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NFFN - Comité permanent

Finances nationales


Délibérations du Comité sénatorial permanent
des finances nationales

Fascicule 22 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 18 octobre 2001

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit ce jour à 11 heures pour examiner l'efficacité et les améliorations possibles de la politique actuelle de péréquation pour ce qui est de donner aux gouvernements provinciaux des revenus suffisants pour leur permettre d'assurer les services publics à un niveau de qualité et de fiscalité sensiblement comparable.

Le sénateur Lowell Murray (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Nous tenons aujourd'hui la deuxième audience publique consacrée au programme de péréquation. Nos témoins sont le premier ministre du gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador, l'honorable Roger Grimes, et sa ministre des Finances, l'honorable Joan Marie Aylward.

L'honorable Roger Grimes, qui est premier ministre de sa province depuis le mois de février, a fait une longue carrière remarquable dans la vie publique. Après avoir été élu pour la première fois à l'assemblée provinciale en 1989, pour la circonscription de Exploits, il a occupé de nombreux portefeuilles ministériels. En effet, il a été ministre du Travail, puis ministre du Tourisme, de la Culture et des Loisirs, et ensuite ministre de l'Éducation, ministre des Mines et de l'Énergie, et ministre de la Santé. Il connaît donc fort bien tous les ministères de sa province, notamment certains de ceux qui dépensent le plus.

Nous avons le plaisir d'accueillir à nouveau la ministre des Finances et présidente du Conseil du Trésor, Mme Aylward. Elle est députée de St. John's Centre, et elle a aussi dirigé plusieurs ministères du gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador, soit les Services sociaux, la Santé et les Affaires municipales et provinciales. C'est en février de cette année qu'elle est devenue ministre des Finances et présidente du Conseil du Trésor. Vous vous souviendrez qu'elle a déjà comparu devant notre comité lors de notre étude du projet de loi de M. Martin visant à relever le plafond de la péréquation.

Je donne la parole au premier ministre pour une déclaration liminaire, après quoi nous aurons une période de questions.

L'honorable Roger Grimes, premier ministre de Terre- Neuve et du Labrador: Je vous remercie, monsieur le président, de me donner l'occasion de témoigner devant votre comité avec la ministre des Finances et présidente du Conseil du Trésor de Terre-Neuve et du Labrador, l'honorable Joan Marie Aylward. J'ajoute que je suis aussi accompagné de mon chef de cabinet, M. Reid, de mon directeur des Communications, M. Cooper, ainsi que de mon épouse, Mary Anne, qui visite Ottawa avec nous. Nous assisterons demain soir à la première de la pièce de Joey, qui sera présentée dans la région d'Ottawa et en Ontario pendant les prochaines semaines. À cette occasion, nous serons les hôtes d'une réception, demain soir, qui nous permettra d'apporter les salutations des Terre-Neuviens et Labradoriens au public de la première. Nous sommes fiers qu'une troupe de Terre-Neuve puisse se produire dans cette région et dans le reste de l'Ontario avec une pièce consacrée à la carrière de l'un des Pères de la Confédération, Joey Smallwood, qui a fait entrer Terre-Neuve et le Labrador dans le Canada ou, comme nous aimons le dire, a convaincu le Canada de se joindre à Terre-Neuve et au Labrador en 1949, et qui fut notre premier ministre pendant 23 ans. C'est un grand plaisir pour nous de participer à cette première théâtrale.

J'ai le plaisir de constater aussi la présence autour de cette table des sénateurs de Terre-Neuve, les sénateurs Rompkey, Doody, Cook et Furey. Je sais que tous les sénateurs, comme tous les politiciens et la population de Terre-Neuve et du Labrador, s'intéressent vivement au thème de vos audiences puisqu'il touche les aspects les plus fondamentaux de notre participation à une fédération dont nous sommes extrêmement fiers.

Je suis heureux de voir aussi les autres sénateurs, notamment le sénateur Mahovlich. Je lui ai demandé s'il allait jouer ce soir, étant donné que j'ai rencontré Mario Lemieux au petit déjeuner. J'ai dit au sénateur Mahovlich qu'il semble être en tout aussi bonne forme que Mario Lemieux et que, si ce dernier a pu faire un retour au jeu, peut-être devrait-il lui aussi envisager de reprendre son ancienne carrière. Il m'a toutefois assuré n'en avoir aucunement l'intention et vouloir rester là où il est actuellement.

Je vais essayer d'être bref dans mes remarques liminaires. La dernière fois que j'ai comparu devant un comité du Sénat, c'était au sujet d'un changement constitutionnel touchant l'éducation à Terre-Neuve et au Labrador. J'avais alors beaucoup apprécié le sérieux des débats sur cette question, ainsi que l'énergie et les efforts déployés par le comité du Sénat et par le comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes, il y a plusieurs années, alors que j'étais ministre de l'Éducation.

Cela dit, et comme j'ai promis d'être bref, ceux d'entre vous qui aviez assisté à cette séance du comité vous souviendrez que le président m'avait invité à conclure mes remarques au bout de quelques minutes afin d'ouvrir la période des questions. Je voudrais éviter de faire l'objet d'un tel rappel à l'ordre ce matin.

Comme notre mémoire vous a été distribué, je ne vais pas le lire. Je vais simplement mettre en relief quatre ou cinq questions que nous y avons abordées.

Il s'agit de questions que j'ai déjà eu l'occasion de soulever dans le reste du pays étant donné que cela fait huit mois que je suis premier ministre de ma province. Je les ai en effet soulevées lors de la conférence annuelle des premiers ministres à Victoria, où la péréquation fut un élément central de l'ordre du jour. À ce moment-là, les chefs provinciaux et territoriaux ont adopté plusieurs résolutions à l'unanimité et je suis heureux de pouvoir en discuter de manière plus détaillée avec vous aujourd'hui.

Je tiens tout d'abord à faire quelques remarques sur certains malentendus qui subsistent encore dans notre pays au sujet de la péréquation, c'est-à-dire de sa nature, de son mécanisme et de son but. Comme l'avait fait la ministre des Finances, Mme Aylward, lors de sa propre comparution, je voudrais consacrer quelques minutes à rappeler l'assise constitutionnelle de ce programme en soulignant que c'est le seul programme de financement qui figure dans la Constitution du Canada. Il est clair qu'il doit avoir la primauté sur tous les programmes de financement.

Je me dois de préciser que ce programme important et garanti par la Constitution est minuscule par rapport aux autres programmes de financement du gouvernement du Canada, ce qui l'empêche d'atteindre ses buts et objectifs.

Je voudrais parler du malentendu concernant les critères de modification du programme de péréquation. Certains politiciens provinciaux et fédéraux voudraient nous faire croire - et je ne dis pas ça pour les critiquer mais simplement parce que c'est la réalité - qu'on ne peut modifier le programme de péréquation que si les provinces et territoires sont d'accord. Cette affirmation est complètement fausse étant donné que, je le rappelle, la péréquation est un programme du gouvernement du Canada, qui relève donc complètement et totalement de son contrôle. Je veux parler aussi de la question de savoir si les recettes issues des ressources non renouvelables devraient faire partie du calcul des paiements de péréquation. Vous savez sans doute que j'ai clairement et publiquement pris position sur cette question pendant l'été, lorsqu'on avait attribué certaines remarques au premier ministre de l'Ontario, M. Harris, qui prendra bientôt sa retraite et qui est l'un de mes excellents amis. Je tiens à le préciser chaque fois que j'aborde cette question car, même si nous sommes amis, nous avons parfois des divergences d'opinion sur le plan politique, même s'il a maintenant décidé de poursuivre sa carrière ailleurs.

Avant la conférence annuelle des premiers ministres à Victoria, certaines déclarations avaient été faites qui avaient montré de manière parfaitement claire aux Terre-Neuviens et Labradoriens, aux autres résidents des provinces maritimes et aux résidents des provinces bénéficiaires de la péréquation que bon nombre de gens considèrent que la péréquation signifie que les trois provinces prospères, qui sont à l'heure actuelle l'Ontario, l'Alberta et la Colombie-Britannique, versent dans un fonds de l'argent qui est ensuite reversé aux provinces démunies. Je sais que cette opinion est encore largement répandue puisque des membres de la presse nationale m'ont posé des questions qui m'ont porté à croire qu'ils ont toujours considéré ou cru que c'est ainsi que le programme fonctionne - que les trois provinces paient une cotisation spéciale, laquelle est perçue auprès des populations de ces provinces avant d'être reversée aux autres Canadiens qui sont dans une situation économique moins avantageuse.

Quand on parle de péréquation, comme le fait votre comité, je pense qu'il faut profiter de chaque occasion pour rappeler à tous les Canadiens que la péréquation est un programme financé par le gouvernement fédéral, à même les recettes fiscales générales du gouvernement du Canada. Le gouvernement du Canada perçoit des impôts égaux auprès de chaque citoyen et de chaque entreprise, qu'il s'agisse de l'impôt sur les sociétés, des taxes d'affaires, de l'impôt sur le revenu personnel ou de la TPS. Ces impôts ne sont pas différents en Ontario, en Alberta ou en Colombie-Britannique qu'à Terre-Neuve. Ce sont les mêmes impôts qui sont payés aux mêmes taux pour les mêmes objectifs dans tout le pays.

Or, la Constitution du Canada dispose que le gouvernement du Canada doit consacrer une partie de toutes ses recettes fiscales au financement d'un programme de péréquation. C'est le seul programme qui soit effectivement défini et garanti dans la Constitution. Ce n'est pas un programme financé au moyen d'une taxe spéciale. Quelles que soient les recettes perçues par le gouvernement du Canada pendant l'année, celui-ci est tenu, de par la Constitution, d'en consacrer une partie à la péréquation. C'est prévu dans la Constitution. C'est le seul programme au sujet duquel la Constitution exige que le gouvernement du Canada effectue certaines dépenses, et ces dépenses, qui représentent ce qu'on appelle la péréquation, sont déterminées complètement et totalement par le gouvernement du Canada.

Certes, divers changements ont été apportés au programme au cours des années lorsque le gouvernement du Canada a jugé qu'il y allait de son intérêt et, d'après lui, de l'intérêt de la population, y compris de celles des provinces et territoires bénéficiaires. Il y a eu des changements, au cours des années, quant aux provinces ou territoires devant toucher des paiements de péréquation. Par exemple, la Saskatchewan en a reçu certaines années mais pas d'autres. La province de Terre-Neuve et du Labrador, hélas, a toujours été dans une situation telle qu'elle a dû recevoir des paiements de péréquation depuis son entrée dans la Confédération.

Il est utile, dans de telles occasions, de se rappeler et de rappeler à quiconque nous écoute l'assise constitutionnelle du programme et le fait qu'il est financé à même les recettes fiscales générales du gouvernement du Canada. Il faut rappeler que personne au Canada ne paie plus qu'un autre pour la péréquation. Quand nous payons nos impôts fédéraux, nous ne savons pas quelle partie sera consacrée au TCSPS, quelle autre à un programme fédéral-provincial d'infrastructure, et quelle autre encore à d'autres programmes ou services. C'est le gouvernement du Canada qui prend ces décisions.

Aujourd'hui, il a décidé que le programme de péréquation devrait être financé à hauteur d'un peu plus de 10 milliards de dollars et ce sont les règles établies pour le programme qui détermineront qui recevra des paiements de péréquation, et combien. Les destinataires changent de temps à autre, et les montants sont calculés au moyen d'une formule qui, tout le monde le sait, est relativement complexe.

Il y a une certaine idée fondamentale qui ne cesse d'être exprimée devant votre comité, et je ne vais pas vous rebattre les oreilles avec ça car vous savez fort bien de quoi je parle. La proposition fondamentale, qui est également exprimée dans la Constitution, est que ce programme est destiné à garantir que tous les Canadiens, quel que soit leur lieu de résidence, aient accès à des niveaux raisonnablement comparables de programmes et de services dans des secteurs comme la santé, l'éducation et les infrastructures, et ce, à des niveaux de taxation relativement équitables. Les termes que je viens d'employer ne sont peut-être pas exactement ceux de la Constitution mais les concepts qu'ils expriment sont bien les mêmes. Comme nous le savons tous, ce sujet a suscité de nombreux débats dans notre pays. L'une des pierres angulaires de toute notre fédération est précisément ce programme qui vise à atteindre ces deux objectifs.

Vous trouverez dans mon mémoire des informations montrant que, malgré plus de 30 années de tentatives par le truchement de ce programme, les écarts n'ont pas été comblés, le programme n'a pas eu de succès et, si nous en conservons la forme actuelle, il n'en connaîtra jamais. Ce ne sera en fin de compte qu'un autre programme de transfert au titre duquel on prendra de l'argent des coffres fédéraux pour l'envoyer dans certains coffres provinciaux, mais sans atteindre les objectifs établis. Si la situation continue comme aujourd'hui, il y aura encore dans 30 ans quelqu'un d'autre qui sera assis à ma place et qui viendra vous dire: ça fait 60 ans que ce programme existe et il ne marche toujours pas. C'est ce que nous ne cessons de répéter de toutes les manières possibles. Je vous remercie de me donner l'occasion de le dire à nouveau, à titre de premier ministre de la province, tout comme notre ministre des Finances, Mme Aylward, est venue vous le dire il y a quelques mois.

Le problème, comme je l'ai bien expliqué à la conférence annuelle des premiers ministres à Victoria, c'est que nous avons d'autres programmes qui avaient aussi un volet de péréquation.

Le principe d'action du gouvernement du Canada jusqu'à il y a quelques années, était que, si l'on envoie de l'argent aux provinces pour la santé, il y a entre les provinces des différences qu'il faut prendre en considération. Terre-Neuve et le Labrador ont une population à peu près égale à celle de Winnipeg. Si nous avions toujours eu les recettes que nous avons aujourd'hui, pour dispenser des services entre 500 000 et 600 000 personnes concentrées sur un tout petit territoire, nous n'aurions pas de problème. Nous avons largement assez d'argent pour faire face à cette situation. Par contre, notre population est dispersée sur l'un des plus vastes territoires du pays. Nous avons plus de 600 collectivités dispersées sur une île beaucoup plus grande qu'on le pense généralement, à laquelle il faut ajouter le vaste Labrador. Or, nous devons dispenser des services à ces gens relativement près de leur lieu de résidence. Je veux dire par là qu'il coûte beaucoup plus cher de dispenser des services à un demi-million de gens dispersés dans 600 collectivités qu'à un demi-million de gens réunis dans une même ville. Les règles ne tiennent pas compte de ça.

Je suis un allié du gouvernement actuel, je suis un libéral. Je vote libéral aux élections fédérales, et j'espère que les libéraux fédéraux m'appuieront aux élections provinciales. Nous ne sommes cependant pas ici aujourd'hui pour parler de politique. Ce qui compte, c'est que le gouvernement actuel a décidé d'éliminer quasiment tous les facteurs de péréquation du financement de la santé et de l'enseignement postsecondaire, avec une formule de financement par habitant. Voilà la difficulté.

Le dernier portefeuille que j'ai occupé avant de devenir premier ministre était celui de la Santé. Pour vous donner un exemple, le TCSPS, le transfert en santé et en services sociaux, est un programme dont le budget est presque deux fois celui de la péréquation. Nous essayons de payer nos professionnels de la santé, les infirmières, les techniciens, les technologues et les autres, et nous recevons une certaine somme par habitant pour nous aider à fournir ces services dans toute la province. Le budget du programme est de 18 ou 19 milliards de dollars, et il atteindra 22 ou 23 milliards dans cinq ans. Cet argent est distribué selon le nombre d'habitants. Or, nos professionnels de la santé reçoivent des salaires inférieurs de 20 p. 100 à la moyenne nationale et de 10 p. 100 à la moyenne des Maritimes. Le défi pour nous est de conserver ces professionnels de la santé dans notre province, car ce sont des personnes qui possèdent des compétences très pointues et qui peuvent gagner 10 p. 100 de plus rien qu'en traversant le golfe, et 20 ou 25 p. 100 de plus en allant à Toronto. Quand notre province voisine de la Nouvelle-Écosse a connu des difficultés avec ses infirmières, au printemps, des agents de recrutement de l'Alberta sont venus pour essayer de les attirer en leur disant qu'elles gagneraient 30 p. 100 de plus, que leurs frais de déménagement seraient payés et que leur conjoint aurait du travail.

C'est la formule du financement par habitant qui est à l'origine de cette situation et qui creuse le fossé car les petits bassins de population ne peuvent jamais rattraper les autres. Il y a donc un programme de péréquation avec moitié moins d'argent qui vous donne en gros 20 milliards de dollars pour combler l'écart, et vous recevez votre part de 10 milliards pour essayer de combler le fossé. J'ai enseigné les maths pendant 15 ans et je sais que ça ne marche pas. On ne peut pas combler un écart avec moitié moins d'argent que ce qui a causé l'écart à l'origine. C'est impossible.

Voilà donc la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui. Nous avons exercé beaucoup de pressions auprès du gouvernement du Canada pour lui demander de réintégrer ces facteurs de péréquation dans les autres programmes de financement, et il fait parfois des exceptions à ce sujet. Je crois comprendre ainsi qu'on discute actuellement d'un nouveau programme national d'infrastructure routière, bien qu'aucune décision n'ait encore été prise. Au début, on envisageait encore de le financer en fonction du nombre d'habitants. Si l'Île-du-Prince-Édouard reçoit cet argent selon cette formule, elle recevra à peu près 50 cents par habitant. On ne peut pas construire beaucoup de routes avec 50 cents par habitant. Comme je l'ai dit, il y a parfois des exceptions.

Étant donné la petite taille de la province, on a accepté d'établir un plancher de financement de l'ordre de 3 ou 4 millions de dollars. Donc, les fonds ne seront pas versés strictement en fonction du nombre d'habitants. Si la péréquation est le programme garanti par la Constitution, le seul, et si l'objectif est de combler l'écart, tous les programmes devraient tenir compte des disparités.

C'est cela qui nous a le plus déçus de la part du gouvernement du Canada et des changements apportés il y a quatre ou cinq ans. J'en ai longuement discuté avec le premier ministre, avec le ministre des Finances, avec nos députés fédéraux et avec nos représentants au sein du Cabinet, mais sans succès.

Pour ce qui est de la péréquation elle-même, question qui fait actuellement l'objet d'un large débat ouvert dans notre pays, je suis heureux que le débat ne soit pas dirigé par les politiciens. Ce sont des économistes et des instituts de conjecture, comme le Atlantic Institute, qui disent qu'il serait absurde d'inclure les recettes issues des ressources non renouvelables dans le calcul de la péréquation. J'utilise constamment l'exemple de Terre-Neuve et du Labrador car il est parfaitement clair. Nous ne pouvons, et aucun gouvernement ne le peut, dispenser des services essentiels et fondamentaux en matière de santé, d'éducation, de déneigement et de toutes les choses que l'on doit faire pour la population, avec des recettes qui risquent de disparaître l'année suivante. La réalité d'une mine - je parle ici du projet de Voisey's Bay, que nous pourrons ou non entreprendre dans un avenir proche - c'est que, le jour où l'on donne le premier de pioche dans le sol est aussi celui où commence le décompte vers la fermeture de la mine. Il y a une limite de temps. Il s'agit d'une ressource non renouvelable, et la même chose vaut pour le pétrole et le gaz naturel et pour les recettes provenant de ces ressources.

Ça fait deux ans que la production a commencé à Hibernia. En réalité, cela veut dire que nous sommes deux ans plus près du jour où l'exploitation s'arrêtera. Cela veut dire aussi que nous ne pouvons établir des systèmes de santé, des systèmes d'enseignement et d'autres systèmes fondamentaux s'ils doivent dépendre de ces recettes car, le jour où Hibernia fermera sera aussi le jour où nous devrons fermer nos écoles et nos hôpitaux et cesser de dispenser des services.

Nous avons recommandé au gouvernement du Canada de consacrer ces recettes au service de la dette car, si nous pouvons éliminer les 15 p. 100 à peu près que notre ministre des Finances consacre chaque année au service de la dette, avec des recettes ponctuelles, c'est 15 p. 100 de plus que nous aurons chaque année pour dispenser des services durables à notre population.

Il y a un jour où nous n'aurons plus de recettes du pétrole et du gaz naturel, où nous n'aurons plus de recettes minières. Elles n'existeront plus. Il y avait à Baie Verte une mine qui est fermée depuis 10 ans. Il y avait à Daniel's Harbour une mine qui est fermée depuis 15 ans. Il y avait à Buchans une mine qui donnait des emplois et qui est fermée depuis 20 ans. La mine de Belle Island, qui a beaucoup contribué à l'économie de Terre-Neuve et du Labrador pendant 25 ans, est maintenant fermée depuis plus de 25 ans. Les recettes issues de ces mines ne permettent pas de dispenser des services de manière continue.

Le but du débat actuel concernant la péréquation est d'élargir l'assiette fiscale pour garantir des recettes durables à chaque province et territoire, grâce aux taxes ordinaires - impôt sur le revenu, impôt à la consommation, et cetera - que le gouvernement peut contrôler et avoir à l'avenir. Le gouvernement peut gérer ses affaires d'une manière ou d'une autre pour les maintenir à un certain niveau garantissant ce revenu. Par contre, nous ne pouvons contrôler la durée de vie d'une mine. Nous ne pouvons contrôler la période pendant laquelle le pétrole et le gaz naturel nous donneront des recettes fiscales. Nous devrions donc utiliser ces recettes pour rembourser la dette et construire certaines infrastructures qui nous permettront de diversifier notre économie, et ces recettes ne devraient pas être incluses dans le calcul.

Finalement, quand cela convient au gouvernement du Canada - et il a pris position dans les deux sens à ce sujet - il affirme qu'il faut inclure les recettes pétrolières des provinces maritimes car on doit tenir compte de toutes les recettes, quelle qu'en soit l'origine. C'est une question sur laquelle le premier ministre Hamm et moi-même reviendrons dans un autre contexte car nous avons l'intention de continuer à nous opposer au principe de récupération des recettes fiscales.

En ce qui concerne l'Alberta, qui engrange d'énormes recettes pétrolières, il a été décidé de les soustraire du calcul de la péréquation étant donné que cela influe sur la moyenne nationale. Si l'on inclut les recettes pétrolières de l'Alberta - et ils insistent pour qu'elles le soient - cela fait monter la moyenne trop haut. Autrement dit, le gouvernement du Canada trouve pratique de ne pas inclure les recettes pétrolières de l'Alberta parce que cela ferait monter trop haut la moyenne que nous essayons tous d'atteindre. Il maintient donc la moyenne à un niveau artificiellement bas en décidant unilatéralement de retirer l'Alberta de l'équation et d'utiliser une norme basée sur cinq provinces au lieu de 10.

Les ministres des Finances ont demandé que l'on fasse la moyenne avec les 10 provinces de façon à obtenir une norme réelle correspondant à la vraie moyenne économique du Canada et non pas à une moyenne artificielle créée avec seulement cinq provinces. Les premiers ministres ont approuvé cette position lors de leur conférence de Victoria. Nous avons demandé la suppression du plafond.

Vous trouverez dans notre mémoire un graphique représentant le pourcentage de PIB et le pourcentage réel de revenu que le gouvernement du Canada contribue au programme de péréquation prévu par la Constitution. Cette contribution est aujourd'hui plus faible qu'elle ne l'a jamais été. Autrement dit, pour le seul programme prévu dans la Constitution, l'effort budgétaire du gouvernement du Canada n'a jamais été aussi faible.

Parlons maintenant de quelles recettes prendre en compte. Nous disons qu'il faut tenir compte de toutes les recettes engendrées par n'importe quelle province sur une base continue. Je parle ici de l'impôt sur le revenu, des taxes à la consommation et des tickets modérateurs. Encore une fois, le gouvernement du Canada n'est pas d'accord avec l'idée d'intégrer les tickets modérateurs mais chaque province peut imposer des tickets modérateurs pour certains types de services, quand elle le veut, et accroître ainsi ses recettes quand elle le veut. Par contre, on ne peut pas ouvrir une mine quand on veut. Et on ne peut pas décider non plus quand elle va fermer.

Voilà les arguments que nous avons présentés au gouvernement fédéral et je sais que ces questions ont déjà été abordées devant votre comité. Nous sommes extrêmement déçus qu'aucun progrès n'ait été constaté suite à nos démarches auprès du gouvernement du Canada. Les 13 premiers ministres provinciaux et territoriaux sont convenus à l'unanimité, lors de leur dernière conférence, que le plafond devrait être éliminé. Même le ministre des Affaires intergouvernementales, M. Dion, en réponse à un article de M. Crosby d'il y a une semaine ou deux, a prétendu que le gouvernement fédéral ne peut modifier le système sans l'approbation des provinces, ce qui n'est pas vrai.

De toute façon, même si c'était vrai, il se trouve que toutes les provinces sont d'accord pour apporter ces changements. Toutes les provinces conviennent qu'il faut éliminer le plafond et que le programme devrait refléter leur vraie situation économique.

Cette question nous cause beaucoup de frustration, et j'espère que vous l'avez perçu dans ma voix. J'ai tenté d'exposer clairement nos arguments pour que nous puissions en discuter librement. Je vous remercie de votre attention.

Le sénateur Rompkey: Je souhaite la bienvenue aux témoins et je les remercie de cet exposé. Je tiens à dire aux membres du comité, notamment au sénateur Mahovlich, que Roger Grimes n'est pas un petit joueur de hockey non plus. Il était autrefois défenseur pour les Cataracts de Grand Falls. Même le sénateur Doody, qui est partisan des Capitals de St. John's, conviendra que les Cataracts de Grand Falls étaient une équipe redoutable à Terre-Neuve. Sénateur Mahovlich, si certaines équipes ont des faiblesses en défense, je songe particulièrement aux Penguins de Pittsburgh, voilà peut-être la solution.

Passons maintenant aux choses sérieuses. Je veux aborder les questions les plus fondamentales, qui sont: que veulent dire les mots? Quelle est la réalité? À mon avis, ce sont ces questions qui doivent fonder les délibérations du comité. Soulignons les termes employés par le premier ministre dans son mémoire, qui sont: «Garantir aux Canadiens l'accès à des niveaux raisonnablement comparables de services publics, à des taux raisonnablement comparables d'imposition».

Le premier ministre peut-il nous dire si tel est le cas aujourd'hui? Si ce n'est pas le cas, il va falloir agir parce que c'est ce que disent les mots. C'est la question fondamentale. Est-il raisonnable que notre province dépense 111 p. 100, 112 p. 100 ou 120 p. 100 de la moyenne nationale pour son système d'enseignement? Est-ce bien juste?

Il y a des mines qui vont entrer en exploitation et qui auront besoin de personnel qualifié et d'instructeurs pour donner de la formation au personnel. Nous savons qu'il y a une corrélation entre l'enseignement, l'emploi et les salaires. Si nous devons dépenser 120 p. 100 de la moyenne nationale - et le pourcentage exact compte peu - nous risquons d'avoir un système inférieur, et il est clair que nous n'avons pas un système supérieur. Terre-Neuve s'est dotée d'un bon système d'enseignement mais cela lui coûte plus que la moyenne nationale. Ce n'est pas raisonnable. J'aimerais connaître la réaction du premier ministre à ce sujet.

M. Grimes: C'est la question fondamentale dont nous avons discuté à la conférence annuelle des premiers ministres à Victoria. C'est la question principale dont j'ai longuement discuté avec le premier ministre Harris de l'Ontario. J'ai utilisé l'enseignement et la santé comme exemples. En Ontario, les salaires des enseignants sont de 25 à 30 p. 100 supérieurs à ceux de Terre-Neuve et du Labrador. Les fonds du TCSPS n'entrent pas dans la système K-12. Ils servent à l'enseignement postsecondaire. Il y a des sommes par habitant qui sont versées au titre du TCSPS et que l'on peut consacrer à l'enseignement postsecondaire et à la santé pour rehausser les salaires des professeurs d'université, par exemple. En même temps, il y a un programme très agressif de réduction des impôts.

C'est là que le problème se complique. Nous nous retrouvons avec un environnement fiscal dans lequel nous essayons d'attirer des entreprises et des investisseurs à Terre-Neuve et au Labrador. L'une des plus grosses difficultés que rencontrent notre ministre des Finances et d'autres est que les entreprises leur disent qu'elles ne peuvent envisager de s'implanter sur notre territoire parce que notre régime fiscal n'est pas compétitif. Comment pourrons-nous jamais obtenir un environnement fiscal compétitif si nous devons pratiquement augmenter nos impôts pour avoir assez d'argent pour payer nos professionnels de la santé et de l'enseignement afin de ne pas les perdre? Si nous les perdons, nous ne pourrons plus dispenser les services. À cause de notre situation géographique, nous dépensons 20 à 25 p. 100 de plus pour fournir les mêmes services, pas des services supérieurs.

Le gouvernement du Canada et les bureaucrates qui s'occupent du programme de péréquation le comprennent fort bien mais ils n'en tiennent pas compte dans le programme. Ils savent qu'il y a une différence fondamentale dans le coût de prestation des services à une population géographiquement dispersée.

Le programme de péréquation nous fait prendre beaucoup de retard. J'ai entre les mains un rapport qui montre qu'il ne nous est arrivé qu'une seule fois en 30 ans d'atteindre 70 p. 100 du PIB. Le programme devrait nous amener près des moyennes nationales mais nous n'avons en fait jamais bougé, malgré les meilleurs efforts de tout le monde.

Il y a aussi la question du coût additionnel et de savoir si ce coût sera intégré aux autres programmes. La péréquation est utile mais, sous sa forme actuelle, elle ne nous permettra jamais de combler le fossé car les autres programmes ont pour effet de l'élargir quotidiennement. La péréquation ne peut pas compenser ce phénomène. En fait, nous tournons en rond et nous perdons du terrain.

Il est temps d'engager un débat fondamental dans notre pays au sujet de la péréquation et de tous les programmes de financement qui amènent à transférer des fonds entre le gouvernement du Canada et les provinces et territoires.

Le sénateur Furey: Monsieur le premier ministre Grimes, je conviens certainement avec vous que l'idéal visé par tous ces programmes est l'égalité. Si nous voulons avancer vers ce but, il faut que ces politiques et programmes soient fondés sur l'équité et la justice. La prestation des soins de santé à Terre-Neuve ne se fait pas au même niveau qu'en Ontario ou en Alberta. Or, quand nous examinons comment les fonds du TCSPS sont répartis, ils le sont par habitant. Terre-Neuve a une population en déclin et vieillissante, ce qui veut dire que son système de santé sera encore plus fortement mis à contribution à l'avenir qu'aujourd'hui. Nous continuons de verser l'argent du TCSPS en fonction du nombre d'habitants. L'écart ne se réduira jamais tant qu'on aura ce système de distribution.

Monsieur le premier ministre, avez-vous présenté vos arguments aux fonctionnaires fédéraux et au ministre fédéral pour obtenir des changements? Si ces programmes doivent être fondés sur l'équité et la justice, sur l'égalité dans notre grand pays, il faut commencer quelque part. Les choses doivent changer. Il faut une formule qui tienne compte des besoins et des autres facteurs comme ceux que j'ai mentionnés.

M. Grimes: J'apprécie votre question et vos remarques. Nous ne cessons de présenter nos arguments. Je suis heureux d'être ici aujourd'hui pour les présenter à nouveau. Vous avez parfaitement décrit la situation, tout comme je l'ai décrite moi-même et comme l'ont décrite la ministre des Finances et d'autres représentants de Terre-Neuve.

Je ne veux pas revenir constamment là-dessus mais c'était quand même l'élément central de la conférence des premiers ministres de cette année. À Victoria, le premier ministre Harris disait: «Il faut augmenter le TCSPS car nous n'avons pas les moyens, en Ontario, de financer les services de santé aux niveaux requis». Pour ma part, je disais: «Je ne peux pas accepter de participer à une conférence des premiers ministres qui demandent d'augmenter le TCSPS car cela creusera l'écart entre l'Ontario et Terre-Neuve et le Labrador, à moins que l'on apporte des modifications adéquates à la péréquation, qui est précisément le programme censé combler l'écart et garantir des services équitables».

Bien sûr, tout cela a fait beaucoup de bruit dans les jours précédant la conférence et l'on a dit, à la fin de la conférence, que les premiers ministres avaient demandé les deux. Comme nous sommes des politiciens, nous avons bien sûr demandé l'abolition du plafond, à l'unanimité. Nous avons demandé des modifications aux autres éléments du programme de péréquation dans le but d'obtenir une couverture plus large des recettes et l'établissement d'une moyenne pour les 10 provinces au lieu de cinq, de façon à essayer d'amener les services et les programmes jusqu'à une vraie moyenne canadienne au lieu d'une moyenne artificielle. Nous avons aussi demandé une augmentation du TCSPS car nous recevons tous moins d'argent, y compris l'Ontario, l'Alberta et la Colombie-Britannique. Chaque province ou territoire reçoit des transferts pour l'aider à défrayer les programmes de santé, d'enseignement postsecondaire et certains programmes sociaux. C'est sur cette base que le gouvernement du Canada a conclu que les paiements devraient être effectués en fonction du nombre d'habitants, puisqu'ils sont destinés à tout le monde. Toutefois, l'essentiel du débat portait sur le fait que ces fonds, à mesure qu'ils augmentent, vont à l'encontre des objectifs de péréquation.

Si nous continuons dans cette voie, cela voudra dire que nous ne prenons pas notre Constitution au sérieux. Dans le débat constitutionnel, chacun a décidé quels articles seraient inclus, quels éléments seraient importants pour l'ensemble du pays, quelles choses devraient être considérées comme faisant partie intégrante de la nature même du Canada. Devinez quel est le seul élément qui a été inclus sur la base du financement? La péréquation. Nous avons tous déclaré que nous devrions viser à établir des niveaux de programmes et de services plus équitables, avec des niveaux de taxation relativement équivalents. Ce n'est toutefois pas ce qui se fait, en grande mesure parce que les efforts en ce sens sont frustrés par l'existence de plafonds artificiels dans le programme de péréquation. Le gouvernement du Canada prend des décisions absolument et foncièrement arbitraires pour maîtriser sa propre situation budgétaire et pour avoir des budgets équilibrés. Certes, ces objectifs sont tous louables et nous les approuvons tous. Nous sommes tous en faveur de la réduction de la dette et d'une gestion responsable des finances publiques, mais cela est devenu la priorité, au détriment du financement du seul programme qui soit garanti dans la Constitution et qui vise à assurer des niveaux comparables de services publics et des taux d'imposition égaux.

Comme l'Ontario, l'Alberta et la Colombie-Britannique, nous recevons aujourd'hui moins d'argent qu'il y a cinq ans du gouvernement du Canada pour les soins de santé, l'enseignement postsecondaire et les services sociaux. Les transferts du gouvernement du Canada vers l'Ontario, sans parler même des provinces recevant des paiements de péréquation, pour contribuer au financement de l'enseignement postsecondaire, des soins de santé et des services sociaux, sont aujourd'hui inférieurs, en dollars réels, à ce qu'ils étaient en 1996. Nous sommes tous invités à fournir un plus large éventail de services à une population plus nombreuse dont les besoins ne cessent d'augmenter, mais nous recevons moins d'argent du gouvernement du Canada. Cela provient du fait que celui-ci a choisi comme priorité d'assainir ses propres finances et de réduire son endettement, entre autres choses. Certes, ces objectifs sont louables en soi mais leur conséquence est que les provinces et territoires ont de plus en plus de mal à répondre aux besoins de leur population en matière de santé et d'éducation. Cela constitue un point de désaccord fondamental entre les provinces et territoires et le gouvernement du Canada. L'un des aspects les plus frustrants pour les provinces bénéficiant de la péréquation est que les autres programmes de financement aboutissent en fin de compte à contrecarrer les objectifs du programme de péréquation.

Le sénateur Furey: Vous dites, monsieur le premier ministre, que les participants à la dernière conférence des premiers ministres ont tous réclamé l'abolition du plafond. Hier soir, nous avons entendu le ministre des Finances fraîchement frappé du Nouveau-Brunswick, qui a eu la gentillesse de passer un peu de temps avec nous, et j'en ai profité pour aborder cette question avec lui. En ce qui concerne l'exclusion des recettes issues des ressources non renouvelables, quel est le degré d'appui de vos collègues premiers ministres?

M. Grimes: C'est une bonne question et je suis heureux que vous la posiez. Je suis sûr qu'il n'y avait pas de jeu de mots au sujet du nouveau ministre des Finances «fraîchement frappé». J'espère qu'il aime bien son poste et qu'il travaille bien avec mon collègue, le premier ministre Lord.

À l'heure actuelle, cette question est généralement mal comprise. La principale préoccupation de toutes les provinces, et pas seulement de celles qui touchent de la péréquation, est qu'on leur a fait croire quelque chose qui n'est pas vrai. Le premier ministre Hamm et moi-même avons tenté de les convaincre que ce qu'elles ont été portées à croire au sujet de la manière dont fonctionne le programme de péréquation n'est pas vrai. On a voulu leur faire croire que, si une province comme Terre-Neuve et le Labrador ou la Nouvelle-Écosse est autorisée à conserver les recettes des ressources non renouvelables telles que le pétrole hauturier ou, dans notre cas, de Voisey's Bay, elles y perdront de l'argent. Voilà pourquoi il n'y a pas eu d'acceptation ou d'appui généralisé à ce sujet de la part des autres provinces ou territoires.

Nos ministres des Finances des provinces maritimes doivent rencontrer à nouveau les représentants du ministère des Finances et du ministère des Affaires intergouvernementales pour souligner que le vrai problème est de savoir si le gouvernement du Canada reçoit ou non certaines recettes et non pas si le programme de péréquation doit avoir un budget plus gros ou plus petit car cela relève entièrement du gouvernement du Canada. Si celui-ci décide la semaine prochaine que le budget de péréquation ne sera pas 10 milliards de dollars, ou 10,5 ou 10,8 mais plutôt 7 milliards, il peut parfaitement le faire. Nous nous plaindrons tous mais il n'a pas besoin de notre consentement pour prendre cette décision. S'il considère que c'est justifié à cause des priorités nationales, suite à l'évolution des circonstances, il peut parfaitement le décider. C'est d'ailleurs ce qu'il a déjà fait dans le passé. Il prend ce type de décision complètement et totalement unilatéralement. Si nous avons un programme de 10,5 milliards de dollars, ou de 11 milliards l'an prochain, et si le gouvernement du Canada décide que c'est ce qu'il voudra y investir avec son budget de 700 milliards, ce qui est à peu près le chiffre exact, il a le plein pouvoir de le faire. Voilà d'ailleurs pourquoi une majorité d'économistes estiment que le programme ne devrait pas être financé de cette manière mais être plutôt fondé sur l'objectif de péréquation des services et des programmes. Ça ne devrait pas faire partie du calcul.

Nous parlons du gouvernement du Canada qui va recevoir de nouvelles recettes. Savez-vous combien le gouvernement du Canada reçoit aujourd'hui de Voisey's Bay? Rien du tout. Et pourquoi ça? Il a été décidé que c'est une ressource très précieuse qui se trouve dans le sol. Il n'y a eu aucune développement parce qu'il n'y a pas d'argent là-dedans pour le gouvernement du Canada. Il n'y a donc pas d'argent non plus pour Terre-Neuve et le Labrador ni pour l'entreprise concernée. Il n'y a là-dedans d'argent pour personne. Pourtant, c'est quelque chose qui pourrait rapporter beaucoup. Avec les règles actuelles, si nous l'exploitons, le gouvernement du Canada prendra environ 90 p. 100 de toutes les recettes destinées aux divers gouvernements. Au lieu d'avoir 710 milliards de dollars, il en aura peut-être 712 ou 715, et il peut décider de ce qu'il veut consacrer à la péréquation, de ce qu'il veut consacrer au TCSPS ou à n'importe quoi d'autre.

Tout ce que nous disons, c'est qu'il ne devrait pas s'attendre à recevoir de recettes supplémentaires de ces ressources non renouvelables. Ces recettes devraient être laissées aux provinces et aux territoires. À ce moment-là, la ministre des Finances pourra probablement réduire la dette provinciale de 20, 30 ou 40 millions de dollars par an. Cela nous donnera une plus grande marge de manoeuvre financière, de manière continue, et c'est cela que l'on pourra prendre en considération dans le calcul de la péréquation. Le montant total pourra être réduit, étant donné que les recettes fiscales auront augmenté et que nous aurons plus de recettes annuelles continues provenant de sources normales, plutôt que des recettes ponctuelles provenant d'un dépôt de nickel dont on estime la durée de vie à 15 ou 18 ans. Quand ce sera fini, dans 20 ou 25 ans, le gouvernement du Canada aura reçu tout cet argent. Les 10 p. 100 que nous pouvons conserver nous aident de manière marginale à essayer d'amener nos programmes et services jusqu'à une norme canadienne, et nous sommes tous perdants.

Comme je l'ai déjà dit, quelqu'un d'autre sera ici à ma place dans 20 ans pour vous dire: la mine vient de fermer. Nous dépendons toujours de la péréquation. Nous sommes toujours aussi en retard qu'il y a 20 ans. Le gouvernement du Canada a maintenant 750 milliards de dollars à dépenser chaque année mais il n'y a toujours que 10 milliards de dollars pour la péréquation. C'est un cas flagrant de mesure purement symbolique. Le système ne marche pas et il mérite certainement toute l'attention que le comité lui consacre, ce dont je le félicite. J'espère que quelqu'un va prendre tout cela au sérieux et faire quelque chose. Ça fait 30 ans que nous sommes frustrés par le système, et celui-ci continuera de faire la même chose pendant 30 années supplémentaires si l'on n'est pas prêt à reconnaître une fois pour toutes que le système ne marche pas, qu'il n'atteint pas ses objectifs et qu'il faut donc le modifier pour respecter l'intention exprimée dans la Constitution. Cette intention était d'essayer de bâtir un Canada différent de celui qui avait existé pendant les 30 années précédentes, du point de vue de l'équité en matière de services et de fiscalité.

Le sénateur Doody: Monsieur le premier ministre, il me semble que les paiements du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux sont maintenant répartis quasiment à égalité entre des sommes en espèces et des points fiscaux. Autrefois, c'était presque seulement des sommes en espèces mais, petit à petit, la part des points fiscaux a pris plus d'importance. Est-ce que la province de Terre-Neuve et du Labrador considère que les points fiscaux sont aussi utiles que des versements en espèces?

Je sais que nous demandions autrefois plus de versements en espèces et qu'ils pouvaient garder leurs points fiscaux. Ceux-ci sont très bien pour l'Alberta et l'Ontario mais ils ne sont pas très utiles quand l'assiette fiscale est beaucoup plus restreinte. Quelle est votre position là-dessus?

M. Grimes: Je suis heureux que vous parliez des points fiscaux, sénateur. Je sais que vous vous êtes beaucoup occupé de cette question dans le passé. Je suis au courant de toutes les démarches que vous avez faites au nom de la population et du gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador. C'est une question dont nous discutons encore lors des réunions des ministres des Finances et des premiers ministres, ce qui montre bien que nous avons toujours les mêmes problèmes qu'avant. Un transfert de points fiscaux est probablement la bonne solution pour l'Ontario, l'Alberta et, peut-être, la Colombie-Britannique, mais ce n'est pas la bonne solution dans une province dont la base économique est plus limitée. Vous pouvez bien nous donner tous les points fiscaux que vous voulez mais, si la base d'imposition est petite, 50 p. 100 de zéro ne valent pas plus que 3 p. 100 de zéro. Vous pouvez bien me donner des points fiscaux mais, si je ne peux percevoir d'impôt sur rien, je ne peux pas accroître mes recettes. C'est précisément pour cette raison que nous réclamons la chance d'élargir et de diversifier notre économie, grâce à un financement durable, de façon à pouvoir bénéficier de ressources plus prévisibles, avec une assiette fiscale plus large.

C'est ce que nous essayons de faire à Terre-Neuve et au Labrador depuis la Confédération. Nous avons enregistré certains succès, très limités, mais nous continuons nos efforts.

Il faut repenser le problème de fond en comble. Si l'on pense que le transfert de points fiscaux est la bonne réponse, il faut revoir les questions que j'ai soulevées au sujet du TCSPS qui, même attribué en fonction du nombre d'habitants, continue d'être une entrave, et il faut être prêt à envisager une proposition encore plus radicale. Aujourd'hui, le gouvernement du Canada dispense des crédits pour la santé et l'enseignement postsecondaire d'une manière qui complique la situation et creuse les écarts. S'il consacre 23 milliards de dollars au TCSPS au cours des cinq prochaines années, pourquoi n'accepte-t-il pas de sortir du champ de l'imposition à hauteur de 23 milliards de dollars, c'est-à-dire de réduire l'impôt de la manière qui lui conviendra - qu'il réduise un seul impôt ou plusieurs s'appliquant à tout le pays - ce qui l'amènerait à renoncer à 23 milliards de dollars d'impôt pour laisser les provinces et territoires conserver leur part. Cet argent ne provient pas également de chaque secteur. C'est de l'argent qui est perçu auprès des citoyens, ce qui veut dire qu'il y a plus d'impôt provenant de l'Ontario, puisque c'est une province plus peuplée. De même, il y a plus d'impôt qui provient de l'Alberta parce que les gens y sont imposés à des échelons supérieurs car ils ont plus d'argent. Par contre, il y a moins d'impôt qui provient de Terre-Neuve et de l'Île-du-Prince-Édouard parce nous avons moins d'habitants et de plus petites économies.

Que le gouvernement renonce à 23 milliards de dollars d'impôt. Qu'il abolisse le TCSPS complètement et qu'il laisse chaque province ou territoire gérer ses propres affaires. Il pourra alors mettre sur pied un vrai programme de péréquation laissant chacun gérer ce qu'il peut à même ses propres ressources. Nous n'avons pas besoin de mettre de l'argent dans la santé ou l'enseignement postsecondaire mais nous avons besoin de mettre de l'argent maintenant pour voir si les services de santé sont équitables ou non d'une province à l'autre. Il faut mettre de l'argent pour voir si les services d'enseignement postsecondaire sont équitables ou non. Cet argent vient des dispositions de la Constitution relatives à la péréquation.

Je ne pense pas que l'on soit encore prêt à envisager cela.

Le président: N'en soyez pas si sûr, monsieur le premier ministre. Beaucoup de gens sont peut-être prêts à l'envisager. Mon ami, le sénateur Bolduc, voudra peut-être reprendre la balle au bond.

J'en profite pour souligner que vous nous avez dit que votre province et les neuf autres allaient apparemment être embarquées dans un programme national d'infrastructure routière, et je suppose que les coûts en seront partagés. La formule sera-t-elle 50-50, 60-40, 70-30?

Vous ne voudrez peut-être pas nous le dire mais nous savons que, dans le passé, ces programmes d'infrastructure routière ont été mis en oeuvre avec une formule de partage des coûts 60-40, 70-30, voire 80-20 dans certains cas, si ce n'est 90-10 à l'époque où nous étions vraiment prospères, comme le rappelle le sénateur Rompkey. La tentation pour vous de dépenser ces dollars qui ne vous coûtent que 20 cents ou 30 cents, selon le cas, doit être pratiquement irrésistible. Vous avez beaucoup parlé de la Constitution mais, si je ne me trompe, les routes relèvent de votre compétence. Pourquoi ne dites-vous pas au gouvernement fédéral d'aller au diable avec son programme de routes et d'enrichir plutôt le programme de péréquation pour que vous - le gouvernement légitime de Terre-Neuve - puissiez dépenser l'argent en fonction de vos propres priorités, pour des routes si vous le voulez ou, sinon, pour l'éducation ou pour autre chose?

M. Grimes: C'est une idée qui est fort attrayante. Si nous pouvions croire que le gouvernement du Canada mettra sur pied un vrai programme de péréquation, au lieu du programme symbolique d'aujourd'hui, nous serions tout à fait disposés à engager ce débat. Toutefois, la plus grande crainte des politiciens comme moi-même, et qu'avaient tous mes prédécesseurs, pas seulement à Terre-Neuve et au Labrador mais dans les autres provinces destinataires, c'est que le gouvernement n'augmentera pas la péréquation si nous acceptons de renoncer à un programme d'aménagements routiers. Nous n'osons pas dire que nous n'allons pas participer à un tel programme parce que l'infrastructure, routière ou autre, est importante pour bâtir la nation. Au siècle dernier, c'était le chemin de fer qui était important. Il est essentiel d'avoir une bonne infrastructure de transport pour assurer la cohésion du pays.

Le président: Quand on vous a enlevé le chemin de fer, on vous a donné plein d'argent pour les routes.

M. Grimes: Absolument. De fait, ce budget sera épuisé cette année et, la politique étant ce qu'elle est à Terre-Neuve et au Labrador, je dois dire que mon bon ami le sénateur Doody et les autres n'en ont pas eu assez. Ils n'ont pas négocié assez dur, mais c'est la politique. En fait, c'était un bon arrangement, qui reposait sur une bonne idée. Les chemins de fer de Terre-Neuve et du Labrador étaient sous-utilisés et nous sommes en bien meilleure position aujourd'hui avec le meilleur mode de transport pour nous, la route. Toutefois, la structure fondamentale de la Transcanadienne revêt un intérêt national et le gouvernement du Canada devrait participer à la réfection des parties du réseau routier qui revêtent un intérêt national.

Nous faisons cette distinction aujourd'hui dans la province. Chaque province, comme la nôtre, possède un programme de routes provinciales. Nous pensons que les Canadiens devraient avoir la possibilité de conduire et de transporter des marchandises par la route de St. John's, à Terre-Neuve, jusqu'à Victoria, en Colombie-Britannique. Certaines personnes l'oublient parfois et parlent de Halifax à Vancouver, mais il y a quelques petits autres tronçons qui sont tout aussi importants.

Le président: Au nom du Comité des finances nationales, je tiens à vous dire que nous sommes très heureux d'avoir reçu ce préavis d'un nouveau programme fédéral. Nous n'en avons pas beaucoup entendu parler par les ministres fédéraux. Nous allons nous pencher là-dessus.

M. Grimes: Cela fait actuellement l'objet de discussions, probablement dans une autre pièce comme celle-ci, avec un plus petit groupe. Rien n'a encore été annoncé. Je le sais parce que nous sommes l'une des provinces concernées.

Le président: Eh bien, vous venez de l'annoncer aujourd'hui, et nous vous en remercions.

M. Grimes: Nous ne sommes pas du tout satisfaits de la proposition qui a été faite, c'est-à-dire du montant qui sera consacré à ce programme et de qui paiera la facture. C'est en cours de discussion.

Le président: Monsieur le premier ministre, la santé, l'assistance sociale et l'enseignement relèvent aussi de votre compétence. Si l'on décidait de ne plus intervenir du tout dans ces programmes et d'avoir simplement un gigantesque programme de péréquation pour vous aider à financer ces services, que deviendraient la Loi canadienne sur la santé et les critères nationaux ou, si j'ose le dire, les normes nationales?

M. Grimes: Comme j'ai occupé ce portefeuille, je connais très bien le problème et je sais que le gouvernement du Canada a le droit, le devoir et l'obligation de veiller à ce que les critères et responsabilités de la Loi canadienne sur la santé soient satisfaits. Par le truchement du TCSPS et d'autres mécanismes, il a décidé de jouer son rôle de chien de garde budgétaire et d'obliger les provinces à respecter les normes si elles veulent continuer de toucher l'argent. Je ne sais pas quel autre mécanisme il pourrait utiliser. Sur cette question, c'est moi-même qui n'ai pas encore réfléchi à quel autre mécanisme on pourrait utiliser, à part la persuasion morale et politique, pour convaincre chaque province de respecter l'esprit et l'intention de la loi en ce qui concerne des services accessibles, abordables, et cetera. Le mécanisme utilisé jusqu'à présent a été celui du bâton budgétaire. Chaque fois qu'il y a un conflit au sujet de la Loi canadienne sur la santé, on entend le gouvernement du Canada dire à la province concernée que certaines sommes ne lui seront pas transférées si les services ne sont pas dispensés d'une certaine manière. Si la province dispense les services d'une manière que le gouvernement du Canada juge contraire à la loi, celui-ci cessera d'envoyer l'argent. On a donc toujours usé du levier budgétaire.

Si les Canadiens veulent avoir un débat sur les services de santé à financement public et sur ce que contient vraiment la Loi canadienne sur la santé, je tiens à préciser qu'il y a des malentendus à cet égard. À Terre-Neuve et au Labrador, par exemple, les gens ont été amenés à croire - et je pense que cela vaut pour tout le pays - que chaque service médical dispensé est payé par l'assurance-santé. Or, rien ne saurait être plus faux. L'assurance-santé est en fait de portée très limitée, et elle a commencé avec tout ce qui concernait un service dispensé dans un hôpital et un service dispensé par un médecin. Songez aux éléments de notre système de santé que nous tenons aujourd'hui pour acquis: diagnostic précoce; intervention précoce auprès des enfants en dehors des établissements de soins; toutes sortes de soins aux personnes âgées qui sont uniquement dispensés dans des foyers de soins personnels qui sont en fait des entreprises privées; les soins à domicile, ce qui sera un problème énorme à l'avenir; et l'accès aux médicaments et aux régimes d'assurance médicale, ce qui est déjà un problème énorme pour chaque province et territoire. Aucun de ces services n'est directement relié à la Loi canadienne sur la santé ou à ce que les gens considèrent comme étant l'assurance-santé. En revanche, les gens comprennent - parce que nous le répétons sans cesse lorsque nous nous comparons à nos voisins du Sud - que l'un des grands avantages de la citoyenneté canadienne est que la médecine est gratuite.

Le président: Monsieur le premier ministre, je me souviens d'avoir adressé un reproche à votre ministre lorsqu'elle a témoigné devant notre comité, il y a quelques mois. C'était la première politicienne provinciale que nous entendions sur cette question depuis assez longtemps. Avant la dernière élection fédérale, ceci dit sans aller trop dans les détails, le gouvernement fédéral a voulu que la campagne puisse se dérouler sans que l'on parle des questions de santé. Il vous a donc convoqués, les premiers ministres des provinces, et vous a fait une offre que vous ne pouviez apparemment pas refuser. Collectivement, les provinces avaient cependant alors une excellente occasion de présenter certains des arguments que vous venez d'avancer. Vous aviez alors l'occasion d'exiger une entente sur les normes et sur certaines de vos préoccupations importantes. Au lieu de cela, vous avez pris l'argent et vous vous êtes enfuis.

Comme je me suis déjà trouvé de l'autre côté de la table, il y a bien longtemps, je comprends parfaitement les pressions qui sont exercées sur les gouvernements provinciaux. En revanche, je n'entends pas les provinces proposer collectivement un autre régime qu'elles seraient prêtes à soumettre au gouvernement fédéral et à la population canadienne.

Cela se fera peut-être au cours des audiences du comité sénatorial que préside notre ami, le sénateur Kirby, ou devant la commission Romanow, qui a été constituée par le premier ministre Chrétien. Quoi qu'il en soit, il serait beaucoup plus utile à la population et à ceux d'entre nous qui oeuvrons en politique d'avoir une idée claire des autres politiques que les provinces seraient collectivement prêtes à proposer.

M. Grimes: Vous avez parfaitement raison. C'est d'ailleurs l'autre question qui a dominé les débats de la conférence des premiers ministres à Victoria, cet été. Nous savons que la population a eu l'impression que nous avons pris l'argent sans autre forme de procès. Dans mon cas, j'ai pu quand même préciser que je n'avais pas participé à la réunion puisque je n'étais pas encore premier ministre, mais cela n'a rien à voir à l'affaire. J'étais alors ministre de la Santé et je pouvais m'adresser à mon premier ministre. Il est vrai que nous avons collectivement pris l'argent sans autre forme de procès.

Cela soulève toutefois deux questions. Nous sommes actuellement en désaccord fondamental avec le gouvernement du Canada. C'était relié aux changements à la péréquation. La réunion qui s'est tenue avant les élections fédérales, et le communiqué qui a suivi le disait - vous pourrez le vérifier - était reliée à la promesse que le premier ministre avait faite directement au pays au sujet de changements au système de péréquation. Pour ce qui est du rétablissement du TCSPS, l'échéancier a été respecté. Pour ce qui est des changements à la péréquation, rien n'a été fait. L'entente était globale mais le gouvernement n'a tenu que la moitié de sa promesse. Les autres provinces bénéficiaires ont ratifié l'entente parce qu'elles croyaient que le régime de péréquation serait amélioré au moyen des changements que nous continuons de réclamer et dont nous parlons ici: la norme des 10 provinces, une base de recettes élargie et l'abolition du plafond.

Certes, et ça tombait à pic, le plafond fut éliminé juste avant les élections. Toutefois, dès que le gouvernement fut réélu avec une majorité, le plafond fut rétabli, encore plus solidement qu'avant, et sur une base réduite.

À Victoria, nous avons eu le sentiment d'avoir été un peu fraudés sur cette question - j'utilise parfois un langage assez vigoureux. Nous sommes extrêmement déçus. Nous avons répété à l'unanimité que le plafond devrait être supprimé. Cela avait été promis et c'était dans le communiqué. Certes, on n'avait pas dit qu'il serait éliminé pour toujours et le gouvernement ne l'a supprimé que pendant un an, après quoi il l'a rétabli. Nous avons été floués.

En janvier, les premiers ministres se réuniront à nouveau à Vancouver pour faire exactement ce que vous venez de décrire. Il y a un certain nombre de questions relevant des compétences provinciales et il nous appartient de faire preuve de leadership au sujet des questions dont nous assumons la responsabilité. Le premier ministre Campbell, notre président pour cette année, nous a lancé à tous le défi de venir en janvier avec nos principaux responsables de la santé, des finances, des affaires intergouvernementales et d'autres ministères. La réunion doit se tenir les 14 et 15 ou 24 et 25 janvier à Vancouver, et les premiers ministres pourront alors faire exactement ce que vous venez de décrire. Autrement dit, ils pourront essayer d'adopter une position commune, dans la mesure où ils réussiront à s'entendre, pour assumer leurs propres responsabilités et dire à la population du Canada ce qu'ils ont l'intention de faire collectivement dans les domaines qui relèvent de leur compétence.

Nous avons accepté de relever le défi. Ce sera le thème central de la rencontre de Vancouver faisant suite à la conférence annuelle des premiers ministres. C'est dans moins de trois mois.

Nous savons que la population estime généralement que les premiers ministres, les provinces et les territoires, tenaient probablement le gouvernement fédéral à leur merci, dans une certaine mesure, sur la question du financement de la santé. Toutefois, le gouvernement fédéral ne voulait pas que cette question domine la campagne électorale et il a réussi à s'en débarrasser lorsque les premiers ministres des provinces se sont fait prendre en photo avec le premier ministre fédéral pour le remercier du rétablissement du TCSPS. Le jeu politique s'est déroulé exactement comme vous l'avez dit. Il est tout à fait juste de dire, comme vous venez de le faire - et je me le suis déjà fait dire, tout comme les autres premiers ministres - que nous avons raté une excellente occasion de faire preuve de leadership. Nous avons raté la chance de prouver que nous pouvions, par la coordination et la coopération, gérer la prestation des services dont nous avons la responsabilité.

Le problème que j'ai soulevé concernait les professionnels de la santé et de l'enseignement. J'ai imploré mes collègues du pays de cesser de faire du maraudage. Quel est l'intérêt pour nous, Canadiens, de voir l'Alberta ou l'Ontario venir à Terre-Neuve débaucher nos infirmières simplement parce qu'elle peut leur offrir 30 ou 40 p. 100 de plus, un emploi au conjoint et les frais de transport? Cela répond peut-être aux besoins de l'Alberta dans l'immédiat mais ça cause du tort au reste du pays. Nous nous causons ce tort parce que c'est une question qui relève des compétences provinciales. Les provinces possédant des ressources fiscales recrutent activement dans les régions les plus vulnérables. Elles recrutent des personnes extrêmement qualifiées et compétentes dans les provinces maritimes. Autrement dit, nos établissements de formation et d'enseignement fournissent certains des professionnels les mieux formés et les plus qualifiés dans les secteurs de la santé et de l'enseignement aux autres régions du pays. Nous sommes pillés par nos collègues parce qu'ils ont plus de ressources budgétaires que nous à l'heure actuelle. Nos résidents sont incités à aller s'établir ailleurs. Tout cela nous ramène au programme fondamental dont nous parlons et à la question de savoir si nous croyons ou non à la péréquation.

Le président: Vous voudriez sans doute que les gens de Terre-Neuve et du Cap-Breton qui sont allés travailler dans les champs de pétrole de l'Alberta reviennent chez vous, n'est-ce pas?

M. Grimes: Dieu merci, la migration se fait maintenant dans notre sens. Les gens de Terre-Neuve et du Labrador très qualifiés et très compétents qui ont travaillé dans l'industrie pétrolière de l'Ouest canadien ou des États du golfe trouvent maintenant des emplois dans le même secteur en Nouvelle-Écosse et à Terre- Neuve et au Labrador. Ils sont ravis de pouvoir revenir chez eux. Dans leur cas, l'émigration a été remplacée par l'immigration et nous en sommes très heureux.

Le sénateur Tunney: Votre exposé était excellent et très révélateur, ce qui est traditionnellement le cas des gens de Terre-Neuve et du Labrador.

Je voudrais avoir quelques précisions sur l'émigration de votre province. J'ai aussi quelques questions à poser sur l'endettement de votre province par habitant, par rapport aux autres provinces. Finalement, je voudrais vous demander ceci: si vous pouviez obtenir plus d'argent du gouvernement fédéral - dans le cadre des programmes de transfert aux provinces - qu'en feriez-vous? Votre priorité serait-elle le développement économique, probablement industriel, la réduction de la dette ou autre chose?

M. Grimes: Ce sont trois questions très importantes. L'émigration est reliée à certains des facteurs dont nous avons parlé plus tôt, par exemple aux frustrations de programmes tels que le TCSPS et la péréquation. Il y a dans la formule de péréquation un facteur démographique en vertu duquel on perd de l'argent si on perd des habitants.

Notre province a connu une forte émigration au cours des 10sdernières années, notamment depuis le changement spectaculaire causé par le moratoire sur la pêche à la morue au début des années 90. Pendant toute cette période, nous avons perdu plusieurs milliers de résidents. Alors que nous avions autrefois 570 000 habitants, nos derniers calculs indiquent que le total avait baissé jusqu'à environ 550 000. Depuis un an, 16 000 Terre-Neuviens et Labradoriens ont quitté la province mais 14 000 y sont revenus, la plupart d'entre eux pour travailler dans de nouveaux secteurs industriels. Ils sont revenus pour profiter des possibilités d'emploi dans le secteur du pétrole et du gaz naturel et dans l'informatique. Ils ne sont pas revenus pour être pêcheurs ou bûcherons. Notre économie est en pleine mutation.

Le facteur le plus important sur le plan démographique, aujourd'hui, n'est pas l'émigration, qui est quasiment stable. Si notre province a 1 000 personnes ici ou là, d'une année à l'autre - entrant dans la province ou en sortant - c'est l'équivalent de 4 p. 100 de chômage. Toutefois, 1 000 dans un sens ou dans l'autre, c'est considéré comme l'équilibre.

Ce qui est le plus frustrant pour nous, c'est que le taux de natalité dans notre province, qui était l'un des plus élevés du pays il y a une génération, est aujourd'hui l'un des plus faibles. Je vais vous donner l'exemple de ma propre famille. Je viens d'une famille de 14 enfants dont 12 sont encore vivants. Je suis le onzième des 14, donc presque le cadet. Les gens qui croisent mon frère aîné ont parfois l'impression que c'est mon père. Ce phénomène est tout à fait typique de ma génération, à Terre-Neuve et au Labrador. Nous sommes nombreux à venir de grandes familles. C'était aussi la même chose dans d'autres régions du pays. Sur les 12 enfants vivant encore, l'un de mes frères a six enfants, un autre en a trois et les autres, comme moi, en avons un. Donc, en une seule génération, nous sommes passés d'une très grande famille à ce que nous appelons une «famille canado-américanisée». Pour la première fois de notre histoire, nous avons des couples dont les deux membres poursuivent une carrière professionnelle. Cette évolution a eu une incidence considérable sur notre base démographique et sur la stabilité de notre population.

La ministre des Finances pourra sans doute mieux que moi vous donner des chiffres sur la dette par habitant de notre province. De fait, ils figurent dans le rapport que nous vous avons communiqué. Le chiffre est beaucoup plus élevé pour notre province que pour les autres provinces des Maritimes. De fait, c'est pratiquement le plus élevé de tout le Canada. Nous en sommes à environ 9 milliards de dollars, si on tient compte de tout, c'est-à-dire de la dette de la compagnie d'électricité, des sociétés d'État, et cetera. C'est beaucoup pour une petite population.

Je suis heureux que vous m'ayez demandé ce que nous ferions de l'argent. Si nous pouvions conserver les recettes non durables et non renouvelables du pétrole et du gaz naturel, je crois que nous serions prêts, ce qui exigerait une certaine volonté politique et du leadership - mais nous avons déjà fait cette suggestion au gouvernement du Canada - à signer un engagement législatif de consacrer cet argent additionnel à la réduction de la dette. C'est seulement en se libérant peu à peu du service de la dette que l'on peut dégager de l'argent pour faire autre chose. Il serait également important de développer notre infrastructure. Si on nous demande d'installer plus de câbles en fibre optique pour mieux profiter des technologies informatiques, nous pourrions investir dans ce secteur. Cela nous permettrait de diversifier notre économie. De même, nous pourrions sans doute continuer d'améliorer notre réseau routier, dans certaines parties de la province, ce qui aurait aussi des retombées économiques. Certes, il y aurait aussi des dépenses d'entretien ensuite mais la plus grosse dépense concernerait l'investissement de départ. Si nous avons besoin d'améliorer nos ports pour assurer le transport de nos marchandises et tirer parti des nouvelles opportunités économiques, nous serions prêts, en tant que province, à passer une entente législative exécutoire avec le gouvernement du Canada sur ces questions.

La plus grosse crainte est que les provinces prennent l'argent et le consacrent à ce qui leur plaît, puis qu'elles reviennent quelques années après en disant qu'elles n'ont rien eu. Nous sommes prêts à prendre des engagements avec le gouvernement fédéral et envers notre population. Nous sommes tout à fait prêts à nous joindre à quiconque dans le pays serait prêt à signer ce pacte avec Terre-Neuve et le Labrador.

Le président: C'est un facteur très important. Quand vous dites aux gens du gouvernement fédéral qu'ils ne devraient pas considérer les recettes des ressources non renouvelables de la même manière que les autres, votre argument étant que c'est une sorte de vente de biens en capital, leur réponse est parfois: «Pourquoi pas? Les gouvernements provinciaux traitent bien ces recettes de la même manière que toutes les autres. Ils les consacrent à leurs activités générales sans faire de distinction.»

Ce que vous venez de dire est donc très intéressant.

Le sénateur Tunney: J'ai apprécié votre exposé plus que vous ne pourriez l'imaginer.

Le sénateur Cook: Je ne ferai pas de longues remarques sur la péréquation, puisque d'autres en ont déjà beaucoup parlé. Je vais me contenter d'offrir mon avis personnel, qui est que c'est un système punitif.

Essayons de penser différemment et de rêver à ce qui pourrait arriver si l'on ouvrait l'Accord de l'Atlantique. Cela n'aurait aucun impact sur les autres provinces et ne ferait de mal à personne. J'estime aussi que la formule de financement par habitant ne fonctionne pas. Quelle autre formule nationale pourrait-on donc utiliser, qui soit équitable à l'égard des Canadiens et qui préserve l'essence même de la Confédération?

M. Grimes: Les aspects essentiels de ce que vous essayez d'accomplir et que l'on est constitutionnellement obligé d'accomplir peuvent être atteints en apportant des modifications raisonnables et adéquates à la formule de péréquation, et en y consacrant le budget voulu. En tant que Canadiens, nous devons régler cette question de savoir si les recettes des ressources non renouvelables doivent être prises en compte.

Par exemple, nous avons la ferme conviction que les recettes que recueille Terre-Neuve et Labrador de l'industrie forestière doivent être prises en compte car, si l'on met en oeuvre des programmes adéquats de sylviculture et d'exploitation forestière, on peut renouveler la production tous les 35 à 40 ans environ. La forêt est une ressource renouvelable. Même chose pour les barrages hydroélectriques. Quand il pleut, on tire des recettes des barrages. Il faut donc tenir compte de ces recettes car il s'agit de ressources qui existeront toujours et dont les gouvernements peuvent profiter pour financer des services publics.

Nous publions aujourd'hui dans notre province un rapport concernant l'exportation d'eau potable. Si l'exportation d'eau potable en bouteilles ou en vrac nous donne des recettes, on devra les prendre en considération car c'est une ressource qui durera tant et aussi longtemps que la pluie tombera.

Par contre, cela n'aurait aucun sens avec les mines ou les puits de pétrole et de gaz naturel. Si le programme actuel est maintenu, qui donne 80 ou 90 p. 100 au gouvernement du Canada et 10 p. 100 à notre province, nous allons évidemment prendre les 10 p. 100 parce que nous manquons d'argent, mais nous ne pourrons nous servir de ces 10 p. 100 pour réduire notre dette car nous n'avons déjà même pas les moyens de payer correctement nos infirmières ou nos enseignants. Nous négocions actuellement avec ces deux professions où nous manquons de personnel. Ce n'est pas parce que nous n'avons pas formé assez d'enseignants ou d'infirmières à Terre-Neuve et au Labrador mais parce que, dès qu'ils finissent leur formation, à nos frais, une partie s'en va gagner sa vie ailleurs au Canada ou aux États-Unis parce que nous ne pouvons pas lui offrir de salaires assez élevés.

Du côté non renouvelable, nous accepterions le défi de prendre cet argent aujourd'hui et de réduire la dette de 6 ou 7 milliards de dollars. Notre province aurait alors près de 500 millions de dollars par an qu'elle pourrait consacrer à ses programmes et services. Nous sommes prêts à signer un accord à ce sujet. Une partie de l'argent serait consacrée à l'infrastructure fondamentale, pour créer de nouvelles possibilités de diversification économique.

Il n'est pas obligatoire de chercher en permanence des solutions originales à tous les problèmes mais le processus reste néanmoins très utile. Si nous restons trop étroitement focalisés sur le système tel qu'il existe aujourd'hui, je n'ai aucun doute que quelqu'un reviendra dans 10 ans, dans 20 ans et dans 30 ans vous communiquer le même message que moi.

J'espère que nous aurons la possibilité de parler librement de tout cela et de contester les idées reçues. J'espère qu'on va faire quelque chose à ce sujet, sans tarder.

Le sénateur Cook: Je reviens à l'Accord de l'Atlantique. Si nous pouvions le renégocier, Terre-Neuve deviendrait-elle une province prospère plutôt qu'une province démunie comme aujourd'hui?

M. Grimes: Sans même renégocier l'Accord de l'Atlantique, il y aurait déjà beaucoup d'éléments positifs pour Terre-Neuve et le Labrador et pour la Nouvelle-Écosse si on se contentait de respecter l'intention de l'accord. Le premier ministre Hamm et moi-même avons fait la promotion de cette question et nous allons continuer. Nous allons essayer de rencontrer le gouvernement du Canada et peut-être aussi de tenir une rencontre entre nous, à ce sujet, bientôt.

Le fait que John Crosbie et le ministre Dion s'échangent des lettres dans les journaux signifie qu'il n'y a pas aujourd'hui la volonté politique nécessaire pour écouter nos arguments. Ils semblent vouloir se battre en public plutôt qu'écouter.

Les tribunaux ont décidé que les recettes du pétrole hauturier appartiennent au Canada et pas aux provinces. Malgré cela, le gouvernement du Canada pourrait fort bien, s'il le voulait, décider de les laisser à Terre-Neuve et au Labrador et à la Nouvelle- Écosse, tout comme il a donné des terres et des territoires à l'Alberta et aux autres provinces il y a 30 ans ou plus. Ces terres appartenaient au gouvernement fédéral mais celui-ci les a données aux provinces et, de ce fait, les ressources que celles-ci en tirent leur appartiennent.

Si le gouvernement du Canada avait la volonté politique, il pourrait fort bien déclarer qu'il est préférable que ces ressources appartiennent à la province la plus proche, à charge pour elle de les gérer comme s'il s'agissait de ressources fédérales. Le gouvernement fédéral ne veut pas envisager cela.

L'Accord de l'Atlantique dispose que les recettes seront traitées de manière à ce que les provinces en soient les principales bénéficiaires. Le système actuel démontre que 70 p. 100 des recettes vont au gouvernement du Canada et 30 p. 100 aux provinces. En voyant ces chiffres, demandez-vous si les mots «principales bénéficiaires» veulent dire quelque chose ou non. Si j'enseignais encore les mathématiques et que j'essayais de convaincre mes élèves que la personne qui reçoit 30 p. 100 est la principale bénéficiaire, plutôt que celle qui reçoit 70 p. 100, on me mettrait à la porte et je perdrais le droit d'enseigner. C'est pourtant ce qui se passe aujourd'hui.

On s'attend à ce que le bassin d'Hibernia dure environ 20 ans. Terra Nova, qui est un plus petit projet, commence tout juste et il durera peut-être 20 ans. White Rose devrait être approuvé d'ici environ un mois. C'est un champ encore plus petit qui aura peut-être 15 ou 16 ans de vie utile. Nous avons ensuite Hebron Ben Nevis, encore plus petit, qui durera 15 ou 16 ans, selon sa date d'entrée en exploitation. Tous ces projets ont une durée de vie limitée mais ils peuvent produire des sommes d'argent considérables à brève échéance. Nous nous engagerions à prendre l'argent, à régler notre dette, ce qui libérerait l'argent que nous consacrons actuellement au service de la dette, que nous pourrions consacrer à développer nos programmes.

Pendant ce temps-là, le gouvernement du Canada discute en public avec John Crosbie de ce que veut dire l'expression «principales bénéficiaires», alors qu'il ferait mieux d'avoir une discussion sérieuse sur certains changements fondamentaux. Selon certaines projections, on estime que, d'ici une vingtaine d'années, selon l'évolution économique, deux provinces de plus ne toucheront plus de paiements de péréquation. Donc, dans 20 ans, si le gouvernement du Canada continue d'y consacrer 10 milliards de dollars, la somme sera répartie entre cinq provinces au lieu de sept. Il ne s'agit pas de faire perdre de l'argent à qui que ce soit, ni que le gouvernement du Canada consacre plus d'argent à la péréquation. Il continuera de décider de la taille des paiements de péréquation et de les verser aux provinces qui n'atteignent pas les normes nationales. À l'heure actuelle, nous sommes sept dans ce cas et nous sommes donc admissibles aux transferts.

Le sénateur Mahovlich: Monsieur Grimes, vous avez dit que ce sont les chemins de fer qui ont assuré la cohésion du Canada et que leur rôle est aujourd'hui occupé par la route. Pour ma part, j'ai toujours cru que c'était le hockey. Terre-Neuve y a beaucoup contribué.

Je comprends que la solution générique offre une incitation en excluant 30 p. 100 des recettes des provinces du calcul des paiements de péréquation. D'aucuns affirment que toutes les recettes des ressources naturelles ne devraient pas être incluses dans le calcul des paiements de péréquation. Quelle serait l'incidence sur les droits de péréquation de votre province s'il y avait une réduction du nombre de sources de recettes utilisées dans le calcul?

M. Grimes: Vous avez tout à fait raison au sujet du hockey. J'ai rencontré Mario Lemieux ce matin, au petit déjeuner, et je lui ai dit que j'allais devoir encourager les Penguins, ce soir, parce qu'un de mes adjoints administratifs, qui n'est pas ici, est un partisan farouche des Penguins de Pitsburgh et de Mario Lemieux. Je lui ai d'ailleurs téléphoné ce matin pour lui dire que je venais de rencontrer Mario Lemieux au petit déjeuner, ce qui a encore accru sa déception de ne pas avoir pu m'accompagner. Le hockey nous unit.

J'ai parlé des chemins de fer et des routes parce que nous savons tous que la liaison est-ouest, au Canada, est une liaison imposée. Les gens de la côte est en sont particulièrement conscients. Pour mes parents et pour la génération d'avant, tous les liens naturels allaient du nord au sud, et c'est pourquoi l'ALENA était une étape naturelle. Mes trois tantes sont toutes mariées à des Américains, une à Boston, l'autre à New York et l'autre en Floride. Par la mer, les connexions vont aussi du nord au sud. Le lien naturel n'est pas la Voie maritime du Saint-Laurent. Les habitants de la côte est avaient l'habitude de se rendre dans les États de la Nouvelle-Angleterre et même dans les Antilles. Ces liens existent encore. Assurer l'unité du Canada est un défi constant parce que les Terre-Neuviens se sentent beaucoup plus proches des gens qui vivent en Floride que de ceux qui vivent à Victoria. Ce sera toujours un problème pour le Canada. Les voies ferrées et les routes préservent la liaison est-ouest.

Nous savons que, si nous conservions les fonds des ressources non renouvelables, cela entraînerait naturellement une réduction de la péréquation. Si nous pouvions conserver ces ressources et rembourser notre dette, les recettes disponibles pour gérer les programmes et services à Terre-Neuve et au Labrador augmenteraient de 150, 200 ou 300 millions de dollars par an. Nous n'aurions plus de service de la dette à payer et ce montant irait dans la formule de péréquation. Évidemment, nous ne recevrions plus autant de paiements de péréquation car nous aurions alors ces nouvelles recettes durables. Nous savons bien que c'est un aspect fondamental du programme.

Nous acceptons ce que disait le premier ministre Harris, c'est-à-dire qu'aucune province ne devrait s'attendre à recevoir de l'argent si elle est capable de payer certains services de sa poche. C'est comme ça que fonctionne la péréquation. Si une province est en mesure de payer, elle n'a pas à recevoir d'argent d'un autre gouvernement. Il s'agit donc en fait de savoir si chaque province est vraiment capable de payer. Or, la capacité de payer dépend de l'argent sur lequel on peut compter, année après année, pour gérer les écoles et les hôpitaux et pour dispenser des services publics fondamentaux comme le déneigement des routes et le rétablissement des activités après les inondations. Il faut être capable de dispenser de tels services mais cela ne peut pas se faire si l'on n'a pas l'assurance qu'il y aura assez d'argent, année après année. Dans ce cas, on est obligé de dire à sa population: «L'an prochain, nous ne pourrons pas faire ça parce que la mine a fermé».

La province devrait donc pouvoir garder les recettes non renouvelables et celles-ci ne devraient pas être prises en compte dans la formule. Je suis absolument d'accord avec cet argument. Je pense qu'il est juste. Je pense que c'est une question de bon sens. Les provinces doivent être prêtes à signer des engagements, même législatifs, si c'est ce qu'elles veulent faire, pour s'engager à ne pas consacrer leur argent ponctuel aux programmes et aux services mais à le consacrer plutôt aux travaux d'infrastructure et au règlement de la dette de façon à renforcer leur économie et à accroître leurs recettes annuelles garanties. À mesure que ces recettes augmentent, leurs paiements de péréquation devront évidemment diminuer. Cela veut dire qu'il y aura plus de crédits de péréquation pour les autres. C'est comme ça que le système doit fonctionner. Voilà les buts et objectifs qu'il faut atteindre. Tel qu'il fonctionne aujourd'hui, le système ne marche pas, n'a jamais marché et ne marchera jamais.

Le président: Merci beaucoup, monsieur le premier ministre, d'avoir participé à cette excellente et franche discussion qui nous a permis de connaître l'avis de la personne qui essaie de gérer les destinées de Terre-Neuve et du Labrador. La discussion était extrêmement intéressante. Les membres du comité et moi-même vous souhaitent beaucoup de succès à l'avenir et beaucoup de satisfaction dans l'exercice de votre lourde tâche de premier ministre de Terre-Neuve et du Labrador. Je vous remercie, ainsi que votre ministre.

M. Grimes: Je vous remercie de nous avoir prêté attention. Merci aussi d'avoir écouté mes «très brèves» réponses.

La séance est levée.


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