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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants

 

Délibérations du comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense 

Fascicule 11 - Témoignages de l'après-midi


OTTAWA, le mardi 29 janvier 2002

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 13 h 30, pour faire une étude préliminaire des principales questions de défense et de sécurité qui touchent le Canada, en vue de la préparation d'un plan de travail détaillé pour des études plus poussées.

Le sénateur Colin Kenny (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Chers collègues, nous accueillons aujourd'hui M. Richard Fadden, sous-greffier, conseiller juridique etcoordonnateur du renseignement et de la sécurité au Bureau du Conseil privé, et M. Daniel Giasson, directeur des opérations, Sécurité et renseignement, également au Bureau du Conseil privé. Ce sera le dernier groupe de témoins que nous entendrons avant notre visite à Washington, la semaine prochaine.

Nous nous sommes très heureux que vous ayez accepté notre invitation, monsieur Fadden. En effet, nous espérons pouvoir profiter de votre aide, particulièrement en prévision de nos rencontres avec les comités de la Chambre des représentants et du Sénat sur les forces armées et avec les comités spéciaux de la Chambre des représentants et du Sénat chargés du renseignement de sécurité, qui sont prévues pour la semaine prochaine.

Vos conseils nous sont précieux. Nous nous intéressons particulièrement à ce que vous pensez de questions qui n'ont pas été bien débattues par le Congrès. Il serait très utile d'avoir une idée du ton et du niveau de participation au Congrès. Ce ne sera peut-être pas facile à faire, mais nous sommes conscients, comme la plupart, que des communications ont lieu avec Washington à divers niveaux et nous aimerions profiter le plus possible de l'occasion qui se présente la semaine prochaine.

Vous avez la parole.

M. Richard Fadden, sous-greffier, conseiller juridique et coordinateur, Sécurité et renseignement, Bureau du Conseil privé: Sénateurs, c'est avec grand plaisir que je me retrouve ici. J'aimerais vous donner un instantané de ce que le gouvernement et la collectivité ont essayé de faire depuis ma dernière comparution. À la fin de mon exposé, j'essaierai de répondre plus directement à vos questions précises. Vous avez raison de supposer que je ne pourrai pas vous citer des sources sûres, mais j'ai tout de même certaines idées à vous communiquer, pour ce qu'elles valent.

J'aimerais diviser mon bref exposé en trois parties. Je vais commencer par vous mettre au fait de l'évaluation des menaces au Canada, ensuite je parlerai de notre contribution à la lutte menée par la coalition contre le terrorisme. Enfin, j'essaierai aussi de vous donner un aperçu global de ce qu'a fait le gouvernement pour rehausser la sécurité publique.

Tout d'abord, en ce qui concerne l'évaluation des menaces,il importe de se rappeler qu'en dépit de tout ce que nousavons fait et du contexte difficile qui règne au Canada depuisle 11 septembre, le Canada n'a pas été victime d'actes terroristes. La possibilité d'une attaque immédiate continue de planer au-dessus des États-Unis. Nous continuons d'entendre dire, dans le milieu du renseignement de sécurité, que certains songent à attaquer des alliés des États-Unis.

Pour toutes ces raisons, nous pouvons difficilement nous payer le luxe de nous laisser aller. Nous demeurons un proche allié des États-Unis et un participant actif à la lutte contre le terrorisme menée par les États-Unis.

À vrai dire, bien que nous estimions qu'en tant que principal allié et voisin des États-Unis sur le continent, nous devons collaborer avec eux le plus possible, nous avons nos propres préoccupations en matière de sécurité, et elles sont très réelles. Dans tout ce que nous avons fait depuis le 11 septembre, nous avons cherché à tenir compte de ces deux points centraux.

Nous faisons aussi l'objet de diverses critiques dans les médias au sujet de l'efficacité de notre intervention. Ces critiques sont périodiques. Les questions qui sont constamment débattues, soit nos politiques en matière d'immigration et de réfugiés et l'efficacité de notre sécurité à la frontière, continuerontd'intéresser la presse. Toutefois, les nouvelles ressourcesdébloquées dans le budget et les nouvelles lois adoptées par le Sénat et par l'autre endroit nous facilitent la tâche. Nous sommes confiants que, depuis le 11 septembre, d'importantesaméliorations ont été réalisées sur les deux fronts.

Je ne vous passerai pas en revue tous les détails de notre contribution militaire à la coalition. Je soupçonne que vous en savez plus que moi. Toutefois, je ferai remarquer que, d'icià la fin de février, nous aurons déployé en Afghanistan etailleurs 3 000 membres des Forces canadiennes. Ce n'est pas une peccadille.

Le premier ministre a créé un comité du Cabinet pour traiter de ces questions après le 11 septembre. Il a demandé au vice-pre mier ministre de continuer d'en assumer la présidence, et le comité continuera de siéger au besoin. Du 11 septembre à aujourd'hui, il a siégé une quinzaine de fois. Il a aidé à coordonner l'adoption du projet de loi C-36 et a travaillé au projet de loi C-42. Les vues du comité ont été utiles au ministre des Finances pour faire le budget. Le comité a également aidé M. Manley à négocier la déclaration sur la frontière efficace avec les États-Unis. Tout cela pour dire que le comité a été actif et qu'il a fait une excellente contribution à la réaction du Canada à la crise. Il a aussi donné aux États-Unis l'impression que le Canada agissait de manière coordonnée.

Quand je suis venu témoigner devant votre comitéen 2001, j'avais fait remarquer que le Canada avait cinq grands objectifs en matière de sécurité. Je tiens à souligner qu'ils demeurent les mêmes, soit d'empêcher les terroristes d'entrer au Canada, si des terroristes se trouvent sur notre territoire,de les arrêter et de les déporter, de faciliter les relations canado-américaines à la frontière, d'entreprendre diversesinitiatives internationales de lutte au terrorisme, de protéger notre infrastructure névralgique et d'accroître la protection civile.

Depuis ma dernière comparution, trois événements se sont produits. Tout d'abord, le projet de loi C-36 a été adopté. Ensuite, un budget annonçant l'affectation de quelque 8 milliards de dollars étalés sur cinq ans à ce vaste domaine a été déposé à la Chambre et, enfin, nous avons signé la déclaration sur la frontière efficace avec les États-Unis.

Vous en savez sans doute plus que moi au sujet des lois et du budget. J'aimerais donc m'attarder à la déclaration relative à la frontière efficace. Les quatre grands objectifs dont sont convenus nos deux gouvernements sont de travailler à la circulation en toute sécurité des personnes et des biens, à mettre en place une infrastructure sécuritaire à la frontière, à coordonner les efforts et à intensifier le partage de l'information.

Vers la fin de l'an dernier, j'ai témoigné devant le Comité spécial de la Chambre des représentants chargé du renseignement de sécurité, à Washington. Mis à part les échanges habituels concernant qui faisait quoi à qui, j'ai eu l'impression qu'ils ne savent pas grand-chose de la frontière canado-américaine, point final. La majorité des membres du comité venaient du sud des États-Unis et ils ont immédiatement transposé leur expérience avec le Mexique. J'ai consacré une bonne partie de mon temps à expliquer qu'il s'agissait effectivement de deux frontières, mais que là s'arrêtait la comparaison. Tout le reste est différent. En fait, ils trouvaient tout cela intéressant, mais ce qu'ils souhaitaient savoir, c'était ce que ferait le Canada pour les aider à assurer la sécurité à la frontière, en d'autres mots, ce que ferait le Canada pour empêcher les indésirables d'entrer aux États-Unis.

D'après ce que m'ont dit des collègues à l'ambassade de Washington, cette attitude est inchangée. En d'autres mots, ils ont tendance à transposer sur nous l'expérience qu'ils vivent à la frontière mexicaine. Ce qui les intéresse en réalité, c'est d'empêcher les indésirables d'entrer.

Je ne crois pas que ce point de vue soit forcément repris au sein du gouvernement, où les relations avec de hauts fonctionnaires et des ministres canadiens sont soutenues. Toutefois, à la Chambre des représentants, on en était à s'interroger sur ce que le Canada fera pour aider à empêcher les indésirables d'entrer aux États-Unis. Le reste les intéresse, mais ils tiennent à ce que les indésirables demeurent à l'extérieur des États-Unis. C'est ce qui m'a en réalité le plus frappé.

Je tiens à porter à votre attention la nouvelle Loi sur la sécurité publique qui est actuellement à l'étude à la Chambre des communes. Nous espérons que vous en serez saisis avant l'été. Il s'agit du deuxième projet de loi-cadre que le gouvernement projette de déposer dans ce vaste domaine. Son objet est multiple. Plus particulièrement, il cherche à accroître le pouvoir ministériel en matière de sécurité aérienne afin de permettre l'échange d'information avec les organismes de sécurité et de renseignement concernant les utilisateurs des transports aériens. Il créenotamment une nouvelle infraction relative aux comportements turbulents.

Nous pensons qu'il conviendrait que le Parlement accorde de nouveaux pouvoirs aux ministres dans le domaine des substances dangereuses et explosives. La façon de traiter les choses est inégale au Canada à cet égard. La loi proposée sur la sécurité publique augmenterait le pouvoir de FinTRAC et d'autres ministères à mettre en commun l'information.

Pour répondre directement à votre question, monsieur le président, au sujet de la préoccupation des autorités américaines, je dirais que nous sommes arrivés à la conclusion qu'en dernière analyse, le terrorisme est le fait d'un particulier. En effet, c'est une seule personne qui va faire exploser une bombe, qui va obtenir de l'argent ou fournir un abri sûr. Cela revient à dire que le gouvernement des États-Unis doit être en mesure de trouver qui sont ces particuliers. Toutes ces mesures ne serviront à rien si nous ne pouvons pas trouver le particulier qui commet les crimes.

Nous avons été en mesure d'élaborer une approche à la mise en application fondée sur le renseignement. Les États-Unis se mettent de plus en plus sur la même longueur d'ondes, bien que leur approche tende à être ponctuelle. Sans vouloir me faire le porte-parole des autorités américaines, je crois que si elles le pouvaient, elles vérifieraient chaque pièce d'équipement et chaque produit à leur entrée aux États-Unis. Elles arrêteraient chaque personne qui veut entrer sur leur territoire pour vérifier qu'elle leur est acceptable.

Les États-Unis sont prêts à discuter et discutent de plus en plus avec nous d'une approche au renseignement fondée sur la gestion du risque, qui s'appuie sur de bons renseignements. Pour y parvenir, nous devons mettre en commun les renseignements de manière efficace.

J'aimerais vous faire part de l'effet très positif du budget de M. Martin. Quelque huit milliards de dollars sont prévus pour les cinq prochaines années financières, la somme de 1,2 milliard étant affectée aux services de renseignement et de police. Par ailleurs, un milliard de dollars permettra d'améliorer la sélection des arrivants au Canada. Plus de 2 milliards de dollars sont prévus pour améliorer la sécurité du transport aérien. Un peu plus d'un milliard de dollars seront affectés à l'état de préparation face aux menaces chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires; 0,5 milliard de dollars sont affectés au déploiement militaire et près de 2 milliards de dollars sont prévus pour rendre la frontière plus efficace.

M. Ridge est arrivé à Ottawa le lendemain du budget. Les autorités américaines ont été impressionnées de voir que nous joignons le geste à la parole, financièrement parlant. L'effet a été considérable. Beaucoup de fonds sont prévus pour la sécurité, l'équivalent, aux États-Unis, représentant énormément d'argent - 70 milliards de dollars. Ce qu'il reste à faire maintenant au Canada comme aux États-Unis, c'est s'assurer que ces fonds sont bien dépensés et tirer parti de chaque dollar. Nous voulons obtenir le plus grand rendement possible de notre investissement.

Les États-Unis demandent quelque 2 milliards de dollars pour la frontière canado-américaine. Je suppose que le budget présenté par M. Bush au Congrès renfermera un énorme élément de sécurité qui éclipsera probablement les dépenses que nous avons prévues.

J'aimerais que les membres du comité se rendent compte que nous n'avons aucune raison de ne pas avoir la tête haute en ce qui concerne le renouvellement du personnel au sein de nos services de sécurité et de renseignement, autant pour nos propres besoins que pour notre collaboration avec les États-Unis. L'administration américaine le reconnaît.

Je ne sais pas combien de membres du Congrès se rendent compte de cette réalité, vu qu'ils semblent avoir d'autres préoccupations.

La déclaration sur la frontière efficace que, j'en suis sûr, vous avez tous lue, reflète un extraordinaire degré de collaboration entre le Canada et les États-Unis. Elle représente 31 points qui amélioreront notre sécurité commune. Il s'agit, entre autres, de la circulation sécuritaire des personnes et des biens, de la sécurité des infrastructures frontalières et de la coordination et de la mise en commun de l'information. M. Ridge et M. Manley vont se rencontrer d'ici une semaine ou deux pour s'informer des toutes dernières mesures prises. Des fonctionnaires se sont réunis ici et aux États-Unis depuis la signature de la Déclaration sur la frontière efficace. Nous progressons sur tous les fronts.

Nous savons que d'après les autorités canadiennes etaméricaines, la déclaration sur la frontière efficce est un franc succès. Elle permet véritablement de prévoir et d'établir ensemble les priorités en ce qui concerne la sécurité et la frontière. Nous espérons que d'ici les six prochains mois, les deux pays pourront jusqu'à un certain point affirmer avoir réussi et être en mesure de passer à l'étape suivante des opérations.

Je répondrais directement à votre question en disant qu'à mon avis, le Canada, comme les États-Unis, devront consacrer plus de temps à divers domaines comme la sécurité maritime et la sécurité des ports de mer. Au Canada, nous reconnaissons n'avoir pas prêté suffisamment attention à ces domaines que nous avions mis de côté en attendant de prendre conscience de leur importance pour nous. C'est également vrai dans le cas des États-Unis.

Nous devons également en faire plus en ce qui concerne notre image à l'étranger - nous devons repousser les frontières du Canada. L'intention ministérielle ainsi que le budget nous permettront d'affecter un nombre raisonnable d'agents de contrôle de l'immigration et d'autres agents à l'étranger, mais il nous faut réfléchir à la façon dont nous allons le faire: comment allons-nous travailler avec les sociétés aériennes et de transport maritime; comment allons-nous collaborer avec les États-Unis et d'autres pays pour ce faire, l'objectif poursuivi étant d'empêcher l'entrée de terroristes; chaque terroriste auquel on empêche d'entrer au Canada est un terroriste de moins en Amérique du Nord. Chaque terroriste auquel on empêche d'entrer aux États-Unis est un terroriste de moins en Amérique du Nord. Cela permet d'améliorer le sentiment de sécurité que nous recherchons dans tous les domaines.

Monsieur le président, je me ferais un plaisir de répondre aux questions des membres du comité.

Le sénateur Meighen: J'aimerais vous poser une question au sujet de votre dernier point; vous dites en effet qu'il faut repousser nos frontières, mais vous dites également que la qualité du renseignement est essentielle dans le monde dans lequel nous vivons actuellement, depuis le 11 septembre et en fait peut-être même avant cette date.

De toute évidence, aucune décision n'a été prise en vue d'améliorer ou de créer la capacité de collecte de renseignements à l'extérieur du pays. Nous allons continuer de dépendre du bon vouloir de nos alliés qui nous fourniront leurs renseignements, que les agents dont vous avez fait mention utiliseront par la suite, lorsque viendra le moment d'évaluer la demande d'entrée de particuliers dans notre pays. Est-ce bien cela?

M. Fadden: Dans une certaine mesure, oui, mais dans une autre, cela minimise l'importance de la capacité des agents actuellement affectés à l'étranger en matière de collecte de renseignements. Vous avez raison de dire que le Canada ne va probablement pas créer un service de renseignement étranger dès demain. Toutefois, il est bon d'envisager toute la gamme de la collecte de renseignements. Il peut s'agir de ce que vous lisez dans The Economist ou des renseignements que le plus sombre service de la CIA collecte pour vous. La gamme est donc très étendue.

Améliorer les rapports diplomatiques et les cibler, prévoir plus d'agents de contrôle de l'immigration ainsi que des agents supplémentaires de liaison SCRS ou GRC, permettra de couvrir toute cette gamme. Vous avez raison, monsieur le sénateur, de dire que nous n'avons pas d'agence semblable à la CIA qui collecte des renseignements à l'étranger, toutefois, je ne crois pas qu'il soit tout à fait exact de dire que nous dépendons entièrement de nos alliés. Nous collectons pas mal de renseignements selon les méthodes que j'ai décrites.

Le sénateur Meighen: Est-ce que vous ou votre bureau avez votre mot à dire lorsqu'il s'agit de décider quels renseignements peuvent et doivent être mis en commun avec nos alliés? Qui prend cette décision?

M. Fadden: Cela dépend de l'agence en cause. Si l'affaire relève d'une enquête policière, c'est à la police de le décider. Si la police voit un rapport avec l'activité criminelle aux États-Unis ou ailleurs, des procédures établies sont prévues. Dans d'autres domaines, comme le renseignement militaire, le renseignement politique et le renseignement en matière de sécurité, à moins que le renseignement ne soit propre au Canada - en d'autres termes, qu'il vise des intérêts canadiens immédiats - par défaut, nous assurons la mise en commun du renseignement. Il nous faudrait avoir une bonne raison de ne pas le faire.

J'ai l'impression, en particulier depuis le 11 septembre, que la plupart de nos alliés ont adopté à peu près la même attitude à ce sujet. Sauf si les intérêts nationaux d'un pays sont directement touchés, il reste qu'il est plus avantageux pour tout le monde que le plus de gens possible aient accès aux mêmes renseignements.

Moi ou mon bureau nous occuperions des questions de principe, c'est-à-dire de déterminer avec quels pays nous partagerions l'information et s'il y a de grandes catégories qu'il faudrait ou non exclure. Cependant, normalement, la plupart des renseignements circulent.

Le sénateur Meighen: C'est intéressant. Nous entendons tout le temps parler de guerre de territoires. J'imagine que cela remonte à des temps anciens, quand tout le monde devait défendre son fief. Pour parler bien simplement, quel intérêt aurais-je à partager avec vous des informations qui m'aident à mieux faire mon travail? À tous les niveaux, il y a un problème de fonctionnement interorganisationnel. Quelles mesures incitatives ont été adoptées, ou qu'est-ce qui peut nous amener, nous ou nos alliés, à être plus disposés, plus volontiers enclins à fournir les informations qu'eux ou nous avons recueillies?

M. Fadden: Je comprends ce que vous voulez dire. Je ne vais sûrement pas nier qu'il y a des guerres de territoires dansles administrations, ici ou ailleurs. Ce qui a changé depuisle 11 septembre, c'est que, pour la première fois, les gens ont pu établir un lien direct avec le fait de partager ou de ne pas partager l'information. Depuis septembre dernier, des échangesd'informations à l'intérieur du Canada ont permis d'empêcher certaines personnes d'entrer au Canada. Nous avons essayé d'éviter que l'incident Ressam ne se reproduise. Les ministères et organismes ont constaté que la population et le Parlement ne tolèrent pas que des incidents surviennent à cause d'un manque de collaboration ou de communication entre les responsables.

Beaucoup de systèmes déjà en place, mais aussi ceux qui ont été promis dans le budget, ne seront pas établis avant que mon bureau ait eu l'assurance qu'ils sont interopérables. À moins d'une raison très sérieuse, les informations mises à la disposition d'un organisme sont accessibles aux autres.

Cela dit, et pour reprendre votre analogie avec la nature humaine, les gens ne partagent pas naturellement des informations à moins d'y voir des avantages pour eux. La GRC ne peut agir sans obtenir l'information du SCRS. Elle doit convaincre ce dernier de l'aider. Il y a un tas de choses qu'elle peut faire à ce sujet, comme partager des renseignements de nature criminelle ou retarder des poursuites pour permettre au SCRS d'effectuer des activités de renseignement. C'est un milieu où les choses sont étroitement liées.

Je vous en dit long, mais même les bureaucrates et les institutions qui ont tendance à travailler de façon très cloisonnée et à miser beaucoup sur l'expérience ont changé leur façon de fonctionner. Nous ne voulons surtout pas qu'un événement comme celui du World Trade Center se reproduise dans chaque pays. C'est ce qui change la perspective et retient notre attention. Depuis le 11 septembre, mon collègue et moi-même, ainsi que d'autres membres du BCP, faisons principalement valoir que nous n'avons pas assez de personnel; nous n'avons pas assez de ressources, pas plus que les États-Unis. Nous devons tirer profit de ce dont nous disposons. Nous exhortons les gens, comme le font les ministres, à se concerter et à partager.

Le sénateur Meighen: C'est très encourageant, dans la mesure où c'est le rôle convenu ou tacite du comité de M. Manley. Quel est le nom de ce comité encore?

M. Fadden: C'est le Comité ministériel spécial sur la sécurité publique et l'antiterrorisme, pour abréger le Comité SPAT.

Le sénateur Meighen: Je préfère le nom au long, parce qu'il me rappelle l'époque où je pratiquais le droit.

Si c'est un comité spécial, ce n'est donc pas un comité permanent. À ce titre, il existera tant que le premier ministre ou quelqu'un d'autre le voudra, n'est-ce pas?

Le président: Il existera tant que la menace de terrorisme persistera.

Le sénateur Meighen: J'espérais que M. Fadden dise peut-être qu'il deviendra un comité permanent parce qu'il y aura toujours une menace de terrorisme, n'est-ce pas, monsieur Fadden?

M. Fadden: Le premier ministre n'aime pas plus que nous augmenter le nombre de comités et d'institutions. Il en a fait un comité spécial parce qu'il ne savait pas vraiment à ce moment-là si c'était la chose à faire. Il semble penser que le comité siégera tant que ce sera nécessaire. Dans les faits, que ce soit un comité permanent ou un comité spécial ne change pas grand-chose. Un secrétariat en assure le soutien. Il a un président à temps plein et il fait son petit bonhomme de chemin. Si, à un moment donné, la guerre contre le terrorisme perd de l'importance, je présume que le comité aura moins de travail. Par contre, si un incident terroriste se produit au Canada, je m'attends à ce que ses activités s'intensifient. Rien ne nous porte croire que le premier ministre a l'intention de mettre fin à ses activités. Il a du travail à faire, et je pense qu'il siégera tant que ce sera nécessaire.

Le sénateur Meighen: Pouvez-vous rapidement nous indiquer quel rôle il joue pour coordonner les nombreux organismes de cueillette de renseignements que nous avons au Canada, autant à Agriculture Canada qu'au SCRS, et nous dire si ces organismes ont une meilleure idée de leur rôle et des responsabilités qui leur sont maintenant dévolues?

M. Fadden: Ce serait malhonnête de ma part de dire que le Comité SPAT s'intéresse à tous les ministères, de celui de l'agriculture à celui qui commence par la lettre la plus près du «z». Il a limité ses activités au secteur de la sécurité et du renseignement au sens large, ce qui englobe, outre le SCRS et la GRC, l'immigration, les douanes et divers autres secteurs.

Nous avons essayé de recommander au comité des objectifs clairs pour ce qui est de ses centres d'intérêt. Il est certain que la priorité absolue va à la cueillette d'informations et à la collaboration pour la lutte contre le terrorisme.

Dans les prochains mois, ce comité ou le Comité sur la sécurité et le renseignement devra réévaluer l'importance de ces questions. Il y a toutes sortes d'autres problèmes dans le monde qu'on ne peut ignorer.

La question des armes de destruction massive en est un exemple. On entend dire régulièrement que certains groupes terroristes pourraient acquérir des armes de destruction massive. Je ne veux pas dire qu'il faut laisser tomber les autres questions importantes, mais la lutte contre le terrorisme a entraîné des changements de priorités.

Au cours des deux ou trois prochains mois, les ministres se feront proposer des priorités, qui se traduiront dans chaque ministère et organisme par des priorités opérationnelles et des tâches particulières. Mon bureau veillera au cours de l'année à ce qu'on donne vraiment suite à ce que les ministres auront décidé de faire. Je ne le dis pas de façon négative mais, dans les grandes institutions, il faut parfois du temps avant de faire bouger les choses. Dans l'année qui suit, nous allons indiquer aux ministres si les réaménagements ont été faits.

Le sénateur Cordy: J'aimerais revenir au Comité ministériel sur la sécurité publique. Quel est son rôle? Je sais qu'un certain nombre de ministres en font partie. Ce comité coordonne-t-il le travail des différents ministères qui s'occupent d'une certaine façon de sécurité?

M. Fadden: Il le fait, oui. C'est lui qui a examinél'avant-projet de loi qui est devenu le C-36. C'est lui qui a examiné le projet de loi C-42. Il s'est penché là-dessus. On l'a consulté au sujet de la répartition des nouvelles ressources. Il a participé au processus budgétaire. Il remplit un rôle général de coordination, comme vous venez de le mentionner.

Le président: C'est ce que fait le comité spécial.

M. Fadden: C'est exact.

Le président: La question était la suivante: que fait le comité chargé de la sécurité et du renseignement?

M. Fadden: Pardon?

Le président: Le comité ne se réunit-il pas une fois par année?

M. Fadden: Le comité chargé de la sécurité et durenseignement existe depuis quelques années. Il s'intéresse notamment aux ministères qui s'occupent habituellement de la sécurité et du renseignement.

Le comité intervient quand un événement public important, comme la visite du président de la France, par exemple, nous oblige à échanger avec d'autres services de sécurité et du renseignement. Il procède tous les ans à un examen systématique des priorités. C'est lui qui détermine si des changements de fond doivent être apportés aux mandats des ministères et des organismes.

Si le Comité sur la sécurité publique et l'antiterrorisme ne remplissait pas adéquatement son rôle, s'il n'existait pas, c'est l'autre comité qui interviendrait. On est en train de clarifier leurs rôles.

L'objectif premier du comité a toujours été de veiller à ce que les agences de renseignement de sécurité soient au courant des priorités du gouvernement, et d'assurer les ministres qu'elles les respectent.

Le sénateur Day: Vous avez dit qu'on est en train de clarifier les rôles du comité spécial et de l'autre comité. Est-ce que le fait que M. Manley ait été nommé à un nouveau poste va amener le comité spécial à adopter, à long terme, une approche plus coordonnée et plus cohérente à l'égard de ses activités?

M. Fadden: Honnêtement, je ne le sais pas. C'est le premier ministre qui décide. Je ne sais pas ce qu'il en pense. Je n'essaie pas d'éluder la question. Je ne le sais tout simplement pas.

Le sénateur Day: Puisque vous faites partie du BCP et que vous êtes au courant de ce qui se passe, est-ce que le BCP va faire une recommandation en ce sens au premier ministre?

M. Fadden: Je dirais que les deux sont utiles. D'aucuns soutiennent qu'il est bon que le premier ministre préside le comité une ou deux fois par année pour discuter de questions liées à la sécurité et au renseignement, puisqu'il est responsable de la sécurité de l'État. À mon avis, il serait bon que le premier ministre préside le comité, et que ce dernier s'occupe davantage des questions opérationnelles.

Je reviens à ma réponse initiale, et j'aurais dû m'en tenir à celle-ci - c'est le premier ministre qui décide, et il n'a pas pris position sur la question d'une façon ou d'une autre.

Le sénateur Day: C'est peut-être encore trop tôt.

J'ai trouvé votre exposé très utile. Vous avez parlé de votre comparution devant, je pense, le Comité permanent de la Chambre chargé du renseignement. Vous avez dit que la majorité des membres du comité venaient du sud des États-Unis, qu'ils représentaient les États du Sud, ce qui est important. Je présume que la composition de ce comité va rester la même.

Vous avez préparé des notes. J'ai fait de mon mieux pour en prendre. Pourriez-vous nous les distribuer? Vous voudrez peut- être les peaufiner. Elles nous seraient bien utiles.

M. Fadden: Monsieur le président, je peux très bien le faire. Toutefois, ce ne sont que des idées jetées sur papier. Je peux bien vous les donner, à la condition que vous compreniez bien qu'il ne s'agit pas d'un discours. Ce ne sont que des idées jetées sur papier. C'est à vous de décider si vous les voulez ou non.

Le sénateur Day: J'aimerais que vous les remettiez au président. S'il pense qu'elles nous seraient utiles, tant mieux.

Vous avez parlé des 8 milliards de dollars que M. Martin a prévus dans son dernier budget. Vous avez dit que M. Ridge était venu peu de temps après le dépôt de celui-ci et qu'il avait constaté que nous agissions conformément à notre discours. Supposons que M. Martin n'avait disposé que de 8 milliards de dollars. S'il avait consacré un ou deux milliards à la Défense nationale, M. Ridge aurait-il été aussi impressionné par la façon dont l'argent a été réparti?

M. Fadden: Je ne le sais pas. La guerre au terrorisme n'est pas une guerre traditionnelle. Si vous donnez de l'argent aux militaires, ils vont s'en servir pour acheter, comme ils le font habituellement, des véhicules blindés de transport de troupes, des chars d'assaut, et cetera. La lutte contre le terrorisme, c'est un peu comme la lutte antidrogue. Ce n'est pas le même genre de guerre, mais je ne suis pas certain que nous allons gagner la lutte contre le terrorisme en achetant des chars d'assaut plus gros et mieux équipés. Les États-Unis, compte tenu des fonds nouveaux qu'ils injectent dans ce domaine, consacrent beaucoup d'argent aux militaires, au Service des douanes, au SIN et à la Garde côtière. Tout compte fait, leurs intérêts immédiats sont sans doute mieux servis par les 7 milliards de dollars que le gouvernement a débloqués, ce qui n'aurait pas été notre cas si nous avions consacré plus d'argent non pas aux douanes, à l'immigration et à la sécurité aérienne, mais à des chars d'assaut plus gros et mieux équipés ou à notre capacité de transport aérien stratégique. J'essaie de vous donner une idée de la façon dont ils perçoivent les choses. Vous pourriez poser la question à M. Ridge quand vous serez à Washington.

Le sénateur Day: Le comité a reçu de nombreux mémoires de diverses sources qui laissaient entendre que les forces armées manquent sérieusement de fonds. Le rôle qu'on leur demande de remplir en Afghanistan sape dangereusement nos effectifs militaires, compte tenu du financement dont ils disposent.

M. Fadden: Il revient au gouvernement de décider s'il veut ou non accroître les effectifs militaires et mieux les équiper. Je peux vous dire, vu le rôle que je joue dans ce dossier, que le fait d'avoir un plus grand nombre de sous-marins ne nous aidera pas dans notre lutte. Ni le fait d'avoir un plus grand nombre de chasseurs. Cette guerre est différente. Je ne peux pas vous dire s'il est souhaitable ou non d'accroître les effectifs militaires. Toutefois, nous avons besoin d'outils différents.

Le sénateur Day: Je comprends.

M. Fadden: Je ne conteste pas ce que vous dites.

Le sénateur Atkins: Il est question ici non seulement d'équipement, mais également d'effectifs. Le Canada a beaucoup d'engagements à remplir à l'échelle internationale. Le comité a constaté que le remplacement du personnel finit par taxer les effectifs. Or, si nous ne savons pas quelles sont les stratégies de sortie - et de fait nous ne le savons pas - nous allons avoir de sérieux problèmes.

M. Fadden: Je comprends ce que vous dites, sénateur. Les dépenses d'immobilisations représentent habituellement le gros des dépenses militaires. Voilà pourquoi j'ai insisté là-dessus.

Le sénateur Atkins: Je pense que c'est plutôt le personnel.

Le sénateur Day: Nous sommes en train de parler de la répartition des dépenses.

Vous avez dit que l'information est partagée par défaut. Est-elle partagée entre agences, c'est-à-dire entre l'ADRC et le Service américain des douanes, entre Citoyenneté et Immigration Canada et le SIN, entre les militaires canadiens et les militaires américains? Est-ce ainsi que l'information est partagée?

M. Fadden: C'est ce qu'on faisait avant le 11 septembre, et j'espère qu'on le fait encore plus maintenant. On assiste àun plus grand partage de données au Canada, mais aussiavec les États-Unis. Autrement dit, le douanier à la frontière canado-américaine a maintenant accès à des données qui proviennent de la GRC, du SCRS, du ministère de l'Immigration et aussi de son ministère. Le partage des données se fait de façon plus cohérente. Nous partageons également avec les États-Unis les résultats des évaluations que nous effectuons de diverses questions liées au renseignement.

Le sénateur Day: Qui rassemble tous ces renseignements, procède à l'analyse et partage ce genre de données aseptisées ainsi que les données brutes?

M. Fadden: Une fois de plus, cela se fait ministère par ministère. Les ministères partagent leurs renseignementsopérationnels et tous, dans une plus ou moindre mesure, évaluent les renseignements. Quant à la coordination, c'est le Secrétariat de l'évaluation du renseignement du Bureau du Conseil privé de concert avec un organisme américain qui s'en occupe.

Le sénateur Day: Votre service fait-il partie du secrétariat de M. Manley?

M. Fadden: Parce qu'il effectue des évaluations, il jouit d'une certaine indépendance. Le comité de M. Manley est appuyé par le Bureau du Conseil privé. Ce n'est pas son secrétariat mais celui du premier ministre. Le volet évaluation est séparé parce que nous essayons que le secrétariat soit dégagé de toute intervention en matière de politique afin de fournir des évaluations objectives des renseignements qu'il détient.

Le sénateur Day: Le nouveau rôle confié à M. Manley continuera-t-il d'être appuyé par le Bureau du Conseil privé et par ce secrétariat au sein du Bureau du Conseil privé ou créera-t-il son propre secrétariat?

M. Fadden: Oui, c'est ce que je crois comprendre.

Le président: Lorsque vous avez comparu devant nous la dernière fois, vous avez dit que 55 personnes relèvent de votre service et que seulement 23 d'entre eux coordonnent les renseignements.

M. Fadden: Oui.

Le président: De la façon dont je vois la chose on peut presque parler d'un standard qui sert à relier un organisme à un autre. Vous dites aussi que 23 personnes font des évaluations.

M. Fadden: Ils procèdent à une évaluation et rédigent des évaluations. Ils ont accès à la plupart des renseignements mis à la disposition du gouvernement et fournissent diverses évaluations. Pour ce faire, ils convoquent des représentants de différents services du Bureau du Conseil privé et leurs disent: «Nous croyons avoir besoin d'une évaluation sur «X.» Vous prenez la direction. Vous rédigez le document et nous l'examinerons ensemble.» Ils produisent les évaluations de deux manières différentes.

Le président: J'ai toujours l'impression que 23 personnes c'est bien peu pour une telle tâche.

M. Fadden: Ce n'est pas beaucoup. Au plus fort de la crise, pour les raisons que nous savons tous, ils ont concentré presque tous leurs efforts à la lutte contre le terrorisme. Les choses se calment ailleurs dans le monde. Vous avez raison, nous n'avons pas trop de personnel.

Le sénateur Atkins: Combien de ministres siègent au sein de ce comité spécial?

M. Fadden: Cela vient tout juste de changer. Je crois qu'il y en a 11.

Le sénateur Atkins: Autant.

M. Fadden: Oui.

Le sénateur Atkins: Je suppose que le ministre Graham en fait partie.

M. Fadden: Oui.

Le sénateur Atkins: A-t-on défini clairement lesresponsabilités de M. Manley et le rôle du ministre Graham?

M. Fadden: Le rôle traditionnel du ministre des Affaires étrangères sera respecté; aucun changement n'est prévu.Cependant, je crois comprendre que des discussions ont cours afin d'essayer de préciser tout cela. Je n'essaie pas d'éviter de répondre à la question; je ne crois tout simplement pas que nous en sommes là.

Le sénateur Atkins: Il s'agit toutefois d'une nouvelle situation.

M. Fadden: C'est exact. Des gens y travaillent, sénateur.

Sénateur Atkins: Je pense que le ministre des Affaires étrangères aurait un intérêt important.

M. Fadden: Tout à fait. C'est la raison pour laquelle M. Manley en a fait partie au départ, tant en tant que ministre des Affaires étrangères et président.

Le sénateur Atkins: Nous avons adopté le projet deloi C-44 qui consistait presqu'en une demande des Américains de respecter une certaine date en janvier et nous l'avons fait. Nous avons signé la déclaration sur la frontière efficaceCanada-États-Unis. D'après vous, les États-Unis auraient-ils d'autres demandes que nous estimons devoir satisfaire?

M. Fadden: Dans l'accord signé par M. Ridge et M. Manley, nous saisissons à tout le moins leur logique. Je ne crois pas que cela représente la fin de leurs exigences ou celle des nôtres, mais si vous lisez l'accord signé entre M. Manley, ancien ministre de l'Industrie, M. Tom Ridge, qui était alors gouverneur de la Pennsylvanie, vous aurez une bonne idée d'où elles viennent pour l'instant.

Le sénateur Atkins: Est-ce que vous et le Bureau duConseil privé vous inquiétez de l'équilibre à maintenir entre la souveraineté canadienne et la mesure dans laquelle nousrépondons aux besoins des Américains?

M. Fadden: Je ne crois pas. Ce qui nous rassure entre autres c'est que, tout comme eux, nous avons des problèmes en matière de sécurité et nous découvrons souvent que nous pouvons moins inquiéter de la sécurité des deux pays d'une manière acceptable aux deux parties.

Il incombe aux ministres de décider où se situe l'équilibre ultime. En ce qui concerne la création d'installations frontalières conjointes, d'aucuns ont laissé entendre au Canada que nous abandonnions ainsi notre souveraineté. Nous avions quelques installations frontalières communes à la frontière de l'Alaska et nous en sommes venus à la conclusion qu'elles sont efficaces et nous font épargner de l'argent. Cela dépend de la façon dont on voit les choses.

Vous avez parlé du projet de loi C-44. Les États-Unis nous ont simplement dit, à nous et à un certain nombre d'autres pays du monde, que si nous voulions que nos avions puissent atterrir aux États-Unis, il nous fallait communiquer certains renseignements. Si nous ne voulions pas que nos avions atterrissent aux États-Unis, nous n'avions pas à leur communiquer ces renseigne ments, ce que je sais revient à exiger les renseignements. Le fait est quecertains pays ne les communiqueront probablement pas. Les renseignements qu'ils demandent sont ceux que nous sommes aussi intéressés à avoir pour les vols à destination du Canada. Une fois de plus, je crois qu'une bonne partie dépend de la présentation. Cela vaut au moins la peine d'y réfléchir.

Le sénateur Atkins: Avons-nous demandé le même privilège, à savoir de recevoir des manifestes?

M. Fadden: C'est une possibilité. Ils sont disposés à mettre à notre disposition tous les renseignements qu'ils cherchent à obtenir de nous. Je crois comprendre, même si je n'en suis pas certain, que nous en utiliserons une large partie. Par exemple, en ce qui a trait au programme visant à fournir des agents armés à bord des aéronefs au Canada, plus ils auront de renseignements sur les passagers de chaque vol, mieux ils seront en mesure de déterminer le nombre de policiers de bord dont ils ont besoin et dans quels avions ils embarqueront. Les renseignements seront utilisés, sénateur.

Le sénateur Atkins: Ma dernière question porte sur la sécurité du continent en général. A-t-il été question dans le cadre de discussions d'examiner cette question dans un contexte plus large?

M. Fadden: Comme cette question déborde du cadre de mes compétences, je ne peux y répondre.

Le sénateur Banks: Monsieur Fadden, si j'ai bonne mémoire, la dernière fois que nous vous avons reçu les événementsdu 11 septembre nous hantaient encore beaucoup et le calme n'est toujours pas revenu. Vous disiez que ces 26 personnes qui ont participé à l'analyse des renseignements ne pourraient pas tenir le coup et que vous ne pourriez maintenir le rythme encore bien longtemps. Est-ce que les choses se sont calmées au point où la pression est tombée? Avec le nouveau régime en place, la situation est-elle qu'il vous faut tout simplement plus de monde?

M. Fadden: Je devrais dire que la pression est moins forte. Je pense vous avoir dit la dernière fois qu'une partie de la pression était due au noir total qui nous entourait et qu'il nous fallait alors faire preuve de beaucoup de vigilance. Depuis lors, tant nous que nos alliés avons une bien meilleure idée de ce qui pourrait ou ne pourrait pas arriver. Le niveau d'activités est donc plus élevé qu'avant le 11 septembre. Cependant, la pression a un peu diminué.

Diverses mesures prévues au budget faciliteront la tâche aux ministères et organismes et leur permettront de mieux travailler. La situation est loin d'être aussi critique qu'en novembre et décembre mais, pour diverses raisons, la tâche est plus lourde qu'avant le 11 septembre.

Le sénateur Banks: Les nouveaux crédits prévus au budget vous permettront-ils d'embaucher du personnel?

M. Fadden: Comme vous le savez, sénateur, l'attribution réelle de ces fonds est un art en soi. J'ai très bon espoir.

Le sénateur Banks: J'avoue que c'est à tout le moins un artisanat. Après cela, nous avons adopté - avec une hâte intempestive, d'après certains -, des lois qui ont facilité et, dans certains cas, rendu possible entre divers volets du gouvernement le partage d'informations qui ne pouvaient être partagées avant. Je suppose que cela est entré en vigueur. Avez-vous trouvé ces changements utiles?

M. Fadden: Je le pense, quoique dans la plupart des cas,cela commence à peine. Si vous vous souvenez, le projet deloi C-36 prévoyait un pouvoir additionnel pour permettre à FinTRAC, l'organisme chargé de s'attaquer au recyclage des produits de la criminalité, de partager de l'information. Cela commence à peine. Le message général qui a été transmis est que le partage d'information à des fins spécifiques dans la lutte contre le terrorisme est une bonne chose. Nous demeurons préoccupés de l'intégrité des renseignements personnels dans tout cela, tout comme le commissaire à la protection de la vie privée, mais nous avons constaté une plus grande ouverture, et nous espérons que cela ira en s'améliorant.

Si je vous réponds de façon générale, c'est que je ne me rappelle pas des dispositions détaillées, et je m'en excuse. Cela dit, je pense que le message général livré par le Parlement était bon.

Le sénateur Banks: Lorsque des représentants du SIN aux États-Unis ont comparu devant des comités du Congrès, ils ont dit qu'il y avait, à ce moment-là, des renseignements existants dans la myriade des services de renseignements américains. S'ils avaient été en mesure d'avoir accès à ces renseignements, ils n'auraient pas délivré de visas à une partie sinon à la totalité des personnes qui étaient aux commandes de ces avions. Nous savons maintenant certaines de ces choses, et nous étions dans la même position.

Vous nous avez aidés en nous fournissant des renseignements valables, et vous avez confirmé à nouveau la perception des Canadiens quant à l'ignorance de nos bons amis et voisins à notre sujet.

Le sénateur Atkins: Nous pourrions nous asseoir eten discuter et les Américains pourraient affirmer qu'ilsdépensent 10 $ et je pourrais dire que les Canadiens endépensent 1 $. Fondamentalement, il existe une différence de taille entre nos populations et nos économies, de sorte qu'il est tout à fait normal que nous dépensions moins en termes de dollars. On pourrait comprendre que quelqu'un qui ignorerait cette réalité dise: «Voilà la frontière. Je dépense 10 $ de mon côté et vous me dites, en bombant le torse que vous dépensez 1 $ de votre côté.» Je ne suis pas certain que notre contributionreprésente 10 p. 100 de celle des Américains, mais dans les deux cas, celui de la population et de l'économie, lorsqu'on fait des comparaisons, on dit toujours que nous atteignonsenviron 10 p. 100 des États-Unis. Nous ne dépensonspas 10 p. 100 de leur budget pour les forces armées ou la sécurité dans son ensemble. Je soupçonne que les Américains ne s'intéressent pas vraiment à des nuances comme notre capacité et notre produit national brut. Pouvez-vous nous donner des conseils en ce qui concerne une position qui, dans les circonstances, devient plus ou moins défensive?

M. Fadden: En dernière analyse, les pourcentages sont très intéressants, mais c'est au fruit qu'on juge l'arbre.

Je n'ai pas de statistiques détaillées, mais en général, il y a trois fois plus de douaniers de notre côté de la frontière que du côté américain. Ces derniers peuvent bien nous reprocher autant qu'ils veulent de ne pas nous occuper de notre côté, mais le fait est que nous y consacrons le triple des effectifs. Nous avons élaboré avec eux un modèle pour patrouiller l'espace entre les bureaux de douanes et ils estiment qu'il est tellement bon qu'ils veulent l'appliquer tout au long de la frontière. Nous avons prévu dans le budget un autre 10 ou à peu près pour ce dossier.

Encore une fois, ce n'est pas tellement le nombre d'hélicoptè res Black Hawk qui survolent le Manitoba qui compte; l'important, c'est plutôt de recueillir les bons renseignements au bon endroit et au bon moment. Dans une certaine mesure, cela veut dire avoir la possibilité de prendre des empreintes à la frontière ou d'avoir un lecteur d'empreintes rétiniennes pour pouvoir faire des vérifications dans les banques de données. Mais à mon avis, on n'a pas besoin de 75 millions de dollars pour faire cela. On a besoin d'un peu d'argent mais surtout de la volonté de faire en sorte que l'information est en réseau et de la partager.

D'aucuns font valoir que dans certains cas, moins c'est mieux. Un excès de ressources crée exactement le genre de problèmes que vous avez évoqués il y a quelques instants: une multiplication d'agences tellement imposantes qu'il devient difficile d'organiser des opérations.

J'en veux pour preuve le fait qu'au fil des ans, on a toujours considéré la sécurité du transport aérien au Canada meilleure qu'aux États-Unis. À la frontière, nous avons un plus grand nombre de douaniers per capita que les Américains. Nous avons adopté depuis les attentats un grand nombre de mesures en collaboration avec eux, et si nous fondons toutes nos activités sur de bons renseignements, nous n'avons pas besoin d'un milliard ou d'un billion de dollars.

Pour répondre directement à la question du président, j'ai l'impression qu'ils commencent à accepter l'idée qu'il est préférable d'avoir des ressources moindres mais ciblées plutôt que de dépenser beaucoup d'argent sur tout. C'est une réponse incomplète, ce dont je m'excuse, mais c'est le mieux que je peux faire.

Le sénateur Banks: C'était une question générale, et vous nous avez fourni certaines réponses précises. Je sais qu'il y a des choses que nous faisons aussi bien, sinon mieux que les Américains sur le plan du renseignement et des opérations à la frontière et que l'aspect financier n'est pas toujours primordial. Cependant, vous avez fait allusion tout à l'heure à des problèmes concernant l'application de concepts et d'outils. À cet égard, sans être précis, pouvez-vous nous dire si nous sommes dans le peloton de tête? Faisons-nous des propositions? Allons-nous danscertaines directions et attendons-nous que nos interlocuteurs nous rattrapent à certains égards ou est-ce le contraire?

M. Fadden: Je pense que nous sommes bien positionnés, sénateur. Je suis désolé de n'être pas plus précis. Dans certains domaines, nous sommes en avance, et de loin, alors que dans d'autres, ce n'est nettement pas le cas. La même chose vaut pour nos collègues. Nous espérons que grâce à l'accord Manley-Ridge, en travaillant de concert sur des plans détaillés pour intervenir dans toute la gamme des activités, nous aurons atteint, d'ici le milieu de l'été, un niveau qui nous permettra de nous sentir plus à l'aise qu'avant. J'estime par ailleurs que cet exercice nous permet de nous connaître mieux les uns les autres. Dans de nombreux cas, étant donné que nous faisons les choses quelque peudifféremment, les Américains supposent que nous ne les faisons pas aussi bien, et je soupçonne que cette perception a aussi cours du côté canadien. Or, ce n'est pas nécessairement le cas. C'est simplement que nous faisons les choses différemment.

Le sénateur Banks: Je savais lorsque j'ai posé ma question que vous ne pourriez pas être précis. Si d'ici notre départ, vous pouviez nous communiquer davantage d'information à cet égard, même en termes très généraux, cela nous serait des plus utile.

M. Fadden: Je vais essayer.

Le sénateur Banks: Ma dernière question porte sur votre champ de compétence spécifique, monsieur Fadden.Immédiatement après la Seconde Guerre mondiale, il y a un domaine de l'espionnage du renseignement international où le Canada s'est distingué et s'est acquis la réputation de joueur dominant. Ce n'était pas dans la collecte de renseignements de sécurité, mais plutôt dans le traitement et l'analyse de ces renseignements. Or, nous avons quelque peu laissé aller cette capacité. Étant donné que nous ne sommes vraisemblablement pas en mesure de monter des opérations de collecte de renseignements à l'étranger comparables à celles de la CIA, ne pourrions-nous pas nous attacher à l'analyse des renseignements de sécurité de façon à être plus efficaces et plus utiles dans le contexte de la coopération? Ne serait-ce pas une bonne idée de s'orienter dans cette direction?

M. Fadden: C'est une question difficile car d'après ce que je sais du monde de la sécurité et du renseignement, on est tenu de faire sa part dans chaque module ou sous-module. En supposant que nous en arrivions à exceller dans le domaine de l'évaluation, cela serait apprécié et nos amis partageraient sans doute avec nous davantage de renseignements qu'ils ne le font maintenant. Cependant, une fois cela acquis, ils voudraient savoir ce que nous faisons dans le domaine de la collecte.

Il est difficile de développer une spécialité absolue et de ne pas toucher un peu à tout. À titre strictement personnel, j'estime que nous devrions faire davantage d'évaluation et d'analyse car il y a un déséquilibre entre les ressources consacrées à la collecte et à l'analyse. Cependant, c'est l'une des questions sur lesquelles les ministres devront se pencher d'ici peu.

Le sénateur Banks: Comme vous l'avez dit, même si nous cessions de recueillir des renseignements que nous redevenions des as du traitement de l'information, nous constaterions sans doute qu'il y aurait davantage de partage. Nous serions peut-être davantage les bienvenus à la table.

M. Fadden: Nous serions davantage bienvenus en général, mais nous serions particulièrement bien accueillis à la table de l'évaluation. Ce que j'essaie de vous faire comprendre, c'est que dans le monde du renseignement, le travail a tendance à être cloisonné. Les professionnels du domaine souhaitent que vous fassiez de l'évaluation et que vous travailliez sur un certain type de renseignement et dans la mesure où vous faites un peu de ceci ou de cela, les portes vont s'ouvrir davantage. Cependant, si vous vous limitez à faire de l'évaluation de pointe, les autres portes ne vont pas s'ouvrir aussi facilement que vous le croiriez en raison de ce cloisonnement entre les intervenants.

Le président: Monsieur Fadden et monsieur Giasson, je vous remercie d'avoir comparu aujourd'hui devant le comité.

La séance est levée.


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