Délibérations du comité sénatorial permanent
des affaires étrangères
Fascicule 24 - Témoignages
OTTAWA, le lundi 18 mars 2002
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 10 h 05 afin d'examiner, pour en faire un rapport, les faits nouveaux en matière de politique, de questions sociales, d'économie et de sécurité en Russie et en Ukraine, les politiques et les intérêts du Canada dans la région, ainsi que d'autres sujets connexes.
Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, nous allons entendre aujourd'hui des exposés nous informant de la situation en Ukraine. Nos deux premiers témoins sont là. Vous avez la parole.
M. Walter Makowecki, Heritage Frozen Food Ltd.: Honorables sénateurs, je tiens à remercier le comité sénatorial de m'avoir donné la possibilité de comparaître devant vous. Je touche un peu à tout sans être un spécialiste. J'ai fréquenté pendant la plus grande partie de ma vie la communauté ukrainienne. Je suis un homme d'affaires canadien qui a de nombreux liens avec l'Ukraine depuis 1957.
M. James Dmytro Jacuta, directeur, Institut canadien des études ukrainiennes, Université d'Alberta: Honorables sénateurs, je vous remercie de m'accorder l'occasion de prendre aujourd'hui la parole devant votre comité pour traiter des relations du Canada avec l'Ukraine, qui se poursuivent dans une période de transition difficile.
Ces dix dernières années, je suis entré en relations, à divers titres, avec des députés de l'Ukraine, des fonctionnaires des ministères de son gouvernement, des membres des organisations non gouvernementales et des représentants de la population. Ces dernières années, j'ai passé le plus clair de mon temps à exercer des fonctions de directeur de projet et de conseiller juridique afin d'aider l'Ukraine à encourager la mise en place d'institutions démocratiques et de bonnes structures de gouvernance, ainsi qu'à aider le Parlement ukrainien à élaborer des lois susceptibles de faciliter la transition. Il s'agit là des conditions qui devraient permettre ensuite de mettre en place une économie de marché donnant des résultats effectifs.
Dans mon exposé d'aujourd'hui, je vais faire une analyse portant sur ces différents points dans le cadre de nos relations bilatérales avec l'Ukraine, et je passerai en revue les progrès effectués par l'Ukraine jusqu'à présent ainsi que ses perspectives d'avenir.
Depuis 1991-1992, l'Ukraine est passée simultanément par trois types de transitions qui se sont superposées. Il y a eu, tout d'abord, la phase de transition ayant menée à l'indépendance d'une ancienne colonie de l'ex-Union soviétique; il y a eu ensuite la transition entre le régime du parti communiste unique et une démocratie pluraliste; enfin, on est passé d'une économie dirigiste à une économie de marché.
Tout au long de cette phase de transition et des dix dernières années, l'Ukraine a malheureusement souffert d'un problème d'image. Elle a été mal comprise et les progrès qu'elle a réalisés n'ont pas été reconnus à leur juste valeur.
On peut bien faire remarquer que seule, de tous les États du centre et de l'est de l'Europe ainsi que de l'ancienne Union soviétique qui présentent les mêmes caractéristiques, l'Ukraine a réussi à traverser avec succès cette triple phase de transition. C'est le seul pays à avoir réussi à traverser la passe difficile et sans précédent d'une triple transition. On lit à l'occasion dans la presse des comparaisons entre l'Ukraine et d'autres pays où l'on se plaint des prétendues lenteurs des réformes en Ukraine. C'est injuste, cependant, et il faut bien voir ce que l'on compare lorsque l'on rapproche l'Ukraine d'autres pays qui n'ont pas dû passer par cette triple phase de transition. La Pologne, par exemple, disposait au départ d'un État et n'a pas été obligée de relever les mêmes défis que l'Ukraine lors du premier type de transition. Pour ce qui est des deuxième et troisième types, la Pologne pouvait au moins compter sur une population et une société qui gardait en mémoire les notions d'institutions démocratiques et d'économie de marché.
Si l'on compare à la Russie, je vous ferai remarquer que la Russie disposait elle aussi d'un État. Elle était au centre de son empire et elle était pleinement reconnue au plan international. Elle pouvait s'appuyer sur l'ensemble du réseau des ambassades de l'ancienne Union soviétique pour maintenir et développer ses relations internationales. L'Ukraine, comparativement, n'avait rien de tout cela et elle a dû relever d'incroyables défis immédiatement après 1991.
Les questions d'indépendance, de constitution d'un État et de gouvernance faisaient partie de ces incroyables défis. Comment le Parlement peut-il se constituer en l'absence de Règlement s'appliquant au président? Comment effectivement choisir un président? Comment faire fonctionner cette institution en l'absence de structure émanant des intérêts politiques organisés, sans loi électorale et même en l'absence d'une nouvelle constitution depuis 1996?
En dépit de ces difficultés et d'autres facteurs venant compliquer les choses, parmi lesquels il y avait la situation géopolitique et stratégique de l'Ukraine lors de la rupture de l'Union soviétique, l'Ukraine n'en a pas moins réussi à se doter d'un État et d'une personnalité juridique internationale en tant que pays pacifique. L'Ukraine est le seul État à renoncer à son arsenal nucléaire. L'Ukraine n'a pas pris part à des guerres, contrairement à son voisin la Russie. Il n'y a eu aucun acte terroriste interne contrairement à ce qui s'est passé à Moscou. L'Ukraine est restée au contraire, pendant plusieurs années, un fidèle partenaire de l'OTAN dans le cadre d'un accord de paix que la Russie ne se met qu'aujourd'hui à envisager.
Pour ce qui est de la deuxième phase de transition, celle qui va du parti unique à la démocratie, là encore on n'a pas donné tout le crédit voulu aux nombreux succès obtenus par l'Ukraine. Le Parlement représente effectivement les différents intérêts politiques au sein d'une société pluraliste. Il est tout à fait injuste de comparer la démocratie ukrainienne, qui ne s'est développée qu'au cours des dix dernières années, aux démocraties du Canada, de l'Angleterre, des États-Unis ou des autres pays qui ont fait depuis longtemps leurs preuves. On pourrait même alléguer que la tradition démocratique ukrainienne a moins de dix ans, puisqu'elle remonte à l'adoption de sa nouvelle constitution le 28 juin 1996 et non pas au référendum sur l'indépendance du 20 décembre 1991.
La troisième phase de transition de l'Ukraine est celle de la création d'une économie de marché effective. On oublie trop souvent de porter au crédit de l'Ukraine ses réalisations dans ce domaine. En dépit du retournement de la conjoncture enregistré ces derniers mois dans le monde entier, l'Ukraine affiche une croissance économique positive. On indique que le PNB de l'Ukraine a progressé de 9 p. 100 entre 2000 et 2001. L'inflation se situait à un taux annuel de 6,1 p. 100. L'agence de classement Moody's a récemment relevé la cote des obligations de l'Ukraine, qui sont passées de la cote Caa1 à B2. On a signalé par ailleurs que l'indice international des obligations sur les marchés émergents de JP Morgan a enregistré un gain de 51,7 p. 100 pour les investisseurs étrangers ayant placé leur argent en Ukraine en 2001. Cela fait de l'Ukraine l'un des pays les plus intéressants pour les investissements en 2001.
L'agence Reuters vient de signaler, la semaine passée, que l'Ukraine avait fait ses paiements sur l'émission d'obligations européennes de 2007. Elle assume donc ses obligations sur sa dette, qui a été réaménagée en avril 2000 lorsqu'un endettement de 2,37 milliards de dollars US a été rééchelonné par le gouvernement ukrainien.
Il convient de signaler que toutes ces bonnes nouvelles économiques doivent être replacées dans leur contexte puisqu'en 1994-1995 encore, ce pays faisait face à une inflation de 10 000 p. 100 par an, ne disposait pas encore de sa propre monnaie et n'avait toujours pas mis en place une banque nationale.
Il n'y a qu'un autre État qui doit composer avec le même héritage que celui qui a été légué à l'Ukraine — soit l'héritage d'une ancienne république de l'ex-Union soviétique située stratégiquement à la frontière de l'Union européenne — il s'agit, bien entendu, de la Biélorussie. J'invite tous ceux qui s'efforcent de mieux comprendre les mécanismes de transition qui caractérisent l'Ukraine en faisant des comparaisons avec d'autres pays, que ce soit des pays occidentaux, des pays du centre ou de l'est de l'Europe ou encore d'anciennes républiques de l'Union soviétique, à faire toutes les comparaisons qu'ils veulent avec la Biélorussie. C'est la seule comparaison légitime que l'on puisse ou que l'on doive faire compte tenu des circonstances historiques, politiques, géographiques, économiques, sociales et autres.
Lorsqu'on compare ainsi deux choses comparables, on ne peut qu'en conclure que l'Ukraine a réussi en dépit de tous les obstacles alors que la Biélorussie reste, selon les critères retenus à l'heure actuelle, dans presque tous les domaines, à la traîne par rapport à l'Ukraine.
La contribution du Canada n'est pas pour rien dans la réussite de l'Ukraine. On n'a pas reconnu à sa juste valeur l'énorme contribution du Canada, à l'échelle de notre pays ou de sa population, à la réussite de l'Ukraine. Nous avons apporté notre contribution à ce que l'on peut considérer comme l'une des plus grandes réussites internationales de la deuxième moitié du XXe siècle — la stabilisation de l'empire soviétique en pleine décomposition et la contribution de l'Ukraine à la stabilité post-soviétique et à la sécurité de l'Europe.
Le Canada a aidé l'Ukraine de bien des manières, entre autres en étant le premier pays occidental à reconnaître l'Ukraine au plan international. Depuis lors, les deux pays considèrent leurs relations comme étant celles de partenaires privilégiés. Cela est dû en grande partie au fait que plus d'un million de Canadiens sont de descendance ukrainienne, que leur diaspora a constitué ici une communauté et que celle-ci entretient de nombreux contacts.
Même si l'Ukraine aura encore de nombreux défis à relever au cours des cinq à dix prochaines années, il semble qu'il n'y ait aucune raison pour qu'elle ne finisse pas par intégrer pleinement les structures européennes. Il faudra encore pour cela maintenir la croissance économique, garantir les grands équilibres et mener de saines politiques financières et monétaires. Les défis qu'il faudra plus précisément relever dans ces différents domaines sont les suivants: premièrement, renforcer l'efficacité et la gouvernance de l'administration publique; deuxièmement, consolider les structures bureaucratiques et administratives à tous les niveaux — central, régional et local — troisièmement, moderniser le cadre juridique, la législation et les tribunaux, maintenir la stabilité, l'uniformité et l'ordre pendant que ces réformes sont en cours; quatrièmement, garantir les droits de propriété et faire en sorte que les terres puissent être achetées et vendues comme une marchandise quelconque dans le secteur privé; cinquièmement, enfin, faire davantage participer les citoyens aux organisations non gouvernementales et améliorer encore l'ouverture et la transparence de mécanismes de la société civile.
Pour conclure, même s'il y a bien des gens qui hésitent à se prononcer sur les perspectives à court et à long terme de l'Ukraine étant donné les événements tumultueux qui ont eu lieu au cours des dix dernières années, ce n'est pas mon cas. Je suis tout à fait convaincu que l'Ukraine va réussir et, à long terme, exceller en tant que société et que nation. J'irai même plus loin en disant qu'à court terme, au cours de deux prochaines années, l'économie de l'Ukraine va enregistrer un véritable bond. Les indicateurs de croissance économique commencent à peine à bouger. À l'heure actuelle, peu de gens se rendent compte des perspectives qui s'offrent. Seuls ceux qui sont en avance sur leur temps tireront parti des relations que vont instaurer à l'avenir le Canada et l'Ukraine dans le domaine des entreprises, des échanges, de la culture et dans bien d'autres secteurs de nos relations bilatérales.
M. Makowecki: Je souscris totalement à ce que vient de dire M. Jacuta au sujet de l'évolution qui a lieu en Ukraine. Il y a sept ou huit ans, j'avais prédit qu'il faudrait dix ans pour passer de la situation chaotique qui régnait en Ukraine à la mise en place d'une infrastructure susceptible de faciliter le passage à l'économie de marché. Je suis allé en Ukraine il y a cinq semaines, après être resté absent pendant quatre ans. J'ai pu voir les énormes changements qui ont eu lieu en quatre ans. Le pays se stabilise et l'on perçoit un nouvel optimisme, notamment chez les jeunes générations, qui entrevoient un avenir sur lequel elles auront leur mot à dire. On est optimiste concernant la démocratisation de l'Ukraine.
M. Jacuta a dit avec raison qu'il a fallu se doter d'une toute nouvelle structure sans en avoir eu l'expérience au préalable. Voilà au moins 500 ans que l'on n'avait pas fait l'expérience d'une Ukraine unie, puisqu'elle avait été partagée par le passé. Je pense que l'on peut bien augurer de l'avenir.
Il est important que les Canadiens comprennent bien à quel point la communauté des Ukrainiens canadiens entretient des liens étroits, aujourd'hui comme par le passé, avec le peuple de l'Ukraine. Au cours des années 1930, les Ukrainiens canadiens ont appuyé la lutte pour l'unification des terres ukrainiennes qui étaient sous le contrôle de l'Union soviétique, de la Roumanie, de la Pologne, et cetera. Jusqu'à présent, sur la question de l'indépendance, la communauté des Ukrainiens canadiens a uni ses efforts pour aider l'Ukraine à trouver sa place et pour l'aider à comprendre le rôle que la démocratie doit jouer.
La démocratie entraîne des responsabilités, elle ne doit pas mener au chaos. Lors des quatre ou cinq premières années, que ce soit en Ukraine, en Russie ou dans les autres républiques de l'ancienne Union soviétique, la situation a été chaotique. Dans un discours prononcé vendredi dernier à New York, Gorbatchev a parlé de la situation chaotique héritée par le président Poutine.
J'ai rencontré M. Jacuta lors d'une réunion du projet d'entreprise entre le Canada et l'Ukraine, dont les membres se trouvent au Manitoba, en Saskatchewan et en Alberta. Sous la direction de l'ancien maire d'Edmonton, Laurence Decore, aujourd'hui décédé, nous avons rencontré les gouvernements provinciaux et patronné des délégations au sein des projets agricoles et industriels. Le gouvernement de la Saskatchewan a un programme d'échange avec l'Ukraine qui existe de longue date et qui est même antérieur à la rupture de l'Union soviétique. Je crois aussi que le gouvernement du Manitoba a entrepris d'organiser certains échanges. Nous avons aussi en Alberta un comité consultatif réunissant l'Alberta et l'Ukraine. Il s'agit d'un comité dont les membres sont nommés par le gouvernement, qui prend des initiatives pour aider les gens à comprendre les démarches qui leur faut entreprendre.
Il y a deux ans, une délégation de juges de l'Ukraine a passé un mois en Alberta et est venue s'asseoir dans nos salles d'audience pour observer le fonctionnement de notre justice. Je crois que c'était un événement très important.
Il n'y a pas plus de deux mois, une délégation ukrainienne composée de 38 personnes a passé trois semaines en Alberta pour observer nos pratiques agricoles. Les Ukrainiens viennent adopter certains procédés que les Albertains et l'ensemble de la population canadienne considèrent comme allant de soi. Sur le modèle de la Commission canadienne du blé, l'Ukraine s'est dotée d'une commission du blé en vue d'organiser la commercialisation de ses produits agricoles.
J'étais en Ukraine il y a cinq semaines — je ne suis pas sorti de Kiev et je ne peux donc pas parler pour le reste du pays — et je sais bien qu'il y a des difficultés, mais les jeunes générations font preuve d'optimisme. L'attitude est positive. Après cinq ou six ans de chaos, les Ukrainiens commencent à avoir une opinion positive d'eux-mêmes et ils s'efforcent d'encourager leurs propres entreprises.
À un moment donné, tout tournait autour de McDonald et des pizzerias. Aujourd'hui, on trouve à Kiev des restaurants en self-service qui ne servent que des mets ukrainiens. On voit des jeunes travailler fort et vivre dans des locaux impeccables dont ils maintiennent la propreté. Les nouveaux immeubles d'habitation de Kiev sont aussi modernes que les nôtres. Lorsqu'on arrive à accomplir tout cela en moins de dix ans, c'est le signe qu'on avance dans la bonne direction. Je suis très optimiste en la matière. J'aimerais simplement être un peu plus jeune pour prendre part davantage à cette évolution.
Je traite avec l'Ukraine depuis 1970, lorsque j'ai acheté ma première machine à fabriquer des petits pâtés, en Union soviétique, en passant par Moscou. À l'époque, je n'ai pas été autorisé à aller voir l'usine qui fabriquait les machines. J'y suis allé plus tard, cependant.
J'ai pris part en 1989 à une conférence sur les coentreprises du temps de l'Union soviétique, juste avant sa rupture. Nous étions 65 en provenance de l'Amérique du Nord. De ce nombre, il y en avait peut-être deux ou trois qui venaient des États-Unis et les autres étaient tous des Canadiens d'origine ukrainienne — des hommes d'affaires, des ouvriers de la construction, etc. J'ai créé une coentreprise en 1990, avant la rupture de l'Union soviétique, même si cette entreprise n'a été constituée en société qu'en 1993. C'était une époque difficile, mais avec les perspectives d'indépendance, il y avait un grand optimisme. Le produit national brut de l'Ukraine a chuté au cours des cinq ou six premières années de l'indépendance.
Pensez à toutes ces années pendant lesquelles le Canada a exporté du blé à l'ancienne Union soviétique car, en novembre dernier, l'Ukraine a vendu deux pleins silos de blé à l'Ontario. Ce n'était pas du blé de la meilleure qualité, mais c'est ce dont avaient besoin les éleveurs de bétail de l'Ontario.
Enfin, il est important que les Canadiens se rendent compte que l'Ukraine occupe une situation stratégique en Europe. C'est la porte du Moyen-Orient. J'espère qu'on ne reverra pas les batailles qui ont eu lieu par le passé pour s'accaparer les bonnes terres. Il y aura d'autres bouleversements, comme on en a vu au Canada. En 1939-1940, 40 p. 100 de la population du Canada habitait la campagne et vivait dans des fermes, alors qu'aujourd'hui on en est à moins de 2 ou 3 p. 100. Les chiffres du recensement donnés la semaine dernière font état d'une progression des centres urbains et d'une croissance de l'industrialisation. C'est ce qui va se passer en Ukraine et, au bout du compte, il en résultera des difficultés. Il faudra que ce pays apprenne à se réglementer. Il y a une économie souterraine, une évasion fiscale et un mécanisme de troc pour éviter de payer des salaires. L'informatisation de toutes les procédures comptables dans le réseau bancaire et le renforcement du système juridique contribueront à enrayer dans une certaine mesure cette économie souterraine.
Comme M. Jacuta, je suis optimisme et je suis fermement convaincu que les perspectives d'avenir de l'Ukraine sont excellentes.
Le sénateur Graham: Merci, monsieur le président, et bienvenu à nos témoins. Nous sommes tous impressionnés par l'optimisme que vous avez évoqué aujourd'hui, notamment celui des jeunes générations. C'est particulièrement encourageant pour tous ceux d'entre nous qui s'efforcent d'étudier votre terre natale.
Vous nous avez parlé de Laurence Decore, que nous sommes nombreux à connaître et à admirer, et vous avez dans cette salle le meilleur défendeur de votre cause, le sénateur Andreychuk, qui a su se distinguer à bien des égards au sein du Sénat. Je le pense très sincèrement. Elle a plaidé devant nous la cause de l'Ukraine avec une grande éloquence.
Étant donné, malheureusement, que nous n'allons pas vous garder très longtemps, je m'en tiendrai à la question des élections. Dans l'un de vos exposés, vous nous dites qu'il n'y a pas de loi électorale. Avez-vous adopté une loi électorale entérinée par tous les partis susceptibles de participer aux élections? Quand peut-on s'attendre à la prochaine élection?
M. Jacuta: Je parlais de 1991 et de la période qui a suivi immédiatement lorsque, après avoir acquis son indépendance, l'Ukraine a dû relever tous ces défis. Les parlementaires, les députés plus précisément, avaient été élus aux termes de l'ancienne constitution soviétique. Ils faisaient face à une nouvelle situation, cependant. Ils ne savaient pas quelle structure adopter. Ils ont demandé aux principaux dirigeants ainsi qu'aux personnes les plus qualifiées de chacun des partis de se constituer en présidium. Ils leur ont donné le pouvoir de se prononcer sur certaines règles de procédure. Ils ont ensuite élu un président. Je vous explique cela pour vous donner une idée des problèmes posés par la loi électorale et pour illustrer à quel point les structures électorales étaient absentes. Je dois vous dire qu'aujourd'hui la situation s'est bien améliorée et que le Parlement dispose d'un règlement qui, dans l'ensemble, donne de bons résultats. Au début, il était fréquent que le président se lève et demande à l'orateur «là-bas» de parler. Lorsqu'il déposait une motion, l'intervenant pouvait très bien déclarer, par exemple: «Je dépose cette motion qui sera appuyée par la personne qui se trouve là-bas». Le temps de parole n'était pas limité. L'intervenant pouvait parler aussi longtemps que le président jugeait bon de l'y autoriser.
Le sénateur Graham: Ça arrive autour de cette table.
M. Jacuta: Un autre député pouvait alors se lever et prendre la parole sur une autre motion qui était déposée en même temps que la première. Elle pouvait ou non avoir été appuyée par quelqu'un d'autre. Chacun pouvait discourir jusqu'à ce que le président estime en toute conscience qu'on en était arrivé au point où il fallait passer au vote. Le président disait alors: «Je pense qu'il nous faut passer au vote». Si personne ne s'y opposait, on pouvait alors voter. Le président disait alors: «La motion est la suivante...» et rappelait alors les différentes motions qui avaient été déposées en disant: «Voilà sur quoi nous allons voter». Voilà à quel point la procédure était déficiente au tout début.
Pire encore, il y avait un vote électronique, chose que le Parlement du Canada a envisagé. Je suis sûr qu'il a tiré les enseignements de l'expérience ukrainienne. La population ukrainienne n'en croyait pas ses yeux lorsqu'elle voyait à la télévision des sièges vides et un député se pencher pour voter à la place de son voisin. Le vote électronique présente un certain nombre d'inconvénients.
Au tout début, la loi électorale comportait de graves lacunes. Lorsqu'on a organisé l'élection générale le 27 mars 1994, le pays s'est pratiquement retrouvé dans une crise constitutionnelle. Aux termes de la loi, le candidat vainqueur devait obtenir au moins 50 p. 100 des voix. Il y avait un deuxième tour deux semaines plus tard, puis à nouveau au bout d'un autre délai de deux semaines, et ainsi de suite. Il fallait obtenir 50 p. 100 des voix de 50 p. 100 des électeurs inscrits allant voter. Pour être proclamé vainqueur, le candidat devait donc obtenir 25 p. 100 des voix des électeurs inscrits. Le deuxième tour d'élection ne concernait que les deux candidats arrivés en tête. Dans certains cas, il a fallu reprendre le deuxième tour 14 fois avant de pouvoir élire un candidat, jusqu'à ce que l'on abandonne le système.
Le pays a failli se retrouver dans une crise constitutionnelle parce qu'il fallait aussi un quorum de 225 députés pour composer le Parlement. On a failli ne pas y arriver.
La loi électorale qui est désormais en place est très proche de la nôtre. C'est celui qui obtient le plus grand nombre de voix qui est élu. Dernièrement, des innovations ont été apportées à la suite de l'élection de 1998. Une campagne électorale est en cours pour élire les députés le 31 mars 2002.
Le sénateur Bolduc: Vous semblez tous deux très optimistes au sujet de la situation économique. Jusqu'à quel point la croissance de l'économie ukrainienne s'explique par la force même de son économie? Jusqu'à quel point l'influence positive de l'économie russe a joué éventuellement un rôle?
M. Makowecki: D'abord, l'Ukraine n'est pas un pays du tiers monde. Elle a une main-d'oeuvre très instruite qui s'adapte très rapidement. Il est utile d'avoir de la famille dans un pays comme le Canada, avec laquelle on peut entrer en communication. Nous pouvons aller rendre visite aux gens sur place et discuter des problèmes avec eux. Nous échangeons des idées. De nombreuses délégations se sont rendues ces 30 dernières années dans des exploitations agricoles et en d'autres lieux. Toutes les entreprises ne permettent pas cependant aux visiteurs de se rendre dans leurs usines. L'épidémie de fièvre aphteuse a rendu encore plus difficile la tâche des délégations qui veulent visiter des exploitations agricoles.
La délégation qui a parcouru l'Alberta a subi toutes les inspections nécessaires. Elle a réussi à faire tout ce qu'elle avait prévu. Le film tourné en Alberta lors de la visite de cette délégation de 38 personnes est passé à maintes reprises à la télévision nationale ukrainienne. On peut voir un agriculteur et deux ou trois personnes exploiter à eux seuls une ferme d'élevage comptant 5 000 têtes de bétail. C'est ce genre d'inspiration que retirent les visiteurs de ces échanges.
Nous avons des liens avec l'Ukraine. Ceux qui ont immigré au Canada étaient pauvres comme Job lorsqu'ils sont arrivés chez nous. Aujourd'hui, lorsque les visiteurs venus d'Ukraine arrivent au Canada, ils sont royalement accueillis. Ils constatent le degré de réussite. Tout le monde est mieux instruit. Les enfants peuvent aller à l'université. Ils ont leur place au sein du gouvernement dans un pays comme le Canada. Il y a des Ukrainiens au Sénat et dans les autres institutions gouvernementales. Il y a des premiers ministres provinciaux. C'est une source d'inspiration pour les Ukrainiens restés en Ukraine. Ils veulent faire comme nous. Ils veulent jouir de droits démocratiques leur permettant de prendre leurs propres décisions. C'était tout à fait impossible lorsque mes parents sont arrivés au Canada au début des années 1900. La démocratie était quelque chose de nouveau pour eux. En ce qui les concerne, cependant, il faut que ce soit une démocratie positive.
Lors de ma visite ici, nous sommes allés voir quelqu'un qui était arrivé en Alberta un mois seulement avant mon arrivée. On nous a servi le souper. Il avait deux jeunes filles; l'une de 18 ans et l'autre de 16 ans. Il y avait aussi parmi nous un professeur ukrainien à la retraite. Cette jeune fille parlait parfaitement anglais et avait une forte conscience sociale. Après avoir enseigné pendant 30 ans à l'Université de l'Alberta, le professeur était désormais à la retraite. Il était abasourdi de voir qu'une jeune fille dans cette condition pouvait poser des questions aussi pertinentes. Nous avons eu l'impression que la cadette n'était pas bien dans son assiette parce qu'elle n'a rien dit le premier soir. Le lendemain, toutefois, elle était seule à la maison et s'est montrée diserte, mais il n'était pas question pour elle de prendre la parole devant sa soeur aînée.
Voilà à quoi ressemblent les jeunes gens qui sortent des établissements d'enseignement ukrainien. Toute la documentation que nous pourrons leur fournir, les livres scolaires, etc., les aideront à s'adapter rapidement au monde. À mon avis, il faudra 20 ans pour que la procédure suive entièrement son cours. Il nous reste encore 10 ans à attendre.
M. Jacuta: L'Ukraine a souffert d'un manque d'investissements étrangers directs. Une grande partie de sa réussite économique s'explique par ses propres efforts. Elle n'a pas bénéficié de la même quantité d'investissements étrangers directs en provenance du secteur privé que la Pologne, la Hongrie ou la Russie. L'Ukraine n'a pas bénéficié comme tous ces pays de l'argent de la Banque mondiale ou de la Société financière internationale parce qu'elle est entrée dans de nombreux conflits avec la Banque mondiale et la Société financière internationale au sujet d'un grand nombre de conditions exigées pour autoriser les crédits. La dernière lettre expédiée à l'Ukraine comportait quelque 123 conditions. Il n'y a pas beaucoup d'argent qui a été versé.
Cela dit, la Russie a investi en Ukraine, parce que c'est son plus proche voisin, de même que les États-Unis sont notre plus proche voisin et notre plus gros investisseur. La Russie était mieux au fait de la situation en Ukraine en raison de l'héritage soviétique, et il lui était plus facile d'opérer dans ce cadre. Les investisseurs canadiens, par contre, n'y étaient pas habitués, ils ont eu de nombreuses difficultés à s'adapter et ils ont donc choisi de s'en retirer.
Le président: C'est la première fois que j'entends parler de l'épidémie de fièvre aphteuse au sujet de l'Ukraine. Est-ce que la fièvre aphteuse sévit dans ce pays?
M. Makowecki: C'est nous qui nous en préoccupons au Canada. Nous demandons à toutes les personnes qui entrent au Canada si elles s'apprêtent à visiter une ferme. C'est notre loi qu'il a fallu faire appliquer.
Il n'y a pas d'épidémie de fièvre aphteuse en Ukraine. Malgré la réglementation stricte, les délégués ont été autorisés à visiter les exploitations agricoles. On les a contrôlés et ils ont été acceptés. Il a fallu cependant qu'ils subissent un contrôle. Le ministère de l'Agriculture de l'Alberta a veillé à ce qu'ils subissent ce contrôle.
Le sénateur Grafstein: Ces cinq ou six dernières années, j'ai passé beaucoup de temps en Ukraine. J'ai eu l'occasion de faire des expériences commerciales très intéressantes, mais ce n'est plus d'actualité. Je vous fais part cependant de mon expérience acquise sur le terrain.
M. Jacuta, votre analyse de cet État monolithique qu'est l'Ukraine ne correspond pas à mon étude des origines historiques de l'Ukraine. Odessa a été un entrepôt et un centre commercial renommé pendant deux ou trois siècles. On y traitait des affaires complexes au plan international et cette ville était multilingue. On assiste aujourd'hui à une renaissance d'Odessa, mais cette ville a des racines historiques profondes qui sont antérieures aux premiers échanges commerciaux organisés par la Ligue hanséatique. Je ne suis pas d'accord pour dire que l'Ukraine n'était pas une société avancée. Kiev, au centre, Donetsk, à l'ouest, et plus particulièrement Lvov, étaient des centres marchands très perfectionnés, instruits et occidentalisés. Il faut revoir cette analyse et examiner avec soin la situation actuelle. Je ne suis pas d'accord avec ce raisonnement.
Je vais maintenant aborder l'analyse actuelle, soit celle du conflit qui a lieu en Ukraine entre le président et le Parlement. Je constate que les équilibres sont parfaitement maintenus au sein du Parlement alors que, malheureusement, un président très autocrate s'est arrogé des pouvoirs substantiels. Il y a actuellement le problème du journaliste assassiné et des accusations qui ont été portées au sein du Parlement à l'encontre du président. Vous pourriez peut-être nous préciser ce qu'il en est. Le problème est important à l'heure actuelle étant donné que les actes ainsi commis sur les ordres du président empêchent l'Ukraine d'intégrer l'OSCE et l'Europe. Voilà ce qui se passe à un premier niveau.
À un deuxième niveau, il y a la question des lois s'appliquant aux entreprises privées en Ukraine. Depuis le début de notre étude, nous avons constaté qu'en Russie des réformes considérables ont été apportées à la propriété privée. Ainsi, on pourra bientôt y signer une hypothèque et, en cas de défaut de paiement, le prêteur pourra saisir la propriété. En Ukraine, par contre, aucun investissement n'est fait dans la propriété privée parce qu'il n'y a aucun moyen de garantir les dettes. L'Ukraine ne peut pas bénéficier de prêts parce qu'il est impossible de se prévaloir d'une sûreté en cas de défaut de paiement.
Pourriez-vous traiter précisément des deux questions: tout d'abord, celle du conflit qui est en cours entre le Parlement et l'administration et les conséquences qui peuvent en découler selon vous; en second lieu, jusqu'à quel point l'Ukraine est aujourd'hui à la traîne par rapport à la Russie en ce qui a trait à l'adoption de lois sur la propriété privée lesquelles, en cas d'adoption, pourraient rapidement attirer des investissements en Ukraine. On ne peut pas souscrire des obligations en Ukraine; uniquement des actions, donc les problèmes liés à la propriété privée ne sont pas réglés. Est-ce que vous êtes d'accord avec cette analyse?
M. Jacuta: Je conviens avec vous que l'Ukraine est une société pluraliste ayant des intérêts divers et des régions présentant de nombreuses différences. Lvov est une ville magnifique de type européen. Odessa est un centre commercial. Kiev est une capitale européenne.
Lorsque j'établissais des comparaisons en faisant état d'une situation catastrophique, je faisais référence à la désintégration de l'empire soviétique et aux premières années de la restructuration. Il est indéniable que l'économie, pendant cinq ans au moins, est passée par une phase de contraction et de récession plus profonde que notre grande dépression des années 1930.
Pour ce qui est des relations entre le président et le Parlement, il y cette affaire du meurtre non résolu d'un journaliste qui aura de graves conséquences pour l'Ukraine. Ces conséquences sont telles que l'OSCE et les institutions européennes ont fait état de leur réprobation au plus haut niveau et j'imagine, même si ce n'est qu'une supposition, que les Canadiens, les Américains et d'autres en ont fait autant.
Comme vous l'avez dit, sénateur, ce qui est encourageant c'est qu'il y a des intérêts divers au sein du Parlement de ce pays et que l'on maintient un certain équilibre entre ceux-ci. Compte tenu de la situation historique, l'Ukraine est une démocratie qui fonctionne.
La question de l'administration du président reste posée. Il y a un meurtre non résolu et il faudra voir comment la situation va évoluer.
Je ne veux pas évoquer le pire ni la participation éventuelle de certaines institutions du gouvernement au su ou à l'insu de certains dirigeants politiques. Il est indéniable que cet événement sera à marquer d'une pierre noire dans l'histoire de l'Ukraine.
Pour ce qui est des lois privées, j'ai insisté sur le fait que la législation devait être privée et commercialisée comme un bien marchand. Il n'en reste pas moins que l'Ukraine fait de grands progrès. Comme il existe des cadastres bien répertoriés pour les bâtiments, les biens immeubles et les terres, il est possible de prêter, de grever un immeuble d'une hypothèque et de saisir des bâtiments en cas de non-paiement d'une hypothèque. Les propriétés peuvent être vendues aux enchères et c'est ce qui se passe déjà régulièrement dans l'ouest de l'Ukraine.
Dans le domaine de la propriété foncière, l'Ukraine est en train d'attribuer des titres de propriété authentiques; en l'occurrence, un document attestant qu'une personne est propriétaire d'un terrain. Cette procédure d'établissement des droits de propriété, s'appuyant sur ce que l'on appelle des «actes de propriété d'État» est, à mon avis, achevée à 30 p. 100 à l'échelle du pays, même si vous entendrez parler de différents chiffres en provenance de différentes sources pour les différentes régions du pays. La Banque mondiale met sur pied une opération de prêt en faveur de l'Ukraine portant sur plus de 100 millions de dollars américains afin d'achever la procédure d'établissement des titres de propriété et, à mon avis, les appels d'offres ne seront pas prêts avant le début de l'année prochaine.
Cela dit, il se pourrait bien que l'Ukraine privatise elle-même toutes ses terres en accordant des titres de propriété. Les responsables collaborent avec les géomètres. Vous pouvez imaginer tous les relevés qui ont été faits dans l'ensemble du pays, qui doivent ensuite déboucher sur des droits de propriété foncière. Ce pays fait face à un problème que l'on n'a pas vu souvent dans d'autres régions du monde, soit la nécessité d'établir le cadastre de villes entières et d'exploitations agricoles dotées de leurs bâtiments. Comment faire pour que des bâtiments qui figurent au cadastre soient intégrés à l'ensemble des propriétés enregistrées de façon à ce qu'il n'y ait qu'un titre de propriété unique? Je pense que vers 2005 on pourra acheter, vendre et enregistrer en Ukraine des terrains, qui seront assimilés à des biens marchands.
Le sénateur Di Nino: Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Vous avez abordé un sujet dont je tiens à discuter, soit le rôle que jouent les médias dans la mise en place d'une démocratie. On a l'impression que l'indépendance des médias est remise en cause en Ukraine. Pouvez-vous me dire ce que vous en pensez?
M. Jacuta: Il est normal que pour faire des comparaisons avec ce que l'on voit là-bas on se serve du cadre qui nous est habituel. Nous en venons à nous comparer aux Ukrainiens. Nous habitons le meilleur pays du monde. En se servant de toutes sortes d'indicateurs, les Nations Unies nous disent depuis de nombreuses années, et nous n'avons pas besoin de l'ONU pour le savoir, que nous vivons à n'en pas douter dans l'une des meilleures démocraties du monde.
L'Ukraine sort tout juste d'un régime colonial, de la règle du parti unique, d'une économie dirigiste de type communiste. On y trouve littéralement des milliers de journaux dans lesquels les journalistes luttent pour le droit à l'indépendance. L'Ukraine a une radio et une télévision indépendantes. Elles sont la propriété du secteur privé. On peut se demander si certaines entreprises sont des oligarchies ou sont indépendantes, mais elles ne sont pas la propriété de l'État.
Il arrive, notamment lors des campagnes électorales, que les médias subissent d'énormes pressions. Je ne pense pas qu'on reconnaisse tout leur mérite quand on voit ce qu'ils écrivent. Lorsqu'on les compare à nos médias, ici même au Canada, il y a bien des points de comparaison. Nous parlons de concentration de la propriété des médias et du libre accès à des émissions publiques lors des campagnes électorales. N'oubliez pas qu'un attentat a été commis contre un journaliste à Montréal. Alors que nous vivons dans le meilleur pays du monde, nous avons eu nous aussi notre part de difficultés.
Le journalisme ukrainien n'est pas encore à la hauteur de la presse libre du Canada. Toutefois, lorsqu'on voit tout le chemin parcouru depuis quelques années, je pense qu'il faut lui accorder un certain crédit.
Le sénateur Di Nino: Je ne m'intéresse pas vraiment aux comparaisons. Je voulais surtout que vous nous donniez des éclaircissements sur la question. Est-ce qu'il existe une certaine indépendance? Les médias ont-ils la possibilité de rendre compte fidèlement des événements? Il est indéniable que de grands progrès ont été réalisés et je suis de manière générale d'accord avec vos observations, même si je ne suis pas aussi familiarisé avec la question que certains de mes collègues.
Les comparaisons avec le Canada, l'Europe ou d'autres régions ne m'intéressent pas. Dans une démocratie qui fait ses premiers pas, il est essentiel que l'information soit diffusée dans le public d'une manière aussi ouverte et transparente que possible. Est-ce le cas? Est-ce qu'on commence à le voir? Est-ce que la situation s'améliore? On a tendance à penser à l'occasion que la situation pourrait bien empirer.
M. Jacuta: Je vous répondrai que lorsqu'on veut publier quelque chose en Ukraine, on a plus de chance que ce soit publié que le contraire. Il est possible d'exprimer son point de vue. Il n'y a pas d'obstacles dirimants, en l'occurrence, on n'arrêtera pas les personnes et les presses ne cesseront pas de tourner.
La pression exercée au cours de cette campagne électorale est bien plus subtile. Il est très rare que des entreprises de presse soient purement et simplement fermées, même si c'est déjà arrivé. Ce qui va plutôt se passer, c'est que les services fiscaux vont venir vérifier votre comptabilité et vous causer toutes sortes de difficultés à moins que vous rédigiez des articles dans le sens souhaité.
Le sénateur Andreychuk: Monsieur Jacuta, je voudrais vous interroger sur deux autres sujets. Lorsque je me déplace en Europe pour parler de sécurité, de politique, d'échanges et d'investissements, j'entends dire que les relations entre la Pologne et l'Ukraine sont très étroites et que la Pologne se fait souvent l'avocat d'une Ukraine forte. Ce n'est pas une chose dont on entend beaucoup parler au Canada.
Vous suivez probablement au jour le jour la campagne relative à la prochaine élection. La dernière fois, après tous les problèmes rencontrés dans l'élaboration de la procédure électorale, il a été très difficile d'élire un président de la Chambre. Le Parti communiste a refusé de renoncer aux assises de son pouvoir. D'autres forces favorables à la démocratie ont dû lutter pour retrouver leur place avant que l'on ne réaligne les forces en présence.
Est-ce que le système a suffisamment évolué pour que les résultats soient acceptés de façon plus automatique? Est-ce que le Parlement va pouvoir entrer en activité plus rapidement que la dernière fois?
M. Jacuta: Pour répondre à votre première question, il est indéniable que la Pologne et l'Ukraine ont en commun une histoire qu'elles ne comprennent pleinement qu'aujourd'hui, soit qu'il est dans leur intérêt de s'assister mutuellement pour renforcer leur indépendance, leurs deux nations, leur économie et leurs relations bilatérales. Jusqu'au début du XXe siècle, l'Ukraine et la Pologne se sont concurrencées pour occuper les territoires de l'ouest de l'Ukraine. Il s'agissait là, bien entendu, d'une influence déstabilisatrice. La Pologne et l'Ukraine présentent un intérêt stratégique au plan géopolitique, puisqu'elles se situent entre l'Allemagne et la Russie.
Elles collaborent désormais dans de nombreux domaines. La Pologne et l'Ukraine se sont dotées en commun d'une brigade de maintien de la paix qui opère sous l'égide des Nations Unies, je crois. Elles collaborent sur les questions économiques et commerciales. La Pologne s'efforce d'instaurer des relations plus étroites avec l'Ukraine. On craint que les exigences de l'Union européenne n'entraînent des difficultés à la frontière pour ce qui est des déplacements et des échanges commerciaux lorsque la Pologne sera pleinement intégrée aux structures de l'Union européenne. Il n'en reste pas moins que ces deux pays collaborent plus qu'ils ne l'ont jamais fait par le passé.
En ce qui a trait à l'élection, le pays s'est engagé lors de l'élection de 1998 dans ce qui a été qualifié «de marathon du président de la Chambre». On ne parvenait pas à élire un président de la Chambre. On n'avait pas retenu le système d'élection du président de la Chambre à la majorité des voix. Selon le système établi, il fallait obtenir plus de la moitié des voix pour être élu. Les règles ont changé et on a remédié à la situation. On a appris à s'en remettre à ce qui fonctionne dans la pratique.
Bien souvent, dans un premier temps, lorsque les ukrainiens étaient appelés à choisir entre une façon d'agir très démocratique et un comportement un peu plus pratique, plus efficace et susceptible d'accélérer les choses, ils privilégiaient toujours la solution la plus démocratique. Ainsi, pour pouvoir être député, un candidat a besoin d'obtenir 50 p. 100 des voix de 50 p. 100 des électeurs inscrits. La population est en train d'apprendre aujourd'hui qu'il faut parfois faire des compromis entre les solutions les plus démocratiques et le maintien d'un certain ordre et d'une certaine stabilité au sein du système. J'ai le sentiment que le Parlement sera mieux structuré qu'il ne l'a été par le passé. Il se peut qu'une majorité se dégage et qu'un nouveau président du Parlement soit élu sans trop de confusion entre le 7 et le 15 mai.
M. Makowecki: Tout le monde veut avoir le pouvoir. Il y a 29 partis sur le bulletin de vote et vous savez à quel point cela peut entraîner des confusions. Au Canada, nous avons cinq partis et nous avons du mal à savoir lequel choisir.
La dernière blague qui se raconte en Ukraine c'est qu'à partir du moment où il y a six partis communistes, on ne sait pas vraiment comment les voix communistes vont se partager.
Le président: Au nom du comité, je tiens à remercier M. Makowecki et M. Jacuta d'être venus nous faire part de leurs points de vue.
Honorables sénateurs, je vais maintenant souhaiter la bienvenue à M. Andrew Witer, ancien député ayant représenté de 1984 à 1988 la circonscription de Parkdale, qui est située juste en bas de la rue où j'habite.
Puis-je vous demander de nous présenter votre exposé?
M. Andrew Witer, président, Romyr et associés: Monsieur le président, Romyr et associés est une société canadienne de relations publiques qui conseille depuis 1993 des clients du secteur privé et de la fonction publique en Ukraine.
Il y a trois ans, nous avons lancé une publication intitulée The Romyr Report, une revue politique trimestrielle qui traite de l'Ukraine. Il s'agissait au départ d'un compte rendu de trois pages rédigé à l'intention de nos clients, qui a pris une certaine envergure. Aujourd'hui, The Romyr Report est publié en anglais et en ukrainien et cette revue est distribuée gratuitement à tous les députés ukrainiens, aux ministres, aux responsables de l'administration actuelle, à tous les chefs de district, aux maires des villes, aux principaux fonctionnaires, aux universités ainsi qu'à divers représentants des médias en Amérique du Nord et en Europe de même qu'aux intervenants qui, en Amérique du Nord, s'intéressent à la politique ukrainienne. Cette revue est affichée sur notre site Internet et chaque numéro est consulté à environ 15 000 reprises.
Vous m'avez demandé de comparaître ici aujourd'hui pour vous donner un aperçu de la politique ukrainienne. Je me ferai un plaisir de vous apporter ma collaboration. Pour cela, il est important de replacer les choses dans leur contexte plutôt que de chercher à préciser ce qui se passe ou ce qui s'est passé au cours des dernières 48 heures, des 30 derniers jours ou lors de la campagne électorale.
Comme vous l'auront dit éventuellement d'autres témoins, l'Ukraine a une population de 48,8 millions d'habitants. Sa superficie en fait le plus grand pays situé intégralement en Europe. L'Ukraine a des frontières communes avec sept pays: la Biélorussie, la Pologne, la Slovaquie, la Hongrie, la Roumanie, la Moldavie et la Russie. La population de l'Ukraine dépasse d'environ 55 p. 100 celle du Canada. Sa superficie est d'un peu moins de la moitié de celle de l'Ontario, mais sa population est quatre fois supérieure.
La patrie historique de la plupart des Canadiens de descendance ukrainienne, Halychyna et Bukovyna, se situe à l'heure actuelle dans les districts occidentaux d'Ivano Frankivsk, Lvov et Ternopil ainsi que Cernivtsi, qui regroupent au total 12 p. 100 de la population ukrainienne sur un territoire à peu près de la taille de la Nouvelle-Écosse.
Le Canada a bénéficié pendant plus de 100 ans de l'immigration et de la contribution des Canadiens de descendance ukrainienne à son histoire et à son développement. Avant son indépendance, et depuis celle-ci, nombre de Canadiens se sont chargés de dispenser une aide financière aux membres de leur famille restée en Ukraine. Dernièrement, cette aide s'est vraisemblablement transformée en un véritable programme de subventions informelles favorisant la création de petites et moyennes entreprises en Ukraine.
Comme le Canada, l'Ukraine est située, sur le plan géopolitique, à côté d'un très gros voisin. Contrairement au voisin du Canada, les États-Unis, le voisin de l'Ukraine, la Russie, a un passé colonial impérial et multinational qui pèse sur le développement actuel de ce pays démocratique, influe sur ses aspirations et ses politiques internationales et remet en question son développement.
De nombreux responsables se félicitent de l'orientation stratégique choisie par l'Ukraine et c'est ainsi que le président Kuchma a déclaré: «L'orientation stratégique de l'Ukraine est déterminée par sa situation géopolitique ainsi que par ses traditions historiques et culturelles, qui définissent de toute évidence notre État comme un État européen».
Beaucoup d'autres seront d'accord avec Zbigniew Brzezinski, qui a déclaré: «L'indépendance de l'Ukraine marque la fin de l'histoire impériale de la Russie» et «L'indépendance et la sécurité de l'Ukraine contribueront à la stabilité de l'Europe, et plus particulièrement de l'Europe centrale. C'est tout aussi important que l'expansion de l'OTAN».
La transition effectuée par l'Ukraine et des autres pays qui ont échappé à l'influence soviétique n'a pas vraiment de précédent. L'Ukraine est en train d'apprendre à y parvenir et le Canada a réagir comme il se doit en apportant l'aide nécessaire. Il est plus important, à mon avis, de faire preuve de persistance, de tenir compte des besoins et de déployer des efforts systématiques plutôt que de juger ou de condamner le passé.
Pour bien évaluer la situation politique actuelle de l'Ukraine, il est bon de comprendre les réalités politiques de celle- ci avant l'indépendance et le chemin qu'elle a parcouru dans son développement politique depuis cette indépendance.
À la veille de l'indépendance, en 1991, l'activité politique était déterminée par l'article 6 de la Constitution de la République socialiste soviétique de l'Ukraine. Cet article faisait jouer au Parti communiste un rôle de chef de file en lui garantissant un monopole d'État à la participation aux activités politiques. En droit, toutes les organisations publiques étaient totalement politisées par le Parti communiste. L'opposition était interdite. Tout signe de dissidence était réprimé.
L'administration du gouvernement était entièrement contrôlée par les dirigeants du parti, qui bénéficiaient de privilèges, récompensaient les personnes loyales au parti et sanctionnaient les divergences. Le régime était nettement plus répressif en Ukraine et dans les autres républiques soviétiques que dans les pays voisins comme la Pologne et s'appuyait sur les structures historiques et les politiques coloniales de l'ancien empire russe.
L'indépendance n'a pas soudainement supprimé les aspirations au pouvoir des élites et de nombre de dirigeants bien établis dans toute la société, depuis le gouvernement central jusqu'au niveau des villages. Elle n'a pas non plus supprimé du jour au lendemain la corruption à laquelle la population était obligée de recourir pour s'assurer du lendemain et pour atteindre les objectifs d'une économie planifiée.
Une fois l'indépendance déclarée, les élites au pouvoir et nombre de dirigeants ont cherché, soit à rétablir l'ancien régime, soit à maintenir leur pouvoir compte tenu de la nouvelle situation. Ce faisant, ils ont fait obstacle au développement démocratique et ont compliqué encore la période de transition économique. Ils ont aussi accusé les forces démocratiques d'être cause des difficultés économiques alors que celles-ci faisaient face elles aussi à des bouleversements et à des ruptures.
Le développement de la démocratie a par ailleurs été gêné par la mauvaise image de l'Ukraine au plan international. La tradition de dépendance politique et économique vis-à-vis de la Russie n'a pas contribué à faciliter le développement de la démocratie.
Dans les premiers temps de l'indépendance de l'Ukraine, les anciens dirigeants du parti étaient toujours au pouvoir, les vielles lois soviétiques étaient toujours en place, il y avait très peu de liens diplomatiques et d'échanges avec les autres pays du monde, la pression impérialiste exercée par les intérêts russes se poursuivait, l'économie dirigiste s'écroulait, on ne savait plus où on se dirigeait et on était encore empreint de la vieille mentalité soviétique.
Que s'est-il passé depuis l'indépendance? Sur le plan extérieur, alors qu'elle était au départ pleinement intégrée à l'Union soviétique et dépendante de celle-ci, l'Ukraine a démantelé son arsenal nucléaire, a rapatrié son armée, s'est dotée d'un service des affaires étrangères en partant pratiquement de zéro et s'est intégrée à la communauté diplomatique internationale. Elle a élaboré des orientations de politique étrangère conciliant ses intérêts à l'Est avec le choix européen effectué en faveur de l'Ouest.
Au plan interne, l'Ukraine a élaboré et adopté une constitution démocratique en 1996 et a réparti les pouvoirs entre les différentes branches de l'État. Elle s'est dotée d'une loi électorale démocratique et d'un code foncier reconnaissant le droit de propriété sur les terres. Sur le plan de la société civile, l'Ukraine a introduit le pluralisme politique et de multiples partis prennent part à la vie politique. Elle a évité la violence et une revanche généralisée contre les anciens éléments communistes. La capacité et l'infrastructure des institutions de la fonction publique se sont développées. Les médias et le secteur de l'information se sont relativement libéralisés.
Sur le plan de la réforme du droit, la nouvelle constitution a allongé la liste des recours que peuvent intenter les citoyens devant des tribunaux. Le nombre de poursuites intentées par les particuliers contre l'État augmente et les tribunaux sont saisis d'un plus grand nombre de plaintes contre les pouvoirs publics. Les indices économiques des 18 derniers mois sont positifs.
Le PNB est en hausse. L'inflation diminue. La production industrielle augmente. La monnaie est stable. La création de petites entreprises a augmenté de 13 p. 100 l'année dernière. Moody's International a annoncé que l'Ukraine était le pays qui avait le meilleur rendement sur investissement en 2001, soit 57 p. 100.
Deux élections à la présidence et deux autres élections concernant le Parlement central et les Parlements locaux ont été organisées. Lors de la dernière élection de 1998, le taux de participation des électeurs a été de 70 p. 100 et les observateurs nationaux et internationaux postés dans les bureaux de scrutin n'ont relevé aucune violation flagrante. Une nouvelle loi électorale a été adoptée, et si d'aucuns considèrent qu'il s'agit là d'une disposition provisoire, elle est plus démocratique que la loi électorale antérieure. Un meilleur mécanisme de contrôle a été institué pour faire respecter la loi électorale et des appels peuvent être interjetés à l'encontre des résultats de l'élection ou d'un comportement illégitime des pouvoirs publics.
On a fixé un délai fixe pour la campagne électorale, soit 90 jours, la constitution et le fonctionnement des commissions électorales ont été améliorés et les sommes d'argent pouvant être dépensées lors des campagnes électorales ont été limitées. Quelle est la situation actuelle? Je rentre juste d'un séjour en Ukraine — je suis arrivé hier soir, en effet — et j'ai pu observer le déroulement de la campagne électorale. Comme les sénateurs le savent peut-être, il y a au Parlement ukrainien 225 circonscriptions et 450 sièges à pourvoir. Le bulletin comportera deux parties distinctes. La première partie s'applique aux circonscriptions ne comportant qu'un seul député, les Ukrainiens étant appelés à choisir le candidat qu'ils préfèrent parmi ceux qui figurent sur le bulletin. La deuxième partie dresse la liste des partis, des regroupements et des syndicats parmi lesquels l'électeur est invité à en choisir un. La moitié des sièges au sein du Parlement sont attribués à la proportionnelle parmi les groupes qui, dans la liste, recueillent plus de 4 p. 100 de voix alors que l'autre moitié est constituée par les députés qui recueillent le plus de voix dans leur circonscription.
Il y a 13 regroupements, 19 partis et un syndicat politique sur la liste électorale, soit 33 au total. Quelque 6 500 candidats ont été inscrits. Si les élections avaient lieu aujourd'hui — il est interdit en Ukraine de publier les résultats des sondages 15 jours avant l'élection — selon les derniers sondages, les résultats seraient les suivants: le regroupement de Victor Yushchenko obtiendrait environ 19 p. 100 des voix. Les Communistes en auraient 17 p. 100. Je vous signale en passant que lors de la dernière élection législative, ils en avaient recueilli 24,65 p. 100. Les autres partis qui vont vraisemblablement passer la barre des 4 p. 100 sont le Parti social-démocrate de l'Ukraine, le regroupement de l'Ukraine unie, le Parti vert, les socialistes et les Femmes en faveur de l'Ukraine.
Un quart des personnes interrogées lors des sondages de la semaine dernière n'avaient pas encore pris de décision. À mon avis, c'est le Parti communiste qui a le moins de chance de progresser, les électeurs indécis et le regroupement de Yushchenko étant les plus susceptibles d'améliorer leur position.
Il est vraisemblable que les partis du centre, du centre droit et du centre gauche vont prendre l'avantage dans le prochain Parlement. On ne prévoit pas qu'il y aura une majorité absolue. La campagne électorale est menée vigoureusement, mais sans violence. Il y aura lors de cette élection quelque 500 observateurs de l'OSCE, des centaines provenant d'autres institutions internationales et des milliers sur le plan national.
Depuis le référendum de décembre 1991, l'Ukraine a garanti son indépendance et a fait progresser la libéralisation et la démocratisation de sa société ainsi que son intégration au plan européen et international. Elle a fait d'importants progrès sur le plan des réformes politiques et économiques, mais elle a pu constater que la lutte contre des éléments d'inertie politique puissants ne donne pas des résultats positifs très rapidement. D'autres efforts sont nécessaires pour enrayer la corruption et faire sortir l'économie de l'ombre. Une grande partie de la fonction publique en Ukraine reste inefficace et ne contribue pas véritablement à l'élaboration des politiques nationales. Les rentes de situation dont profitent les oligarchies et les hauts dirigeants contribuent encore à bloquer les réformes ou à les orienter dans un sens personnel. Les médias sont encore trop concentrés et la couverture par les médias des différents enjeux politiques n'est pas toujours équilibrée.
On a de nombreuses preuves d'une volonté de réforme, mais le grand défi sera de faire appliquer les nouvelles lois sur le terrain et dans la vie de tous les jours. Il faut donc pour cela renforcer la capacité technique de faire appliquer les lois. Il faut aussi de la discipline pour écarter les ingérences politiques au sein du système judiciaire. Il faut continuer à avancer et à saisir les chances qui s'offrent tout en établissant des institutions durables. Il faut se donner du temps.
Il faut que le Canada continue à mon avis de jouer son rôle d'assistance technique de manière positive et compréhensive, en accordant davantage d'intérêt à des partenariats d'entreprise à long terme tirant parti du potentiel scientifique et technique de l'Ukraine en poursuivant nos efforts pour instaurer et maintenir des liens culturels qui sont le gage d'une bonne entente. Les Ukrainiens font confiance aux Canadiens. Le Canada peut et doit continuer à être un grand ami de l'Ukraine sur la scène internationale et de la parrainer au sein des IFI, de l'OTAN, de l'Organisation mondiale du commerce et d'autres institutions afin que se poursuive l'intégration au sein de la communauté internationale de ce pays occupant une place stratégique dans le monde. Il est dans notre intérêt de le faire.
Le président: Merci.
Le sénateur Setlakwe: J'ai écouté avec attention vos déclarations ainsi que celles des deux témoins qui vous ont précédé. Je suis d'accord pour dire que l'Ukraine a fait d'énormes progrès lors des 10 dernières années environ, mais je me demande cependant dans quelle mesure toutes ces réformes et tous ces progrès ont vraiment attiré des investissements directs étrangers en Ukraine. J'aimerais que vous me disiez dans quelle mesure toutes ces réformes ont à votre avis contribué à l'arrivée d'investissements directs étrangers. Je crois savoir qu'à l'heure actuelle ce genre d'investissement fait terriblement défaut en Ukraine. En dépit du portrait à l'eau de rose que vous nous avez fait, les investisseurs étrangers n'ont-ils peut-être pas quelque doute sur la sécurité des transactions avec l'Ukraine? Il est très important pour l'avenir de l'économie ukrainienne que cette incertitude soit dissipée.
M. Witer: Il va sans dire que les investissements effectués en Ukraine ne sont pas au niveau souhaité par les Ukrainiens. Les réformes mises en place n'ont pas été communiquées ou diffusées largement dans la population ukrainienne, sans parler de l'extérieur de l'Ukraine. Je considère que les responsables ukrainiens pourraient améliorer leurs communications.
Lorsqu'on parle d'investissement, il y a une chose qu'il ne faut pas oublier. L'économie du Canada, et bien évidemment celle de l'Ukraine, aujourd'hui comme demain, reposent avant tout sur les petites et moyennes entreprises. On ne comptabilise pas les investissements dans les petites et moyennes entreprises en Ukraine. On mesure les gros investissements effectués au sein des grandes entreprises à concurrence de montants élevés, mais on oublie les millions de dollars que déversent en Ukraine les familles ukrainiennes installées dans le monde entier. Il ne s'agit pas ensuite de ressortir de l'argent. Il s'agit ici de personnes qui montent une quincaillerie, une usine de fabrication de crème glacée, une confiserie, etc. Il y a finalement des milliers d'entreprises de ce genre qui démarrent et qui sont financées par des Ukrainiens habitant au Canada, aux États-Unis, en Europe et dans d'autres parties du monde. Ce type d'investissement n'est pas comptabilisé. C'est peut-être la raison pour laquelle on a enregistré en Ukraine une augmentation de 13 p. 100 des petites entreprises alors que l'année dernière, en Russie, le nombre de créations de petites entreprises a diminué de 2 p. 100. Cela s'explique peut-être par le fait que ces investissements ne sont pas comptabilisés.
Pour ce qui est des gros investissements, même les règles de pratique les mieux adaptées, les lois les plus judicieuses et les meilleurs règlements ne donnent pas un aussi bon exemple qu'un «parcours heureux» — soit celui d'une entreprise qui est venue opérer dans les conditions existantes et qui a en fait réussi à gagner de l'argent. Nous sommes une très petite entreprise, mais nous exerçons nos activités en Ukraine depuis 1993 et chaque année nous y réalisons des bénéfices. Nous avons investi dans l'immobilier et nous nous débrouillons très bien, je vous prie de le croire. Il serait toujours possible de faire mieux. D'autres aussi font d'excellentes affaires et je ne parle pas seulement des petites entreprises. Il n'en reste pas mois qu'il y a davantage d'investisseurs, notamment de grosses multinationales, qui sont venues en Ukraine et qui ont fait de mauvaises affaires. Il y a à cela de nombreuses raisons et je suis prêt à en discuter avec vous.
Le sénateur Grafstein: Vous nous avez dit que sept pays entouraient l'Ukraine. Je crois qu'il y en a huit. Il y a la République soviétique de Transnistrie, à la frontière de la Moldavie, qui n'est pas encore reconnue et qui s'est détachée de l'ancienne Union soviétique. Si je le signale, c'est tout simplement parce que je fais partie de la mission de paix de l'OSCE, qui se charge de désamorcer cette situation très explosive. Les troupes russes sont encore sur place.
Je cherche surtout, lorsqu'on parle de l'Ukraine, à comparer la présidence russe à la présidence ou au pouvoir exécutif de l'Ukraine. On a fait un certain nombre d'allégations graves à l'encontre de l'administration Poutine, mais cela n'a pas eu des répercussions négatives sur les investissements effectués en Russie.
Comparativement, le régime Kuchma est en soi, à mon avis — et je m'appuie sur de longues discussions qui ont eu lieu au sein de l'OSCE — un obstacle aux futurs investissements. Je ne dresserai pas la liste des allégations ou des reproches qui sont faits à ce régime parce qu'il existe de nombreux dossiers à ce sujet et qu'on les connaît bien. Ainsi que je l'ai déclaré à l'un des témoins précédents, la bonne nouvelle, c'est que le gouvernement de l'Ukraine se démocratise et qu'il fait utilement contrepoids à une administration qui s'égare.
Qu'en pensez-vous? Considérez-vous par ailleurs que ça puisse changer dans un avenir proche? À mes yeux, c'est le principal obstacle aux progrès susceptibles d'être réalisés par l'Ukraine à l'avenir.
M. Witer: Je ne ferai pas de commentaire au sujet de M. Poutine parce que la Russie ne relève pas de ma compétence. En ce qui concerne la Transnistrie, je suis convaincu qu'une fois que ce pays aura acquis un statut officiel, l'Ukraine sera le premier pays à la reconnaître officiellement comme son huitième voisin. Tout ce que je peux vous dire, c'est que ce n'est pas faute d'essayer que l'on en est rendu à cette situation en Ukraine. En sa qualité d'ancien directeur du conseil consultatif sur les investissements étrangers, le président a invité les principaux dirigeants des grandes entreprises ayant le moindre lien avec l'Ukraine à y investir. Je vous parle de Shell, de Coca-Cola, de Lucent Technologies, etc. Tous ces gens se réunissent au moins une fois par an pour parler des questions qui les préoccupent et des obstacles auxquels ils font face. Des groupes de travail ont été institués pour résoudre les problèmes rencontrés par les investisseurs internationaux en Ukraine.
Autant que je puisse en juger, les responsables au plus haut niveau font de pieds et des mains pour résoudre ces difficultés. Les problèmes rencontrés par les investisseurs internationaux en Ukraine ne me paraissent pas venir du sommet, je dirais qu'ils se posent au niveau local, où même les décrets qui ont été adoptés ont du mal à filtrer. Le responsable local continue à dire: «Il est bien possible que Kiev ait pris une décision, mais vous êtes ici dans ma ville et voici les règles qui s'appliquent». C'est encore ainsi que ça se passe, mais à un degré bien moindre qu'il y a six ou sept ans. Autant que je le sache, c'est une situation caractéristique de la majorité ou de la totalité des républiques de l'ancienne Union soviétique.
N'oublions pas que lorsque nous parlons d'investisseurs, il y a non seulement la question de la sécurité et de la stabilité, mais aussi la nécessité pour ceux-ci de savoir dans quoi ils investissent, et il est donc important qu'ils soient conscients de la situation dans le pays dans lequel ils investissent. Je pense que si vous mentionnez l'Ukraine aux responsables de la plupart de ces sociétés dans le monde, ils vont vous répondre «Quoi?». Si vous vous adressez à ces mêmes responsables en leur parlant de la Russie, sans autre précision, ils vont reconnaître le nom du pays et vous dire que c'est intéressant et qu'il s'agit d'un grand pays constituant un marché potentiel énorme. Ces facteurs sont importants lorsqu'une entreprise prend des décisions.
Le sénateur Andreychuk: J'aimerais enchaîner sur le commentaire du sénateur Grafstein et sur la réponse que vous avez apportée.
Il est indéniable que la Russie occupe une place de choix dans la politique étrangère du Canada et que l'on peut alléguer que si l'on s'intéresse à l'Ukraine, c'est parce que nous avons une grosse communauté d'origine ukrainienne au Canada, dont je fais partie. Mes racines sont ukrainiennes. Vous nous avez dit que le Canada avait intérêt à entretenir des relations avec l'Ukraine, et notre comité étudie les recommandations portant sur la politique étrangère du Canada envers l'Ukraine et la Russie.
Pouvez-vous nous dire ce qui, en dehors des intérêts de la communauté ukrainienne, peut nous amener à considérer que nous devons privilégier la question de l'Ukraine, en tant que pays revêtant en quelque sorte un intérêt particulier? On nous répète que nous avons une relation spéciale avec l'Ukraine et je demande toujours en quoi cela consiste lorsqu'on dépasse le niveau de la communauté ukrainienne. Je n'arrive pas à obtenir une réponse à cette question. Il m'apparaît que c'est la raison de notre étude. Avons-nous une relation spéciale avec ce pays parce que nous comptons un million de Canadiens de descendance ukrainienne et que nous tenons compte de cette clientèle politique au Canada, ou y a-t-il un véritable lien particulier que le Canada peut encore renforcer avec l'Ukraine? Je reconnais que le Canada occupe une place particulière en étant le voisin d'une grande puissance, comme c'est le cas de l'Ukraine vis-à-vis de la Russie. Je reconnais aussi qu'il y a un facteur géopolitique étant donné que ce pays occupe une situation stratégique en Europe. Pensez-vous que nous devrions resserrer nos liens et quelles recommandations feriez-vous à notre gouvernement sur les questions de politique étrangère?
M. Witer: C'est beaucoup me demander, sénateur. Je ferai de mon mieux pour répondre à votre question.
Le sénateur Andreychuk: Avant que vous me répondiez, je dois vous dire que je lis effectivement votre revue et que je suis très contente de vous avoir devant moi aujourd'hui afin de vous faire savoir que je la juge excellent et qu'elle rend fidèlement compte de toutes les questions de politique ainsi que de tout ce qui a trait aux investissements et aux échanges. Elle nous fait un compte rendu particulièrement objectif de la situation en Ukraine. Votre point de vue revêt donc une grande importance pour notre comité.
M. Witer: Merci, sénateur, vous êtes très aimable. Nous essayons de faire de notre mieux.
Comme quelqu'un l'a dit tout à l'heure et comme nous le savons tous, nous jouissons dans notre pays d'un niveau de vie excellent — le meilleur au monde. Je ne suis pas le premier à le dire, mais je suis bien persuadé qu'il est important pour nous de faire profiter aux autres de tous les avantages que nous avons ici au Canada. Je ne parle pas simplement de démocratie; je parle aussi de notre niveau de vie élevé. Le Canada est particulièrement bien placé pour le faire, non seulement en Ukraine, mais aussi dans de nombreuses autres régions du monde. Cela soulève toutefois la question du financement et des moyens dont nous disposons. Voilà ce qu'il nous faut examiner. Nous devons établir une liste de priorités. Comment les choisir? Comment décider de faire telle ou telle chose et d'affecter des ressources dans un pays donné et non pas dans d'autres?
Vous nous indiquez qu'il y a environ un million de Canadiens de descendance ukrainienne. Voilà plus de 100 ans que des Canadiens d'origine ukrainienne arrivent dans notre pays. Ce sont des pionniers, ils ont défriché des régions entières de notre pays, largement contribué à nos réalisations dans presque tous les domaines de la vie canadienne et, par conséquent, cela ne peut que nous rapprocher lorsqu'on établit une liste prioritaire comptant des pays comme l'Ukraine, l'Italie ou le Portugal. Il est tout à fait naturel pour nous de privilégier l'Ukraine. Nous devons faire bénéficier d'autres pays du niveau de vie dont nous jouissons au Canada. C'est la meilleure garantie de le conserver.
Sur le plan des intérêts commerciaux et économiques, l'Ukraine et le Canada sont des partenaires naturels dans bien des secteurs. On peut prendre l'exemple de l'industrie aérospatiale. Les Ukrainiens obtiennent d'excellents résultats dans des secteurs comme le transport aérien où des technologies de pointe ont été élaborées en ce qui a trait à des types d'appareils qui n'existent encore que sur la planche à dessin de la plupart des autres entreprises dans le monde. Toutefois, l'Ukraine n'a pas suffisamment de capacités en commercialisation, de connaissances financières et d'atouts politiques. Ce sont des qualités que possède le Canada et une plus petite entreprise, Bombardier éventuellement, pourrait être le collaborateur tout trouvé d'un pays comme l'Ukraine. Elle pourrait alors s'adresser à d'autres marchés, pour lesquels Boeing et d'autres entreprises n'ont tout simplement pas les produits nécessaires. Ce n'est là qu'un exemple, mais il y a bien d'autres domaines dans lesquels les Ukrainiens et les Canadiens pourraient être d'excellents partenaires.
Enfin, si ce pays réussit son décollage et atteint son potentiel, nous aurons trouvé un grand partenaire commercial. Dans l'économie mondialisée d'aujourd'hui, il est important d'avoir des partenaires commerciaux. On ne peut continuer comme nous l'avons toujours fait, soit faire uniquement confiance aux États-Unis en tant que partenaire commercial. À long terme, nous devons examiner d'autres options politiques, et c'est ce que les Canadiens cherchent à faire depuis 40 ou 50 ans. Certaines premiers ministres en ont même fait leur priorité mais, à la fin de leur mandat, la part de nos échanges représentée par les États-Unis était encore plus élevée. C'est une situation frustrante, mais je ne pense pas qu'il faille abandonner. Nous avons besoin d'instaurer des liens avec d'autres partenaires commerciaux, pas uniquement avec l'Ukraine, bien entendu, mais l'Ukraine est un choix tout indiqué, à mon avis.
Le sénateur Graham: Vous nous dites qu'en plus raisons humanitaires évidentes, le Canada retirerait des dividendes économiques non négligeables s'il investissait et faisait la promotion des investissements dans ce pays.
J'aimerais que nous revenions à la prochaine élection. Vous nous avez dit dans votre mémoire qu'il y avait 3 500 observateurs de l'OSCE et des centaines d'observateurs appartenant à divers organismes dans le monde. Pour commencer, est-ce que ces observateurs sont bien accueillis en Ukraine?
M. Witer: Vous pourriez peut-être préciser votre question. Bien accueillis par qui?
Le sénateur Graham: Par la population locale.
M. Witer: Après avoir agi en qualité d'observateur officiel lors de la première élection législative en Ukraine, je peux vous assurer que l'une des difficultés tient à l'interprétation de la notion de «bon accueil». Lorsque des observateurs arrivent dans un village ou une petite ville pour observer les résultats des élections, la population ne veut pas les laisser repartir. L'hospitalité est une chose sacrée en Ukraine. C'est stupéfiant. Quelqu'un que vous n'avez encore jamais rencontré auparavant va vouloir vous inviter à manger chez lui. C'est sûr qu'ils sont bien accueillis. Il n'y a pas à en douter.
Ce sont toutefois les gouvernements et les responsables politiques qui ont invité ces gens à venir. Le président ukrainien a invité l'OSCE à envoyer des observateurs et à déléguer d'autres personnes en Ukraine pour observer l'élection. Certains vont vous dire «Nous n'avons pas besoin des observateurs occidentaux parce qu'ils vont peser sur le résultat de l'élection». Ce que j'ai entendu de plus étonnant à ce sujet la semaine dernière, c'est une observation de la bouche de l'ambassadeur russe en Ukraine. Je ne m'attendais pas à lui entendre dire ce genre de chose. Il y a des personnes qui font des déclarations de ce type mais il ne s'agit là ni du point de vue de l'élite politique en Ukraine ni de celui de la population en général. C'est le point de vue de certains particuliers et du Parti communiste ukrainien.
Le sénateur Graham: Vous avez aussi indiqué qu'il y aurait des milliers d'observateurs du pays. C'est encourageant. Sont-ils organisés? J'ai conduit une délégation lors d'une élection bulgare au sein de laquelle un des journalistes — et ils étaient 400 à être présents le lendemain de l'élection — a posé la question suivante: «Quand allez-vous considérer qu'il n'est plus nécessaire d'intervenir?» La question s'adressait à l'Institut national démocratique de Washington parce qu'on estimait qu'il était le représentant de la politique fortement interventionniste des États-Unis, selon ce qui avait été allégué. J'ai tout simplement répondu: «Lorsque vous ne nous inviterez plus», parce que nous avions été invités par les partis d'opposition, par l'électorat et par d'autres parties prenantes.
Les observateurs nationaux sont-ils organisés sur le modèle du Mouvement national des élections libres que l'on retrouve aux Philippines, la première organisation de ce type que l'on a vu s'établir dans un pays déterminé? Je me souviens des organisations du même type qui sont apparues en Bulgarie, en Hongrie et ailleurs. Ces gens sont-ils organisés?
M. Witer: Il s'agit des ONG ukrainiennes.
Le sénateur Graham: Je parle des observateurs nationaux.
M. Witer: Il s'agit des ONG établies au plan national. Oui, elles ont entrepris d'observer l'élection. Cette élection peut être observée d'autant plus effectivement qu'il y a 33 partis qui ont tous droit à un délégué au bureau de scrutin. Au Canada, le scrutateur travaille le soir de l'élection. En Ukraine, il doit être enregistré auprès de la commission électorale et ses droits prennent naissance à compter de la date à laquelle il est enregistré. Les scrutateurs peuvent siéger lors de toutes les audiences de la commission électorale pour voir comment les décisions sont prises. Ils observent les moindres aléas de la procédure durant toute la campagne électorale. C'est pourquoi les partis étaient bien décidés à apporter des changements dans la loi électorale en novembre dernier. Ils se sont dits: «Si nous réussissions seulement à apporter ce petit changement, nous pourrons enregistrer environ 3 500 personnes». Chacun a ses propres intérêts, mais tout le monde surveille tout le monde. Il faut se féliciter de cette évolution de la loi électorale. Nous sommes à peu près certains qu'il n'y aura pas de grosses infractions commises lors de la prochaine élection. Dans toutes les élections, quel que soit le pays, y compris au Canada, il y a des incidents. La question qu'il faut se poser est la suivante: Est-ce qu'il y aura de grosses bavures? À mon avis, il n'y en aura pas. Il y a trop d'yeux et trop d'oreilles qui voient et qui écoutent.
Le sénateur Graham: Vous nous avez bien dit que les sondages étaient interdits pendant les 15 derniers jours de la campagne électorale?
M. Witer: Il est interdit de publier les résultats des sondages 15 jours avant la date de l'élection.
Le sénateur Graham: Il y a une différence intéressante entre la publication des sondages et la tenue de sondages par les partis, qui gardent les résultats pour eux. Est-ce qu'ils sont autorisés à faire des sondages?
M. Witer: Oui, effectivement.
Le sénateur Graham: Mais ils ne peuvent pas en publier les résultats?
M. Witer: C'est bien ça.
Le sénateur Di Nino: Soyez le bienvenu, monsieur Witer. Je voudrais revenir à la question économique, si vous me le permettez. J'ai deux questions précises à vous poser.
Tout d'abord, lorsqu'un pays passe d'une économie dirigiste à une économie de marché, nous assistons le plus souvent à une fuite des capitaux. Mon ami, le sénateur Setlakwe, vous interrogeait tout à l'heure sur les investissements effectués en Ukraine. Pouvez-vous nous préciser si l'Ukraine a éprouvé des difficultés lorsque son économie s'est libéralisée à partir du moment où des gens ont retiré de l'argent du pays?
En second lieu, que pouvez-vous nous dire de l'économie souterraine?
M. Witer: Pour ce qui est tout d'abord des fuites de capitaux du pays, il est indéniable qu'à la suite de la rupture de l'Union soviétique et de l'établissement d'une Ukraine indépendante, des sommes d'argent importantes ont quitté le pays. Elles se sont retrouvées de préférence dans des pays servant de refuge comme Chypre, les îles de la Manche ou la Suisse. Toutefois, une grande partie de cet argent rentre désormais au pays. Comment expliquer sinon que Chypre soit le troisième investisseur en Ukraine? Comment expliquer autrement que la ville de Kiev est désormais en pleine rénovation? Un centre commercial, qui tient tout le centre-ville, est en cours de construction en sous-sol. Nous parlons ici d'un centre commercial et d'hôtels couvrant des centaines d'acres sans que la ville n'ait investi un sou. Ce sont exclusivement des investissements privés et locaux. Cet argent vient de quelque part. Une grande partie rentre aujourd'hui en Ukraine pour être réinvestie dans ce pays.
L'économie souterraine ou clandestine existe et elle continuera à exister tant que l'on n'aura pas une fiscalité qui fait qu'il est plus rentable de commercer au grand jour. Ce n'est pas encore le cas en Ukraine. Un nouveau code fiscal est proposé. Il n'a pas été adopté, même si de nombreuses tentatives ont été faites lors de la dernière législature. On a de bonnes raisons de penser qu'il sera déposé à nouveau lors de la prochaine législature et qu'il sera adopté. Différentes déclarations ont été faites, non seulement par les fonctionnaires du gouvernement, mais aussi par le président lui- même, qui affirme qu'il est dans l'intérêt de l'Ukraine de rapatrier les capitaux qui ont fui le pays. Oui, il y a des efforts qui sont faits. La difficulté est de mesurer la quantité de capitaux qui rentrent au pays. Il est prouvé, toutefois, qu'ils rentrent.
Le sénateur Di Nino: Comment estimer l'importance de l'économie souterraine?
M. Witer: Je n'aime pas faire des estimations. Selon ce que j'ai lu et entendu, on estime que c'est en gros 50 p. 100.
Le sénateur Bolduc: Vous investissez en Ukraine, et c'est aussi ce que fait le témoin qui vous a précédé. Quelle la situation qui est faite aux investisseurs comparativement à ce qui se passe au Canada?
Nous savons que des progrès ont été réalisés au niveau des politiques macroéconomiques. Certaines réformes structurelles ont lieu dans le réseau bancaire et en ce qui a trait aux lois sur la faillite, aux lois sur les entreprises, etc., mais il y a souvent des disparités entre la loi et son application. Qu'en pensez-vous?
M. Witer: Nous ne sommes qu'une très petite entreprise, mais nous sommes la preuve parfaite que l'investissement est possible. Je pourrais peut-être vous donner un exemple pour illustrer la différence.
Je possède des biens immobiliers au Canada. Ils me procurent un rendement de quelque 7 p. 100 par an. J'ai aussi de l'immobilier en Ukraine, dont le rendement est de 43 p. 100 par an.
Le sénateur Di Nino: Vous avez besoin d'un associé?
M. Witer: J'obtiens un rendement sur investissement qui n'est pas parmi les plus hauts. Effectivement, il est plus risqué d'investir dans un pays comme l'Ukraine, mais le rendement est supérieur.
Le sénateur Grafstein: Est-ce que c'est après évaluation?
M. Witer: C'est après évaluation. Les mécanismes sont en place pour que l'on paye de l'impôt, que l'on retire un profit et que l'on fasse normalement des affaires. Effectivement, il y a des difficultés et des risques, qui sont plus grands qu'au Canada.
Le sénateur Bolduc: Y a-t-il des ingérences bureaucratiques?
M. Witer: J'investis à Kiev et je publie un rapport qui est largement distribué en Ukraine. On ne nous dérange pas. Nous avons de nombreux clients.
L'un des journaux a d'ailleurs fait enquête auprès du directeur de Price Waterhouse en Ukraine en lui demandant si les bureaucrates causaient éventuellement des difficultés à ses clients. Il a répondu que ces dernières années il n'y avait eu aucune difficulté pour la simple raison que lorsque ses clients ont des problèmes, ils s'adressent aux tribunaux. Ils gagnent approximativement 85 p. 100 de leurs causes. À l'heure actuelle, alors qu'un système est en place pour faire connaître ses griefs, et porter les litiges contractuels devant les tribunaux, ce genre de difficulté diminue.
Le sénateur Bolduc: Est-ce qu'un régime normal commence à prendre forme?
M. Witer: Oui, il commence à prendre racine.
Le sénateur Setlakwe: Compte tenu de tous ces éléments, jusqu'à quel point l'Ukraine est-elle intéressée à se joindre à l'Organisation mondiale de la santé?
M. Witer: C'est probablement la grande priorité économique et politique de l'Ukraine. Elle est particulièrement déterminée à entrer dans l'Organisation mondiale du commerce. J'ajouterais que l'Ukraine apprécie particulièrement les efforts que fait notre ambassadeur en Suisse en la matière ainsi que ceux des responsables de l'ambassade canadienne à Kiev. C'est une chose qui a été très remarquée. Je pense que le Canada a fait beaucoup pour faciliter l'entrée de l'Ukraine dans l'Organisation mondiale du commerce et que les Ukrainiens ne manquent pas de l'apprécier. C'est une très grande priorité.
Le sénateur Setlakwe: L'Ukraine veut-elle se joindre à l'Union européenne?
M. Witer: La question est plus délicate. Les Ukrainiens eux-mêmes se rendent compte que la procédure peut être longue. Ils se disent maintenant qu'ils seront peut-être prêts plus tôt pour l'Europe que l'Europe ne sera prête à les accueillir.
Le président: Selon les dires de la Pologne, de la Tchécoslovaquie et de la Hongrie, les bureaucrates de Bruxelles sont pires que les bureaucrates de l'ancienne Union soviétique.
M. Witer: C'est ce que j'ai entendu dire, sénateur.
Le sénateur Bolduc: Vous nous dites que des échanges commerciaux pourraient être effectués dans le secteur des transports. Quels autres secteurs pourraient être intéressants en la matière, en plus des ressources humaines?
M. Witer: Pour le Canada, l'agriculture vient naturellement à l'esprit. Ces deux dernières années, l'Ukraine a commencé à reprendre sa place. Elle revient à la situation qui était la sienne avant que l'économie dirigiste et que l'organisation centralisée de l'agriculture ne lui soient imposées. Je prévois que l'Ukraine remportera d'énormes succès dans le secteur agricole au cours des 10 prochaines années.
Le Canada a des semences, des techniques et des connaissances dont a besoin l'Ukraine. Ne sous-estimons pas la question des connaissances. Toutes les sociétés ont un certain nombre de valeurs qu'elles chérissent. L'un des grands idéaux de l'Ukraine, c'est la connaissance. Je connais des gens qui occupent d'excellents emplois en Ukraine, mais qui quitteraient leur travail s'ils avaient la possibilité d'obtenir un diplôme à l'étranger. Nous en avons deux exemples dans nos propres entreprises. Une jeune femme a quitté pendant deux ans son emploi avec une bourse Edmund Muskie pour obtenir une maîtrise en relations publiques à San Diego, après quoi elle est retournée dans son pays. Une autre est partie en août pour suivre la même formation.
Des centaines et peut-être même des milliers de personnes le font. Il faut bien voir surtout que c'est profondément enraciné dans les mentalités ukrainiennes. Des possibilités de formation de ce type peuvent être offertes aux Ukrainiens par le Canada et ce n'est pas toujours facile parce que les Ukrainiens sont un peuple très fier. Les Américains ont des difficultés sur ce plan, mais pas les Canadiens.
L'Académie de l'administration publique et des administrations locales gère un excellent programme financé par l'ACDI. C'est une magnifique réussite pour notre pays. Nous ne dépensons pas beaucoup d'argent, mais cela nous rapporte gros, en partie en raison des projets que nous choisissons, et en partie du fait du genre de personne que nous y envoyons.
Le sénateur Bolduc: L'ACDI a des difficultés à se fixer dans son action parce qu'elle veut faire un peu de tout. Elle fait l'objet d'innombrables pressions dans tous les domaines. Quelle est la note que vous accordez au programme de l'ACDI en Ukraine?
M. Witer: Laissez-moi vous répondre en situant le contexte. Il y a 10 ans, l'ACDI cherchait désespérément quoi faire et elle a commis de nombreuses erreurs. Je considère aujourd'hui qu'on a tiré les enseignements de ces erreurs. L'ACDI investit de l'argent dans le transfert du savoir technique en Ukraine et dans la mise en place d'institutions publiques, domaine dans lequel, il faut bien le dire, nous ne craignons personne.
La seule question que se posent les Ukrainiens, c'est pourquoi les Canadiens ne réussissent pas à convaincre leurs collègues d'investir. Les investisseurs privés ne représentent que moins de 1 p. 100 de l'aide consentie à l'Ukraine et nous prenons part à un certain nombre de projets de grande envergure. Nous n'avons pas très bien réussi à obtenir un effet de levier à l'aide de nos investissements. Cette évolution s'est produite au cours des quatre à cinq dernières années. Il faut alors se demander pourquoi nous n'en parlons pas aux autres.
Les Ukrainiens ont effectué une étude de l'aide consentie aux autres pays européens et ont comparé son affectation à celle qui leur a été accordée. Les Ukrainiens savent exactement ce qu'ils veulent. Le seul inconvénient, c'est qu'ils ont vraiment peu d'argent à répartir. La somme totale s'est montée l'année dernière à moins de 20 millions de dollars pour une quarantaine ou une cinquantaine de projets. Nous avons nos limites. Je considère toutefois que nous dépensons notre argent à très bon escient.
Le sénateur Bolduc: C'est un très bon programme de gouvernance publique qui administré par un professeur de l'Université de Toronto.
Le président: Merci, monsieur Witer. Les renseignements particulièrement intéressant que vous nous avez fournis nous aideront à rédiger notre rapport.
Le président: Honorables sénateurs, nous allons maintenant entendre les témoins du Congrès ukrainien canadien, du Canada Ukraine Foundation et du Conseil consultatif Canada-Ukraine.
Nous allons commencer par M. Czolij. Vous avez la parole.
M. Eugene Czolij, président, Congrès ukrainien canadien: Merci, monsieur le président, de nous accueillir aujourd'hui. Le Congrès ukrainien canadien, le CUC, est l'organisme national de coordination de la communauté ukraino-canadienne. Depuis 1940, le CUC prend part activement à l'élaboration des politiques et des programmes nationaux qui concernent non seulement les Ukrainiens canadiens, mais aussi la société canadienne dans son ensemble.
Tout au long de ses 60 ans d'histoire, le CUC s'est montré très dynamique sur des questions comme le multiculturalisme, la citoyenneté, l'immigration, la justice, les relations entre le Canada et l'Ukraine et les affaires étrangères.
[Français]
Il me fait plaisir de comparaître devant le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères afin de vous donner un aperçu des efforts déployés par le Congrès des Ukrainiens canadiens et la communauté ukrainienne canadienne en vue de tisser des liens étroits entre le Canada et l'Ukraine, et de vous faire part de certaines observations pour les fins de votre étude des faits nouveaux en matière de politique, de questions sociales, d'économie et de sécurité en Ukraine, les politiques et les intérêts du Canada dans la région, ainsi que d'autres sujets connexes.
Le Congrès des Ukrainiens canadiens appuie les démarches entreprises par le Canada pour cimenter le partenariat privilégié avec l'Ukraine.
[Traduction]
Nous nous souvenons de l'excitation que nous avons ressentie en 1991 lorsque nous avons assisté à la renaissance de l'Ukraine en tant qu'État indépendant souverain. L'indépendance de l'Ukraine a effectivement entraîné la dissolution de l'Union soviétique, qui représentait une menace constante pour les démocraties occidentales. Elle a mis fin par ailleurs à 70 ans de persécutions et de destruction de l'intelligentsia et de la population ukrainienne par le régime soviétique, notamment lors du génocide entraîné par la famine des années 1932-1933 qui a causé la mort de plus de 7 millions d'Ukrainiens.
La proclamation de l'indépendance, le 24 août 1991, ratifiée par un référendum national le 1er décembre de cette même année, a été l'aboutissement des espoirs et des rêves d'une foule innombrable d'habitants de l'Ukraine ainsi que des immigrés de descendance ukrainienne dans le monde entier, tout particulièrement chez nous au Canada.
Notre enthousiasme était cependant tempéré par le fait que nous savions que l'Ukraine s'engageait dans une phase difficile de transition menant d'une société autoritaire à la démocratie, et d'une planification d'État centralisée à une économie axée sur le marché qui n'en était qu'à ses balbutiements.
En 1991, alors que nous commémorions le 100e anniversaire de notre installation au Canada, les Ukrainiens canadiens ont été heureux d'apprendre que le Canada, en tant que participant au G7 et que membre de l'OTAN, était devenu le premier pays occidental à reconnaître officiellement l'indépendance de l'Ukraine. Cette reconnaissance montrait bien toute la confiance que les Canadiens avaient dans l'Ukraine et dans sa population, sachant qu'elle allait se doter à l'avenir d'une société civile se réclamant de l'État de droit.
C'était une étape importante, mais les Canadiens ont compris par ailleurs qu'il était tout aussi indispensable de fournir l'appui nécessaire pour aider l'Ukraine à mettre en place les programmes et les politiques susceptibles de répondre aux besoins de ses citoyens et de jeter les fondements d'une véritable société démocratique.
Inspirés par les liens naturels qui existaient entre le Canada et l'Ukraine, s'expliquant en grande partie par la contribution significative des Ukrainiens canadiens au développement du Canada et par le fait qu'il y a plus d'un million d'Ukrainiens canadiens qui habitent notre pays, les Canadiens, y compris le CUC et les organisations qui en sont membres, ont accepté de relever ce grand défi.
La principale action d'envergure qu'a entrepris tout d'abord le CUC a consisté à coordonner une grande campagne de financement en 1992, qui a permis de recueillir 1,6 million de dollars en six mois pour aider l'Ukraine à se doter d'une ambassade au Canada.
Une réunion du G7 organisée en 1994 à Winnipeg sur les partenariats et la transformation économique de l'Ukraine a permis de discuter à fond des stratégies devant permettre d'améliorer le développement économique et social de l'Ukraine. Elle a aussi permis au nouveau président élu de l'Ukraine de rencontrer les Ukrainiens canadiens. En collaboration avec le gouvernement canadien, le CUC a pu organiser des événements spéciaux qui ont contribué au succès de cette visite d'État.
En 1994, le CUC a par ailleurs signé un contrat de 12 mois avec le gouvernement canadien afin d'administrer le programme de partenariat Canada-Ukraine. Dans le cadre de ce programme doté de 2,5 millions de dollars et visant à promouvoir les réformes démocratiques, les organisations individuelles gèrent des projets sectoriels en administration publique, dans la santé, l'agriculture et au sein de la société civile. On y est parvenu en partie en plaçant jusqu'à 160 bénévoles canadiens dans des postes en Ukraine et en dispensant une formation à court terme au Canada à une quarantaine de bénévoles ukrainiens.
En août 1995, le CUC a mis sur pied la Canada Ukraine Foundation, la CUF, afin de se doter d'une structure permanente chargée des relations à l'avenir avec l'Ukraine. La CUF s'engage à soulager la pauvreté, à promouvoir la tolérance religieuse, à favoriser l'éducation et à exercer d'autres activités de bienfaisance en Ukraine. Jusqu'à présent, la CUF a lancé divers projets en Ukraine, financés principalement par des donateurs canadiens agissant à titre individuel. Ainsi, la CUF, avec la participation d'enseignants professionnels, a institué le Bureau du centre d'éducation de la CUF à Lvov.
En 1996, l'ACDI a annoncé un nouveau programme de partenariat entre le Canada et l'Ukraine mettant l'accent sur l'administration démocratique, la société civile, la santé et l'égalité entre les sexes. Le CUC été chargé de promouvoir ce programme et de dispenser des services consultatifs.
De plus, en 1996, l'honorable Lloyd Axworthy, qui était à l'époque ministre des Affaires étrangères du Canada, a institué le Conseil consultatif Canada-Ukraine visant à renforcer le partenariat entre le CUC et le gouvernement du Canada. Ce conseil, qui regroupe les hauts fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international ainsi que les principaux dirigeants du CUC, a été institué pour servir de vecteur à la communication de l'information et à la fourniture des services, permettant ainsi au Canada de rester un partenaire utile dans le développement de l'Ukraine.
Les conseils provinciaux du CUC prennent part par ailleurs aux travaux des conseils consultatifs des gouvernements provinciaux de l'Alberta et de la Saskatchewan en ce qui a trait aux relations avec l'Ukraine.
Lors du remaniement du conseil des ministres fédéral en janvier dernier, le CUC a enregistré avec plaisir la création du poste de secrétaire d'État à l'Europe du centre et de l'est et au Moyen-Orient, ce qui est la preuve de l'engagement que prend le Canada vis-à-vis de cette région importante. La nomination de l'honorable Gar Knutson en qualité de secrétaire d'État procure déjà des dividendes à la suite de la visite qu'il a faite récemment à l'Ukraine au tout début de son mandat. Le CUC attend avec impatience de pouvoir collaborer avec ce responsable et ses collègues pour avancer des solutions canadiennes pratiques en vue de promouvoir les réformes démocratiques et la prospérité de l'Ukraine.
En septembre 2000, on a annoncé le projet législatif intergouvernemental Canada-Ukraine pour aider l'Ukraine à élaborer des politiques et des lois et pour établir par ailleurs des structures efficaces visant à renforcer les réformes sociales et économiques de type démocratique. Coordonné par l'Institut canadien d'étude ukrainienne de l'Université de l'Alberta, ce projet réunit des ministres, des parlementaires, des fonctionnaires, des juges et différents responsables ukrainiens et canadiens en vue de tirer parti de l'expérience canadienne pour en dégager des solutions pratiques dans différents secteurs d'activité. Le CUC prend part à ce programme en démontrant aux participants toute l'importance d'une vie communautaire diversifiée et organisée.
Il convient de préciser par ailleurs que les organisations membres du CUC ainsi que la communauté ukrainienne- canadienne ont pris part activement à de nombreux projets d'un grand intérêt en Ukraine. L'un de ces projets bénévoles a été mené à bien par le Conseil des caisses de crédit ukrainiennes du Canada, qui gère depuis 1992 le programme d'aide au développement des caisses de crédit ukrainiennes en collaboration avec l'Association canadienne des coopératives. Ce programme prévoit l'organisation de stages effectués par les dirigeants de caisses de crédit dans des établissements similaires au Canada ainsi qu'une formation intensive des gestionnaires du personnel de 150 caisses de crédit disséminées en Ukraine.
On peut citer aussi les Services sociaux ukrainiens-canadiens, qui se sont dotés d'une organisation non gouvernementale parallèle comptant en Ukraine quelque 100 succursales; l'Association PLAST des jeunes Ukrainiens du Canada, qui administre un projet de stages et organise de nombreux camps en association avec l'Organisation PLAST de scoutisme ukrainien en Ukraine; l'Association des jeunes Ukrainiens du Canada, l'AJU, qui prend part à l'organisation de différents camps et à d'autres activités s'adressant aux jeunes; la Ligue catholique des femmes ukrainiennes du Canada, qui a fait de dons en argent aux orphelinats en Ukraine; la Ligue d'autodéfense ukrainienne du Canada, qui a financé des projets de publication dans différentes régions de l'Ukraine; la Fraternité catholique ukrainienne du Canada, qui a envoyé de l'argent et de l'équipement à l'hôpital Sheptytsky de Lvov; la Fédération nationale ukrainienne du Canada, qui aide les étudiants ukrainiens; enfin, la Ligue des Ukrainiens canadiens, qui a dispensé une aide d'urgence aux mineurs et appuyé le développement de la langue ukrainienne.
Ce ne sont là que quelques-unes des activités entreprises par le CUC, nos organisations membres et la communauté ukrainienne-canadienne pour aider l'Ukraine lors de cette période de transition.
Un document récemment publié par l'ACDI, qui s'intitule, «Une voie vers la réforme: Cadre de programmation pour l'Ukraine 2002-2006» expose un plan d'action à long terme, non seulement pour la communauté ukrainienne- canadienne, mais pour l'ensemble des Canadiens qui s'intéressent aux réformes en Ukraine. Le CUC attire l'attention de votre comité sur la partie intitulée «Mieux tirer parti des ressources canadiennes», à la page 30 de ce document d'orientation, où l'ACDI nous précise:
Nous avons appris que la communauté ukrainienne du Canada peut être, par l'intermédiaire d'organisations comme l'Ukrainian Canadian Congress, une excellente source d'information et de conseils sur la situation en Ukraine et la programmation en matière de coopération technique pour ce pays. Elle peut, en outre, participer activement à la mise en oeuvre des programmes de coopération technique canadiens. Les membres des organisations en question, dont bon nombre aident l'Ukraine bénévolement, ont contribué de manière significative à notre programme.
Par ailleurs, lors de la soirée ukrainienne organisée aux Archives nationales du Canada à l'occasion du 10e anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques entre le Canada et l'Ukraine, l'ambassadeur de l'Ukraine au Canada, son excellence le Dr Yuri Scherbak, a précisé ce qui suit:
Je dois aussi souligner le rôle très positif que joue la communauté ukrainienne-canadienne dans nos relations. Nous sommes très obligés envers le Congrès ukrainien canadien — une organisation qui représente un million de Canadiens d'origine ukrainienne — qui par son appui a accompagné l'Ukraine sur la voie de la démocratie, de la prospérité et de l'Union européenne.
Ce n'est pas par vanité que le CUC attire votre attention sur ces déclarations, c'est parce qu'il s'agit là d'une réalité. Nous vous invitons à insister vous aussi sur cette contribution importante du secteur bénévole dans le rapport définitif que vous remettrez au Sénat de façon à rendre compte, sous toutes leurs facettes, des relations entre le Canada et l'Ukraine.
Le CUC recommande par ailleurs que votre comité permanent insiste sur la nécessité pour le Canada de faire bien davantage appel à son secteur bénévole et qu'il finance comme il se doit les programmes et les projets entrepris par ce secteur pour promouvoir davantage la société civile et les réformes économiques en Ukraine.
L'un des gros obstacles à l'accélération des réformes et à une meilleure intégration de l'Ukraine aux démocraties occidentales, ce qui répond aux intérêts les mieux compris de l'Ukraine et du Canada, c'est l'aliénation culturelle et sociale de la population ukrainienne vis-à-vis des principes occidentaux qui régissent la société civile. Le communisme a détruit l'assimilation de ces principes par la population et sa capacité à créer et à administrer des organisations bénévoles autonomes. Le Canada doit donner la priorité au renouvellement de la société civile en Ukraine en plus de l'action qu'il mène auprès des entreprises privées et des services gouvernementaux.
Dans cette perspective, il est nécessaire de changer de politique pour combler le fossé qui existe à l'ACDI entre les pays de l'ancienne Union soviétique et ceux auxquels le Canada reconnaît le droit de prétendre à l'Aide publique au développement, l'APD. Ces derniers, mais pas les autres, bénéficient des services de la direction générale du partenariat de l'ACDI, dont la mission est d'aider les ONG canadiennes à mettre en place des projets efficaces et durables.
Le CUC considère qu'il est nécessaire d'établir au sein de la direction générale du partenariat de l'ACDI un cadre politique incitant les Canadiens à contribuer au renforcement de la société civile en Ukraine. En vertu de cette politique, le Canada appuierait les projets et les programmes des ONG canadiennes, au Canada comme en Ukraine, dans la mesure où ils sont compatibles avec les politiques d'assistance technique et d'aide au développement du Canada à l'étranger.
Étant donné l'existence de liens familiaux étroits et les compétences linguistiques des Ukrainiens canadiens, le CUC est convaincu que les ONG canadiennes ne manqueraient pas de saisir l'occasion qui leur est ainsi offerte d'aider les Ukrainiens à renforcer leur société civile si ces ONG étaient aidées et financées par les programmes de la direction générale du partenariat de l'ACDI.
Alors que l'Ukraine entre dans la 11e année de son indépendance, il est important de poursuivre les programmes et les réformes économiques et sociales qui ont été un succès et qui ont amélioré la condition humaine en Ukraine.
Nous devons aussi encourager et appuyer les initiatives et les mouvements de réforme en Ukraine, ce qui contribuera encore à renforcer les relations entre le Canada et l'Ukraine lors de la décennie à venir.
Le 5 décembre 2001, l'honorable John Manley, à l'époque ministre des Affaires étrangères du Canada, ainsi que son homologue ukrainien, l'honorable Anatoliy Zlenko, ont signé à Kiev une déclaration conjointe sur le maintien et le renforcement des relations spéciales qui existent entre le Canada et l'Ukraine. Dans ce document, le Canada et l'Ukraine ont réaffirmé:
Que la garantie de l'existence et de l'intégrité territoriale d'une Ukraine indépendante, prospère et souveraine est dans l'intérêt fondamental du Canada et de la communauté internationale tout entière.
Le CUC recommande par conséquent que votre comité permanent réaffirme clairement dans le rapport définitif qu'il va remettre au Sénat qu'une Ukraine indépendante, prospère, souveraine, démocratique et axée sur les réformes est dans l'intérêt fondamental du Canada et de la communauté internationale tout entière. Cette déclaration n'est pas une simple affirmation de principe, elle vise à souligner une fois de plus tous les avantages que les Canadiens tirent du rôle joué par le Canada au plan international. Votre comité a en fait ici l'occasion d'expliquer à la population canadienne que l'aide apportée au Canada par l'Ukraine ne doit pas être perçue comme une aumône mais plutôt comme un investissement stratégique en vue de l'avenir. L'indépendance et la prospérité de l'Ukraine nous garantit en fait que nous ne reviendrons pas à un monde bipolaire et c'est un gage véritable de stabilité et de sécurité pour le monde.
En outre, l'Ukraine, avec une population de plus de 49 millions d'habitants et une superficie égale à celle de la France, est un partenaire intéressant pour le Canada dans différents secteurs d'activité, notamment les échanges et le commerce.
[Français]
En conclusion, le Congrès des Ukrainiens canadiens félicite le Sénat du Canada pour l'intérêt sérieux qu'il accorde aux relations entre le Canada et l'Ukraine.
Le travail accompli par ce comité sénatorial constituera une source d'information précieuse et comprendra sûrement des recommandations utiles, alors que nous continuons d'aider et d'appuyer l'Ukraine pendant cette période transitionnelle, sachant fort bien que le positionnement stratégique de l'Ukraine est vital pour la stabilité et la sécurité internationale.
[Traduction]
Nous sommes prêts à répondre aux questions que vous voudrez éventuellement nous poser.
Le président: Merci, monsieur Czolij. Je vais maintenant demander à M. Hawaleshka de nous présenter son exposé.
[Français]
M. Ostap Hawaleshka, président, Canada Ukraine Foundation: Monsieur le président, je vous remercie de l'opportunité que vous nous donnez de vous présenter quelques commentaires au nom de la Fondation Canada- Ukraine, et en tant qu'ex-directeur exécutif du Centre ukrainien des sciences et de la technologie, peut-être le projet le plus important du Canada en Ukraine en ce moment.
[Traduction]
Mon exposé vise à compléter celui que vient de présenter M. Czolij, le président du CUC, le Congrès ukrainien canadien.
Après vous avoir exposé un certain nombre d'activités de la CUF en vous précisant celles auxquelles devrait prendre part à notre avis le Canada, je détacherai dans mon exposé un certain nombre de caractéristiques bien particulières de l'Ukraine dont pourrait tirer parti le Canada en poursuivant son action pour jeter les bases d'une société civile et d'une démocratie modernes. Je pars dans cet exposé de la ferme conviction que la meilleure relation est celle qui profite à la fois au bénéficiaire et au donateur.
Je vais tout d'abord vous parler des programmes d'aide.
L'Ukraine est un pays avancé sur le plan culturel et technique que le régime soviétique a malheureusement placé dans un état alarmant d'abandon, venant s'ajouter à un manque de compréhension très marqué des mécanismes normaux de démocratie et de la concurrence. C'est de ce passage d'un gouvernement autocratique et centralisé à une démocratie où les décisions sont librement consenties que le Canada a fait très justement le principal objectif de son aide et de ses relations avec l'Ukraine.
La Canada Ukraine Foundation appuie entièrement cette orientation du Canada. Ces dernières années, la CUF s'est efforcée de devenir une organisation crédible chargée de dispenser l'aide canadienne ukrainienne à l'Ukraine.
La CUF a désormais mis en place en Ukraine toute une série de projets d'aide visant des buts précis. Il s'agit, entre autres, et je vous donne cette liste uniquement à titre d'information: tout d'abord, d'un programme moderne et efficace d'enseignement à l'intention des enfants malentendants. Il s'agit là d'un projet très intéressant administré en Ukraine par différentes personnes alliées à la CUF. Il y a en second lieu la formation des maîtres du primaire et l'attestation de leurs qualifications. Troisièmement, la publication des livres scolaires en Ukraine. On se rapportera à ce sujet au point six ci-dessous. Quatrièmement, l'envoi de textes techniques aux instituts techniques ukrainiens. Cinquièmement, des fonds spécialisés directement affectés à des bourses scolaires s'adressant aux meilleurs étudiants de l'Ukraine. Il s'agit de crédits axés sur les familles, directement affectés à des besoins très précis. L'intéressant, c'est que ces crédits sont affectés à des personnes précises qui peuvent être identifiées. Nous avons réussi à instaurer d'excellentes relations personnelles de ce type. Sixièmement, pour répondre aux besoins du Canada — et cela me ramène à la question de l'intérêt mutuel des deux pays — un répertoire de textes ukrainiens adaptés, publiés en Ukraine, qui pourraient être utilisés dans des écoles bilingues enseignant l'ukrainien et l'anglais au Canada. Ce projet a été financé par l'Alberta, qui a été rejointe récemment par la Saskatchewan et le Manitoba.
Pour faciliter ces activités et aider d'autres organisations canadiennes opérant en Ukraine, la CUF s'est dotée, avec l'aide d'un regroupement d'intérêts très généreux en matière d'enseignement, un groupe d'organisations canadiennes, d'un bureau employant du personnel à Lvov, en Ukraine. Toute organisation canadienne souhaitant exercer des activités en Ukraine peut se prévaloir de ses services. Nous sommes en mesure de dispenser une aide et de l'information. Ce bureau bénéficie d'une excellente collaboration de la part de la municipalité de Lvov, de l'ambassade canadienne en Ukraine et du consulat canadien de Lvov.
Si pour le moment la plupart des projets de la CUF s'inscrivent dans le domaine général de l'enseignement, ce n'est pas une coïncidence. Si nous voulons peser sur mentalités ukrainiennes et aider la population à adopter des comportements relevant des principes normalement adoptés dans une démocratie, nous devons faire porter nos efforts sur les personnes qui peuvent être influencées, qui sont encore malléables et qui restent ouvertes aux idées nouvelles. Cela exclut, dans la majorité des cas, les vieux «apparatchiks» qui, malheureusement, sont encore au pouvoir à tous les niveaux de l'administration, de l'industrie et de l'enseignement.
Cela nous amène à la conclusion suivante: le changement effectif qu'espère le Canada se fera attendre plus longtemps qu'on ne l'avait prévu au départ. Il faudra un changement de génération. Par conséquent, pour être un agent efficace de changement, le Canada doit agir à long terme. On ne peut pas se contenter de faire quelques incursions rapides.
La meilleure façon d'influer sur les gens, c'est de les prendre tout jeunes. Ce sont ces personnes qui se retrouveront un jour aux affaires et qui pourront mettre en oeuvre les changements nécessaires.
La CUF recommande donc à votre comité, ainsi qu'au MAECI et à l'ACDI, si c'est possible, d'accorder un intérêt tout particulier à l'enseignement et à la formation des jeunes Ukrainiens. Étant donné l'importance des relations entre le Canada et l'Ukraine, de la situation géopolitique de l'Ukraine et de ses ambitions, il appartient à l'ACDI d'envisager la mise en place d'un grand projet sur le modèle de celui qui a été créé en Chine il y a une quinzaine d'années ou plus, afin qu'un bon nombre de jeunes étudiants ukrainiens brillants puissent venir faire des études au Canada à tous les niveaux, surtout des études supérieures. Le Canada pourra alors servir de modèle qui sera alors finalement suivi par ces étudiants une fois de retour en Ukraine. Les enjeux portent en outre sur le comportement démocratique, l'ouverture à la concurrence, l'évaluation du travail effectué par des pairs et les relations avec des voisins puissants.
Je le précise parce que le Canada est effectivement un expert en matière de relations avec des voisins puissants. L'Ukraine apprend à l'heure actuelle à traiter avec un voisin très puissant. La concordance est parfaite entre le Canada et les États-Unis, d'une part, et l'Ukraine et la Russie, de l'autre.
Pour pouvoir accomplir efficacement ces tâches, nous avons besoin d'être bien informés, ce qui semble manquer à l'heure actuelle. La CUF a l'intention de présenter à l'ACDI, et nous demandons aux honorables sénateurs de nous aider indirectement, les projets suivants qui seront utiles pour le Canada, pour l'Ukraine et pour l'organisation de l'ACDI. Il s'agirait d'élaborer trois bases de données qui seraient disponibles sur Internet et accessibles à tous ceux qui le voudraient. La première permettrait de répertorier les compétences ukrainiennes-canadiennes susceptibles de faciliter l'aide canadienne apportée à l'Ukraine. Cette information n'est pas disponible à l'heure actuelle. La deuxième dresserait la liste des projets d'aide actuellement en cours entre le Canada et l'Ukraine. Cette liste s'étendrait aux projets administrés par les gouvernements, les ONG, les organismes privés et les particuliers. Elle revêtirait une très grande utilité et il n'y a pas de liste complète pour l'instant. La troisième porterait sur les organisations ukrainiennes- canadiennes susceptibles de participer aux projets d'aide en Ukraine. La constitution de cette base de données bien particulière m'a en fait été proposée par Peter Daniels, de l'ACDI.
Les gouvernements du Manitoba et de la Saskatchewan ont par ailleurs fait savoir qu'ils avaient bien besoin d'autres immigrants pour occuper certains postes dans leur province. L'Alberta ne semble pas éprouver ce genre de difficulté parce que tout le monde cherche à s'y établir.
La CUF recommande que le Canada s'efforce tout particulièrement d'ouvrir ses portes aux immigrants ukrainiens, qui sont généralement très instruits et très qualifiés. Les règles actuelles sont bien trop restrictives. Il est utile de rappeler l'énorme contribution des immigrants ukrainiens au développement du Canada, notamment de l'Ouest.
Au nom de la CUF, je demande à votre comité de tenir compte des propositions ci-dessus et de les appuyer auprès des organismes compétents.
La partie 2 de mon exposé porte sur la coopération technique.
Laissez-moi vous placer dans le contexte: la première réaction nucléaire en chaîne qui a eu lieu en Europe continentale s'est produite à Kharkov, en Ukraine. Le premier ordinateur numérique de l'Europe continentale a été mis au point à l'Institut de cybernétique Hlushkov à Kiev, en Ukraine. Le principal institut de recherche sur les soudures dans le monde est l'Institut Paton qui se trouve à Kiev, en Ukraine. Sachez que l'appareil de soudure qui va être utilisé dans la station spatiale proviendra de l'Institut Paton. Sachez aussi que les soudures du métro de Washington ont été faites avec la technologie Paton.
Le plus gros avion du monde est l'AN-225 Mriya, construit en vue de transporter la navette soviétique. Pour vous donner une idée des dimensions de cet appareil, son envergure, d'un bout d'une aile à l'autre, équivaut pratiquement à la longueur d'un terrain de football. La longueur de cet appareil est bien supérieure à la largeur d'un terrain de football. C'est tout à fait stupéfiant.
L'Ukraine possède une version réduite de cet appareil qui effectue régulièrement des vols vers le Canada. Cet appareil a été modernisé récemment et il a effectué son premier vol commercial régulier entre la Belgique et Montréal. Il est arrivé à Montréal il y a deux mois environ.
Je pense que le Canada et l'Ukraine ont la chance insigne d'oeuvrer en collaboration sur des projets de ce type. L'armée canadienne a besoin d'un avion de transport plus gros que les Hercules, mais pas aussi gros que les Star Lifters des États-Unis, dont la taille est bien supérieure. Il peut être intéressant d'apprendre que la version réduite de cet appareil a permis de ramener l'avion espion des États-Unis qui avait atterri en Chine.
L'Académie nationale des sciences de l'Ukraine a plus de 80 000 scientifiques de haut niveau dans ses instituts. Il y a dans cet institut une énorme concentration de matière grise.
Lorsque j'étais à la tête du Centre des sciences et des techniques de l'Ukraine, nous avons dû faire face à une réduction du réservoir de scientifiques. Nous avions devant nous des scientifiques ayant mis au point des armes de destruction massive qu'ils étaient chargés de transformer en quelque chose de plus utile.
J'ai remis au président ce premier rapport annuel du Centre des sciences et des techniques. Vous y trouverez la description intégrale de son mandat et notamment la liste complète des projets que nous avons financés. Il y a aussi une description de la première base de données sur Internet des sciences et des techniques ukrainiennes. Vous pouvez imaginer à quel point j'ai été «aimé» par les responsables de la sécurité d'État ukrainiens lorsque nous avons publié ces données.
Dans un autre domaine, la plus grosse usine de construction d'autobus de l'Union soviétique, appelée LAZ, est située à Lvov, en Ukraine. Parmi les principaux chantiers navals du monde, on retrouve ceux de Mykolayiv, en Ukraine, de même que l'un des plus grands centres de communication avec l'espace lointain dans le monde, qui se trouve à Evpatoria, en Crimée, c'est-à-dire en Ukraine. La plus grosse usine de fabrication de fusées et de satellites dans le monde est celle du Bureau de la région sud chargé de la conception de fusées. Si vous avez de la chance, vous verrez l'année prochaine s'afficher à Ottawa le titre: «Contributions ukrainiennes à l'aérospatiale, à la science et à la technologie». J'avertirai chacun d'entre vous lorsque cela se produira, car cela fait partie du domaine du possible.
Je vous précise simplement tout cela pour que les membres de votre comité sachent, même si l'Ukraine a été très mal gérée sous le règne soviétique ou communiste, qu'elle est à la pointe dans le monde dans le domaine scientifique et technique. Elle est entre autres un chef de file reconnu dans la technique des matériaux. L'Ukraine ne craint personne dans le domaine du titane et des céramiques, des télécommunications, de la programmation informatique, des techniques de soudure, des lasers à usage médical, de la médecine nucléaire, de l'aérospatiale, des avions, des engins spatiaux et de la biochimie. On a d'ailleurs ouvert récemment un centre en Alberta. Ces différents domaines répondent aux intérêts stratégiques du Canada, tels qu'ils ont été exprimés par le CRSNG, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie, et ce n'est pas une coïncidence. Dans le Globe and Mail d'aujourd'hui, vous trouvez un article intitulé: «Faciliter la promotion de la R-D», qui traite des sujets que j'évoque ici. Je vous renvoie aussi à l'article portant sur les appareils Antonov qui sont en cours de production ainsi qu'à l'article du Rapport Romery intitulé «La science et la technologie en Ukraine», que l'on vous a peut-être déjà cité, et à un autre article sur les immigrants.
La CUF recommande que le Canada appuie activement la science et la technologie ukrainienne non seulement en finançant la R-D mais aussi en incitant les entreprises et les organisations canadiennes à collaborer avec les scientifiques et les instituts de l'Ukraine sur des questions scientifiques et techniques qui intéressent les deux pays.
Certains de ces projets sont en cours de réalisation. Avec bien des difficultés, le Centre des sciences et des techniques de l'Ukraine a réussi à convaincre 12 ou 13 entreprises canadiennes de collaborer effectivement avec des scientifiques ukrainiens. C'est un excellent début. En contribuant au financement de ce centre, le Canada appuie l'action de plus de 10 000 scientifiques anciennement spécialistes de l'armement. Ces derniers travaillaient jusque là dans les installations les plus secrètes. On les finance désormais pour qu'ils puissent travailler sur des projets économiquement utiles. Certains d'entre eux travaillaient sur des procédés permettant d'abattre des fusées grâce à la technologie du laser, c'est- à-dire des rayons ioniques. Ils sont venus nous dire qu'ils étaient en mesure de produire un nouveau stérilisateur pour les appareils médicaux. L'inconvénient de la technologie existante, c'est qu'elle fait appel à de hautes températures, à l'alcool ou à des gaz cancérigènes dont nous ne savons absolument pas quoi faire une fois qu'on les a utilisés. Ils ont inventé une machine en forme de cylindre dans laquelle on peut placer un appareil en plastique tel qu'un endoscope, qui est difficile à stériliser, du plastique et du caoutchouc et, au bout de cinq minutes, tout est stérilisé à la température de la pièce sans aucun effet secondaire. Je pense que c'est tout à fait extraordinaire. Je n'ai pas pu intéresser une seule entreprise canadienne à participer à ce projet. Par contre, au bout d'une demi-heure, deux entreprises américaines avaient déjà signé. J'invite le Canada à prendre part à ce genre de chose.
Voilà qui illustre bien à quel point l'assistance technique peut et doit profiter aussi bien au bénéficiaire qu'au donateur. Un tel effort de la part du Canada aiderait non seulement les Ukrainiens dans cette passe difficile, mais contribuerait par ailleurs, grâce aux contacts maintenus avec nos organisations, à leur montrer comment on peut faire les choses honnêtement et au vu et au su de tout le monde. J'insiste sur «honnêtement» et sur «au vu et au su de tout le monde». Il faut apprendre que l'on peut réussir tout en restant honnête.
Cela permettrait aussi de mettre au point des procédés et des produits économiquement utiles qui profiteraient à l'Ukraine, au Canada et au monde tout entier. Pour conclure, la CUF tient à rappeler les faits suivants. Tout d'abord, l'Ukraine est un acteur très important de la région sur le plan géopolitique. Le Canada peut beaucoup lui apporter en raison de l'expérience qu'il a acquise avec les États-Unis. Deuxièmement, l'Ukraine a été très mal gérée à l'époque où elle était administrée par l'URSS et la Russie. Troisièmement, pour remettre l'Ukraine sur le chemin de la démocratie et d'une économie concurrentielle, il faut que le Canada s'engage à longue échéance à ses côtés. Quatrièmement, pour obtenir des résultats positifs, le Canada doit faire le maximum pour influer sur les futurs décideurs, soit la jeunesse intelligente et très instruite de l'Ukraine. Il est possible d'y parvenir en mettant sur pied des programmes provisoires à grande échelle dotés de bourses à l'intention des étudiants voulant étudier au Canada. Nous pourrions de cette manière former les futurs décideurs de l'Ukraine tout en se faisant des amis pour l'avenir. Cinquièmement, pour compléter les besoins d'enseignement et de formation exposés ci-dessus, la CUF recommande que le Canada favorise par ailleurs une plus grande collaboration entre les scientifiques et les ingénieurs ukrainiens et nos propres entreprises canadiennes. Les deux camps tireraient un large profit d'une telle relation.
Enfin, nous demandons au comité d'inciter Citoyenneté et Immigration Canada à se montrer plus généreux en ouvrant ses portes à des Ukrainiens hautement qualifiés et particulièrement travailleurs. Les Ukrainiens pourraient ainsi poursuivre leur formidable effort en vue de contribuer au développement de notre patrie à tous, le Canada.
[Français]
Le sénateur Bolduc: C'est très intéressant. J'ai bien aimé les deux présentations. Vous avez fait allusion, monsieur Czolij, que l'ACDI avait des projets valables. Vous aussi fait mention qu'il y avait peut-être moyen de pousser davantage vers un point précis. J'aimerais que vous précisiez davantage ce point. On a eu l'occasion d'entendre des représentants de l'ACDI nous parler des programmes en Russie et en Ukraine. Cela est nouveau pour nous.
J'aimerais que vous nous disiez le genre de lacune que l'on pourrait recommander de combler, côté de l'ACDI, parce qu'au plan des intentions, je crois qu'ils font leur possible.
Ils reçoivent des demandes d'un peu partout. Vous parliez des «database» tantôt, et je suis bien d'accord qu'il faudrait avoir des «database», mais il faudrait plus que cela. Il faudrait savoir aussi ce que les Américains font là- dedans.
Je suis allé en Afrique plusieurs fois pour la Banque Mondiale, et ce qui me frappait toujours c'était que dans un pays quelconque, comme la République Centre-Africaine ou le Cameroun, je voyais dans le champ des Caterpillars qui traînaient et dans le magasin de dépôt d'à côté on avait des pièces de John Deere.
Cela ne marche pas. C'est ridicule de faire cela. Il me semble qu'une coordination de l'aide qui vient d'un peu partout serait nécessaire afin que ces programmes aient du bon sens.
Que proposez-vous pour l'ACDI? Vous pouvez aller dans un peu plus de détail.
M. Czolij: Sénateur Bolduc, j'ai le plaisir de vous soumettre quelqu'un de beaucoup plus compétent que moi dans ce domaine, le docteur Roman Petryshyn, qui est membre de notre comité Canada-Ukraine auprès du Congrès des Ukrainiens canadiens, et qui a préparé justement une réponse à cette question que l'on voyait venir un peu. Je vais lui demander de répondre à votre question.
[Traduction]
M. Roman Petryshyn, membre, Conseil consultatif Canada-Ukraine: Monsieur le président, j'aimerais évoquer rapidement cette question de la nécessité de l'adoption, auprès de l'ACDI, d'une nouvelle politique traitant des ONG canadiennes et, plus particulièrement, d'une politique touchant la direction générale du partenariat.
De manière générale, les ONG canadiennes n'ont pas encore été incitées à oeuvrer activement en faveur de l'Ukraine. En l'occurrence, les grandes ONG, les quelque 750 ONG en relation avec la direction générale du partenariat, n'ont aucun projet en Ukraine. Cela s'explique en partie par le fait que l'ACDI applique le Programme d'aide publique au développement, qui s'adresse aux plus pauvres parmi les pauvres. Malheureusement, cette catégorie existe aussi en Ukraine.
Ce que je veux faire comprendre, c'est qu'aux côtés des politiques traditionnelles de l'ACDI, il est nécessaire de mettre en place une nouvelle politique visant à appuyer les mouvements démocratiques par l'entremise des organisations de la société civile en Ukraine, en s'adressant à ce qu'on peut appeler la classe moyenne en Ukraine. Si l'on veut voir un jour apparaître la démocratie en Ukraine, il faut que se crée une classe moyenne qui collabore avec les organisations non gouvernementales, qui adopte le style de travail auquel nous sommes habitués et qui puisse se doter d'organismes autonomes et indépendants du gouvernement ainsi que du secteur privé afin de préconiser la mise en place de politiques sociales.
En ce moment, les ONG canadiennes qui souhaitent opérer en Ukraine ne bénéficient pas, en général, de l'aide du programme du partenariat. Il m'apparaît qu'étant donné l'objectif particulièrement ambitieux qui consiste à développer la société civile, les magnifiques programmes, particulièrement bien conçus, dont nous disposons à l'ACDI, devraient être complétés et appliqués au secteur de la société en transition. Il faut donc adopter une nouvelle série de politiques en plus de celles dont nous disposons déjà. Cela ne veut pas dire qu'il faille abandonner l'aide publique au développement; il faut simplement l'adapter au secteur privé.
Le sénateur Bolduc: Savez-vous si l'OCDE fait quelque chose de ce genre en Ukraine?
M. Petryshyn: Non, je n'en sais rien.
Le sénateur Bolduc: Elle a un programme d'envergure dans l'est de l'Europe.
M. Petryshyn: Sénateur, je considère que de toute façon la collaboration augmente entre les organismes donateurs en Ukraine. Ces dix dernières années, le profil de la collaboration s'est de plus en plus précisé. Je considère cependant que le Canada est particulièrement bien placé du fait de sa population multilingue.
À bien des égards, je pense aux années Kennedy lorsqu'on a mis en place le corps des volontaires de la paix. Un solide programme dirigé par le gouvernement a été institué pour mobiliser les gens sur un projet particulier. Il m'apparaît qu'il est temps aujourd'hui que l'Ukraine, à sa sortie du régime soviétique, bénéficie de cette forme d'assistance. Elle a besoin d'être résolument appuyée par des organisations canadiennes susceptibles d'oeuvrer dans le cadre de la société civile, mais avec une coordination et un financement du gouvernement fédéral.
Le sénateur Bolduc: Vous nous dites par conséquent que même si les gouvernements peuvent avoir d'autres perspectives, celles qui caractérisent les relations d'un gouvernement à un autre, par exemple, il serait utile qu'à l'intérieur des deux sociétés il y ait des institutions qui fonctionnement indépendamment des gouvernements.
M. Petryshyn: Un ensemble de programmes de ce type ont déjà été établis sous l'égide de la CUF. En raison du développement d'Internet, par exemple, des organismes jumelés au Canada et en Ukraine pourraient, à un coût raisonnable, stimuler et continuer à appuyer ces institutions en Ukraine. Ce sont des outils que nous n'avions pas auparavant. Nous avons assisté à une augmentation des organisations enregistrées au sein de la société civile de l'Ukraine. Nous avons vu qu'elles étaient en mesure de se maintenir et de préconiser des politiques dont le gouvernement ne souhaite pas toujours l'adoption. Il est possible d'améliorer cette situation en faisant en sorte que les ONG canadiennes aient des relations suivies avec les ONG nouvellement créées en Ukraine.
Grâce à Internet, par l'entremise d'un petit programme de subvention, nous pouvons tirer parti de la grande expérience qui est la nôtre au Canada dans le secteur bénévole. Je vous parle ici non seulement de la communauté ukrainienne, mais aussi de la société canadienne en général. Nous pouvons nous prévaloir de 40 années d'expérience de ce travail dans le monde et nous pourrions en faire profiter l'Ukraine. Ce serait une grande contribution dans cette conjoncture historique.
Le sénateur Graham: Puisque hier c'était la Saint-Patrick, on pourrait décréter qu'aujourd'hui, c'est la «Fête de l'Ukraine».
Au cours de votre exposé, je regardais de temps en temps le sénateur Andreychuk. Elle pouvait difficilement se contenir. Elle avait envie de se lever et d'applaudir. Je vous félicite d'être si fier de vos origines et d'avoir su si bien présenter cet exposé.
J'en reviens au premier exposé. J'ai été étonné par la façon dont la communauté ukrainienne-canadienne s'est rassemblée et a pris l'initiative d'aider l'Ukraine de façon bénévole. J'ai été frappé par le premier grand projet du CUC, qui a été de coordonner en 1992 une grande campagne de financement ayant permis de recueillir 1,6 million de dollars en huit mois pour aider l'Ukraine à se doter d'une ambassade au Canada. Est-ce que cet argent a été entièrement dépensé ou est-ce que ce fonds existe encore?
M. Czolij: Les crédits ont été entièrement affectés dans le but prévu au départ. Nous avons acheté la résidence de l'ambassadeur. Nous avons fourni différentes formes d'appui à l'ambassade. Des hommes d'affaires canadiens ukrainiens ont acheté le bâtiment de l'ambassade, qui a été transféré, de même que la résidence de l'ambassadeur, à l'ambassade de l'Ukraine. Je crois savoir que ce bâtiment abrite aujourd'hui le consulat et que l'ambassadeur utilise toujours sa résidence.
Le sénateur Graham: Est-ce que l'on a d'autres exemples d'une telle générosité?
M. Czolij: Sénateur, si je vous ai mentionné la chose, ce n'est pas pour que vous sachiez que l'on avait recueilli 1,6 million de dollars, mais pour que vous compreniez bien que cette somme avait été dûment recueillie dans un délai de huit mois alors que l'Ukraine en était à un moment particulièrement crucial de son histoire à la suite du référendum de 1991. Pleinement consciente de cette situation, la communauté ukrainienne-canadienne a donné la preuve de sa générosité et du fait qu'elle comprenait toute l'importance historique de ce moment.
Le sénateur Graham: J'en conviens et je vous félicite. Ce n'est pas seulement le montant qui m'a impressionné, mais le fait qu'il a été recueilli en si peu de temps.
Le sénateur Andreychuk: M. Czolij voudra sûrement rappeler aux sénateurs pourquoi il était si important que l'ambassade soit établie. On avait besoin d'une ambassade. On avait besoin d'une présence internationale sur le plan diplomatique, quelque chose que l'on n'avait pas auparavant. C'était aussi une bonne façon de signaler à la communauté ukrainienne que l'Ukraine était désormais un État.
Le CUC avait aussi pour rôle de faire comprendre aux Canadiens qu'il y avait désormais une autre façon de travailler avec l'Ukraine, soit en tant qu'État indépendant. L'importance de cette ambassade était loin de se limiter à notre contribution; c'était la façon de montrer aux Canadiens qu'il y avait une nouvelle dynamique. Je crois qu'à cet égard, l'intérêt était exceptionnel.
Le sénateur Graham: C'est une remarque importante. Je ne veux pas m'éterniser sur le sujet, monsieur le président, mais j'aimerais savoir si dans d'autres pays, aux États-Unis, par exemple, les citoyens de descendance ukrainienne ont fait la même chose.
M. Petryshyn: Oui, sénateur, effectivement.
Le sénateur Grafstein: Quelle est l'importance de la population ukrainienne aux États-Unis?
M. Petryshyn: Elle est d'environ 1,5 million de personnes.
Le président: Cette population se trouve principalement dans le New Jersey, n'est-ce pas?
M. Petryshyn: C'est le lieu d'origine, bien sûr, mais cette communauté est désormais répartie dans tous les États- Unis. On la retrouve à Chicago et, ce qui est particulièrement intéressant, sur côte ouest. Pour reprendre les observations de M. Hawaleshka, il y a actuellement dans la Silicon Valley environ 25 000 Ukrainiens qui travaillent dans la haute technologie.
Le sénateur Graham: Vous avez tous évoqué les «comportements démocratiques», et M. Petryshyn a parlé de la nécessité, si je ne me trompe, de l'apparition d'ONG d'envergure mondiale pour encourager les mouvements démocratiques. Je suis tout à fait d'accord avec cette nécessité.
Nous avons évoqué précédemment les élections et l'adoption d'une procédure libre et démocratique en Ukraine comme dans les autres pays. L'un des témoins précédents, M. Witer, a déclaré que les observateurs étaient tout à fait les bienvenus en Ukraine. J'aimerais beaucoup être présent à cette élection, comme je l'ai déjà été dans certains pays où on me considérait comme l'ennemi public numéro un.
Je vous renvoie à une déclaration faite à Washington, par la conseillère en matière de sécurité, Condoleezza Rice. Elle a déclaré dans une émission en direct entre Washington et Kiev, le 4 mars, que les États-Unis suivaient de très près la campagne électorale qui a lieu en Ukraine afin de déterminer dans quelle mesure l'Ukraine apporte clairement la preuve qu'elle est prête à s'insérer au sein de la communauté internationale des États démocratiques.
La veille de cette déclaration de Condoleezza Rice, l'ambassadeur russe en Ukraine avait déclaré, et je le cite: «L'arrivée massive en Ukraine de politiciens occidentaux en prévision des élections législatives du 31 mars est une humiliation et une insulte pour ce pays».
Que pensez-vous de cette déclaration?
M. Hawaleshka: J'ai déjà traité de cette question sensible des relations internationales dans le secteur des armements. Il m'a fallu évidemment composer aussi avec les enjeux politiques, avec les agents de sécurité de l'État, avec les responsables de l'OTAN, avec l'ancien personnel du KGB, et cetera.
Je pense que la déclaration de l'ambassadeur russe est une insulte en soi. Il est inouï qu'il puisse décréter qui peut visiter l'Ukraine et qui doit en être empêché. Ce n'est pas sa chasse gardée. Il ne devrait pas avoir à se préoccuper de la question.
Quant aux visiteurs occidentaux en Ukraine, ou d'ailleurs en Russie, en Géorgie ou en Ouzbékistan, ils ont bien le droit de visiter tous les pays qu'ils veulent. J'ai indiqué dans mon exposé que l'Ukraine occupait une position extrêmement stratégique sur le plan géopolitique. Le Canada occupe une place terriblement stratégique par rapport à la position des États-Unis dans le monde. De toute évidence, l'Ukraine occupe la même place vis-à-vis de la Russie. Il n'est donc pas surprenant que quelqu'un s'intéresse à ce que va faire l'Ukraine.
Il serait dangereux pour l'Ukraine de reculer. Nous ne voulons par revoir la situation antérieure. Je pense qu'il est normal et logique que l'Ouest cherche à voir ce qui se passe. Je n'ai trouvé aucune menace dans la déclaration des É.- U., même s'il y a certains éléments que l'on pourrait considérer comme le signe d'une préoccupation particulière.
Je vais d'ailleurs vous faire envie, sénateur Graham, parce que je vais moi-même la semaine prochaine assister sur place à ces élections. Nous espérons qu'elles se dérouleront mieux que celles qui ont eu lieu en Floride.
Le sénateur Graham: Monsieur le président, je me sens obligé de vous donner une précision. Deux personnes avec lesquelles j'ai observé de nombreuses élections — les représentants d'un groupe d'observateurs basé aux États-Unis, à Washington, ainsi que de l'Institut Carter à Atlanta — m'ont dit en privé, et je le répète aujourd'hui publiquement, que dans une situation telle que celle de la Floride, ils n'entreprendraient même pas d'observer les élections parce qu'ils ne le font que lorsqu'il y a des lois électorales uniformes et lorsque la situation est la même d'un État ou d'une ville à l'autre. Il y avait tellement de variantes dans la loi électorale de la Floride qu'on ne chercherait même pas à se rendre sur place.
J'en viens maintenant à votre conclusion selon laquelle les changements effectifs que l'on attend mettront plus longtemps à se produire qu'on ne l'avait prévu à l'origine et qu'il faudra toute une génération pour que les choses changent — remarque très intéressante et très pertinente — le Canada devant se préparer à agir à long terme s'il veut être un agent efficace de changement. Cela me rappelle une époque où je me trouvais au Paraguay — et permettez-moi de citer un nom connu, monsieur le président — avec le président Carter. Je parlais avec l'éditeur d'un journal de format tabloïde interdit sous le régime Stroessner, qui m'a dit qu'après l'arrivée à la présidence de Rodriguez, son journal a été remis en circulation presque immédiatement, à la suite de l'élection qui a eu lieu en 1989. Le Paraguay avait progressé sur la voie de la démocratie en 1991 et en 1993. Cet éditeur m'avait déclaré à l'époque: «Ne vous contentez pas de venir en coup de vent». C'est ce que vous nous dites. Nous devons viser le long terme. Lorsque j'ai demandé à cet éditeur ce qu'il entendait par là, il m'a répondu: «J'étais présent lorsque vous avez parlé à Rodriguez, notre président, et il vous a promis une nouvelle constitution et une nouvelle loi électorale; il faut vous assurer que cette nouvelle loi électorale sera bien mise en place».
Pouvez-vous élaborer davantage?
M. Hawaleshka: Je tiens à souligner que le Canada n'ignore pas totalement le problème. Même l'ACDI, malgré son énorme inertie, a réussi à s'en apercevoir. Je me souviens que le précédent agent d'aide technique à l'ambassade canadienne de Kiev, chargé de restructurer l'intervention du Canada en Ukraine, m'a bien fait comprendre, et je lui en sais gré, qu'il ne suffisait pas «de venir en coup de vent». Il faut créer, maintenir, encadrer et superviser et, une fois que tout le monde a atteint le même niveau, on peut alors dire: «Allons prendre une bière ensemble». La situation est alors différente.
Il faut cependant que nos organismes fassent preuve d'une certaine cohérence. Ce que l'on voit trop souvent, c'est qu'un projet d'aide est adopté par l'ACDI pendant deux ans et qu'une fois ce délai écoulé, lorsque le projet commence à décoller, qu'il est en pleine croissance, l'ACDI retire ses subventions parce qu'elle ne finance plus ce genre de projet.
L'ACDI demande alors aux responsables sur place de lui présenter de nouveaux projets. Pourquoi se lancer dans un nouveau projet lorsque le premier donne de bons résultats? Pourquoi ne pas perfectionner ce que l'on a déjà pour que tout marche à la perfection? C'est ce que j'entends lorsque je parle de long terme. Il ne faut pas apporter les changements pour le simple plaisir du changement.
Dès qu'un nouveau président entre en fonction, une nouvelle politique est adoptée. On appliquait jusqu'alors le principe de la gestion par objectifs et c'est désormais la gestion par activités; ensuite, ce sera la gestion en fonction des résultats, puis la gestion axée sur les résultats, puis encore autre chose. C'est totalement stupide. Il devrait y avoir un moyen d'administrer les choses de façon suffisamment simple et organisée. Nous ne disons pas autre chose.
Il y a un projet, toutefois, qui n'a pas été détruit par cette méthode. C'est celui du Centre des sciences et des techniques de l'Ukraine. Il n'a pas été détruit parce que ce n'est pas strictement un projet canadien. Les États-Unis étaient impliqués, de même que la Communauté européenne, l'Ouzbékistan, la Géorgie et la Suède. Le Canada était un partenaire important, mais ce n'était qu'un partenaire parmi d'autres et il n'a donc pas pu tout mettre par terre. Ce projet se poursuit dans de bonnes conditions. Il reste considéré comme le projet phare en matière d'aide.
L'ambassadeur Miller des États-Unis a écrit à Madeleine Albright, lorsqu'elle était secrétaire d'État, pour lui dire que le Centre des sciences et des techniques de l'Ukraine était le meilleur projet d'aide auquel les États-Unis aient participé. C'est une simple déclaration, mais ce projet existe depuis 1994. Voilà huit ans qu'il fonctionne, et le Canada a versé des crédits supplémentaires, de sorte qu'il se poursuivra au moins jusqu'en 2005, 2006 ou 2007. Nous parlons ici d'un niveau de participation élevé sur une période de 10, 11 ou 12 ans. Ce projet est un succès.
Il en va de même dans d'autres secteurs. La durée n'est peut-être pas la même, mais l'on fait au moins l'effort de ne pas se contenter de l'ancien projet pour le laisser tomber ensuite.
Le sénateur Bolduc: Est-ce que cette observation s'applique aussi au taux de roulement des responsables de l'administration?
M. Hawaleshka: Je pourrais citer bien des exemples sur ce point.
M. Czolij: J'ajouterai une observation à ce que vient de dire M. Hawaleshka. Lorsque nous intervenons, soit devant votre comité soit devant d'autres instances, nous insistons sur l'importance de cette période critique. Nous ne le faisons pas pour dramatiser la situation. Les observations faites par le sénateur au sujet de l'ambassadeur russe nous montrent que l'Ukraine est actuellement à la croisée des chemins et doit choisir entre le maintien de l'influence russe et une plus grande intégration aux démocraties occidentales. Les termes employés par l'ambassadeur russe nous rappellent que l'Ukraine penche vers les démocraties occidentales et sont signe, à n'en pas douter, que l'Ukraine agace de toute évidence son voisin, qui aimerait continuer à exercer son influence. Je peux vous garantir que le Canada fait son devoir en intervenant à ce moment crucial.
Le sénateur Grafstein: Je tiens moi aussi à vous féliciter. Vos exposés sont révélateurs et pleins d'enseignement. Je tiens à vous en remercier.
La diaspora ukrainienne compte un million d'immigrés au Canada. Combien de personnes de cette communauté se rendent en Ukraine chaque année? Quel est le pourcentage de visiteurs qui reviennent ensuite chez nous? Est-il fort ou faible? Pouvez-vous nous donner des estimations?
M. Hawaleshka: L'ambassade pourrait vraisemblablement nous le dire.
M. Yuri Shcherbak, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire d'Ukraine: Je tiens tout d'abord vous remercier de m'avoir invité. Il est particulièrement intéressant d'entendre le point de vue de nos amis Canadiens.
Je peux vous dire que les échanges entre le Canada et l'Ukraine ont représenté, en l'an 2000, 140 millions de dollars canadiens.
Le président: Ce qu'on vous demande, monsieur l'ambassadeur, c'est combien de Canadiens d'origine ukrainienne se rendent en Ukraine chaque année?
M. Shcherbak: Environ 20 000 personnes visitent l'Ukraine. Ce sont les chiffres donnés par Air Ukraine. Je ne sais pas combien d'entre elles empruntent les lignes aériennes de la Pologne ou de la Hongrie.
Le président: Pour plus de précision, puis-je vous demander s'il s'agit du nombre de personnes qui prennent l'avion ou du nombre de visas délivrés? Il doit y avoir une statistique, si vous voulez bien nous en faire part, concernant le nombre de visiteurs ukrainiens canadiens. Vous ne savez pas quelles sont les personnes qui prennent l'avion. Elles peuvent être de toute origine. Vingt mille personnes me paraît être un chiffre élevé.
Le sénateur Grafstein: Nous voulons savoir combien il y a de visiteurs canadiens.
M. Shcherbak: Nous délivrons des visas à l'ensemble des Canadiens et non pas seulement aux Ukrainiens. Nous décernons quelque 40 000 à 50 000 visas aux Canadiens. Nous estimons qu'entre 70 ou 80 p. 100 des visiteurs voyageant en Ukraine sont ukrainiens. L'année dernière, toutefois, alors que nous avons fêté le 10e anniversaire de l'indépendance ukrainienne, de nombreux Ukrainiens Canadiens ont voyagé en Ukraine.
Le sénateur Grafstein: Ce n'est pour moi qu'un exemple. Je pars du principe que pour jouer un rôle actif sur la scène internationale, vous avez cherché à vous rapprocher de l'énorme diaspora pour donner un nouveau souffle à votre communauté. Je trouve que c'est tout à fait normal.
Ce qui m'a paru fascinant dans mes déplacements en Ukraine, c'est le taux d'alphabétisation élevé. C'est pourquoi je ne suis absolument pas surpris quand je vous entends parler des réalisations des organismes scientifiques et des progrès obtenus en informatique et dans les sciences de l'ingénieur. Je pense que le taux d'alphabétisation de l'Ukraine est plus élevé que celui du Canada. Au Canada, le taux d'analphabétisme est d'environ 18 p. 100. En Ukraine, il se situe aux environs de 2 p. 100.
M. Hawaleshka: Il est pratiquement nul.
Le sénateur Grafstein: Il convient que ce soit consigné. Le potentiel de développement est grand, notamment dans le domaine des mathémathiques, de la science et de la technique.
Cela dit, j'ai par ailleurs constaté lors de la dernière décennie que ces instituts de réputation mondiale subissaient les conséquences d'une énorme fuite de cerveaux. L'institut d'informatique que vous avez mentionné, par exemple, a perdu nombre de ses chercheurs, notamment parce que les spécialistes de l'informatique ont besoin de se recycler constamment et ne peuvent pas le faire par manque de financement. Nombre d'entre eux se sont retrouvés aux États- Unis, en Israël et dans certains pays européens. L'institut, qui était l'un des chefs de file en matière d'utilisation stratégique de l'informatique, a perdu de sa stature.
En va-t-il de même pour la société aéronautique Antonov? Elle fabrique un magnifique appareil qui est le gros porteur le plus perfectionné du monde. Il est meilleur que le Boeing.
M. Hawaleshka: Il est plus gros.
Le sénateur Grafstein: Il est plus gros et il est meilleur, et pourtant il n'y a pas de marché pour cet appareil. Quels sont les problèmes en matière de développement? La technique est là et elle fonctionne parfaitement. Le Canada aurait certainement besoin de quelques-uns de ces appareils. Nous avons dû utiliser les gros porteurs américains pour transporter notre équipement par voie aérienne jusqu'en Afghanistan. Pourquoi cet appareil n'est-il pas plus largement vendu?
Ma troisième question, qui est liée aux deux autres, a trait à une incohérence que l'on retrouve dans votre mémoire. D'un côté, vous demandez aux Canadiens — et je suis d'ailleurs d'accord avec vous sur ce point — d'encourager le développement de l'enseignement et des échanges scientifiques. Je pense que c'est très important et je suis d'accord avec vous là-dessus et sur tout ce que vous avez dit au sujet de la politique des ONG au Canada. D'un autre côté, vous nous incitez fortement à attirer ces jeunes immigrants brillants et à les faire venir d'Ukraine au Canada, où ils seraient bien accueillis. N'y a-t-il pas là cependant une incohérence dans votre politique ou votre attitude sur ce point?
M. Hawaleshka: Je vais éviter de vous répondre à l'étourdie sans structurer ma pensée. On peut se laisser aller trop facilement.
Pour répondre tout d'abord à la contradiction que vous relevez, je ne propose pas que ces personnes immigrent au Canada. Je préconise la formation de jeunes stagiaires au Canada. Nous en avons fait l'expérience par le passé, et je me suis référé précisément à l'exemple chinois. L'ACDI a dépensé près de 100 millions de dollars au fil des années pour faire venir de nombreux scientifiques, des jeunes étudiants et des professeurs au Canada. J'en ai eu trois qui ont travaillé avec moi.
Le sénateur Grafstein: Je me réfère à la troisième recommandation de votre mémoire. Vous parlez peut-être d'échanges, mais ce n'est pas l'impression qu'on en retire.
M. Hawaleshka: Il s'agit là d'immigration.
Je m'intéresse tout d'abord à la formation des jeunes. J'aimerais qu'ils retournent et qu'ils travaillent pour leur pays, mais vous savez bien comme moi que le pourcentage de retour ne sera pas de 100 p. 100 parce qu'il y a toujours des gens qui trouvent que l'herbe est plus verte ailleurs. Une grande partie d'entre eux retourneront, cependant, et c'est ce que nous souhaitons.
Pour ce qui est du point 6, je faisais une généralisation. Lorsque je parle de gens hautement qualifiés et extrêmement travailleurs, je ne me réfère pas seulement aux scientifiques spécialistes de l'informatique ou de la génétique, je parle aussi des gens qui souhaitent travailler, construire quelque chose, améliorer leur vie ainsi que leur milieu, au Canada. Ces gens vont construire des maisons et alimenter l'activité économique dans notre pays. Je parlais des bâtisseurs.
Le sénateur Grafstein: Nous nous efforçons de mettre le doigt sur des recommandations précises. Je ne vous reproche pas vos propos, mais nous devons savoir où se situe le problème. Vous proposez que nous favorisions l'immigration des personnes qualifiées, et je n'y vois absolument aucun inconvénient. Le Canada manque de travailleurs qualifiés. Tout ce que j'ai vu en Ukraine me prouve évidemment que ces travailleurs qualifiés sont utiles et nécessaires au développement du Canada. C'est bien évidemment ce qu'indique le dernier recensement. Vous nous avez invités à nous montrer plus généreux dans notre politique d'immigration. Où est le problème?
M. Hawaleshka: Je vais passer la parole à M. Petryshyn et je répondrai ensuite à la deuxième partie de votre question.
M. Petryshyn: En deux mots, la situation est particulièrement difficile à l'ambassade canadienne pour ce qui est de l'immigration. Les difficultés se situent sur deux plans. La demande exprimée par la population ukrainienne augmente et il y a un plus grand nombre d'immigrants. Nous en recevons désormais plus de 3 000 par an. Toutefois, le taux de refus est, je pense, de plus de 90 p. 100.
Cela s'explique en partie par la corruption de certains fonctionnaires. Certaines personnes ont falsifié des documents et accéléré la procédure au sein de l'ambassade. Les services de sécurité s'en sont aperçus. De ce fait, cependant, la procédure d'immigration est devenue particulièrement stricte. Par ailleurs, les frais que les immigrants sont tenus de payer sont particulièrement décourageants.
Le président: Vous nous dites que le Canada reçoit à peu près 3 000 immigrants par an?
Le sénateur Grafstein: Les demandes sont bien plus nombreuses.
Le président: Je le comprends bien. Ce n'est d'ailleurs pas un problème propre à l'Ukraine, on le retrouve plus particulièrement dans d'autres pays de l'Europe de l'Est.
Le sénateur Bolduc: Est-ce une question de sécurité?
M. Petryshyn: Ce n'est pas simplement une question de sécurité. Il est prouvé jusqu'à un certain point qu'il y a un manque d'appréciation systémique de la dynamique interne de l'Ukraine. Il y a aussi un problème que l'on n'apprécie pas à sa juste valeur et qui est lié à la communauté ukrainienne-canadienne. J'aimerais vous en dire quelques mots.
Entre la fin de la Deuxième Guerre mondiale et l'indépendance de l'Ukraine, il n'y a pratiquement pas eu d'immigration ukrainienne en Union soviétique. Pendant deux générations, il n'y a pas eu d'immigration de la communauté ukrainienne au Canada. Nous devrions normalement avoir une relation suivie avec la communauté ukrainienne, qui en est maintenant à sa sixième génération, mais il y a un déséquilibre du fait de cette interruption.
Le Congrès ukrainien canadien, dans un mémoire envoyé au ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration, a proposé que l'on corrige ce déséquilibre en accordant un traitement favorable accélérant la réunification des familles, et notamment en favorisant l'immigration dans les secteurs professionnels déficitaires au Canada, dans les sciences infirmières, par exemple. Il y a un excédent d'infirmières en Ukraine et une pénurie au Canada.
Toutefois, on n'évalue pas comme il se doit les difficultés auxquelles fait face ici notre communauté de même que les complications administratives auxquelles se heurtent les immigrants à l'ambassade canadienne. Il y a donc une grande désillusion des deux côtés, j'en ai bien peur.
M. Czolij: Puisque le sénateur a soulevé la question du taux d'analphabétisme en Ukraine, je tiens à lui signaler, pour qu'il en soit pris acte que le document intitulé: Une voie vers la réforme: Cadre de programmation pour l'Ukraine 2002-2006, rédigé par l'ACDI, fait état à l'annexe 1 d'un taux d'analphabétisme des adultes de 0 p. 100. C'est l'annuaire 2001 de l'Encyclopaedia Britannica qui est la source de cette statistique.
Le sénateur Grafstein: C'est à rapprocher d'un taux d'environ 18 p. 100 pour le Canada.
M. Hawaleshka: Le sénateur Grafstein a soulevé la question de l'appareil Antonov. Après avoir surmonté d'énormes difficultés sans aucun financement et sans aucun achat d'appareil après 1991, l'entreprise a réussi à poursuivre ses activités par amour de son travail, parce qu'elle ne voulait pas lâcher. Ces quatre ou cinq dernières années, la situation s'est lentement retournée.
Il y a eu des partenariats. Ainsi, la Russie a contribué au développement de certains appareils parce qu'elle sait qu'ils sont excellents. De même, les Ukrainiens ont fait des choses de leur côté. Ils ont mis au point, par exemple, un tout nouvel appareil de transport régional, l'Antonov 140, qui est désormais fabriqué en Ukraine, en Russie et en Iran. La Chine vient d'ailleurs d'acquérir les droits de le construire.
L'Ukraine a éprouvé plusieurs difficultés au sujet de ce gros appareil. Pour commencer, il est peut-être trop gros pour certaines applications et pour un usage général. De combien d'appareils Antonov 225 a besoin l'armée de l'air canadienne? D'aucun. Elle aurait besoin, cependant, de l'Antonov 124, qui correspond bien mieux à nos besoins.
Le sénateur Grafstein: Pour les grands froids, nous aurions besoin du gros appareil.
M. Hawaleshka: L'Antonov 225 serait utile aux Américains, par exemple. Il est tout simplement trop gros. Nous pouvons donc douter que la vente du gros appareil puisse être rentable. La plus petite version, l'Antonov 124, qui reste cependant plus grosse que tout ce que nous avons pour l'instant, est un excellent appareil qui pourrait être utilisé par de nombreux exploitants comme engin de transport polyvalent. Nous n'avons pas pu acheminer nos troupes en Afghanistan. Cet appareil nous aurait été utile sur ce point.
Le président: Nous avons étudié la question jusqu'à plus soif. Le problème, ce n'est pas de transporter nos troupes; c'est de transporter notre gros matériel.
M. Hawaleshka: N'oublions pas que l'Ukraine reste considérée dans certains milieux comme faisant partie de l'ancienne Union soviétique. Même nos responsables qui traitent ici de ces questions sensibles, ne peuvent pas assister à certaines rencontres en Ukraine sans notification et sans autorisation préalable. Il y a des gens qui ne savent pas encore bien si nous sommes aux côtés de l'Ouest ou non.
Par ailleurs, les acheteurs potentiels n'ont pas l'expérience du service à la clientèle dispensé par les anciennes organisations de l'Union soviétique lorsqu'ils achètent un produit. Ils vont se dire: «Que va-t-il se passer si j'achète un appareil et si ces gens ne livrent plus les pièces de rechange? Qu'est-ce que je vais faire?» On n'a pas encore remédié à ces préoccupations.
Enfin, les Ukrainiens ne savent pas commercialiser leurs produits; je parle des brochures, des vendeurs, des démonstrations, etc. Il serait judicieux de leur part d'engager des spécialistes occidentaux pour le faire à leur place. Les Canadiens pourraient les aider dans ce domaine.
Le sénateur Grafstein: Qui est propriétaire d'Antonov?
M. Hawaleshka: En partie le gouvernement ukrainien et en partie les entreprises privées.
Le sénateur Grafstein: Est-ce que la privatisation s'accélère?
M. Hawaleshka: Oui, en effet.
Le sénateur Grafstein: Je soulève ici une question personnelle. Les grands-parents de ma femme sont venus d'Ukraine. Je suis donc très respectueux ce qui vient d'Ukraine. Je ne suis que le petit-fils d'un pauvre immigrant polonais et j'ai donc amélioré ma condition en me mariant.
Le sénateur Andreychuk: Dois-je défendre la cause des Polonais ou des Ukrainiens?
Pour pas que vous pensiez que je vous pose des questions faciles, je vais vous demander quelque chose que bien des Canadiens me demandent souvent. En l'occurrence, on parle d'une relation spéciale avec l'Ukraine. On nous dit que nous avons intérêt à ce que l'on puisse compter sur une Ukraine stable, pro-occidentale, démocrate, sûre et indépendante. La plupart des Canadiens en conviennent. Lorsqu'on parle d'échanges et d'investissements, certains Canadiens nous disent qu'ils sont prêts à donner de leur temps, mais ils estiment que le fruit de leur travail va être récupéré par les entrepreneurs et les investisseurs d'Europe de l'Ouest. Que répondez-vous à cela?
M. Hawaleshka: Je ne crois pas que c'est ce qui va se passer. Il est indéniable que l'on se tourne vers l'Allemagne, l'Autriche et les pays environnants. Si Bombardier, pour une raison ou pour une autre, entre en relation avec Antonov pour construire un aéronef susceptible de compléter la gamme canadienne, je peux pratiquement vous garantir qu'il ne sera pas question de lever le nez sur Bombardier et de s'adresser à l'Europe. Les responsables signeront un projet de coparticipation avec Bombardier et collaboreront avec cette entreprise. Je suis persuadé par ailleurs que les deux partenaires feraient front alors, face à l'Europe. Je ne vois aucune difficulté sur ce plan.
De notre point de vue, le problème se pose parce que les pays de l'Europe de l'Ouest sont bien plus dynamiques que nous. Partout ou on jette le regard, on aperçoit un Italien.
Le sénateur Andreychuk: C'est vrai.
Le sénateur Bolduc: On les retrouve partout dans le monde. J'ai rencontré en Afrique plus d'Italiens que de représentants de toute autre communauté.
M. Hawaleshka: Le sénateur Di Nino en est un bon exemple.
Les Allemands sont partout. On rencontre combien d'Israéliens en Ukraine qui font des affaires et qui montent des projets? Ils tirent parti de la situation.
Si l'on réussit à instaurer un élément de confiance — et je considère que c'est là la priorité dans les relations entre une entreprise occidentale et une entreprise ukrainienne — je considère alors que la relation va être excellente. Sans la confiance, toutefois, il peut y avoir des difficultés.
M. Petryshyn: Je dirige au Centre ukrainien du collège communautaire Grant MacEwen un programme de gestion d'entreprise que nous facturons 3 500 US. L'ACDI a obtenu un certain nombre d'excellents succès en Ukraine, l'un d'entre eux ayant consisté à financer le programme de gestion d'entreprise pour que nous puissions désormais faire venir chaque année des étudiants d'Ukraine en Alberta. Je parle de professionnels qui ont des entreprises et qui suivent les cours du soir de notre programme. Le troisième groupe se trouve en ce moment à Edmonton en stage pratique dans les banques canadiennes, des établissements privés et des institutions gouvernementales. Ce sont des relations d'entreprise. Elles sont le gage de la confiance qui va faciliter les investissements à l'avenir.
Les Britanniques, en particulier, savent très bien développer des amitiés dans le monde entier en formant les gens au sein de leurs institutions. Je crois qu'à terme le Canada sera le bénéficiaire direct de programmes de ce type.
Le président: Je vous remercie. Ce fut un exposé particulièrement intéressant. Il faut bien dire que jusqu'à ce jour une partie des témoignages présentés au sujet de l'Ukraine ont été assez négatifs. De toute évidence, il se dégage une impression positive des dépositions de ce groupe. La situation s'améliore.
[Français]
Le sénateur Bolduc: Monsieur Czolij, selon les témoignages qu'on a eus, c'est qu'il y a deux Ukraine. Il y a l'Ukraine de l'Ouest, qui est un peu pro-européenne, et il y a l'Ukraine de l'Est où traditionnellement le pouvoir économique est installé par les Russes et les oligarques ukrainiens aussi, de sorte que l'on se demande si dans le pays il y a une sorte de bousculade politique pour que cela se divise, soit, une partie qui irait avec la Russie et l'autre partie qui irait avec l'Europe, ou si, finalement, il n'y a pas de problème de tiraillement et que tout le monde est Ukrainien: c'est un nationalisme normal et qui est correct ainsi.
M. Czolij: Je pense que les deux parties de l'Ukraine, celle de l'Est et celle de l'Ouest, n'ont pas le même contexte historique, ce qui explique ce qui a été mentionné. L'Ouest de Kiev est plus porté vers l'Occident, alors que l'Est l'est vers la Russie.
Toutefois, je pense que la plupart des politiciens intelligents en Ukraine font en sorte de ne pas accentuer ces différences, mais au contraire, d'essayer de cimenter une certaine appartenance de l'individu à une Ukraine unie. Ce genre de tiraillement bien souvent est accentué par ceux qui voudraient trouver des moyens pour affaiblir l'Ukraine. On trouve bien souvent dans la division une façon d'affaiblir un pays.
On a essayé de temps à autres d'en faire une question religieuse, soit, les Catholiques contre les Orthodoxes, et aussi utiliser d'autres moyens pour chercher cet os de discorde pour affaiblir le pays. Je pense que l'idée prédominante est, comme je disais, celle de politiciens intelligents qui ont à coeur le pays et qui vont faire en sorte d'expliquer les différences et d'expliquer le contexte historique qui démontre ces différences, et de faire en sorte que l'on n'accentue pas les différences, mais au contraire qu'on leur fasse ressentir qu'ils font partie d'un seul pays.
[Traduction]
Le président: Merci beaucoup. Nous vous avons écouté avec un grand plaisir.
Honorables sénateurs, notre dernier témoin, avant que nous entendions le ministre, est M. Orest Subtelny.
Vous avez la parole.
M. Orest Subtelny, professeur, Département d'histoire et des sciences politiques, Université York: Monsieur le président, je suis aussi directeur d'un projet financé par l'ACDI qui traite des relations asymétriques, notamment celles entre le Canada et les É.-U. ou de la Russie avec l'Ukraine, projet qui en est aujourd'hui à sa deuxième année d'existence. J'ai par conséquent une certaine connaissance théorique et pratique de l'Ukraine.
L'heure n'est pas très bien choisie pour faire un exposé. J'ai appris, après avoir enseigné pendant des années, qu'il est très mauvais de parler à 14 h 30, car les étudiants commencent à s'assoupir. Je suis sûr que ce ne sera pas le cas pour votre auguste assemblée. Si ça se produisait, toutefois, je comprendrais.
En écoutant les témoins qui m'ont précédé, j'ai été frappé du fait que l'on partait automatiquement d'une hypothèse, soit en l'occurrence que plus vite les Ukrainiens se mettraient à ressembler aux Canadiens, mieux ils s'en porteraient. Il semble que ce soit là l'hypothèse sous-jacente, et je peux en comprendre la raison. Lorsqu'on compare, par exemple, les niveaux de vie du Canada et de l'Ukraine, on a l'impression, bien entendu, que c'est la solution qui semble s'imposer.
Je dois tout de suite vous avertir, toutefois, qu'il ne faudrait pas trop vous avancer dans cette voie. Les Ukrainiens sont très sensibles sur cette question. Ils n'ont pas l'intention de devenir des Canadiens. Ils veulent rester Ukrainiens. Ils souhaitent améliorer la vie en Ukraine et non pas faire de l'Ukraine un Canada.
Je pense que l'on va trop loin parfois dans cette voie. L'évolution que subit l'Ukraine est très complexe. C'est un lieu commun que l'on a souvent rabâché. Ce qu'on oublie souvent, c'est que cela cache une autre hypothèse, en l'occurrence qu'il s'agit en quelque sorte d'une société sous-développée qui s'engage dans la voie du développement pour devenir une société comme le Canada. Ce n'était pas un pays sous-développé; il était très développé. Il était très moderne, sur un plan différent, toutefois. Ce pays avait emprunté une voie différente pour se moderniser.
Nous ne devons donc pas partir du principe que nous savons ce qu'est la modernisation sans que les Ukrainiens le sachent. Comme on l'a dit tout à l'heure au sujet du secteur technique, les Ukrainiens se sentent tout à fait compétents dans ce domaine. Je pense qu'il faut en tenir compte. Je crois comprendre que vous allez voyager en Ukraine et en Russie. Vous aurez donc peut-être l'occasion de rencontrer un certain scepticisme au sujet de ce que nous avons à offrir, notamment chaque fois que l'on peut percevoir chez nous une attitude condescendante. Ces populations y sont extrêmement sensibles.
Votre comité a procédé à une étude très détaillée, monsieur le président. Vous avez entendu un grand nombre de témoignages particulièrement intéressants et instructifs. Je me suis donc posé la question suivante: que puis-je donc y ajouter? Quels sont les sujets que je pourrais bien aborder qui n'ont pas été traités à fond?
Il y a un sujet qu'il convient de traiter, c'est celui de l'élite en Ukraine, des personnes qui dirigent le pays, ainsi que de la nature de cette élite. Il est essentiel de ne pas oublier que les décisions et les choix politiques — la vie du pays — sont lié à ce phénomène appelé «des élites nouvelles et peut-être pas si nouvelles de l'Ukraine». Qui sont ces gens? Comment sont-ils arrivés là, on pourrait écrire des pages et des pages à leur sujet. Je vais m'efforcer de vous en donner un aperçu.
Laissez-moi vous dire pour commencer que je suis très optimiste au sujet de l'Ukraine. De manière générale, je considère que l'on est dans la bonne voie. Je pense qu'à long terme, l'avenir est très prometteur. On a fait beaucoup de choses.
Cela dit, discutons maintenant de l'élite. Premièrement, l'Ukraine dispose désormais d'une élite. Pendant des siècles, il n'y a pas eu d'élite en Ukraine. Comme ce pays faisait partie d'un empire, tous les jeunes gens ambitieux ont cherché à se rendre au coeur de cet empire, c'est-à-dire à Moscou, à Saint-Pétersbourg ou ailleurs. Ils sont partis. Il y a eu une fuite constante des cerveaux représentée par les jeunes gens ambitieux. Consultez aujourd'hui la liste des équipes ministérielles à Moscou et vous serez surpris par le nombre de noms ukrainiens qui s'y trouvent. Ce sont ceux des gens qui ont réussi à Moscou. On considérait que l'on ne pouvait pas faire carrière en Ukraine.
Aujourd'hui, les jeunes restent en Ukraine. C'est à leurs yeux le cadre de leur travail et de leurs activités. C'est un événement d'une grande portée historique. Ils étaient toujours partis et désormais ils restent. Il s'agit là de l'élite véritable de l'Ukraine. D'un point de vue historique, c'est important, parce que ce sont désormais des personnes qui habitent l'Ukraine qui prennent des décisions au sujet de l'Ukraine.
Il faut bien voir par ailleurs que ce n'est pas une élite très présentable. Elle a énormément de choses à se reprocher. C'était à prévoir, pourrait-on dire. Toutes les nouvelles élites sont peu présentables. Lorsqu'on remonte à l'époque médiévale ou à celle des pionniers en Amérique, on peut voir qu'au départ ce ne sont pas des gens bien faciles à manier. Malheureusement, on a le sentiment que cette élite laisse beaucoup à désirer.
Le président: J'imagine que c'est parce qu'elle est l'héritière d'une société de conspirateurs, ce qui était au coeur de la politique en Union soviétique.
M. Subtelny: C'est exactement ce que je veux dire. Nous avons en Ukraine une situation bien particulière. Un régime s'est écroulé, un nouveau régime est institué, mais la même élite reste en place. Généralement, lorsqu'un empire s'écroule, son élite disparaît ou quitte les lieux. Ici, nous avons eu un changement de régime sans changement d'élite. C'est assez particulier. Ce n'est tout simplement pas la norme.
Comment l'expliquer? Je ne veux pas vous faire tout un discours, mais j'aimerais quand même évoquer cette question. Ce qui s'est passé en Ukraine lorsque l'Union soviétique s'est écroulée et qu'un nouvel État ukrainien s'est mis en place, c'est que les gens particulièrement intelligents, ceux qui étaient bien en cour, notamment les jeunes cadres et non pas les vieux dirigeants du type Brejnev, ont vu dans quel sens soufflait le vent. Ils étaient bien introduits et se sont rendu compte qu'ils avaient de l'influence et du pouvoir dans l'ancien système. La solution consistait à s'enrichir — à transformer cette influence, ce pouvoir dont ils jouissaient dans ce régime en perdition, en richesses au sein du nouveau régime. Ce fut la première étape.
Lorsque l'indépendance de l'Ukraine a été acquise, ils ont entrepris de lancer la privatisation. Nous étions tous là à applaudir en disant: «Quelle bonne chose, la privatisation». Pour eux, cela signifiait s'approprier les richesses en se servant de leurs relations. Ils n'ont rien créé et rien construit. Ils n'ont fait que se servir de leurs relations pour obtenir des parts dans les usines et les entreprises et accaparer les richesses. Ils n'avaient plus le pouvoir des communistes, mais ils avaient la richesse. Voilà ce qu'ils ont fait dans un premier temps.
Dans un deuxième temps, de 1994 à 1997, ils se sont servis de leur argent pour le transformer en pouvoir au sein du nouveau régime, celui de l'Ukraine indépendante. Nous arrivons aujourd'hui à la fin de cette deuxième étape. Cela signifie qu'ils ont acheté les élections, de l'influence ainsi que leurs sièges au Parlement.
Qu'en résulte-t-il? Le nouvel État ukrainien indépendant est devenu un mécanisme ayant permis à l'élite de sauter d'un train dans l'autre. Plutôt que de servir la société, l'État est devenu un outil. Qu'est-ce que l'Ukrainien moyen peut- il bien penser de son propre État lorsqu'il voit bien ce qui s'est passé? De toute évidence, il se sent aliéné.
Je dois dire que c'est à peu près la même chose qui s'est passée en Russie. Il en résulte les difficultés que l'on peut voir en Ukraine. Vous le constaterez probablement. Les gens parlent toujours de «eux» et de «nous». Ils disent: «Nous, la masse, et eux, qui dirigent». Le fossé est énorme et ils n'ont pas le sentiment d'être solidaires. Il y a donc un problème au niveau de la conception de l'État.
Quels sont les intérêts qu'il sert? Le problème continue à se poser. Chaque fois que l'on mentionne l'État, les gens se sentent révoltés. Ils ne veulent pas en entendre parler. C'est un gros problème en Ukraine.
L'inconvénient de la nouvelle élite, c'est qu'elle correspond aux anciens dirigeants, aux communistes, aux directeurs d'entreprise, aux responsables des différents organismes de sécurité, etc., contrairement à ce qui se passait à l'époque soviétique où les élites se renouvelaient assez facilement. Un fils de paysan comme Eltsine ou Gorbatchev pouvait parvenir au sommet. En Ukraine, à l'heure actuelle, les fils de paysan ne parviendront pas au sommet, parce qu'il faut désormais avoir de l'argent. Il faut de l'instruction et de l'argent pour rester au sommet.
Il se produit désormais un clivage au sein de la société entre une petite élite privilégiée et la grande masse des gens, qui sont défavorisés et qui souffrent à bien des égards. Ce n'est pas un problème qui se posait sous l'ancien régime soviétique. Voilà pourquoi certaines personnes — les vieilles générations — regrettent l'ancien régime soviétique.
Ce qui est préoccupant, c'est qu'auparavant, je vous le répète, un petit paysan pouvait parvenir au sommet. Pourquoi ne peut-il plus le faire aujourd'hui? Les études universitaires coûtent entre 3 000 $ et 5 000 $. Il n'a pas l'argent nécessaire. Il y a des cloisonnements sociaux. Auparavant, l'enfant du secrétaire du parti et celui de l'ouvrier d'usine allaient souvent à la même école. Ils sont désormais dans des écoles distinctes. Auparavant, ils habitaient souvent les mêmes logements. Les grosses pointures du parti jouissaient de privilèges, mais ils n'avaient pas vraiment de richesses concrètes. À l'heure actuelle, l'élite, ce qui est tout à fait symbolique, construit des maisons. Elle bâtit d'énormes murailles — pas des clôtures, des murailles. Elle a peur du monde extérieur. Elle s'isole de la société. Il en résulte la création d'une élite presque impénétrable et la politique, au plus haut niveau, devient la chasse gardée de quelques-uns, des clans et des petits groupes. La société n'exerce que peu d'influence sur ce point.
Ce que je veux dire par là, c'est que le risque — et on en parle souvent en Ukraine — c'est que l'on en arrive à une forme de société latino-américaine, comportant les attributs de la démocratie, avec des élections, un Parlement, une constitution, mais où le pouvoir est détenu par une oligarchie que serre effectivement les rangs et s'accroche au pouvoir. Je soulève la question parce que je pense que c'est une chose dont il faut être conscient lorsqu'on s'intéresse à l'Ukraine. Il faut de toute évidence faire la différence.
Il y a des membres de l'élite qui veulent faire quelque chose pour leur pays. Différents regroupements prennent part à cette élection, mais jusqu'à présent la nouvelle élite exerce un véritable contrôle et défend délibérément ses propres intérêts sans se préoccuper des autres. Je pense que c'est le gros problème. Va-t-elle s'incruster à long terme ou est-ce que les élections vont lui faire lâcher prise? Je pense que du point de vue historique, c'est le problème fondamental que l'on est sur le point de trancher en Ukraine.
Voilà quelques observations d'ordre général que je tenais à faire sur un sujet qui me paraît être essentiel dans l'Ukraine d'aujourd'hui. Je me ferai un plaisir de traiter de toute autre question qu'il vous plaira d'évoquer.
Le président: Je vous remercie. Vous avez abordé une question qui m'était passée par l'esprit. Je ne suis jamais allé en Ukraine, mais je connais bien le Brandebourg, la Poméranie et toutes les anciennes provinces de l'est de la Prusse et de la Pologne. Il est intéressant de constater à quel point la notion d'égalitarisme évolue dans ces régions. En dépit des échecs, l'égalitarisme disparaît progressivement, ce qui semble nous ramener au sujet que vous venez d'évoquer. C'est une question largement débattue.
Le sénateur Setlakwe: Pour aller dans le sens de cette aliénation que vous venez de mentionner, le témoin précédent a indiqué qu'il faudrait une génération ou plus pour parvenir à une situation satisfaisante. Dans quelle mesure estimez- vous que l'élection en cours va raccourcir ou au contraire allonger le délai permettant de se défaire de cet élitisme?
M. Subtelny: Lorsque j'étais sur place la semaine dernière, j'ai assisté à certains préparatifs de l'élection. On peut être à la fois optimiste et pessimiste. Ce qui rend optimiste, c'est que l'on semble s'efforcer bien davantage à convaincre la population. Toutes les ressources des relations publiques sont mises à contribution. On fait désormais une utilisation bien plus efficace de la télévision pour promouvoir les valeurs démocratiques. On permet même aux dirigeants de l'opposition, qui étaient interdis ou du moins invités à ne pas apparaître à la télévision, d'accéder au petit écran. Les conditions sont assez difficiles, la fréquence de leurs apparitions est toujours deux fois moindre, mais du moins on les autorise à se montrer à la télévision. Je pense que c'est positif.
Un autre élément positif que j'ai pu constater, c'est que la population traite de toute évidence les candidats de façon très pragmatique. Elle ne manque pas de faire la distinction entre les outrances, la propagande et les tentatives d'acheter les votes. On l'entend dire ouvertement. Les gens sont conscients de ce qui se passe.
Sur un plan plus négatif, il reste, comme vous le savez, le problème du contrôle des médias. Tout le monde n'a pas accès aux médias. C'est l'élite qui a l'argent, qui organise les élections. Personne ne peut intervenir de l'extérieur. Même ceux qui s'opposent à l'élite proviennent des milieux d'argent. Ce n'est pas un mouvement populiste, il ne s'agit pas de gens portés par une vague populaire, ce sont des gens qui ont gagné de l'argent, qui considèrent qu'ils en ont désormais assez, et qui veulent faire quelque chose pour leur pays. Ce qui compte, c'est qu'ils ont traversé cette étape de privatisation en devenant riches. Même l'opposition fait partie de cette petite élite.
Quant aux délais, on disait qu'il faudrait cinq ans, puis dix ans. Maintenant, on parle généralement d'une génération. L'argument, c'est que toute personne parvenue à l'âge adulte sous le régime soviétique ne peut plus être récupérée. Ce n'est pas toujours vrai, car certaines personnes ont totalement évolué. Certaines personnes qui ont grandi sous le régime soviétique sont devenues les plus grand ennemis de ce régime. Toutefois, selon la sagesse populaire, tous ceux dont la personnalité s'est formée sous ce régime ne seront jamais capables de se débarrasser de certains schémas de pensée. Il faudra une génération.
Le sénateur Di Nino: Je suis heureux que vous ayez soulevé la question parce qu'on n'en a pas beaucoup parlé aujourd'hui. Si vous me le permettez, je dirai pour mon compte qu'il faut aussi employer le terme de «corruption».
J'ai deux questions à vous poser. On a beaucoup évoqué le niveau d'instruction. Je pense qu'il est entendu qu'il est très élevé. Considérez-vous qu'en raison du niveau de l'enseignement et du fait que la population est très instruite, il sera un peu plus facile pour cette population de se débarrasser de cette élite ou du moins de la faire évoluer?
M. Subtelny: Le niveau d'instruction est le seul critère qui s'écarte du modèle latino-américain. Un tel niveau d'instruction est très inhabituel et il rend l'application du modèle latino-américain peut-être plus difficile. C'est un facteur qui joue évidemment un rôle.
J'ai un commentaire à faire au sujet de la corruption. Ce qui constitue pour nous de la corruption n'en est pas toujours pour les autres. C'est un phénomène de culture. Ainsi, dans la société du Moyen-Orient, il est normal de faire des cadeaux lorsqu'on réalise des affaires, mais pour nous c'est de la corruption. Il nous faut bien savoir ce que l'on entend par corruption. Historiquement, l'empire russe — et dans une certaine mesure l'Union soviétique — était pauvre. Il n'avait pas d'argent pour payer ses fonctionnaires. On partait du principe que celui qui devenait fonctionnaire se faisait payer par la population. Il tirait son salaire de ce qu'il réussissait à faire payer à la population, notamment des frais qu'il réussissait à lui imposer. On partait du principe que celui qui occupait cette fonction devait se faire payer. Cette mentalité persiste aujourd'hui. Celui qui obtient un travail est mal payé et est censé se servir de son poste pour toucher un revenu supplémentaire. Pour ces gens c'est presqu'une tradition et il est tout à fait logique de se comporter ainsi, à tort ou à raison. Bien évidemment, la seule solution est de leur verser un bon salaire pour qu'ils n'aient pas à recourir à des expédients de ce genre.
Le sénateur Di Nino: Ma question portait sur le contrôle que pouvait exercer cette élite sur l'économie et sur la politique et éventuellement, même s'il ne faut pas le souhaiter, sur la justice elle-même et sur des choses de cette nature, et dans quelle mesure cela pourrait entraîner une corruption encore plus grande du système. Je m'arrêterai là.
M. Subtelny: Il n'y a aucun secteur de la société qui échappe vraiment à ce contrôle. Il faut se demander ce qui peut mobiliser l'opposition. Le mieux qui pourrait se passer, c'est une division de l'élite. Comme cela se passe aujourd'hui, dans une certaine mesure, certains groupes de l'élite auront un programme donné alors que d'autres groupes se doteront d'un autre programme. Certains groupes de l'élite pourront alors jouer le rôle d'une assemblée romaine en faisant appel aux masses. Il faudra que cela se passe à l'intérieur de l'élite, au sein d'un groupe, éventuellement des jeunes générations.
Il y a ici un facteur en jeu. Toutes les élites de ce type veulent acquérir le plus tôt possible une certaine légitimité. Pour ce faire, elles veulent être perçues au sein de leur société comme étant moins corrompues et elles veulent aussi être reconnues à l'étranger. Il est important à leurs yeux que lorsqu'elles se rendent en Europe ou au Canada, elles ne soient pas perçues comme une mafia. Elles veulent qu'on les considère comme des ministres représentant leur pays, par exemple. Leurs enfants, notamment ceux qui sont envoyés à Oxford ou dans les écoles privées d'Angleterre, souhaitent légitimiser leur situation. Il leur faut par conséquent agir. Pour être accepté dans la société occidentale, il faut agir selon les normes occidentales. Ce critère d'acceptation au sein d'un club élitiste mondial pourrait les amener à faire certaines concessions.
Le sénateur Di Nino: Ma deuxième question porte sur les conséquences que tout cela pourrait avoir sur les réformes démocratiques, notamment en matière politique. Est-ce que cela va ralentir ou enrayer l'évolution, à votre avis?
M. Subtelny: Cela va ralentir l'évolution. Elles ne vont pas se précipiter vers une véritable démocratisation. Si j'étais à leur place, je ne me précipiterais pas pour instituer une véritable démocratie. La lenteur de cette évolution, son manque de clarté, les a particulièrement avantagées. Elles tirent le plus grand profit de l'absence de lois bien définies. Il est tout à fait dans leur intérêt de ne pas aller trop vite.
Le sénateur Graham: Je suis fasciné par ce que vous venez de dire, professeur Subtelny, au sujet des élites, et je suis rassuré par le fait que vous vous déclariez optimiste à leur sujet. M. Witer a évoqué un sondage nous révélant que le regroupement de Viktor Yuschenko est le mieux placé en vue de la prochaine élection, avec 19 p. 100 des intentions de vote. Est-ce qu'il s'agit du regroupement Notre Ukraine?
M. Subtelny: C'est bien ça.
Le sénateur Graham: Un autre sondage nous révèle que six partis et regroupements sont susceptibles de dépasser le seuil de 4 p. 100 des voix, le parti de Yuschenko, avec 23,9 p. 100, suivi du Parti communiste, avec 16,8 p. 100, alors que le sondage cité par M. Witer donne 17 p. 100 pour le Parti communiste. Les chiffres sont à peu près les mêmes. Viennent ensuite le Parti social-démocrate uni avec 8 p. 100, puis l'Ukraine unie, avec 7 p. 100, les Verts, avec 5,5 p. 100, et les Femmes pour l'avenir de l'Ukraine, avec 4,1 p. 100.
Est-ce que les élites appartiennent à l'un de ces partis? Dans l'affirmative, lequel? Qui sont-elles? Comment y sont- ells parvenues?
M. Subtelny: Ce sont des gens qui occupaient les postes de responsabilité au sein du régime, surtout au sein des institutions politiques et économiques, qu'il s'agisse des gérants de banque, des directeurs d'usine, des ministres, des hauts fonctionnaires ou autres. Ce sont ces personnes qui détenaient les postes de responsabilité, dans tous les secteurs de la société.
Le sénateur Bolduc: Ils étaient en place.
M. Subtelny: Ils étaient en place. Il y a eu un renouvellement, bien entendu. Certains anciens membres, comme les premiers secrétaires du Parti communiste, ont perdu du terrain parce que leur parti s'est écroulé. Toutefois, les jeunes cadres ont réussi à se transformer et à devenir des chrétiens démocrates. Ce sont les mêmes personnes qui ont créé un nouveau parti sous un autre nom.
Le personnel n'a presque pas changé. On voit davantage de changements aujourd'hui parce que les gens ont vieilli. Pendant les dix premières années, le personnel n'a presque pas changé.
Le sénateur Graham: Dans quel parti le retrouve-t-on?
M. Subtelny: Dans tous les partis.
Le sénateur Graham: C'est sans importance?
M. Subtelny: Il n'y a aucun parti à ma connaissance dans lequel ces personnes, que l'on peut qualifier largement et précisément «d'élite», n'occupe des postes de haut niveau. Pratiquement aucun parti n'a une assise populaire.
Yuschenko fait de toute évidence partie de l'élite, mais c'est là l'exemple d'une personne qui prend un point de vue opposé à celui d'autres membres de l'élite. Je vous le répète, c'est là où on peut voir apparaître des fissures. Il y a évidemment des conflits au sein de l'élite. M. Yuschenko en est un exemple, et il exprime des tendances plus démocratiques. Il était toutefois à la tête de la Banque centrale. Les gens qui l'entourent avaient des postes de responsabilité. Le personnel de son équipe occupait des postes de choix dans l'administration du président. Il lui a fallu procéder ainsi. Il ne peut pas parvenir à ses fins sans compter sur du personnel ayant des relations. Il n'est pas question d'obtenir des résultats en s'appuyant sur les habitants des villages et des petites villes. Ce serait tout simplement courir à l'échec. C'est une condition indispensable au succès en politique.
Le sénateur Graham: Vous rentrez juste d'Ukraine.
M. Subtelny: Oui, c'est bien ça.
Le sénateur Graham: Pouvez-vous nous donner votre avis sur le résultat des élections?
M. Subtelny: J'ai passé la plupart de mon temps à Kiev. Kiev n'est pas toute l'Ukraine, de même que Moscou n'est pas toute la Russie. En circulant dans les rues de Kiev, on est surpris de voir des gens mieux habillés que ce qu'on voit à Ottawa ou à Toronto. Cinquante-six pour cent des investissements se font à Kiev et ça se voit, avec les restaurants MacDonald, par exemple.
J'étais à Kiev. J'ai entendu bien des gens débattre de nombreuses questions. J'ai vu au moins trois ou quatre partis différents faisant publiquement état de leurs positions, même s'il s'agissait principalement des partis gouvernementaux. Le parti du maire qui administre la ville de Kiev avait placé des affiches dans la ville, mais j'ai vu très peu d'affiches des partis de l'opposition. J'ai assisté cependant à un débat libre. La semaine dernière, tous les ténors de l'opposition ont été autorisés à participer à un débat télévisé. C'est une évolution très positive. Ce n'est pas la situation de la Biélorussie. Ce n'est même pas celle du Zimbabwe. Les responsables font un effort pour paraître démocratiques.
Vous m'avez posé une question précise. Il semble que Yuschenko arrive en tête. Il est très important de relever que les communistes vont probablement arriver en deuxième position. Pour la première fois en dix ans, les communistes sont en recul. Ils ne contrôleront probablement pas la majorité des députés au Parlement.
Le sénateur Graham: Est-ce une bonne chose? Vous serez peut-être surpris que je vous pose la question.
M. Subtelny: Les communistes se sont fait un nom en cherchant à revenir à l'ancien égalitarisme, ou à l'équité de l'ancien système. S'il me fallait demander à une vieille paysanne si, à son avis, c'est une bonne chose que les communistes soient en recul, elle me répondrait par la négative. Elle va être en faveur des communistes et croit sincèrement au communisme. Elle se souvient de l'ancien temps. Si je pose à la question à un jeune spécialiste de l'informatique, il va me répondre que c'est une très bonne chose parce qu'il est en faveur du système occidental. Tout dépend de la couche sociale à laquelle on s'adresse. Les communistes ont une assise sociale, mais elle s'affaiblit.
Le sénateur Graham: Est-ce que tous les partis se sont entendus sur la loi électorale? Est-ce une loi libre et démocratique? Est-ce qu'elle est équitable?
M. Subtelny: On s'accorde généralement à reconnaître que la loi est en elle-même assez démocratique. Le problème est de savoir si elle sera appliquée.
Le sénateur Andreychuk: Vous avez parlé des oligarchies, et il m'apparaît que c'est là un mécanisme naturel. Le régime a changé; les personnes sont toujours là. Bien évidemment, celles qui étaient un peu au courant savaient quoi faire et comment manipuler le système. Vous nous avez représenté une oligarchie qui fonctionne comme avant l'indépendance, mais j'ai constaté que les choses étaient très différentes. Il y a une oligarchie qui a gagné des sommes énormes, c'est un très petit groupe de gens. On se demande si cet argent est resté en Ukraine ou s'il est allé ailleurs.
Il y a ensuite des gens qui étaient éventuellement, par exemple, des directeurs d'usine dans des régions éloignées, qui se sont automatiquement ralliés au nouveau régime et qui savaient comment se comporter. On les considérait comme des figures du pouvoir. On avait le sentiment qu'il fallait les respecter au sein de la collectivité et les choses n'ont pas changé, bon gré mal gré, parce qu'on ne les a pas remplacés. Ne pensez-vous pas qu'en soi cette situation est différente?
Il ne s'agit pas d'une petite oligarchie, comme en Amérique latine, au sein de laquelle deux ou trois familles continuent à se répartir les postes. En Ukraine, il y a de nombreuses élites différentes. Il semble que ce soit une force pour ce pays, parce que ce ne sont pas toujours les mêmes. Toutes n'ont pas gagné autant d'argent. Elles ne tirent pas toutes leur puissance de la même origine. Certaines ont une origine municipale, d'autres proviennent des États, et d'autres encore sont fédérales. Il y a des reclassements, pourrait-on dire.
L'essentiel, ce n'est pas simplement d'avoir une base populaire, mais de pouvoir compter sur une classe moyenne, ce qui signifie qu'il faut encourager les petites et moyennes entreprises qui se développent, les gens qui prennent des risques et qui obligeront alors les dirigeants à prendre leurs responsabilités, sachant qu'ils peuvent le faire. Il faut qu'il y ait en quelque sorte un État de droit permettant de rappeler les dirigeants à leurs devoirs s'ils ne travaillent pas pour la population. On voit apparaître petit à petit une culture axée sur la société civile au sein de laquelle les gens savent qu'ils peuvent faire partie d'associations et agir. N'est-ce pas ainsi qu'au départ nous avons instauré notre démocratie? Il faut certainement que l'on comprenne jusqu'à un certain point comment se servir des ressorts de la démocratie.
Il me semble que vous avez simplifié les choses. J'ai peur que la situation soit bien plus complexe et bien moins tranchée.
Il y a aussi cette petite oligarchie dont on pourrait dire qu'elle échappe à tout contrôle et qui a mis la main sur les plus grandes richesses. En se coalisant avec des responsables appartenant à la même engeance en Russie et dans d'autres régions de l'ancienne Union soviétique, elle crée une situation qui m'inquiète davantage.
M. Subtelny: Je vous suis reconnaissant d'avoir précisé qu'il fallait faire la différence entre ces élites. C'est très important. Je tiens à insister là-dessus. Même si dans l'ensemble, je le répète, ce sont les anciennes élites qui se retrouvent aujourd'hui au pouvoir, il faut établir des différences. Il y a différentes catégories de personnes, et c'est toujours vrai aujourd'hui. Il y a des différences, même au moment où nous nous parlons. C'est un facteur à prendre en considération.
Il est intéressant de constater que les personnes auxquelles j'ai pu parler et que l'on peut considérer comme faisant partie de l'élite ont une attitude presque patriotique: «Oui, j'ai réussi, mais j'aimerais aussi faire quelque chose pour mon pays» m'ont-elles dit. Elles se connaissent entre elles. Elles se disent en quelque sorte: «Voilà l'un d'entre nous. Il pense comme nous». Elles constituent pratiquement un club à l'intérieur de ce groupe. C'est ce que j'entends dire. En parlant d'un homme qui occupe de toute évidence un poste de responsabilité, elles vont dire que c'est aussi un patriote, ce qui signifie qu'il pense non seulement à lui-même et à son groupe, mais aussi à l'ensemble de la société. Apparemment, il se différencie de tout les autres parce qu'on peut le définir de cette façon. Il semble que ce soit là une minorité.
Les différences régionales sont vastes. Les responsables qui ont fait leur carrière dans les mines, dans les grands conglomérats industriels, sont l'équivalent de nos dirigeants d'entreprise dans l'Est. On trouve l'équivalent à Odessa ou dans les usines de construction de chars d'assaut. Ce sont des groupes très exclusifs. Oui, il y a des différences, mais la mentalité consiste à dire: «Nous contrôlons la situation».
Quant à la société civile, nous disons tous qu'il faut bâtir le plus vite possible une société civile en Ukraine. C'est toutefois une tâche terriblement difficile. Les personnes les plus vulnérables aux pressions exercées du sommet sont celles qui entreprennent de bâtir la société civile. Ceux qui cherchent à créer de petites entreprises sont les plus vulnérables au chantage et ils ne peuvent que se tourner vers quelqu'un de très haut placé, qui pourra les protéger. Les personnes sur lesquelles nous comptons pour enraciner la démocratie sont celles qui sont vulnérables à la répression, à la coercition, etc. C'est la seule raison pour laquelle j'estime que l'opération consistant à renforcer la société civile sera lente, mais ça finira par se faire.
Pourquoi suis-je optimiste? Je suis optimiste parce que je considère que la situation actuelle de l'Ukraine est tout simplement un anachronisme. Une élite féodale de ce genre ne peut plus durer dans le monde actuel. Elle est vouée à disparaître.
Le sénateur Andreychuk: Partout, alors que j'étais en Ukraine, j'ai été impressionnée de voir les femmes qui saisissaient les chances de promotion et d'avancement de leur carrière à l'intérieur des structures de l'Ukraine. On les entendait aussi discuter sérieusement de la possibilité de faire de la politique et de changer les choses dans le pays. C'est différent de l'ancien régime soviétique. Êtes-vous d'accord?
M. Subtelny: Je suis tout à fait d'accord. Les femmes ont fait preuve d'un dynamisme particulier au sein de cette société. Elles ont mis l'épaule à la roue. Dans l'ancien régime soviétique, les femmes devaient occuper un emploi et ensuite attendre pendant cinq heures devant les magasins d'alimentation pour nourrir leur famille. Elles continuent à le faire aujourd'hui. Bien souvent, on voit de petites entreprises qui sont gérées par des femmes. On peut voir que les femmes constituent l'élément le plus dynamique qui s'efforce d'améliorer sa situation. On voit des femmes immigrer au Portugal ou en Grèce pour y travailler. Le mari ne part pas. C'est la femme qui part à l'étranger pour essayer d'améliorer sa situation économique. Il s'agit de centaines de milliers de femmes. C'est très patent. On le constate très souvent en Ukraine.
Le sénateur Grafstein: J'ai fait quelques travaux sur les classes dirigeantes en Pologne, en Tchécoslovaquie et en Hongrie, et l'on retrouve souvent ces personnes dans les rencontres internationales. J'ai pu constater qu'elles étaient très instruites. Elles ont pris de l'avance sur ce point par rapport au reste de la population de ces pays, parce qu'elles se sont montrées plus brillantes et ont un plus haut niveau d'instruction, ce qui leur a permis de voyager partout. On voit donc dans les services du ministère des affaires étrangères ou à la tête des portefeuilles économiques ces jeunes cadres anciennement communistes, particulièrement brillants et ayant beaucoup voyagé qui ont abandonné leur défroque communiste pour mettre les vêtements du nouvel empereur et qui font le lien avec la nouvelle société plus dynamique. Vous nous dites que ce n'est pas un phénomène qui s'est vraiment généralisé en Ukraine. C'est bien ça?
M. Subtelny: C'est un problème en Ukraine de même qu'en Russie — on le voit dans tous les pays de l'ancienne Union soviétique. Le régime soviétique a laissé sa marque.
À long terme, ces gens seront écartés. Dans l'immédiat, toutefois, je m'inquiète de l'isolement social qu'ils suscitent en exerçant un monopole sur les capitaux, en pratiquant l'exclusion sociale, en se mariant pratiquement entre eux et en allant dans des écoles séparées. L'isolement est un phénomène dangereux.
Le sénateur Grafstein: Laissez-moi vous montrer l'envers du décor. Je prendrai l'exemple de la Tchécoslovaquie, de la Pologne et, plus récemment, de la Hongrie. Pour s'opposer à l'élite dirigeante ayant réussi à rester au sommet de la vague lors de la période de transition de la fin des années 1980, il y a eu la révolution de velours, faite par des personnes très instruites au sein de leur propre société — des écrivains, des peintres, des auteurs, des enseignants — en faveur d'organisations plus indépendantes, démocratiques et s'appuyant sur la base.
Nous avons entendu parler des élites. Lorsque je suis allé en Ukraine, j'ai essayé de me renseigner à ce sujet à l'université, mais il est très difficile de se procurer ce genre d'information. Est-ce que ce sont de simples anecdotes qui m'ont été rapportées ou est-ce que vous en avez fait vous aussi l'expérience? Autrement dit, est-ce que les universités et d'autres organismes au sein de la société font contrepoids à la classe dirigeante?
M. Subtelny: Elles en font partie; elles ne font pas contrepoids; elles permettent à certaines personnes de parvenir au sommet. Étant donné que les universités sont souvent très onéreuses, ce sont les enfants de l'élite qui parviennent aux plus hauts postes, notamment dans certaines universités.
Si on ne voit pas la chose se produire, c'est tout simplement parce qu'au cours des trois cents ou quatre cents dernières années de notre histoire, il n'y a pas eu de société civile dans cette région. Contrairement à la Hongrie, à la République tchèque, à la Slovaquie ou à la Pologne, où il y avait un début de société civile jusqu'en 1939, l'empire russe n'avait pas de société civile.
Le sénateur Grafstein: Nous l'avons entendu dire par M. Jacuta, mais je ne suis pas tout à fait d'accord. J'ai étudié l'histoire d'Odessa. Certains des plus grands écrivains russes viennent d'Odessa. Certains écrivains d'Odessa et d'autres régions ont particulièrement réussi à faire contrepoids à l'impérialisme russe. Qu'est devenue cette force libérale résolue s'opposant intellectuellement à l'autocratie, ce qui était particulièrement évident à Lvov et à Kiev et bien sûr à Odessa. C'est une opposition intellectuelle à l'autocratie.
M. Subtelny: Vous nous parlez d'une intelligentsia se démarquant du régime pour s'y opposer. C'était le cas sous l'empire russe. Sous le régime soviétique, une grande partie de l'intelligentsia s'est associée au système, amenant une situation bien différente de celle de l'empire russe.
Le sénateur Grafstein: Ou a été éliminée.
M. Subtelny: Oui, elle a été éliminée ou elle s'est intégrée au système. Il n'y avait pas d'antagonisme. C'est pourquoi on ne voit pas aujourd'hui dans les universités l'opposition à laquelle on pourrait s'attendre.
Le président: Monsieur Subtelny, lorsque vous parlez de l'élite, le terme «d'oligarchie» revient un peu trop facilement. Même dans les pays hispaniques que je connais depuis 50 ans et dont je parle la langue, les élites opèrent toutes différemment. Elles ne sont pas toutes les mêmes. Il y a deux grandes caractéristiques. L'argent n'abonde pas — la plupart de ces pays sont pauvres — et un petit groupe de personnes se constitue alors pour voler le peu d'argent qu'il y a. C'est la première caractéristique.
La deuxième caractéristique, lorsqu'on lit les journaux, qu'on écoute les nouvelles, etc., c'est que les mêmes noms réapparaissent toujours. Ce ne sont pas seulement deux ou trois noms; il pourra y en avoir 50. L'Argentine, qui possède une classe moyenne, n'en a pas moins un système totalement corrompu dominé par les mêmes familles. Dans la société ukrainienne, est-ce qu'il faut s'attendre à revoir une cinquantaine de noms, toujours les mêmes, pendant les 50 prochaines années?
M. Subtelny: Je ne le crois pas. La diversité est trop grande et le pays est trop vaste. Je ne m'attends pas à ce qu'il en soit ainsi. Ce que je voulais faire comprendre, c'est que la difficulté provient à mon avis du fait que le nouvel État s'est identifié à un petit groupe social. C'est un tout petit groupe et c'est un danger pour tout nouvel État. C'est l'un des grands problèmes.
Le président: Est-ce parce que ces gens ont l'argent?
M. Subtelny: Ils ont l'argent. Ils contrôlent la situation dans leur intérêt et dans celui de personne d'autre. Le reste de la population ne se sent pas concerné par l'État. Si l'on ne se sent pas concerné par l'État, comment peut-on bâtir une société civile? Comment voter pour imposer des changements? On est aliéné.
Le sénateur Bolduc: Ma première question porte sur l'histoire. Je connais mal la période des années 1920 et les purges qui ont été effectuées, mais il semble que 7 millions de personnes aient perdu la vie. S'agissait-il de l'intelligentsia ou des personnes qui se sont révoltées contre l'État soviétique?
M. Subtelny: Les deux, mais il y a eu une destruction systématique de l'intelligentsia. C'était pratiquement programmé.
Le sénateur Bolduc: Je m'intéresse à l'étude de l'élitisme. À l'université, il y a bien des années, je me souviens d'avoir étudié l'élite française. Ne pensez-vous pas qu'au lieu de faire de la politique un moyen de jeter à bas le système, il est préférable d'agir par l'entremise de l'économie et du marché?
Au début, il faut des réformes politiques pour lancer une économie de marché. Lorsque le processus est mis en route, la meilleure façon d'alimenter la démocratie est de laisser faire l'économie de marché parce qu'une concurrence s'exerce, d'une façon ou d'une autre, et parce que l'élite doit obtenir des résultats si elle ne veut pas être écartée. Que pensez-vous d'un tel état de chose? Est-ce que nous devrions insister au Canada pour que l'Ukraine entre dans l'Organisation mondiale du commerce même si elle n'est pas prête à le faire?
M. Subtelny: Nous devons promouvoir la chose, faire tout notre possible, mais le problème, jusqu'à présent, c'est que l'élite contrôle le marché.
Le sénateur Bolduc: Je le sais. La seule façon de rompre ce cercle vicieux, c'est d'ouvrir le marché et ça ne peut se faire que par l'entremise de l'Organisation mondiale du commerce.
Le président: Professeur Subtelny, je vous remercie. Vous avez évoqué une question que nous avions besoin d'aborder.
Le témoin est l'honorable Gar Knutson, secrétaire d'État à l'Europe centrale et orientale et au Moyen-Orient.
L'honorable Gar Knutson, c.p., député, secrétaire d'État (Europe centrale et orientale et Moyen-Orient), ministère des Affaires étrangères et du commerce international: Honorables sénateurs, je suis reconnaissant envers le comité de m'avoir invité de traiter de l'Ukraine. Ce pays et la Russie forment en effet un élément important de mon mandat comme secrétaire d'État pour l'Europe centrale et orientale et le Moyen-Orient. Je vous félicite du travail important que vous faites et j'attends avec intérêt de lire votre rapport sur la situation dans la région.
Je suis très honoré d'être ici aujourd'hui puisqu'il s'agit de ma première comparution devant un comité parlementaire depuis ma nomination en janvier. Je remercie les membres du comité de leur intérêt.
J'ai effectué une visite de travail d'un jour et demi à Kiev en février après a mission d'Équipe Canada en Russie. Sur place, j'ai eu l'occasion de rencontrer le ministre des affaires étrangères et des fonctionnaires de l'administration présidentielle, des représentants du milieu des affaires canadiens à Kiev, des gestionnaires de projets de l'ACDI et des membres du personnel de l'ambassade.
Je sais que le comité se rendra le mois prochain en Ukraine, où il aura l'occasion de rencontrer certaines des personnes avec lesquelles je me suis moi-même entretenu au cours de ma visite. Je suis certain que l'ambassadeur Robinson et les membres du personnel de l'ambassade veilleront à ce qu'il s'agisse d'une visite productive et informative dans un pays qui offre de nombreux débouchés pour le Canada.
Je note également que le comité a tenu des audiences sur le sujet de son mandat actuel depuis mai 2000 et qu'il a aussi entendu le témoignage de nombreux experts. Votre rapport ne pourrait tomber plus à point. L'emplacement stratégique de l'Ukraine, son potentiel économique et le grand nombre de Canadiens d'origine ukrainienne font que ce pays revêt un intérêt particulier pour le Canada.
[Français]
En décembre dernier, nous avons souligné la reconnaissance par le Canada de l'indépendance de l'Ukraine, et en janvier, celui de l'établissement de relations diplomatiques.
[Traduction]
Au cours de cette période, l'Ukraine a connu une évolution historique, fait que nous laissons souvent pour compte lorsque nous nous concentrons sur d'autres enjeux. Chaque fois que je pense à des pays à économie planifiée et à la menace nucléaire que présentait la guerre froide, je prends conscience des progrès accomplis par l'Ukraine. On ne doit ni oublier ni sous-estimer ce que l'Ukraine a réussi à accomplir au cours des dix dernières années. Nous reconnaissons ses réalisations pour ce qui est d'établir les institutions d'un pays indépendant et son émergence comme un membre constructif de la communauté internationale. L'Ukraine a fait une contribution importante à la sécurité internationale en ratifiant START-1 et le traité d'interdiction complète des essais nucléaires, en éliminant les armes nucléaires sur son territoire et en adhérant au traité de non-prolifération des armes nucléaires en tant que pays non nucléaire. Nous nous sommes également réjouis de la fermeture en décembre 2000 de la centrale nucléaire de Tchernobyl.
Les relations entre le Canada et l'Ukraine se sont développées au cours des dix dernières années. Il est temps maintenant de nous tourner vers l'avenir. Nous avons tout d'abord renouvelé et actualisé la déclaration de partenariat privilégié entre nos deux pays. Ce document confirme certains principes fondamentaux à la base de nos relations bilatérales: le fait que l'existence assurée d'une Ukraine indépendante et souveraine est dans l'intérêt du Canada et de l'ensemble de la communauté internationale; le respect par les deux pays des principes de la démocratie et d'une économie de libre marché; le rôle important joué dans le développement de nos relations par les Canadiens d'origine ukrainienne.
Au cours des dix dernières années, nous avons établi une base juridique solide et sommes parvenus à un nouveau stade de maturité dans nos relations. Cette nouvelle déclaration précise des domaines de coopération future comme la campagne internationale contre le terrorisme, les initiatives touchant la sécurité et la politique étrangère, l'adhésion de l'Ukraine à l'Organisation mondiale du commerce, l'évolution de nos liens commerciaux et les relations entre les provinces et territoires du Canada et des régions de l'Ukraine.
Ce partenariat privilégié entre le Canada et l'Ukraine, n'est pas qu'une abstraction. Il sert à reconnaître que les deux pays sont des partenaires naturels dans des domaines clés. Nous avons notamment un patrimoine commun, qu'expriment les Canadiens, au nombre de plus d'un million, qui sont d'origine ukrainienne. Cette communauté, vous le savez, a fait d'importantes contributions au Canada. Vous avez d'ailleurs entendu aujourd'hui même les témoignages de ses représentants.
Le multilatéralisme est un autre intérêt commun au Canada et à l'Ukraine. Il est en effet à notre avantage d'appuyer les institutions multilatérales et un système international réglementé. Dans ce domaine, nous pouvons nous inspirer des relations passées. L'Ukraine a par exemple fait une contribution importante aux opérations de maintien de la paix, que le Canada a appuyé en partie au moyen de son programme d'assistance technique militaire en contribuant au perfectionnement des habiletés linguistiques et des capacités de maintien de la paix. Nos deux pays ont été des partenaires pour le maintien de la paix en Bosnie et au Kosovo. Le Canada a fourni une assistance technique en vue de l'adhésion de l'Ukraine à l'Organisation mondiale du commerce et il continuera à le faire. L'évolution de nos relations bilatérales dépendra aussi des choix que l'Ukraine fera au sujet de son propre avenir.
L'Ukraine a des choix difficiles à faire au sujet du sens et de la cadence des réformes économiques. Malgré de nombreux problèmes, beaucoup de gens d'affaires que j'y ai rencontrés ont obtenu de bons résultats à force de persévérance, en s'adaptant aux conditions locales et en pratiquant une gestion interventionniste attentive. Néanmoins, notre commerce bilatéral ne fonctionne pas actuellement à son plein potentiel et est en recul malgré deux années de solide croissance économique en Ukraine. En 2001, le Canada n'a exporté à ce pays que pour 18 millions de dollars, soit près de 25 p. 100 de moins que l'année précédente. De son côté, l'Ukraine a exporté au Canada, au cours de la même période, pour une valeur de 63 millions de dollars, ou 50 p. 100 de moins que l'année antérieure. Compte tenu du potentiel du marché ukrainien, nous devons faire tout en notre pouvoir pour poursuivre nos efforts en vue d'accroître le commerce, aussi astreignant que ceci puisse être.
Bien sûr, ces efforts ne constituent qu'une part minime de l'équation. L'accroissement du commerce et des investissements dépendra de la capacité de l'Ukraine à créer un climat d'affaires attrayant. Sous ce rapport, le Canada doit poursuivre ses efforts pour favoriser ce changement, soit par des démarches directes, soit par des programmes d'assistance technique. Les Ukrainiens seront appelés à faire des choix lors des élections parlementaires qui auront lieu le 31 mars prochain à Verkhovna Rada. Durant ma visite à Kiev, j'ai fait part aux autorités ukrainiennes du désir du Canada de voir une campagne électorale et une élection libres et justes. Nous nous sommes réjouis que l'Ukraine invite la communauté internationale à envoyer des observateurs. Le Canada a d'ailleurs envoyé six observateurs à long terme et dix observateurs à court terme à la mission d'observation des élections de l'OSCE en Ukraine.
En ce qui concerne l'orientation de sa politique étrangère, l'Ukraine fera aussi des choix qui peuvent ouvrir de nouvelles voies de coopération. Les conséquences de l'attentat terroriste du 11 septembre ont mis en lumières ces possibilités. L'Ukraine a vigoureusement appuyé la coalition antiterroriste; elle a mis son espace aérien à la disposition des vols militaires et pris des mesures pour combattre le blanchiment d'argent.
Le partenariat privilégié entre le Canada et l'Ukraine est un atout précieux dans lequel nous devons continuer à investir par la voie de nos liens diplomatiques, de notre programme de coopération technique et de nos efforts de promotion du commerce. Le Canada et l'Ukraine ont la possibilité de créer, dans les années à venir, un partenariat plus diversifié dans le domaine des relations internationales et de la politique étrangère.
Les recommandations de votre comité tomberont à point nommé et éclaireront la voie qui s'ouvre devant nous. J'attends donc avec intérêt de les connaître.
Le sénateur Graham: Monsieur le ministre, je vous félicite de votre nomination, qui revêt une grande signification.
Les témoins qui vous ont précédé aujourd'hui ont souligné l'importance pour le Canada de s'impliquer à long terme.
Pouvez-vous nous donner la garantie, notamment compte tenu de vos responsabilités nouvelles et très précises dans cette région du monde, que le Canada continuera, comme il l'a fait jusqu'à présent, à oeuvrer à long terme pour aider l'Ukraine, que ce soit sur le plan de la démocratie, par l'entremise de l'ACDI ou par d'autres moyens?
M. Knutson: Je peux vous le garantir. Indépendamment de la question des montants d'argent qui vont être effectivement versés par l'ACDI au cours des prochaines années, je pense que vous allez pouvoir constater la mise en place d'une politique délibérée visant à maintenir et à renforcer les relations entre le Canada et l'Ukraine.
Lorsqu'il m'a nommé, le premier ministre m'a donné comme mandat de renforcer la présence du Canada dans cette région du monde, notamment en Ukraine. Lors de ma visite sur place, je me suis rapidement rendu compte qu'un certain nombre de possibilités d'investissement se présentaient en Ukraine pour le Canada, à condition que les Ukrainiens fassent le minimum nécessaire au sujet des contrats et appliquent les mêmes règles à tout le monde, pour que les gens d'affaires sachent à quoi ils s'exposent lorsqu'ils vont là-bas.
Je considère que le développement économique contribuera à garantir la prospérité de l'Ukraine de même que celle d'autres pays. Il sera plus profitable qu'une simple aide étrangère.
Sur le plan diplomatique, nous avons intérêt à ce que l'Ukraine réalise ses engagements en faveur de la démocratie et des droits de la personne. Nous avons intérêt à ce qu'il n'y ait pas de recul. Je peux vous dire en toute confiance que nous sommes impliqués à long terme.
Le sénateur Graham: Vous avez évoqué des observateurs à court terme et à long terme concernant les élections. Lorsque vous parlez de «long terme», s'agit-il de semaines ou de mois? Est-ce que ce sont des représentants de l'OSCE qui sont sur place depuis déjà un certain temps? Pourriez-vous nous en dire davantage?
M. Knutson: On considère qu'un observateur qui reste six semaines est posté à long terme.
Le sénateur Graham: Et le court terme?
M. Knutson: Ça peut se situer entre quatre ou cinq jours et une quinzaine.
Le sénateur Graham: Enfin, j'imagine qu'il y aura une collaboration étroite entre votre ministère et l'ACDI.
M. Knutson: La collaboration est étroite entre les Affaires étrangères et l'ACDI.
Le président: Nous assistons à l'occasion aux réunions de la BERD. La BERD a éprouvé de grosses difficultés en Ukraine il n'y a pas très longtemps. On n'en a pas parlé ici. Êtes-vous au courant de ce qui se passe au sein de la BERD? Le Canada contribue à son financement et participe à ses travaux.
Nous n'avons par parlé de la BERD aujourd'hui; j'ai pensé qu'il fallait le faire rapidement.
M. Knutson: Je ne suis pas un spécialiste de la BERD. Je suis convaincu, cependant, que mes collaborateurs sont en mesure de vous en parler.
Mme Ann T. Collins, directrice pour l'Europe de l'Est, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: Je ne suis pas une spécialiste de la BERD. Vous nous parlez d'une «difficulté», monsieur le président. Pourriez-vous nous en dire davantage?
Le président: Je parle du marasme financier et du fait que le BERD avait lancé des projets pour lesquels elle n'a pas été payée. Quelqu'un me corrigera si je me trompe, mais je pense que la BERD prête de l'argent au titre de certains projets. Elle l'a fait en Russie et en Ukraine. Elle le fait dans bien des régions. Le principe consiste à faciliter le démarrage de certaines activités. Elle a été terriblement échaudée en Russie et en Ukraine.
Je crois qu'il y a eu un changement de direction. Je ne sais pas si c'était directement lié à cette difficulté. L'ancien directeur est devenu directeur du FMI, si je ne me trompe.
Une fois que ces projets ont pris de l'envol, la BERD s'en retire. Elle les remet entre les mains du secteur privé local.
Quel est le statut actuel de la BERD en Ukraine? Est-elle toujours en activité dans ce pays? Est-ce qu'elle est retournée en Ukraine pour y travailler sur place? Est-ce qu'elle considère que l'Ukraine a atteint un niveau de développement suffisant, qui fait que ses prêts ne sont plus nécessaires?
Mme Collins: Je pense que la BERD est toujours active en Ukraine.
M. Knutson: Nous pourrons vous fournir cette information.
Le président: Je n'irai pas plus loin. C'est toutefois une chose dont nous n'avons absolument pas entendu parler aujourd'hui, et je pensais qu'il fallait l'évoquer.
Mme Collins: De manière générale, les discussions qui ont lieu entre l'Ukraine et les institutions financières internationales se déroulent mieux que par le passé. L'Ukraine a entrepris de mettre en place certaines réformes utiles et la croissance économique a été plus forte ces deux dernières années.
Il lui reste encore certains engagements à prendre, notamment vis-à-vis du FMI, mais on a l'impression que ces discussions se déroulent mieux de manière générale.
Le président: La solution serait peut-être de faire venir un témoin spécialisé dans les institutions internationales.
Le sénateur Andreychuk: Monsieur le ministre, je vous souhaite la bienvenue et je vous félicite de votre nouvelle nomination. Il est indéniable que le voyage que vous avez fait en Ukraine a été très remarqué au Canada. Nombre de vos administrés vous feront connaître leur opinion, j'en suis certaine.
Vous avez indiqué que les échanges bilatéraux avaient baissé. Puisque l'on parle ici de relations spéciales, nous devrions bien sûr tous nous en inquiéter. En avez-vous déterminé les raisons et avez-vous formulé des mesures pour y remédier?
En second lieu, vous avez indiqué que l'Ukraine va faire certains choix concernant les orientations de sa politique étrangère, ce qui est susceptible d'entraîner de nouvelles formes de coopération. Quelles mesures prend le gouvernement canadien pour faire progresser cette relation spéciale?
Lorsqu'on se rend en visite, que ce soit en Ukraine ou ailleurs, on ressort du placard des expressions convenues comme «relations spéciales» ou «collaboration plus étroite». J'en cherche toujours la signification. J'aimerais savoir, notamment, ce que vous entendez par là, sachant qu'en Ukraine on n'en déduit pratiquement que nous agirons en fonction de ce qui va se faire dans ce pays. Quelles conditions attachez-vous à cette relation?
M. Knutson: Je vais tout d'abord répondre à votre deuxième question. Mon mandat consiste en partie à faire la promotion des échanges. Nous envisageons d'envoyer une délégation commerciale en Ukraine pour procéder à des investissements. Nous ne voulons pas inciter les entreprises canadiennes à investir en Ukraine tant que les conditions dans lesquelles elles vont le faire ne seront pas considérées comme normales ou comme une prise de risque courante dans le milieu des affaires.
Pour chercher à m'en assurer, j'ai rencontré un certain nombre d'entrepreneurs canadiens exerçant leurs activités en Ukraine. Ils en ont été surpris. Ils ont tous répondu de manière très positive.
Ils ont cependant fixé certaines conditions préalables. C'est ainsi, par exemple, qu'un homme d'affaires contrôle 65 p. 100 environ de la restauration rapide à Kiev. Il m'a dit que si on incitait les Canadiens à investir, il fallait leur déconseiller d'arriver avec une valise pleine d'argent et de s'attendre à avoir tout réglé en quinze jours. Il faut que les gens soient prêts à s'engager à long terme. Ils doivent être prêts à y consacrer du temps, de l'énergie et du personnel. Il faut être très prudent lorsqu'on choisit un partenaire.
Ce sont là les différents conseils que je donnerais aux entreprises canadiennes qui envisagent d'investir en Ukraine.
Tous les groupes que j'ai rencontrés, sauf un — et j'en ai rencontré une douzaine — parlaient ukrainien, l'exception étant celle d'un homme d'affaires de l'Alberta travaillant dans le secteur pétrolier et gazier.
Dans l'ensemble, jusqu'à plus ample informé, on m'a fait comprendre que l'on pouvait très bien réussir lorsqu'on opérait à moyenne ou à petite échelle.
Pour ce qui est du renforcement des relations entre le Canada et l'Ukraine, j'ai l'intention d'aller citer entre autres cet exemple dans les milieux du gaz et du pétrole de l'Ouest du Canada en disant aux gens: «Voilà un homme d'affaires qui a réussi dans le gaz et le pétrole. Voilà comment il a procédé et c'est peut-être quelque chose que vous pourriez envisager». C'est un message qu'il sera bon aussi de transmettre à la communauté ukrainienne de Toronto. Je vais lui dire, par exemple: «Un homme d'affaires qui parle ukrainien et qui veut étendre ses activités devrait penser à l'Ukraine». Je dirais à cette personne que la situation qui régnait il y a quatre ou cinq ans a évolué et que les choses vont mieux désormais. Cela ne veut pas dire que cela revient au même que de faire des affaires au Canada, mais l'ambassade de Kiev peut mettre ces gens en contact avec des Canadiens sur place, qui peuvent eux aussi les aider en leur disant ce qu'il faut faire et ce qu'il faut éviter lorsqu'on lance une entreprise.
Voilà un exemple d'initiative visant à promouvoir les échanges. Ce n'est pas très compliqué. La grande condition, cependant, c'est que l'on ne rencontre aucune difficulté avec le gouvernement ukrainien et l'administration de sa justice. Si quelque chose se passe mal, il est indispensable de pouvoir compter sur les fonctionnaires ukrainiens pour qu'ils remédient à la situation. On a éprouvé certaines difficultés. J'ai l'impression que ce pays passe par une phase de transition et que l'on peut s'attendre à une amélioration dans un avenir rapproché.
Pourquoi les échanges ont-ils diminué? Je pense que cela s'explique en partie par l'effondrement de nos échanges avec la Russie. Lorsque l'économie russe s'est écroulée, la monnaie de ce pays a dévalué et une bonne partie des importations a été remplacée par la production intérieure. L'Ukraine comme la Russie ne s'en sont toujours pas relevées.
M. Ron Halpin, directeur général pour l'Europe centrale, de l'Est et du Sud, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: En matière commerciale, l'Ukraine et le Canada ne sont pas au fond des partenaires naturels. Nous avons des débouchés ailleurs, les entreprises se tournent vers les débouchés existants.
Nous constatons que l'intérêt économique de l'Ukraine est davantage dicté par les possibilités d'investissement que par les échanges commerciaux, même si j'espère que ceux-ci vont reprendre. Nous faisons de notre mieux en prenant des initiatives à l'intérieur de l'Ukraine pour faire en sorte que les entreprises se montrent plus actives et s'engagent davantage. Nous collaborons avec le gouvernement et les responsables ukrainiens afin d'améliorer la situation microéconomique, ce qui contribuera par la suite à faire progresser les investissements et les échanges.
Mme Collins: Si vous considérez le chiffre global des échanges, l'Ukraine a un excédent vis-à-vis du Canada, et cela depuis un certain nombre d'années. La diminution notable des importations canadiennes l'année dernière s'explique surtout par la baisse des importations de l'acier ukrainien.
En ce qui concerne nos exportations, pour enchaîner sur ce que vient de dire M. Halpin, c'est dans les techniques et le matériel à forte valeur ajoutée, et éventuellement dans les secteurs agricoles et miniers, qu'il y aurait un créneau pour le Canada et que nous avons un gros potentiel. Nous essayons de mieux cibler nos efforts de développement des entreprises.
Ainsi, la semaine dernière, l'Association canadienne des prospecteurs et entrepreneurs a tenu à Toronto sa grande conférence dans le secteur minier. Nous avons organisé un colloque sur les possibilités qui s'offrent en Ukraine dans le secteur minier. Nous avons enregistré la venue de 25 Ukrainiens susceptibles d'acheter de l'équipement. Une cinquantaine de fournisseurs canadiens assistaient à cette conférence. Nous envisageons de procéder de la même manière dans d'autres salons, agricoles et autres.
Nous sommes convaincus de pouvoir faire des percées, si l'on en juge par l'expérience, en ciblant les possibilités et en privilégiant les secteurs dans lesquels nous avons un potentiel. L'intérêt augmente. Nous nous efforcerons d'en profiter.
Le sénateur Di Nino: Monsieur le ministre, je tiens à vous féliciter de votre nomination.
J'ai été particulièrement heureux de vous entendre dire que votre mandat consistait en partie à renforcer les échanges entre nos deux pays. Lorsqu'on voit les chiffres, je considère que c'est lamentable. Il était intéressant de prendre connaissance aujourd'hui, dans le cours de nos délibérations, du rôle joué par les Canadiens d'origine ukrainienne dans la reconstruction de ce pays après de nombreuses années de régime soviétique.
Il serait peut-être bon que vos collaborateurs se penchent sur la transcription de l'audience d'aujourd'hui. Un ancien député, Andrew Witer, nous a donné des renseignements précieux, qui pourraient vous être utiles. Je pense que nous sommes passés à côté de cette question. Ce n'est pas vous que je critique, c'est nous. On peut difficilement considérer qu'il y a une relation commerciale avec un pays de 48 millions d'habitants lorsque les échanges se montent à quelque 18 millions de dollars.
Les discussions, notamment celles d'aujourd'hui, concernant la relation entre les gens d'affaires du Canada et ceux de l'Ukraine, se sont révélées très positives. Il y a cependant un sujet de frictions qui m'a paru inquiétant. Il s'agit de l'immigration. On nous a dit aujourd'hui que 10 p. 100 des demandeurs étaient acceptés et que 90 p. 100 d'entre eux étaient refusés. Franchement, je ne pense pas que l'on enregistre un tel pourcentage avec un autre pays du monde, quel qu'il soit.
Je considère qu'il nous faut examiner de près cette statistique, notamment lorsque nous entendons dire et lorsque nous savons que les Ukrainiens sont vraisemblablement l'un des peuples les plus instruits du monde. On nous a dit aujourd'hui que le taux d'analphabétisme des adultes était de zéro, ce qui fait pâlir en comparaison nos propres statistiques. Je me pose donc la question suivante: Comment se fait-il que nous n'attirons pas davantage d'immigrants, des gens dont nous avons besoin dans notre pays, comme l'a révélé une fois encore le dernier recensement?
Monsieur le ministre, je vous pose directement la question: que savez-vous à ce sujet et pouvez-vous éclairer notre lanterne?
M. Knutson: Est-ce que vous voulez parler des visas de visiteur ou des demandes de statut permanent?
Le sénateur Di Nino: Je parle du statut permanent.
M. Knutson: Je n'en sais rien et je ne peux donc pas vous aider. Tout ce que je peux vous dire, c'est que nous avons un système par points. Lorsque j'ai été élu au Parlement, j'ai siégé pendant un certain nombre d'années au sein du Comité de l'immigration. J'ai l'impression que c'est avant tout une formule. Nous pouvons nous pencher sur la question et essayer de vous donner une réponse plus complète.
Le sénateur Di Nino: Je vous en saurai gré. Il me paraît très étrange que 90 p. 100 des demandeurs soient refusés.
Le sénateur Bolduc: Monsieur le président, nous avons ici un million de Canadiens d'origine ukrainienne. Pendant 50 ans, l'immigration a été arrêtée. Depuis 1945, plus personne n'a pu entrer chez nous. Le regroupement familial, entre autres, pose des problèmes évidents. Il m'apparaît qu'il faudrait corriger la situation d'une façon ou d'une autre.
Le président: J'ai déjà été à une certaine époque président du Comité de l'immigration de la Chambre des communes. À une autre, j'étais député du quartier chinois de Toronto. Je comprends que vous n'êtes pas le ministre de l'Immigration. Toutefois, en raison de l'adoption de la Loi d'exclusion des Chinois, qui est restée en vigueur pendant de nombreuses années, nous avons fait un effort particulier pour favoriser l'immigration chinoise au cours des années 1970 et 1980. Je souscris à ce que viennent de dire les sénateurs Bolduc et Di Nino. Je vous le répète, monsieur le ministre, j'ai parfaitement conscience qu'il ne s'agit pas là de votre ministère.
Le sénateur Di Nino a évoqué la question de l'immigration. J'irai un peu plus loin. Je sais qu'un député estonien n'a pas pu entrer au Canada parce qu'on lui a refusé un permis de visiteur. Je ne parle pas ici d'immigration. Je comprends bien qu'il y a un système par points. Nous ne pouvons rien y faire. J'ai été toutefois assez scandalisé par certaines situations impliquant des visiteurs. Je m'arrêterai là.
Le président de l'un des États baltes a vécu la plus grande partie de sa vie à Montréal. Cela fait bien longtemps que des Baltes habitent au Canada. Aujourd'hui, ils ne peuvent même plus obtenir un permis de visiteur pour entrer au Canada.
M. Knutson: J'ai pris part à un petit déjeuner du premier ministre en Russie au cours duquel il a rencontré la délégation d'entreprises faisant partie de la mission d'Équipe Canada. Nos interlocuteurs avaient là la possibilité de faire état de leurs préoccupations. Ils en ont signalé deux. La première portait sur la disponibilité des crédits de la SEE pour financer les investissements. Cela mis à part, leur principale préoccupation était la possibilité d'obtenir des visas devant permettre à leurs clients, aux investisseurs potentiels et à leurs partenaires russes d'entrer au Canada.
Ils ont très logiquement fait remarquer qu'à partir du moment où l'on vend du matériel à la Russie, il est bien normal que les acheteurs veuillent venir inspecter nos usines. Ils nous ont indiqué qu'il était très difficile d'obtenir des visas et qu'ils étaient en concurrence avec les Américains pour réaliser ces ventes. Certains contrats n'ont pas pu être signés du fait des problèmes de visa.
Le premier ministre s'est engagé à revoir la question. Il vous faudra demander au ministre de l'Immigration où en est la situation. Ce sont des reproches et des préoccupations justifiés.
Le président: J'en ai parlé au ministre de l'Immigration précédent.
Le sénateur Di Nino: Si c'était une critique, elle se voulait constructive et elle ne s'adressait certainement pas à vous- même ou à vos collaborateurs. Nous avons pensé que puisque vous étiez responsable de ces questions, il nous appartenait de vous faire connaître ces préoccupations. Les transcriptions de certaines audiences vous seront utiles.
Ensuite, monsieur le ministre, j'espère que vous-même ou vos collaborateurs pourront en référer au ministre de l'Immigration pour qu'il connaisse notre façon de penser et pour que nous puissions obtenir directement ou indirectement une réponse.
M. Knutson: Je suis disposé à prendre cet engagement et à en parler avec le ministre. Parallèlement, bien entendu, le Sénat peut toujours faire connaître son point de vue.
Le sénateur Di Nino: Je vous en remercie.
Le président: Puis-je rappeler aux honorables sénateurs qu'il s'agit là de la première recommandation qui a été faite à notre comité par le premier témoin qu'il a entendu, il y a déjà assez longtemps. N'oublions pas que cela figurera vraisemblablement dans notre liste de recommandations.
Le sénateur Bolduc: J'ai une question à vous poser au sujet du programme de l'ACDI. Ce n'est pas un gros programme étant donné qu'il y a de nombreux pays avec lesquels nous cherchons à collaborer.
On nous a dit aujourd'hui que nous avons tendance à changer trop souvent de programme. Il est difficile à s'en tenir à un seul secteur compte tenu des immenses difficultés qu'éprouvent la Russie, l'Ukraine ou d'autres pays de la région. Si nous visons le long terme, tenons-nous en à un secteur précis parce que les États-Unis ou la France feront quelque chose de leur côté. Nous ne sommes pas tout seuls. Si nous nous décidons de nous impliquer dans tel secteur, poursuivons notre effort jusqu'à ce que le programme soit un succès. Sinon, nous ne pourrons jamais en mesurer les résultats. C'est très important. Nous dépensons des fonds publics, éventuellement 20 ou 25 millions de dollars. Il est important pour nous d'obtenir des résultats en conséquence.
M. Knutson: Je suis d'accord avec vous.
Le sénateur Bolduc: Il serait bon que vous puissiez faire quelque chose. Il ne s'agit pas de critiquer ici l'ACDI, car je sais qu'elle est compétente et qu'elle fait de son mieux. J'ai l'impression que l'ACDI est pressée de tout côté de faire tout un tas de choses. De plus, il y a un grand roulement de personnel. Tous les directeurs qui débarquent ont un nouveau projet. Cherchons à mieux cibler notre action.
M. Knutson: Je suis d'accord avec vous pour dire que, de manière générale, nous devons nous engager à obtenir effectivement les résultats que nous nous sommes fixés. Je ne sais pas si ce problème est propre la l'Ukraine. Il est certain que lorsqu'on subventionne des campagnes de santé publique, pour lutter contre la séropositivité ou le SIDA en s'efforçant de promouvoir des mesures de protection sexuelles, on n'obtient pas immédiatement des résultats mais on peut les mesurer.
Lorsqu'on investit de l'argent dans des programmes visant à favoriser l'administration et les institutions démocratiques, comment mesurer les résultats lorsqu'il faut réaffecter les crédits dans un autre pays ou lorsque d'autres besoins pressants se font sentir? Je comprends bien cependant votre argument.
Le sénateur Bolduc: Elle a aussi tendance à multiplier les projets. J'ai examiné de près les programmes de l'ACDI concernant la Russie. Il y a quelque 50 projets différents. C'est beaucoup. Je sais qu'ils doivent être répartis sur tout le territoire, mais 50 projets avec un budget de 20 millions de dollars — il faut faire des miracles.
Le sénateur Grafstein: Je tiens tout d'abord à vous souhaiter la bienvenue, monsieur le ministre. Vous nous venez de London, en Ontario, la patrie d'un grand nombre de grands parlementaires, moi-même y compris.
Votre portefeuille concerne l'Europe du centre, de l'Est et du Sud. Où se situe l'Ukraine?
M. Knutson: C'est l'Europe de l'Est.
Le sénateur Grafstein: Il n'y a pas d'Europe centrale ou du Sud?
M. Knutson: Les pays dont je suis chargé correspondent de manière générale aux anciens pays du bloc communiste, la République tchèque, la Slovaquie et les pays à l'est. Je n'ai pas la responsabilité de l'Autriche.
Le sénateur Grafstein: Est-ce que vos responsabilités s'étendent à la Crimée, à la Géorgie et à des pays de ce type?
M. Knutson: Elles s'étendent à tous les pays de l'ex-Union soviétique. Les pays du groupe desstan» font partie de l'Asie. Ils relèvent de mes responsabilités.
Le sénateur Grafstein: Après avoir voyagé en Ukraine et dans cette région du monde, j'ai constaté — en laissant pour un moment de côté l'Ukraine — que nous ne sommes pas représentés dans nombre de régions dont vous êtes responsable. Nous n'avons rien sur place.
M. Knutson: C'est exact.
Le sénateur Grafstein: Même lorsqu'on parle de l'Ukraine, nous avons une bonne ambassade à Kiev.
Nous avons un représentant à Lvov; c'est bien ça? Ça s'arrête là, cependant.
Lorsqu'on parle d'équilibre entre les cultures, bien plus de 1 million de Canadiens ont leurs racines dans cette partie du monde. Rapprochez cette situation de ce qui se passe en Chine, par exemple: nous avons sur le terrain la plus grosse et la plus forte représentation dans le sud de la Chine, dans le centre de la Chine, à Hong Kong et, indirectement, à Taïwan. Rapprochez les deux situations et l'on a comme l'impression qu'il y a une grosse représentation d'un côté avec une part correspondante du budget du ministère. Pourtant, il n'y a pratiquement rien dans cette autre région du monde où nous avons cependant décidé d'envoyer des troupes en leur faisant courir des risques. Qu'en pensez-vous? Y a-t-il un moyen de rééquilibrer les priorités du ministère pour que nous soyons mieux représentés sur le terrain, à la fois pour des raisons commerciales et pour des questions de sécurité?
M. Knutson: Il est préférable de demander au ministre Graham pour quelle raison nous décidons de manière générale de poster des gens à tel endroit et non pas à un autre.
Le sénateur Grafstein: Vous pouvez lui transmettre la question de ma part. Il va constater qu'elle n'est pas nouvelle. Lorsqu'il était député — non pas ministre — c'est un sujet qui le préoccupait. Vous pourriez peut-être lui rafraîchir la mémoire sur cette question très importante.
M. Knutson: Je m'engage là aussi à le faire.
De manière générale, lorsqu'il a créé mon poste, le premier ministre m'a dit que c'était sur les conseils du ministre des Affaires étrangères de l'époque, John Manley, qui considérait que le Canada était sous-représenté. Lorsque nous sommes en concurrence avec les Américains, les Britanniques, les Allemands et bien d'autres pays, nous avons besoin de multiplier les contacts politiques de haut niveau. Le ministre des Affaires étrangères n'ayant pas le don d'ubiquité, les secrétaires d'État peuvent jouer un rôle précieux. C'est pourquoi ce poste a été créé.
Le sénateur Grafstein: Je trouve bien surprenant que lorsqu'on va dans des pays comme l'Ukraine ou la Géorgie, on apprend qu'il y a des représentants de l'Allemagne, de la Chine, du Japon, de la République tchèque, etc. Pourtant, lorsqu'un Canadien se présente, il est très bien considéré, même si nous n'avons aucune présence sur le terrain. Cela nous ramène à l'observation qu'a faite le sénateur Bolduc: Nos projets avortent parce que nous n'avons aucun appui politique sur le terrain susceptible d'aider les projets des ONG. Nous pourrions peut-être revenir sur cette question à un autre moment.
Je vous remercie de votre indulgence. Ma dernière question porte sur la déclaration que vous avez faite dans l'avant- dernier paragraphe du mémoire que vous avez présenté au comité. Vous nous dites que l'Ukraine a vigoureusement appuyé la coalition antiterroriste en mettant son espace aérien à la disposition des vols militaires et en prenant des mesures pour combattre le blanchiment d'argent.
Les recherches que nous avons faites nous révèlent que le chef de la commission ukrainienne qui fait enquête sur le meurtre du journaliste a accusé l'administration d'avoir vendu des armes à l'Iraq. Est-ce que le gouvernement canadien est au courant? A-t-il fait des observations aux responsables ukrainiens à ce sujet?
M. Knutson: Je n'ai fait aucune observation aux responsables au sujet de la vente d'armes à l'Iraq. Quant à savoir si le ministère est au courant, je vais demander à mon collaborateur de vous répondre.
M. Halpin: Nous n'avons fait aucune observation à l'Ukraine concernant les ventes d'armes à l'Iraq. Nous avons eu des discussions avec les responsables ukrainiens au sujet des ventes d'armes en général et notamment aux pays des Balkans. Toutefois, cela tient avant tout à la nouvelle relation de collaboration que cherche à instaurer l'Ukraine avec les pays de l'OTAN.
Le sénateur Grafstein: Ce serait toutefois un sujet de préoccupation, n'est-ce pas, pour ce qui est des relations instaurées à l'avenir avec les responsables ukrainiens? Ce serait au niveau de l'exécutif et non pas du pouvoir législatif.
M. Halpin: Il faut bien reconnaître que c'est une des questions qui domine nos discussions. Comme nous l'avons vu en ce qui concerne le premier document — un partenariat spécial et son renouvellement — ce sont des situations qui évoluent. On résout les difficultés sur un point et il y en a d'autres qui se présentent. Les questions dont on traite à l'heure actuelle avec de nombreux pays européens portent sur la sécurité, le contre-terrorisme et les armes de destruction massive. Il est tout à fait naturel que nous en parlions avec l'Ukraine.
Lorsque j'étais dans ce pays il y a deux semaines, j'ai rencontré les responsables du contrôle et de la prolifération des armements et j'ai abordé un certain nombre de ces questions.
Le président: Je tiens à vous remercier, monsieur le ministre, d'avoir pris le temps de comparaître devant notre comité. Nous sommes très honorés que ce soit le premier auquel vous ayez rendu visite depuis votre nomination au poste de secrétaire d'État.
Le comité lève la séance.