Délibérations du comité sénatorial permanent de la
Défense et de la sécurité
Fascicule 7 - Témoignages
OTTAWA, le lundi 26 novembre 2001
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui à 18 heures afin de faire une étude préliminaire des principales questions de défense et de sécurité qui touchent le Canada en vue de la préparation d'un plan de travail détaillé pour des études plus poussées.
Le sénateur Colin Kenny (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, c'est avec plaisir que je vous souhaite la bienvenue aux audiences du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, que vous soyez ici présents en chair et en os, que vous regardiez à la télévision ou que vous suiviez le débat sur Internet.
Ce soir, nous poursuivons notre étude des principales questions de défense et de sécurité. Je m'appelle Colin Kenny. Je suis sénateur, je suis originaire de l'Ontario et je préside les travaux du comité. À ma droite, vous apercevez le sénateur Forrestall, de la Nouvelle-Écosse, qui est vice-président du comité. Au bout à droite, il y a le sénateur Tommy Banks, de l'Alberta. À côté de lui, on aperçoit le sénateur Norman Atkins, de l'Ontario. À côté encore, il y a le sénateur Jack Wiebe de la Saskatchewan. Au bout, à ma gauche, on reconnaît le sénateur Joe Day, du Nouveau-Brunswick; à ses côtés, nous apercevons le sénateur Cordy, de la Nouvelle-Écosse.
Nous formons le premier comité sénatorial permanent ayant pour mandat d'examiner la sécurité et la défense du Canada. Aujourd'hui, nous poursuivons notre étude des principales questions de défense qui touchent le Canada. Nous allons rendre compte de nos travaux au Sénat à la fin du mois de février.
Durant la semaine qui vient de se terminer, notre comité a procédé à une tournée d'étude dans l'Ouest, où nous avons visité les bases militaires d'Esquimalt et de Winnipeg pour voir comment nos forces travaillent, s'entraînent et vivent. Ce soir, nous allons nous concentrer sur la politique de défense et la manière dont le ministère de la Défense nationale met à exécution la politique de défense du gouvernement fédéral.
Notre témoin est M. Kenneth J. Calder, sous-ministre adjoint, Politiques, ministère de la Défense nationale. Diplômé de premier cycle de l'Université de la Saskatchewan, il est titulaire d'un doctorat de la London School of Economics and Political Science.
Fonctionnaire de carrière, M. Calder a occupé divers postes au MDN. Il a également servi de conseiller à la délégation canadienne à l'OTAN.
En août 1991, il a été nommé au poste qu'il occupe actuellement, celui de sous-ministre adjoint. Il est la source principale de conseils en matière de politique de défense du sous-ministre de la Défense nationale et du chef de l'état-major.
Bienvenue parmi nous, monsieur Calder. La parole est à vous.
M. Kenneth J. Calder, sous-ministre adjoint, Politiques, ministère de la Défense nationale: Honorables sénateurs, bonsoir. J'ai déjà fait circuler quelques notes qui résument mon exposé. Par souci de concision, je ne vais pas en faire la lecture. Je veux en souligner quelques points saillants, puis je formulerai quelques observations supplémentaires à propos de la situation actuelle, en ce qui concerne la politique de défense, au ministère de la Défense nationale.
Pour commencer, soulignons ce qu'il faut entendre par politiques: c'est l'orientation que le gouvernement donne au ministère de la Défense nationale et aux Forces canadiennes à l'égard des rôles et des missions qu'ils doivent remplir, des objectifs qu'ils doivent atteindre et, dans une certaine mesure, des moyens qu'ils utiliseront pour atteindre ces objectifs.
Ce n'est pas moi qui détermine la politique de défense. La décision n'appartient pas aux bureaucrates non plus. La décision n'appartient pas aux militaires. C'est une décision du gouvernement. Ce n'est pas une politique ministérielle, une politique des Forces canadiennes - c'est une politique gouvernementale. Le gouvernement décide du moment où il souhaite procéder à un examen de la politique et de la manière dont l'examen de la politique se fera.
Un des aspects importants du dernier examen de la politique qui a eu lieu, comme certains d'entre vous allez vous en souvenir, c'est la question de la consultation du Parlement et du public. De tradition, et j'entends par là l'usage qui existait avant 1987, on ne procédait pas avant de mettre en place une politique à de vastes consultations parlementaires ou publiques.
Dans la période qui a mené à la production du livre blanc de 1987, il y a eu pour la première fois des consultations publiques limitées au sujet du processus d'élaboration des politiques; je crois qu'il y eu aussi, à l'époque, des audiences d'un comité parlementaire qui ont mené à la publication du livre blanc en juin 1987.
En 1994, nous avons procédé aux consultations parlementaires et publiques les plus complètes de l'histoire de la politique de défense. Je sais que certains d'entre vous ont pris part à la démarche. Par rapport à ce que font nos amis et nos alliés ailleurs dans le monde, les audiences en question ont établi un précédent pour ce qui est du degré auquel le public a été consulté à propos de la politique de défense. Plus tard, les autorités de la Grande-Bretagne et de l'Australie ont suivi notre exemple au moment de leur propre examen de la politique.
Mon rôle consiste à fournir au gouvernement une analyse du contexte national dont doit tenir compte la politique de défense et l'analyse du contexte international, et à discerner à son intention les différents facteurs qui doivent être pris en considération par qui détermine la politique de défense. J'ai aussi pour responsabilité - en travaillant évidemment de concert avec le ministère - de formuler les options qui s'offrent au gouvernement et de déterminer les conséquences des options en question. Il appartient au Cabinet de décider quelles options concordent avec les priorités du gouvernement; une fois cela fait, nous publions la politique - soit sous la forme d'un livre blanc, soit sous celle d'un simple énoncé.
Dans la deuxième partie des notes, j'ai essayé d'exposer certains des éléments qui, par rapport à 1994, demeurent inchangés et, bien sûr, certains des éléments qui ont évolué au cours des sept dernières années et qui ont une incidence sur l'évolution possible de la politique de défense. Je n'ai pas l'intention de m'y attacher trop en détail, mais j'aimerais bien souligner le fait que nombre des conditions qui s'appliquaient en 1994 s'appliquent toujours aujourd'hui. On peut dire que la situation dans laquelle nous nous trouvons se caractérise par une très grande part de continuité.
Par exemple, une guerre mondiale mettant aux prises les grandes puissances, comme nous en avons connu deux au cours du siècle passé, est extrêmement improbable. Je dirais que c'est encore moins probable que ce l'était en 1994. Si on regarde la répartition des grands blocs dans le monde - les États-Unis, l'Europe, la Russie, la Chine, l'Inde et le Japon - on constate que les relations positives entre les blocs en question ont atteint un degré presque sans précédent. De même, tout comme c'était le cas en 1994, il n'y a pas de menace militaire directe qui plane sur le Canada. Néanmoins, le monde demeure un endroit extrêmement instable, imprévisible et dangereux.
Au pays même, bien entendu, les Canadiens et les gouvernements canadiens souhaitent que le Canada joue un rôle dans le monde pour contribuer à la paix et à la sécurité internationales grâce à l'imposition de la paix, au maintien de la paix, à l'aide humanitaire, au contrôle des armements et de toutes sortes d'autres façons. En même temps, historiquement, la politique de défense figure rarement parmi les éléments les plus importants du programme d'action gouvernementale. Bien entendu, les ressources sont limitées.
J'ai souligné plusieurs éléments qui ont changé depuis 1994, et je tiens pour acquis que vous en avez fait la lecture. Je formulerai quelques observations sur notre situation actuelle en ce qui concerne l'établissement ou la modification de la politique de défense.
Mon organisation suit constamment le contexte national et international en vue de faire ressortir les facteurs qui auront une incidence sur la politique de défense. De même, périodiquement, nous procédons au ministère même à un examen de la politique de défense en place et nous demandons si elle demeure valable. Quand nous procédons à cet exercice, nous étudions les rôles et les missions des Forces canadiennes, et nous nous demandons s'il faut ajouter ou supprimer quelque chose. Les modifications envisagées justifieraient-elles la réalisation d'un examen de la politique en bonne et due forme, voire la production d'un livre blanc?
Jusqu'à maintenant, au cours des quelques dernières années, chaque fois que nous avons examiné ou réexaminé la politique de défense, nous avons conclu qu'elle demeure bien avisée, étant donné les conditions dominantes du contexte international et national.
Comme vous l'avez probablement remarqué à la lecture de la politique de défense - certes, c'est le cas depuis 1987 et cela se trouve dans les divers livres blancs que nous avons produits -, il s'agit à la fois d'énoncés de politique et d'énoncés de programmes. Au début de tout livre blanc, il y a des énoncés généraux sur la politique. À la fin du livre blanc, il y a le programme que propose le gouvernement à ce moment-là pour mettre en oeuvre la politique décrite.
La politique tend à avoir une durée de vie plus longue que le programme. Le programme, au fur et à mesure que les conditions évoluent et qu'il est mis à exécution, doit être corrigé; on peut donc avoir une politique valable, mais déterminer qu'il est nécessaire d'actualiser le programme. À l'occasion, depuis 1984, nous avons modifié le programme, en ce qui concerne les priorités du programme d'immobilisations. Par exemple, en 1998, à la suite d'un examen de programme, nous avons réduit le nombre de CF-18 conformément à la recommandation initiale du comité mixte du Sénat et des Communes. Nous avons réduit aussi le nombre des patrouilleurs maritimes. De temps à autre, sans modifier la politique, nous intervenons dans le programme et en modifions des éléments.
Au début de l'année, nous avons commencé à procéder à un autre examen de programme. Nous sommes partis de l'hypothèse selon laquelle la politique en place demeure valable et que nous disposons des ressources nécessaires pour mener à bien la tâche exposée dans le livre blanc. Cela dit, nous avons reconnu également que le financement posait certaines difficultés. Les difficultés en question revenaient à atteindre le juste équilibre entre l'argent nécessaire au soutien des opérations actuelles et l'argent requis pour investir dans l'avenir. Cela ne fait aucun doute, l'argent ne pleut pas au ministère. Il faut une gestion serrée des fonds et un équilibre soigneux des priorités, pour en arriver à une utilisation intelligente du budget accordé. Notre examen devait servir à examiner nos priorités et nos programmes, et à déterminer la meilleure façon d'utiliser des ressources relativement rares.
Nous avons eu à intervenir - mais pas pour très longtemps, je dois le dire - dans l'histoire du 11 septembre. Les événements tragiques du 11 septembre remettent en question tout le travail que nous faisions. Dans le contexte, nous faut-il présumer encore que la politique demeure valable et continuer de travailler pour que le programme soit viable, sinon faut-il procéder à un examen complet et rigoureux de la politique de défense? Si nous procédons à un examen complet et rigoureux de la politique de défense, comment faut-il s'organiser? Quelle forme devrait prendre cet examen et quels éléments devrait-il englober? Ce sont des questions qui sont actuellement à l'étude, et le gouvernement n'a pas encore décidé de la manière dont nous devrions procéder.
Le ministre vous a probablement dit qu'un examen de la défense s'impose, mais pas pour l'instant. C'est là l'énoncé le plus affirmatif auquel nous avons eu droit jusqu'à maintenant. Les questions demeurent à l'étude et, comme je l'ai dit au début de mon exposé, l'examen de la politique de défense et la forme et l'ampleur que peut prendre l'examen en question sont des questions qui relèvent entièrement du gouvernement.
Je dirais, pour ma part, que si nous devions formuler aujourd'hui une nouvelle politique de défense, en réalité, celle-ci préserverait la plupart, sinon l'intégralité des éléments principaux de la politique précédente. De fait, si on étudie la situation, les événements du 11 septembre nous ont donné raison: nous avions dit que le monde était instable, imprévisible et dangereux. Nous avions également raison de conclure, dirais-je, que nous devons compter sur des forces polyvalentes et aptes au combat, que nous devons préserver la capacité de réagir à des incidents terroristes.
Cela dit, je dirais aussi qu'au moment où la prochaine politique sera échafaudée, si nous préservons nombre des mêmes éléments, c'est l'ordre de priorité et le degré de prépondérance qui seront probablement modifiés. Cela dit, monsieur le président, j'attends les questions des membres du comité.
Le sénateur Forrestall: Bienvenue. C'est avec plaisir que nous avons appris que vous aviez le temps de venir nous voir, et nous vous en sommes reconnaissants.
La question prédominante de l'exposé que vous nous avez présenté ce soir semble, de fait, être le processus d'examen de la politique de défense. On peut avancer que quel que soit le nom choisi pour désigner l'examen qui est fait de temps à autre, un fait demeure: c'est un pas de plus vers la préparation d'un nouveau livre blanc. D'après certaines de vos remarques, on pourrait croire que nous n'avons pas forcément besoin d'une nouvelle politique de défense. Avons-nous besoin d'un nouveau livre blanc sur la défense, ou peut-être d'un livre blanc plus complet sur toute la question de la sécurité nationale?
M. Calder: Voilà une question intéressante, sénateur. Personnellement, je crois que nous pourrions avoir un livre blanc sur la défense. Cela nous permettrait d'actualiser notre appréciation du contexte national et international, et cela nous permettrait de corriger notre itinéraire. Par ailleurs, pour être franc, je crois que nous pouvons continuer de compter sur la même politique pendant un certain temps, car, comme je l'ai dit, sous de nombreux aspects, elle m'apparaît encore valable.
C'est peut-être ce qu'entend le ministre, quand il dit que l'exercice se fera, mais pas pour l'instant. Je ne suis pas convaincu que le moment est très bien choisi pour lancer un examen de la politique, compte tenu de la campagne en cours contre le terrorisme et compte tenu de la campagne en Afghanistan.
Je me rappelle que nous étions au beau milieu d'un examen important de la politique de défense en 1990 au moment où il y a eu les incidents d'Oka, suivis de très près par la guerre du Golfe. Nous avons alors conclu qu'il ne convenait pas de mener une guerre et de formuler une politique en même temps.
Je ne dis pas que nous sommes en guerre. Nous sommes en campagne. Je crois que les conclusions que nous avons tirées à l'époque étaient valables parce que nous avions beaucoup appris de ces deux expériences, ce qui a donné un énoncé de politique publié en 1992. Je dirais que nous sommes peut-être bien dans une situation semblable. J'entrevois que nous allons en apprendre beaucoup de la campagne qui est en cours. Nous allons certes en apprendre, non seulement dans le domaine de la défense, mais - comme vous en avez parlé pour ce qui est de la question générale de la sécurité nationale -, je crois que nous allons aussi tirer des leçons utiles pour ce que nous souhaitons inclure dans une politique.
Je crois que nous allons apprendre de l'expérience des Américains en Afghanistan. Cela nous donnera une idée du genre de forces armées qui se révèlent particulièrement utiles et d'autres types de forces et de capacités qui sont peut-être moins utiles. Je crois que nous allons apprendre ce qu'il en est de ce point de vue. De fait, j'écoutais aujourd'hui le secrétaire Rumsfeld parler d'une force à faible densité et à forte demande. Je crois que c'est le terme qu'il a employé pour désigner des types de forces spécialisées. Nous allons peut-être en tirer des leçons.
Quant à savoir s'il faut en faire un examen de la sécurité nationale, je crois que le gouvernement peut décider d'examiner ces choses ensemble ou séparément. C'est un choix qui relève du gouvernement et non pas d'un bureaucrate. Je dirais tout de même que, tout comme nous avons examiné la politique de défense et la politique étrangère en même temps - ce qui m'est apparu comme un processus qui fonctionne très bien -, dans tous ces champs d'action, il faut un dialogue intense entre les divers éléments de l'équation pour garantir que la politique gouvernementale résultante est cohérente et qu'elle repose sur de larges appuis.
Le sénateur Forrestall: J'ai entendu quelqu'un poser la question suivante aujourd'hui: si nous établissons la sécurité au Canada, n'allons-nous pas finir par avoir un état policier?
Pourriez-vous nous donner des précisions sur la question de la sécurité dans le contexte international de l'avenir en ce qui concerne l'OTAN, le NORAD, les Nations Unies, les États-Unis en particulier et, peut-être parce que cela revêt une importance capitale tout en étant moins évident, le Pacifique?
M. Calder: Dans le cas de l'OTAN, des faits nouveaux se sont présentés récemment. À l'époque de la guerre froide, l'OTAN était essentiellement une organisation de planification conçue pour coordonner les efforts visant à contrer l'agression soviétique. Dans l'après-guerre froide, étant donné les problèmes dans les Balkans, l'OTAN s'est transformée en organisation du maintien de la paix, en plus de demeurer une organisation de planification. C'est une tâche qu'elle accomplit très bien. Je crois que, de fait, cela a servi à renforcer l'alliance.
Il y a aussi la question de l'élargissement de l'OTAN avec les trois nouveaux membres et la perspective d'autres ajouts, qui serviront également à renforcer l'alliance. Je crois donc que l'alliance est en bon état; or, sa santé revêt une importance capitale au Canada: c'est notre lien avec les questions touchant la sécurité en Europe.
Je crois que le NORAD est parfois relégué au second plan, derrière les Nations Unies et l'OTAN, mais je crois que l'accord a démontré sa valeur au moins en partie, à la suite du 11 septembre. C'était l'organisation qui était en service et s'occupait de la défense aérienne et de la sécurité transfrontalière, et il y a peut-être là des leçons à tirer pour l'avenir.
L'Organisation des Nations Unies demeure l'organisation prédominante dans le monde pour les questions touchant la sécurité et la paix internationale. Elle dispose de pouvoirs juridiques qui la mettent en position d'autorité pour ce qui touche les questions de guerre et de paix, et le recours à la force dans le cadre d'affaires internationales. On peut avancer, comme l'ont fait certains des témoins devant le comité, que le lien n'a pas fonctionné récemment tout à fait comme nous l'aurions souhaité. Cela est vrai, mais il nous appartient à nous de travailler en vue de faire des Nations Unies une organisation plus efficace. Nous n'avons pas le choix. Le soutien des Nations Unies est un aspect fondamental de la politique étrangère et de la politique de défense de tous les gouvernements canadiens, et je serais étonné si ça devait changer.
Pour ce qui est des États-Unis, bien entendu, les événements du 11 septembre ont souligné l'importance des rapports canado- américains sur toute la ligne - non seulement en matière de défense, mais aussi pour ce qui touche la sécurité, ce qui fait ressortir l'importance de nos relations commerciales, de la frontière, de la sécurité intérieure et ainsi de suite. Pour le ministère de la Défense nationale, les rapports canado-américains dans le domaine de la défense figurent parmi les questions ou programmes d'action qui seront très importants à l'avenir.
Pour ce qui est du Pacifique, comme vous vous en rappelez probablement, le livre blanc de 1994 disait que nous devrions accorder plus d'attention au Pacifique. Dans les limites des moyens à notre disposition, nous avons fait cela. Nous avons établi une coopération étroite avec les Japonais. Nous menons des affaires bilatérales fréquentes, et nos effectifs discutent, et nous avons une relation positive avec les Japonais. Ils sont à nos côtés sur le plateau duGolan dans le cadre de l'opération de l'ONU dans le Golfe, qui fonctionne très bien. Peu à peu, nous rétablissons des relations normales avec la Chine en matière de défense. C'est un dossier qui avance. Nous travaillons dans les limites de nos moyens en ce qui concerne l'Asie-Pacifique, mais, bien entendu, c'est une grande région, et nous ne disposons que de ressources limitées.
Le sénateur Banks: Monsieur Calder, vous nous avez présenté un exposé très instructif. Le livre blanc de 1994 était le dernier, c'est celui qui, je le présume, nous sert de guide. Ai-je raison?
M. Calder: Tout à fait.
Le sénateur Banks: Vous avez dit qu'au moment d'entreprendre un examen de la situation il y a quelque temps, vous avez présumé que la politique en place demeure applicable. Est-ce une bonne idée d'entamer un examen de la politique de cette façon, en présumant de cela? Avez-vous fait quelque chose avant pour dire: nous avons déterminé que la politique demeure valable?
M. Calder: Nous examinons périodiquement la politique nous-mêmes et nous posons la question suivante: à la lumière des changements survenus, est-elle encore valable? Nous avions raison de croire que, jusqu'au 11 septembre, elle l'était.
Je parlais du programme. Le programme, c'est là où nous dépensons l'argent à l'intérieur de la structure des forces, les projets d'immobilisations que nous menons à bien, la priorité et la séquence. Par exemple, faut-il opter pour le transport aérien stratégique par mer ou par air? Selon quelle séquence faut-il perfectionner les CF-18 ou les Aurora? Ce sont des questions qui relèvent du programme - essentiellement, les secteurs où investir l'argent dans la structure des forces de l'avenir. Au début de l'année, nous sommes partis de l'hypothèse selon laquelle la politique de défense demeure valable et nous avons exécuté le programme. Aujourd'hui, il y a des questions d'ordre général qu'il faut étudier, étant donné les événements du 11 septembre.
Le sénateur Banks: Oui, mais nombre des éléments que vous avez mentionnés demeurent pertinents. Les gens nous ont dit que la politique établie dans le livre blanc de 1994 et la capacité qu'il est censé avoir permis d'établir n'existe pas vraiment. Si je me souviens bien, le livre blanc de 1994 disait que nous devions être en mesure de déployer un groupe brigade. Les témoins nous ont dit qu'étant donné l'effectif et les ressources que nous avons et une rotation qui serait jugée raisonnable, nous ne pourrions pas déployer un groupe brigade.
Deuxièmement, nous nous rappelons tous la difficulté que nous avons éprouvée à embarquer une partie de notre matériel à bord de navires que nous avons dû louer de quelqu'un, parce que nous n'en avions pas. Vous avez parlé du transport stratégique par mer et par air. Je sais qu'on envisage d'avoir des vaisseaux qui feraient ce travail merveilleusement.
Toutefois, si nous voulions envoyer en Afghanistan, sinon ailleurs, la Princess Patricia's Canadian Light Infantry, il faudrait presque se fier à quelqu'un d'autre pour les y transporter. Certes, si nous souhaitions les déployer quelque part au Moyen-Orient, en passant par la Méditerranée, il nous faudrait dépendre de quelqu'un, puisque nous n'avons pas les navires nécessaires pour faire cela.
M. Calder: Sénateur, vous avez raison de dire que nous dépendons des autres au moment de déployer nos troupes à l'étranger par transport aérien, ce que nous faisons normalement en louant des avions commerciaux. Nous sommes dépendants du transport aérien que nous fournissent les Américains ou les lignes commerciales. C'est une chose qui survient dans le contexte normal.
Dans la plupart des cas, cet arrangement ne pose aucune difficulté à nos yeux. Nous avons eu de la difficulté dans le cas du GTS Katie, que nous nous rappelons tous très bien. Nous pouvons avoir des difficultés dans les périodes où la crise est à ce point grave que tous les autres groupes du monde ont besoin d'accéder en même temps au transport aérien. Dans la situation actuelle, avec les opérations qui ont cours dans l'océan Indien et dans le Golfe, visiblement, les déplacements aériens stratégiques font l'objet d'une forte demande. La capacité de location est nettement plus grande dans le cas du transport par mer que du transport par air. Le nombre de gros transporteurs est relativement restreint.
Le livre blanc de 1994 ne prévoyait rien en ce qui concerne ce genre de transport. Nous avons bien étudié la question en 1994 pendant la période qui a conduit à la publication du livre blanc, mais nous avons conclu que, étant donné le budget à notre disposition, nous n'avions pas les ressources nécessaires pour prendre en charge le transport par air et le transport par mer dont vous parliez, en plus de tout ce qui était prévu par ailleurs dans le livre blanc. Autrement dit, nous avons décidé sciemment d'investir l'argent dans la taille de l'effectif lui-même et d'autres éléments de matériel des forces. Pour le transport aérien des troupes, nous avons décidé de nous fier à la location.
Une future politique viendra peut-être renverser cette décision, et il existe de bonnes raisons de croire qu'il faudrait le faire. Comme les honorables sénateurs le savent, le ministère est en train d'examiner la question des déplacements de troupes par mer et par air dans le cadre du programme d'immobilisations. C'est un élément dont nous n'avons jamais parlé dans le livre blanc de 1994. Ce n'est pas parce que cet élément est absent que le livre blanc n'a aucune valeur.
Pour ce qui est de la capacité, je sais que les gens débattent de la capacité. Vous savez bien que le livre blanc peut être interprété de diverses façons. Ce n'est pas un document d'une précision absolue. Il peut être interprété de diverses façons. Il y a l'interprétation maximaliste et l'interprétation minimaliste de ce qui se trouve dans le livre blanc. Je crois que nous disposons aujourd'hui des ressources voulues pour mettre en place ce que nous avions prévu dans le livre blanc. Ce ne sera pas facile.
Le sénateur Banks: C'est-à-dire un groupe brigade, c'est bien cela?
M. Calder: Oui, j'expliquerai. Dans le livre blanc, nous avons dit que nous serions en mesure de déployer à l'étranger «des éléments d'avant-garde». L'avant-garde en question doit être déployée en peu de temps et être soutenue aussi longtemps que cela est nécessaire.
Nous avons dit que cette avant-garde comporterait un navire. En fin de compte, comme nous avons deux côtes, nous avons fini par dire que, essentiellement, il y a un navire sur chacune des côtes, ou deux navires. À présent, nous avons déployé à l'étranger trois frégates, un destroyer et un navire de ravitaillement dans l'océan Indien. Nous avons une frégate qui fait partie de la Force navale de l'Atlantique ou qui est sur le point d'y être déployée.
Nous avons maintenant déployé non seulement la force d'avant-garde, mais également plus que la force de contingence principale. Cela démontre que notre capacité est supérieure à ce qui était donné dans le livre blanc.
Le président: Pendant combien de temps pouvez-vous soutenir cette force?
M. Calder: Dans le livre blanc, nous affirmons que la force de contingence principale peut être soutenue pendant six mois. Si nous parvenons à les soutenir au-delà des six mois prévus, cela démontrerait, encore une fois, que notre rendement est supérieur, en fait, à ce que laissent entendre certains de nos critiques.
L'avant-garde, un navire sur chacune des côtes, nous pouvons la soutenir aussi longtemps que cela est nécessaire, comme prévu dans le livre blanc. Le cas de la force de contingence principale posera des difficultés. Comme nous le disons dans le livre blanc, nous pouvons la soutenir seulement pendant six mois. Je ne crois pas que la tâche soit impossible, mais la force navale examine la question.
Pour ce qui est de l'armée, nous avons dit que des éléments d'avant-garde comprendraient le déploiement d'un groupe tactique de 1 200 soldats et un bataillon d'infanterie de 1 000 hommes. En ce moment, nous comptons un groupement tactique de plus de 1 500 hommes en Bosnie, et nous avons mis à la disposition des responsables des opérations en Afghanistan un bataillon de 1 000 membres de la PPCLI. Ces soldats sont encore au Canada, mais nous sommes clairement en mesure de les déployer. D'ores et déjà, nous sommes engagés à fournir des éléments au-delà de l'avant-garde prévue.
Quant à la force aérienne, nous avons inclus dans l'avant-garde deux hélicoptères maritimes, un escadron de CF-18 et une escadrille d'aéronefs de transport tactique. Nous avons maintenant six hélicoptères maritimes dans le Golfe, ce qui est au-dessus de ce niveau; trois aéronefs Hercules, un Airbus et deux Aurora, plus les hélicoptères Griffon en Bosnie. Nous avons atteint ou dépassé tout ce qui était prévu, exception faite d'un escadron de CF-18, qui n'a pas encore été déployé, mais l'opération au Kosovo nous a montré que nous pouvions faire cela.
Pour ce qui est du groupe brigade, dans la situation actuelle, nous ne pouvons en déployer plus que ce pourquoi nous nous sommes déjà engagés. Nous ne pouvons déployer un groupe brigade et nous n'avons jamais affirmé que nous pouvions le faire. Nous avons dit que si l'avant-garde n'était pas déployée à l'étranger, comme elle l'est à l'heure actuelle, nous serions en mesure de déployer un groupe brigade dans les 90 jours.
Je crois savoir que si toutes ces forces revenaient au Canada à temps, nous serions en mesure de déployer un groupe brigade. D'après ma lecture de ces chiffres, nous serions en mesure de faire ce que nous assurions pouvoir faire dans le livre blanc de 1994.
Je ne dis pas que ce serait une tâche facile. Nous disons qu'il s'agissait là du niveau maximum. Ce ne serait pas facile; il se peut même que ce ne soit pas très beau à voir, mais je crois que nous pourrions y arriver.
Le sénateur Cordy: Vous avez dit que si la politique devait faire l'objet d'un examen majeur, le cadre demeurerait le même, selon vous - le degré de prépondérance ou l'ordre de priorité changerait peut-être, mais, essentiellement, les choses demeureraient les mêmes. Sur la côte ouest, la semaine dernière, nous avons entendu les personnes chargées de modifier ou de rééquilibrer leurs priorités en raison d'un manque de ressources, d'équipement et de personnel.
Je m'interroge sur la modification de la politique en ce qui concerne les missions de maintien de la paix. En tant que civil, j'assimile les missions de maintien de la paix à des missions à court terme. Toutefois, cela n'a pas toujours été le cas. Nous avons été présents à Chypre et en Bosnie pendant bien plus de temps que quiconque l'aurait souhaité. Nous avons eu de la difficulté à quitter les lieux et, de ce fait, cela a grugé une bonne part de nos ressources.
Entrevoyez-vous que le temps consacré aux missions de maintien de la paix doivent faire l'objet d'une modification de la politique?
M. Calder: Je ne suis pas sûr que cela pose des difficultés sur le plan de la politique elle-même, mais il y a certes là des difficultés. Je ne crois pas que nous ayons jamais entamé une opération de maintien de la paix en souhaitant y assister pendant longtemps. Nous sommes allés à Chypre en 1964, je crois. D'après moi, on espérait que le problème se réglerait rapidement et que les gens pourraient s'en aller après très peu de temps. Bien sûr, les Nations Unies, avec une petite contribution de notre part, sont encore présentes à Chypre, plus de 30 ans plus tard.
La même chose vaut pour la Bosnie et le Kosovo. Nous participons à des opérations en Bosnie depuis dix ans environ. Nous ne nous sommes pas rendus là dans l'espoir d'y demeurer longtemps. On craint quand même qu'en se retirant, on empire la situation.
Nous examinons périodiquement ces opérations pour déterminer si nous pouvons réduire le nombre de soldats qui s'y trouvent ou si nous pouvons améliorer l'efficacité des choses. Dans de nombreux cas, les conséquences d'un retrait sont trop graves pour que nous puissions envisager la chose. Nous ne voudrions pas retirer des Forces canadiennes d'un théâtre d'opération si, de ce fait, l'opération deviendrait insoutenable ou s'effondrerait, ou encore si les hostilités se déclencheraient à nouveau. Quand nous y allons, nous espérons que le problème se règle rapidement, mais parfois, la vie n'est pas comme ça.
Le sénateur Cordy: On ne peut donc formuler une politique là-dessus. On peut seulement espérer que les choses ne vont pas s'éterniser.
M. Calder: Pour parler de ce travail bien fait et vite fait, le ministre a évoqué le concept du «tôt engagé, tôt parti». À certains endroits, nous pouvons déployer des troupes très aptes et de très fort calibre plus rapidement que d'autres pays. Dans le cas de certaines de ces opérations, nous espérons pouvoir arriver tôt, établir les communications, mettre sur pied la logistique et ainsi de suite, puis céder la place à quelqu'un d'autre. C'est parfois plus difficile qu'on pourrait le croire.
Le sénateur Cordy: Vous avez tenu des propos très positifs au sujet de l'OTAN. Vous avez parlé de l'évolution de l'OTAN au fil des ans. Certes, le rôle du Canada au sein de l'OTAN a évolué lui aussi au fil des ans.
Le 11 septembre a pris presque tout le monde par surprise, parce que l'incident a eu lieu en sol nord-américain. L'OTAN croyait-elle que le Canada et les États-Unis iraient prêter main-forte à d'autres pays, plutôt que ce soit les autres qui viennent en Amérique du Nord? L'OTAN a évoqué immédiatement l'article 5, soit qu'une attaque lancée contre un pays membre de l'OTAN, les États-Unis dans le cas qui nous occupe, était considérée comme une attaque contre tous les membres.
Quel est le point de vue du ministère quant au rôle qu'a joué l'OTAN à la suite du 11 septembre?
M. Calder: Nous avons été pris de court comme tout le monde. Vous avez raison. Pour la majeure partie de son existence, l'OTAN était considérée par nombre de ses membres comme une organisation qui se consacre à la sécurité de l'Europe, là où la menace existait, et que les pays d'Amérique du Nord devaient aider à la défense de l'Europe. Par conséquent, il est intéressant et unique de constater que l'article 5 a été invoqué en ce qui concerne une attaque contre l'Amérique du Nord.
Nous en étions heureux, car cela démontrait à quel point l'OTAN pouvait être souple et en mesure de s'adapter dans une telle situation. Nous participons cependant à une campagne où l'OTAN pouvait prêter son assistance jusqu'à un certain point. Je suis sûr que tous les pays membres de l'OTAN ont offert individuellement leur aide aux États-Unis. C'est offert sous le régime de l'article 5 du Traité de Washington.
Cependant, il est très difficile pour l'OTAN en tant qu'organisation de s'accorder un rôle dans cette campagne, qui, pour une très grande part, est l'affaire des États-Unis et qui est dirigée depuis le «commandement central» à Tampa. Je dirais que l'OTAN joue un rôle de soutien - quoiqu'il s'agisse d'un rôle de soutien important - et que la place qu'occupe l'organisation dans l'affaire pourrait être appelée à grandir au fil du temps. Évidemment, nous n'en sommes qu'à la première étape de cette campagne contre le terrorisme. Comme de nombreux ministres l'ont souligné, ce n'est pas qu'une campagne militaire. C'est une campagne politique, diplomatique, financière et ainsi de suite. Nombre de chapitres de ce livre restent à écrire. Nous présumons que l'OTAN contribuera autant que faire se peut à la campagne.
Le sénateur Cordy: Comment entrevoyez-vous la relation que nous aurons avec l'alliance européenne qui est en train de se dessiner?
M. Calder: Comme vous le savez probablement, les Européens travaillent depuis un certain nombre d'années déjà à un programme européen de sécurité et de défense. Autant que possible, ils essaient de coordonner leurs efforts de défense avec une efficacité nettement plus grande, afin de générer une capacité militaire plus grande, car l'Europe, bien entendu, compte plusieurs armées de diverses tailles qui sont réparties sur le plan géographique. Il y a des avantages réels à tirer de cela. Une plus grande centralisation de la planification des ressources militaires donnerait aux Européens une plus grande capacité. Nous appuyons pleinement les efforts européens à cet égard.
Les Européens envisagent de collaborer afin de se donner un certain degré d'autonomie, non pas parce qu'ils sont forcément en désaccord avec nous ou avec les États-Unis, mais plutôt pour se donner un degré d'autonomie tel que si un problème de sécurité survient en Europe, à un moment où les États-Unis sont occupés ailleurs ou l'OTAN dans son ensemble ne souhaite pas intervenir, ils auraient la capacité de se concerter en vue de régler le problème. Ce serait le cas dans divers pays des Balkans où on pourrait avoir besoin d'une autre opération de maintien de la paix. Les Européens cherchent à se donner une certaine autonomie, ce que nous appuyons pleinement.
Bien entendu, nous nous préoccupons de l'impact de cela sur l'OTAN. L'OTAN est notre principal cadre pour la sécurité en Europe. C'est l'alliance militaire la plus importante dont nous faisions partie. Nous souhaitons qu'il n'arrive rien, en ce qui concerne les efforts européens, qui vienne miner ou affaiblir l'OTAN. Nous surveillons la situation d'assez près. De temps à autre, nos ministres signalent à l'intention de leurs collègues européens leur point de vue à ce sujet.
Pour une bonne part, cela dépendra de la forme particulière que prendra la collaboration européenne dans le domaine de la défense. Les aspects particuliers de la chose restent à établir. Comme je l'ai dit, nous surveillons la situation d'assez près. De façon générale, nous appuyons tout à fait les efforts européens.
Le sénateur Wiebe: Comme vous le savez tous sans doute, depuis le moment où la Saskatchewan est devenue une province, elle a cette capacité unique de produire des êtres humains qui apportent une contribution indéniable à notre pays. Je manquerais à mon devoir si je ne mentionnais pas encore une fois que non seulement M. Calder est né à Moose Jaw, mais il a été élevé et il est allé à l'école à Saskatoon, en Saskatchewan.
Vous aurez peut-être de la difficulté à répondre à la question et c'est peut-être le ministre qui serait le mieux placé pour répondre. Vous êtes la source principale de conseils du sous-ministre en matière de politique de défense. Quand on observe les coûts accrus du genre de technologie et de matériel nécessaire pour défendre le pays, on constate qu'il sera difficile pour le Canada d'en faire l'acquisition si jamais il est appelé à le faire. Après tout, si vaste que soit notre pays, il ne s'y trouve que 30 millions de personnes.
Pour revenir à la question du sénateur Cordy, étant donné que l'article 5 a été invoqué, est-il important pour nous, en tant que pays, de bien veiller à respecter nos obligations envers l'OTAN, au cas où il y aurait une attaque grave contre le Canada? Pouvons-nous compter sur l'assistance des autres pays dans un tel cas, assistance que nous leur prêtons en ce moment?
M. Calder: Sénateur Wiebe, la réponse à votre question est «oui». Nous avons contracté des engagements envers l'OTAN dans le livre blanc. Ces engagements sont traduits en propositions détaillées que nous faisons parvenir à l'OTAN. Il s'y trouve avec une grande précision ce que nous pourrions fournir, dans quelles conditions, dans quel délai, avec quel état de préparation et ainsi de suite. L'OTAN reçoit tous les ans un rapport très détaillé là-dessus.
Nous sommes en mesure de signaler à l'OTAN ce que nous pouvons faire. Nous pouvons affirmer que nous respectons nos engagements envers l'alliance.
Le sénateur Wiebe: J'en suis conscient. Je sais que, au fil des ans, le Canada a été excellent pour ce qui est de s'acquitter de ses obligations envers l'OTAN. Sur le plan de la défense, nous n'avons pas eu à défendre notre pays depuis la fin du XIXe siècle. Néanmoins, dans certains cas, nous avons joué le rôle d'agresseur, plutôt que le rôle de défenseur. Ce faisant, nous respectons essentiellement notre engagement envers l'OTAN. En échange, nous nous attendons à ce que l'OTAN respecte son engagement au cas où il serait appelé à défendre notre pays. Ai-je raison de le supposer?
M. Calder: Oui.
Le sénateur Wiebe: Ma prochaine question porte sur le rôle accru du Canada dans les missions de maintien de la paix. Depuis plusieurs années, nous consacrons une part disproportionnée de nos fonds au nouvel équipement de la force navale et de la force aérienne. Nous n'avons pas dépensé de somme semblable pour rééquiper nos troupes terrestres. Quand on étudie notre rôle en tant que force de maintien de la paix, on s'aperçoit que 90 p. 100 du travail repose sur les épaules de notre armée. Envisage-t-on de modifier l'affectation des dépenses en immobilisations en ce qui concerne l'équipement de nos troupes terrestres?
M. Calder: Sénateur, je ne connais pas exactement les sommes d'argent que nous consacrons à chacun des services. Je soupçonne que vous avez raison. Évidemment, les navires et les aéronefs à haute performance coûtent beaucoup d'argent - plus que le genre de matériel que nous achetons pour l'armée.
Pour défendre ce programme, je dirais que nous avons acquis une bonne part de matériel important au profit de l'armée au cours des dix dernières années. Nous avons les nouveaux véhicules blindés de reconnaissance. Nous avons les armes antichar Eryx et les Howitzer. Nous sommes en train de mettre à niveau le Leopard. Je ne ferai pas la lecture de la longue liste d'équipement que j'ai à ma disposition, mais plusieurs choses importantes ont été acquises pour l'armée.
Il est reconnu au ministère que l'armée est probablement le service qui subit les plus grandes pressions, étant donné les opérations de maintien de la paix. C'est l'armée qui, plus que tout autre service, est déployé à l'étranger. Les soldats soutiennent tout le poids des opérations de maintien de la paix. Je crois que nous sommes déterminés à faire tout ce qu'il faut pour qu'ils soient aussi efficaces que possible.
Le sénateur Wiebe: Ma dernière question porte sur un sujet de prédilection. Je parle de la formation de la politique à l'égard de nos réservistes. Du point de vue de l'OTAN, notre pays est l'un des rares parmi les membres de l'OTAN à ne pas imposer aux employeurs l'obligation de donner un congé aux réservistes pour qu'ils puissent participer à des missions de maintien de la paix ou remplir d'autres missions. Examine-t-on la politique à cet égard? Les réservistes peuvent-ils entrevoir quelque chose en ce qui concerne notre politique touchant leur emploi?
M. Calder: Au fil du temps, nous avons souvent étudié la question d'une loi pour protéger les emplois des réservistes. Les avis sont partagés à ce sujet.
Vous êtes probablement conscient du fait que, dans le dernier projet de loi déposé à la Chambre, il y avait une disposition prévoyant la protection des emplois dans le cas d'états d'urgence particuliers déclarés par le gouvernement. Si le projet de loi est adopté tel quel, les réservistes appelés à se mobiliser en cas d'urgence auront droit à une certaine protection, comme dans le cas du verglas, des inondations au Manitoba, ce genre de choses.
Si je comprends bien, la disposition ne s'applique pas aux services qui participent à des missions de maintien de la paix. Ce n'est pas une disposition d'application générale. Le projet de loi représente certes une progression à cet égard. Si j'ai bien compris l'avis de nos spécialistes de la réserve, c'est une mesure qui est la bienvenue.
Le sénateur Wiebe: Il serait important aussi que le projet de loi comporte une disposition prévoyant les congés pour entraînement - élément très important du fonctionnement de notre réserve. Les réservistes, essentiellement, s'entraînent la fin de semaine. Certains cours ont maintenant pris une telle ampleur qu'il faudrait plus de temps.
Le sénateur Day: Je songe depuis un certain temps à la formulation de la question que je veux vous poser. Je vais faire des aveux: je ne saisis pas pleinement le processus de planification. Vous pourriez peut-être me faire un petit cours d'initiation à la planification, et nous travaillerons à partir de ça.
Si je comprends bien l'exposé que vous avez fait, le livre blanc est l'incarnation de la politique gouvernementale en ce qui concerne la défense. C'était le livre blanc de 1994, et avant. Pouvez-vous m'expliquer les autres termes que vous avez employés - programmes, priorités, buts et objectifs, mission de défense, Stratégie 2020 - et me dire comment tout cela s'imbrique, qu'est-ce qui dépend de quoi? Y a-t-il une divergence d'opinions entre le chef d'état-major et le côté militaire et le côté civil au ministère de la Défense, le sous-ministre - pouvez-vous me dire où se situent les divergences, s'il y en a?
M. Calder: Sénateur Day, voilà un sujet qui laisse bien des gens perplexes.
Essentiellement, je suis responsable du travail d'élaboration des politiques fait au ministère envers le chef d'état-major de la Défense et le sous-ministre et le ministre. Bien entendu, la politique adoptée tourne à vide si vous n'y combinez pas les gens, l'argent et le programme voulu pour que tout converge.
Le vice-chef d'état-major de la Défense est responsable de l'élément planification de notre organisation. Il est le gestionnaire de ressources du ministère. C'est lui qui examine les exigences de l'armée, de la force navale et de la force aérienne, et les exigences de toutes les autres parties du ministère, pour s'assurer qu'elles concordent avec la politique exposée et avec les priorités, et il met au point un programme qui permet de mettre en oeuvre une certaine force dans les trois services. Il prend pour consigne ce que nous établissons en ce qui concerne la formulation des politiques.
Essentiellement, au ministère, un examen de la politique de défense se fait sous la direction du ministre, dont la participation et les consignes, actuellement, sont notables à cet égard. Cela se fait sous l'égide du chef de l'état-major de la Défense et du sous-ministre, qui y travaillent ensemble. Ils travaillent ensemble, et un complète l'autre. Au palier hiérarchique suivant, il y a le vice-chef et il y a moi. Je travaille aux politiques, et le vice-chef travaille au programme, avec le concours d'autres cadres supérieurs pour ce qui touche l'argent, la politique et ainsi de suite. Quand le système fonctionne bien, nous travaillons en équipe. Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question.
Le sénateur Day: Vous y arrivez.
S'il faut prendre en considération - et il faut évidemment le faire - d'autres activités dans le monde et à l'intérieur du gouvernement, comment tenir compte de l'avis d'autrui, disons des Affaires étrangères, s'il y a modification de la politique étrangère? Est-ce que cela passe par vous, ou encore est-ce que cela intervient autrement dans le processus de planification?
M. Calder: Tout examen d'une politique suppose la participation d'un nombre important de ministères. Les Affaires étrangères et l'ACDI jouent un rôle pour ce qui touche les activités des Forces canadiennes en dehors du pays, par exemple l'aide humanitaire, le maintien de la paix, l'OTAN et les Nations Unies, mais aussi tout examen de la défense, quelle qu'en soit la forme. Le ministère des Finances joue un rôle important, tout comme le Conseil du Trésor et le BCP. J'ai moi-même pour responsabilité de traiter avec l'ACDI, les Affaires étrangères, et le BCP. Le vice-chef et notre sous-ministre adjoint (Finances) traiteront avec le Conseil du Trésor et le ministère des Finances.
D'autres ministères peuvent intervenir aussi. Il y a très souvent des conséquences de ce point de vue-là. Si nous modifions quelque aspect de la politique de défense canadienne, cela peut avoir une incidence sur Industrie Canada ou le ministère de l'Environnement, suivant les mesures que nous adoptons dans les diverses bases. Quel que soit le genre d'examen politique dont il est question, il y un degré important de consultations interministérielles.
En 1994, au moment où nous menions de front des examens de la politique étrangère, de la politique d'aide et de la politique de défense, nous nous sommes réunis constamment, à mon échelon, les trois ministères participants, pour nous assurer qu'il y avait une certaine cohérence d'un ministère à l'autre.
Le sénateur Day: Il y a un processus de planification à long terme ou un processus de planification à moyen terme qui sous-tend la politique globale, puis il y a le processus à court terme, comme un plan d'affaires annuel. Vous appelez cela programmes et priorités. Où se situe l'incidence d'un événement comme l'attentat du 11 septembre sur le processus de planification?
M. Calder: L'incidence, cela pourrait être que nous sommes forcés de procéder à un examen de la politique ou encouragés à le faire. Cela pourrait avoir et aurait probablement une incidence à court terme, sur les plans généraux de divers secteurs du ministère, car il faudrait que des ressources soient remaniées pour que nous puissions répondre à la situation immédiate.
Le vice-chef dresse les plans à long terme, qui peuvent finir par être intégrés là aussi, bien que cela puisse prendre plus de temps. Certes, il y a des conséquences à court terme, je dirais presque immédiatement, à des incidents comme celui-là.
Soit dit en passant, vous avez posé une question sur Stratégie 2020. Le livre blanc est un document gouvernemental, une consigne du gouvernement au ministère. C'est le document qui énonce la politique. Stratégie 2020 est un document ministériel qui découle de la politique. C'est un document qui a pour point de départ la politique elle-même, qui s'accorde entièrement sur la politique, qui apporte des précisions que nous n'avons pas incluses dans la politique de 1994, mais qu'il fallait établir dans les formes. Stratégie 2020 donne au ministère plus de détails pour indiquer la voie à suivre, mais il ne constitue pas, en lui-même, une politique.
Si le gouvernement devait déclarer demain que le Livre blanc n'a plus cours, il déclarerait, concrètement, que la Stratégie 2020 n'a pas cours non plus. Un nouveau document politique pourrait très bien porter sur l'an 2030 à ce moment-là. La «Stratégie», comme je le dis, est un document qui découle de la politique, et nous avons certainement collaboré de très près avec les auteurs de ce document pour nous assurer que celui-ci concorde, à nos yeux, avec la politique.
Le sénateur Day: Vous dites que vous avez collaboré étroitement avec les auteurs. Cela provient principalement du côté militaire du ministère?
M. Calder: Du côté du vice-chef.
Le président: Le sénateur Day vous a posé une question à propos de l'incident du 11 septembre et de la possibilité qu'il déclenche les modifications de la politique. Pouvez-vous nous donner des exemples de modifications qui ont été adoptées au ministère du fait du 11 septembre?
M. Calder: En ce moment, je dirais que les modifications touchent essentiellement les opérations. Ce qui a changé, c'est la réponse à la campagne dans l'océan Indien, le déploiement des forces et l'aptitude à déployer d'autres forces encore.
Comme vous le savez, le ministère a pris part à une série d'activités gouvernementales ayant trait à des lois et à l'accroissement de fonds - le SCRS et le CST, par exemple. Le ministère a apporté une contribution importante au processus interministériel.
Au ministère lui-même, les changements principaux concernent la conduite des opérations et la réponse immédiate à la crise.
Le président: Est-il vraiment trop tôt pour aborder des questions liées à la politique de défense?
M. Calder: Oui et non. C'est mon opinion personnelle. Je crois qu'il est prématuré de tirer des conclusions définitives quant au sens que prend le 11 septembre pour nous. Le débat public le démontre. Certains avancent que, en fait, l'incident du 11 septembre a fondamentalement changé le monde. D'autres avancent que très peu de choses ont changé.
Nous assistons à un débat légitime et important sur le sens réel de la chose. Je crois qu'il est trop tôt pour essayer d'en arriver à des jugements catégoriques sur la chose. La tournure de la situation dépendra beaucoup, dans les quelques mois à venir, de la situation en Afghanistan et de la campagne globale menée contre le terrorisme. Quelle est la nature de ce monde dans lequel nous vivons? Certes, pour moi-même, je n'en suis pas parfaitement certain.
Je crois que l'on est tout de même autorisé à tirer certaines conclusions initiales. Certes, certains ont fait valoir que l'incident du 11 septembre n'a pas rendu le Canada plus vulnérable. Nous avons toujours été vulnérables. Il est vrai, manifestement, que le 11 septembre nous a renseignés grandement sur notre vulnérabilité. La vulnérabilité du Canada aux menaces provenant de l'étranger - que le 11 septembre a fait ressortir - sera prise en considération dans la prochaine politique de défense ou la prochaine politique de sécurité nationale parce qu'il s'agit là de difficultés qu'il faut chercher à régler. Les événements du 11 septembre nous ont fait voir une chose: le Canada est vulnérable à des menaces provenant de l'étranger.
Cela ne fait aucun doute dans mon esprit, le phénomène aura une incidence sur les relations canado-américaines, comme je l'ai dit en réponse à une question posée tout à l'heure. Je crois que cela a servi à souligner l'importance de nos rapports avec les Américains. Cela a souligné l'importance de l'indivisibilité du continent. Cela a souligné le fait qu'une attaque lancée contre les uns est une attaque lancée contre les autres, et que nous sommes à ce point proches que l'effet se fait ressentir automatiquement.
Cela aura une incidence sur notre politique de défense. Cela pourrait avoir une incidence sur le NORAD, une incidence sur les missiles balistiques et une incidence sur la planification à plusieurs égards. Je ne sais pas très bien quelle forme tout cela prendra, mais je crois qu'il y aura cette incidence sur les choses.
Après la campagne, voire avant même qu'elle ne se termine, après que la campagne aura duré un certain temps, nous serons incités à réfléchir sur nos moyens et à nous demander si nous disposons des bons types de moyens, ou encore s'il faut envisager d'accroître certains moyens en vue de réagir à des incidents de ce type.
Le président: Monsieur Calder, Dans votre mémoire, au moment de commenter cette même question, vous dites d'abord qu'une guerre mondiale entre les grandes puissances est extrêmement improbable. Puis, à la cinquième page, vous formulez des observations sur les tensions croissantes dans les parties instables du monde. Vous faites allusion au conflit arabo-israélien, au conflit Chine-Taiwan et au conflit Inde-Pakistan. Entrevoyez-vous une grande guerre qui aurait pour point d'ancrage des thèmes religieux?
M. Calder: Je manque peut-être d'imagination, mais je ne vois pas les raisons qui justifieraient une telle guerre. Les États-Unis, l'Europe, la Chine, le Japon et l'Inde forment les grands blocs politiques du monde. Au dernier siècle, une grande guerre de cette nature aurait fait s'affronter au moins deux de ces blocs, l'un contre l'autre, ou peut-être plusieurs. Je ne vois pas pourquoi l'un ou l'autre de ces blocs aurait l'intérêt, la volonté ou le désir de s'engager dans une guerre contre un ou plusieurs des autres blocs.
L'histoire est tout de même faite d'imprévus. De temps à autre, il faut observer attentivement, par exemple, la situation en Corée ou à Taïwan, ou la situation en ce qui concerne l'Inde et le Pakistan. J'ai l'impression qu'une grande guerre mettrait aux prises ceux-là et, pour être franc, je ne vois pas quelles seraient les divergences religieuses qui nous donneraient une guerre de religion.
Le président: Entrevoyez-vous une quelconque possibilité que se forme une coalition de musulmans, étant donné que nous concentrons actuellement notre attention sur un pays qui est musulman.
M. Calder: Nous ne parlons pas ici d'un conflit entre religions. Nous parlons d'un conflit entre êtres humains qui sont des intégristes et des terroristes et qui sont contre les gens cosmopolites, démocrates, pluralistes et qui sont contre, je crois, les droits universels de l'homme. Voilà le conflit.
Je dirai que vous pouvez trouver des terroristes et des intégristes à bien des endroits dans le monde - et non pas seulement dans les pays islamiques. Je n'adhère pas à la thèse selon laquelle c'est le choc des civilisations qui entre en jeu ici. De nombreux musulmans l'ont souligné eux-mêmes.
Le président: Je crois que c'est le cas et, du point de vue intérieur, c'est évidemment très important. Cela dit, il faut aussi voir des liens. Si jamais le champ d'action de la guerre s'élargit de manière à inclure d'autres pays, ce qui fait l'objet de conjectures régulières, la probabilité qu'il y ait des liens s'accroît, n'est-ce pas?
M. Calder: C'est possible. Je crois que nous serions bien avisés de ne pas nous engager dans cette voie.
Le sénateur Banks: Vous venez de mentionner qu'il existe des pays musulmans qui ont un régime démocratique et qui ne poseront aucune difficulté à nos yeux. À quels pays pensiez-vous?
M. Calder: Non, ce que j'ai dit, pour décrire le conflit, c'est que nous sommes aux prises avec des gens qui, d'une part, sont des terroristes et des intégristes, et, d'autre part, des gens qui sont cosmopolites et démocrates et qui adhèrent à la notion des droits de la personne.
Le sénateur Banks: Est-ce que vous ne faisiez pas allusion à des pays musulmans?
M. Calder: Non, c'est une affirmation plus universelle sur la nature du conflit. Comme je l'ai dit, je ne crois pas qu'il s'agisse d'un conflit avec les pays musulmans ou, de quelque façon que ce soit, avec leurs gens ou leur religion.
Le sénateur Banks: Nous devons espérer que ce n'est pas le cas.
C'est une convention. Vous avez dit qu'il faut savoir encore si les choses ont vraiment changé à ce point depuis le 11 septembre. Je crois que la plupart des gens diraient que c'est le cas, mais il y a eu de nombreux autres changements depuis 1994. Vous avez fait un excellent travail pour nous rassurer, pour que nous sachions que nous sommes en mesure de réaliser, voire de dépasser la politique qui est établie dans le livre blanc de 1994.
Comme beaucoup de choses ont changé depuis 1994 - notamment le fait que nous ne pensions pas être à Chypre pendant 30 ans et nous ne pensions pas être dans les Balkans pendant dix ans - ces choses, peut-être, ne s'appliquent plus. Peut-être qu'elles ne tiennent tout simplement plus.
Je crois que l'on peut affirmer que, dans certains milieux, les gens ont l'impression que nous ne faisons pas notre part en ce qui concerne nos moyens militaires, notre engagement militaire, notre capacité militaire et notre volonté militaires. Nous disposons certainement de statistiques qui semblent dire, de manière irréfutable, que, par rapport au Luxembourg, nous ne faisons pas très bonne figure et que nous nous situons au dernier rang du classement pour ce qui est du pourcentage du PIB, prenez la mesure que vous voulez; que notre rendement n'est pas à la hauteur. C'est une critique qui circule largement. Je suis sûr que vous l'avez déjà entendue, et j'aimerais bien savoir ce que vous en pensez.
M. Calder: Merci, sénateur Banks. Je suis plus ou moins au courant de ces critiques.
Cela dépend des statistiques que vous choisissez pour mesurer la chose. Cela varie parfois en fonction du taux de change, mais nous nous trouvons au sixième ou au septième rang pour les dépenses parmi les pays membres de l'OTAN. Nous venons au seizième rang pour les dépenses dans le monde entier. Parmi les 15 premiers pays, il y a les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne et ainsi de suite. Si ces pays sont en avance sur nous, c'est qu'il y a une bonne raison. Seizième dans le monde pour les dépenses de défense, cela n'est pas si mal, compte tenu du nombre de pays qui existent dans le monde. Si on se fie à cette mesure, nous ne faisons pas si piètre figure.
La question qu'il faut se poser est la suivante: «Qu'est-ce qui est suffisant?» Depuis que les ministères de la Défense et que les armées existent, les gens se sont demandé combien d'argent il faut consacrer à la défense.
Les critiques auxquels vous faites allusion avancent qu'il faudrait accroître le budget de la défense. Grand bien leur fasse, qui ne voudrait pas plus d'argent? Le gouvernement doit étudier les sommes d'argent limitées à sa disposition pour les divers programmes. Il doit étudier la demande en ce qui concerne le ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes, mais il doit également étudier la demande relative à d'autres aspects de la sécurité nationale, par exemple en ce qui concerne le solliciteur général, la GRC, la Garde côtière, Santé Canada, Industrie Canada et tout cela. Il doit étudier la situation des autres ministères. Si vous faisiez le tour de la ville, vous seriez en mesure de constater que tous les ministères peuvent justifier leur demande - demande qui peut être aussi justifiée que la nôtre - d'accroissement de fonds dans les champs d'action en question.
Il y a également les priorités globales des Canadiens en ce qui concerne les dépenses en santé, en éducation et ainsi de suite. La question revient donc à dire: «Qu'est-ce qui est suffisant?» dans le budget de la défense, et c'est là un jugement subjectif. Le gouvernement juge raisonnable le budget qu'il nous a accordé.
Quand les honorables sénateurs entendent des témoins faire valoir qu'il faut augmenter le budget de la défense, ils devraient leur demander pourquoi. Si nous demandons au ministre des Finances de réserver un milliard de dollars de plus pour la défense, il s'attendra à ce que nous exposions clairement comment nous entendons dépenser l'argent; sinon, nous n'allons pas obtenir un rond.
Vous devriez poser la même question à vos témoins. S'ils croient qu'il faut plus d'argent, demandez-leur: qu'allez-vous faire de cet argent? Quels sont les moyens qui seront créés grâce à cet argent? Il faut comprendre que c'est un jeu à somme nulle; l'argent qui est dépensé ici ne peut être dépensé là.
Le sénateur Banks: Certains témoins avancent que le budget devrait être tel que lorsqu'ils assistent à des réunions militaires multilatérales pour discuter de plans et d'engagements, ils n'aient pas la conviction que les autres murmurent: «Voici les parasites canadiens.» Vous avez également proposé que nous consacrions un certain pourcentage de notre PIB ou un certain nombre de dollars, qui correspondrait grosso modo aux dépenses par habitant en défense aux États-Unis, au Royaume-Uni, en France ou en Allemagne. Nous ne procédons pas de cette façon.
M. Calder: J'assiste à de nombreuses réunions internationales. J'assiste à de nombreuses réunions de l'OTAN. D'autres au ministère - dont certains viendront témoigner devant vous - assistent aux mêmes réunions. Je n'ai pas l'impression qu'on nous considère comme des parasites. Par ailleurs, je ne crois pas qu'il s'agisse là d'une raison valable de demander plus d'argent.
Nous avons bel et bien besoin d'argent dans certains secteurs. Le ministre a affirmé qu'il aimerait disposer de fonds accrus, il a dit qu'il s'adresserait à M. Martin à ce sujet. Tout de même, il faut trouver mieux, pour expliquer la situation aux contribuables canadiens, que de dire: les bureaucrates qui assistent à des réunions internationales se sentiront mieux.
Le sénateur Forrestall: C'est une chose que de s'engager dans une guerre avec un autre État démocratique qui possède l'avantage de la force, la conception civile des choses et ainsi de suite. La guerre a lieu, puis quelque chose va bien qui fait qu'elle se termine. Par contre, si vous êtes aux prises avec un groupe de personnes qui ne bénéficient pas de la conception de la démocratie - la loi et l'ordre, la primauté du droit, etc. -, comment faites-vous pour mettre fin à la guerre? Comment mettre fin à votre participation à la guerre?
M. Calder: C'est une très bonne question. Je dois dire d'abord que nous ne sommes pas en guerre. Nous participons à une campagne contre le terrorisme.
Le sénateur Forrestall: Sauf tout le respect que je vous dois, quand il y en a un qui tire sur l'autre, le vocabulaire n'importe peu.
M. Calder: Je le dis non seulement parce que mon ministre qualifie l'action de campagne, mais aussi parce que qualifier l'action de guerre, c'est donner trop de mérite à l'adversaire. Dans le cas dont il est question ici, l'adversaire est un vulgaire criminel qu'il faut traduire en justice. Appeler cela une guerre, c'est conférer à l'adversaire une certaine légitimité qu'il ne mérite pas.
L'autre difficulté en ce qui concerne l'emploi du terme «guerre», c'est que cela nous fait tomber dans le piège que vous avez posé. Quand nous pensons à une guerre, nous pensons à la victoire ou à la défaite. Nous pensons à un règlement à la fin, à un traité de paix, puis il y a la paix.
Malheureusement, dans la situation dont il est question, nous sommes en campagne contre le terrorisme. C'est une campagne qui aura une vie aussi longue que n'importe lequel d'entre nous. Je ne crois pas qu'il y aura une victoire. Je ne crois pas que cela aura une fin. C'est quelque chose comme la guerre contre la drogue, la criminalité organisée ou la pauvreté.
Nous sommes aux prises avec quelque chose de fondamental, quelque chose qui perdurera autant que nous. Il importe que nous la combattions avec tous les moyens à notre disposition. À long terme, l'action militaire ne sera qu'un élément secondaire de l'équation. Il faudra par ailleurs supprimer la source de financement du terrorisme, au moyen de services policiers et de toutes les méthodes que l'on emploie pour s'attaquer à des criminels.
Nous observons en ce moment la contribution militaire à l'exercice, étant donné les événements en Afghanistan. Tout de même, l'action militaire ne représente qu'une variable peu significative de l'équation globale.
Le sénateur Forrestall: Avez-vous jamais cru que nous aurions, plus ou moins cinq ans à l'avance, des signes indiquant un conflit majeur à venir?
M. Calder: J'ai cru cela. Je le crois toujours - pas pour ce que nous faisons en ce moment, mais plutôt pour un conflit majeur -, nous parlons de la Première Guerre mondiale, de la Seconde Guerre mondiale et de la Troisième Guerre mondiale. Ce genre de conflits exige une mobilisation, de l'organisation, un effort national et un budget considérables, comme en 1914 et en 1939. C'est ce que j'entendais par conflit majeur. Je crois qu'il y a toujours ces indications.
Comme plusieurs commentateurs l'ont fait remarquer, récemment, l'action de ben Laden a permis à bien des gens dans le monde de voir où se situe leur intérêt commun. Nous avons été témoins, par exemple, de la réunion du président Poutine et du président Bush, la réunion remarquable de la Russie et des États-Unis, ce que nous ne pouvons qu'accueillir avec plaisir. Nous voyons que les Russes affichent une attitude nettement plus positive envers l'OTAN et l'Europe. Les relations entre les grands blocs politiques sont remarquablement bonnes en ce moment, ce qui me fait penser que nous disposons des cinq années en question.
Le sénateur Forrestall: Étant donné le manque d'argent, de personnel et d'équipement qui afflige actuellement notre appareil militaire, que ce soit le résultat d'une aimable indifférence ou d'un plan délibéré -, dois-je en déduire que, suivant la sagesse populaire, nous ne sommes même pas là pour la première des cinq années en question? Autrement dit, il n'y a pas de véritable possibilité qu'une guerre mondiale se déclare, alors nous ne consacrons pas trop d'argent à la chose pour l'instant.
M. Calder: Sénateur, je ne suis pas d'accord avec cette affirmation.
Le sénateur Forrestall: Je n'essaie pas de vous attribuer des propos que vous n'auriez pas tenus.
M. Calder: Je ne suis pas d'accord avec cette affirmation. J'admets qu'il y a eu une diminution. Nous en sommes à 60 000.
Le sénateur Forrestall: Je doute que nous ayons fait 60 000 chèques de paie pendant un mois donné depuis bien longtemps.
M. Calder: Je ne suis pas au courant des dernières statistiques, mais on me dit que c'est plus de 60 000. Le chiffre a été réduit, mais je ne suis pas d'accord avec l'affirmation selon laquelle les forces sont dans un état miséreux. Le chef d'état-major actuel de la Défense et son prédécesseur l'ont dit, au meilleur de leur jugement militaire. Je serais un civil très courageux si je contestais leur vision de la capacité militaire que nous avons. Je crois que les Forces canadiennes sont en meilleur état aujourd'hui qu'elles l'étaient il y a dix ans. Elles sont moins nombreuses, mais en meilleur état. La qualité, à bien des égards, importe plus que la quantité.
Le sénateur Forrestall: Le Sea King est-il en meilleur état aujourd'hui qu'il l'était il y a dix ans?
M. Calder: La perfection n'est pas de ce monde, sénateur.
Le sénateur Forrestall: Pourquoi n'avons-nous pu déployer, durant la fin de semaine dernière, que trois Hercules? Nous en avons 28 ou 30, mais il n'y en a que trois en service. Ce n'est pas si important, mais voilà le genre de questions qui vient à notre attention et que nous sommes censés régler. C'est un peu difficile.
Le Canada 21 Council propose une révolution dans les affaires militaires. Il avance que le Canada serait en meilleure posture en optant pour un créneau spécialisé comme la police paramilitaire. Que pensez-vous de cette idée de la part du Canada 21 Council?
M. Calder: Avant de commenter cette question, j'aimerais parler de la question du potentiel militaire. Je dirais que si vous demandez aux membres actifs de l'armée, de la force navale et de la force aérienne s'ils sont heureux des conditions actuelles ou s'ils préféraient en revenir aux conditions de 1990, tous choisiraient les conditions actuelles.
Le sénateur Forrestall: Ce n'est pas de cela que nous parlons. Êtes-vous en train de me dire que le Sea King est plus sécuritaire qu'il y a dix ans, que c'est aujourd'hui un meilleur appareil?
M. Calder: Je parle du potentiel global, sénateur. Les forces armées n'auront jamais de l'équipement neuf sur toute la ligne. On peut toujours parler d'un élément particulier de l'équipement.
Le sénateur Forrestall: Qu'en est-il du Hercules? Quand allons-nous renouveler le parc? Allons-nous mettre à exécution certains de ces programmes?
Nous nous sommes entretenus récemment avec des réservistes, parmi lesquels il y avait nombre de jeunes femmes intéressées, vives et intelligentes. En dernière analyse, leur plainte, c'était qu'elles recevaient des pantalons d'hommes. Elles s'en plaignent depuis dix ans, mais nous n'avons encore rien fait.
Je ne suis pas sûr que la situation soit meilleure aujourd'hui qu'il y a dix ans, mais c'est peut-être le cas.
Enfin, la conception avancée dans le livre blanc sur la défense de 1994 demeure-t-elle valable, au sens où nous devrions avoir une force très mobile qui est apte au combat, ou est-ce que le scénario change?
M. Calder: N'oubliez pas, en 1994, le comité mixte et le ministère devaient trancher la question de l'importance de la capacité de combat et tout cela. Tout ce que nous avons vu depuis 1994 - en Bosnie, au Kosovo et, maintenant, en Afghanistan - vient confirmer le fait que nous devons disposer de forces polyvalentes qui sont aptes au combat.
Cela me ramène à la question que vous aviez posée avant, dont je vous ai détourné. Vous m'avez parlé de créneaux. Je ne suis pas en faveur d'une force qui se cantonnerait dans un créneau. Desmond Morton, historien bien connu, a toujours dit que le ministère de la Défense nationale est très malhabile pour prévenir l'avenir. Je dois l'admettre: pour une bonne part, il a raison.
Pour articuler une force autour d'un créneau, il faut déterminer dès aujourd'hui le genre de créneau qui sera important dans dix ans et y mettre des fonds qui ne seront pas autrement consacrés à une capacité générale. Je me méfie énormément de cette idée. Je ne suis pas sûr que nous puissions choisir le créneau qui sera important dans dix ans. J'aimerais beaucoup mieux positionner les Forces canadiennes au milieu du spectre des moyens là où elles sont non pas spécialisées à l'extrême dans un domaine donné, mais où, de manière générale, elles sont aptes à intervenir, ce qui nous donne une marge de manoeuvre à long terme ainsi que la possibilité de donner de l'expansion aux forces en temps de crise. Je n'ai jamais aimé l'idée de forces ultraspécialisées.
Le sénateur Forrestall: Nous sommes d'accord là-dessus.
Ces vous le gourou. Tôt ou tard, vous allez devoir décider si le moment est venu de mettre cela sur papier. Les parlementaires - et particulièrement les élus de la Chambre des communes, mais, aussi, les sénateurs - ont une occasion de participer à l'élaboration de vos idées?
M. Calder: J'imagine que vous allez produire un rapport avant que nous sortions le nouveau livre blanc. De fait, vous allez peut-être produire de nombreux rapports avant que nous sortions un nouveau livre blanc.
Certes, vous avez la possibilité d'apporter une contribution notable à l'exercice par l'entremise des rapports que, bien entendu, le gouvernement devrait prendre en considération en élaborant toute politique nouvelle.
Le sénateur Forrestall: J'ai posé la question parce que nous étions d'avis que c'était un assez bon rapport. Le jour où notre rapport est sorti, le livre blanc du gouvernement a été publié, si bien que nous avons eu l'impression que nos travaux n'étaient guère que cosmétiques.
Par contre, nous avons quand même eu l'occasion de faire participer les Canadiens à l'exercice. J'espère que la prochaine fois, le gouvernement, ou les autorités compétentes, auront l'occasion d'étudier les mérites d'un rapport.
J'ai plutôt apprécié les travaux du comité mixte à cet égard.
Merci d'être venu témoigner aujourd'hui.
M. Calder: Vous vous souviendrez, sénateur Forrestall, que l'examen de la politique à laquelle vous et le président avez participé, de fait, du début à la fin, s'est échelonné sur un an. Ce ne sont pas des choses qui se font rapidement, d'habitude, mais on pourrait me surprendre demain en me donnant d'autres instructions.
Le sénateur Forrestall: C'est à vous de dire si la charpente n'est pas encore là, ce que j'aurais de la difficulté à admettre. Je suis sûr que vous travaillez très dur sur ce plan. Je vous souhaite bonne chance, et nous prions pour que vous vous acquittiez bien de la tâche. C'est une tâche extrêmement difficile qui se dessine à l'horizon.
Le président: Pour le compte rendu, le rapport du comité mixte a été publié plusieurs mois avant le livre blanc. D'après moi, le livre blanc a récupéré 90 p. 100 des recommandations du comité mixte. C'est mon opinion.
Le sénateur Forrestall: Je suis d'accord. Tout de même, ce n'était pas si longtemps à l'avance - de fait, c'était le lendemain.
Le président: Non, ce n'était pas le lendemain.
De toute manière, monsieur Calder, merci d'avoir comparu devant le comité. Vous avez enrichi sensiblement notre connaissance du dossier. Cette réunion du comité s'inscrivait dans une étude des principales questions de sécurité et de défense touchant le Canada et, ce soir, nous nous sommes concentrés sur la question de la mise en oeuvre de la politique de défense.
Avant de clore la séance, je demande au comité la permission de faire verser les pièces suivantes au dossier: «Caught in the Middle», de la Conférence des associations de la défense; «A Wake-up Call for Canada», du Royal Canadian Military Institute; «Pour assurer la sécurité d'une nationx, du Conseil pour la sécurité canadienne au XXIe siècle; et un résumé des procès-verbaux et témoignages présentés au Comité spécial sénatorial sur le projet de loi C-36.
Honorables sénateurs, êtes-vous d'accord pour que les documents en question soient versés au dossier?
Des voix: D'accord.
La réunion se poursuit à huis clos.