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NFFN - Comité permanent

Finances nationales


Délibérations du Comité sénatorial permanent
des finances nationales

Fascicule 6 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 24 avril 2001

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui à 9 h 30 pour examiner le Budget des dépenses présenté au Parlement pour l'exercice financier se terminant le 31 mars 2002.

Le sénateur Lowell Murray (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, vous vous souvenez peut-être qu'à plusieurs reprises le sénateur Ferretti Barth et d'autres, mais principalement le sénateur, ont soulevé la question du coût des enquêtes des catastrophes aériennes qui se produisent sur le territoire canadien ou à proximité.

À un certain moment, il y a environ un an, le président du Bureau de la sécurité des transports du Canada, l'honorable Benoit Bouchard, devait comparaître devant nous. Cette bonne intention ne s'est pas concrétisée à cause de la prorogation de la session parlementaire. Néanmoins, nous avons considéré de nouveau la question lorsque le Budget des dépenses nous a été à nouveau présenté. Heureusement, nous avons pu organiser la comparution ce matin de trois hauts fonctionnaires du Bureau de la sécurité des transports: M. David Kinsman, directeur exécutif du Comité de la sécurité, M. William Tucker, directeur général chargé de la coordination des enquêtes, et M. Jean Laporte, directeur des services intégrés.

Premièrement, nous allons examiner les renseignements à jour concernant les frais relatifs à l'enquête de la catastrophe de la compagnie Swissair de septembre 1998, qui est à l'origine des questions posées par le sénateur Ferretti Barth.

Deuxièmement, les hauts fonctionnaires nous fourniront un aperçu des discussions et négociations relatives à l'accord international concernant la responsabilité des coûts des catastrophes aériennes.

Honorables sénateurs, lorsque les représentants du Bureau de la sécurité des transports auront terminé leur témoignage, j'ai l'intention de réunir le comité à huis clos pour discuter de nos travaux futurs. Cependant, j'ai maintenant le plaisir de donner la parole à M. David Kinsman, directeur exécutif du Bureau de la sécurité des transports du Canada, qui a une déclaration préliminaire à faire.

M. David Kinsman, directeur exécutif, Bureau de la sécurité des transports du Canada: Honorables sénateurs, étant donné que je n'occupe que depuis récemment mon poste de directeur exécutif du Comité de sécurité des transports, j'ai fait appel à deux de mes collègues que le président vous a déjà présentés. M. Tucker est le directeur général chargé de la coordination des enquêtes et il a été membre du Bureau de la sécurité des transports depuis qu'il existe soit 11 ans. Il était auparavant avec le Bureau de sécurité de l'aviation canadienne.

[Français]

À ma droite, M. Jean Laporte, directeur des services intégrés et agent financier supérieur pour le Bureau de la sécurité des transports.

[Traduction]

Si vous me le permettez, monsieur le président, j'aimerais faire quelques brèves observations préliminaires et ensuite répondre à vos questions.

[Français]

Si vous me le permettez, je ferai la plupart de mes commentaires en anglais, mais il me fera plaisir de répondre à vos questions dans les deux langues officielles, selon vos préférences.

[Traduction]

Nous comparaissons devant vous ce matin pour répondre aux questions qui ont été soulevées au sujet des frais de l'enquête en cours sur la catastrophe aérienne du vol 111 de la Swissair au large de la côte de Nouvelle-Écosse en septembre 1998. Dans un sens plus large, vous avez aussi posé des questions concernant l'obligation du Canada d'acquitter les coûts d'une telle enquête.

Je crois que vous possédez déjà de la documentation sur le Comité de sécurité des transports, et donc je ne répéterai pas l'énoncé de notre mandat ou nos principes de gestion. Cependant, j'aimerais à nouveau souligner l'importance que la Loi sur le Bureau canadien d'enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports attache à l'indépendance du Bureau de la sécurité des transports. Cette indépendance est un facteur critique, en principe de même qu'en pratique, pour veiller à ce que les enquêtes soient menées de façon totalement objective et, ce qui est tout aussi important, qu'elles soient vues au pays et à l'étranger comme exemptes de l'influence d'intérêts extérieurs.

Je commencerai par discuter brièvement des coûts des enquêtes jusqu'ici. Nous vous avons fourni une ventilation des coûts engagés par le Canada à la fin de l'exercice financier 2000-2001. Sur la première page du tableau récapitulatif, nous vous avons fourni la ventilation par ministère et organisme. Pour le BST, ce sont des coûts additionnels - c'est-à-dire des coûts qui dépassent les coûts normaux de gestion - et ils sont attribuables directement aux travaux d'enquête et de récupération du vol 111 de la Swissair. Même si le Bureau de sécurité du transport n'a aucun contrôle direct sur les coûts contractés par d'autres ministères et organismes, tous ces coûts sont imputés au crédit du BST pour faciliter la comptabilité et assurer la visibilité.

La deuxième page du tableau récapitulatif reprend le total de ces mêmes coûts additionnels et les répartit par activité. Vous noterez qu'un pourcentage important du total de ces coûts est attribuable aux circonstances exceptionnelles de cet accident et aux efforts intensifs déployés pour la recherche, la récupération et l'identification des restes humains, des effets personnels et de l'épave. Ce sont les trois premiers postes d'activité qu'on trouve sur la feuille.

Étant donné la structure de la comptabilité, ces coûts ne sont pas organisés selon ces activités, et les coûts qui figurent sur cette page sont seulement approximatifs. Nous croyons cependant qu'ils représentent la distribution des coûts selon les activités indiquées.

Je tiens à souligner qu'il s'agit seulement des coûts imputés aux Canadiens dans la structure de la comptabilité fédérale. Il y a eu bien sûr d'autres coûts, supportés en particulier par la province, les municipalités et les particuliers, qui ne figurent pas dans ces chiffres.

En outre, d'autres frais importants pour lesquels nous ne possédons pas de chiffres exacts, ont été supportés par les compagnies aériennes Boeing et Swissair pour venir en aide à notre équipe d'enquête, surtout au début. D'autres compagnies et organismes ont subi des coûts également mais ils seraient relativement moins importants.

Permettez-moi de discuter brièvement des raisons pour lesquelles le Canada s'est chargé de cette enquête et en a assuré la majorité des coûts.

L'enquête menée par le Canada sur l'accident du vol 111 de la Swissair est conforme à un protocole international établi par l'Organisation de l'aviation civile internationale, ou OACI. L'OACI est un organisme des Nations Unies. Il compte actuellement quelque 185 États contractants. Le Canada n'est pas simplement partie à l'accord, il est aussi le pays hôte de l'OACI dont le siège social se trouve à Montréal, et il défend ardemment les objectifs de l'organisation et participe très activement à ses travaux. Ces travaux englobent bien des domaines techniques y compris les enquêtes sur les accidents.

Le protocole précis concernant les enquêtes sur les incidents et accidents figure à l'annexe 13 de la Convention relative à l'aviation civile internationale signée à Chicago en 1944. Conformément à l'article 26 de la convention, l'annexe 13 prescrit que la responsabilité de l'État où l'accident ou l'incident se produit doit entreprendre une enquête à des fins de sécurité et être responsable de celle-ci. La convention établit aussi des normes internationales et elle a recommandé des pratiques pour la tenue de l'enquête.

Si vous me permettez une parenthèse, monsieur le président, nous possédons une énorme documentation qui donne des précisions sur les activités de l'OACI à ces égards, et nous en avons apporté des exemplaires supplémentaires. J'ai préféré ne pas les déposer parce qu'ils sont très détaillés et ils seraient difficiles à suivre, mais nous nous ferons un plaisir d'expliquer tout renseignement que des membres de votre comité ou que le personnel pourraient avoir à la suite de notre exposé.

Depuis son adoption initiale en 1951, l'annexe 13 a fait l'objet d'examens et des mises à jour périodiques à la suite de rencontres internationales et de la création des groupes de travail précisément constitués à ces fins. Par exemple le groupe d'enquête sur la prévention des accidents qui s'est réuni à Montréal en septembre 1999, est connu sous le nom de GEA99. Par coïncidence, les articles à l'ordre du jour de cette réunion concernaient les responsabilités pour conduire une enquête et les dispositions en vue de l'affectation des ressources pour les enquêtes sur les accidents, deux sujets qui se rapportent directement aux questions soulevées par votre comité.

La question du financement des enquêtes sur les accidents graves a été soulevée officiellement la première fois par le groupe d'enquête sur la prévention des accidents, auquel je ferai peut-être allusion pendant mon exposé en l'appelant le GEA, au cours des réunions en 1974. Cette question a été discutée aux réunions de l'assemblée de l'OACI la même année et à nouveau en 1977. Elle a été soulevée de nouveau lors de la réunion de division du GEA en 1992. Enfin, la question du financement des enquêtes sur les accidents graves a été soulevée de nouveau à la réunion en 1999 du GEA de l'OACI.

Les délégués discutent depuis 20 ans environ pour répondre à la demande du public de mener des enquêtes approfondies en matière de sécurité, de la mise au point d'une technologie nouvelle pour localiser et récupérer les épaves de l'océan et d'enregistreurs de données de vol perfectionnés pour faciliter des enquêtes approfondies. Il a aussi été question des conséquences en matière de sécurité d'un financement insuffisant, certaines des solutions éventuelles et certaines mises en garde et considérations supplémentaires. Du point de vue des participants, cette question exigeait la prise de mesures immédiates. Les membres ont recommandé que l'OACI entreprenne une étude visant à trouver des solutions au financement des enquêtes importantes sur les accidents.

Je dois faire remarquer que les sujets actuels de préoccupation portent en priorité sur la façon de trouver les fonds nécessaires aux enquêtes sur les accidents dans les pays qui n'ont tout simplement pas les ressources ou la capacité d'organisation pour mener une enquête à la suite d'une catastrophe aérienne.

L'OACI répond à cette recommandation et le Canada s'est porté volontaire pour participer à un groupe de travail qui pourrait être mis sur pied. Si des changements importants sont proposés, ils seront vraisemblablement renvoyés à une réunion de l'assem blée plénière qui regroupe tous les États membres de l'OACI. À vrai dire, les États ne se sont pas entendus pour apporter un changement et l'OACI fonctionne par consensus.

Les ententes actuelles à l'annexe 13 comprennent aussi l'aptitude de l'État où se produit la catastrophe, de déléguer toute ou une partie de l'enquête de l'accident aérien à un autre État. En outre, il existe une disposition en vue de la participation et de l'aide d'autres États, notamment l'État de l'exploitant de la ligne aérienne et l'État où l'avion a été fabriqué, indépendamment de l'État qui mène l'enquête.

Finalement, les ententes prévoient aussi et comptent sur la participation intense à l'enquête de ce que l'on appelle les conseillers techniques. Ces conseillers techniques appartiennent à la fois au gouvernement et à l'industrie dans les divers États qui sont en cause dans l'accident.

Si l'on prend l'enquête concernant le vol 111 de la Swissair comme exemple, le Canada n'a certainement pas travaillé seul. L'enquête sur l'accident a été enregistrée en Suisse et le vol était assuré par un équipage de la Swissair. Cependant, ce vol était assuré en partie par Delta Airlines des États-Unis. Le type d'avion MD 11 de MacDonnell Douglas a été conçu et construit surtout aux États-Unis, où il a reçu son accréditation initiale. Par conséquent, la Suisse et les États-Unis ont participé à l'enquête grâce à la présence d'un représentant accrédité de l'organisme chargé d'enquêter sur l'accident dans chacun de ces pays. Ils ont bénéficié de l'aide de nombreux conseillers techniques de leurs propres organismes, de l'organe de réglementation de l'aéronautique de leur pays respectif, par exemple la Federal Aviation Agency aux États-Unis et de Swissair, Boeing et d'autres compagnies privées qui ont participé à la fabrication, à l'installation et à l'entretien de l'avion et de ses pièces. Même si le Canada a assumé la majorité des coûts de l'enquête et de la récupération relativement à cet accident, l'aide de ces autres organisations a été énorme.

Pourquoi des pays décident-ils de mener des enquêtes et d'acquitter les frais connexes relatifs aux accidents qui se produisent sur leur territoire? Premièrement, il s'agit simplement d'honorer l'engagement qu'ils ont pris à l'égard d'autres nations du monde en devenant membres signataires de la Convention de Chicago. Tous les États participant à l'OACI reconnaissent que la sécurité accrue des voyages par avion se paie et que l'enquête des accidents et des incidents aériens n'est qu'un élément de ces coûts. Le Canada, étant donné le rôle actif qu'il joue dans l'Organisation de l'aviation civile internationale, hésiterait énormément bien sûr à ne pas respecter le principe de consensus sur lequel cette organisation est fondée.

Deuxièmement, je dirais qu'il y a aussi un élément de souveraineté. La plupart des États préfèrent exercer un contrôle absolu sur leur espace aérien souverain et notamment qu'ils sont prêts à agir lorsque quelque chose d'anormal se passe sur leur territoire.

Finalement, et ce qui revêt une importance particulière sous l'angle de l'enquête, est la question d'indépendance. Toute décision visant à transférer certaines ou toutes les responsabilités d'enquête ou les obligations financières à d'autres parties, en particulier celles qui ont un intérêt à ces conclusions et recommandations, limiterait certes la liberté d'action des enquêteurs ce qui compromettrait la crédibilité de l'enquête ou aurait au moins la possibilité de le faire.

Néanmoins, la technologie aéronautique évolue rapidement et l'OACI de toute évidence doit évoluer de pair. Comme je l'ai déjà déclaré, le consensus est le principe directeur de l'OACI, et des changements sont rarement apportés en l'absence d'un tel consensus. On y parvient d'habitude grâce à la discussion de documents de travail. Ensuite, d'habitude, le secrétaire général adresse à l'État une lettre lui demandant ses opinions, pour savoir s'il y a un consensus entre les divers pays.

La coordination du point de vue du Canada a lieu normalement par l'entremise du Bureau de la délégation canadienne à l'OACI et deux comités interministériels qui sont présidés par Transports Canada. Le premier, soit le Comité technique international d'aéronautique, traite de toutes les questions techniques et assure une liaison étroite avec le second. Ce comité, soit le Comité de la politique interministérielle de l'OACI, est chargé de veiller à ce qu'il décèle les questions qui doivent être renvoyées au Cabinet avant qu'une position canadienne soit établie.

[Français]

C'est ainsi que je termine mes commentaires. Nous sommes maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions.

Le sénateur Ferretti Barth: Lorsque j'ai vu le coût si élevé de l'enquête, je me suis demandée ce qui se passait. Vous vous basez encore sur une convention vieille de 50 ans. N'est-il pas dans votre mandat de revoir votre directive? En 1999, à Montréal, ils se sont regroupés pour en venir à un consensus et ils n'en ont pas trouvé. Comment pouvons-nous continuer à travailler de cette façon, en 2001, avec un lourd trafic aérien et une convention vieille de 50 ans?

Selon l'article 26 de la convention, les pays où survient un accident devraient initier une enquête. Cependant, il ne dit pas s'ils doivent assumer tous les coûts reliés à l'enquête. Quand l'accident de la compagnie Swissair est survenu, est-ce-que le Canada a-t-il invité la Suisse à partager les dépenses de l'enquête?

D'autre part, M. Kinsman, les pays doivent revoir les recommandations et la convention à tous les cinq ans et il y aurait un partage des coûts. Serait-il possible d'avoir une assurance pour les deux pays qui seraient impliqués? Cela me préoccupe parce qu'il s'agit d'une dépense considérable pour notre pays. Combien d'argent le Canada doit-il dépenser? Le moment est venu d'étudier cela et de modifier la convention. J'ai d'autres questions, mais je vous les enverrai par écrit.

M. Kinsman: Je ferai mon possible pour répondre à vos questions. Si vous en avez d'autres, je me ferai un plaisir d'y répondre par écrit ou personnellement à votre bureau.

Il est vrai que la convention existe depuis déjà près de 60 ans. En fait, au fur et à mesure que les années passent, certaines questions sont remises sur la table pour s'assurer que les politiques de base de l'OACI sont toujours pertinentes. On discute toujours de la question à savoir qui sera responsable de mener une enquête et qui va payer les frais subséquents. D'après ce que j'ai pu constater, les préoccupations de l'OACI, actuellement, portent sur le fait qu'il y a 185 pays membres. Vous pouvez imaginer que plusieurs de ces pays n'ont ni l'encadrement, ni l'organisation et ni les ressources pour procéder à une enquête et en payer les frais.

Il faut déterminer comment assurer la sécurité du transport aérien à travers le monde lorsqu'il y a un accident qui survient dans un pays incapable de faire une enquête, comme en Afrique par exemple. Récemment, il y a eu des écrasements d'avion en Afrique et les pays où les accidents sont survenus n'avaient pas les moyens de mener une enquête. La question des coûts pour des pays comme le Canada, les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne est, à mon avis, d'un deuxième niveau de préoccupation. Il faut plutôt s'intéresser aux pays qui n'ont pas les ressources disponibles pour effectuer de telles enquêtes.

Même si la conventions a été écrite en 1944, je ne dirais pas qu'elle est complètement périmée. Au Bureau de la sécurité des transports, on s'intéresse à la question et on participe aux discussions. En fin de compte, il faut changer la façon de travailler au sein de l'OACI ou avoir des recommandations des ministères des Transports et des Affaires étrangères.

Le sénateur Ferretti Barth: Je comprends que certains pays d'Afrique qui font partie de la convention n'ont pas les moyens d'initier une enquête. Mais ici, nous parlons de la Suisse. Je ne suis pas politicienne, je suis une contribuable. S'il devait arriver un autre accident comme celui de la compagnie Swissair, le Canada devrait encore subventionner une enquête de grande importance au détriment de la population. L'argent attribué à l'enquête pourrait être alloué à d'autres causes.

Il est temps d'arriver à un consensus. Cela nous dérange et cela dérange aussi d'autres grands pays. Il faut trouver un accord et partager les coûts. Sur le plan international avec les compagnies aériennes, croyez-vous qu'il serait possible d'avoir une assurance en cas d'accident?

M. Kinsman: En fait, le gouvernement de l'Irlande a acheté une assurance pour les accidents.

Lors de la dernière réunion en 1999, la question des assurances a été discutée pour la première fois à l'OACI. Même si les discussions n'étaient pas officielles, le représentant de l'Irlande s'est porté volontaire pour familiariser les pays sur le concept de l'assurance.

Je vais céder la parole à mon collègue, M. Tucker, qui, je crois, a participé à cette réunion.

[Traduction]

M. William Tucker, directeur général, Coordination des enquêtes, Bureau de la sécurité des transports du Canada: En un mot, la méthode qu'utilise l'Irlande depuis environ 1995 est toujours une méthode qui a un lien très direct avec l'État. C'est le gouvernement de l'Irlande qui a contracté une assurance auprès de Lloyds of London. L'Irlande en est maintenant à sa deuxième police d'assurance quinquennale.

La question en l'occurrence c'est un gouvernement qu'achète une assurance-responsabilités. Si je ne m'abuse, le gouvernement du Canada a décidé de s'autoassurer dans la plupart des cas. En l'occurrence, la prime est légèrement supérieure à 300 000 $ canadiens par an. Il y a une franchise et la limite peut atteindre un niveau très supérieur. Elle peut aller jusqu'à environ 150 millions de dollars canadiens.

Cette sorte de police d'assurance est disponible. L'Irlande nous a expliqué que, au départ, très peu d'intérêt était manifesté pour les soumissions mais lors de la dernière soumission, plusieurs compagnies ont manifesté un intérêt. C'est ainsi que l'idée va se répandre.

L'OACI donne aussi son appui à un accord bilatéral ou régional où un groupe d'États s'entendent pour diviser les responsabilités entre eux.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: M. Kinsman a dit que les coûts de l'enquête ont été importants pour le Canada. J'aimerais savoir si la Suisse a contribué financièrement ou autrement. Dans la présente année financière, on a reçu des demandes de fonds qui s'élèvent à deux millions de dollars et plus.

M. Kinsman: Le gouvernement suisse n'a déboursé aucun frais. Par contre, la compagnie Swissair a dépensé une somme considérable pour nous aider dans notre enquête. Par exemple, elle a mis à notre disposion un de leurs avions pour que nos enquêteurs puissent en étudier la structure interne.

Le sénateur Ferretti Barth: La compagnie Swissair étant une compagnie nationale, elle est sûrement subventionnée par le gouvernement suisse. Cela fait déjà trois ans que cet accident est survenu et on reçoit encore des demandes de fonds pour finaliser l'enquête. Combien de temps encore durera cette enquête? La boîte noire a-t-elle été retrouvée?

Lors de la réunion des membres de l'OACI qui s'est tenue à Montréal, un consensus s'est-il dégagé sur le paratage des coûts advenant d'autres catastrophes aériennes en territoire étranger?

M. Kinsman: L'enquête est longue parce qu'elle est très complexe. Il a fallu récupérer du fond de l'océan plus de deux millions de pièces de l'avion que les enquêteurs ont dû par la suite identifier. C'est un processus laborieux.

Au Canada, on n'attend pas l'émission du rapport final de l'enquête avant de dégager des recommandations qui amélioreraient la sécurité en vol. On a déjà émis 11 recommanda tions suite à cet écrasement. L'étude des boîtes noires et des morceaux de l'épave nous a permis de constater certaines choses. Par exemple, on a découvert que des matériaux isolants du MD-11 n'étaient pas ininflammables; on a donc émis une recommandation, il y a un an et demi, à l'effet que ces matériaux devaient être changés pour ce type d'avion, car à peu près 800 avions à travers le monde utilisent des matériaux identiques. L'Administration fédérale de l'aviation aux États-Unis demande les modifications d'ici cinq ans. Un des objectifs de cette enquête a donc déjà été rempli.

On espère avoir le rapport final d'ici un an. Des individus seront certainement déçus de ce rapport, car il est fort probable qu'il n'y aura pas de causes de l'accident comme telles, mais ce n'est pas important. Ce qui important, c'est que nos découvertes améliorent la sécurité des passagers.

Le sénateur Ferretti Barth: Va-t-on faire quelque chose pour changer la convention de sorte que le fardeau qui incombe actuellement au pays où se produit la tragédie soit allégé? Il m'apparaît injuste que les contribuables canadiens soient entièrement responsables des coûts alors qu'il s'agit de l'écrasement d'un avion d'une compagnie suisse.

M. Kinsman: Je suis d'accord, mais vous savez qu'il y a une contrepartie aussi. De la même façon, on a fait une enquête sur la compagnie Swissair ici au Canada...

Le sénateur Ferretti Barth: Oui, et c'est la raison pour laquelle je dis que si nous pouvions modifier cette convention et arriver à un consensus avec tous les États qui l'ont signée afin de partager les coûts d'une enquête ou les frais d'assurances, cela serait mieux pour tout le monde. Les gens seraient très heureux de voir que les Canadiens sont préoccupés par leur responsabilité future. Selon la convention, nous pouvons effectuer des enquêtes, mais nous ne sommes pas obligés de les payer. Il faudrait trouver auprès du gouvernement suisse une bonne volonté de partager des coûts aussi énormes. On a déjà dépassé les 50 millions dollars et l'étude n'est pas encore terminée. Lorsqu'il y a des enquêtes, on sait où on commence, mais on ne sait jamais où on finit. C'est ce qui me préoccupe le plus.

M. Kinsman: Je comprends très bien.

[Traduction]

Le sénateur Bolduc: J'ai une seule question. Quelle est la position du Canada lorsqu'il s'agit de modifier la convention? Ce qui me frappe, c'est que notre territoire est très étendu et que la plupart des accidents se produisent lors de l'atterrissage ou du décollage. Des villes comme Seattle, Minnesota, Detroit, Cleve land, Buffalo, Rochester et Boston ne sont pas très éloignées de notre frontière et elles ont toutes des vols pour l'Europe.

Chaque nuit, des centaines d'avions quittent l'Europe et survolent le Canada. Je suis un peu inquiet à la pensée que nous devrions être responsables de tous les frais d'enquête pour un aussi grand nombre d'accidents éventuels. En comparaison de la Norvège, de la Suède, de la Finlande ou des Pays-Bas, la possibilité d'avoir à assumer les frais des enquêtes d'accidents est beaucoup plus grande pour nous.

M. Kinsman: Votre question, sénateur Bolduc, a deux parties. D'abord, vous demandez la position qu'adopte le Canada relativement à la modification de la convention. Mon opinion ne représente pas la position officielle parce que ce n'est pas mon rôle, mais je peux vous donner une idée de ce qui se passe à mon avis.

L'OACI est saisie d'une question portant sur les coûts des enquêtes. Je le répète, la préoccupation du président du conseil est de s'occuper des pays sous-développés. Néanmoins, comme le dit le sénateur Ferretti Barth, il s'agit d'un montant énorme.

La préoccupation essentielle de l'OACI est de veiller à ce que les accidents qui se produisent dans le monde font l'objet d'une enquête appropriée.

Le sénateur Bolduc: J'en conviens. Je conviens que le Canada, qui est l'un des 30 pays développés, doit faire sa part à l'égard des pays sous-développés. Cependant, il faut fusionner d'une certaine manière notre richesse, notre capacité de paiement, et notre responsabilité liée au territoire. D'une certaine manière, tous ces facteurs devraient être dosés, et je ne suis pas certain que le dosage actuel est acceptable.

M. Kinsman: Je le comprends.

Le sénateur Bolduc: C'est exactement ce qui s'est produit aux États-Unis dans ses transactions avec les Nations Unies. En 1945, les États-Unis assuraient environ 40 p. 100 de la protection mondiale, ils ont donc convenu d'acquitter plus que leur part des dépenses des Nations Unies. Il y a environ cinq ans, ils ont dit que, à moins que les règles ne soient modifiées, ils ne paieraient pas, et c'est ce qu'ils ont fait.

Finalement, un agent d'administration d'un ministère, à Washington, a été muté et nommé directeur administratif des Nations Unies. La tâche du secrétaire général consiste à parcourir le monde et à parler de principes. Pendant ce temps-là, le phénoménal appareil bureaucratique des Nations Unies dépensait de l'argent. Les Américains ont dit que c'était assez et ils se sont attelés à la tâche d'apporter des changements. Les règles ont maintenant été changées et les Américains paient un peu moins, ce qui est juste.

Peut-être le Canada pourrait-il adopter la même approche sur ce plan. Nous pouvons extrapoler à partir de cette leçon des Nations Unies et refuser de payer pour tout ceci. Je ne suis pas sûr que le ministère des Affaires extérieures ait discuté de l'aspect financier de tout cela.

M. Kinsman: Je n'en suis pas sûr non plus. Je ne pourrais pas vous le dire. Mes collègues et moi travaillons à un autre niveau, avec l'OACI. C'est cet aspect que je vous présente aujourd'hui. Je suis moins au courant des positions officielles.

Le sénateur Bolduc: Je le comprends, mais par les remarques que je vous fais, en réalité, je m'adresse au ministre.

M. Kinsman: Je comprends. J'ajouterais une chose qui, je l'admets, est quelque peu subjective. D'après moi, l'important, pour le Canada, c'est de penser à l'équilibre. Nonobstant un très gros accident qui nous a coûté beaucoup d'argent, sur l'ensemble des enquêtes sur les accidents aériens menées dans le monde entier, est-ce que le Canada a souffert indûment de la dépense de 50 ou 60 millions de dollars pour l'accident de Swissair?

Pour revenir à votre exemple, il est très clair que les États-Unis ont engagé de très fortes sommes dans les missions des Nations Unies, même lorsqu'ils n'y participaient pas. Je ne suis pas convaincu que nous pouvons en dire autant au sujet des enquêtes sur les accidents menées au Canada. Nous devons, un instant seulement, prendre du recul par rapport aux coûts très importants de l'accident de Swissair et nous demander: est-ce que, dans le passé, le Canada a été appelé de façon disproportionnée à mener des enquêtes et à débourser pour elles?

Comme le soulignent les documents d'information que vous avez, nous avons eu deux grands accidents depuis environ une trentaine d'années. Les renseignements que vous avez sont tout à fait justes au sujet du fait que la majorité des accidents - plus de 75 p. 100 - surviennent au moment de l'atterrissage et environ 20 p. 100 au moment de l'envol. Selon nos statistiques, moins de 4 p. 100 des accidents aériens surviennent pendant la phase que nous appelons de croisière.

Le sénateur Bolduc: Je faisais référence au fait que beaucoup de grandes villes américaines sont à proximité de la frontière canadienne.

M. Kinsman: C'est juste. Je serais le dernier au monde à venir vous voir pour soutenir que, rien que parce qu'ils ont décollé aux États-Unis, ces vols n'ont aucune répercussion sur le Canada. En fait, j'irais plus loin que cela. Avec la mondialisation, les trajets qui passent au-dessus du pôle deviennent plus fréquents et, avec l'ouverture des marchés, un plus grand nombre encore d'avions sillonneront l'espace aérien du Canada quotidiennement.

Le sénateur Bolduc: J'ai une autre question à poser. Avez-vous la moindre idée des coûts de l'enquête sur l'accident de Lockerbie?

M. Kinsman: Je dois avouer que non.

Le sénateur Bolduc: Est-ce que ces coûts ont été déboursés par l'Écosse ou la Grande-Bretagne?

M. Kinsman: Mon très avisé collègue, M. Tucker, qui a grandi dans le contexte politique de Terre-Neuve m'a dit: «Dites au sénateur que ça a été payé par le Royaume-Uni.»

Le président: Il a été question de l'Irlande. La tragédie d'Air India, de triste mémoire, est survenue au large des côtes de la République irlandaise.

M. Kinsman: Oui.

Le président: Est-ce que la république a dû, au bout du compte, débourser les frais de cette enquête?

M. Tucker: Cet accident est survenu le plus près de l'Irlande, mais c'était en fait dans des eaux internationales, alors c'est le gouvernement de l'Inde qui a joué le rôle principal. Le Canada, les États-Unis, la Grande-Bretagne et l'Irlande y ont tous largement contribué, et je pense aussi la France, mais, en tout cas, les quatre premiers pays que j'ai nommés.

Le sénateur Tunney: Le sénateur Bolduc a présenté deux ou trois excellents arguments que j'aurais moi-même donnés, et je l'en remercie.

L'assurance est, à mon avis, une solution très dangereuse au financement de ces pertes, et je vais vous dire pourquoi. La compagnie Lloyds de Londres, ou n'importe quelle autre compagnie d'assurance qui a son expérience actuarielle, ne prévoit jamais de perdre de l'argent avec une police d'assurance. La franchise, c'est-à-dire les quelques centaines de milliers de dollars que l'assuré paie et, plus dangereusement, la limite supérieure qui pourrait s'appliquer, signifierait que l'assureur ajouterait la prime à cette franchise, et dans certains cas le montant supérieur à la limite. Le pays assureur ne saurait jamais exactement ce qu'il risquerait. Nous devrions aller tout au fond de cette question avant d'envisager l'assurance.

Je préférerais nettement que les pays signataires, et je pense que certains fabricants devraient y participer aussi, créent un fonds d'assurance qui serait payé par les pays et, peut-être, par les compagnies, de manière qu'un financement soit disponible pour couvrir ces coûts parfois très importants. Il faudrait, et je pense qu'il en existe déjà, conclure une entente au préalable sur une myriade de détails, comme l'envergure du pays, de la compagnie aérienne et, je suppose, la capacité des petits pays, par exemple, des régions du tiers monde, de payer une prime, ceux qui éprouveraient certaines difficultés s'ils devaient débourser de fortes sommes.

Je propose ceci à votre examen. Vous n'avez pas besoin d'y répondre si vous ne le voulez pas.

M. Kinsman: Sans y répondre vraiment, parce que je pense que ce sont des idées que j'appuierais, j'aimerais souligner une préoccupation. Il est important que les gens dont c'est le travail de faire des enquêtes le fasse avec autant d'autonomie que c'est possible, et je sais que je reviens toujours à ce concept «d'indépendance». De la même façon dont nous devrions tenir compte de certains facteurs en rapport aux compagnies d'assurance, l'une des choses dont il faut tenir compte, avant d'accepter le soutien financier de n'importe quelle organisation, agence, ou de quelque autre groupe intéressé, est la question de savoir si les gens qui participent aux frais sont d'accord aussi avec le concept de l'enquête. Nous faisons enquête pour accroître la sécurité; il ne s'agit pas de trouver une cause. Il arrive souvent de nos jours que nous nous retrouvions, quelles que soient les méthodes d'enquête que nous appliquions, confrontés à l'incompréhension, dans une société litigieuse, de gens qui veulent tirer profit de nos conclusions pour aller devant un tribunal et essayer d'en soutirer leur poids de satisfaction.

Nous avons une préoccupation. Il est très difficile de la définir précisément, mais nous avons une préoccupation et c'est certainement un facteur à tenir en compte. Si quelqu'un devait, dans une mesure quelconque, financer une enquête qu'effectue le Bureau de la sécurité des transports du Canada, quelle nouvelle dynamique entrerait en jeu? Certaines personnes pourraient viser un but particulier. Il n'existe pas beaucoup de gens altruistes qui payent des millions de dollars. C'est à tenir en compte.

Le sénateur Bolduc: Il y a aussi un autre aspect à cette question. Les gens qui prennent l'avion sont assurés. Nous parlons des 50 millions de dollars du coût de l'accident, mais, collectivement, les passagers peuvent être assurés pour quelque 300 millions de dollars. Chaque passager pourrait être assuré pour quelque chose comme 500 000 ou un million de dollars. Les compagnies d'assurance déboursent déjà ces sommes.

M. Kinsman: De fait, monsieur le sénateur, à ce que nous avons compris, les procédures en cours actuellement qui découlent de l'accident de Swissair sont de l'ordre de 20 milliards de dollars.

[Français]

Le président: S'il n'y a pas d'autres interventions, il ne me reste qu'à remercier les témoins de leur participation à la séance de ce matin.

[Traduction]

Merci d'avoir si pleinement participé à cette discussion avec nous sur cet important sujet.

La séance est levée.


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