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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 16 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 21 novembre 2001

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été transmis le projet de loi C-24, pour modifier le Code criminel (crime organisé et application de la loi) et pour apporter les modifications corrélatives aux autres actes législatifs, s'est réuni aujourd'hui à 15 h 40 pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Nous avons parmi nous aujourd'hui Mme Anne McLellan, ministre de la Justice et procureure générale du Canada, et M. Lawrence MacAulay, solliciteur général du Canada. Ils sont accompagnés par M. Richard Mosley et M. Paul Kennedy, respectivement.

Plus tard dans la journée, nous entendrons le témoignage de deux journalistes enquêteurs et auteurs, MM. Nicaso et Auger, et un groupe de témoins sur l'application de la loi.

Veuillez poursuivre.

[Français]

L'honorable Anne McLellan, ministre de la Justice et procureure générale du Canada: Madame la présidente, au nom de mon collègue, le solliciteur général, je vous remercie de m'avoir invitée à comparaître aujourd'hui en ce qui a trait au projet de loi C-24, Loi modifiant le Code criminel et d'autres lois se rapportant au crime organisé et à l'application de la loi.

Bien que le Canada travaille à combattre le terrorisme, nous devons nous rappeler que le crime organisé demeure un problème majeur au Canada et que notre lutte au crime organisé est de plusieurs façons semblable à notre lutte contre le terrorisme.

[Traduction]

Nous savons que tant le terrorisme que le crime organisé existent depuis longtemps. Ils ont tous les deux pris une nouvelle dimension en raison de la mondialisation et de la technologie moderne ainsi que de la possibilité de déplacer facilement et rapidement des milliards de dollars dans le monde entier. Ils existent depuis longtemps et continueront à exister.

Tant le terrorisme que le crime organisé sont insidieux. Ils s'attaquent aux innocents, provoquent la peur et s'en prennent aux institutions fondamentales de la démocratie. Même si je pouvais vous parler pendant un certain temps des similitudes entre le crime organisé et le terrorisme, j'aimerais souligner une similitude très importante. Tant le crime organisé que le terrorisme nécessitent que la police, les substituts du procureur général, les législateurs, les gouvernements et les tribunaux collaborent pour s'assurer que notre législation va de pair avec des outils efficaces d'application de la loi afin que nos efforts portent leurs fruits.

Cela ne signifie pas qu'ils exigent les mêmes outils. Ils demandent plutôt la prise de conscience que pour combattre sérieusement le terrorisme et le crime organisé, nous devrons accepter la nécessité de pouvoirs plus importants de la police et une législation efficace dans la mesure où cela est approprié et nécessaire et répondre à ce besoin.

C'est à ce titre que le projet de loi C-24 fut introduit en avril de cette année. Il répond au besoin de procurer de meilleurs outils à la police et aux substituts du procureur général pour faire face aux criminels organisés. Ce besoin est encore plus pressant aujourd'hui que par le passé.

Nous savons que les actes des criminels organisés se ressentent dans tout le pays, dans les collectivités de toute nature et de toute taille. Ce n'est pas un problème limité aux grandes villes. Les criminels organisés sont en plein centre de problèmes sociaux graves, y compris l'utilisation de drogues illicites et la prostitution organisée. Ces crimes coûtent généralement des dizaines de milliers de dollars à leurs victimes. Les victimes sont souvent celles qui en ont le moins les moyens, telles que les personnes âgées aux revenus fixes.

Le crime organisé se manifeste également par le vol de biens personnels importants, tel que le vol de véhicules automobiles, pour alimenter les marchés illégaux. Nous savons que les criminels volent les Canadiens par le biais de la télémercatique, de l'Internet et de la fraude des cartes de crédit. Dire que le crime organisé a des répercussions négatives sur la santé et la sécurité publiques est une litote.

Dans certaines régions, l'activité non dissimulée des groupes de criminels organisés a entraîné un climat de non-respect des lois et de peur. Des membres de groupes sont assassinés par des membres de groupes rivaux. Des tiers innocents sont également tués. En plus de ces meurtres, des représentants locaux et des citoyens ordinaires sont menacés et intimidés.

Lorsque vous entendrez M. Auger plus tard cet après-midi, vous aurez un témoignage direct d'un individu courageux qui a été confronté au vrai visage horrible et terrifiant du crime organisé dans ce pays.

Les Canadiens paient pour les crimes que je viens de décrire. Les répercussions et les coûts ne sont pas toujours manifestes, mais ils sont réels et peuvent être très importants. Nous payons en termes d'impact de la violence et d'intimidation dans nos collectivités. Nous payons en termes de souffrance humaine, de dissociation familiale et de réduction de vies individuelles. Nous payons en matière de dépenses de santé liées à l'abus de drogues et aux maladies connexes telles que le VIH et l'hépatite. Nous payons en matière de barèmes d'assurance, de taux d'intérêt et de recettes fiscales perdues.

Le crime organisé a également des conséquences graves au-delà de nos frontières. La contrebande internationale d'êtres humains est une des activités du crime organisé. Cette contrebande, souvent effectuée dans des conditions dangereuses, peut menacer des vies humaines et souvent entraîner des conditions semblables à l'esclavagisme pour les personnes payant le groupe criminel qui les transportent. Comme le sait le sénateur Pearson, ce trafic de personnes implique bien trop souvent des femmes et des enfants.

Au cours de la dernière réunion des ministres de la Justice et de l'Intérieur à laquelle j'ai participé à Milan, deux éléments étaient à l'ordre du jour. Un était le crime organisé et l'autre le terrorisme. Autour de la table, les ministres de la Justice et de l'Intérieur des pays membres de l'Union européenne et le Japon ont longuement parlé avec grande éloquence de l'accroissement du trafic de personnes et de la tragédie humaine afférent. Ils ont parlé du fait que, dans presque tous les cas, la contrebande humaine est contrôlée par le crime organisé. Selon les ministres de la Justice du G-8, il s'agit d'un phénomène grandissant et particulièrement affligeant, surtout pour les femmes et les enfants.

Le crime organisé est également impliqué dans le trafic illégal d'armes à feu, la fraude douanière de contrebande telle que le tabac et l'alcool, et même les crimes contre l'environnement comme le déversement illégal de déchets toxiques.

Le crime organisé ne respecte visiblement pas les frontières et doit par conséquent être adressé sur le plan international. Tout comme pour le terrorisme, nous devons collaborer volontairement avec nos partenaires internationaux pour parer efficacement aux actes des criminels organisés.

Bien que le Canada travaille dur pour combattre le crime organisé en collaboration avec les États-Unis, partout en Amérique du Nord et du Sud, au sein du G-8, avec la Communauté européenne dans son ensemble, et avec les Nations Unies, en ayant signé une Convention des Nations Unies sur le crime organisé transnational, nous devons coopérer davantage avec nos partenaires internationaux. De meilleures enquêtes, un meilleur partage des connaissances et une meilleure compréhension du besoin de travailler ensemble pour étouffer les activités des criminels organisés est la clé de notre succès.

Sur le plan national, les propositions du projet de loi C-24 cherchent à améliorer notre capacité à contrer aux problèmes créés par le crime organisé. Les propositions du projet de loi se divisent en quatre catégories. Premièrement, le projet de loi prescrit une nouvelle définition de l'organisation criminelle et crée de nouvelles infractions clés ciblant un large éventail d'activités de ces organisations.

Deuxièmement, le projet de loi procure de nouvelles mesures pour améliorer la protection contre l'intimidation des personnes responsables au sein du système juridique.

Troisièmement, le projet de loi étend les pouvoirs afférents à l'application de la loi pour confisquer les produits du crime et, en particulier, les profits de l'organisation criminelle, et saisir et confisquer les biens utilisés pour réaliser le crime.

Quatrièmement, le projet de loi crée un processus de responsabilité pour protéger les agents de la paix contre la responsabilité criminelle pour certains actes commis dans le cadre de leurs enquêtes et qui seraient autrement illégaux.

Je concentrerai mes commentaires sur la définition de l'organisation criminelle et le problème de l'intimidation. Mon collègue, le solliciteur général, parlera des pouvoirs et de la responsabilité de l'application de la loi d'un point de vue plus global.

En 1997, le projet de loi C-95 donna naissance à la première définition de l'organisation criminelle. Ce projet de loi définit également la participation aux activités des organisations criminelles comme une infraction, lorsqu'elle était associée à la commission d'un crime particulier. En dépit d'un certain succès dans le cadre des poursuites de la présente infraction, nous reconnaissons que les présentes dispositions devraient être rehaussées et rendues plus efficaces.

À cet effet, la définition de l'organisation criminelle fut précisée et sa portée élargie en vertu du projet de loi C-24. La définition de l'organisation criminelle proposée dans le projet de loi répond à l'inquiétude, une inquiétude fondée, que la définition actuelle ne comprend qu'un éventail limité des organisations criminelles et est excessivement compliquée à mettre en place.

La définition actuelle ne comprend que les organisations criminelles qui impliquent au moins cinq personnes, dont au moins deux ont commis des infractions graves au cours des cinq années précédentes. En outre, il doit être prouvé que les groupes mêmes ont commis des crimes punissables par une sentence maximale de cinq ans d'emprisonnement ou plus.

La nouvelle définition de l'organisation criminelle ciblera les groupes de criminels regroupant trois personnes ou plus, dont l'un des objectifs ou des activités principaux est soit de commettre des infractions graves, soit d'aider d'autres personnes à commettre des infractions graves.

La définition précise que les infractions graves sont celles qui, si elles sont commises, résulteront dans la réception directe ou indirecte d'un avantage matériel pour le groupe ou pour les personnes qui le constituent.

La nouvelle définition précise également que la définition des «organisations criminelles» ne s'applique pas à un groupe de personnes qui se forme de manière aléatoire pour la commission immédiate d'une infraction unique.

Je désire profiter de cette occasion pour préciser la relation entre les dispositions contre le crime organisé et les dispositions antiterroristes en ce qui concerne la définition.

En vertu des nouveaux projets de loi, nous considérons les organisations criminelles et les groupes de terroristes comme des concepts juridiques séparés. Cela résulte de l'utilisation de termes clés dans la définition de chacun de ces concepts. En ce qui concerne les organisations criminelles, la définition fait référence aux infractions entraînant vraisemblablement un avantage matériel. La réception d'un avantage matériel est la focalisation principale du crime organisé, mais pas pour le terrorisme.

En ce qui concerne la définition en vertu du projet de loi C-36 des groupes de terroristes, par le biais d'une référence additionnelle à la définition des actes de terrorisme, se rapporte aux infractions spécifiques des conventions internationales sur le terrorisme, et plus généralement aux infractions visant à intimider des personnes à l'aide de la violence ou d'autres actes provoquant des préjudices graves à des fins politiques, religieuses ou idéologiques. C'est l'essence du terrorisme, mais pas celle du crime organisé.

En théorie, les deux définitions peuvent se chevaucher dans certains cas et c'est pour cette raison que je les explique en détail. Cela peut se produire en pratique aussi. Il est possible d'imaginer un groupe de terroristes qui organiseraient des organisations criminelles locales pour obtenir des profits financiers pouvant être utilisés pour financer le terrorisme. Dans certains cas, il peut être possible de poursuivre en vertu de l'une ou l'autre des dispositions applicables aux organisations criminelles et aux groupes de terroristes. Néanmoins, il est important de reconnaître que nous prescrivons deux définitions distinctes en vertu des lois des projets de loi C-24 et C-36, ainsi que des infractions différentes, bien que parfois semblables, pour contrer chacune de ces infractions.

Je fais toutefois remarquer que certaines des autres dispositions du projet de loi C-24 traitant plus généralement de l'application de la loi, y compris les nouvelles dispositions de justification de l'application de la loi, seront également utiles dans la lutte contre le terrorisme.

Comme je l'ai fait remarquer, une infraction d'organisation criminelle fut ajoutée au Code criminel en 1997. Bien que des poursuites réussies aient été intentées en vertu du présent article, il existe des inquiétudes réelles que cet article n'est pas suffisant pour permettre des poursuites efficaces de toutes les organisations criminelles. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne les personnes qui facilitent les actes des organisations criminelles en connaissance de cause sans nécessairement faire partie intégrante des groupes.

En vertu du projet de loi C-24, l'infraction actuelle d'organisation criminelle sera remplacée par trois nouvelles infractions. Ces infractions ciblent la participation ou la contribution aux organisations criminelles dans le but d'augmenter la capacité du groupe à faciliter ou à commettre des infractions susceptibles de poursuite en justice, la participation aux infractions susceptibles de poursuite en justice réalisées au profit ou sur l'ordre ou en collaboration avec un groupe ou les responsables d'un groupe.

Les peines maximales pour lesdites infractions seraient une période d'emprisonnement de cinq ans, quatorze ans ou à vie, respectivement. Ces peines seraient consécutives, non concurrentes et seraient assujetties à une période d'inadmissibilité à la liberté conditionnelle présomptive de la moitié de la peine.

Je crois qu'en conjonction avec la nouvelle définition des organisations criminelles, ces nouvelles infractions rehausseront considérablement notre capacité à poursuivre les personnes impliquées dans le crime organisé.

Dans le passé, les membres des groupes ont essayé d'intimider les informateurs, les témoins, les journalistes et les candidats jurés, ainsi que la police, les substituts du procureur général, les agents de correction et les législateurs. Lorsque nous avons réalisé une consultation, voici dix-huit mois ou deux ans, je fus surpris par les preuves et l'information que nous avons reçue relativement au degré d'intimidation perçue par les acteurs clés du système juridique et provenant des personnes impliquées dans le crime organisé.

Dans le projet de loi C-24, nous avons reconnu un fort besoin de combattre l'intimidation et d'adopter les réformes législatives connexes. Le projet de loi définit de nouvelles procédures de sélection des jurés dans le Code criminel pour offrir une meilleure protection de la confidentialité des jurés en restreignant l'accès aux noms, adresses et professions des jurés éventuels. Le projet de loi C-24 précise également les pouvoirs des juges pour exclure les personnes de la salle d'audience et prescrit de nouveaux pouvoirs pour permettre de témoigner en dehors de la salle d'audience ou par un autre moyen dans le cas de jugements d'infractions d'organisations criminelles.

Une nouvelle infraction d'intimidation a également été ajoutée au Code criminel avec une peine maximale de 14 ans. Cette nouvelle infraction s'adresse spécifiquement aux actes d'intimidation qui visent les intervenants au système juridique et les journalistes. En vertu du nouvel article, harceler, poursuivre ou menacer ces personnes définies dans le projet de loi comme, entre autres, les membres du Sénat ou de la Chambre des communes, d'une assemblée législative ou d'un conseil municipal, dans le but de provoquer un état de peur telle qu'elle entrave l'administration de la justice ou empêche lesdites personnes d'exécuter leurs obligations, constituent une infraction.

D'autres dispositions du Code criminel ont également été modifiées pour préciser que le meurtre commis à des fins d'intimidation ou de tentative d'intimidation des intervenants au système juridique ou des journalistes constitue un meurtre au premier degré peu importe s'il a été prémédité et délibéré.

Les dispositions clés du projet de loi ont pour objectif de prescrire une réponse législative à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Campbell et Shirose. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada a jugé que la police n'était pas soustraite à la responsabilité criminelle pour les actes commis de bonne foi dans le cadre d'une enquête criminelle. La Cour suprême du Canada a fait remarquer que si ladite immunité est nécessaire, il incombe au Parlement de l'accorder.

L'impact de ce jugement sur l'application de la loi fut important. Mon collègue, le solliciteur général, vous donnera plus de détails. Vous entendrez d'autres témoignages de la collectivité policière et d'autres témoins plus tard dans vos délibérations.

De nombreuses enquêtes peuvent être menées de manière très limitée uniquement, ce qui diminue considérablement leurs chances de succès. Les enquêtes en question comprennent les crimes tels que le trafic de personnes, le trafic illégal d'armes à feu, les crimes motivés par la haine, le trafic transfrontalier de contrebande, les enquêtes internationales sur le terrorisme, les crimes économiques graves, tels que l'utilisation de cartes de crédit falsifiées et les infractions relatives à la pêche et à la protection de l'environnement.

En réponse à la décision de la Cour suprême, le projet de loi C-24 procure une justification limitée du maintien. Il est important, et je mets l'accent sur ce concept, tel que le fera le solliciteur général, que la loi n'accorde pas une immunité générale aux agents de la paix. J'aimerais dire quelques mots à ce point sur le problème de la responsabilité, car il s'adresse au régime de justification limitée de l'application de la loi. Le solliciteur général parlera également de ce concept, mais il est important d'en parler un peu parce que c'est un problème important qui devrait tous nous préoccuper. Je sais que cela vous préoccupe en qualité de membre de ce comité.

En plus d'établir, en tant que partie intégrante de notre régime de responsabilité, la nomination des ministres responsables, dont l'une est celle du solliciteur général, y compris une disposition permettant aux ministres responsables d'imposer des conditions pour les nominations, le projet de loi C-24 impose trois exigences de comptes-rendus. Le paragraphe 25.2 prescrit un rapport écrit par les agents de la paix aux hauts fonctionnaires responsables de l'application de la loi qui ont approuvé les actions et les abstentions demandant une autorisation spéciale. Ce rapport est également nécessaire quand une situation d'urgence a exigé qu'un agent agisse sans autorisation. Le paragraphe 25.3 prescrit un rapport public annuel du ministre responsable. Le paragraphe 25.4 prescrit un avis écrit aux personnes dont la propriété est perdue ou sérieusement détériorée en conséquence des actions de l'application de la loi en vertu du régime.

En plus, il est crucial d'observer qu'un mécanisme fondamental de responsabilité est prescrit par l'exigence principale de conduite raisonnable et proportionnelle. Un agent de police qui ne respecte pas cette exigence perd sa justification et risque une poursuite criminelle. L'agent risque également une procédure disciplinaire.

Lorsqu'un acte illicite est commis dans de cadre d'une enquête criminelle en dehors du régime immunitaire, le procureur de l'accusé peut chercher à obtenir une suspension de l'instance en plaidant que compte tenu de la conduite criminelle de la police, la poursuite judiciaire jetterait le discrédit sur l'administration de la justice.

En outre, une disposition est ajoutée au suivi parlementaire complet du schème de justification limitée dans les trois ans qui suivent. Cela permettra un suivi desdites dispositions dans leur application actuelle et peut être entrepris par un comité quelconque du Sénat, de la Chambre des communes ou des deux conjointement qui est nommé ou créé à ces fins.

Il est important de prendre note que ces mécanismes de contrôle et de responsabilité sont une amélioration de la responsabilité de l'application de la loi, et non une alternative, qui existe déjà et qui s'appliquerait également aux actes et omissions en vertu de la présente modification législative.

Nous possédons des renseignements à cet égard pour le comité et nous les introduirons quand des fonctionnaires sembleront avoir une bonne compréhension des mécanismes de responsabilité déjà en place dans le pays sur le plan fédéral, provincial et territorial.

La présidente: Madame la ministre, ce serait utile si nous pouvions les obtenir avant que les fonctionnaires se présentent. Ils comparaîtront plus tard dans notre procédure sur le présent projet de loi.

Mme McLellan: Oui. Nous les introduirons dès que possible pour vous. Nous introduirons un aperçu des mécanismes de responsabilité actuels.

En vertu de la loi actuelle, des organismes de surveillance sont en place pour s'assurer que la police se comporte en vertu des normes stipulées par la loi. C'est tout ce que je dirai sur les mécanismes de responsabilité du projet de loi C-24 par comparaison au régime de justification limitée. Je sais que les sénateurs auront des questions et mes collègues en diront davantage.

Nous avons élaboré une réponse nécessaire, efficace et équilibrée au crime organisé au Canada et avons prescrit des outils clés pour l'application de la loi. J'espère que nous examinerons certains de ces problèmes de manière plus détaillée dans nos débats et aurons l'occasion de communiquer avec vous la nature des défis réels auxquels nous sommes tous confrontés en tant que société et personnes impliquées dans le système juridique dans la mesure où il se rapporte au crime organisé.

La présidente: Nous entendrons le ministre MacAulay avant de répondre aux questions. Monsieur MacAulay, veuillez commencer.

L'honorable Lawrence MacAulay, solliciteur général du Canada: La présentation du projet de loi C-24 le 5 avril a réitéré que la lutte contre le crime organisé est un objectif prioritaire d'application de la loi pour le gouvernement. Le projet de loi indique que nous avons prêté l'oreille aux inquiétudes de la police, des provinces et des collectivités à travers le Canada.

Un peu plus de cinq mois plus tard, le 11 septembre, nos vies ont changé. À cette date, nous avons amorcé une autre sorte de lutte à long terme contre une autre sorte d'ennemi. La protection de nos citoyens contre le terrorisme était une priorité pour tous les pays civilisés bien avant les attentats du 11 septembre; toutefois, l'étendue de la menace qui affecte notre manière de vivre par la peur est sans pareille depuis ce jour. Les Canadiens s'attendent à ce que nous fassions plus que se contenter d'user de rétorsion contre les actes de terrorisme. Ils s'attendent à ce que nous les empêchions en premier lieu. C'est pourquoi il est maintenant plus important que jamais que ce projet de loi progresse.

Les mesures plus sévères pour lutter contre le crime organisé stipulées dans le présent projet de loi sont tout aussi pertinentes et réitèrent également l'effort soutenu pour lutter contre le terrorisme. Le projet de loi C-24 confère à la police et aux substituts du procureur général les outils importants dont ils ont besoin pour lutter contre le crime organisé dans la rue et au tribunal. Lutter contre le crime organisé a la même priorité que lutter contre le terrorisme dans l'ordre du jour de la sécurité publique du Canada.

Mon collègue, la ministre de la Justice, a mis l'accent sur les dispositions du projet de loi qui se concentre sur la nouvelle définition de l'organisation criminelle et les dispositions de liberté conditionnelle relatives aux infractions des organisations criminelles. Elle a également parlé de la question de l'intimidation. Je soutiens entièrement ces propositions. Il s'agit d'outils essentiels si nous devons confronter efficacement le crime organisé à l'heure actuelle et à l'avenir.

J'aimerais me concentrer particulièrement sur la manière dont le projet de loi C-24 permettra de retirer plus facilement le profit du crime. C'est un élément primordial par le crime organisé est un commerce. Lorsque nous retirons les profits, le commerce illicite ne peut pas fonctionner.

Le projet de loi accroîtra notre capacité à saisir et confisquer les profits d'un crime. En l'état actuel de la loi, la Cour suprême peut saisir les produits d'un crime pour trafic de drogues, meurtre et fraude. Le projet de loi C-24 allongera cette liste, afin que nous puissions saisir les produits de presque toutes les personnes susceptibles de poursuite en justice. Ces changements rendront chacune des 13 Sections des produits de la criminalité que nous avons mises en place dans le pays encore plus efficaces. Ces unités, en association avec les ressources de la GRC et d'autres unités de la police et du gouvernement, ont été instituées pour cibler les groupes de criminels organisés et confisquer les produits de leurs crimes. Jusqu'à ce jour, des biens d'une valeur bien supérieure à 200 millions de dollars ont été saisis et des procès-verbaux et confiscations s'élevant à plus de 130 millions de dollars ont été réalisés. C'est un progrès important et les mesures du projet de loi C-24 bâtiront sur ce succès.

À la suite des attentats du 11 septembre, le projet de loi permettra, entre autres, l'exécution de saisies et de confiscations de biens à l'étranger. Cela représentera un outil efficace pour éliminer le profit des organisations criminelles à l'extérieur du Canada. Je sais que de nombreux pays attendent avec impatience que nous introduisions ce changement.

Ces propositions permettront à des agents désignés, en vertu de restrictions rigoureuses, de réaliser des actes et omissions qui seraient autrement très offensifs, afin qu'ils puissent mener leur enquête et même infiltrer des groupes criminels. La Cour suprême du Canada reconnaît que les agents faisant preuve de bonne foi peuvent avoir besoin de tels pouvoirs. Elle reconnaît également que c'est la responsabilité du Parlement de conférer de tels pouvoirs. C'est ce que nous faisons dans le projet de loi C-24.

Nous connaissons et partageons les inquiétudes que certains ont soulevées selon lesquelles nous devons nous assurer que lesdites dispositions sont régies par des directives et des surveillances rigoureuses. Je peux vous dire que le projet de loi C-24 a été rédigé en gardant à l'esprit cet objectif particulier. De nombreuses mesures de protection sont comprises dans le projet de loi. Premièrement, le ministre est responsable de contrôler qui nommera les agents admissibles aux justifications d'application de la loi. Seuls ces agents nommés bénéficieront de la protection de ces dispositions.

En qualité de solliciteur général, je serai responsable de la nomination des membres de la GRC. Cette nomination prescrit tant le contrôle que la responsabilité. Les nominations seront également assujetties aux conditions particulières de restreindre davantage l'application de la justification. Si elles sont utilisées à mauvais escient, elles seront retirées.

Il est important de prendre note que les méthodes utilisées dans ladite justification sont celles que les agents canadiens chargés de l'application de la loi utilisent depuis des années. Inscrire des exemptions dans le Code criminel nous permet de fixer des limites légales à ces activités, tout en prescrivant une responsabilité claire et efficace.

Une autre mesure de protection est l'exclusion de certains types de conduite, tels que causer des préjudices corporels, les infractions sexuelles et l'entrave à la justice. Toute autre conduite doit être raisonnable et proportionnelle aux circonstances et doit être accomplie aux fins de l'enquête uniquement.

Les considérations pour ces nominations peuvent comprendre que c'est nécessaire, étant donné la nature des obligations de l'agent; que c'est approprié, étant donné le niveau de formation de l'agent; et qu'une surveillance suffisante est en place. Les nominations ne sont pas prescrites pour les enquêtes individuelles, elles sont accordées parce que, généralement, elles représentent l'obligation d'application de la loi d'un agent. C'est en reconnaissance du fait que nous devons maintenir un équilibre entre la responsabilité du gouvernement quant aux actions de ses agents et le besoin d'assurer l'autonomie de la police.

En vertu du projet de loi, un haut fonctionnaire doit autoriser tout acte qui peut résulter dans la perte ou la détérioration matérielle de biens. En outre, les agents chargés de l'application de la loi doivent rédiger des rapports à l'interne sur toute conduite demandant une autorisation. Si les agents outrepassent les modalités prescrites par les dispositions, ils seront assujettis à des poursuites de responsabilité criminelle devant les tribunaux. Les agents seront également assujettis à une discipline interne pour conduite non professionnelle ou autre action fautive. Le projet de loi C-24 prescrit également un rapport annuel public rédigé par moi-même et toute autre autorité compétente.

En ce qui concerne la responsabilité, je désire pointer que presque tous les services de police au Canada possèdent des organismes de surveillance, tels que la Commission des plaintes du public contre la GRC. Ces organismes ont un rôle important de maintien de la responsabilité des forces de la police envers le public qu'elle sert. Ces mécanismes de plaintes du public s'appliqueront toujours.

Les nouvelles dispositions ajoutées au stade du comité dans l'autre chambre comprennent des exemples particuliers des modalités qui pourraient s'appliquer aux nominations, à la clarification de l'exigence des agents de police et une exigence de suivi parlementaire desdites dispositions après trois ans. Le gouvernement soutient ces changements.

Permettez-moi de mettre l'accent sur le fait que le projet de loi C-24 n'est pas un chèque en blanc pour les agents de la paix. Il s'agit d'un programme équilibré avec des restrictions et des modalités rigoureuses, ainsi que des mesures de sécurité, qui répond aux besoins de la police.

Les nouveaux fonds alloués à la GRC, au ministère de la Justice, au Service correctionnel du Canada, à l'ADRC et au ministère du Solliciteur général s'élèvent à 200 millions de dollars pour une période de cinq ans. Nous renforcerons la coordination de notre politique nationale et l'intervention contre le crime organisé et la contrebande.

Les nouveaux fonds de la GRC bâtiront sur les 584 millions que la force a reçus pour le budget de 2000 pour l'application de la politique contre crime organisé, l'amélioration des services de la police nationale et les nouveaux systèmes de partage. Ils investiront dans plusieurs régions principales. La capacité de collecte de renseignements de la GRC sera améliorée au Canada et à l'étranger, afin que les groupes criminels clés actifs au Canada puissent être mieux ciblés.

Les efforts d'application de la loi regroupant plusieurs agences telles que les brigades antimotards au Québec seront renforcés. Des investissements seront réalisés pour lutter contre le crime à la frontière entre le Canada et les États-Unis, bâtissant sur les deux équipes binationales actuelles d'application de la loi intégrées à la frontière, ou Équipe intégrée de la police des frontières, en Colombie-Britannique et au Nouveau-Brunswick. Les investissements seront réalisés dans la nouvelle technologie afin de soutenir les enquêtes compliquées.

La nouvelle stratégie fédérale de poursuite sera importante pour la police. La nouvelle idée fonctionne bien dans d'autres secteurs, tels que les unités que j'ai mentionnées auparavant.

Le Service correctionnel du Canada utilisera les fonds pour améliorer sa capacité de collecte des renseignements et se concentrer sur la gestion des membres des groupes en prisons et des modalités de libération.

Mon ministère et le ministère de la Justice collaborent étroitement avec les provinces et investiront dans la recherche et l'élaboration de politiques.

En conclusion, la guerre contre le crime organisé, tout comme la guerre contre le terrorisme, n'est pas une bataille qui sera remportée du jour au lendemain, mais le présent projet de loi et le nouveau financement qu'il investira, aidera le gouvernement du Canada à poursuivre son approche coordonnée de leadership de tous les gouvernements. Il soutiendra nos efforts internationaux, en commençant par nos voisins du Sud. Le projet de loi C-24 nous aidera à réaliser des progrès importants dans la lutte permanente contre le crime organisé. Depuis le 11 septembre, cette bataille est encore plus importante que jamais.

Une bonne partie du travail a déjà été réalisé dans la lutte contre le crime organisé et la sécurité publique est la priorité absolue partagée dirigeant les efforts de partenariat à ces fins. Nous nous engageons à lutter contre ce problème dans l'ordre du jour au plan national et nos partenaires provinciaux et territoriaux attendent les résultats, particulièrement au niveau législatif.

Le projet de loi C-24 est une étape majeure vers la sécurité publique et en donnant à nos agents de la paix les outils dont ils ont besoin pour protéger le Canada, ses collectivités et ses habitants, ce projet de loi rend nos efforts nationaux encore plus efficaces.

Le sénateur Fraser: Ma question s'adresse au ministre de la Justice. Je suis inquiète au sujet de la loi sur les conséquences non intentionnelles. Les journalistes sont inclus dans le paragraphe 11 journalistes, ainsi que les intervenants au système juridique en qualité de classe de personnes protégées. Nous en comprenons tous les raisons. La motivation était noble. Néanmoins et n'étant pas procureur, ma compréhension est que chaque terme inclus dans un statut aura un sens particulier. Il aura une définition. Si la définition n'est pas stipulée dans le projet de loi, elle sera alors prescrite d'une autre manière, peut-être le cas échéant, par les tribunaux.

Il y a plusieurs siècles de conflit dans le monde entier pour éviter d'avoir à ce que l'état décide de qui est un journaliste. Une fois que vous avez décidé qui est un journaliste, vous décidez qui n'est pas un journaliste, et il existe là de terribles possibilités d'abus afférent à qui a le droit de communiquer avec le public et dans quelles conditions. Évidemment, personne n'a l'intention d'agir de la sorte avec le présent projet de loi.

Mme McLellan: Non.

Le sénateur Fraser: Néanmoins, j'ai été alertée quand j'ai lu ceci. Comment pouvez-vous préciser cette loi? Quels sont les précédents ou tout autre statut confronté à cette difficulté particulière au Canada, et quel en a été le résultat? Quel est l'état du droit que j'ignore?

Mme McLellan: M. Mosley expliquera ce sujet du mieux possible.

Le sénateur Fraser, vous savez mieux que quiconque dans cette pièce que les journalistes, la presse et les médias, particulièrement dans le monde d'aujourd'hui, sont une composante fondamentale de notre démocratie. Une des manières pour le crime organisé de perpétuer ses actes insidieux est d'intimider afin d'éviter que ceux qui pourraient révéler au public la portée et l'horreur de leurs méfaits ainsi que la portée de leurs réseaux mondiaux dans certains cas.

Le crime organisé essaiera peut-être de réduire au silence les législateurs qui voteront les lois limitant leur capacité d'agir sur le plan national et mondial. Il n'y a rien que le crime organisé n'aimerait davantage que de réduire au silence les journalistes qui accomplissent leur travail de communiquer au public, ici et dans le monde entier, la nature exacte et la portée de la menace du crime organisé pour notre société civile.

C'est en guise d'introduction pour vous dire que le crime organisé ne désirerait rien d'autre que d'empêcher les journalistes comme Michel Auger d'écrire ce qu'il écrit ou de l'intimider afin qu'il aille ailleurs et fasse autre chose, ce qui serait une chose terrible pour la démocratie. Je n'ai jamais rencontré M. Auger, mais il sera présent plus tard dans la journée.

Il nous incombe d'assurer, même en utilisant des moyens limités, toute protection que nous pouvons offrir à ceux qui ont le courage d'accomplir le travail et d'écrire les histoires qui nous permettent de mieux comprendre à quel point la menace du crime organisé est prépondérante et insidieuse. Le crime organisé s'appuie sur l'intimidation. J'accepte votre opinion qu'en tant qu'état, nous ne voulons pas interférer avec la liberté du journalisme.

Le sénateur Fraser: C'est toute la nature de la liberté de la presse.

Mme McLellan: C'est exact. Cependant, je vous I'assure que ceux qui veulent réduire au silence les voix de personnes comme Michel Auger. Même si nous ne prétendons pas que cela empêche nécessairement ce genre d'actions, cela transmet le message qu'en tant que société, nous valorisons le rôle de la presse dans notre système démocratique pour nous permettre de comprendre la nature de la menace. Nous voulons protéger ceux qui aident cette société démocratique libre à comprendre la nature de la menace.

M. Richard G. Mosley, sous-ministre adjoint, Division des politiques et du droit criminel, ministère de la Justice: Lorsque cette modification a été réalisée dans l'autre chambre, nous n'étions pas entièrement certains des effets qu'elle entraînerait. La question que vous avez posée nous est immédiatement venue à l'esprit. En fait, elle a été soulevée par Stephen Bindman, un collègue qui travaille au ministère et qui est un journaliste célèbre. Sa première question a concerné l'impact que cela aurait.

Des enquêtes ont été menées par l'Association canadienne des journalistes, je crois, bien qu'il faudrait que je confirme ce fait, pour déterminer s'il y avait lieu de s'inquiéter qu'une référence aux journalistes dans le Code criminel aurait des répercussions négatives. La question précise était: «Êtes-vous confortable avec le fait que le gouvernement intègre une référence aux journalistes dans le projet de loi?»

Bien que le paragraphe 11 de la page 18 du projet de loi fasse référence aux intervenants du système juridique ou aux journalistes, le projet de loi ne tente pas de définir le terme «journaliste». Il définit «intervenant dans le système juridique», comme l'a fait remarquer le ministre et cela inclut un certain nombre de personnes qui jouent un rôle dans le système juridique. Tout effort par le gouvernement pour définir le terme de journaliste pourrait alarmer cette collectivité.

La liberté de la presse, telle qu'elle est protégée par la Constitution, comprend les personnes qui travaillent dans le journalisme, ainsi les tribunaux auront peut-être l'occasion de tenter de définir qui sont ces personnes. Ce serait dans le contexte d'une poursuite particulière au cours de laquelle on ferait appel à la protection de la Charte.

Le sénateur Fraser: L'Association canadienne des journalistes n'a aucune objection, correct?

M. Mosley: Oui. La réaction fut très positive. Ils sont ravis que la Chambre des communes ait adopté cette mesure pour assurer une certaine protection à leur collectivité.

[Français]

Le sénateur Beaudoin: Ma question porte sur l'article 11 du projet de loi C-24. Si je comprends bien, le projet de loi C-24 crée une infraction d'intimidation d'une personne associée au système judiciaire. J'aimerais qu'on élabore sur ce qui est dit à l'article 423.1 du projet de loi:

423.1 (1) Il est interdit, sauf autorisation légitime, de commettre un acte visé au paragraphe (2) dans l'intention de provoquer la peur:
a) soit chez un groupe de personnes ou le grand public en vue de nuire à l'administration de la justice pénale;

b) [...] une personne associée au système judiciaire [...]

c) [...] un journaliste [...]

Dois-je comprendre que l'alinéa b) s'adresse à un avocat, un politicien ou un juge, sauf autorisation légitime?

[Traduction]

Ma question est d'ordre juridique. Que signifie «sans autorisation légitime»? Qui le fera et qu'est-ce que c'est?

Mme McLellan: Vous parlez des intervenants du système juridique, qui sont définis à la page 2. Il s'agit d'un aperçu de qui sont ces intervenants aux fins de la présente loi.

Le sénateur Beaudoin: Quelle est la signification exacte de l'expression «sans autorisation légitime»?

M. Mosley: C'est une question de qualification d'une conduite quelconque ou non décrite au sous-alinéa 2 comme autorisée dans certains endroits. Par exemple, si vous considérez «la surveillance ou l'observation de l'endroit où un intervenant du système juridique ou un journaliste ou toute personne connue par l'un d'entre eux réside, travaille, fréquente une école, fait des affaires ou se trouve», il se peut qu'un mandat soit issu pour la surveillance d'une personne en particulier qui correspond à la définition d'intervenant du système juridique et assujettirait, éventuellement, cette personne à la surveillance électronique ou visuelle.

Il n'est pas inconcevable qu'une certaine forme d'autorité légale soit émise en rapport à une ou plusieurs formes de conduite. Il est très peu probable et je ne peux pas penser à une seule qui permettrait la violence contre un intervenant du système juridique ou la détérioration ou la destruction des biens. Cependant, en ce qui concerne «la filature permanente ou répétitive», en cas d'allégation de corruption par exemple, impliquant une personne qui travaille dans le système juridique, ils peuvent être sous surveillance et être constamment suivis en raison de l'enquête. La seule raison motivant ces propos est de s'assurer que cette infraction ne s'applique pas à quelqu'un pouvant être engagé adéquatement dans l'administration de la justice.

Le sénateur Beaudoin: Pour citer un cas précis, supposons qu'il y ait une intention de provoquer une menace d'un procureur de la Couronne, un juge ou un membre du Parlement. Dans le deuxième paragraphe, vous mentionnez ces actes de violence. Il semble que l'intention soit bonne. J'en conviens. Toutefois, est-ce rédigé de manière suffisamment précise?

En anglais, il stipule:

Il est interdit, sans autorisation légitime, de commettre un acte visé au paragraphe (2) dans l'intention de provoquer la peur.
Pouvez-vous me donner un exemple? Nous vivons dans un état de peur dans une certaine mesure. Que cela signifie-t-il concrètement?

M. Mosley: C'est une infraction dans le prolongement de l'infraction existante dans le Code criminel et qui s'applique à tout le monde. Ce qui a été fait ici fut de créer une infraction spéciale d'intimidation. De par sa nature même, l'intimidation entraîne l'institution d'un état de peur pour une personne. Voici à quoi cette expression se rapporte.

Mme McLellan: Désiriez-vous un exemple précis de ce qui pourrait se produire?

Le sénateur Beaudoin: Oui

Mme McLellan: Vous voudriez un exemple de la manière dont un intervenant du système de justice, tel qu'un juré, pourrait être intimidé?

Le sénateur Beaudoin: Ce qui m'inquiète n'est pas tant le principe du paragraphe 11, mais l'expression «sans autorisation légitime», ou en anglais, «without lawful authority»? Qui en est le juge?

M. Mosley: En fin de compte, c'est la Cour suprême qui en délibère.

Le sénateur Beaudoin: Nous nous occupons de droit pénal. Nous devons être précis. Nous avons déjà cela dans le Code criminel. J'en conviens.

M. Mosley: Je peux vous donner un exemple d'une affaire qui s'est produite au Canada. Il a été plaidé que dans le cadre d'un procès pénal par jury, les membres d'un groupe particulier se sont assis dans la Cour suprême tous les jours et ont fixé les jurés du regard. Ils ont fixé du regard un juré particulier pendant tout le jugement. Il a été allégué que cela avait pour but de provoquer volontairement un état de peur des jurés qui seraient intimidés ou les influencer à faire quelque chose pendant les procédures.

Il y a eu d'autres exemples. Nous avons mené une consultation, le ministre l'a fait remarquer, dans tout le pays et parlé aux personnes qui travaillent dans le système à divers titres. Dans la province de Québec, deux gardiens de prison ont été abattus sans aucun autre motif apparent que de décourager d'autres gardiens de prison d'interférer avec le trafic de la drogue.

Nous avons entendu une série d'histoires dans tout le pays. Mon collègue était responsable de cette consultation. Nous avons entendu la peur croissante sur l'utilisation de l'intimidation dans le système juridique criminel. C'est la raison pour laquelle le présent article fut proposé.

Le sénateur Kelleher: La commission d'infractions que la police aura l'autorité d'accomplir est-elle limitée aux enquêtes des organisations criminelles, ou ces pouvoirs peuvent-ils être utilisé dans le cadre d'enquêtes criminelles quelconques, y compris les enquêtes sur les activités terroristes?

M. MacAulay: La personne ou les individus qui sont nommés sont sous la surveillance d'un agent et peuvent uniquement réaliser ces obligations dans le cadre d'une enquête.

Le sénateur Kelleher: Je comprends cela, mais en ce qui concerne ce que vous dites toujours à un juge même si vous ne le pensez pas. Cela peut-il inclure l'enquête sur les «actes de terrorisme»?

M. MacAulay: Oui, en effet.

Mme McLellan: Oui.

Le sénateur Kelleher: Par conséquent, la police pourrait être impliquée dans la commission d'actes de terrorisme dans le cadre de leurs enquêtes si elles en avaient reçu l'autorisation; est-ce correct?

M. MacAulay: Relevant de la présente loi, si une organisation terroriste est impliquée, elle pourrait également être impliquée dans le crime organisé, ce qui relierait les deux en vertu de la présente législation. Une personne pourrait enquêter sur une organisation terroriste pour un acte de crime organisé. Cela est très possible.

Mme McLellan: Sénateur, votre question est excellente. Une personne peut avoir l'autorisation des agents de la paix pour participer à une opération de blanchiment d'argent dont les fonds sont utilisés pour financer les actes de terrorisme.

Le sénateur Kelleher: La question arrive en temps opportun, compte tenu du projet de loi C-36, pour informer les Canadiens que cela peut également impliquer des actes de terrorisme.

Mme McLellan: En effet. Le blanchiment d'argent est probablement un bon exemple lorsque nous savons que les organisations de terroristes collectent des fonds ici et dans le monde entier et nous voudrons peut-être autoriser nos autorités d'application de la loi à s'infiltrer et participer, par exemple, à une opération de blanchiment d'argent, afin de révéler toute la portée de l'opération, afin de porter des accusations et de l'anéantir.

M. MacAulay: J'ai eu le privilège de rencontrer un agent d'infiltration impliqué dans ce type d'activité et qui a expliqué le besoin de ce type de législation.

M. Paul Kennedy, solliciteur général adjoint principal: La police n'est pas autorisée à accomplir de nombreuses infractions criminelles graves, par exemple, le meurtre, les infractions sexuelles, les voies de fait causant des lésions corporelles et l'entrave à la justice. La définition des actes de terrorisme est en tête de liste et inclut les infractions qui mettent des vies en danger. Les agents de police ne sont pas autorisés à les commettre en vertu du présent schème.

Dans le cadre d'une enquête normale sur lesdites organisations, ils doivent être impliqués dans des activités de soutien et connexes. Le ministre de la Justice a fait référence au blanchiment d'argent. Un autre exemple est la préparation de documents falsifiés. Ce sont tous des outils que les gens utilisent pour commettre des actes terroristes. Les agents travailleront avec ces personnes pour découvrir qui fait quoi et pour infiltrer les groupes. Vous pouvez en déduire que les agents feraient des actes comme des bombardements. Cela irait à l'encontre du but poursuivi. Cependant, ils doivent s'infiltrer à la base et enquêter pour agir. Il y a des seuils qui sont hors de question et qui ne sont pas franchis.

Le sénateur Kelleher: Nous avions une commission d'enquête parlementaire MacDonald voici quelques années.

M. Kennedy: Oui, j'en suis conscient.

[Français]

Le sénateur Joyal: J'aimerais revenir sur une des préoccupations soulevées c'est-à-dire celle qui renferme la phrase simple: «qui police la police».

Cette phrase est contenue dans le deuxième volume du rapport d'enquête de la commission Poitras.

[Traduction]

Vous vous souviendrez du rapport de 1988.

[Français]

À la page 1677, cette phrase fait référence à des jugements de la Cour suprême du Canada qui sont très bien connus.

[Traduction]

Vous citez l'affaire Campbell. J'aimerais citer l'affaire Mack de décembre 1988. Je la citerai en français.

[Français]

Il y a peut-être aussi le sentiment que la police ne doit pas elle-même commettre des crimes ni s'adonner à une activité illicite dans le seul but de prendre des tiers au piège, puisque cela semble militer à l'encontre du principe de la primauté du droit.

[Traduction]

Le paragraphe 25 est un paragraphe très important. Il est démesuré par rapport à notre loi pénale de la manière dont il est rédigé à l'heure actuelle, ainsi que par rapport à la manière dont la Cour suprême du Canada l'a interprété lors de son dernier jugement dans l'affaire Campbell.

La Cour suprême a constamment interprété la règle de droit comme s'appliquant à la police. En d'autres termes, la fin ne justifie pas les moyens.

Nous nous attendons à ce que la police dispose de certains outils pour réaliser le maintien de l'ordre et le respect de la loi et pour arrêter les personnes qui commettent des crimes odieux et sont impliquées dans le crime organisé; cependant, la police doit respecter la règle de droit. Ce principe est très important. Il est relié aux informations données au public, que le sénateur Fraser a mentionnées. Lorsque la police assume sa responsabilité, elle le fait en vertu de la règle de droit et doit le faire dans la perspective de l'examen par le public. Il est tout aussi important de savoir ce que fait le criminel, que de savoir ce que fait la police. La Cour suprême a décidé de ce point le 15 novembre dans l'affaire La Reine c. Mentuk. Le jugement stipule, en partie:

Mais cela a toujours été et continuera d'être une question de limite de l'action acceptable de la police. L'usage abusif d'interdiction afférent à la conduite de la police, de manière à protéger cette conduite contre l'examen du public, prive gravement le public canadien de sa capacité de connaître et d'être en mesure de répondre aux pratiques de la police qui, si elles ne sont pas surveillées, pourraient éroder la structure de la société et de la démocratie canadienne.
Il s'agit d'un principe fondamental de notre système juridique criminel. Non seulement, la police doit respecter la règle de droit pour chaque instance, mais la Cour suprême a également déclaré clairement que la fin ne justifie pas les moyens. Dans ce projet de loi, nous créons pour la première fois une autorisation prépondérante, non seulement pour les motards, mais également pour tout le bureau des commissaires de la police de ne pas respecter le Code criminel dans certaines conditions.

Comment pouvons-nous trouver un juste équilibre, comme vous le dites vous-même, en ce qui concerne la proportionnalité? Comment pouvons-nous préserver l'intégrité du système de maintien de l'ordre et d'application de la loi de la police avec le besoin de contrôler la police lorsqu'elle recourt à des moyens extraordinaires et prépondérants pour accomplir des actes qui sont prohibés par le Code criminel ou d'autres actes législatifs fédéraux?

Dans le paragraphe 25, je ne vois pas de contrôle autonome des décisions de la police, telles que l'écoute téléphonique par exemple. Lorsque la police veut enregistrer mes conversations, elle se rendra auprès d'un juge et demander l'autorisation. Si elle veut détruire ou voler mes biens, la police s'autorisera elle-même de le faire. La police ne dépendra de personne. Elle n'aura pas besoin de consulter un tiers. Elle vous rend des comptes, monsieur le ministre. Elle a un intérêt dévolu de bien vous servir. Personne ne conteste ce fait. En matière de ligne d'équilibre et de proportionnalité, il existe une faiblesse majeure dans le présent projet de loi.

Je conviens que les juges donnent l'autorisation. Je ne conçois pas un juge comme donnant l'autorisation de commettre un crime en tant que tel. Nous avons des modèles d'actes dans notre législation canadienne où les organismes chargés des activités de collecte des renseignements et de sécurité sont surveillés. Mon collègue, le sénateur Kelleher a mentionné la commission McDonald, et vous connaissez les trois livres de l'enquête Poitras. La police a besoin d'être surveillée lorsqu'elle recourt à des pouvoirs extraordinaires qui sont accordés par le présent projet de loi pour commettre des crimes.

J'ai écouté attentivement les explications des témoins. Tenant compte de nouveau du jugement de la Cour suprême de la semaine dernière, il existe un fort besoin de préserver la capacité d'examiner les actes de la police, davantage dans le contexte des crimes que la police peut commettre dans le cadre de son enquête.

M. MacAulay: Vous avez raison de dire qu'il faut tout surveiller. C'est sans restriction. Des périmètres rigoureux sont en place. Les agents de la GRC ont été nommés par le solliciteur général, sur consultation du directeur de la GRC et des personnes impliquées dans mon ministère.

Il convient d'indiquer qu'elles ont la formation adéquate. Ce sont les personnes qui devraient le faire. Cela ne nous implique pas dans des enquêtes particulières, mais est relatif aux responsabilités générales requises.

Tous les éléments sur lesquels un agent doit établir un rapport à l'interne dans le système. Je dois rédiger un rapport public sur la GRC. Il y a également un suivi parlementaire dans trois ans auquel vous participerez j'en suis sûr.

Nous avons la Commission des plaintes du public contre la GRC. Toutes les forces de police municipales et provinciales possèdent des organismes qui les surveillent. De nombreuses mesures de sécurité sont en place.

Ce qui est mis en place est ce qui était fait avant l'affaire Campbell et Shirose. La Cour suprême a indiqué que si cela devait se poursuivre, il incombait au Parlement du Canada, dont vous et moi faisons partie, de nommer l'autorité avec des limitations rigoureuses de la force de police. C'est ce que nous faisons.

Nous ne voulons pas de double emploi. Nous n'avons pas besoin d'un autre organisme pour surveiller. Les preuves qui sont collectées dans le cadre d'une enquête sont présentées devant un juge qui entend toutes les preuves, y compris la manière dont elles ont été collectées. C'est évalué. Le ministre de la Justice peut sans doute mieux expliquer cette procédure, mais je suis sûr que tout est expliqué au juge. Il serait loisible d'indiquer tout ce qui a été fait de manière inadéquate.

Si nous ne confions pas à la police l'autorité de le faire, ma compréhension à la suite des entretiens avec la police à travers le pays, y compris la GRC et les autres forces de police, est qu'elle ne peut pas enquêter sur certains crimes.

Il y a eu quelques réussites dans ce pays, mais dans la majorité des cas, il s'agissait d'affaires relatives à la drogue, ce qu'elle peut toujours faire. Ce sont des succès parce que la police peut s'infiltrer et travailler comme agent d'infiltration dans les affaires d'infractions relatives à la drogue. Cependant, elle ne peut pas le faire pour certaines autres infractions de crime organisé. Si je comprends bien, même si elle utilisait une carte de crédit volée, elle enfreindrait la loi si elle devait comparaître devant la justice. Nous rendons cet acte légal. Il y a de nombreux domaines où nous apprendrons ce qu'ils ont fait. Si la Commission des plaintes du public évalue une certaine situation qui est considérée comme inadéquate, ils auront alors accès aux informations de la GRC, si nous mettons cette procédure en place.

M. Kennedy: Une chose qui peut aider à mettre cette procédure en perspective est l'affaire Campbell et Shirose, introduite auprès de la Cour suprême du Canada. Cette affaire traitait d'un policier agissant comme agent d'infiltration et se faisant passer pour un trafiquant de drogues. La police possédait le renseignement que quelqu'un recherchait une tonne de hachisch. Le fournisseur n'était pas aux alentours. La police est intervenue et s'est fait passer pour un vendeur, traitant avec une personne qui était un gros trafiquant de drogues. De la manière dont la loi est rédigée et en faisant une offre de cette nature, l'agent de police commettait une infraction en vertu du Code criminel lorsqu'il offrait de fournir de la drogue.

Depuis l'époque de la Confédération, les agents agissent comme des agents d'infiltration. Considérez le scénario où vous travaillez comme agent d'infiltration et quelqu'un vous donne un échantillon de drogues. Vous êtes entourés d'hommes de main. Vous leur redonnez ensuite l'échantillon. En agissant de la sorte, vous avez commis une infraction. Vous avez trafiqué de la drogue en la redonnant. Il est pratiquement impossible d'agir comme agent d'infiltration, en faisant même ces actes mineurs, sans enfreindre le Code criminel. Vous faites quelque chose soit pour aider soit pour encourager ou vous êtes partie intégrante au crime. D'une manière où d'une autre, vous êtes pris.

À l'aide de certains des outils compliqués que nous avons acquis depuis 1974 avec la technologie, par exemple l'écoute téléphonique et le cryptage, il est plus important d'utiliser les ressources humaines d'infiltration. Il est pratiquement impossible de le faire à moins de dire: «Oui, vous pouvez faire certains de ces actes». La Cour suprême a déclaré que vous ne pouvez pas utiliser les règles du Marquis de Kingsbury pour lutter contre ce genre de crime. La Cour suprême a examiné cette situation auparavant et le conseiller juridique a déclaré: «La police a enfreint la loi. Suspendons l'instance. Partons de ce point.» La Cour suprême a dit: «Non.»

L'affaire Mack à laquelle le sénateur Joyal fait référence à ce sujet et a demandé: «Une conduite d'une telle nature constitue-t-elle un abus et une infraction à la Cour suprême et l'instance sera-t-elle suspendue?» Nous avons demandé à la Cour suprême de nous dire si oui ou non nous pouvons agir de la sorte. Nous lui avons demandé continuellement. La réponse a toujours été: «Nous ne statuerons pas sur cette question. Ce n'est pas une offense.» Néanmoins, une preuve est présentée et la personne est déclarée coupable. La police est alors livrée à elle-même et se pose la question: «Est-ce que j'enfreins la loi ou non?»

Enfin, dans l'affaire Campbell et Shirose, la Cour suprême déclare: «Vous ne pouvez pas le faire. Si vous recommencez, il y a des chances que la preuve puisse être inadmissible. Vous ne pouvez pas le faire et la police d'infiltration a des ennuis. Le Parlement doit créer le régime.» La police se tourne alors vers vous et dit: «Ils nous disent que nous devons le faire. Vous créez le régime. Vous nous dites quelles sont les limites.» C'est ce que nous essayons de faire ici, à savoir, fixer des seuils pour vous au sein du régime. Si nous ne le faisons pas, nous entendrons parler de la police qui nous dira que nous avons des ennuis.

Mme McLellan: Les gens ont besoin d'être absolument certains. Comme l'a dit M. Kennedy, les opérations d'infiltration existent depuis des années, ainsi que les poursuites réussies et les convictions de personnes, en fonction de la preuve provenant de ces opérations. J'espère que personne ici n'est suffisamment naïf pour croire que nous pouvons contrer les affaires criminelles même les plus banales, à fortiori la complexité du crime organisé ou du terrorisme sans infiltrer des agents.

La base sur laquelle l'affaire Campbell et Shirose était fondée était que ces actes étaient autorisés par la common law. Cette affaire a finalement précisé et déclaré: «Non, vous n'avez pas le droit d'agir de la sorte en vertu de l'autorité de la common law.» C'est une réitération de la règle de droit. Sénateur Joyal, cela corrobore votre point en matière de respect de la règle de droit. La Cour suprême a dit: «Non, il n'y a pas d'autorité de common law, mais, Parlement, c'est votre décision. Si vous voulez conférer ce pouvoir aux autorités d'application de la loi, alors votez une loi afin que nous connaissions l'autorité légale. Nous savons que cela a été remis entre les mains du Parlement, par des personnes dûment élues et responsables envers les Canadiens et par les sénateurs qui sont dûment nommés au Sénat du Canada?

La Cour suprême a dit: «Vous ne devriez pas agir de la sorte. Vous n'avez pas d'autorité en vertu de la common law et nous voulons que vous, le Parlement, décidiez de quelle autorité devrait être conférée pour permettre ces opérations, ainsi que les modalités et les conditions en vertu desquelles elles devraient être réalisées.» C'est ce que nous faisons. Nous répondons à la Cour suprême en prescrivant ce régime législatif, dans la mesure où il se rattache à la justification limitée de l'application de la loi.

La Cour suprême n'a jamais suggéré que nous devrions assumer le rôle d'autoriser les opérations d'infiltration de la police. Cependant, elle a dit qu'en vertu de la règle de droit, il faut que ce soit institué comme un régime statutaire. Cela fait partie du droit public de la nation et c'est clair. Nous savons qui est responsable et nous savons à qui nous adresser pour obtenir des comptes-rendus, y compris mon collègue le solliciteur général, et les autres, en cas de problèmes ou d'abus. Par l'entremise de ce régime statutaire, nous fournissons un certain degré de certitude, de transparence et d'orientation quant aux responsables, tel que nous ne l'avons jamais vu dans notre loi auparavant et tel que nous ne l'avons jamais vu dans d'autres pays.

Le sénateur Joyal: Je pense que nous nous sommes un peu éloignés du sujet. Je n'ai pas dit que je m'oppose au principe d'adopter une loi qui autoriserait, dans certaines circonstances, les forces de la police ou un individu travaillant sous les ordres de la police de commettre ce qui est considéré comme une infraction criminelle.

Mme McLellan: Vous vous inquiétiez de la responsabilité.

Le sénateur Joyal: J'essaie d'établir quelques principes fondamentaux sur lesquels bâtir l'autorisation conférée à un agent de police de commettre le crime.

J'essaie d'empêcher le système de maintenir l'équilibre fondamental que nous avons dans notre système en ce qui concerne la règle de droit. Le respect fondamental du principe de la règle de droit est la révocation de la discrétion ou de l'absolutisme conféré à un parti dans un gouvernement. C'est une responsabilité.

Mon inquiétude est que la commission Poitras, qui a été la dernière commission à enquêter sur une force de police, à savoir, la patrouille policière du Québec, en est arrivée à la conclusion que le besoin de surveiller la police et d'avoir un contrôle civil sur la police est fondamental et un élément important de la démocratie.

Un des commissaires clés de la commission Poitras a conclu l'été dernier que le projet de loi, tel qu'il était rédigé, ne prescrivait pas une surveillance suffisante de l'autorisation que vous accordez à la police.

Nous avons un rapport qui conclut clairement que la police a besoin d'une surveillance rigoureuse par les autorités civiles afin de maintenir l'équilibre que nous devrions avoir dans une société civile. Nous avons un des commissaires clés de ce rapport qui déclare que le contenu du projet de loi C-24, en matière de surveillance de l'autorisation de la police, est insuffisant.

M. MacAulay: Les opinions à ce sujet peuvent varier.

Le sénateur Joyal: Bien sûr. Cependant, quelqu'un qui a rédigé un rapport d'enquête sur les activités de la police sur une longue période et qui a étudié le projet de loi et qui a étudié le statut de la police au Québec, en a conclu que ces parties ne sont pas suffisamment fortes pour contrôler la police. J'ai d'obtenir les opinions de ces personnes qui semblaient impliquées dans l'examen de ces problèmes d'un point de vue professionnel.

Un système a été envisagé dans la Police Act de Grande- Bretagne, comme vous l'avez mentionné, sans les nommer, dans d'autres juridictions. Il y a un code de conduite dans lequel la police userait de ce type d'utilisation spéciale et exotique. Je comprends qu'il y ait des éléments du paragraphe 25 qui stipulent certains de ces aspects. Nous ne créons pas un système comme celui que le ministre a proposé avec la loi sur les drogues qui permettent de commettre certains crimes dans le cadre d'une enquête. Nous accordons à la police des pouvoirs extraordinaires au-delà des frontières, non seulement à la GRC, mais également aux forces de police provinciales, de ne pas respecter le Code criminel et d'autres lois fédérales. Lorsque cela sera mis en place, nous devons être certains que le contrôle existe quelque part.

Vous mentionnez que le contrôle est la responsabilité du Parlement. Laissez-moi vous donner un exemple. Le SCRS est un organisme qui dirige certaines activités importantes en matière de collecte de renseignements et de sécurité. Le SCRS dépose un rapport auprès du Parlement. Un organisme externe au SCRS s'assure que lorsque le travail est effectué, ce qui est nécessaire dans une démocratie, il y a possibilité de surveiller ses activités. Lorsque nous recevons les rapports, nous savons qu'il ne s'agit pas d'un organisme qui s'autodiscipline. Il y a une autorité externe qui le surveille et s'assure que tout est fait adéquatement en vertu de la règle de droit.

Nous en revenons toujours au même principe. Lorsque les rapports arrivent au Parlement, ils peuvent être évalués.

Le commentaire des commissaires qui ont enquêté sur la police et ses méfaits est le même que celui de la commission Macdonald voici 20 ans. Certains parmi nous s'en souviennent très bien; nous étions au Parlement à cette époque. J'essaie de comprendre, non comment accorder ces pouvoirs à la police, mais comment maintenir le contrôle de la règle de droit interne au système. C'est essentiellement le problème que j'essaie de résoudre.

M. MacAulay: L'agent est nommé non par le commissaire, mais par le solliciteur général, ou la personne responsable au niveau de la province, telle que le procureur général.

Leur conduite doit répondre à l'objet de l'enquête. Nous avons la Commission des plaintes du public. Je crois que vous avez fait référence au CSARS, qui rend des comptes sur le SCRS. Nous avons la Commission des plaintes du public, qui a l'autorité d'évaluer la GRC.

Lorsqu'ils font une enquête, la preuve est collectée et est présentée à un juge qui évalue la situation. Il existe un certain nombre de rapports. Moi-même ou le solliciteur général à ce moment-là, devons rédiger un rapport public annuel.

M. Kennedy: Le régime envisage la possibilité que des choses se produisent, telles que la référence à la destruction de biens. La personne dont le bien est détruit doit être notifiée à la fin de l'enquête.

Si un haut fonctionnaire nomme quelqu'un en cas d'urgence, ils doivent rédiger le rapport. En cas d'utilisation d'un pouvoir en situation d'urgence, un rapport doit être rédigé et envoyé au solliciteur général.

Je sais que vous avez parlé de l'enquête Poitras. Il traitait de ce qui est connu sous le nom de «testa-lying» (faux témoignage). Quelqu'un supplée à une affaire en utilisant des documents falsifiés. C'est le genre de conduite qui n'est pas permise parce qu'elle entrave la justice.

La technique utilisée par la police dans ce cas serait de présenter une enquête. Cela résulte dans le dépôt d'une accusation criminelle, signifiant que toute l'histoire sera dévoilée devant le juge pendant le procès. En cas d'excès ou d'abus par la police dans l'exercice de son pouvoir, un juge le verra. Un procureur de la défense sera présent et attaquera agressivement la police, en raison de la conduite de celle-ci dans le cadre de l'enquête. Elle doit être raisonnable et proportionnelle.

En qualité de procureur général depuis des années, je ne pense pas que nous aurons la tache facile. Ils diront que nous sommes allés trop loin, parce qu'ils espéreront que la conduite est suffisamment excessive pour être cassée.

Par conséquent, de par la nature de l'objectif pour lequel la technique est utilisée, il y a la surveillance judiciaire, en plus des surveillances que nous avons, dont la commission, les rapports annuels, la discipline interne que la force aurait ainsi que toute autre action. Un individu lésé peut mettre une affaire civile en état ou présenter une accusation criminelle.

Lorsque vous observez, vous êtes entouré de points de responsabilité qui assureront que ces personnes agissent adéquatement. L'agent est confronté à des risques s'il agit en violation de la portée du projet de loi, parce que l'agent est assujetti à une action et des accusations criminelles.

Le sénateur Moore: Ils casseront l'affaire.

M. Kennedy: L'affaire sera perdue.

Mme McLellan: Évidemment, sénateur Joyal, vous avez examiné ces dispositions attentivement. Nous avons une note qui pourrait stipuler les grandes lignes pour le sénateur Joyal, et pour les autres membres du comité qui n'ont peut-être pas examiné ces dispositions sur la responsabilité aussi attentivement.

Comme M. Kennedy l'a fait remarquer, elles sont assez importantes, à commencer par la formation des agents de police, en allant jusqu'à l'exclusion d'une preuve, la poursuite criminelle des agents de la paix, les procédures disciplinaires, les réparations civiles contre eux et pour finir la responsabilité politique, et toutes les mesures intermédiaires qui impliquent la nomination de hauts fonctionnaires et du solliciteur général. Nous pouvons le stipuler sous forme de liste de contrôle, afin que vous puissiez tout voir à un seul endroit.

En fin de journée, il s'agit d'un système de responsabilité assez complet, une qui s'adresse à notre engagement envers la règle de droit et l'engagement de la police envers la règle de droit, son désir de s'assurer que les opérations qu'elle réalise sous infiltration, qui sont tellement indispensables, trouvent en effet une base législative et qu'il existe un régime de responsabilité. Comme M. Kennedy l'a dit, du moins de manière implicite, cela ne sert l'intérêt de personne, et particulièrement pas celui de la police, de découvrir qu'un acte a été commis de manière criminelle en violation de notre nouveau régime statutaire proposé. La police sera la plus touchée.

À propos, Louise Viau sera présente. Vous entendrez directement Mme Viau exprimer ses opinions sur la législation proposée.

Le sénateur Joyal: Le Barreau canadien et le Barreau du Québec ont exprimé des avis semblables lorsqu'ils ont témoigné devant le comité de la Chambre des communes. J'ai examiné les mémoires de divers témoins qui ont comparu devant le comité de la Chambre des communes. Il semble que ce soit un élément principal de toute la philosophie du projet de loi.

Nous recevrons indubitablement des renseignements additionnels de vos bureaux et des conseillers ministériels et nous les examinerons minutieusement. Cependant, il me semble que c'est la disposition clé de ce projet de loi, étant donné qu'il a été annoncé comme le projet de loi antimotards, mais il comprend l'ensemble des activités dans lesquelles la police est impliquée de nos jours et est très complet en termes de pouvoirs conférés à la police.

Je pense qu'en raison de l'importance des activités comprises dans le projet de loi, nous devons faire très attention à ce que nous faisons.

Mme McLellan: Je ne dis pas le contraire. L'ABC et le Barreau du Québec seront présents demain matin et tout le monde respecte leurs opinions. Toutefois, tel que le solliciteur général l'a dit, ils sont uniquement un groupe de personnes qui exprime une opinion. Vous entendrez la police, les personnes qui mettent leur vie en danger tous les jours pour protéger les Canadiens. Vous entendrez leurs points de vue. J'espère que ce point de vue sera traité avec tout le respect qui se doit car ce sont les personnes qui s'assurent que notre pays et nos institutions démocratiques ne sont pas minés par les terroristes ou le crime organisé.

[Français]

Le sénateur Rivest: On sait par expérience que le contrôle judiciaire d'une action illicite d'un corps policier n'est pas tellement efficace. On a qu'à se rappeler les conclusions de la Commission d'enquête Keable, au Québec. À ce que je sache, peu d'agents de la GRC ont été sanctionnés par le régime judiciaire, sauf un ou deux, pour avoir commis des actes illicites. Il faut être très prudent.

Madame la ministre de la Justice pourrait corriger l'impression qu'elle a donnée sur les opinions émises par les Barreaux du Canada et du Québec. Ce ne sont pas des opinions parmi d'autres. Ce sont des opinions extrêmement sérieuses. On doit en tenir compte. La ministre en tiendra compte au mérite. Elle sait que ces organismes sont hautement représentatifs lorsqu'il s'agit des droits et des libertés de notre société.

[Traduction]

Permettez-moi de parler des victimes un instant.

[Français]

La saisie des biens s'avère une mesure très efficace de lutte contre le crime organisé. Est-ce que les sommes saisies vont au fonds consolidé du gouvernement canadien ou du gouvernement de la province selon que la Sûreté du Québec ou la GRC a procédé à la saisie? Qu'est-ce qui arrive dans une opération conjointe? Est-ce proportionnel?

[Traduction]

Concluez-vous une entente?

M. MacAulay: Oui, il y a une entente. Il y a toujours quelques problèmes avec l'entente. Elle est divisée entre la province et Ottawa. Lorsque vous vous rendez dans les régions municipales à travers le pays, comme la Colombie-Britannique et certaines autres régions, le problème le plus important était que la province ne communiquait absolument pas avec les municipalités. Il est erroné de dire qu'il n'y a pas certaines inquiétudes quant à la manière dont le partage est traité; mais, oui, elle communique proportionnellement à l'implication dans l'enquête.

[Français]

Le sénateur Rivest: Vous savez qu'au Québec et probablement dans d'autres régions, des gens ont suggéré au ministre de la Justice ou au solliciteur général qu'une partie de ces fonds acquis par des activités criminelles servent au régime d'indemnisation des victimes des organisations criminelles dont il est question dans ce projet de loi. Nous savons que les lois provinciales - entre autres, au Québec, la Loi d'indemnisation des victimes d'actes criminels - sont inadaptées à ce genre de situation. Au ministère de la Justice ou à celui du solliciteur général, au gouvernement fédéral, y a-t-il une préoccupation à cet égard? Est-ce que des discussions ont été entreprises avec les gouvernements provinciaux pour déterminer proportionnellement, au fédéral et au provincial, les fonds acquis par l'État des activités criminelles de façon à ce que les victimes et leur entourage puissent obtenir l'assistance de l'État? Ce n'est pas simplement la personne qui est blessée, il y a des victimes psychologiques. Elles ont été victimes d'actes criminels provenant d'un groupe identifié au Code criminel par notre législation?

[Traduction]

Mme McLellan: Vous soulevez un bon point, sénateur. Lorsque j'ai rencontré certaines organisations de la police, elles ont fait ressortir, qu'en matière de partage concernant les poursuites criminelles, elles aimeraient voir certaines de ces poursuites replacer directement dans des efforts d'application de la loi améliorés. Cependant, tel que le solliciteur général l'a expliqué dans les grandes lignes, les ententes de partage se concluent entre les gouvernements et entre le gouvernement fédéral et un gouvernement provincial. Ce que la province choisit de faire avec ces ressources provenant des poursuites criminelles est laissé à sa propre discrétion proportionnellement à la part qu'elle a reçue. Cela varie.

Il ne nous incombe pas de décider de la manière dont les dollars sont utilisés. Toutefois, je vous assure que tant la police que les organisations des victimes dans les provinces ont établi le bien-fondé de récupérer ou d'utiliser dans une certaine mesure les fonds fournis à la province en vertu des présentes ententes de partage. Une fois que la province reçoit les fonds, il lui incombe de décider comment les fonds seront utilisés dans la province.

En vertu du Code criminel, nous disposons d'une procédure nommée «suramende compensatoire». Dans la plupart des cas, un tribunal doit imposer une suramende compensatoire au condamné en plus de toute autre peine. Cette suramende compensatoire est versée aux programmes de victimes. Elle n'est pas versée au gouvernement fédéral. Il s'agit d'une entente conclue il y a des années avec les provinces.

Lorsqu'une suramende compensatoire est imposée et qu'une suramende compensatoire serait indubitablement imposée au condamné d'une infraction de crime organisé, ces suramendes compensatoires contribuent au financement des services d'aide aux victimes dans chaque province du pays.

La présidente: Merci d'être venus, messieurs les ministres.

Honorables sénateurs, nous avons devant nous M. Auger et M. Nicaso.

Monsieur Auger, veuillez commencer.

[Français]

M. Michel Auger, journaliste, spécialiste des affaires judiciaires et criminelles au Journal de Montréal: Madame la présidente, mon message est clair. Je pense qu'on a déjà trop attendu pour adopter une législation telle que le projet de loi C-24. De plus, cette législation ne va pas assez loin pour combattre efficacement le crime organisé au Canada. Cependant, une loi même imparfaite vaut beaucoup mieux que celle qui existe actuellement dans le Code criminel.

Je vais vous donner un exemple de l'inefficacité de la loi. Au Québec, au début du printemps dernier, on a mis sur pied une opération gigantesque qu'on a appelé l'Opération printemps 2001: 150 individus, trafiquants de drogue et leaders du groupe des Hells Angels, ont été arrêtés, pourtant, le lendemain, pas un consommateur de drogue au Québec n'a manqué sa livraison.

Il serait à peu près impossible de refaire une autre enquête de ce genre. On a arrêté 42 personne pour 13 meurtres. Le problème du crime organisé est pire au Québec qu'au Canada. C'est malheureusement la raison pour laquelle le Québec compte beaucoup de victimes. Le dossier, parce il est circonscrit au Québec, ne progresse pas assez vite sur le plan politique. Il n'y a pas de victimes des Hells Angels ailleurs au Canada, seulement au Québec, et la majorité des crimes surviennent dans les grands centres urbains comme Montréal et Québec. Sur une période de cinq ans, 160 personnes ont été assassinées, victimes d'une guerre de pouvoir entre individus qui cherchent à s'accaparer des millions de profits illégaux.

En plus de cette liste de victimes, 20 personnes innocentes ont été blessées ou assassinées dans cette guerre. Je suis une de ces victimes innocentes. Une dame qui travaillait dans un restaurant a été prise en otage, servant de bouclier à un individu relié au Hells Angels qui tentait se protéger de ses agresseurs. Il s'agissait d'un prêteur usurier. La police, lorsqu'elle l'a arrêté un peu plus tard, a saisi dans ses effets personnels 5 millions de dollars de profits du crime. Ici, le cas a pu être établi.

Les profits des criminels, lors de l'Opération du printemps 2001 ne concernaient pas que l'ensemble des Hells Angels. Les Hells Angels ne constituent même pas la plus grande organisation criminelle à l'oeuvre au Québec et au Canada. Pourtant, pour eux seulement, nous parlons d'un chiffre d'affaires annuel d'un milliard de dollars. La police a saisi environ 10 millions de dollars. Les policier les ont suivis et ont compté l'argent à tous les jours. Notre système judiciaire est 30 ou 40 ans en arrière par rapport à celui des États-Unis. Les criminels canadiens évitent comme la peste les États-Unis. Au Canada, par contre, ils partagent la vision d'un premier ministre qui disait que le Canada était le plus beau pays au monde.

Dans le projet de loi C-24, ce sont les tribunaux qui ont limité les pouvoirs des policiers de faire des infiltrations dans le crime organisé. Il n'y a qu'au Canada qu'on voie une organisation criminelle rechercher tous les profits. Un criminel n'est pas là que pour faire du trafic de drogue, des vols ou du recel, c'est un individu qui regarde toutes les options. Il n'y a pas de petits profits pour un criminel.

Nos tribunaux, dans l'arrêt Campbell et Shirose, ont limité le pouvoir de la police. Un agent secret qui infiltre un réseau criminel n'a que le droit d'acheter de la drogue. Si on lui offre un véhicule volé, il n'a pas le droit de l'acheter, ni un carton de cigarettes de contrebande. C'est donc absolument impensable de croire que les policiers puissent infiltrer des réseaux criminels à cause de l'interprétation trop restrictive que nous donnent nos tribunaux.

Je pense que les droits individuels sont très bien protégés, mais que malheureusement les droits collectifs ne le sont pas.

[Traduction]

M. Antonio Nicaso, journaliste, auteur: Je réalise que nous avons peu de temps et que vous avez beaucoup de conseils auxquels vous devez réfléchir. J'aimerais vous offrir quelques points de vue rapides sur le crime organisé au Canada.

Nous sommes un microcosme, une sorte de laboratoire, où le monde interlope interagit, coopère, mélange des fonds, partage le fardeau des opérations criminelles et s'offre mutuellement une infrastructure. Le crime organisé opère partout au Canada. Certains groupes ont leurs querelles de clocher, bien qu'aucun n'ait un monopole géographique. Certains groupes ont leurs spécialités, mais aucun n'a entièrement monopolisé un marché. Le crime organisé émane de tous les segments de la société où il est possible de réaliser un profit, du monde interlope de la drogue aux marchés boursiers. Il n'y a pas de limites à l'exception des limites de ce qui peut s'imposer avec succès et par la force.

Le Service canadien du renseignement de sécurité estime qu'au moins 18 groupes opèrent au Canada et que ceux-ci n'autorisent pas de nouveaux groupes qui rompent les liens avec les cellules mères et forment leurs propres opérations. Les groupes de crimes organisés ne sont pas spécifiques aux ethnies, bien qu'il y ait des mafias aux racines ethniques particulières d'Europe de l'Est, d'Asie, d'Europe et d'Amérique du Sud. Il y a également des mafias commerciales, des cartels d'employés qui manipulent les marchés boursiers, blanchissent des fonds et monopolisent des segments de l'industrie.

Le crime organisé alimente tous les besoins de la société qui sont prohibés, assujettis à un impôt excessif ou à une réglementation excessive. Bon nombre d'entre eux sont nommés les crimes sans victime ou les opérations sans violence. Je pense ici à la toxicomanie et au trafic illicite d'immigrants et la contrebande de cigarettes et d'alcool. Toutefois, le fondement de ces opérations et d'autres est le règlement de comptes par la violence. Tel que le gouvernement et le commerce légitime, le crime organisé agit en qualité de fournisseur et de protecteur.

À cette époque où d'importants problèmes relatifs au terrorisme sont confrontés par le gouvernement du Canada et les gouvernements du monde entier, nous devons être vigilants afin que d'autres problèmes graves ne soient pas négligés.

L'inlassable campagne d'activités criminelles au Canada a été soumise à de graves sous-estimations pendant des années. À cause du manque d'attention, du manque de financement, du manque de volonté politique ou de la sursensibilisation des groupes ethniques et, à certaines époques, les quatre ensembles, les organisations criminelles ont eu la possibilité d'acquérir un pouvoir incroyable dans ce pays.

Les groupes criminels, allant des petites organisations qui s'attaquent aux collectivités ethniques aux cartels réellement transnationaux qui gèrent de vastes réseaux, trouvent au Canada un endroit attrayant pour transiger. Le Canada est perçu de trois manières par les milieux du crime organisé. Il est perçu comme un havre, un pays de transit et un pays source pour la fabrication, la production et les matériaux d'amélioration de la drogue.

En tant que havre, il suffit de lire les rapports des médias de temps à autre pour découvrir la présence de criminels recherchés provenant de l'ancienne Union soviétique, de la Sicile et d'autres parties de l'Italie, de la Chine et des Caraïbes. Tout en pénétrant assez facilement au Canada, rester ici et bénéficier de la protection de la Charte canadienne des droits et libertés est encore plus facile. À partir du Canada, ces criminels mondiaux peuvent amasser d'énormes fortunes sur le marché américain tout en restant sous la protection des lois canadiennes. Nous devons nous demander pourquoi ils se sentent en sécurité lorsqu'ils se rendent dans notre pays.

En tant que pays de transit, il suffit d'observer les cartels qui importent leurs produits, que ce soit des migrants clandestins ou des stupéfiants aux États-Unis en passant par le Canada. Un exemple et le Caruana-Cuntrera, un groupe de la mafia sicilienne, un des principaux groupes mondiaux de crimes organisés. Ils trouvent qu'il est plus facile d'expédier de la cocaïne d'Amérique du Sud en l'acheminant d'abord par bateau au Canada et ensuite vers le marché des États-Unis. Nous devons nous demander pourquoi le crime organisé craint les lois et les frontières américaines et pas les nôtres.

En tant que pays source, il suffit d'examiner le nombre énorme et grandissant d'opérations de marijuana en Colombie- Britannique, une industrie qui fabrique un produit qui concurrence la qualité du produit du Mexique et la relative facilité d'obtenir les produits chimiques précurseurs nécessaires pour la production de méthamphétamine et la méthylènedioxyamphétamine a créé une industrie artisanale qui amasse des profits importants pour le crime organisé. Nous devons nous demander pourquoi le Canada s'est transformé en Mexique du Nord et est devenu le système de soutien pharmaceutique des mafias.

À la suite des événements du 11 septembre, l'action peut-être la plus réussie contre le crime organisé sera mise en place, comme il semble que ce soit la manière de faire canadienne, soit par accident. La mesure de répression contre le terrorisme résultera dans une réussite de l'action contre les criminels transnationaux et ce succès pourra seulement porter le nom d'accident honteux. L'impact des mesures antiterroristes a effectivement bloqué de nombreuses opérations criminelles sur place. D'énormes envois de drogues s'empilent en Asie et en Amérique du Sud car les contrôles douaniers se resserrent et des quantités massives de profits provenant de la drogue sont immobilisées au Canada. Sans réparation des profits de la drogue, les expéditions futures sont immobilisées. Le crime organisé souffre temporairement de dégâts subsidiaires. Tout cela est très bon parce qu'à l'heure actuelle, aucune opération importante de la police n'est organisée contre le crime organisé. Les enquêteurs et les ressources ont été réorientés vers la lutte contre le terrorisme.

Il est intéressant de noter qu'avec tous les efforts réalisés pour lutter contre le terrorisme, le terrorisme n'a en lui-même n'a ôté aucune vie au Canada. Le crime organisé, par contre, a tué plus de 150 personnes rien qu'au Québec. Ce n'est pas une forme de terrorisme, lorsque les enfants ne peuvent pas joueur dans la rue, que les femmes ne peuvent pas travailler en toute sécurité, que les hommes d'affaires qui résistent au crime organisé sont battus à mort? Peut-être que la volonté et le moral politique qui se sont en quelque sorte manifestés pour lutter contre les Oussama ben Laden du monde se focaliseront sur les caïds interlopes qui ont élu domicile au Canada.

Ce projet de loi qui vous est présenté n'est pas tout pour tout le monde. Les défenseurs des libertés civiles trouveront indubitablement des failles à explorer, des problèmes à examiner et de l'eau à ajouter au vin. C'est leur travail et nos défenseurs des libertés civiles au Canada sont connus dans le monde entier pour leur efficacité.

Les agences d'application de la loi suggéreront peut-être que le projet de loi n'est pas suffisamment fort, qu'ils ont besoin de plus de muscles, plus de pouvoirs et plus de fonds. Ils suggéreront peut-être, et je suis entièrement d'accord avec eux, qu'une politique intégrée sur le crime organisé, allant de la correction à l'immigration, au système judiciaire et aux impôts est nécessaire.

N'oubliez pas que nous vivons une époque extraordinaire. À ce moment et en ce lieu, nous avons le début d'une compréhension nationale de la portée du crime organisé et nous employons les bonnes personnes avec les compétences adéquates pour réaliser le travail. Tout ce dont nous avons besoin est un financement adéquat, des lois adéquates et une volonté politique adéquate. Il y a eu bien d'autres incidents de meurtres d'interlope que de cas d'abus en matière d'application de la loi.

Le présent projet de loi contient des éléments puissants pour être proactif, plutôt que de réagir. Il peut se passer de la triste image de la lutte contre le crime organisé d'une manière qui entraîne l'image de pompiers courant d'un incendie à un autre, arrosant les points menaçants, puis s'en rendant au prochain lieu d'incendie, uniquement pour que les flammes surgissent derrière eux.

Ce projet de loi peut rehausser toutes les autres stratégies canadiennes, notamment la loi sur le blanchiment d'argent et le projet de loi contre les groupes. Le moment est venu de poser une autre pièce du puzzle de la législation qui renforcera et complétera une stratégie nationale contre le crime organisé.

Je ne vous envie pas dans vos efforts pour équilibrer le large éventail des besoins et des demandes qui vous sont imposées. Toutefois, je crois que cela peut être réalisé et doit être fait.

Comme vous pouvez le remarquer par mon accent, je suis originaire d'un pays qui a énormément souffert pendant tout un siècle de suffisance envers le crime organisé et a souffert de ses interminables corruptions. Souvenez-vous que c'est uniquement lorsque la mafia d'Italie s'est attaquée directement aux États-Unis, assassinant des juges, des journalistes, des agents de la police et des femmes et des enfants et a bombardé les centres culturels de l'Italie que les lois sont intervenues pour protéger le pays.

C'est la peur de la mafia des États-Unis qui les a poussés aux excès. Nous devrions examiner attentivement les raisons. Au Canada, nous avons peur du crime organisé, mais le crime organisé n'a pas peur de nous.

[Français]

Le sénateur Beaudoin: Monsieur Auger, vous dites qu'il est mieux d'avoir cette législation devant nous que de ne pas en avoir. Vous dites également que les Américains ont une longueur d'avance sur nous sur ce plan. Est-ce que vous pourriez nous dire de quelle façon ils procèdent?

M. Auger: Je dirais que le «Rico statute», qui est à peu près l'équivalent des dispositions du projet de loi C-24 dans le Code criminel, fait qu'aux États-Unis, ce sont les organisations criminelles qui sont visées.

Au Québec en particulier, il y a eu récemment un procès spectaculaire où Maurice Boucher était accusé du meurtre d'un gardien de prison. Dans ses arguments, l'avocat de la défense a dit: «Mon client est peut-être un grand chef criminel, mais comment un chef criminel peut s'acoquiner à un individu si minable que le délateur?» Pour miner la crédibilité d'un témoin, l'avocat de la défense utilisait le fait que l'individu était un membre et un chef d'une organisation criminelle. À ma connaissance, ce n'est pas courant dans les tribunaux d'un pays d'utiliser des arguments semblables pour faire acquitter un individu.

Si on avait été aux États-Unis, Maurice Boucher n'aurait pas été accusé du meurtre. Il aurait été accusé d'avoir dirigé une organisation criminelle qui, elle, a commis des meurtres, fait le trafic de la drogue et tout cela. Pourquoi? Parce que la preuve d'une organisation criminelle est plus facile à faire que de déterminer qui a commandé exactement tel geste. Le procureur des États-Unis a l'obligation de démontrer que l'organisation a commis le crime, qu'il y a des individus qui suivent les ordres et qu'il y en a d'autres qui en donnent.

Au Canada, il est beaucoup plus complexe d'accuser quelqu'un d'un crime très spécifique. Dans mon cas, les policiers ont identifié l'individu qui était le tireur. Ils en sont sûrs à 100 p. 100. Cependant, ils n'ont pas eu assez d'éléments de preuve pour obtenir un mandat d'écoute. Ils l'ont surveillé. Par toutes sortes de moyens techniques, ADN et tout cela, ils ont identifié jusqu'à 15 personnes qui ont participé au crime. Chaque individu a fait sa part. Un a fabriqué l'arme, l'autre l'a transmise, un autre est allé chercher des renseignements dans les dossiers confidentiels du gouvernement et ainsi de suite. Il y en a d'autres qui faisaient de la surveillance quelques jours avant le crime autour des bureaux du Journal de Montréal. Chaque personne a son rôle à jouer et toutes les personnes sont interchangeables. C'est une organisation. C'est ce qui est la difficulté aujourd'hui.

La réalité du crime organisé chez nous, c'est que notre système judiciaire est fait pour traiter des individus et non pour faire face à des organisations criminelles qui sont devenues de plus en plus puissantes. Cette réalité, c'est les 170 victimes de meurtre au Québec pour un contrôle de trafic de drogue.

Personnellement, j'ai reçu six balles dans le dos. Si un projet de loi comme C-24 avait été en vigueur, je n'aurais pas été une victime. Les criminels viennent de réaliser l'importance de ce projet de loi. La loi n'est même pas encore en vigueur, mais les Hells Angels ont fermé leur bunker, ils ont arrêté de se promener avec leurs couleurs, ils ont arrêté les parades et les démonstrations de force.

Il y a un jeune garçon qui a été tué il y a trois semaines à Montréal. Il attendait en ligne. Il y avait un membre de l'organisation des Hells Angels qui célébrait son admission dans le groupe. Il a tout simplement utilisé une arme à feu - c'est l'accusation qui est devant le tribunal - pour l'éliminer parce qu'il voulait montrer sa puissance. Ce sont les gangs criminelles d'aujourd'hui. On utilise tous les moyens - surtout les moyens illégaux - pour arriver à ses fins qui finalement, sont les profits.

À mon avis, les législations n'ont pas suivi les réalités du crime organisé au Canada.

[Traduction]

M. Nicaso: J'ai une certaine expérience personnelle du statut RICO. J'ai quitté l'Italie après un attentat à la voiture piégée contre ma vie. Après la première publication du code régionale de la Mafia, j'ai déménagé aux États-Unis J'ai eux l'occasion de faire affaire avec des personnes comme le maire Giuliani, des personnes libres qui avaient réalisé beaucoup d'efforts pour lutter contre le crime organisé. J'ai parlé avec eux à de nombreuses reprises. Il était très satisfait par le statut RICO. Pour lutter contre le crime organisé, un agent de police a besoin d'une loi très complète.

À titre d'exemple, en Europe, ils ont récemment adopté une charte de droits qui définit l'association de manière très particulière. Ils disent qu'ils autorisent l'association uniquement à des fins politiques, culturelles et récréatives, mais pas criminelles. Cela leur permettrait d'incriminer l'adhésion.

Aux États-Unis, ils utilisent RICO pour lutter contre les entreprises criminelles parce que la seule manière de lutter contre le crime organisé est de vider leurs poches. Malheureusement, quand je dis que le Canada est un endroit facile, il y a une raison pour cela. Nous devons considérer qu'avant 1989, nous n'avions pas de loi sur le blanchiment d'argent. Il était plus difficile d'importer du fromage dans ce pays qu'un bagage rempli d'argent sale.

À cette époque, de nombreuses organisations criminelles se sont installées au Canada. C'est la raison pour laquelle le Canada est toujours un endroit facile pour investir des fonds. Nous ne devrions pas sous-estimer le fait que nous permettons aux résidents permanents d'investir 300 000 $ dans ce pays. Au Québec, nous avons récemment eu une affaire impliquant la femme d'un criminel recherché en Italie. Elle a investi 300 000 $ au Canada. Personne ne lui a demandé d'où venait l'argent.

En 1994, tous les dirigeants du monde entier ont signé une convention au sommet des Nations Unies à Naples. Ils ont défini pour la première fois le crime organisé. C'était une définition exacte du crime organisé.

Dans le projet de loi C-95, il y a une définition du crime organisé qui n'existe pas. Je dis cela pour une raison simple. C'est parce qu'elle fait référence à cinq personnes ou plus et au crime organisé formel ou informel. La caractéristique du crime organisé est la formalité de sa structure. C'est le fait qu'il a une structure hiérarchique. L'approche du projet de loi C-24 est meilleure.

Il est important de créer une stratégie nationale et de traiter le crime organisé de manière différente. Au Canada, le risque de poursuite et de détention est encore beaucoup plus faible que dans d'autres pays, par exemple, en Europe et aux États-Unis. Aux États-Unis, ils ont des peines d'emprisonnement obligatoires. Ici, nous avons un Club Med en guise de pénitencier. Nous ne considérons pas les trafiquants de drogues comme des délinquants dangereux. C'est une mentalité qu'il faudrait changer. Nous devrions penser au crime organisé au sens large. Les agents de police ont besoin d'une loi qui traite exclusivement de la définition de crime organisé. Ils ont besoin de faire autre chose pour s'attaquer au crime organisé de manières différentes.

[Français]

Le sénateur Rivest: La difficulté de prouver un acte criminel est probablement ce qui motive le gouvernement ou les autorités à donner à la police des pouvoirs additionnels qui risquent de les amener à commettre des actes illicites. L'adoption d'une loi, une loi antigang pour ainsi dire, rendrait illégale toute l'organisation. Croyez-vous qu'il serait aussi nécessaire de donner à la police l'autorisation de s'engager à commettre certains actes contraires à la loi, si, effectivement, n'ayant pas à prouver la commission ou la commande d'un meurtre - dans l'exemple que vous avez donné - on s'attaquerait directement aux organisations comme telles?

M. Auger: J'ai un problème avec la définition donnée qui fait que la police doit commettre des crimes. J'ai quelques notions de droit, c'est assez vague, mais la notion de droit est que pour qu'un crime soit commis, il faut qu'il y ait intention criminelle. Le policier qui se fait passer pour Jos Tremblay, trafiquant de drogue, ne commet pas de crime lorsqu'il achète un kilo de cocaïne. Pourquoi dirait-on qu'il commet un crime lorsqu'il achète une voiture volée? J'ai de la difficulté à dire que la police commet un crime lorsqu'elle infiltre une organisation criminelle. Les organisations ont compris rapidement comment fonctionnait le système judiciaire. Ils ont les moyens qu'il faut pour obtenir les meilleurs conseillers juridiques, les meilleurs comptables, les meilleurs spécialistes et ils sont très forts sur le plan de l'intelligence criminelle. Ils savent très bien comment fonctionner. Dans certains cas, on a vu des chefs de gangs donner des commandements à l'oreille d'un individu qui les transmet lui-même à d'autres. Même s'il y a des systèmes d'écoute et de surveillance sophistiqués, tout ce qu'on voit, c'est quelqu'un chuchoter à l'oreille de l'autre. Pour infiltrer et comprendre les organisations, et obtenir des preuves, une des techniques utilisées a été les délateurs après coup. On a dit devant les tribunaux que ces délateurs n'avaient pas de crédibilité. Les avocats de la défense essayaient de démolir la réputation de ces gens pour finalement obtenir un autre point de vue. Dans le cas d'une organisation criminelle structurée, un des outils efficaces que la police a utilisé a été d'infiltrer l'organisation parce que les méthodes de surveillance comme l'utilisation d'Internet pour les communications, les méthodes de secret et les transmissions multiples ne donnaient rien. Le seul moyen de prouver les activités du groupe, c'est par un individu qui, après des mois, va obtenir la confiance de certains membres et va exécuter certains gestes qui, s'ils sont posés pour son profit, sont des gestes illégaux, mais s'ils sont fait dans le cadre d'une intervention policière, ils sont tout à fait acceptables dans une société.

Qu'un criminel empile des caisses de produits de contrebande et que des voitures volées soient entreposées chez lui, la société peut facilement tolérer ce genre de recel légal pendant quelques mois, le temps que dure l'opération, parce que c'est toujours pour une durée limitée. Les policiers ne peuvent pas faire une opération d'infiltration qui va durer des années dans ce cas. C'est absolument impensable. Les policiers ne peuvent pas poser des gestes de violence contre les individus. Il y a déjà 37 ans que je suis journaliste, et j'ai vu occasionnellement dans ma jeunesse des opérations d'infiltration faites par des Américains où cela était totalement permis.

Ici, nos policiers n'avaient pas les moyens de le faire. Ils ont fait des opérations d'infiltration à l'époque de la prohibition. Avec le temps, ce sont les tribunaux qui ont restreint les pouvoirs de la police. Ils ont rendu cela tellement compliqué qu'il faut revoir nos législations aujourd'hui, trente ans plus tard. Il faut que la société utilise des moyens efficaces pour faire face aux activités des groupes criminels.

[Traduction]

M. Nicaso: J'aimerais vous rappeler que les organisations criminelles sont des sociétés secrètes. Il est très difficile de les démanteler. Je me suis récemment élevé contre les propos du Solliciteur général au congrès annuel des chefs de police à Saskatoon lorsqu'il a dit que nous étions en train de gagner la bataille contre le crime organisé. Je ne crois pas que nous pouvons gagner la bataille contre le crime organisé. Nous pouvons contrôler le crime organisé.

Cela dit, la seule façon de démanteler dans une certaine mesure certains groupes est de les infiltrer. Afin de les infiltrer, les agents de police et les agents d'infiltration doivent gagner leur confiance. Afin de gagner leur confiance, ils doivent commettre un crime quelconque. Je crois que le projet de loi C-24 constitue une loi équitable parce qu'il confère l'immunité aux policiers sauf en ce qui a trait aux meurtres, aux agressions sexuelles et aux outrages au tribunal. Ce n'est pas un projet de loi que le ministère de la Justice a élaboré à partir de rien. C'est un projet de loi qui tient compte des expériences nord-américaines et européennes. On a recours à ce type d'opération d'infiltration en Europe, et particulièrement en Italie, en Allemagne et en France, surtout lorsqu'il est question de trafic de drogue.

C'est pourquoi je crois que le projet de loi C-24 est équitable. Ma seule suggestion est que la Cour suprême devrait superviser le processus d'une certaine façon comme, par exemple, les tribunaux italiens le font avec une loi semblable et ce qui se fait en Allemagne et en France. Nous devrions probablement étudier leurs expériences pour éviter cette inquiétude à propos des pouvoirs extraordinaires accordés aux policiers. Il ne s'agit pas de pouvoirs extraordinaires à mon avis.

Les stupéfiants constituent un problème qui touche tout le monde parce que les trafiquants de drogue sont des marchands de mort. Ils vendent la mort. Ils créent l'accoutumance. C'est ainsi que nous devrions percevoir les trafiquants de drogue. Ce sont des gens très dangereux.

[Français]

M. Auger: Probablement que certaines personnes ont mentionné le contrôle judiciaire pour dire que les opérations devraient être faites par mandat. C'est à peu près impossible d'obtenir un service efficace avec un mandat parce qu'on ne peut pas prévoir où l'opération d'infiltration mènera l'agent secret de la police. La réalité c'est le but de la police lorsqu'elle fait une opération d'infiltration, à savoir d'arrêter les gens. Lorsque les preuves sont amenées devant le tribunal, le juge peut, à ce moment, s'il a une preuve de circonstance, avant d'accepter cette preuve, examiner les méthodes policières. Dans le cas où les policiers agissent en dépassant les bornes acceptables dans notre société, la preuve est tout simplement inacceptable.

Aujourd'hui, même avec des mandats d'écoute, le juge qui entend ces causes va décider si la police avait des motifs suffisants pour obtenir le mandat. Même si la preuve est obtenue légalement, si le mandat a été fait suite à des déclarations un peu trop généreuses de la part du policier qui a signé ces déclarations, si le juge refuse d'accepter ces enregistrements en cours, même si c'est une preuve de la culpabilité d'un individu, la preuve n'est pas acceptable au tribunal. La société peut se prémunir des abus possibles de la police lorsque cette preuve est amenée en cour.

Le sénateur Joyal: Vous avez mentionné le rôle des tribunaux lorsqu'ils ont à réviser la manière dont les forces policières ont assumé leur responsabilité dans la conduite de leurs enquêtes. Vous touchez au point le plus névralgique de la loi. La majorité de mes collègues ne sont pas opposés à l'idée que, pour combattre le crime, la police, dans certaines circonstances, doive utiliser des moyens qui, en temps normal, sont contraires aux dispositions du code pénal ou de différentes lois au Canada.

Nous essayons de trouver un équilibre entre la fin recherchée, à laquelle nous souscrivons tous et le besoin de s'assurer que la police, lorsqu'elle conduit de telles opérations, le fasse avec un minimum de surveillance de façon à ce qu'il n'y ait pas d'abus.

Vous êtes journaliste depuis 37 ans, vous pouvez en témoigner encore plus longuement, on a connu des commissions d'enquête telles la commission McDonald, la commission Keable, la commission Poitras. Vous avez dû suivre ces travaux dans le cadre de vos responsabilités professionnelles. Notre préoccupation est de nous assurer que la police puisse disposer de ces pouvoirs exceptionnels, exorbitants dans certaines circonstances, et qu'elle puisse y avoir une sorte d'autorité de révision après coup dans certains cas. Parfois, comme vous dites, un agent double ne peut pas attendre pour demander l'autorisation. Il est dans le cours de l'opération. Le système devrait avoir la capacité, pour assurer les objectifs et les principes que nous aimons respecter et qui sont à la base de notre système démocratique, de faire le «monitoring» de ces opérations.

C'est important parce que cela permet à la fois de maintenir la crédibilité des forces policières et la collaboration du public. Comme vous l'avez probablement écrit à plusieurs reprises, la collaboration du public est essentielle à la dénonciation et au rassemblement des preuves utiles pour obtenir les fins que nous recherchons.

Nous sommes préoccupés par cet aspect. Je peux comprendre que dans plusieurs circonstances, on ne peut pas arrêter l'opération pour se rendre devant le juge. Ce n'est peut-être pas utile d'aller devant le juge parce que le faire pour demander une autorisation de commettre un acte criminel contient une sorte de contradiction par définition.

Il faudrait trouver un mécanisme. La commission Poitras s'est penchée là-dessus et a fait des recommandations pour voir comment on peut maintenir l'efficacité que vous recherchez et que, Dieu merci! nous essayons tous d'assurer, tout en maintenant les principes selon lesquels, comme dit la commission, qui policent la police. Il y a des cas, vous les avez rapportés dans votre journal, où on doit s'assurer que la police le fasse malgré tout avec une certaine forme d'éthique.

Les membres des groupes criminalisés n'ont pas d'éthique, ils ne recherchent que leurs fins immédiates. La police reste quand même les représentants de la loi et de l'ordre dans notre système. On doit toujours maintenir la confiance de base dans ce système. Quelle forme de réflexion faites-vous sur ce besoin que nous avons?

M. Auger: Il y a déjà beaucoup de bureaucratie pour obtenir un mandat d'écoute électronique. La société a imposé des balises. Jusqu'en 1974, les policiers faisaient tous l'écoute électronique et ils n'utilisaient pas cette preuve d'écoute électronique devant les tribunaux. Ils utilisaient les profits de l'écoute.

Depuis 1974, on a introduit dans le Code criminel la notion que cette preuve est utilisable. Un premier juge regardera la preuve, l'affidavit du policier et tout le dossier. C'est après une enquête exhaustive qui n'a pas donné de bons résultats que l'écoute électronique est un élément de dernier recours. Il faut qu'il y ait beaucoup de travail qui se fasse avant.

Dans le cas de l'écoute électronique, disons que c'est simple de dire qu'on va brancher le téléphone de M. Joyal à sa résidence, à son bureau, dans son auto, et cetera. On ne peut pas prévoir ce qui arrivera en cours de route. Les policiers doivent ajouter d'autres téléphones. C'est un processus très technique.

Dans une opération policière d'infiltration, si on demande à un policier d'infiltrer un réseau avec deux personnes, il peut se retrouver dans trois semaines avec 24 autres personnes. Il est absolument impensable de prévoir comment tout cela va se dérouler. Comment un juge pourrait-il signer un mandat d'infiltration? Qu'est-ce que cela donnerait? Le pouvoir de vérification des tribunaux peut avoir du sens dans l'utilisation de l'infiltration que lorsque les arrestations sont faites. C'est à ce moment qu'un juge indépendant des instances policières pourrait examiner toute la preuve de façon efficace. Cela pourrait se faire dans une requête préliminaire de la défense, pour aller voir la preuve policière et toutes ses méthodes.

Cela peut se faire après l'infiltration et non pas avant. Si le policier fait une infiltration de deux jours, si le mandat est disponible, si l'individu dans le cas de l'écoute électronique a accès aux documents juridiques, vous vous retrouverez avec des gens qui ont été victimes de meurtre à la suite de révélations faites devant les tribunaux. Ces informations ont été utilisées à des fins criminelles. Les organisations criminelles ont accès à tellement d'informations, même à la divulgation de la preuve, qu'ils en utilisent pour éliminer des témoins gênants. C'est le cas de certains individus en fuite qui ont posé des bombes lors d'une commission rogatoire d'un juge canadien aux États-Unis. Ils ont obtenu l'adresse et l'identité d'un informateur confidentiel des Américains. Deux jours plus tard, l'individu sautait sur une bombe. C'est l'utilisation, malheureusement qu'on en fait, d'un principe qui est juste, mais les criminels eux, s'occupent de leurs intérêts.

Le sénateur Joyal: Monsieur Auger, vous avez bien décrit la concentration des groupes criminalisés, les Hells Angels, les Bandidos et les Rock Machines. Ils opèrent de façon très large au Québec. Vous qui avez examiné le Québec depuis 37 ans, comment pouvez-vous expliquer que ces personnes ont pu prendre racine au Québec et qu'ils aient moins essaimé ailleurs au Canada? Comment, dans votre fonction de journaliste, pouvez-vous contribuer à démystifier le fait que dans certains milieux, on voit les membres de ces groupes criminalisés comme des vedettes? Je ne référerai pas à des personnes connues.

Le sénateur Rivest: C'est la notion de société distincte!

Le sénateur Joyal: J'aimerais avoir vos commentaires là-dessus. Vous êtes aux premières loges de l'observation de ce phénomène. Mes collègues des autres provinces qui lisent les journaux se demandent ce qui se passe au Québec qui ne se passe pas ailleurs.

M. Auger: Je dis souvent que c'est notre petite société distincte. Ce n'est vraiment qu'au Québec que cela se passe. J'ai de la difficulté à suivre les techniques journalistiques, les techniques légales aussi et un peu de criminologie. Vous auriez besoin d'un sociologue.

Je plaide coupable. Comme journaliste, j'imagine que c'est un peu la faute des médias qui aident à faire de certains individus des vedettes. On l'a vu au début des années 1980. Un individu, Richard Blast, aujourd'hui décédé, est devenu un héros populaire parce qu'il avait envoyé des photos à un journaliste qui avait une chronique humoristique dans le Journal de Montréal.

Il y avait eu un échange épistolaire entre les deux. En plus, notre criminel avait envoyé les photos de ses pistolets. Cet individu est devenu un personnage des médias même si c'était un des premiers tueurs psychopathes. À une époque, il a tué treize personnes en les enfermant dans un cabaret.

D'autres motards sont devenus plus connus simplement suite à un acquittement ou une sortie triomphale d'un palais de justice. Les gens, à partir de ce jour, ont changé leur opinion de l'individu. Entre autres, un de ces motards n'était plus un individu accusé d'avoir tué deux gardiens de prison, c'était devenu une vedette de l'actualité. À un certain moment, il a simplement fait un petit sourire devant les caméras de télévision lors d'une comparution en cour. Il n'a pas dit un seul mot, mais la seule image qu'on revoit de cet individu, chaque fois qu'on l'arrête pour un crime, c'est son grand sourire. Il a l'air d'une grande vedette du monde du spectacle. On oublie le reste.

Moi, on m'a tiré dix-sept balles parce que je décrivais tous les jours les activités illégales de ces individus. Ils aiment beaucoup plus se faire voir avec des vedettes de la radio ou de la télévision lors de mariages ou d'autres événements du genre. Ils n'aiment pas faire voir leur côté le plus sombre. Certains de ces gens sont accusés d'une série de meurtres, mais ce n'est pas ce qu'ils veulent voir dans les journaux. Ils veulent voir leur image de vedette de l'actualité. On n'a pas vraiment créé le personnage, mais simplement par quelques gestes des médias, l'individu est devenu plus grand.

Au fond, je ne peux pas répondre à votre question. Cela se fait strictement au Québec parce qu'à l'extérieur de la province, j'ai réalisé que les criminels n'ont pas la même aura. Ils n'ont pas la même couverture dans les médias non plus. Je ne peux pas en dire plus parce que je n'ai pas d'explications plus précises.

[Traduction]

La présidente: Peut-être M. Nicaso a-t-il aussi une réponse. Il est intéressant de noter que la profession de M. Auger est partiellement responsable.

M. Nicaso: Il est très difficile de créer une autorité afin de surveiller les opérations d'infiltration. Les policiers, lorsqu'ils infiltrent des organisations criminelles, doivent couper leurs liens avec le monde afin de gagner la confiance des organisations criminelles. Ils doivent devenir l'un d'entre eux. Il est très difficile pour quelqu'un d'autre de contrôler leurs activités et ce n'est pas réaliste. Nous pourrions créer une autorité chargée d'examiner leurs activités tous les trois ou six mois, mais il n'existe aucun moyen de surveiller physiquement leurs activités. C'est trop dangereux pour les personnes engagées dans l'opération d'infiltration.

Il faut bien sûr qu'il existe une certaine confiance envers l'agent d'infiltration. Nous ne devons pas oublier que ce sont des criminels qu'ils infiltrent, pas des ministres d'église, et qu'ils ont donc affaire à des gens très dangereux. Nous devrions davantage mettre l'accent sur les droits des victimes du crime organisé plutôt que sur les droits des criminels.

En ce qui a trait à la deuxième question, je ne crois pas que le Québec soit une société distincte. Lorsque j'ai quitté l'Italie, j'ai décidé de commencer à étudier la mafia et les autres organisations criminelles et j'ai commencé à voyager autour du monde pour étudier la mafia russe, la mafia japonaise, les Triades, etc. Lorsque je suis arrivé au Canada, je me suis rendu compte que je les avais toutes au même endroit avec un aspect important en plus. Plutôt que de se combattre l'une l'autre, elles collaboraient dans certaines villes parce que l'anglais et le français sont devenus un espéranto pour elles. La langue était auparavant une barrière entre elles, mais elles ont maintenant un même but, une même attitude, un même mode de pensée. Si vous analysez chacune de ces organisations, vous constaterez que leurs structures, leurs façons de penser et leurs mentalités sont très similaires. Il existe une idéalisation de la mafia, mais c'est un travestissement de la réalité.

Nous avons au Canada au moins 18 groupes différents de crime organisé. Au Québec, par exemple, nous avions un consortium auquel les membres des Hells Angels participaient en compagnie de la mafia italienne, du West End Group et des cartels de Colombie. Ils achetaient des stupéfiants et partageaient les profits parce que la langue n'était plus une barrière.

Pourquoi continuons-nous à les percevoir d'une manière très déformée? C'est parce que personne au niveau fédéral ou provincial n'a décidé d'investir d'argent pour démystifier le crime organisé ou pour changer l'image du crime organisé. Nous nous reposons sur Hollywood pour décrire et pour étudier le crime organisé. Les relations publiques gouvernementales manquent à l'appel lorsqu'il s'agit du crime organisé. Le gouvernement devrait investir des fonds pour étudier le crime organisé et pour dépendre le vrai visage du crime organisé, pas le portrait d'un Soprano ou d'un Parrain. C'est une réalité totalement diférente.

Le sénateur Cools: M. Nicaso a dit que le Canada est un refuge pour les criminels. Je crois que nous savons tous cela au fond de nos c9urs. J'ai siégé un certain temps à la Commission nationale des libérations conditionnelles et je me rappelle très bien que tous les criminels voyageaient avec des passeports canadiens parce qu'il était facile de s'en procurer.

Vous dites, monsieur Nicoso, en deuxième page de votre mémoire, qu'il faut que nous nous demandions pourquoi le crime organisé a peur des lois et des frontières américaines et n'a pas peur des nôtres. Je vais vous demander de vous étendre sur cette déclaration à la lumière d'une accusation que nous entendons fréquemment, que je crois erronée mais que nous entendons encore et encore. J'ai vu des données qui disaient qu'elle était erronée. On nous dit que le Canada possède le taux d'incarcération le plus élevé au monde. On nous dit qu'il y a plus de gens en prison au Canada que dans tout autre pays. Nous avons traité voilà quelques semaines du système judiciaire pour la jeunesse.

La présidente: Il s'agissait davantage des jeunes, pas des adultes.

Le sénateur Cools: Le ministre nous a parlé des chiffres plus élevés pour les jeunes, mais si on passe en revue la documentation traitant des adultes, ces taux d'incarcération sont souvent plus élevés au Canada. C'est un phénomène qui est couramment signalé. Je ne dis pas que c'est nécessairement le cas du présent comité, mais en général.

Pourriez-vous parler de cela? Vos déclarations disent essentiellement que le crime organisé et les criminels trouvent un refuge au Canada. On nous dit souvent que nous sommes tolérants envers le crime. On nous dit simultanément que nous sommes trop durs parce qu'il y a tant de gens en prison. Avez-vous réfléchi à cela? J'ai lu certains de ces dossiers et je connais les gens dont vous parlez et ils sont plus que sinistres.

M. Nicaso: J'ai à plusieurs occasions qualifié le Canada de chariot à pâtisseries pour le crime organisé. C'est pour une raison très simple. Selon les services de renseignements sur la criminalité, nous avons au moins 18 groupes différents de crime organisé dans ce pays. Ils déménagent leurs ressources, investissent et opèrent dans ce pays. Nous devons nous demander pourquoi ils aiment autant le Canada et y viennent. J'ai une réponse à cela. Avant 1989, nous n'avions pas de loi sur le blanchiment d'argent.

Je viens tout juste de publier un livre sur l'un des principaux groupes du crime organisé au Canada, et ils ont déposé au cours des années 80 plus de 35 millions de dollars en argent liquide dans cinq banques de Montréal sans problème.

Après le jugement Campbell et Shirose, le caïd de cette organisation a été placé sous surveillance. Il a dit à des collègues trafiquants de drogue: «Je ne vais pas aux Etats-Unis. Je me sens plus en sécurité au Canada.» Il n'est pas le seul à dire cela.

Cet homme a admis avoir importé au Canada 1 500 kilogrammes de cocaïne. Il a été condamné à une peine de 18 ans. Il sera libéré en 2003. Il se trouve maintenant dans une installation de détention à sécurité moyenne du Nord de l'Ontario. Il est recherché en Italie, où il a été condamné à deux reprises, l'une pour 30 ans et l'autre pour 21 ans, sur des chefs de trafic international de drogue et d'association avec la mafia. Il est recherché en Allemagne, en Angleterre et en France. Il a été arrêté au Canada en 1998, condamné en 2000. Il sera placé en liberté conditionnelle en 2003. C'est la façon dont nous traitons les trafiquants de drogue dans ce pays.

Nous n'avions pas de loi sur les changes avant janvier 2000. C'est pourquoi nous avons une concentration du crime organisé au Canada. Lorsque j'ai dit que le Canada était un chariot de pâtisseries pour le crime organisé, c'est parce qu'il est relativement facile d'entrer au pays et de le quitter, parce que nous n'exigeons pas de visa des gens venant d'Europe, que nous n'avons pas de système de contrôle des gens et que certaines personnes recherchées en Italie peuvent vivre à Montréal sans problème.

Nous désirons nous concentrer sur le crime organisé traditionnel, mais nous devons aussi considérer la mafia russe, les cartels colombiens, les Triades, etc. Pourquoi se retrouvent-ils tous dans ce pays?

Les peines de prison obligatoires constituent un autre aspect du problème. Aux États-Unis, trois ans signifient trois ans; au Canada, trois ans ne signifie pas trois ans.

Il est très facile d'obtenir un passeport canadien. Ahmed Ressam, qui a été arrêté à la frontière des Etats-Unis et du Canada, constitue un bon exemple de cette situation. Il comptait faire sauter l'aéroport de Los Angeles.

Le sénateur Moore: Dans sa présentation, le ministre de la Justice a dit que le crime organisé n'était pas qu'un problème de grande ville. Vous dites à la page 2 de votre mémoire qu'on a permis aux organisations criminelles de croître jusqu'à posséder un incroyable pouvoir dans ce pays. Pouvez-vous quantifier ou nous donner une idée de l'ampleur du crime organisé et de ce que cela signifie en coûts financiers et humains? Avez-vous considéré cela dans vos études?

M. Nicaso: Pendant nombre d'années, nous avons cru dans ce pays que le crime organisé était un problème ethnique. Nous avons ensuite appris qu'avant même la Confédération nous avions le Markham Gang qui était puissant dans les activités du crime organisé international et cela était avant que l'immigration ne débute.

Les gens ne se rendent pas compte de ce qu'est le crime organisé et de ce qu'il signifie. Le crime organisé, ce n'est pas qu'un groupe de criminels qui travaillent ensemble; il implique des liens politiques et financiers. Si nous faisons une enquête d'opinion, personne ne vous dira que ceux qui commettent des crimes en col blanc sont des criminels. Si les criminels s'engagent dans une activité illicite et en tirent d'énormes profits, il leur faut des relations au sein du système financier pour capitaliser ces profits. Sinon, ils mettront l'argent au sous-sol mais ils ne vaudront rien s'ils ne peuvent pas capitaliser ce type de profit.

Les gens ne se rendent pas compte des répercussions qu'a le crime organisé dans nos vies. Le crime organisé n'est pas un problème qu'au Québec. Nous avons dans la région de Toronto plus de membres des Hells Angels que dans toute la province de Québec. Ce n'est pas un problème qui est lié au Québec, c'est un problème qui est lié à tout le pays. Notre perception du crime organisé est erronée. Le système de libérations conditionnelles, par exemple, est une farce à l'échelle internationale. Nous ne considérons pas les trafiquants de drogues comme des délinquants dangereux. Je ne sais pas pourquoi ce ne sont pas des délinquants dangereux. Les trafiquants de drogue vendent la mort. Ils créent l'accoutumance. Ils génèrent des coûts supplémentaires pour notre régime de santé. C'est la façon dont nous devrions dépeindre le crime organisé, pas la façon dont Hollywood les décrit. Ils n'ont pas d'honneur. Ils n'ont aucun sens du respect. Ils tuent des gens innocents. Ils tuent des femmes et des enfants.

Il n'existe pas de valeur ou de tradition mafieuse de respect. Il existe beaucoup d'autres organisations criminelles telles que les Yakuzas et les Triades. Elles sont toutes les mêmes. Leur but est de faire de l'argent grâce à leurs contacts politiques et financiers.

Le sénateur Moore: Monsieur Auger, désirez-vous faire un commentaire là-dessus?

[Français]

M. Auger: Le crime organisé a des impacts à travers tout le pays. Il touche vraiment toutes les régions. Dans certains endroits, il affecte les commerces. Premièrement, dans plusieurs provinces, dont le Québec, l'Ontario et les Maritimes, le crime organisé contrôle le commerce du sexe, le placement des danseuses et le trafic de drogue en même temps. Les profits de ces opérations sont réinvestis dans une économie parallèle.

On dit que la société en général profite un peu du crime organisé et des profits du crime. En effet, les criminels sont de très grands dépensiers. Ils achètent des oeuvres d'art, des véhicules dispendieux, voyagent beaucoup, aiment les objets de luxe et possèdent de grosses maisons. Bref, ils consomment beaucoup. Une partie des profits sert à cela. Une autre partie sert aux prêts usuriers. C'est un des plus gros problèmes des grandes villes au Canada.

Depuis que le gouvernement a pris la place de la mafia dans l'industrie du jeu, le nombre de joueurs compulsifs s'est multiplié. Au début de ma carrière, Cotroni, alors chef de la mafia, me disait que son organisation rendait service à la société. Des fois, je me demande si on n'était pas mieux à l'époque de Cotroni qu'aujourd'hui, avec les ministres des Finances, pour créer des revenus supplémentaires. Les joueurs ont augmenté les sources de revenu, mais aux dépens de certaines personnes qui ne peuvent s'empêcher de jouer. À l'époque, c'était illégal. La plupart des gens ne fréquentaient pas des lieux de jeu parce c'était socialement inacceptable.

La violence n'est que la pointe de l'iceberg du crime organisé. Beaucoup de familles souffrent des problèmes d'abus de consommation de drogue de leurs proches, et cetera. Les organisations criminelles sont également impliquées dans les vols de voitures. Ce n'est pas aussi visible dans les petits villages ou certains coins de campagne, mais cela existe. La distribution de la drogue se fait partout. Il n'y a pas un coin au pays où la drogue ne se rend pas. Je ne parle pas seulement des drogues douces, mais des drogues dures également. Même si les problèmes sont différents d'un endroit à l'autre, les problèmes existent partout.

[Traduction]

La présidente: Merci beaucoup d'avoir comparu devant nous. Je désire vous féliciter tous deux, messieurs, parce que vous êtes tous deux des personnes très courageuses.

Notre prochain groupe d'experts est ici. Bienvenue, messieurs.

M. Giuliano Zaccardelli, commissaire, Gendarmerie royale du Canada: Je suis honoré d'être ici. Le commissaire adjoint Bill Lenton m'accompagne et peut aussi répondre à vos questions.

Je mettrai en lumière les éléments suivants: en premier lieu, les répercussions du jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Campbell et Shirose sur l'application de la loi au Canada; en deuxième lieu, de quelle manière les amendements proposés à la loi permettront aux organismes d'application de la loi telles que la GRC de disposer des outils appropriés pour enquêter sur les criminels et les organisations criminelles; et enfin, comment les politiques de la GRC soulignent l'importance que nous accordons aux contrôles et à l'équilibre dans l'application de la loi proposée.

J'ai quelques commentaires à faire à propos des répercussions de Campbell et Shirose. L'objectif principal de la GRC a toujours été d'assurer la sécurité publiques. Pour assurer la sécurité des foyers et des collectivités, nous devons combattre le crime organisé et les activités criminelles.

L'une des techniques utilisées par les policiers pour enquêter sur ces organisations implique l'infiltration de ces groupes criminels. Le cas Campbell et Shirose traitait d'une vente par agent d'infiltration visant des trafiquants de drogue de haute volée dans un contexte où des agents d'infiltration de la GRC ont infiltré l'organisation de trafiquants de drogue commettant des infractions graves.

Le 22 avril 1999, la Cour suprême du Canada a rendu dans l'affaire Campbell et Shirose un jugement qui a eu de graves répercussions sur l'application de la loi au Canada.

La plus haute cour de notre pays a clairement signifié que les agents de police ne sont pas des agents de la Couronne et ne bénéficient donc pas de l'immunité de la Couronne à moins qu'ils ne soient spécifiquement exonérés par la loi. La Cour suprême a énoncé que si une forme d'immunité dans l'intérêt public devait être accordée aux forces de l'ordre, c'est le Parlement qui devrait établir la nature et la portée de cette immunité. C'est précisément ce que projet de loi C-24 fait.

[Français]

Suivant cette décision, la GRC a immédiatement suspendu toute activité opérationnelle qui plaçait nos membres ou leurs agents en conflit avec la décision de la cour. Le résultat ne s'est pas fait attendre, bien entendu. Il y a un grand nombre d'enquêtes qui ne peuvent être entreprises ou, encore, si elle le sont, elles sont à ce point réduites que les chances de succès en sont très amoindries.

[Traduction]

Les corps policiers doivent disposer de la capacité de s'occuper des groupes criminalisés au moyen de techniques proactives d'enquête par infiltration qui seraient illégales dans d'autres situations. L'effet du jugement de la Cour suprême du Canada sur les opérations d'infiltration a été dévastateur. Nos opérations d'infiltration en sont maintenant, dans plusieurs secteurs, pratiquement au point mort.

Je veux vous donner plusieurs exemples de telles opérations parce que nous n'entendons souvent parler que des scénarios les plus extravagants qui sont discutés en public. Je vais vous parler de quelques choses simples que nous ne pouvons pas faire. Du fait du jugement Campbell et Shirose, il est actuellement illégal pour les membres des corps policiers exerçant une surveillance, par exemple, d'opérer un bateau de nuit sans feux de navigation. De façon évidente, cela a des répercussions sur notre capacité à exercer une surveillance clandestine le long des côtes. Cela semble très simple, mais si vous n'allumez pas vos feux la nuit vous ne pouvez pas opérer ce bateau. Cela nuit à nos gens et les met en danger.

Il est illégal de permettre à un agent d'offrir un pot-de-vin pour corrompre un fonctionnaire, même si le pot-de-vin a été suggéré par le fonctionnaire.

La capacité de la GRC à enquêter sur ce type de corruption a été sévèrement limitée par ce jugement. Il est impossible, en raison de ce jugement, d'acheter de la fausse monnaie sans enfreindre la loi. Il nous est impossible d'acheter des produits d'alcool ou de tabac de contrebande dans le cadre d'une enquête, même si la loi réglementant certaines drogues et autres substances permet aux corps policiers de le faire pour certaines drogues illicites. Il est illégal d'acheter des documents de voyage contrefaits, tels que visas et passeports, au cours des enquêtes sur les fraudes en matière d'immigration ou sur le trafic d'immigrants illégaux.

La plupart de livraisons contrôlées autres que celles autorisées par la Loi réglementant certaines drogues et autres substances sont illégales. Ce ne sont pas là des exemples extravagants. Ce sont des questions de base pour les organismes d'application de la loi et les policiers chargés d'assurer la sécurité que nous demandent nos citoyens. La police a besoin de la capacité d'affronter les groupes criminalisés au moyen de techniques d'infiltration proactives qui peuvent être illégales dans d'autres situations.

Nos partenaires au niveau international ont ressenti les répercussions de ce jugement. Nous n'avons pas été aussi efficaces dans nos réactions aux demandes d'assistance de nos partenaires internationaux. Par exemple, dans l'un de nos dossiers avec l'USINS, qui s'occupe de l'immigration aux États-Unis, nous n'avons pas été capables de collaborer à une enquête parce que des techniques d'infiltration violant l'esprit et la lettre du jugement Campbell et Shirose auraient été nécessaires. Dans la plupart des cas, les enquêteurs de la GRC en sont réduits à la surveillance physique et électronique des organisations criminelles, ce qui s'avère être moins efficace en tant que stratégie d'enquête.

Cela a provoqué l'élaboration d'une proposition visant à amender le Code criminel en procurant une exemption immunitaire aux forces de police et à leurs agents, leur permettant d'utiliser des techniques d'enquête qui seraient illégales en d'autres circonstances. C'est ce qui est inclus au projet de loi C-24.

La GRC a hésité à dire publiquement quelles méthodes d'enquête ne pouvaient plus êtres utilisées à la suite de Campbell et Shirose. La raison de ce silence est que nous ne voulons pas informer les éléments criminels des limites imposées aux forces de police et leur donner un sentiment de sécurité. La loi proposant cette immunité n'a pas pour objet d'accorder des pouvoirs accrus aux forces de police. Son objet est de récupérer les outils qu'employait la police pour réprimer les activités criminelles avant le jugement de 1999 de la Cour suprême. Nous voulons revenir aux règles du jeu équitables qui existaient jusqu'à ce jugement et que chacun dans la société reconnaît comme notre dû.

[Français]

Plusieurs de nos lois actuelles n'ont pas à être changées ou améliorées et les policiers devraient trouver d'autres techniques d'enquête.

[Traduction]

Les autres techniques d'enquête ne sont pas suffisantes par elles-mêmes. Elles sont complètement inefficaces dans certaines situations. Par exemple, l'écoute électronique est fastidieuse et est moins efficace en raison de l'évolution rapide de la technologie. La surveillance physique nous aide à identifier les suspects qui se réunissent, mais nous laissent dans l'ignorance de la nature de la réunion. Ce qui'il faut, c'est une combinaison de techniques, incluant des opérations d'infiltration, stratégiquement déployées pour répondre aux besoins de l'enquête.

Il faut garder à l'esprit que, dans toute enquête, nous devons pour obtenir les meilleurs résultats possibles procéder dans les meilleurs délais et optimiser ainsi notre efficacité tout en limitant autant que nous le pouvons, dans le souci de sa sécurité, l'exposition du public au crime organisé et au terrorisme. Les enquêtes se prolongeant signifient une victimisation prolongée.

Cette loi a pour objet les outils essentiels permettant aux forces de police de combattre le crime organisé et les activités criminelles. Notre incapacité à infiltrer ces groupes dans l'état actuel de la loi nous met tous en danger. Même la Cour suprême a reconnu que la police ne pouvait rester passive dans son combat contre le crime organisé.

Il existe des craintes que la loi proposée créera une situation où les agents de police dans la rue auront carte blanche pour enfreindre la loi. C'est tout simplement faux et cela m'inquiète beaucoup si c'est là la perception qui existe dans notre société.

Le paragraphe 25.1 exige que les désignations soient faites par l'autorité compétente sur la recommandation d'un haut responsable du service concerné. Cela constitue une protection fondamentale contre un abus des dispositions en matière d'immunité. En tant qu'organisation d'application de la loi, nous sommes très conscients de l'importance des pouvoirs s'équilibrant entre eux et du rôle qu'ils jouent dans une société juste. Les politiques mises en place par la GRC et qui ont été observées avant et après Campbell et Shirose sont très strictes. Elles sont habituellement plus restrictives que la loi.

Par exemple, l'une de nos politiques traite de la technique de la vente surveillée couverte par la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et précise que, bien que cette méthode d'enquête soit permise par les règlements en application de la Loi, elle ne doit être autorisée par un haut responsable de la GRC que dans une situation exceptionnelle et dans la mesure où il est raisonnable de penser que cette opération d'infiltration renversée peut mener à l'arrestation et à des poursuites contre les instigateurs et les auteurs haut placés d'un crime grave.

La loi n'exige pas que nous le fassions, mais nous l'avons incorporé en tant que mesure de sécurité supplémentaire. Les policiers et les organisations policières sont responsables de leurs actions. Le paragraphe 25.3 contient une disposition visant la production par écrit d'un rapport public annuel par l'autorité compétente, le solliciteur général du Canada dans notre cas, relativement à l'utilisation des dispositions en matière d'immunité en application du projet de loi C-24.

De plus, le paragraphe 25.4 exige qu'un avis écrit soit transmis aux hauts responsables à chaque fois que les privilèges en matière d'immunité sont utilisés et que des dommages graves à la propriété en résultent. L'obligation de rendre compte pour les activités policières existe déjà en cour criminelle par l'entremise des dispositions en matière de divulgation et dans le déroulement de la procédure, où les activités doivent respecter le critère constitutionnel et sont scrutées par la magistrature et le public.

Les tribunaux civils et diverses autres procédures d'examen public sont également disponibles. Des organismes extérieurs existent également, tels que le Comité externe d'examen de la GRC et la Commission des plaintes du public contre la GRC, dont le mandat est de tenir la GRC responsable de ses actions.

La principale inquiétude exprimée porte sur la responsabilité de la collectivité policière vis-à-vis la société. Dans le contexte du projet de loi C-24, la GRC a l'obligation d'administrer une formation spécialisée à ses membres ainsi que de mettre en place des politiques strictes de surveillance et de contrôle des opérations ayant recours aux dispositions de ce projet de loi.

L'adoption par le Parlement de cet amendement proposé à la loi nous replacera dans la position où nous nous trouvions avant Campbell et Shirose avec en outre les pouvoirs s'équilibrant entre eux supplémentaires que la loi proposée crée.

La primauté du droit a toujours guidé les opérations de la GRC. La Cour suprême du Canada a laissé le soin au Parlement d'accorder ces pouvoirs aux forces de police. Vous m'avez entendu répéter à de nombreuses reprises et de nombreuses façons que la primauté du droit est absolue. Cela ne veut pas dire que nous ne fassions pas d'erreur à l'occasion. La loi proposée permet à certaines autorités de commettre certains actes qui seraient en d'autres circonstances des infractions à la loi, mais une obligation claire de rendre compte est intégrée à cette procédure.

[Français]

Il est clair que l'intention de cette nouvelle loi est d'assurer que cette immunité ne soit accordée à la police que pour des causes importantes où il serait nécessaire d'avoir recours à ces outils dans une société complexe et moderne, où des organisations criminelles et terroristes opèrent et menacent la sécurité de nos sociétés.

[Traduction]

Du point de vue de la GRC, deux expressions forment la base de cette loi. Ce sont le caractère raisonnable et l'aspect proportionnel. Ce que la police fait doit être raisonnable et proportionnel au type d'enquête ou à la gravité et à la catégorie de l'infraction.

La profession de policier est la profession la plus scrutée au Canada. Nos actions sont scrutées par les tribunaux criminels, les tribunaux civils, les médias et divers dispositifs de surveillance. Je mets a défi quiconque de trouver une profession plus scrutée, plus surveillée et plus disséquée que celle de policier. Nous comprenons et acceptons cette réalité. Cela continuera sous la nouvelle loi.

[Français]

M. Vince Westwick, avocat général, Association canadienne des chefs de police: Honorables sénateurs, je suis coprésident du comité de modification de lois de l'Association canadienne des chefs de police. Avec moi sont présents Julian Fantino, chef du Service de police de la ville de Toronto et coprésident du comité du crime organisé de l'Association canadienne des chefs de police, ainsi que Peter Cuthbert, directeur exécutif de l'association.

L'Association canadienne des chefs de police représente 950 chefs, chefs-adjoints et membres exécutifs de services de police, ainsi que plus de 130 services de police à travers le Canada. L'association s'engage à modifier progressivement les lois associées au crime et aux questions qui touchent la sécurité de la communauté. C'est un honneur d'être ici aujourd'hui pour vous parler au sujet du projet de loi C-24, Loi modifiant le Code criminel (crime organisé et application de la loi) et d'autres lois en conséquence.

[Traduction]

Avant de demander au chef Fantino de prendre la parole, j'aimerais faire un bref mais important commentaire au sujet du paragraphe 11 du projet de loi qui traite de la création d'une nouvelle infraction pour l'intimidation d'un représentant de la loi. Cela deviendrait le paragraphe 423.1 du Code criminel. C'est d'une importance particulière. Cela crée une infraction et un système de peines pour les personnes qui sont arrêtées et poursuivies pour l'intimidation d'un représentant de la loi.

Bien que je sois d'accord avec cette disposition, je désirerais souligner avec insistance qu'en raison du nombre regrettablement faible d'auteurs de ce type de délit appréhendés, il faut mettre en place des procédures permettant de réagir aux situations d'intimidation au moment où elles se produisent. C'est extrêmement important pour les personnes menacées et leurs familles, mais également important pour s'assurer que le système continue à fonctionner sans broncher lorsqu'il est visé par ce type d'attaque.

M. Julian Fantino, chef, Service de police de Toronto, Association canadienne des chefs de police: Nous avons été informés que cet honorable comité se préoccupe surtout des dispositions traitant de la justification des forces de police qui sont engagées dans des activités constituant dans d'autres circonstances des infractions criminelles et du jugement Campbell et Shirose de la Cour suprême.

Nous apprécions que le Sénat procède à un examen soigneux de ces dispositions. Nous espérons que nous pourrons apaiser aujourd'hui certaines de vos inquiétudes. Ce sont des dispositions très importantes, cruciales pour le succès des enquêtes sur le crime organisé. Je désire donc faire ressortir quelques éléments à propos de ces articles et répondre aux craintes portant sur les abus potentiels que peuvent commettre les forces de police si ces dispositions deviennent loi.

Les dispositions qui vous sont présentées aujourd'hui ne créent pas une nouvelle loi mais ne font que codifier ce qui est déjà la loi criminelle ainsi que des pratiques qui ont cours au Canada depuis de nombreuses années. Puisqu'il n'existe pas de précédent en matière d'abus sous la common law au Canada, il est très improbable que ces nouvelles dispositions donnent lieu à des abus. La Cour suprême du Canada n'a pas jugé, dans le jugement Campbell et Shirose, que la common law était dans l'erreur ou allait à l'encontre de l'intérêt public. Elle a simplement signalé que ce genre de question devait être réglé par un acte législatif.

Le projet de loi C-24 intègre plusieurs mécanismes de protection visant à s'assurer que les dispositions ne donnent pas lieu à des abus. Il ne s'agit pas de donner carte blanche à la police pour enfreindre la loi. Le secteur policier est le secteur le plus réglementé de toutes les entreprises publiques ou privées. Les policiers sont davantage réglementés que les avocats, les médecins, les comptables ou toute autre personne qui occupe un poste ayant la confiance du public. La Cour suprême de ce pays exige de façon constante un comportement exemplaire des forces de police et continuera à le faire.

Les dispositions de ce projet de loi ne serviront pas aux patrouilleurs de police, comme certains l'ont suggéré, mais seulement à un petit groupe d'enquêteurs expérimentés et hautement formés engagés dans des enquêtes très spécialisées. Seules ces personnes seront dûment autorisées à s'engager dans ces enquêtes.

En plus des dispositions intégrées et des dispositions habituelles de contrôle des forces de police existant, les services de police mettront en place des pouvoirs s'équilibrant entre eux internes pour s'assurer de l'utilisation appropriée de ces dispositions. Il est inapproprié de créer une situation artificielle où le fardeau de la preuve est inversé en présumant que les forces policières de ce pays abuseraient de ces dispositions. Nous sommes au Canada, qui est une société démocratique et sophistiquée où les forces de police ne surveillent pas nos citoyens, mais surveillent en compagnie de nos citoyens.

Pourquoi ces articles sont-ils si importants? Ces dispositions sont nécessaires pour créer un cadre d'application de la loi répondant à la menace du crime organisé. La façon d'enquêter sur le crime organisé qui rencontre le plus de succès consiste à infiltrer leurs opérations, ce qui est une tâche difficile dans le meilleur des cas. Leurs membres sont isolés dans tous les sens du terme et se méfient beaucoup de l'infiltration policière. Sans ces dispositions, les forces de police seront incapables de réussir à les infiltrer et leurs opérations ainsi que leur efficacité seront gravement limitées.

Ces dispositions sont complexes et, pour s'assurer de la plus haute intégrité et de la plus stricte observation dans leur application, nous croyons que des mesures additionnelles doivent être prises afin de perfectionner l'obligation de rendre compte. Nous recommandons fortement qu'une formation détaillée soit assurée au moyen d'une trousse exhaustive élaborée dans le cadre d'un partenariat, par exemple, l'Association canadienne des policiers, la Gendarmerie royale du Canada, le ministère de la Justice et toute autre entité ayant un mot à dire en la matière. Distribuée à l'échelle nationale, cette trousse préciserait en détail les étapes à prendre pour respecter la conformité et, évidemment, l'obligation de rendre compte. C'est davantage que le commentaire habituel sur la formation policière; il s'agit d'une question de responsabilisation au plus haut niveau, un dispositif de responsabilisation.

Le crime organisé n'est pas qu'un simple désagrément; il constitue plutôt une grave menace pour la société canadienne. Ses tentacules s'étendent dans de nombreux secteurs, engendrant des coûts humains et financiers énormes. Le crime organisé est encore plus insidieux du fait qu'il doit garder un profil bas pour prospérer. Il travaille activement à passer inaperçu.

Les forces de police ont besoin des outils se trouvant dans le projet de loi C-24 pour les aider dans l'enquête sur le crime organisé et les poursuites judiciaires. Le projet de loi C-24 représente une amélioration importante de nos efforts collectifs en tant que société canadienne pour atteindre deux objectifs cruciaux, nommément la sécurité du public et la sécurité des agents de police.

[Français]

M. Mike Niebudek, vice-président, Association canadienne de la police: Madame la présidente, je vous remercie de nous avoir invités. J'ai à mes côtés M. Yves Prud'homme, qui s'adressera à vous après ma présentation.

[Traduction]

En qualité de porte-parole national de 275 associations adhérentes et d'un personnel policier en première ligne d'environ 30 000 membres au Canada, nous apprécions cette occasion de comparaître aujourd'hui devant le comité pour appuyer le projet de loi C-24.

Le crime organisé touche tous les Canadiens, sape notre économie, met à mal notre sécurité et menace l'intégrité de nos institutions politiques. Des tendances préoccupantes et importantes se dessinent actuellement dans le crime organisé dans ce pays, incluant une violence accrue et le recours aux menaces, à l'intimidation et à la violence envers les victimes, les témoins, les agents publics, les agents de police et même les membres des médias.

Il est ironique que ceux qui choisissent de vivre de manière flagrante en dehors des lois du Canada sont les premiers à chercher refuge et protection dans ces mêmes lois lorsqu'ils font face à des poursuites. En tirant profit de la meilleure défense que l'argent puisse acheter, le criminel sophistiqué s'engagera dans des questions légales complexes et dans une stricte observation des détails de procédure pour modifier les règles d'application de la loi.

Le projet de loi C-24 fait beaucoup pour répondre à ces problèmes. Ce projet de loi compte essentiellement quatre composants, auxquels nous nous attardons dans notre mémoire écrit. Je ne parlerai maintenant, question de temps, que de deux de ces éléments qui préoccupent plus particulièrement l'association des policiers canadiens.

Notre première préoccupation porte sur la protection des agents de la paix. Le 22 avril 1999, la Cour suprême du Canada, dans Campbell et Shirose, a statué que le principe de l'immunité de la Couronne ne couvrait pas les actes d'un agent de police qui violait une loi, nonobstant le fait que ces actes étaient posés pour faire progresser une enquête criminelle authentique. Par conséquent, des amendements à la loi sont nécessaires pour permettre le recours à des agents d'infiltration afin de faire progresser des enquêtes criminelles complexes.

Le Parlement a auparavant créé des dérogations aux dispositions sur les infractions de certaines lois à l'égard des agents de police engagés dans l'application de la loi, principalement en ce qui a trait aux infractions à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité

Une base plus large de dérogations visant les agents de police engagés dans des enquêtes criminelles est nécessaire afin d'assurer l'application efficace de la loi et de protéger la responsabilité des agents.

Nous apprécions les amendements contenus dans cette loi qui assurent une responsabilité criminelle limitée aux agents de police autorisés à mener ce type d'enquêtes. Ces protections sont nécessaires pour garantir que les agents de police ont la capacité d'infiltrer les groupes du crime organisé, de recueillir du renseignement humain sur les activités des groupes et de rassembler des preuves contre les représentants haut placés des groupes.

Les critiques du projet de loi ont soulevé des inquiétudes au sujet de l'immunité accordée aux forces de police en vertu de ce projet de loi. Nous croyons que beaucoup de ces allégations sont exagérées. Nous convenons toutefois que la protection contre les abus fait partie intégrale de notre cadre démocratique.

Les agents de police exercent la profession la plus réglementée et la plus scrutée au Canada. Tout abus apparent d'autorité fait et continuera de faire l'objet d'une enquête ayant recours à toutes les ressources de la loi.

Le deuxième élément dont nous voudrions parler a trait aux ressources affectées aux enquêtes sur le crime organisé. Bien que l'annonce plus tôt cette année de 200 millions de dollars en nouveaux fonds sur une période de cinq ans pour la GRC a été encourageante, il ne s'agit que d'un petit pas dans la bonne direction pour le gouvernement.

Les enquêtes sur le crime organisé sont exigeantes en termes de ressources, coûteuses, très techniques, complexes et représentent des entreprises de longue haleine qui exigent de la persistance, un soutien et la coordination des renseignements entre tous les organismes d'application de la loi. Face à des enquêtes coûtant des dizaines de millions de dollars, ça ne va pas loin et ne fait rien pour aider les enquêtes sur les têtes d'affiche de la criminalité à l'échelle nationale et internationale que mènent les forces de police locales, provinciales et fédérales ainsi que les organismes d'application de la loi.

Les réaffectations récentes de personnel au sein de la GRC en réaction aux inquiétudes en matière de terrorisme en sont un exemple de choix. Selon la GRC, 2 000 agents de police ont été soustraits à d'autres missions d'application de la loi pour réagir à la crise du terrorisme. Ces agents ont été retirés d'affectations auparavant considérées comme des priorités, telles que lutter contre le crime organisé et assurer les services de police en première ligne au sein de leurs collectivités. Beaucoup de ces tâches ont été laissées à l'abandon pendant que la GRC se précipitait pour répondre à la dernière crise dans les limites de son budget actuel. Des agents auparavant affectés à des priorités relatives au crime organisé ont dû abandonner certaines de ces enquêtes pour prendre leurs affectations antiterroristes actuelles, qui sont aussi très importantes.

Bien que les politiciens de tous les paliers sont prestes à parler de durcir la lutte contre le crime organisé, la plupart des services de police ont fait face à des contraintes budgétaires importantes en matière d'enquêtes sur le crime organisé depuis plusieurs années. Nous soutenons que la sécurité du public pourrait être compromise à long terme si des améliorations significatives ne sont pas apportées aux capacités des forces de police.

En terminant, nous apprécions l'attention que la ministre de la Justice, le solliciteur général et leurs représentants ont consacré à cet effort. Nous sommes heureux de leur communiquer notre appréciation et notre appui.

L'Association des policiers du Canada réitère son engagement à collaborer avec tous les membres du Parlement, du Sénat, du gouvernement du Canada et les autres intervenants pour trouver une solution à cette inquiétude majeure pour la sécurité du public.

[Français]

M. Yves Prud'homme, président, Fédération des policiers et policières municipaux du Québec: Madame la présidente, je vous remercie d'avoir accepté de m'entendre afin que je puisse, avec les représentants de notre association nationale, l'Association canadienne de la police, vous transmettre nos commentaires au sujet du projet de loi C-24. Je vous rappelle brièvement que la Fédération des policiers et policières municipaux du Québec regroupe 115 associations syndicales, qui représentent près de 8 500 policiers et policières municipaux à travers le Québec, incluant ceux de la Fraternité des policiers et policières de Montréal.

Comme vous le savez sans doute, le phénomène grandissant du crime organisé au Québec, et plusieurs l'ont souligné tout à l'heure, notamment les motards criminalisés a amené les différents organismes représentatifs des forces policières à demander aux législateurs depuis un certain nombre d'années d'adopter une loi antigang afin de contrer cette criminalité bien particulière. Tous conviendront que ces groupes de motards criminalisés sont des bandes d'individus qui n'ont aucun scrupule et qui n'hésitent pas à commettre des crimes aussi crapuleux les uns que les autres occasionnant la mort de personnes innocentes. Ces crimes que je qualifie d'exceptionnels nécessitent, à notre avis, des moyens aussi exceptionnels afin de mettre un terme à ces actes d'une rare violence.

À ce chapitre, nous pensons que le projet de loi C-24 ne va pas assez loin afin que soit lancé un message clair et sans équivoque pour ceux et celles qui oeuvrent dans ce milieu. À notre avis, le gouvernement devrait envisager des mesures plus dissuasives telles qu'un renversement du fardeau de la preuve faisant en sorte que les accusés aient à démontrer leur non-culpabilité aux infractions qui leur sont reprochées. La poursuite devra démontrer devant la cour que les infractions reprochées ont été commises et reliées évidemment au crime organisé. Ce même renversement du fardeau de la preuve devrait s'appliquer aux produits de la criminalité et, en particulier, au profit des organisations criminelles et des biens saisis. Il incomberait donc aux individus touchés par cette mesure de prouver que les biens ne proviennent pas du crime.

Quant à l'accessibilité à une libération conditionnelle, nous jugeons que les changements proposés sont insuffisants. Selon nous, la loi devrait prévoir l'inaccessibilité à la libération conditionnelle aux personnes qui seraient reconnues coupables d'infractions reliées au crime organisé. Nous suggérons fortement de ne pas créer une liste incluant certaines infractions quant à l'immunité accordée aux policiers. En effet, nous craignons que l'organisation criminelle exige des agents d'infiltration qu'ils commettent une des infractions afin de pouvoir les démasquer.

En ce qui a trait aux ressources pour combattre efficacement ces organisations criminelles bien nanties financièrement, elles nous apparaissent nettement déficientes. D'ailleurs, le 20 avril dernier, nous adressions au Très honorable Jean Chrétien, premier ministre du Canada, une correspondance lui soulignant notre déception quant à la répartition des sommes allouées pour lutter contre cette criminalité.

Dans les faits, aucun nouveau montant n'est ajouté au budget des organisations policières municipales qui participent aux unités mixtes avec nos confrères et consoeurs policiers provinciaux et fédéraux. Vous le reconnaîtrez, sans argent il est impossible d'augmenter les effectifs des organisations policières.

En conclusion, nous appuyons la très grande majorité des amendements du projet de loi C-24, mais nous réclamons des mesures plus sévères afin que nous puissions espérer qu'un jour le message dissuasif soit bien compris par ce milieu: tolérance zéro.

M. Denis Roy, directeur de la Sûreté municipale, municipalité de Granby: Ne bénéficiant pas de la notoriété de mes collègues du monde policier, permettez-moi de me présenter. Je suis Denis Roy, directeur du service de police du canton de Granby, municipalité située au sud de Montréal.

Antérieurement et pendant plus de 25 ans, j'ai été policier à la Gendarmerie royale du Canada où j'ai 9uvré dans différents secteurs tels les enquêtes sur les stupéfiants, les laboratoires clandestins, la protection des dignitaires, le blanchiment d'argent et les opérations d'infiltration.

Dans la grande région de Granby, je représente le Comité de concertation sur le crime organisé qui a pour mandat d'informer le gouvernement fédéral sur les préoccupations des différents intervenants. Ce comité est formé de Mme Diane St-Jacques, députée de Shefford, des maires de la circonscription électorale de Shefford, du préfet de la MRC de la Haute-Yamaska, et des autorités policières de la région.

Le Comité de concertation sur le crime organisé a été formé à la suite d'événements importants reliés aux activités du crime organisé dans la région, principalement celles des motards membres des Hells Angels et des Evil Ones.

L'intimidation et les gestes posés par les individus reliés à ces organisations criminelles ont profondément touché la population, créant ainsi un climat d'incertitude face à la capacité des autorités policières et judiciaires d'assurer la sécurité publique et la maintenir à un niveau acceptable pour tous.

Il y a quelques années, il n'y avait aucune organisation structurée de motards criminels dans la région de Granby, mais depuis que les Hells Angels ont modifié leur structure au Canada, permettant ainsi la formation de clubs-écoles tels les Rockers, les Scorpions, et les Evil Ones, Granby et les environs ont connu une intensification de la présence criminelle.

Les Evil Ones, accompagnés à l'occasion par leurs grands frères les Hells Angels, se sont promenés affichant fièrement leurs couleurs dans les rues, les restaurants et les établissements licenciés dans le but d'intimider la population par leur présence et d'agrandir leur territoire d'activités.

Les déplacements individuels et en groupe ont été étroitement surveillés par les organisations policières locales qui ont mené des opérations d'identification pour assurer au mieux la sécurité publique. Les nouveaux motards criminels doivent faire leurs preuves aux yeux de leur parrain et pour parvenir à leurs fins, ils posent des actes de sensation et d'intimidation en se montrant rois et maîtres de leur environnement. Ils s'en prennent donc à des éléments stratégiques de la société, soit les élus, les policiers et leur famille, ainsi que les procureurs de la Couronne. Par exemple, il n'y a pas tellement longtemps vous avez dû entendre parler des événements touchant le député fédéral de Saint-Hyacinthe, M. Yvan Loubier. D'autres événements sont survenus en région, plus particulièrement à Granby et je vous en décris quelques-uns.

Le 13 janvier 2001, un policier se présente aux alentours d'un établissement licencié et rencontre un individu couvert de sang. Cette personne voulait porter plainte contre son agresseur qui était un client de l'établissement. Au cours des minutes qui ont suivi, cinq policiers entraient à l'intérieur de cet établissement et dès leur entrée, ils ont été reçus par une trentaine de motards qui imposaient la loi à l'intérieur de l'établissement en forçant les policiers à retourner à l'extérieur.

Les motards étaient rois et maîtres de l'établissement. Ils ont injurié les policiers, les ont repoussés, les ont accusés et menacés de mort, eux ainsi que leur famille. L'homme qui avait été agressé précédemment n'a jamais voulu porter plainte, malheureusement, et c'est compréhensible.

J'ai personnellement eu connaissance d'autres actions d'intimidation envers les policiers, entre autres le cas d'un policier renommé de la région de Granby qui a été mis sous surveillance. Dans ce cas, ce n'était pas le policier qui surveillait les criminels, mais bien les criminels et motards qui surveillaient le policier, chez lui. En quittant le matin pour aller travailler, le policier s'est aperçu qu'il était suivi par les motards. Au cours des semaines qui ont suivi, deux individus ont été interceptés dans la ville de Granby. Les policiers qui procédaient à la fouille des deux individus ont trouvé, par hasard, le numéro de la plaque d'immatriculation de l'épouse du policier dont je vous parlais précédemment. Dans un tel cas, on peut en conclure que ce sont les motards qui enquêtent les policiers. Cette situation inquiète non seulement les policiers qui oeuvrent dans ces milieux, mais aussi les membres de leur famille.

Dans un autre dossier, c'est la fille d'un policier-cadre qui était greffière au Palais de justice de Granby qui a été suivie par les motards. Elle n'a jamais su pourquoi on la suivait. Elle ne savait pas non plus si un malheur l'attendait au cours des prochaines minutes, des prochains jours ou des prochaines semaines. Pourquoi de tels gestes sont posés contre des personnes innocentes?

Un autre cas indique qu'un policier-cadre de Sherbrooke a reçu la visite d'un sympathisant motard à sa résidence aux petites heures de la nuit. Le policier était en devoir alors que sa conjointe était seule à la maison. Le sympathisant motard qui se préparait à entrer par effraction dans la résidence a vu une lumière s'allumer de l'intérieur et n'est pas entré. Les policiers n'ont pas pu retracer cet individu, faute de preuve.

Quelques semaines plus tard, le même policier était assis dans son salon et regardait la télévision. Voyant une lumière infrarouge se promener sur le mur, il a cru qu'il était visé par une arme à infrarouge. Plus tard, on a su que c'était un sympathisant motard qui en voulait à ce policier.

Dans un autre cas, les Hells Angels ont filmé mes anciens collègues de la GRC au poste de Sherbrooke, alors que ceux-ci vaquaient à leurs activités quotidiennes. Ils ont enregistré sur vidéocassette le numéro de plaque d'immatriculation de chaque policier, de chaque policière et de chaque secrétaire pendant leurs déplacements à l'arrière du détachement. Pour ce faire, les criminels avaient loué un condominium à l'arrière du détachement de la GRC, à Sherbrooke, et à partir de cet endroit ils ont monté un dossier sur les policiers. La vidéocassette qui avait servi à la confection des dossiers des motards a été trouvée par hasard à Lennoxville, au cours d'une opération policière au repère des Hells Angels. Plusieurs de ces situations n'ont pas mené à des poursuites judiciaires, toujours par insuffisance de preuve.

Dans le dossier du bar Le Gatsby que je vous mentionnais tout à l'heure, où trois policiers ont été menacés directement de la mort ainsi que leur famille, les trois motards ont été accusés comme tel devant le tribunal en cour provinciale. Ils ont reçu des sentences variant, non pas de temps en prison, mais d'amendes allant de 500 $ à 1 500 $.

Ces sentences ont été reçues comme une gifle à l'endroit des policiers et de leurs familles qui ont vécu ces situations, mais aussi par leur entourage et les gens du milieu judiciaire local de la région. Cette décision du tribunal contribue à solidifier l'opinion publique locale sur l'apparence de plusieurs sortes de justice, dont une pour les criminels notoires qui s'en tirent sans dommages et qui continuent leur manège, même après avoir été arrêtés, et une autre justice, celle-là imposée par le motards criminels à l'endroit de tous ceux qui pourront nuire à leurs activités et leurs intérêts.

Je vous parle de situations dont j'ai eu connaissance personnellement autour de moi et certaines ont été découvertes par hasard. D'autres situations encore aussi inquiétantes sont vécues ailleurs. Il faut comprendre que dans toutes les régions du Québec, et ailleurs au pays, des situations semblables sont vécues. Je cite, par exemple, les bombes qui ont été retrouvées autour et près des postes de quartier et services de police de Montréal, mais je n'en parlerai pas davantage n'étant pas sur le terrain à ce niveau.

En ce qui concerne notre organisation et notre comité, tous les intervenants faisant partie de notre comité ont accepté de se réunir afin d'étudier quelles actions nous pouvions poser localement pour sécuriser nos concitoyens dans un contexte d'intimidation et de perturbation aussi important.

Vous comprendrez que nos espoirs sont dirigés vers le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous souhaitons que les amendements déjà apportés dans le projet de loi C-24 sauront vous convaincre d'adopter la loi, et ceci très bientôt.

De plus, nous aimerions que vous considériez, dans le projet de loi, des dispositions portant sur la protection accordée aux personnes qui participent et qui travaillent dans le milieu judiciaire contre certains actes d'intimidation. Nous croyons qu'une peine minimale d'emprisonnement pour des cas d'intimidation pourrait jouer un rôle dissuasif.

L'augmentation des sentences maximales à 14 ans de prison est la bienvenue, je crois, par tous mes collègues policiers. Elle correspond à la volonté des Canadiens et Canadiennes et elle cadre bien dans le contexte dans lequel nous vivons. Par contre, nous savons tous que les peines maximales sont rarement imposées par nos tribunaux. Pour éviter des décisions judiciaires pouvant être considérées comme inacceptables, telles que les sentences rendues contre les motards que vous indiquiez tout à l'heure, nous croyons qu'il serait important que ce comité puisse considérer la possibilité d'y inclure des sentences minimums. Il s'agit de l'opinion de notre comité, des gens que nous représentons et qui nous entourent. Nous croyons que cet ajout assurerait une meilleure justice aux victimes dans de tels cas.

À notre niveau, nous avons apporté des actions concrètes. Après plusieurs réunions, nous avons pris l'initiative de faire une mise à jour pour un règlement municipal contemporain ayant comme objectif d'empêcher la construction d'édifices blindés ou fortifiés comme des bunkers sur le territoire d'une municipalité donnée. Prochainement, ce règlement sera distribué dans toutes les municipalités de notre région. Dans la mesure où cette démarche est bien reçue, le règlement sera disponible pour toutes les municipalités du Québec qui en feront la demande.

En conclusion, les dossiers d'intimidation de menaces envers tous les intervenants de la justice canadienne, leurs familles et autres sont de plus en plus vulgarisés par nos tribunaux, comme le sont les dossiers de la culture de marijuana largement contrôlée par les motards.

Le législateur a amélioré les textes de loi, entre autres par le biais du projet de loi C-24 que vous étudiez actuellement, en élargissant les maximums et minimums de peines. N'y aurait-il pas lieu d'assurer des sentences minimales pour éviter des peines ridicules comme des amendes lorsque des vies sont menacées et perturbées pour des années? Soyez assurés que les membres du comité que je représente sont heureux de savoir que des modifications majeures ont été apportées au projet de loi C-24 et que les actions du comité, telles ma présence devant vous, seront médiatisées pour informer nos concitoyens sur un travail appréciable que vous faites pour améliorer la qualité de vie de nos citoyens.

Tel que mentionné précédemment, nous sommes tous profondément convaincus que les amendements contenus dans ce projet de loi sont nécessaires et doivent être considérés comme une priorité afin d'être adoptés le plus rapidement possible pour sécuriser la population contre une menace réelle qui prend des proportions alarmantes. Au nom de mes collègues du Comité de concertation sur le crime organisé de la grande région de Granby et des citoyens de la circonscription électorale de Shefford, je vous remercie pour le temps que vous m'avez accordé.

[Traduction]

La présidente: Avant de passer aux questions, j'aimerais signaler que le prochain projet de loi qui sera soumis à ce comité est le projet de loi C-15A, qui comporte une section interdisant le harcèlement avec menaces. Cela pourrait vous intéresser.

Le sénateur Beaudoin: J'aimerais revenir au paragraphe 11 du projet de loi C-24 parce qu'il s'agit d'un nouveau pouvoir ou d'une nouvelle infraction. J'ai compris qu'en raison de l'affaire Campbell vous jugez que ce projet de loi permet aux forces de police de faire quelque chose qu'elles ne pourraient pas faire en vertu de la common law. En comprenant qu'avec ce projet de loi il existe une autorisation pour quelque chose de ce type, quelle est votre réaction? Il y a une expression ici, «sans autorisation légitime». Si un comportement vise à provoquer un état de crainte, cet acte est interdit par le paragraphe 11, mais à mon sens l'agent de police bénéficierait d'une immunité pour cet acte. Que pensez-vous de ce pouvoir?

La présidente: Je suggère aux sénateurs de poser leurs questions à un témoin en particulier.

Le sénateur Beaudoin: Peut-être que le chef de la GRC pourrait répondre.

M. Zaccardelli: J'essaie de trouver le paragraphe et de le lire, parce que je ne suis pas certain.

Le sénateur Cools: C'est à la page 18 du projet de loi, paragraphe 11.

Le sénateur Beaudoin: Il y a deux parties. L'intention de provoquer un état de crainte est interdite. Cependant, cela dit «sans autorisation légitime». Qu'est-ce qu'une autorisation légitime pour vous?

M. Fantino: Si je lis correctement, cela vise à protéger la police et les autres représentants. Ce n'est pas perçu comme étant un outil avec lequel nous pouvons ensuite créer un contexte d'intimidation, ce qui serait clairement inapproprié.

Le sénateur Beaudoin: Qui autoriserait?

M. Fantino: Puis-je y venir dans un moment? Cet article particulier ne va pas assez loin. Ce qui est actuellement proposé ne s'étend pas aux membres d'une législature provinciale ou à leurs familles, par exemple. Ces personnes participent à l'administration de la justice et à ses tentatives de fermer le repaire fortifié d'un club de motards. L'infraction telle que proposée présentement ne couvrira pas diverses choses qu'elle devrait couvrir à mon avis. Il y a aussi les questions d'afficher les images d'agents d'infiltration sur les sites Web et la protection des représentants municipaux travaillant sur des questions de crime organisé au niveau local ainsi que de leurs familles.

La présidente: Chef Fantino, avant d'aller plus loin, les membres d'une assemblée législative ou d'un conseil municipal ont été ajoutés par un amendement à l'autre endroit, alors ils sont dans le projet de loi.

Le sénateur Beaudoin: À la Chambre des communes?

La présidente: À la Chambre des communes. C'est maintenant un membre du Sénat, de la Chambre des communes, d'une assemblée législative ou d'un conseil municipal.

M. Fantino: Je suis heureux que nos plaidoyers aient été entendus.

Le sénateur Beaudoin: Est-ce ce que vous avez suggéré?

M. Fantino: C'est exactement ça, honorables sénateurs. Nous avons senti qu'il fallait élargir la protection à un plus grand nombre de gens participant à l'administration de la justice qui courent le risque d'être intimidés ou menacés de quelque façon.

Le sénateur Beaudoin: Cette partie de l'article est claire. La signification est claire. Ce qui n'est pas très clair, ce sont les mots «sans autorisation légitime». J'aimerais savoir ce que les forces de police considèrent comme une autorité légitime.

M. Niebudek: Sénateur Beaudoin, je suis heureux que nous parlions du paragraphe 11, parce que la proposition pour l'article 423.1 du Code criminel est extrêmement importante, particulièrement pour les agents en première ligne.

La Cour suprême jugerait sans aucun doute quelle est l'autorité légitime. La Cour suprême aura la responsabilité de décider si une autorité légitime était derrière ces infractions.

Le chef Fantino a mentionné que nous trouvons aussi que cela devrait aller plus loin. Par exemple, nous avons parlé des sites Web. Nous savons qu'il existe en Ontario des sites Web exploités par des groupes de motards qui disposent de sections appelées «faites la connaissance de vos flics» («know your cops») qui affichent des photographies d'agents de police qui ont été prises à leur insu et sans leur autorisation. Ils demandent à leur public, et je suggérerai que le public de ces sites Web est formé d'éléments criminels, d'identifier publiquement les agents de police et leurs résidences. Nous savons que certains groupes disposent de formulaires et que, lorsqu'il est intercepté par un agent de police, un membre de ces groupes remplira le formulaire avec les noms des dépendants, enfants, mari ou femme et adresse. Vous pouvez dans cette province obtenir pour 10 $ toutes les adresses des résidences d'un agent de police par l'entremise du bureau d'enregistrement des titres juridiques. Ce sont des choses qui mettent en danger les hommes et les femmes qui sont en première ligne parce que nous savons, et M. Roy a fait allusion à quelques exemples de ce genre, qu'ils nous intimident. Ils ont même réussi à intimider certains les membres du Parlement, de certaines législatures provinciales, de l'assemblée nationale du Québec. Oui, l'intimidation est très importante.

M. Zaccardelli: Le sénateur a soulevé une très bonne question. Je crois que nous tournons en rond, parce que personne n'aura l'autorité de faire cela, alors peut-être que c'est quelque chose que nous voudrons examiner dans le but de le modifier. Je ne peux pas imaginer de situation où quelqu'un obtiendrait l'autorisation de procéder à cette intimidation ou quoi que ce soit. Je ne sais pas pourquoi c'est rédigé de cette façon, parce que je ne peux pas penser à une situation ou quelqu'un obtiendrait l'autorisation légitime de faire ce genre de chose.

Le sénateur Beaudoin: C'est exactement ce que je veux souligner. Je ne vois pas comment vous pourriez obtenir l'autorisation de faire cela.

M. Zaccardelli: Je ne crois pas que ça viendrait de nous, de toute évidence.

Le sénateur Cools: C'est pour les protéger, au cas où quelqu'un les accuserait d'intimidation et de provocation. Ma lecture pourrait être erronée, parce que nous en sommes au début de notre étude du projet de loi, mais mon interprétation est que c'est pour les protéger de quelqu'un accusant la police d'essayer de causer des dommages ou de blesser quelqu'un.

Le sénateur Beaudoin: Si c'est ce que cela signifie, et c'est une possibilité, je pense que cela devrait être clairement énoncé.

M. Westwick: Quelqu'un m'a souligné que l'article 423(1), qui est l'article actuel du Code criminel, a une formulation très semblable. Je suis incapable d'ajouter quoi que ce soit à ce que le commissaire a dit sur l'utilité que cette formulation peut avoir dans le Code criminel actuel, mais la formulation de ce paragraphe du projet de loi C-24 semble répéter la formulation déjà utilisée pour l'article 423 du code.

Le sénateur Beaudoin: Il répète quelque chose qui n'est pas clair.

M. Westwick: C'est faux.

La présidente: Le Code criminel dit:

«quiconque, injustement et sans autorisation légitime, dans le dessein de forcer une autre personne à s'abstenir de faire une chose qu'elle a légalement le droit de faire»?

L'expression «sans autorisation légitime» figure déjà dans l'article 423(1) du Code criminel. Le premier paragraphe ne fait que répéter ce qui est déjà là.

Le sénateur Beaudoin: Je demanderai aux représentants officiels lorsqu'ils comparaîtront.

La présidente: C'est une question relative à la rédaction.

Le sénateur Beaudoin: Ce n'est pas clair.

[Français]

Le sénateur Rivest: Les propos de M. Roy ont illustré de façon remarquable l'intérêt de la législation pour la population. Dans la région de Saint-Hyacinthe, qui m'est familière, où beaucoup de champs de maïs se sont transformés en champs de marijuana, des députés, que Mme Diane St-Jacques connaît bien, ont été victimes d'intimidation.

Mes questions sont d'ordre technique. Premièrement, dans le projet de loi, on fait exception d'un certain nombre de crimes qui ne seront pas autorisés à un policier pour la bonne conduite de son enquête. Ce qui est tout à fait concevable. Cependant, dans la pratique, serait-ce possible que les organisations criminelles exigent que tous les membres de leur association, dans le but de détecter qui pourrait infiltrer leur organisation, commettent ces crimes?

Ma deuxième question concerne les crimes légaux qui permettent d'assurer aux policiers l'efficacité de leur enquête.

J'imagine que vous avez examiné très attentivement les cas qui sont acceptés. Avez-vous consulté les associations policières pour vous assurer que les éléments qui sont mentionnés ne nuisent pas à l'efficacité du travail de l'infiltration? Une fois que vous êtes en situation d'infiltration, vous n'avez pas le temps de prendre le téléphone cellulaire et d'appeler le patron à la GRC pour lui dire: «Ils veulent me faire faire telle affaire, qu'est-ce que je fais?» Le policier doit faire vite. Comment va-t-il se comporter si c'est un crime qui n'est pas autorisé? Est-ce que c'est ce que vous avez voulu souligner M. Prud'homme?

M. Prud'homme: Je sais que cela peut paraître très inquiétant pour ceux qui n'exercent pas les fonctions policières. Ce n'est pas nouveau. D'ailleurs, le Service de police de la communauté urbaine de Montréal, lorsqu'il a comparu, l'a bien souligné. C'est depuis la décision rendue dans l'arrêt Campbell et Shirose parce que cela fait très longtemps que le Service de police de la CUM utilise ces moyens pour infiltrer les gangs. Nous avons des directives, un code de discipline, un code de déontologie. Je peux vous dire que le SPCUM a même qualifié l'introduction de ces éléments comme une sorte d'insulte aux policiers et aux policières du Québec et du Canada.

Nous n'avons jamais commis et nous ne nous serions jamais permis de commettre des actes comme des abus sexuels, des meurtres, et cetera. Cela fait des années que nous utilisons ces méthodes. Comment pouvons-nous faire une liste exhaustive ou peu exhaustive? Ce sera tout simplement l'indication aux bandes criminalisées de passer le test pour dépister notre taupe, notre agent infiltré. Or, on va être encore une fois menotté pour un certain point, à moins de développer d'autres techniques. Et en bout de ligne, cela peut se retourner contre les policiers. L'arrêt dit au Parlement d'adopter une loi qui nous permette de poser certains actes en autant qu'on a un certain contrôle des organisations. Selon nous, vous allez automatiquement annuler l'effet de cette disposition si vous faites une énumération des gestes ou des actes.

Le sénateur Rivest: Cela peut être extrêmement dangereux pour le policier.

M. Prud'homme: Rappelez-vous ce que M. Auger vous a dit. C'est pratiquement inapplicable. De toute façon, c'est une question de preuve. Il y a quelqu'un qui va l'évaluer.

M. Zaccardelli: Il ne faut pas oublier qu'avant la décision Campbell et Shirose, on faisait face au même genre de défi. Lors du travail d'infiltration, nos agents faisaient face au même genre de test. La loi va nous permettre de faire une offre de vente ou d'achat de stupéfiants de contrebande.

L'année avant la décision Campbell et Shirose, en 1998-1999, on a eu 59 opérations majeures où l'on a utilisé un agent d'infiltration en Ontario et au Québec. Suite à la décision, on a fait deux opérations où notre agent d'infiltration était obligé d'agir de façon passive, sans être capable de faire une offre d'achat. Pensez à la situation qui existait pendant la crise de la contrebande. Oui, la loi a changé, on a réduit les taxes et l'importance du travail qu'on a fait a calmé la population. Cependant, sans cette capacité, comment peut-on aller de l'avant? Et je ne parle pas seulement pour le tabac et l'alcool.

Pour nous, il ne s'agit pas du droit de commettre un crime ou un abus sexuel. Cela n'arrivera jamais. Il n'est pas question d'un tel abus de la loi. C'est simplement le droit de faire une offre. Comment va-t-on savoir si une organisation est impliquée dans la contrebande? C'est cela qu'on veut savoir. La cour a dit: «Vous avez le droit de le faire, mais le Parlement doit se prononcer.»

M. Roy: Comme l'ont expliqué mes collègues, il est impensable qu'un policier puisse songer à commettre un crime contre la personne, que ce soit un abus sexuel, une tentative de meurtre ou une tentative de blessure. Nous sommes tous des professionnels. Aucune organisation policière - sans même avoir une législation au Canada - n'accepterait qu'un de ses policiers procède à un acte contre une personne. Je parle de dommages corporels ou autres.

Le sénateur Rivest: C'est le bon sens.

Le sénateur Joyal: Monsieur Zaccardelli, vos propos touchent l'élément essentiel de ce projet de loi, celui de la règle de droit et par inférence, celui du contrôle qui doit être exercé sur les forces policières lorsqu'elles effectuent des opérations qu'on appelle «undercover», ou lorsqu'elles sont en cours d'enquête. L'article 25 ne limite pas les pouvoirs simplement aux «undercover operations».

[Traduction]

De la façon dont j'interprète 25, il couvre toute l'enquête de l'autorité policière, qu'elle se fasse par infiltration ou dans son cadre. Nous sommes d'accord avec cela, parce que plusieurs des exemples qui nous ont été apportés ont trait aux activités d'infiltration et nous ne mettons pas cela en question.

Lorsque la Cour suprême, dans Campbell, a dit que le Parlement devait légiférer, cela ne voulait pas dire qu'à partir de ce moment il y aurait autorisation et que ces actes seraient légaux dans certaines situations. La Cour suprême a été explicite dans de précédents jugements en ce qui a trait aux éléments qui devraient exister et quand la primauté du droit doit s'exercer, quand la police cherche à aller au-delà de ce qui est la loi du pays.

Je désire vous renvoyer à la fameuse affaire Southam où le juge Dickson a établi que trois composants étaient nécessaires à l'équilibre d'un système, ou à un système où existaient des pouvoirs s'équilibrant bien entre eux. Le pouvoir est que quelqu'un doit exercer une surveillance et le contrepoids est la notion de proportionnalité. Lorsque nous disons que quelque chose est équilibré c'est parce que, toutes choses étant égales, cela semble la bonne chose à faire. La Cour suprême a été claire sur le fait qu'une évaluation doit être faite de façon neutre et impartiale. La Cour suprême a été assez claire. Elle énonce à la page 10 qu'une évaluation doit être faite de façon neutre et impartiale.

Je conviens que, en ce qui a trait aux opérations d'infiltration dans le cadre de certaines enquêtes, il devrait exister une certaine latitude de poser des actes qui seraient criminels dans une autre situation. Comment conservons-nous un contrôle des activités d'infiltration après coup? Un agent ne peut pas appeler et demander une autorisation au cours d'une opération. Ce serait ridicule, mais ce n'est pas ce que nous demandons. Qui surveille rétroactivement ces initiatives? Même si une enquête ne comporte pas d'opérations d'infiltration, où se trouve l'évaluation neutre et impartiale de l'autorisation?

Vous pouvez déléguer votre autorisation à un autre agent qui la déléguera à un autre. Ce dernier peut demander à un citoyen ordinaire de commettre l'infraction. Ce renseignement reste à l'intérieur du corps policier. Toutes les commissions, telles que Macdonald et Poitras, qui ont enquêté sur les écarts de conduite de la police ont maintenu le principe d'un contrôle civil, ce qui signifie par un organisme autre que la police.

La Cour suprême a clairement réitéré ces principes dans le jugement Mentuk qui a été rendu la semaine dernière.

[Français]

Je lis le passage à la page 19, de la décision de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba, l'arrêt R. c. Mentuck:

Notre système politique et juridique est imprégné du principe fondamental selon lequel la police doit rester sous le contrôle et la surveillance des autorités civiles, [...]

[Traduction]

Cela signifie qu'un élément externe doit superviser la police, particulièrement lorsque la police a autorisé des actes couverts par des lois criminelles ou autres lois fédérales importantes. Mon inquiétude ne porte pas sur l'autorisation; je pense que vous devriez posséder cette autorisation. Je veux savoir comment nous confirmons le principe de neutralité et d'impartialité d'un organisme civil externe.

Vous devez être protégé pour que le public puisse toujours vous garder sa confiance. Vous êtes l'ultime palier de sécurité dans ce pays, en dehors de l'armée. Nous devons conserver la confiance dans notre système d'ordre public, que vous représentez, de telle manière que le citoyen moyen croit que la police n'est pas plus criminelle que la personne moyenne qu'elle arrête. En même temps, la police est protégée des fausses perceptions de méfaits. Vous avez dit que vous défendez le principe de la primauté du droit, mais nous sommes tous humains et nous manquons parfois de jugement ou nous avons des motivations faussées qui mènent à des enquêtes s'étendant sur plusieurs années qui peuvent ruiner l'équilibre que nous nous efforçons d'atteindre.

J'ai écouté très attentivement pendant que le chef Fantino et vous traitiez de ce sujet. Je remets cependant encore en question le fonctionnement du paragraphe 25 et le fait que le paragraphe 25 ne contient aucun code de procédure d'application formellement établi ou l'autorité d'adopter un code de procédure d'application qui servirait de ligne directrice dans l'utilisation de ce pouvoir spécial et exorbitant.

M. Zaccardelli: Vous avez souligné d'excellents points. J'apprécie vos commentaires parce qu'ils contiennent en partie les réponses à notre dilemme.

Vous avez fait référence à Southam, à Campbell et Shirose et à Mentak. Prenons ces cas pour démontrer comment le système fonctionne, sénateur. Qu'avons-nous fait à la suite de Southam? Lorsque la Cour suprême a dit dans Southam qu'un mandat de perquisition devait être autorisé par un organisme indépendant, puisque c'était la Cour suprême, qu'avons-nous fait dans ce pays? Chaque organisme d'application de la loi s'est immédiatement conformé à cela. C'est ce que nous avons fait.

Je vous ai juste donné la référence. Qu'avons-nous fait à la suite de Campbell et Shirose? Lorsque la Cour suprême s'est prononcée, nous avons suspendu les opérations. J'ai donné des directives pour faire suite à l'affaire Mentuk.

C'est l'une des soupapes de sécurité cruciales de notre système. Dans notre pays, où la primauté du droit est suprême en tout temps, les organismes d'application de la loi prennent conseil de la plus haute cour et suivent les jugements à la lettres de la loi, à notre propre détriment parfois. Il nous est difficile de résister à entreprendre des opérations qui pourraient, nous le savons, juguler des activités criminelles en cours. Nous ne pouvons cependant pas entreprendre certaines opérations d'infiltration parce qu'il est plus important de respecter la primauté du droit et les jugements de la Cour suprême que de passer outre et d'attraper ces quelques criminels. Nous les voyons s'en tirer.

C'est une manifestation cruciale des pouvoirs s'équilibrant entre eux dans notre système. C'est le plus grand test du système et des cours suprêmes elles-mêmes. Je ne suis pas un représentant élu. Je relève du ministre. Je lui rends compte en tout temps et, par lui, au Parlement. Nous avons ces différents organes d'examen qui ont été créés. Je suis, en qualité de commissaire, un organe d'examen. J'ai la sérieuse responsabilité de m'assurer que les femmes et les hommes placés sous ma direction respectent la loi, tout comme les autres chefs à leur poste de commandement. Nous faisons parfois des erreurs mais nous sommes plus sévères à notre endroit que toute autre profession à ma connaissance en ce qui a trait à la façon dont leurs membres sont réglementés.

Le ministre, le représentant élu, fera cette délégation sur mes conseils. Je ferai rapport. La loi exige, si quelque préjudice se produit, que j'en avise le ministre. Il y a un équilibre des pouvoirs dans le système.

La réalité des opérations est que certaines personnes clés qui feront ce travail peuvent être identifiées à l'avance, mais la nature de notre travail demande qu'un agent ou un enquêteur agisse à l'occasion sans pouvoir prévoir. Ces actes seront jugés très sévèrement a posteriori. Nous essayons de nous assurer que ces actes respectent toujours la loi. S'ils ne le font pas, un examen se fait automatiquement. Les médias sont présents. Les comités d'examen externes sont présents. L'examen du public est présent. Les cours suprêmes sont présentes. Voilà le système des pouvoirs s'équilibrant entre eux qui est en place.

Vous parlez de l'exigence d'un autre niveau d'autorisation avant que quelqu'un puisse agir, au-dessus de l'agent de police supérieur ou de la personne spécifiquement désignée par le Solliciteur général ou ses homologies des provinces. Une telle exigence rendrait notre travail impossible. C'est le défi auquel nous faisons face.

Je vous accorde qu'il faut qu'il existe un certain degré de confiance que la police posera le bon geste la plupart du temps. J'aimerais pouvoir vous garantir que ce serait cent pour cent du temps, mais je sais qu'il y aura des situations où nous ferons des erreurs. Et nous serons alors vite sous les feux des projecteurs. Les divers niveaux de cours suprêmes viendront nous donner une orientation et des conseils. Le jugement Southam n'a pas dit que nous étions dans l'erreur; il a seulement dit qu'en vertu de la Charte des droits, dans notre société, ceci doit être fait et nous avons modifié notre politique. Le jugement Mentuk a aussi fait la même chose. Cette affaire nous a enlevé du galon et je l'accepte. Je ne me suis pas senti heureux le jour où la Cour suprême a rendu son jugement, mais je l'accepte à cent pour cent. Nous envisageons maintenant des façons de résoudre des affaires de meurtre très complexes et très difficile tout en respectant la loi.

Il y a une certaine confiance qui est partie intégrante du système, mais c'est notre système.

Si nous devions imposer un autre niveau et devoir obtenir l'autorisation d'un organe externe quelconque, cela nous rendrait absolument et totalement inefficaces. Je partage vos inquiétudes. Cela m'ennuie vraiment qu'il existe des gens là dehors qui croient ou qui ont l'impression que les policiers n'en ont que pour bafouer la loi ou commettre des actes criminels. Vous ne dites pas cela du tout, sénateur, et je ne veux pas que vous me compreniez mal, mais je pense qu'il existe un bon équilibre dans cette loi. Elle restaure l'équilibre. Elle nous donne certains outils avec certaines limitations très strictes.

Ma position était: pourquoi ai-je besoin de faire autoriser ces choses par le ministre? Je suis le commissaire. Si vous n'avez pas confiance en moi, trouvez un autre commissaire. C'est ce que j'ai vraiment dit à l'époque. Je crois être quelqu'un d'honorable, mais j'accepte le fait que le représentant élu doit participer à la procédure. Je comprends ce dilemme ou ce problème, mais je pense également que cette loi atteint cet équilibre ou en est très près. Il existe toutes sortes d'organes d'examen et de mécanismes externes qui s'abattront sur nous si vite que nous en serons étourdis. Dans l'ensemble, je pense que c'est une bonne loi.

M. Niebudek: En réponse aux inquiétudes du sénateur Joyal, j'ajouterais que nous disposons déjà d'une surveillance civile. Nous avons des commissions civiles des services policiers au pays qui enquêtent sur les forces de police municipales, les supervisent et les surveillent. L'unité des enquêtes spéciales fait la même chose dans la province de l'Ontario. Peut-être le chef Fantino en parlera-t-il. Nous avons des commissions des plaintes du public, contre la GRC par exemple. Le solliciteur général, qui est un représentant élu, examine nos actions. Nous sommes vulnérables à des poursuites criminelles. Nous sommes vulnérables à des poursuites civiles aussi. Le Code criminel donne même aux agents de police l'autorisation d'user d'une force mortelle pour une raison valable.

Ce n'est pas ce dont nous parlons ici. Nous parlons d'opérations d'infiltration policière organisées qui ont survécu à plusieurs tests préalables d'équilibre des pouvoirs. Je suggérerais peut-être aux membres de ce comité de se mettre en rapport avec leurs services de police et d'aller vérifier quels sont ces équilibres des pouvoirs, parce que certains d'entre eux sont de toute évidence extrêmement confidentiels et que nous ne pouvons pas en parler ici. Vous serez surpris par le nombre de couches d'autorisations et de permissions qui sont exigées pour mener une petite opération d'infiltration.

Je suis d'accord avec cela. Cela devrait exister et cela existe. La surveillance externe est extrêmement importante dans notre profession et elle existe.

M. Westwick: Je dis: «écoutez, écoutez» les commentaires du commissaire Zaccardelli. Je laisse la parole au chef Fantino.

M. Fantino: Une autre affaire qui ne devrait pas échapper à l'attention de cette honorable assemblée est le cas Feeney. M. le juge Sopinka a rendu un jugement qui nous a pris par surprise. Il n'existait aucune procédure permettant d'interpréter son jugement et nous avons cessé d'émettre ce type de mandat. Nous avons collaboré avec les membres de la magistrature pour obtenir des conseils et l'interpréter. Le système juridique a donné un coup de pied dans la fourmilière. Nous avons replacé tout cela. Nous n'avons pas seulement dit: «Au diable, nous continuons quand même.» Nous faisions face à une proposition à laquelle nous n'avions aucune manière de réagir. Il n'existait pas de documents et pas de dispositions dans la loi. Nous avons simplement cessé de le faire jusqu'à ce que le problème soit résolu. Cela indique la très grande somme d'intégrité, de responsabilité et de prudence nécessaires que nous apportons au travail ou à la tâche à exécuter et nous ne prenons pas ça à la légère

Je voulais vous donner un aperçu rapide de la place qu'occupe l'obligation de rendre compte dans mon univers. Tout d'abord et surtout, nous élaborons des politiques internes très serrées qui sont suivies par des vérifications, des inspections, des normes et un étalonnage d'à peu près tout ce que nous faisons. Tout cela est documenté. Il existe des dispositifs de responsabilisation qui ordonnent notre fonctionnement. Il existe des niveaux de supervision divers et nombreux jusqu'à, et, dans mon cas, incluant le chef de police, la personne la plus vulnérable dans un service de police et la personne qui doit le plus rendre des comptes. Nous avons mon organe civil, mon employeur, qui est la commission des services policiers, formé de politiciens locaux et de citoyens de la collectivité, auxquels je réponds de tout ce qui se passe dans le service de police.

Il existe diverses entités au sein de notre gouvernement provincial. Le solliciteur général gouverne l'ensemble des opérations de la police et des politiques et il existe des pouvoirs s'équilibrant, incluant des enquêtes pouvant être instituées et des enquêtes menées relativement à des allégations de comportement inapproprié des services de police. Tout ce qui nous concerne est examiné en détail par les diverses instances de poursuite, fédérales ou provinciales, et les divers paliers de nos tribunaux et du système judiciaire, incluant la Couronne, les juges et les avocats de la défense. Tout ce que nous faisons passe sous le microscope. Il n'existe pas d'échappatoire à l'obligation de rendre compte. Nous l'acceptons. Cela fait partie de notre mandat. Cela fait partie du travail. Il y a aussi les médias, le public dans son ensemble et nos meneurs politiques et décideurs. Nous vous rendons compte à vous aussi.

Nous ne devons pas oublier l'intégrité propre de l'agent de police, ni qu'à chaque pas où il peut se produire un abus de pouvoir et d'autorité des sanctions très lourdes sont prévues par le système. Si vous avez suffisamment confiance en nous pour nous laisser porter des armes et user de force mortelle dans l'exécution légale de notre devoir, afin de protéger les citoyens et nous-mêmes, vous devez nous faire confiance et nous donner un outil de plus pour permettre à notre personnel de faire son travail dans un environnement où il aura la moitié d'une chance de faire face aux défis que pose le crime organisé. Nous ne désirons pas les énumérer car je suis sûr que vous êtes bien informés là-dessus, mais nous avons également besoin de protection pour nos gens et c'est ce que cette loi procure.

Enfin, la loi proposée possède des limites très claires. Une ligne franche existe. Vous ne ferez pas certaines choses. Il n'existe pas de halo pour une interprétation en roue libre ici. L'équilibre des pouvoirs est là. Je peux vous dire, honnêtement, que je m'engagerais personnellement pour chacune de ces autorisations si elles se produisaient dans mon univers.

[Français]

M. Prud'homme: Je répondrais que nous ne sommes pas parfaits et nous ne serons pas parfaits. Tant que l'uniforme sera revêtu par des hommes et des femmes, l'erreur est possible. Cependant, si cette loi n'est pas adoptée par le Parlement, vous devrez vous poser la question suivante: qui va maintenir cet équilibre dans la société?

Ces bandes criminalisées n'ont pas de code d'éthique ni de code de déontologie. Elles n'ont pas de commission de surveillance civile qui les gère et les contrôle. Elles n'ont aucun scrupule. Nous, nous avons ces contrôles. Nous portons une arme à notre ceinture. Nous protégeons nos concitoyens et nos concitoyennes. S'il fait si bon vivre au Canada, ce n'est pas pour rien. Comme l'a dit M. Auger, regardons ce que les États-Unis ont fait pour reprendre le contrôle de ces groupes. Je peux paraître extrémiste, mais nous avons songé à vous demander de suspendre certaines dispositions de cette fameuse Charte. On sera peut-être obligé, comme société, d'y recourir si nous n'intervenons pas immédiatement.

Le sénateur Robichaud: Pour enchaîner avec ce que M. Prud'homme disait, le crime organisé représente une menace. On parle souvent de l'ampleur de cette menace. Je ne sais pas comment on pourrait la quantifier, soit dans l'entrave à vos travaux ou par les coûts pour la société en générale. On en vient ensuite au projet de loi C-24 et que vous nous encouragez à adopter dans les plus brefs délais.

Je réalise que vous n'avez probablement pas de chiffres, mais il serait bon pour nous d'en obtenir, à une autre date, afin de pouvoir s'en servir. Quel impact le projet de loi C-24 aurait sur cette menace qui est bien réelle?

[Traduction]

M. Fantino: Certaines des données que nous avons ont été recueillies dans plusieurs études effectuées relativement aux répercussions du crime organisé sur notre société. Cependant, beaucoup de ce qui se fait au sein du crime organisé infiltre la ligne de sécurité de nos collectivités et de nos citoyens. Ce sont très souvent les personnes les plus vulnérables qui sont ciblées en tant que biens consommables.

On n'a qu'à regarder les quartiers ravagés par la drogue et les crimes qui y sont associés pour réaliser comment la vie est pompée des collectivités. Les maillons de la chaîne alimentaire au sein de ces collectivités conduisent tout droit au crime organisé. Chaque dose de crack qui arrive dans nos voisinages et cible les citoyens les plus vulnérables et désenchantés de notre pays possède ce lien direct. Le crime accessoire dont nous faisons l'expérience au sein de nos collectivités est provoqué par le crime organisé. Je ne vous fournis pas des faits anecdotiques; c'est une réalité. Nous arrêtons les vendeurs de drogue. Nous voyons les fusillades, la valse des armes et les groupes se battre pour les territoires au plan local. Beaucoup de cela se déroule de manière violente dans les voisinages et les collectivités.

J'apprécie l'occasion qui m'est donnée de souligner cela. Je ne peux pas fournir un montant en dollars aux honorables sénateurs, mais je peux vous dire que la ligne de sécurité de nos collectivités et de nos voisinages et tout particulièrement des gens vulnérables de notre voisinage est directement touchée par les activités du crime organisé.

Nous connaissons aussi les répercussions financières pour notre pays. Le crime organisé nous touche tous dans notre portefeuille. Une grande part de la majoration de nos cartes de crédit passe au remboursement des biens volés par des groupes organisés de voleurs à l'étalage qui ciblent les détaillants. Nous assumons ce coût.

Nous pouvons parler de montants d'argent, mais je suis plus intéressé à montrer aux honorables sénateurs le vrai visage du crime organisé. Le vrai visage du crime organisé est le désenchantement des collectivités et la victimisation des personnes vulnérables dans les rues des voisinages de nos collectivités dans ce pays.

[Français]

M. Zaccardelli: Je ne vais pas répéter ce que M. Fantino a dit, mais j'aimerais dire que c'est un domaine où il est très difficile d'obtenir des chiffres exacts. L'important est de comparer le Canada avec plusieurs pays dans le monde. En faisant cela, on peut voir l'impact du crime organisé. Par exemple, en Europe de l'Est après que le mur soit tombé, quelles étaient les premières organisations qui se sont installées pour prendre contrôle? Ce n'était pas les politiciens ni les élus, mais plutôt le crime organisé qui a pris le contrôle de l'industrie et d'une partie de leur pays. Lorsqu'on regarde le monde, le Canada est vraiment privilégié, dans le sens que nous n'avons pas eu la corruption ou le crime organisé qui existe un peu partout dans le monde.

Pouvons-nous continuer à se donner le sentiment de sécurité que nous avons? Sommes-nous en mesure d'avoir une société capable de garantir plus ou moins une société où le crime organisé est contrôlé? C'est cela qui m'inquiète et qui représente un défi.

C'est pour cela que je ne dors pas le soir, parce que, comme chef de la GRC, je suis responsable de faire quelque chose contre le crime organisé. Pourquoi pense-t-on que nous serons toujours en mesure de garder le crime organisé de l'autre côté de la frontière du Canada? Pourquoi pense-t-on au Canada que le reste du monde peut être corrompu et non démocratique mais que nous, nous voulons quand même nous faire garantir une vie spéciale dans ce monde? C'est cela qui m'inquiète. C'est incroyable la menace que représente le crime organisé et la façon dont ils ont profité de la mondialisation et comment ils ont réussi à profiter de la technologie.

Depuis les 10 ou 15 dernières années de ma carrière, je remarque l'ampleur du crime organisé, et je note qu'il y a aujourd'hui des organisations qui étaient inconnues il y a cinq ans encore. Ils proviennent d'un peu partout dans le monde. Chaque fois qu'il y a une crise dans une partie du monde, on voit une autre organisation criminalisée qui vient ici et qui essaie de profiter de notre démocratie et des biens que nous possédons. C'est cela, la vraie menace.

Vous avez raison, nous n'avons pas les chiffres pour quantifier cela, mais nous le voyons dans les rues, pas seulement à Toronto, mais aussi à Chicoutimi et dans le Grand Nord. Dans le Grand Nord, les motards ont un système de distribution des stupéfiants meilleur que d'autres réseaux de distribution dans le monde. Ils sont capables de livrer 10 kilogrammes de cocaïne par semaine à Iqaluit. C'est incroyable ce qu'ils sont capables de faire. Ils ont le meilleur réseau de distribution au monde, même mieux que les organisations privées. C'est incroyable et cela existe! Est-ce qu'on peut quantifier tout cela? Pas exactement, mais on le voit et nos citoyens vivent avec cela.

M. Niebudek: C'est évident que les chiffres sont difficiles à obtenir. C'est difficile de quantifier les actes criminels commis par les organisations qui répondent à ce que le projet de loi vise. Toutefois, quelques chiffres me viennent à l'esprit comme celui de «150», c'est-à-dire le nombre de meurtres commis durant les dernières années au Québec et directement reliés aux groupes de motards criminalisés. Le chiffre «11» est le nombre d'années que le petit garçon Desroches a vécu avant de se faire assassiner par un morceau de métal qui provenait d'un véhicule qui a explosé. Ces deux chiffres seulement sont suffisants pour justifier un outil législatif que la Cour suprême a demandé pour enrayer ce fléau.

[Traduction]

M. Roy: Ayant été moi-même agent de terrain et ayant travaillé sous les ordres de la GRC, j'ai mené une étude dans la région de Sherbrooke, dans les Cantons de l'est du Québec, sur les producteurs de marijuana basée sur l'activité d'un magasin de matériel hydroponique. J'ai additionné quelques chiffres et j'ai été extrêmement conservateur. Ce magasin ne vendait pas du matériel hydroponique au grand public mais uniquement aux vendeurs de drogue. Ce magasin avait un chiffre d'affaires se situant dans les centaines de milliers de dollars. Ce n'était que le chiffre d'affaires d'un magasin, ne tenant pas compte de la valeur qu'aurait eue la marijuana après avoir été cultivée et vendue dans la rue. C'était seulement un magasin qui a été quelques mois sous surveillance.

[Français]

Pour ce qui est du chiffre d'affaires, pour le trafic de la marijuana, je ne parle pas de centaines de milliers de dollars ni de millions de dollars, mais de milliards. Ces données sont très conservatrices et n'illustrent qu'un problème, dans un magasin et dans une région donnée seulement. Les chiffres sont astronomiques. Une page ne suffirait pas pour inscrire le nombre de zéros.

Le sénateur Robichaud: Quel sera l'impact du projet de loi C-24 sur les activités du crime organisé? Vous dites que nous nous croyons à l'abri de cette menace, pourtant je pense que les gens réalisent, suite à plusieurs événements tels que ceux que vous avez mentionnés, que le crime organisé est bien implanté et bien structuré et qu'il représente une menace réelle.

M. Prud'homme: Dès que les bandes criminalisées ont vu l'arrivée possible d'une loi antigang, ils ont commencé à fermer des bunkers. Déjà nous voyons la différence. Monsieur Auger l'a dit, je vous le dis, ces bandes ne s'affichent plus, et cela constitue déjà un impact important. Nous demandons depuis des années une loi antigang qui nous permette de nous attaquer à des organisations criminelles comme celles qui existent aux États-Unis. Si le projet de loi n'était pas adopté, imaginez le message qu'on enverrait à ces groupes.

La population en a assez. Des sondages effectués par les médias, entre autres, démontrent que les gens demandent depuis bon nombre de mois d'adopter sans faute une loi antigang afin d'attaquer les organisations criminelles et les individus qui y participent. Les fameux chefs de bandes commencent à s'effacer ou à déménager. L'avenir vous le dira, cet outil est fondamental.

Le sénateur Gill: Il est clair que les services policiers et que les lois doivent être améliorés. Il est naturel également que tout en voulant lutter contre le crime organisé, on ne le voit pas dans sa cour. Ces organisations cherchent à s'infiltrer dans les régions éloignées, du côté des réserves indiennes qui sont très vulnérables, tout comme dans les villes, elles cherchent à s'infiltrer dans les populations vulnérables des ghettos, par exemple.

Le chômage est très élevé en régions éloignées. Des chefs de bandes de la région du Saint-Maurice et de la Côte-Nord m'ont dit que les bandes criminalisées avaient déjà infiltré leurs territoires et qu'ils n'avaient aucun moyen de lutter contre elles.

Les chefs ont exposé leur situation lors d'une réunion avec le solliciteur général. Ils sont complètement démunis face à cette situation. Quand j'étais jeune, nous avions peur de la GRC, maintenant, c'est le contraire, nous avons peur du crime organisé.

M. Prud'homme: Vous avez raison, et je vais vous donner un exemple concret que j'ai vécu. Un motard désigné par les Hells Angels de Sherbrooke a été basé à Iqaluit pour vendre du hashich qui provenait de Sherbrooke. Cet exemple se retrouve maintenant à la grandeur de la planète.

Une opération policière de blanchiment d'argent qui a eu lieu à Montréal, de 1990 à 1994, nous a permis de voir que la cocaïne qui servait aux Hells Angels de Sherbrooke servait au groupe des Hells Angels international et que le travail se faisait en collaboration avec la mafia montréalaise. Les Colombiens et les Hells Angels travaillaient de connivence pour l'exportation. C'est un problème qui doit être traité à l'échelle mondiale. Il est difficile à traiter dans les grandes villes, imaginez donc les petits villages éloignés.

Dans la ville de Granby et ses environs, qui compte une population d'à peu près 60 000, les policiers sont surveillés. On monte des dossiers sur eux. Ils reçoivent même des visites à domicile. Le crime organisé procède à des actions contre le policier. Ce n'est plus le policier qui enquête sur le criminel, c'est le criminel qui enquête sur le policier. Dans une municipalité de 200 ou 300 citoyens, se retrouvent sûrement des gens du crime organisé.

M. Prud'homme: Des municipalités de la Côte-Nord se sont récemment affiliés à la Fédération des policiers. Je suis au fait des difficultés qu'ils vivent dans l'exercice de leurs fonctions. C'est une réalité à laquelle nous ne sommes pas habitués au plan municipal, mais de plus en plus, des contacts se créent. Mes membres m'ont dit que les motards et les bandes criminalisées étaient très présents à Fermont, lors d'une des visites que j'y ai faites. Pourtant, s'y rendre prend beaucoup de temps. Nous devrons avoir des contacts avec les conseils de bande. Tout récemment, j'ai rencontré les représentants du ministère de la Sécurité publique afin de discuter de ces problématiques. Il y a d'autres acteurs impliqués, dont les conseils de bande, les gouvernements du Québec et du Canada.

Tout cela pour vous dire que nous y sommes sensibilisés. Ils sont déjà membres, alors on se préoccupe de leur qualité de vie, mais aussi des outils qu'ils doivent avoir à leur disposition, et ce dans un milieu très particulier.

M. Niebudek: C'est une question très importante et c'est lié aussi aux ressources humaines, à savoir combien de policiers et de policières sont disponibles pour mener à bien le travail qu'on doit faire afin de régler ce problème.

Comme M. Prud'homme l'a dit, il est certain que nous ne cherchons pas à déplacer les organisations criminelles, mais plutôt à les enrayer et à mettre derrière les barreaux les têtes dirigeantes qui, elles, collectent le fruit du quart de gramme de cocaïne ou du gramme de haschich qui est vendu à Iqaluit, par exemple.

À l'Association canadienne des policiers et des policières, au sein de laquelle nous représentons également des policiers autochtones d'un peu partout au Canada, nous sommes conscients des problèmes présents dans certaines communautés, à l'intérieur même des gouvernements tribaux.

Le projet de loi C-24 nous aidera énormément dans notre travail contre la criminalité organisée. Et ceci en mariant d'autres solutions, en continuant d'avoir une police communautaire préventive, en continuant d'approcher nos partenaires, que ce soit au niveau national et international ou provincial. Nous devons réaffirmer nos liens avec les services de polices des régions, ainsi que les services de polices nationaux et les agences gouvernementales qui ont la responsabilité de contrôler l'immigration et les douanes. C'est de cette façon que nous pourrons nous aussi allonger nos tentacules, tout comme le milieu du crime organisé l'a fait.

Le sénateur Gill: Je suis content qu'il y ait des relations et un certain encadrement. Vous êtes au courant sans doute du fait que les communautés autochtones essaient de se prendre en main. Il faut tenir compte de cela. Ce n'est pas parce qu'il y a un problème quelque part que nous devons en retirer les forces policières locales pour les remplacer par la Sûreté du Québec. Cet élément est très important.

[Traduction]

Le sénateur Cools: Quelqu'un a mis beaucoup de temps à la rédaction préliminaire de ces dispositions pour être capable d'y mettre ce qui s'y trouve sans donner l'impression que les agents de police sont en quelque sorte au-dessus de la loi. Je suis certaine que vous savez tous que je me suis objectée à ce que les cours ont fait avec Feeney, mais c'est une autre histoire.

Ma préoccupation est que ce projet de loi vous donne ce que vous voulez et qu'il vous procure réellement la protection que vous recherchez sans créer une nouvelle foule de problèmes qui amènerait un nouveau jugement à frapper autre chose en vous ramenant au même point.

J'ai examiné les paragraphes. Je constate que le paragraphe (2) du projet de loi tel que rédigé, dit à la page 4 pour amender l'article 25 de la loi:

Il est d'intérêt public de veiller à ce que les fonctionnaires publics puissent s'acquitter efficacement de leurs fonctions de contrôle d'application des lois conformément au principe de la primauté du droit et, à cette fin, de prévoir expressément dans la loi une justification pour la commis sion par ces fonctionnaires et par les personnes qui agissent sous leur direction d'actes ou d'omissions qui constituent par ailleurs des infractions.

Les mots «justification» et «justifier» semblent récurrents si vous poursuivez et lisez les sections suivantes.

Quelqu'un essaie d'équilibrer l'ensemble du phénomène de l'autorisation à commettre un crime et de l'octroi d'une immunité contre les poursuites pour les policiers dans l'exercice de leurs services à la collectivité. C'est rédigé de façon plutôt intéressante, mais quelqu'un a de toute évidence essayé de réfléchir à ces questions. C'est l'immunité. On ne vous accorde pas un pouvoir pour que vous deveniez vagabond. On ne vous accorde pas une autorisation pour devenir criminel. C'est un genre d'immunité de la Couronne. Il aurait parfois été préférable que la loi reste telle qu'elle était et d'élargir l'immunité de la Couronne plutôt que d'être allé dans cette direction, parce qu'incorporer ces notions à une loi n'est pas une affaire simple.

Monsieur Fantino, vous avez dit qu'en ce qui a trait à l'octroi d'autorisations, vous vous assureriez d'être personnellement engagé dans l'octroi et dans la signature de ces autorisations. Certains d'entre vous sont des messieurs très haut placés. Nous avons la GRC ici, très haut placé. Si le projet de loi est adopté et s'intègre au cadre général de l'administration de la justice, de quelle manière ces autorisations seraient-elles accordées? Par exemple, en ce qui concerne le chef de la GRC, s'assurerait-il de participer personnellement à ces autorisations? Je vous le demande pour spéculer ou deviner pour les autres personnes qui ne sont pas ici mais selon votre connaissance des forces et services de police à travers la nation, et vous en avez une connaissance substantielle, comment pensez-vous qu'ils opéreraient?

M. Fantino: Pour des enquêtes de cette nature, où ce genre de question entre ou entrerait en jeu, je serais certainement l'autorité ultime pour ce qui est de signer et je serais par conséquent responsable. La raison en est très simple. C'est comme se rendre dans une quincaillerie et là, dans une vitrine munie d'une serrure se trouvent certains outils très chers, mais néanmoins des outils qui sont nécessaires pour exécuter un certain travail. Normalement, un client venant dans ce magasin n'aurait pas accès à ces outils. Il doit aller voir un responsable qui ouvrira la vitrine et permettra l'accès à ces outils. Excusez-moi d'être simpliste, mais je vois cela comme une responsabilité très onéreuse qui me serait échue.

J'ai l'obligation totale et absolue de rendre compte des actes de tous mes gens. Si nous devons nous engager dans ce type d'enquêtes de très haut niveau, avec toutes les embûches potentielles, alors j'ai le sentiment que j'ai un devoir de conservation de moi-même et d'obligation absolue de rendre compte au public. Si nous perdons la confiance du public, alors tout est perdu de toute façon.

Le sénateur Cools: Vous dites que vous surveilleriez de très près et que vous conserveriez la haute main là-dessus; est-ce exact?

M. Fantino: Je serais l'autorité donnant le signal de départ et supervisant cette enquête particulière, si elle engageait ce type de questions.

M. Zaccardelli: La loi exigera qu'en qualité de commissaire j'identifie et je recommande à M. MacAulay, le solliciteur général, en qualité d'autorité compétente, les personnes qu'il désignera. Ces personnes seront ensuite désignées. Le ministre a le dernier mot. De manière pratique, j'affecterai les agents supérieurs des différentes régions à la supervision des membres qui auront été désignés. Lorsque ces membres devront s'engager dans une enquête particulière, ils recevront l'autorisation d'un agent supérieur de leur région et lui feront rapport. Les rapports seront transmis au ministre par mon intermédiaire.

M. Westwick: Pour ce qui est de l'autorisation, j'ai vérifié avec mon propre chef plus tôt, le chef Bevan d'Ottawa, et il a dit exactement la même chose que le chef Fantino. Qui plus est, l'Association des chefs de police accueillerait favorablement l'occasion de travailler conjointement avec la GRC, l'ACP et le ministère de la Justice à établir un protocole et des normes de formation à travers le pays. Tous les chefs de police pourraient alors exercer ce type d'autorité sur la base des mêmes principes. Les services ne possédant pas les mêmes ressources que Toronto et la GRC pourraient bénéficier de ces points de vue.

Vous avez parlé d'immunité pour la perpétration de crimes. En vertu du projet de loi C-24, les agents de police ne veulent pas avoir l'impression qu'ils commettent des crimes. Ils ne veulent pas avoir l'impression qu'ils obtiennent une sorte d'immunité. Comme le chef et le commissaire l'ont précisé, des dispositions sur l'obligation de rendre compte sont établies ici.

Les principes généraux du paragraphe 2 et, plus loin, du paragraphe 89, que vous avez tous deux cités, qualifient ces actions de justifiées dans le cadre de l'exercice des fonctions d'un policier. Ce n'est pas qu'une manière de parler. Il s'agit d'une différence significative de conception à laquelle nous croyons fermement. Nous croyons aussi que nos collègues du ministère de la Justice nous ont aussi compris à ce sujet au moment des consultations. Nous avons souligné cet élément avec fougue en raison de son importance critique pour l'idée générale et l'étayage de cette loi.

Le sénateur Cools: Quelqu'un a mis beaucoup de soin dans la rédaction et le phrasé de ces articles pour tisser ensemble les trois éléments que j'ai soulignés de façon à ce qu'il ne semble pas à leur lecture que les policiers sont soustraits à la loi ni au-dessus de la loi en quelque sorte.

Je comprends cela. L'intention générale cependant est une immunité censée vous protéger pour que vous puissiez faire le travail que vous devez faire. C'est là la nature de l'univers.

Le témoin précédent, M. Nicaso, a dit que nous ne pouvions pas gagner contre le crime organisé. Si nous croyions cela, nous pourrions tous rentrer chez nous. Nous aurons peut-être à nous réoutiller largement, particulièrement dans la façon dont nous percevons le combat contre le crime. Nous devons consentir les plus grands efforts. L'intention est ici de protéger les policiers sans d'aucune façon diminuer la protection des citoyens. Il doit y avoir une façon d'équilibrer ces intérêts.

Je vous ai écoutés attentivement. J'ai été capable de lire entre les lignes et de voir les hauts-fonds sur lesquels vous naviguiez. Cela n'est qu'un aspect des opérations et de la mise en application de ce projet de loi. Je ne dis pas que nous devrions le surveiller, mais que peut-être nous devrions l'examiner à nouveau à un certain moment pour voir de quelle façon ces soi-disant pouvoirs extraordinaires sont mis en application. Ces activités se poursuivent depuis des générations. Ne nous leurrons pas. J'ai lu beaucoup de rapports de police au cours des ans, beaucoup de rapports confidentiels.

Cela pourrait être un champ d'études intéressant particulièrement si le protocole et le cadre des réflexions éthiques sont mis au point.

La présidente: Sénateur Cools, puisque l'examen durera trois ans, nous reprendrons sans aucun doute cette question pour constater comment les choses fonctionnent réellement.

Le sénateur Cools: Je me porte volontaire.

La présidente: Merci d'être venus, messieurs.

Le comité lève la séance.


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