37-1
37e législature,
1re session
(29 janvier 2001 - 16 septembre 2002)
Choisissez une session différente
Délibérations du comité sénatorial permanent
des affaires étrangères
Fascicule 13 - Témoignages
| OTTAWA, le mardi 25 septembre 2001
|
| Le Comité sénatorial des affaires étrangères se réunit
aujourd'hui à 19 h 05 pour examiner, et pour en faire rapport, les
faits nouveaux en matière de politique, de questions sociales,
d'économie et de sécurité en Russie et en Ukraine, les politiques
et les intérêts du Canada dans la région ainsi que d'autres sujets
connexes.
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| Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.
|
| [Traduction]
|
| Le président: Je précise tout de suite qu'après cette réunion,
nous avons une question importante à régler à huis clos. C'est la
première fois que notre comité se réunit depuis l'ajournement
d'été et je tiens à assurer mes collègues que nous avons beaucoup
travaillé pendant l'été, mais c'est la première fois que nous nous
retrouvons pour discuter ensemble.
|
| Honorables sénateurs, nous poursuivons nos travaux sur la
Russie et l'Ukraine, notre examen des faits nouveaux en matière
de politique, de questions sociales, d'économie et de sécurité en
Russie et en Ukraine, ainsi que des politiques et intérêts du
Canada dans la région et d'autres sujets connexes.
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| Nos témoins aujourd'hui sont M. Lorne Cutler et M. Fergal
O'Reilly, de la Société pour l'expansion des exportations, et
M. Angus, de la Gendarmerie royale du Canada. Bienvenue.
|
| M. Angus Smith, Gendarmerie royale du Canada: Monsieur
le président, honorables sénateurs, comme vous l'imaginez, les
deux dernières semaines ont été assez exceptionnelles pour nous à
la GRC. Je viens moi-même de passer six nuits en service.
|
| C'est pour moi un plaisir et un honneur d'être interrogé sur mes
activités qui consistent en temps normal à m'occuper du crime
organisé et de ce qu'il signifie non seulement pour mon
organisation mais pour l'ensemble de la société.
|
| La Russie et l'Europe de l'Est m'intéressent sur le plan
professionnel et sont, je dois dire, une passion personnelle encore
que pour l'instant, j'ai plus tendance à me concentrer sur des
problèmes plus généraux et sur les nouveaux problèmes de crime
organisé.
|
| Je vais vous présenter ce soir un aperçu stratégique du crime
organisé en Europe de l'Est et plus particulièrement en Russie, car
c'est sur cette région que nous nous concentrons. Je vous parlerai
de la situation en Russie et au Canada, et de certaines de nos
réactions à cette situation, j'essaierai de mettre en évidence
certaines caractéristiques particulières du crime organisé en
Europe de l'Est et les défis que cela représente pour nous.
|
| Je sais que nos préoccupations ne semblent pas peser très lourd
face à ce qui s'est passé récemment aux États-Unis, mais
néanmoins, le crime organisé peut infliger des dégâts très
importants et très durables, et il demeure donc une priorité pour la
GRC, même en cette époque de crise où la vigilance est
renforcée.
|
| Inutile de vous préciser que l'Europe de l'Est est immense.
Chaque pays, non seulement la Russie et l'Ukraine, mais aussi la
Pologne, la République tchèque et la Slovaquie, connaissent de
graves problèmes de criminalité interne. En général, étant donné
notre orientation, quand nous parlons de «crime organisé en
Europe de l'Est», nous parlons essentiellement du crime organisé
en Russie.
|
| Fait intéressant, dans bien des pays d'Europe de l'Est, ce sont
les organisations de l'ex-Union soviétique qui dirigent ou qui
contrôlent la pègre locale. C'est comme si la féodalité criminelle
avait remplacé l'hégémonie politique de l'ère soviétique. Je l'ai
constaté concrètement dans les hôtels luxueux de villes comme
Prague et Bratislava, où l'on voit évoluer des individus russes
entourés d'une clique de criminels locaux. C'est très intéressant.
|
| Le phénomène n'est pas nouveau. Des groupes de criminels
organisés et de bandits extrêmement bien organisés existent en
Russie et dans le territoire de l'ex-Union soviétique depuis des
siècles. Si vous êtes, comme je le suis, un passionné de littérature
russe, vous n'avez qu'à lire La fille du capitaine de Pouchkine ou
Les Cosaques de Tolstoï ou encore le Taras Bulba de Gogol pour
en avoir la confirmation. En dépit de tous les discours politiques,
ces groupes ont prospéré durant l'ère soviétique dans les
domaines de la contrebande, de la spéculation sur les devises et
du trafic de drogues. Dans certains cas, ils coexistaient de manière
parfaitement harmonieuse avec les autorités centrales, surtout
l'appareil de la sécurité interne, et les criminels ordinaires étaient
souvent utilisés dans les goulags pour contrôler les condamnés
politiques. Là encore, on en trouve un témoignage énorme et
effroyablement détaillé dans la littérature avec l'oeuvre monu
mentale de Soljenitsyne, L'archipel du goulag.
|
| C'est en fait dans le cadre du régime pénal soviétique que s'est
développé l'essentiel de ce qui constitue actuellement le crime
organisé en Russie, avec les «voleurs dans la loi», les Avtoritety,
et leurs codes de comportement extrêmement sophistiqués.
L'histoire du goulag est fascinante et l'histoire de ses criminels
constitue à certains égards une histoire secrète ou parallèle de
l'Union soviétique.
|
| Le goulag a souvent été déchiré par des combats sauvages entre
diverses factions criminelles. Par exemple, la guerre dite des
«Scabs» qui a fait rage pendant 10 ans au cours des années 40
et 50 s'est traduite par des milliers de morts.
|
| Malgré cela, ces criminels se sont épanouis au cours de l'ère
postsoviétique en achetant des entreprises d'État et divers actifs,
souvent pour une bouchée de pain, lorsqu'on les a privatisés. Ils
se sont alliés avec des personnages politiques clés et se sont
implantés dans le secteur financier et bancaire. Si l'on peut
qualifier le crime organisé de «forme absolue du libre marché»,
on peut dire que l'effondrement de la Russie a été lié au fait que
lors de la désintégration du système soviétique, les criminels
russes étaient parmi les rares qui savaient fonctionner dans un
libre marché.
|
| En fait, quand une société se désintègre, il y a toujours des
éléments marginaux qui apparaissent pour combler le vide laissé
par la disparition des structures politiques, économiques et
sociales légitimes. C'est une leçon valable pour nous aussi.
|
| À l'heure actuelle, des pans entiers de l'économie russe sont
tombés en partie ou en totalité entre les mains du crime organisé.
On estime que jusqu'à 40 p. 100 des entreprises privées et
jusqu'à 85 p. 100 des banques commerciales sont contrôlées
directement ou indirectement par la pègre. La «protection» et
l'extorsion sont généralisées et même des entreprises propres ont
du mal à fonctionner sans «couverture», c'est-à-dire sans être sous
la protection d'un chef criminel ou sans faire l'objet d'un racket.
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| Aujourd'hui, le crime organisé poursuit son expansion en
Russie, peut-être plus vite que n'importe quel autre groupe de
crime organisé au monde. Quand je vais en Europe, les policiers
et les agents du renseignement de nombreux pays européens me
disent régulièrement qu'ils n'avaient pas eu de problèmes de
criminalité organisée graves jusqu'à l'effondrement de l'URSS.
|
| Pour en revenir à l'actualité, dans la foulée de la catastrophe
financière de 1998 en Russie, ces groupes ont poursuivi leur
expansion à l'étranger et leurs intrusions dans d'autres pays. Ils
mènent de façon plus agressive leurs recherches de nouveaux
marchés et de nouveaux champs d'action.
|
| Il y a actuellement trois grands groupes de criminels organisés
russes en activité au Canada, dont un serait dirigé par un «voleur
dans la loi». La plupart d'entre eux font partie intégrante de
groupes plus importants basés en Russie ou dans d'autres régions
de l'Europe orientale et centrale. La plupart d'entre eux sont
extrêmement bien financés grâce à de vastes réserves communes
de financement. Ils sont généralement implantés essentiellement à
Toronto et dans le sud de l'Ontario, mais ils sont aussi actifs à
Vancouver, à Montréal et dans les Maritimes. Cette activité dans
les Maritimes est intéressante car il y a toute une tradition de
présence russe dans la région. Des générations entières de
Soviétiques y sont venues comme pêcheurs et ont souvent
considéré des villes comme St. John's et Halifax comme leur
deuxième domicile.
|
| Ils se spécialisent notamment dans les fraudes commises par les
employés, les fraudes à l'immigration et le vol et la contrebande
d'automobiles. J'ai souvent vu, dans les rues de Prague et de
Bratislava, des voitures qui avaient encore leur plaque d'immatri
culation de l'Ontario et des collants du CAA sur le pare-chocs,
des voitures qui venaient de débarquer.
|
| Ils pratiquent de plus en plus des formes de fraude technologi
que très sophistiquées en se servant de fausses cartes de crédit et
de débit. En Europe de l'Ouest et en Amérique du Nord, il y a
aussi la prostitution organisée et le trafic de femmes. Il est
intéressant de constater que les femmes importées sur commande
viennent de plus en plus d'Europe de l'Est - des filles russes,
ukrainiennes et lithuaniennes - et qu'elles deviennent plus
populaires à maints égards que les Thaïlandaises ou les
Philippines. Mais c'est peut-être simplement une considération
économique.
|
| Ces individus utilisent de façon de plus en plus inquiétante la
technologie. Il y a des groupes de pirates informatiques
incroyablement doués en Russie et en Ukraine. Cette année, par
exemple, les journaux ont relaté la façon dont des pirates
informatiques russes sont entrés dans des sites de commerces et
de transactions bancaires électroniques et ont téléchargé des
informations sur les clients, notamment des données sur les cartes
de crédit. Comme ces criminels organisés d'Europe de l'Est sont
intéressés par la fraude et la criminalité financières, ils sont incités
à faire appel de plus en plus à cette sous-culture du piratage
informatique. C'est une culture qui prospère en Europe de l'Est et
en Russie en particulier, car la qualité de l'enseignement
technique dans cette région du monde est traditionnellement
excellente. Il y a dans cette région de nombreux individus
extrêmement talentueux à l'affût d'un emploi.
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| Pourquoi tout cela nous inquiète-t-il autant? Eh bien, parce que
ces gens-là sont très forts pour s'infiltrer dans des structures
économiques légitimes et les suborner. Contrairement aux autres
groupes de criminels organisés du pays, ils semblent concentrer
leurs ressources et leurs énergies vers des formes d'activités
criminelles qui ne sont pas caractérisées comme «criminelles».
Autrement dit, notre cible va être un courtier en produits, un chef
d'entreprise pétrolière qui a une série de stations d'essence dans la
région de Toronto ou un marchand d'or et de diamants bien
connu. Je ne la porte pas aujourd'hui parce que j'ai une irritation,
mais normalement j'ai une alliance russe. Tout le monde à
Toronto a ce genre de bague qu'on achète à ces gens-là.
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| Ce n'est pas l'activité elle-même qui est criminelle, mais ce
qu'elle permet, c'est-à-dire le blanchiment d'argent, la fraude,
l'évasion fiscale, la contrebande de denrées, le vol, la mise en
place de monopoles, et cetera. Ce qui les distingue, c'est que dans
une grande mesure leur richesse provient du pillage à grande
échelle de l'économie russe.
|
| Le crime organisé est responsable d'une grande partie de la
fuite des capitaux russes, que certains estiment à quelque 2
milliards de dollars par mois et, fait intéressant, cette évasion
prend souvent la forme d'objets d'art et d'objets culturels. Non
seulement on assiste à des problèmes de fuite des capitaux et à un
problème de criminalité, mais aussi à la destruction du patrimoine
russe.
|
| C'est quelque chose qui m'intéresse personnellement. On voit
proliférer des oeuvres d'art russes et des meubles d'église dans les
magasins de Toronto, de Londres et de New York. Quand on
interroge leurs propriétaires sur l'origine de ces oeuvres d'art, ils
sont extrêmement peu loquaces.
|
| Ces criminels ont aussi infligé des dégâts à l'économie
canadienne, comme en témoigne l'affaire YBM Magnex. YBM
Magnex est apparue à la Bourse de l'Alberta en 1995, et c'était
officiellement un fournisseur d'équipement électronique indus
triel. Cette société a eu d'extrêmement bons résultats à la Bourse
de l'Alberta, elle est passée à la Bourse de Toronto en 1996 et en
1997, elle était cotée à l'indice TSE 300. En 1998, ses
transactions ont été suspendues parce qu'elle n'avait pas présenté
de vérification de ses états financiers, et on s'est rapidement rendu
compte qu'il s'agissait d'une vaste fraude, qui allait même
jusqu'aux simples photos des catalogues. Il est apparu que
l'entreprise avait été mise sur pied par l'organisation de Semion
Mogilevich pour dissimuler une affaire de blanchiment d'argent.
Ce qui est grave, ce sont des investisseurs canadiens qui avaient
pour 635 millions de dollars d'actions qui se sont retrouvés sans
rien. C'est considérable.
|
| La situation n'est toutefois pas dramatique. Du point de vue des
enquêteurs, cette légitimation oblige ces criminels à exposer au
grand jour une partie de leurs activités et, comme dans le cas de
YBM Magnex, les expose à une certaine mesure de contrôle
juridique et réglementaire qu'il est impossible d'exercer autre
ment. Ils deviennent plus vulnérables aux enquêtes poussées sur
les produits de la criminalité. Il n'y a pas d'arme magique contre
le crime organisé, mais ces enquêtes sont tout de même très
efficaces pour lutter contre ces criminels. Non seulement ils ont
besoin d'argent pour fonctionner, mais c'est aussi leur objectif car
ils sont fondamentalement motivés par l'appât du gain. Je pense
qu'on n'oubliera jamais que ce qui a finalement mené Al Capone
à Alcatraz, c'est une condamnation pour fraude fiscale, une forme
de revenus tirés d'activités criminelles.
|
| Certains facteurs sont particuliers à cette forme de crime
organisé et représentent pour nous de véritables défis. Dans sa
manifestation nord-américaine, le crime organisé russe est né de
toute pièce. Ces individus qui étaient des crapules invisibles de la
pègre sont devenus de grands criminels internationaux en moins
d'une décennie. Ils ont réussi à éviter une évolution classique que
l'on constate dans le crime organisé - les Italiens ou les
Asiatiques, ou encore les gangs de motards hors-la-loi -
c'est-à-dire l'assimilation graduelle, l'insertion et l'évolution sur
plusieurs générations. Les policiers ont donc dû s'adapter
extrêmement vite à cette nouvelle situation. Nous n'avons pas eu
la possibilité de les observer, de nous adapter à eux, de nous
habituer à eux et d'évoluer parallèlement à eux.
|
| À titre personnel, je dirais que dans le monde occidental on a
souvent tendance à considérer les Européens de l'Est, et les
Russes en particulier, comme des victimes. Je pense que c'est une
erreur, car ce sont des gens qui se considèrent comme des
survivants - des âmes qui ont figurativement et littéralement
échappés au massacre. Quand on examine le crime organisé en
Europe de l'Est et en Russie, il ne faut jamais oublier qu'il s'agit
d'une société et d'individus qui ont survécu à Stalin, à Hitler et au
goulag. Ils ont traversé des formes d'enfer que nous ne
connaîtrons, si nous avons de la chance, que dans nos pires
cauchemars.
|
| Bien sûr, il s'agit de crime organisé, mais à certains égards,
c'est presque une forme de survie culturelle. Quand on a survécu
au siège de Leningrad, aux mines d'or de Kolyma, où les
prisonniers politiques travaillaient dans des mines à ciel ouvert
par 75 degrés sous zéro, on n'est pas spécialement impressionné
par tout l'appareil de police et de maintien de la loi du Canada.
C'est donc à nous d'imaginer des façons nouvelles de nous
attaquer à ces individus.
|
| Notre réaction prend essentiellement trois formes. Première
ment, au niveau des enquêtes et des poursuites, nous avons mené
à bien plusieurs enquêtes sur le crime organisé est-européen; en
1997, le projet OSADA a débouché sur l'expulsion vers la Russie
d'un personnage bien connu de Toronto, Vyacheslav Sliva. Il avait
été l'un des premiers représentants du crime organisé à arriver ici
et il était étroitement associé, tant par son mariage que par ses
liens professionnels, à Vyacheslav Ivankov, alias Yaponchik, qui a
été la première grande tête de la criminalité post-soviétique aux
États-Unis en tant que chef de la mafia de Brighton Beach.
OSADA 2 a débouché sur l'arrestation du successeur de Sliva,
Yuri Dinaburgski, et de plusieurs autres conspirateurs en Ontario,
au Québec, aux États-Unis et dans plusieurs autres pays. Cette
enquête nous a menés à travers le monde entier, en Russie, aux
États-Unis, en Hollande, dans les Caraïbes, et cetera.
|
| Le deuxième volet de notre action consiste à étendre nos
connections. Compte tenu de mes intérêts personnels, je considère
que ces deux derniers points sont à certains égards les plus
importants. La GRC a un protocole d'entente avec le MVD, le
ministère russe de l'Intérieur, depuis 1993. Nos relations portent
surtout sur la formation, notamment notre programme de
détachement d'observateurs internationaux qui permet à des
policiers russes d'évoluer au sein de divisions de la GRC. Cela
leur permet de se familiariser avec les tâches et responsabilités de
la GRC et de comprendre le rôle de la police dans la société
canadienne. Des cadres supérieurs de la police russe et de divers
organismes d'application de la loi sont venus nous rendre visite et
voir comment nous fonctionnions pendant des durées variables,
soit grâce à un financement de la GRC, soit grâce à d'autres
formes d'aide telle que la Fondation Eltsine.
|
| Nous avons monté et nous continuons à monter de nombreux
programmes de formation en Europe de l'Est et du Centre,
notamment dans la Baltique, en République tchèque et en
République slovaque, sous l'égide de l'ACDI. Ce n'est pas de la
formation opérationnelle. On ne leur apprend pas à être des
policiers en soi. Il s'agit plutôt d'une formation à la gestion, aux
techniques d'éducation des adultes, à l'analyse du renseignement,
à l'éthique, à des philosophies différentes des activités policières
et cetera.
|
| J'ai personnellement participé à plusieurs de ces initiatives en
Europe de l'Est et en Amérique du Sud, une région dont il n'est
pas question ici pour l'instant. Je peux vous dire qu'elles ont été
un succès. L'une des choses les plus importantes dans ces
initiatives, c'est que nous y incluons toujours une composante de
formation pour permettre à ces personnes d'adapter la formation à
leurs besoins et à leurs exigences au fur et à mesure de leur
évolution. Nous commençons actuellement à mettre sur pied avec
l'ACDI des programmes de formation pour l'Asie centrale, qui
pourront éventuellement inclure aussi la Russie sur demande.
|
| Le troisième volet de notre action concerne une de nos priorités
stratégiques. Le maintien de la paix et la consolidation de la paix
constituent une priorité stratégique à long terme de la GRC. Nous
connaissons tous bien le rôle joué par la GRC à Haïti et dans les
Balkans, mais la consolidation de la paix, pour insister sur ce qui
est essentiel, inclut un ensemble d'initiatives qui vont bien au-delà
de nos obligations auprès de l'ONU.
|
| À mon avis, les projets de formation et de développement
internationaux font partie intégrante du rôle de la GRC et du
Canada dans l'édification d'institutions, notamment dans les
démocraties naissantes, car il va de soi que l'une des caractéristi
ques d'une société civile et ouverte, c'est une structure policière
fonctionnelle, bien organisée et bien disciplinée à laquelle les
citoyens accordent une confiance implicite. C'est la pierre
angulaire d'une démocratie fonctionnelle.
|
| Pour terminer, je dirais que la GRC, à mon avis, qui constitue,
pour le meilleur comme pour le pire, un exemple pratique
d'instance policière, tant au Canada qu'à l'étranger, a un rôle
crucial à jouer à cet égard, de par les ressources et le savoir-faire
qu'elle peut apporter, mais peut-être aussi, et surtout, de par sa
capacité de donner l'exemple.
|
| M. Fergal O'Reilly, Société pour l'expansion des exporta
tions: Je vais d'abord me présenter, puis vous donner un aperçu
de la Société pour l'expansion des exportations (SEE). J'y
travaille à titre d'analyste des risques politiques et je suis
responsable de la Russie, de la Communauté des États indépen
dants (CEI) et de l'Europe de l'Est. Mon rôle consiste à surveiller
les événements politiques et réglementaires et leur incidence sur
les entreprises canadiennes qui ont des investissements dans ces
pays ou qui entretiennent des relations commerciales avec eux. Je
vais vous expliquer davantage ce qu'on entend par risques
politiques au sein de la SEE. Ce n'est pas ce qu'on serait porté à
croire a priori.
|
| Avant d'accorder une assurance risques politiques aux investis
seurs canadiens, nous explorons trois axes principaux qui reflètent
trois catégories de risques. La première catégorie concerne les
transferts et la convertibilité, c'est-à-dire la capacité pour
l'investisseur de convertir l'argent gagné sur place en monnaie
forte et de le transférer à l'extérieur du pays vers une banque
canadienne ou américaine, ou tout simplement à l'étranger.
|
| Bien que ce risque soit tributaire dans une large mesure de
facteurs macroéconomiques, il n'en demeure pas moins qu'il
dépend grandement de l'attitude du gouvernement et de ses choix
politiques. Ainsi, en Russie, le gouvernement exige que
50 p. 100 des bénéfices réalisés en monnaie forte sur des projets
locaux soient reconvertis en roubles et injectés dans le système
bancaire russe.
|
| La deuxième catégorie de risques que nous analysons est le
risque d'expropriation. Il s'agit non seulement de l'expropriation
proprement dite, mais aussi du problème grandissant que nous
constatons, celui de l'«expropriation rampante». Là, nous exami
nons principalement toutes sortes d'actions ou d'inactions
gouvernementales qui empiètent graduellement sur la capacité des
auteurs d'un projet de réaliser des bénéfices et de rentabiliser leur
investissement. Cela peut prendre différentes formes, de la
révocation d'un permis d'exporter à des jugements de tribunaux
partiaux, défavorables à l'étranger.
|
| La troisième catégorie de risques est la violence politique, qui
se passe de tout commentaire et qui couvre un vaste éventail
d'événements. Les auteurs de projets peuvent perdre de l'argent si
leurs avoirs sont endommagés ou s'ils ne peuvent plus être
opérationnels en raison de violences prolongées.
|
| Outre ces trois facteurs de risque, nous surveillons le niveau de
stabilité générale du gouvernement, qui a une incidence sur sa
capacité d'élaborer et de mettre en oeuvre des politiques qui, à
leur tour, auront des conséquences pour les autres catégories de
risques.
|
| Après ce bref aperçu, je voudrais maintenant parler de la
Russie. Je diviserai mon exposé en trois parties. Dans un premier
temps, je résumerai le point de vue de la SEE sur les événements
politiques survenus au cours des 18 derniers mois, soit depuis
l'arrivée au pouvoir de Poutine et son élection comme président.
Dans un deuxième temps, j'aimerais vous parler de la situation
actuelle, c'est-à-dire 18 mois plus tard. Enfin, j'essaierai de nous
projeter dans l'avenir pour voir ce qui se profile à l'horizon pour
les intérêts des entreprises canadiennes.
|
| Premièrement, il va sans dire que l'arrivée au pouvoir de
Poutine s'est accompagnée d'un changement fondamental dans le
paysage politique russe. L'année 2000, et la majeure partie de
2001, ont été marquées par le rétablissement du pouvoir de l'État
en Russie. Durant les années Eltsine, la faiblesse du pouvoir
central a permis à d'autres acteurs politiques de prendre
l'initiative en Russie. On distingue trois principaux groupes
d'acteurs. Évidemment, le premier est la Douma. Avant les
élections parlementaires de 1999, qui ont vu la naissance du bloc
Unité pro-Kremlin et pro-Poutine, la Douma constituait une force
d'opposition au Kremlin. La majorité pro-Kremlin n'appuyait pas
les politiques gouvernementales, et les nouvelles initiatives
législatives s'enlisaient constamment dans des querelles partisa
nes, ce qui s'est traduit par une impasse ou une paralysie
législative.
|
| Le deuxième groupe d'acteurs qui a gagné en influence, ce sont
les autorités régionales. En effet, certaines régions s'étaient donné
une autonomie considérable par rapport au pouvoir central,
notamment sur les plans juridique, administratif et, surtout,
financier. Par conséquent, le pays est devenu une véritable
mosaïque bigarrée d'autorités, ce qui a rendu la vie particulière
ment difficile aux investisseurs étrangers, car dans la plupart des
cas, on ne savait tout simplement pas à qui on avait affaire ni à
quel régime juridique on devait se conformer.
|
| Le troisième et dernier groupe d'acteurs sur la scène politique,
ce sont les oligarques, des personnes comme Berezovsky, qui se
sont servis de leurs relations politiques pour gagner un avantage
considérable dans le milieu des affaires, notamment vers la fin des
années Eltsine, soit après sa réélection en 1996. L'influence de
cette oligarchie sur l'action gouvernementale avait pris beaucoup
d'ampleur.
|
| À divers degrés, tous ces groupes et personnes avaient sapé la
capacité du gouvernement d'imposer sa volonté et de réaliser ses
objectifs politiques.
|
| Le but de Poutine, et c'est là que nous avons parlé du
rétablissement du pouvoir de l'État, a été de renverser cette
tendance et de reprendre le pouvoir.
|
| Après 18 mois de consolidation de pouvoir, qu'en est-il de la
situation actuelle? La première chose qu'il convient de préciser
est que le projet du rétablissement du pouvoir de l'État n'est pas
encore terminé en Russie. Il reste encore beaucoup à faire. La
douma prête désormais son appui, et un consensus grandissant
semble se dessiner autour d'un bloc pro-Kremlin. Plus tôt cet été,
l'opposition officielle s'est jointe à l'Unité pour former un bloc
pro-Kremlin plus puissant. D'une manière générale, les commu
nistes n'ont plus beaucoup de pouvoir au sein du gouvernement.
Ils perdent constamment les votes et les débats.
|
| Les autorités régionales alignent de plus en plus leurs lois sur
celles du pouvoir central, et ce, grâce à une sorte de politique de
la carotte et du bâton utilisée par le centre. Pour sa part, le
pouvoir central a fait preuve d'une plus grande volonté et capacité
d'imposer son bon vouloir aux régions éloignées, de punir celles
qui ne se conforment pas à ses politiques et de récompenser celles
qui le font.
|
| Enfin, les oligarques ont eux-mêmes renoncé à toute ingérence,
du moins ouverte, dans le processus politique.
|
| Cependant, à certains égards, je crois que l'opposition au
régime est tout simplement endormie. Je ne pense pas qu'elle ait
baissé les bras pour autant. Cela est attribuable en grande partie à
la popularité continue de Poutine. Tant que celui-ci sera populaire,
il n'aura vraisemblablement pas à se préoccuper de l'opposition.
|
| Ceci étant dit, Poutine est encore résolument engagé dans la
voie du rétablissement du pouvoir de l'État. Il n'a pas encore
renoncé à cet objectif.
|
| Cette volonté trouve son expression dans les constantes
manoeuvres pour voir qui est pour et qui est contre, et dans les
changements d'alliance de la part des acteurs politiques indivi
duels. Le premier ministre Kasyanov et le chef d'état-major
Volochine, qui ont tous les deux de forts liens avec l'ancien
régime et la famille Eltsine, et que l'on associe étroitement à
l'oligarchie, semblent désormais adopter davantage une position
pragmatique, s'alignant sur les politiques de Poutine et prenant
soin de leurs intérêts.
|
| Ces manoeuvres politiques constantes se font au détriment des
progrès sur d'autres fronts, et ceux qui nous intéressent
particulièrement sont le front économique et la réforme du
marché. À ce chapitre, nous avons constaté relativement peu de
progrès importants durant les 18 premiers mois.
|
| Plusieurs facteurs exacerbent la situation. Tout d'abord, la
prudence de Poutine. Celui-ci ne prend pas de décisions qui soient
difficiles sur le plan politique. En effet, la plupart des batailles
politiques qu'il a livrées ont été des batailles qu'il était sûr de
pouvoir gagner. En d'autres mots, il se garde de gaspiller son
capital politique sur ce genre d'aventures.
|
| D'autre part, au sein même de l'équipe Poutine, il semble y
avoir beaucoup de divergences quant à l'orientation à suivre.
Dans le domaine économique, il existe différents centres de
pouvoir. On ne sait pas tout à fait qui est responsable de
l'élaboration des politiques économiques. En janvier de cette
année, différents ministres ont fait des déclarations concernant le
remboursement de la dette envers le Club de Paris. Dans un
premier temps, un des ministres annonçait que son pays n'allait
pas la rembourser. Quelques jours plus tard, un autre ministre
annonçait le contraire. Au nombre de ces ministres figurent le
premier ministre Kasyanov, le ministre des Finances Kudrin, le
ministre de l'Économie Gref et le conseiller présidentiel Andrei
Ilarionov. Ces responsables ont tous à un moment ou un autre fait
des déclarations relatives à la politique économique. On ignore
toujours ce qu'il en sera et à quelle déclaration accorder le plus de
crédibilité.
|
| Malgré son manque de progrès et son gradualisme, le
gouvernement semble avoir centré davantage ses politiques au
cours de la dernière année. En effet, nous avons constaté une
cristallisation des priorités dans les domaines de l'économie et de
la réforme du marché. Je citerai trois exemples qui ont pris une
importance particulière. Tout d'abord, la réforme juridique qui
englobe la formation et la réforme du pouvoir judiciaire, et la
réforme législative, qui consiste à nettoyer le désordre législatif
laissé par les régimes soviétiques et post-soviétiques.
|
| Le deuxième élément de la réforme est la débureaucratisation,
qui, comme son nom l'indique, consiste à réduire l'ingérence
bureaucratique de l'État dans les affaires des entreprises.
|
| Enfin, le dernier élément recensé est la réforme des monopoles
naturels: production et transport du gaz, électricité, transport en
commun et transport ferroviaire.
|
| On a accordé la priorité à ces trois éléments de la réforme, car
ils sont perçus comme des obstacles importants à la réforme des
autres secteurs de l'économie. On estime que si l'on peut sortir de
cette impasse, les autres éléments de la réforme suivront par voie
de conséquence.
|
| Voilà ce qu'il en est aujourd'hui. Je vais maintenant vous
projeter dans l'avenir. On ne semble plus remettre en question
l'attachement de Poutine à la réforme. Les préoccupations ont été
apaisées. Poutine demeure résolu à réformer le système. Toute
fois, et ceci est particulièrement important pour les intérêts
canadiens en général et ceux des entreprises canadiennes en
particulier, sa motivation n'est pas altruiste, et elle ne l'est surtout
pas à l'égard des investisseurs étrangers. Je crois que l'investisse
ment étranger continue d'être perçu, à bien des égards, comme un
mal nécessaire, et on le traite souvent comme tel.
|
| Au-delà de toutes ces considérations, certains obstacles majeurs
à la réforme demeurent. D'une part, ceux qui ont un intérêt
matériel, que ce soit les bureaucrates au sein des ministères ou les
oligarques, essaieront toujours de faire ce qu'ils peuvent, et le font
déjà, pour enliser les réformes ou les canaliser vers leurs propres
fins. D'autre part, comme je l'ai dit tout à l'heure, le
gouvernement se garde encore de prendre des décisions qui ne
soient pas populaires sur le plan politique. En conséquence de la
réforme des monopoles naturels, que j'ai évoquée, bien des
Russes moyens seraient incapables de se permettre le strict
nécessaire comme l'électricité, et cela serait terriblement impopu
laire sur le plan politique.
|
| La stabilité politique à long terme est garantie dans la mesure
où Poutine a mis fin à la pourriture laissée par le régime Eltsine.
Le gouvernement central semble avoir pris davantage le pays en
main, et le risque d'un effondrement imminent semble avoir été
évité.
|
| Par ailleurs, les tendances antérieures ne sont pas irréversibles.
Tout dépend en grande partie de la volonté de Poutine de
poursuivre l'évolution des tendances. Quelqu'un a résumé la
situation en disant: «Il y a beaucoup de mouvements, mais aucune
avancée, jusqu'à présent.» Poutine n'a pas encore mis sur pied
des institutions durables qui survivraient au-delà de sa présidence.
Le temps est crucial. Il y a un risque réel que le gouvernement ne
disposera pas du temps nécessaire pour mettre ces tendances en
branle.
|
| Je ne parle pas de la crise imminente de l'endettement, ni des
problèmes d'infrastructure, qui se feront sentir en 2003, ni même
du fait que les cours du pétrole maintiennent l'économie à flot.
J'entends plutôt la popularité de Poutine. S'il ne réussit pas à
répondre aux attentes très élevées de la population, sa popularité
en sera érodée. Cette érosion entraînera une réaction en chaîne:
les alliés de Poutine l'abandonneront, l'opposition se renforcera et
ce sera soit un retour à la politique de la stagnation que nous
avons constatée durant les années Eltsine ou la promotion d'une
position plus autoritaire de la part du régime pour empêcher cette
dégringolade de commencer. Voilà comment j'entrevois l'avenir,
et je terminerai en explorant ce que cela signifie pour les
entreprises canadiennes. Premièrement, s'agissant de la macro-stabilité, la situation actuelle est meilleure que ce qu'elle a été
depuis longtemps. La Russie est entre les mains d'un dirigeant
compétent qui jouit du soutien de la majorité au sein du Parlement
et d'un niveau de popularité élevé. Ceci étant dit, les tendances
actuelles ne sont pas irréversibles, et les choses pourraient
toujours mal tourner.
|
| Deuxièmement, et c'est surtout vrai dans le secteur des
ressources naturelles, le pouvoir oligarchique a encore une
influence considérable. Beaucoup de ceux qui le détiennent usent
encore de leurs appuis politiques pour infléchir la conduite des
affaires à l'échelle nationale et locale. À mon avis, cela ne va pas
changer du jour au lendemain, quoi que tente de faire le centre.
|
| En terminant, bien des choses indiquent un engagement à
l'égard de la réforme, mais le plus gros défi, surtout en ce qui
concerne les nouvelles lois, est de faire en sorte que le régime
législatif fonctionne sur le terrain de façon quotidienne. Deux
grands problèmes se posent à cet égard. D'une part, un manque de
capacité pour l'application des lois et d'autre part, l'ingérence
politique, qui continue de saper la structure juridique.
|
| M. Lorne Cutler, Société pour l'expansion des exportations:
Je travaille aussi à la Société pour l'expansion des exportations. Je
suis le gestionnaire régional pour la Russie. À ce titre, j'ai la
responsabilité de recueillir l'opinion de mon collègue,M. O'Reilly, et de nos économistes, pour dresser un schéma de la
façon dont nous pouvons faire des affaires en Russie, avec le
concours de notre équipe commerciale, qui à son tour travaille
avec les exportateurs et les investisseurs canadiens qui s'intéres
sent à ce marché.
|
| Autrement dit, à partir de la théorie et de la macro-analyse, je
construis un schéma pratique. Pour un pays comme la Russie, cela
suppose bien des défis et nous faisons face à un grand nombre
d'enjeux.
|
| Après la crise d'août 1998, nous avons marqué un temps
d'arrêt dans nos transactions avec la Russie, à l'instar de la
plupart des autres agences d'exportation et banques commercia
les. Au cours de l'année dernière, la situation politique en Russie
s'est améliorée de façon appréciable et le pays est redevenu
stable. En même temps, la situation économique en Russie s'est
aussi grandement améliorée. Cela est attribuable pour une petite
part à la réforme économique accomplie en Russie, mais les prix
élevés du pétrole et du gaz ont catalysé la situation. La Russie est
un exportateur net de ressources naturelles et elle a profité
énormément de la hausse des prix du pétrole, du gaz et des autres
minéraux.
|
| L'économie de la Russie s'améliorant, et au fur et d'autres
agences et banques de crédit à l'exportation recommençant à
s'intéresser au marché, les exportateurs canadiens ont fait de
même. Sous la pression, la SEE a revu plus tôt cette année sa
position afin de décider d'une éventuelle réouverture du marché,
de dresser la liste des enjeux commerciaux dans ce pays et de voir
comment nous pourrions réduire au minimum les risques nous
tout en voulant aider les sociétés canadiennes.
|
| Cet examen terminé, les crédits pour la Russie ont été avancés
de nouveau, mais sur une base très limitée. S'il en est ainsi, c'est
parce que nous estimons que sur les plans politique, économique
et du crédit, le marché russe comporte encore des risques.
|
| Nous avons recommencé à prêter au gouvernement russe. Au
moment de la crise du mois d'août, le gouvernement russe a
annoncé publiquement qu'il honorerait les créances étrangères
contractées après le régime soviétique, mais qu'il n'en serait pas
ainsi pour certaines dettes remontant à l'époque soviétique ou
encore des dettes internes. Le gouvernement russe a tenu sa
promesse à cet égard. Les créances post-soviétiques dues à la SEE
sont en règle, et nous nous sentons à l'aise de nouveau dans nos
relations avec le gouvernement russe.
|
| Toutefois, le gouvernement russe désormais hésite à conclure
des ententes de prêts avec les banques ou les agences de crédit à
l'exportation et il limite ses emprunts. Son budget étant
excédentaire, il peut se le permettre.
|
| Nous avons analysé le secteur bancaire qui pour nous posait les
problèmes et les défis les plus ardus. En règle générale, de
nombreux secteurs ont été réformés depuis 1998, mais le secteur
bancaire n'a pas été touché. Le gouvernement russe commence à
peine à envisager une réforme dans ce secteur. De notre point de
vue de prêteur, les banques russes présentent de graves problèmes.
La plupart des créanciers internationaux ont essuyé leurs plus
grosses pertes à l'occasion de prêts à des banques russes, ou en
prêtant à l'interne au gouvernement russe - et non au chapitre
des prêts internationaux.
|
| Plusieurs problèmes perdurent dans le cas des banques. Comme
je l'ai dit, nous nous inquiétons énormément du fait que l'on n'ait
pas assaini le secteur bancaire. Si vous vous rappelez la situation
au moment où ces banques se sont trouvées en défaut de
paiement, vous savez que leurs problèmes découlaient de certains
facteurs: l'effondrement de la devise russe; le gouvernement russe
n'ayant pas honoré ses obligations du trésor - les marchés de
devises étrangères insuffisamment protégées; de mauvaises
décisions de crédit; et les fraudes et les vols commis par les
propriétaires et les dirigeants de ces banques.
|
| Certaines de ces questions ont été résolues. La dette publique et
la spéculation sur les devises ne représentent pas vraiment un
problème à l'heure actuelle en raison de la stabilité générale de
l'économie russe. Toutefois, il faut encore régler les questions des
mauvaises décisions en matière de crédit et de l'intégrité de la
gestion.
|
| Il faut aussi faire face au fait que le fouillis bancaire des années
précédentes reste inchangé. Les banques et leurs propriétaires ont
pu rouvrir, pratiquement au même endroit, sous un nouveau nom,
leurs compagnies sans rembourser leurs dettes et en conservant
leurs actifs. Ils sont à l'abri des créanciers.
|
| Je ne peux vous parler de la propriété des banques russes.
M. Smith a dit qu'il s'agissait de 85 p. 100, ce qui représente, je
présume, la proportion selon le nombre de banques car, dans les
faits, deux banques, la Sberbank et la Vneshtorgbank qui sont la
propriété du gouvernement contrôlent environ 70 p. 100 des
actifs bancaires en Russie. Il y a peut-être des problèmes, mais ces
banques sont la propriété entière ou partielle du gouvernement.
|
| Nous restons méfiants à l'égard des banques russes. Pour
l'instant, nous ne faisons affaire qu'avec certaines banques d'État
et celles détenues pour la plus grande part par des banques
occidentales.
|
| Il y a un autre important domaine où nous croyons pouvoir
connaître du succès, soit les sociétés russes de premier ordre.
Elles oeuvrent surtout dans le secteur des ressources. Il s'agit
notamment de Lukoil et Gazprom et de certaines autres dont le
nom nous est moins familier. Ces entreprises constituent pour
nous de belles occasions mais aussi un défi. Dans l'ensemble, ce
sont des sociétés riches, exemplaires, qui ont été extrêmement
rentables ces dernières années en raison du prix des ressources.
Elles ont aussi un chiffre d'affaires important dans les pays
occidentaux, ce qui peut servir de garantie de prêts.
|
| De plus en plus, la transparence financière de ces entreprises
s'accroît. La plupart des grandes sociétés russes de premier ordre
produisent dorénavant des états financiers conformes aux normes
comptables internationales ou aux principes comptables générale
ment reconnus. J'ai découvert ces deux ou trois derniers mois que
les compagnies dont les actions ne sont pas cotées en bourse ne
reconnaissent pas nécessairement qu'elles produisent ce genre
d'états financiers, mais lorsqu'elles souhaitent faire affaire avec
des banques occidentales, elles les peuvent les produire sans
peine. Nous n'avons plus à nous contenter des normes comptables
russes. Les entreprises autres que celles qui sont au haut du panier
présentent une transparence comptable extrêmement limitée en
Russie, ce qui nous limite.
|
| Il faudra encore régler la question de la régie des sociétés. Nous
avons tous lu des articles sur les sociétés étrangères qui ont eu
beaucoup de mal dans leurs transactions avec les compagnies
russes, mais après avoir passé en revue ce qui s'était produit, nous
avons conclu que les exportateurs qui tentent de vendre à ces
compagnies sont traités différemment de ceux qui veulent y
investir, que ce soit comme actionnaires minoritaires par le biais
de la bourse ou comme partenaires directs dans le cadre d'une
coentreprise. Un peu plus tard, je vous dirai ce qui explique cette
différence à mon avis; il est certain que nous avons constaté son
existence.
|
| Depuis quelques années, des sociétés canadiennes, européennes
et américaines vendent à ces sociétés de premier ordre en exigeant
souvent d'être payées d'avance. De plus en plus, les organismes
de crédit à l'exportation réapparaissent sur le marché et
redeviennent une source de financement, mais bien des entrepri
ses ont aussi réussi à ce chapitre. Les exportations canadiennes
vers la Russie augmentent de façon importante cette année et les
deux secteurs où la croissance est la plus rapide sont ceux de
l'équipement gazier et pétrolier et de l'équipement minier.
|
| Les compagnies avec lesquelles nous faisons affaire sont pour
la plupart, mais pas toutes, cotées en bourse. La plupart ont été
fondées ou sont contrôlées par un oligarque. En général, il y a un
oligarque quelque part dans les coulisses. Il est parfois difficile
pour nous de déterminer si ces entreprises font l'objet d'influen
ces de la part du crime organisé. Lorsque nous nous penchons sur
des sociétés russes, nous tentons de faire la distinction entre les
oligarques qui dirigent des entreprises légitimes de façon peut-être
illégitime - qui rognent sur les coûts, qui cherchent à profiter du
trafic d'influences, qui mettent à profit leurs liens politiques et
autres - et les véritables intérêts criminels. Nous savons que
toutes ces entreprises sont nouvelles. Les antécédents sont parfois
un peu louches, et nous devons tenter de voir jusqu'à quel point
les entreprises ont tourné le dos à ces antécédents. C'est parfois
difficile.
|
| J'ai fait mention de la différence entre le traitement des
exportateurs et des investisseurs. La SEE, par le biais de ses
programmes, appuie autant les exportateurs que les investisseurs
canadiens. De plus en plus, nous envisageons la Russie comme
constituant deux marchés différents. Nous avons peu de réserve à
accorder des prêts à nos exportateurs, quand les circonstances s'y
prêtent; nos exportateurs se feront rembourser et, à notre tour,
nous le serons. Toutefois, nous ne considérons pas les investisse
ments du même oeil.
|
| Jusqu'à présent, d'après notre expérience et celle d'autres
entreprises de l'extérieur du Canada, ce n'est pas facile en Russie,
surtout dans le secteur des ressources. Les investisseurs canadiens
ont surtout mis l'accent, en Russie, sur les secteurs du pétrole et
du gaz et des mines. Dans l'ensemble, à une ou deux exceptions
près, les sociétés visées ont connu des difficultés.
|
| Le principal problème des investisseurs est celui de l'expropria
tion larvée. La conversion et le rapatriement des gains ne
constituent plus un problème depuis que les marchés des devises
fonctionnent bien en Russie. La Banque centrale de Russie a des
réserves de devises étrangères de 37 milliards de dollars. Les
investisseurs n'ont donc pas de mal à sortir leur argent. C'est
plutôt l'expropriation qui pose un problème.
|
| De plus en plus, on estime que, lorsqu'on investit en Russie, on
doit le faire seul, dans une nouvelle entreprise et non pas se
joindre à une coentreprise. Outre les difficultés qu'on connaît
parfois avec les divers gouvernements en Russie et les investis
seurs étrangers, si vous avez des partenaires, il est fort probable
qu'ils vous pousseront à partir pour assumer eux-mêmes votre
investissement.
|
| Nous avons tenté de comprendre pourquoi. Nous avons
quelques pistes d'explication. Ainsi, la nature du contrat en Russie
doit être bien claire. Pour les exportateurs, le contrat est bien
défini. Vous payez pour des biens, nous vous livrons ces biens.
Cela met fin à la transaction. Pour les prêteurs, c'est aussi bien
défini. Nous leur fournissons des fonds qu'ils doivent rembourser
sur un certain nombre d'années à un certain taux d'intérêt. C'est
clair. Une fois que le prêt est remboursé, il est remboursé.
|
| Pour les investisseurs, la situation est différente. Vous arrivez
comme investisseur avec un premier montant d'argent, mais une
fois cela fait, vos droits de propriété sur cet investissement ont
une durée indéfinie, jusqu'à ce que vous choisissiez d'y mettre
fin. Il se peut que vous ne fassiez pas d'autre investissement, mais
vous êtes néanmoins propriétaire d'une part de l'entreprise et avez
droit à votre juste part des profits, profits qui vont peut-être bien
au-delà de ce que vous avez investi. C'est un concept qu'il est
difficile à comprendre en Russie. J'ignore si c'est attribuable à la
culture ou à l'héritage communiste, mais cela semble être un
problème. Pourtant, je suis convaincu que ce n'est pas un
problème pour nos exportateurs ni même pour nous comme
prêteurs.
|
| Lorsque nous abordons ce marché, nous tentons d'aider les
exportateurs du mieux que nous le pouvons tout en tenant compte
des risques auxquels nous ferons face comme prêteurs; lorsqu'il
s'agit d'investir, nous examinons attentivement les risques d'une
affaire particulière tout en tenant compte des risques existants
dans les diverses régions et divers secteurs de l'économie.
|
| En terminant, je dirai qu'avant la crise, la Russie était le
marché le plus intéressant pour les sociétés canadiennes, autant à
titre d'investisseur que d'exportateur. Cela semble être encore le
cas. La SEE s'intéresse beaucoup à l'Europe centrale, mais ses
activités commerciales sur ces marchés restent limitées. Le
nombre d'entreprises canadiennes qui s'intéressent au marché
russe continue d'augmenter et, à mesure que la situation politique
et économique de la Russie s'améliore, je m'attends à ce que cet
intérêt continue de croître.
|
| Nous assistons aussi à des investissements dans l'infrastructure
russe de la part de sociétés russes de premier ordre; cela suscite
des occasions accrues pour les exportateurs canadiens qui vendent
des biens à ces entreprises.
|
| Le sénateur Graham: Je m'adresse d'abord à M. Smith. Vous
avez utilisé une expression que je trouve assez intéressante,
nommément «consolidation de la paix». On entend souvent parler
dans notre pays de «maintien de la paix» et parfois de
«rétablissement de la paix», mais rarement de «consolidation de
la paix». Pourriez-vous nous expliquer ce que signifie cette
expression?
|
| M. Smith: L'une de nos grandes priorités stratégiques, c'est le
maintien de la paix. Après réflexion, nous avons ajouté à cela la
consolidation de la paix. Ce que nous voulons dire par là, c'est la
paix dans son sens le plus large. Cela vise toute une gamme
d'initiatives en ce qui concerne la GRC, car nous avons un rôle à
jouer, qui est défini par notre propre rôle à titre de service de
police, à savoir d'établir des institutions et de renforcer les
institutions dans les pays émergents, en particulier dans les
nouvelles démocraties, où qu'elles se trouvent, que ce soit en
Europe orientale, en Europe centrale, en Amérique du Sud ou, de
plus en plus, en Afrique.
|
| Nous considérons qu'il s'agit là d'un rôle essentiel parce que la
GRC est évidemment de plus ne plus présente sur la scène
internationale. Nos interventions ne visent pas seulement le
maintien de la paix, qui décrit une situation où l'on intervient
pour tenter de s'interposer entre deux parties en guerre, mais c'est
une tentative de faire en sorte que les bases et l'infrastructure
soient mises en place pour que la situation ne dégénère pas au
point où l'on soit obligé d'intervenir pour maintenir la paix.
|
| Le sénateur Graham: Je pense que la GRC a joué un rôle très
louable dans ces entreprises et j'ai eu l'occasion d'en être le
témoin sur place.
|
| Monsieur O'Reilly, pourriez-vous nous décrire les relations
entre M. Poutine et M. Eltsine, ou la famille Eltsine, les partisans
et les fidèles de Eltsine?
|
| M. O'Reilly: Cette situation a déjà évolué depuis le début du
règne de M. Poutine. Au début, Poutine était considéré comme
un autre produit de l'appareil mis en place par Eltsine. Il est arrivé
au pouvoir, a été nommé premier ministre au moment où
plusieurs premiers ministres venaient de se succéder rapidement.
On pensait que cet inconnu de Saint-Pétersbourg ne ferait pas
long feu lui non plus. On a beaucoup dit que Poutine aurait
garanti à Eltsine l'immunité contre toute poursuite en retour de sa
démission. Essentiellement, la démission de Eltsine au moment où
la popularité de Poutine était à son apogée à cause du conflit en
Tchétchénie a garanti l'élection de ce dernier. Il ne pouvait pas
perdre à ce moment-là.
|
| La situation a évolué. La «famille» de Eltsine englobe plus que
la famille immédiate. Il y a la fille de Eltsine, mais quand on parle
de la famille de Eltsine, on englobe toute une coterie, une série de
conseillers et de copains de Eltsine au Kremlin, et non pas
seulement sa famille immédiate. Il a été démontré depuis environ
un an que Poutine a pris ses distances par rapport à cette structure
familiale et qu'il a, à bien des égards, pris l'offensive contre les
éléments clés de la famille. Je pense que s'il traite de cette
manière les gens et les membres de la «famille», entendue au sens
oligarchique, c'est plutôt pour éviter que ces groupes viennent
s'ingérer dans le processus politique, et non pas parce qu'il est
animé d'un désir sincère de faire un nettoyage dans le monde des
affaires et de la politique en Russie.
|
| Tout cela vise à consolider son pouvoir. Si Eltsine entre en
conflit avec Poutine à l'avenir, je pense qu'il sera brutalement
écarté exactement de la même manière. Il serait sacrifié, au
besoin, pour garantir la popularité future de M. Poutine.
Actuellement, je n'envisage pas que cela va nécessairement se
produire. Il n'y a pas une volonté générale de punir Eltsine pour
ses crimes passés ou quoi que ce soit du genre, mais si cela devait
arriver à l'avenir, je n'ai aucun doute que Poutine s'en prendrait à
son ancien maître.
|
| Le sénateur Graham: Je crois que M. O'Reilly et M. Cutler
ont été plus optimistes que d'autres témoins que nous avons
entendus cette année, en particulier au sujet de l'économie et de la
stabilité générale en Russie. M. Cutler a utilisé l'expression
«stabilité globale de l'économie russe». Je ne pense pas que l'un
ou l'autre des témoins que nous avons entendus au printemps
aurait utilisé ces termes. Vous avez évoqué la possibilité
d'accorder une ligne de crédit. Depuis quand vous sentez-vous
enclin à rouvrir ces lignes de crédit?
|
| M. Cutler: Bon nombre des exportateurs qui me sollicitent me
trouvent trop peu optimiste. Nous avons commencé à revoir notre
position sur la Russie à la fin de l'année dernière. En mars 2001,
nous avons soumis cette politique à notre haute direction. Les
facteurs qui nous inspirent confiance sont d'ordre macroéconomi
que avant tout. Le pays affiche un important excédent commer
cial. Les réserves de devises étrangères augmentaient considéra
blement. Au début de l'an 2000, elles se chiffraient à 10 milliards
de dollars. À l'heure actuelle, elles sont de l'ordre de 37 milliards
de dollars. Le gouvernement russe présentait un budget équilibré
et se retrouvait en situation d'excédent budgétaire après le service
de la dette.
|
| Pour les prochaines années, on entrevoit toujours des problè
mes possibles en 2003, car il y aura alors une échéance de dette à
franchir. Mais d'après ce que nous voyons, le gouvernement russe
semble reconnaître cet obstacle à terme et discute de solutions
possibles. Plus tôt cette année, il y a eu un débat au sein du
gouvernement russe sur la question de savoir s'il valait mieux
payer la dette cette année ou en obtenir le rééchelonnement auprès
du Club de Paris. Nous avons constaté avec satisfaction que, en
bout de ligne, ce sont les tenants du remboursement de la dette et
non ceux du rééchelonnement qui ont eu le dessus. Si nous
pouvons affirmer que l'économie dans son ensemble prend du
mieux, c'est d'abord à cause de cela, mais nous reconnaissons que
les progrès économiques de la Russie se fondent en bonne partie
sur les prix élevés du pétrole et du gaz.
|
| L'effort pour réformer l'économie en profondeur est toujours
insuffisant. Depuis les audiences de votre comité, plus tôt cette
année, il y a eu des progrès dans certains volets de la politique
économique. Des nouveaux régimes fiscaux pour les particuliers
et pour les entreprises sont entrés en vigueur. Le nouveau code
foncier vient tout juste d'être adopté hier. Cela n'affecte que les
terrains en milieu urbain, soit 2 p. 100 de toutes les terres russes,
mais, en principe, la propriété privée pour les terrains urbains sera
désormais légale.
|
| Nous avons assisté à de nombreux petits pas en avant. Plus tôt
cette année, ou à la fin de l'année dernière, il demeurait difficile
de prévoir si ces petits pas menaient quelque part. Aujourd'hui, il
semble que ce cheminement se fait dans la bonne direction. Ce
sont de petits pas, certes, mais il y a en suffisamment pour assurer
une progression.
|
| M. O'Reilly: Oui, ces petits pas sont encourageants, mais
peut-être qu'il n'y aura pas suffisamment de temps pour arriver à
destination avant que la popularité de M. Poutine ne s'essouffle
et que la période actuelle de stabilité politique ne tire à sa fin.
Nous assisterons peut-être à la stagnation que nous avions connue
à la fin de l'ère Eltsine.
|
| Le sénateur Graham: Quand auront lieu les prochaines
élections?
|
| M. O'Reilly: En 2004, je crois.
|
| Le président: Votre témoignage nous intéresse parce que,
depuis un certain temps je crois, le comité, dans ses délibérations,
semble être d'avis qu'il y avait un léger progrès et qu'un certain
optimisme était justifié. Vous nous dites aujourd'hui que ce léger
optimisme a grandi quelque peu depuis le début de nos audiences.
Votre témoignage concorde avec ce que nous avons entendu.
Attendons la suite.
|
| Le sénateur Andreychuk: Monsieur Smith, vous avez
énuméré certains des problèmes que posent les éléments négatifs,
les éléments criminels en Russie et ailleurs. D'aucuns croient que
les problèmes russes, même s'ils tirent leur origine de ce pays,
sont aujourd'hui devenus des problèmes mondiaux. La lutte
contre la prostitution et l'esclavage sexuel dans le reste de
l'Europe et du monde exigera l'application internationale des
pactes pertinents et s'inscrit dans la catégorie du crime
transnational.
|
| Qu'est-ce qui caractérise la criminalité russe, outre le fait que
son existence nous choque? Certains ne croyaient pas à son
existence, mais vous avez souligné, à juste titre, que le crime a
des racines traditionnelles en Russie également. Qu'y a-t-il
d'unique chez les criminels russes, qu'est-ce qui les distingue des
autres criminels que nous pourchassons dans le reste du monde?
|
| M. Smith: Au risque de me répéter, en ce qui concerne le
crime organisé en Russie et en Europe de l'Est, les services
policiers ont du rattrapage à faire. Nous n'avons pas eu l'occasion
d'observer et de comprendre les organisations criminelles.
Comme vous le savez sans doute, les services policiers et les
organisations criminelles se comprennent parce que, bien souvent,
ils ont eu l'occasion de s'observer et d'apprendre à se connaître
depuis des générations. Bien sûr, cela peut quelque fois poser
problème. C'est la nouveauté des organisations criminelles
d'Europe de l'Est et de Russie qui représente un défi considéra
ble. L'autre difficulté de taille est la tendance de ces organisations
à s'immiscer le plus possible dans des entreprises légitimes.
|
| Ils trouvent toujours une faille. Je ne suis pas économiste, mais
je crois que la situation s'améliore en Russie sur le plan
macroéconomique. La situation juridique et législative laisse à
désirer. Il y a très peu de lois efficaces contre le crime organisé en
Russie. Il n'y a pas encore de lois en place pour lutter contre le
blanchiment de l'argent. C'est d'ailleurs le cas pour toute
l'Europe de l'Est. Je n'aime pas pointer la Russie du doigt. Il n'y
a pas de programmes de protection des témoins pour s'attaquer à
ces problèmes.
|
| Les criminels peuvent toujours retourner en Russie. Les
groupes contre lesquels nous luttons en priorité, les bandes de
motards criminalisées, sont essentiellement coincées au Canada et
en Amérique du Nord. Ils ne disposent pas de ce genre de porte
d'entrée. En ce qui concerne le crime organisé italien, bon
nombre de ses adhérents sont en fait des citoyens canadiens, mais
ils ne disposent pas de cette porte d'entrée parce que l'Italie
améliore ses lois dans ce sens.
|
| Encore une fois, l'un des problèmes est cette porte d'entrée, et
l'autre est l'élément de nouveauté ainsi que cette capacité
particulière des criminels russes de se faire passer pour des
entrepreneurs légitimes. Nous n'étions pas préparés à cela et nous
avons été bien sûr quelque peu stupéfaits lorsque nous avons
constaté que, dès 1993, il y avait des entreprises russes
extrêmement dynamiques ici, en Amérique du Nord, de même
qu'en Europe de l'Ouest. Nous avons été surpris par cette capacité
de mettre sur pied des entreprises de cette nature si rapidement,
après 70 ans de gouvernement soviétique. Dans certains cas, nous
savons comment ils y sont parvenus.
|
| Le sénateur Andreychuk: Ma question s'adresse aux repré
sentants de la SEE. J'ai des inquiétudes par rapport à votre
description de la Russie, des occasions d'investissement et de
l'évolution des grandes entreprises légitimes d'exploitation des
ressources. Avez-vous suivi les mouvements récents de certaines
de ces entreprises vers l'Ukraine? Que pensez-vous de la situation
en Ukraine? Comment voyez-vous ces entreprises russes qui
semblent connaître du succès, qui s'implantent en Ukraine et
prennent le contrôle du secteur de l'exploitation des ressources?
S'agit-il d'une concurrence légitime tout simplement? Craint-on,
dans certains secteurs, qu'il s'agisse non seulement d'une prise de
contrôle économique, mais de l'exercice d'un contrôle impérialis
te et politique orchestré par Poutine ou peut-être par d'autres?
|
| M. O'Reilly: Le secteur des ressources naturelles en Ukraine
connaît généralement les mêmes problèmes qu'en Russie. Il y a
des oligarques en Ukraine comme il y en a en Russie. Au cours de
la dernière année, nous avons vu le début d'une tendance: ces
entreprises s'implantent en Ukraine. Cela est dû en partie aux
importantes liquidités dont disposent ces entreprises grâce aux
cours élevés du pétrole, et elles cherchent des endroits pour les
investir. L'Ukraine est un bon endroit.
|
| Toutefois, il y a des motivations politiques derrière tout cela.
L'ancien premier ministre Chernomyrdin, qui entretient des
relations serrées avec Gazprom, a récemment été nommé
ambassadeur de Russie en Ukraine. Ceci constitue un signal sans
équivoque que le secteur du pétrole et du gaz représente un
élément important des relations russo-ukrainiennes, et il y a
indéniablement des connotations politiques là-dessous.
|
| Toutefois, je ne crois pas que nous puissions parler de visées
impérialistes, mais tout simplement d'un calcul pragmatique de la
part de certaines entreprises russes, en l'espèce, qui jouissent
d'une influence naturelle marquée sur l'élaboration des politiques
russes. Cependant, ce calcul procède de l'intérêt commercial; il y
a des bénéfices à réaliser en Ukraine. Je ne crois pas qu'il s'agisse
d'impérialisme pur, disons plutôt que la politique étrangère russe
se fonde actuellement sur des considérations pragmatiques et non
sur l'objectif de reconstruire l'ancien empire, si vous voulez.
|
| M. Cutler: Les raisons peuvent varier selon les circonstances.
M. O'Reilly a mentionné Gazprom, où on peut peut-être parler
d'aspect impérialiste. De plus, il ne faut pas oublier que l'Ukraine
a de nombreuses factures de gaz impayées, si bien qu'on peut
parler d'une sorte de contrepartie.
|
| Lukoil est en train de mettre en place une chaîne de
stations-service et de raffineries à travers l'Europe centrale, et
s'est même portée acquéreur d'une chaîne de 300 stations-service
en Nouvelle-Angleterre. Cette entreprise souhaite tout simplement
devenir multinationale.
|
| À l'époque soviétique, c'est le gouvernement qui décidait où
implanter les industries. Il en installait une partie à un endroit et
une autre ailleurs, de telle sorte que la filière, de la matière
première au produit fini, était éparpillée sur tout le territoire
soviétique. Certaines de ces entreprises - les plus vigoureuses
sont les russes - essaient de reconstituer la chaîne. C'est sensé
du point de vue économique.
|
| Le sénateur Andreychuk: J'ai une question qui fait suite aux
événements de la semaine dernière et j'aimerais savoir si vous
pensez pouvoir y répondre.
|
| Poutine a atteint sa popularité grâce aux mesures qu'il a prises
en Tchétchénie contre un mouvement lié à l'Afghanistan et
d'autres pays frontaliers. Dans quelle mesure suivez-vous la
situation? Est-ce là que tout va se jouer pour Poutine? Cela va-t-il
assurer sa position ou au contraire le rendre instable? Certains
analystes politiques y voient une bonne occasion pour lui.
Quelqu'un se sent-il capable de répondre à la question?
|
| M. O'Reilly: Oui, nous suivons de près les conséquences des
événements du 11 septembre. Comme analyste, je suis le dossier
en Russie, en Europe de l'Est et au Proche-Orient. Toute la région
est en train de flamber actuellement.
|
| Je ne pense pas que cela aura beaucoup de conséquences sur la
popularité de Poutine au pays, si c'est cela le sens de votre
question. La population et l'élite politique russes ont sincèrement
été affligées par les événements. Mais il y a aussi un certain
opportunisme, même si le mot me déplaît. Les dirigeants ont vu
l'occasion d'établir un lien entre les événements en Tchétchénie et
les attentats du 11 septembre dans le but d'assimiler leur combat
contre les séparatistes tchétchènes et la lutte contre le terrorisme
islamique.
|
| Il est certain qu'il y a des liens entre le régime taliban,
Oussama ben Laden et les extrémistes tchétchènes. Par contre je
ne crois pas que cela ait beaucoup d'effets sur la popularité de
Poutine au pays. Cela n'en aurait que si la Russie devait à
nouveau s'embourber en Afghanistan. Actuellement, la popula
tion est vigoureusement hostile à cette idée. Non seulement la
Russie ne veut pas se mêler de l'Afghanistan, mais un flot
ininterrompu de vétérans russes dans les journaux et à la
télévision décrivent ce qu'ils ont vécu et préviennent les
Américains des dangers d'intervenir là-bas. Pas à cause de
considérations de stabilité géopolitique, mais parce que c'est un
endroit où ils vont se retrouver dans une guerre qui durera
longtemps.
|
| Le président: Vu les problèmes en Asie centrale, j'aurais cru
que la situation augmenterait la popularité de Poutine.
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| Le sénateur Di Nino: Nous croyons savoir que les Russes ont
offert du matériel militaire aux adversaires des talibans. C'est
juste?
|
| M. O'Reilly: Il y a longtemps que les Russes fournissent des
armes à l'Alliance du Nord. Ce n'est pas nouveau. Il y aura
15 000 soldats et gardes-frontières stationnés le long de la
frontière entre le Tadjikistan et l'Afghanistan pour protéger le
Tadjikistan. Cela risque d'entraîner davantage les Russes. Pour
l'heure, spécialement depuis les deux dernières semaines, ils
gardent leurs distances. Ils sont prêts à fournir du matériel
militaire et de l'aide diplomatique, mais ils ne veulent pas aller
plus loin.
|
| Le sénateur Di Nino: En ce qui concerne l'argent que gagnent
les oligarques, d'autres témoins nous ont dit qu'une grande partie
de ces capitaux a fui ailleurs. Même si cela ne nous plaît guère,
l'histoire nous a enseigné que ceux qui ont fait de l'argent de la
même façon - je pense aux requins de la finance qui ont bâti les
chemins de fer, entre autres, - ont néanmoins apporté une
contribution à la réussite économique du pays. La fuite des
capitaux a-t-elle cessé? Sinon, le mouvement est-il aussi
important qu'avant?
|
| M. O'Reilly: M. Smith a rappelé que les capitaux quittent le
pays à raison de deux milliards de dollars par mois, soit
25 milliards par année. Beaucoup de gens traceront un parallèle
avec les requins de l'industrie du XIXe siècle aux États-Unis. La
principale différence, c'est qu'en Russie beaucoup de ces
individus ont gagné leur argent en faisant main basse sur des
entreprises existantes et en les dépouillant systématiquement de
leurs éléments d'actif et de leurs rentrées de fonds pour ensuite
exporter ces capitaux à l'étranger. Le plus souvent, ils n'ont bâti
ni chemin de fer ni nouvelle entreprise. Certains avancent que ces
individus essaient de se blanchir et de réinvestir une partie de ce
bien mal acquis. La tendance toutefois reste toujours le
démembrement des actifs suivi de la fuite des capitaux.
|
| M. Cutler: La plupart des sociétés de premier ordre annoncent
d'ambitieux projets d'investissement. Certaines entreprises
avaient d'ambitieux projets d'investir dans des affaires qui n'ont
rien à voir avec leur vocation première. L'exemple le plus notable
est celui de Gazprom. En outre, ces dernières années, avec la
montée des cours du pétrole et du gaz, et même si la sortie de
capitaux est encore de l'ordre de 2 milliards de dollars par mois,
les recettes tirées de l'exportation sont si importantes que la
Russie a réussi à augmenter considérablement ses devises
étrangères. Les banques sont encore petites, mais elles prennent
de l'importance, et les entreprises ont pu investir malgré le fait
que les mêmes sommes continuent de sortir.
|
| Le sénateur Setlakwe: Comme ancien membre du conseil
d'administration de la SEE, je constate avec plaisir que la SEE
sait gérer les risques avec autant de prudence qu'avant.
|
| Après ce qu'ont dit MM. Smith et O'Reilly, je mets en doute
l'optimisme exprimé ici à propos de l'amélioration de la situation
en Russie. Monsieur Cutler, vous avez dit que la SEE veut aider
les exportateurs canadiens mais, d'après ce que vous avez vu, elle
ne constate sûrement pas d'amélioration dans la philosophie de
placement des étrangers. Si les investissements étrangers restent
stagnants, et s'ils sont aussi minimes qu'ils le sont par rapport à la
Chine, où l'investissement étranger direct semble beaucoup plus
important, quelles sont les véritables perspectives d'amélioration
sensible de l'économie russe?
|
| M. O'Reilly: Il n'est sans doute pas juste de comparer la
Russie et la Chine. Les investissements dans des secteurs comme
celui de la fabrication en sont encore à leurs débuts en Russie. Il y
a des signes, sans contredire les déclarations de M. Cutler, qui
montrent que les investissements dans des secteurs autres que le
secteur primaire, par exemple dans de nouvelles entreprises de
fabrication ou de vente au détail, peuvent être plus lucratifs. Il
peut y avoir des perspectives de croissance dans ce domaine, au
lieu de se concentrer dans les vieux secteurs de l'économie
comme le secteur primaire. C'est peut-être la lueur au bout du
tunnel que nous attendons tous.
|
| Cela dit, à bien des égards, mon rôle est celui d'un pessimiste
professionnel. Il est vrai que je peins souvent un tableau sombre
de la situation. Connaître les risques n'est pas forcément une
raison de cesser de faire des affaires là-bas. Sauf qu'il est
nécessaire de savoir dans quoi on s'engage. Est-ce que cela
répond à votre question?
|
| Le sénateur Setlakwe: En partie, et seulement dans la mesure
où à mon avis, plus les investissements directs étrangers sont
importants dans une économie en développement, plus celle-ci a
des chances d'être stable. Cela ne semble pas être le cas
actuellement.
|
| M. O'Reilly: Il y a un potentiel d'investissement intérieur
important en Russie. Par exemple, si l'exode des capitaux était
stoppée, beaucoup plus d'argent resterait au pays. C'est un
potentiel qui pourrait être exploité.
|
| Le sénateur Setlakwe: Sauf que là les capitaux s'envolent et
que ce n'est pas le cas ailleurs.
|
| Le président: Je viens de parcourir à vélo 805 km de
Berlin-Ouest jusqu'aux frontières de la Lituanie et jusqu'à
Kalilingrad. J'ai fait remarquer à un de mes compagnons de route
que nous étions dans ce que j'appelle une économie de kiosque.
|
| Tout était un kiosque. Il n'y avait pas d'argent. De temps en
temps on voyait un gros magasin, mais les clients n'avaient qu'un
dollar ou deux. C'était intéressant. On se demandait comment ils
pouvaient garder ouvert un magasin aussi grand. À voir les petits
paniers, on voyait bien que c'était une économie de kiosque. Huit
cents kilomètres, c'est long.
|
| Quand nous parlons de la Russie dans notre étude, nous parlons
toujours de développement industriel dans les secteurs pétrolier et
minier, mais dans le monde où nous vivons, lorsque l'on marche
dans la rue, est-ce que c'est aussi une économie de kiosque? Je
n'y suis pas allé depuis 25 ans. Est-ce ce genre d'économie et
est-ce à cause du fait que les gens n'ont pas d'argent à dépenser?
|
| M. Cutler: La plupart d'entre nous, qui traitons avec la Russie,
en particulier les banquiers, traitent avec Moscou. C'est une
économie très centralisée. Toutes les grandes entreprises sont là,
les sièges sociaux, le gouvernement et les banques. On a tendance
à assimiler la Russie à Moscou. Elles sont bien distinctes.
|
| Je dirais que Moscou n'est plus une économie de kiosque. Elle
l'était quand j'y suis allé pour la première fois en 1991 ou à peu
près. Les kiosques de 1991 sont devenus de véritables magasins.
Les petits kiosques d'il y a quelques années sont des bunkers de
béton sur le trottoir. Ils sont maintenant permanents.
|
| La qualité et la variété des magasins à Ottawa, ce n'est rien par
rapport à ce que l'on trouve à Moscou, mais une fois à l'extérieur
de la ville - et de Saint-Pétersbourg, qui est un peu moins
bien - tout devient très lugubre. On se retrouve sans doute dans
une économie de kiosque.
|
| Le président: Les gens à qui j'ai parlé attendent d'entrer à
l'Union européenne - pas tous, parce que nous savons qu'il y a
des gens hostiles à l'Union européenne en Pologne - parce que
c'est là qu'ils vont trouver les investissements qui vont améliorer
les choses, espèrent-ils. Ça semble un peu renversant, mais y a-t-il
la moindre possibilité que la Russie veuille elle aussi se joindre à
l'Union européenne? Cela ferait une énorme différence pour les
investissements et son économie.
|
| M. O'Reilly: Je pense que les chances que la Russie soit
invitée à se joindre aux négociations d'accession prochainement
sont très minces. Même les pays qui sont actuellement en tête de
liste - vous avez parlé de la Pologne; la Hongrie et la
République tchèque en sont deux autres qui me viennent à
l'esprit - sont encore très loin d'être admis.
|
| Oui, cela aurait sans doute des effets très bénéfiques, mais on
pense de plus en plus dans les pays en tête de liste que l'adhésion
à l'union ne sera peut-être pas ce qu'il y a de mieux pour eux.
Cela occasionnera beaucoup de dépenses et les avantages risquent
d'être dilués. L'Union européenne dit aujourd'hui que les
travailleurs hongrois devront attendre sept ans avant de pouvoir se
rendre dans les autres pays de l'union. Il y aura donc peut-être un
mouvement d'hostilité contre l'union dans certains de ces pays,
qui tient aussi pour beaucoup à la lenteur du processus
d'adhésion. Les pays comme la Pologne estiment avoir fait tous
les sacrifices et pris toutes les mesures macroéconomiques
difficiles et se font encore dire d'attendre parce que l'union n'a
pas encore mis de l'ordre dans ses affaires.
|
| Le président: Je comprends les difficultés. Nous connaissons
bien l'Union européenne. Pourtant, les pays baltes faisaient partie
de l'Union soviétique. On remarque des choses sur le terrain.
Qu'arrivera-t-il si cette partie de l'ancienne Union soviétique finit
par faire partie de l'Union européenne? Qu'arrivera-t-il à une
région qui n'est qu'à 100 kilomètres de Saint-Pétersbourg?
|
| Je me pose des questions à propos de cette histoire de Brighton
Beach, monsieur Smith. Je suis souvent allé à Brighton Beach.
C'est un endroit sinistre, lugubre. Pourquoi cela occupe-t-il une si
grande place dans la pensée des Russes expatriés? Qu'est-ce que
c'est que cette histoire de Brighton Beach?
|
| M. Smith: C'est peut-être parce que je suis attiré par les
endroits sombres, mais j'ai toujours beaucoup aimé Brighton
Beach. Cet endroit a toujours été le centre de l'immigration en
provenance de l'Union soviétique, dès le début des années 70,
quand les premiers juifs ont commencé à émigrer. Ils se rendaient
à Vienne puis choisissaient entre Israël et les États-Unis. Depuis le
début des années 70 du moins, on y trouve une énorme
population russophone. Quand les premiers immigrants ont
commencé à venir à New York, après le régime soviétique -
parce que comme tous les autres, ils étaient attirés par New York
comme des insectes par une flamme - Brighton Beach était
l'endroit tout désigné. Il y a aussi quelques autres quartiers russes
à Brooklyn, plus spécialement les quartiers de Kings Highway et
de Sheepshead Bay, mais le centre, c'est vraiment Brighton
Beach.
|
| Le sénateur Grafstein: Ma question porte sur la situation
actuelle au sud de la frontière russe, dans les pays en «stan». J'ai
participé à un groupe de réflexion, à Washington, et une
spécialiste nous a parlé de ces pays.
|
| Le président: Elle était très bien.
|
| Le sénateur Grafstein: D'où venait-elle?
|
| Le président: De l'Institut Brookings.
|
| Le sénateur Grafstein: Il serait peut-être utile de distribuer ce
document, car il est encore plus d'actualité aujourd'hui qu'il ne
l'était alors.
|
| Cette dame est une éminente experte de l'Ouzbékistan et du
Tadjikistan. Nous avons discuté de l'effet de cascade intrinsèque
aux problèmes de la Tchétchénie. S'ils perdent la Tchétchénie, les
Russes croient que leur périmètre sud sera endommagé. C'est ce
qui nous intéressait.
|
| Le président: Je crois qu'elle venait de l'Institut Carnegie,
sénateur Grafstein.
|
| Le sénateur Grafstein: Oui, je le crois aussi. Il serait utile de
retrouver ce rapport et de le distribuer.
|
| Si je me souviens bien de son témoignage, elle se disait
inquiète des mesures que prennent les extrémistes pourdéstabiliser les gouvernements de ces pays. Leur financement
vient surtout du commerce de la drogue et des armes à feu. En
effet, ces insurgés reçoivent un vaste appui au Tadjikistan et en
Ouzbékistan.
|
| Avez-vous réexaminé cette question dans le contexte des
événements actuels, soit du point de vue de la sécurité ou des
politiques? Je suppose qu'il est essentiel de mettre sur pied une
coalition qui se servirait de l'Ouzbékistan ou du Tadjikistan
comme base pour toutes les mesures qui pourraient être prises en
Afghanistan.
|
| Si je parle de cela, c'est que j'ai remarqué que ces deux États
ont accepté de donner accès à des installations terrestres, et pas de
façon limitée comme l'a fait le Pakistan. Ce que je veux savoir,
c'est si cela présente une menace physique à la sécurité de
M. Poutine. Autrement dit, comment M. Poutine verra-t-il cela?
Nous étudions la situation en Russie. M. Poutine y serait-il
favorable ou défavorable? Il a bien fait quelques observations sur
le sujet, mais nous ne savons pas encore ce qu'il fera
concrètement. Il est très important de savoir comment la coalition,
à laquelle pourrait participer le Canada, jouera son rôle?
|
| M. O'Reilly: C'est un peu un dilemme pour M. Poutine, du
point de vue de sa politique étrangère, car d'une part, il s'est
engagé à long terme à lutter contre le terrorisme international, par
le truchement des événements en Tchétchénie, plus particulière
ment contre le terrorisme parrainé par les musulmans, mais
d'autre part, le régime russe a également apporté un appui
important à l'alliance anti-taliban en Afghanistan. Il s'inquiète de
l'extrémisme musulman qui crée des problèmes plus particulière
ment en Ouzbékistan, mais aussi au Tadjikistan et au Kurdistan.
|
| C'est un dilemme toutefois puisque je ne crois pas que
M. Poutine souhaiterait qu'il y ait une présence américaine ou
occidentale à long terme le long du périmètre sud de la Russie,
surtout dans les anciennes républiques soviétiques.
|
| C'est ce qui s'est produit plus à l'ouest, en Géorgie, par
exemple, où toutes les démarches pour se joindre à l'OTAN ont
été rapidement combattues par les Russes.
|
| Comme je l'ai dit, cela crée un dilemme. Pour l'instant,
M. Poutine a tendance à appuyer les pays occidentaux, mais cet
appui sera à mon avis conditionnel. La participation des pays
occidentaux devra être clairement définie, avoir un objectif à
court terme, puis la région reviendra à la sphère d'influence russe.
|
| Le sénateur Grafstein: Quand j'ai visité la Géorgie, il y a
plusieurs années, j'ai essayé de me renseigner un peu sur les pays
en «stan». Un de nos anciens députés est consul du Kazakhstan à
Toronto. Or, j'ai été surpris d'apprendre que nous n'avons aucune
représentation directe dans les pays en «stan». Nous avons un
ambassadeur itinérant qui couvre toute cette région.
|
| Comment recueillir des informations de ces régions sans
représentation canadienne sur le terrain?
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| M. O'Reilly: J'ai eu l'occasion de visiter le Kazakhstan en
mars dernier. Il y a probablement une nouvelle ambassade là-bas.
Je ne sais pas depuis combien de temps elle est là. Je crois qu'il
s'agit d'une micromission à Almaty qui s'occupe de tous les pays
en «stan», comme vous l'avez dit. Voilà ma source d'information.
Je vais sur le terrain et je parle aux gens.
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| Outre cela, je ne saurais répondre plus amplement à votre
question.
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| Le président: Honorables sénateurs, de votre part, je remercie
nos témoins. C'était passionnant.
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| Nous attendrons cinq minutes la fin de l'enregistrement
électronique, et ensuite nous discuterons des travaux futurs du
comité.
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| Le comité poursuit sa réunion à huis clos.
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