

La troisième chose que j'ai remarquée, c'est que le tsar de Philadelphie que vous semblez tous considérer comme le sauveur de l'humanité n'a même pas rang de ministre.

Le sénateur Atkins: Pas du tout.

Le sénateur LaPierre: Si, si. Ne vous déplaise, ils ont décidé de ne pas l'élever au rang de ministre pour la bonne raison que pour le faire, il faudrait modifier la loi. Il a donc ses entrées au cabinet, mais il n'a pas rang de ministre. Je me plais à penser qu'il ne peut pas vraiment dicter ses quatre volontés au secrétaire à la Défense, au directeur de la CIA et aux autres.

Nous, nous avons opté pour une autre possibilité, en l'occurrence convoquer les élus afin qu'en tant que tels, ils prennent notre sécurité en charge en rendant compte au peuple et au Parlement. Le comité en question est dirigé par M. Manley et il est composé d'une série de ministres élus par la population et qui peuvent rassembler tout ce qui est nécessaire. Qu'y a-t-il de mal à cela?

M. Addy: Absolument rien.

Le sénateur LaPierre: Je vous remercie.

M. Addy: Par contre, il n'a pas les mécanismes nécessaires pour informer efficacement ce comité du Cabinet en période normale, lorsqu'il n'y a pas crise, afin de lui permettre de continuer à cibler ce dossier.

Le sénateur LaPierre: C'est cela qui me fatigue chez vous, les gars, et ne le prenez pas mal. Vous avez servi votre pays, j'en suis conscient. Par contre, vous nous prenez pour des dieux et vous voudriez nous voir créer le monde en un instant. Cette crise qui a réveillé le monde entier, un monde qui était endormi, cette crise a pris du temps. Les ressources que nous allons mobiliser seront immenses. Déjà, nous avons promis 250 millions de dollars ici, 50 millions de dollars là et ainsi de suite. Aujourd'hui, le gouvernement nous soumet un projet de loi contre le terrorisme qui risque un jour de léser les droits de tous les Canadiens. On exige des sacrifices, ces sacrifices seront faits, c'est certain.

Par conséquent, les gens comme vous, avec les talents que vous avez, ne veulent pas nous donner le temps de faire ce que vous voulez que nous fassions. Vous voulez que nous nous pointions le 11 septembre à 10 heures du matin et que nous ayons créé tout ce que vous réclamez pour 11 heures. Cela ne se produira pas. Ne me regardez pas comme un chien battu parce que c'est une situation tout à fait inédite. Racontez-moi.

M. Addy: Permettez-moi de revenir à ma forteresse et je vous interrogerai sur la préparation au combat. Je n'ai nullement fait allusion à la préparation au combat du côté américain. Je parlais uniquement de la préparation au combat du côté canadien. Je n'ai pas du tout fait le parallèle et votre conclusion est spécieuse.

En second lieu, vous avez parlé de la constitution de la coalition et vous avez prôné la spécialisation, chose que tout le monde fait. Tout le monde se spécialise selon les circonstances. Mais il n'empêche que si nous avions quelque part en Alberta un incident comme celui qui s'est produit à Oka puis, quelques heures plus tard, une crise au Timor-Oriental où nous voudrions bien intervenir parce que cela a un effet sur nous, eh bien nous sommes maintenant au point zéro. Je ne vous demande pas une grosse armée. Je préconise simplement une armée de la taille que le livre blanc nous demandait de fournir.

C'est cela que je demandais et c'est cela que le gouvernement actuel n'a pas livré.

Le sénateur LaPierre: Cela n'a pas été livré pour des raisons qui sont peut-être fort valables. Vous avez parlé de notre participation à l'OTAN et vous avez parlé très éloquemment de la Hollande et d'autres pays. Ce sont des pays qui ont vécu les affres de la guerre pendant des siècles et des siècles, des pays qui se haïssent mutuellement. Ils veulent donc que l'OTAN les protège, non pas contre les terroristes du Moyen-Orient ou d'ailleurs, mais les protège de leurs voisins.

Il faut regarder la situation de cette façon plus qu'autre chose. Je n'ai rien contre l'OTAN; c'est un club merveilleux. Cependant, au bout du compte, comment peut-on planifier l'avenir sans connaître notre histoire et sans savoir comment nous en sommes arrivés là? Le résultat, c'est que nos efforts seront voués à l'échec.

Par démocratie on sous-entend que les gens sont devant nous, pas derrière. C'est ça, la démocratie. Je pense que je comprends l'opinion publique. J'ai fait d'innombrables voyages d'un bout à l'autre de ce pays. Les Canadiens ont l'impression d'être impuissants, non pas parce que nos forces armées sont mal préparées mais parce que tous les jours de plus en plus de spécialistes nous disent que nous sommes minables et que nous sommes des minus habens incapables de progresser. Ce n'est pas un bon moyen d'encourager les Canadiens à faire les sacrifices nécessaires et les bons choix.

Le général a dit que ce n'était pas une question de santé ou d'autre chose, mais je pense que ce l'est. Il faut faire des choix difficiles. Pour la première fois de notre histoire, on nous demande de faire une distinction entre nos droits collectifs en tant que Canadiens et nos droits individuels. Pour protéger les droits collectifs des Canadiens, nous devons renoncer à certains aspects de nos droits individuels.

Le véritable tissu du Canada est en train d'être déchiré. Nous ferons ce qu'il faut car nous avons le courage de le faire. Cependant vous devriez nous encourager peut-être en nous disant de temps en temps qu'un de ces hélicoptères Sea King peut voler au moins cinq pieds sans s'écraser.

M. Addy: Vous exagérez et je dois vous arrêter. Ça alors!

Le sénateur LaPierre: Évidemment, j'exagère, mais vous aussi.

M. Addy: Non, pas du tout. J'ai dit que ces gens savent piloter ces appareils mieux que qui que ce soit. Ils font leur travail. Vous dites qu'ils ne peuvent pas voler plus de cinq pieds. Je suis désolé, sénateur, mais avec tout le respect que je vous dois, ce commentaire est injuste et je ne l'accepterai pas.

Le sénateur LaPierre: Vous m'avez mal compris. Ce que j'essayais de vous dire, monsieur, c'est qu'essentiellement, vous nous dites tous les jours que nous mettons la vie de nos jeunes soldats en danger parce que les Canadiens sont trop pingres pour leur fournir l'équipement nécessaire. C'est ce que vous dites au bout du compte. C'est dévastateur et négatif et cela va nuire aux objectifs que vous visez.

Le président: Avez-vous une question?

Le sénateur LaPierre: Qu'en pensez-vous?

M. Addy: Je vous ai trouvé grandiloquent, monsieur.

Le sénateur LaPierre: Les gens me le disent et j'ai 40 ans d'expérience.

Le président: Allez-vous poser une question?

Le sénateur LaPierre: Oui. J'ai 40 ans d'expérience. Au bout du compte, on a des preuves ici. Croyez-vous que vous exagérez parfois le danger pour nous pousser à agir?

M. Addy: Non.

Le sénateur LaPierre: Merci.

Le président: Dans votre exposé, monsieur, vous avez parlé de l'importance d'évaluer nos ressources. Combien de temps et d'effort devrions-nous consacrer à cette évaluation?

M. Addy: C'est une très bonne question. Nous avons examiné plusieurs versions. Bien des gens ici ont connu l'état de préparation opérationnelle, les évaluations tactiques et d'autres systèmes. L'option consiste à recenser nos installations et nos ressources et à juger de l'exactitude des chiffres. Ensuite, il faut établir ce que nous pouvons faire avec tel montant d'argent ou en telle période de temps.

Votre attaché de recherche, le général MacDonald, pourrait vous parler du temps incalculable que nous avons passé à faire des évaluations tactiques à la 4e escadre à Baden-Baden. Une partie du temps comprend le développement organisationnel pour être plus efficace, ce qui est aussi nécessaire.

Le président: C'est pourtant un dilemme. Au comité spécial, en 1994, on parlait beaucoup de mesurer les contributions «depuis les dents jusqu'à la queue». J'ai l'impression que vous dites que nous n'avons pas assez de queue.

M. Addy: Non, je dis que nous n'avons pas mesuré le tranchant des dents.

Le président: Ne faut-il pas prendre la queue pour mesurer les dents?

M. Addy: Pas nécessairement. On peut mesurer une dent avec une autre. De fait, tous les préposés aux mesures étaient des opérateurs.

Le président: Vous avez fait quelques comparaisons générales avec les autres pays de l'OTAN - le pourcentage du PDB, les dépenses par habitant. Est-ce que ces chiffres ne sont pas suffisants pour faire passer le message au public?

M. Addy: Si.

Le président: Le comité s'attaque dernièrement au problème d'une politique nationale de la sécurité. Notre nom est un peu différent de celui des autres comités de la défense. La différence pourrait même s'accentuer bientôt. Pour nous aider, voulez-vous définir, premièrement, ce qu'est la sécurité nationale?

M. Addy: J'ai passé une année au Collège de la Défense nationale à débattre de la question. Le temps commence à nous manquer. Je dirais même que c'est beaucoup plus grave que les corps policiers et les structures visibles au public. Cela comprend le concept de la collectivité écologique que l'on connaît partout au Canada - la prospérité, la santé, une écologie saine, la règle du droit, mais à l'abri des agressions. Toutes ces choses font partie de la définition philosophique de la sécurité.

Le débat sur la sécurité s'approfondit lorsqu'on examine les moyens de protéger nos valeurs, droits et principes. Est-ce qu'on protège ces valeurs contre des ennemis internes? Pas nécessairement. Des ennemis externes? Peut-être. En principe, nous nous protégeons contre les gens qui profèrent des menaces et qui ne sont pas d'accord avec nos principes, nos valeurs, notre manière de faire affaires, tandis que nous ne les agressons pas. C'est un aspect important de la sécurité.

Jusqu'où cela peut-il s'étendre? La sécurité peut être considérée du point de vue des affaires étrangères, de la défense nationale, du commerce, ou de l'immigration - à cause de la dénatalité dans notre propre population - tout cela entre en ligne de compte lorsqu'il s'agit de sécurité. Comment définir les rôles et les mandats particuliers? C'est votre responsabilité. Même au niveau le plus général, tout cela contribue à la sécurité.

Essentiellement, la sécurité signifie la transmission du bien-être d'une génération à l'autre. C'est ma définition de la sécurité au niveau mondial. Comment définir la sécurité dans ce domaine en particulier? Moi, je travaille surtout dans les opérations des corps de police, de la défense nationale et de la protection physique de la communauté.

Cela se compare très bien à un château - l'État cité qui existait avant l'État nation. Les gens avaient besoin de nourriture et de logement, et le château les protégeait. Une fois dans le château, on a aussi besoin de nourriture et d'eau. Les gens ne voudraient pas se réfugier dans un château dans une région souvent frappée par la sécheresse.

Le président: Les débats sur la sécurité nationale s'orientent promptement vers le besoin d'un appareil, d'un mécanisme de soutien. Dernièrement, on a critiqué la structure BCP/CPM. Au fond, il s'agit ici du cabinet du premier ministre. Chaque premier ministre construit son cabinet selon ses propres besoins et intérêts. Songez-vous à changer la manière dont les premiers ministres construisent leur cabinet?

M. Addy: Non. C'est plutôt en rapport avec le commentaire du sénateur LaPierre. Il faut comprendre que cette organisation à caractère public. Chaque expert dans son domaine est responsable devant un ministre. Le sous-ministre adjoint a posé une bonne question que nous nous posons nous-mêmes et que nous n'avons pas encore résolue. Nous n'avons pas encore soulevé toutes les questions, sans parler des réponses.

Au départ, nous ne songions pas seulement à la défense du territoire national, par exemple. Cela n'entrait même pas en ligne de compte. En février, on n'y songeait pas du tout. On songeait à coordonner les éléments de ce que nous appelons le château de la sécurité au niveau national. Il nous semble que cette partie manque de coordination. Ce serait plutôt un bureau, qu'une administration.

Le président: Vous avez passé pas mal de temps à Ottawa, comme moi. Je n'ai jamais vu une seule crise où le premier ministre n'aurait pas décidé de prendre la chose en main. Le premier ministre est toujours intervenu, quel que soit le ministère en état de crise. En fin de compte, c'était lui qui tirait toutes les ficelles.

Serait-il sensé ou raisonnable d'établir une structure sans rapport avec lui, surtout si nous savons bien qu'en fin de compte c'est le premier ministre qui prendra les décisions dans les cas d'urgence?

M. Addy: Vous me demandez de répondre à une question qu'il faudrait plutôt poser aux politiques. En tant que président de la fédération qui fait cette recommandation, je craignais qu'il faille qu'un certain bureau assure la coordination de tous ces aspects de la sécurité. Nous avions dit qu'il serait responsable devant le Parlement. Comment fera-t-il ses rapports au Parlement? Que dira-t-il au Parlement? Est-ce une fonction semblable à celle de l'ombudsman? Nous avons dit que le Parlement doit recevoir un rapport annuel de ce groupe. Pour qui travaille-t-il et à qui doit-il livrer ce rapport? Je ne voudrais pas recommander cette solution pour l'instant parce que je ne suis pas suffisamment bien renseigné, pas plus que les gens qui ont rédigé ce rapport.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Addy. Vous avez beaucoup éclairé le comité. J'ai entendu dire que vous êtes parti à la retraite hier.

M. Addy: Justement.

Le président: J'espère que le comité pourra compter sur vous à l'avenir. Merci beaucoup pour ce soir.

Honorables sénateurs, avant de lever la séance, je vous demanderais d'adopter une motion. Le greffier me dit que c'est une chose assez simple. Cette motion veut que l'étude sur les soins de santé fournis aux anciens combattants de la guerre et des missions de maintien de la paix, renvoyée au comité par l'ordre du Sénat du 4 octobre 2001, soit renvoyée, pour faire l'objet d'une étude et d'un rapport selon les règles du Sénat, au Sous-comité des affaires des anciens combattants.

Le sénateur Atkins: Je propose la motion.

Le président: Etes-vous d'accord?

Des voix: D'accord.

Le président: Adopté.

Je remercie encore une fois nos témoins de ce soir. Vous nous avez aidés à nous munir d'une bonne base de connaissances. Cette séance du comité faisait partie d'une étude des problèmes majeurs de sécurité et des événements qui confrontent le Canada. Ce soir nous avons surtout parlé de l'état des Forces armées canadiennes et nous avons entendu un groupe de témoins experts.

Nous continuerons le 22 octobre, où nous entendrons plusieurs fonctionnaires et quelques universitaires qui nous parleront de la mise au point d'une politique de sécurité nationale. Ceux qui suivent nos travaux peuvent visiter notre site Web à www.senate-senat.ca/defence.asp. Nous y affichons les dépositions des témoins ainsi que le calendrier confirmé des audiences. Sinon, vous pouvez contacter le greffier du comité en composant le 1-800-267-7362 pour obtenir d'autres informations et de l'aide pour rejoindre les membres du comité.

La séance est levée.


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