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NFFN - Comité permanent

Finances nationales


Délibérations du comité sénatorial permanent
des finances nationales

Fascicule 29 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 20 novembre 2001

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit ce jour à 9 h 34 pour examiner l'efficacité et les améliorations possibles de la politique actuelle de péréquation pour ce qui est de donner aux gouvernements provinciaux des revenus suffisants pour leur permettre d'assurer les services publics à un niveau de qualité et de fiscalité sensiblement comparables.

Le sénateur Lowell Murray (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, c'est notre huitième réunion publique sur la question de la péréquation. Nous accueillons aujourd'hui M. Paul Boothe, professeur d'économie à l'Université de l'Alberta. Le professeur Boothe, avant d'entrer au Département d'économie de cette université, a travaillé au département des Relations internationales de la Banque du Canada. Il a occupé des postes en tant qu'invité à l'université Queen's, l'Université de Tasmanie et au Trésor de l'Alberta. Il a récemment terminé un détachement de deux ans en tant que sous-ministre des Finances et secrétaire du Conseil du Trésor pour la province de Saskatchewan.

Ses domaines d'intérêt actuels portent sur les relations financières entre gouvernements et l'établissement des budgets gouvernementaux ainsi que la mesure du rendement. M. Boothe a rédigé ou édité de nombreux livres, articles et monographies, notamment: Tax Collection in Canada: Principles for Design, «Prospects for Reform», «The Growth of Government Spending in Alberta» et «Reforming Fiscal Federalism for Global Competition».

En 1998, il a prononcé un discours pour les mécènes de l'Institut C.D. Howe intitulé «Finding a Balance, Renewing Canadian Fiscal Federalism». Son dernier ouvrage s'intitule Deficit Reduction in the Far West.

Je me rends compte qu'en parlant de ses ouvrages sur tous ces sujets, je risque d'entraîner les honorables sénateurs à s'écarter de notre sujet qui est la péréquation. Je vous en prie, ne le faites pas, mais ceci avait simplement pour but de vous donner une idée de l'ampleur de l'éducation, des intérêts et des qualifications de M. Boothe.

M. Boothe a conseillé divers ministères provinciaux et fédéraux au fil des ans. Il a été un des directeurs fondateurs de l'Institut d'économie publique de l'Université de l'Alberta.

Vous avez reçu, puisqu'il a eu la gentillesse de nous le transmettre à l'avance, et que nous l'avons fait distribuer, un exemplaire de son bref exposé, qui est aussi traduit en français.

Sans plus tarder, je souhaite la bienvenue à M. Boothe et je l'invite à faire sa déclaration liminaire.

M. Paul Boothe, Université de l'Alberta: Merci beaucoup, honorables sénateurs, de m'avoir invité à discuter avec vous du programme canadien de péréquation. J'ai suivi vos délibérations avec un grand intérêt et j'espère pouvoir y contribuer en faisant valoir une perspective un peu différente, celle d'un professeur et étudiant de la péréquation doublé d'un ancien sous-ministre des Finances, un des technocrates dont le ministre Selinger a parlé dans son témoignage. Dans mon introduction, je rappellerai brièvement certains arguments soumis par les témoins jusqu'ici, en essayant de les rassembler selon une certaine logique.

Permettez-moi auparavant de situer mon propre point de vue. Le ministre fédéral des Finances et tous les ministres provinciaux qui ont comparu devant vous ont défendu des positions qui sont avantageuses pour leurs Trésors respectifs. C'est tout à fait compréhensible chez des gens qui ont à coeur de s'acquitter de leurs fonctions.

Vous avez entendu certains universitaires préconiser une fédération plus centralisée qui ferait une distribution des ressources plus généreuse. J'appelle cette position l'«École du fédéralisme fiscal Queen's», où oeuvrent des partisans de cette pensée.

Mon propre point de vue, c'est que l'équilibre entre le fédéral et les provinces est à peu près juste à ce moment-ci de notre histoire. Je ne vous cacherai pas que je suis un fervent partisan du programme canadien de péréquation, ce qui ne m'empêche pas de penser que nous pouvons être ouverts à certaines améliorations pourvu qu'elles respectent le rôle qui a été dévolu à la péréquation par la Constitution canadienne.

J'organiserais les arguments que vous avez entendus jusqu'ici sous quatre rubriques. D'autres répartitions sont évidemment possibles, mais il me semble que celle-ci permettra d'examiner efficacement les points de vue exprimés.

Vous avez entendu ce que les témoins pensent du bien-fondé du programme, de sa durabilité, des incitatifs et de la transparence du programme. J'examinerai chaque point séparément.

La première rubrique concerne le bien-fondé. Il a été question des dispositions du programme touchant le plafond et le plancher, la condition des cinq provinces représentatives et le calcul fondé sur les besoins. Tous ces éléments sont soulevés par les provinces parce qu'on s'interroge sur le bien-fondé du programme. Depuis qu'une mesure ponctuelle, le plafond, restreint la croissance générale du programme, certaines provinces bénéficiaires se plaignent d'une autre mesure ponctuelle, le plancher. Je fais allusion aux récriminations qui vous ont été faites concernant le récent paiement plancher versé à la Saskatchewan. Lorsque la grosseur du gâteau ne change pas, la part que reçoit votre voisin compte bien plus.

Le ministre fédéral soutient que le plafond restreint seulement la croissance du programme une année où celui-ci croit plus rapidement que l'économie, mais cela n'explique pas tout. Parce qu'elle utilise de nouvelles bases pour calculer les paiements de péréquation, l'application du plafond a pour effet de réduire en permanence les dimensions du programme plus tard.

Les provinces bénéficiaires aimeraient qu'on revienne à la condition de 10 provinces participantes des années 70 et du début des années 80 car l'inclusion de l'Alberta dans le calcul enrichirait le programme. Le gouvernement fédéral a imposé la condition des cinq provinces représentatives justement pour ralentir la croissance et réduire la variabilité du programme lorsque les revenus de l'Alberta tirés des sources énergétiques ont monté en flèche durant les années 80.

Enfin, certaines provinces aimeraient que les facteurs fondés sur les besoins soient inclus dans la formule. Là encore, elles pensent que cela ferait augmenter le montant de leurs transferts. La question de savoir si pareil changement leur serait profitable n'est toutefois pas certaine. Par exemple, alors que la dispersion de la population détermine des besoins accrus en Australie, c'est la congestion des zones urbaines qui est un indice de besoin en Allemagne.

En fin d'analyse, le bien-fondé du programme doit être évalué en fonction de sa capacité de répondre au mandat constitutionnel, c'est-à-dire donner aux provinces la capacité d'offrir aux Canadiens des niveaux de service relativement similaires moyennant des taux d'imposition comparables. Le gouvernement fédéral peut soutenir que la capacité financière relative des provinces bénéficiaires s'est améliorée au fil des années, pendant que les provinces peuvent alléguer que la part des recettes fédérales consacrée à la péréquation a chuté. Les deux ont raison.

Toutefois, à mon avis, aucune des deux parties n'a réussi vraiment à convaincre, et il faudrait réexaminer cette question plus à fond pour trouver une réponse satisfaite.

Sénateurs, le point suivant concerne la durabilité. J'ai déjà glissé un mot sur certains points qui relèvent de cette rubrique. Le plafond comme la condition des cinq provinces représentatives sont des mesures ponctuelles instituées par le gouvernement fédéral pour protéger le Trésor public contre une croissance trop rapide et une volatilité difficile à gérer. Il existe toutefois une contrepartie provinciale au problème de la durabilité. On pourrait penser que, telle qu'elle est conçue, la péréquation réduirait la volatilité des recettes des provinces.

Les dernières études que j'ai conduites me montrent qu'il n'en est rien, du moins pas en Saskatchewan. La volatilité additionnelle découlant de la péréquation pourrait bien s'expliquer par les éléments ponctuels qui ont été ajoutés au programme au fil des ans. À mon avis, les critères pour juger des réformes à venir devraient tenir compte de leur impact sur la durabilité du programme pour le gouvernement fédéral et sur la volatilité des revenus des provinces.

Le troisième point concerne les effets pervers des incitatifs. Des analystes et des universitaires ont relevé deux types d'incitatifs pouvant avoir des effets pervers. Le premier est la tentation pour les provinces bénéficiaires d'exploiter moins vigoureusement les possibilités de développement économique parce qu'elles toucheraient alors des paiements de péréquation moindres. Deuxièmement, les provinces pourraient être tentées de fixer des seuils d'imposition trop élevés étant donné que le programme de péréquation compense les pertes de revenu. En tant que sous-ministre des Finances, j'ai appris que les politiciens n'opèrent pas toujours sur la même marge que les théoriciens en économie.

À ma connaissance, le Conseil du Trésor ou le Cabinet n'a jamais refusé une proposition de développement économique, aussi mal présentée qu'elle soit, parce qu'elle aurait entraîné une perte possible de paiements de péréquation. Pareillement, les gouvernements peuvent toucher en paiements de péréquation ce qu'ils perdraient en taux fiscaux, mais non les contribuables. Et comme le savent les dirigeants politiques, les contribuables ont le dernier mot. Mon expérience me dit donc que les incitatifs pouvant avoir des effets pervers ne posent pas de problème au niveau concret.

Le point suivant dont je traiterai sous cette rubrique porte sur la suppression, dans la formule de péréquation, des revenus tirés des ressources naturelles. Le traitement réservé aux ressources naturelles dans le programme m'a toujours déplu parce que, en réalité, ces revenus représentent le produit de la vente d'un bien immobilisé. Je m'oppose vivement toutefois à ce qu'on modifie encore une fois le programme. Je me demande aussi si les analystes ont pensé à l'impact concret d'une modification comme celle-là. Son adoption procurerait des profits inattendus énormes à la Saskatchewan. Compte tenu du plafond en place, ces retombées entraîneraient une réduction massive des transferts aux autres provinces bénéficiaires. Est-ce là le résultat que les analystes souhaitent?

Le dernier point concerne la transparence du programme. Les témoins ont beaucoup débattu de la question de savoir si le programme est simple ou complexe. Le programme a été fondé sur une idée plutôt simple, c'est vrai, mais il est très complexe dans son application.

Dans son témoignage, le ministre Martin a dit en blaguant que lorsqu'il a été nommé ministre, une seule personne aux Finances comprenait le programme et cette personne était partie à la retraite. Il y a une grande part de vérité dans ses propos, même s'il plaisantait.

En réalité, avec toutes ses mesures ponctuelles, le programme est si complexe qu'il est quasiment impossible pour les ministères des Finances des provinces de projeter les transferts d'une année à l'autre ou d'expliquer les changements aux politiciens ou au public. Comment alors demander aux contribuables de tenir les élus responsables de ce qui représente dans certains cas une portion substantielle de leur budget si presque personne ne comprend comment le paiement de transfert final est calculé ou comment l'évaluer avec la moindre précision?

En conclusion, j'aimerais dire quelques mots de l'avenir. Une des forces du programme de péréquation est son renouvellement tous les cinq ans. En ce moment, des fonctionnaires fédéraux et provinciaux analysent des options de réforme. Certaines des réformes envisagées sont importantes, notamment celle de simplifier le programme en adoptant un indicateur global unique, et c'est un sujet sur lequel j'ai écrit certaines réflexions ailleurs.

À mon avis, le gouvernement devrait résister à la tentation de faire d'autres changements ponctuels d'ici à ce que l'étude soit terminée. Je pense aussi que l'étude doit se faire le plus ouvertement possible et inclure des parties intéressées en dehors du gouvernement. Enfin, j'espère que les recommandations qui s'ensuivront seront débattues à fond sur la scène politique, pour que les Canadiens et les Canadiennes soient assurés d'obtenir un programme qui soit le mieux conçu possible.

Le sénateur Bolduc: Je dois reconnaître qu'il s'agit là d'un exposé clair, concis et assez remarquable. Malheureusement, nous n'avons pas la solution.

Vous dites que nous devrions résister à la tentation de faire d'autres changements ponctuels d'ici à ce que l'étude soit terminée. À ce que je sache, cette étude est réalisée par un groupe de ministre des Finances et leurs conseillers principaux.

Vous demandez un examen plus ouvert. Comment faudrait-il procéder à votre avis? Vous inviteriez des universitaires et peut-être des groupes de pression?

M. Boothe: Sénateur, je considère que cette réunion aujourd'hui et les précédentes réunions que vous avez tenues sont un aspect important de cet examen. Ce comité et ses réunions contribuent beaucoup au débat public sur la question. Il est important que les autorités fédérales et provinciales poursuivent leur travail. Je me réjouis de constater qu'on consulte des universitaires.

En tant que sous-ministre des Finances, j'ai institué une conférence publique sur le fédéralisme fiscal. Je crois savoir que la province du Manitoba est en train de préparer une conférence analogue pour le printemps 2002.

Le débat public est bien enclenché, tant au niveau politique qu'au niveau officiel ou technique. Le dernier examen que nous avions réalisé était limité à des questions plus étroites et plus techniques. Puisque nous envisageons maintenant des changements majeurs à la péréquation, par exemple le recours à un indicateur global, je pense que nous pourrions envisager des changements plus fondamentaux que les modifications étroites et techniques que nous avons apportées au système la dernière fois.

La démarche est bien engagée. Le dernier ingrédient, évidemment, sera un débat public des ministres des Finances et des gouvernements sur ce que nous voulons faire de la péréquation et ce qu'il faut faire avant d'apporter des changements d'importance au programme.

Le sénateur Bolduc: Résister à la tentation de faire des changements ponctuels, cela veut dire que vous pensez qu'il faut laisser les ressources de l'Alberta en dehors du système et que par ailleurs vous n'acceptez pas le point de vue des provinces maritimes qui veulent qu'on laisse les ressources en dehors. Enfin, vous avez plutôt l'air pour, mais vous n'êtes pas en faveur du changement pour l'instant.

Auriez-vous l'obligeance de nous dire quels sont à votre avis les critères fondamentaux d'un réexamen de la question, dans l'idéal? Comment voyez-vous le cadre de la péréquation? Par exemple, êtes-vous d'accord avec le point de vue d'un universitaire que nous avons entendu, et dont j'oublie le nom, qui était favorable à un macro-indicateur? Qu'en pensez-vous?

M. Boothe: Je suis en faveur d'un macro-indicateur, et j'ai travaillé là-dessus dans le passé. Je résiste aux changements à cette étape car il vaut mieux placer côte-à-côte les diverses options possibles et bien les comparer avant de décider de la voie à suivre.

Je dois dire que je ne suis pas en faveur de la proposition de certaines provinces atlantiques d'exclure les ressources naturelles de la formule.

Comme je l'ai dit dans mes remarques, je ne suis pas sûr que les gens comprennent vraiment que la conséquence immédiate d'un tel changement serait une redistribution colossale des recettes de la péréquation au profit de la Saskatchewan.

Le programme est complexe. On peut se dire qu'on est sur le point d'avoir des recettes provenant de ressources naturelles et qu'il vaudrait donc mieux dans ce cas les exclure de la formule, mais la retombée concrète, c'est que les recettes de la péréquation seraient réduites pour toutes les provinces récipiendaires, à l'exception de la Saskatchewan, à court terme. Je ne suis pas favorable à cela.

Si nous devions utiliser un seul macro-indicateur, ce ne serait pas nécessairement pour faire ces choix entre les diverses assiettes fiscales. C'est un sujet qui alimente une bonne partie des débats des autorités de manière continue. Que faut-il inclure? Comment faut-il le mesurer? Est-ce que ce doit être 100 p. 100 ou 50 p. 100? C'est un débat perpétuel, sénateur.

Le sénateur Bolduc: Dans votre troisième paragraphe, vous dites que:

Le ministre fédéral des Finances et tous les ministres provinciaux qui ont comparu devant vous ont défendu des positions qui sont avantageuses pour leurs Trésors respectifs.

Je comprends cela, venant de politiciens, mais ensuite vous ajoutez:

C'est tout à fait compréhensible chez des gens qui ont à coeur de s'acquitter de leurs fonctions.

Cela me pose un problème car j'ai l'impression que ces ministres sont conseillés par leurs hauts fonctionnaires qui ne sont pas des politiciens. Or, ces hauts fonctionnaires présentent non seulement le bon côté des choses à leur ministre, mais aussi le mauvais côté. Ils présentent les deux faces de la médaille. Vous le savez, vous qui avez été sous-ministre.

Je m'interroge donc un peu car ces hauts fonctionnaires au niveau du gouvernement fédéral en tout cas doivent présenter une perspective plus équilibrée pour l'ensemble du pays. Normalement, ils devraient avoir une perspective de bon sens pour l'ensemble du pays. Vous avez l'air de laisser entendre qu'ils ont conseillé au ministre la meilleure option pour le gouvernement fédéral.

M. Boothe: Je n'ai en aucun cas voulu laisser entendre que les sous-ministres ne présentaient pas un point de vue équilibré à leur ministre. Je souligne qu'il appartient aux ministres de défendre ou de protéger leurs Trésors respectifs. Quand j'ai lu les témoignages, c'est comme cela que j'ai compris les argumentations qui étaient présentées.

Le sénateur Banks: J'aimerais avoir vos commentaires sur la question qu'a mentionnée le sénateur Bolduc et à laquelle vous avez aussi fait allusion de manière oblique. Autrement dit, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur le point de vue des représentants des provinces atlantiques qui nous ont dit qu'à leur avis elles perdaient une bonne partie des recettes de leurs ressources naturelles. Les représentants de ces provinces estiment que le gouvernement se taille la part du lion dans ces recettes des ressources naturelles, et que les gouvernements provinciaux n'en conservent qu'une très petite partie.

En fait, je crois que les provinces perçoivent la totalité de ces recettes, mais qu'elles sont ensuite récupérées puisqu'elles ont des répercussions sur le montant de leurs paiements de péréquation. Ce que soutiennent les représentants de ces provinces, évidemment, c'est que si le gouvernement fédéral cessait de récupérer cet argent, les provinces pourraient plus rapidement se débarrasser de leurs dettes, se développer et alimenter les paiements de péréquation au lieu d'en être des récipiendaires.

Vous êtes-vous penché sur cette question? Je veux dire la question de savoir si en fin de compte, quels que soient les moyens utilisés, des moyens ponctuels ou autres, en séparant ces recettes des ressources naturelles des paiements de péréquation versés aux provinces atlantiques, en particulier, on leur permettrait de devenir autonomes de manière plus rapide et plus efficace?

M. Boothe: Premièrement, je dirais que je crois - et je n'ai lu le témoignage du ministre Mella, de l'Île-du-Prince-Édouard, qu'une seule fois - que deux provinces atlantiques sont favorables à cette orientation, la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve, et deux ne le sont pas. En tout cas, l'Île-du-Prince-Édouard n'est pas d'accord. Le ministre Mella l'a clairement dit. Je pense que le Nouveau-Brunswick est du même avis aussi, mais je n'en suis pas absolument certain.

Le sénateur Banks: Je vous pose la question dans la perspective hypothétique où ces provinces signeraient un jour un accord.

M. Boothe: Peut-être. Mais je vous préviens, il y a en fait deux questions ici: il y a d'une part le traitement des ressources en mer, et d'autre part la soi-disant récupération fiscale de ces recettes. Je parlerai simplement de cette question de récupération fiscale, car c'est là le vrai problème de la péréquation.

Au fond, il s'agit de déterminer quel est l'objectif du programme. Nous enseignons à nos étudiants en économie qu'il faut avoir le même nombre de cibles que d'instruments. J'illustre cette idée en leur disant qu'il faut une flèche pour chaque oeil de taureau qu'on vise. C'est toujours une erreur de vouloir se servir d'un seul programme pour atteindre des objectifs différents car on ne réussit jamais à les atteindre correctement.

Quel est le but de la péréquation? Ce n'est pas le développement régional. C'est un dispositif permettant aux provinces de fournir des niveaux comparables de services à des niveaux comparables de fiscalité. Si vous voulez avoir des mesures de développement économique distinctes dans le Canada atlantique, rien n'empêche le gouvernement fédéral de le faire. Toutefois, pourquoi devrions-nous provoquer une distorsion du programme de péréquation pour le faire?

Si l'on laisse de côté les ressources pour la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve, faudrait-il faire la même chose pour la Saskatchewan? C'est une province qui est bénéficiaire de la péréquation, alors qu'elle a d'abondantes recettes provenant de ses ressources naturelles. La Saskatchewan pourrait soutenir que le gouvernement pourrait l'aider tout autant en lui donnant une aide pour son développement économique.

Si l'on parle de pétrole et de gaz, y a-t-il d'autres ressources non renouvelables - les ressources minières, par exemple - auxquelles il faudrait étendre cette politique? L'industrie minière est assez importante au Manitoba et au Québec comme dans d'autres provinces.

À mon avis, si le gouvernement fédéral veut axer des ressources financières sur le développement économique en Nouvelle-Écosse et à Terre-Neuve, qu'il le fasse. Toutefois, il ne doit pas pour autant entraîner une distorsion du programme de péréquation et le détourner de son objectif initial énoncé dans la Constitution.

Le sénateur Banks: Nous avons déjà les programmes généraux de développement économique, quelle que soit leur efficacité. Cette distinction est parfaitement claire pour vous, et il ne faut pas mélanger les deux?

M. Boothe: C'est juste. Si les gens sont préoccupés par le problème de la récupération fiscale - c'est-à-dire que quand les recettes provinciales augmentent, les transferts de péréquation diminuent - je leur répondrai deux choses: premièrement, c'est comme cela que le programme est censé fonctionner. Deuxièmement, d'autres formules, par exemple une formule d'indicateur global, pourraient permettre d'atténuer le phénomène, mais on ne le supprimera jamais complètement car on ne peut pas être gagnant sur tous les tableaux.

Le président: Monsieur Boothe, vous dites que le traitement des ressources naturelles dans ce programme vous a toujours dérangé car en fait ces recettes représentent le produit de la vente d'un bien immobilisé.

Vous avez l'air de dire qu'en principe vous êtes d'accord pour ne pas en tenir compte dans la formule de péréquation, mais que ce qui vous dérange, c'est la manne que cela entraîne. Vous avez l'impression qu'on ne peut pas trouver une formule équitable?

M. Boothe: Disons les choses différemment. Ce qui me préoccupe, c'est la façon dont on mesure ces recettes, plutôt que l'idée d'exclure totalement les ressources naturelles de la formule. J'ajouterais que si l'on fait un examen fondamental de la situation, l'adoption d'un indicateur global est un moyen d'éviter d'avoir à se préoccuper de ce genre de problèmes de mesure.

Ce n'est pas tellement que je pense qu'il faudrait exclure une forme quelconque de recettes. Ce qui me dérange, c'est la façon de mesurer les ressources naturelles. Quoi qu'il en soit, je suis contre un changement ponctuel pour l'instant, car il faut commencer par examiner tout l'ensemble de la situation.

Le président: Vous venez d'énoncer le principe selon lequel ces recettes représenteraient les produits de la vente d'une immobilisation. Vous faites une distincte entre ces recettes et les autres. Ce qui vous dérange, c'est le traitement des ressources naturelles non renouvelables.

M. Boothe: C'est vrai. La façon de les mesurer me dérange, effectivement.

Le président: J'y reviendrai peut-être. Je suis sûr que quelqu'un va vouloir discuter de la formule d'indicateur unique.

Le sénateur Banks: Monsieur Boothe, vous avez un talent remarquable pour exprimer les choses d'une façon parfaitement compréhensible. On nous a fait un exposé ou deux sur cette formule d'indicateur global. Je ne parle qu'en mon nom, mais personnellement j'ai trouvé cela extrêmement difficile à comprendre. Si complexe que soit la formule actuelle, je la comprends mieux pour l'instant que la formule de l'indicateur unique.

Dans les 30 secondes qui viennent, pourriez-vous nous dire dans des termes suffisamment élémentaires pour que même moi je puisse les comprendre, quelle est la différence fondamentale entre une éventuelle formule à indicateur unique d'un côté et la mesure fondée sur 33 indicateurs qu'on utilise actuellement de l'autre? Pouvez-vous nous expliquer ces différences en utilisant ces phrases superbes et tellement limpides dont vous avez le secret?

M. Boothe: Sénateur Banks, très simplement, avec la formule de l'indicateur unique, on s'appuierait sur un seul indicateur plutôt que les 33 bases fiscales. Prenons celui dont je me suis servi dans des travaux que j'ai réalisés pour l'Institut C.D. Howe: le revenu personnel. Les provinces où le revenu personnel par habitant est en moyenne inférieur à la moyenne, disons à la moyenne nationale - la norme des 10 provinces - vont recevoir des paiements de péréquation directement proportionnels à la différence entre le revenu personnel par habitant de ces provinces et le revenu personnel par habitant national. En gros, c'est cela.

Au lieu de prendre ces 33 éléments d'assiette fiscale, on verse des paiements de péréquation aux provinces où le revenu personnel par habitant est inférieur à la moyenne. Le montant des versements serait proportionnel à l'écart par rapport à la moyenne nationale.

Le sénateur Banks: Si vous pouviez, demain après-midi, réaliser ce changement, vous sentiriez-vous à l'aise de dire que c'est le revenu personnel qui doit constituer la mesure et que cela ne pénalise en aucune façon certaines provinces?

M. Boothe: Je ne me sens nullement à l'aise pour choisir une mesure plutôt qu'une autre. J'ai simplement examiné trois éléments de mesure. C'est le revenu personnel qui était le plus attrayant.

Toutefois, c'est exactement ce que sont en train de faire les autorités fédérales et provinciales. Je pense que si nous avons un ensemble de critères à respecter, les hauts fonctionnaires pourront nous soumettre tous ces choix et nous expliquer comment tel choix est préférable dans l'optique des critères nos 1 et 2, tel autre en fonction du critère 2 ou 3, et que globalement, ils proposent telle solution.

Il faut que les fonctionnaires fassent le travail technique pour qu'on puisse avoir une bonne comparaison de toutes ces formules possibles. On ne doit pas comparer simplement différentes formules à indicateur unique; on peut aussi comparer le programme actuel et d'éventuelles modifications à ce programme.

Le sénateur Bolduc: Est-ce que vous vous serviriez des statistiques de revenu personnel pour cela? Si l'on prend la fiscalité des particuliers, il ne faut pas oublier qu'on calcule deux fois certains éléments de fiscalité pour certaines personnes, par exemple dans le cas des dividendes.

La prise en considération du revenu personnel de personnes qui possèdent une entreprise familiale est très troublante. Bien des gens se servent de leur compagnie pour déclarer un petit salaire avec de grosses dépenses. Tout le monde le sait. Je me suis toujours dit que c'était injuste quelque part. Bien des gens ne paient pas d'impôts du tout. Cela se voit dans toutes les petites villes du Canada. C'est quelque chose qui me dérange.

J'ai tendance à être d'accord avec la formule du revenu personnel. Mais il est très difficile de calculer un juste revenu personnel. Nous acceptons de payer nos impôts, mais ils ne correspondent pas vraiment à la réalité absolue.

Qu'en pensez-vous? Vous avez été responsable des recettes provinciales?

M. Boothe: Oui. Toutefois, nous laissons le gouvernement fédéral prélever nos impôts sur le revenu. Nous nous contentons de prélever la taxe de vente en Saskatchewan. Mais le revenu personnel dont je parlais, c'était le revenu avant impôt, et non après impôt.

Sénateur Bolduc, vous avez souligné quelque chose d'important. Il n'y a pas de mesure parfaite. Je suis sûr que si vous voyiez comment on calcule l'imposition des jeux de hasard ou les taxes foncières dans la formule actuelle, cela vous dérangerait tout autant. Ce sont des problèmes avec lesquels les fonctionnaires ne cessent de se débattre.

Il n'y a pas de solution parfaite. Il faut les comparer les unes aux autres pour voir laquelle est la plus satisfaisante. À mon avis, c'est essentiellement une question de calcul concret.

Le sénateur Bolduc: Vous partiriez des statistiques nationales sur le revenu?

M. Boothe: Oui.

Le sénateur Bolduc: C'est probablement la meilleure formule de mesure dont nous disposions.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: Vous écrivez dans votre rapport: «Je pense aussi que l'étude doit se faire le plus ouvertement possible et comprendre les parties intéressées en dehors du gouvernement.» Lorsque vous parlez des parties intéressées en dehors du gouvernement, à qui référez-vous?

[Traduction]

M. Boothe: Sénateur Ferretti Barth, d'abord et avant tout, je parle du groupe assez important d'universitaires qui s'intéressent à cette question. Naturellement, le Canada est reconnu dans le monde entier pour son programme de péréquation et pour le débat et les efforts que nous lui consacrons pour le maintenir à jour.

Vous avez déjà entendu les commentaires que j'ai faits à la suite de mon étude sur les transcriptions des syndicats du secteur public. Lorsque je dis que cette discussion devrait être aussi ouverte que possible, ce n'est pas que je m'attends à ce que vous receviez des myriades de groupes souhaitant vous donner leur avis sur ceci ou sur d'autres éléments de la péréquation.

Cependant, il est très important que les Canadiens apprennent à mieux connaître la péréquation. C'est l'un des programmes fédéraux provinciaux les plus importants. On en parle souvent comme de la colle qui assure la solidité de la fédération. Je crois que c'est vrai, en partie tout au moins. Dans le cas de ce processus, j'espère que les Canadiens en général vont être plus sensibilisés au programme et vont mieux le connaître. Il est difficile d'intéresser les gens aux questions financières en général. C'est particulièrement difficile de les intéresser à la péréquation, parce qu'actuellement c'est un programme très complexe.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: Lorsque j'ai commencé à étudier la péréquation, c'était vraiment un problème de hautes mathématiques: deux et deux font quatre. Dans la péréquation, je ne retrouve pas ce principe. J'ai posé la question et on m'a répondu: Sénateur Ferretti Barth, quand le programme de péréquation a été mis en place, une seule personne au ministère des Finances comprenait le programme. Après son départ, plus personne ne le comprenait.

Quelqu'un peut-il nous expliquer comment fonctionne le programme et pourquoi nous voulons le changer? Lorsqu'on pense le changer, on réfère souvent à la formule macro, au plancher et au plafond d'imposition. Comment fera-t-on pour établir une formule simple et claire que tout le monde sera en mesure de comprendre?

Vous avez parlé de l'art d'intéresser les citoyens. Avant de les intéresser, il faut les préparer, les informer, leur faire comprendre ce qui sera discuté car autrement ce sera un autre chaos. Voilà ma réaction à votre réponse.

Si le président me le permet, j'aurais une autre question. J'ai lu dans un de vos articles que vous proposiez la création d'un fonds de réserve interprovincial. Pouvez-vous nous donner des explications à ce sujet?

[Traduction]

M. Boothe: Sénateur, je veux tout d'abord vous garantir qu'il y a toujours au ministère des Finances des gens qui comprennent le programme. Le programme va continuer. C'est le degré de détails qui le rend complexe. Il y a énormément de détails. En outre, le grand nombre de changements ponctuels qui ont été apportés au fil des années accroît également sa complexité.

Je pourrais vous donner un exemple. Nous publions généralement nos budgets en mars en Saskatchewan. Comme beaucoup d'entre vous le savent, j'en suis sûr, la préparation d'un budget demande de quatre à six mois. Une année où j'étais sous-ministre des Finances, le budget fédéral est sorti en février, comme c'est souvent le cas. Nous avons été avertis à ce moment-là d'un changement important dans les paiements de transfert de la Saskatchewan. En fait, il y avait dans nos paiements de transfert une augmentation équivalant à 4 p. 100 des dépenses de programme de la Saskatchewan. C'était trois semaines avant la présentation de notre budget.

Nous avons dû tout reprendre. En fait, c'était une période très difficile pour être sous-ministre des Finances en raison des questions compréhensibles des ministres du Cabinet...

Le président: Ce n'était pas aussi difficile que si l'on vous avait dit qu'il y allait avoir une réduction importante.

M. Boothe: Vous avez tout à fait raison. Je suis sûr que mes collègues provinciaux ont aussi vécu cela.

Ce que je voulais dire c'est que ce changement particulier s'est produit parce que l'on a appliqué l'une des mesures ponctuelles du programme, en l'occurrence le plancher. Nous ne pouvions pas le prévoir.

Il est possible de simplifier la formule afin que les Canadiens puissent comprendre les problèmes qui se posent. Nous ne pourrons certainement jamais avoir un débat public sur tous les détails parce que - vous avez raison - c'est simplement trop compliqué.

En ce qui concerne votre deuxième question, j'ai écrit un document il y a environ deux ans et demi avec un de mes collègues dans lequel nous proposions des changements importants à la péréquation. La proposition aurait fait du programme un régime de péréquation interprovincial. Je dois vous dire, sénateur, que cette idée n'a pas été très bien accueillie dans les différentes régions du Canada. Je pourrais vous l'expliquer plus longuement, mais personne ne semble souhaiter un changement aussi fondamental que celui-là. Nous devrions nous concentrer sur les changements qui peuvent être fondamentaux mais qui préservent néanmoins le caractère fédéral du programme.

Le sénateur Mahovlich: L'Alberta était à une époque une province qui bénéficiait des paiements de péréquation, mais à partir de 1965, la situation a changé. A-t-on proposé des dispositions ou des accords particuliers à l'Alberta pour l'aider à développer ses industries avant 1965?

M. Boothe: Sénateur Mahovlich, j'aurais tendance à penser que non, mais je ne connais pas très bien cette période de la péréquation. D'autres connaissent peut-être la réponse, mais moi pas.

Le sénateur Furey: Nous pourrions peut-être poser la question au sénateur Banks. À l'époque où l'on a commencé à appliquer la péréquation en 1957, jusqu'en 1965, je crois qu'ils ont continué à recevoir leurs paiements de péréquation. Est-ce exact, sénateur Banks?

Le sénateur Banks: Il faudrait que je vérifie. Je crois que c'est en 1961 que l'Alberta a cessé de recevoir des paiements de péréquation, mais je n'en suis pas sûr. En tout cas, c'était dans les années 60.

Le sénateur Furey: L'Alberta a continué à recevoir des versements du début de la péréquation jusqu'à cette période-là, alors qu'elle exploitait ses champs pétrolifères?

Le sénateur Banks: Absolument. Le sénateur Furey a parfaitement raison. Pour autant que je sache, l'Alberta percevait la totalité de la part provinciale des redevances. Il a fallu tout ce temps pour que l'Alberta cesse d'être une province récipiendaire. On a découvert du pétrole en Alberta en 1905. Mais c'est le forage Leduc qui a fait la grande différence. Toutefois, ce n'est pas pour autant qu'il y a eu deux BMW dans chaque garage. Il a fallu de nombreuses années à l'Alberta pour sortir de son trou financier.

Le président: Je me souviens qu'au début de la péréquation, on n'incluait pas les recettes des ressources naturelles dans le calcul. On ne tenait compte que de quelques sources de revenu. L'Alberta a donc continué à recevoir des paiements de péréquation. La liste n'a été élargie de façon à inclure les recettes des ressources naturelles que dans les années 60.

Le sénateur Banks: N'oublions pas cependant qu'il y a une différence avec les ressources des provinces atlantiques. Les ressources de l'Alberta sont manifestement les ressources de l'Alberta, conformément aux dispositions de la Constitution. En revanche, il n'est pas aussi évident que les ressources en mer appartiennent à une province.

Le président: C'était la question initiale du sénateur Mahovlich.

Le sénateur Mahovlich: Pensez-vous que les accords sur l'exploitation en mer conclus par le gouvernement fédéral et les provinces de Nouvelle-Écosse et de Terre-Neuve soient suffisants pour encourager une expansion importante des industries en mer et réduire les paiements de péréquation?

M. Boothe: Disons tout d'abord qu'on a déjà considérablement développé les ressources au large de Terre-Neuve et que l'accord existe. J'hésite beaucoup à dire qu'il n'y aurait pas de développement économique en l'absence d'une aide du gouvernement.

Peut-être pourrais-je revenir à ce que je disais précédemment, fort de mon expérience de sous-ministre des Finances: tout compte fait, les provinces ne se préoccupent pas tellement des conséquences du développement économique sur la péréquation car elles préfèrent de loin avoir des recettes générées sur place, avec tous les emplois qui les accompagnent, plutôt que de toucher des paiements de péréquation provenant d'Ottawa. Si jamais je devais donner à un conseil des ministres provincial le choix entre recevoir de l'argent provenant des emplois de leur propre province et recevoir des fonds du gouvernement fédéral dans le cadre de la péréquation, leur réponse ne ferait pas le moindre doute.

L'autre raison pour laquelle j'hésite, sénateur Mahovlich, c'est que j'ai une opinion très mitigée sur l'efficacité des programmes de développement régional en général. Pour bien fonctionner, ils doivent être très soigneusement conçus. Je ne veux pas dire que ceux-là ont bien fonctionné car je n'en suis pas sûr, mais y aurait-il eu mise en valeur des ressources en mer sans ces accords? Je pense que ce développement économique se fera.

Peut-être pourrais-je prendre un autre exemple qu'on mentionne souvent, celui de Voisey's Bay. On entend parfois les gens dire que Terre-Neuve n'est pas allée de l'avant avec ce projet à cause des paiements de péréquation. Ce que je réponds à cela, c'est que Terre-Neuve n'ira pas de l'avant avec le projet de Voisey's Bay, à mon avis, tant qu'elle ne sera pas sûre d'obtenir sur place les retombées de ce développement économique qu'elle veut avoir.

J'ai vu le premier ministre Klein parler en Alberta de refuser par exemple d'exporter du gaz naturel tant qu'il n'y aurait pas de retombées en amont dans la province, en l'absence de paiements de péréquation, exactement pour la même raison. Les gens veulent avoir les retombées positives dans leur province. Je ne pense pas que la péréquation change quoi que ce soit à leur attitude à cet égard.

Le sénateur Mahovlich: Plus nous avançons, plus cette théorie devient complexe. Et plus il va y avoir de changements à l'avenir, plus elle va être encore plus complexe dans 10 ans. Comme me dit toujours ma femme: «Frank, moins, c'est plus».

Comment allons-nous revenir en arrière? Nous allons devoir prendre des décisions pénibles pour que le public comprenne tout cela. Nous n'allons pas dans la bonne direction, d'après ce que je peux voir et comprendre de cette théorie que nous suivons. Vous êtes d'accord?

M. Boothe: Sénateur Mahovlich, je suis bien d'accord. Je pense qu'un des éléments les plus précieux d'une formule de macro-indicateur, c'est qu'elle est nettement plus simple et qu'elle accroît la transparence du programme et par conséquent - et c'est l'autre aspect dont je me soucie beaucoup - la reddition de comptes qui accompagne le programme. Il est extrêmement difficile de faire rendre des comptes à un ministre des Finances provincial sur ses recettes lorsque, dans certaines provinces, une bonne partie de ses recettes provient essentiellement d'une boîte noire et que personne n'a une idée de ce qu'elles vont être. J'espère que cette simplicité et cette transparence sont parmi les critères que nous allons utiliser pour choisir entre les diverses options.

Le président: Monsieur Boothe, je pense que vous êtes le premier témoin disposant d'une expérience de haut niveau au gouvernement qui se soit déclaré favorable à l'idée d'abandonner complètement le programme actuel au profit de quelque chose de nouveau, par exemple, un programme à indicateur global. Nous avons déjà reçu des représentants de cinq ou six provinces. Je ne crois pas me tromper en disant qu'aucun d'entre eux ne s'est prononcé en faveur de l'abandon du programme actuel au profit d'un nouveau programme qui représenterait, d'après eux, un saut dans l'inconnu. Cependant, ils souhaitent tous qu'on améliore et qu'on modifie considérablement le programme actuel.

Comment expliquez-vous cette réticence de vos anciens homologues et collègues à envisager un programme de péréquation complètement nouveau?

M. Boothe: Je répondrais plusieurs choses: premièrement, n'oubliez pas, sénateur Murray, que j'étais professeur avant d'être sous-ministre et que cela a peut-être eu une certaine influence sur moi. Deuxièmement, les responsables des finances sont prudents par nature. Ils préfèrent les démons qu'ils connaissent à ceux qu'ils ne connaissent pas. En outre, les provinces peuvent très bien prendre ces simples formules globales - parce qu'elles sont simples - et en tirer les conséquences pour leurs Trésors particuliers. Les seules dont vous allez entendre parler, ce sont celles dont la situation est moins bonne, et par conséquent il y a un certain parti pris chez ceux qui se prononcent sur cette question.

Le président: Nous avons entendu les représentants de cinq ou six des provinces bénéficiaires. Si leur situation doit se détériorer dans le cas où on aurait une formule utilisant un indicateur global, je ne vois pas très bien pourquoi on aurait besoin de ce genre de formule. J'imagine que cela dépend de la formule.

M. Boothe: C'est juste.

Le président: Le sénateur Bolduc estime que moins, c'est plus.

Le sénateur Bolduc: La situation de chacune d'entre elles s'améliorerait. Elles obtiendraient plus.

M. Boothe: Dans les travaux que j'ai faits dans le passé sur les formules à indicateur global, j'ai essayé de trouver une formule où il n'y aurait pas de perdants parmi les provinces. Je crois que si l'on essaie de mettre en place une formule qui entraîne une vaste redistribution au niveau des provinces, elle ne marchera pas. Nous avons constaté que la contribution des recettes fédérales à la péréquation déclinait au fil du temps. En relevant modestement la part du financement fédéral dans la péréquation, on pourrait concevoir une formule à indicateur global en vertu de laquelle il n'y aurait pas de perdants, et on pourrait avoir en même temps un programme beaucoup plus simple accompagné d'une bonne reddition de comptes.

Le président: Vous avez publié sur cette question?

M. Boothe: Oui.

Le président: C'est notre dernière réunion publique sur ce sujet. Très brièvement, notre comité va commencer à se réunir pour envisager les recommandations qu'il va formuler dans son rapport. En essayant de voir comment nous devrions procéder, je me dis que la première question à régler, c'est de savoir si nous voulons laisser complètement tomber le système actuel pour le remplacer par quelque chose de nouveau, par exemple un programme à indicateur global, la seule option sérieusement proposée ici. Ensuite, nous devrons nous demander si le programme actuel comporte tellement de lacunes et de difficultés qu'il faudrait l'abandonner après une quarantaine d'années de fonctionnement. Les avantages des nouveaux programmes de remplacement à formule globale sont-ils suffisamment évidents pour nous amener à prendre une telle position? C'est la première question.

La deuxième question, c'est, dans l'affirmative, de savoir quel programme à formule globale nous devrions recommander. Si nous décidons de ne pas recommander un changement radical, quelles améliorations souhaiterions-nous apporter au programme actuel?

Nous avons autour de cette table une somme considérable d'expérience politique et autre. Je pense pouvoir dire que nous n'avons pas autant d'expérience que vous, monsieur Boothe, dans la conception de ce genre de programmes, mais peut-être pourriez-vous nous aider, soit aujourd'hui, soit en nous communiquant des documents que vous avez déjà rédigés sur ce sujet.

M. Boothe: Sénateur Murray, je ferai deux remarques. Premièrement, je pense qu'il est trop tôt pour dire s'il faut remplacer la formule actuelle par une formule à indicateur global ou s'il faut simplement la modifier.

Le président: Nous devons soumettre notre rapport au Sénat pour le 21 décembre 2001.

M. Boothe: Je comprends, mais je pense que, dans l'état actuel de nos connaissances, nous devons décider si nous sommes satisfaits du programme actuel ou si ce programme comporte des lacunes suffisamment graves pour justifier un examen sérieux de formules de remplacement. C'est là la question pour l'instant.

Dans l'état actuel de nos connaissances, je ne suis pas prêt à vous recommander de laisser tomber la formule actuelle au profit d'une formule de remplacement. Je souhaiterais d'abord voir un comparatif des diverses options et disposer d'un ensemble de critères clairs pour les examiner. À ce moment-là, je serais prêt à me prononcer.

J'ai recommandé une formule globale dans le passé, c'est-à-dire un changement fondamental de grande envergure. Encore une fois, c'est quelque chose qui ne suscite pas énormément d'enthousiasme. Je travaille actuellement à une modification plus modeste. Toutefois, tant que nous n'aurons pas ces comparaisons et un ensemble de critères pour examiner les diverses options, j'estime qu'il sera trop tôt pour pouvoir décider s'il faut modifier radicalement la formule de péréquation. Je vous recommande de poursuivre ce travail, qui s'inscrit dans le contexte de cette révision à grande échelle, pour que nous puissions avoir toutes les informations et tout le débat public nécessaire pour nous permettre de prendre cette décision.

Le sénateur Furey: Monsieur Boothe, j'aimerais tout d'abord souligner vos remarques à propos de la mise en valeur des ressources naturelles dans ma province de Terre-Neuve et du Labrador. En fait, c'est quelque chose qui n'a pas grand-chose à voir avec la péréquation. Il s'agit simplement d'obtenir quelque chose d'équitable pour la population de Terre-Neuve et du Labrador, et je vous remercie de cette remarque.

Quand vous parlez des lacunes du programme, vous parlez essentiellement des inégalités inhérentes au système actuel. D'après ce que vous nous avez dit ce matin, l'objectif d'un changement de la formule serait de réaliser une distribution plus équitable, l'idéal étant de parvenir dans un avenir hypothétique à l'égalité entre les provinces.

Vous dites catégoriquement que vous êtes opposé à un nouveau changement ponctuel, surtout s'il s'agit de retirer les ressources naturelles de la formule de péréquation. L'une des raisons de votre opposition catégorique est que le plafond se traduirait par une véritable manne pour une province, en l'occurrence la Saskatchewan. En outre, cela entraînerait une réduction subséquente des transferts vers les autres provinces récipiendaires.

Si le but est de progresser vers une répartition plus équitable, et si l'idée de sortir les ressources naturelles de la formule apparaît comme une bonne chose, pourquoi ne bricolerait-on pas le reste de la formule dans le cas de choses comme le plafond par exemple? Pourquoi ne pas le supprimer aussi? Est-ce qu'on n'atteindrait pas plus rapidement l'objectif d'une répartition plus équitable des richesses entre les provinces?

M. Boothe: Oui, sénateur Furey, ce serait possible. Il faudrait faire des études plus approfondies pour déterminer les conséquences du retrait des ressources naturelles sur la répartition. Les provinces s'attendent à bénéficier des recettes de leurs ressources naturelles. Si l'on sort ces recettes du programme, il n'y aura pas de récupération fiscale et c'est quelque chose qui pourrait être bon pour certaines provinces. Toutefois, il faut à ce moment-là repenser tout ce programme complexe dans sa totalité.

Il est certain que le plafond ajoute un élément supplémentaire de distorsion au programme. Il devient difficile à expliquer et à prédire. Néanmoins, le plafond est là pour une raison. Il répond à un autre critère, celui de la durabilité au niveau du gouvernement fédéral. Le plafond qui a été imposé à la péréquation est empirique, mais il n'est pas arbitraire. Il existe pour une bonne raison: le gouvernement voulait se protéger contre une croissance excessive du programme.

Certes, on pourrait progresser dans le sens de l'équité en faisant ce que vous suggérez, mais seulement en reculant sur la question de la durabilité du programme. Je suis contre ces changements au coup par coup. Si vous agissez de cette façon-là, vous ne réfléchissez pas aux conséquences que cela peut avoir sur la durabilité du programme. Il faut songer au point de vue du gouvernement fédéral.

J'ai pensé qu'il faudrait peut-être que la péréquation corresponde à une part fixe des recettes fédérales. Ainsi, le gouvernement fédéral serait protégé contre une expansion débridée du programme. Mais dans ce cas-là, c'est la sensibilité du programme qui se détériorerait. On le ramènerait à un simple exercice de découpage.

Tout se paie. Les économistes vous diront qu'il n'y a pas de mécanisme pour améliorer les choses. Il n'existe pas de mécanisme qui permette à tout le monde d'être gagnant sans que personne soit perdant grâce à des modifications au coup par coup. Tout ce qu'on fait se ramène en définitive à des compromis entre divers critères.

Le sénateur Furey: Vous avez parlé d'inclure les facteurs fondés sur les besoins dans la formule. Vous avez mentionné l'exemple de l'Australie et de l'Allemagne, avec dans un cas la dispersion de la population et dans l'autre la congestion. C'est purement une question de géographie. Nous pourrions néanmoins élaborer une formule appropriée utilisant des facteurs fondés sur les besoins.

À titre d'exemple, le TCSPS, qui est réparti entièrement en vertu d'une formule par habitant, est totalement injuste. C'est une distribution injuste des fonds alloués à ce programme. Tant qu'on aura une répartition par habitant des fonds du TCSPS, l'écart entre les services de soins de santé fournis à Terre-Neuve et au Labrador et ces mêmes services en Ontario continuera de se creuser.

Ne pensez-vous pas qu'il faudrait tenir compte des besoins quand on parle de répartir les fonds du TCSPS, par exemple?

M. Boothe: Je ne crois pas qu'il faudrait utiliser une formule fondée sur les besoins pour la péréquation car à mon avis, ce ne serait pas pratique. D'autres témoins vous en ont déjà parlé.

Je suis préoccupé de la formule de répartition du TCSPS car l'une de ses caractéristiques importantes est d'aider à la mobilité interprovinciale des Canadiens. Je suis récemment revenu d'Alberta en Saskatchewan sans subir la moindre interruption de la couverture de soins de santé dont je bénéficie ainsi que ma famille. C'est un énorme avantage pour les Canadiens de pouvoir déménager n'importe où sans que leur couverture médicale soit interrompue.

Beaucoup d'habitants de l'Alberta partent prendre leur retraite en Colombie-Britannique pour profiter du climat plus doux. Nous savons qu'en vieillissant, on consomme plus de services de soins de santé. Faudrait-il que le TCSPS aide la Colombie-Britannique à cet égard parce que sa population vieillit? Faudrait-il ajuster le TCSPS en fonction de critères d'âge et de sexe dans la population? Je m'interroge vraiment sur cette question actuellement. Le débat sur l'inclusion des besoins dans le calcul de la péréquation serait un bourbier sans fin. On déplacerait le débat sur la question des besoins.

L'un de mes anciens étudiants a été responsable de la péréquation dans l'État de Tasmanie, en Australie. Dans cet État, le financement était établi en fonction des besoins. Tous les cinq ans, la Commission des subventions du Commonwealth vient sur place. On entasse les membres de la Commission dans des autobus qu'on fait circuler sur des routes défoncées pour leur montrer l'ampleur des besoins de la Tasmanie. Je ne suis pas sûr que nous souhaitions vraiment nous orienter sur cette voie.

Le sénateur Bolduc: Nous avons consacré l'essentiel de notre temps à la question des recettes, mais l'autre aspect pose aussi problème. Comment peut-on déterminer des services égaux et comparables en matière d'éducation, de bien-être et de santé? La réponse n'est pas évidente.

Avons-nous des critères objectifs? Ou n'avons-nous que des critères subjectifs, par exemple le fait que les gens sont contents là où ils sont, sinon, s'ils étaient vraiment mécontents de la situation de la santé au Québec, ils partiraient s'installer ailleurs. Est-ce que c'est de ce genre de critères que nous parlons? Utilise-t-on des critères objectifs pour comparer la qualité des services d'une province à l'autre? C'est quelque chose qui me dérange. Je ne suis pas sûr qu'on mesure ces notions de façon aussi objective qu'on pourrait le penser.

M. Boothe: Sénateur Bolduc, je suis entièrement d'accord avec vous. L'une des questions qu'on se pose est de savoir si le coût des services publics est différent. C'est généralement de là que l'on part. L'un des critères qui ont été utilisés a été de savoir s'il y avait dispersion ou congestion de la population.

Les traitements et salaires des fournisseurs de services représentent l'essentiel du coût des services publics. Faut-il tenir compte du coût de la vie pour ces personnes? Un salaire raisonnable pour un fonctionnaire à Toronto ou à Montréal coûte beaucoup plus cher qu'à Regina. Faut-il accorder plus de poids à Toronto, à Montréal ou à Vancouver? C'est manifestement une des façons dont on pourrait interpréter la question.

C'est justement parce qu'il est tellement difficile de déterminer des niveaux comparables de services que nous n'avons pas de réponse claire à la question de la pertinence. On peut déterminer si les impôts sont comparables, mais il est difficile de déterminer si les services le sont. Faut-il mesurer les résultats? Peut-être faudrait-il avoir des tests comparatifs pour déterminer le niveau scolaire atteint dans les diverses provinces. Faudrait-il mesurer le montant des dépenses? Si c'est le cas, peut-être faudrait-il tenir compte des différences de coûts selon les endroits. Dans ce cas-là, si l'Alberta accordait une forte augmentation à ses médecins et à ses infirmières et infirmiers, est-ce que cela signifierait que le coût des services en Alberta est beaucoup plus élevé qu'en Saskatchewan? L'Alberta vient d'accorder une forte augmentation à ses médecins et à ses infirmières, et c'est déjà un problème suffisamment gros pour la Saskatchewan sans parler d'une diminution de ses paiements de péréquation. Il est difficile de s'aventurer sur cette voie.

Bien que je sois favorable à la démarche du TCSPS fondée sur les besoins, à cause de cette question de la mobilité, je ne la recommanderais certainement pas pour la péréquation.

Le sénateur Bolduc: Autrement dit, la comparaison entre les services est subjective, n'est-ce pas?

M. Boothe: Non, si je comprends bien la Constitution, la question n'est pas de savoir si les provinces peuvent fournir des services comparables mais plutôt de leur en donner la capacité. Les provinces choisissent d'offrir à leurs citoyens des ensembles de services différents en fonction des préférences exprimées par les citoyens à l'occasion des élections générales.

Le sénateur Bolduc: Le niveau de satisfaction peut varier.

Le sénateur Tunney: J'ai trouvé très intéressante votre remarque lorsque vous avez dit que les provinces avaient tendance à ne pas faire de pressions ou même envisager des changements. Les provinces sont reflet des Canadiens; les Canadiens veulent bien bricoler, mais pas trop.

Êtes-vous allé voir dans d'autres pays comment fonctionnent des programmes analogues au nôtre ici au Canada? J'imagine qu'on nous considère comme des novateurs ici, mais peut-être que d'autres pays nous ont rattrapés ou ont même dépassé notre programme.

J'ai été un peu étonné de vous entendre dire que, quand vous élaboriez votre budget provincial en Saskatchewan, vous avez été obligé de le refaire à la hâte à cause des conditions du budget fédéral. Je trouve que ce budget ne devrait pas avoir une telle influence sur l'autre. C'est quelque chose qui me préoccupe.

Vous avez dit que vous travailliez sur une formule en vertu de laquelle idéalement il n'y aurait pas de perdants. S'il n'y a pas de perdants et qu'il y a simplement des provinces qui stagnent ou qui restent à un niveau égal alors que d'autres sont gagnantes, globalement il y aura une nette augmentation, n'est-ce pas?

M. Boothe: Divers autres pays ont des formules différentes de péréquation. Le cas que je connais le mieux est celui de l'Australie. L'Australie est une fédération beaucoup plus centralisée que le Canada. Le gouvernement central, le Commonwealth d'Australie perçoit beaucoup plus de recettes que le gouvernement fédéral au Canada. Dans le passé, il y a eu beaucoup plus de redistribution.

Par exemple, en Australie, le montant total de la redistribution est décidé chaque année par le gouvernement fédéral sur une base arbitraire et non en fonction d'une formule. La répartition des montants transférés est déterminée en fonction d'une formule qui tient compte des besoins. En Australie, ces besoins sont appelés des handicaps. C'est pour cela qu'ils emmènent la Commission des subventions du Commonwealth se balader sur les routes défoncées de la Tasmanie, pour leur faire prendre conscience de ces handicaps.

L'Australie a récemment modifié sa structure de recettes en adoptant une TPS. Toutefois, toutes les recettes de cette TPS allaient aux États plutôt qu'au Commonwealth. Les Australiens ont choisi cette formule pour permettre aux États de se débarrasser de certaines de leurs distorsions fiscales les plus marquantes. Par exemple, on payait une taxe à chaque fois qu'on faisait un dépôt ou un retrait à la banque. Certaines de ces taxes ont été supprimées.

L'Australie a donc un système très différent, quoiqu'elle ait un peu évolué dans notre direction pour ce qui est du degré de décentralisation. En fonction des normes internationales, le Canada est très décentralisé. C'est pour cela que je disais au début de mes remarques qu'à mon avis nous avons à peu près le bon équilibre. Je ne recommande pas de pousser beaucoup plus loin la décentralisation, peut-être à cause de mon expérience en Saskatchewan.

À propos du budget de la Saskatchewan, si vous avez un changement positif ou négatif dans vos recettes qui représente 4 p. 100 des dépenses de programmes, cela entraîne un bouleversement énorme car vous avez dû faire de nombreux compromis très difficiles pour établir votre budget. Vous avez essayé de respecter des contraintes budgétaires d'ensemble. En principe, vous avez suivi une démarche rationnelle. Quand je dis «rationnelle», je ne parle pas seulement de l'aspect stratégique mais aussi de l'aspect politique, c'est-à-dire que vous avez fait les compromis nécessaires pour élaborer votre budget.

Or, si ces contraintes disparaissent à la dernière minute, vous n'êtes plus obligé de suivre la même démarche rationnelle pour organiser vos dépenses. Mon expérience m'a montré qu'on finit par regretter plus tard les décisions de dépenses que l'on a prises à la hâte.

Enfin, au sujet de cette idée de situation où il n'y aurait pas de perdants, je pense qu'il faudrait que je m'exprime plus clairement. Je voulais dire qu'il n'y aurait pas de perdants parmi les provinces. Mais pour cela, il faudrait un certain relèvement des montants affectés par le gouvernement fédéral à la péréquation. Vous savez que le programme représente environ 6 p. 100 de recettes fédérales. Naguère, c'était environ 8 p. 100. Si l'on rétablissait au moins partiellement ce pourcentage, il serait possible d'obtenir ce résultat à condition de ne pas engloutir préalablement cette marge de recettes dans des changements ponctuels ou au coup par coup.

Le sénateur Doody: Monsieur Boothe, j'aimerais revenir sur la question des ressources naturelles que nous avons brièvement abordée tout à l'heure. Vous dites que l'idée d'inclure les recettes des ressources naturelles dans la formule ne vous dérange pas mais que ce qui vous dérange, c'est le traitement de ces recettes. Pourriez-vous développer un peu cette idée? La question des ressources naturelles est au coeur d'une bonne partie des problèmes que les provinces ont avec cette formule actuellement.

M. Boothe: Peut-être pourrais-je vous donner simplement un exemple. En Alberta, au lieu que ce soit le gouvernement provincial qui encaisse les recettes des ressources naturelles, si l'on distribuait ces recettes aux contribuables pour les inclure dans leur revenu, ce ne serait pas la même chose que si on les traitait comme des recettes provinciales.

L'élément clé, c'est que quand nous vendons nos ressources naturelles, nous prenons un bien physique que nous transformons en bien financier. Je comprends qu'on traite comme recettes les revenus de ce bien financier, mais je ne suis pas sûr qu'on doive traiter entièrement comme recettes au départ les revenus de la vente d'un bien immobilisé.

C'est une question complexe qui mériterait une analyse très approfondie. C'est l'une des raisons pour lesquelles, afin d'éviter ce genre de problème, j'ai recommandé une formule reposant sur un indicateur global, car une telle formule ne s'articule pas sur ce genre de questions.

Le sénateur Doody: Le grand problème, pour les ressources non renouvelables, puisqu'il s'agit manifestement de la vente de biens immobilisés qui appartiennent à la population de la province, c'est de savoir si l'on pourrait amortir ce bien sur une certaine période et déduire cet amortissement de la valeur du bien. Un jour, il n'y aura plus de nickel dans Voisey's Bay. Jusqu'à présent, il semble y avoir un approvisionnement permanent, mais il se pourrait très bien qu'un jour la ressource disparaisse. Y a-t-il un moyen d'ajuster la formule de péréquation ou les recettes provinciales pour compenser la perte de ces ressources?

M. Boothe: La première chose à faire, c'est de modifier la façon dont ces recettes sont traitées par les gouvernements provinciaux plutôt que par le gouvernement fédéral. Certes, c'est probablement possible de faire ce que vous dites. Je ferais cependant une mise en garde car la valeur de cette denrée change sans doute infiniment plus en fonction des fluctuations des cours que de l'épuisement des réserves.

C'est clairement le cas pour le pétrole et le gaz. Si vous regardez les gains et pertes en capital dans le secteur du pétrole et du gaz en Alberta ces dernières années, où le pétrole est descendu jusqu'à 14 $ et monté jusqu'à 35 $, alors que le gaz naturel descendait jusqu'à 2 $ et montait jusqu'à 11 $, vous avez là des écarts infiniment plus significatifs que ceux entraînés par l'épuisement des réserves de pétrole et de gaz de l'Alberta. Ce n'est donc pas un simple détail.

Le sénateur Banks: Vous avez pris soin de préciser qu'il n'y avait pas de perdants au niveau des provinces, quoique «perdants» ne soit peut-être pas le terme approprié, et la formule remaniée que vous envisageriez consisterait, comme vous l'avez dit, à faire injecter plus d'argent par le gouvernement du Canada. Pourriez-vous développer un peu cela étant donné que ces dernières années - et je ne me souviens pas exactement quand cela s'est produit - les recettes provinciales d'ensemble au Canada ont largement dépassé les recettes du gouvernement du Canada, alors que ce n'était pas le cas auparavant? Je pense qu'il était plus facile de soutenir, à l'époque où c'était l'inverse, que le gouvernement du Canada devait compléter les recettes. Mais comme les recettes provinciales dépassent maintenant les recettes fédérales, est-ce que cela change quelque chose à la thèse que vous avancez?

M. Boothe: Sénateur Banks, j'ai lu ce commentaire dans les témoignages que j'ai examinés. Bien franchement, je crois que c'est une fausse piste. La véritable question est de savoir comment se comparent les recettes provinciales et les responsabilités provinciales en matière de dépenses d'une part et les recettes fédérales et les responsabilités fédérales en matière de dépenses d'autres part.

Les responsabilités des provinces ont augmenté parce que les programmes qu'elles doivent financer se sont développés, notamment dans le domaine de l'éducation et, au sommet de la liste, celui de la santé. Évidemment, cela fera l'objet d'un autre débat.

Je pense vraiment que c'est une fausse piste. Je ne pense pas qu'on ait réglé la question de savoir si les versements fédéraux sont adéquats car certes, la part des recettes fédérales qui est affectée à la péréquation est tombée de 8 p. 100 à 6 p. 100 environ, mais en même temps la disparité relative des provinces a aussi diminué. Si l'objectif du programme est de compenser les écarts entre les provinces et que ces écarts se sont réduits et que les écarts de capacité fiscale se sont aussi réduits, il est logique que la contribution fédérale ait aussi diminué. La question qui n'est pas tranchée, c'est celle de savoir si cette réduction a été excessive, insuffisante ou juste. Je ne pense pas que nous ayons la réponse à cette question.

Le sénateur Furey: Monsieur Boothe, quand vous parliez d'utiliser un système global en prenant le revenu comme indicateur, vous avez dit que la répartition se faisait proportionnellement au revenu, en fonction de son écart par rapport à la moyenne nationale. Cette formule ne comporte-t-elle pas intrinsèquement une forme de facteur reposant sur les besoins, lorsque vous examinez la façon dont sont établis les salaires dans une province comme Terre-Neuve ou le Labrador, par exemple?

M. Boothe: C'est possible indirectement, sénateur, mais pour moi les besoins sont une façon de mesurer les coûts de prestations des services publics dans les diverses provinces.

Le sénateur Furey: Si par exemple un hôpital de Corner Brook dispose d'un budget pour les soins hospitaliers et détermine que, pour assurer un certain niveau de soins, il faut que les salaires soient à tel ou tel niveau, cela introduit une forme de facteur fondé sur les besoins dans toute votre formule globale, puisque vous vous servez du revenu.

M. Boothe: J'imagine que ce serait vrai indirectement, mais selon l'importance de votre fonction publique et les différences au niveau des salaires et traitements, je crois néanmoins que si l'on avait un seul indicateur plutôt que ces trois indicateurs fiscaux pour mesurer nos écarts par rapport à la moyenne nationale - et quand je dis nationale, je veux parler d'une norme de 10 provinces - nous serions largement gagnants sur le plan de la comptabilité et de la transparence. Nous réduirions aussi les problèmes de récupération fiscale dont certains ont parlé, parce que la formule s'appliquerait à l'économie toute entière. J'hésiterais à m'aventurer trop loin sur la route d'une formule incorporant les besoins.

Le président: Pour le compte rendu, je précise que la nouvelle norme très simple reposerait sur le revenu personnel par habitant avant impôt dans chaque province. Les provinces qui seraient en dessous de la moyenne nationale recevraient une compensation du Trésor fédéral pour remonter au niveau de la moyenne nationale, c'est bien cela?

M. Boothe: C'est un bon exemple de formule globale.

Le président: C'est tout simplement cela, et rien d'autre. Quelqu'un qui aurait les tableaux sous les yeux pourrait très facilement calculer la valeur du programme à l'échelle nationale, le coût actuel pour le Trésor fédéral et aussi ce que cela signifierait pour chaque province. Vous l'avez fait?

M. Boothe: Monsieur le président, quand je l'ai fait, c'était pour un programme de péréquation interprovincial qui visait à regrouper le TCSPS et des aspects spécifiquement régionaux de l'assurance-emploi. Je ne voudrais certainement pas prétendre néanmoins que mes travaux antérieurs sont pertinents à notre discussion présente.

Le président: Vous ne suggérez pas que le gouvernement envisage d'intégrer le TCSPS ou des éléments spécifiquement régionaux du programme d'assurance-emploi à ce programme, n'est-ce pas?

M. Boothe: C'est une idée qui n'a suscité strictement aucun intérêt quand je l'ai proposée précédemment. Toutefois, le dispositif dont vous avez parlé il y a quelques instants est exactement le genre de chose que les autorités fédérales et provinciales examinent actuellement. Ces autorités essaient d'en déterminer toutes les conséquences. Ce que l'on veut éviter, quand on procède à un changement d'une telle importance, ce sont toutes les retombées indésirables qui peuvent accompagner ces grands bouleversements.

Le président: C'est pour cela que vos homologues sont si réticents à envisager autre chose que de simples améliorations du système actuel?

M. Boothe: C'est juste.

Le sénateur Bolduc: Nous avons là un problème d'analyse économique d'un côté et d'économie politique de l'autre. Le gouvernement fédéral a un moyen de donner satisfaction individuellement à la plupart des gens de sorte qu'en fin de compte, personne n'est très content, mais tout le monde est relativement content. Je pense que ce n'est pas très bon pour la transparence, mais c'est comme cela que les choses fonctionnent.

Vous allez probablement avoir tendance à être d'accord avec ce que je dis. D'un côté, c'est une formule propre et elle fonctionne comme cela. À titre de nuance, cependant, je n'opterais pas nécessairement pour la moyenne, et je prendrais plutôt une sorte de médiane pour le revenu. Sinon, dans le cas de l'Alberta, on risque d'avoir quelque chose qui ne sera pas raisonnable. J'imagine que c'est ce qui se passerait.

On veut réaliser l'équité, mais pas nécessairement l'égalité. Après tout, s'ils sont plus riches, ils sont plus riches. C'est comme cela pour l'instant. Pour moi, équité ne signifie pas que tout le monde doit être au même niveau. Je ne pense pas que ce soit juste de dire cela. Qu'en pensez-vous?

M. Boothe: J'ai dit au début que j'étais un partisan convaincu de la péréquation. Si vous voyagez à l'étranger, comme je le fais de temps à autre, et que vous discutez de relations intergouvernementales, vous allez constater qu'un peu partout dans le monde les gens considèrent que le Canada est l'un des meilleurs exemples de bon fonctionnement d'une fédération.

Si nous fonctionnons si bien, c'est parce que nous prenons le temps de remanier constamment ces programmes pour les adapter aux circonstances. Nous en discutons et nous en débattons, nous les modifions, et quelquefois même nous les modifions en profondeur.

Les changements apportés au TCSPS durant le premier mandat du gouvernement actuel ont été considérables. Ils ont été énormes. Quelquefois, ce sont de petites modifications, on modifie une simple assiette fiscale quelconque. Mais c'est parce que nous consacrons toute cette énergie au bon fonctionnement de ce système qu'il fonctionne si bien. C'est pour cela que je suis heureux de participer à vos travaux, car ils contribuent à cet effort constant qui fait du Canada l'une des meilleures fédérations au monde.

Le sénateur Banks: Par curiosité, dans le programme que vous aviez conçu et qui n'a trouvé aucune oreille réceptive, d'après ce que vous nous avez dit, ce programme interprovincial, les provinces s'écrivaient-elles littéralement des chèques les unes aux autres?

M. Boothe: En effet, elles contribuaient à un régime de péréquation interprovincial.

Le sénateur Banks: On nous a expliqué de façon très convaincante qu'il fallait bien garder à l'esprit la description constitutionnelle de la péréquation actuelle, c'est-à-dire un programme qui, comme vous l'avez montré, vise à assurer des services grosso modo comparables et qu'il fallait éviter de nos aventurer sur la voie d'une formule de redistribution du revenu. Or, une formule globale reposant sur le revenu personnel ne serait-elle pas en fait une formule de redistribution du revenu personnel qui s'écarterait de la formule, du plan et de l'intention de la péréquation telle qu'elle est actuellement formulée constitutionnellement?

M. Boothe: J'ai lu les commentaires auxquels vous faites allusion, mais je ne suis pas d'accord sur ce point.

Richard Bird, professeur à l'Université de Toronto, a dit que la péréquation était un marchandage politique entre les provinces et le gouvernement fédéral. C'est effectivement le cas en bout de ligne. Si l'objectif du programme est de donner aux provinces la capacité d'assurer des services comparables à des niveaux de fiscalité comparables, c'est effectivement comme cela qu'on doit le juger. La question n'est pas de savoir comment le programme fonctionne, mais s'il accomplit le mandat constitutionnel qui lui est assigné. Peu importe qu'on utilise une assiette fiscale ou une autre, un indicateur global ou un autre. Quand on compare ces programmes à d'autres programmes possibles, la question qu'il faut se poser est de savoir lequel est le plus susceptible de donner aux provinces la capacité de fournir des services comparables à des niveaux de fiscalité comparables. La formule à choisir, c'est celle qui donne les meilleurs résultats.

Le président: Merci. Je pense que vous vous rendez compte, monsieur Boothe, que cette séance a été passionnante pour nous tous. La participation de tous les membres du comité en a témoigné. Nous vous remercions.

Honorables sénateurs, voilà une excellente note pour conclure notre débat public sur cette question. Je ne sais pas si nous suivrons votre conseil de renvoyer la balle au ministre des Finances. Nous serons peut-être plus audacieux; nous verrons.

La séance est levée.


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