37-1
37e législature,
1re session
(29 janvier 2001 - 16 septembre 2002)
Choisissez une session différente
Délibérations du comité sénatorial permanent des
Pêches
Fascicule 7 - Témoignages du 29 mai 2001
OTTAWA, le mardi 29 mai 2001 Le Comité sénatorial permanent des pêches se réunit aujourd'hui à 19 h 10 pour étudier des questions relatives à l'industrie des pêches. Le sénateur Gerald J. Comeau (président) occupe le fauteuil. [Français] Le président: Ce soir, notre premier témoin est M. Sylvain Vigneau, coordonnateur de l'Association des pêcheurs de péton cles des Îles-de-la-Madeleine. L'année dernière, le 2 mars 2000, quelques membres du comité se sont rendus aux Îles-de-la-Madeleine pour s'informer davantage sur la collaboration plutôt unique qui existe entre les pêcheurs commerciaux de pétoncles, le MPO et d'autres intervenants en vue de mettre sur pied une entreprise de mise en valeur des pétoncles. Nous avons été très impressionnés par la présentation que nous a donnée M. Vigneau et c'est la raison pour laquelle nous l'avons invité à venir faire une présentation ici, à Ottawa, afin que ses idées et sa documentation nous soient transmises. Monsieur Vigneau, je vous laisse faire votre présentation. Nous passerons par la suite à la prédiode de questions. Je vous cède donc la parole. M. Sylvain Vigneau, coordonnateur, Association des pêcheurs de pétoncles des Îles-de-la-Madeleine: Il me fait plaisir d'avoir l'occasion de vous présenter l'aquaculture en appui à la pêche au Québec, plus particulièrement aux Îles-de-la-Madeleine. Depuis 1989, je suis diplômé de l'Université Laval en biologie. Pendant quelques années, j'ai travaillé pour le ministère des Pêches et des Océans à titre d'assistant de recherche sur l'évaluation des stocks de pétoncles, de crevettes et de crabes, où j'ai assisté les biologistes responsables de l'évaluation des stocks. Par la suite, j'ai travaillé pour le groupe Roche Environnement à titre de biologiste sur des projets d'élevage de pétoncles et de homards. En 1993, j'ai été embauché par l'Association des pêcheurs de pétoncles à titre de directeur et coordonnateur d'un projet d'élevage de pétoncles visant à vérifier la faisabilité et la rentabilité des ensemencements comme solution à la diminution des stocks naturels. Depuis, on a travaillé fort au niveau de la faisabilité technique et financière, de la gestion des ensemencements et de la structure légale. Je suis actuellement directeur de Pétoncles 2000, une entreprise qui réalise les ensemencements. Je suis également l'un des administrateurs d'une société de développement appelée la SODIM, la Société de développement de l'industrie maricole. Je suis aussi administrateur du Regroupement des mariculteurs du Québec et vice-président à l'aquaculture au Réseau pêches et aquaculture Québec. En guise d'introduction, je vous parlerai de la mariculture au Québec et de REPERE, un programme qui a mis au monde l'entreprise Pétoncles 2000 et dont l'acronyme signifie «Recher che sur le pétoncle à des fins d'élevage et de repeuplement». Je vous parlerai de la mission et de l'objectif de Pétoncles 2000, du plan d'action 2001-2006, et je vous donnerai l'exemple d'un plan de récolte et de la façon de faire le lien entre la pêche et l'aquaculture. Enfin, je me permettrai de parler de l'exemple des Japonais, leur façon de faire et leur réussite dans le domaine. Concernant la mariculture, le Québec en est à son deuxième essai suite à un faux départ au début des années 1980. Les gens de l'industrie et les partenaires, le MAPAQ et le MPO, se sont regroupés pour mettre sur pied un plan stratégique de développement de la mariculture. Ce plan stratégique a débouché sur la création d'une société de développement, la SODIM, et sur une structure de concertation appelée la «Table maricole québécoise». Le plan prévoit un développement continu, jusqu'en 2003, et l'atteinte d'une production de 4 000 tonnes métriques de moules et de pétoncles. Même si ce n'est pas énorme en termes de production, il est quand même important pour nous de se fixer des objectifs. Le plan prévoit également le développement de deux nouvelles espèces de mollusques. Au Québec, les entreprises sont surtout localisées en Gaspésie et sur la Côte Nord. Ce sont les entreprises de moules, de pétoncles et d'autres espèces constituées d'oursins et de myes communes. On retrouve actuellement 35 entreprises oeuvrant dans le domaine de la mariculture au Québec et qui exploitent, en tout et partout, 12 000 hectares de superficie. Plus près de nous, aux Îles-de-la-Madeleine, six entreprises oeuvrent dans le domaine de la mariculture; dont deux dans le domaine des pétoncles, deux dans celui des moules et deux autres entreprises qui débutent dans d'autres productions. Le plan stratégique a donné lieu à deux structures dont la Table maricole québécoise qui regroupait des pêcheurs, des mariculteurs, des représentants du ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation, du ministère des Pêches et des Océans, de Développement économique Canada, du Centre spécialisé des pêches, de l'Université du Québec à Rimouski, du Conseil régional de développement Gaspésie-les-Îles, de la Société de développement et, enfin, d'Environnement Québec. Tous ces gens ont travaillé ensemble à développer un plan d'action pour favoriser le développement de la mariculture. Deux initiatives sont issues de cette table maricole, soit un code d'éthique pour les mariculteurs d'une part et une proposition de cadre réglementaire d'autre part. Un cadre réglementaire est une proposition faite aux deux paliers de gouvernement. Cette réglementation pourrait favoriser le développement tout en respectant les autres secteurs de l'industrie qui nous entourent tels la pêche, le transport maritime ou le tourisme. Dans ce cadre réglementaire, on a prévu des activités maricoles, comme l'élevage de la moule, qui ne touchent pas directement la pêche et les activités de mariculture en appui à la pêche. Parallèlement au travail des fonctionnaires sur les plans de gestion du développement, d'autres groupes de personnes travaillaient sur le terrain à développer de nouvelles technologies, de nouvelles façons de faire. Suite à un voyage au Japon, en 1989, des gens sont venus rencontrer les pêcheurs pour leur proposer une façon de faire différente, c'est-à-dire de travailler à partir de techniques aquacoles ou maricoles qui offraient des possibilités de regénérer les stocks de poissons pour la pêche. C'est ce que j'appelle la mariculture en appui à la pêche. Le groupe REPERE (Recherche sur le pétoncle à des fins d'élevage et de repeuplement) a travaillé sur trois volets. Le premier concerne la recherche, donc tout ce qui a trait à la production, le milieu naturel, et cetera. À cela s'ajoutait un projet pilote sur l'industrie, qui expérimentait au fur et à mesure les résultats du projet de recherche. Troisièmement, à partir de ce projet pilote, on effectuait une étude de faisabilité et de rentabilité de l'ensemencement de pétoncles pour rebâtir les stocks. Nous avons également étudié un plan de gestion des ensemencements afin de trouver la structure de gestion idéale pour notre système. Nous avons épluché la réglementation provinciale et fédérale qui nous permettrait de gérer toute cette structure. En ce qui concerne la structure légale, nous avons voulu mettre sur pied une entreprise à l'image du Québec. Nous sommes allés chercher des modèles japonais et néo-zélandais que nous avons adaptés à l'image du Québec et plus particulièrement des Îles-de-la-Madeleine. La structure légale se nomme Pétoncles 2000. Elle est détenue à 60 p. 100 par des pêcheurs de pétoncles des Îles-de-la-Madeleine. C'est cette entreprise qui va réaliser les ensemencements. Elle détient l'ensemble des permis. Le but de cette aventure est de lier l'investissement des pêcheurs à une capacité de récolte. Comment faire pour encourager les pêcheurs à investir dans la ressource alors qu'ils sont beaucoup plus habitués à investir sur leur équipement ou sur leur capacité de récolte? Nous avons suivi le modèle d'entreprise de la Nouvelle- Zélande. Ce modèle repose sur le fait qu'un pêcheur a une option d'achat sur le pourcentage de contingents correspondant à son pourcentage de détention dans l'entreprise. Plus le pêcheur achètera d'actions dans l'entreprise, plus son pouvoir d'achat sur les contingents globaux émis à chacune des récoltes sera grand. C'est vraiment la clé pour réaliser les ensemencements. Ce projet pilote a permis de réaliser quatre ensemencements. Le premier stock de 4,6 millions de pétoncles a été ensemencé dans la partie sud des Îles-de-la-Madeleine, à environ 5 milles au sud des côtes, en 1996. Ce stock devrait être récolté à l'été 2001. Un deuxième ensemencement de 1,8 million de pétoncles a eu lieu dans une zone un peu plus à l'ouest. Les quatre ensemence ments réprésentent au total 26 millions de pétoncles qui seront récoltés en alternance une année après l'autre. Cela nous permettra en bout de ligne d'avoir cinq sites où la pêche et l'ensemencement s'effectueront en alternance. La mission de l'entreprise est d'augmenter et de stabiliser les débarquements de pétoncles aux Îles-de-la-Madeleine et d'augmenter et de stabiliser les revenus moyens des pêcheurs de pétoncles. Ces pêcheurs ne font pas de gros débarquements. Pour plusieurs, il s'agit d'une pêche complémentaire. Cette pêche a pourtant déjà été florissante et très importante. À cause d'une surpêche, les stocks ont beaucoup diminué, et si ce n'était de ce projet, cette zone devrait être fermée à la pêche tellement les rendements ont diminué. Ces pêcheurs n'ont pas des revenus énormes. Ils possèdent une faible capacité d'investissement, mais ils ont quand même un intérêt dans la sauvegarde de leur industrie. Notre objectif de production était de 200 tonnes métriques de chair de pétoncle, d'abord parce que nous pensions avoir la capacité d'investissement pour financer la production de 200 000 tonnes. Ensuite, nous croyions que le milieu avait amplement la capacité de supporter 200 tonnes métriques puisque jusqu'à 350 tonnes par année de chair de pétoncle étaient débarquées aux Îles-de-la-Madeleine. Le graphique que vous voyez illustre les résultats des débarquements entre 1965 et 1998. Une chute radicale des stocks causée par la surpêche apparaît au début des années 1990. Le stock n'a jamais pu par la suite remonter tout seul. Notre plan d'action pour remonter les stocks de pétoncles consiste premièrement par la fermeture d'une petite zone appelée «zone refuge». Cette zone sera laissée vierge pour favoriser la reproduction des stocks. Elle a été agrandie en 1998 et elle couvre toute la partie est des Îles-de-la-Madeleine, à partir de l'Île de la Grande-Entrée jusqu'à l'Île d'Entrée. La fermeture de ces zones favorisera le recrutement naturel et le captage de jeunes pétoncles sur les collecteurs, qui justement favorise la production. La pierre angulaire de la production repose sur l'approvisionnement juvénile par le captage en milieu naturel. La fermeture d'une zone permettra aux géniteurs d'atteindre une taille intéressante pour la reproduction, ce qui apportera une pêche éventuellement intéressante et rentable. Pour accroîte l'approvisionnement juvénile par le captage en milieu naturel, nous utiliserons 60 000 collecteurs par année. Ces pétoncles sont mis en grossissement dans un milieu protégé, la lagune de Havre-aux-Maisons. On se sert de paniers, il s'agit d'une technique japonaise. Ensuite, ces pétoncles sont grossis pendant la période de pré-élevage qui dure de six à huit mois. On va placer 30 millions de pétoncles en grossissement jusqu'à une taille de 30 à 40 millimètres. Ils vont être ensemencés à chaque printemps à une densité de cinq pétoncles au mètre carré, ce qui nous donnera le rendement nécessaire pour rentabiliser l'entreprise, mais aussi pour faire en sorte que les pêcheurs soient intéressés à payer pour aller pêcher, c'est-à-dire acheter des contingents. Les résultats escomptés sont l'augmentation des débarquements à 200 tonnes métriques et l'obtention des rendements à la pêche de l'ordre de 100 livres à l'heure. Actuellement, les pêcheurs récoltent autour de 10 livres à l'heure, soit une moyenne de 150 à 200 livres par jour. À partir de ce qu'on a vu au Japon et en Nouvelle-Zélande, les pêcheurs devraient atteindre au moins 100 livres de chair récoltée à l'heure, ce qui pourrait leur permettre de payer pour acheter les contingents et rentabiliser toute l'opération de l'ensemencement. Le prix à payer pour cela a été établi à 30 p. 100. L'entreprise partage le risque avec les pêcheurs. C'est 30 p. 100 de la valeur au débarquement. Si le prix au débarquement baisse, le pêcheur paiera moins pour le contingent. Si le prix augmente, il paiera davantage. L'entreprise partage le risque avec les pêcheurs en travaillant avec un pourcentage au débarquement. On se retrouve avec 70 p. 100 de la valeur qui reste au pêcheur, autour de 18 p. 100 qui servira à payer les coûts de production et environ 12 p. 100 qui pourraient être le profit de l'entreprise. Le plan d'action de 2001 à 2006 compte actuellement cinq sites d'ensemencement désignés de A à E et situés dans la partie sud des Îles-de-la-Madeleine. L'objectif est l'obtention d'une zone de récolte chaque année et l'ensemencement de cette zone l'année suivante pour, après une période de quatre ans, être en mesure de la récolter à nouveau. Il s'agit de ne pas avoir de bris dans le système pour qu'il y ait une récolte annuelle. On peut voir ici les sites d'ensemencement qui ne sont pas choisis aléatoirement. Nous avons une bonne collaboration avec le ministère des Pêches et des Océans, l'Institut Maurice-Lamontagne et le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation aux Îles-de-la-Madeleine. Nous travaillons actuellement à la réalisation d'un projet déjà en marche qui est celui de regrouper toutes les données sur les prédateurs, les données d'évaluation de stocks sur des bases de données, avec des références géographiques, pour nous permettre de créer des cartes nous indiquant le type de fond, la quantité de prédateurs et la quantité de pétoncles. Et ce, pas seulement pour une année précise, mais d'une année à l'autre, afin de nous permettre de sélectionner les meilleurs sites pour l'ensemence ment. Nous sommes partenaires avec ces deux ministères pour participer à la mise en commun des données et être en mesure de faire des choix éclairés sur la localisation des sites. Pour vous démontrer le lien entre la mariculture et la pêche, je vais vous présenter le plan de récolte pour 2001. Nous avons parlé jusqu'à maintenant de mariculture parce qu'on parle de production, mais parlons maintenant de récolte. L'entreprise devra faire l'évaluation des stocks, les missions des contingents et la gestion des débarquements. Tout comme le ministère des Pêches et des Océans le fait, nous le faisons aussi avec d'autres espèces telles le crabe ou le pétoncle dans d'autres zones. L'entreprise, avec la limite des paiements que les pêcheurs feront, effectuera l'ensemble de la gestion de la récolte et ce sera la même chose pour une zone de pêche. En fait, la récolte pour l'année 2001 sera effectuée sur la zone ensemencée en 1996 avec 4,6 millions de pétoncles. Cette zone avait été ensemencée avec une densité de cinq pétoncles au mètre carré visé. Cela avait été fait avec 28 traits nord-sud pour effectuer l'ensemencement, c'est-à-dire que l'ensemencement a été fait à partir de la surface avec un bateau qui suivait un plan d'ensemencement précis où il devait déverser une certaine quantité de pétoncles pour viser une densité. À partir de cela, nous avons fait une évaluation de stocks. Lorsque je parle de nous, j'inclus nos partenaires qui sont très précieux. Cette évaluation de stocks nous a donné une quantité de pétoncles estimée sur le fond et une quantité de pétoncles que l'on croit exploitables. Étant donné que c'est une pêcherie en rotation, c'est nous-mêmes qui rebâtissons le recrutement. En ensemençant les pétoncles, nous exploiterons le plus près possible 200 p. 100 des pétoncles qui sont sur les fonds à exploiter, parce qu'on va rebâtir ces fonds comme si on ensemençait à nouveau notre jardin après avoir fait la récolte. Or, nous estimons qu'il y a environ 66 000 livres de chair de pétoncles sur le site ensemencé. Nous pensons récolter, si l'efficacité des pêcheurs est de l'ordre de 80 p. 100, autour de 44 500 livres. Nous avons, à partir de cela, établi un contingent global de 40 000 livres, lequel est subdivisé au prorata de la détention de l'entreprise par les pêcheurs. Un pêcheur qui détient 5 p. 100 de l'entreprise pourra exercer une option d'achat de 5 p. 100 du contingent. En terminant, je me permets de vous présenter un exemple du Japon autour de l'île d'Hokkaido. Il s'est ensemencé en 1993-1994 jusqu'à 3 milliards de pétoncles visant une densité entre cinq et dix pétoncles au mètre carré. Ces gens ont une petite avance sur nous car cela fait 50 ans qu'ils l'expérimentent. Ils ont des résultats extraordinaires. On ne pense pas récupérer 100 p. 100 des pétoncles ensemencés. En fait, pour être rentables, nous visons 25 p. 100 des pétoncles, c'est-à-dire qu'un pétoncle sur quatre pourrait nous permettre d'être rentables. Les Japonais réussissent entre 35 et 45 p. 100 de taux de pétoncles ensemencés. Ils ont une longueur d'avance sur nous à cause de leur expérience. Ce n'est pas parce qu'ils sont plus intelligents, c'est seulement qu'ils ont eu les problèmes de déclin des stocks avant nous. Nous avons visité une entreprise au Japon qui possède quatre sites de 48 kilomètres carrés sur lesquels ils ensemencent 350 millions de pétoncles par année. Ils récoltent - et ce n'est pas des histoires de pêcheurs que je vous raconte car j'étais à bord du bateau - 1000 livres de chair à l'heure. Ils ont un contingent de 5 000 livres de chair par jour par bateau. Il y a 16 bateaux dans l'entreprise et une récolte annuelle de 8 millions de livres de chair. Je vous parle d'une entreprise parmi d'autres autour de l'Île d'Hokkaido. Cette entreprise ne fait pas que des ensemencements. Au Japon, l'entité légale est un peu différente de la nôtre. Ils travaillent avec des systèmes coopératifs qui se situent entre nos systèmes coopératifs et nos systèmes d'entreprises privées. Les membres à l'intérieur de la coopérative sont à des niveaux différents, ce qui fait que cela ressemble davantage à nos entreprises privées qu'à nos coopératives. Nous n'avons pas essayé d'importer leur système coopératif, mais nous avons importé leur technologie. Nous leur laissons leur système coopératif. Ils ont un système bien intéressant. Nous travaillons un peu à l'inverse de ce système parce que eux sont des pêcheurs devenus des aquaculteurs il y a de cela plusieurs années et ces pêcheurs font tous de l'aquacultu re. Cependant, ils ne s'appellent pas des mariculteurs, ils sont des pêcheurs. C'est leur pêche qui a changé. Ils n'utilisent pas la même technique. Ces pêcheurs louent des sites à l'entreprise et paient la location avec les semis de pétoncles qu'ils ensemencent. Ces semis sont récoltés par l'entreprise quatre ans plus tard, avec en retour des taux de rendement de 35 à 45 p. 100. L'entreprise achète aussi la production des pêcheurs producteurs. Celle qu'on a visitée récoltait, via l'élevage en suspension, 8 millions de livres de chair, donc produisait au total 16 millions de livres de chair. C'est assez impressionnant. Comme vous pouvez le voir sur la photo, un quai sur l'île d'Hokkaido ressemble beaucoup à certains de nos quais. Sur nos quais, où cela grouille d'activité à cette période-ci de l'année, on retrouve environ 125 pêcheurs de homards. C'est fascinant à regarder. Sur l'île d'Hokkaido, plutôt que d'être des pêcheurs de homards, ce sont des producteurs de pétoncles. Cela grouille autant que chez nous avec nos pêcheurs de homards. Le sénateur Robichaud: C'est encourageant de vous entendre parler, d'autant plus que vous venez du Nouveau-Brunswick où, dans les années 1960, le long du détroit de Northumberland, les prises de pétoncles étaient abondantes et très payantes pour les pêcheurs. Depuis l'effondrement, ou du moins la diminution des stocks, les plus chanceux pourront récolter de 150 à 200 livres, d'autres 35 ou 40 livres par jour. Cependant, pour ce faire, ils ont dû renouveler leur équipement. Il y a donc déjà eu énormément de pétoncles dans le détroit. Les stocks ne peuvent tout simplement pas se rebâtir sans aide et certains pêcheurs s'efforcent actuellement de les rebâtir grâce à l'ensemencement. Quel est le pourcentage de pêcheurs de pétoncles actuellement impliqués dans votre projet de rétablissement des stocks? M. Vigneau: Actuellement, dans la zone de pêche 20 qui entoure les Îles-de-la-Madeleine, 23 détenteurs de permis pêchent les pétoncles soit à plein temps ou à temps partiel s'ils pêchent d'autres espèces. Parmi ces 23 pêcheurs, 21 se sont joints à l'entreprise, mais il y a encore de la place pour 23. Ceux qui ont décidé de ne pas investir dans ce secteur la première année avaient probablement d'autres priorités. Cependant, ils ne sont pas exclus du projet, car on prévoit émettre des actions dans l'entreprise pour les six prochaines années. Il y a quand même 21 pêcheurs qui ont décidé d'investir des montants appréciables. L'ensemble des investissements, et non pas des paiements, que les pêcheurs devraient faire dans l'entreprise de production totalise un demi-million de dollars. Le sénateur Robichaud: Comment se fait cet investissement? M. Vigneau: Les pêcheurs achètent en argent comptant des actions de l'entreprise. Les pêcheurs seraient encore plus intéressés à investir s'il existait des crédits d'impôt à l'investissement en mariculture. Malgré cela, les pêcheurs investissent quand même. Le sénateur Robichaud: Vous faites bien de le mentionner. Les pêcheurs ont investi au début de l'exercice et ont dû attendre au moins cinq ans avant de pouvoir récupérer les fruits de leur investissement. M. Vigneau: La plus grosse difficulté de l'élevage du pétoncle tient à la durée de son cycle de reproduction qui prend cinq ans minimum. En fait, du début de la collecte jusqu'à la récolte, c'est plutôt six ans. Il faut donc ensemencer six stocks avant d'avoir une récolte. Il faut investir encore et encore pendant les six premières années sans recevoir aucun fonds associé à cela. C'est une des raisons pour lesquelles on a commencé tranquillement. C'est sûr qu'au départ les pêcheurs ont investi prudemment, et on ne parle pas d'investissement en temps ou autrement. Il s'agit d'un investissement monétaire d'un demi-million de dollars. Le sénateur Robichaud: Est-ce que les 21 pêcheurs ont investi 500 000 dollars au total? M. Vigneau: Oui. C'est un investissement d'environ 525 000 dollars pour les 21 pêcheurs. Le sénateur Robichaud: Ce n'était tout de même pas suffisant pour mener votre activité. Êtes-vous allé chercher du financement ailleurs? M. Vigneau: On a actuellement comme partenaires financiers privés des sociétés à capital de risque pour un montant près d'un demi-million de dollars. On a un autre partenaire non négligeable, la Société de développement de l'industrie maricole. C'est un bon partenaire privé dans le cadre d'actions privilégiées. C'est une entreprise à actions dont les pêcheurs sont les propriétaires. Leur option d'achat sur un contingent émis est en fonction de leur pourcentage de détention de l'entreprise. Le sénateur Robichaud: Vous parlez des pêcheurs de pétoncles, mais vous avez aussi des pêcheurs de homards qui sont nombreux. Les actionnaires ne sont pas limités aux pêcheurs de pétoncles, n'est-ce pas? Vous avez certains pêcheurs de pétoncles qui font aussi la pêche au homard? M. Vigneau: Une des clauses de la convention d'actionnaires est d'être détenteur d'un permis de pêche. On a aucun pouvoir concernant le permis de pêche, c'est-à-dire qu'on ne peut pas exiger qu'une personne vende son permis et on ne peut le lui retirer. Par contre, on peut exiger que la personne, pour être actionnaire, détienne un permis. On voulait que cette entreprise soit pour les pêcheurs de pétoncles et non pas pour des gens qui se seraient retirés de la pêche plus tard, ce qui fait qu'on a lié la possibilité d'avoir des actions dans l'entreprise à la détention d'un permis de pêche de pétoncles. Lorsque le pêcheur se débarrasse de son permis, il doit aussi vendre ses actions. Le sénateur Robichaud: Lorsque vous allez faire la récolte, est-ce que les pêcheurs vont la faire individuellement avec l'équipement qu'ils ont en mains actuellement ou vous allez regrouper les pêcheurs sur un bateau pour minimiser les dépenses des récoltes? M. Vigneau: Actuellement, selon le plan de récolte, chacun des pêcheurs actionnaires de l'entreprise a une option d'achat sur un contingent. Celui-ci est transférable, ce qui fait qu'ils pourraient être cinq propriétaires de bateaux pour pêcher la somme des cinq contingents. Cela pourrait amener une économie importante, mais cela n'empêche pas un pêcheur qui le désirerait de pêcher son contingent lui-même, même s'il est plus petit et peut-être moins rentable. [Traduction] Le sénateur Callbeck: M. Vigneau, vous avez dit qu'il y a 23 pêcheurs détenant des permis dans votre zone et que 21 d'entre eux font partie de l'entreprise. Ils possèdent 60 p. 100 des actions et les 40 p. 100 restants appartiennent à des gens de l'extérieur. Vous avez aussi parlé de capital de risque. A-t-il été difficile de l'obtenir? M. Vigneau: Oui. Le sénateur Callbeck: Ça doit être extrêmement difficile. Vous avez aussi mentionné l'achat du contingent. Si j'ai bien compris, plus les détenteurs de permis possèdent d'actions, plus leur contingent est élevé; c'est bien cela? S'ils possèdent 10 p. 100 des parts, alors ils ont aussi 10 p. 100 du contingent? Je ne suis pas sûre de la façon dont cela est réparti mais l'affaire doit être difficile en raison du capital de risque. [Français] M. Vigneau: Il y a peut-être un point que j'ai omis, mais c'était volontaire. En fait, les pêcheurs sont regroupés dans une entreprise de gestion, qui est l'entreprise détenue à 100 p. 100 par des pêcheurs, et l'ensemble de leur participation individuelle correspond à 100 p. 100 de cette entreprise. Il y a une entente entre l'entreprise de production et l'entreprise de gestion des pêcheurs selon laquelle l'ensemble de la production va être vendue à cette entreprise pour être redistribuée en fonction de leur pourcentage de détention de l'entreprise. Je peux comprendre que vous n'aviez pas saisi ce point. [Traduction] Le sénateur Callbeck: Maintenant, est-ce qu'il est aussi difficile de trouver des marchés pour les pétoncles? [Français] M. Vigneau: Actuellement, on n'est pas impliqué dans la commercialisation. Peut-être que cela viendra plus tard. Les pêcheurs récoltent annuellement les pétoncles et font affaires directement avec leur acheteur ou leur producteur. Nous n'avons pas de permis de transformation du pétoncle ni de permis d'acheteur. Nous vendons le contingent aux pêcheurs et les entreprises déjà en place travaillent dans la commercialisation et prennent le relais par la suite. Nous devons rentabiliser nos opérations avec 30 p. 100 de la valeur au débarquement. Nous avons quand même intérêt à travailler sur la commercialisation parce que 30 p. 100 d'un prix faible, cela reste un prix faible. C'est pour cette raison que pour nous, cela va être une priorité de travailler sur la commercialisation en collaboration avec les acheteurs qui sont déjà dans l'industrie. Le président: Monsieur Vigneau, les Japonais que vous avez visités ont-ils partagé des informations qui pourraient être difficiles à trouver? Sont-ils réceptifs à l'idée de partager ces informations techniques? M. Vigneau: Je vais tenter de répondre en vous racontant une anecdote. Quand je suis allé au Japon, j'avais une idée en tête qui provenait d'un article scientifique sur un système d'ancrage des filières flottantes utilisées au Japon. À ce moment, on avait de la difficulté à ancrer nos systèmes au Québec. L'équipe d'ancrage devait utiliser des blocs de béton qui devenaient lourds et dangereux. Un des buts du voyage était d'apprendre à utiliser ce système d'ancrage des filières flottantes. On savait comment il était fait, mais on ne savait pas comment l'utiliser. Malgré la difficulté de langage, - parce que le japonais ne s'apprend pas dans une semaine - on a rencontré des Japonais qui utilisaient ce système. Ils nous ont expliqué grosso modo comment il fonctionnait. Nous sommes revenus chez nous et nous avons fait nos expériences. Le système ne fonctionnait pas. J'ai communi qué avec mon contact au Japon qui parle très bien l'anglais et je lui ai expliqué le problème. Il a recommuniqué avec le Japonais qui lui a fait un schéma, naturellement écrit en japonais. Il me l'a traduit en anglais et me l'a envoyé par télécopieur. Une semaine plus tard, je commençais à installer des ancres et cela fonctionnait. Actuellement, la moitié des entreprises au Québec utilisent ce système d'ancrage. C'est un système très simple. On se demande parfois pourquoi on n'y a pas pensé plus tôt. Le président: Vous avez une forme d'aquaculture - je ne connais pas l'expression exacte - qui semble avoir très peu de détracteurs. Les gens ne semblent pas être contre votre système. Je pense ici aux gens qui ont peur pour l'environnement. Vous avez le potentiel, si je comprends bien, de créer beaucoup d'emplois. Vous avez un produit qui est en grande demande et je vois le potentiel de votre aventure. Elle peut mener très loin. Jusqu'à quel point pourrions-nous envisager l'avancement de ce genre d'entreprise? Combien d'emplois prévoyez-vous? Quel sera le rendement? Est-ce que vous avez des chiffres potentiels? M. Vigneau: Actuellement, dans l'entreprise de production comme telle, ce sont des emplois directement associés à la production. On parle autour de 40 emplois d'une durée de quatre à 12 mois par année. Naturellement, on parle aussi des emplois à bord des bateaux pour les pêcheurs. On a 21 entreprises qui font la récolte avec chacune trois employés. On parle aussi de transformation. Je n'ai pas les chiffres en tête, mais on avait quand même évalué le nombre d'emplois potentiels à partir de la transformation. On avait évalué que chaque kilogramme de chair produit correspondait à un nombre d'emploi-usine, un nombre d'heures emploi-usine et c'est assez impressionnant. On peut multiplier plusieurs fois le nombre d'emplois créés directement dans l'entreprise de production. On travaille sur des petits pétoncles. On traite de gros volumes de pétoncles. On peut traiter jusqu'à un million de pétoncles par jour. C'est un nombre assez impressionnant. Pour vous donner un ordre de grandeur, les 23 pêcheurs débarquent annuellement autour de 2 à 3 millions de pétoncles par année. Nous traitons un million de pétoncles par jour habituellement. En termes de nombre, ce sont des petits pétoncles comparativement aux gros pétoncles. Le président: Si je comprends bien, les terres qui vous sont réservées maintenant par le MPO sont assez restreintes. Si vous aviez beaucoup plus de terrains sur lesquels vous pourriez faire l'ensemencement, est-ce que vous voyez un potentiel plus large que celui-là? M. Vigneau: Notre objectif de production de 30 millions de pétoncles est relatif à notre capacité d'investissement. Les pêcheurs voulaient absolument garder le contrôle de l'entreprise de production. Pour le garder, il fallait qu'ils soient capables de mettre au moins 60 p. 100 du capital. On a donc travaillé à partir des chiffres qu'ils pouvaient produire. Les partenaires financiers ont été capables d'aller chercher d'autres capitaux et toute la structure financière qui entoure l'entreprise pour une production pouvant atteindre les 200 tonnes métriques. Ce n'est pas un objectif en termes de capacité du milieu, c'est un objectif en termes de capacité financière d'investissement des pêcheurs. Il y a tout un volet qu'on n'a pas exploré et qui le sera au cours des prochaines années, celui de la production en élevage en suspension. En tant qu'entreprise productrice de jeunes pétoncles et de semis, on aimerait fournir des gens intéressés dans l'élevage en suspension. On a l'infrastructure et les capacités de captage pour le faire et on a suffisamment de sites pour le faire. Vous aviez raison par rapport au site et la possibilité d'avoir un bail du ministère des Pêches et des Océans. Ce sont des sites d'ensemencement, c'est la pierre angulaire qui lie tout ce travail. S'il n'y a pas de bail sur un site d'ensemencement, il n'y a pas de droits de propriété. S'il n'y a pas de droits de propriété, il n'y a pas de vente de contingents et s'il n'y a pas de vente de contingents, il n'y a pas de production. Tout cela réside dans la possibilité d'avoir un bail. C'est vraiment la pierre angulaire. Il y a quand même d'autres façons. Je dis bien que la pierre angulaire réside dans le fait d'avoir un bail parce que c'est notre choix de travailler dans un système, si on veut, complètement privé avec des partenaires financiers privés. Ce n'est pas un système utilisé en Nouvelle-Zélande. Là on parle plus d'une délégation de gestion du ministère des Pêches. C'est une gestion conjointe qu'on pourrait presque imaginer ici par les ententes de partenariat. C'est une entente de partenariat renégociée chaque année. L'entreprise, qui s'appelle en Nouvelle- Zélande Challenger Scallops Enhancement, négocie avec le ministère des Pêches pour cette délégation de gestion et elle fait elle-même l'ensemencement et la récolte. Elle ne gère pas seulement les zones sous bail, mais l'ensemble de la zone de pêche autour de la partie sud de la Nouvelle-Zélande. Le président: Il y a déjà quelques années que vous développez votre propre technologie aux Îles-de-la-Madeleine. Vous avez maintenant des connaissances très valables. Est-ce que vous seriez prêt à transmettre vos connaissances technologiques à d'autres régions telles que le Northumberland ou d'autres endroits, où vous pourriez aider des producteurs à utiliser l'approche que vous avez suivie? M. Vigneau: On travaille déjà en collaboration avec eux. Ce n'est pas écrit ou défini dans des documents, mais on travaille quand même en collaboration avec les gens qui s'occupent du projet de l'UPM qui coordonne les activités du projet de l'élevage du pétoncle au Nouveau-Brunswick. Récemment, le coordonnateur m'a appelé à mon bureau alors qu'il était sur l'eau. Il avait un petit problème avec les pétoncles et il voulait avoir mon avis. On est peu nombreux à travailler dans ce domaine au Canada. On se connaît pas mal tous et on se parle assez régulièrement. Le sénateur Robichaud: Est-ce que les zones dont vous avez le contrôle et où vous avez un bail étaient auparavant des zones où on allait pêcher le pétoncle? M. Vigneau: Oui. Il y a eu une entente avec les pêcheurs et le ministère des Pêches et des Océans pour fermer une zone justement pour réaliser les ensemencements. Le sénateur Robichaud: A-t-il été difficile d'avoir un accès contrôlé de cette zone? M. Vigneau: Sur une échelle d'un à dix? Le sénateur Robichaud: Oui. M. Vigneau: Je dirais 9,99. Le sénateur Robichaud: Les difficultés étaient de quelle nature? M. Vigneau: Les difficultés venaient surtout du ministère des Pêche et des Océans. On avait essayé d'obtenir le contrôle non pas par un bail privé, mais avec des ententes de partenariat, de cogestion entre le ministère des Pêches et des Océans et le ministère de l'Industrie pour gérer la ressource. Le plan était monté, il a été déposé au ministère des Pêches et des Océans et il comprenait le même système de paiement. Le plan devait autofinancer les ensemencements. En fait, le paiement pour les ensemencements était considéré comme une mesure de conservation et c'est ce qui n'a pas fonctionné. Après un an de discussions, on s'est finalement aperçu qu'on n'y arriverait jamais. On est allé explorer au niveau des baux comme cela fonctionne dans l'élevage des huîtres. On a demandé s'il y avait possibilité d'avoir un bail et c'est de cette façon qu'on a un droit de propriété sur les organismes. Pour en arriver à l'émission d'un bail, cela a pris beaucoup de discussions et de collaboration avec le ministère des Pêches et des Océans, le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec et le ministère de l'Environnement du Québec qui émet les baux. Le président: Nous vous remercions, monsieur Vigneau, de votre témoignage. J'espère que nous pourrons, d'ici quelques années, vous réinviter afin que l'on puisse placer un chiffre exact sur la récolte de vos pétoncles. Soyez avisé que vous serez invité à nouveau. M. Vigneau: Merci de votre invitation. Il me fera également plaisir de vous recevoir aux Îles-de-la-Madeleine. Le président: Je souhaite maintenant la bienvenue à M. Yves Bastien, Commissaire au développement de l'aquaculture. En 1998, M. Bastien a été la première personne nommée au poste de Commissaire au développement de l'aquaculture. Le commissaire est chargé, au nom du gouvernement fédéral, de voir au développement de l'industrie aquacole. Il possède une vaste expérience de l'aquaculture, de la gestion des projets et de la gestion des ressources fauniques et aquatiques. M. Bastien s'est présenté devant le comité la dernière fois, le 22 février 2000. Vous pouvez maintenant faire votre présentation et par après, nous passerons à la période de questions. M. Yves Bastien, Commissaire au développement de l'aquaculture: Monsieur le président, je suis très heureux de m'adresser à vous de nouveau et d'avoir l'occasion de contribuer à votre étude de l'industrie de la pêche et de l'aquaculture. Au cours de la dernière année, le secteur de l'aquaculture a été très actif et j'aimerais vous entretenir ce soir des initiatives les plus importantes. [Traduction] Un des événements clés a été la publication du rapport faisant suite à l'examen juridique de l'aquaculture. Je crois savoir que vous en avez reçu des exemplaires. Le rapport présente les 36 recommandations qui ont été faites au ministre Dhaliwal en juin 2000. L'examen visait trois grands objectifs. Le premier est de fournir à l'industrie aquacole des règles claires et transparentes et de faire en sorte qu'il n'y ait pas de surprises dans la façon de les appliquer. Ces règles expliquent aussi ce que l'on attend des aquaculteurs. Le deuxième objectif cherche à créer un environnement stable pour les entreprises aquacoles. Le troisième est de fournir aux agents gouvernementaux des lignes directrices claires et uniformes sur la façon d'appliquer au secteur aquacole les politiques et les règlements actuels. [Français] Je suis d'avis que l'application de ces recommandations permettra de réduire la frustration et d'améliorer la satisfaction tant dans l'industrie qu'au niveau gouvernemental en rationalisant et en harmonisant les processus et en faisant en sorte que ceux-ci soient plus efficaces dans la réalisation de toutes les responsabilités gouvernementales, y compris la protection de l'environnement, la salubrité des aliments et la navigation. [Traduction] Puisque la plupart des renseignements que vous avez reçus portent sur les interactions avec l'environnement, j'aimerais souligner qu'une partie importante de l'examen juridique a porté sur la gestion et la protection de l'environnement. Je crois que lorsque ces recommandations seront complètement mises en oeuvre, elles contribueront grandement à résoudre la plupart des questions soulevées devant votre comité au cours de l'année écoulée. La protection de l'environnement préoccupe tous les intervenants, y compris les aquaculteurs et moi-même. Le pacage marin, ou l'ensemencement des stocks publics de poissons, de mollusques et de crustacés, a aussi fait l'objet de l'examen juridique. Si je le mentionne, c'est que c'est très étroitement lié à l'excellent exposé que nous a fait ce soir Sylvain Vigneau. Le rapport recommande précisément qu'on adopte une stratégie d'ensemencement et qu'on l'appuie par des changements aux politiques et aux règlements. Je ne développerai pas cet aspect dans mes observations. Toutefois, je serai heureux d'en discuter avec les membres du comité. Lorsque le gouvernement fédéral a lancé sa stratégie de développement de l'aquaculture en 1995, il avait pris l'engagement suivant. Le gouvernement fédéral s'engage à: entreprendre un examen exhaustif des lois et règlements fédéraux applicables afin de les épurer, des dispositions susceptibles d'entraver le développement de l'industrie; faire en sorte que les lois fédérales et règlements fédéraux soient appliqués de façon équitable dans l'ensemble du Canada. [Français] Le rapport que vous avez entre les mains représente un premier pas vers la réalisation de cet engagement. Je considère ce rapport comme étant la première étape d'un processus d'examen exhaustif qui vise à donner au nouveau secteur aquacole un cadre juridique moderne, bien adapté et conçu pour lui permettre de relever les défis auxquels il fait face. Il est important de comprendre qu'au niveau fédéral, les lois et les règlements qui s'appliquent actuellement à l'aquaculture n'ont pas été rédigés spécifiquement à cette fin. Cet état de fait cause d'importants problèmes, tant pour les responsables de la réglementation que pour l'industrie. [Traduction] Cette première étape de l'examen juridique porte principalement sur des politiques et des modifications mineures à la réglementation plutôt que sur des changements profonds aux lois et règlements. Ainsi qu'on l'explique dans le rapport, il faudra entreprendre une seconde étape pour traiter des questions ou lacunes juridiques plus fondamentales. Toutefois, avant de l'entamer, il est essentiel qu'on établisse le cadre stratégique qui orientera notre recherche de solutions à ces problèmes plus fondamentaux. De façon concrète, il faut que nous décidions si nous allons gérer l'aquaculture comme une forme de pêche, relevant du ministère de l'Agriculture, ou comme un secteur en croissance et unique ayant ses propres besoins. Il faut qu'une telle décision soit prise avant d'adopter le cadre juridique qui orientera la gestion du secteur dans les années à venir. J'aimerais maintenant me concentrer sur les aux autres initiatives réalisées par mon bureau. L'examen juridique a été notre première priorité. Lorsque mon bureau a été créé en janvier 1999, j'ai établi deux autres priorités, à savoir améliorer la perception que les Canadiens se font de l'aquaculture, et favoriser une meilleure collaboration entre les secteurs des pêches et de l'aquaculture au Canada. Maintenant que la première étape de l'examen juridique est terminée, mon bureau pourra consacrer plus d'énergie aux deux autres priorités. D'ailleurs, nous avons déjà lancé plusieurs initiatives en ce sens. Mon bureau a aussi lancé une autre grande initiative, le Programme de partenariat en aquaculture, ou PPA. Ce programme, dont les frais sont partagés avec l'industrie, soutient financièrement des projets proposés par l'industrie aquacole. Ces projets, axés sur les objectifs de mon bureau, favorisent la collaboration et le partenariat au sein de l'industrie canadienne de l'aquaculture. En vertu du PPA, une somme de 600 000 $ est disponible chaque année pour des projets d'aquaculture pendant chacune des trois années. [Français] Je ne désire pas prendre davantage de votre temps pour présenter les autres initiatives que mon bureau a réalisées. Toutefois, j'ai remis au greffier du comité des copies de mon rapport de mi-mandat dans lequel toutes nos activités sont décrites en détail et il me fera plaisir de répondre à vos questions à ce sujet. J'aimerais également souligner que l'industrie et les deux paliers de gouvernement ont investi, au cours de la dernière année, une quantité impressionnante d'énergie pour faire avancer le secteur de l'aquaculture. [Traduction] Comme vous le savez, l'aquaculture est un champ de compétence partagé entre le fédéral et les provinces. Heureusement, grâce au Conseil canadien des ministres des Pêches et de l'Aquaculture, ou le CCMPA, il règne un climat de collaboration favorable en matière d'aquaculture. Les deux ordres de gouvernement s'efforcent activement de rationaliser les processus d'approbation des projets d'aquaculture, de coordonner la R-D et, de façon plus générale, d'harmoniser les dispositions administratives portant sur l'aquaculture. Les gouvernements aident également l'industrie à concevoir un code de déontologie, dont les principes de base ont fait l'objet d'un accord conjoint. J'estime que les gouvernements fédéral et provinciaux ont adopté ou sont en train d'adopter les règlements, les politiques et les procédures nécessaires afin que l'industrie dispose d'un accès prévisible et abordable aux environnements marins et d'eau douce, tout en veillant à bien protéger ces environnements. Tous ces efforts étaient attendus depuis longtemps. On reconnaît enfin l'aquaculture comme un moyen légitime d'exploiter nos ressources aquatiques et une industrie importante au Canada, avec ses propres besoins et problèmes. Comme nous l'a dit Liseanne Forand, Pêches et Océans Canada a mis au point un plan d'action pour mettre en oeuvre les recommandations formulées dans le rapport de l'examen juridique de l'aquaculture. Le MPO ne pouvant mettre en oeuvre toutes les recommandations à la fois, il a établi des priorités. Je crois savoir que les représentants du MPO vous ont renseigné au sujet des initiatives de leur ministère. Le programme d'aquaculture durable du MPO, doté de 75 millions de dollars, est un autre élément majeur de ce plan d'action. Par le passé, on a dit qu'en matière d'aquaculture, il y avait un vide politique et réglementaire. Je dois admettre que la situation actuelle est très différente. À mon avis, l'aquaculture est bien réglementée. Il existe des mécanismes permettant d'examiner les répercussions environnementales des activités proposées, et ce, avant le lancement des projets. À cela s'ajoutent des mesures de contrôle des répercussions des activités d'aquaculture sur l'environnement. En outre, le gouvernement fédéral lance plusieurs initiatives de recherche et de développement afin d'améliorer les connaissances scientifiques sur tous les aspects de l'aquaculture, y compris les répercussions environnementales. Grâce à son plan d'action et à son Programme d'aquaculture durable de 75 millions de dollars, je suis convaincu que le MPO est en mesure de répondre à tous les points soulevés par le vérificateur général dans son rapport intitulé «Les effets de la salmoniculture en Colombie-Britannique sur la gestion des stocks de saumon sauvage». Je dois mentionner que certains des mêmes points ont été soulevés dans mon rapport sur l'examen juridique. [Français] Un des aspects de mon travail est de maintenir une saine pression sur le MPO pour qu'il atteigne tous les objectifs de son plan d'action et de son programme de 75 millions de dollars. Je compte continuer d'assumer énergiquement cette fonction et j'entrevois avec confiance que le vérificateur général pourra réexaminer cette question à brève échéance et conclure que tous les points soulevés ont été réglés. [Traduction] J'aimerais ajouter que Aquanet, le Centre d'excellence en aquaculture du Conseil national de recherches, est une autre importante initiative fédérale qui offrira à tous les Canadiens, y compris les pêcheurs, les Premières nations et les ONG en environnement, des connaissances scientifiques universitaires et indépendantes en matière d'aquaculture. Le programme Aquanet se fonde sur trois thèmes: la production animale, l'intégrité environnementale et les aspects socio-économiques. La recherche et le développement aquacole contribueront à fournir à ce secteur prometteur toute la science qu'il lui faut pour devenir un modèle de développement durable. Il faut mentionner en outre que ces initiatives en recherche et développement seront effectuées en collaboration avec l'industrie, les autres utilisateurs et intervenants, les Premières nations et les gouvernements provinciaux. J'entrevois le jour où tous les Canadiens seront fiers de leur industrie aquacole dynamique et respectueuse de l'environnement. L'industrie aquacole a le potentiel de contribuer à l'activité économique des collectivités rurales et côtières. Cela leur permettra de profiter d'une vie active satisfaisante au sein de leurs collectivités. Cela peut en outre être fait en parfaite complémentarité avec le secteur de la pêche traditionnelle. De nombreuses pêches de l'avenir seront le résultat d'une combinaison de technologies d'aquaculture et des techniques aquacoles et des techniques de pêche traditionnelle. [Français] Dans ce contexte, on peut supposer qu'un jour ces deux secteurs seront entièrement intégrés en un seul secteur des produits de la mer au sein duquel la distinction entre aquaculteur et pêcheur n'aura plus autant d'importance, parce que tous participeront à la production de richesses tirées de nos océans, en harmonie et de façon durable. [Traduction] Je voudrais mentionner que j'ai remis à la greffière du comité des copies des observations que j'ai présentées devant le Comité permanent des Pêches et des Océans de la Chambre des communes le 26 avril dernier. À cette occasion, j'ai rectifié certains malentendus au sujet du discours que j'ai présenté à Victoria lors de la Conférence aquaculture Canada 1999. Je désire faire ces mêmes rectifications auprès des membres de votre comité et c'est pourquoi je vous remets une copie de mon exposé. En terminant, j'aimerais vous remercier de m'avoir invité à prendre la parole devant vous. Il me fera plaisir de répondre à vos questions. Le président: Merci, monsieur Bastien, d'avoir accepté de nous rencontrer ce soir et de nous avoir fait part de ces renseignements. J'ai oublié de présenter votre collègue, M. Jack Taylor, directeur administratif du Bureau du commissaire au développement de l'aquaculture. Le sénateur Carney: J'ai tellement de questions à vous poser que j'ai demandé au président de vous fournir les questions de notre attaché de recherche pour que vous y répondiez par écrit plus tard. Si nous ne procédons pas de cette façon, nous n'arriverons jamais à poser toutes les questions ce soir. Notre attaché de recherche a consacré beaucoup de temps à cerner certaines des questions fondamentales. Je crois que le président vous en parlera. Pouvons-nous vous demander de répondre aux questions écrites? Le président: Après cette réunion, certainement. Le sénateur Carney: J'aimerais vous poser quatre questions, monsieur Bastien. La première porte sur les différences extraordinaires qui existent entre nos trois côtes, l'est, l'ouest, et l'arctique. J'ai été absolument fascinée par les techniques de production aquacole du pétoncle qu'on nous a décrites. Il est difficile de penser à des activités de cette ampleur sur la côte ouest. Nous avons une situation complètement différente sur la côte Ouest de ce qu'on retrouve sur la côte Est. Nous avons après tout 25 000 kilomètres de littoral, avec un accès routier très limité. Nous avons au moins quatre pêches, ce que la majorité des gens oublient, et nous avons également la pêche commerciale traditionnelle. En dépit du mythe répandu selon lequel il n'y a plus du tout de poisson sur la côte Ouest, nous avons une pêche commerciale fort saine dans le domaine du saumon, du flétan et même d'autres stocks. Nous avons également le secteur des pêches récréatives, qui sait encore mieux se faire entendre que les autres groupes de pêche. Il y a également la pêche autochtone, enfin une pêche alimentaire, qui est fort saine, puis il y a l'aquaculture. Nous avons tous ces groupes qui se livrent une vive concurrence pour l'espace et les ressources aquatiques dont vous parlez. Il y a une chose que j'ai apprise à ce comité et c'est que nous avons une bonne participation des Autochtones à la pêche commerciale traditionnelle. Nous avons un problème au Canada dans le domaine des pêches parce que ce qui fonctionne pour la côte Est n'a rien à voir avec la situation de la côte Ouest et vice versa. Je ne parlerai même pas de la région arctique. Vous avez de bons antécédents et beaucoup d'expérience, mais vous ne connaissez pas les problèmes qui sont propres à la côte Ouest. Pouvez-vous s'il vous plaît nous en parler, monsieur Bastien, parce que c'est une question qu'on nous a posée? Dans la même veine, pouvez-vous nous dire comment vous pouvez avoir une politique nationale qui tienne compte de situations régionales particulières qui nécessitent une réglementation distincte? M. Bastien: Vous avez soulevé plusieurs questions, sénateur. Je crois qu'il y a de nombreuses régions du pays qui sont jugées fort distinctes. En fait, chaque partie du pays est différente. Lorsque nous avons créé le Bureau du commissaire, nous avons créé trois postes d'agents régionaux, dont un est en Colombie- Britannique. Nous sommes en contact tous les jours. Cette personne a travaillé pendant de nombreuses années sur la côte Ouest et connaît bien le secteur des pêches dans la région. Je suis également en contact avec des membres de l'industrie aquacole sur la côte Ouest. Nous avons de bons rapports avec divers intervenants du secteur dans la région. Nous essayons de nous assurer de savoir exactement ce qui se passe et de tenir compte des différences qui existent entre les régions du pays. Nous savons très bien que selon la région du pays où vous vous trouvez, à Terre-Neuve, en Colombie-Britannique ou au Québec, une interprétation ou une adaptation sera nécessaire pour intégrer le contexte local dans les politiques nationales. C'est une façon parfaitement normale de faire les choses. J'appuierai toujours cette façon de procéder. Pour ce qui est de l'élaboration de politiques nationales, il est important de faire en sorte que si, par exemple, nous appliquions la Loi sur la protection des eaux navigables dans une région du pays, de l'appliquer de la même façon partout. Il en va de même pour l'article 35 de la Loi sur les pêches qui porte sur la protection de l'habitat du poisson. Si nous appliquons cette disposition dans une région de Terre-Neuve, on doit l'appliquer en fonction des mêmes principes généraux partout ailleurs au pays. Il y aura toujours des petites différences locales quant à notre façon de faire les choses, ce qui est tout à fait sain. Je ne sais pas si j'ai bien répondu à votre question, sénateur. Le sénateur Carney: Je crois que vous avez bien réussi dans votre premier effort, monsieur Bastien. Je vous exhorte à vous rendre personnellement dans certaines de ces régions en Colombie-Britannique. Certaines ne sont pas facilement accessibles, mais vous ne pourrez pas vraiment parler aux intervenants qui ne représentent pas le secteur aquacole si vous ne vous rendez pas dans certaines communautés côtières, si vous n'êtes pas en contact avec les pêches traditionnelles et avec les collectivités autochtones. C'est aussi difficile à essayer d'imaginer cette région si vous ne l'avez pas visitée que ce l'est pour moi quand j'essaie d'imaginer certaines autres régions du pays que je connais moins bien. Je vous exhorte à visiter ces régions. M. Bastien: D'aucuns disent que je suis pratiquement toujours sur la côte Ouest. Il y a des gens de l'est du pays qui se demandent pourquoi je passe autant de temps sur la côte Ouest. J'aimerais également signaler que nous procédons actuellement à une étude du potentiel de l'aquaculture. C'est pourquoi cette expérience avec le pétoncle se déroule sur la côte Est. Nous essayons de trouver comment cette technique d'élevage peut être appliquée à deux espèces sur la côte Est et à quatre espèces sur la côte Ouest, soit le panope du Pacifique, la palourde japonaise, le pétoncle du Pacifique et l'ormeau. Nous aurons sous peu les résultats de ces études. Nous espérons que d'ici juin nous serons en mesure de publier les résultats pour démontrer le potentiel de ces espèces d'élevage sur la côte Ouest. Le sénateur Carney: Je vous communique simplement les préoccupations que j'entends dans ma région à titre de représentante de la Colombie-Britannique et à titre de membre de ce comité. Aller sur la côte Ouest ne veut pas nécessairement dire aller à Bella Coola si vous êtes à Victoria. On nous a dit que vous n'étiez jamais allé au nord de Campbell River. Ma deuxième question porte sur l'intégration. C'est quelque peu différent de ce que vous nous avez déjà dit. Vous nous avez dit que vous croyez que l'aquaculture peut se dérouler en parfaite complémentarité avec le secteur de la pêche traditionnelle. Vous entrevoyez le jour où deux secteurs seront entièrement intégrés en un seul secteur des produits de la mer au sein duquel la distinction entre aquaculteurs et pêcheurs n'existera plus. Tout d'abord, il y a une différence culturelle énorme. D'après les résidents de la côte Ouest, un de ces intervenants est un agriculteur et l'autre est un pêcheur qui est responsable de ses engins, de son bateau et de ses lignes. Je ne crois pas que nous puissions nous pencher sur toutes ces questions aujourd'hui, mais il existe une différence culturelle entre les deux groupes. Cela m'inquiète quand je constate que vous pensez que cette intégration et complémentarité sont possibles. D'abord vous avez dit que vous n'aviez pas pour mandat d'assurer la complémentarité. Vous nous avez expliqué que votre mandat est celui de l'aquaculture. Le mandat du MPO est de s'occuper du saumon sauvage, du flétan et d'autres choses. Compte tenu de ces mandats fort différents et des zones de compétences différentes entre les provinces et le gouvernement fédéral, pouvez-vous nous dire exactement comment d'après vous cette complémentarité se concrétisera-t-elle? C'est un magnifique objectif ou une chose qu'on pourrait chercher à réaliser. Mais comment y parvenir? Comment pouvez-vous faire avancer ce dossier? M. Bastien: C'est un aspect très important, sénateur. Dans la pêche traditionnelle, on capture le poisson et on le tue alors que dans le secteur de l'élevage on cherche à garder le poisson en vie. Je suis d'accord avec vous, il s'agit là de deux façons complètement différentes de voir les choses. Je reconnais également qu'il y a deux philosophies complètement différentes. Cependant, il est possible qu'il y ait collaboration entre ces deux philosophies. Lorsque j'ai dit qu'on y parviendra peut-être, je ne parle pas de demain. Je dis simplement, pour le mieux-être du secteur aquacole et du secteur des pêches, nous devrions chercher à assurer la collaboration des deux secteurs pour voir si on peut trouver des points communs. Permettez-moi de vous donner un exemple concret. Dans le secteur des produits de la mer, nos principaux concurrents sont la volaille et le boeuf. Pour mieux livrer concurrence à ces deux secteurs nous devrions encourager les secteurs de l'aquaculture et des pêches à s'unir et à s'entendre sur une campagne générique de marketing qui dirait «mangez des produits de la mer parce que c'est bon pour votre santé». Les deux secteurs pourraient continuer à avoir des opinions divergentes sur certaines questions tout en faisant front commun pour faire la promotion de leurs produits. Ce n'est qu'un exemple. L'exemple de ce soir illustre que dans d'autres pays du monde il n'y a aucune distinction entre les aquaculteurs et les pêcheurs. En Norvège, en 1990, il y avait de violents conflits entre le secteur des pêches et celui de l'aquaculture et le gouvernement a décidé de faire la promotion d'une meilleure collaboration entre les deux. Le gouvernement norvégien a lancé de nombreuses initiatives visant à rapprocher les deux groupes. Il a délivré des permis d'élevage de la morue en stipulant que le permis serait accordé à celui dont le projet proposait la meilleure intégration entre les deux secteurs. Ainsi les pêcheurs feraient partie du projet, pas seulement les aquaculteurs. Il y a donc un rôle pour le gouvernement. En ce qui a trait à mon mandat, je suis d'accord avec vous, il me revient de faire la promotion du développement de l'aquaculture. Cependant, je crois qu'une des priorités de mon bureau est de faire la promotion d'une meilleure collaboration. Je ne suis pas là pour créer ou imposer quoi que ce soit. Mon bureau peut créer des conditions pour que ces deux secteurs puissent se rencontrer, pour trouver des points communs. C'est la seule chose que j'aimerais faire. [Français] Le sénateur Robichaud: Quand j'ai demandé à M. Vigneau s'il était difficile d'obtenir un bail, il m'a répondu que c'était très difficile. Est-ce plus facile maintenant? C'était un obstacle difficile à surmonter, qui posait de grands problèmes aux pêcheurs qui voulaient pratiquer l'aquaculture. M. Bastien: Je suis content que vous me posiez la question. Cela me permettra de parler de mon rôle dans ce programme en tant que conciliateur dans les négociations entre les pêcheurs et Pêches et Océans Canada. Lors des négociations, les pêcheurs de pétoncles voulaient travailler en partenariat. Comme M. Vigneau vous l'a mentionné, selon cette entente, les pêcheurs géreraient leur propre fond sans que celui-ci ne soit privatisé. Je travaillais alors pour le gouvernement du Québec, au ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation. Je me suis impliqué dans ce dossier. J'ai rencontré le directeur régional de Pêches et Océans Canada pour essayer de le convaincre d'aller de l'avant avec un plan d'ensemencement public, comme cela se faisait en Nouvelle-Zélande. Pour différentes raisons, cette suggestion n'était pas populaire à Pêches et Océans Canada. Ils ont conclu que c'était impossible, qu'ils n'avaient pas les moyens légaux. J'ai alors émis une recommandation dans ma Revue légale. Admettons qu'un pêcheur sur 23 ne veuille pas participer à ce programme, nous ne pouvons utiliser de moyens légaux pour le forcer à payer le même tarif que les autres pêcheurs qui participent à l'ensemencement des territoires. Si nous n'avons pas les moyens légaux requis, alors qu'arrive-t-il lorsque ce pêcheur décide d'aller pêcher sans avoir payé? Nous ne pouvons pas le forcer. Ces moyens légaux existaient lors de la dernière révision de la Loi sur les pêcheries présentée par Pêches et Océans Canada, mais il est mort au Feuilleton. Cette disposition, dans le projet de loi modificatif de la Loi sur les pêcheries, aurait permis au ministère des Pêches et des Océans d'imposer une sorte de taxe au débarquement qui aurait pu servir à financer les ensemence ments, un peu comme cela se fait en Nouvelle-Zélande. Ce processus serait resté du domaine public. Ma recommandation vise à développer une stratégie d'ensemencement plus particulièrement des mollusques, parce qu'ils ne bougent pas. Si vous ensemencez du saumon, il risque d'aller se promener au Groenland, par exemple. Plusieurs juridictions peuvent ainsi le pêcher. Les mollusques, généralement, ne bougent pas, c'est donc moins compliqué à gérer. Ma recommandation vise à développer une stratégie en ce sens et à regarder quelles seraient les politiques et les changements légaux nécessaires pour la favoriser. Je vous dirais qu'aujourd'hui, ce n'est toujours pas facile. Cette notion d'ensemencement est encore assez controversée à Pêches et Océans Canada, principalement quand il est question de poisson. Par exemple, les ensemencements de saumons sont vus comme une cause importante de la diminution des stocks de saumons sauvages. Un débat scientifique au sein de Pêches et Océans Canada explique pourquoi les programmes d'ensemencement, ou des activités de ce type qui se pratiquent dans d'autres pays, ne sont pas tellement populaires. C'est encore difficile. Le ministère des Pêches et des Océans favorise présentement la voie privée: donner un bail et permettre à des pêcheurs intéressés à rebâtir leur stock, de fonctionner de manière privée. Le sénateur Robichaud: Est-ce facile d'obtenir un bail de façon privée? M. Bastien: Je ne peux pas vous répondre sinon vous dire qu'il n'y en a seulement un qui a passé. Chaque fois qu'on émet un bail d'aquaculture au Canada, on voit comme c'est difficile. C'est considéré comme une privatisation du territoire public et c'est toujours très difficile. On l'a d'ailleurs vu ces derniers jours sur la côte Est, et c'est pareil sur la côte Ouest. Les communautés ont beaucoup de choses à dire à ce propos. Je vous citerais seulement une anecdote, qui vous a été transmise récemment en comité par M. Peter Underwood qui était le sous-ministre en titre au ministère de l'Environnement de la Nouvelle-Écosse et qui est maintenant sous-ministre en titre à Pêches et Aquaculture. Il vous a dit récemment qu'il avait trouvé plus difficile d'octroyer des baux d'aquaculture que de trouver des endroits pour installer des dépotoirs dans sa province. Cela vous montre à quel point il est difficile de faire en sorte que l'aquaculture devienne un utilisateur légitime de nos ressources. C'est tout à fait normal. C'est une nouvelle activité qui a besoin d'espace alors qu'il y a une compétition féroce pour l'espace aquatique par tous les utilisateurs. Il ne faut pas s'imaginer que cela va être facile. Il est nécessaire que tous les utilisateurs soient assis à la table lorsqu'on fait de la planification. C'est d'ailleurs une autre de mes recommandations, c'est-à-dire de s'éloigner de la réponse à des demandes que j'appelle du «pro-active planning» et essayer de faire de la planification du zonage où les aquaculteurs pourraient avoir un territoire intéressant et profitable tout en respectant les autres utilisateurs et la protection de l'environnement. Cependant, ce n'est pas facile. Le sénateur Robichaud: Je peux comprendre que des gens qui veulent se construire une maison d'été le long d'une côte n'aiment pas voir certaines opérations s'effectuer juste devant leur propriété, quoique je ne disqualifierais pas les gens qui veulent faire l'aquaculture pour autant. Je peux comprendre qu'il y ait certaines objections. Parlons d'une opération d'ensemencement de pétoncles en milieu marin où il n'y a pas de chalets alentour. Il y a des fonds à ne pas savoir quoi en faire et des fonds qui, dans certains cas, ne produisent pas. Pourtant, on a des difficultés à accéder à ces fonds. Ce n'est pas comme si on essayait d'inventer une nouvelle fusée pour se rendre sur la planète Mars. Des expériences ont déjà été faites au Japon et ailleurs. Il y en a même une qui se fait chez nous aux Îles-de-la-Madeleine. Je ne comprends pas les raisons de ces difficultés. Si vous avez des groupes qui se lancent dans ce genre de développement, ils ont besoin de toute l'aide possible de la part du gouvernement afin d'avoir des chances raisonnables de réussite. Souvent, lorsque c'est trop difficile, ils s'épuisent et manquent d'énergie juste avant d'arriver à la cinquième ou à la sixième année qui sera vraiment productive. Leur élan disparaît tout d'un coup. M. Bastien: Souvent, l'opposition la plus importante vient de collègues. Quand on a présenté, avec Sylvain Vigneau entre autres, l'idée du programme REPERE aux pêcheurs la première fois, ils nous regardaient avec l'air de dire: «D'où viennent-ils ces martiens? De quelle planète sont-ils? Que veulent-ils faire?» C'était considéré comme une idée loufoque pendant de nombreu ses années. Aujourd'hui, vous ne seriez pas capable d'enlever cette idée aux pêcheurs de pétoncles des Îles-de-la-Madeleine. Ils vont la défendre à tout prix. Pour implanter de nouvelles façons de faire, cela prend toujours un support gouvernemental. Le gouvernement donne une certaine crédibilité à une initiative et s'il n'est pas là pour la supporter, il devient très difficile de convaincre les gens. C'est pour cette raison qu'une de mes recommandations porte là-dessus. Le gouvernement doit permettre à un certain nombre de ces initiatives de se réaliser. On ne parle pas d'une politique «at large», on parle d'un projet pilote qui aurait du succès comme celui des Îles-de-la-Madeleine, mais ailleurs au Canada, avec d'autres espèces. Un projet qui pourrait permettre d'ouvrir de nouvelles voies. Le sénateur Robichaud: Cette recommandation dont vous parlez, où est-elle rendue dans le processus d'acceptation par le ministère des Pêches et des Océans? M. Bastien: Cela ne fait pas partie des recommandations que le ministère a jugées prioritaires dans une première phase. Cependant, elle me tient à coeur et j'en parle régulièrement au sein du ministère. Je vous signale en passant que le prochain Symposium international d'ensemencement et d'amélioration des stocks aura lieu au Japon, en janvier 2002. Le premier symposium a eu lieu en Norvège en 1997 et le Canada était très peu représenté. J'espère qu'en janvier prochain, il y aura une délégation canadienne plus importante. Je travaille en fonction de cela. Il s'agit d'un rassemblement de tous les pays qui font ce genre d'activité, une fois à tous les trois ou quatre ans, pour faire état de leurs résultats dans ce domaine. La dernière fois, 21 pays ont donné leurs résultats d'ensemencement. Cela nous permet de connaître les problèmes rencontrés par les différents pays et d'apprendre comment ils réussissent à les régler. Si un membre de votre comité est intéressé à se rendre au prochain symposium, il me fera plaisir de vous donner des informations supplémentaires sur cette réunion. [Traduction] Le sénateur Watt: Je crois que c'est la première fois que je vous rencontre, monsieur Bastien. J'ai écouté attentivement votre exposé. Je suis fort encouragé par ce que nous avons entendu jusqu'à présent. Je ne vais pas y aller par quatre chemins. Que savez-vous de l'Arctique? M. Bastien: En effet, votre question est très brève. Le sénateur Watt: Je poursuivrai mes questions à partir de là. M. Bastien: Malheureusement, je ne suis pas doué pour les réponses brèves. Je suis allé à Iqaluit l'été dernier et j'ai eu un bon entretien avec le ministre du Développement durable, M. Peter Kilabuk. Nous avons discuté d'une initiative entreprise par le Nunavut et le nord du Québec. Dans ces régions, certains ont installé des bacs d'incubation dans des rivières arctiques pour essayer d'améliorer leur programme d'ensemencement. L'incubation consiste à déposer des bacs en bois au fond des rivières pour améliorer le frai naturel et augmenter le taux de survie. Cela améliore les chances de survie des populations. Le Nunavut était très désireux d'importer cette technologie. Pour ma part, j'ai fait office d'intermédiaire entre le Nunavut et le Nunavik pour faciliter l'échange de technologie. Le projet est en cours. Tout cela pour dire que je connais un peu le Nord. J'ai également eu des discussions avec des gens du Nord du Québec concernant la possibilité de faire de la mytiliculture dans cette région. Je leur ai donné des conseils sur la façon de commencer et renseigné sur le potentiel de réussite et sur le cycle biologique en mytiliculture dans leurs régions. Je leur ai précisé qu'ils ne pouvaient pas vraiment s'attendre à faire concurrence au Sud. En revanche, je leur ai dit qu'ils pouvaient développer une sorte de miticulture qui leur permette de fournir des moules aux collectivités septentrionales. Le sénateur Watt: En principe, vous devez avoir une assez bonne idée de ce qui se fait là-bas. Je suis originaire du Nunavik. Comme chacun le sait, le Nunavut faisait partie des Territoires du Nord-Ouest. Au Nunavik, il y avait autrefois du saumon de l'Atlantique en abondance. Mais au fil des ans, la population de saumon s'est très rapidement amenuisée. Certes, nous continuons d'avoir du saumon de l'Atlantique, mais il semble de plus en plus mélangé à des ouananiches, et ce, année après année. Pour les gens de l'Arctique, pour qui les coûts de transport sont élevés et pour qui tout coûte très cher, il est difficile de faire concurrence aux partenaires du Sud, notamment quand il s'agit de commercialiser leurs produits. Nos marchés ont pratiquement été détruits lorsque les gens du Sud se sont mis à importer les oeufs de l'omble arctique pour en faire l'élevage dans le Sud. Nous nous sommes retrouvés dans l'impossibilité de leur faire concurrence à cause des coûts de transport très élevés. Pendant quelques années, nous avons essayé de concurrencer nos partenaires du Sud pour le saumon de l'Atlantique, mais nous n'avons pas réussi là non plus. J'aimerais que votre bureau cherche des solutions dans ces domaines. Je voudrais que vous nous aidiez à garantir notre production et à obtenir un rendement raisonnable. Il faut faire quelque chose. Le statu quo est simplement inadmissible, car nous sommes injustement punis. Le potentiel de commercialisation de nos produits dans le Sud est de plus en plus faible. Je vous ai parlé des activités de pêche commerciale traditionnelle, et maintenant, je vous parlerai de l'aquaculture. À Kuujjuaq, on a commencé à faire de l'élevage d'omble arctique à petite échelle, et cela marche assez bien. Peut-être ces éleveurs devraient-ils se mettre en rapport avec un bureau comme le vôtre pour trouver des solutions à court et à long terme, que ce soit des solutions naturelles ou artificielles. Pour continuer de faire de la récolte d'omble à des fins de consommation ou à des fins de commercialisation, nous aurons manifestement besoin d'une aide quelconque. Vous avez fait circuler un document intitulé «Un vent favorable». Afin de trouver une solution au problème que je viens de soulever, nous devrons collaborer avec un groupe plus grand, plutôt que de nous contenter de nous isoler des organisations avec lesquelles vous faites affaire. Notre survie économique passe par la collaboration avec les grands joueurs. À titre d'exemple, et vous le savez probablement, autrefois, nous vendions des peaux de phoque partout dans le monde. Or, cela n'est plus possible aujourd'hui, car la loi américaine sur la protection des mammifères marins interdit la commercialisation des peaux de phoque aux États-Unis. Si l'on ne peut vendre ces produits aux États-Unis, on ne pourra les vendre ailleurs. M. Bastien: Une des priorités de mon bureau est d'élaborer une stratégie pour aider les Premières nations à faire de l'aquaculture. Nous y travaillons depuis un certain temps déjà. C'est comme la question de la promotion d'une meilleure collaboration entre les pêches et l'aquaculture. Je n'ai pas de mandat précis pour les Premières nations. Ceci étant dit, dès que nous aurons arrêté notre choix sur une stratégie pour les Premières nations, nous réunirons tous les partenaires importants. Au nombre de ces partenaires, il y a le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. Dans cette stratégie, nous essaierons de tenir compte de ce que vous venez de mentionner, sénateur, c'est-à-dire d'une méthode de commercialisation qui permettra de concurrencer équitable ment sur les marchés. Les Premières nations s'intéressent beaucoup à l'aquaculture. Nous avons examiné toutes les initiatives des Premières nations dans le domaine de l'aquaculture au Canada. Les Premières nations mettent en oeuvre au moins 16 bonnes initiatives solides d'aquaculture sur toute une gamme d'espèces, dont le saumon, les moules, les pétoncles et l'esturgeon. Bon nombre de communau tés des Premières nations pratiquent l'aquaculture. Certaines ne s'y intéressent pas, et c'est très bien. C'est leur décision. Nous essaierons certainement d'en tenir compte dans notre stratégie. Lorsque nous pourrons convaincre des gens d'y participer, surtout au ministère des Affaires indiennes et du Nord, nous jouerons un rôle de coordination. Nous ne pouvons pas faire davantage. La première étape consistera à consulter les Premières nations pour voir ce qu'elles entendent faire dans le domaine de l'aquaculture. Je ne peux pas y arriver sans le plein appui du ministère, mais je ferai de mon mieux. M. Jack Taylor, directeur exécutif, Bureau du commissaire au développement de l'aquaculture: Notre bureau vient d'achever une étude sur l'omble. Nous avons réuni tous les producteurs d'omble du pays, y compris les représentants d'Icy Waters. Icy Waters est une société de Whitehorse qui produit des oeufs d'omble. Pour bon nombre de ces producteurs, c'était la première fois qu'ils se réunissaient. Les résultats de l'étude seront bientôt publiés. Le rapport est en cours de traduction. Ce rapport contiendra des renseignements sur l'état de notre industrie. Ceux qui s'intéressent à cette industrie y trouveront d'excellents renseignements techniques. Il pourrait servir de base au développement ultérieur de l'industrie. Nous ferons un suivi de ces premières rencontres des producteurs d'omble pour les aider à mettre sur pied une association dont les membres pourraient partager de l'information de façon continue. C'est un élément encourageant que nous finançons dans notre Programme de partenariat en aquaculture. Le sénateur Mahovlich: J'ai lu récemment un article dans un journal au sujet de la pénurie de saumon de l'Atlantique qui touche les pêcheurs commerciaux de la baie de Fundy. J'ai eu l'impression que les pêcheurs tenaient l'aquaculture responsable de cette pénurie. Durant notre visite sur la côte Ouest, nous avons entendu beaucoup de critiques des pêcheurs, selon qui le saumon coho et le saumon qui fraie dans les rivières étaient des poissons évadés des écloseries aquicoles. D'après eux, ces saumons remontent les rivières et cela a des conséquences pour diverses espèces de saumon. Le gouvernement a-t-il pu prouver que cela nuisait au poisson sauvage? Existe-t-il des preuves scientifiques que les poissons d'aquaculture nuisent au saumon sauvage? M. Bastien: C'est une question très importante. Bien des gens la posent. Il y a un grand débat à ce sujet. Le sénateur Mahovlich: L'étude est-elle encore en cours? M. Bastien: Oui, et je vous signale qu'on a tenu deux ateliers importants, l'un sur la côte Ouest et un autre semblable sur la côte Est à ce sujet. L'atelier sur la côte Ouest portait surtout sur l'interaction écologique entre le saumon d'aquaculture et le saumon sauvage. Il a eu lieu en mars 2001. Parmi les 30 participants, on comptait John Volpe, de l'Université de la Colombie-Britannique, ainsi que des gens des universités de Toronto et de Victoria. Il y avait également des représentants des deux ordres de gouvernement, des Premières nations, du secteur de l'aquaculture, du Department of Fisheries and Game de l'Alaska, de Trout Unlimited, du U.S. National Marine Fishery Service, du Bureau du vérificateur général, ainsi que des chercheurs de Norvège. Le premier jour, dans l'un des ateliers, on a tenté de définir l'interaction entre les saumons sauvages et les saumons d'aquaculture. La deuxième journée, on a examiné le Programme de surveillance du saumon atlantique pour voir ce qui avait été fait et ce qui pourrait être réalisé à l'avenir dans le cadre de ce programme. On a également mené un sondage pour voir si la salmoniculture constituait une menace plus grave pour l'intégration du saumon sauvage du Pacifique dans la région canadienne du Pacifique. Il n'y a eu aucun répondant aux questions portant sur l'aquaculture de saumon de l'Atlantique en Colombie-Britannique, ce qui signifie qu'aucun des participants à cet atelier ne croyait que c'était la plus grande menace à l'intégration du saumon sauvage du Pacifique. Il y a eu huit répondants aux questions sur la culture du saumon du Pacifique en Colombie-Britannique et on a estimé que c'était la plus grande menace. Autrement dit, ces répondants ont estimé que la plus grande menace était l'amélioration des saumons dans les écloseries et leur libération dans la nature. On a considéré que c'était une menace plus grave à cause des considérations génétiques. L'aquaculture du saumon du Pacifique se trouvait entre les deux. Cela vous donne une idée de ce qui est, pour les scientifiques et tous les spécialistes de ce secteur, la plus grave menace pour le saumon de la côte Ouest. Je viens de lire un rapport publié par un scientifique bien connu. Il a étudié cette question de façon très approfondie. Dans son rapport de quatre ou cinq pages, il parle des causes de la diminution des stocks de saumon sur la côte Ouest. Nulle part dans son rapport il ne parle de la salmoniculture. Le consensus est que la salmoniculture peut avoir un effet, mais que parmi la liste des choses qui nuisent au saumon, la salmoniculture est bien bas dans la liste. Permettez-moi de mentionner également un autre rapport qui a été publié en 2000. Il s'agit d'un document d'analyse de la côte Ouest qui a été présenté par Noaks, Beamish et Kent. Le titre en est «On the Decline of Pacific Salmon and the Speculative Link to Salmon Farming in B.C.». Beamish est un scientifique très connu puisque c'est lui qui a découvert l'effet des pluies acides dans nos lacs. Noaks, Beamish et Kent ont conclu dans leur étude que la salmoniculture, telle qu'elle se fait en Colombie-Britanni que, pose peu de risques aux stocks de saumon sauvage, surtout si on la compare à d'autres facteurs. Dans cette conclusion, ils ont tenu compte de ce que certains saumons de l'Atlantique ont réussi à se reproduire dans des rivières. Certains vous ont dit que le saumon de l'Atlantique se reproduit, mais d'une façon générale, ce risque est faible comparé à d'autres. Il en va de même pour la côte Est. Je suis spécialiste du saumon de la côte Est. J'ai géré des rivières à saumon dans la région de la baie de Gaspé pendant quatre ans et j'ai travaillé au programme de surveillance du saumon de l'Atlantique, à la capture de saumon originaire des terres intérieures dans les pêches de Terre-Neuve. Sur la côte Est, les causes de la diminution des stocks de saumon n'ont rien à voir avec la salmoniculture. Je ne dis pas qu'elle n'a aucun effet. Toutefois, la vraie raison de la diminution des stocks n'a rien à voir avec l'aquaculture. Cette diminution a commencé il y 30 ans et elle s'est poursuivie. Même si vous fermiez toutes les entreprises d'aquaculture sur la côte est du Canada, cette diminution continuera. J'en suis convaincu. La salmoniculture peut avoir un effet local sur un stock qui est déjà très bas. En outre, les poissons qui s'évadent des entreprises d'aquaculture pourraient avoir un effet sur le stock local. Mais dans l'ensemble, les effets de la salmoniculture sont insignifiants par rapport aux grandes causes. Parmi ces grandes causes, il y a la mortalité inexpliquée dans l'océan, la dégradation de l'habitat, qui est due à la construction de barrages, ainsi que les effets de l'exploitation forestière sur nos cours d'eau. Il faut également mentionner que la pulvérisation de produits chimiques sur les forêts nuit au saumon. C'est un énorme débat. Le sénateur Mahovlich: Le gouvernement fait-il des progrès dans la recherche? M. Bastien: Absolument. Sur la côte Est, on a tenu un atelier semblable où étaient réunis de nombreux scientifiques de pays du Nord de l'Atlantique et d'autres pays du Nord. Ensemble, ils ont élaboré 15 projets de recherche pour examiner les causes de la diminution des stocks de saumon. Ils ont essayé d'obtenir du financement pour effectuer ces recherches. Le programme de 75 millions de dollars que le MPO vient d'annoncer permettra d'examiner les questions d'interaction et d'effet. Cela fait partie de ce programme de 75 millions de dollars. En outre, Aquanet a entrepris une recherche sur ces aspects également, du point de vue des universitaires. Il y a donc des recherches en cours. La première assemblée générale annuelle d'Aquanet aura lieu en septembre, à Halifax, et je vous encourage à prendre connaissance de ses résultats. Aquanet publiera les résultats de son équipe écologique intégrée et examinera certains aspects de l'interaction entre le saumon d'élevage et le saumon sauvage. Le sénateur Carney: Voilà un an que cette étude est en cours, et nous n'avons pas réussi à trouver une seule étude scientifique qui décrive clairement les effets de l'aquaculture sur les habitudes de migration ou sur les pêches de saumon sauvage. Comme vous le savez, John Volpe est le seul à travailler dans ce domaine. Simon Peter, d'Ucluelet, nous a dit que même si l'on nous a dit que les poissons ne pouvaient pas s'échapper des filets d'élevage, ils le font. On nous a dit que les saumons de l'Atlantique ne pouvaient pas se reproduire dans les rivières du Pacifique, mais ils le font. On nous a dit que les saumons de l'Atlantique ne pouvaient pas s'établir dans les rivières du Pacifique, mais ils le font également. Dans tous ces rapports, on dit que l'aquaculture n'a que peu ou pas d'effet sur les pêches de poissons sauvages, et pourtant, tous nos travaux montrent que les connaissances scientifiques sont incertaines, inexistantes ou minimes. Nous aimerions savoir ce que vous en pensez. Pourquoi l'Alaska décourage-t-elle l'aquaculture? M. Bastien: Pour répondre à votre première question, il existe beaucoup de données scientifiques. Par exemple, on a mentionné dans l'Examen de la salmoniculture réalisé en 1997 que des saumons s'échappaient des enclos et qu'ils risquaient de s'établir dans les rivières. Je reconnais qu'il n'y a pas beaucoup d'études précises. Les projets examinent la question sous des angles différents. Il est difficile de faire de telles recherches car il faut traiter d'interaction génétique, faire des études à long terme, et qu'on ne réussit pas nécessairement à trouver toutes les réponses. Le sénateur Carney: Nous n'avons pas réussi à trouver d'études au MPO sur l'effet de l'aquaculture sur les trajets de migration. Ma question est la suivante: si vous aviez des renseignements à ce sujet, nous les transmettriez-vous? J'ai également posé une question au sujet de l'Alaska. M. Bastien: L'Alaska n'a pas nécessairement le même système que nous. L'Alaska investit toute son énergie dans son programme d'écloseries de saumon. On a mis au point un énorme réseau d'écloseries dans lesquelles le poisson est élevé pour une courte période avant d'être libéré dans l'océan. Ce réseau a eu une production énorme. D'après nos scientifiques canadiens, un tel système est dangereux. L'Alaska a choisi une forme différente d'aquaculture. D'après certains, la réussite de ce programme dépend des conditions dans lesquelles se retrouve leur poisson dans les trajets de migration et de leur accès à la nourriture dans l'océan. Il semble que sur la côte Ouest, certains stocks de saumon se trouvent dans des conditions différentes et certains ont un meilleur rendement que d'autres. Le stock de l'Alaska, qui est enrichi des poissons des écloseries, se porte très bien. C'est pour cette raison que les Américains ont décidé qu'ils ne voulaient pas d'aquaculture. Ils veulent continuer de faire ce qui fonctionne bien pour eux. Ils ne veulent pas que la salmoniculture se développe en Alaska. C'est leur opinion et elle a une certaine valeur. Le sénateur Carney: Compte tenu de ce que le vérificateur général a dit dans son rapport sur les effets de la salmoniculture sur la gestion des stocks de poisson sauvage en Colombie- Britannique, croyez-vous que le MPO respecte ses obligations législatives, sous le régime de la Loi sur les pêches, pour ce qui est de protéger les stocks de saumon sauvage et leur habitat des effets de la salmoniculture? M. Bastien: Il y a un an, je vous aurais répondu que non. Aujourd'hui, je vous répondrai que nous mettons en place toutes les mesures nécessaires pour que le MPO puisse exécuter le mandat que lui confère la Loi sur les pêches, surtout en ce qui a trait à l'article 35 et à la protection des habitats halieutiques. On fait une évaluation environnementale de toute nouvelle exploitation salmonicole qui veut s'établir sur l'une ou l'autre côte. Le sénateur Carney: Mais ce n'est qu'une vérification, un examen très limité. M. Bastien: C'est une méthode d'analyse des effets. Cela ne signifie pas que cette analyse n'est pas complète. L'industrie et les bureaux du gouvernement doivent y investir beaucoup d'énergie et d'argent. D'après Environnement Canada et l'Agence canadienne d'évaluation environnementale, la méthode est suffisante. En outre, une fois que l'évaluation environnementale est terminée, toutes les exploitations salmonicoles doivent participer à un programme de surveillance. Ce programme permet de détecter tous les effets inacceptables sous le régime de l'article 35 de la Loi sur les pêches. Cela s'applique actuellement à tous les projets de salmoniculture sur les deux côtes. Le sénateur Carney: Vous dites que le vérificateur général s'est trompé? Le président: Je vais maintenant donner la parole au sénateur Watt, avant de conclure. Ce sera tout pour ce soir. Le sénateur Watt: Dans votre exposé, vous dites que les projets sont approuvés par un programme de partenariat en matière d'aquaculture. Vous avez mentionné différentes entreprises, dans diverses provinces, auxquelles s'appliquent les critères du programme de partenariat. Pourriez-vous nous en dire davantage? Qu'est-ce que cela signifie? Votre commission participe-t-elle à la détermination de ce qui est acceptable et de ce qui ne l'est pas? Supposons que nous voulions mener un projet pilote pour recueillir des données scientifiques et que nous voulions limiter ce projet pilote. Que faites-vous dans une telle situation? M. Bastien: Notre programme de partenariat en aquaculture est limité par les objectifs de notre bureau. Il ne s'agit pas d'un programme d'appui à la recherche et au développement, aux projets de recherche ou aux projets pilotes. Ce programme vise à aider les partenaires de l'industrie de l'aquaculture dans leurs initiatives, entre autres l'élaboration de bases de données pour la santé des poissons. Il existe d'autres programmes de recherche et de développement qui sont offerts par d'autres ministères. Les critères de notre programme sont bien précis. Si cela vous intéresse, M. Taylor pourra vous les expliquer. C'est lui qui dirige le programme. Sénateur Watt: M. Taylor pourrait peut-être nous rencontrer pour discuter des détails. Le président: Merci à nos témoins. Nous espérons recevoir bientôt votre rapport, peut-être d'ici la fin juin. Nous examinerons notre première ébauche de rapport la semaine prochaine. M. Bastien: J'ai hâte de pouvoir en prendre connaissance. Le sénateur Carney: Je crois savoir que la Colombie- Britannique a également produit un rapport. Pourrait-on en distribuer des copies ce soir? La présidente: On est en train de le distribuer. Honorables sénateurs, est-on d'accord pour que le document que nous avons reçu ce soir soit ajouté aux dossiers du comité? Il s'agit du document du gouvernement de la Colombie-Britannique, d'une lettre de l'Alliance de l'industrie canadienne de l'aquiculture, ainsi que des documents de Sylvain Vigneau et du commissaire Yves Bastien. Êtes-vous d'accord? Des voix: D'accord. La séance est levée.