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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international


Délibérations du comité sénatorial permanent
des affaires étrangères

Fascicule 22 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 20 février 2002

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères, auquel a été renvoyé le projet de loi C-35, Loi modifiant la Loi sur les missions étrangères et les organisations internationales, se réunit aujourd'hui à 15 h 35 pour étudier ce projet de loi.

Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, la séance est ouverte. Je voudrais souhaiter la bienvenue à l'honorable Bill Graham et le féliciter de votre part pour sa promotion au rang de ministre des Affaires étrangères.

En compagnie du ministre se trouvent MM. Keith Morrill et Paul Kennedy. Monsieur le ministre, je vous en prie.

L'honorable Bill Graham, ministre des Affaires étrangères: J'ai quelques remarques officielles à faire concernant la présentation du projet de loi. Comme vous l'avez dit, MM. Kennedy et Morrill m'accompagnent afin d'aider à l'interprétation des questions techniques spécifiques, le cas échéant.

Je suis très honoré de me présenter devant vous. Il s'agit de ma première rencontre avec un comité parlementaire. Je vous remercie d'avoir fait allusion à ma promotion, monsieur le président. J'ai toujours pensé que le terme était réservé aux personnes venant au Sénat. Je suis très heureux et très fier de me trouver au poste que j'occupe actuellement. Pendant de nombreuses années, j'ai eu la chance et l'honneur de me trouver à la place où vous êtes en ce moment. Il est intéressant de se retrouver de ce côté de la table. Je suis certain que nos discussions de cet après-midi seront intéressantes.

Je me réjouis de pouvoir travailler avec votre comité sur ce projet de loi, dont j'ai eu l'occasion de m'occuper de très près, comme le savent sûrement certains des honorables sénateurs. Lorsqu'il est apparu, ce projet de loi a été soumis au Comité des affaires étrangères et du commerce international dont j'étais à l'époque le président.

[Français]

Nous vivons dans un monde de plus en plus complexe, de plus en plus interdépendant. Le commerce international est le moteur de nos économies. Les marchés financiers et monétaires sont actifs jour et nuit.

Le multilatéralisme demeure la solution permettant de résoudre beaucoup de ces problèmes mondiaux, que ce soit une pauvreté écrasante, le terrorisme, la criminalité transnationale, la dégradation de l'environnement ou la sécurité humaine et internationale. Le multilatéralisme a toujours été la voie favorisée par le Canada. Nous l'avons dans le sang et, en quelque sorte, je suis fier de dire que les Canadiens sont presque passés maîtres dans cet art.

C'est dans ce contexte multilatéral que nous devons examiner les modifications proposées dans le projet de loi C-35. Pour que le Canada continue d'apporter une contribution utile sur la scène internationale, nous devons nous assurer de respecter les règles du jeu. Celles de la diplomatie internationale ont changé au cours des siècles. Elles visent à promouvoir le dialogue bilatéral et multilatéral, et à permettre aux représentants des États de défendre et de protéger les intérêts de leur pays sans craindre les représailles ou la persécution.

Dans un monde idéal où tous les États représenteraient la primauté du droit et où les systèmes judiciaires seraient équivalents au nôtre, nous aurions pu nous dispenser de beaucoup de privilèges et d'immunités prévus dans la Convention de Vienne. D'ici là, le Canada a deux choix: se conformer au régime international de privilèges et d'immunités en place ou tenter unilatéralement de changer le régime en refusant progressivement d'accorder des privilèges et immunités en question.

Je suis d'avis qu'une seule solution s'offre à nous. La grande majorité des États appuie toujours le régime actuel défini dans la Convention de Vienne. Choisir de ne plus s'y conformer reviendrait à nous marginaliser et à faire courir des risques aux représentants que nous avons dans les États où la primauté du droit n'est pas respectée.

[Traduction]

Les propositions contenues dans le projet de loi permettront au Canada de jouer son rôle dans la diplomatie multilatérale internationale, d'honorer ses obligations en accueillant le prochain Sommet du G8 et de continuer à présenter notre pays comme un lieu de choix pour établir le siège d'organisations gouvernementales internationales. Le projet de loi nous donnera la possibilité d'accueillir des invités internationaux pour leur permettre d'apporter leur contribution à diverses rencontres en assurant leur sécurité au Canada, tout comme nous nous attendons à ce qu'on assure la sécurité de nos représentants lorsque nous assistons à des réunions à l'étranger. Fait tout aussi important, le projet de loi respecte les droits et libertés dont nous jouissons comme Canadiens vivant dans une société libre et démocratique.

Les propositions figurant dans le projet de loi viennent à un moment où il est impératif que le Canada fasse preuve de leadership sur la scène internationale au sujet de questions qui revêtent une grande importance pour le pays et pour les Canadiens, comme l'environnement, le commerce international et la sécurité humaine et nationale.

Le projet de loi comporte quatre grandes dispositions, qui tendent toutes vers le même but: doter le Canada des mesures législatives qui lui permettront de continuer à jouer un rôle de premier plan dans les affaires mondiales et dans les enceintes multilatérales. La première disposition vise à modifier la définition juridique actuelle de l'expression «organisation internationale», de façon à y inclure les organisations et les réunions internationales actuellement exclues parce qu'elles n'ont pas été constituées en vertu d'un traité. Cette disposition permettra en fait au gouvernement d'accorder le même traitement aux organisations internationales, qu'elles soient fondées sur un traité — les Nations Unies, l'OACI ou d'autres organisations internationales, par exemple — ou qu'elles ne le soient pas, comme le G8.

Honorables sénateurs, cette disposition est importante, car elle permettra au gouvernement de régler, par décret, les questions relatives aux privilèges et immunités et au statut juridique des organisations et manifestations internationales organisées sous les auspices du Canada. Elle lui permettra également de continuer à accueillir des événements internationaux d'envergure qui revêtent une importance inestimable pour la conduite des relations internationales du Canada et qui lui profitent sur les plans politique et économique. Il s'agit aussi d'une disposition opportune, car elle autorisera le gouvernement à accorder des privilèges et immunités aux personnes qui assisteront au prochain Sommet du G8, conformément aux obligations contractées par le Canada en vertu de la Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies.

La deuxième disposition figure à l'article 5 du projet de loi; elle précise d'une façon claire qu'il incombe à la GRC d'assurer la sécurité pour le déroulement sans heurt des conférences internationales auxquelles assistent des personnes qui jouissent des privilèges et immunités accordés en vertu de la Loi sur les missions étrangères et les organisations internationales et qui sont visées par un décret pris en vertu de la loi. La GRC est chargée d'assurer la sécurité en collaboration étroite avec les autorités policières locales et provinciales à tous les niveaux. Le respect des droits de toutes les personnes est inscrit dans la Loi sur la gendarmerie royale du Canada et fait partie intégrante de la formation que reçoivent les gendarmes. Le projet de loi C-35 ne changera rien à cela. Cette disposition sur les pouvoirs de la police n'a pas du tout pour but de faire obstacle aux protestations pacifiques. Il y a bien sûr des limites aux mesures que la police peut prendre. Ces limites se trouvent dans le Code criminel et dans la Charte.

Comme vous le savez sans doute, l'article 5 a suscité bien des questions au Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international des Communes, qui a donc demandé une réponse au gouvernement. Le gouvernement a déposé cette réponse concernant les préoccupations du comité le 8 février. Je pense que vous êtes en possession de copies de cette réponse.

Le solliciteur général a présenté la réponse bien avant l'expiration du délai de 150 jours prévu pour son dépôt. Je voudrais d'ailleurs vous informer que M. Kennedy, responsable du cabinet du solliciteur général m'accompagne à cette table pour répondre à vos questions.

Dans sa réponse, le gouvernement dit clairement que la disposition concernant la sécurité précise la responsabilité qu'a la police d'assurer la sécurité pour le bon déroulement des rencontres internationales. La réponse du gouvernement aborde également les préoccupations exprimées au sujet du caractère vague de la disposition. Je voudrais vous assurer que le libellé est approprié et conforme à la Charte.

Le gouvernement est d'avis que les pouvoirs dont dispose actuellement la GRC, ses politiques et ses usages, sont un guide suffisant pour lui permettre de trouver un juste milieu entre sécurité et droits reconnus par la Charte.

Enfin, le gouvernement indique dans sa réponse qu'il est persuadé que la disposition figure ajuste titre dans le projet de loi C-35, l'intention étant de remplir les obligations contractées par le Canada en matière de protection des personnes jouissant des privilèges et immunités accordés par la Loi sur les missions étrangères et les organisations internationales.

En juin 2002, le Canada sera l'hôte du Sommet du G8 en Alberta. D'ici là, nous devrons prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la protection des dirigeants mondiaux qui séjourneront chez nous et pour faire en sorte que le Sommet puisse se dérouler en toute sécurité pour les participants, les membres de la collectivité et d'éventuels manifestants, tant du Canada que de l'étranger. Ce projet de loi nous permet d'y parvenir.

[Français]

J'aimerais ajouter quelques mots au sujet de la proposition contenue dans le projet de loi, qui précise que lorsqu'un décret a été pris à l'égard d'une organisation ou d'une réunion internationale, cela n'impose pas la délivrance d'un permis ministériel permettant l'entrée au Canada de personnes faisant partie des catégories non admissibles énoncées à l'article 19 de la Loi sur l'immigration. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration appuie sans réserve cette proposition.

Lorsque le ministre des Affaires étrangères envisage de faire adopter un décret à l'égard d'une conférence internationale, il tient des consultations régulières avec le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration.

La quatrième modification de fond prévue dans le projet de loi permettra au gouvernement d'accorder des privilèges et immunités aux inspecteurs internationaux qui viennent au Canada, à titre temporaire, pour mener des inspections en vertu de la Convention sur les armes chimiques et de l'accord avec la commission préparatoire de l'Organisation du Traité d'interdiction complète des essais nucléaires.

Par exemple, la Convention sur les armes chimiques, que le Canada a ratifiée en 1995, stipule que les inspecteurs doivent jouir de privilèges et immunités diplomatiques semblables à ceux que l'on accorde aux agents diplomatiques en vertu de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques. Le problème tient au fait qu'à l'heure actuelle, ni la législation de mise en œuvre ni aucun autre instrument juridique canadien ne permet l'octroi de tels privilèges et immunités aux inspecteurs. À titre de disposition temporaire, des privilèges et immunités moindres leur sont accordés par décret du conseil.

Cela signifie que l'on pourra reprocher au Canada de ne pas se conformer pleinement au traité. Par conséquent, il incombe au gouvernement de régler la situation le plus tôt possible, ce qu'il a fait dans le projet de loi C-35.

Cet après-midi, je vous ai entretenus de ce que je considère comme étant les quatre dispositions les plus importantes du projet de loi C-35. Des spécialistes sont ici aujourd'hui pour vous parler de d'autres modifications techniques figurant dans le projet de loi.

En terminant, je prie instamment le comité d'appuyer le projet de loi proposé en vue d'assurer le bon déroulement de grandes conférences internationales qu'accueille le Canada comme le prochain Sommet du G8. Le projet de loi C-35 permettra au Canada de se conformer à ses obligations internationales et de promouvoir ses objectifs en matière de politique étrangère sans compromettre la sécurité à la protection des Canadiens et des Canadiennes.

[Traduction]

Le président: Merci, monsieur le ministre Graham.

[Français]

Le sénateur Bolduc: Je tiens à vous féliciter pour votre nomination en tant que ministres des Affaires étrangères. J'ai eu l'occasion de siéger avec vous sur un comité interparlementaire Canada-États-Unis et j'ai toujours admiré votre vaste connaissance des problèmes qui nous relient à nos voisins du Sud. Je dois dire aussi que M. Graham est déjà bien connu dans le monde des relations internationales par le fait qu'il était un expert des questions de droit international. Le Canada est privilégié d'avoir un homme de son envergure à la tête de ce ministère.

J'aimerais soulever un point concernant l'article 1(1) du projet de loi C-35 qui est celui de la définition des organisations internationales. On définit maintenant le mot comme étant et je cite:

Organisation intergouvernementale formée de plusieurs États, constituée ou non par traité; [...]

Je comprends bien que c'est l'évolution des relations internationales dans le monde actuellement. Non seulement il y a des institutions établies par des traités comme l'Organisation civile internationale ou le Bureau international du travail ou tous les autres organismes spécialisés des Nations Unies qui tiennent des réunions informelles depuis 20 ou 25 ans. Cela a commencé par le G7, le G8, le G20, ce sont les réunions les plus connues étant donné qu'elles rejoignent surtout les hommes d'États, les présidents, les premiers ministres et, les ministres des Finances dans le cas du G20. Toutefois, il y en a plusieurs autres. Je voudrais souligner au ministre que cela change radicalement la nature de la définition. Tout le monde comprend les traités, mais quand on dit que c'est construit autrement, cela veut dire que les constitutions informelles d'organisations politiques dans le monde deviendront sujettes à des protections par exemple, quand les réunions auront lieu au Canada. Cela ouvre beaucoup la définition. Je n'essaie pas de dire «constituée ou non par traité». Cette définition est large. Aurait-il pu y avoir une formule intermédiaire entre un traité et d'autres situations déjà connues, mais qui sont informelles? Pourrait-on le faire autrement que de dire «ou non par traité»?

M. Graham: Je vous remercie de vos généreuses paroles à mon égard. Je crois que c'est toujours dangereux d'être considéré comme un expert. Pour répondre à votre question, ce point a été soulevé au Comité des affaires étrangères de la Chambre des communes. On nous a dit que la commission mixte de la procédure du Sénat et de la Chambre des communes avait noté que seulement les organisations internationales établies par traité pouvaient jouir des privilèges et des immunités prévues dans la Convention de Vienne. Des réunions tel le Sommet de Québec par exemple, qui est une institution bien établie où les leaders des Amériques se réunissent tous les trois ans, mais n'est pas établi par traité. On a le G8 et il y a d'autres organisations. Il faut beaucoup de temps et d'organisation pour établir une organisation et avoir un traité formel. Nous avions une lacune dans le système et la seule façon de la combler, c'était de dire «constituée ou non par traité». Cela ne veut pas dire que le gouvernement nie l'intention et les possibilités de nommer n'importe quelle institution comme bénéficiant des privilèges dans la loi. Ce serait exclusivement les institutions internationales auxquelles appartient le Canada ou lorsque le Canada est hôte pour les réunions.

Le sénateur Bolduc: N'y a-t-il pas une façon de cerner cette disposition avec un pouvoir réglementaire ou autres? La définition étant statutaire cela veut dire qu'on a que l'interprétation qui sera donnée d'abord par le gouvernement. À la limite, si quelqu'un était victime d'un acte disons par un policier dans une autre institution, on pourrait dire: «On est dans une organisation internationale». Cela m'embête.

M. Graham: C'est le pouvoir réglementaire. Seules les institutions qui ont été nommées par ordre en conseil bénéficient de ce privilège. Il faut que le gouvernement vise la situation et nomme par ordre en conseil l'institution concernée. Ce pouvoir doit être exercé avec beaucoup de discrétion.

[Traduction]

Le sénateur Stratton: Monsieur le ministre, c'est à mon tour de vous féliciter. Vous apportez du sang neuf à un ministère qui a été dirigé pendant des années par un ancien Manitobain faisant partie de vos collègues. Cela sera intéressant à suivre.

M. Graham: Mon ancien collègue suit lui aussi mes faits et gestes.

Le sénateur Bolduc: Oui, et il surveille, si je comprends bien.

Le sénateur Stratton: J'imagine que vous recevez ses commentaires régulièrement.

Quoi qu'il en soit, je voudrais parler du douzième rapport du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international. Vous nous avez donné une brève réponse écrite.

Les personnes qui ont comparu devant le du comité ont soulevé de graves questions sur le bien-fondé et la clarté d'interprétation du langage employé dans l'article 5, notamment en ce qui concerne les responsabilités principales de la GRC pour ce qui est de prendre des mesures appropriées et adaptées aux circonstances, y compris la mise en place de périmètres de sécurité.

Je sais que vous avez rédigé ce rapport, mais pourriez-vous me dire vous-même comment vous avez répondu aux préoccupations soulevées dans le douzième rapport présenté devant la Chambre?

M. Graham: Il est important de parler de ces questions de vive voix.

Ces questions ont été soulevées, sénateur, à la suite du témoignage d'universitaires et d'autres personnes ayant comparu devant le comité et déclaré qu'elles redoutaient que le projet de loi n'entraîne un accroissement démesuré des pouvoirs accordés à la police. Ce témoignage a suscité des inquiétudes au sein du comité.

Le témoignage des représentants du ministère du solliciteur général et d'autres spécialistes qualifiait le contenu du projet de loi de codification des pouvoirs déjà existants de la police. Les témoignages contradictoires effectués par les spécialistes ont engendré un débat, ce qui arrive parfois devant les comités. Il existait plusieurs points de vue. En particulier lorsque des avocats interviennent dans un débat, les lois et l'interprétation que l'on doit en faire font naître différentes opinions.

C'est pourquoi le comité, comme vous le soulignez, a déclaré qu'il avait des inquiétudes à ce sujet et a demandé au gouvernement de répondre. Le solliciteur général doit être félicité pour avoir soumis son rapport aux honorables sénateurs en temps opportun pour que ceux-ci aient l'occasion de l'étudier. Il n'a pas attendu 150 jours comme le permet la loi.

J'ai étudié cette réponse. En fait, elle reprend point par point les objections soulevées devant notre comité à la Chambre et indique que le projet de loi n'accroît pas les pouvoirs de la police, que la Charte continuera à prévaloir et que la police, lorsqu'elle exerce quelque fonction que ce soit — par exemple, le contrôle d'une manifestation ou toute autre action — est dans tous les cas responsable non seulement de la protection des personnes étrangères, mais également de la garantie du respect des droits des Canadiens inscrits dans la Charte et dans la constitution canadienne. Cet équilibre est maintenu dans la loi en question. C'est l'idée motrice du rapport que nous présente le solliciteur général. J'accepte les conclusions et l'analyse du ministère à ce sujet.

Le sénateur Stratton: La pertinence du projet de loi a suscité l'intérêt de nombreuses personnes, y compris les médias, en raison des événements qui ont eu lieu et dont nous sommes tous conscients.

Dans le cas d'un projet de loi comme celui-ci, mettant en jeu la sécurité et les pouvoirs de la police, comment mesurerez-vous l'efficacité de ce que nous sommes en train de discuter aujourd'hui? L'examinerez-vous? Assurerez- vous un suivi de manière régulière? Rendrez-vous compte au Parlement? Comment vous y prenez-vous pour mesurer l'efficacité à long terme?

M. Graham: Il n'existe pas de mesure spécifique dans l'avant-projet. Ce n'est pas comme le projet de loi C-36, Loi antiterroriste, qui exigeait un examen parlementaire dans une certaine période. La plupart de nos lois ne fonctionnent pas comme cela. Toutefois, elles sont certainement sujettes à un suivi détaillé et constant de la part des honorables sénateurs et des députés, au fur et à mesure qu'elles sont appliquées. Si des problèmes surviennent, je suis sûr qu'ils seront soulevés soit à la Chambre des communes, soit par le gouvernement. Je ne vois pas cela comme un problème. Le plus important est que nous clarifiions dès maintenant comment seront gérés les événements à venir.

Je me trouvais personnellement à Québec. Je ne sais pas si certains des honorables sénateurs y étaient aussi. Je pense que la police a fait du bon travail là-bas. Elle a bien collaboré avec les trois niveaux de police, mais je pense que tout le monde aurait besoin d'éclaircissements sur les procédures exactes à utiliser. C'est ce que le projet de loi essaye de définir.

Le sénateur Stratton: C'est exactement ce qui m'inquiète. S'il se produit un événement comme à Québec ou à Seattle, engendrant une situation extrêmement difficile, nous verrons, et les médias avec nous, comment non seulement la police, mais également les gouvernements, réagissent. Je suis inquiet de savoir ce qui se passera si un événement comme celui qui s'est passé à Seattle ou à Québec se produit à nouveau. Même si la situation à Québec a été, comme vous l'avez dit, correctement contrôlée, les émissions diffusées par la télévision ont donné une toute autre impression. Si quelqu'un est blessé ou, Dieu nous en protège, tué, vous pouvez imaginer les réactions qui s'ensuivront.

Ce qui me préoccupe vraiment, c'est qu'il n'existe aucune surveillance ou aucun suivi détaillé de l'efficacité du projet de loi au cours du temps. Pourquoi ne seriez-vous pas d'accord pour rendre compte au Parlement, par exemple en ce qui concerne les immunités diplomatiques? Nous avons eu ce cas particulier d'accident malheureux ici à Ottawa. Pourquoi n'auriez-vous pas l'occasion de nous présenter annuellement votre compte rendu sur de tels événements?

Si, par exemple, vous vous retrouviez devant une situation infernale, vous voudriez, pour le bien de tous, rendre compte au Parlement et nous expliquer ce qui est allé de travers, pourquoi les choses ont mal tourné et comment vous vous proposez de corriger la situation.

M. Graham: Il me semble que votre question soulève deux problèmes différents. L'un concerne l'application de l'article 5 et les pouvoirs de la police pour assurer la sécurité d'une réunion. L'autre est le problème de l'immunité diplomatique, comme dans le cas du tragique accident qui a eu lieu ici à Ottawa. Je les aborderai séparément.

Je vais demander à M. Kennedy de parler de l'aspect parlementaire ou de celui de la surveillance. Je ferai un commentaire sur l'application de l'article 5, tel que je le comprends.

Nous essayons d'assurer deux choses grâce à ce projet de loi. L'une est la protection appropriée des personnes protégées à l'échelle internationale, lorsqu'elles viennent au Canada pour une réunion. Cette protection, lorsqu'elle est offerte, doit également l'être dans un cadre respectant la constitution canadienne, le droit de manifester et le droit des citoyens à mener leurs activités. Il s'agit d'un équilibre que le projet de loi cherche à atteindre et qui, je pense, a été atteint à Québec.

Vous avez mentionné Seattle. Les terribles événements de Gênes où il y a eu mort d'homme viennent également à l'esprit. Grâce à la façon dont notre police est formée et fonctionne, nous n'avons pas eu à faire face à ce genre de chose ici au Canada. Je ne pense pas que nous aurons jamais à y faire face, du fait de la formation poussée de notre police et du cadre de travail au sein duquel elle fonctionne.

Je pense que notre police est respectueuse des droits des citoyens et, dans le cas où quelqu'un serait blessé, il est également possible de recourir à notre système judiciaire. Comme vous le savez, une action en justice a été entreprise auprès des tribunaux du Québec après le sommet de Québec. En fait, cette action a fait l'objet d'un non-lieu car le tribunal a estimé que les allégations présentées n'étaient pas correctes, mais une action a quand même été intentée. Les Canadiens ont toujours la possibilité d'entreprendre une action en justice afin de demander des comptes à la police si celle-ci a outrepassé ses droits.

Pour ce qui est de la surveillance parlementaire ou de la surveillance gouvernementale directe, je me tourne vers M. Kennedy.

M. Paul E. Kennedy, sous-solliciteur général adjoint principal, Secteur de la police et de la sécurité, ministère du Solliciteur général du Canada: En ce qui concerne ce problème, le rapport indique clairement qu'il n'existe pas de réel changement en ce qui a trait aux pouvoirs de la police. Nous essayons de clarifier un point pour ce qui est de l'accès ou de l'évacuation. Quant aux événements du type de celui de Seattle, nous avons connu Windsor et Québec depuis lors, ainsi que d'autres événements du même genre partout dans le monde. Au Canada, il existe un équilibre des pouvoirs relativement étendu pour protéger une personne qui estime que ses droits ont été bafoués. En ce qui concerne les activités de la GRC, vous pouvez porter plainte auprès de la Commission des plaintes du public contre la GRC. Les mêmes procédures existent dans chaque province pour chaque force de police. Elles peuvent toutes être utilisées par le public.

Il a été fait mention du fait que des accusations civiles et criminelles peuvent être portées. Les gens peuvent accuser un agent de police d'infraction criminelle dans le cadre d'un procès civil s'ils estiment qu'ils ont été agressés ou maltraités. En fait, ils utilisent cette possibilité. Au sein de la force de police elle-même, il existe des procédures disciplinaires internes, en termes de guides de politique et de conduite, permettant de sanctionner les membres. À ce propos, il existe une structure très élaborée, qui est bien développée et mise en place dans une démocratie et permet aux gens de soulever ces questions.

Pour ce qui est de la GRC, une fois qu'une plainte a été déposée, la machine complète peut se mettre en marche. En ce qui touche l'enquête liée à l'APEC, le processus est allé relativement loin. Cela montre qu'il existe un examen de surveillance et un suivi approfondis de toute question concernant la façon dont ces choses se déroulent réellement. De toute évidence, les ministres font des comptes rendus devant leurs collègues lors des séances de Questions orales. Ils rendent aussi compte à un certain nombre de comités parlementaires chaque année, en termes de Budget principal des dépenses et sujets équivalents, lorsque ces questions sont soulevées. Je pense que les règlements autorisent également les comités à inviter de leur propre chef les ministres afin de leur demander des justifications sur quelque sujet que ce soit. Que ce soit dans les textes de loi ou au sein de l'appareil judiciaire, nous sommes assujettis à une gamme impressionnante de responsabilités et de mécanismes de surveillance qui ont été mis en place, ainsi qu'à vos propres possibilités de contrôle.

M. Graham: En ce qui concerne l'autre question où l'immunité diplomatique a fait l'objet d'une utilisation abusive par un chauffeur en état d'ébriété, mon prédécesseur, M. Manley, a clairement déclaré lorsque cet incident s'est produit que la violation des conditions dans lesquelles les diplomates bénéficient de leurs privilèges ne serait pas tolérée, et que leurs privilèges seraient annulés dans le cas où ils se conduisent d'une manière contraire à la loi canadienne. La politique de notre ministère est très stricte à ce sujet. J'ai l'intention de continuer à suivre cette procédure. Il m'incombe de répondre aux questions de la Chambre sur ce sujet et je suis responsable devant les comités. Je suis heureux de me présenter devant ce comité dès que l'occasion se présente. J'espère avoir une autre occasion de pouvoir le faire. Si vous avez des inquiétudes concernant l'application du projet de loi, je me ferai un plaisir d'y répondre.

Le sénateur Stratton: Je suis curieux de savoir, maintenant que le premier ministre ne se trouve plus en Russie, ce qui se passe dans le cas particulier de ce diplomate. Quel est son statut?

M. Graham: Le procès est en cours.

M. Keith Morrill, directeur adjoint de la Section du droit criminel, des privilèges et immunités, Direction des Affaires juridiques, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: Nous nous attendions à ce que le procès ait lieu la semaine dernière et cette semaine. Toutefois, pour des raisons administratives relatives aux lois russes, il a été ajourné d'un mois. Il est prévu qu'il commence le 12 mars devant les tribunaux à Moscou.

Le sénateur Stratton: Pensez-vous en toute confiance que, dans ce système, justice sera faite?

M. Morrill: Il s'agira d'une décision prise par les tribunaux. Tout indique que les procureurs russes prennent le dossier très au sérieux. Ils ont fait des efforts importants pour réunir les documents appropriés afin de pouvoir procéder aux poursuites judiciaires. Dans ce cas, nous sommes absolument convaincus qu'ils traiteront cette affaire d'une manière appropriée.

Le sénateur Stratton: Combien de temps durera le procès avant de donner lieu à un verdict? En avez-vous la moindre idée?

M. Morrill: Je ne suis pas certain. Je crois comprendre qu'il devrait durer deux semaines.

Le sénateur Stratton: Pour finir, monsieur le ministre, vous ne cautionneriez pas une modification de la loi où le Parlement, qui devrait pouvoir effectuer un suivi détaillé, recevrait des rapports une fois par an sur le sujet, au moins pendant les cinq premières années?

M. Graham: Je n'aime pas utiliser l'excuse du risque de dérapage, mais le Parlement adopte de nombreuses lois pour lesquelles il effectue un suivi détaillé en tous temps. Je suis présent là-bas à la Chambre. Il s'agit là du processus politique.

Le sénateur Stratton: Votre réponse est-elle négative?

M. Graham: À l'heure actuelle, j'hésiterais à accepter.

Le président: Je rappelle aux membres qu'à 17 heures, M. Borovoy de l'Association canadienne des libertés civiles va nous rendre visite.

Le sénateur Corbin: Monsieur le ministre, je souhaite également vous féliciter.

Je voudrais parler du droit de manifester. Je ne suis plus très jeune, mais je dois dire que j'éprouve de la compassion pour la jeune génération qui n'est pas d'accord avec la politique gouvernementale ou avec la politique des organisations mondiales, que ce soit l'OMC, le FMI ou la Banque mondiale. Les membres de cette génération s'inquiètent de l'évolution de la situation dans les nations les plus pauvres.

Je ne vais pas parler des personnes qui utilisent des battes de base-ball armées de pointes, mais plutôt de celles qui emploient des processus légitimes. Je pense que les mesures policières mises en place pour assurer le bon déroulement des conférences et protéger les personnes sont le résultat des décisions de la police elle-même. Je trouve qu'elles sont excessives dans de nombreux cas. Il y a une chose que je n'arrive pas à comprendre: comment des individus qui viennent ici non pas pour participer à des manifestations civiles pacifiques, mais pour commettre des actes de violence sont-ils autorisés à entrer dans le pays, alors que nombre d'entre eux sont bien connus? J'ai l'impression que le gouvernement n'écoute plus et ne veut pas écouter. Ceci m'inquiète profondément. J'essaye de me tenir au courant de ce qui se passe lors des réunions les plus importantes qui se déroulent dans le monde entier. Si la jeune génération ne peut pas faire passer son message aux gens sans être intimidée par des clôtures de barbelés de 10 pieds ou je ne sais quoi encore, comment est-il possible de se mettre à son niveau et de l'écouter?

Il existe dans ce cas une dichotomie entre la protection des PDM et le manque de compréhension des inquiétudes de la jeunesse mondiale d'aujourd'hui et des nations les plus pauvres. Il existe là un grand décalage. Cela me dérange et dérange de nombreuses personnes. De nombreuses personnes sont furieuses de par le monde. Elles n'ont pas l'intention de se munir de battes de base-ball armées de pointes, mais veulent faire entendre leurs voix et demandent des réponses de la part des gouvernements. Comment comptez-vous gérer cela en tant que ministre, dans le contexte de ce type de loi, des lois antiterroristes, etc.?

M. Graham: Vous avez mis le doigt sur une question extraordinairement importante dans la société moderne. La plupart de ce que je vais vous dire se base sur ma propre expérience à Québec. Un grand nombre de mes propres électeurs — dont certains ne sont pas particulièrement jeunes, certains étant de mon âge — se trouvaient à l'extérieur en train de manifester, en particulier les écologistes et d'autres personnes très inquiètes à propos de certaines questions. Je suis d'avis que les personnes ont parfaitement le droit de manifester et que leurs voix doivent être entendues. Je suis totalement d'accord avec cela.

Lors du sommet de Québec, le gouvernement a fait un effort extraordinaire, à la fois avant et pendant le sommet, pour écouter les voix des citoyens. Nous avons mis en place un programme de sensibilisation poussé destiné aux jeunes, auquel ont participé des groupes autochtones et de nombreuses ONG. J'ai eu le privilège de présider une série de réunions avec les ministres et les ONG. Pendant le sommet lui-même, j'ai présidé une réunion à laquelle participaient autour d'une même table 75 ONG canadiennes et internationales et 18 ministres des Amériques. C'était la première fois qu'un tel processus avait lieu. Des questions ont été posées aux participants, exactement comme vous me posez des questions en ce moment, comme par exemple: «Que ferez-vous à propos de ceci ou de cela?» Certaines de ces personnes étaient jeunes et il y avait des représentants des églises. Il s'agissait d'un groupe représentant de nombreux secteurs. C'est un modèle que j'aimerais essayer de continuer à utiliser. Chaque fois que cela est possible lorsque nous avons affaire à des organisations internationales, nous devrions nous assurer que certains de nos représentants aient la chance d'écouter ce que nous appelons la société civile. Cela est très important.

Je ne suis toutefois pas sûr que cela soit possible lors d'une réunion comme celle du G8, du fait de la nature des dirigeants présents. Cela a fonctionné sans aucun doute à Québec et je voudrais me pencher sur la possibilité de renouveler l'expérience. C'est ce que nous essayons de faire au Canada. À propos, le président argentin de l'époque — et cela est dommage car le régime a changé depuis lors — avait promis que, lorsque l'Argentine accueillerait le Sommet des Amériques, les mêmes efforts seraient entrepris là-bas. Le Canada a été un chef de file de ce mouvement. Toutefois, les choses sont difficiles. La solution adoptée à Québec de l'établissement d'un périmètre de sécurité a, semble-t-il, permis la tenue des déclarations et le bon déroulement des activités au sein de ce périmètre sans que la sécurité des visiteurs ne soit menacée, mais tout en permettant en même temps l'accès au sommet. Il s'agit ici plus d'un problème concernant la police. Je vais demander à M. Kennedy de parler de cet aspect des choses.

M. Kennedy: Votre question comprend en fait un message sous-jacent. Nous avons à faire face à ces individus qui viennent à des réunions, comme vous l'avez indiqué, avec l'intention de mal faire et veulent faire des ravages et non pas manifester ou exprimer leur désaccord de manière légitime. Une coopération interorganisation poussée existe, par exemple entre la GRC, le service de renseignements, Citoyenneté et Immigration Canada, Douanes Canada, etc. Au niveau de nos frontières au moins, si des individus participant à des actes violents ou d'autres types de manifestations — et il semble qu'ils soient légion de par le monde — peuvent être identifiés au point d'entrée, ils se voient refuser le droit d'entrer au Canada. Ils sont fouillés pour voir s'ils transportent des objets pouvant être illégaux. En clair, ces choses ont eu lieu par le passé. Une partie des efforts entrepris lors du Sommet des Amériques a été ce type de coopération interorganisation qui a empêché un certain nombre de personnes de franchir la frontière et qui a permis de confisquer ces objets. Nous sommes en démocratie et nous comptons bien préserver la démocratie. Vous voulez pouvoir manifester de la façon que vous avez indiquée, mais sans que la violence ne soit associée à ce type de manifestation. C'est en fait ce qui se passe.

En ce qui concerne les moyens employés, les différents sites où nous sommes présents ne sont pas exactement identiques. Chacun est un cas différent. Windsor était beaucoup plus modeste en termes de type d'actions nécessaires pour assurer la sécurité des dignitaires en visite. Québec a eu son propre modèle; il est à supposer que Kananaskis et d'autres lieux suivront d'autres modèles. Chacun de ces événements est un cas différent et il faut garder à l'esprit qu'il est impératif que les droits de chacun puissent être respectés. Oui, il s'agit d'un équilibre délicat. Chaque cas est spécifique dans sa façon d'être exécuté et mené à bien.

Le sénateur Andreychuk: Monsieur le ministre, je vous adresse mes félicitations pour votre nomination. Vous recevez un appui solide de la part de ce côté de la table, car nous avons eu la chance de travailler avec vous et nous espérons pouvoir continuer à travailler avec vous dans le même esprit.

M. Graham: Je vais en profiter tant que cela durera.

Le sénateur Andreychuk: Je suis sûre que cela va durer.

J'ai hâte de travailler avec vous comme ministre car je sais, suite aux conversations et réunions que nous avons eues précédemment, que vous soutenez le ministère et le besoin de reconnaissance qui doit être apporté à la fois au développement des agents de carrière au sein du ministère et à leurs salaires par rapport à ceux d'autres corps de métier. Ce sujet a malheureusement été négligé et je m'attends à ce que vous portiez la plus grande attention aux actions devant être entreprises dans ce ministère. Je pense que c'est le point de départ d'une bonne diplomatie. Je tenais à le souligner.

M. Graham: Envisagez-vous de retourner dans le corps diplomatique?

Le sénateur Andreychuk: Non. Je peux le dire librement et clairement à présent. Je pense que je sais de quoi je parle lorsque je vous dis combien ce sujet est important.

Peut-être du fait de mes expériences antérieures, je désire revenir sur les deux sujets qui ont été abordés par mes collègues de ce côté. La définition du terme «organisation internationale» est si vaste que je ne suis pas aussi à l'aise que vous que son identification soit régie et contrôlée par le gouverneur en conseil. Même si je pense que le gouvernement considérera cette définition avec prudence au début, il s'agit d'une définition très vaste qui s'applique à tous les types de réunions intergouvernementales que nous pouvons envisager, à tous les types d'associations qui peuvent exister et à tous les embryons d'organisations qui voient le jour. Ce n'est pas que nous ne devrions pas avoir ce genre d'activités. En fait, nous devrions encourager plus de dialogues bilatéraux, régionaux et multilatéraux. Toutefois, si nous autorisons les personnes appartenant à ces organisations à venir au Canada avec une immunité diplomatique complète — ce qui doit, si je comprends bien, être le cas, avec quelques restrictions mineures — nous nous exposons à accueillir une foule de gens dans ces nouveaux domaines qui fleurissent de partout, qui ne seront pas des diplomates au sens traditionnel. Ces personnes agiront sous couvert de l'immunité diplomatique. Sommes-nous bien préparés pour comprendre qui sont ces gens qui viendront dans le cadre de ces organisations internationales au sens large? De toute évidence, le G8 n'est pas le type d'organisation que je vise, mais je voudrais un peu plus d'assurance que le simple suivi détaillé d'une réglementation pour identifier ce qu'est une organisation.

De quelle manière pratique vous assurerez-vous que les professionnels et les personnes de haut rang bénéficient de l'immunité diplomatique, contrairement à ceux qui, d'un autre côté, ne comprennent peut-être pas entièrement quelles sont leurs obligations lorsqu'ils pénètrent dans le monde diplomatique? Je ne suis pas inquiète à propos des ministres en tant que tels. Toutefois, cette question me trouble.

Je comprends bien pourquoi nous devons aller au-delà des organisations établies par un traité, mais je pense qu'ouvrir les vannes en grand et dire que le flot sera contrôlé par le gouverneur en conseil n'est pas une manière appropriée d'agir. J'avais espéré que vous auriez accordé quelque réflexion au sujet du type d'organisation entrant en jeu, afin de nous rassurer à ce propos.

Chaque fois que nous organisons une conférence comme celle de l'APEC ou celle de Québec, les ministres tels que vous-même ou le premier ministre sont naturellement soumis à une certaine tension. D'une part, vous voulez organiser le meilleur G8 ou APEC qui soit. Pour cela, vous devez avoir la meilleure participation possible. Certains de nos collègues ne sont pas sur la même longueur d'onde que nous en ce qui concerne la démocratie et les principes de bon gouvernement.

Nous souhaitions vraiment que l'Indonésie participe à l'APEC. Il était important que l'APEC soit au complet, ce qui signifiait que l'Indonésie devait absolument participer. Certains pays exigent certaines mesures de sécurité pour faire le déplacement. Une pression démesurée s'exerce sur notre gouvernement pour apaiser leurs craintes quant à leur sécurité. Cette tension sera exacerbée par le fait que nous allons maintenant organiser des conférences avec des organisations autres que les organisations traditionnelles qui avaient l'habitude de participer.

Dans le cas de l'Indonésie, il y a eu suffisamment de personnes au sein et en dehors du Parlement pour dire que nous ne devrions pas renier notre droit à la libre expression et que nous ne devrions pas céder aux exigences de ce pays qui désirait ne pas être confronté à des Canadiens susceptibles de dire des choses que les Indonésiens ne voulaient pas entendre. Nous avons essayé de trouver un équilibre dans ce cas précis.

Il est clair que nous allons exacerber la tension s'exerçant sur le gouvernement. Comment allez-vous gérer ces choses dans la pratique?

M. Graham: En ce qui concerne la première question portant sur les organisations traditionnelles, il s'agit des «organisations intergouvernementales». Il est clair que nous ne pouvons pas prendre un décret en conseil pour octroyer l'immunité diplomatique à n'importe quel groupe de gens. Cette mesure ne s'applique qu'aux organisations intergouvernementales.

Le sénateur Andreychuk: Il y en a des milliers.

M. Graham: Oui, il y en a beaucoup, mais comme je l'ai dit dans mes commentaires de présentation, nous vivons dans un monde extrêmement complexe et interdépendant qui nécessite tout un nouvel ensemble de compétences et d'organisations.

Je pense que vous connaissez le Conseil de l'Arctique, qui comprend à présent des représentants autochtones dans une assemblée qui était auparavant exclusivement réservée aux gouvernements. C'est une bonne chose. Vous serez probablement d'accord que, dans la gestion des affaires internationales d'aujourd'hui, nous nous trouvons dans un monde nouveau, très éloigné de l'idée statique selon laquelle l'État-nation est le seul interlocuteur méritant d'être reconnu. Il existe des groupes confessionnels et de nombreuses organisations internationales qui influencent l'orientation des relations internationales et nous devons faire preuve de suffisamment de souplesse pour les inclure dans les processus de négociations qui permettent au Canada de participer pleinement à ce monde.

Je ne pense pas que cela sera un problème. La loi s'appliquera aux organisations intergouvernementales. Il n'y a pas de risque de dérapage et elle ne s'appliquera pas aux organisations non appropriées. Je suis d'accord avec vous que l'un des problèmes auquel nous avons à faire face en tant que gouvernement et pays est que, parfois, des négociations s'engagent avec des personnes ne partageant pas nos valeurs et nos normes ou qui critiquent les organisations qui ont existé par le passé.

Vous vous souvenez sans doute qu'au moment des réunions de la Francophonie et de l'APEC, certains participants ont émis des critiques. En tant que société, nous devons trouver un équilibre entre le dialogue avec des personnes que nous n'apprécions pas, dans le but d'atteindre nos objectifs de construction d'un monde meilleur, et le refus d'accueillir certaines organisations. C'est le type de choses que nous apprenons au fur et à mesure. L'APEC nous a appris beaucoup, de même que toutes les autres réunions que nous avons organisées. Je pense que nous avons de bons antécédents, non seulement sur l'aspect concernant les pouvoirs de la police, mais aussi sur la dimension politique de gestion de ces réunions.

M. Morrill: Pour parler en termes plus techniques, il est vrai que nous changeons la définition du terme «organisation internationale» dans le projet de loi. Il est peut-être utile de rappeler la définition qui existe actuellement. À l'heure actuelle, le terme «organisation internationale» désigne toute organisation intergouvernementale qui regroupe deux états ou plus. Lorsque cette définition a été adoptée, à peu près équivalente bien que légèrement plus large que celle existant dans les lois précédentes, le point de vue des rédacteurs de la loi n'englobait pas les organisations non établies par un traité. Je peux dire cela avec quelque certitude car, en 1988, un ordre a été adopté dans le cadre de la loi précédente, la Loi sur les privilèges et immunités des organisations internationales, pour le sommet du G7 organisé cette année-là à Toronto. Quelqu'un avait formé un recours devant le tribunal pour essayer d'exclure Mme Thatcher, mais le tribunal a déclaré qu'elle jouissait de l'immunité.

Comme le ministre Graham l'a dit, le Comité mixte permanent du Sénat et de la Chambre des communes sur l'examen de la réglementation a décidé au milieu des années 90, en se basant sur son interprétation du sens général de la définition d'une organisation intergouvernementale en droit international, que celle-ci ne pouvait s'appliquer qu'à une organisation établie par un traité.

À cette époque, on aurait pu débattre sur le fait que des entités telles que l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) soient en fait réellement des organisations. Personnellement, j'ai toujours pensé que c'était le cas. Toutefois, de toute évidence, même si je ne suis pas d'accord avec le comité mixte, celui-ci a raison. Il est certain que si une telle entité peut arriver à cette conclusion, un juge canadien peut faire de même. Il était important de clarifier cette question.

Je n'irai pas jusqu'à dire que cette modification de la définition va s'accompagner d'un changement important en pratique. Elle est conçue pour que nous puissions répondre aux nouvelles sortes d'organisations, telles que l'OSCE ou le G8 et, à mon avis, elle représente moins un changement de politique qu'une réponse nécessaire au point de vue supposé du Comité mixte permanent sur l'examen de la réglementation.

Nous n'adoptons pas de tels ordres à la légère. Il s'agit de documents importants pouvant avoir des répercussions sur les droits des Canadiens et cette procédure est prise très au sérieux. Un certain nombre de réunions sont organisées très régulièrement pendant lesquelles aucun ordre n'est adopté. Des ordres pourraient être adoptés, mais l'analyse montre que cela n'est pas nécessaire.

Pour parler en tant que bureaucrate sous-payé du ministère des Affaires étrangères, lorsque nous pouvons nous passer d'adopter un tel ordre, nous sommes ravis de le faire. Notre but n'est pas d'ouvrir les vannes en grand et d'adopter des ordres pour tout un chacun. Nous n'en adoptons que rarement. Seulement un ou deux par an.

Le sénateur Andreychuk: J'aimerais une réponse écrite à la question suivante: Dans quelle mesure les pays et les représentants venant d'autres pays pour participer à ces réunions peuvent-ils apporter leurs propres armes et leurs propres services de sécurité? J'aimerais une mise à jour sur ce sujet. Quelles armes, quel matériel et quel personnel chargé de la sécurité peuvent-ils faire entrer au Canada?

M. Graham: C'est une très bonne question. Nous fournirons une réponse au comité.

Le sénateur Graham: Je ne sais pas combien de fois je dois féliciter l'oncle Bill pour sa nomination. Je suis particulièrement enchanté qu'il ait à présent assez de personnel pour pouvoir retenir à l'avance son propre hébergement lors des conférences internationales, contrairement à celles auxquelles nous avons participé par le passé, où il s'arrangeait en général pour arriver avant moi et prendre la chambre qui m'avait été réservée. Je suis sûr qu'il va bénéficier d'un environnement beaucoup plus fastueux qu'auparavant.

M. Graham: C'était la seule façon pour moi d'obtenir une suite.

Le sénateur Graham: Le sénateur Andreychuk a encouragé M. Morrill à demander une augmentation. Elle a également insisté pour que je pose une question concernant l'APEC, pas nécessairement sur le problème spécifique soulevé par l'Indonésie à l'époque, mais plus généralement pour savoir si le sommet de l'APEC aurait été géré autrement qu'en 1997 en ce qui concerne la sécurité, si le projet de loi C-35 avait fait partie des lois du pays cette année- là.

M. Graham: M. Kennedy a plus d'expérience que moi sur ce sujet et je vais donc le laisser vous en parler. Juste en première analyse, les réunions internationales nécessitent une collaboration poussée entre diverses forces de police pour pouvoir se dérouler sans encombre. Pour le sommet de l'APEC à Vancouver, sans aucun doute, d'autres forces de police ont épaulé la GRC. Un point qui est clair dans la loi proposée est que la GRC a le rôle de chef de file en ce qui concerne la responsabilité d'organiser de tels événements. Peut-être désirerez-vous me corriger, monsieur Kennedy, mais il peut exister de petites différences. Je pense que le rôle de chef de file a été accordé à la GRC par l'administration municipale, mais cela élimine toute sorte de discussion. C'est un des aspects.

J'ose espérer que nous avons acquis de l'expérience lors du sommet de l'APEC et que la police et chacun d'entre nous avons tiré des leçons des pratiques policières, qui permettent de nous aider à éviter des problèmes tels que ceux survenus lors de ce sommet. M. Kennedy a mentionné Windsor et Québec, où le type de problèmes rencontrés à Vancouver a été évité. Toutefois, la vie est continuellement parsemée d'expériences dynamiques et nous apprenons toujours de nouvelles choses.

M. Kennedy: Sans aucun doute, nous vous avons indiqué que l'article 5 ne change rien aux pouvoirs en common law. Nous ne parlons pas d'un renforcement des pouvoirs. La police d'aujourd'hui aurait eu les mêmes pouvoirs qu'en 1997. Vous parlez en fait de la façon dont les pouvoirs sont exprimés et comment la situation particulière à laquelle vous êtes confronté est gérée.

Le ministre a raison lorsqu'il parle des leçons à tirer de chaque événement. Considérez la dynamique particulière du sommet de l'APEC, puis juste après, celle de Seattle. Comparez la façon dont l'APEC et Seattle ont été gérés, et vous noterez que l'expérience canadienne était sans doute meilleure que l'expérience américaine.

La réunion à Windsor des ministres des Affaires étrangères de l'Organisation des États américains s'est mieux passée et, bien entendu, en comparaison, le sommet de Québec s'est assez bien déroulé. Un rapport provisoire a été rédigé par M. le juge Hughes concernant l'APEC et nous attendons le rapport final. Le Commissaire de la GRC a toutefois clairement indiqué qu'il acceptait toutes les recommandations concernant la façon dont la GRC devrait exercer ses fonctions particulières. Le juge Hughes a également indiqué que, selon lui, au moment où il avait fait cette analyse, la police avait changé ses pratiques du point de vue de l'organisation de sa réponse à ces événements particuliers. Il a indiqué que la police avait déjà tiré des leçons des événements passés et agi en conséquence.

Le phénomène des manifestations dont vous avez parlé a commencé à voir le jour sur la scène mondiale à peu près au moment du sommet de l'APEC, mais il est encore plus important de noter qu'il a continué ensuite à Seattle, Washington, Gênes, etc. Vous pouvez aller à n'importe quel endroit du globe et constater combien ce mouvement a pris de l'ampleur. Notre comparaison s'établit entre l'APEC, Windsor et Québec, et représente un contraste marqué avec le succès ou le manque de succès obtenu dans les autres juridictions.

Le commissaire a clairement indiqué que la GRC a changé ses pratiques. Il existait à l'époque des problèmes d'organisation et ceux-ci ont été résolus. C'est pourquoi les résultats ont été meilleurs par rapport à ceux de nos collègues internationaux.

Le sénateur Graham: Si la clause 5 attribue la responsabilité première à la GRC, quelles en seront les répercussions sur les autres services de police?

M. Kennedy: Cette question a déjà été soulevée. De fait, pendant ces événements il y a beaucoup de coopération entre la GRC et les autres services de police locaux. Dans la ville de Québec, quatre services de police assuraient le maintien de l'ordre: la Sûreté du Québec, la police municipale de Québec, la police de Sainte-Foy et la GRC. À chacun de ces sites, on observe un travail de collaboration entre tous ces services de police. Cette collaboration continuera. C'est à la GRC que revient déjà la responsabilité première de protéger les personnes jouissant d'une protection internationale, cette responsabilité découlant des dispositions établies aux termes de la Loi sur les infractions en matière de sécurité. Ces dispositions étaient en vigueur et n'ont eu aucun effet sur la manière dont nous remplissons nos fonctions.

Puisque nous sommes sur le sujet, nous préciserons que responsabilité première ne signifie pas responsabilité unique. Pour répondre aux préoccupations de ceux qui pensent que «unique» signifie occuper toute la place, nous avons emprunté les termes mêmes de la Loi sur les infractions en matière de sécurité qui attribuent à la GRC la responsabilité première de toute attaque subie par les personnes jouissant d'une protection internationale ou de toute menace pouvant porter atteinte à la sécurité du Canada. Les mêmes termes ont été importés dans la clause 5 de l'alinéa 10.1(4) dans la nouvelle section. C'était un travail de collaboration. On ne peut pas le faire seul. La GRC ne peut pas le faire seule. Cette obligation existe au niveau fédéral par traité aux termes des Conventions des Nations Unies ainsi qu'en matière de législation nationale. Nous venons de la traduire dans ce texte.

Le président: Je vais devoir mettre fin à cette séance incessamment.

Le sénateur Graham: On peut répondre à ma question par oui ou par non. Dans la ville de Québec, on comptait quatre services de police, GRC comprise. Aux termes de la clause 5 de ce projet de loi, la GRC aurait la responsabilité première. Imaginons une situation où est apparue une différence d'opinion entre les différents services de police. Comment devra-t-on résoudre la situation? La GRC aura-elle le dernier mot?

M. Kennedy: La GRC a toujours eu le dernier mot en ce qui concerne la protection des personnes jouissant de la protection internationale. Dans ces sites, on définit des zones. Les personnes jouissant de la protection internationale sont dans la zone interne; c'est pour remplir cette responsabilité première que la GRC est chef de file. Les autres zones du site sont gérées par un dialogue avec les autres services de police.

Le sénateur Austin: Monsieur Graham, félicitations pour votre nomination. Vous avez inspiré les étudiants en droit qui aspirent à des carrières dans les affaires internationales.

Je voudrais discuter la question du personnel de sécurité étranger et vous demander d'ajouter à votre documentation auprès de ce comité la désignation spécifique d'autorité législative sous laquelle ces personnes entrent au Canada. Je suppose que vous avez l'intention de leur accorder l'immunité diplomatique si leur chef — les personnes qu'ils protègent — bénéficient eux-mêmes de l'immunité diplomatique.

Je me pose la question relativement à des situations comme celle qui s'est produite à Londres il y a quelques années, quand des membres du personnel de sécurité de l'ambassade iranienne ont ouvert le feu sur des manifestants qui s'étaient réunis devant l'ambassade. Ce n'est pas vraiment susceptible de se produire, mais que se passerait-il si un membre du personnel de sécurité étranger blessait quelqu'un ou était responsable d'un décès? Bénéficierait-il ou elle d'une protection diplomatique? Pourrait-il ou elle partir? Pourriez-vous étudier ce point dans une lettre?

Le président: Je crois qu'il s'agissait de l'ambassade libyenne.

Le sénateur Austin: Non, c'était l'ambassade d'Irak.

M. Graham: Nous pouvons répondre par lettre. D'après ce que je sais, lorsqu'une délégation arrive à une réunion internationale organisée au Canada, cette délégation présente une liste de personnes qui accompagnent et à qui seront accordés ces privilèges et ces immunités. Le Canada est toujours libre de les refuser à qui que ce soit sur la liste. Nous avons notre propre capacité de juger dans quelle mesure il est désirable de faire bénéficier les personnes sur la liste de l'immunité diplomatique. Ce type de concession temporaire envisagé dans ce projet de loi est différent de la situation normale quand quelqu'un élit domicile à Ottawa en tant que diplomate ordinaire, pouvant commettre, comme vous l'avez suggéré, une infraction de la loi canadienne.

Le sénateur Austin: En pratique internationale, le président des États-Unis voyage avec son propre personnel de sécurité, même en Chine. En ce qui concerne notre discussion, prenant comme hypothèse le cas de Kananaskis, des agents de sécurité américains armés feraient-ils l'objet d'immunité diplomatique? Leurs actes seraient-ils diplomatiquement protégés, pourraient-ils sortir du Canada et retourner aux États-Unis? C'est sur ce genre de problèmes que je vous prie de nous informer par écrit.

La deuxième question porte sur le mot «raisonnable» qui apparaît dans la clause 5 de la section proposée 10.1(2), la question du périmètre, «selon des modalités raisonnables dans les circonstances», j'imagine que, puisque c'est vous qui avez introduit ce mot, il est nécessaire conformément à la Charte. Par conséquent, j'imagine qu'il est justiciable. Autrement dit, vous pouvez faire un ordre en conseil d'une zone et quelqu'un peut demander au tribunal de déterminer si c'est raisonnable.

M. Graham: La même discussion a eu lieu devant le comité de la Chambre des communes, si je me souviens bien. D'après ce que je sais, la loi est soumise à l'examen habituel par le tribunal fédéral pour déterminer si tout exercice de pouvoir aux termes de cette loi est au-delà des compétences du gouvernement dans les circonstances. Dans ce cas, ils seraient soumis à une révision judiciaire soit avant soit après si quelque chose se produisait.

En ce qui concerne la police étrangère ou les agents étrangers au Canada, d'après ce que je sais, ils sont assermentés en tant qu'agents de police canadiens. On ne leur accorde pas l'immunité diplomatique, mais ils agissent comme des agents de police le feraient dans l'exercice de leurs fonctions au Canada et sont soumis aux contraintes habituelles de la loi canadienne dans l'exercice de leurs fonctions. S'ils font mauvais usage de ces fonctions, ils sont soumis à la même autorité judiciaire qu'un Canadien.

Le sénateur Austin: Pourrions-nous nous opposer à leur départ du Canada s'ils avaient commis une infraction au Canada?

M. Graham: Si un agent de police au Canada se rend coupable d'une infraction, il peut être arrêté; ces personnes sont dans la même situation. Ce ne sont pas des diplomates.

Le président: Au nom des membres de ce comité, monsieur le ministre, je vous remercie d'avoir pris le temps de nous informer. Votre présentation nous a vivement intéressés. Les questions et les réponses ont été utiles au comité.

M. Graham: Merci, Messieurs les sénateurs. J'apparaîtrai devant vous de nouveau avec plaisir.

Le président: Messieurs et mesdames les sénateurs, je souhaite la bienvenue à M. Alan Borovoy.

Monsieur Borovoy, je vous demanderai de formuler quelques commentaires relatifs au projet de loi C-35. Le comité vous en sera reconnaissant.

M. Alan Borovoy, avocat général, Association canadienne des libertés civiles: L'intérêt que porte l'Association canadienne des libertés civiles à ce projet de loi se limite à la question d'assurer la sécurité des conférences intergouvernementales. Nous ne nous occuperons pas des autres dispositions. Nous nous concentrerons uniquement sur celle-ci.

Le projet de loi C-35 semble avoir passé dans la Chambre des communes à toute allure pendant que la plupart de ceux qui s'intéressent à ces affaires examinaient le projet de loi C-36. Le fait est que quand nous avons examiné le registre, nous avons découvert qu'il n'y avait que deux témoins non gouvernementaux et qu'ils étaient là sur invitation spéciale, d'après ce que nous avons vu. Il y a peut-être d'autres éléments que nous n'avons pas pu relever sur le registre, mais nous n'avons pas été informés qu'il y avait une audience à la Chambre des communes, donc, nous voici. L'Association canadienne des libertés civiles estime depuis longtemps que la Chambre haute de notre système peut se montrer particulièrement utile quand il n'y a pas eu de véritable débat devant la Chambre des communes.

Pour en revenir aux mérites de ce projet de loi, la section clé, de notre point de vue, est celle qui accorde à la GRC l'autorisation de prendre ce que le projet de loi appelle «les mesures qui s'imposent», «dans la mesure et selon les modalités raisonnables dans les circonstances». Nulle part ce projet de loi ne tente de fournir des indications permettant d'interpréter cette terminologie. Nulle part ce projet de loi ne tente de définir tous les différents intérêts qui doivent être conciliés. Nous n'avons que ce qui est «raisonnable dans les circonstances».

Il est intéressant de noter que le comportement d'un inspecteur de la GRC a été mis en question dans le cadre de l'enquête Hughes sur les événements de l'APEC. L'inspecteur avait décidé d'enlever certains des placards de protestation qui étaient affichés à la conférence de l'APEC. Quand il a été interrogé à ce sujet lors l'enquête parlementaire, il a déclaré que dans son esprit, il tentait de définir ce qui était raisonnable dans les circonstances. En bref, il a repris les termes mêmes que le projet de loi utilise, pourtant il semble que l'enquête Hughes ait vu d'un mauvais œil la manière dont il a interprété ces mots dans le contexte de la situation à l'APEC.

Selon nous, ce projet de loi est défectueux non seulement parce qu'il ne fournit aucun critère de fond particulier mais aussi en raison de l'ampleur du pouvoir qu'il octroie à la GRC. La décision de limiter l'accès à des zones qui sont généralement accessibles implique plus que des considérations de sécurité. Il faut aussi tenir compte dans cette équation de beaucoup d'autres intérêts: les intérêts des propriétaires dont les maisons peuvent être affectées, des personnes d'affaires, des travailleurs, des touristes ainsi que ceux des protestataires et des manifestants.

Sauf en cas d'urgence, nous estimons qu'il n'est pas du ressort de la police dans une démocratie de se prononcer sur ces intérêts opposés. Selon nous, le rôle de la police est de faire respecter les décisions prises par les autorités compétentes et non de prendre ces décisions elle-même.

Toute décision prise par la GRC dans ce contexte est susceptible d'être perçue comme une tentative d'alléger le fardeau de son travail, de ses responsabilités. On peut comprendre cet intérêt et même les intérêts de sécurité plus importants, mais ces intérêts doivent être tempérés par rapport aux autres intérêts. Je vais citer un intérêt comme exemple: l'intérêt des manifestants. Je vais décrire l'intérêt légitime des manifestants tel que je le conçois. Ce faisant, je n'estime pas que le désir d'enfreindre la loi, même de manière non violente, était parmi leurs intérêts légitimes.

Selon nous, les intérêts légitimes des manifestants sont de créer une atmosphère de tension politique et de blâme pour les activités des politiciens qui font l'objet de leur indignation. Pour ce faire, ils doivent s'approcher autant que possible du centre d'action. De loin, on ne peut pas produire cette atmosphère de tension politique qui est un des intérêts légitimes des manifestants légaux.

Voici une situation dans laquelle les manifestants désirent s'approcher autant que possible du centre d'action. Les agents de la GRC auront souvent l'idée qu'il y va de leur propre intérêt d'éloigner les manifestants autant que possible afin de faciliter leur travail de réglementation de la circulation et du maintien de l'ordre. L'un des groupes veut s'approcher, l'autre désire l'éloigner.

Un de mes amis a eu ce mot très juste. Il a dit que dans une démocratie, personne ne devrait arbitrer son propre jeu. Par conséquent, selon nous, la décision consistant à déterminer si les manifestants doivent être loin ou près ne relève pas de la GRC ni d'un autre service de police. Sauf en cas d'urgence, cette décision ne devrait pas faire partie de son rôle.

En première instance, nous estimons que cela devrait constituer une décision politique. Un ministre du cabinet doit définir le périmètre, puis décider jusqu'où les manifestants peuvent s'avancer. Le ministre pourrait consulter la GRC ainsi que tous les autres services de police impliqués, puis tenter de concilier les conflits qui peuvent exister. C'est seulement en première instance. Si c'est seulement une décision politique, même là, on percevra que les décisions politiques ou ministérielles ont été davantage influencées dans leur interprétation des critères prescrits par la loi par ce qui est populaire que par ce qui est juste. C'est pourquoi la décision ministérielle devrait, à son tour, faire l'objet d'une autorisation judiciaire.

Je remarque que dans la plupart des cas, les conférences intergouvernementales sont planifiées des mois avant qu'elles aient lieu. Bien que ce ne soit pas souvent le cas, il faut prévoir une dispense pour les cas d'urgence. Par contre, dans la plupart des cas, il est possible d'être prévenu à l'avance. Il incombe donc au ministre de déterminer comment harmoniser les différents intérêts, de rendre la décision publique, puis d'aller au tribunal et d'écouter les arguments des différentes parties, y compris ceux de la GRC et de la police.

Voici, selon nous, la manière correcte de rendre une décision relative à la question très complexe de déterminer quel doit être le périmètre et jusqu'à quel point, le cas échéant, il est approprié de limiter l'accès aux citoyens de ce pays à des zones qui leur sont habituellement accessibles.

Le projet de loi devrait contenir des critères de fond particuliers qu'il n'a pas à présent et il devrait prévoir une prise de décision par des organes autres que la police. La police devrait avoir l'occasion d'exprimer ses vues, mais ne devrait pas avoir à prendre ces décisions. Ces arguments sont présentés, comme toujours, en toute déférence, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Borovoy.

Le sénateur Andreychuk: Monsieur Borovoy, si je vous comprends bien, vous estimez que les pouvoirs accordés à la police devant être exercés selon des modalités raisonnables dans les circonstances sont plus larges que nécessaires et que la décision devrait être prise au niveau politique et non par la police.

Vous avez une bonne compréhension du droit, j'ai sous-estimé votre compétence mais je ne voulais pas vous mettre dans une situation difficile.

La plupart du temps, la police se trouve impliquée dans une situation. Dans le code criminel, on voit de nombreuses situations dans lesquelles la police doit exercer son caractère raisonnable. Il y a les situations d'urgence et les situations de crise. Les tribunaux ne se mêlent pas d'essayer de deviner les intentions de la police, car à ce point, il incombe à un homme ou une femme de prendre une décision et d'exercer son pouvoir raisonnablement, compte tenu d'une certaine tolérance.

Sur ce point, je vous comprends. Beaucoup de ces décisions sont des questions de long terme qui ne devraient pas être laissées entre les mains de la police. Comment organiser une conférence qui se déroule sans heurt? Choisissons- nous un périmètre de deux îlots? De trois îlots? Ce n'est pas un bon exercice de sécurité. Cela devient plus qu'une question de sécurité. Est-ce correct?

M. Borovoy: Oui, c'est le type de décision qui est entièrement différent de «Arrêtons-nous ce type qui vient de faire quelque chose qui est peut-être illégal?» Une telle décision doit être prise dans des situations d'urgence. Mais dans le plus grand nombre de cas, on a la possibilité d'y réfléchir. Il ne s'agit pas de faire une arrestation dans une situation où il faut prendre une décision opportune. Il s'agit là de limiter l'accès du public à des zones normalement ouvertes au public. Cela touche de nombreux droits et intérêts et non seulement les intérêts de sécurité, aussi importants qu'ils soient.

Le sénateur Andreychuk: Le ministre a indiqué que la Charte canadienne des droits et libertés s'appliquerait dans ce cas et cela l'a rassuré. Si nous limitons indûment la liberté d'expression, les tribunaux pourront intervenir aux termes de la Charte. Selon moi, je peux me tromper, les tribunaux décident de manière presque administrative si la police se conforme à l'esprit de la loi plutôt que de se livrer à une évaluation judiciaire complète. Êtes-vous d'accord avec moi ou pensez-vous que les tribunaux auraient toute possibilité de communiquer leur décision et leur opinion concernant ce qui constitue un périmètre juste, par exemple, contrairement à simplement juger si la police a exercé son jugement impartialement?

M. Borovoy: Le problème que soulève la réponse du ministre est qu'elle n'est pas adaptée aux réalités de ce qui se produit pendant ces conférences. La police établit un périmètre. Le projet de loi ne contient rien que je sache obligeant qui que ce soit à donner un préavis au public sur ce que constitue le périmètre et à définir exactement comment les droits des différents intervenants seront affectés par cette décision. Dans la grande majorité des cas, il n'y aura pas suffisamment d'informations pour s'adresser au tribunal avant la fin de la conférence. C'est dans le meilleur des cas. Cela s'appelle une défense rétroactive de nos droits. Puisqu'il y a la possibilité de le faire dans la grande majorité des cas, nous préconisons d'exiger un préavis parce que c'est une partie exigée de la procédure d'obtention de l'autorisation judiciaire quand on sait que l'on va violer des droits dont le public bénéficie habituellement. Puisque l'on sait que cela va se produire, il s'agit donc d'obtenir l'autorisation judiciaire d'avance dans la mesure du possible.

Le sénateur Graham: Bienvenue, monsieur Borovoy. Vos commentaires sont extrêmement intéressants.

Êtes-vous d'accord avec moi que l'état hôte est responsable de la protection des dignitaires en visite venant d'un pays étranger?

M. Borovoy: Oui.

Le sénateur Graham: Vous avez dit que l'on ne doit pas arbitrer ses propres jeux. Insinuez-vous par là qu'il y a deux équipes en opposition, pour reprendre l'analogie? Les équipes en opposition sont-elles les protestataires et la police, ou les protestataires et les représentants de l'APEC ou les représentants du G8?

M. Borovoy: Un côté des intérêts opposés, si je peux m'exprimer ainsi, sont les intérêts de ceux dont le travail est d'assurer la sécurité. Ils auront intérêt à garder les protestataires aussi loin que possible pour faciliter leur travail. La plupart des gens de ce monde essaient de se faciliter la tâche autant que possible. C'est une caractéristique humaine facile à comprendre. D'un autre côté, les protestataires ont intérêt à être aussi près que possible du centre d'action, des cibles de leurs protestations afin de produire une atmosphère de tension politique. Ce sont des intérêts opposés. J'affirme donc qu'il n'est pas approprié de demander à l'un de ces groupes d'intérêts de juger le différend.

Le sénateur Graham: Vous avez dit et vous avez répété que l'objectif des protestataires était de créer des tensions et que pour ce faire, ils doivent s'approcher autant que possible du centre d'action. Est-ce correct?

M. Borovoy: Oui.

Le sénateur Graham: Vous disiez aussi plus tôt qu'il ne devrait pas être du ressort de la police de statuer sur les mesures devant être prises.

M. Borovoy: Ce n'est pas une fonction qui devrait relever de la police que de statuer sur les droits des citoyens, c'est- à-dire de déterminer dans quelle mesure les citoyens de notre pays peuvent avoir accès à des zones habituellement accessibles au public dans des situations qui ne sont pas des situations d'urgence, quand il y a tout le temps nécessaire pour trouver une solution.

Le sénateur Graham: Il me semble que vous êtes sur la corde raide, en toute déférence.

M. Borovoy: Cela ne rend pas mon argument incorrect.

Le sénateur Graham: Non. Dans l'éventualité d'une situation d'urgence lors de laquelle les protestataires se trouvent trop près, supposez que la GRC, en tant que chef de file, ou quel que soit le service de police qui se trouve sur place, décide de prendre des mesures parce que quelqu'un a une arme à feu ou sort une arme à feu. Il me semble alors que, d'après votre argumentation, vous suggérez que l'agent de police doit en une seconde, réfléchir et se demander «Est-ce que je travaille en respectant les règles de conduite adéquates telles qu'elles ont été établies par le ministre ou le gouvernement?»

J'ai beaucoup de respect pour nos services de police et pour la GRC. Nous sommes tous très fiers de leurs antécédents dans ce pays. Vous pouvez être d'accord ou non avec ce qui s'est produit à l'APEC. Il me semble que certaines leçons ont été apprises lors de l'APEC et je suis sûr que la GRC serait la première à l'admettre. Ceci dit, les leçons ayant été apprises, nous devons avoir confiance en la capacité de notre police nationale de prendre la décision correcte ou lui donner l'autorité de prendre la décision correcte quand la situation exige des jugements opportuns.

M. Borovoy: Quand la situation exige des jugements opportuns, je ne m'y oppose pas. C'est pourquoi j'ai dit «sauf dans des situations d'urgence». Sur place, la GRC ou tout autre service de police présent devra peut-être faire des jugements opportuns.

Mais je parle de l'établissement des périmètres d'avance. Le ministre pourrait consulter la GRC. Quels sont vos besoins en matière de sécurité? Comment pouvez-vous faire ce travail au mieux? Puis, nous pouvons tempérer ses besoins contre ceux des intérêts opposés et formuler le plan pour limiter l'accès des citoyens dans ces zones.

Si des incidents se produisent sur place, bien sûr la police devra faire des jugements opportuns, comme elle l'a toujours fait. Ce n'est pas ce que nous examinons. Nous examinons la décision d'établir ces périmètres. Où devraient- ils se trouver? Comment peuvent-ils équilibrer les intérêts opposés en présence?

Le sénateur Graham: En toute déférence, j'aimerais mieux que vous n'utilisiez pas les mots «intérêts opposés».

Le président: Le sujet lui a donné un certain intérêt.

Le sénateur Stratton: Vous êtes-vous demandé pourquoi vous n'avez pas été averti quand le projet de loi est passé devant l'autre chambre et pourquoi vous n'avez pas eu la possibilité d'y assister?

M. Borovoy: La réponse à cette question est non. Je n'étais pas assez informé pour poser la question en temps opportun.

Le sénateur Stratton: Quand vous dites que les autorités compétentes devraient prendre la décision, vous dites que ce ne doit pas être la GRC. Le premier mot que j'ai écrit est «Qui?» Vous dites plus loin que cela devrait être une décision politique, une décision à prendre par un ministre de cabinet, soumise à l'autorisation judiciaire. Je pense aux complications de ce mécanisme qui exige de comparaître devant le tribunal avant même de commencer et je peux imaginer la possibilité de formuler des injonctions.

Je ne suis pas en désaccord avec vous en ce qui concerne le ministre de cabinet, bien qu'un ministre répugne à prendre ce genre de décision, parce que, quoi qu'il fasse, il sera dans son tort si des incidents se produisent. Les ministres de cabinets ne se mettent pas volontiers dans ce type de situations. Et si le ministre de cabinet était chargé des négociations? Au lieu de rester dans une situation de confrontation, pourquoi ne pas réunir les deux parties et chercher une formule qui en fin de compte facilitera les négociations pour décider où se trouvera la clôture ou la barrière de sécurité? De cette manière, vous aurez au moins donné à chaque côté la possibilité de s'exprimer.

M. Borovoy: Sénateur, c'est exactement ce qu'un ministre judicieux ferait dans le mécanisme de que nous proposons. Un ministre judicieux inviterait les parties pour essayer de concilier leurs différends et proposer un plan pour établir un périmètre en fonction des consultations. C'est ce que les personnes judicieuses qui ont le pouvoir font souvent. Je crois qu'il serait parfaitement logique qu'un ministre le fasse.

Toutefois, j'aimerais dire clairement que la décision en première instance doit être prise par une personne qui sera politiquement responsable de sa décision. Ensuite, cette décision devrait être soumise à l'autorisation judiciaire. Ceci n'est pas une notion étrange dans notre système judiciaire. Cela revient à demander une injonction dans certaines circonstances où les tribunaux écoutent la preuve et essaient de répondre le mieux possible aux besoins d'intérêts opposés. Cela revient pratiquement au même.

Le sénateur Stratton: Je m'inquiète du rôle grandissant des tribunaux. Ils sont impliqués dans pratiquement tous les aspects de nos vies. J'aimerais éviter cela dans la mesure du possible.

M. Borovoy: Je suppose que je n'ai pas le même préjugé.

Le sénateur Stratton: Peut-être. Je préconise d'accorder moins de pouvoir aux tribunaux.

Vous avez également mentionné une défense rétroactive des droits. Cela m'intrigue. Une fois que le problème est apparu, quels choix ou quels droits avons-nous après?

M. Borovoy: Quels droits auriez-vous dû avoir?

Le sénateur Stratton: C'est exactement ce que je veux dire. J'ai soulevé la question avec le ministre pour demander s'il ne devrait pas y avoir une surveillance parlementaire de ce projet de loi ainsi qu'un rapport annuel devant le Parlement sur la nature du fonctionnement du projet de loi. Ainsi, nous aurions l'occasion d'examiner ce qui s'est produit, de sorte qu'il y ait cette «défense rétroactive des droits», le Parlement serait directement impliqué plutôt que d'avoir à passer par le tribunal. Nous pourrions avoir voix au chapitre et entendre ce que le ministre veut nous dire.

M. Borovoy: J'aimerais que vous compreniez, monsieur le sénateur, que la défense rétroactive des droits à laquelle j'ai fait allusion constitue une dégradation d'un système équitable. Ce n'est pas la manière dont un système équitable doit fonctionner. Nous devrions avoir un système équitable pour résoudre ou juger ces droits avant que les événements se produisent afin de minimiser les risques de violation de ces droits.

J'essaie de me souvenir de votre autre commentaire.

Le sénateur Stratton: Cela concernait la surveillance parlementaire, quand le ministre fait un rapport devant le Parlement.

M. Borovoy: En ce qui concerne la police, et nous parlons maintenant de la GRC, nous avons proposé à plusieurs reprises de mettre en place un système de vérification continu, semblable au rôle que joue le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS) auprès du SCRS. Ce dispositif devrait exister pour la police comme pour la sécurité nationale. Vous pourriez ainsi obtenir la responsabilité que vous cherchez.

Le sénateur Corbin: Monsieur Borovoy, je vous remercie de votre présentation. Vous avez mentionné des questions que j'ai posées il y a quelque temps au ministre, de manière plus précise, bien sûr. Nous devrions être reconnaissants de la contribution d'un organisme semblable au vôtre et d'avoir un porte-parole de votre calibre dans des circonstances semblables. Vous êtes clair et précis.

M. Borovoy: Je vais proposer votre nom pour notre conseil d'administration.

Le sénateur Corbin: Il y aura peut-être un conflit d'intérêts, là.

Votre suggestion d'impliquer un ministre dès le début peut présenter un problème. Les ministres ont du personnel et des conseillers et ils leur délèguent habituellement les affaires avant de décider de leur ligne de conduite. En ce qui concerne le caractère raisonnable, quels critères le tribunal dont vous parlez devrait-il utiliser dans une situation de cette nature?

M. Borovoy: Je ne suis pas sûr de pouvoir les définir en détail au moment présent, mais je peux vous donner un ou deux exemples. Ils pourraient examiner, comme il le font, l'assurance d'une sécurité adéquate pour les conférences intergouvernementales. Ils devraient aussi essayer de défendre autant que possible les droits des protestataires et des manifestants, ce qui implique de les laisser s'approcher autant que possible du centre d'action tout en respectant les exigences de sécurité. Les critères peuvent être établis de cette manière.

Ils peuvent aussi veiller à ce que les propriétaires bénéficient autant que possible de leurs droits de propriété normaux. Ce ne sont que quelques-uns des critères qu'un projet de loi améliorer pourrait intégrer.

Le sénateur Corbin: Un autre aspect qui m'inquiète — la plupart des représentants sont partis avec le ministre — est que parmi les tactiques employées par la police pour contrôler les manifestations, on trouve l'attaque préemptive. Je fais particulièrement allusion à la réunion qui a eu lieu ici à Ottawa à l'automne dernier. La police a profité de la moindre provocation, du tout premier signe de conduite agressive pour se précipiter sur les manifestants, les pousser dans un véhicule de police et les emmener en prison. C'est ainsi que l'on a une situation comme celle dont vous avez parlé — un examen postérieur des faits. J'ai vu ce qui s'est passé parce que j'ai tendance à observer ce qui se produit lors de ces réunions internationales importantes.

Cela fait partie de la dégradation des droits dont vous parlez en particulier et en général. La présence même des barrières et des policiers armés jusqu'aux dents, des chiens et des escouades de contrôle des émeutes qui attendent un peu plus loin est suffisant pour intimider les manifestants qui hésiteront à user de leur droit légitime de protestation. Autrement dit, je pense qu'il y a une exagération dans beaucoup de situations et cela me préoccupe parce qu'il y a une génération grandissante qui y participera quelques années.

Ils protestent pour envoyer le message qu'ils veulent un monde meilleur. Ils ne sont pas d'accord avec la manière dont les politiciens à Ottawa essaient de résoudre les problèmes du monde. Bien sûr, s'ils ne peuvent pas être vus et entendus des participants lors des réunions, alors la manifestation est une perte de temps. Nos services de police semblent choisir de le voir sous cet angle. La police suit les ordres des politiciens. Il n'y a aucun doute là-dessus. Toutefois, moi non plus, je ne suis pas d'accord avec un certain nombre des activités de nos gouvernements et des agences internationales à l'heure actuelle. J'ai tendance à être davantage du côté des jeunes gens sur beaucoup de ces questions et je n'aime pas la manière dont ils sont traités.

Le président: Merci de vos observations, sénateur Corbin.

Le sénateur Bolduc: Le rôle principal de la police consiste à protéger les gens qui participent à ces réunions. C'est leur rôle essentiel. Il est bien possible qu'ils aient tendance à mettre en place plus de sécurité que nécessaire, mais d'abord et avant tout, ils doivent protéger les ministres et les autres personnes qui participent à ces conférences.

J'ai observe de près les événements de Québec parce que je viens de cette ville. À la télévision nous avons vu des gens qui se battaient aux barricades, mais la réalité est qu'un certain nombre de ministres étaient partis et ont tenu une autre réunion plus loin en ville. Toutefois, la réunion du centre ville a attiré les protestataires et de nombreux ministres sont sortis pour les rencontrer. Cela a déjà été mentionné par les ministres. C'est exactement ce qui s'est produit, et sauf en ce qui concerne certains protestataires professionnels des États-Unis, la plupart essayant de déranger la réunion.

Vous avez présenté une théorie intéressante, mais j'ai des difficultés à l'accepter. La situation peut se comparer aux relations entre le ministre des Finances et les autres ministres lors du processus de budgétisation. Les ministres demandent plus d'argent et le ministre des Finances en donne un peu moins que ce qu'il pourrait. C'est une situation similaire. Quelle quantité de sécurité et de pouvoir faut-il? Peut-être faudrait-il être un peu plus précis que «selon les modalités raisonnables dans les circonstances». On pourrait tenir compte de la sécurité en ce qui concerne la propriété privée et la propriété publique comme les parcs. En fin de compte, il y aurait un jugement des circonstances.

Il n'est pas nécessaire d'aller devant le tribunal quand un incendie se déclare. Avant de décider quelle zone et comment la protéger à Québec, je suis sûr qu'on a discuté avec le maire de la ville. Québec est une destination touristique, donc de nombreuses personnes de l'extérieur devaient s'occuper de la sécurité. Ce n'est pas chose facile.

Je suis d'accord avec vous en principe, mais en réalité, je ne sais pas si nous y pouvons grand chose. C'est un simple commentaire.

M. Borovoy: Si je peux me permettre, sénateur, j'aimerais vous dire que dans de nombreuses situations dans lesquelles on utilise des injonctions du tribunal, que ce soit lors d'un conflit de travail ou du piquetage des cliniques d'avortement — j'aime bien être équitable dans mon choix d'exemples — dans n'importe laquelle de ces situations, nous ne permettons pas à la police de décider quels seront les droits des protestataires. Ce sont les protestataires qui comparaissent devant le tribunal et demandent à la cour de décider la distance à laquelle ils peuvent se tenir et combien de personnes peuvent être présentes à la porte. Cette décision n'est pas laissée à la police. Le rôle de la police est de faire respecter le jugement de la cour. Par conséquent, nous ne proposons pas une doctrine théorique abstraite. Nous proposons d'appliquer les mêmes règles du jeu que nous utilisons partout ailleurs dans la société dans ce genre de situations.

Le sénateur Bolduc: N'oubliez pas un autre aspect. Dans le cas de Québec, le gouvernement a décidé de payer des dédommagements. On savait que certains propriétaires et certains magasins près de la conférence seraient victimes des incidents et c'est ce qui s'est produit. Le gouvernement était prêt à faire face à cette situation et a convenu de payer des dédommagements. C'est l'un des aspects.

Le second aspect est que je me suis trouvé du côté de la direction lors de conflits de travail dans la province du Québec et j'en ai vu beaucoup. Dans certains cas, je ne pouvais pas entrer dans mon bureau parce que les membres du syndicat étaient réunis devant — des milliers de gens qui venaient de partout. J'ai vu 30 000 personnes réunies devant leur lieu de travail pendant 15 jours et je peux vous dire, monsieur, que personne ne pouvait entrer dans les bureaux du gouvernement. Cela s'est produit au début des années soixante. Nous avons décidé de laisser la police s'occuper de ces problèmes sociaux. Il y en a moins maintenant que dans les années soixante.

M. Borovoy: En guise de conclusion, permettez-moi de suggérer que si vous ne faites rien d'autre, exigez au moins qu'un préavis soit publié concernant le périmètre établi.

Le sénateur Bolduc: Si l'on fait cela, les gens de l'autre côté seront deux fois plus forts. S'ils étaient 5 000 personnes, ils seront 10 000 la prochaine fois.

Le président: J'ai une question. Vous avez utilisé l'inspecteur et les placards à Vancouver pour illustrer votre argument. Si je comprends bien, c'est l'inspecteur qui décide si les placards sont légitimes.

Vous avez utilisé ce fait comme un exemple de la police qui prend une décision bien qu'elle n'en ait pas vraiment l'autorisation, mais cela n'est pas le concept correct. Vous dites que cela devrait être une décision politique avant les faits pour déterminer ce que la police doit faire dans les circonstances de ces placards. Je crois que c'est bien ce que vous avez dit.

M. Borovoy: Non, je prenais cet exemple comme illustration de ce qui se produit quand la législation ne prévoit rien d'autre que ce qui existe à l'heure actuelle, qui est de prendre des mesures raisonnables dans les circonstances. Cet inspecteur de la GRC a dit que quand il a pris la décision d'enlever les placards, il était guidé par ce qu'il pensait être raisonnable dans les circonstances. Ce sont ses propres mots. Il utilisait le même critère et vous voyez où cela l'a mené.

Le président: J'accepte votre exemple. Je le comprends. Je suis d'accord avec le sénateur Corbin. L'une de ses observations était que derrière tout cela, il y a toujours une décision ministérielle. J'examine la clause 10. Ne discutons- nous pas en fait la clause 10?

M. Borovoy: Oui.

Le président: Cette clause mentionne le solliciteur général et le gouverneur en conseil. Il me semble que, derrière tout cela, quand on prend la décision d'organiser une conférence internationale, les ministres du gouvernement décident une gamme de choses. Je suppose que le maintien de l'ordre de cette conférence devient la responsabilité du solliciteur général conjointement avec ses homologues aux niveaux provincial et municipal, non la police provinciale et municipale, mais le conseil municipal local et le solliciteur général de chaque province. Il me semble que cette décision est de nature politique.

Je me souviens avoir lu un article sur l'inspecteur et les placards, mais je ne l'ai pas suivi de très près. J'ai peut-être tort, mais je comprends mal comment on peut décider les détails de ces placards d'un point de vue politique. Supposons qu'à huit heures du matin, des gens installent des placards provocants. Je ne veux pas déformer vos paroles ni exagérer vos opinions, mais il est facile de résoudre cette question en faisant appel à une microgestion de la part de la police et aux décisions qu'ils sont habilités à prendre dans des milieux changeants. Les manifestants ont des vues très passionnées sur les problèmes en question. Je ne vois pas comment on peut éviter le fait que la police sur place prenne sans cesse des décisions dans milieu qui évolue continuellement.

M. Borovoy: Essayons d'examiner le problème de cette manière: l'établissement des périmètres doit être une décision politique soumise à l'autorisation judiciaire. La gestion de cet exercice, une fois que les périmètres ont été établis, est traditionnellement une fonction de la police. Vous mentionnez une situation qui évolue, mais c'est ce que fait la police en tout temps. Toutefois, l'établissement initial des périmètres ne doit pas relever d'une décision de la police. D'ailleurs, l'intention derrière ce projet de loi, si je comprends bien, est de charger la police et non les politiciens d'établir les périmètres. Aux termes de ce projet de loi, tout ce que les politiciens feraient serait de dire «Nous allons avoir une conférence et nous vous chargeons d'assurer la sécurité». Ils accorderaient tous les pouvoir à la police. Nous estimons que la situation comporte des conflits supplémentaires difficiles à résoudre qui ne sont pas uniquement du ressort de la police.

Le président: Cette discussion a été très intéressante. Je vous remercie, monsieur Borovoy, d'avoir pris le temps de comparaître devant le comité sur le projet de loi C-35. Pendant que vous êtes ici et pendant que tous le monde est encore ici, je désire informer tout le monde que les jours d'audience sur l'Ukraine ont été changés du 11 mars au 18 mars.

Le sénateur Corbin: Et en ce qui concerne la réunion du 6 mars avec Amnistie Internationale?

Le président: Le réunion sera peut-être reculée d'une semaine.

La séance est levée.


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