Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles
Fascicule 31 - Témoignages du 4 juin 2002
OTTAWA, le mardi 4 juin 2002
Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, à qui ont été renvoyés le projet de loi C-10 concernant les aires marines nationales de conservation du Canada et le projet de loi C-27 concernant la gestion à long terme des déchets de combustible nucléaire, se réunit aujourd'hui à 17 h 33 pour étudier les projets de loi.
Le sénateur Nicholas W. Taylor (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, nous allons maintenant poursuivre l'étude du projet de loi C-10 concernant les aires marines nationales de conservation du Canada. Nous avons entrepris l'examen de ce projet de loi depuis un certain temps et avons entendu de nombreux témoins. Nous avons plus ou moins réglé les problèmes relatifs à l'aspect maritime du projet de loi, même si nous avons reçu aujourd'hui quelques demandes tardives venant de personnes vivant dans les îles de la côte Ouest, qui souhaitent comparaître. Toutefois, nous avons déjà abordé cette question au cours de la vidéoconférence tenue avec certains témoins de la Colombie-Britannique.
Il y a une question que nous n'avons pas fini de discuter: c'est la disposition de non-dérogation concernant les droits des Autochtones. Nous avons donc demandé à M. Pryce et M. Pentney de revenir nous voir aujourd'hui. Ils étaient ici à notre dernière séance, mais ont dû interrompre leur exposé quelques minutes après avoir commencé à cause d'un problème dans le programme du comité.
Pouvez-vous nous en dire davantage sur la situation aujourd'hui? Le seul autre membre du comité qui ait des questions à ce sujet est le sénateur Sibbeston.
M. William F. Pentney, chef adjoint, Portefeuille des affaires autochtones, ministère de la Justice: Monsieur le président, nous n'avons pas d'exposé préliminaire à présenter. La transcription de notre discussion précédente avec vous contient un aperçu des explications. Je serais donc heureux de répondre aux questions, avec la permission de la présidence.
Le sénateur Sibbeston: Monsieur le président, je voudrais commencer par une déclaration, que je ferai suivre par une solution possible. Comme vous le savez, lors de notre dernière séance, nous avons présenté une lettre du ministre de la Justice indiquant qu'il est disposé à examiner l'affaire et à essayer d'en arriver à une solution. Cela m'a amené à supposer que les fonctionnaires du ministère de la Justice engageront une discussion avec ceux d'entre nous qui s'intéressent à la question.
J'aimerais préparer le terrain pour quelque chose qui, je l'espère, réglera le problème. Les fonctionnaires ont dit que les modifications apportées au libellé de la disposition de non-dérogation résultent de changements de la loi découlant de décisions comme l'arrêt de 1990 de la Cour suprême dans l'affaire Sparrow. À l'examen du nouveau libellé, on n'a pas l'impression, même si les modifications sont légères, que le changement apporté correspond à ce que disent les fonctionnaires. L'ancienne disposition standard de non-dérogation était simple et efficace. Elle avait été placée dans les mesures législatives après l'adoption de la nouvelle Constitution en 1982.
La Loi sur les armes à feu, la Loi sur l'autonomie gouvernementale de la bande indienne sechelte, la Loi fédérale sur les hydrocarbures, la Loi sur les espèces sauvages du Canada, la Loi de mise en œuvre de l'Accord atlantique Canada- Terre-Neuve et la Loi de mise en œuvre de l'Accord Canada-Nouvelle-Écosse sur les hydrocarbures extracôtiers contiennent toutes le libellé de l'ancienne disposition de non-dérogation. Il s'agit d'une disposition simple qui n'occupe que deux lignes. Elle dit: «Il demeure entendu que la présente loi ne porte pas atteinte aux droits — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada [...]» C'est un énoncé clair et simple qui semblait être considéré comme satisfaisant par le gouvernement jusqu'en 1998.
Depuis 1998, il y a des libellés différents ou nouveaux. On en trouve un, par exemple, au paragraphe 2(2) du projet de loi dont nous sommes saisis, qui prévoit notamment: «Il est entendu que la présente loi ne porte pas atteinte à la protection des droits existants - ancestraux ou issus de traités - des peuples autochtones du Canada découlant de leur reconnaissance et de leur confirmation [...]»
«[...] découlant de leur reconnaissance et de la confirmation [...]» C'est le nouveau libellé dont je parle et que le gouvernement utilise depuis quelques années. À mon avis, il ne fait qu'occasionner de la confusion et pourrait amener les tribunaux à donner des interprétations différentes. Nous sommes donc inquiets.
En 1999, l'Entente-cadre sur l'union sociale signée par le Canada, les provinces et les territoires est revenue au libellé simple semblable à celui qu'on trouve à l'article 25 de la Charte.
À mon avis, les modifications du libellé peuvent semer beaucoup de confusion. Les peuples autochtones sont inquiets du fait qu'une disposition figurant dans les lois fédérales — placée là pour signaler et rappeler que les droits des Autochtones ne peuvent pas être abrogés — peut maintenant servir de signal aux tribunaux. Ce changement de forme est censé refléter le changement de la loi. Je m'inquiète parce que ce qui a servi de rappel et même de bouclier peut maintenant être considéré comme une porte ouverte, comme un encouragement aux tribunaux, les invitant à commencer à empiéter sur les droits des Autochtones.
Je crois donc que le ministère de la Justice a rédigé la disposition de non-dérogation de façon à servir ses propres intérêts judiciaires. Je veux rappeler au comité et aux fonctionnaires que la Cour suprême du Canada a fait un certain nombre de déclarations concernant les droits des Autochtones, notamment dans l'arrêt Sparrow. J'ai eu l'occasion, durant le week-end, de lire cet arrêt. Il contient quelques affirmations assez énergiques de la Cour, rappelant aux Canadiens que les droits des Autochtones doivent être respectés. On y trouve, par exemple, le passage suivant:
Notre histoire démontre, trop bien malheureusement, que les peuples autochtones du Canada ont raison de s'inquiéter au sujet d'objectifs gouvernementaux qui, bien que neutres en apparence, menacent en réalité l'existence de certains de leurs droits et intérêts.
Le texte se poursuit ainsi: «Il y a lieu d'interpréter le par. 35(1) en fonction de l'objet qu'il vise.» On trouve également: «Une interprétation généreuse et libérale s'impose [...]». Le jugement reprend une assertion faite par la Cour dans une affaire antérieure: «[...] il y va toujours de l'honneur de la Couronne et aucune apparence de ``manœuvres malhonnêtes'' ne doit être tolérée.» La Cour nous dit d'être généreux et que les droits des Autochtones sont réels. Elle ajoute: «[...] le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 représente l'aboutissement d'une bataille longue et difficile à la fois dans l'arène politique et devant les tribunaux pour la reconnaissance de droits ancestraux.»
Tandis que la Cour dit que nous devons interpréter les droits des Autochtones avec générosité, j'ai l'impression que le gouvernement tente, dans les projets de loi qu'il dépose, d'entraver ou de limiter ces droits. Je ne crois pas qu'il appartienne au Parlement ou à une assemblée législative de faire cela. Laissons les tribunaux faire leur travail et interpréter les lois à leur guise. Nous ne devons pas cependant laisser le ministère de la Justice réduire les droits ancestraux en ajoutant de petites dispositions dans les nouvelles lois. Je constate cette tendance, et cela me dérange.
Je crois qu'il y a des solutions. J'en mentionnerai quatre. Premièrement, nous pourrions revenir à l'ancienne disposition de non-dérogation, qui est simple et efficace. Deuxièmement, le gouvernement pourrait faire adopter un projet de loi reconnaissant les droits ancestraux et issus de traités des peuples autochtones, qui s'appliquerait à toutes les lois fédérales.
Nous avons examiné la question. J'ai préparé un projet de loi mettant en œuvre une déclaration des droits autochtones, que j'envisageais de déposer au Sénat à un moment donné si cette question n'est pas réglée. L'adoption d'un tel projet de loi éviterait d'avoir à inclure dans chaque mesure législative une disposition de non-dérogation. Ce n'est qu'une proposition. Je suis prêt à la présenter aux sénateurs pour examen.
Le président: Êtes-vous satisfait de la lettre que le ministre de la Justice vous a envoyée et que nous avons fait circuler?
Le sénateur Sibbeston: Oui. La lettre du ministre est encourageante. Elle règle le problème pour le moment sans que nous ayons à modifier le projet de loi. Nous sommes satisfaits. Nous prenons au sérieux l'engagement du ministre à examiner la question des dispositions de non-dérogation.
La troisième solution consisterait à insérer une disposition dans la Loi d'interprétation qui assurerait la clarté et la certitude de la reconnaissance par le gouvernement des droits des Autochtones. Il est intéressant de noter que l'Assemblée législative de la Saskatchewan a ainsi modifié sa Loi d'interprétation. J'ai un exemplaire de cette Loi, s'il y a des membres du comité qui souhaitent la voir.
La dernière solution nécessiterait une vérification des droits des Autochtones. La Loi sur le ministère de la Justice et la Loi sur les textes réglementaires comportent des dispositions que le ministre de la Justice et, dans le cas de la réglementation, le greffier du Conseil privé peuvent invoquer pour examiner toutes les lois et tous les règlements afin de déterminer s'ils comportent des incompatibilités avec la Charte. Une telle vérification permettrait au ministre des Affaires indiennes ou à un autre membre du gouvernement de revoir toutes les lois qui sont déposées afin de déterminer si elles empiètent sur les droits des Autochtones.
Il y a donc quatre solutions possibles. J'espère que j'aurai l'occasion de travailler avec le ministre de la Justice et ses collaborateurs dans les prochains mois. J'espère que nous aurons discuté et réglé ce problème d'ici l'automne, parce qu'il s'agit d'une question sérieuse. Si elle n'est pas réglée, nous la soulèverons chaque fois que nous examinerons un projet de loi contenant une telle disposition. C'est une procédure lourde qui peut retarder l'adoption de certaines mesures législatives. S'il était possible de convenir d'une solution avec le ministre de la Justice, notre travail en serait simplifié.
Le président: Avez-vous quelque chose à ajouter à cela, sénateur Watt, avant que je demande aux témoins s'ils ont des commentaires?
Le sénateur Watt: Le sénateur Sibbeston a couvert tous les aspects de la question. Il a terminé par le processus de vérification. Ce processus permettrait de s'assurer que l'engagement du gouvernement demeure toujours aussi ferme, parce que nous constatons à l'occasion que ce n'est pas le cas. Il importe de souligner que ce serait une bonne chose de pouvoir procéder à une vérification de ce qui se passe en réalité. Comme vous le savez, les relations entre les deux groupes ne sont pas toujours très bonnes. Cette initiative pourrait peut-être préparer la voie à des relations plus positives pour que nous puissions faire progresser l'idée de partenariat.
Je suis satisfait de l'explication donnée par le ministère de la Justice, même si je ne suis pas nécessairement d'accord avec tout ce qui a été dit. Toutefois, je crois que nous en sommes au point où nous devons prendre des décisions.
Nous envoyons une lettre au ministre de la Justice, dont j'ai l'intention de déposer une copie aujourd'hui pour qu'elle fasse partie de notre compte rendu. La lettre contient huit questions auxquelles le ministère de la Justice doit répondre. Je peux les passer en revue rapidement, si vous le souhaitez, mais ce n'est pas vraiment nécessaire parce que les membres du comité recevront une copie de cette lettre.
Le sénateur Christensen: Est-ce que cela est en rapport avec les projets de loi dont nous sommes saisis ou avec ce que vient de dire le sénateur Sibbeston?
Le sénateur Watt: La lettre se rapporte aux points que le sénateur Sibbeston a soulevés.
Le sénateur Spivak: Il vaudrait mieux que nous ayons en main le texte de cette lettre.
Le président: Je ne veux pas avoir deux réunions en même temps.
Le sénateur Sibbeston souhaitait l'annexer à notre compte rendu, mais je suppose qu'il votera en faveur du projet de loi. Toutefois, il voulait dire à ceux qui s'intéressent à la disposition de non-dérogation que d'autres événements sont en train de se produire. Comme l'un de nos anciens premiers ministres l'a dit: «Les choses se déroulent comme elles doivent.»
Le sénateur Watt: Les sénateurs autochtones se sont réunis pour trouver une solution dans le cas du projet de loi à l'étude.
Le président: Cela me semble tellement compliqué que je ne suis pas sûr de vouloir en discuter maintenant.
Le sénateur Watt: Pour ne pas retarder le projet de loi et puisque vous disposez d'une copie de la lettre, je ne crois pas qu'il soit nécessaire pour moi de passer en revue ces huit points. Comme le ministre s'est engagé fermement à réexaminer cette question au cours de l'automne, les sénateurs autochtones ont décidé de ne pas retarder le projet de loi.
Le sénateur Christensen: A-t-on l'intention de déposer un projet de loi omnibus destiné à modifier le libellé?
Le sénateur Watt: Cela dépendra de la forme que prendra la solution. Je ne sais pas si ce sera une mesure législative s'appliquant à toutes les lois ou si on modifiera plutôt chaque loi séparément.
Le président: Sénateur Christensen, nous aurons besoin d'avoir un ou deux autres entretiens avec le ministre. Le ministre a écrit pour dire qu'il était disposé à rouvrir le dossier.
En ce qui concerne la discussion que nous avons eue, les témoins ont parfaitement le droit de dire qu'ils n'ont pas de commentaires. La disposition de non-dérogation sera acceptée telle quelle. Parfois, il vaut mieux ne rien dire. Bien sûr, je n'essaie pas du tout de vous influencer.
Cela me rappelle une amie du temps où les femmes achetaient des perruques, il y a trente ou quarante ans. Elle était propriétaire d'un magasin de perruques. Un jour, une dame s'est présentée et en a acheté une chère, pour environ 200 $. Pendant qu'elle payait la perruque, la vendeuse, croyant lui faire plaisir, lui a dit: «Votre mari l'adorera.» La dame a répondu: «Mon mari va me tuer.» Finalement, la vente ne s'est pas faite. La leçon à tirer de cette histoire, c'est qu'une fois qu'on a vendu une chose, il vaut mieux se taire.
Vous avez déjà vendu la disposition qui se trouve dans le projet de loi. Avez-vous d'autres commentaires?
M. Pentney: Votre conseil est sage. Je vais donc me limiter à dire que le ministre a écrit une lettre pour dire qu'il est disposé à examiner la question et qu'il se réjouit de connaître le point de vue des sénateurs. Nous nous attendons à une discussion fructueuse.
Le président: Je vous remercie du renseignement. Je regrette que vous soyez revenu au comité pour à peine trente secondes, mais ce sont probablement les trente secondes les plus réussies que vous ayez eues ce dernier mois.
M. Pentney: C'était un honneur de comparaître.
Le sénateur Watt: Nous aimerions avoir l'assurance des membres du comité qu'ils nous donneront leur appui lorsque nous rouvrirons ce dossier.
Le président: Nous ne vous appuierons peut-être pas pour ce que vous voulez, mais nous vous appuierons dans...
Le sénateur Watt: Êtes-vous déjà en train de changer d'avis?
Le président: Je ne sais pas ce que vous vous proposez de faire, mais nous vous appuierons sûrement quand il s'agira de rouvrir le dossier et de le faire progresser.
Le sénateur Sibbeston: Un comité consultatif ministériel conjoint a conseillé M. Nault au sujet du projet de loi sur la gouvernance des Premières nations. Apparemment, le comité a recommandé de revenir au libellé d'avant 1996 basé sur l'article 25. Par conséquent, nous ne sommes pas les seuls à exprimer cette préoccupation. Il y en a d'autres qui ont examiné la question et qui sont du même avis.
Le sénateur Watt: Autrement, il y aura beaucoup de difficultés.
Le président: Nous avons reçu aujourd'hui des lettres des sénateurs Carney et Comeau. Je crois que le sénateur Spivak souhaitait que cela figure à l'ordre du jour. Je dirai donc, pour le compte rendu, que nous avons commencé à débattre ce projet de loi le 7 mars au Sénat. Le débat à la Chambre des communes a duré quatre à six mois avant cette date.
Après avoir reçu le projet de loi le 8 mars, nous l'avons distribué aussi largement que possible. Nous avons reçu au total onze demandes, dix de la côte de la Colombie-Britannique et une d'un groupe autochtone. La personne représentant la Commission des pêches autochtones de la Colombie-Britannique est venue à Ottawa. Nous ne savions pas comment procéder pour répondre. Nous avons donc organisé une vidéoconférence à laquelle huit organisations ont participé.
J'essaie en fait d'expliquer que rien n'indique que ce que ces gens ont à nous dire n'a pas déjà été dit. Ils ont simplement mentionné qu'ils souhaitaient exprimer leur point de vue, en qualité de représentants d'une collectivité côtière de la Colombie-Britannique. Je tenais à ce que vous le sachiez. Je suis prêt à affronter les reproches du sénateur Carney à mon retour.
Le sénateur Spivak: Il s'agit des îles Gulf. Avons-nous entendu des représentants de ces îles?
Le président: Non, nous avons reçu des représentants des îles Reine-Charlotte et du nord de l'île de Vancouver.
Le sénateur Spivak: J'aimerais peut-être vous faire part des préoccupations du sénateur Carney. Elle a dit que des gens sont inquiets et qu'elle est alarmée du fait que nous n'ayons pas entendu des représentants des îles Gulf du sud: cette région fait partie de l'Héritage patrimonial marin du Pacifique et on envisage d'y désigner une aire marine de conservation. Elle croit qu'il est impératif pour nous d'entendre des représentants des îles Gulf.
Le président: Je vous remercie de nous avoir transmis ce message. J'ai pris bonne note de son argument. Il y a environ 1 500 îles entre Puget Sound et le détroit de Juan de Fuca. Bien sûr, chaque personne s'imagine que son île est plus importante que les autres. Nous avons écouté dix représentants des îles ainsi que les Autochtones de la région. Ils semblaient tous être d'accord sur cette approche.
Le sénateur Spivak: Le comité est-il d'avis qu'il a entendu suffisamment de témoins?
Le président: Oui, c'est cela.
Le sénateur Spivak: Je vous remercie de cette réponse.
Le président: Je peux lui écrire pour l'en informer.
Je ne veux pas passer à l'étude article par article avant l'arrivée du sénateur Kenny, qui ne devrait pas tarder. Nous pourrions peut-être entre-temps écouter les témoins venus nous parler du projet de loi C-27. Nous sommes heureux d'accueillir, de Ressources naturelles Canada, M. Peter Brown, Mme Carmel Letourneau et Mme Joanne Kellerman.
Monsieur Brown, le sénateur Spivak, vice-présidente du comité, nous a fait part d'un récent communiqué expliquant comment la France traite ses déchets nucléaires. Il y aurait deux genres d'équipement. Si vous ne voulez pas en parler, vous n'avez pas à le faire.
Je vais poser des questions en premier parce que le problème des déchets nucléaires me dérange. D'abord, pourquoi n'y a-t-il dans le projet de loi aucune mention de l'importation et de l'exportation de déchets? Beaucoup de gens s'inquiètent à juste titre de la possibilité que le Canada commence à importer les déchets d'autres pays, dès qu'il aura établi un bon système, surtout s'il tente de leur vendre un réacteur.
M. Peter Brown, directeur, Division de l'uranium et des déchets radioactifs, Ressources naturelles Canada: Comme le ministre l'a clairement dit dans son témoignage devant le comité, le projet de loi ne mentionne ni l'importation ni l'exportation de déchets de combustible nucléaire parce que cela n'est pas du tout envisagé. Le ministre a été très clair à ce sujet. Cette question est d'ailleurs abordée dans d'autres lois, comme la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires, la Loi sur les licences d'exportation et d'importation et la Loi sur le transport des marchandises dangereuses. Toutes ces lois traitent de l'importation et de l'exportation, ce qui explique que ces points ne sont pas mentionnés dans le projet de loi. Je le répète, le ministre a été très clair à ce sujet.
Le président: Si plus tard, le public a besoin d'être rassuré, le Parlement pourrait adopter une résolution. Le projet de loi n'aborde pas cette question, et vous ne pensez pas qu'il devrait en être autrement parce que le ministre a déjà dit qu'il fallait procéder ainsi, comme dans le cas de l'exportation de l'eau.
M. Brown: Encore une fois, le ministre a dit clairement qu'il appartiendrait à un gouvernement futur de prendre une décision.
Le président: Parlez-vous du nouveau ministre, ou bien de celui qui a travaillé sur le projet de loi?
M. Brown: Il s'agit du ministre Dhaliwal, qui a fait cette déclaration devant vous.
Le sénateur Spivak: Le seul ennui, c'est qu'il ne suffit pas qu'un ministre prenne un engagement. Ce n'est pas la même chose qu'une disposition législative, qu'il faudrait ensuite faire annuler. Comme question de principe, je crois que si le gouvernement est vraiment déterminé à ne pas permettre l'importation de déchets nucléaires, il devrait le dire dans la loi.
Vous dites que la question est couverte dans d'autres lois. À votre avis, est-ce là une garantie suffisante? Y a-t-il des garanties assez fermes dans d'autres lois pour interdire l'importation de déchets nucléaires et pour rendre illicite l'importation de tels déchets au Canada?
M. Brown: Je reviens à la déclaration du ministre. Il a dit clairement que la question était couverte dans d'autres lois. C'est la politique du gouvernement du Canada de ne pas importer ou exporter des déchets de combustible nucléaire. C'est précisément ce que le ministre a dit et ce que je dis moi-même.
Le sénateur Spivak: Je vous ai posé une question précise. Si d'autres lois interdisent l'importation de déchets nucléaires, l'interdiction est-elle assez claire pour qu'on considère qu'une personne qui le ferait viole la loi? Y a-t-il des sanctions criminelles? Quelle est la valeur des garanties qui figurent dans les autres lois?
M. Brown: Je ne crois pas que les autres lois interdisent l'importation et l'exportation. C'est plutôt que toutes les autres lois prévoient le processus juridique voulu.
Le sénateur Spivak: Pourquoi est-ce que je ne me sens pas rassurée par cette observation? Je ne comprends pas ce que vous voulez dire. Si on importe des déchets nucléaires, c'est une affaire sérieuse, ce n'est pas comme importer du Coca- Cola ou autre chose du même genre. Il me semble que si le gouvernement a pour politique de ne pas permettre l'importation, il devrait le dire clairement dans la loi.
M. Brown: Ce n'est pas la politique du gouvernement du Canada que cela se produise. Si cela se produisait, si un gouvernement futur prenait la décision d'importer ou d'exporter, alors il y aurait une procédure juridique qui serait déclenchée.
Le sénateur Spivak: Qu'est-ce que cela signifie?
M. Brown: Il y aurait des examens publics. La Commission canadienne de sûreté nucléaire veillerait à ce que tout soit fait d'une façon sûre. La Loi sur le transport des marchandises dangereuses s'appliquerait, de même que la Loi sur les licences d'exportation et d'importation. Je connais mal les aspects de ces lois qui seraient déclenchés, mais je peux vous affirmer qu'il y aurait déclenchement si cela se produisait.
Le sénateur Spivak: Je vous remercie de vos observations. Monsieur le président, je crois que la question est assez importante pour qu'il vaille la peine d'obtenir des renseignements détaillés.
Le président: Je ne crois pas que ce soit particulièrement applicable au projet de loi à l'étude, mais nous obtiendrons ces renseignements de toute façon.
Le sénateur Spivak: Je crois qu'il le faudrait.
Le président: Je ne pense pas qu'il y ait des dispositions législatives qui interdisent l'exportation ou l'importation. Il s'agit plutôt d'une politique, comme dans le cas de l'eau.
Le sénateur Spivak: C'est bien nébuleux.
Le président: J'en conviens. S'il y avait une possibilité quelconque de changement de la direction politique du pays, j'insisterai moi aussi.
Le sénateur Spivak: Nous sommes au milieu d'un processus législatif. Nous avons reçu l'assurance que la raison pour laquelle la disposition qui nous intéresse ne se trouve pas dans le projet de loi est qu'elle figure déjà dans d'autres lois. Si on nous a donné cette assurance, nous devrions chercher les preuves.
Le président: Nous nous réunirons le jeudi matin.
M. Brown: Essentiellement, cela dépasse le cadre du projet de loi, qui traite des déchets de combustible nucléaire canadiens au Canada. C'est très précis.
Le sénateur Spivak: Très bien.
Le président: Cela est strictement parallèle. Je n'aurais peut-être pas dû soulever cette question, mais je vais en soulever une autre pour vous.
Une partie de notre réputation de gardiens de la paix repose sur l'utilisation de matières fissiles militaires — c'est-à- dire du plutonium provenant des armes nucléaires russes et américaines — comme combustible dans nos réacteurs. Le projet de loi ne semble pas tenir compte de la possibilité d'importation de plutonium dans le cadre de notre accord avec les Nations Unies et les organisations de désarmement. Y avez-vous pensé?
M. Brown: L'importation de combustible MOX à base d'un mélange d'oxydes d'uranium et de plutonium, qui a commencé il y a près d'un an, portait sur quelques grammes de cette matière. Ils ont été utilisés dans un cadre strictement expérimental pour déterminer si le combustible MOX, qui contient du plutonium, peut être brûlé dans un réacteur CANDU pour produire de l'électricité. Les expériences se poursuivent en ce moment, mais ce ne sont que des expériences.
Le président: Vous ne pensez donc pas que cela ait quelque chose à voir avec l'importation et l'exportation. Est-ce une affaire politique qui peut se présenter de temps à autre?
M. Brown: Il faudrait voir si l'expérience réussit. Elle se poursuit à l'heure actuelle. Il s'agit de combustible pour les réacteurs: nous parlons de transformer des épées en socs de charrue. Cette opération dépasse le cadre du projet de loi, car il s'agit de combustible plutôt que de déchets de combustible.
Le président: Je pensais mélanger le combustible et les déchets.
Le sénateur Spivak: Quel gaspillage!
M. Brown: La matière est tirée d'armes nucléaires. Elle sert dans des expériences.
Le sénateur Spivak: Ne s'agit-il pas de déchets, c'est-à-dire de combustible usé provenant d'armes nucléaires?
M. Brown: C'est en fait du plutonium de qualité militaire. On démonte l'arme, on prend la matière fissile et on la mélange. L'expérience consiste à déterminer si ce mélange peut servir de combustible dans un réacteur nucléaire.
Le sénateur Spivak: C'est comme lire le journal, puis le jeter dans la boîte de recyclage. Le journal devient alors quelque chose d'autre. C'est la même chose. La matière ne sert plus dans des armes, elle devient donc un déchet.
Le président: Ce n'est pas tout à fait la même chose. D'une part, on vidange l'huile d'une vieille voiture; de l'autre, on vidange le plutonium d'une bombe nucléaire. On peut ensuite le brûler. La matière est réutilisable. C'est un bon combustible.
Le sénateur Spivak: On peut aussi brûler les journaux, ce sont alors des déchets.
M. Brown: La définition des déchets, madame le sénateur, est discutable. Elle dépend du stade du cycle du combustible nucléaire. En France, par exemple, où l'on retraite le combustible usé, l'expression «combustible usé» n'est pas synonyme de déchets parce qu'on recycle. Comme nous n'avons pas du tout l'intention de recycler, nous le considérons comme un déchet.
Le sénateur Spivak: Puis-je parler de la France maintenant?
Le président: Pas tout de suite. Donnez-moi une chance de terminer. Nous venons apprendre que le combustible de l'un est le déchet de l'autre. C'est le jeu de mots du XXe siècle.
Le principal aspect du projet de loi qui me dérange est l'article 8 qui dit: «La société de gestion s'adjoint un comité consultatif.» D'après les mémoires et les exposés des témoins, il n'y a pas de doute que le gouvernement semble laisser la direction de la société de gestion à l'industrie de l'uranium, qui veut avoir son mot à dire.
Comme géologues, vous savez qu'il y a en général un organisme gouvernemental qui jette un coup d'oeil par-dessus votre épaule pour s'assurer que le caribou à une chance de se reproduire et que l'herbe pourra continuer à pousser. C'est une bonne chose d'ailleurs parce que l'histoire nous a montré qu'il n'est pas très sage de laisser la protection de l'environnement strictement à ceux qui le polluent.
Le comité a songé à des amendements prévoyant par exemple au paragraphe 8(1) que soit formé un comité consultatif dont la majorité des membres serait nommée par la société de gestion et une minorité des membres, par le ministre.
Qu'en penseriez-vous? Croyez-vous que les responsables de la gestion des déchets auraient encore le contrôle de la situation parce qu'ils disposeraient de la plus grande part de l'argent? Quoi qu'il en soit, le public ne croit pas qu'on devrait les laisser agir seuls. Une minorité de membres du comité serait nommée par le ministre.
Qu'en dites-vous? Je sais que vous ne pouvez pas vous prononcer au nom du ministre. Toutefois, cela ne doit pas vous surprendre. En effet, les plaintes que nous avons reçues disent que nous chargeons le colonel Sanders de protéger les poulets.
M. Brown: Je voudrais revenir à la politique de 1996, selon laquelle le gouvernement du Canada élabore les politiques dans le domaine nucléaire, surveille ce qui se passe dans ce secteur et en assure la réglementation. L'autre élément de la politique prévoit qu'il incombe aux propriétaires des déchets d'organiser, de financer et de mettre en œuvre les décisions prises par le gouvernement du Canada.
Cette politique établit une distinction très claire entre ceux qui font le travail, c'est-à-dire les exécutants, et le gouvernement qui prend les décisions. Le projet de loi suit cette politique. Il établit une distinction entre les propriétaires qui doivent créer la société de gestion, financer ses opérations et mettre en œuvre les décisions du gouvernement.
Pour sa part, le gouvernement se trouve sur un plan tout à fait distinct. Il supervise et prend les décisions. Cela est très clair. Si le comité consultatif comprenait des membres représentant le gouvernement, la situation deviendrait trouble. On n'aurait plus la même distinction entre les exécutants et les décideurs.
Votre proposition aurait pour effet de permettre au gouvernement du Canada de nommer des membres du comité consultatif. Celui-ci présenterait ensuite des recommandations au gouvernement, lequel prendrait une décision. Nous aurions alors une situation de conflit d'intérêts.
Le projet de loi dans son ensemble reflète clairement la politique qui établit une nette distinction entre la société de gestion, qui exécute, et le gouvernement du Canada qui prend les décisions. Ce ne serait pas une bonne idée de mélanger les deux.
Le président: Vous mettez le doigt sur le problème en parlant de conflit d'intérêts. Nous voulons qu'il y ait conflit d'intérêts au sein du comité. En d'autres termes, un comité qui ne représente qu'un seul intérêt n'a pas de conflits. Or nous souhaitons qu'il y ait des désaccords dans le comité.
Le projet de loi dit, à l'article 15:
Le gouverneur en conseil choisit — vous noterez bien «choisit» et non pas «peut choisir» —, sur recommandation du ministre, une des propositions de gestion des déchets nucléaires présentées dans l'exposé et fait publier sa décision [...]
Le projet de loi ne laisse pas au gouvernement la liberté de choisir une solution autre que celle que propose la société de gestion, qui est contrôlée à 100 p. 100 par les sociétés d'énergie nucléaire. Je pense que c'est beaucoup trop fort.
M. Brown: Les dispositions précédentes du projet de loi se fondent très clairement sur les recommandations de Blair Seaborn, qui dirigeait la commission Seaborn, préconisant que la société de gestion examine trois options: l'entreposage en surface sur le site du réacteur, l'entreposage centralisé en surface ou souterrain et l'évacuation en couches géologiques profondes.
Le projet de loi exige, comme minimum, que la société de gestion propose les trois options. Elle peut en proposer davantage, mais elle doit couvrir les trois options comme strict minimum. Par conséquent, le gouvernement fera un choix entre les trois options que la société de gestion proposera.
Le président: Nous croyons que le gouvernement devrait remplacer «choisit» par «peut choisir», pour le cas où il ne voudrait accepter aucune des trois recommandations de la société de gestion. Qu'en pensez-vous?
M. Brown: Le projet de loi établit fermement que le gouvernement doit prendre la décision.
Le président: Nous devrions remplacer «choisit» par «peut choisir» pour laisser au gouvernement la possibilité de n'accepter aucune des approches proposées par la société de gestion.
M. Brown: Le projet de loi dit sans équivoque que le gouvernement doit prendre la décision.
Le président: Le projet de loi ne dit pas que le gouvernement doit prendre une décision. Il dit que le gouvernement «choisit [...] une des propositions de gestion des déchets nucléaires» présentées par la société.
D'après ces dispositions, le gouvernement n'a aucune latitude. Vous devez, il me semble, accepter que le comité comprenne une minorité de membres nommés par le gouvernement pour défendre son point de vue ou bien remplacer «choisit» par «peut choisir» pour permettre au gouvernement de ne pas tenir compte de l'avis de la société de gestion.
M. Brown: Puis-je répondre à cet argument? La société de gestion représente les sociétés d'énergie nucléaire, c'est-à- dire les propriétaires des déchets. C'est essentiellement le principe du pollueur-payeur: ceux qui ont produit des déchets pour générer de l'électricité doivent, comme dans les autres industries, s'occuper de leur élimination. C'est ainsi que nous voyons les choses. C'est la politique du gouvernement du Canada.
Le sénateur Spivak: Le pollueur peut payer sans avoir le monopole de la méthode à utiliser. Je crois qu'il y a là suffisamment de distinction entre les sociétés d'énergie nucléaire ou quiconque produit ces déchets et la population du Canada, c'est-à-dire l'intérêt public. Il n'est pas simplement question d'appliquer le principe du pollueur-payeur, auquel je souscris entièrement. Il est question de la décision à prendre. Le gouvernement représente le peuple. Si vous limitez son choix à ces trois options, vous réduisez sûrement sa marge de manoeuvre.
Les Français ont ce qu'ils appellent la «transmutation». Pourquoi n'est-ce pas une option? Pourquoi nous limitons- nous à l'évacuation en couches géologiques profondes, à l'entreposage sur place et à l'entreposage centralisé en surface ou souterrain? Je note que la Société planétaire pour l'assainissement de l'énergie a proposé au comité de tenir compte de la transmutation à faible énergie comme élément de la solution d'ensemble pour la gestion à long terme des déchets de combustible nucléaire.
Mme Carmel Létourneau, conseillère principale de politiques, Division de l'uranium et des déchets radioactifs, Ressources naturelles Canada: Tout d'abord, la transmutation n'est pas une méthode d'élimination des déchets, c'est plutôt une méthode de traitement. La transmutation n'est pas la panacée qu'on pense. C'est un moyen de traitement des déchets, qui en est actuellement au stade de la recherche. Il faudra des dizaines d'années et des milliards de dollars pour en arriver au stade commercial. Aux États-Unis, un rapport du Conseil national de recherche daté de 1996 a conclu que le procédé est prometteur, à condition que tous les pays mettent leurs ressources en commun et dépensent des milliards de dollars pour développer cette méthode de traitement des déchets.
Je répète donc que la transmutation n'est pas un moyen d'élimination des déchets. L'article concernant la France fait état d'une grande réalisation, mais qu'on utilise ou non la transmutation, les Américains ont conclu qu'ils avaient quand même besoin de moyens d'élimination des déchets.
Le sénateur Spivak: Pourquoi ne pouvons-nous pas ajouter «ou d'autres méthodes qui pourraient être mises au point»? J'espère bien qu'une fois adopté, le projet de loi ne durera pas seulement cinq ans.
Mme Létourneau: Cela est déjà prévu à l'article 20.
M. Brown: Cet article prévoit un changement d'approche et permet de tenir compte des innovations majeures qui pourraient être réalisées à l'avenir.
Le président: Ce n'est pas cela. Voici ce que dit l'article 20:
Si elle est incapable, pour des raisons techniques indépendantes de sa volonté, de mettre en œuvre la proposition retenue par le gouverneur en conseil, la société de gestion en fait part au ministre dans le rapport [...]
Voilà que la société de gestion, qui ne comprend pas de représentants minoritaires, peut soudain dire au ministre: «Nous ne pouvons pas le faire.» Je ne vois même pas comment il serait possible de parer à une telle situation en remplaçant «choisit» par «peut choisir».
M. Brown: Il faudrait plutôt regarder le paragraphe 20(2), à la page suivante:
De même, elle peut, par suite d'une innovation technique, proposer, dans le même type de rapport, une nouvelle méthode de gestion ayant fait l'objet d'un examen scientifique et technique par les experts d'organisations internationales gouvernementales spécialisées dans le domaine nucléaire, et jouissant de leur appui.
Le président: Encore une fois, on a mélangé les dispositions obligatoires et facultatives. Les premières reviennent toutes au gouvernement, tandis que les secondes vont du côté de la société de gestion. Celle-ci «peut» proposer les nouvelles méthodes. Si elle était obligée de le faire, ce serait différent.
Je crois, une fois de plus, qu'il est facile de résoudre le problème à l'article 15 en remplaçant «choisit» par «peut choisir». On n'aurait pas alors besoin d'une représentation minoritaire au comité et on éviterait la possibilité que la société de gestion puisse forcer la main au gouvernement. C'est un tout petit changement. De toute façon, vous n'êtes pas en mesure de céder.
M. Brown: Il est très clair dans le projet de loi qu'il appartient au gouvernement de prendre la décision. D'après le paragraphe 20(2), la société de gestion peut proposer une nouvelle méthode, si elle le souhaite. Par contre, si elle estime que la méthode est plus coûteuse, moins appropriée, moins sûre, etc., elle n'est pas obligée de la proposer. Cela explique le «peut». Sans cette disposition facultative, la société aurait l'obligation de présenter un rapport au sujet de n'importe quelle nouvelle technologie qui serait proposée.
Le président: Nous parlons seulement de remplacer par «peut choisir», à la première ligne de l'article 15. Nous pouvons accepter tout le reste. Mais le gouvernement aurait alors une certaine marge de manœuvre.
M. Brown: Si nous faisions ce remplacement, sénateur, il permettrait au gouvernement de ne pas prendre une décision. Nous avons besoin de «choisit» pour que le gouvernement prenne la décision.
Le président: Très bien. Cette discussion ne mène nulle part. À notre avis, le gouvernement devrait avoir le dernier mot.
Avant de passer à autre chose, je voudrais signaler une autre disposition facultative qui devrait devenir obligatoire. Cela ne prendra qu'une minute. À l'article 25, on peut lire ce qui suit: «Le ministre peut désigner toute personne qu'il estime qualifiée à titre de vérificateur pour l'application de la présente loi.» Compte tenu des affaires Enron et Anderson, nous aimerions mieux avoir «désigne» au lieu de «peut désigner». Nous ne croyons pas que la société de gestion, sans représentation gouvernementale minoritaire et pouvant agir à sa guise, devrait pouvoir choisir son propre vérificateur.
M. Brown: Le vérificateur est choisi par le ministre.
Le président: Non, le vérificateur dans cette mesure législative est celui qui surveille votre argent.
M. Brown: C'est le rôle du gouvernement. Le gouvernement supervise.
Le président: Il y a un autre endroit où l'on permet à la société de gestion de nommer un vérificateur. Voici ce que dit l'article 23:
La société de gestion doit, dans les trois mois suivant la fin de chaque exercice, fournir au ministre des états financiers vérifiés à ses frais par une personne ou un organisme indépendant.
Tous les vérificateurs sont indépendants. Il n'y rien de tel qu'un vérificateur dépendant. C'est comme si l'on disait un cercle carré ou un beau cimetière. Cela n'existe pas.
Le sénateur Kenny: Je crois qu'on fait ici la distinction avec les vérificateurs internes. Je vous ai dit que j'étais de leur côté.
Le président: Nous sommes tout juste un peu méfiants. Nous aurions préféré voir «peut» plutôt que «doit» désigner un vérificateur.
Mme Joanne Kellerman, conseillère juridique, Services juridiques, Ressources naturelles Canada: L'article 22 énonce les exigences relatives à la tenue de livres que doit respecter la société de gestion. Conformément à l'article 23, la société doit mettre ses livres à la disposition du gouvernement après les avoir fait contrôler par un vérificateur externe indépendant.
Il n'y a aucune possibilité pour la société de gestion de pouvoir compter sur une personne qui ne serait pas un vérificateur compétent et indépendant. Les états financiers qu'elle présente au ministre et qui sont ensuite rendus publics doivent répondre à des normes professionnelles appropriées. Le vérificateur nommé par le ministre conformément à l'article 25 — et que vous avez mentionné — est une personne différente. L'intention ici, comme dans le cas d'autres lois, est de permettre au ministre de choisir un fonctionnaire ou peut-être un vérificateur indépendant, selon les circonstances.
Le président: La difficulté que nous y voyons est la même que celle qui inquiète les bourses de valeurs et les commissions de valeurs mobilières depuis l'affaire Enron. Que vous soyez Esso, l'Impériale ou le Roi de la patate frite, vous avez le droit de nommer votre propre vérificateur. Le public commence à se méfier de ce fait. Arthur Anderson était l'une des plus grandes maisons d'experts-comptables et, malgré tout, Enron a réussi à arriver à ses fins en exerçant des pressions. Je dois admettre qu'ayant été administrateur d'un certain nombre de sociétés publiques, j'ai toujours été gêné par le fait que nous nommions les vérificateurs, c'est-à-dire les mêmes personnes qui nous envoyaient une bouteille de whisky à Noël et nous invitaient à dîner. Nous nous battions également avec eux pour qu'ils présentent les chiffres de façon que nous n'ayons pas trop de reproches une fois les états financiers publiés. Je crois donc que les vérificateurs devraient être désignés par des personnes de l'extérieur de la société.
Lorsque la société de gestion disposera de 350 millions de dollars, n'importe quelle maison de vérificateurs ferait des pieds et des mains pour être désignée. Je ne crois pas qu'on devrait avoir le droit de choisir son propre vérificateur.
M. Brown: Il y a deux niveaux de vérification. Le premier, prévu à l'article 24, est réalisé par le vérificateur de la société de gestion, qui peut procéder comme il le souhaite. L'article 25 permet au ministre de désigner un vérificateur distinct qui procédera à un second niveau de vérification. Les deux sont tout à fait différents l'un de l'autre.
Le président: Supposons que vous ayez raison, et il est probable que c'est le cas. Nous parlons d'une société qui est chargée par la population du Canada de se débarrasser de quelque chose d'aussi important que des déchets nucléaires. Si cette société n'a pas de représentation gouvernementale et si le gouvernement est obligé d'accepter l'une de ses recommandations, à moins que de nouvelles technologies ne fassent leur apparition, le gouvernement ne devrait-il pas nommer le vérificateur plutôt que de laisser la société le désigner?
M. Brown: Le gouvernement garde le droit de procéder à des vérifications et la capacité de prendre des décisions. Le gouvernement prendra ces décisions. C'est un aspect extrêmement important du projet de loi: le gouvernement est fondamentalement celui qui décide et qui surveille l'exécution de ses décisions. Cela est distinct de la santé et de la sécurité, qui relève de la Commission de sûreté nucléaire. Cette vérification porte sur les aspects financiers et socioéconomiques et permet d'examiner la façon de procéder de la société de gestion.
L'un des principaux objectifs du projet de loi est de permettre au gouverneur en conseil de prendre des décisions, sur la base des propositions de la société de gestion, au sujet de l'élimination des déchets de combustible nucléaire. Il est extrêmement important que le gouvernement du Canada donne clairement cette orientation. Cela explique le libellé de l'article 15.
Le sénateur Kenny: Je croyais que je comprenais, mais maintenant, je suis confus. Il y a deux vérificateurs, dont l'un est nommé par le ministre. On peut supposer que le second vérificateur n'est pas nécessairement là, mais que le ministre peut en désigner un s'il voit quelque chose qui lui déplaît dans les états financiers.
M. Brown: La société de gestion désignerait son propre vérificateur. Nous voulons voir les résultats de cette vérification.
La société de gestion aura son propre vérificateur, comme toute autre entreprise. Il fera une déclaration du genre: «J'ai vérifié les livres et voici ce que j'ai trouvé.» Cette déclaration est présentée au gouvernement, et devient alors une déclaration publique. Le ministre peut alors désigner un vérificateur distinct, qui dira: «Je vais jeter un coup d'oeil de toute façon. Je suis peut-être satisfait, mais je vais quand même vérifier.» Le vérificateur du ministre examine tous les livres pour s'assurer que tout va bien, puis il fait sa propre déclaration.
Mme Kellerman: En ce qui concerne l'étendue de la vérification, les pouvoirs du vérificateur désigné conformément à l'article 25 vont au-delà de la société de gestion. Il peut également étendre sa vérification à l'institution financière responsable de l'administration d'un fonds en fiducie et aux sociétés d'énergie nucléaire pour ce qui a trait aux activités déclarées au gouvernement par l'entremise de la société de gestion. Ces pouvoirs de vérification sont donc très étendus.
Le sénateur Kenny: Si j'ai bien compris, le premier vérificateur est nommé comme dans le cas de la plupart des autres sociétés. Le second est désigné par le gouvernement pour contrôler le travail du premier. Je serais curieux de savoir combien d'organisations ont un second vérificateur chargé de contrôler le premier, ce qui semble être le cas ici.
Je partage vos préoccupations au sujet d'Enron, comme tout le monde d'ailleurs. Toutefois, je dirais que cette affaire dépasse le champ de compétence de notre comité. En réalité, tant que la Loi canadienne sur les sociétés par action, ou toute autre loi applicable dans ce cas, n'aura pas été modifiée pour ce qui est de la façon de faire des vérifications, nous n'avons pas à nous opposer à la manière dont le premier vérificateur est désigné. Il appartiendrait au Comité des banques, ou à un autre organisme, de se prononcer sur la façon de procéder à une vérification et sur la question de savoir si les relations entre vérificateurs sont trop étroites.
Nous avons tous été témoins de circonstances dans lesquelles les vérificateurs ont gardé pour eux certains renseignements, ou plutôt dans lesquelles nous avons eu l'impression qu'ils pourraient avoir retenu certaines informations pour ne pas perdre un client. Cela peut arriver.
Cela étant dit, je ne connais pas beaucoup de sociétés dans lesquelles un autre vérificateur n'ayant aucune responsabilité envers les actionnaires est chargé de contrôler le travail du premier vérificateur. C'est un peu comme si on portait des ceintures et des bretelles.
Si tout le monde s'entend pour porter des ceintures et des bretelles, je crois que l'intérêt public est sauvegardé.
Le sénateur Christensen: L'article 24 représente l'exigence relative au vérificateur, tandis que l'article 25 représente la sécurité intégrée. Si le gouvernement estime que c'est nécessaire, il peut procéder à une seconde vérification s'il le souhaite. S'il est satisfait, il n'a pas à le faire.
M. Brown: Si tout semble exact, si le gouvernement est raisonnablement sûr, on n'est pas obligé de vérifier. Je crois cependant que le ministre voudra probablement, au moins pendant les premières années, faire faire cette vérification, simplement pour s'assurer que tout va bien.
Le sénateur Finnerty: Pour revenir au paragraphe 14(2), je crois comprendre que le gouvernement n'est pas obligé d'accepter le plan de la société de gestion. Il peut le lui renvoyer pour qu'elle recommence le travail s'il le souhaite. Est- ce exact?
M. Brown: C'est exact si le plan n'est pas conforme aux exigences des articles 12 et 13, comme le précise le paragraphe 14(2). En cas de non-conformité aux articles 12 et 13, la société devra refaire son plan.
Le sénateur Spivak: Je ne comprends pas pourquoi il n'a pas été possible d'inclure à l'article 2 une définition des déchets de combustible nucléaire, par exemple: «grappes de combustible irradié d'origine intérieure retirées de [...]» Cela réglerait facilement le problème. Je ne crois pas que cela fasse de la peine à quiconque.
Je ne pense pas d'ailleurs que nous devrions laisser «choisit» à l'article 15. Le gouvernement disposerait d'une bonne couverture parce que personne ne veut avoir des déchets nucléaires à proximité. Le gouvernement dira: «Il y a ce groupe qui a pris une décision et qui nous a donné trois options.» Nous allons nous retrouver sur un terrain glissant. Je ne sais pas pourquoi il est important pour le gouvernement de décider rapidement. En fait, s'il ne prenait pas de décision pendant 10 ans, il y aurait probablement une nouvelle technologie.
Nous devrions nous hâter lentement dans ce cas. Je vous demande, monsieur le président, si vous envisagez de mettre ces mises en garde dans le projet de loi.
Le président: Après que nous aurons discuté et pris les renseignements nécessaires, je crois que nous devrions nous retrouver jeudi matin à 9 heures pour voir quels amendements nous pourrions apporter, puis pour passer à l'étude article par article.
Le sénateur Spivak: Je m'excuse, monsieur le président, je croyais que nous devions tout finir cette nuit.
Le président: Avant de partir, je voudrais vous parler des préoccupations de certains au sujet du comité consultatif formé par la société de gestion. On se plaint du fait que le comité peut compter entre 5 et 50 membres, qu'il peut être nommé au gré de la société de gestion pour un mois, six mois ou six ans... En d'autres termes, c'est quelque chose de très mouvant. Qu'avez-vous à répondre à cela?
M. Brown: J'en reviens à la politique fondamentale, d'après laquelle il incombe aux propriétaires des déchets d'organiser, de financer et de mettre en œuvre les décisions concernant leurs déchets, conformément au principe du pollueur-payeur. Il appartient au gouvernement fédéral de prendre les décisions. Et il faut que les deux parties soient bien distinctes.
Cela me rappelle l'exposé de Brennain Lloyd, de Northwatch. Selon elle, le ministre des Ressources naturelles pourrait se trouver en situation de conflit d'intérêts en étant responsable à la fois de la Loi sur les déchets de combustible nucléaire et de l'industrie nucléaire. Pouvez-vous imaginer ce qu'elle dirait si le gouvernement du Canada devait nommer des gens à la société de gestion? Ce serait un conflit d'intérêts flagrant.
Ce sont les propriétaires des déchets qui doivent s'en occuper. Le gouvernement fédéral est clairement celui qui prend les décisions. Nous voulons rester à l'écart pour pouvoir prendre des décisions. Si les propriétaires d'une usine de peinture établissaient une entreprise chargée de se débarrasser des déchets de peinture, le gouvernement dirait: «C'est parfait, occupez-vous de vos déchets. De notre côté, nous nous assurerons par voie réglementaire et dans le cadre de notre fonction de supervision que vous faites correctement votre travail.» C'est exactement le même principe ici. Le pollueur doit payer. Pour éviter de nous trouver en situation réelle ou apparente de conflit d'intérêts, nous devons veiller à établir une nette distinction entre la société de gestion et le gouvernement fédéral, pour qu'il puisse prendre ses décisions.
Le président: Vous pensez donc que le fait d'établir un comité consultatif aide la société de gestion à présenter l'information au gouvernement.
M. Brown: C'est exact. Permettez-moi d'ajouter une autre chose au sujet du comité consultatif: toutes les observations du comité font l'objet d'un document public qui est présenté au ministre. Si les membres du comité ne sont nommés que pour un mois, si ce sont des amis d'Ontario Power Generation, etc., tout cela serait révélé au grand jour. Le ministre s'en rendrait compte et mentionnerait le problème. Le ministre tiendrait des consultations s'il était témoin de choses de ce genre.
Le président: Je vous remercie, madame Letourneau, monsieur Brown et madame Kellerman. J'espère bien que d'ici jeudi, vous saurez si vous avez un bébé entier ou s'il lui manque un bras.
M. Brown: Je vous remercie, sénateur. Nous préférons toujours les bébés entiers.
Le président: Nous allons maintenant revenir à l'étude article par article du projet de loi C-10. J'ai déjà informé le greffier que je suis en situation de conflit d'intérêts parce que mon entreprise met en valeur des ressources sous-marines dans différentes parties du monde. Par conséquent, je vais céder le fauteuil au sénateur Spivak.
La vice-présidente: Le comité convient-il de passer à l'étude article par article du projet de loi C-10?
Des voix: D'accord.
La vice-présidente: Le titre est-il reporté?
Des voix: D'accord.
La vice-présidente: Le préambule est-il reporté?
Des voix: D'accord.
La vice-présidente: L'article premier est-il reporté?
Des voix: D'accord.
La vice-présidente: Les articles 2 à 17 sont-ils adoptés?
Des voix: D'accord.
La vice-présidente: Adoptés. Les articles 18 à 23 sont-ils adoptés?
Des voix: D'accord.
La vice-présidente: Adoptés. Les articles 24 à 29 sont-ils adoptés?
Des voix: D'accord.
La vice-présidente: Adoptés. Les articles 30 à 41 sont-ils adoptés?
Des voix: D'accord.
La vice-présidente: Adoptés. Les annexes 1 et 2 sont-elles adoptées?
Des voix: D'accord.
La vice-présidente: Adoptées. L'article premier est-il adopté?
Des voix: D'accord.
La vice-présidente: Adopté. Le préambule est-il adopté?
Des voix: D'accord.
La vice-présidente: Adopté. Le titre est-il adopté?
Des voix: D'accord.
La vice-présidente: Adopté. Le projet de loi est-il adopté sans amendement?
Des voix: D'accord.
La vice-présidente: Le comité convient-il de faire rapport du projet de loi au Sénat?
Des voix: D'accord.
La séance est levée.