Délibérations du comité sénatorial permanent
des finances nationales
Fascicule 26 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 31 octobre 2001
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit ce jour à 18 h 07 pour examiner l'efficacité et les améliorations possibles de la politique actuelle de péréquation pour ce qui est de donner aux gouvernements provinciaux des revenus suffisants pour leur permettre d'assurer les services publics à un niveau de qualité et de fiscalité sensiblement comparables.
Le sénateur Lowell Murray (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Chers collègues, je constate qu'il y a quorum. Nous en sommes à notre cinquième audience publique sur la péréquation, conformément à l'ordre de renvoi qui nous a été donné par le Sénat nous priant d'examiner l'efficacité et les améliorations possibles de la politique actuelle de péréquation pour ce qui est de donner aux gouvernements provinciaux des revenus suffisants pour leur permettre d'assurer les services publics à un niveau de qualité et de fiscalité sensiblement comparables, et d'en faire rapport.
Je vous rappelle que le comité doit soumettre son rapport au plus tard le 21 décembre 2001. Nous avons déjà entendu le point de vue de plusieurs représentants provinciaux et d'experts dans ce domaine. Mardi prochain, nous accueillerons en matinée le ministre des Finances de la Nouvelle-Écosse, Neil LeBlanc.
Hier, nous avons entendu la déposition de M. Dan Usher, qui est professeur adjoint émérite d'économie à l'université Queen's et qui a beaucoup écrit sur ce sujet. Ce soir, nous apprendrons, comme si nous ne le savions pas déjà, que l'université Queen's n'est pas un monolithe intellectuel. En effet, nous accueillons ce soir un témoin tout aussi distingué et qui, je présume, n'est pas ici pour approuver tout ce que M. Usher nous a dit.
M. Boadway enseigne à l'université Queen's depuis 1973. Il a été directeur du département d'économie entre 1981 et 1986 et occupe actuellement le poste de directeur adjoint de l'Institut John Deutsch pour la recherche en politique économique. M. Boadway a beaucoup écrit sur toutes sortes de sujets se rapportant à la péréquation, compte tenu de l'intérêt qu'il porte pour la recherche sur le secteur public et la théorie économique du bien-être, notamment les théories et politiques fiscales, la redistribution, le fédéralisme budgétaire et l'analyse des coûts-avantages.
M. Boadway est l'auteur de plusieurs ouvrages dont Public Sector Economics, Welfare Economics, Canadian Tax Policy, Intergovernmental Fiscal Relations in Canada et Economics and the Canadian Economy. En 1998, il a édité un livre intitulé Equalization: Its Contribution to Canada's Economic and Fiscal Progress.
Nous sommes ravis que M. Boadway ait pu venir aujourd'hui. C'est un témoin de marque. Il a déjà comparu devant des comités sénatoriaux, y compris, très récemment, si ma mémoire est fidèle, le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, de la science et de la technologie. Il fera une brève déclaration préliminaire, après quoi, nous entamerons une période de questions et d'échanges.
Sur ce, je vous souhaite la bienvenue monsieur Boadway et je vous remercie d'être venu.
Robin Boadway, Université Queen's: Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité. Avant de commencer, j'aimerais afficher mes couleurs. Je suis un fervent défenseur de la péréquation et du modèle actuel sur lequel elle repose.
J'ai préparé quelques notes qui, je présume, ont été traduites et vous ont été distribuées. Je commencerai par l'objet du programme. Les principes de la péréquation sont acceptés depuis longtemps et ils répondent à des objectifs de politique bien pensés. À mon sens, l'article 36 de la Loi constitutionnelle fait clairement état du principe de la péréquation et de la politique économique sur lesquels il repose.
La péréquation a pour fonction de remédier au fait que des citoyens se trouvant par ailleurs dans une situation similaire mais ne vivant pas dans la même province supporteraient autrement un fardeau fiscal très différent pour bénéficier de services publics analogues. Les économistes utilisent le terme «avantages fiscaux nets» (AFN) pour décrire la relation entre les avantages découlant des services publics et le fardeau fiscal. L'élimination des disparités au niveau des avantages fiscaux nets favorise une distribution efficiente des ressources entre les provinces et fait en sorte que le secteur public traite tous les Canadiens de manière équitable.
Il est impossible, dans une fédération, d'éliminer complètement les disparités d'avantages fiscaux nets. Cela n'est possible que dans un État unitaire. Cela tient au fait que différentes provinces adoptent différentes politiques. En revanche, à titre de compromis, le programme de péréquation fait en sorte que les provinces aient la possibilité d'offrir des services publics analogues à des taux d'imposition similaires.
En évaluant le système de péréquation, il est très important de comprendre ce que le programme n'est pas. Ce n'est pas un mécanisme de redistribution de la richesse des contribuables à revenu élevé aux contribuables à faible revenu et ne doit donc pas être jugé sur cette base. Cette fonction est assurée par le système de transferts fiscaux interpersonnels et par les autres programmes sociaux offerts aux particuliers. La péréquation n'est pas un système de redistribution reposant sur un quelconque principe abstrait d'égalisation des capacités fiscales ou des indices de bien-être des provinces. Elle vise plutôt, pour reprendre la formulation du paragraphe 36(2) de la Constitution, à donner aux gouvernements provinciaux des revenus suffisants pour les mettre en mesure d'assurer les services publics à un niveau de qualité et de fiscalité sensiblement comparables.
Je vous parlerai maintenant de quelques préoccupations concernant le système actuel, certains problèmes sont réels et d'autres imaginaires.
Si la péréquation fait l'objet d'une discussion maintenant, c'est en partie à cause de la décentralisation des responsabilités des provinces en matière de prélèvements fiscaux, décentralisation qui n'a cessé de s'accentuer depuis la Deuxième Guerre mondiale, et c'est ce qui rend la péréquation plus pressante et plus difficile à réaliser. Les réductions des subventions globales, soit le FPP/TCSPS, ont fait disparaître un important élément égalisateur des arrangements fiscaux et alourdissent en conséquence le fardeau de la péréquation. La dévolution de plus grands pouvoirs de perception fiscale aux provinces ne peut que creuser les écarts de capacité fiscale et, partant, faire augmenter les droits à la péréquation. À cause de la décentralisation, les assiettes fiscales deviennent de plus en plus hétérogènes, ce qui complique la définition d'une assiette représentative.
Certaines des assiettes utilisées dans la formule de péréquation présentent des problèmes d'ordre conceptuel. Je tiens pour acquis que vous savez comment fonctionne le régime de fiscalité représentatif sur lequel s'appuie la péréquation; il tient compte de 33 catégories fiscales différentes. Or cela pose des problèmes conceptuels, dont je vous épargnerai les détails, mais je me ferai un plaisir de répondre à vos questions si vous le souhaitez, notamment en ce qui a trait à l'impôt foncier, aux frais d'utilisation et aux loteries.
Certains défauts de conception deviennent de plus en plus problématiques à mesure que le temps passe. Au nombre de ces défauts, mentionnons le plafond qui, à mon avis, contrevient au principe de la péréquation. Autre défaut: la condition des cinq provinces représentatives, qui, en particulier, rend le traitement des ressources anormal. Le troisième défaut est le fait que les besoins ne soient pas pris en compte dans la péréquation, problème qui deviendra de plus en plus pressant à mesure que la population vieillit. Enfin, et c'est un défaut plutôt technique, c'est le fait que la péréquation fonctionne au brut et non en net, contrairement aux subventions globales.
Il y a également des problèmes d'incitation qui tiennent au fait que certains des paramètres de la formule de péréquation peuvent être manipulés par la voie de politiques provinciales. En effet, deux éléments de la formule de calcul peuvent être manipulés. Le premier, c'est le taux national moyen d'imposition pouvant s'appliquer à une assiette fiscale en particulier, ce qui donne lieu à un problème, soit que toute augmentation substantielle des taux d'imposition dans une province fait augmenter le taux national moyen d'imposition. Ce problème a été traité de façon assez efficace dans le cadre du programme existant en utilisant ce que l'on appelle la «solution générique».
L'autre problème, plus grave à mon avis, relié à l'assiette fiscale de la province se pose parce que le droit à péréquation d'une province dépend de la taille de son assiette fiscale par rapport à une norme nationale. Si la province peut agir directement sur la taille de son assiette fiscale, cela aura une incidence directe sur ses droits à péréquation. Ce problème perçu touche particulièrement l'exploitation des ressources naturelles, secteur où les provinces peuvent avoir une certaine influence sur la mise en valeur de ces ressources. Si le fait d'accélérer l'exploitation des ressources naturelles fait perdre aux provinces certains droits à péréquation, cela risque d'avoir un effet dissuasif sur elles.
Pour revenir aux problèmes imaginaires, la perception du public que le programme de péréquation favorise la dépendance et qu'il est assimilable à un programme d'aide sociale provincial. Pour ma part, je ne crois pas que la péréquation soit analogue à un programme d'aide sociale, ni qu'elle crée de la dépendance ou dissuade les provinces de travailler, d'investir, de faire des économies et ainsi de suite.
Vous avez peut-être entendu dire également que le programme de péréquation est complexe. Sur le plan conceptuel, il n'en est rien. En effet, le programme s'appuie sur une notion très simple et sur une formule très facile à comprendre. La complexité est plutôt attribuable aux méthodes de calcul utilisées pour déterminer les éléments du programme de péréquation. Il faut donc connaître ces méthodes de calcul avant de pouvoir comprendre le fonctionnement du programme. Je ne pense pas du tout que le programme est complexe.
Le problème tient en partie au fait que les gens ne sont pas suffisamment informés au sujet du programme de péréquation, et c'est pourquoi des audiences comme celle d'aujourd'hui sont importantes, puisqu'elles procurent l'occasion de débattre publiquement ce sujet. Le public est mal informé parce que les décisions qui concernent la péréquation sont généralement prises par le gouvernement et ne sont rendues publiques qu'une fois le budget déposé, les préparatifs se faisant dans le secret le plus total.
Toutefois, certaines solutions de rechange ont été proposées pour réformer ou renouveler le programme de péréquation, et des témoins vous en ont probablement déjà fait part. Ainsi, certains pensent qu'il faudrait laisser tomber le régime d'imposition représentatif en faveur d'un régime global plus simple dans lequel la péréquation serait fondée sur un indicateur global unique comme le revenu provincial par habitant. Cette proposition présente cependant certains inconvénients, et c'est pourquoi je n'y suis pas favorable. Les macro-mesures pèchent au niveau des principes. Elles entraînent une confusion des rôles de la péréquation et de la redistribution des revenus entre les contribuables (particuliers ou provinces) à revenu élevé et les contribuables à faible revenu.
Les macro-mesures ne peuvent pas saisir la source des disparités potentielles des avantages fiscaux nets (AFN), qui tiennent en partie au fait que des sources de revenu différentes ou des types d'opérations différents donnent lieu, concrètement, à des capacités fiscales différentes. Il n'existe pas de macro-mesure ne présentant pas d'ambiguïté que l'on pourrait adopter. Il est également difficile de déterminer quels indicateurs utiliser, revenu provincial, production provinciale, revenu des particuliers, consommation personnelle, et cetera. Il existe toute une panoplie de mesures possibles.
Les macro-mesures ne permettent pas d'éviter les problèmes d'incitation du système courant, notamment celui qui est lié à l'augmentation de l'assiette fiscale. Il serait en outre difficile d'accorder un régime particulier à certaines assiettes fiscales pour contrer les problèmes d'incitation. L'adoption de macro-mesures risquerait de donner au gouvernement fédéral une latitude encore plus grande dans le calcul du montant annuel des paiements de péréquation au lieu que des calculs soient basés sur une formule pure et simple.
Pour ma part, je crois qu'il vaudrait mieux conserver le système actuel de transferts de péréquation, mais en modifier certains aspects. D'abord, il faudrait supprimer le plafond qui, à mon avis, est arbitraire et contrevient à l'intention du programme. Il faudrait également revenir à une norme nationale prenant en considération les 10 provinces plutôt que cinq. Il faudrait rétablir le financement du TCSPS, qui constitue à mon avis une composante importante du programme de péréquation dans son ensemble. S'il n'en tenait qu'à moi, j'envisagerais des façons simples de tenir compte des différences de besoins en fonction de la composition démographique des provinces, et j'en ferais un objectif à long terme. En outre, je consacrerais du temps à trouver des moyens de surmonter les problèmes de dissuasion en ce qui a trait aux grands projets d'exploitation des ressources naturelles comme le projet de Voisey's Bay à Terre-Neuve. Enfin, j'envisagerais d'ouvrir le processus de révision des arrangements fiscaux. D'autres fédérations ont obtenu de bons résultats avec des organismes consultatifs indépendants qui étudient les arrangements fiscaux dans le contexte de périodes plus longues que ce que permet le processus budgétaire et fondent leurs recommandations sur des consultations de toutes les parties concernées, y compris les provinces. Entre autres exemples de fédérations, il y a celui de la Commonwealth Grants Commission de l'Australie.
Pour conclure, je vous dirai qu'on ne saurait considérer séparément la péréquation des autres composantes des arrangements fiscaux puisque d'autres composantes contribuent également à la péréquation.
J'estime que par-dessus tout, il ne faut pas céder aux provinces davantage de points d'impôt tenant lieu de subventions car cette façon de procéder fait disparaître une source de péréquation nette implicite et exerce davantage de pression sur le système de péréquation.
Elle a en outre d'autres répercussions fâcheuses à long terme pour la fédération, à la fois sur le plan de l'harmonisation fiscale et sur celui de l'aptitude du gouvernement fédéral à mettre en oeuvre les moyens d'atteindre des objectifs d'envergure nationale.
Ici se termine mon exposé.
Le président: Merci, monsieur Boadway. Vous nous avez très bien résumé votre pensée.
Le sénateur Bolduc: Dans l'un de vos premiers paragraphes, au sujet du programme, vous affirmez ce qui suit, et je cite:
La péréquation a pour fonction de remédier au fait que des citoyens se trouvant par ailleurs dans une situation similaire mais ne vivant pas dans la même province supporteraient autrement un fardeau fiscal très différent pour bénéficier de services publics analogues [...]
En fait, c'est ce qu'ils font.
M. Boadway: Sans le système de péréquation cependant, ils devraient assumer un fardeau fiscal encore plus inégal pour bénéficier de services publics de niveaux comparables. Le système de péréquation permet à toutes les provinces de fournir à leurs citoyens des services publics essentiels tel que la santé, l'enseignement et l'aide sociale, à des taux d'imposition relativement comparables.
Le sénateur Bolduc: Plus loin, vous affirmez ce qui suit:
Il est impossible, dans une fédération, d'éliminer complè tement les disparités d'AFN (avantages fiscaux nets); cela n'est possible que dans un état unitaire.
Toutefois, même là, les avantages ne sont pas analogues. On ne peut affirmer que dans la province de Québec par exemple, les services publics fournis aux citoyens de Gaspé sont identiques à ceux des citoyens de Montréal, ou aux habitants de la ville de Québec et à ceux de l'Abitibi. Il y a des écarts énormes.
M. Boadway: Il y a des écarts, mais en général, j'estime que tout le monde, qu'il s'agisse d'un citoyen du Québec ou de n'importe quelle autre province, est assujetti au même régime fiscal. Une personne ayant un revenu de niveau X paiera le même impôt, où qu'elle habite dans la province. La question est à savoir dans quelle mesure les services publics sont de niveau comparable dans diverses régions d'une même province.
À mon avis, bien que les niveaux de tels services ne soient pas identiques, ils sont aussi semblables qu'ils peuvent l'être, étant donné les différences de coûts liés à la prestation de services en Abitibi par rapport à Montréal.
Le sénateur Bolduc: Essentiellement vous partez du principe qu'il faut davantage d'équité dans les services à la population au Canada.
M. Boadway: Non, je ne pense pas qu'il s'agisse uniquement d'équité. Il y a deux arguments à retenir ici. L'un est bien sûr l'équité, soit qu'on offre un régime comparable à tous les citoyens peu importe où ils résident, mais en tenant compte des écarts dans les coûts liés à la prestation des services publics. Il y a ensuite l'argument de l'efficacité des services publics. Si nous ne fournissons pas un enseignement de base aux gens qui vivent dans les régions rurales, ils voudront peut-être déménager à Montréal, à Québec ou ailleurs.
D'ailleurs, si on regarde ce qui se passe dans les provinces, on y voit beaucoup de péréquation. Au fond, les gouvernements provinciaux sont d'immenses machines à péréquation au service des citoyens de la province. Le programme de péréquation pour l'ensemble du pays essaie de voir s'il n'y a pas lieu de faire pour les habitants de diverses provinces la même chose que ces dernières font chez elles pour leurs résidents.
Le sénateur Bolduc: Je conviens que l'existence de cinq normes provinciales au lieu de dix est un problème un peu gênant. En réalité, nous avons cependant réussi à éviter les extrêmes. Si l'Alberta figurait dans le système, étant donné le revenu par habitant de ses citoyens, elle serait forcée de payer jusqu'à plus soif pour les autres. Or, à mon avis, il y a une limite à ce qu'on peut demander à une province surtout si nous le faisons pendant 25 ans. On a eu un exemple de cela avec le programme énergétique national. Les habitants de l'Alberta ont été privés de quelque 58 milliards de dollars sur une période de 15 ans. C'est une somme énorme. Si on fait cela trop souvent, on soumet le système politique à trop de tension.
C'est pour cela que j'hésite à préconiser une norme fondée sur dix provinces. Je pense que cela serait un peu injuste envers la population de l'Alberta, qui après tout est plus riche et dispose de ressources. Si vous voulez aller y vivre, alors allez-y. Au Canada, en principe les gens sont libres de se déplacer. S'ils décident de rester à l'île-du-Prince-Édouard ou dans les Laurentides au Québec, ils le font pour une bonne raison. Je tenais à réfuter votre argument, car vous êtes sans doute favorable à la péréquation.
Le sénateur Banks: Si vous ne le faites pas, je m'en chargerais.
M. Boadway: Je ne suis pas sûr que vous soyez en train de jouer le rôle de l'avocat du diable. Le problème de l'Alberta ne tient pas fondamentalement à son revenu par habitant plus élevé mais aux recettes qu'elle tire de ses ressources.
C'est un problème difficile. Nous avons adopté une norme fondée sur cinq provinces précisément à cause des recettes tirées de l'exploitation des ressources et non des écarts entre le revenu par habitant. Je comprends qu'il s'agit là d'un problème difficile. Cela dit, je ne suis pas chargé de la mise en oeuvre du programme et j'aborde la question sous l'angle économique abstrait.
L'une des caractéristiques de la fédération canadienne qui la distingue de bien d'autres qu'on trouve dans le monde est précisément le fait que les recettes tirées de l'exploitation des ressources reviennent dans une très grande mesure aux provinces plutôt qu'au gouvernement fédéral. C'est cela qui crée l'écart entre l'Alberta et l'Île-du-Prince-Édouard, ou toute autre province dépourvue de ressources naturelles.
J'estime qu'en vertu de la Constitution et du principe de péréquation, il serait préférable de répartir les recettes que l'Alberta tire présentement de l'exploitation des ressources. Il n'est pas question d'aller puiser dans les coffres de l'Alberta à des fins de redistribution. Le problème qui découle de la norme fondée sur 10 provinces, c'est qu'à l'heure actuelle, le gouvernement fédéral assume le financement d'un régime de péréquation sans avoir un accès direct aux recettes tirées de l'exploitation des ressources en Alberta quand ce sont ces recettes elles-mêmes qui causent le problème.
Je me rends compte qu'il s'agit d'un enjeu difficile mais il n'empêche que l'adoption d'une norme fondée sur cinq provinces pour esquiver les problèmes causés par les recettes tirées de l'exploitation des ressources est dans une certaine mesure malhonnête. S'il s'agit d'un problème causé par les recettes d'exploitation des ressources représentent alors nous devrions l'affronter carrément et dire que nous n'en utiliserons que 50 p. 100 à des fins de péréquation, ce qui est d'ailleurs ce que nous faisions avant la mise en oeuvre de la norme de cinq provinces.
Si je ne réponds pas directement à votre question, c'est parce qu'il faut porter un jugement de valeur ici. Qui devrait avoir le droit de profiter des ressources naturelles?
Le sénateur Bolduc: J'ai lu vos travaux précédents sur le fédéralisme. Si je ne m'abuse, vous avez publié un ou deux volumes sur le sujet. Je les ai lus à l'époque de l'Accord de Meech, puis après son échec, au temps de l'Accord de Charlottetown, c'est-à-dire de 1986 ou 1987 à 1991 ou 1992. Je me souviens fort bien de votre point de vue sur le fédéralisme.
Bien entendu, dans notre Constitution, la plupart des ressources naturelles relèvent de la compétence provinciale. Cela découle probablement de la disposition relative à la propriété foncière, qui relève des provinces. Si vous deviez rédiger de nouveau la Constitution pour ce qui est des recettes, d'après vous, faudrait-il laisser les choses telles quelles ou envisager la situation d'un point de vue continental ou canadien?
M. Boadway: D'abord, je ne suis pas avocat, et je sais que la plupart d'entre vous le sont.
Le sénateur Bolduc: Cela va au-delà d'une question de droit. Il y a des raisons qui expliquent l'état actuel de la loi.
M. Boadway: J'allais ajouter qu'au sens strict, la Constitution n'affirme pas de façon explicite que les ressources appartiennent aux provinces. Il est dit également que le gouvernement fédéral peut percevoir des taxes à sa guise. Il pourrait ainsi en percevoir sur les ressources s'il le souhaitait.
Le sénateur Bolduc: Notre Constitution comprend deux principes fondamentaux. Toutes les recettes appartiennent au gouvernement fédéral, sauf celles qui appartiennent aux provinces. Tous les biens-fonds appartiennent aux provinces, sauf ceux qui sont fédéraux.
M. Boadway: Il est vrai que le gouvernement fédéral n'est pas autorisé à percevoir des impôts des provinces, mais la Constitution se contente de dire que les provinces ont le droit de tirer des recettes des ressources non renouvelables comme bon leur semble. Cela n'interdit pas au gouvernement fédéral de le faire lui aussi.
Maintenant, pour revenir à votre question hypothétique, je répondrais oui. Si j'avais à rédiger la Constitution dès le départ, je n'attribuerais pas les recettes tirées de l'exploitation des ressources aux provinces. Il me semble que cette richesse est un bien national.
Le sénateur Bolduc: Notre système serait donc plus centralisé.
M. Boadway: Non, il ne s'agit pas de centraliser davantage. Les ressources naturelles sont un bien national réparti de façon arbitraire. Rappelons que lors de son adhésion à la Confédération, l'Alberta était une province qui bénéficiait du régime de péréquation. Elle a découvert des réserves de pétrole par hasard, après son entrée dans la Confédération. Les recettes provenant des ressources naturelles ne lui appartenaient pas à cette époque-là. Il n'y a aucune règle immuable d'après laquelle les recettes tirées des ressources naturelles doivent appartenir aux provinces.
Le sénateur Bolduc: Vous comprenez que des gens comme moi, qui appartiennent à une vaste minorité de 6 millions de personnes, souhaitent une plus grande autonomie parce que nous voulons être majoritaires quand nous nous prononçons sur des questions culturelles ou sociales. Ce n'est pas une question de nationalisme. Il est raisonnable de faire une telle affirmation. Si nous ne voulons pas nuire à ce principe fondamental et préserver l'unité de toute la population canadienne, l'un des moyens d'atteindre un certain équilibre dans ce que je qualifie de «mécanisme de marché», en couvrant la totalité des économies du pays, serait de laisser une certaine marge de manoeuvre aux habitants des diverses régions du Canada.
M. Boadway: Je suis d'accord, et je ne serai pas dogmatique. Ce que je dis simplement, c'est qu'aucune des recettes pétrolières et gazières de l'Alberta n'entre dans la péréquation, sauf celles qui se présentent sous forme de revenu de particuliers. Il n'y a pas de péréquation des recettes provenant des ressources naturelles que perçoit le gouvernement de l'Alberta. À vous de juger si vous trouvez cela juste ou non. Personnellement, j'estime que c'est en contradiction avec l'article 36 de la Constitution, au moins.
Le président: Comment cela?
M. Boadway: Cela ne permet pas à toutes les provinces d'assurer des niveaux raisonnablement comparables de services publics à des taux fiscaux raisonnablement comparables. L'Alberta a des taux fiscaux inférieurs. Il est même question de supprimer complètement l'impôt sur le revenu. Ils peuvent le faire grâce aux recettes tirées de ces ressources.
Le sénateur Banks: Je me contenterai de souligner que l'Alberta contribue joyeusement au programme de péréquation. Elle en a été bénéficiaire jusqu'à 1961, pas seulement au moment où elle a adhéré à la Confédération.
Vous dites que le plafond viole l'esprit, sinon la lettre de la péréquation. J'imagine que c'est parce qu'il est arbitraire, que vous le dites. Et le plancher?
M. Boadway: C'est la même chose.
Le sénateur Banks: Donc, il faudrait le laisser flotter?
M. Boadway: Oui. Le plancher est quelque chose de temporaire. Je devrais nuancer ce que je dis. En principe, la réponse est oui. En un sens, on pourrait dire que le plancher est quelque chose de temporaire pour éviter des réductions une fois pour toutes et permettre aux provinces de s'adapter progressivement aux baisses. Le plafond peut devenir un plafond permanent qui s'applique pendant une longue durée. En général, je suis d'accord avec vous.
Le sénateur Banks: Donc, pour respecter l'intention de l'article 36, il faudrait laisser flotter les deux extrémités, c'est ce que vous dites?
M. Boadway: Oui.
Le sénateur Banks: Au paragraphe, au haut de la page 2 - et je suis un peu lent à comprendre ce genre de choses, c'est pourquoi je vous demande de m'éclairer - vous dites que le régime se fonde sur les politiques fiscales choisies par les provinces et non sur une conception abstraite de la capacité fiscale. Je ne comprenais pas et je ne comprends toujours pas pourquoi. J'aimerais comprendre. Je croyais que la liste des 33 sources de recettes était en quelque sorte théorique. Autrement dit, on se fondait sur ce qu'une province pouvait percevoir dans un domaine donné, et non pas sur ce qu'elle percevait effectivement. Est-ce que je me trompe?
M. Boadway: C'est ambigu. C'est une paraphrase d'un texte plus long qui pose le problème. Les personnes qui proposent d'utiliser une macro-formule soutiennent notamment qu'un des problèmes du régime actuel, c'est que le montant de la péréquation qui est versé dépend en fait des politiques fiscales choisies par les provinces elles-mêmes. Par exemple, le montant de péréquation provenant des taxes sur les cigarettes est fonction du taux de fiscalité que les provinces décident d'appliquer en moyenne aux cigarettes. Le montant de péréquation versé au titre des impôts sur les sociétés, ou de n'importe quelle source fiscale, dépend des politiques fiscales que les provinces choisissent d'avoir.
Le sénateur Banks: Ah bon? Je ne savais pas.
M. Boadway: Si vous calculez le montant de la péréquation dans le cas par exemple des taxes sur les cigarettes, ce montant dépend à la fois du montant des ventes de cigarettes dans la province et du taux fiscal national moyen que les provinces appliquent. Donc, le montant de la péréquation qui est versé au titre des taxes sur les cigarettes est fondé sur les taux fiscaux que les provinces choisissent en moyenne d'appliquer.
Le sénateur Banks: C'est vraiment une moyenne qu'on utilise?
M. Boadway: Oui.
Le sénateur Banks: Je croyais que c'était plus théorique que cela. Appliquerait-on le taux national moyen des taxes de vente à l'Alberta, même si les taxes sont nulles dans cette province?
M. Boadway: La taxe de vente n'est pas un exemple très pratique parce que les régimes diffèrent d'une province à l'autre, ce qui est d'ailleurs l'un des problèmes du régime. Voici comment on effectue le calcul: on prend les 10 provinces, on détermine le montant total de recettes fiscales provenant des taxes de ventes générales, et on divise cela par le montant total des ventes.
On obtient, en fin de compte, un taux fiscal national moyen pour les taxes de ventes provinciales. Je ne sais pas à combien il se monte exactement. C'est peut-être quelque chose comme 7 p. 100. C'est une sorte de moyenne entre le taux de 0 p. 100 en Alberta et le taux de 10 p. 100 à l'Île-du-Prince-Édouard.
Le sénateur Banks: Et la moyenne des chiffres empiriques réels s'applique à chacune des 33 catégories fiscales?
M. Boadway: L'impôt foncier est assez curieux car on le calcule d'une manière bizarre. C'est exactement comme cela que fonctionne le principe du système fiscal représentatif.
Le sénateur Banks: Merci beaucoup. Je conclurai en convenant avec vous que le régime actuel permet beaucoup mieux d'atteindre l'objectif visé que ne le ferait le système macro. Je crois que ce système macro n'est qu'un système de distribution du revenu.
Le sénateur Furey: Merci d'être venu nous rencontrer. Ma première question porte sur ce que vous avez dit à propos du refinancement du transfert canadien qui accomplit, comme vous l'avez dit, une importante fonction d'égalisation. Quand vous parlez de ce refinancement, parlez-vous aussi de la méthode de répartition du TCSPS et envisagez-vous de vous écarter de la répartition par habitant adoptée en 1999? Est-ce que cela fait partie de vos objectifs de refinancement, ou parlez-vous simplement de mettre sur pied un dispositif financier complètement nouveau?
M. Boadway: La répartition par habitant ne me dérange pas. Je préférerais qu'on débourse les fonds en tenant compte des besoins démographiques. C'est une bonne façon de procéder. De toute façon, il est à peu près certain que les fonds du TCSPS ne seraient pas distribués en fonction de la provenance des recettes. Si le gouvernement fédéral distribuait le TCSPS en fonction des recettes générales perçues par les provinces, il n'y aurait pas de péréquation.
Le sénateur Furey: Prenez une province comme Terre-Neuve, dont la population décline et vieillit, et dont le système de santé est par conséquent de plus en plus sollicité. Comme la population diminue, les montants que perçoit cette province diminuent aussi. L'écart entre la qualité des services de santé dans cette province et celle de l'Ontario ne cesse de se creuser.
M. Boadway: C'est pour cela que je parle de «besoins». Ce n'est pas tellement la population en soi qui est importante - parce que a priori le principe de la répartition par habitant semble raisonnable - mais plutôt la nature des composantes démographiques, comme vous le soulignez.
Les projections démographiques montrent que la population de provinces comme Terre-Neuve va vieillir plus rapidement que celle des provinces de l'Ouest, qui accueillent beaucoup plus d'immigrants. Il faut en tenir compte dans le régime de péréquation précisément pour les raisons que vous mentionnez. Je n'ai pas d'opinion bien arrêtée sur la formule à utiliser pour répartir des montants globaux comme le TCSPS, mais quelle que soit la formule choisie, elle comportera forcément un élément de péréquation puisqu'elle reposera soit sur le principe de la répartition par habitant, soit sur le principe du besoin, soit sur autre chose encore.
Le sénateur Furey: Ou un mélange des deux.
M. Boadway: Oui.
Le sénateur Furey: Quand vous avez parlé des approches différentes, vous avez dit que vous seriez prêt à envisager des méthodes reposant sur une formule plutôt que des méthodes discrétionnaires dans le cas des provinces démunies qui ont une contre-incitation à développer leurs grandes ressources. Venant de Terre-Neuve, j'ai un certain parti pris et je suis d'accord avec ce que vous dites. Que répondez-vous au ministre des Finances quand il parle de cela?
Le ministre des Finances a dit qu'il était très important de comprendre que, bien qu'il y ait un ajustement des recettes perçues par les provinces, les habitants de Terre-Neuve et de la Nouvelle-Écosse bénéficient énormément des emplois créés par l'activité économique dans le secteur des ressources. Il n'y a pas une réduction proportionnelle, et il y a au contraire un avantage énorme.
Qu'en dites-vous? Voilà ce qu'il répond lorsqu'on parle de modifier la formule à propos de la mise en valeur des ressources.
M. Boadway: Je ne suis pas sûr de comprendre sa réponse.
Le sénateur Furey: Il dit qu'à partir du moment où on commence à mettre ces ressources en valeur, on en tire des profits énormes. On n'a pas besoin de commencer à bricoler le régime de redevances.
M. Boadway: Le problème des ressources à Terre-Neuve est essentiellement un problème d'incitation. Pourquoi mettre en valeur une ressource? On peut très bien le faire simplement pour créer des emplois.
Le sénateur Furey: Mais c'est à court terme.
M. Boadway: La province n'est pas incitée à mettre en valeur les ressources si toutes les recettes doivent de toute façon être versées au compte de la péréquation. Quand je dis qu'il faudrait une méthode reposant sur une formule, je pense à quelque chose comme ce que l'on avait auparavant, à l'époque de la norme des 10 provinces. Les ressources naturelles n'intervenaient que jusqu'à 50 p. 100. C'était une démarche reposant sur une formule qui s'appliquait à toutes les ressources, pas seulement les grands projets comme Voisey's Bay, mais aussi les autres ressources non renouvelables qui avaient des retombées égales sur les provinces qui bénéficiaient de la péréquation.
Le sénateur Furey: Pensez-vous qu'il faudrait établir une sorte de sursis de recouvrement pour laisser à des provinces comme Terre-Neuve le temps de devenir progressivement des contributeurs? Actuellement, il y a une contre-incitation. On ne rattrapera jamais, on puisera toujours dans la caisse. La mise en valeur de Voisey's Bay, c'est 20 cents par dollar actuellement.
M. Boadway: Il ne faut pas voir la péréquation comme un programme d'aide au développement régional. Pour répéter ce que je disais précédemment, la péréquation a pour but de permettre aux provinces d'assurer des niveaux de services publics comparables. Il ne faut pas la confondre avec un programme de développement régional.
Le sénateur Furey: Je ne dis pas cela. Ce que je dis, c'est qu'on n'aura jamais des niveaux comparables de services si l'on reprend d'une main ce que l'on a donné de l'autre. Il faut accorder une forme de sursis ou procéder à un réajustement du dispositif pour le pétrole exploité en mer, par exemple. Je crois que cela nous rapporte 30 cents par dollar. À Voisey's Bay, on envisage quelque chose comme 20 cents par dollar.
Pour une province qui a tellement de retard, il faudrait ajuster le tir. Même si l'on allait jusqu'à une formule 50-50 ou 60-40, il faut faire un ajustement plus réaliste, compte tenu des circonstances, si l'on veut vraiment atteindre l'objectif d'un niveau comparable de services de notre vivant.
M. Boadway: Je vous comprends. D'un autre côté, je ne crois pas qu'il soit bon d'alourdir le programme de péréquation en essayant d'en faire quelque chose qu'il n'est pas. Le programme de péréquation n'a pas pour but de permettre à Terre-Neuve d'assurer des niveaux comparables de santé, d'éducation et de bien-être social à des taux fiscaux comparables.
Si le programme fonctionnait correctement, c'est ce qu'il ferait. Si une province tire plus de recettes de ses ressources, elle n'a pas besoin d'autant de paiements de péréquation pour atteindre les objectifs du programme.
Le revenu moyen peut être inférieur à celui de l'Ontario ou de l'Alberta, mais là n'est pas la question dans la péréquation. Il ne s'agit pas de combler les écarts de revenu moyen ou d'encourager le développement de l'économie de Terre-Neuve. Il s'agit purement et simplement de vous permettre d'assurer des services publics à des taux fiscaux raisonnablement comparables.
Le sénateur Furey: Est-ce que je comprends mal lorsque vous affirmez qu'une autre solution que vous envisageriez pourrait être une méthode reposant sur une formule avec des contre-incitatifs pour les provinces moins nanties?
M. Boadway: Le fait est que le programme comporte déjà des contre-incitatifs. Par exemple, vous n'avez peut-être pas intérêt à poursuivre certains projets d'exploitation de ressources faute d'une rentabilité suffisante. Personnellement, je pense que ce contre-incitatif est surestimé, mais il n'empêche qu'il y a des problèmes. Si les contre-incitatifs sont tels que vous décidez en définitive de ne pas procéder à l'exploitation des ressources, alors ce n'est pas raisonnable.
Si une politique de l'État se traduit par des problèmes de contre-incitatifs, il faut un compromis, un donnant-donnant. Nous laissons de côté un petit élément de l'objectif du programme de manière à compenser le contre-incitatif. Si ce contre-incitatif nuit à la mise en valeur des ressources, nous devrions peut-être alors envisager d'ajouter au programme de péréquation un élément quelconque qui en réduirait l'effet. Et n'importe quel projet d'exploitation des ressources naturelles, peu importe son envergure, serait confronté au même problème de recouvrement fiscal.
La péréquation n'est pas quelque chose qui peut vous aider à développer l'économie. Elle existe afin de pouvoir prendre en compte le fait que le programme lui-même est un contre-incitatif à l'égard des attitudes provinciales. Je ne sais pas si je me fais bien comprendre.
Le sénateur Furey: Je crois vous comprendre, je vous remercie.
[Français]
Le sénateur Ferretti Barth: J'avais préparé certaines questions, mais en lisant votre rapport, j'ai vu que vous y répondez déjà. Vous recommandez ici des amendements, et il y en a six.
J'aimerais vous demander si vous conseillez de maintenir la formule de péréquation que nous avons maintenant.
Croyez-vous vraiment que la formule que nous avons actuellement permette une certaine égalité entre les provinces, en tenant compte des ressources des provinces et des normes?
Si nous regardons, par exemple, la province de l'Alberta, qui a beaucoup plus de ressources que les autres provinces, et, en considérant aussi que le gouvernement cherche toujours à épargner de l'argent, ne pensez-vous pas que les montants de péréquation devraient être sensiblement élevés, pour que les provinces offrent des services semblables à ceux de l'Alberta? Aussi, ne pensez-vous pas que le gouvernement a une certaine réticence à augmenter les sommes de péréquation?
Si nous voulons maintenir et satisfaire les provinces, il faut à un certain moment que le montant de péréquation soit un peu plus élevé, pour permettre aux provinces qui ont moins de possibilités de financer ces services de donner des services égaux et accessibles à toute la population, comme la province de l'Alberta, par exemple?
[Traduction]
M. Boadway: J'espère avoir compris votre intervention. Je suis d'accord avec l'essentiel de ce que vous avez dit, et notamment en ce qui concerne la toute première discussion concernant les différences au niveau des ressources et le fait que le système de péréquation n'en tient pas compte. Dans une certaine mesure, la proposition qui nous ferait revenir à une norme applicable aux 10 provinces répond à cette question. À l'heure actuelle, nous n'avons pas une norme applicable aux 10 provinces, pour la bonne raison que si c'était le cas, l'incidence totale des ressources pétrolières et gazières de l'Alberta, et c'est un exemple, modifierait considérablement le programme. Ce programme serait plus coûteux pour le gouvernement fédéral.
Le gros problème, c'est précisément cela, que ce serait très coûteux pour le gouvernement fédéral, pour le ministère des Finances. Ce n'est pas moi qui suis chargé d'équilibrer le budget fédéral, et je n'ai donc pas à m'inquiéter de mes propos. Par contre, et c'est une question de principe, lorsqu'on décentralise en donnant aux provinces la responsabilité de la perception des recettes, comme nous le faisons depuis plus de 30 ans, le système de péréquation est d'autant plus sollicité que les disparités se multiplient naturellement en raison de la décentralisation. C'est donc un programme qui devient obligatoirement plus coûteux pour le gouvernement fédéral à mesure qu'il décentralise.
Je ne suis pas sûr de pouvoir répondre de façon plus détaillée à votre question parce que, dans une certaine mesure, la façon dont vous avez posé votre question comporte déjà un élément de réponse implicite. Je suis tout à fait d'accord avec vous. Si vous voulez un système qui soit conforme à la lettre du paragraphe 36(2), qui est un principe et non pas une condition, alors il me semble qu'à tout le moins, il faut faire ce que je suggère, c'est-à-dire adopter une norme valant pour les 10 provinces et injecter suffisamment d'argent dans le programme pour qu'il soit conforme à cette disposition.
[Français]
Le sénateur Ferretti Barth: Vous dites dans votre présentation que la formule actuelle est très simple et facile à comprendre. Moi, je vous dis que je ne la comprends pas. Parce que pour moi, deux plus deux font quatre, et quatre moins un, ça fait trois. Et donc, de la façon que la péréquation est allouée, je vois qu'il y a un certain travail de mathématiques, et pour moi, c'est un peu superflu. Je pense qu'il est normal que les provinces qui ont plus de ressources naturelles - et donc plus de revenus - vont prendre un pourcentage plus élevé que les autres, et le redonner aux autres provinces plus pauvres, pour arriver à un certain équilibre où toutes les autres provinces auront le même montant d'argent pour financer les programmes qui visent leurs populations.
Le sénateur Murray: Vous vous souviendrez peut-être, sénateur, que le ministre Paul Martin nous a avoué que, au moment de son entrée au ministère des Finances en 1993, il n'y avait qu'une seule personne, un seul fonctionnaire au ministère des Finances, qui comprenait la formule du programme de péréquation, et que, malheureusement, cette personne a pris sa retraite depuis lors.
Le sénateur Ferretti Barth: Donc, à ce moment-là, plus personne ne comprenait rien. C'est malheureux de ne pas pouvoir entrer dans l'esprit de cette formule-là.
Vous qui dites que c'est facile, monsieur le professeur, peut-être que vous pouvez m'éclairer.
[Traduction]
M. Boadway: Voulez-vous que je vous explique la formule? Je n'ai jamais compris pourquoi on prétendait que cette formule est compliquée étant donné qu'elle est aussi simple qu'on pourrait la concevoir.
Le président: Expliquez-la donc d'un point de vue conceptuel.
M. Boadway: D'un point de vue conceptuel, je l'expliquerais de la façon suivante: prenez l'impôt sur le revenu. Il est facile de calculer l'impôt provincial sur le revenu par habitant. Faites la somme de tous les revenus provinciaux et divisez-la par le nombre d'habitants. Le résultat vous donne l'impôt sur le revenu par habitant pour la province. Comparez ensuite cela à l'impôt sur le revenu par habitant pour les cinq provinces qui souscrivent à la même norme. Pour l'Île-du-Prince-Édouard, si le revenu par habitant est inférieur au revenu par habitant des cinq provinces représentatives, l'assiette fiscale comporte un manque à gagner ce qui ouvre droit à une péréquation. Le montant de cette péréquation sera fonction du taux national moyen de l'impôt sur le revenu.
En moyenne, 20 p. 100 des revenus au Canada sont imposés au plan provincial. Par conséquent, c'est là le taux d'imposition national moyen dont je vais me servir pour la péréquation. À partir de cette moyenne de 20 p. 100, je vais calculer la différence entre l'assiette fiscale par habitant de l'Île-du-Prince-Édouard et celle qui correspond à la norme applicable aux cinq provinces. Et immédiatement donc, je vais recevoir le montant de péréquation par habitant auquel ma province a droit.
Cette idée est fort simple. Il s'agit d'aligner les recettes que l'Île-du-Prince-Édouard tire de son assiette fiscale sur la moyenne pour les cinq provinces à laquelle s'applique la norme. C'est une façon simple de faire en sorte que chaque province pourra obtenir les mêmes recettes fiscales par habitant que les cinq provinces auxquelles s'applique la norme et, par conséquent, qu'elle puisse utiliser ces recettes pour assurer les services publics qu'elle doit financer. C'est ainsi que cela fonctionne.
Ce n'est pas difficile en soi, mais la difficulté consiste à définir l'assiette commune et à calculer précisément ce qu'elle représente pour chaque province. Sur le plan conceptuel, la formule n'est pas compliquée. Si on est capable de multiplier et de diviser, on peut la comprendre en 10 minutes.
[Français]
Le sénateur Ferreti Barth: Comment pouvez-vous expliquer, monsieur le professeur, qu'il y a beaucoup de provinces qui ne sont pas contentes du tout de la formule de péréquation?
[Traduction]
M. Boadway: Vous parlez ici des provinces bénéficiaires. Celles-ci ne sont pas trop contentes précisément à cause des arguments que je vous ai soumis. Ces provinces préféreraient une norme applicable aux 10 provinces et aucun plafond.
Voilà donc les deux arguments qu'on entend le plus souvent.
Terre-Neuve et la Nouvelle-Écosse ne sont pas très satisfaites de certains aspects étant donné qu'à leur avis, les gros projets d'exploitation de ressources naturelles ne leur donnent pas autant de recettes fiscales qu'ils le devraient. Implicitement, le système de péréquation récupère cet excédent fiscal.
[Français]
Le sénateur Ferretti Barth: Pensez-vous qu'éliminer le plafond va corriger beaucoup de choses?
[Traduction]
M. Boadway: Non, cela ne corrigerait rien. Cela ne remédierait pas au problème des ressources parce que cela n'a rien à voir avec le fait que les ressources ne font pas partie de la formule. En se contentant d'éliminer le plafond, on ne réglerait rien. La norme pour les cinq provinces est précisément là pour rendre le programme moins coûteux pour le gouvernement fédéral. Voilà la raison d'être du plafond.
Le président: Mais il n'y a pas que cela, ne vous déplaise. Pour commencer, j'ai été assez étonné l'autre jour par le témoignage de quelqu'un qui représentait l'une des deux provinces ou encore le ministère des Finances, je n'en sais trop rien. J'ai été étonné par la volatilité de la chose, par la façon dont les droits augmentent, diminuent, augmentent et diminuent, pratiquement d'une année à l'autre. Peut-être ces montants ne représentent-ils pas grand chose dans le budget d'ensemble du gouvernement fédéral, mais il n'empêche qu'il faut comprendre pourquoi les administrateurs fiscaux du gouvernement ont besoin de pouvoir prévoir ce qu'ils auront à payer. Déjà, certains programmes leur lient suffisamment les mains.
Vous parlez ici de la nécessité d'une harmonisation fiscale, mais, pour ce qui est des administrateurs fiscaux, on ne saurait les blâmer de réclamer une certaine prévisibilité.
M. Boadway: Je le sais fort bien. Je n'ai pas parlé moi-même de prévisibilité ou de volatilité. On peut effectivement craindre que les paiements de péréquation augmentent et diminuent pour toute une série de raisons, que ce soit parce que l'assiette fiscale de la province augmente ou diminue, ou encore parce que les recettes fiscales de l'Ontario augmentent ou diminuent. Cette volatilité peut avoir plusieurs origines différentes.
Je comprends fort bien le problème, mais je ne suis pas sûr de pouvoir y remédier. À mon avis, la seule façon de contourner cette volatilité au niveau provincial serait que le gouvernement fédéral absorbe le risque que présente cette imprévisibilité pour les provinces. Mais à ce moment-là, il faut se demander qui devra en assumer le coût, le gouvernement fédéral ou les provinces?
À certains égards, c'est précisément pour cette raison qu'il y a un plancher, pour éviter la pire imprévisibilité possible, c'est-à-dire la possibilité d'une diminution notable des paiements de péréquation. Par contre, le problème demeurera peu importe la formule de péréquation utilisée, à moins bien sûr d'utiliser une formule comme celle du TCSPS qui prévoit un montant fixe pour une période donnée. Mais je pense que vous avez raison, c'est effectivement un problème.
Le président: Pour ce qui est de la question de la différence entre les transferts pécuniaires et les transferts de points d'impôt, je comprends le raisonnement selon lequel, s'il n'y a pas de composante pécuniaire, le gouvernement fédéral serait moins capable, comme vous le dites, de favoriser des objectifs nationaux.
Mais quel est vraiment la différence entre la péréquation et le TCSPS ces jours-ci? La péréquation est accordée sans condition. Les provinces peuvent se servir de cet argent pour les fins qu'elles jugent appropriées. Dans le cas du TCSPS, exception faite des contraintes imposées par la Loi canadienne sur la santé, on sait que les provinces peuvent se servir de l'argent obtenu au titre de ce transfert pour la réfection des routes ou pour tout autre programme.
M. Boadway: C'est exact.
Le président: Votre raisonnement se fonde sur la Loi canadienne sur la santé, n'est-ce pas?
M. Boadway: Il y a également les dispositions sur la mobilité liées aux prestations de bien-être social, mais je suis d'accord avec vous. Dans le cas du TCSPS, la conditionnalité n'est pas actuellement très importante. Cela changera peut-être lorsque paraîtront les rapports de la Commission Romanow et d'autres études.
Le président: Qu'en est-il de l'Entente-cadre sur l'union sociale? Peut-elle potentiellement servir de solution de remplacement adéquate à la discipline qu'impose le refus d'accorder des fonds? Avez-vous examiné cette entente?
M. Boadway: Je ne pense pas qu'elle gêne le gouvernement fédéral. Elle n'empêche pas le gouvernement fédéral de se servir de son pouvoir de dépenser s'il le souhaite.
Le président: J'ai soutenu - mais j'exprime là une opinion minoritaire - que l'Entente-cadre sur l'union sociale renforce en fait la position des provinces à certains égards importants. Pour les nouveaux programmes ou pour les modifications importantes aux programmes existants, il faut certainement qu'il y ait accord, d'abord entre la majorité des provinces - six provinces au moins - et il y a ensuite d'autres dispositions qui interviennent. Je n'ai pas l'accord sous les yeux, mais je sais qu'il y a d'autres dispositions qui exigent presque certainement qu'il y ait une certaine concordance de vues au sujet des conditions et modalités d'un programme cofinancé.
M. Boadway: Je crois qu'il serait difficile de contester les dispositions de l'Entente-cadre sur l'union sociale. Personnellement, je ne le ferais pas.
Le président: Seulement neuf provinces y ont adhéré. C'est un détail qui n'est pas sans importance.
M. Boadway: L'Entente-cadre sur l'union sociale n'est efficace que si le gouvernement fédéral a des recettes dont il peut se servir pour la mise en oeuvre des programmes convenus. Je ne veux pas dire que la seule raison de préférer les transferts pécuniaires aux transferts de points d'impôt, c'est que le gouvernement fédéral ne pourrait pas utiliser son pouvoir de dépenser. Je crois que cela a d'autres répercussions importantes également. Entre autres choses, le fait de transférer aux provinces des points d'impôt plutôt que des fonds exerce des tensions considérables sur le programme de péréquation, parce que les points d'impôt entrent dans péréquation, ce qui la rend plus difficile et plus coûteuse.
Deuxièmement, selon moi, cela nuit à l'harmonisation fiscale au Canada. S'il y a désharmonie croissante de notre régime fiscal, c'est, entre autres raisons, parce que nous avons cédé tellement de points d'impôt au fil des ans.
On ne peut pas revenir sur la décision de transférer des points d'impôt plutôt que des fonds. Une fois les points d'impôt transférés aux provinces, on rééquilibre la fédération de façon presque irréversible. Si, vingt ans plus tard, on essaye de conclure un accord selon lequel le gouvernement fédéral doit transférer des fonds à des provinces pour appuyer un programme quelconque, qu'il s'agisse de l'assurance-médicaments ou de toute autre chose, il est trop tard. Les provinces ont déjà les points d'impôt. Il est très difficile de modifier cela et de rétrocéder les points d'impôt au gouvernement fédéral.
En matière de politique gouvernementale, que pensez-vous de la proposition que nous avons évoquée lorsque le premier ministre de Terre-Neuve était ici, proposition visant à accroître la péréquation et à réduire le nombre de programmes liés? Vous avez déjà répondu à la question dans une certaine mesure, mais on lui avait demandé son point de vue. Il exigeait des améliorations au programme de péréquation, mais il a également été très tranchant au sujet du TCSPS.
Il était ministre de la Santé à l'époque où l'entente augmentant les transferts de fonds avait été concoctée à la veille des élections fédérales. Je lui ai dit: «vous vous êtes emparé de l'argent et vous avez pris vos jambes à votre cou. Vous auriez dû tenir ferme et exiger une meilleure entente à long terme». Toutes les provinces reviennent à la charge pour exiger plus d'argent et pour affirmer avoir été trahies relativement à ce qu'elles croient avoir entendu le premier ministre fédéral dire au sujet du non-respect du plafond de la péréquation.
Au milieu de tout cela, le premier ministre Grimes a révélé qu'il s'apprête à annoncer un nouveau programme fédéral- provincial de réfection des routes. Or, je ne vous l'apprends pas, les routes relèvent de la compétence provinciale. Je ne crois pas que qui que ce soit à Ottawa sache où s'inscrivent les routes dans les priorités ou les besoins de Terre-Neuve comparativement à d'autres responsabilités provinciales, mais la tentation de ne consacrer que 10 cents ou 20 cents par dollar à ce programme de réfection routière sera irrésistible.
Je me fais l'avocat du diable, mais je soutiens qu'il vaudrait mieux avoir un immense programme de péréquation qui permettrait aux provinces de s'acquitter de leurs responsabilités conformément aux priorités établies par les gouvernements provinciaux dûment élus.
M. Broadway: Je suis parfaitement d'accord avec vous. Je crois que le gros des transferts aux provinces devrait se faire sans condition, ou du moins j'estime que les paiements hors péréquation devraient se faire sous forme de financement global, comme pour le TCSPS. Personnellement, je suis favorable à l'imposition de certaines conditions fédérales pour tenir compte des intérêts nationaux en matière de santé et de programmes sociaux.
Le président: Pourquoi ces conditions ne pourraient-elles pas être négociées par Ottawa et les provinces plutôt qu'imposées? C'est quand même du financement global, mais le gouvernement a décidé qu'un montant nominal serait consacré aux soins de santé. Pour ce qui concerne ce montant, la Loi canadienne sur la santé peut être invoquée et l'on peut imposer des pénalités aux provinces.
M. Broadway: Je suis d'accord. Dans la plupart des cas, les normes nationales pourraient être établies conjointement ou par négociation avec les provinces. Toutefois, au bout du compte, il faut envisager le recours à un mécanisme de règlement des différends. C'est le gouvernement fédéral qui tient les cordons de la bourse.
À ce sujet, nous devrions songer à ceci: les États-Unis n'ont pas de programme de péréquation. Par conséquent, la péréquation et les transferts fédéraux se font de façon très interventionniste. Ils atteignent une certaine péréquation au moyen de subventions liées à des conditions. La plupart des transferts aux États sont assujettis à des conditions, exception faite du transfert au titre du programme d'assistance sociale récemment instauré.
Si l'on supprime les transferts de péréquation et le financement de base, on se retrouve inévitablement dans la situation où le gouvernement fédéral agit de façon plus interventionniste pour les programmes de construction de routes, d'infrastructure, et cetera. J'en conviens avec vous, les transferts aux provinces devraient être des transferts globaux, bien distincts de la péréquation.
Il y a des objectifs nationaux légitimes que servent les grands programmes sociaux mis en oeuvre par les provinces en matière de santé, d'éducation et de bien-être social. Il existe bel et bien un intérêt national à ce que ces programmes soient offerts d'une certaine façon. Toutefois, je ne vois pas pourquoi les provinces ne pourraient pas participer à la formulation des normes nationales. Cela dit, cela nous éloigne considérablement de la péréquation.
Le président: Oui, mais c'est lié à la question générale de la politique gouvernementale. Nous avons la péréquation et le TCSPS. Nous nous lançons maintenant dans des programmes de réfection de route. Ce sont des transferts liés. On sait ce que cela fait aux priorités du gouvernement.
L'autre jour, un témoin du Manitoba, qui représentait le SCFP, déplorait la disparition du Régime d'assistance publique du Canada. Sans me lancer dans les détails, disons que les provinces savaient que le gouvernement fédéral allait payer la moitié de la note.
Il m'est arrivé de défendre les deux points de vue opposés. Pendant un certain temps, j'ai été au Nouveau-Brunswick en qualité de conseiller auprès du gouvernement. Nous inscrivions dans le Régime d'assistance publique du Canada toute mesure pour laquelle nous pouvions trouver une justification, fut-elle bien mince.
Chose plus grave, lorsque le conseil des ministres de la province était appelé à choisir entre deux nouveaux programmes sociaux, il choisissait toujours celui qui allait être financé à 50 p. 100 par le gouvernement fédéral, que ce soit ou non le meilleur des deux ou le plus nécessaire. Et je me ralliais à son point de vue.
Vers la fin des années 80 et au début des années 90, je me suis retrouvé du côté fédéral. Nous faisions face au phénomène suivant: les provinces, et l'Ontario en particulier, augmentaient les prestations de bien-être social et facturaient tout au RAPC, au point où nous nous sommes sentis provoqués. Cela n'était pas nécessaire. J'ai été l'un de ceux qui se sont démenés pour imposer un plafond au RAPC, et je considère, à posteriori, que c'était une erreur. Le principe général était une erreur. En imposant ce plafond, nous avons pris le risque d'amener les gens de l'Ontario et de l'Alberta à se tourner contre la péréquation. Ce n'était pas une bonne politique, mais vous pouvez comprendre pourquoi nous devions le faire.
Le TCSPS qui comprend, conceptuellement, l'aide sociale, la santé et l'enseignement postsecondaire me semble plus équitable en général que la formule de partage des coûts à 50 p. 100 qui est non limitative. Lorsque M. Pearson a mis en place le régime d'assurance-maladie, les coûts devaient être partagés à 50 p. 100.
C'était pour obtenir la participation des provinces. Le partage des coûts ne se fait plus à 50 p. 100, loin de là.
M. Boadway: J'en conviens. Il est important de regrouper le TCSPS et la péréquation dans la même «catégorie» de politiques et de les examiner ensemble, tout comme il est important de tenir compte des paragraphes 36(1) et 36(2), non pas seulement du paragraphe 36(2) lorsqu'on examine la péréquation, car en un sens, ils abordent des questions communes.
Le sénateur Bolduc: Comme le sénateur Furey l'a dit, la deuxième option est un peu moins équitable que la péréquation pour certaines provinces. Si on regarde les choses d'une façon, les provinces se plaignent de la péréquation, et cetera, mais en 20 ans, elle est passé d'environ 4 à 11 milliards de dollars. Le rythme de croissance a été assez soutenu. Par exemple, en 1985, c'était environ 5,5 milliards de dollars. En 1988, elle s'élevait à environ 8 milliards de dollars. En 1995, elle était moins de 9 milliards de dollars et à l'heure actuelle, elle se situe autour de 11 milliards de dollars. Nous pouvons donc constater qu'il y a eu une croissance.
Je dois admettre que, même avec la norme applicable aux cinq provinces, ce n'est pas entièrement inéquitable. Si on considère la capacité fiscale par habitant, elle varie de 4 000 $ à environ 6 500 $. Elle se situe autour de 30 p. 100, plus ou moins, l'Île-du-Prince-Édouard était à 4 000 $ et l'Ontario à 6 500 $. Au Québec, elle est de 5 000 $ et en Saskatchewan, de 5 800 $. Ce système n'est pas parfait, mais c'est la réalité de la capacité fiscale, sauf pour l'Alberta que je qualifierais de cas aberrant du point de vue statistique. Pour les autres provinces, cela varie d'environ 25 ou 30 p. 100, plus ou moins.
C'est la même chose pour ce qui est des lois électorales. Habituellement, les circonscriptions comptent environ 75 000 électeurs, mais certaines en ont plus et d'autres en ont moins. Dans certaines provinces, en Ontario peut-être, certaines circonscriptions en ont 150 000 ou 125 000, tandis que de plus petites circonscriptions en comptent 45 000, mais en général, une circonscription compte environ 75 000 électeurs.
Il est difficile d'avoir l'égalité totale et complète. Même les services ne sont pas égaux. Même au sein d'une province, ils ne sont pas égaux. La situation est difficile. Le gouvernement fédéral a fait des coupures, de sorte que les provinces en ont fait également. En fait, les services de santé dans les grandes villes sont pires que dans les villes moyennes. Les petites villes de 50 000 habitants ont leurs hôpitaux et leurs services de base. Si on a un problème exigeant le recours à la neurochirurgie, il faut se rendre à Québec ou à Montréal. En général, les gens sont satisfaits. En outre, les médecins, les spécialistes, quittent les grandes villes et les gros hôpitaux pour aller travailler dans de petits hôpitaux 50 miles plus loin. Ils sont satisfaits. Dans ces petits hôpitaux, ils sont traités comme des rois. Nous avons une sorte de décentralisation des services spécialisés dans les petites et moyennes villes.
Le président: Il y a des gagnants et des perdants.
Le sénateur Bolduc: Les listes d'attente sont plus longues dans les grandes villes que dans les villes moyennes.
M. Boadway: Je suis d'accord. Vous dites que le programme de péréquation a eu un succès retentissant. Il y a eu péréquation des capacités fiscales, sauf dans le cas de l'Alberta. Ce qui me préoccupe n'est pas tant de perfectionner le système actuel que de l'empêcher d'être compromis par ceux qui disent qu'il comporte davantage de problèmes à l'heure actuelle.
Le sénateur Bolduc: Le problème c'est que cela représente 10 p. 100 du budget fédéral. Par rapport au PIB, ce n'est rien du tout dans le contexte général de l'économie canadienne. Nous sommes généreux et équitables, mais cela représente 10 p. 100 du budget. Par ailleurs, la politique des finances publiques entre en jeu, et on se retrouve avec des programmes définis, spécifiques, conditionnels qui sont administrés par divers ministères. On a des programmes conditionnels supplémentaires, et c'est là la troisième étape. On a la péréquation et le TCSPS, ou l'union sociale, ensuite on a les programmes additionnels qui relèvent uniquement du gouvernement fédéral, et les provinces tentent tant bien que mal d'aller chercher ce qu'elles peuvent.
Le président: Des paiements aux particuliers.
Le sénateur Bolduc: Oui. Cela est vrai également pour ce qui est de chaires d'excellence et ce genre de choses. Vous le savez. Une bonne université comme la vôtre doit en compter un bon nombre.
Le président: Pas assez.
Le sénateur Bolduc: Ce n'est pas une question, simplement une observation.
[Français]
Le sénateur Ferretti Barth: Monsieur le professeur, est-ce que les ressources financières d'une province, qui proviennent de loteries ou du jeu, sont considérées comme des ressources naturelles pour une province? Est-ce qu'elles sont comptabilisées quand vient le moment de l'application de la formule de péréquation?
[Traduction]
M. Boadway: Vous me demandez si les loteries ou le jeu sont comptabilisés. Le jeu entre dans la péréquation. C'est un secteur problématique. Ce n'est pas comme les taxes sur les cigarettes ou l'alcool ou...
Le sénateur Ferretti Barth: Les casinos.
M. Boadway: Le gouvernement réglemente les activités des casinos ou le jeu. Un gouvernement provincial peut décider de ne pas permettre les jeux de hasard, ou différentes provinces peuvent permettre différents degrés de jeu. La taille de l'assiette est en fait déterminée par la légalité de l'activité proprement dite. Je dirais que dans le régime de péréquation, le traitement des recettes provenant du jeu est problématique même si le jeu, à d'autres égards, est essentiellement comme une taxe. C'est comme une taxe très régressive, étant donné que ce sont surtout les pauvres qui s'adonnent le plus au jeu.
Le sénateur Mahovlich: À bien y penser, il me semble qu'il n'y a pas vraiment de solution à la péréquation, si ce n'est que d'essayer de l'améliorer un peu. Je ne pense pas que nous allons régler réellement le problème de la péréquation car il y a tellement d'inégalités d'une province à l'autre. D'une année à l'autre, les choses changent. Une certaine province peut avoir un gros problème, et nous devrons prendre position et tenter d'aider cette province au cours d'une année en particulier, n'est-ce pas?
M. Boadway: Oui, je suis d'accord avec ce que vous dites. En un sens, vous dites que les provinces pourraient avoir des problèmes temporaires et dans un tel cas, le régime de péréquation pourrait être une sorte d'assurance.
Cependant, il se pourrait par ailleurs que le régime de péréquation ait un objectif à plus long terme. Certaines provinces sont constamment moins bien nanties que d'autres et trouvent qu'il est plus difficile d'offrir les services publics de base. À mon avis, l'aspect le plus important de la péréquation consiste à s'assurer à long terme que peu importe où ils vivent, les Canadiens sont assurés de recevoir les services publics les plus essentiels, notamment dans les domaines de la santé, de l'éducation et de l'aide sociale, à des taux d'imposition comparables.
Le sénateur Tunney: Je voudrais tout d'abord faire une observation. Je pense avoir raison de dire que moins de un pour cent des Canadiens comprennent la péréquation. Je n'en avais qu'une vague notion jusqu'à ce que nous entreprenions cette étude. C'est fascinant.
Le TCSPS est-il en quelque sorte une source de frustration ou de confusion pour la péréquation?
M. Boadway: À mon avis, le TCSPS complète la péréquation. Il en fait un peu partie. Un programme de péréquation est composé de deux choses, non pas seulement du programme essentiel de péréquation. Le TCSPS est comme un régime de péréquation qui est financé à même les recettes générales du gouvernement fédéral. Comme le régime de péréquation, il est distribué aux provinces conformément à certains critères qui, en un sens, est fonction de leurs besoins de dépenses. Dans le cas du TCSPS, il s'agit essentiellement d'un transfert égal par habitant. On peut dire que les recettes dont les provinces ont besoin pour les services publics dépendent du nombre d'habitants qu'elles ont. À mon avis, la péréquation proprement dite et le TCSPS font tous les deux partie du programme de péréquation. Si le gouvernement fédéral ne faisait pas de transferts aux termes du TCSPS et si les provinces devaient générer elles-mêmes ces recettes, cela imposerait un fardeau plus lourd au programme. Différentes provinces ont différentes capacités de percevoir des recettes pour financer le type de service que le TCSPS doit financer. Plus le programme de TCSPS est important, moins le régime de péréquation subit de pression.
Le sénateur Tunney: Je suis heureux de l'entendre. J'avais clairement l'impression que le TCSPS allait en quelque sorte à l'encontre du principe de la péréquation, en ce sens que les assiettes des différents programmes ne sont pas les mêmes, n'est-ce pas?
M. Broadway: En un sens, je dirais que c'est la même chose. Je reviens à ce que je disais au sujet de la péréquation dans le contexte des paragraphes 36(1) et 36(2). Le programme du TCSPS représente la contribution du gouvernement fédéral dans les domaines de la santé, de l'enseignement postsecondaire et de l'aide sociale. En un sens, il sert à financer exactement les mêmes types de programmes. Ce sont les programmes principaux, outre les programmes d'enseignement primaire et secondaire, qui sont offerts par les provinces.
Le sénateur Tunney: Le TCSPS ne fonctionne pas selon une certaine formule, comme c'est le cas pour la péréquation, ou est-ce que je fais erreur?
M. Broadway: Non, dans le cas du TCSPS, les fonds sont répartis de façon équitable selon la composition démographique, ce qui n'est pas le cas pour la péréquation.
Le président: On me rappelle d'ajouter un petit détail à ce que le sénateur Furey a mentionné précédemment. Je remarque que vous avez dit, monsieur Broadway, que vous reconnaissez que les besoins spéciaux sont un élément de péréquation pour des raisons démographiques, par exemple, le vieillissement de la population. Un autre aspect qui a été porté à notre attention par le premier ministre de Terre-Neuve lorsqu'il a comparu devant notre comité nous a frappés. Il a dit que c'est une chose que de fournir des soins de santé à 600 000 personnes dans la ville de Winnipeg, mais que c'est un tout un autre problème que de tenter d'offrir des services de santé ou d'autres services à 600 000 personnes qui sont dispersées dans une province aussi vaste que Terre-Neuve. Le sénateur Moore, qui n'est pas ici ce soir, est lui aussi de la Nouvelle-Écosse et nous rappelle constamment que sa province est désavantagée par la formule de calcul par habitant pour ce qui est de l'enseignement postsecondaire, et que c'était peut-être également le cas d'autres provinces dans la région de l'Atlantique qui comptent un grand nombre d'universités mais où la population totale est relativement peu nombreuse. Je présume que lorsque vous pensez aux besoins, vous incluez des facteurs comme celui que je viens de mentionner.
M. Broadway: C'est un argument difficile - à savoir si la péréquation devrait indemniser les provinces où les coûts sont plus élevés pour offrir les services. Le terme «nécessiteux» est utilisé en économie pour refléter des écarts purement démographiques. Une province qui compte un pourcentage de retraités deux fois plus élevé que d'autres aura davantage de dépenses médicales et devra percevoir des taxes pour offrir les services à ces gens.
Le coût est un élément différent. Le coût est l'une des raisons pour lesquelles il y a de si grandes différences entre les régions urbaines et rurales comme vient de le mentionner le sénateur Bolduc. Il n'est pas évident de déterminer dans quelle mesure on veut égaliser les coûts. D'une part, on aimerait offrir le même niveau de services de santé aux gens qui vivent à la campagne qu'à ceux qui vivent à Saint-Jean, par exemple.
Le président: On ne veut pas vraiment faire cela.
M. Broadway: Non. Il y a un coût d'efficacité si l'on tente d'indemniser les provinces pour les écarts dans les coûts de prestation des services. Il serait peut-être équitable de rendre le coût des services plus équitable entre les régions à coût élevé et les régions à coût moins élevé - entre Yellowknife et Winnipeg, par exemple. Lorsque je dis que le besoin est une composante de la péréquation, je ne parle pas des écarts de coût pour de prestation des services, mais plutôt des besoins qui découlent des écarts au niveau démographique.
Le président: C'est très bien de nous expliquer cela, mais j'aimerais que vous, et d'autres personnes intéressées, teniez compte de cet autre aspect. Par modestie, je ne voudrais pas trop insister sur le cas de la Nouvelle-Écosse, mais le fait est que certains d'entre nous estimons que cette province compte bon nombre d'universités qui apportent une contribution positive à l'ensemble du pays. Je suis heureux de vous entendre dire que vous êtes d'accord avec cela.
Le sénateur Furey: Vous avez dit que l'un des objectifs était de permettre aux provinces d'offrir des services comparables. J'ai dit que si la formule de distribution du TCSPS par habitant était maintenue, non seulement on ne pourra atteindre cet objectif, mais que l'écart augmentera en fait. À ce moment-là, n'avez-vous pas dit que vous incluriez un facteur de besoins dans la répartition des fonds dans le cadre de ce programme en particulier?
M. Boadway: Oui, c'est ce que j'ai dit.
Le sénateur Furey: Si on distribue ces fonds d'une mauvaise façon, selon la formule par habitant, l'écart augmente, pour les raisons mentionnées précédemment - la baisse de population et un fardeau de plus en plus lourd en matière de soins de santé. L'écart ne diminue pas ni ne reste le même; il s'élargit. Autant dire adieu aux services comparables et par conséquent à l'objectif du programme.
M. Boadway: Il faut être prudent lorsqu'on tente d'égaliser les coûts, car on s'expose à la situation suivante: étant donné qu'il coûte cher de vivre à Vancouver, le gouvernement de la Colombie-Britannique doit verser un salaire beaucoup plus élevé aux médecins pour qu'ils vivent là-bas. La formule de péréquation devrait donc tenir compte du fait qu'en Colombie-Britannique la prestation de services à Vancouver coûte beaucoup plus cher.
Il faudrait faire bien attention de ne pas s'engager dans cette voie.
Le président: On ne voudrait pas avoir des problèmes avec l'Association des économistes. Il y a des hérésies, je suppose, et ce serait le cas si on allait trop loin et si on se retrouvait sur cette voie.
Le sénateur Banks: Je vais revenir au sujet que j'ai soulevé précédemment, car il était très instructif. Je vous remercie de m'avoir ouvert les yeux.
Jusqu'à ce que nous entendions votre témoignage aujourd'hui, j'étais en quelque sorte rassuré du fait que les 33 sources de recettes étaient fondées sur la capacité des provinces de percevoir des fonds de chacune de ces catégories. Je ne voudrais pas prêter des motifs ultérieurs ou machiavéliques aux provinces, et je ne laisse pas entendre qu'il y aurait même une bonne raison pour le faire, mais comme j'ai déjà travaillé dans le domaine des subventions, je sais que parfois il est possible de manipuler un très bon état financier tout à fait vérifiable pour qu'il indique un déficit et être ainsi admissible à certains types de financement.
Puisque nous parlons de données empiriques pour déterminer les moyennes de ces recettes en général, ne serait-il pas possible à une province de libérer un domaine au niveau de sa capacité fiscale, c'est-à-dire d'abaisser ses impôts provinciaux sur le revenu et sa taxe de vente, qui serait remplacé par des paiements de péréquation?
En ce moment, la Colombie-Britannique est toujours une province contributaire, mais cette situation est précaire. En économisant au bon endroit, cette province, ou toute autre province, pourrait-elle accuser un déficit qui lui permettrait de réduire l'impôt sur le revenu des particuliers ou le niveau de la taxe de vente, et cetera, différence qui serait alors comblée par l'admissibilité à la péréquation?
Je ne dis pas que cela serait sage ou prudent, mais puisque nous parlons des fonds réels perçus, cela serait tout au moins théoriquement possible.
M. Boadway: Vous me demandez s'il est possible que les provinces manipulent les paiements de péréquation qu'elles peuvent obtenir en changeant leurs propres politiques provinciales. La réponse est oui, dans certains cas, mais pas d'une façon si flagrante que vous le laissez entendre. Si on prend l'exemple de la Colombie-Britannique, le taux d'imposition que la Colombie- Britannique impose sur le revenu de ses résidents n'a pas d'incidence directe sur le montant auquel cette province a droit aux termes de la péréquation, à moins que cela change le montant des revenus dans la province proprement dite.
Le sénateur Banks: Cela aurait des conséquences si la Colombie-Britannique devenait une province non nantie plutôt qu'une province nantie, n'est-ce pas?
M. Boadway: Cela n'est pas possible. Qu'une province soit nantie ou non nantie dépend de son niveau de revenu, de la taille de l'assiette fiscale et du montant des revenus dans cette province. À moins qu'une province puisse manipuler le régime fiscal pour changer la taille des revenus de ses résidents, le montant auquel elle a droit aux termes de la péréquation ne sera pas affecté, car il est calculé selon la taille de l'assiette de la province et du revenu par habitant, dans le cas de l'impôt sur le revenu, par rapport à la moyenne nationale.
Le sénateur Banks: Par opposition à l'impôt sur le revenu réel qu'elle demande.
M. Boadway: Exactement. Ce n'est pas le montant d'impôt sur le revenu qu'elle perçoit; c'est le montant d'impôt sur le revenu qu'elle percevrait si son taux d'imposition équivalait à la moyenne du taux d'imposition des autres provinces.
Le sénateur Banks: Vous alliez expliquer que les provinces pourraient, d'une façon peut-être moins évidente ou moins odieuse, manipuler le système.
M. Broadway: Le problème en réalité découle du fait que dans le secteur des ressources, par exemple au Labrador, il y a ce qu'on appelle le «programme de recouvrement fiscal», c'est-à-dire que la province peut en fait contrôler ou influencer la taille d'une assiette fiscale particulière. Le montant de la péréquation que la province obtient pour les ressources dépend des ressources qu'elle extrait. Si elle peut contrôler directement le taux d'extraction du pétrole, du gaz, du nickel ou une autre de ses ressources, cela aura une incidence directe sur le montant auquel elle aura droit au titre de la péréquation. Voilà comment il est réellement possible de manipuler le système.
Le sénateur Banks: La Saskatchewan et l'Alberta sont deux provinces productrices de pétrole. Si l'Alberta réduisait son taux de redevance sur le pétrole, le taux de redevance moyen national serait-il affecté?
M. Broadway: Précisément. La Saskatchewan est un bon exemple, car, dans certains cas, presque toute l'assiette se trouve dans une province. Dans ce cas, la province contrôle en fait le taux d'imposition moyen national. La potasse en Saskatchewan est un bon exemple. C'est pourquoi il y a un élément du programme de péréquation qui aborde ce problème en particulier, bien que ce ne soit pas un problème généralisé.
Le président: Les points d'impôt sont-ils pris en compte dans le calcul de la péréquation?
M. Broadway: Tous les points d'impôt qui sont cédés aux provinces sont pris en compte dans le calcul.
Le président: De quelle façon?
M. Broadway: Ils entrent dans la formule de calcul de la péréquation. C'est exactement comme si les provinces augmentaient leur taux d'imposition. Dès que les provinces perçoivent davantage de recettes, la péréquation entre en jeu.
Le sénateur Banks: Le pire des systèmes possibles, sauf pour tous les autres.
Le président: Je ne suis pas conservateur pour rien. Je me méfie des changements, à moins d'être tout à fait certain qu'ils seront à l'avantage du pays, particulièrement à l'avantage à long terme des bénéficiaires. Il est facile de s'enthousiasmer pour une nouvelle formule, on fait un petit calcul et on a l'impression que cela sera à son avantage, mais avec le temps, ce n'est peut-être pas le cas. Il peut y avoir des lacunes qu'on ne soupçonne pas à l'heure actuelle tandis que nous savons comment le système actuel fonctionne, et nous savons qu'il peut être amélioré, comme on l'a laissé entendre. C'est l'une des choses que nous voudrons examiner. Il y aura des gens autour de cette table qui voudront que des changements plus draconiens soient apportés au régime de péréquation. Il faudra donc en parler.
J'espère que vous avez apprécié cette séance autant que nous monsieur. La soirée a été très intéressante. Non seulement vous avez dégagé certains des problèmes clés d'une façon très claire, mais vous nous avez par ailleurs laissé beaucoup de matière à réflexion et vous nous avez indiqué la voie à suivre dans nos délibérations. C'est un excellent document et votre témoignage nous a été très utile. Merci.
Honorables sénateurs, mardi matin à 9 h 30, nous entendrons le Ministre des Finances de la Nouvelle-Écosse, l'honorable Neil LeBlanc.
Le sénateur Tunney: Monsieur le président, je ne pourrai être ici lundi ni mardi. Je serai au dehors de la ville ou de la province.
Le président: Pour vous, nous aurons une autre séance mercredi soir. Nous entendrons alors le ministre des Finances du Manitoba et le professeur Boucher du Québec, que nous a recommandé le sénateur Bolduc.
La séance est levée.