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POFO - Comité permanent

Pêches et océans

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Pêches

Fascicule 5 - Témoignages du 9 mai 2001


OTTAWA, le mercredi 9 mai 2001

Le Comité sénatorial permanent sur les pêches se réunit aujourd'hui à 15 h 45 pour étudier les questions relatives à l'industrie de la pêche.

Le sénateur Gerald J. Comeau (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Nous allons poursuivre notre étude des questions relatives à l'industrie des pêches. Nous allons entendre ce soir trois témoins de la Colombie-Britannique. Il s'agit de Mme Lynn Hunter, spécialiste des pêches et de l'aquaculture à la Fondation David Suzuki, de John Volpe, du Département de biologie, Centre pour la santé de l'environnement, à l'Université de Victoria, et de M. Pat Alfred, président de la Kwakuitl Territorial Fisheries Commission. Le sénateur Pat Carney, de la Colombie-Britanni que, va par ailleurs se joindre à nous. Mesdames et messieurs, je vous souhaite la bienvenue.

Mme Lynn Hunter, spécialiste des pêches et del'aquaculture, Fondation David Suzuki: Merci de m'avoir invitée à prendre la parole devant votre comité sur la question de la salmoniculture. Je suis spécialiste des pêches et de l'aquacultu re à la Fondation David Suzuki. Notre organisation étudie les effets de la vie humaine sur l'environnement en s'efforçant de trouver des solutions.

Notre fondation a été créée en 1990 pour rechercher et diffuser les moyens de maintenir un équilibre entre les besoins sociaux, économiques et écologiques.

Dans le poste que j'occupe au sein de la fondation, j'ai publiquement critiqué l'industrie de la salmoniculture et les gouvernements, qui semblent s'être donnés la main pour privatiser et polluer nos côtes. Tout au long des travaux qu'elle a menés sur cette question, notre fondation a toujours répété que son objectif, contrairement à ce que l'industrie voudrait vous faire croire, n'est pas de supprimer la salmoniculture. Il vise plutôt à transformer les méthodes irresponsables qu'utilise actuellement l'industrie et à remplacer les cages à filets par des enceintes étanches. Je vous remercie sincèrement de m'avoir donné la possibilité de vous parler et je suis optimiste concernant les solutions que votre comité est en mesure d'apporter face aux problèmes de la salmoniculture.

Comme vous le savez, il y a un monde entre les propos des responsables de l'industrie de la salmoniculture et leurs partisans au sein du gouvernement, et ce que disent les écologistes, les Premières nations et les scientifiques indépendants. Vous savez par ailleurs que dans son dernier rapport, le vérificateur général du gouvernement fédéral s'est fortement inquiété du mode de fonctionnement de cette industrie. Dans cet excellent rapport, on précise un plan d'action pour le gouvernement, qui exigera un suivi de la part de son bureau et de ceux d'entre nous qui suivent l'évolution de la salmoniculture au Canada.

Je m'en tiendrai dans mon exposé aux questions expressément mentionnées dans votre convocation: étudier dans quelle mesure et de quelle manière il est possible d'instaurer une collaboration. Nous avons de quoi nous réjouir quand nous posons cette question, même s'il ne faut pas sous-estimer le fossé qui sépare les tenants de la salmoniculture de ceux qui s'y opposent. Les porte-parole de l'industrie de la salmoniculture, y compris ceux du gouvernement, continuent à nier purement et simplement qu'il y ait des problèmes. Ils continuent à voir dans les critiques un problème de relations publiques plutôt qu'une question de fond qui doit être réglée. C'est là un obstacle sérieux si l'on veut faire de véritables progrès sur la voie de la coopération.

Toutefois, en matière d'environnement, il faut être optimiste, et je le suis. Un précédent a été établi le long de la côte centrale de la Colombie-Britannique alors que les Premières nations, les compagnies forestières et les organisations écologiques ont passé un accord de collaboration pour trouver des solutions. L'élément clé a été l'acceptation par tous du principe d'une planification et d'une gestion de la forêt tenant compte de l'écosystème. Il a fallu plus d'un an aux compagnies forestières pour prononcer ces mots sans s'étrangler. Elles ont maintenant officiellement ratifié le régime de planification et de gestion fondé sur l'écosystème en tant que principe clé de l'accord passé dans la région côtière centrale.

Ça n'a pas été fait pour la salmoniculture. Les salmoniculteurs et leurs partisans au sein du gouvernement n'acceptent pas ou ne comprennent pas ce principe. Curieusement, le ministère des Pêches et des Océans, le MPO, applique une gestion fondée sur l'écosystème dans ses politiques concernant les saumons vivant dans la nature ainsi que dans le cadre de sa stratégie de protection des zones marines, et pourtant il n'a jamais appliqué ce principe à sa politique en matière d'aquaculture. Ces politiques font par ailleurs appel au principe de précaution, dont ne tient pas compte là encore la politique du MPO en matière d'aquaculture. Je vous rappelle la formulation de la stratégie conjointe établie entre la Colombie-Britannique et le Canada en ce qui a trait aux zones maritimes protégées: «Ce principe impose le fardeau de la preuve à toute personne, organisation ou institution du gouvernement exerçant des activités susceptibles de porter préjudice àl'écosystème marin.» Les raisons éventuelles de ce décalage pourraient faire l'objet de toute une discussion.

Cette question a donné naissance à des alliances originales. Le 5 mars 2001, le gouvernement de la Colombie-Britannique a annoncé l'autorisation d'une première d'exploitation desalmoniculture confinée dans une enceinte à l'intérieur des terres. Agrimarine Processing, une société ayant une usine detransformation à Campbell River, a diversifié son exploitation en se dotant d'une enceinte d'élevage du saumon à Cedar, une petite localité située juste au sud de Nanaimo. Ce projet pilote est entré en exploitation le 1er avril 2001.

Il y a eu quelques intrigues de couloirs avant cette annonce. Deux de mes collègues du mouvement écologiste, Laurie MacBride de Georgia Strait Alliance et David Lane de T. Buck Suzuki Environment Foundation, se sont consacrés à fond à ce projet pour qu'il voit le jour. Ils ont conseillé son auteur, Richard Buchanan, et l'ont encouragé à améliorer son projet en prévoyant une installation de gestion des déchets. Ils ont par ailleurs oeuvré de concert avec le personnel du Ministry of Agricultural Fisheries and Food, le MAFF, pour s'assurer que ce projet reçoive finalement le feu vert. Le projet a dû surmonter d'énormes obstacles pour en arriver à ce stade.

Parmi ces obstacles, il y a eu la forte opposition de l'industrie de la salmoniculture et de ses alliés au sein du MAFF. En écoutant la porte-parole de la B.C. Salmon Farmers Association, on comprenait bien que cette association ne souhaitait absolument pas que ce projet voit le jour. Le personnel du ministère a rejeté le projet dans un premier temps sur une question de détail. Ce n'est que sur l'intervention de Laurie MacBride et de David Lane que le personnel du ministère a dû céder et a autorisé le projet.

Voilà un exemple de ce que l'on peut faire. Toutefois, cela nous montre par ailleurs toutes les résistances que rencontre toute modification du fond du mode de fonctionnement de la salmoniculture.

J'ai remis au sénateur Carney un communiqué de presse par lequel la Georgia Strait Alliance et la T. Buck SuzukiEnvironmental Foundation annoncent ce projet. Les médias ne couvrent pas toujours très bien ce genre de chose, mais je peux fournir ce communiqué pour que l'on en prenne acte.

Ces dernières années, une énorme infrastructure provinciale et fédérale a été mise en place pour appuyer l'industrie d'élevage du saumon en cage à filets au Canada. On n'a apparemment aucune intention de modifier cette infrastructure.

Nous sommes conscients du rôle que joue actuellement le Bureau du commissaire fédéral au développement del'aquaculture, M. Yves Bastien, qui a été engagé directement par l'Association canadienne de l'industrie de l'aquaculture et qui dispose d'un budget de plusieurs millions de dollars de crédits payés par le contribuable pour subventionner l'industrie de l'élevage du saumon en cage à filets. Le ministère des Pêches et des Océans a annoncé en août 75 millions de dollars de crédits supplémentaires sur cinq ans, soit 15 millions de dollars par année. Ces crédits se répartissent dans trois domaines. Le premier est celui de la science, de la R-D, soit 32,5 millions de dollars sur cinq ans; le deuxième est celui de la santé humaine, soit 20 millions de dollars sur cinq ans; enfin, le troisième est celui de la gestion et de la réglementation, soit 22,5 millions de dollars sur cinq ans.

Dans son dernier rapport, le vérificateur général dugouvernement fédéral a jugé que le MPO ne s'acquittait pas de ses obligations législatives qui lui imposent, aux termes de la Loi sur les pêches, de protéger les poissons vivant à l'état naturel ainsi que leur habitat. Le vérificateur général, qui est un agent du Parlement indépendant, a constaté que le ministère se retrouvait de plus en plus en conflit d'intérêts étant donné qu'il s'efforce d'être à la fois le promoteur et l'instance de réglementation de l'industrie du poisson d'élevage. Il ne peut pas être les deux à la fois.

Lorsqu'ils sont venus témoigner le 5 avril 2001 devant le comité parlementaire, les hauts fonctionnaires du ministère des Pêches et des Océans ont déclaré que leurs principaux objectifs en matière d'aquaculture étaient de renforcer la confiance du public dans l'industrie et d'améliorer sa compétitivité au planinternational. Ce ne sont pas là les fonctions d'un organisme de réglementation; ce sont celles d'une société de relations publi ques. Liseanne Forand, SMA, Politique, Pêches et Océans Canada, a déclaré que ces crédits faisaient partie «d'un programme à frais partagés visant à répondre aux besoins définis par l'industrie.» La seule interprétation que je peux donner à ces propos, c'est que seules les recherches qui vont dans le sens de l'industrie bénéficieront de crédits et que seules des lois et des règlements visant à aider l'industrie seront déposés.

Il existe des projets visant à adopter une loi fédérale sur l'aquaculture. En prévision, M. Bastien a mené à bien une étude des règlements et des lois. Il a finalement daigné rendre public ce document. Voici l'un des principes clés qui figurent dans cette étude: «Les dispositions législatives et réglementaires dugouvernement doivent permettre d'élaborer un cadre deréglementation qui ne fait pas inutilement obstacle à lacompétitivité de l'industrie.» Vous pouvez donc voir, par conséquent, que M. Bastien ne semble avoir tiré aucunenseignement des nombreux rapports qui critiquent l'industrie. Il continue à agir en qualité de représentant de l'Association canadienne de l'industrie de l'aquaculture, mais il le fait désormais en étant payé par le gouvernement fédéral. C'est bien joué lorsqu'on est assez malin pour y parvenir.

Au grand désespoir de nombre d'intervenants, le ministère est devenu l'homme sandwich de l'industrie du poisson d'élevage plutôt que d'être le protecteur et le responsable de laréglementation des poissons vivant à l'état naturel et de leur habitat.

Il est temps que le ministère des Pêches et des Océans pose son panneau publicitaire et se décide à agir dans l'intérêt général. Avant que l'on mette en place une loi sur l'aquaculture, nous voudrions qu'on nous garantisse que la Loi sur les pêches, qui est considérée comme le texte de loi ayant la plus grande portée en matière d'environnement au Canada, sera respectée et que les ressources qui y sont affectées seront bien mises en oeuvre. Nous voyons à l'heure actuelle notre organisme gouvernemental, dont le mandat est de protéger les poissons et leur habitat, aider à la privatisation et à la pollution de nos côtes au détriment des autres industries et des collectivités du littoral.

J'invite votre comité à se joindre à nous pour s'assurer que tous les nouveaux textes de loi vont être passés au crible en retenant deux grands principes: tout d'abord, qu'ils ne limitent ou ne contredisent pas les dispositions existantes de la Loi sur les pêches; et, en second lieu, qu'ils soient adoptés dans l'intérêt général. En l'occurrence, il faut que ce soit à long terme pour le plus grand bien du plus grand nombre.

Voilà qui met fin à mon exposé et je suis tout disposée à répondre aux questions que voudront me poser les membres du comité.

Le président: Merci, madame Hunter. C'est toujours pour nous un plaisir de vous inviter à comparaître devant notre comité.

Nous allons maintenant entendre notre deuxième témoin, M. Alfred.

M. Pat Alfred, président, Kwakuitl Territorial Fisheries Commission: En mars 2000, nous avons organisé à Alert Bay une séance du Comité sénatorial permanent sur les pêches. De nombreuses recommandations ont été faites au cours de cette séance. Jusqu'à présent, nous n'avons reçu aucune réponse du comité permanent et je suppose, par conséquent, que nous en sommes maintenant à une deuxième ronde de discussions.

Merci, une fois encore, de nous donner l'occasion de prendre la parole devant votre comité sur les questions qui touchent la Kwakuitl Territorial Fisheries Commission. La KTFC est une organisation qui représente huit communautés des Premières nations et qui se charge de défendre les intérêts de nos membres en ce qui a trait à la pêche et aux ressources marines sur tout notre territoire. Nous souhaitons discuter à nouveau du principe de la gestion communautaire de la pêche et de notre position concernant les piscicultures implantées sur nos territoires tradi tionnels.

Lorsque nous vous avons reçus l'été dernier à Alert Bay, nous vous avons fait part d'un certain nombre de problèmes et de préoccupations touchant l'exploitation de piscicultures sur notre territoire traditionnel. Voilà plus d'un an de cela et le MPO n'a rien fait pour remédier à ces graves préoccupations.

Ce qui est en jeu ici, c'est la survie des poissons vivant à l'état naturel sur lesquels compte notre population pour s'alimenter et qui représentent notre véritable ressource en matière de pêche. Vous trouverez ci-joint une carte sur laquelle figurent les piscicultures que l'on retrouve sur notre territoire. Nous n'avons jamais été consultés avant que ces piscicultures soient installées sur notre territoire et nous n'avons jamais donné notre accord. Nous avons entendu dire que plus de 1,5 million de saumons de l'Atlantique se sont échappés de ces piscicultures. Depuis le moratoire sur l'expansion des piscicultures, la production de ces dernières a doublé. Ce sont là des faits alarmants.

On est découragé de lire dans le rapport du vérificateur général que le MPO n'a pas exercé les pouvoirs que lui conférait la Loi sur les pêches en vue de protéger les populations vivant à l'état naturel contre les effets pernicieux des piscicultures. Nous avons eu l'occasion de consulter le chapitre du rapport du vérificateur général remis au Parlement en date du 6 février 2001 en ce qui concerne les effets de l'aquaculture sur la gestion des saumons vivant à l'état naturel en Colombie-Britannique. Le vérificateur général a relevé de nombreux problèmes que pose la pisciculture et auxquels le MPO ne remédie aucunement. La liste en est la suivante: absence de plan officiel de gestion des risques par le MPO; insuffisance du contrôle et de l'application des lois; caractère épisodique du contrôle et de l'application des lois; aucun contrôle régulier des populations de poissons vivant à l'état naturel près des piscicultures; enfin, contrôle insuffisant de la présence du saumon de l'Atlantique.

Le vérificateur général a conclu que le ministère était dans l'incapacité d'évaluer les effets cumulatifs sur l'environnement de la salmoniculture, contrairement à ce qu'exige la LCEE. Pour l'instant, le MPO n'a pas informé la KTFC de la façon dont il entendait remédier aux problèmes évoqués dans le rapport du vérificateur général, qui ne font que confirmer ce que nous savions depuis des années. Dans son projet de solution s'appli quant à la pisciculture, la KTFC a demandé que le MPO finance des études et des consultations communautaires pour déterminer les effets des entreprises piscicoles sur les membres de la KTFC. Notre commission a par ailleurs demandé au MPO d'accepter d'organiser régulièrement des rencontres pour discuter de ces questions et répondre à nos préoccupations en attendant qu'une solution soit trouvée.

Depuis lors, nous n'avons rencontré qu'à une seule reprise Yves Bastien à Victoria - la localité la plus au nord qu'il avait jamais visitée jusqu'alors - qui ce soir-là, cependant, s'est retrouvé à Campbell River pour rencontrer la Chambre de commerce. Je lui ai demandé alors de se rendre dans la région où les piscicultures posaient des problèmes. C'était dans l'archipel de Broughton, sur mon territoire, celui des Kwakuitl. Il m'a dit devant un auditoire de 200 personnes dans l'édifice provincial qu'en l'an 2020 il n'y aurait plus qu'un seul type de pêche et que ce serait la pisciculture.

J'aimerais lui expliquer la situation alors qu'il n'a jamais fait son travail et qu'il est allé à deux reprises à Campbell River sans rendre visite à mon peuple. Pour commencer, il ne connaît rien de ce qui fait la vie de mon peuple. Il connaît mal les poissons-chan delle et les recommandations que nous avons faites au sujet de l'éclairage de nuit. L'éclairage de nuit est utilisé pour hypnotiser les chevreuils. Il permet aussi d'hypnotiser les poissons dans l'eau et c'est encore plus radical parce que toutes les variétés de saumon, de morue et d'autres espèces vivant dans l'océan vont être attirées par la lumière. On se sert de cette méthode dans les piscicultures. Toutes les espèces sont attirées, y compris les poissons-chandelle, qui pénètrent à l'intérieur du filet et sont mangés par les saumons de l'Atlantique. L'éclairage de nuit attire aussi les prédateurs qui rôdent autour des cages et consomment les poissons-chandelle. C'est devenu un problème; depuis deux ans, je n'ai pas vu revenir de poissons-chandelle. C'est ce que consomme principalement mon peuple à cette époque. Les gens des Premières nations vont à la rivière fumer des poissons-chandelle et fabriquer de la graisse, qui fait partie de notre alimentation. À la suite de la réunion que nous avons tenue à Port Hardy, je peux vous dire que les responsables ont reconnu que grâce à l'éclairage de nuit ils économisaient 40 p. 100 sur la quantité d'aliments qui devaient donner aux poissons.

M. Rosenthal a évoqué la question à Port Hardy et son interlocuteur a confirmé la chose puis a rapidement changé d'avis et lui a dit: «Non, nous n'éclairons que pour accélérer la croissance des poissons.» Il est ainsi arrivé à se contredire et la personne qui le payait pour parler ainsi a hoché la tête.

Je représente huit Premières nations. Je pense que «tribu» est le mot que l'on emploie dans la Loi sur les Indiens, mais nous sommes des Premières nations. Quatre d'entre elles sont contre les piscicultures; leur tolérance est de zéro. Les quatre autres sont désespérées parce qu'il a fallu remplacer la pêche par autre chose sur notre territoire. La plupart des gens de mon peuple sont des pêcheurs reconvertis. Certains d'entre eux travaillent dans ce secteur, mais les quatre autres nations y sont totalement opposées tant que la province et le gouvernement fédéral ne s'acquitteront pas de leur obligation fiduciaire envers notre peuple et ne protégeront pas ses intérêts concernant la pêche des poissons vivant à l'état naturel.

Mon peuple y est totalement opposé parce qu'avant l'arrêt Delgamuukw - je suis sûr que vous savez de quoi je parle - les responsables n'avaient pas à consulter les Premières nations. Nous n'avions même pas notre mot à dire parce que nous étions des «créatures» du gouvernement. On a répertorié 100 sites pouvant être loués par la province aux termes des dispositions de l'article 10. Quarante permis correspondants ont été délivrés et le reste a fait l'objet d'un moratoire. Si on levait demain le moratoire, il y aurait 60 autres permis qui seraient immédiate ment délivrés. Les responsables n'auraient même pas à les demander. Ils n'auraient pas à consulter les Premières nations parce que le permis aurait déjà été payé d'avance. Le danger est là.

Si vous ne consultez pas mon peuple afin d'obtenir son accord, ce sera la guerre chaque fois. Ce n'est pas que nous soyons totalement opposés à la chose; cela vient du fait qu'on ne nous a pas traités convenablement. Toutes les tribus de North Vancouver Island ainsi qu'un certain nombre d'écologistes ont organisé une grande manifestation. La foule des manifestants est allée jusqu'à Wells Pass sur les sites des piscicultures. Suzuki a même tourné à cette occasion un documentaire intitulé Price of Fish, qui est passé à la chaîne télévisée de CBC. Vous pouvez y voir que la population est totalement contre.

Deux anciens ministres des Pêches, M. Corky Evans etM. Dennis Streifel, m'ont dit: «Pat, si vous ne voulez pas de piscicultures sur votre territoire, il n'y en aura pas. Nous les déplacerons ailleurs. Nous voulons uniquement faire affaire avec des gens qui sont intéressés à collaborer.» Leur idée de la «collaboration», cependant, c'est d'offrir à mon peuple des emplois à 8 $ de l'heure, sans redevances et sans véritables partenariats; et cela se passe sur notre territoire.

Avant d'en dire plus, je tiens à préciser que je ne crois pas à ce processus de négociation des traités. Cela s'explique en partie parce que je sais qu'aucun des sites loués ne passera jamais à la table des négociations parce qu'ils seront la propriété des piscicultures.

On nous a dit au départ - au tout début, lorsqu'on a installé les piscicultures - que les prix et la production du saumon de l'Atlantique n'entreraient jamais en concurrence avec ceux du saumon vivant à l'état sauvage. On relève toutefois avec intérêt que la B.C. Packers a vendu sa société de pêche à Canadian Fish mais qu'elle a conservé ses sites de pisciculture de l'Heritage Sea Farms.

Il y a énormément de poissons qui se sont échappés; on nous a signalé que c'était de l'ordre de 1,5 million d'individus. Nous ne savons pas combien il y en a eu en réalité. Certains exploitants de piscicultures ne veulent pas du confinement dans des enceintes. L'une des recommandations faites par la KTFC, les écologistes, la Commission des pêches autochtones de la Colombie-Britannique et la Fraternité autochtone de la Colombie-Britannique était d'implanter toutes les piscicultures à l'intérieur des terres - confinées dans des enceintes.

Au lieu de suivre nos recommandations, on a lancé des projets pilotes dans le secteur de la pisciculture, qui ont bénéficié de 75 millions de dollars de crédits fournis par le ministre Dhaliwal. Sauf dans un cas, aucun montant n'a été versé aux Premières nations. Le reste des crédits a été affecté à Nanaimo et à d'autres régions. Rien n'a été fait en collaboration avec les Premières nations; on ne nous a pas demandé de participer. On se contente de mettre les choses en route et on m'appelle par la suite pour me demander «Voulez-vous vous joindre à nous?»

Il y a désormais un plan de récupération des poissons qui se sont échappés. Je faisais partie de l'équipe concernée mais on m'a demandé de m'en retirer et je suis parti. Que va-t-on bien pouvoir récupérer si aucun poisson n'est censé s'échapper? Voilà un drôle de plan. Dans un plan de récupération on comptabilise tous les poissons qui ont été récupérés depuis l'entrée en service des piscicultures, lorsque tous ces saumons se sont échappés. Comment se fait-il que ces poissons sont remontés jusqu'en Alaska? Pourquoi retrouve-t-on des saumons qui se sont échappés dans les îles Aléoutiennes? Quelqu'un m'a dit qu'ils essayaient de retourner dans l'Atlantique, mais qui peut croire à une telle chose.

Il y a aussi désormais un programme intitulé «Atlantic Watch». Nous avons essayé d'y participer parce que l'on s'efforce dans ce cadre de se débarrasser du saumon de l'Atlantique que l'on retrouve dans presque toutes les rivières de ma région.

J'ai assisté à une conférence à Bellingham au cours de laquelle un professeur de biologie de l'Université de Seattle a déclaré que ceux qui ne croyaient pas à la pisciculture n'étaient pas bien dans leur tête. Nous sommes deux à nous être levés pour lui dire: «Nous ne sommes pas bien dans nos têtes.» Ils pensent que c'est la panacée. On voit bien qu'ils n'ont jamais mangé de saumon rouge. Ils essaient de comparer ce poisson gluant qui sort des piscicultures au poisson que je connais.

L'autre jour, alors que tout un groupe revenait de Knight Inlet, le capitaine d'un bateau pêchant à la seine s'est arrêté près d'une pisciculture parce qu'il y connaissait quelqu'un. Sur le quai, il y avait des entrailles de saumon d'élevage et des poissons-chandelle à côté. De toute évidence, les poissons-chandelle avaient été retirés de l'estomac de ces poissons.

Je sais bien que sur la côte Est, le saumon de l'Atlantique figure désormais sur la liste des espèces en péril. Même s'il en est ainsi, je ne pense pas que nous en ayons besoin ici.

Pour ce qui est de ce document, je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'en discuter ici parce que vous avez déjà reçu les recommandations qui ont été remises au comité sénatorial à Alert Bay. Je vous le répète, nous n'avons jamais été mis au courant de la situation ni des études qui ont pu être faites, par exemple, au sujet des effets de l'éclairage de nuit. C'est l'une des questions essentielles. Pourquoi ne cherche-t-on pas une meilleure implanta tion des piscicultures? Comment se fait-il que les bancs de palourdes deviennent gluants. Comment se fait-il que les palourdes deviennent plus sombres et que les gens ne les mangent plus? Qu'arrive-t-il aux crevettes? Qu'arrive-t-il aux crabes? Il ne reste pratiquement aucune de ces espèces sur notre territoire.

Il n'est pas besoin d'être scientifique pour s'apercevoir que mon peuple a faim. Il ne peut plus s'alimenter comme il le faisait en raison de l'existence des piscicultures.

Nous voulons tout simplement que les piscicultures soient confinées dans des enceintes. On m'a demandé de voir, d'entendre et de parler pour mon peuple. Je me suis opposé à ces projets parce que, selon les principes de mon peuple, la priorité doit être donnée aux poissons vivant à l'état naturel. J'essayerai de répondre à vos questions. J'aurais bien d'autres choses à dire au sujet des piscicultures, mais je m'en abstiendrai pour l'instant.

Le président: Merci, monsieur Alfred. C'est toujours un plaisir de vous entendre et vous ne nous avez pas déçus aujourd'hui. J'ai particulièrement aimé l'histoire des saumons de l'Atlantique perdus en Colombie-Britannique qui s'efforcent de revenir dans l'Atlantique. Je les imaginais en train de se demander s'il était préférable d'emprunter le passage du Nord-Ouest ou le canal de Panama.

Le témoin suivant est John Volpe, qui a déjà fait un exposé à notre comité l'année dernière. Merci, monsieur Volpe pour les photos du voyage de notre comité en Colombie-Britannique. Par ailleurs, je tiens à vous féliciter au nom de notre comité d'avoir obtenu votre doctorat et d'avoir été nommé à l'Université de l'Alberta.

M. John Volpe, Département de biologie, Centre pour la santé de l'environnement, Université de Victoria: Merci de m'avoir invité à prendre la parole aujourd'hui. Je m'en tiendrai à une mise à jour des observations que j'ai déjà faites devant votre comité. La plupart de mes travaux ont désormais été révisés par mes pairs au plan international et je me sens mieux à même de faire un certain nombre de conclusions définitives qui, je l'espèce, vous aideront dans vos délibérations.

Les saumons de l'Atlantique échappés des piscicultures sont en mesure de frayer dans les cours d'eau de la Colombie-Britannique C'est absolument prouvé. Même si les poissons d'élevage ne frayent pas avec autant de vigueur qu'on pourrait l'attendre des saumons de l'Atlantique vivant à l'état naturel, ils n'en vont pas moins frayer et produire une descendance viable.

Cette descendance peut survivre dans les cours d'eau et c'est là le point essentiel parce qu'on avait pensé que ce n'était pas le cas lorsqu'on a introduit cette espèce dans la province. Personne n'a été vraiment surpris lorsqu'à l'occasion un couple de saumons de l'Atlantique a pu frayer. On pensait cependant que le saumon du Pacifique allait opposer une résistance biologique aux alevins susceptibles de se développer et de migrer. Il n'en est rien.

Ces alevins de saumons de l'Atlantique peuvent notamment survivre parce que les populations de salmonidés du Pacifique sont sous-représentées à l'heure actuelle dans les cours d'eau comparativement à leur abondance au siècle dernier. La dernière fois que l'on a essayé d'introduire le saumon de l'Atlantique en Colombie-Britannique, les résultats ne pouvaient pas se comparer à ceux d'aujourd'hui parce que les populations actuelles sont au plus bas. C'est notamment le cas du saumon arc-en-ciel, la seule espèce, compte tenu de l'écologie du saumon du Pacifique, qui peut offrir une certaine résistance au saumon de l'Atlantique. Les saumons arc-en-ciel sont éventuellement encore moins bien lotis que le saumon coho et que le saumon quinnat, c'est tout dire, et nous savons à quel point ces deux types de populations sont mal en point. C'est encore pire pour les saumons arc-en-ciel. À partir du moment où il n'y a pas suffisamment de saumons arc-en-ciel pour résister au saumon de l'Atlantique, ce dernier tire parti de cet avantage et c'est ce que nous voyons aujourd'hui.

Nous l'avons constaté lors d'essais effectués dans le ruisseau Amor de Cosmos, qui a désormais une population florissante de saumons de l'Atlantique à l'état sauvage. Ces résultats confirment que les populations à l'état sauvage vont concurrencerles salmonidés vivant à l'état naturel et qu'elles vontvraisemblablement se maintenir à long terme.

Quand je parle de «concurrencer», je veux parler d'un double effet négatif. Lorsqu'on est en concurrence, il y a desinconvénients pour chacun des concurrents. Le résultat est donc le suivant: s'il y a concurrence, qui va en sortir gagnant à long terme? Il ressort de nos études qu'une fois que le saumon de l'Atlantique se sera établi, il finira par gagner. C'est ce qui devrait nous inquiéter.

Je me sens obligé de préciser certains points à la lecture des procès-verbaux des séances précédentes et des documents présentés par certains témoins. La question n'entre pasprécisément dans le cadre de mes recherches, mais je me sens cependant qualifié pour donner mon avis.

Le programme d'aquaculture durable a reçu 75 millions de dollars de crédits du MPO par l'entremise d'Yves Bastien. Ces 32,5 millions de dollars ont été annoncés dans le cadre de la R-D scientifique. Tous les programmes dont j'ai eu connaissance jusqu'à présent ont été axés sur l'amélioration de la production et la réduction des coûts. Il n'y a aucun projet - là encore à ma connaissance - tenant compte des coûts qui sont imposés aux citoyens du Canada du fait des extériorités dont bénéficie l'industrie. J'entends par là les poissons vivant à l'état naturel qui servent d'aliments. C'est une ressource qu'utilise couramment l'industrie dans son propre intérêt.

L'industrie externalise par ailleurs ses déchets. Je les assimile à des déchets industriels. Les agents antibactériologiques etantiparasitaires utilisés pour les filets, par exemple, en Colombie- Britannique, sont rejetés dans l'environnement qui nous est commun à tous - à moi comme à vous. C'est inacceptable et je considère qu'une partie au moins de ces 32,5 millions de dollars devraient être affectés à la protection des ressources communes.

On a évoqué «l'impact écologique» de la salmoniculture en disant, par exemple, que si l'on plaçait les unes à côté des autres toutes les piscicultures de la Colombie-Britannique, leur surface ne dépasserait pas celle du parc Stanley ou de son équivalent. Cette comparaison est ridicule, disons-le carrément.

La salmoniculture offre un rendement particulièrementmédiocre lorsqu'il s'agit de transformer des facteurs de produc tion biologique en produits finis, autrement dit, de transformer des aliments en viande de saumon commercialisable. Je vous renvoie à un certain nombre de tableaux que j'ai fait figurer ici pour illustrer ce manque de rendement. Voici ce que l'on peut conclure de ces tableaux: pour «produire» les aliments qu'exigent la salmoniculture, l'entreprise d'élevage a besoin de s'appuyer sur une superficie maritime 40 000 ou 50 000 fois plus grande que la surface de la pisciculture elle-même. Autrement dit, pour chaque mètre carré de surface d'élevage retenu par des filets, il faut entre 40 000 et 50 000 mètres carrés de surface océanique pour produire les poissons que vont consommer ces saumons.

Voilà pour ce qui est des facteurs de production. On n'a pas quantifié les déchets à la sortie. La production de ces saumons s'apparente essentiellement à celle d'un élevage industriel, d'un parc d'engraissement, qui produit des déchets. Ces déchets sont rejetés dans l'environnement et nous n'avons aucune idée de leur effet. Mon nouveau laboratoire se lance dans un projet visant à quantifier l'étendue et l'ampleur de ces effets biologiques sur la zoostère marine et sur les zones rocheuses intertidales adjacentes - les «pépinières» de l'écosystème de la pêche côtière. En fait, «l'impact écologique» de la salmoniculture ne se mesure pas en terme de surface des filets servant d'enceinte. Le problème est plus vaste que cela.

Le Programme de surveillance du saumon de l'Atlantique, qui permet de suivre la situation, ne nous permet pas d'apporter des solutions. Ce programme nous fournit les statistiquesintéressantes, mais qui sont loin de nous donner toutel'information. Les captures de saumon de l'Atlantique, qui correspondent par conséquent à des poissons qui se sont échappés, n'ont pas à être obligatoirement signalées. On ne sait pas quel est le pourcentage de pêcheurs qui le font. Par conséquent, les statistiques fournies par le Programme de surveillance des saumons de l'Atlantique ne correspondent qu'à un minimum et on ne connaît pas le maximum.

Lorsqu'on examine les chiffres et qu'on les répartit selon la saison et l'activité correspondante dans la région au moment considéré, on rend compte en fait de l'intensité des activités de pêche. Lors de l'ouverture de la saison, le nombre de saumons de l'Atlantique qui sont signalés augmente; lorsqu'elle ferme, il diminue. Est-ce que cela reflète véritablement le nombre de saumons de l'Atlantique présents le long de la côte au moment considéré? Évidemment non. Là encore, ce sont des chiffres indicatifs, qui ne correspondent cependant qu'à un minimum.

Il n'y a aucun protocole d'échantillonnage, ce qui ne nous permet pas d'utiliser ces données pour faire des prévisions. Elles ne sont qu'indicatives, mais on ne peut rien en tirer de concret parce qu'on ne peut pas leur faire confiance. Aucune surveillance, quelle qu'en soit l'ampleur, ne limitera les effets du saumon de l'Atlantique - quels qu'ils puissent être - ou de l'aquaculture en général.

À l'heure actuelle, nous avons suffisamment de données pour pouvoir conclure en toute confiance que le saumon de l'Atlanti que s'établit en Colombie-Britannique. La question est la suivante: que faire? Une augmentation des ressources ne servant qu'à contrôler la progression de l'espèce est à déconseiller. Nous devrions pouvoir apporter une «valeur ajoutée» au programme de surveillance du saumon de l'Atlantique en essayant de recueillir davantage d'informations étant donné les ressources considérables qui sont affectées à ce programme.

Nous devons cesser d'opposer le saumon de l'Atlantique au saumon du Pacifique et envisager la question à l'échelle de l'écosystème. Lynn Hunter a évoqué précédemment la question. Si la présence du saumon de l'Atlantique a des effets négatifs sur le saumon du Pacifique, il y aura des ramifications et les difficultés ne s'arrêteront pas là. Si le saumon du Pacifique se met à décliner, il y aura un effet de domino.

Toutes les semaines, il y a de nouvelles études qui nous font comprendre que les écosystèmes sont l'aboutissementd'interactions complexes avec lesquelles nous commençons seulement à nous familiariser. Nous savons que la qualité de vie dont bénéficient les Canadiens est due en grande partie aux subventions et aux services tirés de notre écosystème - un air pur et de l'eau pure, par exemple. Ces services n'apparaissent pas comme par enchantement; il y a tout un réseau d'interactions, de causes à effets et de petits et grands équilibres qui, au bout du compte, donnent naissance aux produits et aux services dont nous dépendrons pour notre survie.

Dès qu'on touche à un élément de ces réseaux complexes, les répercussions peuvent être considérables et les effets très éloignés de la perturbation causée à l'origine. Je tiens à attirer votre attention sur un scénario local intéressant que l'on vient de reconstruire. Il vous prouve que l'on ne peut s'en tenir aveuglément à une seule relation de cause à effet lorsqu'on examine une situation globale.

Les populations de poissons au large des côtes diminuent depuis un certain nombre d'années. C'est bien prouvé. Toutefois, ces populations venant à diminuer, celles des lions de mer se sont mises à diminuer elles aussi. De toute évidence, ils ne pouvaient plus s'alimenter comme avant. Par conséquent, les prédateurs des lions de mer, les épaulards, se sont mis à manger des loutres de mer, dont la population s'est mise à baisser. Les oursins verts sont la principale proie des loutres de mer, les prédateurs des oursins de mer n'étant plus là, leur population a explosé. Que font les oursins? Ils mangent du varech. En raison de l'explosion de leur population, les oursins ont mangé le varech jusqu'à laisser les rochers nus. Que fait le varech? Il sert d'habitat et de pépinière à des variétés de poissons commercialement importantes le long des côtes et à l'intérieur des côtes. La baisse des populations de poissons au large des côtes entraîne donc, par des voies détournées, le déclin, le long du littoral, d'espèces de poissons importantes sur le plan économique, ce que personne n'aurait pu prévoir au départ. Bien entendu, chacune de ces espèces tout au long de cet enchaînement de causes à effets va entraîner à son tour des diminutions ou des augmentations de population d'autres espèces.

Je veux dire par là que l'enjeu dépasse peut-être de beaucoup le seul saumon du Pacifique, même si cette question mérite certainement notre attention. Une fois que le génie est sorti de bouteille, on ne peut plus revenir en arrière; on ne peut pas prévoir le sens ni la portée de l'aventure dans laquelle va nous plonger ce génie.

Je suis partisan d'une démarche nous amenant à faire preuve de précautions et, en dépit de ce qu'ont dit certains témoins précédents, il existe une doctrine ratifiée par l'ONU qui précise exactement en quoi elle consiste. On parle plus couramment de «principe de précaution» et un document est disponible sur cette question.

J'attire votre attention sur deux tableaux qui se trouvent à la fin de mon mémoire. Ils ont été conçus par Peter Tyedmers, qui vient de terminer son doctorat à l'Université de la Colombie-Britanni que. C'est un travail absolument brillant qui illustre les inconvénients de l'aquaculture telle qu'elle est pratiquée à l'heure actuelle. Cette étude rapproche le faible rendement du système actuel d'une exploitation durable de l'aquaculture confinée dans des enceintes.

Le président: Merci, monsieur Volpe. Comme d'habitude, et comme la dernière fois, vous avez réussi à nous présenter des arguments très convaincants. Nous vous en sommesreconnaissants.

Le sénateur Carney: Je vais d'abord interroger M. Volpe et je poserai ensuite une question à M. Alfred.

Est-ce que tous les pisciculteurs récoltent du krill?

M. Volpe: Oui, entre autres.

Le sénateur Carney: On me dit que ce n'est pas une pêche importante, mais je crois savoir que le krill est important pour la pêche au hareng ce qui, bien entendu, se répercute dans toute la chaîne alimentaire. Est-ce que cela vous inquiète? Est-ce que c'est l'une des répercussions qui vous préoccupent?

M. Volpe: Oui, bien sûr. Les saumons consomment en fait moins de krill que de farine et d'huile de poisson tirés d'autres espèces. Généralement, elles sont importées d'Amérique du Sud. Le krill est le seul produit tiré des eaux de la Colombie-Britannique.

Pour vous donner un ordre d'idée, les piscicultures d'Europe ont besoin de 90 p. 100 de la production de la mer du Nord pour rester en activité. À l'heure actuelle, par conséquent, 90 p. 100 de la production primaire de la mer du Nord alimente les piscicultures, et c'est dans ce sens que nous nous orientons. La réussite actuelle de notre industrie se fait au détriment de la pêche des pays de l'Amérique du Sud, qui commencent cependant à nous écarter progressivement. Nous serons obligés de tirer ces ressources d'autres eaux.

Le sénateur Carney: Le vérificateur général nous dit dans son rapport que le MPO gère ce domaine comme s'il y avait peu de risques alors qu'il y en a beaucoup. D'après lui, cette question n'a jamais été soulevée. M. Alfred vous a dit que le commissaire à l'aquaculture lui avait annoncé que dans 19 ans il n'y aurait qu'un type de pêche tout le long de la côte et que ce serait l'aquaculture. Pouvez-vous nous dire d'emblée quelles seraient les conséquences sur le littoral? S'il n'y avait qu'un seul type de pêche - celle des poissons élevés dans des cages à filets - et compte tenu de l'enchaînement de «causes à effets», quelles seraient lesrépercussions?

M. Volpe: C'est une question difficile. Le problème, c'est que nous n'en savons rien à l'heure actuelle. Nous ne savons pas quelles sont les répercussions d'une entreprise de pisciculture. La question paraît très simple: quelles sont les répercussions pour chaque unité élevée en pisciculture? Nous n'en avons aucune idée. S'il nous fallait remplacer l'intégralité de la pêche commerciale par la salmoniculture, nous n'avons aucune idée des répercussions éventuelles.

Le travail que je fais depuis cinq ans me prouve que les hypothèses faites au sujet du saumon de l'Atlantique en Colombie-Britannique sont fausses. Je n'ai même pas commencé à envisager les répercussions. Nous avons certainement la preuve qu'elles sont considérables et totalement négatives, mais on ne connaît pas leur ampleur.

Si l'on recourait exclusivement à l'aquaculture, est-ce que les résultats seraient positifs? À l'heure actuelle, je pense que tout indique que ce ne serait pas le cas.

Le sénateur Carney: Monsieur Alfred, lorsque vous nous parlez de la disparition de la pêche du saumon à l'état naturel de l'archipel de Broughton, par exemple, et du reste du territoire des Premières nations, quelles seraient selon vous les répercussions sur votre territoire s'il ne restait que la pisciculture? Il y aurait quelques emplois disponibles à 8 $ de l'heure, mais tout le monde habiterait probablement à Campbell River. Qu'est-ce que cela entraînerait pour votre Première nation?

M. Alfred: Cela me rappelle l'époque où la Reine nous avait rendu visite et nous avait demandé quelle était l'étendue du territoire dont nous avions besoin. Nous lui avions dit que nous avions besoin de milliers d'acres. On nous a répondu que ce n'était pas indispensable, car notre jardin et notre congélateur, c'était la mer. Si vous nous enlevez cela, c'est la famine qui nous guette; notre peuple suit le rythme des saisons.

Dès le printemps, il pêche le flétan et les poissons-chandelle; il creuse pour trouver des palourdes et il ramasse le varech. Puis, en hiver, il va ramasser les oeufs de harengs, qui frayent sur le varech, les oursins et tous les autres produits de la mer qui entrent dans son alimentation. Je crois que ce serait la fin de mon peuple en tant que Première nation.

Ce serait le début de la fin parce que mon peuple refuse de consommer le saumon d'élevage. Il s'en méfie parce qu'il a entendu l'histoire des crocodiles et il refuse par conséquent de manger du saumon d'élevage. Toutefois, c'est une autre histoire que je vous raconterai une autre fois.

Mon peuple suit les saisons et les gens peuvent vous dire sans calendrier quel est le jour de l'année simplement d'après le temps et la nourriture disponible. Mon peuple a réussi à survivre, même lorsque les temps étaient difficiles, grâce à la pêche. Ce n'est que récemment que les pisciculteurs ont invité mon peuple à rendre visite à leurs exploitations. Il n'y a d'ailleurs pas longtemps que les pisciculteurs autorisent les groupes qui font des expéditions en kayak à traverser leurs exploitations, et c'est uniquement parce que le gouvernement les oblige à être plus accueillants et à faire preuve d'une plus grande transparence vis-à-vis des gens qui les entourent.

Si les palourdes, les poissons-chandelle et tous les poissons vivant à l'état naturel disparaissent, ce sera la mort de notre peuple. C'est aussi simple que cela; ce sera sa mort. Les habitants de l'île Gilford ne refusent pas de quitter leur village, mais ils survivent et sont en bonne santé, principalement parce qu'ils ont encore quelques chevreuils et tout ce qui vit dans la mer. Mon peuple dépend de ce qui vit dans les eaux. Toutes les tribus que vous voyez sont installées près d'un cours d'eau et c'est ce qui leur permet de survivre. Elles considèrent en fait que la pisciculture est responsable du déclin de toutes les espèces sur le territoire.

Le sénateur Carney: Les témoins de Port McNeill qui ont comparu précédemment nous ont fait remarquer que la plupart des piscicultures de l'archipel de Broughton se trouvaient dans des zones qualifiées de «non environnementales» dans le cadre du processus d'évaluation environnementale. Ces piscicultures ne répondent pas aux normes d'évaluation environnementale de la Colombie-Britannique.

J'ai eu la chance de pouvoir consommer du flétan, des poissons-chandelle et des poissons vivant à l'état naturel dans la région de M. Alfred - la région de Broughton - qui est magnifique. Je comprends qu'il s'inquiète de la survie de son peuple.

Le sénateur Cook: Monsieur Alfred, votre exposé m'inquiète quelque peu. Quelle est la solution que vous préconisez face au dilemme que pose à votre peuple l'aquaculture dans votre région?

M. Alfred: Je ne pense pas que le saumon d'élevage pourra remplacer un jour ce que nous avons actuellement. Pour mon peuple, pouvoir aller chercher les animaux dans la nature et non pas les mettre en cage de manière à les avoir sous la main quand on veut les consommer, c'est à la fois une activité sportive, un travail et un mode de vie. Mon peuple ne serait plus en mesure de pêcher ou de chasser. Il deviendra aussi mou et flasque que les saumons qui tournent dans les cages.

Surtout, il s'agit d'un empiétement. Je n'aime pas évoquer la question des revendications territoriales, mais cela va totalement à l'encontre des droits reconnus aux Autochtones par les disposi tions du paragraphe 35(1) de la Loi sur les pêches; il n'y a pas d'autre façon de voir les choses. Si ces poissons d'élevage viennent remplacer l'alimentation naturelle de mon peuple, cela revient à lui enlever ses droits, parce qu'il faut payer pour avoir une pisciculture et des saumons d'élevage. Il faut payer pour faire l'acquisition du site, alors que les tribus qui composent mon peuple ont leurs propres territoires. Voilà comment les choses pourraient bien se passer à mon avis. Le gouvernement fédéral et la province ont l'obligation fiduciaire de prendre soin de leurs enfants, les Premières nations.

Le sénateur Cook: Estimez-vous que la présence de piscicultures dans votre région a des effets sur les populations de poissons vivant à l'état naturel?

M. Alfred: Oui, bien sûr.

Le sénateur Cook: Est-ce que ça risque de les faire disparaître complètement?

M. Alfred: Je suis un pêcheur qui a perdu la possibilité de travailler. Voilà trois ans que je ne fais plus de pêche commerciale et que je m'efforce de raisonner les gens pour que les populations de poissons reviennent et que je puisse me remettre à pêcher. Il n'y a pas d'emploi dans les piscicultures. Les 40 sites offrent 80 emplois et il y a 8 000 Kwakuitl - 40 emplois alors qu'il y n'y en avait au moins 400 il y a deux ans. Tout cela vient du fait que les piscicultures ont fait disparaître les poissons vivant à l'état naturel.

La province et le gouvernement fédéral se sont engagés en faveur de la pisciculture. Le ministre Dhaliwal a déclaré, à Alert Bay, que c'est grâce à cela que l'on allait soulager le sort des Premières nations et qu'il fallait penser à tous ces beaux emplois qu'on allait pouvoir leur offrir. On oublie cependant de nous dire que la plupart de ces emplois sont pour les conducteurs de camions qui font le trajet de Vancouver à New York et pour les garçons de restaurants de New York. Il n'y a aucune retombée sur le territoire des Kwakuitl. C'est l'ensemble des retombées qui est catastrophique. Nous serons les esclaves des piscicultures; nous travaillerons pour un responsable de New York ou de Terre-Neuve.

Le sénateur Cook: Pensez-vous que l'existence despiscicultures soit la seule explication du déclin des populations de saumons vivant à l'état naturel?

M. Alfred: Non. Je ne suis pas scientifique et je ne peux donc pas vous exposer les effets du réchauffement de la terre et de l'exploitation forestière. Personne n'a rien fait à ce sujet. Vous savez comme moi et le monde entier sait que c'est d'abord à cause de l'exploitation forestière que le saumon est arrivé au bord de l'extinction, parce que l'on a pollué les rivières. Comment se fait-il que j'ai pu voir 20 000 saumons rouges flottant le ventre à l'air au fil de l'eau et que l'on m'a alors répondu que c'était une erreur et que l'on était bien désolé. Toutefois, ces poissons ne sont jamais revenus. Je n'irai pas jusqu'à dire que les piscicultures sont responsables à 100 p. 100; ce n'est pas le cas. Il y a aussi d'autres facteurs.

Sur mon territoire, nous craignons pour les alevins qui descendent de la rivière pour entrer dans l'océan en raison de l'éclairage de nuit. Comprenez bien ce qui se passe au sujet de cet éclairage. L'éclairage de nuit attire tous les saumons qui retournent dans l'océan. Combien de ces millions d'alevins qui descendent la rivière parviennent à l'océan? Nous n'en savons rien. Nous ne pouvons rien prouver. Nous avons besoin de crédits pour faire ce genre d'études et engager des biologistes qui viennent nous dire quelles sont effectivement les conséquences. Nous n'avons pas réussi à le faire.

Le président: Je signale à l'intention de tout le monde que le vérificateur général adjoint aux Affaires internationales,M. Ronald Thompson, est ce soir parmi nous et prend des notes.

Le sénateur Moore: Madame Hunter, j'aimerais faire une ou deux observations et poser ensuite mes questions. Les tenants de l'aquaculture soutiennent que cette activité est de type rural et offrent des emplois dont on a bien besoin et de nombreuses retombées économiques au profit des collectivités rurales du littoral qui sont très touchées par la baisse des populations de poissons vivant à l'état naturel, que cette activité est le complément de la pêche, qu'elle offre des débouchésincontestables dans les secteurs des services et des techniques spécialisées dans le domaine et qu'elle ouvre d'immenses possibilités de développement ultérieur. Ils soutiennent que les contraintes imposées à l'expansion du secteur coûtent des emplois aux collectivités du littoral. D'un autre côté, la réglementation de la salmoniculture ne respecte pas les normes exigées par les adeptes de la conservation et les écologistes, les pêcheurs commerciaux, les Premières nations, les entreprises de loisir et de tourisme, les propriétaires du bord de mer et les autres usagers de la côte.

Madame Hunter, quel palier de gouvernement - legouvernement fédéral ou la province - doit ou devrait être le chef de file pour créer un cadre facilitant la coexistence de la salmoniculture et de la pêche traditionnelle du saumon vivant à l'état naturel? Ma deuxième question est la suivante: est-ce la Fondation David Suzuki s'oppose à toute forme d'aquaculture?

Mme Hunter: Le débat de l'emploi est un faux débat car, comme vous l'a expliqué le sénateur Carney, il y a une substitution d'emplois, les grosses sociétés, qui dominent la salmoniculture, ayant pris le contrôle des collectivités locales du littoral. Ces collectivités perdent leur autonomie. L'indépendance des gens des collectivités du littoral est remise en cause. Le gouvernement fédéral et la province contribuent à créer cette situation totalement absurde. Nos propres gouvernements contri buent à réduire les droits des citoyens appartenant aux collectivi tés du littoral. Ça ne m'étonne pas, parce que j'ai ma propre idée des raisons pour lesquelles on a créé cette situation. Je félicite toutefois le vérificateur général d'avoir publié son rapport, parce qu'il reconnaît que le gouvernement fédéral, agissant par l'intermédiaire du ministère des Pêches et des Océans, ne fait pas ici son devoir.

C'est un mythe de croire que la salmoniculture aide en quelque sorte les populations vivant à l'état naturel à se rétablir. C'est nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Au contraire,la salmoniculture, étant donné ses répercussions surl'environnement, contribue au déclin des populations vivant à l'état naturel.

J'ai contribué à recueillir l'information nécessaire et j'ai participé à la production du documentaire de la CBC intitulé The Price of Salmon, et j'ai été vraiment abasourdie par les constatations que l'on a pu faire à cette occasion. L'information ne nous était pas fournie par des écologistes purs et durs, mais par des scientifiques indépendants. Je m'inquiète de voir que le gouvernement ne veut rien savoir de cette information. Les responsables du bureau d'Yves Bastien et du ministre Dhaliwal font très attention lorsqu'ils posent des questions. Ils ne posent que les questions dont ils veulent avoir la réponse. John Volpe aura certainement des observations à faire à ce sujet. Ils élaborent avec soin les projets de recherche pour aller dans le sens de leur thèse. Les projets de recherche bénéficiant de crédits du gouvernement qui font état de conclusions non conformes à l'orientation prise par ces responsables se voient retirer leurs subventions, et la chose s'est produite à maintes reprises.

L'appui apporté par le gouvernement fédéral à l'aquaculture est très inquiétant parce qu'il enlève tout pouvoir aux citoyens des collectivités du littoral. Cet appui, comme nous l'a dit M. Alfred, rend ces collectivités esclaves des piscicultures. Dans la pratique, les citoyens indépendants des collectivités du littoral deviennent, avec l'aide de notre gouvernement fédéral, les esclaves des sociétés multinationales.

Je considère que le gouvernement fédéral doit être le chef de file de la protection des poissons vivant à l'état naturel et de leur habitat. Il faut bien évidemment qu'il joue un rôle de chef de file lorsqu'il s'agit d'être en phase avec ses citoyens. En ma qualité d'ancienne députée, je suis très déçue de voir que nos pouvoirs publics sont les porte-coton de l'industrie privée.

Le sénateur Moore: Est-ce que votre fondation s'oppose à toute forme d'aquaculture ou est-ce que selon vous cette forme d'activité a un rôle positif à jouer?

Mme Hunter: Oui. Nous considérons que la salmoniculture confinée dans une enceinte a tout à fait un rôle à jouer. J'ai rencontré un représentant de Mariculture Systems, et j'ai ici un document. On peut y voir un système de confinement que l'on s'efforce d'implanter en Colombie-Britannique. Il est bien étrange et paradoxal que des organisations écologistes comme la nôtre doivent faire ce genre de chose. Je mets cette entreprise en contact avec des gens qui s'intéressent à l'élevage confiné dans des enceintes étant donné que les gouvernements et l'industrie de la salmoniculture s'en désintéressent. Ils s'opposent à toute nouvelle technologie pour ne pas avoir à reconnaître que tout ne va pas pour le mieux selon les méthodes actuelles.

Nous sommes effectivement en train d'essayer de changer la salmoniculture en la confinant dans des enceintes.

Le sénateur Moore: Vous avez déclaré, madame Hunter, que la salmoniculture contribuait au déclin des populations de poissons vivant à l'état naturel. De quelle façon? Est-ce que vous voulez parler des saumons d'élevage qui s'échappent?

Mme Hunter: C'est l'un des facteurs. M. Volpe pourra vous en parler parce que cela réduit la diversité biologique. Il y a aussi les maladies et les parasites qui découlent de la salmoniculture. Les poux des poissons se fixent sur les saumoneaux vivant à l'état naturel lorsqu'ils sortent des rivières. Ces piscicultures sont situées dans les meilleures embouchures et lorsque les alevins - les saumoneaux - sortent des rivières, ils sont infectés par les poux. C'est comme dans un parc d'engraissement. Les poux de mer s'installent comme n'importe quel type de parasite dans un milieu aussi fermé avec une telle densité de poissons. Ces poux contribuent largement au déclin. Les saumoneaux sont infectés de poux lorsqu'ils passent près des piscicultures et ils meurent. Cela se traduit par la disparition des populations vivant à l'état naturel.

La spécialité de M. Volpe, ce sont les répercussions de la présence du saumon de l'Atlantique et ses effets sur la diversité biologique. Les poux de mer et les maladies sont deux autres facteurs qui entrent en jeu. Sur la côte de l'Atlantique, il arrive désormais que les saumons vivant à l'état naturel souffrent d'anémie infectieuse. On nous avait garanti qu'une telle chose ne se produirait pas.

Là encore, les recherches effectuées par le gouvernement fédéral sont sélectives. Il ne veut entendre que de bonnes nouvelles. Ce serait vraiment une bonne chose si l'on pouvait répartir équitablement ces 75 millions de dollars de crédits entre des scientifiques indépendants pour leur permettre d'effectuer des recherches en ce qui a trait aux effets sur l'environnement.

M. Volpe: Il y a beaucoup de choses à dire concernant les effets de l'aquaculture sur les populations de poissons vivant à l'état naturel. Des renseignements sont fournis par le document que j'ai apporté. Ce sont 10 scientifiques de réputation mondiale qui en sont les auteurs. Le titre en est le suivant: «Les effets de l'aquaculture sur l'approvisionnement en poissons dans le monde.» On y précise noir sur blanc que la salmoniculture entraîne des pertes nettes pour les populations vivant à l'état naturel dans le monde. Je ne pense pas que cela puisse se discuter. La preuve est concluante.

Quant à dire que l'aquaculture donne des emplois aux collectivités du littoral, c'était vrai à une époque. Lorsqu'on s'est lancé dans l'aquaculture en Colombie-Britannique, il s'agissait d'une activité faisant appel à une forte main-d'oeuvre. Le travail consistait à nourrir les poissons, à nettoyer les filets et à récolter et trier les poissons. Tous ces emplois ont été informatisés - notamment ceux qui demandaient le plus de main-d'oeuvre, tels que le nettoyage des filets. Lorsqu'on nous dit que l'aquaculture va procurer des revenus aux collectivités du littoral, j'en doute un peu. De nos jours, on va voir normalement un directeur et éventuellement deux autres employés sur le site de chaque exploitation. Les emplois étant de nature très technique et comme il faut beaucoup de connaissances pour faire fonctionner le matériel, le recrutement ne se fait pas au niveau local. Le personnel a été formé dans des instituts techniques et il provient des milieux urbains. Même s'ils habitent éventuellement dans la région pendant qu'ils travaillent, les employés ne sont pas considérés comme des résidents locaux.

Il faut là encore replacer dans un cadre plus général les retombées en matière d'emplois.

Mme Hunter a évoqué la participation du MPO dans ce domaine. Lorsque j'ai comparu antérieurement devant le comité, j'ai signalé que ma recherche était la seule évaluation scientifique des effets potentiels sur l'écologie de l'élevage du saumon de l'Atlantique en Colombie-Britannique. La situation n'a pas changé. Cette recherche reste à l'heure actuelle la seule évaluation de nature scientifique. Par «science», j'entends «recherche empirique» et non pas simplement le fait d'aller recueillir au hasard des données comme dans le cadre du Programme de surveillance du saumon de l'Atlantique. Ce programme a un objectif, mais on ne peut pas le considérer comme étant «scientifique».

Les retombées de cette recherche ont désormais attirél'attention de scientifiques de réputation mondiale. Nous avons entrepris de mettre sur pied des projets de grande envergure qui doivent répondre aux questions que l'on se pose touchant lesrépercussions du saumon de l'Atlantique en Colombie-Britannique. Lorsqu'un de ces grands chercheurs universitaires a contacté le MPO pour obtenir une lettre de recommandation - pas une aide financière, simplement un appui virtuel - on lui a répondu que le MPO à Ottawa ne s'intéressait pas aux recherches menées sur le saumon de l'Atlantique en Colombie-Britannique. Voilà qui me paraît très significatif. Je peux vous dire que cette réaction est conforme aux relations que j'ai pu avoir jusqu'à présent avec le MPO. On en est venu au point où j'ai dû couper tous les ponts, même si les liens étaient bien ténus à l'époque, si je voulais que ma recherche se poursuive.

Le sénateur Carney: Il ne s'intéressait pas au financement de la recherche sur les poissons vivant à l'état naturel?

M. Volpe: Non seulement il ne s'y intéressait pas, mais il a en outre donné l'impression que ce projet serait considéré d'un mauvais oeil. Si on l'obligeait à écrire une lettre, elle ne serait pas favorable, et nous avons donc dû faire machine arrière. Je vous répète qu'il s'agissait de cinq des plus éminents biologistes canadiens spécialistes de la question du saumon dans notre pays. C'était tout à fait symptomatique.

Le sénateur Watt: J'aimerais savoir ce que vous avez à dire au sujet des problèmes que nous rencontrons dans la région subarctique, où coulent trois grands fleuves dans lesquels on trouvait naguère des saumons de l'Atlantique en abondance.

C'est en 1963-1965 que l'on a fait pour la dernière fois de la pêche commerciale dans ces trois fleuves. Au XIXe siècle, la Compagnie de la Baie d'Hudson avait exploité ces fleuves. Depuis les années 60, nous n'avons plus vraiment fait de pêche commerciale si l'on excepte certaines prises faites en quantités limitées.

Le fait est que dans ces trois zones, les saumons de l'Atlantique ont bien diminué ces dernières années, du moins depuis 1964 ou 1965. Ils ne semblent pas revenir. Les populations ne semblent pas devoir revenir au niveau qu'on a connu.

J'aimerais que vous me donniez des réponses, mais vous semblez me dire qu'il n'y a peut-être pas de réponse du tout. Il n'y a peut-être même pas de réponse concernant les piscicultures. Je suis quelque peu découragé par ce que j'attends aujourd'hui.

D'un côté, le ministère des Pêches et des Océans ne se préoccupe pas beaucoup du sort des populations de saumons vivant à l'état naturel. Nous devrions essayer de faire le maximum pour ramener les populations à leur niveau antérieur, mais il est possible qu'on n'y arrive pas. Il faudrait au moins faire des recherches et faire en sorte que ces recherches soient financées par le MPO. Les connaissances scientifiques que l'on pourrait acquérir pourraient être mises à profit à l'avenir.

Ma question porte davantage sur la solution que vous semblez préconiser, soit l'arrêt de l'implantation d'autres piscicultures directement dans l'océan, en raison du dommage susceptible d'être causé à l'environnement et aux espèces vivant à l'état naturel - différentes espèces de poissons, poissons-chandelle, baleines, loutres de mer, etc. Vous semblez préconiser des élevages confinés dans des enceintes.

Pouvez-vous me préciser si vous préconisez l'utilisation des rivières ou des lacs à l'intérieur des terres ou s'il s'agit de construire des enceintes de confinement à terre pour faire l'élevage de ces poissons?

M. Volpe: Les effets des piscicultures et de la salmoniculture peuvent être très divers. Ce ne sont pas uniquement les poissons qui s'échappent qui ont une incidence. La plupart des effets potentiels se font d'ailleurs sentir à la fois sur la côte Est, la côte Ouest et la côte Nord. Nous parlons des effets causés par les déjections, les agents antibactériens et les produits antiparasitaires devant empêcher que des organismes vivants se fixent sur les filets, et qui passent des filets à l'environnement. Ces agents sont toxiques, non seulement pour les poissons, mais aussi pour l'ensemble de l'environnement. N'oubliez pas que la plupart de ces effets n'ont pas encore été déterminés. À mon avis, et il est bien normal que les gens assis autour de cette table puissent penser différemment, nous sommes assis sur un baril de poudre en ce qui a trait aux maladies. Les effets sur l'écologie sont éventuellement bien réels et graves, mais il faudra de nombreuses années avant que nous puissions les déceler. Si nous introduisons des maladies et si nous perdons le contrôle de la situation, tout pourrait disparaître en une génération. C'est très grave.

Comment éviter tous ces problèmes écologiques et ces risques de maladies? La seule façon d'y parvenir, c'est en créant des enceintes de confinement sur terre. Supprimons le point de contact entre ces poissons et l'environnement et l'on pourra alors contrôler tout ce qui entre et tout ce qui sort. Cela fait, on pourra alors exercer un contrôle sur le système.

L'Islande et d'autres pays dans le monde ont déjà instauré un tel système. C'est possible. C'est plus onéreux et il faut faire entrer un peu plus de «matière grise» pour y parvenir. Il faut aussi que le gouvernement fasse preuve d'initiative pour que l'industrie y voie son intérêt.

Mme Hunter: Je vais vous expliquer en quoi consiste les enceintes de confinement. On peut par exemple installer des réservoirs qui flottent sur l'océan; c'est une enceinte étanche posée sur l'océan. Il y a aussi un système de coussins qu'a installé Future Seas à Nanaimo. Ces coussins flottent sur l'océan. Le système que j'ai évoqué dans mon exposé est installé à terre. Tous ces systèmes ont une caractéristique commune; ils sont étanches, ce qui empêche les maladies de se répandre et les poissons de s'échapper; enfin, il y a un mécanisme d'évacuation des déchets qui permet de recycler les déchets et de les déposer loin de l'océan.

M. Alfred: J'ai siégé à Victoria au sein du conseil du groupe d'évaluation environnementale de la province. On nous a demandé de recommander des solutions pour notre région. Mon peuple a déclaré qu'il ne voyait pas d'inconvénients à ce que l'on élève les populations locales si l'on avait décidé de le faire. Par contre, il s'opposait à ce qu'on élève le saumon de l'Atlantique, qui est pour commencer un poisson cannibale. Si ces poissons se retrouvent dans la rivière, ils vont manger tout ce qu'ils peuvent trouver. On en a retrouvé 22 dans la rivière Tsitika. Les responsables de la province sont venus nous voir et ont dépensé tout cet argent pour que nous les aidions à se décider. Quatre ou cinq ans plus tard, nous en sommes toujours au même point. Nous avons fait des films pour montrer ce qui se passe sous les filets. Toutes les matières fécales tombent au fond de l'océan, s'accumulent et forment une grosse pile et les crevettes, les crabes, les phoques et d'autres animaux viennent les manger. Ensuite, c'est nous qui allons à la pêche et qui consommons ces espèces.

Lorsque je siégeais au sein de ce comité, je pensais que le gouvernement allait nous aider. Je faisais confiance à la province. Toutefois, on n'a rien pu faire parce que Corky Evans est venu nous dire que nous pourrions peut-être régler nous-mêmes les choses. J'ai suivi son avis et je suis allé voir le président de l'une des piscicultures. On nous a dit que ça coûterait trop cher, bien trop cher. Qu'est-ce qui est «trop cher» pour sauver les populations vivant à l'état naturel?

Si les piscicultures étaient confinées dans des enceintes sur terre, ce que notre peuple jugerait tout à fait acceptable, pourquoi souhaiterions-nous élever en pisciculture des saumons del'Atlantique sur la côte Ouest? Si vous n'en avez pas assez, venez les rechercher et rapportez-les dans l'Est, ça vous rendra service. On disait il y a deux jours dans les journaux de Vancouver que le saumon de l'Atlantique est désormais classé sur la liste des espèces en péril.

On nous parle par ailleurs d'un plan de récupération. Autrement dit, on s'attend à ce qu'il s'en échappe davantage. Il s'agit ici de mettre fin à cette situation. Je pense qu'il incombe à la province d'adopter une telle loi - d'imposer un confinement dans des enceintes sur terre. Ce n'est pas à nous de continuer à nous démener comme cela. Si la seule façon de sauver les populations vivant à l'état naturel est d'élever le saumon de l'Atlantique à l'intérieur des terres, pourquoi ne pas le faire? Pourquoi le gouvernement fédéral ne protège pas les espèces qui vivent à l'état naturel? Il y a quelque chose qui ne va pas.

Le sénateur Watt: Nous nous heurterons à des difficultés si nous essayons de transplanter dans notre région le saumon de l'Atlantique qui se trouve en Colombie-Britannique. Nous sommes entourés de glaces dans notre région et nous ne pouvons pas faire de l'élevage. Nous sommes toutefois en traind'expérimenter différents projets pilotes. Il ne s'agit pas d'élever du saumon de l'Atlantique, mais l'omble de l'Arctique confiné dans une enceinte à l'intérieur d'un bâtiment. L'exploitation serait par ailleurs très onéreuse étant donné qu'il faudrait chauffer l'eau et le bâtiment.

À partir de quel moment le poisson d'élevage seracommercialisable? Combien faut-il d'années pour que le saumon de l'Atlantique ait une taille suffisante pour pouvoir être commercialisé?

M. Volpe: Il faut quatre ans.

Le sénateur Watt: Est-ce qu'il faut les relâcher dans l'océan?

M. Volpe: Non, ce n'est pas nécessaire. Sa croissance y est tout simplement plus rapide. Dans l'Est, il y a des populations de saumon de l'Atlantique sédentaires - la ouananiche. C'est la même espèce. La ouananiche ne grossit pas autant que le saumon de l'Atlantique qui revient de l'océan, mais elle n'en est pas moins commercialisable.

Le sénateur Watt: Quelle taille faut-il qu'elle atteigne?

M. Volpe: Elle pèse entre quatre et cinq livres. En règle générale, un saumon de l'Atlantique qui revient de l'océan pèse entre huit et neuf livres, tout nettoyé, lorsqu'il est mis sur le marché. Ceux-là seraient un peu moins gros, mais on pourrait certainement en tirer profit en terme de valeur ajoutée lors de la transformation.

Le sénateur Watt: Est-ce que des études scientifiques ont été faites par des groupes de la région concernant d'autrespopulations, épaulards, loutres de mer, etc.?

M. Volpe: Non. Je suis le seul qui effectue actuellement des recherches scientifiques en la matière sur la côte Ouest. Je tiens à préciser que l'exemple que j'ai donné au sujet des épaulards et des oursins verts n'a pas nécessairement grand-chose à voir avec la salmoniculture. C'était juste un exemple des répercussions le long des côtes de ce qui se passe au large, par des circuits très détournés. Il est possible qu'en nous préoccupant uniquement des effets sur le saumon du Pacifique, nous passions à côté d'importantes répercussions qui ont lieu ailleurs.

Le président: Étant donné que nous en arrivons à la fin de notre séance, il y a une ou deux questions que j'aimerais vous poser. Vous savez probablement que M. Bastien a rendu public son examen des lois et de la réglementation. Il demande entre autres dans son rapport de mettre sur pied un mécanisme de contrôle des piscicultures - par catégorie - une fois que le moratoire aura été levé. De cette façon, on pourra contrôler plusieurs piscicultures en même temps, plutôt que de le faire pour chacune d'entre elles. Est-ce que l'un d'entre vous pourrait me faire part de ses impressions et me dire quels seraient les effets d'un tel système s'il était mis en place par le gouvernement?

Mme Hunter: Il est ridicule de penser qu'un contrôle par catégorie peut donner des résultats. Chaque site est censé faire l'objet d'une évaluation environnementale. De cette manière, les différentes caractéristiques - les effets ou les répercussions - de chaque site peuvent être dûment consignées. Un contrôle par catégorie n'est qu'un expédient - une autre façon de subvention ner l'industrie. Il n'est pas dans l'intérêt général de procéder ainsi.

Nous avons vu que les profits tirés de la salmoniculture n'arrivent pas jusqu'aux gens qui sont censés en bénéficier. Si l'on procède à un contrôle par catégorie, un seul contrôle doit être fait pour l'ensemble des installations d'élevage des saumons. Cela ne tient absolument pas compte des caractéristiques propres aux différents sites sur lesquels elles se trouvent.

M. Alfred: En ce qui a trait au ministre Evans et au comité, il y a quelque chose que je peux vous préciser. Le ministre Streifel m'a dit: «Pat, je te garantis qu'il n'y aura pas de pisciculture, le moratoire ne sera jamais levé dans votre région si vous n'en voulez pas, parce qu'il s'agit de votre territoire traditionnel, de votre territoire de chasse qui vous nourrit, et qu'effectivement ce serait empiéter sur vos droits d'accès à cette nourriture en tant qu'autochtones.» Là, le problème devient différent. Je ne peux pas vraiment vous en parler pour l'instant, mais je dois vous dire que les Premières nations ne laisseront pas s'installer davantage de piscicultures sur ce territoire. Nous ferons en sorte que la province respecte cette promesse. C'est ce que nous ont dit le ministre Evans et le ministre Streifel. Je ne veux pas me lancer dans cette discussion parce qu'il y a là bien évidemment une question de droit.

Le président: J'aimerais comprendre comment legouvernement pourrait y parvenir s'il envisageait la chose. Je comprends que la compétence du gouvernement fédéral en ce qui a trait au processus d'établissement relève des dispositions de l'article 35 de la Loi sur les pêches. Comment le gouvernement pourrait-il autoriser ou non un contrôle par catégorie s'il devait intervenir? Est-ce que le commissaire demande que la province ait les pouvoirs nécessaires? Madame Hunter, vous pourriez peut-être répondre à cette question.

Mme Hunter: Comme on pouvait s'y attendre, ce document est bien décevant de la part de M. Bastien, parce qu'il est Commissaire au développement de l'aquaculture. Dans son rapport, le vérificateur général a pointé du doigt la commission en mettant en contradiction la promotion de l'aquaculture avec le rôle de protecteur et de responsable de la réglementation que doit jouer le MPO.

Je vous le répète, le contrôle par catégorie reviendrait une fois de plus à subventionner l'industrie et il n'est pas conforme à l'intérêt général. La compétence fédérale est partagée entre la Loi sur la protection des eaux navigables et la Loi sur les pêches. Dans son document, M. Bastien veut enlever tout son mordant à la Loi sur les pêches.

C'est pourquoi je suis optimiste concernant le rôle que peut jouer votre comité. La mission du Sénat est de revoir les lois qui sont proposées. Si la loi sur l'aquaculture voit le jour sur la foi de l'examen du cadre législatif et réglementaire fait par M. Bastien, le gouvernement devra émasculer la Loi sur les pêches. Ce n'est pas dans l'intérêt général, à mon avis.

Le président: Notre comité propose des recommandations dans ses rapports. Son mandat l'oblige surtout à se tenir bien au courant et à bien savoir ce qui se passe lorsque les lois sont déposées devant le Parlement, afin qu'il y ait ici un groupe de sénateurs qui comprennent bien les enjeux. Il nous faut comprendre les facteurs qui régissent les pêches, l'environnement et le comportement des gens, de façon à être au courant et à ne pas se laisser mener un bateau. Si nous réussissons à acquérir un minimum de notions concernant les différents types de pêche au Canada et leur environnement, nous aurons accompli notre mission.

Le sénateur Carney: Après vous avoir entendu parler de la nécessité de s'informer et après avoir écouté mes collègues, je tiens à expliquer aux sénateurs des Maritimes et de la région de l'Atlantique quelles sont les différences entre la côte Est et la côte Ouest. Tout d'abord, nous pêchons encore des poissons vivant à l'état naturel. Ce n'est pas le cas de la côte Est où la pêche à la morue est au plus bas et où il n'y a plus de saumons de l'Atlantique à l'état naturel dans la baie de Fundy. On retrouve de nombreuses espèces sur la côte Ouest. Sur les cinq espèces de saumon, par exemple, il y en a peut-être deux qui sont gravement touchées, mais les autres se portent très bien. Sur la côte Ouest, il ne s'agit pas de remplacer le saumon de l'Atlantique ou d'autres populations de poissons vivant à l'état naturel par des piscicultu res; nous avons des poissons vivant à l'état naturel qu'il nous faut conserver.

En second lieu, contrairement à ce qui se passe dans les Maritimes, nos Premières nations font de la pêche commerciale. Les Premières nations sont parties prenantes dans la pêche commerciale. Comme vient de l'expliquer M. Alfred, c'est important pour la société traditionnelle et l'économie des Autochtones. Les Premières nations possèdent la moitié de notre flotte commerciale, et le facteur relatif à l'emploi et donc très important.

Je dirais pour finir que l'aquaculture n'est pas le seul élément qui porte préjudice aux pêches sur la côte Ouest. Il y avant tout, au départ, une mauvaise gestion des pêches de la côte Ouest de la part du MPO. Ainsi, une moitié de la population d'Alert Bay appartenant à la communauté de M. Alfred a perdu 50 p. 100 de sa flotte de pêche à la seine en raison de la politique de Mifflin, qui n'a rien à voir avec l'aquaculture.

Comment se fait-il que le secteur commercial ne se mobilise pas pour protéger la pêche des espèces vivant à l'état naturel? Comment se fait-il que les sociétés de pêche, qui gagnent leur vie sur cette côte et exploitent les conserveries, ne se mobilisent pas pour sauver cette pêche alors que les piscicultures se sont mobilisées? Enfin, pourquoi le MPO ne s'en tient pas à son mandat qui est de protéger les poissons vivant à l'état naturel?

M. Volpe: Pour ce qui est de la pêche commerciale, l'une des explications possibles, c'est que ces deux types d'industries sont dirigés par les mêmes responsables. Il y a une structure pyramidale dans ces deux secteurs: au sommet on retrouve les PDG, qui sont à la fois PDG de la pêche commerciale et de l'aquaculture. Si l'on mobilise d'un côté, il y a une gêne de l'autre.

Cela s'explique aussi par le fait que ceux qui ne sont pas en conflit d'intérêts ont du mal à se mobiliser alors que l'information est inexistante. Comment présenter des arguments convaincants sans disposer d'une information qui fait foi? À l'heure actuelle, les gens hésitent à se retrouver sous les projecteurs des médias et ils se contentent de belles paroles.

Le président: J'aimerais faire une rectification concernant l'impression que l'on a pu donner ce soir au sujet du saumon de l'Atlantique sur la côte Est. Certains ont pu avoir l'impression que le saumon figurait sur la liste des espèces en péril. En fait, il n'en est rien. Ce sont uniquement les rivières à saumon de l'intérieur de la baie de Fundy qui sont en grande difficulté, et effectivement les saumons de ces rivières ont été placés sur la liste des espèces en péril.

On n'a pas fini de pêcher la morue dans l'Atlantique au Canada - qui pourrait penser le contraire. Nous avons quelques difficultés au large de Terre-Neuve, et la situation ne semble pas s'améliorer aussi vite qu'elle le devrait. Nous avons aussi des difficultés dans le Golfe. Il n'en reste pas moins que la pêche à la morue sur la côte de l'Atlantique a encore de beaux jours devant elle et il en est de même pour la pêche aux poissons de fond en général - l'aiglefin, le lieu-jaune et la morue dans bien des secteurs de l'Atlantique au Canada se portent très bien. Certains populations augmentent en fait.

Je ne voudrais pas vous donner l'impression que la pêche sur la côte de l'Atlantique est une chose du passé. Cette année, les chiffres d'affaires tirés de la pêche commerciale sur la côte Est ont été parmi les plus élevés qui soient. Nous devons veiller à ne pas laisser aux gens une fausse impression lorsqu'ils liront plus tard les rapports.

Le sénateur Moore: J'airais dans le même sens que vous en précisant qu'en plus des poissons, la pêche aux coquillages et aux crustacés est excellente sur la côte Est. C'est le résultat d'un bel effort de gestion conjointe entre les pêcheurs et le MPO. Je sais que la pêche aux pétoncles au large des côtes se porte bien à la suite de gros investissements faits par l'industrie en travaillant en collaboration avec les scientifiques du ministère.

Cela dit, monsieur Volpe, je réfléchis au contenu de votre rapport et de l'article que vous nous avez distribué. Je regarde le communiqué de presse du ministère des Pêches et des Océans en date du 7 mai 2001, qui fait état de 20 millions de dollars de crédits versés à l'aquaculture sur cinq ans au titre d'un programme de collaboration en matière de R-D. Est-ce de cela dont vous nous parliez tout à l'heure? Est-ce que cela fait partie des 75 millions de dollars de crédits que vous évoquiez?

M. Volpe: Ce que je tiens à préciser, c'est qu'à ma connaissance aucun des projets relevant de cette enveloppe de crédits ne s'est attaché à protéger les investissements publics qui ont été faits dans l'industrie. La plupart de ces projets ont plutôt cherché à protéger les investissements de l'industrie.

Le sénateur Moore: Je pensais que c'est ce que vous vouliez dire et je voulais que vous nous le confirmiez avant que je poursuive dans cette même veine.

Vous signalez dans votre rapport que ces crédits seront affectés dans le cadre d'un programme de R-D en aquaculture à des projets de recherche proposés et financés conjointement par des partenaires du secteur de l'aquaculture. En 2001-2002,4,5 millions de dollars de crédits ont été alloués à la recherche scientifique devant être menée dans les installations de recherche du MPO ou en association avec d'autres installations.

Vous poursuivez en disant que le programme sollicite des demandes sur des sujets tels que l'amélioration de l'élevage, la santé et la nutrition animales ainsi que le respect del'environnement. Les producteurs et les associations deproducteurs du secteur de l'aquaculture peuvent être candidats. On ne mentionne pas les chercheurs scientifiques comme vous-même. Ce programme a été mis sur pied par un comité directeur national composé de 13 membres qui représentent l'industrie, lesprovinces, le MPO, les ONG du secteur de l'environnement et le Bureau du Commissaire au développement de l'aquaculture.

Vous devez faire partie, j'imagine, de la catégorie des ONG du secteur de l'environnement. Savez-vous s'il y a des personnes à l'intérieur de ce groupe qui ont présenté des demandes au comité, ce qui fait que certains crédits seraient affectés à la recherche scientifique pure et non pas simplement à des recherches appliquées à l'industrie de l'aquaculture?

M. Volpe: Vous me posez cette question à moi? Je suis un chercheur, mais certainement pas le responsable d'une ONG du secteur de l'environnement. J'ai pris bien soin de rester indépendant et de ne pas m'assimiler à l'un des camps sur cette question. C'est important si je veux que ma recherche reste intègre.

Cela dit, je ne connais personne au sein de ce comité qui ait pu produire un tel document.

Le sénateur Moore: Mme Hunter sera peut-être au courant.

Mme Hunter: J'ai vu le communiqué de presse et je me suis posé des questions. De toute évidence, aucune organisation écologiste de la côte Ouest n'a été impliquée. J'ai posé la question, et aucune Première nation de la côte Ouest n'y a participé et ce ne fut pas non plus le cas du Conseil de conservation du Nouveau-Brunswick. J'ai demandé aussi à la Fédération du saumon de l'Atlantique si éventuellement il y avait eu des ONG du secteur de l'environnement.

Je vous renvoie à mon exposé lorsque je vous ai dit que Mme Liseanne Forand, SMA du secteur des politiques a déclaré qu'il s'agissait d'un programme à frais partagés qui, je cite: «répondait aux besoins définis par l'industrie.» Il n'est pas dans l'intérêt de l'industrie que l'on mène des recherches indépendantes, parce que les recherches indépendantes mettent le doigt sur les problèmes. Par conséquent, les seuls besoins définis le sont par l'industrie.

Le sénateur Moore: On ne connaîtra qu'une partie de la vérité.

Mme Hunter: Vous avez raison.

Le sénateur Moore: Comment faire pour avoir des recherches menées en toute indépendance, par des gens comme M. Volpe? Je comprends la nécessité pour le chercheur de conserver son indépendance et de ne pas se laisser embrigader pour que ses travaux conservent leur validité. Comment entrer dans le circuit pour que le secteur de la pêche puisse bénéficier de vos recherches et de vos connaissances?

M. Volpe: Il nous faut des modalités d'accès. Je dirais presque que je passe la majeure partie de mon temps à chercher à obtenir des crédits de recherche pour financer les travaux que j'estime nécessaires. Il est évident que les clauses d'engagement qui figurent sur ce document ne s'appliquent pas à des gens comme moi.

Le sénateur Moore: Je trouve cela surprenant parce que le ministère de la Justice, par exemple, paie les frais juridiques des deux parties - le défendeur et la poursuite - alors que le MPO n'applique pas cette formule. Aucune aide n'est apportée dans ce secteur. Lorsqu'apparaît un nouveau type de pêche, nous devons avoir la possibilité de faire une bonne recherche fondamentale dès le départ. Nous devrions peut-être réfléchir à la question, monsieur le président. Je vous remercie.

Le président: Je pense que vous avez soulevé un point très important, sénateur Moore, surtout lorsqu'on sait que les gouvernements financent parfois «l'autre camp.» C'est un excellent argument que vous évoquez là.

Avec votre autorisation, nous demanderons aux fonctionnaires du MPO de nous faire une ventilation plus détaillée - poste par poste - des crédits ainsi affectés à la recherche et nous chercherons à savoir jusqu'à quel point cette recherche est indépendante. Nous voulons vraiment savoir comment vont être dépensés ces crédits.

Sénateurs, sommes-nous d'accord pour verser à notre dossier les pièces que constituent les documents fournis par John Volpe et Lynn Hunter?

Des voix: D'accord.

Le président: Au nom des membres du comité, je remercie les témoins d'être venus nous parler ce soir. Nous avons apprécié leur contribution. Je vous le répète, cette information a surtout servi à nous sensibiliser au problème de façon à ce que nous puissions rendre un meilleur service.

Le sénateur Carney: Je remercie les témoins. M. Alfred a dû faire un gros effort pour venir étant donné qu'un membre de sa famille est malade; Mme Hunter sort de maladie; enfin M. Volpe est fatigué d'avoir fait tant de démarches pour trouver des fonds de recherche. Je remercie le comité d'avoir entendu les témoins de la côte Ouest et d'avoir organisé cette vidéoconférence.

Le président: Nous nous efforcerons d'utiliser davantage de vidéoconférences. Si vous avez des améliorations à proposer, n'hésitez pas à nous faire parvenir vos commentaires.

La séance est levée.


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