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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du comité sénatorial permanent
des affaires étrangères

Fascicule 18 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 27 novembre 2001

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères, auquel a été renvoyé le projet de loi C-6, Loi modifiant la Loi du traité des eaux limitrophes internationales, se réunit ce jour à 17 h 15 pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, la séance est ouverte. Nous examinons le projet de loi C-6, Loi modifiant la Loi du traité des eaux limitrophes internationales. Nous accueillons le ministre Manley et nous savons que notre temps est compté.

Monsieur le ministre, bienvenue à notre comité; je vous invite à faire tout de suite votre bref exposé car nous avons des questions à vous poser.

L'honorable John Manley, ministre des Affaires étrangères: Honorables sénateurs, je suis désolé d'être assez limité par le temps cet après-midi. Je vais essayer de vous faire mon exposé le plus rapidement possible.

Le projet de loi C-6 que vous examinez représente la mise en oeuvre de l'engagement du gouvernement d'agir dans le cadre de son champ de compétence afin de traiter des prélèvements massifs d'eau. Ce projet de loi a une haute priorité législative et joue un rôle clé dans la stratégie du gouvernement visant à interdire les prélèvements massifs dans les grands bassins hydrographiques du Canada. Il répond en outre aux intérêts canadiens voulant que tous les paliers de gouvernement agissent pour garantir la protection et l'intégrité à long terme des ressources en eau douce du Canada.

Je crois que tous les membres du comité ont maintenant reçu les cahiers contenant les informations détaillées sur le projet de loi, notamment l'avant-projet de règlement et la note explicative à propos des prohibitions, des licences et des exceptions.

[Français]

Le but du projet de loi est d'interdire le captage massif des eaux limitrophes dans les bassins hydrographiques. Les définitions et exceptions prévues dans le projet de règlement visent à permettre l'application efficace et permanente des prohibitions des cas et des utilisations non actuellement envisagées. Si ceci était mentionné dans le projet, il faudrait modifier la loi pour contrer toute nouvelle menace pesant sur les approvisionnements en eau du Canada et pour utiliser de nouvelles utilisations valides.

[Traduction]

La définition de «captage massif des eaux limitrophes» telle qu'établie dans les prohibitions et le règlement englobe les grands projets comportant un écoulement continu des eaux, comme les dérivations, les pipelines, les canaux, les tunnels, les aqueducs ou les chenaux. Elle inclut aussi les projets ayant un volume seuil de 50 000 litres par jour pour les prélèvements par divers modes de transport, ce qui est assez faible. Cela équivaut à un peu moins que la capacité d'un camion-citerne, soit environ le volume qu'utilisent 50 ménages en une journée.

Trois types d'exceptions sont prévues par le règlement. Premièrement, les eaux de ballast, pour la sécurité de la navigation, les eaux nécessaires à l'exploitation d'un navire, d'un véhicule ou d'un aéronef, y compris pour toute personne ou tout animal à bord, seront exemptées. La deuxième exception concerne les eaux destinées à la fabrication de produits dans le bassin hydrographique, ou les produits manufacturés contenant de l'eau, étant donné que cette pratique était autorisée en vertu du Traité des eaux limitrophes internationales et est réglementée par les provinces. Troisièmement, les eaux utilisées pour la lutte contre les incendies et à des fins humanitaires, utilisation par nature de courte durée et non commerciale. Ces exceptions figurent dans le règlement pour permettre au gouvernement de réagir le plus rapidement possible aux projets qui n'étaient pas prévus, qui peuvent miner la prohibition, telle que définie dans la loi.

Le régime de licences officialiserait le processus d'approbation en vigueur au gouvernement du Canada pour les projets relevant des articles III et IV du traité. Il est distinct de la disposition de prohibition. Nous estimons qu'un processus d'approbation plus explicite, plus rigoureux et plus transparent s'impose pour mieux donner suite aux obligations du Canada en vertu du traité.

Les articles 11 et 12 du projet de loi C-6 ont trait aux obligations du Canada d'approuver ou de rejeter les projets qui pourraient avoir un impact sur le niveau ou le débit naturel des eaux de l'autre côté de la frontière. Ce genre de projets doit en outre obtenir, aux termes du traité, une approbation distincte et indépendante de la Commission mixte internationale (CMI). Par conséquent, le processus d'approbation de licence ne conférerait aucun nouveau pouvoir au gouvernement.

[Français]

Le projet de loi de règlement sera diffusé pour commentaires publics et les provinces seront consultées, encore, avant la rédaction de la version définitive. Comme plusieurs sénateurs l'ont souligné déjà, le Comité mixte permanent du Sénat et la Chambre des communes, sur l'examen de la réglementation, offre des garantis et permet d'exercer une surveillance du processus réglementaire.

Des sénateurs ont posé des questions au sujet des mesures adoptées par les États-Unis pour protéger les eaux limitrophes. Il va de soi que nous continuerons à collaborer étroitement avec les États-Unis, tant au niveau fédéral qu'à celui des États, pour faire en sorte que les régimes, des deux côtés de la frontière, soient plus cohérents et restrictifs possible.

[Traduction]

Le Canada et les États-Unis ont convenu de charger la CMI d'étudier les modes de consommation, les dérivations et les prélèvements dans les Grands Lacs, et de formuler des recommandations à ce sujet. La CMI, dans son rapport final de février 2000, a présenté aux gouvernements américain et canadien des recommandations qui jettent les bases d'une politique uniforme des deux côtés de la frontière en ce qui concerne la protection des Grands Lacs. Tout projet modifiant les niveaux et les débits des eaux limitrophes doit être soumis à la Commission mixte internationale.

Chaque gouverneur des États du bassin des Grands Lacs est en outre investi d'un pouvoir, confirmé par le Congrès, de bloquer les nouveaux projets de dérivation. Dans les années à venir, le Traité des eaux limitrophes restera un instrument critique pour la protection des droits du Canada.

En adoptant le projet de loi C-6, le Parlement imposera légalement une prohibition non équivoque du captage à grande échelle des eaux limitrophes. C'est là une mesure tournée vers l'avenir, qui place au-dessus de tout la sécurité des ressources en eau douce du Canada. Le fédéral y fait preuve d'initiative. Elle concrétise une approche globale, écologiquement saine, respectueuse des compétences constitutionnelles et conforme aux obligations commerciales internationales du Canada.

Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de comparaître devant votre comité à propos de ce projet de loi.

Le sénateur Corbin: Merci pour votre exposé, monsieur le ministre. J'aimerais que vous me confirmiez que ce projet de loi est totalement hermétique.

M. Manley: Peut-être vaudrait-il mieux dire «étanche».

Le sénateur Corbin: Étanche, si vous voulez. Je disais «hermétique» parce que je voulais dire que le langage lui-même ne laissait rien passer.

Je comprends parfaitement qu'on interdise les éventuelles exportations commerciales d'eau. Mais le projet de loi ou le règlement qui va l'accompagner pourrait-il être interprété à l'avenir comme signifiant qu'on peut octroyer des licences pour l'exportation de quantités d'eau supérieures aux 50 000 litres que vous avez mentionnés?

M. Manley: Sénateur, il est tout d'abord important de bien comprendre que le projet de loi s'applique aux eaux relevant de la compétence fédérale, et c'est pourquoi il s'applique aux eaux couvertes par le Traité des eaux limitrophes. Par conséquent, ma réponse concerne ces eaux.

Interpréter de cette façon le règlement, c'est-à-dire supposer qu'il pourrait servir à justifier les exportations d'eau, c'est oublier d'une part que le projet de loi porte sur la Loi du traité des eaux limitrophes internationales et d'autre part omettre de lire le traité en même temps que la loi. La réponse à votre question est non, il ne s'agit pas d'un instrument permettant le prélèvement d'eau. C'est un instrument de protection des eaux limitrophes.

Le sénateur Corbin: On a formulé à cet égard certaines inquiétudes concernant le droit traditionnel de légiférer du Parlement. On craint, en vertu d'une interprétation fondée ou non, que le règlement autorise la prise de mesures qui devraient normalement relever du pouvoir législatif du Parlement. Est-ce le cas?

M. Manley: Je ne crois pas. Il est bien évident que de nombreuses lois, et peut-être même la plupart, prévoient des pouvoirs qui s'exercent de diverses manières. Étant donné l'importance des dispositions du règlement accompagnant ce projet de loi, nous avons veillé à ce que l'ébauche de règlement soit déposée au comité avant que le projet de loi soit adopté pour permettre aux membres du comité de voir ce que nous prévoyons, ce que le gouvernement a l'intention de faire, et de formuler éventuellement des commentaires à ce sujet. C'est une procédure normale et la Commission mixte, comme je le disais dans mes remarques, peut exercer un rôle de supervision en cas de modification du règlement.

L'avantage de cette formule, c'est évidemment de nous permettre de réagir rapidement aux évolutions technologiques ou autres. Dans notre monde de technologie moderne, la notion de rapidité est essentielle et est malheureusement souvent absente dans nos institutions.

Le sénateur Carney: Monsieur le ministre, nous vous remercions d'avoir pris le temps de venir nous rencontrer. Le sénateur Corbin a abordé notre principale préoccupation concernant ce projet de loi, à savoir que nous jugeons excessifs les pouvoirs que l'on veut donner au gouverneur en conseil et inscrire dans le règlement. Les pouvoirs qui pourront s'exercer en vertu du projet de loi tel qu'il est actuellement rédigé sont une chose, et l'intention du projet de loi telle que vous l'avez énoncée en est une autre.

En tant que législateurs, nous craignons que ce projet de loi, avec les pouvoirs de réglementation qui l'accompagnent, permette à des gouvernements ou à des ministres futurs d'aller à contresens du projet de loi et de s'en servir en fait pour autoriser au lieu d'interdire des prélèvements massifs d'eau.

Par exemple, le paragraphe 13(1) sur la prohibition ne mentionne nullement les prélèvements massifs. Il dit simplement:

Malgré l'article 11, nul ne peut utiliser ou dériver des eaux limitrophes d'un bassin hydrographique en les captant et en les transférant à l'extérieur du bassin.

Il n'est absolument pas question de captage massif. La notion d'«eaux limitrophes» est plus vaste que la notion de prélèvements massifs.

Le paragraphe 13(3) se lit comme suit:

Le paragraphe (1) ne s'applique qu'aux bassins hydrographiques décrits par règlement.

Le paragraphe 13 (4) se lit comme suit:

Il ne s'applique pas dans les cas d'exception prévus par le règlement.

Si votre objectif était de limiter les prélèvements massifs, pourquoi ne pas le dire au paragraphe 13(1)? Pourquoi ne pas dire que la prohibition s'applique aux prélèvements massifs d'eaux limitrophes? Le règlement dit simplement que cette interdiction du paragraphe 13(1) ne s'applique pas au captage d'eaux limitrophes, excepté le captage massif d'eaux limitrophes. Si c'est aussi important, pourquoi placez-vous la définition de cette interdiction dans le règlement, qui peut être modifié, au lieu de la faire figurer dans le projet de loi?

M. Manley: Je ne suis pas sûr que ce soit un problème de définition. J'ai l'impression que cette notion de prélèvement «massif» s'interprète dans le contexte conjoint de la prohibition et des exceptions. En mentionnant les eaux limitrophes, nous nous donnons le pouvoir constitutionnel de nous occuper de ces sources d'eau particulières. C'est pour cela que l'article est axé sur les eaux limitrophes, l'effet du captage étant de modifier soit le débit, soit le niveau naturel des eaux transfrontalières. L'article englobe manifestement la notion de prélèvement «massif».

Nous parlons des eaux à l'état naturel et il y a très peu d'exceptions pour les quantités qui peuvent être prélevées à d'autres fins. Par conséquent, on peut considérer que la notion de prélèvement important est implicite dans cet article.

Le sénateur Carney: Si je peux poursuivre sur ce sujet, vous mettez précisément le doigt sur le problème. Évidemment, il n'y a pas de définition dans ce projet de loi, à part celles concernant le ministre, les eaux limitrophes définies dans le traité et la licence prévue à l'article 16. Une foule de choses ne sont pas définies dans le projet de loi C-6 et vous n'avez pas dit que vous interdisiez les captages massifs d'eau dans ce projet de loi, ce qui est l'une de nos préoccupations. Je vais laisser mes collègues continuer sur ce sujet.

J'aimerais maintenant aborder le problème commercial. Vos hauts fonctionnaires nous répondent catégoriquement, et vous-même l'avez dit à mon collègue le sénateur Corbin, qu'il n'y a pas de rapport entre les accords commerciaux - le Traité des eaux limitrophes internationales ou la Loi sur le commerce international - et l'eau à l'état naturel.

Nous avons reconnu que les dispositions de l'ALENA stipulent que l'eau à l'état naturel n'est pas considérée comme une denrée commerciale. Toutefois, dans le rapport de la CMI, à la page 32, on trouve une mise en garde disant que l'eau pourrait éventuellement être considérée à l'avenir comme denrée commerciale. Dans votre propre discours à la Chambre, le 5 février, monsieur le ministre, vous avez dit que les produits alimentaires et les boissons constituaient des exceptions. Or, les produits alimentaires et les boissons sont des denrées. Ce sont des produits manufacturés et vous avez dit que les produits alimentaires et les boissons figureraient parmi les exceptions aux dispositions de prohibition de prélèvements d'eaux limitrophes.

Le texte de l'ALENA stipule clairement que l'eau est une ressource naturelle tant qu'elle n'est pas transformée en denrée. Pouvez-vous nous donner la garantie qu'avec ce projet de loi, pas avec le règlement, il ne sera pas possible de considérer l'eau comme une denrée commerciale étant donné l'exception que vous prévoyez pour les produits alimentaires et les boissons?

M. Manley: Je ne suis pas sûr de bien comprendre la question, mais je vais essayer de répondre.

Le sénateur Carney: La question est simple. Le projet de loi n'en parle pas, mais le règlement pourrait en parler. Cependant, ce n'est pas dans le projet de loi. Vous avez dit que les produits alimentaires et les boissons seraient des cas d'exception à la disposition de prohibition. Or, les produits alimentaires et les boissons sont des denrées. Vous deviez bien avoir une raison pour prévoir cette exception dans le cas des produits alimentaires et des boissons. Quelle est cette raison? Quels risques êtes-vous en train de prendre?

M. Manley: L'exception concerne le prélèvement d'eau en vue de fabriquer un produit manufacturé à l'intérieur du bassin hydrographique. Par exemple, si vous avez une usine d'embouteillage de Coca Cola, on envisage la possibilité d'utiliser de l'eau pour fabriquer ce produit à condition que ce soit à l'intérieur du bassin hydrographique. Je ne vois pas en quoi cela pose un problème. On ne transforme pas l'eau à l'état naturel en denrée commercialisable, on a simplement un procédé de fabrication qui permet de créer une denrée commercialisable.

En outre, c'est quelque chose qui est conforme aux interprétations historiques du Traité des eaux limitrophes internationales.

Le sénateur Carney: Interpréter des pratiques officieuses, ce n'est pas la même chose que légiférer sur ces pratiques. Affirmez-vous catégoriquement que l'eau ne saurait en aucun cas être considérée comme une denrée commercialisable en vertu des dispositions de ce projet de loi ou du règlement?

M. Manley: Rien dans ce projet de loi ne désigne l'eau comme une denrée commercialisable ou ne peut être interprété comme tel.

Le sénateur Carney: C'était pourtant le cas dans le discours que vous avez fait dans l'autre endroit.

M. Manley: Je ne crois pas.

Le sénateur Murray: J'aimerais poursuivre sur les questions que vous posait tout à l'heure le sénateur Carney. Tout d'abord, d'après les notes explicatives du ministère, l'article 13 interdirait le transfert massif d'eaux limitrophes à l'extérieur du bassin hydrographique. Or, comme l'a bien souligné le sénateur Carney, ce n'est pas du tout ce que fait le projet de loi. Il dit simplement que nul ne peut utiliser ou dériver des eaux limitrophes en les captant. Pourquoi n'a-t-on pas parlé de prélèvements massifs d'eau dans le projet de loi? C'est un oubli des rédacteurs? Est-ce que c'est pour des raisons stratégiques que vous n'avez pas utilisé le terme «massif» dans le projet de loi?

M. Manley: Peut-être que quelque chose m'échappe. À ma connaissance, «massif» n'est pas un terme technique. Les paragraphes 13(1) et 13(2) énoncent très clairement la portée du projet de loi.

Le sénateur Murray: Sauf votre respect, monsieur le ministre, je ne le crois pas. Vous-même, en tant que porte-parole du gouvernement, vous ne cessez de parler, comme les documents publiés aussi par le gouvernement, d'interdiction de faire des prélèvements massifs en vertu de l'article 13. Or, on ne parle pas dans cet article de prélèvements massifs, mais simplement de «captage d'eau».

En outre, cette disposition ne s'applique qu'aux bassins hydrographiques décrits dans le règlement. Pour l'instant, il n'y a pas de règlement, mais il y en aura un, et il ne s'applique pas aux exceptions prévues, ce qui m'amène au pouvoir de réglementation.

Comme vous l'avez bien fait remarquer, pratiquement tous les projets de loi que nous adoptons s'accompagnent d'un pouvoir de réglementation. Le pouvoir prévu dans ce projet de loi est extraordinaire compte tenu de l'objectif du projet de loi. Vous avez dit qu'on interdisait les captages massifs d'eau. On dit que le gouverneur en conseil, le Cabinet, peuvent apporter toutes les exceptions qu'ils veulent à cette prohibition.

Si l'on prévoit dans la prohibition un droit inconditionnel du Cabinet à y apporter des exceptions, à mon avis, cela n'a plus grand-chose à voir avec une prohibition. Le projet de loi stipule que cette prohibition ne s'appliquera encore une fois qu'aux bassins hydrographiques sélectionnés par le Cabinet.

Je ne comprends pas pourquoi vous n'insérez pas ces dispositions dans le projet de loi. Comme vous l'avez dit, les exceptions prévues au règlement sont relativement mineures et assez raisonnables. Pourquoi ne pas les faire figurer dans le projet de loi au lieu de vous laisser un droit inconditionnel à apporter des exceptions à cette prohibition?

De même, vous mentionnez trois bassins hydrographiques. Je ne vois pas pourquoi ces trois-là seulement et pas les autres. Si ce sont les trois bassins auxquels s'appliquera le règlement, pourquoi ne l'avez-vous pas dit dans le projet de loi? Il y a là beaucoup de questions, mais je pense que vous comprenez ce que je veux dire.

M. Manley: Je ne comprends pas le problème du terme «massif».

Le sénateur Carney: Il ne figure pas dans le projet de loi.

M. Manley: Nous parlons de captage d'eau. S'il ne s'agit pas de captage massif, de quoi s'agit-il? On va la prélever à la tasse?

Le sénateur Carney: C'est nous qui vous posons la question. Ce n'est pas dans le projet de loi.

M. Manley: Sénateur, comment voulez-vous prélever cette eau? Le problème, c'est qu'on dit: «Nul ne peut faire des prélèvements d'eau» mais qu'on ne dit pas «massifs» et qu'en conséquence, d'après vous, on pourrait faire des prélèvements massifs?

Le sénateur Murray: Vous utilisez le terme «massif» dans l'ébauche de règlement. Pourquoi ne pas l'avoir fait dans le projet de loi?

M. Manley: C'est inutile.

Le sénateur Murray: Alors pourquoi est-ce nécessaire dans le règlement? S'il n'y a pas de considération stratégique ici, dites-le. Je ne comprends pas cette différence.

M. Manley: C'est une question de rédaction. Je ne sais pas si les juristes ont quelque chose à ajouter sur ce point.

M. Jason Reiskind, conseiller juridique, Section du droit international, ministère de la Justice: Honorables sénateurs, l'article 13 vise à dire clairement que le gouvernement estime qu'on ne doit pas capter et transférer de l'eau à l'extérieur du bassin, et cela inclut forcément les captages massifs. Si on ne peut pas enlever d'eau du tout, on ne peut certainement pas en enlever de façon massive. On place la barre très bas dans le projet de loi pour bien montrer que la politique du gouvernement est de ne pas autoriser le captage et le transfert d'eaux limitrophes à l'extérieur du bassin hydrographique.

Le sénateur Bolduc: Au paragraphe 13(4), on dit que la prohibition ne s'applique pas dans les cas d'exceptions prévus par règlement; autrement dit, il y a une prohibition dans la loi mais on peut énoncer des règlements. Le gouverneur en conseil peut énoncer ces règlements, et dans ces règlements il peut prévoir des exceptions.

Je me trompe peut-être, mais pour moi, cela signifie que le gouverneur en conseil peut très bien dire: «Il y a une prohibition, mais dans tel cas particulier nous allons autoriser quelque chose.» Est-ce que ce n'est pas là la véritable intention de ce projet de loi? Pourquoi est-ce nécessaire?

M. Manley: Un tel raisonnement implique la croyance à une théorie du complot qui me sidère, je dois le dire. L'objectif du projet de loi est de déterminer le contexte législatif du traité et de préciser clairement la position du gouvernement fédéral sur le captage d'eau à l'état naturel dans le bassin. Votre théorie serait en contradiction complète avec l'intention du projet de loi et avec le traité. Elle ne tiendrait pas debout à la Commission mixte internationale. Je ne peux pas accepter qu'on parte du principe que c'est à cela que devrait servir le règlement. Je pense que le comité mixte n'accepterait pas non plus cet argument.

Nous avons ici un énoncé très clair de l'intention du gouvernement en ce qui concerne les prélèvements d'eau. Il s'agit d'une disposition environnementale qui nous donne une orientation politique claire sur un point qui a fait parfois l'objet de contestations en vertu d'accords commerciaux. Nous avons un modèle d'application des règlements dans le contexte provincial lorsque l'eau est une ressource naturelle située entièrement à l'intérieur d'une province. Ce modèle est parfaitement cohérent avec tout ce que nous avons dit sur notre volonté d'orientation de la politique gouvernementale. Je ne peux absolument pas accepter qu'on insinue que nous voulons prévoir dans le projet de loi des exceptions pour pouvoir le saborder.

Le sénateur Carney: Ce que nous vous disons, c'est qu'on a la possibilité de saborder le projet de loi compte tenu de la façon dont il est actuellement rédigé. C'est clair du fait qu'il n'y a que trois définitions. Tout le reste relève de la discrétion ministérielle et des pouvoirs inconditionnels de réglementation, comme l'a dit mon collègue.

Notre interprétation du projet de loi est que vous avez le droit d'aller complètement à l'encontre de son intention. Pourquoi ne pas faire figurer ces restrictions dans le projet de loi lui-même? Nous vous demandons simplement d'envisager de modifier le projet de loi pour qu'il énonce clairement l'objectif que vous prétendez avoir.

M. Manley: Il s'agit d'une modification de la Loi du traité des eaux limitrophes internationales. Le projet de loi ne peut pas donner au gouvernement fédéral de nouveaux pouvoirs parce qu'il est limité par le traité international. Votre interprétation irait complètement à contresens du traité mis en oeuvre par la loi que modifie ce projet de loi.

Le sénateur Bolduc: Nous sommes vraiment au coeur de la question ici.

[Français]

Le ministre a des pouvoirs discrétionnaires et le gouvernement en a aussi; la loi dit qu'il y a une prohibition et le règlement dit que le gouvernement pourra juger quand il y aura prohibition ou pas.

[Traduction]

Par exemple, est-ce le même genre de pouvoirs que ceux que reçoit le ministre du Commerce international dans le cadre d'un accord commercial avec le Costa Rica? Est-ce le même type de règlement; c'est-à-dire qu'il y a une loi et ensuite il est possible que le gouvernement revoie certains éléments?

M. Manley: Il faudrait que j'examine cette question. Je ne connais pas bien la loi.

Le sénateur Graham: Merci d'être venu, monsieur le ministre. Nous entendons constamment employer le terme «prohibition». En ce qui concerne le captage massif d'eau, pourquoi la prohibition est-elle tellement plus efficace que l'interdiction totale des exportations? Pourquoi avez-vous préféré la prohibition à une interdiction totale des exportations?

M. Manley: Fondamentalement, sénateur, nous voulons éviter de faire de l'eau une denrée, c'est-à-dire d'en faire une marchandise ou un produit commercialisable. Nous traitons de l'eau à l'état naturel. La loi porte sur la compétence fédérale sur les eaux limitrophes. L'objectif du projet de loi est la protection environnementale. Autrement dit, il s'agit d'empêcher que l'on prélève de l'eau en quantités telles que cela pourrait tout d'abord modifier le débit ou le niveau naturel des eaux. C'est compatible avec le traité, qui est en vigueur depuis longtemps.

Je suis sûr que vous le savez, plusieurs autorisations ont été accordées dans le cadre du traité au fil des années en ce qui concerne des dérivations, des barrages, etc., à Sault Ste. Marie, à Niagara Falls, au canal Welland et ailleurs. Cependant, ceci se fait dans le cadre du Traité et en collaboration étroite avec les États-Unis.

De même, nous essayons dans ce projet de loi d'envoyer un signal clair montrant que le gouvernement fédéral exerce ses pouvoirs sur le captage de l'eau dans son état naturel. Cela fait partie de la stratégie d'ensemble.

Dans le même cadre, le ministre de l'Environnement a approché ses homologues provinciaux afin de veiller à ce que les provinces prennent des mesures dans leur champ de compétence pour ce qui est de l'eau à l'état naturel se trouvant totalement à l'intérieur des limites provinciales. C'est-à-dire que ce ne sont pas des eaux limitrophes.

Tout cela visait à éviter que l'eau ne soit transformée en une denrée qui serait assujettie aux dispositions contenues dans nos accords commerciaux. C'est pour cette raison que le projet de loi porte sur le prélèvement d'eau d'un bassin hydrographique et non sur l'exportation.

Le sénateur Graham: Le ministre a parlé de Niagara Falls. Comme nous l'avons appris pendant la campagne électorale, les eaux d'Amérique du Nord ne coulent pas toutes du nord au sud. Certaines vont du sud au nord. Je voudrais savoir s'il existe des accords de réciprocité. Nos amis du sud de la frontière, c'est-à-dire le gouvernement des États-Unis et les divers États sont-ils en train d'étudier des lois semblables ou ces lois sont-elles déjà en place?

M. Manley: Il se passe différentes choses. On a parlé de l'étude et du rapport de la CMI l'année dernière sur cette question. Les États frontaliers s'y intéressent beaucoup. Comme vous le savez sans doute, c'est un sujet qui suscite la controverse. Nous sommes en intenses pourparlers avec les États-Unis sur la question du captage de l'eau d'un bassin hydrographique, non seulement en raison de l'effet sur le flux, mais parce que lorsque l'eau est dérivée d'un bassin vers un autre, on déplace aussi des substances biologiques qui pourraient influer sur la composition biologique dans l'autre bassin hydrographique. Ce sont des questions qui suscitent actuellement une intense controverse entre le Canada et les États-Unis.

Le sénateur Andreychuk: L'eau est la denrée la plus litigieuse et la plus précieuse pour l'avenir. Quand vous dites «nul ne peut utiliser ou dériver des eaux», je pense que tous les Canadiens le comprennent. Ils comprennent aussi que le ministre pourra invoquer certaines exceptions en vertu du règlement. Si vous voulez vraiment n'avoir que trois exceptions, ne serait-il pas mieux de les inscrire dans le projet de loi? Il y a tout de même des justifications à la théorie du complot, comme vous dites. C'est peut-être de la paranoïa, mais on déplace de plus en plus de choses dans le règlement, de jour en jour, de mois en mois et d'année en année. Le Comité mixte permanent de l'examen de la réglementation est sans pouvoir face à cette nouvelle tendance qui consiste à donner un droit inconditionnel à énoncer des règlements et à ne pas faire figurer les questions de fond litigieuses dans les projets de loi. Nous vous demandons simplement ceci: Si vous avez l'intention de n'avoir que trois exceptions et si vous n'avez pas l'intention de les élargir progressivement, seriez-vous prêt à les faire figurer dans le projet de loi? Vous montreriez clairement que telle est votre intention à nous-mêmes, au public canadien, aux Américains et à tout le monde. Cela reviendrait à dire que le paragraphe 13(1) correspond à une intention d'ensemble que vous maintiendrez sous réserve de trois exceptions. Si vous ne le faites pas, tout ceci dépendra non seulement de vos intentions, monsieur le ministre, mais aussi des intentions d'un ministre futur qui pourrait très bien avoir une vision beaucoup plus créatrice de ces exceptions.

M. Manley: C'est le contraire qui m'inquiète. Si l'on définit ces exceptions dans le projet de loi, on limite la possibilité d'effectuer des changements le jour où quelqu'un arrivera avec une nouvelle technologie ou de nouveaux moyens de contourner la loi. On est handicapé par le délai nécessaire pour modifier la loi au lieu de recourir à des règlements. C'est cela qui m'inquiète. En réalité, l'autorité de réglementation est déjà limitée dans la mesure où elle doit se conformer à l'objectif du projet de loi. C'est une donnée bien établie du droit administratif. Le but de ce projet de loi est de modifier la Loi du traité des eaux limitrophes internationales, qui a été adoptée pour donner effet au Traité des eaux limitrophes. Le retourner complètement et se servir du règlement pour autoriser des captages d'eau serait manifestement ultra vires aux yeux de la loi.

Le sénateur Carney: Nulle part dans le projet de loi ou dans l'ébauche de règlement on ne trouve de définition d'un bassin hydrographique. C'est cela notre problème. L'article 13 prévoit une prohibition visant le captage ou le transfert d'eaux limitrophes à l'extérieur des bassins hydrographiques décrits dans le règlement. Or, il n'y en a pas dans le règlement. Ni dans le projet de loi, ni dans l'ébauche de règlement on ne trouve la définition d'un bassin hydrographique. Nous disons que ce projet de loi est tellement ouvert qu'on pourrait y faire passer un camion Mack, ou même une dérivation grosse comme une vallée des Rocheuses.

Le sénateur Bolduc: En plus, vous dites que le pouvoir de réglementation est limité, mais que faites-vous des alinéas 21c) et d)?

Le président: Nous pourrons poursuivre sur ce thème avec les trois hauts fonctionnaires qui vont rester là quand le ministre va partir. À 19 h 30, nous entendrons d'autres témoins du Centre de droit et de politique commerciale de l'Université Carleton et de l'Université d'Ottawa.

Nous avons assez bien creusé cette question.

Merci, monsieur le ministre, d'avoir répondu à la même question de cinq manières différentes. Merci beaucoup d'être venu.

Le président: Nos témoins restants sont M. Fawcett, M. Reiskind et M. Cooper.

Le sénateur Andreychuk: Le ministre a parlé du droit administratif. Il a dit tout d'abord qu'il serait compliqué de revenir devant le Parlement, qu'on perdrait beaucoup de temps. Certes, la démocratie est complexe, pénible, difficile et elle prend beaucoup de temps, mais c'est aussi grâce à cela que notre pays est ce qu'il est.

S'il voulait donner au gouvernement le pouvoir d'adopter rapidement des règlements pour répondre à de nouvelles technologies, ne devrait-il pas y avoir au moins une explication générique du genre d'exceptions qui sont envisagées?

On aurait tout de même dû restreindre les exceptions possibles. Les exceptions ne sont limitées que par l'intention du projet de loi qui est de respecter la Loi du traité des eaux limitrophes internationales. Le projet de loi vise à interdire le captage d'eau. C'est une définition plutôt vaste.

Comme je le disais, avec un peu d'imagination, en vertu du paragraphe 13(4), on pourrait faire pratiquement n'importe quoi, y compris sortir à petites doses de l'eau ici et là, et tout d'un coup, ô surprise, il devient légitime de faire des prélèvements massifs d'eau.

N'aurait-il pas mieux valu restreindre la toute-puissance absolue du gouverneur en conseil à l'égard des règlements?

M. Reiskind: Je ne pense pas qu'il soit correct de dire que le ministre disposerait de pouvoirs inconditionnels en raison des paramètres du projet de loi. Le projet de loi met en oeuvre le Traité des eaux limitrophes internationales.

Cette mise en oeuvre fait intervenir une organisation bilatérale qui examine tous les projets proposés. La prohibition prévue ici s'appuie sur la partie du traité qui permet au gouvernement du Canada d'opposer son veto à des projets. Toutefois, s'il souhaite en approuver, la Commission mixte internationale, conformément aux paramètres de la loi, doit quand même les examiner.

Tout projet fait intervenir plusieurs paliers de contrôle et la Commission mixte doit aussi vérifier le débit des eaux. Il n'y a donc absolument pas de pouvoir inconditionnel découlant des paramètres du projet de loi. Néanmoins, le gouvernement affirme qu'il n'autorisera pas des captages massifs; au contraire, il va les interdire de sorte que les demandes en ce sens n'auront même pas à aller jusqu'à la Commission mixte.

Pour expliquer de façon plus détaillée ce que disait le ministre, le terme «captage massif» devrait forcément s'accompagner d'une définition.

Le sénateur Murray: Vous devez le faire de toute façon.

M. Reiskind: Il n'est pas question de «captage massif» dans le Traité des eaux limitrophes. Or, il s'agit ici d'une application du Traité.

Le sénateur Andreychuk: C'est bien là toute la question.

M. Reiskind: Le «captage massif» est défini dans le règlement. Il s'agit de captage par le biais de dérivations, de pipelines, de canaux, de volumes dépassant 50 000 litres par jour qui peuvent être transportés par camion, par train ou par bateau.

Pour faire face aux éventualités futures de façon rapide et empêcher un candidat de contourner la prohibition, nous avons mentionné ces 50 000 litres et ces dérivations dans le règlement de manière à pouvoir intervenir rapidement au cas où quelqu'un trouverait un moyen imprévu de contourner les dispositions de la loi.

Je vais vous donner quelques exemples pour vous expliquer le problème. Imaginons qu'il y ait une sécheresse pendant cinq ans et qu'on ait un sérieux problème dans les Grands Lacs. Peut-être serait-il préférable d'abaisser cette limite de 50 000 litres dans de telles circonstances. Il serait plus facile et plus rapide de s'appuyer sur le règlement pour bloquer un projet qui serait susceptible de nuire aux Grands Lacs dans une telle situation.

On mentionne les «eaux de ballast» dans une exception. Imaginons le cas regrettable de quelqu'un qui remplirait un bateau-citerne, prétendrait que tout le bateau-citerne est rempli d'eaux de ballast et réussirait d'une façon ou d'une autre à convaincre un tribunal de sa thèse. Les écluses seraient grandes ouvertes à ce moment-là. Pour nous, les eaux de ballast, c'est un minimum d'eau nécessaire pour assurer la stabilité d'un bateau-citerne. Nous pourrions réagir plus rapidement en précisant cette notion d'«eaux de ballast» dans le règlement pour bloquer dans l'oeuf un tel projet.

Le président: Cela répond à votre question, sénateur Andreychuk?

Le sénateur Andreychuk: Ce que nous sommes en train de dire, c'est que c'est trop compliqué et difficile de soumettre ce genre de questions au Parlement. Par conséquent, dans un souci d'efficacité et de rapidité, on va confier tous ces problèmes d'eau au ministre pour qu'il les règle par décret dans le cadre du règlement.

De nombreux Canadiens se soucient beaucoup de cette denrée et aimeraient bien que les problèmes soient examinés par le Parlement et que divers points de vue puissent s'exprimer. Je ne suis toujours pas convaincue que nous puissions un jour nous retrouver dans une situation tellement urgente qu'on n'aurait pas le temps de faire intervenir le Parlement. Dans le passé, quand il y a eu des urgences, le Parlement a réagi plutôt vite.

On l'a rappelé quand il y a eu des questions d'urgence. Dans le cas de l'eau, je trouve plutôt douteux cet argument de la nécessité d'écarter le Parlement.

Le sénateur Carney: J'ai d'autres questions sur le manque de clarté du projet de loi. Toutefois, dans la foulée de votre argumentation sur la nécessité de pouvoir disposer d'une certaine souplesse pour l'administration du projet de loi, je vous signalerais que dans ce projet de loi, le ministre ou le gouverneur en conseil peut préciser en quoi consiste une utilisation, une dérivation ou une obstruction aux fins de la loi, en définissant tout terme ou expression figurant aux articles 11 à 26 du projet de loi et qui n'y sont pas définis. C'est un pouvoir discrétionnaire énorme d'avoir ainsi la latitude de définir tout terme ou expression, y compris le «bassin hydrographique» auquel s'applique l'article 13.

Nulle part dans le projet de loi ou dans le règlement on ne décrit en quoi consiste le bassin hydrographique. Le paragraphe 13(3) du projet de loi stipule que la prohibition visant le captage et le transfert d'eaux limitrophes à l'extérieur de leur bassin hydrographique «ne s'appliquent qu'aux bassins hydrographiques décrits par règlement». Or, il n'y a pas de définition de «bassin hydrographique» dans le règlement. On laisse cela entièrement à la discrétion du ministre par le biais du règlement.

Le ministre a le pouvoir de stipuler les cas d'exceptions, d'établir les catégories de licences, de déterminer les personnes pouvant en être titulaires et de définir les modalités, de fixer les droits à acquitter, de préciser la période de validité de la licence et de régir le renouvellement et la modification de la licence. Le ministre peut définir absolument tout à ce sujet sauf les trois exceptions. Vous trouvez que c'est la démarche normale du ministère de la Justice à propos des projets de loi?

Le projet de loi accorde des pouvoirs discrétionnaires énormes dans tous les domaines, y compris les définitions, et pourtant on n'y mentionne pas la notion de captage massif et on n'y définit pas la notion de bassin hydrographique. Vous trouvez que c'est un bon projet de loi?

M. Reiskind: À ma connaissance, c'est conforme à ce que l'on trouve dans d'autres lois analogues. Je peux vous en donner des exemples. Plus précisément, vous parlez de la possibilité de modifier les définitions de «utilisations» et d'«obstructions». Or, le projet de loi délimite ces mots clés. Le paragraphe 21(2) dit:

Il est entendu qu'un règlement pris en vertu de l'alinéa (1)a) n'a pas pour effet de restreindre le sens normal des termes «utilisation», «usage», «obstruction», «ouvrage» ou «dérivation».

C'est donc le sens normal de ces termes qui s'applique. S'il y avait un sens détaillé dont l'interprétation ne serait pas claire pour les tribunaux, on le préciserait dans le règlement. Toutefois, le projet de loi précise bien que c'est le sens normal de ces termes qui s'applique, et par conséquent on ne peut pas contourner ce sens normal dans le règlement.

Le sénateur Carney: Résumons. Pourriez-vous m'expliquer, étant donné tout ce que vous venez de nous dire et ce que nous a dit le ministre, où, dans les 26 nouveaux articles du projet de loi C-6, on interdit clairement l'exportation ou le prélèvement massif d'eau; et où l'on trouve une définition claire de «quantité massive d'eau» et «bassin hydrographique», ou de tous les autres termes. Pouvez-vous me le dire? Ce projet de loi tel que nous l'avons sous les yeux permet-il à un ministre futur, en s'appuyant sur les pouvoirs mentionnés dans le projet de loi et le pouvoir de modifier la réglementation à l'avenir, d'autoriser l'exportation ou le captage massif d'eau? Je veux savoir exactement où on le dit dans le projet de loi.

M. Reiskind: Il y a la prohibition directe du paragraphe 13(1) qui interdit le captage et le transfert d'eau à l'extérieur du bassin hydrographique. On place la barre très bas pour bien indiquer l'intention. Il y a aussi les paramètres du projet de loi qui est explicitement une mesure d'application du Traité des eaux limitrophes. Le ministre ne pourrait pas autoriser des transferts massifs d'eau sans violer le traité. En fin de compte, les paramètres du projet de loi incluent les limites du traité.

Voilà pourquoi je ne pense pas que le ministre pourrait faire une telle chose.

Le sénateur Bolduc: Question supplémentaire. S'il est vrai qu'il y a prohibition et que cette prohibition s'applique uniquement aux trois bassins hydrographiques, que deviennent les autres bassins hydrographiques?

Le sénateur Carney: Il y en a environ 300.

M. John Cooper, directeur, Enjeux hydriques nationaux, Environnement Canada: Le projet de loi C-6 s'applique uniquement aux eaux limitrophes, qui incluent les Grands Lacs, le lac des Bois, la rivière Sainte-Croix et une partie de la rivière Saint-Jean. Toutes les autres eaux sont transfrontalières, c'est-à-dire qu'elles traversent une frontière internationale, par exemple la rivière Rouge ou le fleuve Columbia. Le projet de loi C-6 ne nous permet pas d'appliquer cette prohibition à ces eaux. La portée du projet de loi limite son application strictement aux eaux limitrophes, c'est-à-dire les eaux traversées par une frontière.

C'est pourquoi notre stratégie, depuis qu'elle a été annoncée en février 1999, repose sur une démarche de partenariat avec les provinces. Quand nous avons entamé ce processus, deux provinces interdisaient les prélèvements massifs, la Colombie-Britannique et l'Alberta. Maintenant, ce sont neuf provinces sur 10 qui ont une réglementation ou une loi interdisant ces prélèvements massifs. La province restante, le Nouveau-Brunswick, est en train de rédiger sa propre loi interdisant les prélèvements massifs. L'interdiction est donc à toutes fins pratiques généralisée dans tout le pays.

Le sénateur Bolduc: Du point de vue géographique, il y a manifestement cinq bassins. Pourquoi ne les mentionnez-vous pas dans le projet de loi au lieu de reporter cela dans le règlement auquel vous pourrez ensuite apporter des exceptions?

M. Reiskind: Nous avons couvert toutes les zones où l'on pensait qu'il y avait un risque de captage massif. En théorie, il pourrait y avoir dans l'Ouest de petits lacs le long de la frontière qu'on pourrait considérer comme des eaux limitrophes. On imagine difficilement que quelqu'un aille faire des prélèvements massifs d'eau dans ces petits lacs. Nous avons couvert toutes les zones où il y avait un risque de captage massif. En précisant cela dans le règlement, dans le cas où quelqu'un s'imaginerait que cela vaut la peine de faire des prélèvements massifs dans un petit lac et où il faudrait arrêter cette personne, on pourrait le faire au besoin.

Le sénateur Murray: Mais vous pourriez aussi retirer un bassin hydrographique de la liste, n'est-ce pas?

Le sénateur Spivak: Je vais poursuivre toutes les questions sur le caractère excessif des pouvoirs du ministre et la possibilité de modifier le règlement sans passer par le Parlement. Je vous signale qu'à propos de ce projet de loi et de toute la question des prélèvements massifs d'eau, que vous connaissez certainement très bien, il y a déjà eu dans le passé, et il y en a encore probablement actuellement, des plans détaillés de détournement de quantités énormes d'eau.

On n'a pas besoin d'évoquer un complot pour comprendre que le projet de loi C-6 inquiète les gens. Vous avez dit que le ministre ne pouvait pas modifier le règlement parce que toute proposition de changement devrait être soumise à la Commission mixte internationale et être conforme au traité. Mais vous ne nous avez pas dit clairement pourquoi on ne pouvait pas soumettre ce règlement au Parlement. J'aimerais qu'on m'explique clairement pourquoi on ne peut pas soumettre ce règlement au Parlement pour avoir un maximum de protection. A-t-on vraiment la garantie que ce genre de chose ne pourra pas se passer à l'avenir? Après tout, on parle ici des 100 prochaines années d'application de ce projet de loi. Le dernier traité remonte à 1909 et nous sommes en train de légiférer pour l'avenir.

Pourquoi ne pas pécher par excès de prudence? J'aimerais qu'on nous explique clairement pourquoi ces règlements ne peuvent pas être soumis au Parlement.

M. Reiskind: Globalement, évidemment, c'est un comité du Parlement qui approuve le règlement.

Le sénateur Spivak: Mais le comité n'a pas le pouvoir de le modifier. Nous parlons ici du pouvoir du Parlement de modifier le règlement.

M. Reiskind: Le règlement est aussi publié dans la Gazette du Canada plusieurs mois avant d'être promulgué. Si l'on constate un problème sérieux, on peut toujours le soulever au Parlement.

Dans toutes les lois, on renvoie un certain nombre de choses au règlement. La Loi de l'impôt comporte de nombreux détails et est accompagnée d'une foule de règlements. Je ne pense pas que ce projet de loi soit particulièrement différent des autres lois analogues. Dans le cas d'une loi sur l'environnement, si le ministre ne stipule pas les substances qui doivent être contrôlées dans le règlement, la plupart du temps la loi ne sert à rien. On pourrait faire toute une argumentation à ce sujet.

Dans la Loi sur les ouvrages destinés à l'amélioration des cours d'eau internationaux, qui porte sur les niveaux et le débit des cours d'eau de l'autre côté de la frontière, il y a un pouvoir de réglementation visant à exclure divers projets. C'est dans le Règlement qu'on trouve les conditions dans lesquelles il faut obtenir une licence en vertu de la loi. Je crois que ce projet de loi est parfaitement conforme aux autres lois analogues.

Le sénateur Spivak: Monsieur Reiskind, avec tout le respect que je vous dois, vous êtes en train de me dire qu'il n'y a pas de raison que ces règlements ne soient pas soumis au Parlement, mais que vous estimez qu'il est plus pratique d'éviter de le faire. Vous ne pouvez pas citer d'autres lois. On nous présente de plus en plus souvent des projets de loi dans lesquels on reporte tout les détails dans le règlement, ce qui est à mon avis une pratique insidieuse. Êtes-vous en train de me dire qu'il n'y a pas de raison de s'opposer à ce que le règlement soit soumis au Parlement? Est-ce que je vous ai bien compris?

M. Reiskind: Quand vous dites «soumis au Parlement»...

Le sénateur Spivak: Avant d'être modifié, puisqu'on ne peut pas modifier un règlement sans l'approbation des deux Chambres.

M. Reiskind: C'est la même chose que pour les autres lois. Dans la plupart des cas, le règlement est soumis au Parlement. Concrètement, certains détails, comme je vous l'ai dit, par exemple le niveau des prélèvements, sont reportés dans le règlement de façon à permettre une intervention rapide pour empêcher quelqu'un de contourner les dispositions ou pour répondre à de nouveaux développements à la Commission mixte internationale.

Le sénateur Spivak: Je ne vais pas continuer là-dessus, mais je tiens à vous répéter encore une fois que ce n'est pas une situation normale; c'est une situation de menace. Il y a actuellement toutes sortes de contestations dans le cadre de l'ALENA à propos de ces captages massifs d'eau.

Ma deuxième question porte sur l'article 21.1, qui concerne les droits des peuples autochtones. J'aimerais savoir si l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 interdit d'une manière quelconque à une bande autochtone de vendre de l'eau en vrac si elle le souhaite. Y a-t-il quelque chose dans cet article qui interdise ce genre d'action, ou envisage-t-on toujours ces défenses? Quel est le statut de cet article 35 vis-à-vis du Traité des eaux limitrophes ou de tout autre obstacle prévu par ce projet de loi? Est-ce que ma question est claire?

M. Peter Fawcett, directeur adjoint, Direction des relations transfrontières avec les États-Unis, ministère des Affaires étrangères: Peut-être pourriez-vous la répéter.

Le sénateur Spivak: Si je comprends bien, c'est une clause de non-dérogation. Cet article dit que «la présente loi ne porte pas atteinte à la protection des droits existants» prévu au titre de l'article 35 de la Loi constitutionnelle. Si une bande autochtone installée près d'une étendue d'eau limitrophe décidait de vendre de l'eau en vrac, qu'est-ce qui pourrait l'en empêcher? De toute évidence pas à ce projet de loi, puisqu'on dit ici: «la présente loi ne porte pas atteinte à la protection». Alors je vous pose la question: pourraient-ils le faire? Qu'est-ce qui les en empêcherait?

M. Fawcett: Si je comprends bien, cet amendement, qui a été ajouté à la Chambre des communes lors de l'étude article par article, visait à bien stipuler que rien dans ce projet de loi ne modifiait les droits des Autochtones.

Le sénateur Spivak: Et ces droits incluent cette activité particulière?

M. Fawcett: À ma connaissance, si le projet de loi est adopté, il s'appliquera à tous les Canadiens, de même que les lois provinciales s'appliquent à tous les Canadiens.

Le sénateur Spivak: Je vous comprends bien. Cela ne modifie pas le contenu de la loi, mais ils seraient tenus de respecter ces dispositions comme les autres.

M. Fawcett: C'est exact.

Si vous me permettez de répondre d'une façon un peu plus générale à certaines préoccupations mentionnées plus tôt à propos du règlement, je dirais que depuis trois ans qu'on prépare ce projet de loi, nous avons constaté qu'il bénéficiait d'un appui massif. Les gens sont massivement pour ce projet de loi qui protège les eaux canadiennes et en interdit le captage massif. Ce qui nous inquiète, ce sont les grands projets de captage massif d'eau.

Le paragraphe 13(1) interdit toute forme de captage d'eau. La définition de l'expression «captages massifs» doit nous permettre de couvrir tous les modes de captage, que ce soit pas irrigation, à l'aide de pipelines ou par divers autres moyens. Comme l'a dit le ministre, on voit constamment apparaître de nouvelles techniques. Qui sait si on n'aura pas un jour une technique de «cryo-extraction» ou de prélèvement d'eau par évaporation qui viendra menacer nos ressources? Le but de cette définition est de nous permettre de réagir à ce genre de situations.

Si vous revenez à la préoccupation formulée précédemment à propos de la définition d'«utilisation» - comme l'a dit M. Reiskind, on ne s'écarte pas du sens normal de ces termes - nous sommes ici dans le domaine des dispositions de délivrance de permis. Il y a une chose que nous avons constatée en élaborant cette loi pour respecter nos obligations en vertu du Traité des eaux limitrophes, c'est qu'il y a toute une procédure officieuse d'approbation des projets de dérivation dans des bassins.

Les dispositions de délivrance de permis sont là pour garantir une procédure ouverte et transparente et pour nous permettre de couvrir tous les projets envisagés. Ces utilisations et les autres éléments dont vous parliez ne viseraient que les dispositions de délivrance de permis, et non l'ensemble du projet de loi.

Le sénateur Bolduc: Le paragraphe 13(4) pourrait-il avoir pour effet de permettre au gouverneur en conseil d'assouplir la prohibition?

M. Fawcett: C'est évidemment une question hypothétique, mais ce que vous envisagez irait complètement à l'encontre du but fondamental de ce projet de loi. Il y a des garanties pour nous protéger de ce genre de proposition.

Le sénateur Spivak: Où sont-elles?

M. Fawcett: Il est difficile d'imaginer une chose pareille.

Le sénateur Bolduc: En théorie, est-il exact ou non que le gouverneur en conseil dispose de ce pouvoir?

M. Fawcett: C'est une question hypothétique.

Le sénateur Bolduc: Supposons qu'un autre gouvernement, pas le gouvernement actuel, ait une vision différente de l'avenir. Ne pourrait-il pas faire quelque chose qui irait à l'encontre du projet de loi?

M. Fawcett: Si vous prenez le règlement à cet égard et les exceptions qui sont prévues, je ne pense pas que qui que ce soit ait une objection aux exceptions qui sont proposées.

Le sénateur Murray: Alors inscrivez-les dans le projet de loi.

M. Fawcett: Les eaux de ballast pour la sécurité, les eaux utilisées à des fins normales pour les personnes et les animaux, les eaux utilisées à des fins humanitaires. Il faudra peut-être ajouter d'autres formes d'utilisation au besoin. C'est dans cette perspective qu'on a prévu ces exceptions, dans ce contexte. Là encore, il faut se placer dans l'optique d'ensemble du projet de loi qui est de restreindre le captage massif d'eau.

Le sénateur Carney: Ce n'est pas dans le projet de loi. Pourquoi ne pas le dire dans le projet de loi?

M. Fawcett: Il le dit.

Le président: Sénateur Carney, vous voulez poser une question?

Le sénateur Carney: Je veux parler de deux choses auxquelles on a simplement fait allusion jusqu'ici. La première question concerne ce qu'a dit M. Reiskind à propos de la façon dont le Parlement est saisi des règlements. Je conteste cette interprétation de notre conception du fonctionnement du Parlement. À ma connaissance, le pouvoir de réglementation prévu par ce projet de loi se présente de la façon suivante: les règlements sont rédigés par les divers ministères concernés, par exemple les Affaires étrangères ou l'Environnement. Ils sont soumis au BCP et revus par le BCP et les fonctionnaires de la Justice. Ils sont ensuite transmis à un comité spécial du Cabinet qui les examine, après quoi ils sont publiés à la Gazette du Canada. S'il y en a parmi vous qui passent leurs nuits à lire la Gazette du Canada, vous avez droit à toute ma sympathie. Au bout d'une courte période, il y a une invitation à faire des commentaires publics dans la Gazette. Après quelques semaines, les commentaires publics sur les règlements publiés dans la Gazette sont regroupés et suivent le même processus. Ils sont renvoyés à la section du Bureau du Conseil privé du ministère de la Justice et aux autres ministères pour qu'ils les commentent. Les règlements sont ensuite transmis au comité spécial du Cabinet puis au Cabinet tout entier. On ne trouve nulle part dans tout ce cycle une procédure parlementaire normale.

Dans certains projets de loi, on stipule que les règlements sur des points très controversés doivent être renvoyés au Parlement. La procédure réglementaire que je viens de vous décrire est-elle la procédure normale? Je vous pose la question car c'est vous qui avez dit que le règlement était soumis au Parlement, or je viens de vous décrire une procédure dans laquelle le Parlement n'intervient absolument pas.

Le président: Vous posez la question à M. Reiskind?

Le sénateur Carney: Je lui ai déjà posé la question.

M. Reiskind: Oui, c'est exact dans l'ensemble. Ils sont aussi soumis à un comité du Parlement, de sorte que le Parlement est au courant.

Le sénateur Carney: Mais il ne peut pas les changer.

M. Reiskind: Pour ce qui est du reste de la procédure, vous avez raison.

Le sénateur Carney: Puisque le comité qui revoit ces règlements n'a pas le pouvoir de les modifier, il serait trompeur de laisser entendre à notre comité que le Parlement peut modifier les règlements découlant de ce projet de loi, n'est-ce pas? Oui ou non? C'est une question simple.

M. Reiskind: Les règlements ne sont pas adoptés en secret. Il y a diverses procédures qui permettent au Parlement de les examiner.

Le sénateur Carney: Honnêtement, vous venez de reconnaître que la description de la procédure que je viens de faire est correcte. Vous l'avez déjà reconnu. Pourquoi ne pouvez-vous pas admettre que c'est le cas ici? Vous l'avez déjà reconnu. Dans toute cette procédure, le Parlement n'a aucune possibilité de modifier le règlement. Oui ou non? Vous ne pouvez pas admettre d'un côté que la procédure que j'ai décrite était la bonne et prétendre en même temps que le Parlement joue un rôle dans la mesure où il peut modifier le règlement. Le Parlement ne peut pas modifier le règlement dans le cadre de cette procédure que j'ai, vous le reconnaissez, correctement décrite.

M. Reiskind: À part le fait qu'on peut intervenir politiquement pour qu'une question soit débattue au Parlement, c'est exact.

Le sénateur Carney: Merci. Je tenais à ce que ce soit dit officiellement. Le Parlement n'intervient donc manifestement pas une fois que ces règlements sont publiés dans la Gazette.

On a dit lors des témoignages que la Commission internationale mixte ne se mêlait pas des questions commerciales ou y était indifférente. C'est comme cela que j'ai interprété ce témoignage auquel nous pouvons nous reporter.

Le rapport de la CMI sur la protection des eaux des Grands Lacs évoque deux menaces possibles sur le plan commercial. On y lit notamment:

Quand de l'eau est «captée» et entre dans le commerce, elle peut toutefois entraîner certaines obligations en vertu du GATT, de l'Accord de libre-échange et de l'ALENA.
Pour que ce soit consigné au compte rendu, je signale que M. Fawcett hoche la tête.

Ensuite, on précise que les exceptions les plus pertinentes au commerce de l'eau sont à première vue celles qui concernent les mesures nécessaires pour protéger la vie humaine ou animale ou la vie des plantes ou la santé, et c'est ce qu'on appelle l'«exception de santé». Il y a ensuite l'«exception de conservation». Le texte précise toutefois que ces exceptions ne peuvent pas:

«s'appliquer d'une manière qui constituerait une forme de discrimination arbitraire ou injustifiable entre des pays où prévalent des conditions semblables, ou une restriction déguisée du commerce international.»
Ensuite, on peut lire:

Bien que les groupes spéciaux de règlement des différends qui examinent ces exceptions relatives au GATT aient affirmé en principe que les préoccupations environnementales légitimes l'emportent sur les intérêts commerciaux, il est aussi exact que ces mêmes groupes spéciaux ont examiné de très près les mesures prises officiellement pour des raisons environnementales pour voir si elles ne comportaient pas des aspects protectionnistes sous-jacents. Il est clair dans ces conditions que la réalisation d'une démarche cohérente et régulière en matière de conservation et de gestion des eaux du bassin des Grands Lacs - une démarche manifestement fondée sur la politique environnementale - serait une étape importante pour régler les questions d'ordre commercial concernant l'utilisation des eaux du bassin.
La CMI est très sensible à la question des éléments liés au commerce. Comme il n'y a pas de définition de «denrée» dans l'ALENA, dans le GATT et dans ce projet de loi, je suggère que nous ne sommes pas à l'abri de contestations commerciales futures des dispositions de ce projet de loi concernant l'exportation d'eau, les utilisations des eaux ou l'utilisation de produits manufacturés. Je le dis officiellement, monsieur le président, car on a laissé entendre quelque chose de différent.

Si toutefois M. Fawcett veut corriger ce que j'ai dit, je suis comme toujours tout à fait prête à accepter ses rectificatifs.

Le président: Monsieur Fawcett, vous souhaitez rectifier cette intervention?

M. Fawcett: Je vais essayer de répondre, monsieur le président. Je hochais la tête, sénateur, parce que vous lisiez la phrase clé. Le projet de loi tout entier vise exactement à accomplir ce qui a été décrit par la CMI, c'est-à-dire à traiter l'eau comme une ressource et non comme une denrée. Nous interdisons le transfert d'eau à l'état naturel.

Le sénateur Carney: Non.

M. Fawcett: Comme vous l'avez dit, sénateur, une fois que l'eau est dans le domaine commercial, elle devient une denrée. Mais ici, nous parlons d'une ressource.

Le sénateur Carney: Et les produits manufacturés?

M. Fawcett: Les produits manufacturés à l'intérieur du bassin sont autorisés dans le cadre de ce projet de loi. Évidemment, c'est sous réserve des licences provinciales et d'autres dispositions. Encore une fois, on autorise le captage à cette fin précise, mais il s'agit toujours d'une ressource. D'autres experts commerciaux vous confirmeront que c'est la bonne démarche.

Le sénateur Carney: On ne définit pas le «bassin hydrographique» dans le projet de loi. Vous pouvez nous dire autant que vous voulez qu'on s'en tient ici uniquement à ce bassin, si vous ne définissez pas la notion de «bassin hydrographique», c'est du vent.

Le président: Je pense que vous avez déjà développé cet argument, sénateur.

M. Fawcett: Si je peux terminer, j'aimerais renvoyer le sénateur à ce même rapport, au passage concernant le droit commercial. Il en est longuement question. Il y a un excellent développement sur les dispositions commerciales d'ensemble. À la fin de la section 23, à propos du droit commercial, on peut lire: «Le Canada et les États-Unis ne peuvent pas être obligés par les lois commerciales à mettre en danger les eaux de l'écosystème des Grands Lacs.»

C'est une conclusion plutôt ferme pour couvrir de façon assez complète l'ensemble des éléments du rapport.

Le sénateur Carney: Ce n'est qu'une conclusion.

Le sénateur Murray: Monsieur le président, je suis sidéré que la Chambre des communes ait laissé passer ce projet de loi qui octroie des pouvoirs de réglementation extraordinaires au gouverneur en conseil. Il a par exemple le pouvoir de définir pratiquement n'importe quel terme du projet de loi comme bon lui semble ou comme le souhaite le Cabinet. Il peut retirer de la liste des eaux auxquelles s'applique la soi-disant «prohibition». Il a aussi le droit parfaitement discrétionnaire d'apporter des exceptions à la prétendue «prohibition». Ce sont tout de même des pouvoirs assez extraordinaires.

Je comprends la position adoptée par le ministre, une position que les hauts fonctionnaires ont bien essayé d'appuyer ce soir, et qui consiste à dire que le pouvoir de réglementation n'est pas totalement discrétionnaire puisque le ministre est limité par les principes du droit administratif ou par les paramètres du projet de loi.

C'est tout de même un peu léger. C'est un peu comme de dire qu'on est limité par les 10 commandements. C'est vrai, mais ce n'est pas nécessairement pertinent quand le gouvernement s'octroie des pouvoirs de réglementation aussi vastes.

On n'a pas beaucoup parlé des dispositions concernant les licences aux articles 11 et 12. Là encore, vous dites que les dispositions concernant les licences ne s'appliqueront pas dans le cas des exceptions spécifiées dans le règlement.

À quoi s'appliqueront ces exceptions? Est-ce que ce sera à la délivrance d'une licence, qui n'est qu'une étape au terme d'un long processus, ou est-ce que le règlement permettra des exceptions au processus tout entier?

Actuellement, si vous envisagez un projet, vous vous adressez au gouvernement. Le gouvernement a un droit de premier veto, si je comprends bien. C'est lui qui décide s'il renvoie votre demande à la Commission mixte internationale. La CMI se prononce. Elle va peut-être répondre oui, avec certaines conditions. Le projet est alors renvoyé au gouvernement qui, j'imagine, a encore la possibilité de dire «non». En général, il dit «oui», et de manière tout à fait officieuse. Dans le projet de loi, on dit que le gouvernement délivre une licence. Pourquoi avez-vous prévu au paragraphe 11(2) des exceptions aux dispositions d'octroi de licences?

M. Reiskind: C'est pour avoir la certitude que la Commission mixte internationale pourra continuer à fonctionner comme elle le fait depuis 90 ans. Si un projet vise des fins intérieures ou sanitaires...

Le sénateur Murray: Vous avez déjà fait le tour de cette question.

M. Reiskind: C'est dit explicitement dans le projet de loi. Je vous donne un simple exemple. En vertu du traité, la Commission mixte n'examine généralement pas ce genre de projets car l'essentiel de l'eau utilisée comme eau potable retourne dans le bassin.

Le sénateur Murray: Voilà qui est très intéressant. Qui décide que tel ou tel projet sera exempté de la procédure envisagée dans le Traité?

M. Reiskind: Actuellement, les projets sont soumis au ministère des Affaires étrangères. S'il apparaît que le projet concerne des utilisations domestiques ou sanitaires, on envoie généralement à l'auteur une lettre précisant que le projet n'est pas soumis à l'intervention réglementaire de la Commission mixte internationale.

Le sénateur Murray: On ne dérange pas la CMI, parce que l'exemption existe déjà dans ce cas. Toutefois, quelles sont les autres exemptions que vous envisagez? Les exceptions au paragraphe 11(1) ne figurent pas dans l'ébauche du règlement que vous avez déposé à la Chambre des communes.

M. Reiskind: En général, les petits projets manufacturiers à l'intérieur d'un bassin hydrographique ne sont pas soumis à l'étude la Commission mixte internationale. Nous considérons que ces petits projets n'affectent pas le niveau ou le débit de l'autre côté de la frontière. Par conséquent, ils ne tombent pas sous le coup du paragraphe 11(1).

En revanche, s'il arrivait qu'il y ait un procès parce que quelqu'un affirmerait que la petite entreprise en question doit faire l'objet d'un examen, en dépit du fait que nous aurions l'impression que son activité n'affecte ni le débit, ni le niveau des eaux...

Le sénateur Murray: Vous rédigeriez un règlement.

M. Reiskind: ... cette disposition nous permettrait de nous assurer que le même système...

Le sénateur Murray: Elle annulerait la décision du tribunal.

Vous n'avez inscrit aucune des exceptions dans l'ébauche de règlement.

M. Reiskind: C'est exact.

Le sénateur Murray: Les exceptions s'appliqueront non pas seulement à l'étape finale, c'est-à-dire la délivrance du permis, mais à la totalité du processus. Vous pourrez énoncer des exceptions qui feront que les auteurs des projets n'auront pas à s'occuper de la CMI ou de la procédure envisagée par le traité.

M. Reiskind: Il s'agirait simplement d'assurer la continuité d'un système qui existe depuis 90 ans.

Le sénateur Murray: Et les exceptions envisagées au paragraphe 12(2)? C'est la même réponse?

M. Reiskind: C'est la même idée. On n'en envisage pas pour l'instant.

Le sénateur Murray: Pourquoi n'en avez-vous pas mentionné dans l'ébauche de règlement?

M. Reiskind: Nous ne pensons pas qu'il sera nécessaire de recourir à des exceptions.

Le sénateur Murray: Mais vous donnez quand même ce pouvoir au gouvernement, juste au cas où.

M. Reiskind: C'est pour permettre à la Commission mixte de continuer à fonctionner efficacement.

Le sénateur Murray: Je vais conclure sur ce point, monsieur le président. M. Reiskind a évoqué l'hypothèse de calamités naturelles telles qu'une sécheresse et dit que dans de tels cas le Cabinet souhaitait pouvoir intervenir rapidement sans devoir passer par le Parlement. Il y a d'autres exceptions, notamment l'idée que si une nouvelle technologie apparaissait tout d'un coup, le Cabinet pourrait intervenir très vite sans passer par le Parlement.

Bien essayé, messieurs les hauts fonctionnaires. Nous parlons ici de la capacité de prévoir des exceptions à la prohibition et au régime de délivrance de permis. Je ne vois pas en quoi ces calamités naturelles hypothétiques ou l'éventualité d'une nouvelle technologie répondent vraiment à nos critiques.

Le sénateur Corbin: J'aimerais ajouter une remarque à ce qu'a dit le sénateur Carney à propos de l'examen du comité mixte des règlements. Le sénateur a parfaitement raison de dire que ce comité n'a nullement le pouvoir de modifier le règlement. Toutefois, les membres du comité adressent à leur Chambre respective un rapport dans lequel ils énoncent des recommandations ou des suggestions de correction du règlement. Ils l'ont fait mainte et mainte fois. La plupart du temps, le gouvernement suit les recommandations du comité. C'est par ce moyen que le comité intervient. C'est une vieille procédure parlementaire traditionnelle.

Le sénateur Carney: J'apprécie les explications qu'on nous donne dans ce débat cordial, mais c'est une consolation plutôt maigre face aux pouvoirs excessifs qu'on donne au ministre et au Cabinet en leur permettant d'énoncer des règlements sur des questions que le ministre a qualifiées comme étant «d'une importance cruciale pour les Canadiens».

Le sénateur Spivak: J'aimerais faire un commentaire à ce sujet.

Le sénateur Corbin: Je n'ai pas voulu déclencher un débat.

Le sénateur Spivak: Il ne s'agit pas d'une situation purement ordinaire. Dans un monde civilisé où tout le monde serait bien gentil et courtois, on pourrait avoir toutes ces jolies petites choses, mais nous parlons ici de plans qui existent vraiment et de sociétés qui voudraient bien effectuer des transferts en masse d'eau. Ce n'est pas la «routine de tous les jours».

Le sénateur Corbin: J'ai ricané quand le sénateur Murray a évoqué les 10 commandements. Je relis la Divine comédie de Dante, et je plonge dans les cercles de l'enfer. Je ne veux pas porter de jugement sur les interventions de mes collègues, mais j'ai l'impression qu'on cherche un peu trop à trouver des choses diaboliques dans ce projet de loi. Peut-être suis-je trop naïf.

Le sénateur Spivak: Demandez-vous si on détruirait tout un grand édifice en soumettant le règlement à l'examen du Parlement - pas du tout.

Le sénateur Corbin: Je ne peux pas imaginer que les auteurs du projet de loi profitent de l'occasion d'officialiser et de clarifier une pratique qui remonte à environ 90 ans pour s'arroger par le biais du règlement le pouvoir de mettre en danger les ressources en eau du Canada. J'espère tout de même que ce n'est pas ce genre de choses que vous lisez dans le projet de loi.

J'aimerais poser une question aux hauts fonctionnaires. Si je comprends bien, ce projet de loi a pour but d'officialiser et de clarifier la procédure et d'établir un système d'octroi de licences qui ne fera que confirmer ce qui se fait depuis 90 ans, ni plus ni moins.

Le sénateur Carney: Nous aimerions bien que ce soit ce que dit le projet de loi, mais ce n'est pas le cas. Vous devez bien le reconnaître.

Le sénateur Corbin: Faut-il vraiment aller chercher autre chose que cela? Je comprends bien qu'en raison de l'évolution de la technologie, il soit nécessaire de nous protéger, et la meilleure façon de le faire, c'est de nous servir des règlements. N'oublions pas qu'il y a parfois des situations critiques. Je me souviens du cas de la rivière Presque-Isle, qui coule entre le Maine et le Nouveau-Brunswick, et qui servait d'égout à ciel ouvert à une époque où nous étions en pleine période électorale. Que faisait le Parlement à l'époque? Il n'a pas siégé pendant neuf mois. Les bureaucrates allaient rester assis à regarder s'écouler ces choses-là?

Je dirais que nous avons besoin de règlements souples qui ne restreignent nullement les pouvoirs législatifs des deux Chambres du Parlement. Voilà ce que je voulais dire. J'ai tout à fait confiance dans le projet de loi tel qu'il est rédigé, mais s'il faut y apporter des éléments de clarification, je les accepterai volontiers. Je ne suis toutefois pas convaincu que ce soit le cas.

M. Fawcett: Je serai bref. Je formulerai simplement une précision. Le but du projet de loi est d'interdire les transferts d'eau massifs. En l'occurrence, on envisage de grands projets, des projets qui menacent notre approvisionnement en eau et nos écosystèmes. C'est essentiellement une démarche environnementale que nous allons adopter ou proposer dans le projet de loi C-6.

Les honorables sénateurs doivent essayer de trouver la juste démarcation entre l'interdiction de grands projets et la microgestion de ressources aquatiques qui, en dehors des eaux limitrophes, relèvent de la compétence provinciale.

Le projet de loi porte sur les eaux limitrophes, et j'aimerais faire une remarque au sujet du règlement. Les «eaux limitrophes» sont définies dans le règlement comme étant les bassins dont nous parlons, les trois grands bassins. On les définit de manière générale de façon à ne pas toucher aux eaux microgérées qui relèvent des provinces.

Le sénateur Graham: Il serait regrettable de ne pas inclure M. Cooper dans le débat. Je crois qu'il y a eu des consultations avec le ministère de l'Environnement et les homologues provinciaux et que diverses provinces vont se doter de lois.

Pourriez-vous nous donner un bref aperçu de la situation et des progrès en cours?

M. Cooper: Certainement. Comme nous l'avons déjà dit, toutes les provinces ont déjà une loi ou un règlement ou sont en train de s'en doter. Neuf provinces interdisent les transferts d'eau en masse, soit en vertu d'une loi, soit en vertu d'un règlement. Le Nouveau-Brunswick est en train d'élaborer ses propres démarches dans un cadre plus général de protection de l'eau dans la province. Les provinces ont convenu que l'interdiction des transferts massifs était la démarche qu'elles souhaitaient suivre. En gros, il y a une interdiction généralisée de transférer de l'eau en masse dans tout le Canada.

Les quantités d'eau qui pourraient être prélevées varient, mais dans l'ensemble les exceptions sont assez conformes à celles qu'on trouve dans le projet de loi C-6.

Le sénateur Graham: Qu'en est-il des territoires?

M. Cooper: Le MAINC négocie avec les gouvernements territoriaux une stratégie visant à interdire le captage et le transfert en masse de l'eau des territoires. Je crois savoir qu'avec le transfert des responsabilités au Yukon en 2003, le gouvernement du Territoire du Yukon a l'intention d'adopter sa propre loi interdisant les transferts massifs d'eau conformément à l'énoncé de politique publié par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien.

Le président: Je remercie notre premier groupe de témoins de ce soir.

Nos témoins suivants sont M. Hart et Mme Sullivan. Je vous invite à faire vos exposés, et nous passerons ensuite aux questions.

Mme Ruth Sullivan, professeure, faculté de droit, Université d'Ottawa: Honorables sénateurs, on m'a demandé de donner mes impressions au sujet du projet de loi C-6. Eh bien, j'ai l'impression que c'est un tigre de papier. Il a l'apparence d'une certaine férocité. Lorsqu'on le lit, on se dit: «Oh, Seigneur, attention à toutes ces dents.» Mais quand on l'examine attentivement, on se rend compte qu'il n'y a pas grand-chose en fait.

Il y a dans ce projet de loi un grand potentiel pour assurer la protection des eaux limitrophes canadiennes, mais la réalisation de ce potentiel dépend totalement du gouvernement. Il n'y a rien dans ce projet de loi qui oblige le gouvernement à prendre des mesures vraiment significatives.

Dans un premier temps, je voudrais dire quelques mots des parties «féroces» du projet de loi, parce qu'elles représentent un progrès. Ensuite nous pourrons essayer de voir de quelle façon le projet de loi reprend ce qu'il semble donner. Pour terminer, nous jetterons un coup d'oeil rapide aux pouvoirs de réglementation.

Certains des éléments les plus impressionnants du projet de loi sont les dispositions relatives à son application. Les articles 16à 19 donnent au ministre toutes sortes de pouvoirs extraordinaires lui permettant de donner des ordres ministériels et d'ordonner des confiscations, et en vertu de l'article 26 du projet de loi, il peut demander une injonction. Ce sont des recours utiles et le ministre peut agir avec un minimum de conditions préalables.

Selon les articles 22 à 25 proposés, nous avons des pénalités très impressionnantes dont des amendes importantes et une possibilité d'emprisonnement. Il y a une disposition sur les infractions continues, de sorte que l'on est passible de ces sanctions graves pour chacun des jours où l'on continue une dérivation. Il y a une disposition concernant la responsabilité personnelle des dirigeants et des administrateurs ainsi qu'une responsabilité pour autrui. Il y a un ensemble complet de dispositions relatives à l'application. L'article 26 donne au tribunal le pouvoir d'émettre une injonction.

Le projet de loi semble donc bon et constitue une nette amélioration par rapport à la loi existante. Si je comprends bien, la loi actuelle est pratiquement impossible à appliquer. Le seul mécanisme semble être une poursuite privée entreprise par un individu qui a été lésé par un acte contraire au traité. Je ne vois dans cette loi aucune disposition créant des pénalités comme celles que nous avons ici. En ce sens, je trouve que le projet de loi représente un grand pas en avant.

Les principales dispositions sont celles qui se trouvent aux articles 11, 12 et 13. Chacun d'entre eux introduit une interdiction et le 11 et le 12 codifient, d'après moi, les articles III et IV du traité. Cependant ils n'offrent guère plus de protection.

Concentrons-nous sur l'article III, puisqu'il traite de la dérivation, ce qui est notre principal souci. L'article III du traité interdit une utilisation, obstruction ou dérivation qui modifierait le débit ou le niveau naturels des eaux. Il faudrait établir que la dérivation modifie le niveau ou le débit.

Dans le projet de loi, nous avons une interdiction un peu plus large en ce sens que l'on ne peut utiliser, obstruer ou dériver d'une manière qui modifie, ou est susceptible de modifier, le flux ou le niveau des eaux limitrophes. L'interdiction va donc un peu plus loin. Elle permet au gouvernement d'agir s'il y a une menace de dommage à l'environnement ou une menace de dérivation importante, sans attendre que le fait soit établi.

Autre caractéristique importante de ce projet de loi: il lie Sa Majesté du chef du Canada et les provinces. C'est un élément important, puisque ce pourrait être une société de la Couronne, par exemple, ou un agent du gouvernement qui serait à l'origine d'une dérivation des eaux.

D'après moi, il est toujours nécessaire en vertu de ce projet de loi d'obtenir au préalable l'accord de la Commission mixte pour entreprendre des dérivations et autres. Cette mesure de sauvegarde est toujours en place. Ensuite, ce qui est plus important, il y a le projet d'article 13 qui introduit une nouvelle disposition et une notion de présomption. La nouvelle disposition prévoit que nul ne peut utiliser ou dériver des eaux limitrophes d'un bassin hydrographique en les captant et en les transférant à l'extérieur du bassin.

Cela représente une amélioration dans la mesure où il ne faut pas démontrer que le débit ou le niveau des eaux est menacé. Le simple fait de capter des eaux pour les transférer à l'extérieur du bassin constitue une infraction à la loi. Potentiellement, c'est une extension importante de la protection.

Ensuite, nous avons la disposition de présomption. Je dois avouer que cela me paraît un peu étrange. On dit que tout captage des eaux à l'extérieur de leur bassin hydrographique sera réputé modifier le débit ou le niveau naturels de ces eaux. Comme en vertu du paragraphe (1), il n'est pas nécessaire de savoir si c'est le cas ou non, je ne vois pas l'intérêt de ce deuxième paragraphe.

Cette disposition pourrait être intéressante si elle était reliée à l'article 11, ce qui serait logique, mais ce n'est pas le cas. On précise que c'est pour l'application du paragraphe (1) du traité qu'il y a cette disposition de présomption. Or, je ne vois pas à quoi sert ce paragraphe puisqu'avec la prohibition du paragraphe (1), il suffit de prélever des eaux à l'extérieur du bassin pour être en infraction. Qu'importe si le niveau des eaux est réputé être modifié?

Je ne comprends pas cette disposition de présomption. Peut-être avait-on l'intention de dire qu'aux fins de l'article 11, il y a un impact réputé sur les eaux. Cela serait logique d'après moi, mais ce n'est pas ce qui est dit. J'ai donc des difficultés sur ce point.

Le sénateur Murray: Que dites-vous des mots «pour l'application du traité»?

Mme Sullivan: Ce n'est pas clair dans mon esprit.

Le président: Laissons Mme Sullivan terminer son exposé et vous pourrez ensuite lui poser vos questions.

Mme Sullivan: Toutes ces dispositions servent à quelque chose. Elles vont plus loin que ce que nous avons dans la loi existante.

Le problème c'est que nous avons un transfert de pouvoir du Parlement au gouverneur en conseil tout d'abord sous la forme d'un pouvoir de faire des exceptions. Deuxièmement, il y a un pouvoir de définition. Pour moi, le principal problème est que l'article 13 est inutile. Il ne pourra servir que s'il existe des règlements décrivant les bassins hydrographiques.

Parfois, les règlements sont une condition préalable au fonctionnement d'une disposition; d'autres fois, ce n'est pas le cas. Dans le cas de l'article 13, l'existence d'une réglementation est une condition indispensable pour que la disposition ait un effet quelconque. Sans les règlements, elle restera lettre morte. Il est impossible de l'appliquer. D'après moi, l'effet de l'article 13 dépend complètement du bon vouloir du Cabinet et de son désir d'agir. Et même s'il décide de le faire, il peut définir les «bassins» de façon large ou étroite. Il a beaucoup de contrôle sur la portée de la disposition. On pourrait inclure les bassins d'une façon aussi large que possible, ou l'on pourrait rétrécir l'interprétation pour ne parler que d'un seul bassin symbolique. Il n'y a rien dans le projet de loi qui l'empêche. C'est le principal problème dans l'article 13.

Il y a une autre dimension étrange. Non seulement cette mesure confère un pouvoir de réglementation considérable au gouverneur en conseil mais en plus elle donne énormément de pouvoir au ministre. La discrétion dont bénéficie le ministre est tout à fait extraordinaire d'après moi. Il y a peu de choses pour la restreindre dans le projet de loi. On pourrait invoquer le traité et certaines de ses dispositions pour limiter les pouvoirs du ministre. Mais dans l'ensemble, c'est un pouvoir discrétionnaire sans entraves.

Je constate que parfois le ministre ne peut se servir de sa discrétion tant que les règlements ne sont pas en place, mais ce n'est pas le cas ici. Ici le ministre peut agir, accorder des permis, définir les modalités d'octroi et de retrait de licences. En fait, il peut faire tout cela sans être guidé par les règlements. La façon dont il exerce son pouvoir ou les raisons pour lesquelles il l'exerce ne doivent même pas être rendues publiques. Si le gouverneur en conseil décide de promulguer des règlements, ils structureront et limiteront les pouvoirs du ministre. Cependant, rien dans le projet de loi n'oblige le gouverneur en conseil à le faire.

Même d'après les normes actuelles, je trouve que les pouvoirs donnés au ministre sont étonnamment larges. Je remarque aussi que l'on fait mention du ministre des Affaires étrangères, qui, il faut bien le reconnaître, n'est pas le ministre le mieux placé pour trouver un juste équilibre entre les problèmes d'environnement et les autres considérations commerciales.

Enfin, nous pourrions rapidement nous pencher sur le pouvoir de réglementation. Je voudrais faire une observation sur une question qui m'a frappée du point de vue de la rédaction. On dit au début de l'article 21 que le ministre peut par règlement:

[...] préciser ce qui constitue une utilisation ou un usage, une obstruction, un ouvrage ou une dérivation pour l'application de la présente loi;
C'est une disposition un peu troublante dans la mesure où elle permet au Cabinet d'élargir ou de restreindre la portée de la prohibition établie à l'article 11. Lorsqu'on examine le paragraphe 21(2), on voit une disposition bizarre:

Il est entendu qu'un règlement pris en vertu de l'alinéa (1)a) n'a pas pour effet de restreindre le sens normal des termes «utilisation», «usage», «obstruction», «ouvrage» ou «dérivation».

Le projet d'article 21 énonce tous les pouvoirs de réglementation du gouverneur en conseil. Le premier est qu'il peut préciser ce qui constitue une utilisation ou un usage, une obstruction, un ouvrage ou une dérivation. Ce sont les termes clés dans les projets d'articles 11 et 12. On s'inquiète quelque peu lorsque l'on voit que le gouverneur en conseil peut décider ce qui va être considéré comme un usage ou une utilisation, une dérivation, etc. Or, le paragraphe 21(2) se lit comme suit:

Il est entendu qu'un règlement pris en vertu de l'alinéa (1)a) n'a pas pour effet de restreindre le sens normal des termes «utilisation», «usage», «obstruction», «ouvrage» ou «dérivation».

Le sénateur Murray: Je vous suis, mais qu'est-ce que ça veut dire? Que voulez-vous dire?

Mme Sullivan: J'ai eu du mal moi aussi. Ordinairement, on ne définit pas les termes à moins que l'on ne s'écarte du sens normal des mots. C'est un principe de base en matière de rédaction. Je pense que l'on dit ici qu'il est possible d'élargir le sens mais pas de le limiter. C'est bien, si l'on veut protéger les eaux limitrophes des dérivations. On dit que l'interprétation de ces termes ne peut pas être plus étroite, qu'elle peut simplement être plus large. On ne peut qu'élargir la portée. Je trouve que c'est une disposition bizarre.

Je suppose que c'est lié aux problèmes relatifs à la mise en oeuvre du traité. Je ne sais vraiment pas ce que cela a à voir. Je n'ai jamais rien vu d'aussi bizarre - quoi que ce ne soit pas vrai. En fait, on ne peut vraiment pas compter toutes les choses bizarres que l'on trouve dans les textes législatifs. Mais ceci est certainement très haut dans la liste des choses les plus bizarres que j'aie eu l'occasion de trouver.

M. Michael Hart, professeur, Norman Paterson School of International Affairs, Centre de droit et de politique commerciale de l'Université Carleton: Honorables sénateurs, c'est un plaisir d'être ici pour vous faire part de mes réserves au sujet de ce projet de loi.

Nous venons d'entendre sur certaines des faiblesses de ce projet de loi un exposé que j'ai trouvé magistral, selon lequel l'objectif fondamental est peut-être valable, mais l'exécution n'est pas encore parfaitement au point.

J'irai plus loin pour dire qu'en fait il faudrait repenser le fondement du projet de loi. En effet, il est basé sur des postulats manifestement faux, ou, pour dire les choses succinctement, comme l'a fait Mme Sullivan, c'est une solution en quête de problèmes.

Lorsqu'on m'a demandé la semaine dernière de témoigner sur le projet de loi C-6, je dois avouer que je ne savais pas ce qu'était le projet de loi C-6. Depuis, je l'ai appris. J'ai examiné certains des documents que le comité m'a aimablement envoyés. J'ai regardé les textes que mes collègues avaient présentés. En fait, l'un de mes collègues a témoigné devant le comité à l'autre endroit, et a exposé ce qui lui paraissait poser problème. J'ai envoyé un exemplaire de son témoignage au personnel du comité ainsi qu'une analyse très fine du problème des eaux effectuée par deux avocats de Toronto et que vous souhaiterez peut-être ajouter au dossier du comité.

Je vais vous dire pour quelle raison il y a d'après moi des problèmes dans ce projet de loi. Quels problèmes essaie-t-on de régler avec ce projet de loi?

Le premier pourrait être qu'il y a une grande demande pour les eaux canadiennes en dehors du Canada. J'ai cherché partout, et ce n'est pas le cas.

Il est vrai que parfois, des ingénieurs et des entrepreneurs canadiens ont imaginé des systèmes très astucieux pour envisager l'exportation des eaux canadiennes. Que je sache, aucune demande n'a jamais été exprimée, bien que de temps à autre, les Canadiens disent qu'il doit y avoir une demande pour l'eau canadienne. Je n'ai pas l'impression qu'en dehors du Canada, il y ait des gens qui cherchent à acheter notre eau.

Ils ne veulent pas acheter notre eau parce que ce serait très cher. Les pays qui manquent actuellement d'eau potable pour la consommation humaine seraient sans doute prêts à acheter de l'eau canadienne, sauf qu'elle coûte très cher à déplacer. Ils peuvent utiliser d'autres solutions beaucoup moins coûteuses que d'acheter de l'eau canadienne.

Israël désalinise l'eau. On a vu là que l'on pouvait désaliniser l'eau pour environ 30 cents le gallon. Ça coûterait beaucoup plus cher de transporter de l'eau des Grands Lacs vers un marché éloigné.

J'ai lu certains des témoignages décrivant le projet de la baie James et le projet de la grande tranchée dans les montagnes, etc. Personne n'aurait les moyens de concrétiser ces projets.

Pour s'en rendre compte, il suffit d'aller en Californie voir comment on y gaspille l'eau. La Californie serait un client potentiel pour ce genre d'eau. J'ai passé quatre hivers en Californie. C'est un endroit très agréable à vivre parce que l'on a mis en place beaucoup de projets de dérivation d'eau. On capte l'eau des rivières dans les montagnes du nord pour la mettre à la disposition des agriculteurs dans le sud.

On gaspille l'eau en Californie et au Nevada à un rythme incroyable. En Californie et à Las Vegas, dans le désert, les gens continuent à avoir de magnifiques pelouses bien épaisses parce que l'on ne fait pas payer l'eau assez cher. Il suffirait de modifier les règlements dans un pays comme les États-Unis pour obliger ceux qui utilisent l'eau dans ces régions à payer le coût véritable du transport de l'eau pour que l'on prenne immédiatement les mesures de conservation nécessaires, ce qui ferait disparaître toute demande pour de l'eau canadienne.

Je ne suis pas convaincu qu'il y ait une demande dans ce domaine. Y a-t-il une pénurie d'eau au Canada? C'est difficile de prendre cette question au sérieux.

J'ai étudié les diverses estimations existantes sur la quantité d'eau douce au Canada. Elles vont de 20 p. 100 à 50 p. 100 des réserves d'eau douce du monde, à l'usage exclusif d'un demi de 1 p. 100 de la population mondiale. Il est difficile d'imaginer qu'à un moment quelconque, le Canada puisse se trouver menacé et obligé de limiter sa consommation d'eau.

Existe-t-il une menace environnementale sur les eaux? Étant donné la situation économique, je ne suis pas convaincu que les gouvernements fédéral et provinciaux n'aient pas les pouvoirs réglementaires suffisants pour faire face à une quelconque menace de dérivation à une échelle comparable à ce que l'on envisage dans ce projet de loi. Le nombre de licences et de permissions nécessaires rendrait la tâche virtuellement impossible à quiconque voudrait se lancer sur cette voie sans que le gouvernement participe aux prises de décisions et accorde les autorisations.

Si un gouvernement voulait le faire, ce projet de loi ne l'en empêcherait pas parce que, comme le dit Mme Sullivan, le gouvernement est libre de définir les choses comme il l'entend et d'agir ensuite. De ce point de vue-là, le projet de loi ne sert à rien.

Sans qu'on le dise, ce projet de loi est là parce que l'on a l'impression dans certains segments du public qu'il y a un problème concernant l'accord commercial, en ce sens que les gouvernements canadiens ont conclu des ententes commerciales qui pourraient à l'avenir obliger le Canada à vendre de l'eau à des clients à l'étranger, d'une façon que nous ne sommes pas prêts à accepter.

Est-ce vrai? Cela vient d'une mauvaise interprétation des accords commerciaux existants et d'une mauvaise compréhension de plusieurs décisions rendues par les groupes spéciaux de l'OMC et de l'ALENA.

Les ententes commerciales signées par le Canada, plus précisément l'Accord de libre-échange nord-américain et l'Accord de l'Organisation mondiale du commerce, sont basées sur des idées fondamentales simples. Tout d'abord, le gouvernement ne peut pas faire de discrimination sauf dans les cas autorisés par l'accord.

En tant que citoyen canadien, je trouve que c'est une excellente règle. Moins les gouvernements peuvent faire de discrimination, plus je suis content. Je suis allé dans de nombreux pays où les gouvernements ont de grands pouvoirs discrétionnaires. C'est la recette idéale de la corruption.

Deuxièmement, les accords commerciaux donnent au gouvernement une méthode ordonnée progressive pour supprimer les obstacles flagrants au commerce international - particulièrement les tarifs douaniers, mais aussi les quotas et les restrictions du genre. Au fil des années, nous avons assez bien réussi à ce chapitre.

Troisièmement, les accords commerciaux permettent aux gouvernements de trouver un terrain d'entente sur la façon dont il faut réglementer le marché. Il existe des règles sur le dumping, les subventions, les achats gouvernementaux etc., basées sur le principe fondamental de la non-discrimination, des notions importantes comme l'application régulière de la loi et la transparence, et d'autres caractéristiques fondamentales de la bonne gouvernance.

Mais de plus, chacun de ces accords prévoit des exceptions. C'est-à-dire qu'il y a des dispositions permettant aux gouvernements de faire ce qu'ils pensent devoir faire et qui pourrait, d'une façon ou d'une autre, ne pas être conforme avec les accords. La plupart de ces exceptions sont énoncées dans l'accord. En outre, il y a une exception générale dans la plupart des ententes - l'article 20 du GATT. Il y a un article semblable dans l'Accord général sur le commerce des services et aussi dans l'ALENA.

L'article sur les exceptions indique que si les gouvernements sont obligés par un élément de l'accord de faire quelque chose qui leur paraît impossible, pour toutes sortes de raisons, ils peuvent prendre des mesures. Il y a là une clause de sauvegarde importante. Il y a une note générale précisant que les gouvernements peuvent prendre les mesures qui leur paraissent nécessaires - et le mot «nécessaire» est important - pour protéger la morale publique, la santé ou la vie des animaux et des plantes, les trésors nationaux, les exportations d'or et d'argent et d'autres choses du même genre.

Il y a une note générale importante disant que cela doit être fait d'une façon qui ne soit pas ouvertement discriminatoire et qui ne constitue pas un obstacle déguisé au commerce. Ces deux expressions ont eu une importance cruciale dans les interprétations données par les groupes spéciaux sur les cas qui leur ont été soumis, aussi bien à l'Organisation mondiale du commerce que dans le cadre de l'ALENA.

Les décisions rendues dans ces cas méritent d'être rappelées. Il y en a deux qui ont suscité un grand intérêt dans le mouvement environnemental: la célèbre cause concernant les tortues et les pêcheurs de crevette en Inde et la cause portant sur les dauphins et les pêcheurs de thon au Mexique. La première était dans le cadre du GATT et la deuxième dans celui de l'OMC. Un groupe spécial a soulevé une objection aux mesures prises par les États-Unis pour protéger, dans un cas, les tortues prises dans les filets des pêcheurs de crevette, et dans l'autre cas, les dauphins pris dans les filets des thoniers. Dans les deux cas, les groupes spéciaux de l'OMC se sont demandés si les États-Unis avaient pris des mesures compatibles avec leurs obligations.

Dans les deux cas, ils n'avaient pas essayé de trouver d'autres solutions pour régler le problème environnemental qu'ils essaient de résoudre. Le groupe spécial a déclaré que les États-Unis avaient le droit de prendre des mesures pour protéger l'environnement, mais pas plus qu'il n'était nécessaire. Autrement dit, les États-Unis n'avaient pas cherché à régler le problème autrement. Deuxièmement, les États-Unis n'avaient pas essayé de trouver le moyen de régler ce problème de façon non discriminatoire sans créer un nouvel obstacle manifeste au commerce.

Dans les deux cas, les groupes spéciaux se sont évertués à convaincre les parties au litige que l'OMC, ou le GATT ou l'ALENA dans des cas similaires, ne voulait nullement limiter la capacité des gouvernements à réglementer pour régler des problèmes environnementaux. Ils cherchent plutôt à veiller à ce que lorsque les gouvernements agissent ainsi, ils ne créent pas un obstacle inutile au commerce international. En d'autres termes, les groupes spéciaux voulaient que les États-Unis fassent ce qui était nécessaire plutôt que de faire ce qui, à un certain moment, aurait pu être politiquement attrayant.

La situation de la Sun Belt a suscité beaucoup d'inquiétude. Le sénateur Carney la connaît peut-être. Une société de Colombie-Britannique et une société californienne se sont associées pour vendre de l'eau de Colombie-Britannique en Californie.

Le gouvernement de Colombie-Britannique a changé d'avis, révoqué le permis, et est parvenu à une entente avec la société de Colombie-Britannique, mais pas avec la société californienne. Celle-ci se plaint non pas qu'on lui a refusé le droit de vendre de l'eau, mais d'avoir été victime de discrimination. Elle veut que le gouvernement de Colombie-Britannique la traite de façon équitable. C'est une règle simple et nécessaire qui devrait jouer dans ce genre de cas.

Si l'on étudie les autres cas, et je ne prendrai pas le temps de le faire parce qu'il y en a des dizaines, on s'aperçoit qu'à chaque fois, le problème n'est pas le droit du gouvernement à prendre des règlements, ce n'est pas la capacité du gouvernement à régler les problèmes environnementaux, mais il s'agit de savoir si un gouvernement a agi de façon arbitraire et discriminatoire, plutôt que de façon équitable. J'appuie sans difficulté ce genre d'accord commercial.

Troisièmement, et ceci est d'ordre plus philosophique et rejoint ce que disait Mme Sullivan, j'ai une vision assez libertarienne des lois. J'aime le gouvernement qui gouverne le moins. Je m'inquiète lorsque les gouvernements commencent à mettre en place des lois et des règlements pour régler de faux problèmes, surtout des projets de loi comme celui-ci, qui comportent tant de pouvoirs de réglementation qui ne relèvent pas du Parlement.

Lorsque les honorables sénateurs examinent ce genre de loi, il faut demander: Pourquoi l'adopter? Quel rôle peut-elle jouer à l'avenir? Quelle lacune comble-t-elle qui ne soit pas déjà comblée par une loi existante? Compte tenu de ces considérations, je trouve personnellement que ce projet de loi n'a pas vraiment de raison d'être et qu'il vaudrait mieux le laisser mourir au Feuilleton.

Le sénateur Murray: Je n'ai pas pour habitude de me porter à la défense du gouvernement...

Le sénateur Carney: Faites attention.

Le sénateur Murray: Je vais faire attention, et les membres du comité de l'autre côté reprendront l'argument, j'en suis sûr. Le gouvernement dirait que la disposition du projet de loi C-6 relative à la prohibition est l'un des éléments d'une stratégie à trois volets qui prévoit entre autres choses une grande coopération fédérale-provinciale et des mesures provinciales dans les domaines de compétence des provinces. Hier, l'un des témoins du gouvernement nous a dit que neuf des 10 provinces avaient maintenant adopté des lois ou des règlements interdisant le captage massif d'eau. Au minimum, le gouvernement vous répondrait qu'après avoir encouragé ou exhorté les provinces à agir en ce sens, le moins que le fédéral puisse faire est de prendre des mesures semblables de son côté. Que répondriez-vous au fait que neuf des 10 provinces ont déjà des lois ou des règlements en place? Que diriez-vous en réponse à l'argument selon lequel le gouvernement fédéral devrait enseigner non seulement par ses décisions, mais aussi par l'exemple, dans un domaine de ce genre?

M. Hart: Si les provinces ont adopté ces lois, c'est entre autre parce que le gouvernement fédéral les a bousculées pour les pousser à le faire pendant les cinq dernières années. Ce n'est pas parce que ces provinces avaient décelé un problème et décidé qu'il fallait le régler. C'est que le gouvernement fédéral les a rencontrées et leur a sans cesse rappelé qu'il y avait là un véritable problème potentiel. Certains provinces ont maintenant décidé, pour être plus sûres, d'adopter une loi en ce sens, mais sans être aussi convaincues qu'elles l'auraient été si elles avaient pensé qu'il y avait vraiment un problème.

Le sénateur Murray: Vous ne pensez donc pas qu'il soit nécessaire d'avoir une disposition sur les prohibitions, aussi bien au niveau fédéral qu'au niveau provincial?

M. Hart: Je ne pense pas que ce soit utile.

Le sénateur Murray: Madame Sullivan, j'aurais deux questions à vous poser. Le ministre et les fonctionnaires ont défendu les pouvoirs de réglementation extraordinaires et, dans certains cas, sans limites, que le projet de loi confère au Cabinet en disant qu'il y a des principes de droit administratif, et des paramètres de la loi et du traité qui vont limiter le Cabinet dans l'exercice de ses pouvoirs de réglementation. Dans quelle mesure ceci doit-il nous rassurer, étant donné la nature extrêmement large du pouvoir de réglementation?

Mme Sullivan: Je ne pense pas que ce soit particulièrement rassurant. Il me semble que le problème n'est pas que le gouvernement ait le pouvoir d'interdire tout d'un coup certains actes dans l'ensemble du Canada. Le problème est que la prohibition se trouve dans le projet de loi. En donnant ces pouvoirs au gouvernement, on enlève sa force au projet de loi, l'empêchant ainsi de fonctionner. Le problème ce n'est pas l'action du gouvernement, mais bien son inaction.

Si le gouvernement ne fait rien, l'article 13 proposé reste lettre morte. Si le gouvernement ne fait rien, le ministre peut accorder des licences ou ne pas en accorder, suivant les paramètres du projet de loi. Je ne vois pas cela comme un grand danger. C'est contraire aux principes de non-discrimination parce que cela permet au ministre de décider, sans devoir répondre publiquement, d'accorder une licence ou pas. Pour moi, c'est un problème d'inaction.

Le sénateur Murray: J'ai ici vos notes biographiques, madame Sullivan, et je vois que votre domaine de prédilection est la rédaction de lois et la législation. Vous avez fait des études très poussées et vous avez également travaillé comme conseillère législative au ministère de la Justice dans la Section des questions réglementaires. L'expérience m'a appris que lorsque des fonctionnaires ou d'autres veulent à tout prix vous convaincre qu'ils ont besoin de grands pouvoirs exécutifs pour pouvoir répondre à des objections ou à des haussements de sourcils, ils peuvent toujours aller chercher un document dans leur mallette pour dire: «Il y a un précédent.»

Le fait de pouvoir citer un précédent, surtout s'il a été invoqué par un gouvernement antérieur d'une autre couleur politique, encourage toujours les ministres à accepter.

Dans ce cas, nous avons ce qui serait une prohibition légale assujettie à un pouvoir discrétionnaire sans limites permettant de faire des exceptions à cette prohibition. Je trouve que c'est insensé, ou dangereux et excessif et qu'il y a une contradiction inhérente.

Est-ce sans précédent?

Mme Sullivan: Je ne peux pas dire que c'est sans précédent. En fait c'est plutôt assez courant, bien que l'on en fasse un exercice surprenant. Il n'y a pas de limite légale à ce que l'on peut faire dans ce cas. Le Parlement décide de déléguer ses pouvoirs et il peut tout déléguer; il n'y a pas de limite. D'un point de vue juridique, il n'y a pas d'objection à ce qui se produit dans ce projet de loi. C'est un jugement politique uniquement quant à savoir si le Parlement utilise à bon escient son pouvoir de délégation.

Le sénateur Murray: Y a-t-il des lois du Parlement qui donnent suffisamment de pouvoirs réglementaires pour aller en fait à l'encontre de l'objectif initial de la loi?

Mme Sullivan: Si vous formulez les choses ainsi, nous avons une limite juridique. Si l'on prend un règlement qui va à l'encontre de l'objectif du projet de loi, les tribunaux l'annuleront en considérant qu'il n'a pas été autorisé. C'est à ce genre de limite que le ministère de la Justice faisait allusion. Il est difficile d'imaginer ce que ceci donnerait en pratique; peut-être que s'ils adoptent un règlement disant: «Aucun bassin hydrographique ne comptera jamais aux fins de ce projet de loi.»

Le sénateur Murray: Je vais vous donner un exemple hypothétique. Cela pourrait ne pas marcher mais dans le projet de règlement, par exemple, le paragraphe 13(1) ne s'applique pas au captage des eaux limitrophes autre que le captage des eaux limitrophes en vrac. C'est assez clair.

Supposons qu'un gouvernement futur modifie le règlement de façon à dire: «Le paragraphe 13(1) ne s'applique pas au captage massif des eaux limitrophes.»

Mme Sullivan: Je ne vois aucun problème là. Il est tout à fait clair que dans cet article 13, on considère que le gouvernement contrôlera l'application de la disposition. Aucun tribunal ne considérera cela comme un exercice de pouvoir allant tout à fait à l'encontre de l'objet du projet de loi.

Le sénateur Murray: S'ils disaient que le paragraphe 13(1) ne s'applique pas au captage massif des eaux limitrophes, pensez-vous que ce serait invalidé?

Mme Sullivan: Ils ne le feront pas parce que ce n'est pas nécessaire. S'ils ne veulent pas que cela s'applique, il leur suffit de ne rien dire et tout va bien. Je pense que vous vous concentrez sur la mauvaise disposition. Vous devriez prendre le paragraphe 13(3), selon lequel le paragraphe (1), qui est une prohibition, ne s'applique qu'aux bassins hydrographiques décrits par règlement. Tant qu'un bassin hydrographique n'est pas décrit, la disposition ne peut pas s'appliquer. Si l'on ne veut pas qu'elle s'applique, il suffit d'abroger tout règlement décrivant les bassins hydrographiques et il n'y a plus de dérivation des eaux.

Le sénateur Murray: Il serait possible d'enlever de la liste des bassins qui y ont déjà été mis.

Mme Sullivan: Oui, et ceci enlèverait effectivement tout effet à l'article 13. Il n'est pas nécessaire de faire des exceptions qui attireraient l'attention sur ce que l'on fait. Le pouvoir relatif aux exceptions permet de faire des exceptions d'une manière différente. Il y a deux façons de réduire la portée de l'article 13. On peut décrire seulement un bassin, ou deux ou aucun ou, si l'on a décrit un assez grand nombre de bassins hydrographiques, on peut alors faire des exceptions à cela. Je ne vois pas comment un tribunal pourrait formuler des objections à cet égard parce que c'est clairement envisagé dans le projet de loi.

Le sénateur Murray: Est-ce que c'est un type normal de règlement que de dire que le gouverneur en conseil peut définir pratiquement tous les mots de la loi qui ne sont pas déjà définis?

Mme Sullivan: Non. Les pouvoirs permettant de faire des définitions sont donnés par règlement, mais je n'ai jamais rien vu de tel avant.

Le sénateur Corbin: Je voudrais que Mme Sullivan me donne son avis sur un point. Êtes-vous satisfaite de la façon dont le Canada et les États-Unis d'Amérique ont géré leurs obligations du traité de 1910? Sinon, donnez-moi les exceptions, parce que c'est de cela qu'il s'agit dans ce projet de loi.

Mme Sullivan: Je trouve que la disposition de mise en oeuvre de la loi actuelle est très spéciale. Elle est certainement assez vieille et il est difficile de comprendre ce qu'elle signifie. Je ne sais rien des relations entre le Canada et les États-Unis à propos des eaux. Mon expérience se limite à l'interprétation du projet de loi. Je ne peux pas faire de commentaires sur les questions de politique. Tout ce que je puis dire c'est que les dispositions de la loi existante relative à la mise en oeuvre ne sont pas très bonnes et je suis étonnée qu'il n'y ait pas eu davantage de problèmes.

Le sénateur Corbin: Sauf votre respect, nous ne sommes pas des universitaires ou des théoriciens. Nous sommes des politiciens pragmatiques. Ce projet de loi tente d'éclaircir, de normaliser et d'officialiser des pratiques qui existent depuis 90 ans environ. À mon avis, et c'est aussi l'avis de nombreuses autres personnes, le gouvernement ne cherche pas à accaparer des pouvoirs. Il n'est pas question d'un outil qui servirait à l'exportation commerciale future de l'eau, ou quelque chose du genre.

Vous avez parlé des pouvoirs du ministre. Les ministres ne travaillent isolément. Ils savent d'où ils viennent. Ils ont un électorat. Ils sont responsables devant leur caucus. Ils sont responsables devant la Chambre des communes, et parfois devant le Sénat. Ils font partie du Cabinet. Ils doivent justifier leurs décisions et obtenir l'accord du Cabinet. Ils sont soumis à une presse libre. Ils sont surveillés étroitement par l'opinion publique. Oui, sur papier, leurs pouvoirs semblent énormes. Cependant la Loi du traité des eaux limitrophes internationales et le traité lui-même ont fonctionné de façon très publique. À mon avis, la Commission mixte internationale a très bien réussi à s'acquitter de son mandat dans l'intérêt des deux pays. En fait, certaines des dispositions de ce projet de loi aideront la Commission à préciser sa propre mission. Ce n'est pas uniquement pour la bureaucratie ou pour le ministre.

Comme je l'ai dit tout à l'heure, je crois que nous donnons au projet de loi plus d'importance qu'il n'en a. À mon avis, c'est un projet de loi de routine. Aller plus loin, c'est se laisser emporter par son imagination.

Le président: Il me semble que les premières personnes qui auraient des objections, si un règlement était promulgué de façon injustifiée, ce serait les membres de la CMI. Ils le diraient publiquement et ils ont très bien réussi pendant longtemps.

Le sénateur Carney: Pourquoi ne comparaissent-ils pas devant ce comité?

Le président: C'est un organisme quasi judiciaire et la moitié des membres sont Américains. Ils ont répondu à notre demande qu'ils n'étaient pas prêts à comparaître devant le comité.

Le sénateur Carney: Par conséquent, ce ne serait pas fait publiquement. Vous venez de faire la preuve de ce que nous disons.

Le président: Ils ne viendront pas devant notre comité, mais ils fonctionnent de façon publique. Ils gèrent les eaux limitrophes et d'après ce que j'ai compris, ils ont fonctionné de façon publique. Ils ont accès à la presse. S'il se passait quelque chose d'anormal, je pense qu'ils seraient les premiers à formuler des objections, tout au moins, à l'intention du ministre.

Le sénateur Bolduc: Monsieur Hart, vous êtes spécialiste des traités commerciaux. Nous avons examiné récemment le traité avec le Costa Rica. Dans cet accord, il y avait un article donnant au gouverneur en conseil le pouvoir de modifier la signification de la loi actuelle. Cela m'a un peu étonné. J'ai demandé au secrétaire parlementaire ce qu'il pensait de ce pouvoir arbitraire. Il a dit que c'était en quelque sorte une prérogative de la Couronne et que nous devons mettre le traité en application. Il a déclaré que certains de ces pouvoirs étaient indispensables. Prenant un exemple technique, il a dit qu'un groupe spécial décidant quelque chose quelque part pourrait changer le sens du texte. Il a dit que nous devrions amender la loi par un décret en conseil, ce que permet le projet de loi.

J'ai été scandalisé par cela mais dans le domaine des traités internationaux, j'ai accepté, quoique avec réticence, la prérogative de la Couronne. Avons-nous la même chose ici? Est-ce pour cela que nous avons ces pouvoirs réglementaires fantastiques pour l'exécutif?

M. Hart: Comme exercice de la prérogative de la Couronne?

Le sénateur Bolduc: Oui, est-ce dans le même esprit que la mise en oeuvre d'un traité?

M. Hart: Je ne suis pas avocat international ou spécialiste des affaires intérieures. Je suis un expert en commerce qui a participé à la négociation de ces accords. Les avocats de l'équipe m'ont toujours dit qu'au Canada, nous avons un principe simple, reposant sur le common law britannique, qui veut que les accords internationaux que nous négocions ne soient pas auto-exécutoires. La négociation de ces traités est un exercice de la prérogative de la Couronne. Autrement dit, la négociation des traités internationaux fait partie des pouvoirs du gouvernement. Toutefois, ces traités internationaux ne sont pas intégrés à la législation canadienne tant que le Parlement n'en a pas décidé ainsi. Cela veut dire que quand on négocie un traité, on le négocie le plus possible dans le contexte de la loi et que quand il faut y apporter des changements, le gouvernement doit soumettre un projet de loi au Parlement pour apporter cette modification à la loi. Je ne connais pas bien cette clause particulière de l'accord avec le Costa Rica, mais elle me surprend.

Le sénateur Bolduc: J'y ai pensé parce qu'il y a des questions d'ordre international ici. Nous avons le même cadre.

Mme Sullivan: Il est vrai que parfois il faut modifier des lois de mise en oeuvre pour les rendre conformes à une décision internationale. Toutefois, il y a une façon de procéder. On octroie le pouvoir de mettre en oeuvre des décisions internationales, on n'octroie pas le pouvoir de définir les termes comme le gouvernement le juge bon.

Le sénateur Bolduc: C'est l'argument que j'ai soumis cet après-midi au ministre, mais apparemment il ne comprenait pas ce que je voulais dire.

Le sénateur Graham: Madame Sullivan, dans vos remarques d'introduction, vous avez dit, si je vous ai bien comprise, que le ministre des Affaires étrangères n'était pas nécessairement le mieux placé pour trouver un juste équilibre entre les questions environnementales et les questions d'ordre commercial. Dans ce cas, à votre avis, quel serait le ministre le plus approprié pour assumer la responsabilité de cette mesure législative?

Mme Sullivan: Dans diverses initiatives législatives récentes, on a souvent eu recours à plusieurs ministres. Par exemple, des lois environnementales récentes font appel à l'intervention conjointe du ministre de l'Environnement et du ministre des Pêches. Je suis sûre que l'expertise du ministre des Affaires étrangères serait pertinente et nécessaire, mais il pourrait être bon de l'équilibrer au moyen de l'expertise d'autres ministres.

Le sénateur Graham: Je suis sûr qu'il y a eu des consultations pertinentes entre les trois ministres et comme ils devaient trouver quelqu'un, un ministre de premier plan, le ministre des Affaires étrangères semblait être parfaitement approprié pour cela.

J'aimerais poser une question à M. Hart, parce qu'il a dit qu'on avait «bousculé» les provinces. Vous avez laissé entendre que le gouvernement fédéral avait bousculé les provinces. Est-ce que les provinces ont eu des objections à cela? Quelles ont été leurs objections et pour quelles raisons?

Je crois savoir, monsieur le président, qu'il s'est au contraire agi d'un processus de consultation auquel les provinces ont participé de bon gré. Je sais qu'en 1998, des hauts fonctionnaires fédéraux sont allés dans chaque province et territoire discuter des diverses possibilités de démarche fédérale en matière de captages massifs d'eau et qu'après l'annonce de la stratégie du gouvernement fédéral en 1999, il y a eu des discussions approfondies avec les provinces et territoires sur tous les aspects de cette stratégie, y compris les modifications à la loi.

Je crois savoir aussi qu'on a apporté certains ajustements en réponse aux interventions des provinces et territoires. Je crois aussi que lors de l'élaboration du règlement, le gouvernement fédéral continuera de consulter étroitement les provinces et territoires.

Dans ces conditions, comment peut-on dire qu'on leur a forcé la main?

M. Hart: Le dossier ne remonte pas à 1998. C'est au cours des négociations sur le libre-échange en 1985 qu'on a commencé à s'en occuper sérieusement.

Le sénateur Graham: Je vous ferais respectueusement remarquer que je n'ai pas dit qu'il datait de 1998. J'ai simplement fait remarquer qu'en 1998, des hauts fonctionnaires fédéraux étaient allés consulter les provinces et les territoires.

M. Hart: Ils ont fait de nombreux voyages pendant plusieurs années. L'intérêt des provinces pour cette loi n'a cessé de fluctuer. Certaines ont commencé à élaborer une loi et l'ont ensuite retirée. Certaines sont allées jusqu'à adopter une loi pour changer ensuite d'avis et la retirer. Il n'y a pas unanimité dans les provinces sur la loi la plus appropriée en l'occurrence.

Le sénateur Graham: Le sénateur Murray a répété la réponse à une question que j'avais précédemment posée à l'un des hauts fonctionnaires. En fait, il s'agissait de M. Cooper, du ministère de l'Environnement. Il avait répondu que neuf provinces sur 10 avaient déjà adopté une loi sur cette question.

M. Hart: Elles ont adopté des lois, mais elles ne sont pas toutes uniformes.

Le sénateur Graham: Je ne m'attends pas à ce que toutes les provinces aient la même loi, mais elles en ont une.

M. Hart: La plupart ont une forme de loi quelconque. Les provinces tiennent jalousement à conserver leur contrôle de la gestion des ressources dans leur domaine. Elle se méfie de toutes les tentatives du gouvernement fédéral pour empiéter sur leur secteur de responsabilité.

Le sénateur Graham: Je crois savoir qu'en l'occurrence, il y a eu beaucoup de consultations et de coopération de la part des provinces, du gouvernement fédéral et des autorités provinciales et territoriales.

Le sénateur Carney: J'aimerais tout d'abord revenir sur les remarques du sénateur Corbin et rappeler au comité qu'on n'a pas invité Mme Sullivan ici en tant que témoin politique ou pour formuler des commentaires sur l'intention politique.

Le sénateur Corbin: Elle l'a fait.

Le sénateur Carney: Non, elle a été invitée en tant qu'experte sur des questions de réglementation et experte en rédaction de projets de loi tels que celui que nous examinons. Je pense que l'honorable sénateur pourrait avoir l'obligeance de la rassurer en lui disant qu'il n'a nullement voulu remettre en cause son intégrité.

Le sénateur Corbin: Certainement pas.

Le président: Je tiens à dire, sénateur Carney, qu'à mon avis le sénateur Corbin ne s'en est pas pris à son intégrité.

Le sénateur Corbin: Je pense que mes questions et commentaires ont été assez directs. Je ne donne jamais une tournure personnelle à mes questions.

Le sénateur Carney: Je tiens à préciser pour le compte rendu que Mme Sullivan est ici à titre d'experte et non de témoin politique, et que je n'ai pas apprécié ces remarques.

Le président: Je pense que nous comprenons, sénateur Carney. Mais je suis certain de ne rien avoir entendu qui constitue une attaque contre Mme Sullivan.

Le sénateur Carney: Du moment qu'on précise bien dans le compte rendu que ce n'était pas l'intention.

Le sénateur De Bané: Quel mal y a-t-il à avoir une attitude partisane? Le sénateur Carney a toujours une attitude partisane.

Le sénateur Carney: On ne demande pas au témoin d'être un témoin politique, on lui demande d'être une experte.

Le président: Je ne pense pas qu'elle ait été un témoin politique, sénateur Carney; elle répond simplement à des questions sur le règlement, qui relève de son domaine de compétence.

Le sénateur Carney: J'ai soulevé la question et nous l'avons tirée au clair.

Le sénateur Graham: Pouvez-vous m'accorder un instant, sénateur Carney? Le sénateur Corbin expliquait comment, du point de vue politique, un projet de loi faisait son chemin au niveau des comités. Vous nous avez expliqué comment les choses se passaient au niveau du comité spécial du Cabinet, du Cabinet, du BCP, du ministère de la Justice, etc.

Le sénateur Carney: Merci pour votre précision.

Le sénateur Corbin: J'invoque le Règlement. J'aimerais simplement dire que je me concentrais sur l'objet du projet de loi. J'accepte que le témoin reconnaisse qu'elle n'est absolument pas au courant des modalités d'application du traité ni de la façon dont il a été appliqué au fil des ans. C'est une question tout à fait légitime à poser même à un rédacteur. Après tout, qu'est-ce que c'est que rédiger un projet de loi? Ce n'est pas peindre des nuages, n'est-ce pas?

Le sénateur Carney: Permettez-moi de répondre à cette question.

Comme nous l'avons déjà dit au ministre, ce projet de loi, qui est censé porter sur les transferts massifs d'eau, ne mentionne en fait pas les transferts massifs d'eau. Comme vous l'avez dit, le paragraphe 13(3) renvoie au paragraphe (3), qui concerne l'interdiction de dériver des eaux, mais il ne s'applique qu'aux bassins hydrographiques décrits dans le règlement, où il n'existe aucune description de ces bassins. Nous l'avons déjà montré.

Étant donné ce que vous avez dit des pouvoirs extraordinaires octroyés au ministre en vertu aussi bien de la procédure d'exceptions que de la procédure d'établissement de règlements, à votre avis, en tant que rédactrice, serait-il possible de faire en sorte que le projet de loi C-6 entraîne un résultat opposé à celui qu'il est censé atteindre? D'après le ministre, cet objectif, c'est d'interdire l'exportation d'eau. Or, on ne parle pas de transferts massifs d'eau dans le projet de loi. Je vous demande donc votre opinion en tant que rédactrice: Compte tenu des exceptions, des pouvoirs de réglementation et de l'absence de définitions, pourrait-on définir les termes, usages, licences, durée des licences, renouvellement des licences et les bassins hydrographiques - ou, comme vous dites, ne pas définir les bassins hydrographiques - de sorte que le projet de loi pourrait entraîner un résultat opposé à celui qu'il est censé entraîner?

Mme Sullivan: J'ai souligné entre autres dans mes remarques d'introduction que ce projet de loi ne supprimait pas la compétence de la Commission mixte sur ces questions. La Commission mixte conserve le pouvoir d'examiner toute tentative d'utiliser l'eau d'une manière qui serait susceptible d'influer sur le niveau ou le débit des eaux limitrophes et elle conserve le droit de refuser son autorisation dans un tel cas.

En ce sens, je ne pense pas que le projet de loi pourrait donner lieu à ce que vous décrivez, car l'entreprise en question serait toujours sujette aux mêmes conditions qu'actuellement, c'est-à-dire l'approbation de la commission mixte. Je ne pense pas que le projet de loi constitue en quoi que ce soit un recul. Quand je parle des vastes pouvoirs conférés au ministre ou au gouverneur en conseil, je souligne encore une fois qu'il y a là des pouvoirs qui permettent au gouvernement de ne pas agir. Toute cette notion de tigre de papier vise à laisser entendre que le projet de loi établit des protections assez solides qui n'existaient peut-être pas dans le passé, mais en fait en octroyant ces pouvoirs au gouvernement, on crée la possibilité d'éviter de devoir avoir recours à ces protections.

Ce n'est pas comme si on donnait au gouvernement des pouvoirs qu'il n'avait pas auparavant afin de saper un régime existant. C'est plutôt quelque chose de factice. On donne l'impression de renforcer le régime alors qu'en fait, le gouvernement peut, en s'abstenant d'exercer ses pouvoirs, maintenir le statu quo et rester au même point. C'est comme cela que je préfère dire les choses.

Strictement parlant, je reconnais avec vous que rien dans ce projet de loi n'empêcherait le ministre d'autoriser une dérivation d'eau qui pourrait constituer une exportation massive d'eau. La Commission mixte pourrait l'interdire si elle le souhaitait. Je ne connais pas les critères. S'il n'y a pas de règlement en vertu de l'article 13 du projet de loi et que le ministre décide d'octroyer une licence pour cette activité, je ne vois pas pourquoi cela ne pourrait pas se faire.

Le sénateur Carney: C'est un des problèmes que nous avons avec ce projet de loi, le fait que, contrairement à ce que le ministre pense voir dans ce projet de loi, nous avons l'impression que sous sa forme actuelle, il permettrait la dérivation ou le captage d'eau.

Mme Sullivan: Il ne changerait pas le statu quo à cet égard. Je ne pense qu'il autorise quelque chose qui était interdit auparavant. Tout ce qu'il fait, c'est qu'il n'interdit pas quelque chose qui n'était pas interdit auparavant.

Le sénateur Carney: Vous avez dit que le ministre pourrait autoriser le captage ou la dérivation.

Mme Sullivan: C'est exact.

Le sénateur Carney: Et l'exportation?

Mme Sullivan: Je crois que oui, en vertu de l'article 11. Je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas possible.

Le sénateur Carney: C'est une des questions qui nous préoccupent, et d'autres sénateurs voudront peut-être tirer cela au clair avec vous. J'aimerais poser une question à M. Hart.

Vous avez parlé d'inquiétudes au sujet des retombées commerciales du projet de loi, et j'aimerais clarifier quelque chose. Évidemment, j'ai déjà soulevé ces problèmes. Je ne pense pas qu'on puisse dire que j'ignore totalement l'intention ou le libellé de la loi commerciale. Je tiens à vous préciser que la déclaration des trois pays de l'ALENA en 1993 stipule que l'ALENA ne donne à aucune des parties à l'accord des droits sur les ressources naturelles en eau. À moins d'être sous une forme quelconque utilisée commercialement et de devenir une denrée ou un produit, l'eau n'est couverte par aucune disposition d'un accord commercial, y compris l'ALENA. Rien dans l'ALENA n'obligerait une des parties à l'accord à exploiter son eau à des fins commerciales ou à l'exporter sous une forme quelconque. Vous admettez que c'est bien ce qui est dit dans le texte. Il n'y a pas de malentendu là-dessus.

La Commission mixte internationale elle-même a évoqué des scénarios dans le cas desquels elle estime que si l'eau est captée et utilisée commercialement, elle risque cependant d'entraîner certaines obligations en vertu du GATT, de l'Accord de libre-échange et de l'ALENA. C'est un problème qui a été évoqué. Vous avez dit que cette critique était le résultat d'un malentendu.

J'aimerais poursuivre sur ce que disait Mme Sullivan. Imaginons que le gouvernement veuille exporter de l'eau. Imaginons que ce soit une situation où il n'est pas contraint de le faire mais où il souhaite exporter de l'eau. Y a-t-il quelque chose dans ce projet de loi qui l'en empêcherait?

M. Hart: Je ne suis pas expert en rédaction législative. Mme Sullivan est plus compétente que moi pour répondre à cette question. Je suis expert en matière d'accords commerciaux. À mon avis, que ce projet de loi soit adopté ou non, si le gouvernement du Canada estime avoir de bonnes raisons d'exporter de l'eau, il a le devoir de veiller à ce que les licences d'exportation qu'il délivre soit octroyées de façon non discriminatoire.

Le sénateur Carney: C'est ce que j'ai développé dans mon discours à la Chambre.

M. Hart: Nous exportons actuellement de l'eau sous diverses formes. Le gouvernement de l'Ontario, par exemple, autorise régulièrement le captage d'eau dans des bassins versants, de l'eau qui est ensuite mise en bouteille et commercialisée. Si le gouvernement de l'Ontario adoptait un règlement stipulant que cette eau sera exclusivement mise à la disposition des bons citoyens de l'Ontario et que personne d'autre n'est autorisé à en prélever, il aurait des ennuis en raison des obligations commerciales que le Canada s'est engagé à respecter.

Toutefois, ce gouvernement pourrait décréter qu'il autorise seulement le prélèvement d'un million de gallons d'eau pendant une certaine période, à condition que cette eau soit mise à la disposition de toutes les compagnies qui voudraient la prélever. Le gouvernement pourrait toujours limiter la quantité à un million de gallons ou 100 000 gallons ou un gallon. Simplement, il n'a pas le droit, en vertu des accords commerciaux de faire de la discrimination entre les compagnies qui souhaiteraient faire ces prélèvements d'eau.

Le sénateur Carney: Merci beaucoup d'avoir fait la démonstration de ce que je disais.

Le sénateur Andreychuk: Madame Sullivan, comme j'ai eu l'occasion d'être dans une salle remplie de rédacteurs fédéraux et provinciaux venus de partout au Canada et qui ont le plus grand respect pour vos compétences et votre opinion, j'aimerais approfondir un peu les questions de rédaction.

Si je vous comprends bien, du point de vue de la rédaction, la délégation de pouvoirs que le Parlement accorderait à un ministre ou au gouverneur en conseil en vertu de ce projet de loi est considérable. Vous dites que ces pouvoirs sont dans les limites du droit administratif. Il n'y a rien à redire à la façon dont cette délégation de pouvoirs est rédigée. C'est un problème politique, si tant est qu'il y ait un problème, en ce sens que, comme vous l'avez dit, si l'on voulait avoir une attitude restrictive, on pourrait, en s'appuyant sur ces pouvoirs, faire le contraire de ce que ce projet de loi est censé faire.

Autrement dit, nous ne savons pas ce qu'ils feront de ces pouvoirs, qui sont assez vastes.

Mme Sullivan: Oui. J'hésite à dire «vastes». Je pense que j'emploie constamment cet adjectif «vaste», mais qu'il crée une impression trompeuse. Encore une fois, le problème ici, c'est que le projet de loi donne le pouvoir d'éviter certaines choses plutôt qu'il ne donne le pouvoir de faire des choses que le gouvernement ne pourrait pas faire autrement.

Je vous le répète, la structure fondamentale demeure. Il y a toujours les prohibitions. La Commission mixte a toujours le pouvoir d'approuver ou de rejeter les projets. On semble établir des limites, mais on donne au gouvernement des pouvoirs qui lui permettent de supprimer ces limites.

Cela nous ramène au statu quo si ces pouvoirs ne sont pas exercés de façon stratégique. Loin de moi l'idée de laisser entendre que le gouvernement a une idée derrière la tête ici. Je n'en sais strictement rien.

Le sénateur Andreychuk: Je vous demandais votre interprétation en tant que rédactrice.

Mme Sullivan: Nous avons une prohibition absolue - on ne peut pas faire cela - et ensuite nous avons trois façons de faire les choses. Est-ce que c'est un vaste pouvoir? C'est plutôt une absence de pouvoirs. On impose une restriction et ensuite on la retire, en laissant tout le monde libre de faire ce qu'il a toujours été possible de faire avant l'imposition de cette restriction.

Le sénateur Andreychuk: Nous disons que ce n'est pas un problème de rédaction. Si ce sont les instructions qu'on vous a données, c'est comme cela que vous rédigeriez le texte. Par conséquent, j'en viens à votre cheval de bataille. Doit-on donner ces pouvoirs au ministre et au gouverneur en conseil? Actuellement, le gouvernement nous le demande. Il voudrait que nous lui donnions ces pouvoirs pour qu'il puisse les exercer d'une certaine manière. Vous nous dites qu'en les lui donnant, nous pouvons avoir en fin de compte une interdiction d'utiliser l'eau. D'un autre côté, comme vous nous l'avez aussi dit, on peut avoir tellement de limites qu'on se retrouve avec le statu quo.

Le sénateur Carney: Ou c'est cela, ou nous exportons.

Mme Sullivan: Pour autant que je sache, le gouvernement pourrait très bien exporter de l'eau maintenant.

Le sénateur Andreychuk: C'est donc une question extrêmement politique. Nous n'avons pas d'idée claire de ce que seront les conséquences de ce projet de loi car elles dépendront énormément de l'exercice du pouvoir, notamment par le biais de règlements que nous n'avons pas.

Mme Sullivan: Oui, ou de la discrétion ministérielle.

Le sénateur Andreychuk: La discrétion ministérielle, vous avez raison.

Mme Sullivan: Je dirais qu'au départ, le pouvoir relève de la discrétion du ministre. Ce n'est que si le règlement est appliqué que le gouverneur en conseil peut structurer ou limiter ces discrétions.

Le sénateur Andreychuk: Étant donné que c'est l'interprétation et le résultat de ce projet de loi, la question est vraiment de savoir si nous voulons faire cela.

Mme Sullivan: Je le pense. Je ne crois pas que ce projet de loi pose le moindre problème juridique. Il y a une légère confusion dans le texte de la disposition sur laquelle j'ai attiré votre attention, la disposition de présomption. Il y a peut-être une erreur là - je n'en suis pas sûre - mais c'est vraiment le seul problème de rédaction que j'ai pu constater.

Le sénateur Andreychuk: Dans ce cas, il nous appartient de déterminer si nous pensons qu'en adoptant le projet de loi, nous accomplirons ce que le ministre dit vouloir accomplir.

Le sénateur Spivak: Le sénateur Corbin a dit à plusieurs reprises que ce projet de loi ne fait que traduire sous forme de loi une pratique qui a été en vigueur et qui a très bien fonctionné pendant de nombreuses années dans le cadre de la Commission mixte internationale.

Je m'interroge. Vous nous avez dit tout au début, madame Sullivan, qu'en vertu des paragraphes 13(3) et 13(4), il suffisait de retirer un bassin de la liste ou d'énoncer une exception pour pouvoir exporter de l'eau. Mais cette décision ne serait-elle pas sujette à la décision de la Commission mixte internationale? Dans ce cas, de toute évidence, ce projet de loi n'est pas conforme à cette pratique en vigueur de longue date.

Le paragraphe 13(3) ne s'applique qu'aux bassins hydrographiques décrits dans le règlement. Il ne représente donc pas la poursuite de la pratique en vigueur auparavant puisqu'il autorise quelque chose qui n'était pas autorisée précédemment, sauf que vous dites que nous pourrions en fait exporter déjà maintenant.

Je ne comprends pas. La Commission mixte internationale interdirait le captage et le transfert massif d'eau à l'extérieur de trois bassins hydrographiques. Ma question n'est peut-être pas très claire.

Mme Sullivan: Je crois comprendre ce que vous voulez dire. Le projet de loi ne touche pas aux pouvoirs de la Commission mixte qui demeurent exactement les mêmes qu'auparavant.

Le sénateur Spivak: C'est exact.

Mme Sullivan: Dans le contexte actuel, le ministre pertinent peut autoriser n'importe qui à exporter de l'eau. Rien dans nos lois n'interdit l'exportation massive d'eau.

Le sénateur Spivak: La Commission mixte internationale ne l'accepterait pas.

Mme Sullivan: Sur ce plan, les choses restent identiques.

Le sénateur Spivak: La balle serait renvoyée au ministre qui pourrait quand même autoriser l'exportation. Quelle serait la sanction?

Mme Sullivan: Le problème, c'est qu'il n'y en a pas actuellement.

Le sénateur Spivak: Je suis simplement en train de tester l'argument selon lequel ce projet de loi ne ferait qu'appliquer ce qui s'est toujours fait. Je ne le crois pas.

Mme Sullivan: Je trouve au contraire que si, et que le problème, c'est qu'il prétend faire plus. J'ai l'impression qu'il nous laisse exactement dans la situation où nous serions s'il n'y avait pas de projet de loi du tout.

Le sénateur Spivak: Je comprends ce que vous dites.

Je voulais vous poser une question sur la privatisation des réseaux d'eau municipaux. Je pense que ma question s'adresse à M. Hart. Il y a actuellement un mouvement de privatisation des réseaux d'adduction d'eau.

Prenons une situation hypothétique. Parfois, l'eau demeure propriété de la municipalité, mais pas toujours. Disons que la municipalité se met à exporter de l'eau d'une certaine façon. Est-ce que l'eau est alors définie comme «denrée»? Vous comprenez ma question? Je sais que les municipalités sont exposées à d'autres dangers dans le cadre de l'ALENA. Je veux dire, pas des dangers, mais des dispositions qui s'appliquent à elles et contre lesquelles elles ne peuvent rien faire, ou même des dispositions dont elles n'ont même pas connaissance. Dans ce cas précis, risquerait-on de déclencher l'intervention d'une disposition de l'ALENA dans laquelle l'eau serait considérée comme une denrée commerciale?

M. Hart: Vous mélangez plusieurs problèmes.

Le sénateur Spivak: C'est ce que je pensais.

M. Hart: J'ai longuement discuté de cette question avec ma fille pendant le dîner. Elle est avocate, et pas moi. Quelquefois, elle essaie d'expliquer à son papa ce qu'est le droit.

Ce que je lui disais, c'est qu'au gouvernement, il y a trois formes d'exercice du pouvoir gouvernemental. Il y a le gouvernement responsable de la paie, il y a le gouvernement qui réglemente et il y a le gouvernement qui assure un certain service. Ce sont trois fonctions distinctes. Plus on les mélange au sein d'une organisation ou d'une institution, plus on risque d'avoir des problèmes.

Je pense que les problèmes que nous avons eus au niveau de la distribution des eaux municipales au Canada, c'est qu'on a mélangé la réglementation de l'approvisionnement en eau et la distribution. Personnellement, j'aurais préféré que le gouvernement régisse rigoureusement la distribution de l'eau et détermine précisément les règlements en la matière. Cela m'est complètement égal que ce soit fait par une organisation privée ou par une organisation gouvernementale.

De même, du point de vue du droit commercial ou d'un accord commercial, le fait que ce soit le gouvernement ou une entreprise privée qui distribue l'eau n'a strictement aucune importance. Tout ce qui compte, c'est de savoir en quoi consiste le règlement et s'il est conforme aux obligations commerciales internationales.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Hart et madame Sullivan.

Au nom des membres du comité, je vous remercie tous les deux. Vous nous avez beaucoup aidés pour nos délibérations.

La séance est levée.


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