Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 22 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 12 décembre 2001
Le Comité sénatorial permanent des Affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-15A, Loi modifiant le Code criminel et d'autres lois, se réunit ce jour à 15 h 35 pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Nous poursuivons aujourd'hui notre étude du projet de loi C-15A avec trois panels de témoins. Le premier panel est constitué de représentants de l'Association du Barreau canadien et du Barreau du Québec.
De l'Association du Barreau canadien, accueillons Mme Perkins-McVey, présidente de la section nationale du droit pénal. À notre droite se trouve Mme Tamra Thomson, directrice du Comité de la législation et de la réforme du droit. À gauche, représentant le Barreau du Québec, nous avons Mme Carole Brosseau, avocate, Comité de la recherche et de la législation.
Si j'ai bien compris, vous trois allez chacune faire une déclaration liminaire.
Mme Tamra Thomson, Directrice, Législation et réforme du droit, Association du Barreau canadien: Mme Perkins-McVey et moi-même comparaissons ici aujourd'hui au nom de l'Association du Barreau canadien.
L'Association du Barreau canadien est un organisme bénévole national dont les membres sont des juristes de partout au pays. Ses membres sont au nombre d'environ 36 000 à 37 000. Compte parmi nos objectifs l'amélioration de la loi et de l'administration de la justice. C'est dans cette optique nous vous soumettons aujourd'hui quelques remarques.
Nous avons fourni au greffier une lettre qui a été rédigée par les membres de la section nationale du droit pénal et par le Comité sur l'emprisonnement et la libération. La section nationale du droit pénal se compose d'avocats et d'avocates de la Couronne et de la défense tandis que le Comité sur l'emprisonnement et la libération se compose de membres qui représentent une somme d'expérience considérable dans le domaine de l'emprisonnement et de la libération.
La section et le comité s'occupent depuis longtemps de nombre des questions abordées dans le projet de loi C-15A dont vous êtes aujourd'hui saisi. Bien que la lettre soit courte, elle représente plusieurs années de dialogue avec des fonctionnaires du ministère de la Justice et avec divers comités parlementaires qui se sont penchés sur ces questions.
J'inviterai Mme Perkins-McVey, qui est la présidente de la section nationale du droit pénal, à traiter des questions de fond que nous voulons examiner avec vous aujourd'hui.
Mme Heather Perkins-McVey, présidente, section nationale du droit pénal, Association du Barreau canadien: Les questions clés qui doivent selon nous être couvertes par le projet de loi sont celles liées à la procédure d'examen prévue à l'article 690. Bien que nous aimerions croire que nous tendons vers un meilleur système de droit pénal, l'existence de l'article 690 souligne le fait que nous n'avons pas un système parfait; il y aura injustices et condamnations injustifiées.
L'article 690 du Code criminel prescrit une procédure visant à remédier aux cas de condamnation injustifiée. L'Association du Barreau canadien demande depuis de nombreuses années qu'il y ait un examen indépendant de ces condamnations injustifiées. Nous n'appuyons pas les amendements contenus dans le projet de loi C-15A. En fait, nous sommes très déçus que le ministre de la Justice n'ait pas écouté le juge Cory ni prêté attention aux recommandations faites lors des enquêtes sur les affaires Marshall, Milgaard et Guy-Paul Morin. Toutes ces affaires de condamnation injustifiée, et tout particulièrement les récentes déclarations du juge Cory dans le rapport Sophonow, soulignent la nécessité qu'il y ait un examen indépendant du processus prévu à l'article 690 relativement à l'examen des cas de condamnation injustifiée. Il est décevant que le ministère de la Justice n'ait pas songé à intégrer dans le projet de loi un système semblable à celui en vigueur au Royaume-Uni.
Nous estimons par ailleurs qu'avec le projet de loi C-15A, la décision de renvoyer la cause devant un tribunal demeurerait entre les mains du ministre, qui se fonderait sur «des motifs raisonnables de conclure qu'une erreur judiciaire s'est probablement produite». Nous estimons, comme nous l'avons indiqué, que cette décision devrait incomber à un organisme indépendant et que le critère devrait être «qu'il existe des motifs raisonnables de croire que la condamnation est peut-être injustifiée».
Un autre aspect qui nous préoccupe est qu'en vertu du paragraphe 696.2(1), le ministre doit examiner une demande conformément aux règlements. Par ailleurs, le gouverneur en conseil doit prendre des règlements décrivant le processus d'instruction.
Tant que l'on ne dispose pas de ces règlements afin de pouvoir en discuter, il est impossible d'évaluer l'intégralité du processus. L'une des principales critiques à l'égard de l'actuel processus concerne son manque d'ouverture et de reddition de comptes. Nous ne pourrons même pas vous donner un avis sur la question de savoir si ces amendements régleront ou non le problème tant que nous n'aurons pas vu ces règlements.
Le pouvoir de déléguer des pouvoirs d'enquête, proposé dans le projet de loi, apporterait un important changement, mais, ici encore, tout dépendra du moment où ce pouvoir sera exercé, du choix des délégués et des limites imposées à cette délégation de pouvoir. Il s'agit là d'une chose que nous n'avons pas encore pu évaluer.
D'autre part, la préoccupation quant au manque d'ouverture du processus et du manque d'imputabilité publique n'est pas abordée dans le projet de loi. Le projet de loi ne prévoit aucune exigence que l'on donne aux demandeurs les raisons du refus du renvoi de leurs causes devant un tribunal.
Or, nous croyons que ces raisons devraient être rendues publiques. Encore une fois, s'agissant d'erreur judiciaire ou de possibilité d'erreur judiciaire, la reddition de comptes publique et l'intégrité du système sont essentielles. Le projet de loi que vous avez devant vous ne règle pas ce problème.
Nous nous sommes penchés sur les préoccupations soulevées par l'article 348.1 du projet de loi selon lequel l'invasion de domicile serait une circonstance aggravante en vue de la détermination de la peine. Selon nous, il est inutile d'ajouter ce facteur à la liste déjà longue de facteurs aggravants en vue de la détermination des peines. Cela ne fait que diluer l'importance des facteurs existants. Nous pensons que cette modification est inutile dans la mesure où plusieurs infractions connexes, telles que l'introduction par effraction dans une maison d'habitation, le vol et la séquestration, sont déjà passibles d'une peine d'emprisonnement maximale. Par ailleurs, la jurisprudence existante et les tribunaux chargés de déterminer les peines reconnaissent déjà l'invasion de domicile comme étant une circonstance aggravante.
Nous pensons que tous les tribunaux chargés de déterminer les peines devraient jouir de toute la marge de manoeuvre nécessaire, étant donné que toutes ces infractions sont déjà passibles d'une peine maximale d'incarcération à vie, pour tailler sur mesure les peines pour ces crimes les plus graves. Nous croyons fermement que cette marge discrétionnaire doit être maintenue et qu'étant donné l'actuelle jurisprudence, il n'est nul besoin d'une telle modification. Nous ne voyons aucun avantage à l'ajout de ce genre de facteur à la liste des circonstances aggravantes.
Passant maintenant au harcèlement criminel, nous ne nous opposons aucunement à ce que la peine maximale passe de cinq à dix années d'emprisonnement. À condition qu'il n'y ait aucune peine minimale obligatoire, nous n'émettons aucune objection quant à la possibilité d'augmenter la peine dans les cas qui le justifient.
Nous reconnaissons que le harcèlement criminel est une infraction très grave et les tribunaux, qu'il s'agisse de cours de première instance ou de cours d'appel, reflètent ce fait dans les peines qu'elles imposent. Notre seule inquiétude lorsqu'on hausse ainsi la barre est qu'il arrive parfois qu'on augmente par inadvertance la peine pour toutes les infractions, alors que cela n'est pas toujours mérité. Cependant, de façon générale, comme nous l'avons dit, nous appuyons l'augmentation de la peine, ce de façon à permettre au juge d'imposer, selon le cas, une peine plus lourde pour les pires cas.
Passant maintenant à l'article 79 du projet de loi portant sur le recours à des représentants, nous appuyons le recours à de tels représentants conformément à ce qui est prévu dans le projet de loi, mais nous souhaitons ardemment que la limite indiquée soit retenue, de telle sorte que le recours à des représentants soit limité aux infractions passibles d'une peine maximale de six mois d'emprisonnement.
À notre avis, dès lors qu'il est question de la liberté ou de la liberté possible d'une personne, et étant donné qu'il nous faut tenir compte de l'article 690 et des condamnations injustifiées, nous pensons qu'il est impératif que des experts professionnels formés soient à la disposition de toutes les personnes accusées d'infractions qui seraient passibles d'une quelconque peine d'emprisonnement. Nous croyons fermement que le recours à des agents ou à des intervenants parajuridiques devrait être limité, ce de façon à assurer que des professionnels juridiques formés représentent comme il se doit les accusés.
En l'absence d'un système de réglementation adéquat pour les intervenants parajuridiques et agents, nous ne sommes pas à l'aise si une telle limite n'est pas adoptée.
En ce qui concerne les articles portant sur l'enquête préliminaire, nous avons quelques sérieuses inquiétudes quant aux propositions de réforme de l'enquête préliminaire et à l'idée de limiter l'accès aux enquêtes préliminaires.
L'Association du Barreau canadien examine cette question depuis longtemps et a adressé un mémoire à ce sujet au ministre de la Justice dès 1994. Nous comprenons qu'il y a peut-être des pressions politiques accrues dans le sens de l'élimination des enquêtes préliminaires, et nous reconnaissons que le projet de loi n'a pas cela comme but.
Cependant, nous rejetons toute érosion de l'enquête préliminaire. La nécessité des enquêtes préliminaires existe toujours et nous ne pensons pas qu'il y ait suffisamment de données statistiques pour dire que l'enquête préliminaire n'est pas une façon utile de permettre à l'accusé d'avoir devant les tribunaux une défense pleine et entière.
Nous estimons que bien que l'arrêt dans l'affaire Regina c. Stinchcombe ait indiqué qu'il aurait peut-être fallu une communication complète par le procureur de la Couronne, il ne s'agit pas encore ici d'obligation statutaire. D'après notre expérience, et les procureurs de la Couronne et les avocats de la défense conviennent que l'aspect divulgation est toujours litigieux. Il existe toujours des problèmes avec l'interprétation de la loi en matière de divulgation, et il y a un bien trop grand nombre d'erreurs judiciaires par suite de non-divulgation des renseignements qui sont aux mains de la Couronne et des responsables de l'enquête.
Nous nous opposons à tout démantèlement de l'enquête préliminaire à cause de l'objet double d'une quelconque enquête préliminaire. Non seulement l'enquête préliminaire est nécessaire pour que le système judiciaire détermine si l'accusé devrait ou non subir un procès, mais elle joue également un rôle de communication préalable qui aide et la Couronne et la défense. Il importe de souligner cela. Il ne s'agit pas d'un processus unilatéral. Il ne s'agit pas d'une chose qui a pour seul objet d'aider la défense. Le procureur de la Couronne peut évaluer son dossier. Le procureur de la Couronne peut également avoir ainsi une bonne idée de ce sur quoi va s'appuyer la défense.
En ce qui concerne l'article 536.3 proposé, traitant des procédures précédant l'enquête préliminaire relatives aux déclarations énonçant les points qui seront sujets de témoignages et les noms des témoins, nous sommes préoccupés par les limites prévues. Nous craignons qu'avec l'actuel libellé les juges n'autorisent peut-être pas certaines questions soulevées, questions pouvant découler d'éléments imprévus.
En vertu de l'article 29.2 proposé, qui viendrait modifier l'article 540, le juge peut recevoir en preuve des renseignements par ailleurs inadmissible s'il les considère plausibles ou dignes de foi dans les circonstances de l'espèce. Selon nous, des éléments de preuve inadmissibles ne devraient pas être reçus lors de l'enquête préliminaire. Nous croyons que cela pourrait poser des problèmes de conformité aux garanties de la Charte lors du procès. Nous n'appuyons donc pas cet article du projet de loi C-15A.
Comment peut-on déterminer si un prévenu devra subir ou non un procès en se fondant sur des preuves considérées comme inadmissibles devant un juge des faits?
Il nous faut également examiner toute la question de l'enquête préliminaire à la lumière des autres changements déjà apportés au Code criminel. Étant donné le nombre d'infractions hybrides qui sont présentement inscrites au Code criminel, il se tient de moins en moins d'enquêtes préliminaires. Dans les affaires pour lesquelles le procureur de la Couronne a décidé que l'infraction est suffisamment grave pour qu'il y ait mise en accusation, alors cette décision devrait alors également exiger un examen exhaustif des chefs d'accusation et par la Couronne et par la défense, par le biais de l'enquête préliminaire.
Étant donné le très grand nombre d'infractions hybrides, dans la plupart des cas la Couronne choisit d'appliquer la procédure sommaire, auquel cas, bien sûr, il n'y a pas enquête préliminaire. Ce que les gens craignent et ce qui était courant il y a dix ans est aujourd'hui rarement vu dans les tribunaux, car il y a si peu d'affaires qui sont traitées par voie d'acte d'accusation.
Avant toute tentative visant à miner l'enquête préliminaire, il importe qu'il y ait un examen exhaustif pour déterminer quel effet l'enquête préliminaire telle qu'elle existe aujourd'hui a sur la dynamique des tribunaux.
Nous penchant maintenant sur les modifications relatives à la pornographie juvénile et au détournement de mineurs sur Internet, nous appuyons totalement l'objectif visé par ces propositions législatives, soit de protéger les enfants de toute forme d'exploitation et, en particulier, de l'exploitation sexuelle. Notre seule préoccupation en ce qui concerne ces articles est qu'ils soient clairs de telle sorte, par exemple, qu'à l'article 163.1 - soit celui portant sur l'infraction constituée par l'accès à la pornographie juvénile - dans l'intérêt de la clarté, le mot «sciemment» soit inséré avant les mots «accède à de la pornographie juvénile».
Nous convenons que le mot «sciemment» est contenu dans la définition, mais pour que les choses soient parfaitement claires, nous recommandons fermement que le terme «sciemment» figure également dans l'article substantiel, afin qu'il ne s'agisse pas tout simplement d'une notion à laquelle se reporter dans le cadre de la définition.
La même question se pose relativement à la nouvelle infraction constituée par le fait de leurrer des enfants sur Internet, à l'article 172.1 proposé. Nous pensons, ici encore, qu'il faudrait ajouter le terme «sciemment» à la première partie du paragraphe 1, de façon à ce qu'il se lise ainsi: «Commet une infraction quiconque communique sciemment au moyen d'un ordinateur au sens du paragraphe 342.1(2) avec...»
L'ajout du mot «sciemment» ici éviterait la création d'une infraction de responsabilité stricte. Selon nous, cette infraction devrait être assortie de l'exigence d'une mens rea complète étant donné les stigmates attachés à une déclaration de culpabilité pour ce type d'infraction et la peine dont elle est passible lorsque la Couronne procède par voie d'acte d'accusation. Nous pensons que c'est là un amendement qui devrait être envisagé.
L'autre préoccupation que nous avons concerne l'emploi du mot «facilitation». Vous avez tous déjà entendu ce terme. Vous l'avez entendu dans le projet de loi C-24. Vous m'avez entendue en parler dans ce contexte-là. Vous l'avez entendu dans le projet de loi C-36. Vous l'entendrez peut-être lors de l'examen du projet de loi C-42, la Loi sur la sécurité publique.
Notre préoccupation est née du fait que bien que la facilitation figure dans le Code criminel, le projet de loi C-15A n'en donne aucune définition. Si vous avez entendu nos interventions au sujet des projets de loi C-24 et C-36 - et vous les entendrez de nouveau répétées dans le cadre de l'étude du projet de loi C-42 -, notre position est qu'il n'existe pas de définition commune du terme «facilitation» et qu'il devrait y en avoir une qui soit uniforme d'un bout à l'autre du Code. Dans le cas qui nous occupe ici, la définition devrait être précisée, étant qu'elle est utilisée dans cette partie du Code.
Nous aimerions également porter à votre attention le fait que le paragraphe 172.1(4) semble omettre la reconnaissance de la possibilité d'une croyance erronée quant à l'âge du récipiendaire de la communication. Nous pensons que la défense fondée sur une croyance erronée devrait être maintenue et qu'il faudrait rectifier cette omission.
En règle générale, comme je l'ai déjà dit, nous appuyons les articles du projet de loi C-15A visant à protéger les enfants. Il s'agit d'un domaine très difficile et complexe. Nous apprécions le fait qu'il y ait une tentative de la part du ministère de la Justice de protéger ainsi les enfants. Il est important que nous reconnaissions la nécessité d'intégrer dans le Code criminel les changements technologiques.
Cependant, nous vous demandons d'examiner les changements proposés à la lumière des commentaires que nous avons faits et de la nécessité de faire de ces infractions des crimes de responsabilité stricte étant donné les peines accrues qui sont énoncées.
Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
[Français]
Mme Carole Brosseau, avocate, Recherche et législation, Barreau du Québec: En tant que porte-parole du Barreau du Québec, je vous remercie de m'avoir invitée à venir faire des représentations relativement au projet de loi C-15A.
À l'instar des comités de travail de l'Association du Barreau canadien, les propositions que je ferai aujourd'hui émanent des discussions du Comité en droit criminel du Barreau de Québec, lequel est constitué de procureurs de la Couronne et de la défense, et de professeurs que vous avez eu l'occasion de rencontrer lors d'autres séances de votre comité. Pour éviter la redondance, je ne répéterai pas les points qui vont dans le même sens que les suggestions proposées par ma collègue. J'insisterai donc sur les points qui se distinguent.
Je veux parler de la réforme apportée à l'article 690 du Code criminel et sur l'exercice de révision des erreurs judiciaires. Comme vous le savez, une consultation du ministère de la Justice a précédé les propositions que vous retrouvez dans le projet de loi C-15A. Le Barreau du Québec était intervenu alors pour insister sur certains points particuliers.
Plusieurs d'entre eux ont été retenus dans la version du projet de loi que vous avez actuellement et, par ailleurs, certains autres ne l'ont pas été.
Entre autres, les points qui nous étaient favorables et qui sont maintenus tenaient au fait que le pouvoir de révision demeure entre les mains du ministre. Nous privilégions cette approche à cause d'un fait historique.
Un autre point concernait l'extension du pouvoir du ministre à toute les infractions à une loi fédérale plutôt que de les limiter seulement qu'à une poursuite par mise en accusation. Cela nous satisfait. Aussi, les pouvoirs du commissaire-enquêteur confiés au ministre seront beaucoup plus intéressants dans le cadre d'une enquête. Enfin, il y a amélioration de la procédure par les critères de décision qui sont maintenant plus clairs dans la loi comparativement à la pratique d'autrefois.
Par ailleurs, certains points faibles sont cités. Entre autres, pour les fins de transparence et d'indépendance nécessaires à ce système, compte tenu du contexte très particulier qui reconnaît, comme le disait ma cons9ur, le fait que notre système n'est pas parfait, le Barreau du Québec avait suggéré la création d'un organisme indépendant pour traiter des plaintes en question. Je vous citerai un peu la formulation suggérée à l'époque. Le Barreau suggérait:
[...] de créer un comité indépendant qui verrait à l'analyse du dossier ainsi qu'à la cueillette des informations.Cette composition du comité était, à notre avis, fondamentale aux fins de la garantie d'indépendance. La collégialité était aussi déterminante à la réalisation des objectifs du processus de révision et de condamnation. Nous sommes naturellement déçus de voir que la suggestion de création de ce comité n'a pas été retenue.
On suggérait, quant à la composition de ce comité, qu'un représentant de la Couronne, un représentant de la Défense, ainsi qu'une troisième personne qui pourrait représenter les intérêts autres, tels que ceux des victimes de la société, pourraient en faire partie. On suggérait aussi qu'il y ait deux paliers de révision mis en place: le premier servant au triage des informations, et le second à l'étude plus exhaustive de la demande.
Ce comité pourrait faire ses recommandations au ministre. Le ministre poserait ses conditions par rapport aux facteurs énumérés. Cela n'avait pas tout à fait la structure et la rigidité de ce qui est préconisé et établi par le Royaume-Uni, mais cela avait l'avantage d'être un caractère indépendant.
Un autre commentaire que j'aimerais formuler concerne la disposition de l'article 696.34 du Code criminel. On y dit que la décision du ministre est sans appel Toutefois, à la lecture du libellé, on peut croire que la révision judiciaire, quant à elle, n'est pas exclue. Le Barreau du Québec ne croit pas que la révision judiciaire soit une avenue envisageable dans ce cadre. Elle ne doit pas permettre des appels sur un vague doute. C'est dans ce contexte que l'article manque de précision. Indépendamment de l'intention du législateur, il devrait y avoir une précision.
Je vais maintenant emprunter quelque peu la structure de ma collègue. En fait, je prenais la position inverse et j'avais tendance à suivre la direction du projet de loi, mais pour les fins de la présentation nous passerons à l'enquête préliminaire.
Nous jugeons fondamental le fait des changements apportés à l'enquête préliminaire. En effet, depuis 1994, à répétition, nous exigeons et réclamons des changements à l'enquête préliminaire. Ma collègue l'a dit, il y a de plus en plus d'infractions mixtes. Dépendamment du choix que fera le procureur de la poursuite en l'espèce, on peut penser que ce choix va aller plus précisément en vertu des poursuites sommaires, dépendamment des événements. Mais lorsqu'on juge qu'une infraction est à ce point grave qu'elle nécessite une enquête préliminaire, on ne devrait pas remettre en question le principe même de l'enquête préliminaire.
D'autre part, je voudrais vous rappeler un problème très particulier au Québec et qui n'est pas vécu par l'ensemble des provinces canadiennes: les cours municipales. Comme vous le savez, les cours municipales au Québec ont une juridiction relativement grande. Ils ont une juridiction en matière de droit criminel sur toute la partie 27 du Code criminel. Vous pouvez vous imaginer que cette juridiction est importante. Comme on le voit, les règles de l'enquête préliminaire seront déterminées par les cours elles-mêmes, sujettes à l'approbation du lieutenant gouverneur en conseil. Pour le Québec, cela représente vraiment un problème qu'a souvent dénoncé le Barreau.
Vous le savez, on en a beaucoup parlé dans les journaux, - je ne sais pas si les gens des autres provinces en ont été informés - mais le Québec a entrepris une réforme municipale assez importante au niveau des regroupements des municipalités, ce qui occasionne un vent de réforme au niveau des cours municipales.
Aucune décision n'a encore été prise par le ministre de la Justice, mais cela nous pose un problème réel quant à l'application de l'enquête préliminaire devant les cours municipales. Le projet de loi le prévoit. Je pense que votre comité, malheureusement, ne pourra pas prendre de décision très éclairée sur ce sujet, mais il est important qu'on le mette en lumière. Disons que nous mettons un drapeau rouge pour vous dire qu'on vit une difficulté très particulière au Québec. L'idée de fonctionner par règles n'est pas une mauvaise idée, mais les règles de pratique ne devraient pas être de nature substantive.
Par exemple, au niveau des délais, elles ne devraient pas permettre de déterminer certains délais des cours. Il devrait plutôt y avoir une uniformisation de la façon de procéder, indépendamment de l'instance devant laquelle cela procède. C'était mon premier point.
L'autre point plus général au niveau de l'enquête préliminaire se rapporte au fait que, comme vous le savez, l'enquête préliminaire se fera dorénavant sur demande. Ce qui préoccupait beaucoup les membres du comité était l'ambiguïté notée dans le rôle de l'enquête préliminaire qui était, auparavant, très clair.
Les nouvelles dispositions, au contraire, vont plutôt faire en sorte que l'on ne saura pas véritablement l'impact qu'aura l'enquête préliminaire sur le processus judiciaire. Dans le fond, ce qu'on craignait fondamentalement, c'est que l'enquête préliminaire se substitue au procès et qu'il annule, à toutes fins utiles, la portée de l'article 548 du Code criminel.
D'autre part, de façon plus spécifique, - et je vais me référer au projet de loi à l'instar de ma collègue - le même commentaire s'applique quant à l'article 540. Nous partageons la même opinion. Quant aux procédures précédant l'enquête préliminaire qu'on retrouve aux articles 536 et suivants du projet de loi: plus précisément à l'article 27 du projet de loi, nous avons des difficultés en ce qui concerne les règles, c'est-à-dire que l'article 536.3 est un exemple qui fait que, par règle, on se substitue au législateur quant à certaines mesures de l'enquête.
Quant à l'article 536.4, je voulais vous donner l'exemple de l'application des règles de pratique dans le droit substantif plutôt que seulement dans des règles de pratique. Je vous référais aussi à l'article 15 du projet de loi, où le Barreau voyait certaines difficultés au niveau des circonstances aggravantes. Il y avait aussi un problème au niveau de l'article 848.1a) qui concernait la maison d'habitation.
Nous pensons que cette disposition est redondante et devrait être éliminée. De fait, on dit que dans ce cas on savait que la maison d'habitation était occupée, on ne s'en souciait pas. Finalement, la façon dont l'article est libellé, cette situation s'applique à toutes les situations et on se demande pourquoi cette disposition s'applique.
En ce qui concerne plus spécifiquement les dispositions du projet de loi C-15A à l'égard de la pornographie juvénile, le Barreau du Québec est en accord avec les principes et l'objectif du législateur de circonscrire davantage ces points. Par ailleurs, le Barreau y voit des problèmes d'application en ce qui touche la rédaction de certaines dispositions, particulièrement celle de la confiscation. Cette disposition figure à l'article 7 du projet de loi et modifie l'article 164 du Code criminel.
Dans l'article 164.1, nous nous objections à la disposition qui prévoit qu'une personne doit fournir des renseignements nécessaires - dans le cas en l'espèce, le gardien de l'ordinateur - pour identifier et trouver la personne qui en a affiché la matière. Il s'agit d'une forme de délation et le Barreau du Québec se sent très mal à l'aise avec cette disposition, surtout que la délation se fait indépendamment de l'accusation qui sera portée.
De plus, déterminer qui est le gardien de l'ordinateur posera un problème d'identification. Si on se réfère à l'article 164.1(5), la première disposition prévoyait la saisie de l'information. Le tribunal pourra, une fois qu'il sera convaincu, selon la prépondérance des probabilités que la matière constitue de la pornographie juvénile, ordonner au gardien de l'effacer.
Le Barreau du Québec s'interroge sur le fardeau de preuve qui est proposé dans cette disposition et souvent, en matière de confiscation, on note une baisse du fardeau de preuve. Ce n'est plus une preuve hors de tout doute mais bien par prépondérance de probabilité et on s'en inquiète beaucoup.
Le dernier point rejoignait un peu ce que disait ma collègue. C'était le point relatif à l'article 172.1. Je vous réfère uniquement à ce que ma collègue a dit sur ce point, y compris sur la notion de facilitation.
Au Barreau du Québec, nous avons une loi particulière qui s'appelle la Loi sur le Barreau. Dans cette loi sont prévus des actes dit réservés, c'est-à-dire des actes exclusifs à l'exercice de la profession juridique d'avocat au Québec. Dans ces actes précis, toute comparution devant un tribunal relève exclusivement du rôle de l'avocat.
Dans la disposition sur les paralégaux, c'est comme si cette disposition du Code criminel pourrait entrer en contradiction avec nos dispositions, mais je voulais seulement insister sur le fait que devant les tribunaux, les paralégaux ne pourraient pas agir devant les tribunaux au Québec.
Cela ne veut pas dire qu'ils n'ont pas de possibilités de travail, mais ils ne peuvent pas représenter des individus. C'est très particulier au Québec et je ne crois pas que les autres barreaux à travers le Canada aient une disposition de cette nature. Je voulais juste vous l'indiquer.
On a une formation pour comparaître devant les tribunaux et les règles de preuve et de procédure devraient être réservées à l'avocat, particulièrement en matière de droit criminel. Je ne dis pas cela dans un sens de préservation du rôle de l'avocat, mais bien dans le but de protéger les droits du public. Je ne voulais pas qu'il y ait de mauvaises interprétations de ce que j'ai à dire là-dessus.
Le sénateur Beaudoin: Maître Brosseau, vous avez piqué ma curiosité lorsque vous avez relié le système des cours municipales à celui de la fusion des municipalités. Évidemment, si on fusionne les municipalités cela peut avoir une influence sur les cours municipales et j'aimerais savoir en quoi.
Mme Brosseau: Au Québec, certaines municipalités ont été historiquement créées par des chartes particulières. Pensons à la Charte de Québec et à la Charte de Montréal. À l'intérieur de ces chartes, vous aviez des prescriptions particulières sur le rôle et la juridiction des cours municipales.
Le sénateur Beaudoin: C'était dans les chartes?
Mme Brosseau: Oui, effectivement. Ce qui veut dire qu'à Montréal, Laval et Québec, les pouvoirs exclusifs de l'article 553 pouvaient être exercés par les juges des cours municipales de Montréal et de Québec. Jusqu'en décembre de cette année, on a maintenu les dispositions relatives aux cours municipales, mais elles seront abrogées le 1er janvier prochain.
Le Barreau du Québec a fait des représentations à cet égard et le rapport Bellemare, qui a été mandaté par le ministre de la Justice du Québec, a élaboré des propositions spécifiques, mais le ministre de la Justice n'y a toujours pas donné suite.
En principe, cela veut dire que ce serait la Loi sur les cours municipales du Québec qui s'appliquerait et que la juridiction selon l'article 553, historiquement réservée aux cours municipales de Montréal et de Québec, disparaîtrait.
Le sénateur Beaudoin: La province de Québec a un système spécial pour les paralégaux?
Mme Brosseau: La province de Québec a voulu réglementer l'ensemble des professions, pas exclusivement la profession juridique. La province a alors créé le Code des professions. Il existe 44 ordres professionnels au Québec régis par un Code des professions et des lois spécifiques. Ce Code des professions et ces lois spécifiques ont été créés avant tout pour protéger les citoyens. C'est la raison pour laquelle nous sommes ici pour faire des représentations. Nous avons un organisme régulateur, un Code de déontologie, et cetera. Je vous résume un peu ce qu'est le droit professionnel.
En créant la Loi sur le Barreau, on a jugé que les avocats étaient, suivant la formation qu'ils avaient reçue, les garanties qu'ils pouvaient donner au public, tant sur le plan de la responsabilité professionnelle que celui de la formation et de la compétence, être les seules personnes compétentes devant les tribunaux. Cela ne comprend pas les notaires, qui n'agissent pas devant les tribunaux. Cela n'entre pas en contradiction avec ce que Me McVey disait tantôt. C'est exactement la même chose en ce qui concerne la compétence et l'appréciation de la preuve.
Le sénateur Beaudoin: Cela ne change pas le droit substantif?
Mme Brosseau: Non.
Le sénateur Nolin: La Charte est un outil fondamental de la protection des individus.
[Traduction]
Le sénateur Joyal: Il est toujours fascinant d'entendre vos exposés. J'ai deux questions. Je vais commencer avec le deuxième, qui concerne l'enquête préliminaire et l'admissibilité d'éléments de preuve qui, autrement, ne seraient pas admissibles. Vous dites dans votre mémoire que cela serait contraire aux principes traditionnels de notre système et pourrait être contraire à la Charte, parce qu'il y a eu de nombreux jugements en la matière.
L'un des rôles du comité est de veiller à ce que les dispositions de projets de loi respectent non seulement la lettre mais également l'esprit de la Charte. Nous avons eu d'autres projets de loi, notamment les projets de loi C-36 et C-7, qui contenaient des dispositions semblant introduire des éléments de preuve, à différentes étapes de la procédure, qui ne s'appuyaient pas sur les principes que nous suivons traditionnellement dans la pondération des éléments de preuve fournis.
[Français]
Dans le projet de loi C-7, c'était l'admissibilité d'une preuve qui pouvait sur le plan technique être douteuse, à l'article 146.5 ou 146.6. Le projet de loi C-36 contient des dispositions à peu près équivalentes, non pas techniques, mais des preuves qui ne sont pas absolument démontrées lors des audiences préliminaires.
[Traduction]
Je pense qu'il s'agit de l'article 39 du projet de loi. Nous avons maintenant des changements qui semblent faire intervenir l'étape des audiences préliminaires. C'est comme si nous introduisions, par le biais de différents projets de loi, un élément qui serait contraire à ce que nous avons traditionnellement fait dans l'évaluation des éléments de preuve. Je vous renverrai à votre mémoire.
[Français]
Je lis à la page cinq, sous la réforme de l'enquête préliminaire:
[...] Nous croyons que cet article (toujours en référant à l'article 29.2, page 20 du projet de loi, qui modifie l'article 540), le juge peut recevoir en preuve des renseignements par ailleurs inadmissibles s'il les considère plausibles ou dignes de foi dans les circonstances de l'espèce. Selon nous, des éléments de preuve inadmissibles ne doivent pas être reçus lors de l'enquête préliminaire [...]et vous posez plus loin:
[...] des preuves irrecevables posent des problèmes de conformité aux garanties de la Charte en matière d'auto-incrimination et du droit à une défense pleine et entière.[Traduction]
Il s'agit là d'une allégation plutôt sérieuse. Pourriez-vous étayer votre position en renvoyant à des affaires de la Cour suprême afin que nous ayons une meilleure illustration des doutes que vous soulevez ici? Ce que vous dites est grave étant donné notre rôle, qui exige de nous que nous respections la Charte.
Mme Perkins-McVey: Il nous faut également examiner d'où cela vient. L'article portant sur la mise en liberté provisoire par voie judiciaire permet à un juge de paix, lors d'une enquête sur le cautionnement, de recevoir des renseignements qui seraient traditionnellement considérés comme de l'ouïe-dire. Il renferme un texte semblable: «des preuves [...] que le juge considère plausibles ou dignes de foi dans les circonstances de l'espèce [...]» Le ministère de la Justice semble vouloir accélérer les choses de telle sorte que si la Couronne n'a pas de témoin disponible, il puisse présenter comme preuve une déclaration qui aurait autrement été de l'ouïe-dire.
Vous me demandez de vous donner un exemple d'affaire. Tout récemment, il y a environ deux semaines, une affaire a été jugée à Toronto. C'était une décision d'un juge de la cour provinciale, et nous en obtiendrons copie pour vous. Il y était question des dangers présentés par l'admissibilité de simple ouïe-dire lors d'enquêtes préliminaires. Le juge y souligne, en gros, que l'admission d'ouïe-dire comme preuve pourrait avoir une incidence, plus tard, sur le procès proprement dit. Le juge n'avait pas la capacité de trancher la question dans cette affaire, n'étant pas habilité à trancher des questions portant sur la Charte.
Bien que cette décision ne se rapporte pas précisément à ce dont il est question ici, l'affaire a été citée dans le bulletin d'Alan Gold à cause des dangers posés par l'admissibilité de ce genre de preuve. De telles preuves pourraient, par exemple, avoir une incidence sur l'admissibilité de déclarations faites par l'accusé. Cela pourrait avoir une incidence sur le droit de garder le silence. Cela a clairement une incidence sur le droit à une défense pleine et entière.
Nous savons qu'en vertu de l'article à la page 20 du projet de loi il y a certaines conditions que le ministère de la Justice a tenté de mettre en place pour contrer tout problème potentiel faisant intervenir la Charte. Le problème est alors que cela relèvera dorénavant entièrement du pouvoir discrétionnaire du juge. Nous ne pensons pas que le droit à une défense pleine et entière doive relever d'un tel processus discrétionnaire ni que le pouvoir devrait revenir aux seules mains du juge alors que l'objet du projet de loi est de limiter sérieusement l'enquête préliminaire.
[Français]
Mme Brosseau: Je partage l'avis de ma collègue. C'est le seul exemple où l'on peut retrouver l'admissiblité de ouï-dire dans d'autres circonstances exceptionnelles, sur le plan des lois sur la protection de la jeunesse qui ont souvent un caractère hybride, c'est-à-dire un mélange entre le droit civil et le droit pénal. Ils ont une structure bien particulière. Il y a admission du ouï-dire dans un contexte particulier, dans un contexte d'urgence. Le problème que l'on retrouve c'est qu'on a fait d'une application générale d'une loi, qui s'applique de façon générale, - bien sûr l'enquête préliminaire peut être limitée, mais c'est quand même d'application générale - un principe. On a parlé aux projets de loi C-24 et C-36 d'un élément de contamination de notre droit. Cela est un élément. Cela a un impact sur une défense pleine et entière et cela ne fonctionnerait pas.
Je crois savoir qu'il existe une décision de la Cour d'appel du Québec traitant de cette question spécifique. Je vais tenter de la retrouver et vous la faire parvenir.
[Traduction]
Le sénateur Joyal: C'est toujours dans le contexte du paragraphe 29(2), à la page 20, modifiant l'article 540 du Code criminel.
Lorsque vous dites que l'article contient certaines limites telles qu'on se trouverait très près de la «peau» de la Charte - on l'égratignerait un tout petit peu - il nous faut évaluer la prépondérance des probabilités.
S'il est acceptable, aux fins d'accélérer la procédure, d'introduire dans le système un élément ayant une incidence sur la définition d'ensemble du droit à...
[Français]
... une défense pleine et entière.
[Traduction]
C'est de cela qu'il s'agit, si j'ai bien compris. Nous ajoutons des éléments étrangers au système tel que nous l'avons connu à ce palier, mais nous nous efforçons de nous rapprocher de la Charte en maintenant la capacité d'un juge de dire «oui» ou «non», mais, en vérité, nous changeons ou nous faisons pencher le système en faveur d'une accusation. C'est ce que nous faisons en introduisant cet élément, si j'ai bien compris la façon dont cela fonctionnerait dans la pratique.
Mme Perkins-McVey: Parlons justement de ce qui se passerait dans la pratique, car c'est là qu'il nous faut commencer.
N'oubliez pas qu'il y a si peu de cas dans lesquels la Couronne procède par voie de mise en accusation qu'il y a déjà eu un processus de sélection exhaustif mené par le procureur de la Couronne pour déterminer qu'il s'agit de l'un des cas les plus graves. Commençons avec cet objectif en tête et convenons qu'il s'agit de l'une de ces graves et difficiles affaires renfermant tous les facteurs aggravants énumérés dans le Code criminel.
Cela étant dit, c'est l'accusé qui est le plus vulnérable dans le système, c'est sa liberté qui est la plus à risque et, partant, à notre avis, c'est lui qui devrait avoir la meilleure possibilité de se défendre. L'obstacle qu'est la question de savoir comment définir l'affaire a déjà été franchi.
Oui, l'article dit qu'il faut qu'il y ait eu un préavis raisonnable de l'intention de présenter des renseignements pour que ces derniers soient recevables. Si l'on regarde le paragraphe 8, il faut qu'il y ait eu un préavis raisonnable de l'intention de présenter une déclaration ainsi que copie de celle-ci. Cependant, tout ce que cela signifie est qu'il faut qu'il y ait préavis. Cela ne vous confère aucun pouvoir de procédure quant à la façon de contester.
Je suis certaine que vous êtes tous au courant de la jurisprudence qui a pris forme au fil du temps relativement à l'admissibilité d'ouïe-dire en tant qu'élément de preuve. Cela a commencé avec l'arrêt dans R. c. KGB, un arrêt qui fait autorité, et la décision du juge en chef Lamer. Vous devez être au courant de toutes les garanties mises en place dans la détermination de l'admissibilité de telles preuves. Aucune de ces garanties ne figure de façon inhérente dans cet article.
Deuxièmement, l'article dit qu'une personne peut être tenue de se présenter pour contre-interrogatoire. Ce sont là les garanties qu'on a tenté de mettre en place dans le cadre de ce processus. Cependant, nous pensons que nous ne devrions même pas en arriver là, car il existe le danger de ne jamais surmonter le premier obstacle. Les preuves seront jugées comme devant faire l'objet de renvoi aux fins de procès à cette étape initiale sur la base d'éléments de preuve qui seraient par ailleurs inadmissibles.
Il nous faut également nous rappeler que l'enquête préliminaire - s'il y en a une pour ces affaires très graves - établit la façon dont l'affaire sera menée, et ce tant pour la Couronne que pour la défense.
Le sénateur Joyal: Ce concept continue de me poser problème pour les raisons que vous venez d'évoquer. Nous tous avons une idée de la façon dont cela fonctionne. L'enquête préliminaire établit les différents éléments de preuve et la façon dont le procès sera mené. Cela me choque de penser que cette procédure pourrait être menée avec un élément qui fait en fait pencher la balance contre l'accusé, alors que nous avons toujours voulu que le fardeau de la preuve revienne à la Couronne. Or, nous donnons ici à la Couronne un élément additionnel pour son arsenal au-delà de ce que nous avons normalement comme point de départ pour les parties.
Mme Perkins-McVey: Il nous faut retourner en arrière et nous préoccuper de la façon dont fonctionne notre actuel système. Nous avons de plus en plus d'accusés non représentés. Sauront-ils qu'il leur faut demander une enquête préliminaire? Debout devant la cour, seront-ils en mesure de prendre une décision éclairée au sujet des renonciations, de la limitation des déclarations et des questions? Non. Or, il aura déjà été déterminé qu'ils s'inscrivent dans cette catégorie de personnes dont le cas est grave, car cela n'est prévu que pour ces très rares actes criminels.
Nous avons examiné ces modifications sous cet angle et sommes très inquiets devant l'érosion de l'enquête préliminaire. Il y a une obligation de divulgation établie par la jurisprudence, mais je peux vous dire que, n'importe quel jour, au Palais de justice proche d'ici, vous verrez des cas où la divulgation complète n'a pas lieu.
La jurisprudence donne aux procureurs de la Couronne certaines lignes directrices énonçant les raisons, le moment et les modalités de la divulgation et leur confère certains pouvoirs discrétionnaires, mais sans obligation statutaire réelle et sans sanction en cas de non-divulgation. Je ne parle pas simplement de précédents définis par un tribunal, mais d'une obligation statutaire. Il faut cette faculté, dans les cas graves faisant l'objet d'une mise en accusation, de pleinement cerner les risques encourus par l'accusé.
Si l'on va saper, dans certains domaines, l'intégrité du système judiciaire, comme le font certains projets de loi devant cette Chambre, il faut à tout le moins, à notre sens, permettre à l'accusé de se défendre pleinement pendant son procès.
J'ai déjà fait cette remarque. Il ne faudrait pas considérer l'évolution du système judiciaire au cas par cas, projet de loi par projet de loi. Vous devez tenir compte de ce que vous avez fait la semaine dernière et aussi de ce qui se passera la semaine prochaine. D'aucuns vous diront que l'on préserve quand même l'audience préliminaire, qu'il suffit de la demander et que cette mesure ne vise qu'à en limiter l'emploi, mais ces retouches apportées au système reviennent à notre avis à enfoncer un coin.
Alors, allons-y. Vous hybridisez; vous donnez à la Couronne une certaine latitude pour déterminer la catégorie de l'infraction. Mais une fois que l'on est dans cette zone supérieure, nous pensons qu'il faut réellement assurer que justice soit faite, et soit perçue comme faite. Sinon, nous devrons revenir souvent appliquer l'article 690, celui sur l'erreur judiciaire. Je reviendrai d'ailleurs réclamer cette révision indépendante.
Le sénateur Joyal: J'aimerais vous demander de vous reporter au paragraphe 696.2(3), qui dit:
Malgré le paragraphe 11(3) de la Loi sur les enquêtes, le ministre de la Justice peut déléguer par écrit à quiconque ses pouvoirs en ce qui touche le recueil de témoignages, la délivrance des assignations, la contrainte à comparution et à déposition et, de façon générale, la conduite de l'enquête visée au paragraphe (2).
Ce que je n'aime pas dans cette disposition est qu'elle constitue une procédure similaire à un procès formel, ou du moins devrait l'être. Le ministre de la Justice peut déléguer «par écrit à quiconque». Encore une fois, je vois un parallèle avec le projet de loi sur l'extradition, qui donne au ministre de la Justice le pouvoir discrétionnaire absolu d'extrader un Canadien vers un pays pratiquant la peine de mort.
Il faudrait, dans toute la mesure du possible, enlever ces pouvoirs discrétionnaires. Ils sont exercés dans les cas les plus délicats. Ils mettent en jeu la crédibilité du système. Ils mettent en jeu la confiance du public envers les juges. Ils mettent en jeu la confiance envers la police. Nous avons vu quelques scandales causés par la police. Cependant, je ne veux pas viser un élément particulier du tout. Je ne veux pas faire cela aujourd'hui. Ce qu'il faut faire, c'est protéger le système judiciaire dans son ensemble, tous ceux participant à l'application de la loi.
On donne ici au ministre de la Justice le pouvoir discrétionnaire de désigner quiconque, en passant outre à la Loi sur les enquêtes. On aimerait croire que le ministre de la Justice nommera quelqu'un ayant la capacité d'un magistrat, car cette personne va présider à une enquête assimilable à une audience de tribunal. Pourquoi est-ce «quiconque»? La Cour suprême a souvent défini les qualifications que devrait posséder une personne travaillant en cette capacité. Nous avons vu ces dernières années des erreurs judiciaires qui auraient coûté la vie à des gens, s'ils s'étaient trouvés dans un autre pays, et nous connaissons tous ces scandales.
Même si l'on fait confiance au gouverneur général en conseil pour qu'il adopte des règlements mettant en place une procédure assimilable à celle d'une commission indépendante, cette personne sera le chef de ce système. Pourquoi ne pas exiger que cette personne possède les qualités que cette procédure est censée refléter, soit l'indépendance? Pourquoi ne pas spécifier qu'il doit s'agir d'un juriste? Après tout, cette personne doit conduire une enquête, probablement avec l'intervention d'avocats et d'autres intervenants du système juridique. Sa tâche sera difficile car le système tend à se défendre lui-même. Il suffit de lire les récits de ces erreurs judiciaires pour savoir ce que cela implique.
Le mot «quiconque» m'intrigue. Comment pourrait-on définir le statut de cette personne afin de mieux protéger le système que l'on met en place?
[Français]
Mme Brosseau: Votre question nous renvoie à plusieurs phénomènes. Cette disposition est introduite pour contrer les commentaires défavorables à l'égard de l'indépendance du processus par rapport à la décision du ministre. À notre avis, il faut se poser la question à savoir si le mécanisme introduit par la loi est suffisant quant à l'indépendance et à la transparence du système. Le choix d'une seule personne nous apparaît insuffisant. C'est pour cette raison qu'on suggérait notamment un comité indépendant à deux paliers. Ce comité pourrait être composé d'au moins trois personnes, soit un avocat de la défense, un avocat de la Couronne et d'un citoyen, qui pourrait être un représentant de victimes. Cette disposition n'atteint pas l'objectif d'indépendance.
D'autre part, votre questionnement renvoie aussi au fait qu'il nous faut considérer que les conséquences financières des révisions judiciaires sont assez importantes. Certaines réclamations, qui suivent ces révisions judiciaires, s'avèrent fondées.
Votre questionnement pour le choix de la personne par le ministre est accentué justement par le facteur pécuniaire. Quand vous vous demandez si on peut questionner le choix de cette personne, je vous répondrais qu'on devrait le faire tant au niveau de la formation que de l'indépendance ou de la transparence du processus. C'est ainsi que je le vois.
[Traduction]
Mme Perkins-McVey: Notre position est qu'il faut un organe indépendant. Le ministre de la Justice ne peut être à la fois le procureur et celui qui va réparer l'erreur judiciaire. Le modèle préconisé par l'Association du Barreau canadien est celui de la Criminal Cases Review Commission du Royaume-Uni. Cet organe dispose de ses propres enquêteurs. Une fois qu'une décision est prise de réviser une affaire, un conseil s'en charge qui comprend tant des procureurs de la Couronne que des juges retraités, des juges en exercice et une représentation régionale. Il y a donc également là une représentation du public profane.
Le sénateur Joyal: Dans votre proposition, vous semblez favoriser la nomination d'un panel de trois membres, dont l'un représente le système judiciaire. Ici, nous avons une seule personne, qui doit donc présenter toutes les qualités d'un panel de trois membres. Le problème est que rien de tel n'est exigé. Lorsque la loi dit que l'on peut désigner «quiconque», cela veut dire n'importe qui - un policier à la retraite ou un avocat ou un juge à la retraite. Ce pourrait être n'importe qui. Il n'y a aucun critère.
Je ne mets pas en doute l'intégrité de la ministre de la Justice actuelle ni de son successeur, mais nous devons nous en tenir à la loi telle qu'elle est écrite, particulièrement dans le contexte d'une erreur judiciaire. Étant donné le caractère délicat du rôle de cette personne, il faut passer ses qualifications à la loupe.
Mme Perkins-McVey: Ce ne devrait jamais être une personne seule. Je suis d'accord à 100 p. 100 avec vous. C'est pourquoi nous avons toujours dit que ce devrait être une commission comprenant au moins de trois à cinq membres. En effet, il n'y a pas de moment plus critique, dans tout le système judiciaire, pour garantir cette indépendance et cette responsabilité. Nous parlons en effet d'un moment où une erreur judiciaire a été commise, où notre système de justice est sous la loupe et attaqué.
Si vous voulez assurer l'intégrité du système de justice dans son ensemble, alors c'est le moment de la garantir, et ce de façon convaincante. Nul ne prétend que les ministres de la Justice du passé, du présent ou du futur ont des intentions cachées. Mais nous parlons là d'un moment où le système est aux prises avec sa propre faillibilité. Même les avocats qui ont défendu l'accusé à l'époque peuvent ne pas vouloir admettre qu'ils ont été partie à une erreur judiciaire, involontairement. C'est un moment où il faut une perspective objective.
Le sénateur Joyal: Je ne veux pas trop m'attarder là-dessus. Le message a été reçu. Nous avons déjà soulevé cet aspect avec les tout premiers témoins que nous avons entendus, madame la présidente s'en souviendra. Nous recevrons tout à l'heure les fonctionnaires du ministère de la Justice.
La présidente: Nous avons également comme témoins suivants l'Association canadienne des fournisseurs Internet et l'Association canadienne de télévision par câble. Ils sont déjà là et attendent.
Le sénateur Beaudoin: Vous avez dit que vous n'approuvez pas le projet de loi?
Mme Perkins: Absolument pas. Lorsque nous avons dit que nous sommes très déçus par la modification de l'article 690, c'est le moins que l'on puisse dire. Il existe quantité de modèles que nous aurions facilement pu adapter à notre usage et que l'on a écartés. Il aurait fallu les adopter.
[Français]
Mme Brosseau: Cette disposition ne fait seulement que confirmer la procédure actuelle. Cela reproduit les difficultés qui ont été dégagées et dénoncées. C'est pour cette raison que c'est insatisfaisant pour nous. On vous propose deux modèles. Nous tentons d'en proposer un, mais je pense que l'ouverture que l'on fait est de dire qu'il faut vraiment un organisme indépendant. Comme le disait tantôt ma collègue, avec les dispositions de l'article 540, nous risquons d'avoir plus de difficultés et ce processus deviendra encore plus nécessaire.
Le sénateur Beaudoin: Votre réponse est claire.
[Traduction]
La présidente: Merci d'avoir comparu de nouveau si vite, depuis la dernière fois.
Nous entendons maintenant M. Jay Thomson, président de l'Association canadienne des fournisseurs Internet et Lori Assheton-Smith, conseillère principale et vice-présidente chargée des nouveaux médias, de l'Association canadienne de télévision par câble.
M. Jay Thomson, président, Association canadienne des fournisseurs Internet: Je suis président de l'Association canadienne des fournisseurs Internet, basée ici, à Ottawa, et connue également sous son sigle ACFI.
L'ACFI est une association professionnelle nationale représentant les fournisseurs de services Internet ou FSI. Elle regroupe à la fois de grandes entreprises, comme Bell Canada, Telus et AOL Canada, et de nombreuses entreprises locales plus petites qui, collectivement, assurent environ 80 p. 100 des liaisons Internet au Canada.
Il me fait plaisir de comparaître devant vous cet après-midi, avec nos collègues de l'ACTC, avec qui nous travaillons en étroite collaboration sur ce dossier, pour réaffirmer notre appui de principe à l'adoption des dispositions proposées dans le projet de loi C-15A visant à enrayer la pornographie juvénile et le détournement de mineurs sur Internet. Toutefois, je me dois aussi de signaler que nous craignons fort que ces dispositions n'aient un effet préjudiciable marqué, bien que manifestement involontaire, sur les FSI et sur l'utilisation d'Internet.
Sachez tout d'abord que le contenu d'Internet est un sujet dont les membres de l'ACFI se soucient beaucoup. Notre association a pris ses propres mesures d'autoréglementation et de sensibilisation du consommateur afin d'aider à calmer les préoccupations des Canadiens au sujet du contenu illégal et choquant qui peut s'y trouver.
En février dernier, nous avons fait équipe avec le gouvernement du Canada pour lancer la Stratégie canadienne pour l'utilisation sécuritaire, prudente et responsable d'Internet. D'ailleurs, notre association est mentionnée 19 fois dans la brochure qui explique comment le gouvernement, des organisations sans but lucratif et le secteur privé s'efforcent de collaborer pour faire du cyberespace un lieu plus sûr pour les Canadiens et leurs familles.
À l'occasion de ce lancement, nous avons inauguré notre portail de protection: ce site Web entièrement bilingue vise à sensibiliser le public et à le renseigner sur des organismes, des groupes et des particuliers qui offrent des solutions constructives aux questions relatives au contenu Internet. L'un de ces organismes est LiveWires Design de Vancouver qui se sert de jeux sur ordinateur et de bandes dessinées pour éveiller les enfants au danger de détournement de mineurs dans Internet, l'un des sujets couverts par le projet de loi C-15A. J'invite tous les membres du comité à rendre visite à ce portail, accessible à partir de la page d'accueil de notre site, à www.caip.ca. D'autre part, nous participons à l'heure actuelle, avec l'ACTC et d'autres, aux activités du groupe multisectoriel travaillant à la création d'une ligne d'assistance concernant la pornographie juvénile dans Internet au Canada.
Nous croyons fermement qu'une autoréglementation responsable est, dans l'ensemble, le moyen le plus efficace et le plus pratique de calmer les préoccupations de nos concitoyens à l'égard du contenu Internet. Toutefois, nous reconnaissons aussi qu'il peut y avoir des points sur lesquels les internautes, les responsables de l'application de la loi et les FSI trouveraient très avantageux de pouvoir conjuguer l'autoréglementation à des mesures législatives judicieusement libellées. C'est pourquoi nous appuyons, en principe, les articles pertinents du projet de loi.
Cependant, nous formulons aussi de sérieuses réserves sur le libellé de ces dispositions. Nous savons que la ministre de la Justice a assuré aux membres du comité, ainsi qu'à celui de la Chambre des communes étudiant le projet de loi C-15A, que celui-ci vise les auteurs de pornographie juvénile et les prédateurs d'enfants, non les FSI. Nous avons salué cette déclaration d'intention, mais, sauf notre respect pour la ministre, le projet de loi n'est toujours pas clair sur ce point. Le libellé reste si général que nous craignons qu'il permette à un tribunal de tenir un FSI responsable d'actes criminels commis par autrui à son insu et sur lesquels il n'a aucun contrôle.
Le projet de loi C-15A modifierait le paragraphe 163.1(3) du Code criminel en rendant coupable d'une infraction quiconque «transmet» ou «rend accessible» de la pornographie juvénile. Malgré l'assurance donnée par la ministre qu'il n'y a pas de confusion possible quant à la portée de ces termes dans le cas des FSI, ni l'un ni l'autre n'est défini ou circonscrit.
Nous craignons par conséquent que, malgré les propos rassurants de la ministre, un procureur de la Couronne n'invoque le projet de loi C-15A pour porter une accusation contre un FSI à l'égard d'un contenu illégal «transmis» ou «rendu accessible» par quelqu'un d'autre. Même si le tribunal tenait compte de la déclaration de la ministre à l'effet que ce n'est pas l'intention du projet de loi et innocentait le FSI accusé - ce qui est loin d'être garanti - le mal aura déjà été fait: les frais nécessaires pour se défendre contre une telle accusation conduiraient bon nombre de nos membres, les FSI de petite taille, à la ruine.
Non seulement cela serait-il injuste et injustifié, cela irait à l'encontre de l'approche adoptée par d'autres États démocratiques appliquant des principes de droit pénal similaires, à savoir les États-Unis et la Commission européenne, et cela désavantagerait le Canada face à ses concurrents dans le monde de la nouvelle économie Internet où il essaie de s'imposer en chef de file.
Le Sénat étudie actuellement le projet de loi C-36, la Loi antiterroriste, qui modifie entre autres l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de façon à sanctionner la diffusion de propagande haineuse par Internet. J'attire votre attention sur le fait que l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne précise bien que le propriétaire ou exploitant d'une entreprise de télécommunications n'est pas responsable lorsqu'une personne se sert de ses installations pour diffuser de la propagande haineuse.
À moins de clarifier le projet de loi C-15A, nous nous retrouverons dans la situation où le FSI n'est manifestement pas responsable lorsqu'un tiers quelconque utilise ses installations pour transmettre de la propagande haineuse, mais peut l'être si la même personne décide d'y ajouter des images pornographiques mettant en scène des enfants. Ce genre d'incohérence n'est ni équitable ni soutenable dans le contexte du droit canadien.
Nous exhortons donc le comité à clarifier le projet de loi C-15A de façon à éviter qu'il impose ces obligations fortuites aux FSI. Il existe au moins deux façons de le faire: vous pourriez reprendre le libellé de l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, ou bien vous pourriez utiliser un libellé qui accomplit la même chose et que l'on trouve dans la Loi sur le droit d'auteur. Vous trouverez le texte correspondant à chacune de ces options dans notre mémoire.
Enfin, le projet de loi C-15A prévoit en outre un régime de suppression, sur ordonnance judiciaire, de tout contenu Internet qu'un tribunal juge être de la pornographie juvénile. Le même concept se retrouve dans le projet de loi C-36, à l'égard de la propagande haineuse. Le principe est bon. Toutefois, le libellé proposé présente des difficultés techniques, mineures mais sérieuses. Nous proposons donc un libellé qui éliminerait facilement ces problèmes sans modifier ces dispositions sur le fond.
En conclusion, je répète que nous, à l'ACFI, considérons que les modifications proposées au Code criminel sont judicieuses. Toutefois, nous vous exhortons à faire en sorte que ces mesures appropriées n'aient pas des conséquences fortuites, injustes et anticoncurrentielles pour les petites et moyennes entreprises canadiennes.
Je serais ravi de répondre à vos questions.
Mme Lori Assheton-Smith, conseillère générale et vice-présidente chargée des nouveaux médias, Association canadienne de télévision par câble: L'ACTC représente plus de 800 systèmes de câblodistribution de tout le Canada. Collectivement, nos membres assurent l'acheminement de services de divertissement, d'information et de télécommunications à quelque 6 millions de foyers canadiens, dont plus d'un million d'abonnés à un service d'accès Internet à grande vitesse par câble. L'industrie canadienne de la câblodistribution, en tant que leader mondial de l'accès Internet à large bande, est intéressée au premier chef par ce projet de loi. Comme M. Thomson l'a mentionné, nous avons également consulté l'Association canadienne des fournisseurs Internet en vue de la rédaction de notre réponse et nous partageons pleinement ses préoccupations et souscrivons à ses recommandations générales.
Nous comparaissons aujourd'hui pour deux raisons. Premièrement, nous voulons exprimer notre soutien ferme et sans réserve à l'esprit des modifications du Code criminel proposées qui visent à criminaliser l'exploitation sexuelle des enfants sur l'Internet. Les responsables de la création, de la diffusion et de la consommation de pornographie juvénile ne devraient pas être traités différemment, en droit, du seul fait qu'ils utilisent l'Internet pour commettre leurs délits.
Face à la présence d'activités criminelles utilisant l'Internet, les FSI par câble ont noué une étroite relation de coopération avec les organismes d'application de la loi dans tout le Canada. Nos membres sont fréquemment en rapport avec les services de police locaux et mettent leurs compétences techniques à la disposition de ces derniers au sein d'équipes d'intervention. Nous continuerons à collaborer activement avec la police afin d'accroître l'efficacité de nos efforts communs. En tant que partenaires dans la lutte contre la pornographie juvénile, nous sommes pleinement en faveur de mesures claires, justes et appropriées visant à identifier, poursuivre et condamner les auteurs de ces infractions commises en ligne.
Ainsi que la ministre de la Justice l'a indiqué ici même et devant le comité de la Chambre des communes, l'autoréglementation et la sensibilisation des usagers sont également des éléments clés d'une stratégie d'ensemble visant à combattre la pornographie juvénile et l'exploitation sexuelle des enfants sur l'Internet. L'ACTC est une grande partisane de la stratégie canadienne pour l'utilisation sécuritaire, prudente et responsable d'Internet, et nous participons activement au groupe d'experts qui travaille à la création d'une ligne téléphonique nationale d'assistance au service des usagers d'Internet.
En outre, les membres de l'ACTC comptent également parmi les fondateurs du Réseau Éducation-Média qui sensibilise les personnes et familles et leur apprend à se servir d'Internet de façon responsable et sûre. Les câblodistributeurs ont plusieurs décennies d'expérience de l'autoréglementation et nous ne doutons pas que nous saurons relever avec autant de succès les défis émergents dans l'environnement Internet.
La deuxième raison de notre comparution aujourd'hui est que nous recherchons deux amendements au projet de loi, courts mais importants, tous deux destinés à mieux préciser la portée et l'effet de ces mesures.
Le premier amendement que nous recherchons porte sur l'article du projet de loi qui crée les nouvelles infractions consistant à «transmettre» et «rendre accessible» de la pornographie juvénile. Nous craignons qu'en l'absence d'une définition de ces notions, les fournisseurs de services Internet, ou FSI, pourraient par inadvertance tomber sous le coup de la loi, même lorsqu'ils n'ont pas eux-mêmes connaissance du contenu illégal ou de moyen de le contrôler. À notre sens, un FSI ne devrait pas être tenu davantage responsable du contenu distribué par son réseau que la société de téléphone n'est responsable de la teneur des conversations téléphoniques transmises par ses fils ou des messages de boîte vocale emmagasinés dans ses ordinateurs.
Nous prenons acte de la déclaration de la ministre disant que le projet de loi ne vise pas les fournisseurs de services Internet. Il vise les pornographes qui se servent de l'Internet pour commettre leurs crimes. Elle a souligné que les FSI ne seront pas tenus responsables lorsqu'ils n'ont pas connaissance du contenu illégal distribué par leurs systèmes ou n'ont pas de moyen de le contrôler. Elle a également confirmé que le projet de loi n'impose pas aux FSI l'obligation d'effectuer une surveillance du contenu transitant par leurs systèmes.
Nous apprécions grandement cette clarification donnée par la ministre de l'intention du projet de loi. Néanmoins, en dépit de ces assurances verbales, l'ACTC continue de craindre que les FSI soient poursuivis et condamnés pour les actes criminels de tiers à moins que cette clarification ne soit intégrée dans le texte de la loi elle-même.
L'ACTC propose, par conséquent, un amendement qui exonérerait expressément les FSI de toute responsabilité criminelle en vertu de l'article 163.1 du Code lorsqu'ils remplissent simplement leur office de FSI sans aucune intention criminelle. Évidemment, si un FSI contribuait sciemment et délibérément à la commission de l'une des infractions énoncées, sa responsabilité serait engagée. Autrement dit, l'amendement que nous proposons permettrait quand même de faire enquête et d'intenter des poursuites à l'égard de toutes les personnes, y compris un FSI, se rendant coupable de ces actes criminels.
Le mémoire que nous avons distribué en anglais et en français aux membres du comité indique le libellé précis de l'amendement que nous proposons. Ce libellé est fondé sur une disposition similaire de la Loi sur le droit d'auteur, qui exonère les transporteurs de signaux de toute responsabilité à l'égard des contrefaçons pouvant être commises par les usagers - une exemption interprétée par la Commission du droit d'auteur comme applicable aux FSI. Comme M. Thomson l'a indiqué, la Loi canadienne sur les droits de la personne contient un libellé similaire à l'égard de la responsabilité des entreprises de télécommunications touchant la dissémination de propagande haineuse. Notre amendement est également conforme à l'approche générale de la responsabilité des FSI pour le contenu en ligne adoptée par un certain nombre d'autres pays, dont les États-Unis et les pays européens.
Le deuxième amendement que nous recherchons est une modification du libellé du projet d'article 164.1, qui établit une procédure de notification et de suppression du contenu pornographique juvénile hébergé sur les serveurs canadiens. Tout en approuvant la procédure d'ensemble, nous formulons de graves réserves sur le libellé de l'alinéa 164.1(1)b) qui oblige le FSI à «s'assurer que la matière n'est plus emmagasinée ni accessible au moyen de l'ordinateur».
Le problème que nous voyons est le suivant: il est presque impossible à un FSI d'assurer que le contenu n'est plus emmagasiné nulle part dans son système. En effet, premièrement, le contenu est souvent emmagasiné dans des lieux multiples. Il serait difficile et compliqué pour un FSI d'effacer de manière permanente une matière spécifique de toutes ses mémoires. Deuxièmement, il est virtuellement impossible pour un FSI de garantir qu'un contenu donné soit purgé de façon permanente de son système. Même s'il efface le contenu incriminé de ses serveurs, rien n'empêche que l'auteur pourrait le réafficher avec une facilité relative presqu'immédiatement, soit dans le système du même FSI soit dans un autre. Il n'est tout simplement pas faisable pour un FSI de filtrer activement les vastes quantités de contenus de l'Internet pour assurer qu'une matière spécifique ne soit plus emmagasinée dans son système. Nous proposons un moyen simple et approprié de régler ce problème, et vous trouverez le libellé précis dans notre mémoire.
En conclusion, l'ACTC félicite le gouvernement de prendre cette importante mesure en vue de protéger la sécurité et le bien-être des enfants internautes. Nous n'avons aucune réserve sur l'intention du projet de loi, uniquement sur sa portée potentielle.
À notre sens, les amendements que proposent l'ACTC et l'ACFI rendraient la loi plus claire sur le plan technique et juridique, sur la base du traitement traditionnel des distributeurs de télécommunications s'agissant du contenu transmis par leurs réseaux. À notre avis, ces amendements feraient également en sorte que la loi reflète plus fidèlement l'intention du gouvernement de rendre pénalement responsables uniquement les auteurs d'infractions.
Je serais ravi de répondre aux questions que les membres du comité pourraient avoir.
Le sénateur Beaudoin: Vers la fin de votre mémoire vous dites que le projet de loi C-36 propose de modifier l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne de façon à préciser qu'il est illégal de disséminer des messages haineux sur l'Internet. J'aimerais en savoir un peu plus à ce sujet car, comme vous dites, à moins que le projet de loi C-15A soit rendu plus clair, nous aurons une situation où un FSI n'est clairement pas responsable lorsqu'une tierce partie inconnue utilise ses installations pour de la propagande haineuse, mais pourrait le devenir si la même partie décide d'y ajouter des images de pornographie juvénile. Il y aurait donc là une différence de traitement, n'est-ce pas? Nous ne sommes pas experts dans ce domaine et il serait utile que vous nous donniez quelques compléments d'explication.
M. Thomson: Je ne suis nullement expert de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Je ne suis pas particulièrement familier de l'histoire législative de ces dispositions particulières. Néanmoins, elles établissent clairement que, s'agissant du contenu transmis par un service de télécommunications - qui était initialement un réseau téléphonique mais englobe maintenant un système d'accès Internet - que c'est là une simple fonction de transmission. Souvent, le fournisseur de ces installations ne connaît pas le contenu et ne peut pas le déterminer.
Le sénateur Beaudoin: Vous dites «souvent ne sait pas»?
M. Thomson: Il faudrait que je précise. Il ne sait jamais, à moins d'entreprendre activement d'écouter les conversations privées. Normalement, il ne connaît pas le contenu de la transmission. Le Parlement a clairement reconnu que le fournisseur des installations de télécommunications ne doit pas être tenu responsable aux fins de la Loi sur les droits de la personne. Nous demandons la même reconnaissance dans cette nouvelle loi.
Le sénateur Beaudoin: Vous demandez donc le même traitement dans le projet de loi C-15A à l'égard de la pornographie juvénile?
M. Thomson: Exactement. Nous recherchons l'uniformité de ces différentes lois.
La présidente: Je veux bien m'assurer que nous parlons de la même chose. Madame Assheton-Smith, vous souscrivez, je crois, au deuxième amendement proposé par M. Thomson, et je précise pour la gouverne des sénateurs qu'il porte sur la page 3, l'article 7 du projet de loi, soit le nouvel alinéa 164.1(1)b), où il s'agirait de supprimer les mots «emmagasiné ni», si bien que l'alinéa se lirait ainsi: «que la matière n'est plus accessible au moyen de l'ordinateur».
Mme Assheton-Smith: C'est juste.
Le sénateur Pearson: Il s'agit là d'un sujet qui intéresse le grand public. Il va falloir maîtriser ce problème. Pourtant, il me semble que plus on cherche à le maîtriser, plus il grossit. Comme vous l'avez dit, il y a aujourd'hui trois fois plus de trafic que lorsque nous en avons parlé la première fois.
Monsieur Thomson, vous dites que 80 p. 100 des usagers d'Internet canadiens sont couverts par votre association. Pourquoi pas 100 p. 100? Je vous pose la question par simple curiosité. Je sais qu'il existe de petits fournisseurs de services Internet, mais qui sont-ils et comment cela fonctionne-t-il?
M. Thomson: C'est une excellente question. Les membres de notre organisation fournissent la connexion à l'Internet à environ 80 p. 100 des internautes canadiens. Nous représentons à ce stade environ 80 p. 100 de tous les FSI. Nous aimerions les compter tous comme membres, mais comme toute autre association professionnelle, nous avons de la difficulté à les convaincre tous d'adhérer.
Nous ne comptons pas, de façon générale, comme membres les sociétés de câblodistribution, qui offrent également un service Internet. Ces compagnies sont représentées par l'ACTC.
Le sénateur Pearson: Mais à vous deux, vous couvrez à peu près la totalité du spectre?
Mme Assheton-Smith: Pratiquement.
M. Thomson: Nous couvrons l'ensemble de l'industrie et les différents types d'entreprises. Nous ne couvrons pas toutes les sociétés individuelles, mais nous nous y efforçons.
Le sénateur Pearson: Je pense que nous convenons tous - tout comme la ministre - que vous ne pouvez pas être tenus davantage responsable du contenu de vos réseaux qu'une compagnie de téléphone. Ce serait techniquement impossible et impensable.
Je m'interroge sur la possibilité que vous avez soulevée, madame Assheton-Smith, à savoir qu'il pourrait exister un fournisseur de services Internet qui soit sciemment impliqué? Existe-t-il à votre connaissance des fournisseurs clandestins?
Mme Assheton-Smith: Je ne sais pas s'il y jamais eu des poursuites engagées contre un fournisseur de services Internet au Canada. Je ne sais pas si mon collègue pourrait répondre.
M. Thomson: Je suis d'accord. Nos deux organisations sont constamment en communication avec les services de police. Aucun n'a jamais abordé avec moi la notion d'un «FSI criminel» qui se livrerait à la pornographie juvénile. Au contraire, les services de police se félicitent toujours de leurs relations avec les FSI, qui collaborent invariablement avec eux.
Le sénateur Pearson: Je me souviens vaguement d'une histoire d'un petit fournisseur en Alberta impliqué il y a quelques années.
M. Thomson: Il y a eu un cas d'un petit FSI dans l'intérieur de la Colombie-Britannique. C'était une affaire de propagande haineuse et des poursuites ont été engagées.
Le sénateur Pearson: L'a-t-on fermé?
Le sénateur Joyal: En fait, il a fermé, mais davantage suite aux pressions de la collectivité que du fait d'autres mesures.
Le sénateur Pearson: Je m'en souviens. De toute façon, je pense que la probabilité qu'un FSI soit poursuivi est très faible. Je comprends votre préoccupation, mais cela ne me paraît pas probable car ce n'est jamais arrivé jusqu'à présent. Qu'en est-il à l'étranger?
Mme Assheton-Smith: Ce n'est pas parce que ce n'est jamais arrivé encore que cela ne pourrait pas arriver à l'avenir. Il existe des cas, dans certains pays, où des FSI ont été poursuivis au pénal à cause du contenu disponible sur leur système. C'est un domaine assez mouvant sur le plan international. De nombreux pays cherchent à régler les mêmes problèmes que le Canada en ce moment. Différentes approches sont mises à l'essai et appliquées. C'est un sujet qui a retenu beaucoup l'attention en Europe, tant du point de vue de la pornographie juvénile que d'autres types de contenu. Il y aura en 2003 un examen complet de ce qu'ils appellent les procédures de notification et de suppression.
Quelques mesures préliminaires sont déjà en place, mais la communauté européenne va les revoir au cours des prochaines années pour en jauger l'efficacité. C'est une approche que vous rencontrerez probablement dans beaucoup de juridictions qui cherchent à cerner ces problèmes et à trouver l'équilibre approprié entre responsabilité et flexibilité.
Le sénateur Pearson: Lorsque le fournisseur d'Internet initial est à l'étranger mais accessible ici, comment les autorités peuvent-elles mettre la main sur la personne qui accède à la pornographie au Canada? Est-ce que ces personnes doivent passer par un FSI canadien ou bien peuvent-elles le faire par le biais d'un FSI n'importe où?
M. Thomson: La nature mondiale de l'Internet signifie qu'un Canadien pourrait s'abonner auprès d'un FSI n'importe où dans le monde pour se brancher. De façon générale, les Canadiens s'abonnent auprès de FSI canadiens, soit parce que c'est un fournisseur de leur localité ou parce que la société est réputée à l'échelle nationale.
Pour accéder aux images pornographiques, un Canadien devra d'abord avoir accès à l'Internet, ce qu'il fait en s'adressant à un FSI, afin de pouvoir télécharger, et voir le contenu circulant sur le Web ou transmis par courriel ou des cercles de discussions, tout ce que vous voudrez. Il se peut fort bien que ce contenu provienne d'un autre pays. Mais un Canadien avec un branchement Internet peut y accéder.
Le sénateur Pearson: Êtes-vous membres d'organisations internationales qui cherchent à maîtriser ce genre de problème?
M. Thomson: Oui. Nous faisons partie d'une organisation assez lâche intitulée World Internet Forum, qui est un rassemblement d'associations de FSI comme la nôtre, de divers pays. Nous avons également signé un protocole d'entente avec l'association européenne des FSI, dans le but de travailler ensemble sur des sujets d'intérêt commun, dont celui-ci.
Le sénateur Pearson: Je sais que les Européens cherchent à s'attaquer au problème, mais je me méfie de certains des autres pays. Si vous étiez un petit FSI dans un petit pays quelconque, pourriez-vous réaliser un profit en étant le serveur de ce genre de contenu?
M. Thomson: Théoriquement, oui. Il y a des usagers prêts à payer pour accéder à certains types de matières. Il peut y avoir un profit à les distribuer, qu'il s'agisse de pornographie juvénile ou de jeux d'argent. Mais le FSI ne tend qu'à fournir la connexion. Ce sont d'autres organisations ou personnes qui utilisent les ressources et installations du FSI pour offrir le service illégal à titre lucratif.
Le sénateur Pearson: C'est un domaine très complexe et difficile à maîtriser. Merci beaucoup.
Le sénateur Rivest: Ma première question est de savoir ce qui est le mieux, le câble ou un FSI?
Mme Assheton-Smith: Je préfère m'abstenir de répondre.
M. Thomson: J'aimerais beaucoup vous en parler, mais il vaut mieux que je m'abstienne.
Le sénateur Rivest: N'êtes-vous pas rassurés par l'affirmation de la ministre que toutes les infractions criminelles créées par ce projet de loi, particulièrement celles touchant la pornographie juvénile, sont régies par la mens rea - l'intention délictueuse? Cela ne vous suffit-il pas?
Mme Assheton-Smith: Est-ce utile? Absolument. Nous sommes très heureux d'entendre ce genre d'assurance de la bouche de la ministre. À l'avenir, si jamais nous avons à expliquer l'intention du législateur lorsqu'il a promulgué cet article, il sera utile de pouvoir citer le compte rendu du comité.
Néanmoins, ce n'est pas aussi déterminant que le texte noir sur blanc d'une loi et c'est pourquoi nous aimerions que ce soit rendu explicite. Évidemment, si cela n'est pas fait, nous utiliserons la transcription des délibérations du comité comme preuve de l'intention législative. C'est rassurant, oui. Je suis rassurée. Je préférerais néanmoins que ce soit précisé noir sur blanc dans la loi, bien entendu.
M. Thomson: La difficulté est que l'historique de la loi ne sera invoqué qu'une fois un procès engagé.
Le sénateur Rivest: Et que le mal sera fait.
M. Thomson: Exact.
Le sénateur Beaudoin: La mens rea est fondamentale en droit pénal. Que proposez-vous pour la rendre encore plus claire, plus évidente, plus obligatoire?
Mme Assheton-Smith: La proposition à laquelle M. Thomson a fait allusion - soit le libellé de la Loi sur les droits de la personne ou de la Loi sur le droit d'auteur, qui dit explicitement que lorsque le FSI se contente de fournir les installations ou les moyens par lesquels quelqu'un d'autre commet l'infraction, il n'est pas impliqué dans la perpétration de l'infraction. Voilà ce que nous demandons.
Le sénateur Beaudoin: Et cela vous satisferait?
Mme Assheton-Smith: Oui.
M. Thomson: Je ne suis pas expert en droit pénal international, et encore moins en droit pénal canadien. Cependant, je crois savoir que d'autres pays - tels que les États-Unis et beaucoup de pays européens - qui ont des principes judiciaires similaires aux nôtres ont néanmoins jugé nécessaire de clarifier, soit dans leur loi soit dans leurs directives, la responsabilité des FSI. Si d'autres pays qui ont les mêmes principes légaux que nous le trouvent nécessaire, alors, nous pensons que c'est nécessaire.
Le sénateur Beaudoin: J'ai toujours considéré le droit pénal comme un domaine du droit où il faut être très précis. Après tout, il est question de crime.
M. Thomson: Oui.
La présidente: Nous allons passer à notre dernier panel de la journée, soit les fonctionnaires du ministère de la Justice. Ils vont régler tous nos problèmes, répondre à toutes nos questions et nous éclairer.
M. Howard Bebbington, avocat, Section de la politique en matière de droit pénal: Madame la présidente, honorables sénateurs, vous vous souviendrez que jeudi dernier, William Trudell, du Conseil canadien des avocats de la défense, a comparu devant vous. Lors de son témoignage, il a fait état d'une consultation menée par le ministère de la Justice auprès des avocats de la défense et procureurs de la Couronne en 1999. L'un des thèmes en était la réforme de l'enquête préliminaire. De fait, le sujet principal en était la réforme de la procédure pénale. M. Trudell a mentionné des statistiques que le ministère avait fournies au sujet des enquêtes préliminaires et cela a amené le comité à demander au ministère de la Justice de lui fournir les statistiques en sa possession sur ce sujet.
Je suis heureux de vous annoncer que nous pouvons répondre à votre requête de trois manières ce soir. J'ai remis à votre greffier des copies d'une étude de 1993 sur l'enquête préliminaire. J'en ai 12 exemplaires en anglais et 12 en français. Le titre est «Étude de l'enquête préliminaire au Canada».
En outre, je suis venu cet après-midi accompagné de deux membres de notre Division de la recherche et des statistiques, Stephen Mihorean, statisticien principal à la Division de la recherche et des statistiques du ministère de la Justice, et M. Kwing Hung, statisticien principal, de la même division.
Nous aimerions répondre cet après-midi à votre requête en demandant à M. Hung de vous parler des données qui ont été déposées à l'occasion de la consultation de 1999. En outre, ces messieurs ont passé une partie de leur temps depuis jeudi dernier à essayer de rassembler quelques données plus récentes sur l'enquête préliminaire. En effet, cette étude dont je vous remets des exemplaires remonte à 1993, et n'est donc pas très récente. Les données dont M. Trudell a fait état sont de 1999; elles aussi datent donc quelque peu. M. Hung a passé du temps à se procurer auprès du Centre canadien de la statistique juridique davantage de données pour actualiser le tableau. Je vais demander à M. Hung de vous en parler.
M. C. Kwing Hung, statisticien principal, Division de la recherche et de la statistique, ministère de la Justice: Je parlerai brièvement des données les plus récentes que nous avons obtenues auprès du Centre canadien de la statistique juridique. Les données les plus récentes concernent l'exercice 1999-2000 et proviennent de l'Enquête sur les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes.
La présidente: De quel diagramme parlez-vous?
M. Hung: Je commence par les diagrammes qui indiquent la proportion d'affaires assorties d'une enquête préliminaire, 1999. Je parlerai de ces quelques diagrammes et j'attirerai ensuite votre attention sur certains des diagrammes et tableaux du rapport précédent, déposé en 1999. Le premier diagramme est intitulé «Résultats des audiences préliminaires». Il y a là cinq diagrammes ou tableaux que nous avons dressés la semaine dernière.
Le premier diagramme montre la proportion d'affaires judiciaires avec enquête préliminaire. On voit qu'il n'y en a eu que dans 6 p. 100 des cas. Cependant, le total englobe les affaires d'infractions hybrides et les infractions sommaires. Veuillez noter que l'enquête ne couvre que 80 p. 100 de la jurisprudence totale canadienne des cours criminelles provinciales et territoriales, de seulement neuf juridictions. Nous n'avons pas de données pour la Colombie-Britannique, le Manitoba, le Nouveau-Brunswick et le Nunavut.
Nous avons des données de cours supérieures de deux juridictions - l'Alberta et le Yukon, qui couvrent environ 10 p. 100 du Canada. Si nous utilisons comme étalon les 80 p. 100, on calcule qu'il y a environ 26 000 affaires exigeant une enquête préliminaire dans les cours pénales pour adultes.
Évidemment, vous pourrez considérer faible le chiffre de 6 p. 100, mais si vous regardez certaines infractions choisies - notées à la page 2 - vous verrez que le pourcentage des enquêtes préliminaires pour les infractions plus graves est beaucoup plus élevé. Par exemple, s'agissant de tentative de meurtre, il est de 39 p. 100, dans le cas de l'agression sexuelle, de 25 p. 100. Nous donnons cinq exemples.
La présidente: S'agit-il là des cinq catégories ayant le pourcentage le plus élevé?
M. Hung: Non. Il est plus élevé dans les affaires de meurtre, mais le chiffre est moins représentatif vu le plus petit nombre de ces cas. Nous avons choisi des catégories à représentation élevée.
Le troisième diagramme montre que l'enquête préliminaire peut comporter plus d'une comparution. Notre rapport montre que dans 42 p. 100 des cas il n'y a qu'une comparution, et dans 7 p. 100 il y a six ou plus comparutions. Si l'on calcule la moyenne, cela fait environ 2,5 comparutions. Il y a donc deux ou trois comparutions par enquête préliminaire.
Le diagramme suivant montre l'aboutissement des affaires avec enquête préliminaire: verdict de culpabilité, 62 p. 100; renvoi en cour supérieure, 8 p. 100; non-lieu ou retrait, 21 p. 100. Si vous regardez uniquement ce diagramme, vous ne savez pas s'il y a une différence selon qu'une enquête préliminaire a été tenue ou non. Je vous ai donc fourni le tableau suivant pour que vous puissiez comparer.
Vous voyez ici les affaires avec enquête préliminaire comparées aux affaires sans enquête préliminaire. La proportion de verdicts de culpabilité est environ la même - légèrement plus élevée dans les cas avec enquête préliminaire. Cependant, beaucoup plus d'affaires sont renvoyées en cour supérieure suite à l'enquête préliminaire. Beaucoup moins de cas sont retirés ou aboutissent à un non-lieu et il y a une proportion légèrement plus grande d'acquittements. Voilà donc certains des effets de l'enquête préliminaire, selon ces chiffres préliminaires.
Les données que nous avons fournies pour 1999 contiennent beaucoup plus de détails. Par exemple, le premier tableau montre les résultats des enquêtes préliminaires. Vous noterez que 58 p. 100 des affaires ont fait l'objet d'un renvoi en cour supérieure.
À la page suivante, vous pouvez voir que l'enquête préliminaire comporte certains effets sur les plaidoyers. Environ 20 p. 100 des accusés ont plaidé coupable après l'enquête préliminaire, environ 15 p. 100 ont fait l'objet d'une accusation suite à l'enquête préliminaire, 10 p. 100 ont plaidé coupable lors de l'enquête préliminaire et 1 à 2 p. 100 ont plaidé coupable à une accusation moindre du fait de l'enquête préliminaire.
Je vais passer rapidement en revue les diagrammes, dont le premier contient les chiffres pour les verdicts de culpabilité. Vous noterez l'effet de l'enquête préliminaire. Il y a beaucoup plus de plaidoyers de culpabilité. Toutefois, si vous ajoutez les deux, vous verrez que la proportion des verdicts de culpabilité est seulement légèrement supérieure à celle des affaires sans audience préliminaire.
Nous voyons ensuite l'aboutissement final des procès. On relève une tendance similaire à celle du dernier tableau pour les données les plus récentes. Vous constatez qu'il y a davantage de plaidoyers de culpabilité, mais la proportion de verdicts de culpabilité est à peu près la même; il y a un peu plus d'acquittements avec enquête préliminaire et un peu moins de retraits d'accusation, mais beaucoup plus de transferts en cour supérieure.
Pour ce qui est des chiffres de condamnation à la prison pour infraction sommaire, l'enquête préliminaire ne semble avoir aucun effet sur cette catégorie. Le pourcentage des condamnés à la prison est environ le même.
Le groupe de chiffres suivant est légèrement différent. Bien que la proportion soit similaire, les peines de prison imposées sont beaucoup plus longues dans les cas où il y a eu enquête préliminaire. Cela n'est probablement pas un effet de l'enquête préliminaire mais simplement dû au fait que des enquêtes préliminaires sont tenues sur les infractions les plus graves.
Nous passons maintenant aux délais médians. Il y a trois catégories: premièrement, procès sans enquête préliminaire; deuxièmement, enquête préliminaire sans procès - l'affaire a probablement été retirée après l'enquête préliminaire; troisièmement, procès précédé d'une enquête préliminaire. Dans la dernière catégorie, le délai moyen est d'environ cinq mois. Cela fait trois mois de plus que pour les procès sans enquête préliminaire.
Ensuite, nous voyons les données sur les choix de la Couronne, où vous noterez toutes les infractions hybrides. Dans 87 p. 100 des cas, la Couronne a choisi de procéder par voie sommaire.
La prochaine catégorie sont les choix de la défense, avec 20 p. 100 optant pour une cour supérieure, procès avec juge et jury, et 20 p. 100 pour juge seul en cour supérieure.
La dernière catégorie montre les délais longs et courts. Elle est similaire au graphique précédent. Les délais sont plus longs lorsqu'il y a procès précédé d'une enquête préliminaire.
Si vous avez le temps de lire le rapport, vous y trouverez d'autres détails. Nous pouvons reproduire ce que nous avons fait en 1999 avec les données les plus récentes, mais nous devons pour cela présenter une demande spéciale et cela requiert quelque temps.
La présidente: Nous vous sommes reconnaissants d'avoir réuni ces chiffres si rapidement pour nous. Il y a là toute une masse de statistiques à digérer. Je suis sûre que le sénateur Nolin, qui a demandé ces renseignements, est ravi.
Le sénateur Nolin: Je vais les étudier.
Le sénateur Andreychuk: Pourquoi avez-vous signalé que l'existence d'une enquête préliminaire peut allonger ou raccourcir la peine? Pourquoi était-ce un élément étudié? Il me semble que ce sont les principes de détermination de la peine qui sont prépondérants s'agissant de décider du type ou de la longueur de la peine imposée, et non l'existence ou l'absence d'une enquête préliminaire. Cherchiez-vous à mettre en évidence une partialité?
M. Hung: Comme je l'ai expliqué, on constate que la proportion de contrevenants condamnés à la prison est similaire, sauf que les affaires jugées étaient plus graves. Nous n'avons pas tiré de conclusions sur la base de ces chiffres.
Le sénateur Andreychuk: Pourquoi la question a-t-elle été posée?
M. Bebbington: Je suis tout à fait d'accord avec vous, sénateur. Ce n'était pas là un thème principal. Dans une certaine mesure, on est obligé de prendre les données disponibles. L'enquête auprès des tribunaux produit une masse de données concernant les sentences, mais peu sur les questions structurelles.
Dans une certaine mesure, c'est une question de disponibilité. Le seul intérêt de ces chiffres est qu'ils confirment que les enquêtes préliminaires sont généralement tenues dans les cas d'infractions plus sérieuses, tels que des homicides, où il est normal que les peines infligées soient plus longues.
Il est intéressant de noter que les avocats de la défense optent le plus souvent pour des procès en cour provinciale. Le chiffre donné est de 60 p. 100. Il n'y a pas que la Couronne, les avocats de la défense aussi font de l'auto-sélection. Les cas où les enquêtes préliminaires sont les plus pertinentes sont les infractions les plus graves. Cela se traduit par la longueur de la peine. Nous n'avons pas cherché particulièrement à établir ce genre de corrélation.
Honorables sénateurs, nous sommes ce soir à vos ordres. Je présume que vous en avez suffisamment entendu sur le projet de loi pour que nous n'ayons pas besoin de vous en expliquer la teneur. Peut-être la façon la plus productive d'utiliser notre temps sera-t-elle de répondre aux questions que vous pouvez avoir suite aux témoignages que vous avez entendus jusqu'à présent.
La présidente: Je suis sûre que vous avez suivi les questions soulevées au cours de nos audiences et vous pourriez peut-être en traiter. J'établirai ensuite une liste des sénateurs qui souhaitent vous poser des questions.
M. Bebbington: Honorables sénateurs, un certain nombre de questions ont été soulevées. Mme Lafontaine traitera de celles qui concernent les amendements demandés par les fournisseurs de services Internet aux dispositions de protection des enfants.
D'autres questions portent sur la procédure relative à l'article 690 et Mme McFadyen vous en parlera.
Vous aurez noté, d'après les documents que nous vous avons fournis aujourd'hui, que le ministère s'est penché tout au long des années 1990 sur l'opportunité de maintenir l'enquête préliminaire. Cela a donné lieu au document de travail de 1994. Nous avons procédé à des consultations sur cet aspect tout au long de la décennie, dans le contexte de la réforme de la procédure pénale.
La conclusion que je puis en tirer est qu'il n'existe pas de consensus concernant l'existence de l'enquête préliminaire. Vous avez entendu le témoignage des représentants de l'Association canadienne des chefs de police qui disent: «Supprimez-la, elle est un vestige inutile, particulièrement dans le contexte de l'arrêt Stinchcombe». À l'opposé, les représentants de l'association du Barreau canadien, du Barreau du Québec et du Conseil canadien des avocats de la défense réclament tout aussi fortement de ne pas y toucher.
De nombreux procureurs généraux provinciaux demandent au ministère de la Justice de revoir encore une fois cette disposition et beaucoup militent pour son abolition en faisant valoir que l'absence d'enquête préliminaire réduirait la durée de ces procédures.
Nous nous sommes aperçus lors de nos consultations que la question n'est certainement pas si simple. Étant donné l'absence de consensus, la ministre a tenté, dans le projet de loi C-15A, de trouver un compromis, une solution intermédiaire. Autrement dit, il s'agit de donner aux tribunaux et aux parties quelques outils leur permettant de façonner l'enquête préliminaire, de réserver les enquêtes préliminaires aux affaires où elles présentent un intérêt, et de les limiter aux questions spécifiques qu'il est nécessaire de couvrir.
Ce sont donc là les modifications contenues dans le projet de loi C-15A. D'aucuns estiment que ces changements ne vont pas assez loin. Si un accusé souhaite une enquête préliminaire, il peut la demander et il y en aura une. La question a été posée de savoir comment un accusé non représenté pourra savoir qu'une enquête préliminaire est possible. Au moment où les options lui sont présentées, l'accusé saura qu'il a ce choix.
Lorsque l'accusé demande une enquête préliminaire, il incombe à la partie qui la demande - procureur ou avocat de la défense - de produire une liste des types de preuve qu'il souhaite voir couverts et les noms des témoins. Une disposition permet également au tribunal de tenir une audience avec les parties pour tenter de cerner les points à couvrir pendant l'enquête préliminaire. Une enquête préliminaire formelle qui dure longtemps et aborde tous les éléments habituels, qui n'ajoute rien à nos processus, peut ainsi être évitée par accord des parties. Si l'accusé insiste pour avoir une enquête préliminaire, elle aura lieu. Ce droit ne lui a nullement été enlevé.
On a beaucoup débattu des dispositions touchant les preuves admissibles. Nous avons tenté d'autoriser le juge de cour provinciale conduisant l'enquête préliminaire à admettre les preuves qu'il considère plausibles ou dignes de foi dans les circonstances de l'espèce. C'est un critère en évolution dans ce que je qualifierais d'attitude libéralisée vis-à-vis de l'admission de preuves à tous les niveaux. On a déjà cité la Reine c. KGB et il y a également d'autres précédents. Ce critère est assez familier.
Outre cette notion, nous avons ajouté les deux protections que sont l'obligation pour la partie produisant la preuve d'en donner préavis et nous avons ajouté une disposition disant que le tribunal convoque les témoins lorsque l'accusé, par exemple, souhaite interroger ou contre-interroger ce témoin.
Encore une fois, c'est là un changement modéré qui tente d'amener les parties à s'accorder pour rendre l'enquête préliminaire efficace et efficiente. Encore une fois, la notion ici, dans le cas du changement en matière de preuve, est que parfois il est plus rationnel lors d'une enquête préliminaire - qui est un processus de pré-triage - de produire un document plutôt que de convoquer un témoin en personne. Cependant, si l'accusé tient à ce que le témoin soit présent, il le demande au juge et celui-ci le convoque. La garantie est là.
Nous songions à une circonstance où il s'agirait, par exemple, d'admettre en preuve une lettre d'un médecin plutôt que d'obliger celui-ci à annuler une opération chirurgicale pour passer une journée en audience préliminaire. Un autre exemple serait un agent de police, qui ne serait ainsi pas tenu de témoigner et de subir un interrogatoire et contre-interrogatoire. Dans le contexte de cet équilibre, le sénateur Joyal s'inquiétait du respect de la Charte. Cette disposition s'applique uniquement à l'enquête préliminaire, et non pas au procès. La preuve présentée doit répondre au critère esquissé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Sheppard, soit la question de savoir s'il y a ou non suffisamment de preuves pour traduire un accusé en justice. Cela n'a aucun effet sur le seuil ou la valeur probante des preuves lors du procès lui-même.
Avec ces garanties, et vu le fait que cette disposition ne s'applique qu'à l'enquête préliminaire, cela nous paraît un outil très chirurgical et judicieux qui permet au juge et aux parties de s'accorder afin d'accélérer l'enquête préliminaire, de se concentrer sur les éléments utiles et d'éviter d'avoir une enquête préliminaire pro forma dans les cas où cela n'apporterait rien.
D'autres objections ont été soulevées concernant l'enquête préliminaire et vous aurez peut-être des questions à poser à leur sujet.
Je vais m'en tenir là, à ce stade, afin de répondre aux questions que vous pourriez avoir sur cette partie du projet de loi.
Le sénateur Joyal: Vous dites que c'est un outil chirurgical. D'aucuns ont mentionné autour de la table que nous trouvons des propositions comparables dans d'autres projets de loi émanant du ministère de la Justice. Nous sommes inquiets de voir que, ces derniers temps, le droit à une défense traditionnelle complète semble être érodé, comparé à ce qui existait dans le passé. Le problème n'existe pas seulement dans ce projet de loi, il y a des dispositions similaires dans d'autres projets de loi. Nous les avons mentionnés. Ce sont des projets de loi émanant de votre ministère.
Nous sommes préoccupés par l'impact, ou par la culture que l'on introduit dans le code pénal, qui fait que des éléments comparables à ceux-ci finissent par être intégrés au système. Comme je l'ai dit, cela représente une divergence par rapport à notre coutume, à ce que nous jugions acceptable.
Je pense qu'il faudrait conserver le principe de la proportionnalité, pour rassurer tout le monde. Lorsqu'un accusé risque la prison, il faut peser tous les éléments de la justice, afin d'assurer que nous prenons la bonne décision.
Certes, accélérer la procédure est un objectif valable. Nous tous entendons les gens se plaindre du fait que la justice est trop lente, et cetera. Cependant, il va de soi, en revanche, qu'il faut également préserver la protection des personnes qui, jusqu'à ce stade, sont considérées innocentes. Le système doit maintenir tous les éléments de la présomption d'innocence, et non pas de la culpabilité. Il incombe à la Couronne de prouver que la personne est coupable.
Lorsque nous introduisons un élément qui, comme vous dites, est un élément de procédure, mais néanmoins de procédure légale sérieuse, il ne s'agit pas seulement de réunir des faits dans des conditions où nul n'est susceptible de subir de préjudice. Il s'agit là d'une personne dont les droits sont en jeu. Il faut donc démontrer que ce que nous faisons est conforme à l'esprit moral de la Charte.
J'ai quelques problèmes avec le fait que nous introduisons des modifications au Code criminel ou au système judiciaire applicable aux jeunes contrevenants, dans divers projets de loi, dont on affirme qu'ils sont conformes à la Charte mais qui vont à l'encontre de l'esprit de la Charte. Cela va à l'encontre de la valeur morale que la Charte imprime à notre société. Cela modifie la culture pénale du système. Voilà ce qui me préoccupe.
Il peut exister de très bonnes raisons d'introduire cela, tout comme les autres projets de loi, mais il faut considérer l'ensemble de ce que nous faisons au système. Comme je l'ai dit, vous le faites pièce par pièce et cela n'a l'air de rien. Cependant, lorsqu'on met bout à bout tous les projets de loi, on est amené à s'interroger sur ce que devient le système.
Voilà en gros ce sur quoi j'aimerais votre réaction. Je suis perplexe de voir que ce même genre de chose nous arrive de façon répétée depuis quelques mois.
M. Bebbington: Je ne suis pas sûr de pouvoir vous donner une réponse complètement satisfaisante.
Nous examinons aujourd'hui le projet de loi C-15A et, de fait, ces dispositions s'appliquent à toutes les affaires pénales. Ce sont des modifications générales. Il ne s'agit pas là de mesures spécifiques ou visant des fins particulières, comme celles du projet de loi C-36 que vous examinez aussi.
Je suis totalement d'accord avec vous. La ministre est consciente de la nécessité d'établir et de conserver un système équilibré et juste. Le droit à une défense complète et juste est absolument primordial. À mon avis, les modifications proposées ici n'enlèvent rien à ce droit.
Il s'agit ici d'un mécanisme de filtrage, l'enquête préliminaire, qui n'intervient que dans quelques 6 p. 100 des affaires. Vous avez toutes les données en main. J'ai passé en revue tout le travail de la Commission de réforme du droit depuis 20 ans. Il est intéressant que le pourcentage soit resté à peu près stable. Il y a enquête préliminaire dans seulement 6 p. 100 des affaires. Cela signifie que la vaste majorité des affaires pénales sont tranchées, dans un procès juste et équitable, sans enquête préliminaire.
Nous ne proposons pas d'abolir, d'éliminer ou même de restreindre sensiblement la tenue d'enquêtes préliminaires. Le droit à une enquête préliminaire subsiste, sans restriction, même dans le projet de loi C-15A. Elle a lieu si une partie la demande et, lorsque c'est le cas, une enquête préliminaire complète est tenue.
La disposition concernant l'admissibilité de preuves, dans une certaine mesure, ne fait que codifier une pratique qui existe déjà. Il existe déjà une certaine latitude, lors des enquêtes préliminaires, concernant l'admissibilité de preuves.
Encore une fois, la modification que nous proposons contient deux garde-fou très importants. Le premier est l'obligation du préavis, et l'autre est que la partie peut exiger le contre-interrogatoire du témoin. Encore une fois, si l'on y regarde bien, les preuves présentées en enquête préliminaire servent à déterminer s'il existe des preuves suffisantes pour traduire une personne accusée en justice. Cette règle d'admissibilité légèrement plus souple ne produira pas des preuves qui seront admissibles au procès. Cette norme-là n'est pas touchée.
Je suis d'accord avec vous et je conviens qu'il faut considérer tous ces changements globalement. Il faut se garder d'abaisser le seuil ou la norme.
Je ne qualifierais aucun des changements contenus dans le projet de loi C-15A de conformes à la lettre de la Charte mais contraires à son esprit. À mon avis, tous sont absolument conformes et à la lettre et à l'esprit de la loi.
Nous cherchons ici à rendre le système plus efficient. Nous essayons de contribuer à une justice plus rapide. Certes, il y a un équilibre à préserver que nous impose la Charte. Les honorables sénateurs connaissent certainement la cause Askov et les gros problèmes que posent les retards excessifs de procédure qui amènent des non-lieux. Certains procès n'ont jamais pu avoir lieu à cause de retards excessifs dans le système. Nous devons faire preuve d'une vigilance constante à cet égard.
Lors de sa comparution, la ministre a indiqué que la réforme de la procédure pénale représente une tâche en continu, un processus évolutif. Le projet de loi C-15A représente la troisième vague de réformes de la procédure pénale et je peux vous garantir qu'il y en aura d'autres. À l'occasion de chaque vague successive, nous passons en revue le système pour trouver les failles qui causent les retards et l'inefficience et y apporter des remèdes, sans réduire en rien les possibilités d'une défense complète et juste.
Il appartient au comité de décider si nous avons trouvé ou non le juste équilibre. Votre jugement à cet égard est extrêmement important. Mais à mon humble avis, nous avons tenté de trouver dans ce domaine un juste équilibre.
Le sénateur Joyal: Comme certains de mes collègues ici et des témoins précédents l'ont fait ressortir, les affaires faisant l'objet d'une enquête préliminaire sont habituellement celles mettant en jeu les infractions les plus graves.
Ce qui ressort dans une enquête préliminaire est très important. Les journaux en parlent. C'est une procédure judiciaire qui se déroule en public. Elle s'applique aux crimes les plus graves, tels que la tentative de meurtre et l'agression sexuelle.
Je suis très méfiant devant le genre de couverture médiatique du système pénal au Canada. Notre collègue, le sénateur Rivest, a qualifié le projet de loi anti-gang de «loi pour tabloïdes». Sans partager entièrement son opinion, il y a là un élément de réalité. Ce sont essentiellement là les types de crime que couvrent les médias. Ils ne s'intéressent pas à la conduite en état d'ébriété, sauf lorsque l'accusé est un sénateur, un ministre, un député ou un personnage en vue. Ce sont là les crimes graves, ceux qui retiennent l'attention des médias.
Puisque nous avons une presse qui se passionne pour ces affaires, nous devons veiller à protéger l'accusé dans une enquête préliminaire. Les droits de cette personne sont en jeu. Mettez-vous à la place de la personne confrontée à une accusation de cette nature. C'est très grave. Nous parlons là des crimes les plus graves.
Je ne veux pas vous faire la leçon, mais nous ne pouvons prendre ces choses à la légère car elles mettent en jeu la réputation de la personne, son entourage et le fonctionnement du système.
L'enjeu dans ce genre de procédure est grand. Comme les statistiques le montrent, et comme vous l'avez dit, cette procédure n'est suivie que dans un très petit nombre de cas. Mais ce sont les cas les plus importants.
La Charte ne me protège pas aujourd'hui. Je n'ai pas besoin de la Charte au moment où je vous parle, mais si j'ai besoin de la Charte un jour, c'est que je serai en situation minoritaire. C'est lorsqu'on est une minorité qu'on a besoin de la protection de la Charte. Ce n'est pas lorsque tout va bien et que l'on se contente de suivre les tendances sociales du moment.
Lorsque le Barreau canadien nous dit qu'il y a ici une possibilité de contravention à la Charte, en tant qu'assemblée législative, nous devons réfléchir à deux fois avant d'adopter une telle mesure.
M. Bebbington: Je suis complètement d'accord, sénateur. Nous prenons ces questions très au sérieux. Beaucoup de gens dans le système de justice pénale voudraient supprimer complètement l'enquête préliminaire. Nous avons écouté le barreau de la défense et d'autres qui veulent la préserver pour les affaires graves que vous avez mentionnées.
Permettez-moi de situer la problématique à laquelle la ministre est confrontée dans ce domaine. Les victimes et les témoins se plaignent souvent de l'enquête préliminaire car elle représente pour eux une autre obligation de témoigner en public, de revivre les événements. Notre réforme de la procédure pénale poursuit aussi l'objectif de la prise en compte des intérêts et des droits des victimes.
M. Trudell a fait état d'une conversation qu'il a eue avec un avocat du Nunavut. J'en suis heureux, car cela me donne l'occasion de vous faire part de quelque chose.
J'ai eu l'occasion de mener quelques consultations dans le Nord lorsque je m'occupais du projet de loi sur le palier unique de première instance du Nunavut. J'ai été frappé par les réactions des Inuits qui éprouvent une réticence culturelle à se lever en public, quel que soit le cadre, et à accuser une autre personne. Comme les sénateurs le savent, il y a là une désinclination à participer à un système judiciaire contradictoire qui oblige à se lever et à accuser une personne.
Par exemple, une femme d'un petit village, victime d'agression sexuelle, doit raconter son histoire à la police, aux anciens de la communauté et au procureur de la Couronne, et ce de façon répétée, à plusieurs reprises. Ensuite, elle doit se lever à l'enquête préliminaire et répéter encore une fois ce témoignage, ensuite de quoi on lui dit que ce n'est pas fini et qu'elle devra tout recommencer au procès.
L'un des objectifs poursuivis par les changements contenus dans notre projet de loi est de trouver un équilibre entre le droit de l'accusé à une défense complète et équitable et le souci de protéger l'intimité des victimes et témoins afin de ne pas les rendre victimes de nouveau. Si nos aménagements peuvent permettre à un juge de déterminer pleinement et équitablement s'il y a lieu de renvoyer un accusé devant un tribunal, sur la base de la preuve documentaire, la défense ayant le droit de convoquer ce témoin pour contre-interrogatoire si elle le juge nécessaire, au lieu que ce soit fait systématiquement avec tous les coûts et inconvénients que cela entraîne, nous pensons que le système s'en trouve amélioré. Comme nous l'avons dit, cela est toujours sous réserve de la garantie que la défense peut procéder au contre-interrogatoire, si elle estime celui-ci nécessaire.
J'espère avoir répondu à vos préoccupations. C'est une question d'équilibre entre des intérêts concurrents dans le système et les avis contraires qui existent.
Le sénateur Andreychuk: Nous avons parlé de la question de l'enquête préliminaire dans de nombreuses conférences et discussions avec des groupes de juges.
Dans l'une de ces réunions, nous avons discuté de la gestion des instances - particulièrement dans les centres ruraux - et de la question de savoir si un même juge peut présider à l'enquête préliminaire et au procès. Avez-vous tenu compte également de cela? Avez-vous tenu compte de la nécessité d'un équilibre juste et équitable au niveau de l'administration de la justice?
M. Bebbington: Je ne suis pas sûr de pouvoir ajouter quelque chose à cela. Je souscris à tout ce que vous avez dit. Il est important de trouver un équilibre sur le plan des ressources et de leur répartition.
Beaucoup de gens pensent que nous devrions réformer le système de façon à supprimer entièrement les enquêtes préliminaires et conduire les procès devant des juges de cour provinciale. Comme l'honorable sénateur le sait bien, la magistrature provinciale a connu une profonde évolution au cours des dernières décennies. Ces juges sont aujourd'hui hautement qualifiés et professionnels.
Le sénateur Andreychuk: Vous voulez dire qu'ils ont une meilleure formation aujourd'hui que lorsque j'y étais il y a 20 ans?
M. Bebbington: Non, certainement pas.
Le sénateur Andreychuk: C'est pourtant vrai.
M. Bebbington: Je m'inscrivais davantage dans une perspective historique.
Le sénateur Andreychuk: Ils sont mieux considérés et jouissent d'une plus grande légitimité dans le système. J'étais très peu considérée à mes débuts dans la magistrature. Nous étions mutés dans une cour provinciale et il a fallu du temps pour mettre en place toutes les choses dont un juge a besoin. Nous n'avions même pas les outils lorsque nous avons démarré, sans parler de l'expérience et du savoir technique.
M. Bebbington: Je parlais de l'époque où les magistrats n'avaient même pas de formation juridique, il y a très longtemps.
Le sénateur Andreychuk: L'un de ces juges vient seulement de prendre sa retraite, en Alberta.
M. Bebbington: Les choses ont bien changé depuis. Beaucoup de gens considèrent qu'un procès devant un juge de cour provinciale, sans enquête préliminaire, suffirait pour rendre équitablement la justice dans notre système.
Nous n'allons pas jusque-là, à ce stade. Nous ne proposons pas d'abolir l'enquête préliminaire. Nous la conservons, elle subsistera. Cependant, nous devons tenir compte des intérêts des victimes et témoins, ainsi que des contraintes de temps et de ressources. L'enquête préliminaire doit intervenir avant que l'on avance trop loin dans la procédure menant au procès. C'est un facteur à considérer dans cet équilibre.
Le sénateur Nolin: Quels arguments les provinces faisaient-elles valoir en faveur de la refonte de la procédure et de l'abolition de l'enquête préliminaire?
M. Bebbington: Sans prétendre pouvoir parler au nom des procureurs généraux provinciaux, un certain nombre d'entre eux souhaitent l'abolition de l'enquête préliminaire. Leur argument principal est que la Cour suprême du Canada a établi dans la cause Askov l'obligation constitutionnelle pour la Couronne de divulguer tous les éléments de preuve en sa possession, si bien qu'il n'y a plus la même nécessité de tenir une enquête préliminaire.
Comme vous êtes nombreux à le savoir, les conditions à remplir pour décider le renvoi devant un tribunal sont peu exigeantes. Les procureurs et les avocats de la défense se demandent si l'enquête préliminaire joue encore un rôle utile de filtrage. Son rôle sur le plan de la divulgation et de la communication préalable est très pertinent.
Les procureurs généraux provinciaux pensent que la Couronne ayant maintenant l'obligation constitutionnelle d'assurer une pleine divulgation, la fonction divulgation de l'enquête préliminaire n'a plus de raison d'être et que, vu le temps et les ressources qu'elle impose, il convient de l'abolir. Voilà leur argument principal. Divers arguments sont avancés de part et d'autre sur cette question.
Le projet de loi C-15A cherche à trouver un compromis entre ces deux points de vue. Il conserve le droit illimité à une enquête préliminaire si une partie le souhaite. Nous tentons de donner aux juges et aux parties quelques outils pour déterminer sélectivement quand l'enquête préliminaire sera tenue, ainsi que sa durée et son ampleur dans les cas où elle a lieu.
Le sénateur Nolin: J'ai entendu votre réponse à la question du sénateur Joyal concernant le projet de paragraphe 540(7). Pouvez-vous me donner un exemple d'une preuve qui serait «par ailleurs inadmissible»?
Ce paragraphe se lit ainsi:
[Français]
Et je cite:
Le juge de paix agissant en vertu de la présente partie peut recevoir en preuve des renseignements par ailleurs inadmissibles [...]
Je n'ai jamais pratiqué le droit criminel, mais cela dépasse ma compréhension.
[Traduction]
M. Bebbington: En gros, la notion ici est que les déclarations écrites ne seraient pas admissibles du fait de leur caractère de ouï-dire. Voilà le genre de choses que vise cette disposition. Encore une fois, il s'agit de faciliter le dépôt de documents en lieu et place de la convocation de témoins, avec la garantie que l'accusé peut exiger la comparution de ce témoin pour contre-interrogatoire.
[Français]
Le sénateur Nolin: Vous avez fait référence aux témoignages de M. Trudell et des représentants du Barreau du Québec et du Barreau canadien qui ont, dans tous les cas, argumenté fort brillamment sur le fait de ne pas toucher aux dispositions sur les enquêtes préliminaires. Ce qui m'intéresse, c'est que le Barreau du Québec et le Barreau canadien représentent vos employés. Les avocats du ministère sont membres de ces barreaux. Toutefois, on devient membre du Barreau canadien quand on le décide, on ne l'est pas automatiquement. Quelqu'un pourrait dire que les avocats prétendent qu'ils font cela par intérêt, donc ils vont faire plus d'argent. Je pense que les avocats ont une conscience professionnelle beaucoup plus évoluée que cela. Leur argument selon lequel il faut maintenir l'enquête préliminaire dans l'état où elle me semble valable. Avez-vous une information différente de celle véhiculée par les deux barreaux?
[Traduction]
M. Bebbington: Je pense qu'il faut accorder beaucoup de poids et de respect aux points de vue du Barreau du Québec et du Barreau canadien à ce sujet. Cependant, les avocats - particulièrement les membres du Barreau de la défense - apprécient le système actuel. Ils ne tiennent pas à ce que nous changions les choses ou les privions d'outils dont ils disposent actuellement. Comme Mme Perkins-McVey l'a indiqué, elle a conscience d'un fort mouvement en faveur de la suppression de l'enquête préliminaire. Mais nous ne la supprimons pas. Nous avons écouté les deux barreaux.
Il nous faut continuellement réévaluer le système pour voir si des changements s'imposent. Dans le cas particulier de la disposition relative à la preuve, si, uniquement aux fins de l'enquête préliminaire, nous pouvons soulager quelques témoins de l'obligation de comparaître et de témoigner en personne, en rendant admissible une déclaration écrite, nous pensons que cela économisera du temps et de l'argent à toutes les parties. Bien entendu, ce témoin comparaîtra au procès et son témoignage sera entendu de vive voix.
Les modifications apportées à la procédure de l'enquête préliminaire sont très mineures. Dans une certaine mesure, elles sont fondées sur ce qui se fait déjà lors des enquêtes préliminaires. Ce n'est pas un très grand changement.
Le sénateur Nolin: Au paragraphe 537(1.1), vous donnez pouvoir au juge de maintenir la paix et l'ordre dans son tribunal. Vous voulez lui donner le pouvoir de couper court aux interrogatoires. M. Trudell a fait valoir que ce pouvoir existe déjà. Les juges n'ont-ils pas ce pouvoir? Pourquoi avoir ajouté cette disposition?
M. Bebbington: Merci de cette question. C'est tout à fait vrai. Le juge présidant à une enquête préliminaire a déjà cette faculté. La difficulté est que tous les juges n'osent pas intervenir sans une disposition spécifique du code à invoquer.
Ce paragraphe dit qu'un juge peut ordonner la cessation d'un interrogatoire ou contre-interrogatoire qui est, à son avis, abusif, trop répétitif ou contre-indiqué. C'est un seuil assez élevé. Cela couvre les cas où l'un des avocats malmène un témoin. Nous pensons que c'est là une codification de la pratique actuelle, mais il est bon d'avoir une disposition spécifique qu'un avocat puisse invoquer pour demander au juge d'intervenir, le cas échéant.
Encore une fois, le seuil est très élevé. Nous parlons là de comportements inconvenants. M. Trudell a dit qu'une telle disposition n'était pas nécessaire, que c'était une affaire de bonne pratique. Malheureusement, tous les avocats ne sont pas aussi versés dans la procédure que M. Trudell. S'ils l'étaient, nous pourrions nous passer d'une bonne partie du Code criminel. Il arrive qu'il faille indiquer au juge un article spécifique du Code criminel qui lui permet d'intervenir. C'est là l'objet de cette disposition.
Le sénateur Joyal: Permettez-moi de prendre un exemple, pour illustrer le paragraphe (7). Une preuve par ouï-dire ne serait pas admissible lors d'un procès pour tentative de meurtre, par exemple. Or, selon cette disposition, elle serait dorénavant admissible.
M. Bebbington: Uniquement lors de l'enquête préliminaire.
Le sénateur Joyal: Exactement. Par conséquent, la preuve est admissible à l'enquête préliminaire. Ensuite, le paragraphe (9) ajoute:
Sur demande faite par une partie, le juge de paix ordonne à toute personne dont il estime le témoignage pertinent de se présenter pour interrogatoire ou contre-interrogatoire sur les renseignements visés au paragraphe (7).
Le sénateur Nolin: Oui, maintenant cela devient une preuve admissible.
Le sénateur Joyal: J'essaie de comprendre comment ces deux paragraphes vont fonctionner. Vous obligez quelqu'un à témoigner. Si la personne refuse, elle peut être condamnée pour outrage au tribunal. Cette personne viendra témoigner sur les renseignements visés au paragraphe (7), qui sont des renseignements qui ne sont pas admissibles au procès. Je ne comprends pas comment vous pouvez, s'agissant d'une preuve par ouï-dire, par exemple, qui n'est pas admissible, obliger cette personne à venir témoigner.
M. Bebbington: Je suis heureux de pouvoir vous éclairer, sénateur. L'intention ici est que la Couronne puisse, par exemple, au lieu de citer un médecin à témoigner, qui devra ainsi perdre une journée de travail, présenter une déclaration écrite. Aux termes de cette disposition, la Couronne doit en donner préavis à la défense. La défense répond: «La lettre ne suffit pas. Je veux pouvoir interroger cette personne». La Couronne rétorque: «Désolé, le Code me permet de présenter cette lettre». La défense s'adresse au juge et celui-ci, suite à la requête, doit citer le médecin à comparaître, à la place du dépôt de la lettre, de la déclaration écrite. Le but du paragraphe (9) est de donner à la partie qui s'oppose à la présentation du ouï-dire - de la déclaration écrite - la faculté d'exiger la comparution du témoin, par opposition au dépôt du document écrit.
Le sénateur Joyal: Il y a divers éléments de preuve dans ces procédures - ces 6 p. 100 de cas les plus sérieux - qui ne sont pas actuellement admissibles et qui vont le devenir. Une personne peut se retrouver condamnée pour outrage alors qu'en fait au procès cette personne ne pourrait être citée à témoigner. C'est cela que j'ai un peu de mal à admettre.
J'essaie de comprendre comment cela va fonctionner dans la pratique. Une personne ne peut être citée à témoigner sur un ouï-dire lors d'un procès.
M. Bebbington: Non.
Le sénateur Joyal: Mais elle peut y être contrainte lors de l'enquête préliminaire.
Le sénateur Nolin: M. Bebbington a répondu à cette question.
Le sénateur Andreychuk: Parfois le ouï-dire est admissible, non pas pour son contenu, mais pour son existence.
M. Bebbington: Il existe un certain nombre d'exceptions à la règle du ouï-dire, que nous n'avons pas besoin de passer en revue ici. Encore une fois, la tendance du droit est à la libéralisation des règles de preuve. Autrement dit, on passe de règles d'admissibilité strictes et rigides à une plus grande faculté des tribunaux d'admettre toute preuve considérée comme plausible ou digne de foi dans les circonstances de l'espèce. C'est le critère que nous avons incorporé au projet de paragraphe (7). Comme Mme Perkins-McVey l'a indiqué, cela existe déjà dans le Code pénal dans le contexte des audiences de libération sous caution.
La manière dont cette disposition est censée fonctionner est qu'une partie, au lieu de citer un témoin à comparaître pour témoigner de vive voix, proposera de produire cette preuve sous forme écrite - il peut s'agir d'une lettre d'un médecin, des notes d'un agent de police ou de quelque autre déclaration. Elle doit en donner avis à l'autre partie. Si l'autre partie estime que cela n'est pas adéquat ou satisfaisant, elle peut demander au juge de citer la personne à comparaître et à témoigner, en lieu et place de la déclaration écrite. C'est une garantie qui signifie que le ouï-dire inadmissible ne sera alors pas admis, ne sera pas produit. La cour peut exiger que la personne témoigne de vive voix.
Il ne s'agit pas d'une tentative d'élargir radicalement l'éventail des éléments de preuve admissibles lors d'une enquête préliminaire. C'est une tentative d'offrir d'autres moyens de produire ces éléments de preuve, mais uniquement au stade de l'enquête préliminaire, de permettre une plus large utilisation de preuves documentaires, au lieu de témoignages de vive voix, avec tout le fardeau que ce dernier impose aux témoins. Le projet de paragraphe (9) donne à l'autre partie l'option d'exiger la comparution personnelle du témoin, à la place du document écrit - non pas donner une preuve par ouï-dire mais donner une preuve directe qu'elle donnerait également au procès.
La présidente: L'article 715.1 du Code criminel dispose que les preuves produites en enquête préliminaire peuvent dans certains cas être lues lors du procès. Le projet de loi ne modifie pas l'article 715.1. Il me semble, à la lecture de cet article, que dans certains cas des preuves par ouï-dire produites en audience préliminaire pourraient être déposées en preuve.
M. Bebbington: C'est une très bonne question, sénateur. Si je puis vous renvoyer à l'article 72, page 39 du projet de loi, nous modifions effectivement l'article 715 du code de façon à exclure expressément ces éléments de preuve du procès.
La présidente: Merci.
Le sénateur Beaudoin: Suite à la question du sénateur Joyal, la Charte des droits et libertés s'applique également au stade de l'enquête préliminaire. C'est le même principe. Je suis quelque peu déconcerté par l'idée qu'une preuve inadmissible en procès soit jugée acceptable en enquête préliminaire. Les principes de la Charte s'appliquent à tous les niveaux.
Un autre point qui m'inquiète est l'imprécision. Cela fait plusieurs cas d'imprécision dans les textes de loi que nous voyons.
[Français]
[...] par ailleurs inadmissibles [...][Traduction]
C'est une chose de dire: «S'il s'agit juste d'établir un fait, pas de problème. Ce n'est pas pour établir l'intention, uniquement un fait». Est-ce réellement utile? Vous pouvez aller plus loin que cela avec la Charte que nous avons.
M. Bebbington: Bien entendu, la Charte s'applique à l'audience préliminaire aussi bien qu'au procès, bien qu'il soit intéressant que jeudi dernier la Cour suprême du Canada ait rendu un arrêt dans R. c. Hynes où elle s'est séparée cinq contre quatre sur la question de l'enquête préliminaire. La question dans Hynes était de savoir si un juge présidant une enquête préliminaire peut se prononcer sur des questions de Charte - en l'occurrence, une contestation de l'admissibilité de preuves invoquant la Charte. La Cour suprême du Canada, par une majorité de cinq contre quatre, a décidé que le juge d'enquête préliminaire n'a pas cette faculté.
Le sénateur Beaudoin: De quelle cause s'agit-il?
M. Bebbington: La cause Hynes, dont l'arrêt a été rendu jeudi dernier. Je ne fais état de cette décision que pour montrer que la Cour suprême du Canada elle-même est divisée quant au rôle et à la fonction de l'enquête préliminaire. La décision majoritaire dit qu'un juge présidant une enquête préliminaire ne peut se prononcer sur des questions mettant en jeu la Charte et invoquer la Charte lors de l'enquête préliminaire. Mais cela ne répond pas à votre question.
Le critère du projet de paragraphe (7) est le caractère plausible ou digne de foi de l'élément de preuve, de l'avis du juge.
Le sénateur Beaudoin: C'est là le critère.
M. Bebbington: À défaut, la preuve n'est pas admissible.
Je conviens qu'à première vue les mots «par ailleurs inadmissibles» semblent problématiques. Cependant, cette disposition permettra à la Couronne - et à la défense si elle souhaite l'invoquer - de déposer une déclaration écrite, par opposition à un témoignage de vive voix, ce qui, strictement parlant, ne serait pas permis en procès. La question à trancher en l'occurrence est de savoir s'il y a des preuves suffisantes pour renvoyer l'accusé en tribunal, et non pas sa culpabilité ou son innocence. Encore une fois, le renvoi en tribunal peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire sur présentation d'un bref de prérogative.
Le sénateur Beaudoin: Cela s'applique-t-il aux deux parties?
M. Bebbington: Oui. Je souligne que la jurisprudence récente va dans le sens d'une libéralisation des règles d'admissibilité de la preuve, même à l'égard du ouï-dire pendant un procès. Pour compenser cette petite incursion dans ces notions, les garanties sont que la partie présentant la déclaration écrite doit en donner préavis et si l'autre partie souhaite que le témoin soit cité à comparaître en personne, à la place du document écrit, un mécanisme est prévu pour cela. Nous estimons qu'il s'agit là d'un changement mineur à la loi actuelle, et qu'il ne s'applique qu'à l'enquête préliminaire. Comme madame la présidente l'a signalé, une disposition du projet de loi empêche que ce type de preuve soit admis au procès s'il serait autrement inadmissible.
Le sénateur Beaudoin: Parlez-vous de ce qui figure déjà dans le Code criminel, de l'article 715?
M. Bebbington: Oui.
La présidente: La partie suivante du projet dont j'aimerais pouvoir parler est celle concernée par le témoignage donné par les fournisseurs de services Internet. J'aimerais connaître votre réaction au libellé spécifique des amendements proposés par l'ACFI.
Mme Lisette Lafontaine, avocate principale, Section de la politique en matière de droit criminel, ministère de la Justice: Le premier amendement prévoit l'ajout du mot «sciemment». Il y a eu à ce sujet deux demandes contradictoires. L'Association du Barreau canadien nous demande d'ajouter le mot «sciemment» à l'infraction d'accès, car elle pense que ce texte n'est pas clair, pour montrer qu'il ne s'agit pas d'un accès par accident ou par hasard. L'Association canadienne de télévision par câble nous demande d'ajouter «sciemment» aux autres infractions. Si l'on insère «sciemment» au texte de l'infraction d'accès, il faudra l'ajouter également à toutes les autres infractions.
Honorables sénateurs, presque toutes les infractions définies dans le Code criminel sont des infractions intentionnelles, et la connaissance de cause est un élément important de l'intention, de la mens rea. Si vous voulez établir une infraction de responsabilité stricte, il faut l'indiquer expressément. Je pense qu'il est très clair que les infractions sont des infractions à mens rea. Cela ne changerait rien d'ajouter le mot «sciemment» à une ou deux d'entre elles. Mais qu'en résulterait-il pour les autres infractions du Code criminel? Qu'en résulterait-il pour les infractions existantes telles que la distribution, la vente et la production de pornographie juvénile? Toutes ces infractions actuellement exigent la mens rea. Elles exigent que l'intéressé sache ce qu'il fait lorsqu'il commet l'infraction, et le texte d'aucune d'entre elles ne comporte le mot «sciemment».
Nous ne sommes pas en désaccord avec le sens qu'apporterait le mot «sciemment» au texte de l'infraction, car c'est déjà le sens voulu. Cependant, ajouter le mot créerait une difficulté au niveau des autres infractions du Code criminel.
J'aimerais également répondre en ce qui concerne le détournement de mineurs. On a préconisé d'ajouter également le mot «sciemment» à l'infraction créée à l'article 8. Encore une fois, le même raisonnement s'applique. Mais, en outre, il est bien évident que si l'on communique avec quelqu'un dans un certain but, ce ne peut être par accident ou par hasard. La personne sait forcément ce qu'elle fait.
On a déploré également le fait que l'infraction de facilitation ne soit pas définie. L'idée ici est de capturer les cas où la personne qui communique avec l'enfant ne sera pas celle qui va commettre l'infraction sur l'enfant. Cette personne pourrait communiquer avec l'enfant afin de l'amener en un certain lieu, où une autre personne commettrait l'infraction. C'est pourquoi nous avons utilisé le mot «faciliter» la perpétration de l'infraction, et nous ne nous sommes pas limités à la commission de l'infraction sur l'enfant elle-même.
S'agissant du détournement de mineurs, l'ABC a dit que nous ne couvrons pas la croyance erronée. Mais si, nous couvrons la croyance erronée. Une personne ne sera pas considérée coupable si elle a pris des mesures raisonnables pour déterminer l'âge de l'enfant. Mais ce n'est pas une défense si la personne fait preuve d'un aveuglement volontaire et ne veut pas savoir.
L'Association des fournisseurs Internet et celle de télévision par câble ont demandé une exonération générale de responsabilité lorsqu'ils agissent comme simple canal. Elles admettent qu'elles seraient responsables si elles savaient ce qu'elles faisaient. Or, à mon sens, c'est exactement ce que dit le projet de loi. Rien ne leur impose d'exercer une surveillance sur le contenu de leurs systèmes. Elles ne sont pas obligées de chercher à connaître le contenu qui transite par leurs systèmes. Nous reconnaissons qu'il serait extrêmement difficile pour elles de le faire, et d'ailleurs si on les y obligeait, cela serait un empiétement sur la vie privée. Les fournisseurs de services Internet ne sont pas tenus de surveiller le contenu de leur système et, par conséquent, ils ne peuvent être tenus responsables que s'ils sont au courant et continuent à offrir les services aux contrevenants et se font ainsi volontairement complices.
Même la police ne possède pas actuellement le genre d'exonération qu'ils demandent. La police elle-même n'est pas exemptée de l'interdiction de posséder de la pornographie juvénile. Il n'y a pas d'exemption générale pour la police. La possession de pornographie juvénile est une infraction.
Son seul moyen de défense est l'intérêt public. L'intérêt public est une défense contre l'accusation de possession de pornographie juvénile. La police s'en remet à cette défense pour échapper à la responsabilité criminelle.
Les fournisseurs de services Internet sont confrontés à ce problème car la possession de pornographie juvénile est un délit. Chaque fois que la police les informe qu'il y a de la pornographie juvénile sur leurs serveurs, ils coopèrent et enlèvent les fichiers, nous le savons. S'ils couraient le risque d'être accusés parce que de la pornographie juvénile est présente dans leur système à leur insu, cela aurait déjà été fait. Ce n'est pas un problème nouveau qui serait posé aux FSI, et ils ont admis n'avoir jamais été inculpés pour cela.
Ils se plaignent également des termes «emmagasiné» et «rendu accessible». Ils disent que si l'on enlevait le terme «emmagasiné», leur seule responsabilité serait de ne pas rendre la pornographie accessible ou d'en bloquer la réception. Cela poserait un problème sérieux d'application car la matière resterait dans les serveurs et n'importe quel FSI pourrait y accéder.
Donc, pour accomplir l'objectif, et supprimer le matériel pornographique, nous devrions nous adresser à tous les FSI et leur demander de bloquer les sites. On demanderait au juge local de rendre une ordonnance couvrant le FSI de son ressort. Cependant, il y a des FSI dans tout le pays, si bien qu'il faudrait aller voir tous les juges, partout où il y a un FSI, pour leur demander d'imposer le blocage. Ce ne serait guère pratique.
En outre, les FSI connaîtraient ce problème non seulement lorsque l'un de leurs clients a de la pornographie juvénile sur son site, mais chaque fois qu'il y en a ailleurs dans le système. Chaque fois, une ordonnance judiciaire leur imposerait de bloquer la pornographie. Cela non plus ne serait guère pratique.
La présidente: Vous dites que ce ne serait pas pratique du point de vue application de la loi. Eux aussi disent que ce ne serait pas pratique, selon leur perspective, car ces choses sont emmagasinées un peu partout.
Mme Lafontaine: Le problème est causé par les fichiers multiples où sont entreposées les copies de sauvegarde de leurs systèmes. La raison d'être de ces copies de sauvegarde est de ne pas perdre le contenu lorsque une défaillance du système se produit. Si vous ne savez pas où se trouve le contenu pornographique, cela crée un problème.
Nous reconnaissons que, à l'occasion, ils seront obligés de chercher les copies. Je pense que c'est inévitable. Cependant, à quoi cela leur sert-il d'avoir des copies s'ils ne savent pas où elles se trouvent? Peut-être vont-ils devoir changer leurs procédés et mieux répertorier où se trouvent les choses dans leurs systèmes.
Un autre de leur argument est qu'ils ne peuvent garantir qu'un certain contenu sera supprimé de façon permanente car quelqu'un d'autre pourrait y avoir accès ailleurs et le remettre dans le système. Cependant, l'ordonnance de la cour leur demande l'enlever ce qui se trouve dans leur système au moment de l'ordonnance. Ils ne sont donc pas responsables de ce qui aura été remis plus tard par quelqu'un d'autre. Ils ne sont pas obligés d'exercer une surveillance sur le contenu de leur système.
Le sénateur Joyal: Le projet de loi C-36 donne au SCRS l'autorisation de surveiller les communications sur l'Internet.
[Français]
Une fois entrée dans le système, l'autorisation donnée par le projet de loi C-36 sert à des fins de sécurité nationale, de défense et de protection des relations du Canada avec l'étranger. Toutefois, en pratique, nous intervenons dans le système pour faire la gestion de ce qui est véhiculé dans le système.
Mme Lafontaine: C'est pour des fins très limitées et très particulières. Ce qui est possible et qui pourrait arriver, c'est qu'au moment où SCRS ou une autre agence de «law enforcement» vérifie ou suit ce qui se passe sur le système, il se pourrait qu'ils y trouvent de la pornographie juvénile. Comme on le fait actuellement, même sans un ordre de la cour, lorsque la police, par exemple, prévient les fournisseurs de services qu'il y a de la pornographie juvénile sur leur système. Généralement, ils vont l'enlever. Un des avantages qu'ils voient au système qu'on a instauré, c'est qu'en ayant un ordre de la cour pour l'enlever du site, ils sont libérés de toute responsabilité vis-à-vis leur client parce que leur client ne peut pas les blâmer d'avoir interrompu le service. Ils ont un ordre de la cour.
Le sénateur Joyal: Les résultats d'une enquête ont été rendus public la semaine dernière. Lorsque j'ai pris connaissance des résultats, ma réaction a été de déterminer quelle était la procédure légale pour les forces de l'ordre responsables de gérer la protection des jeunes. Quelle forme d'autorisation ont-ils avant de pouvoir entrer dans le système?
Mme Lafontaine: C'est considérer comme un mandat de perquisition afin d'avoir accès à l'information et au système des fournisseurs des services Internet. Ils doivent se présenter devant un juge et demander un mandat de perquisition.
Vous faites référence à l'opération en Grande-Bretagne où l'information fournie à la police était des adresses Internet. La police doit trouver l'identité et l'adresse de la personne basée sur ces adresses Internet. Je ne peux pas faire de commentaires sur une opération policière, je n'ai pas l'information. L'enquête est toujours en cours. On essai de déterminer si, pour chacune de ces adresses Internet, on peut trouver la preuve qu'il y a eu des communications et de la pornographie juvénile qui ont circulé entre les gens déjà été arrêtés en Grande-Bretagne et pour lesquels il semble y avoir la preuve et les adresses fournies à la police canadienne.
Le sénateur Joyal: C'est donc par le biais d'un mandat que la procédure judiciaire est déclenchée?
Mme Lafontaine: Pour tous les mandats de perquisition, il faut avoir des motifs raisonnables de croire qu'une infraction a été commise. On ne peut pas aller à la pêche pour demander aux fournisseurs de services de nous dire tout ce qui se passe chez eux pendant une journée.
Le sénateur Joyal: Il faut que ce soit nommément désigné.
Mme Lafontaine: Oui.
[Traduction]
Le sénateur Beaudoin: Nous avons entendu tout à l'heure les représentants de l'Association canadienne des fournisseurs Internet. Je vais vous lire un passage de leur mémoire:
Alors, à moins qu'on explicite le libellé du projet de loi C-15A, nous nous retrouverons dans la situation où le FSI n'est manifestement pas responsable lorsqu'un tiers quelconque utilise ses installations pour transmettre de la propagande haineuse, mais peut l'être si la même personne décide d'ajouter à sa propagande des images qui constituent de la pornographie juvénile. Ce genre d'incohérence n'est ni équitable ni soutenable dans le contexte du droit canadien.
Je ne suis pas expert dans ce domaine.
[Français]
Mme Lafontaine: Il faisait référence à Loi canadienne sur les droits de la personne. Il n'est pas question de culpabilité. On doit se demander s'il s'agit d'une pratique discriminatoire et ensuite, trouver des moyens de l'éliminer si c'est le cas. Ce bien différent du droit pénal. Il est vrai qu'Internet est couvert dans les télécommunications aux fins de la Loi canadienne sur les droits de la personne, mais c'est une chose différente d'avoir une pratique discriminatoire.
Le sénateur Beaudoin: Je suis d'accord, ce n'est pas dans le Code criminel. Ce n'est pas même du droit pénal. C'est une question de discrimination. Autrement dit, on arrive à deux résultats contraires. Cela se justifie-t-il sous la Loi canadienne des droits de la personne?
Mme Lafontaine: Je ne suis pas experte en lois canadiennes des droits de la personne, mais la disposition a été incluse quand on parlait du téléphone et des télécommunications. La situation est différente dans ces cas. Dans le cas du téléphone, il ne reste rien. Dès que la communication est faite, si vous faites un appel obscène, il n'y a plus rien après. La compagnie ne peut plus rien faire. Le contenu des émissions de la radio et de la télévision est régi par le CRTC. On inclus maintenant l'Internet comme en faisant partie. Peut-être devrait-on modifier la loi à ce moment. Lorsqu'on dit que les résultats seraient différents, ils ne feraient pas partie de la réconciliation avec la personne ou de mesures de compensation. L'individu pourrait quand même être trouvé coupable en vertu du Code criminel s'il a volontairement filé à un partenaire consentant de la propagande haineuse, comme il pourrait être trouvé coupable s'il sait ce qu'il fait, ce qui se passe et s'il est consentant et laisse faire. Ce sont les conditions pour lesquelles il pourrait être trouvé coupable. Je ne vois pas de contradiction.
Le sénateur Beaudoin: Il n'y a pas de contribution sur le fond.
Mme Lafontaine: Non, pas sur le fond.
Le sénateur Beaudoin: Il pourrait être poursuivi en vertu du droit criminel.
Mme Lafontaine: Bien sûr, il faudrait des raisons d'être trouvé coupable en vertu du Code criminel, mais ce n'est pas parce la Loi canadienne sur les droits de la personne dit que ce n'est pas une pratique discriminatoire qu'il ne pourrait être trouvé coupable en vertu du Code criminel s'il est courant de la propagande haineuse et s'il ne fait rien pour l'enrayer.
[Traduction]
Le sénateur Andreychuk: La présidente risque de décréter que mes questions sont irrecevables, alors je vais être brève.
On passe de la notion de complicité et d'assistance à ce terme populaire de «faciliter». Parfois, dans cette loi-ci et dans d'autres - le projet de loi C-36 est l'exemple le plus inquiétant - «faciliter» suppose une action intentionnelle. Je comprends l'inquiétude de ces gens; les images pornographiques sont transmises et ils n'ont pas d'obligation de surveiller le contenu. Si celui-ci contient des images pornographiques, ce n'est pas leur problème.
Cependant, cela devient maintenant: «Je dois prouver que je n'ai rien fait de mal», car nous leur refusons l'exonération. D'ailleurs, individuellement, ils pourraient faire partie des contrevenants. Nous ne pouvons les exclure en tant qu'individus.
Les gens commencent à craindre que les vieux concepts ne s'appliquent plus car la notion de mens rea devient diluée. Celle de «facilitation» ne semble pas avoir de sens clairement cerné, défini. C'est une notion un peu flottante, ce qui cause un certain malaise. Ce n'est là qu'un groupe parmi d'autres qui commence à s'inquiéter face au terme «facilitation».
Comment le ministère de la Justice voit-il tout ce volet entièrement nouveau? Il est dû en partie à la technologie et en partie au terrorisme.
La présidente: Sénateur Andreychuk, vous commencez à déborder du sujet.
Le sénateur Andreychuk: Il faudra qu'ils me répondent plus tard s'ils ne le font pas maintenant, et cela commence à me chiffonner.
Mme Lafontaine: Sénateur Andreychuk, la notion de facilitation ne s'applique qu'à l'infraction du détournement de mineurs. Le terme est employé ici pour couvrir les personnes qui communiquent avec un enfant, non pas parce qu'elles veulent eux-mêmes perpétrer une infraction sur l'enfant, mais parce qu'elles veulent amener l'enfant dans une situation où quelqu'un d'autre va commettre l'infraction.
C'est la seule raison de la présence du mot «faciliter» ici. Je sais qu'il y a eu un long débat sur le mot «facilitation» dans le projet de loi C-36, mais je vais m'abstenir de faire un commentaire sur ce dernier ce soir.
Le sénateur Andreychuk: On parle souvent de pente glissante. Lorsque vous introduisez le terme «facilitation» à propos du détournement de mineurs et qu'ensuite on le retrouve dans le projet de loi C-36, vous comprendrez que les fournisseurs Internet s'inquiètent. Ils facilitent concrètement l'infraction, bien que leur rôle ne soit pas criminalisé. Ils se demandent si ce sera la prochaine étape.
Le sénateur Nolin: Ma première question porte sur les règles de pratique. Vous avez entendu le Barreau du Québec au sujet du pouvoir donné aux tribunaux de fixer leurs propres règles. Vous avez entendu les préoccupations des cours municipales du Québec. Il n'y a pas de problème s'agissant des grandes cours municipales, elles avaient déjà ce pouvoir aux termes de leur charte. Cependant, à compter du 1er janvier 2002, ce ne sera plus le cas.
Avez-vous tenu compte de cela? Si oui, dans quelle mesure? Que va-t-il se passer à l'égard des petites cours municipales?
M. Bebbington: Il s'agit là simplement d'une disposition habilitante permettant à ces tribunaux de formuler leurs propres règles de procédure. Le transfert de compétence aux cours municipales du Québec n'est pas déterminé par le Code criminel. Le système judiciaire pénal au Québec est très différent de celui des autres régions du pays, à bien des égards. De fait, la Cour provinciale du Québec exerce une plus large compétence que les cours provinciales d'autres provinces. La Cour municipale au Québec possède également une plus grande compétence. Ce n'est pas le fait du Code criminel, mais du gouvernement du Québec.
J'ai du mal à comprendre l'inquiétude suscitée par cette disposition donnant le pouvoir d'établir des règles. Si une instance relève de la compétence de ce tribunal, il est tout de même normal que celui-ci puisse arrêter les règles régissant ses procédures. Ces dernières ne peuvent être ultra vires. Elles ne peuvent contrevenir en rien au Code criminel et sont assujetties également à d'autres limites, notamment la Charte. J'ai un peu de mal à comprendre ces préoccupations.
Le sénateur Nolin: Certaines cours municipales du Québec possédaient déjà, aux termes de la charte d'incorporation de ces villes, des pouvoirs spéciaux et étaient traitées à l'instar de cours provinciales. Cela a été décidé pour de très bonnes raisons, probablement liées à la capacité des cours à s'occuper d'affaires plus importantes.
Cela ne sera plus le cas. Toutes les cours municipales seront au même niveau. Du fait de cette modification, toutes les cours municipales du Québec seront traitées sur le même pied, les grandes et les petites. C'est pourquoi nous sommes inquiets. Toutes les cours municipales au Québec n'ont pas les mêmes capacités.
M. Bebbington: Je comprends. Nous avons rédigé cela sur l'avis des avocats du gouvernement du Québec. Si je saisis bien, vous dites que les tribunaux qui avaient la plus grande compétence voient leur statut changé. Ce libellé nous a été fourni, dans une large mesure, par les avocats du Québec travaillant pour le procureur général provincial et a leur approbation.
Nous parlons du pouvoir d'établir des règles. Il ne s'agit pas d'élargir le champ de compétence. Cette disposition permet à ces tribunaux d'arrêter des règles concernant leurs procédures dans leur sphère de compétence.
Le sénateur Nolin: Et tout cela se fait sous la supervision d'ensemble du lieutenant-gouverneur en conseil de la province.
M. Bebbington: Oui.
Le sénateur Nolin: Vous avez entendu les réserves de l'Association du Barreau canadien au sujet du projet d'article 348.1, les circonstances aggravantes. Il dit que cela n'est pas nécessaire.
M. Bebbington: C'est là un autre cas où la ministre cherche à concevoir une approche équilibrée d'un problème apparent. Certains, comme l'Association du Barreau canadien, disent que ce n'est pas nécessaire. D'autres réclament la création d'une infraction spécifique et distincte d'invasion de domicile.
Dans une situation où il n'y a pas de consensus, rien que des positions plutôt extrêmes, la ministre a façonné une approche raisonnable et équilibrée focalisant sur ce type particulier de comportement et soulignant sa gravité dans le contexte du Code criminel. Nous n'en faisons pas une infraction distincte, car on peut régler le problème dans le contexte d'autres infractions assorties de lourdes peines, telles que l'introduction par effraction et le vol qualifié. Cependant, ce nouvel article manifeste à tous la gravité de l'invasion de domicile, érigé en circonstance aggravante que les tribunaux sont appelés à sanctionner sévèrement.
Le sénateur Nolin: Madame McFadyen, en ce qui concerne l'article 690 du Code criminel, je suis sûr que vous avez entendu ou lu les témoignages des témoins que nous avons entendus ici. Je suis sûr que vous avez des notes résumant leurs arguments. J'aimerais que vous passiez en revue vos notes et tentiez de me convaincre que vous avez raison et qu'ils ont tort.
Mme Mary McFadyen, avocate conseil, Groupe de la vérification des demandes de clémence de la Couronne: Nous espérons que les modifications contenues dans ce projet constituent un bon point de départ pour l'amélioration du processus de l'article 690. L'article 690 n'a pas été adapté depuis son introduction en 1895. Il est destiné aux personnes qui ont bénéficié de toutes les garanties de notre système judiciaire et prétendent avoir de nouveaux éléments qui n'ont pas été examinés par le tribunal ou qui n'étaient pas disponibles à l'époque et qui sont susceptibles de les innocenter.
L'article 690 est le dernier recours que possèdent ces personnes pour obtenir un nouveau jugement. Le ministre a le pouvoir d'ordonner une reprise du procès.
On vous a dit que l'article est très vague. Les détracteurs se plaignent du caractère secret de la procédure. Il existe un groupe au sein du ministère de la Justice qui se consacre à l'examen de ces cas. Nous cherchons à le faire de manière non contradictoire. Ces critiques sont formulées depuis des années.
La ministre a publié en 1998 un document de consultation. Elle a rencontré diverses personnes et a lancé une invitation à soumettre des avis. Elle a rencontré le président et plusieurs des commissaires de la Criminal Cases Review Commission de Grande-Bretagne, un organe indépendant. Elle a eu avec eux une discussion franche sur le fonctionnement de leur système et du nôtre.
Après avoir étudié toutes les options possibles, la ministre a conclu que la création d'un organe indépendant formel au Canada n'était pas indiquée. Une raison en est que nous avons eu moins d'erreurs judiciaires qu'au Royaume-Uni. Par exemple, il y a eu là-bas plusieurs affaires qui ont suscité beaucoup de remous concernant des membres de l'IRA condamnés sur la base de manipulations des éléments de preuve par la police. Le problème là-bas était que le ministère de l'Intérieur était responsable et de la police et de la révision de ces affaires, un conflit d'intérêts caractérisé.
Un rapport a été publié en Angleterre en 1993 préconisant la création d'un organe indépendant, ce qui a été fait en 1997. Cet organe reçoit un millier de demandes par an et possède un effectif de 80 personnes.
Comme la ministre l'a indiqué, nous-mêmes recevons environ 70 demandes de révision par an. La vaste majorité concernent des poursuites provinciales. Au Canada, les affaires pénales provinciales sont poursuivies par les procureurs généraux provinciaux et non le procureur général fédéral. Je parle là des poursuites en vertu du Code criminel. La plupart des affaires sont provinciales. Nous avons 69 dossiers actifs en ce moment, et seuls trois intéressent une poursuite intentée par le procureur général fédéral.
Tout en concluant qu'un organe indépendant n'était pas approprié, la ministre a voulu s'inspirer de certains éléments du système britannique et elle considère que sa proposition constitue un bon compromis, adapté à la situation canadienne.
L'article 690 ne précisait pas les conditions d'admissibilité à une révision. Le nouvel article indique qu'il faut avoir épuisé tous les autres recours. Cela n'était pas stipulé auparavant. Auparavant, seules les condamnations pour acte criminel pouvaient être révisées, maintenant toutes les condamnations pénales peuvent l'être.
L'article 690 ne définissait pas les modalités de la demande de révision. Le nouvel article prévoit des règlements prescrivant la forme et le contenu de la demande. Nous espérons que cela rendra la procédure plus transparente, plus facile à suivre, et plus accessible aux demandeurs.
L'article actuel ne définit pas les modalités d'examen. Le projet de paragraphe 696.2(1) énonce clairement que la demande sera examinée conformément à la procédure mise en place par règlement.
L'article 690 ne prévoyait pas de pouvoirs d'enquête. L'une des doléances était le temps que prenait une révision. Le problème que rencontraient les responsables de ces révisions est qu'il était difficile de contacter les témoins ou que les gens n'étaient pas prêts à témoigner ou à fournir les documents requis.
Nous avons maintenant introduit des pouvoirs d'enquête. Cela va accélérer les choses. C'était également en réponse à l'enquête Marshall. Cette commission avait recommandé que tout organe chargé des demandes de révision dispose de pouvoirs d'enquête. Je signale que notre système sera meilleur que le britannique car ce dernier n'a que le pouvoir d'exiger la production de documents, non celui d'assigner des témoins.
L'article 690 ne prescrit pas les éléments à prendre en compte. Nous indiquons quels critères seront appliqués. La demande doit être fondée sur de nouvelles questions importantes non encore étudiées par les tribunaux. Ce sera l'élément déterminant.
Aux fins de la reddition de comptes, le ministre de la Justice sera tenu de déposer un rapport annuel au Parlement sur le mécanisme de révision des condamnations. Cela assure une certaine reddition de comptes.
En outre, comme la ministre l'a annoncé, elle va apporter des modifications administratives, en sus des changements législatifs. Elle a annoncé qu'elle allait recruter des avocats et des enquêteurs qui vont examiner les cas. Un site Internet sera créé pour faciliter l'accès au mécanisme et expliquer les modalités de demande. Elle va également nommer un conseiller spécial qui va superviser la révision de ces affaires. Cette personne lui fera rapport directement et gérera la section. Cela assurera une certaine indépendance.
Le sénateur Nolin: Je suis sûr que vous avez entendu le témoignage de Mme Green. Elle a recommandé que nous retranchions ces articles du projet de loi C-15A et attendions les conclusions de l'enquête Milgaard.
Mme McFadyen: À ma connaissance, le gouvernement de la Saskatchewan n'a pas encore fixé le mandat de cette commission d'enquête. Il s'est engagé à ne pas ouvrir d'enquête tant que les tribunaux n'auront pas tranché. Je crois savoir que la Cour d'appel de la Saskatchewan est actuellement saisie de l'appel de M. Fisher. Je ne sais pas quand ce procès aura lieu. Je sais qu'aucune des parties n'a encore déposé son factum. Il se passera pas mal de temps avant que cette enquête ne démarre et ne rende ses conclusions.
Le sénateur Nolin: Ils avaient des arguments convaincants pour demander d'attendre les recommandations de l'enquête Milgaard: au lieu de faire des aménagements ponctuels, pourquoi ne pas attendre et conserver le système actuel? Vous avez entendu tous ces arguments.
Mme McFadyen: Oui.
Le sénateur Nolin: Je suis peut-être le seul autour de cette table à être tenté par cela. Je pourrais peut-être réfléchir à votre recommandation, la nuit portant conseil.
La présidente: Vous avez jusqu'à demain matin.
Le sénateur Andreychuk: Ayant vécu en Saskatchewan pendant quelques années, tout comme vous, je le sais, ce qui m'a le plus intéressé dans le témoignage de Mme Green est ce qu'elle disait au sujet du système britannique, ou d'un modèle similaire. Il est important que la justice non seulement soit faite, mais qu'elle soit perçue comme étant faite.
Les gens ne font pas réellement la distinction entre autorités provinciales et autorités fédérales. C'est «le système et moi». Tant que le ministre ne reçoit pas des avis de source indépendante, quiconque travaille à l'intérieur du système et donne des avis est considéré comme faisant partie du système. Ce n'est pas la sorte d'indépendance à laquelle tout le monde peut se fier.
J'aimerais savoir quel poids la ministre accorde à cela, car j'ai vécu longtemps en Saskatchewan. Toutes les enquêtes menées en Saskatchewan sur les diverses affaires, y compris celle de Milgaard, étaient gérées, m'assure-t-on, par des gens faisant partie du système. Je pense qu'ils ont fait de leur mieux, mais peu aurait importé à qui ils finissaient par donner raison, quelqu'un se serait toujours plaint du fait que le système se contrôlait lui-même.
Ce qui est attrayant dans le système britannique, c'est l'indépendance. Il est utile d'avoir une forme d'indépendance. Pourquoi la ministre n'a-t-elle pas donné plus de poids à cette considération?
Mme McFadyen: Comme je l'ai dit, la raison pour laquelle il y avait un conflit d'intérêts en Grande-Bretagne était que le ministre de l'Intérieur avait le pouvoir d'ordonner un nouveau procès et était en même temps responsable de la police et des prisons. Le conflit d'intérêts y était plus grand qu'au Canada, sachant que la plupart des poursuites sont intentées chez nous par les procureurs généraux provinciaux.
Une recommandation a été formulée suite à l'enquête Marshall préconisant que les ministres de la Justice provinciaux et fédéral envisagent de créer un organe indépendant. Ils ont mis sur pied un groupe de travail fédéral-provincial, il y a dix ans, pour se pencher sur le problème. Ils sont parvenus à la conclusion que le mécanisme de l'article 690 était suffisamment indépendant, car la plupart des affaires étaient des poursuites provinciales. Ce n'était donc pas les procureurs qui revoyaient leurs propres affaires, c'était le ministre fédéral de la Justice.
Depuis l'enquête Marshall, nous avons apporté des changements pour rendre le processus interne du ministère plus transparent et accessible. Nous espérons y avoir réussi, ces cinq dernières années, avec la création de notre groupe.
Le sénateur Andreychuk: Mon argument est que le ministère a beau modifier le processus et le rendre plus transparent. C'est louable. Je n'ai pas d'objection moi-même au processus interne, car je pense que ces gens agissent de manière professionnelle et cherchent à trouver la vérité.
Le problème est qu'il ne sera jamais perçu comme étant bon tant que ce ne sera pas un organe indépendant, quelles que soient les règles ou procédures mises en place.
La présidente: Oui, sénateur Andreychuk, c'est un peu comme lorsque le Sénat n'est pas perçu comme étant efficace.
Le sénateur Andreychuk: Ne nous engageons pas dans ce débat non plus.
Le sénateur Grafstein: J'aimerais aborder deux questions. La première est la mens rea en rapport avec la pornographie juvénile, et cetera. Vous ne m'avez pas convaincu en ce qui concerne le projet d'article 164, car je pense que le paragraphe ultérieur qui contient le mot «sciemment» me dit uniquement qu'un juge qui considère l'ensemble de l'article appliquera la notion de «sciemment». C'est nécessaire pour plus de clarté. Je ne veux pas répéter ce qui a déjà été dit et j'ai entendu vos arguments à ce sujet. «Sciemment» dans un paragraphe ultérieur m'assure que les tribunaux vont appliquer un critère raisonnable de mens rea.
Je suis un peu plus troublé par le projet d'article 172. Voici une disposition qui dit que «commet une infraction quiconque communique au moyen d'un ordinateur au sens du paragraphe 342.1(2), avec une personne âgée de moins de 18 ans ou qu'il croit telle...»
N'est-ce pas là un critère satisfaisant du point de vue de la mens rea - la croyance de l'accusé? Est-ce que la croyance n'est pas un critère suffisant? La notion de croyance est plus ouverte, plus libérale, que celle de «sciemment». Je peux croire - je peux me tromper - qu'une personne a plus de 18 ou 16 ou 14 ans, et croire est un concept plus large que savoir. N'est-ce pas un critère plus large, ou plus équitable?
Mme Lafontaine: Parlez-vous du paragraphe (3)?
Le sénateur Grafstein: Oui. Le texte dit: «une personne âgée de moins de 18 ans ou qu'il croit telle...» La question est de savoir à quel moment l'interdiction s'applique.
La présidente: C'est l'alinéa 172.1 (1)a).
Le sénateur Grafstein: N'est-ce pas un critère plus libéral? Croire est plus libéral que savoir. Rectifiez si je me trompe, mais, dans mon souvenir, «sciemment» est plus restrictif. La «croyance» est un critère plus ouvert, voire plus libéral. C'est donc moins difficile à prouver. Quelle est la différence entre «sciemment» et «croyance»?
Mme Lafontaine: Il faut savoir que l'on communique avec une personne paraissant moins de 18, ou 16 ou 14 ans.
Nous avons ajouté «apparaît» ou «est présenté comme» pour couvrir une opération d'infiltration.
Dans la plupart des cas, la seule façon d'établir une infraction est pour la police d'aller sur l'Internet et de prétendre être une personne de 14 ans, ou d'envoyer des photos de gens qui n'ont pas 14 ans.
Le sénateur Grafstein: Prenons l'hypothèse d'une opération d'infiltration. La police cherche alors à attraper des gens qui font de la pornographie juvénile ou la disséminent.
Mme Lafontaine: Elle s'en prend aux gens qui s'en prennent aux enfants, oui.
Le sénateur Grafstein: Elle envoie un message ou une image et prend dans le filet une personne qui croit que la personne a moins de 18 ans. La croyance, même dans cette circonstance, n'est-elle pas un critère de mens rea très généreux, par opposition à «sciemment»?
Mme Lafontaine: La mens rea n'est pas en rapport avec la croyance concernant l'âge. La mens rea est le désir de communiquer avec un enfant. Il se trouve que cet enfant avait 15 ans, non pas 14 ans, ou n'était pas un enfant du tout.
Le sénateur Andreychuk: Ne serait-ce pas une défense - la croyance sincère?
Mme Lafontaine: C'est une défense si vous cherchez par des moyens raisonnables à déterminer l'âge de l'enfant.
Le sénateur Grafstein: Vous n'êtes pas obligé de le faire. Le projet de paragraphe 4 dit que ce n'est pas un moyen de défense...
Mme Lafontaine: Il dit: «[...] que s'il a pris des mesures raisonnables pour s'assurer de l'âge de la personne».
Le sénateur Grafstein: La phrase complète est: «le fait pour l'accusé de croire que la personne [...] était âgée d'au moins 18, 16 ou 14 ans [...] que s'il a pris des mesures raisonnables pour s'assurer de l'âge de la personne».
Cela me paraît un critère équitable, car il revient à dire que, dès que vous voyez quelqu'un, vous devez agir immédiatement, au lieu de rester un consommateur passif. N'est-ce pas précisément ce que le ministère cherche à obtenir ici? Si vous êtes un observateur sur l'Internet, vous devez immédiatement réagir et prendre quelque mesure? Vous ne serez pas accusé si vous recevez une image et faites en sorte que cela ne se répète pas. Si vous recevez quelque chose et ne faites rien pour déterminer l'âge de la personne, c'est une autre affaire.
Mme Lafontaine: L'infraction ici n'est pas le fait de regarder, c'est celle de détournement de mineur. Vous communiquez avec un enfant.
Le sénateur Grafstein: J'ai commis un lapsus. Ne faut-il pas une sorte d'obligation, s'agissant de la mens rea, de réagir rapidement, si vous cherchez à séduire quelqu'un, et tout d'un coup vous prétendez: «Je pensais qu'il avait plus de 18 ans. Je me suis trompé.»
Mme Lafontaine: Nous voulons éviter une situation où la personne peut invoquer l'ignorance, lorsque cette ignorance est volontaire. L'accusé savait qu'il était en communication avec un enfant, mais prétend avoir cru que la personne avait plus de 18 ans. S'il entame une conversation avec une personne inconnue sur l'Internet dans le but d'avoir de relations sexuelles avec cette personne - le problème est là - en pensant que la personne a 15 ans...
Le sénateur Grafstein: C'est tout de même imprudent, n'est-ce pas?
Mme Lafontaine: C'est peut-être imprudent, mais vous devez veiller à déterminer l'âge, vous ne pouvez vous montrer aveugle au fait que vous avez réellement affaire à un enfant de 13 ans.
Le sénateur Grafstein: J'ai compris votre point de vue et je vous en remercie.
J'aimerais aborder une question plus complexe, concernant le projet d'article 696 et les problèmes abordés avec Mme McFadyen concernant la faculté du ministre de déléguer ces pouvoirs particuliers à une personne non indépendante de lui.
Il y a une faille historique dans cette exégèse. Historiquement, depuis l'Act of Settlement et la séparation des pouvoirs entre la Couronne et les tribunaux en 1688 et toutes les lois ultérieures, il existe une séparation des pouvoirs entre le juge et la Couronne. La Couronne, en pratique, a scindé ses pouvoirs entre l'exécutif et le législatif. Cela remonte à l'époque de Henri VIII. C'est pourquoi, chez nous comme aux États-Unis, il y a une séparation nette des pouvoirs entre les sphères législative, exécutive et judiciaire. Nous en venons maintenant la question intéressante de l'injustice.
Encore une fois, l'histoire fait que le Cabinet possède la prérogative royale de réparer rapidement les injustices en vertu de l'article 748 du Code criminel. Le ministre n'est obligé de rien attendre. Il peut décréter qu'une chose n'a pas lieu d'être et accorder un pardon à volonté. Il peut effacer l'ardoise. C'est là un pouvoir absolu énoncé à l'article 748 du Code criminel. C'est un reflet pur de la prérogative royale qui permet, à tout moment, de pardonner n'importe quoi à quiconque - sans même donner de raison.
Aujourd'hui encore, certains gouverneurs d'États américains possèdent ce pouvoir. Le gouverneur a le pouvoir de clémence, de commuer la peine de mort. Tout cela est fondé sur le pouvoir de prérogative originel - le ministre possède ce droit.
Mme McFadyen: Tout membre du Conseil du gouverneur général peut présenter au Cabinet une recommandation de pardon, en vertu de cet article.
Le sénateur Grafstein: C'est un pouvoir très large. Ce qui s'est passé après cela, historiquement, est la réflexion de Fox, Burke, John Stuart Mill et d'autres sur les moyens de remédier à une erreur judiciaire. Le système britannique se retrouve tel qu'il est parce qu'il n'y a pas, comme chez nous, une séparation des pouvoirs entre le ministre de l'Intérieur, responsable de la police, et le ministre de la Justice. Cela est toujours le cas aujourd'hui. Chez nous, le Solliciteur général est responsable de la police. Le ministre de la Justice est responsable de la législation.
Ceci est un article curieux car, encore une fois, dans l'expérience britannique, suite à la division des pouvoirs au sein de l'exécutif, on a fait la même chose du côté judiciaire. On a eu deux types de tribunaux: les tribunaux de plaidoyer commun et les tribunaux d'équité. Les premiers appliquaient la lettre de la loi. Les tribunaux d'équité avaient pour rôle de casser les jugements des tribunaux de plaidoyer commun sur la base de l'équité. C'était un critère simple - un critère d'équité. Je suis sûr que vous avez étudié de très près cette histoire.
Mme McFadyen: Il y a longtemps, oui.
Le sénateur Grafstein: Vous l'avez étudiée?
Mme McFadyen: Certainement, lorsque j'étais à la faculté de droit.
Le sénateur Grafstein: Beaucoup de facultés n'enseignent plus cela. Vous devez avoir étudié à la même époque que moi, lorsque c'était une partie très importante de l'enseignement.
Nous en arrivons maintenant à cette disposition. Elle nous préoccupe. La ministre se trouve engagée à essayer de réparer une erreur judiciaire pour laquelle elle-même, en tant que principal responsable de la législation de la Couronne, peut être tenue d'une certaine façon responsable.
Mme McFadyen: Vous voulez dire qu'elle prend une décision dont elle assume la responsabilité.
Le sénateur Grafstein: Oui. Est-ce là votre argument?
Mme McFadyen: Elle est certainement responsable. C'est en partie la raison pour laquelle la ministre a décidé de conserver ce pouvoir - car elle est responsable devant le Parlement.
Le sénateur Grafstein: Mais que se passe-t-il si elle porte la responsabilité d'une erreur judiciaire commise sous son autorité? Pour la simplicité de l'analyse, limitons-nous aux erreurs judiciaires commises sous le paradigme de la responsabilité pure du ministre de la Justice à l'égard du Code criminel. Nous savons que le ministre est responsable du Code criminel, mais non de l'administration locale de la justice.
Cette délégation de pouvoir figure au paragraphe 696.2(3), qui dit: «Malgré le paragraphe 11(3) de la Loi sur les enquêtes, le ministre de la Justice peut déléguer par écrit à quiconque ses pouvoirs [...]» «À quiconque». Ce pourrait être son frère, ou sa mère, ou son fils ou son sous-ministre.
Mme McFadyen: Cette disposition répond à la recommandation de l'enquête Milgaard voulant que les personnes qui examinent les cas pour le compte du ministre disposent de pouvoirs d'enquête. Certains avocats du ministère sont responsables de l'examen de ces cas.
Le sénateur Grafstein: C'est là le cloisonnement qui prétend séparer une partie du ministère de la Justice d'une autre partie, empêchant les contacts entre les deux côtés.
C'est plus profond qu'un cloisonnement. Il ne s'agit pas là d'un arrangement commercial qui pourrait susciter un conflit d'intérêts comme dans une banque. On parle ici du pouvoir pénal, d'un abus du pouvoir pénal.
M. Bebbington: Lorsque la ministre a comparu ici, elle a dit que si une demande porte sur une poursuite fédérale, elle fait invariablement appel à un avocat externe.
Le sénateur Grafstein: C'est toujours elle qui nomme cet avocat externe.
Mme McFadyen: Elle donne pouvoir à cette personne de faire enquête et de lui faire rapport. Si cet avocat externe a du mal à obtenir les renseignements voulus, il peut invoquer la Loi sur les enquêtes pour se les procurer, grâce à cette disposition.
Le sénateur Grafstein: Je comprends cela. La ministre s'est montrée généreuse, en un sens. Je n'ai pas d'objection à ces pouvoirs plus larges de révision des éléments de preuve. Le problème est dans la question très étroite de savoir si le ministre peut nommer quiconque pour faire enquête sur un abus de pouvoir dont il est directement responsable. Voilà le problème. Est-ce que mon inquiétude est excessive?
Mme McFadyen: Je l'espère. Nous avons rédigé cela afin que toute personne que le ministre désigne pour examiner l'affaire en son nom dispose du pouvoir délégué de faire enquête, de parvenir à la vérité, et de déterminer s'il y a eu erreur judiciaire.
Le sénateur Grafstein: Je ferai un peu plus de recherches à ce sujet. Il serait intéressant pour le ministère de se pencher de très près sur l'histoire du droit, en remontant jusqu'en 1701. J'ai toujours ces manuels. Relisez Blackstone.
Le sénateur Nolin: C'est pourquoi j'ai abordé avec la ministre l'article 7 de la Charte qui traite de la liberté et du principe de la justice naturelle. Nul ne conteste que la prérogative lui appartienne. C'est la procédure que nous contestons.
Le sénateur Grafstein: C'est une question distincte.
Mme McFadyen: Elle ne délègue certainement pas son pouvoir de décision. Les personnes qui l'assistent avec l'examen des cas doivent pouvoir recueillir les renseignements voulus afin qu'elle puisse prendre une décision en connaissance de cause. Il ne s'agit pas là de pardon ou de clémence pure. Il faut des faits avérés pour pouvoir rouvrir un procès en vertu de l'article 690.
C'est le Solliciteur général qui décide des pardons, en renvoyant les demandes à la Commission nationale des libérations conditionnelles, qui applique certaines normes pour déterminer si le pardon est approprié.
Pour ce qui est du commentaire du sénateur Nolin, l'article 7 s'applique. Une décision ministérielle en vertu de l'article 690 est une décision écrite. Le demandeur en reçoit copie. S'il n'est pas d'accord, elle est sujette à contrôle judiciaire de la Cour fédérale. La cour dit que l'article 7 s'applique, obligeant le ministre à effectuer une révision équitable et exhaustive.
Le sénateur Nolin: C'était la question que j'ai posée à la ministre.
Le sénateur Grafstein: Je dis que l'histoire est importante ici, car le projet de loi a été très controversé ici, particulièrement le préambule qui harmonisait la common law et le droit fédéral. On nous a dit que la raison d'être du préambule était que le droit civil est sans équivalent, contrairement à la common law.
J'ai passé quelques heures à la bibliothèque à faire des recherches à ce sujet. J'ai trouvé à mon grand étonnement dans Coke on Littleton que Littleton - qui a précédé Blackstone - a été le premier à codifier la common law - en français. La common law était fondée sur le droit français, si bien qu'il n'est pas tout à fait vrai que le code civil soit si distinctif. La common law était initialement le droit français.
Le sénateur Cools: On a dit beaucoup de choses fausses, mais j'aimerais poser au témoin une question sur le Solliciteur général et les pardons. Je pense qu'elle parlait des pardons dans le cadre de la Loi sur le casier judiciaire.
Mme McFadyen: Non, je parlais de tous les pardons, qu'ils soient en vertu du Code criminel ou de la Loi sur le casier judiciaire.
Le sénateur Cools: La plupart des pardons sont consentis aux termes de la Loi sur le casier judiciaire.
Mme McFadyen: Je crois que vous avez raison.
Le sénateur Cools: La procédure suivie par la Commission des libérations conditionnelles diffère légèrement de la procédure de l'article 690. Il y a plusieurs avenues.
On répète sans cesse la même erreur: il n'existe qu'un seul avocat de la Couronne. Le procureur général n'est pas le «premier» avocat de la Couronne. Il est le seul avocat de la Couronne. Les gens qui travaillent pour lui ne sont pas avocats de la Couronne. Les trois avocats de la Couronne au Canada sont le Procureur général, le Solliciteur général et le Juge-avocat général.
Le sénateur Grafstein: Quel est le rapport avec ce projet de loi?
Le sénateur Cools: C'est une question de langue.
La délégation de pouvoir, page 37, article 71, modifiant le paragraphe 696.2(3) est une délégation du pouvoir judiciaire du ministre.
Mme McFadyen: Le ministre a la responsabilité de la révision et de prendre les décisions en cas d'erreur judiciaire. Lorsque nous rédigions cela, pour faire en sorte de donner aux personnes voulues les pouvoirs d'enquête voulus, nous avons pensé que la bonne façon de le faire serait par le biais de la Loi sur les enquêtes. Le ministre de la Justice reçoit les pouvoirs d'un commissaire en vertu de la Loi sur les enquêtes et peut ainsi les déléguer à quelqu'un d'autre pour mener l'enquête en son nom. Encore une fois, il ne cède pas le pouvoir de décision ultime.
Le sénateur Cools: Je ne dis pas cela. La délégation de pouvoir ici est une délégation de pouvoir judiciaire. Le ministre de la Justice, depuis l'époque de la Confédération, assume deux rôles distincts, qui ont fait l'objet à l'époque de longs débats. Chaque fois qu'il est question dans une loi du ministre de la Justice ou du Procureur général, il importe de bien préciser de quel rôle on parle.
On confond souvent les deux rôles. L'un des meilleurs ouvrages écrits sur la différence entre les deux rôles est celui du professeur John Edwards.
Cette loi commet une erreur énorme en confondant les deux rôles. Votre propre Loi sur le ministère de la Justice énonce les différences. Le ministre de la Justice est d'office procureur général et inversement. La révision des poursuites est le rôle du Procureur général. Rendre compte des questions administratives au Parlement appartient au rôle du ministre de la Justice. Il faut pas mal de doigté pour concilier les deux. À mon sens, votre texte confond les rôles.
Mme McFadyen: Ma seule réponse sera pour dire que, lorsque le ministre examine ces cas, c'est en sa capacité de ministre de la Justice et non de Procureur général.
La présidente: Merci aux témoins.
Honorables sénateurs, nous nous réunissons de nouveau demain matin à 10 h 45, dans la salle 256-S de l'Édifice du Centre.
Le sénateur Nolin: La ministre a accepté un amendement. La Chambre des communes va probablement ajourner ce soir. Cela signifie que le projet amendé devra retourner à la Chambre des communes, mais pas nécessairement demain. Il serait bon que nous ayons plus de temps pour relire soigneusement les témoignages, du moins ceux des deux barreaux. Il n'y a pas urgence à adopter ce projet de loi. Nous siégerons manifestement encore la semaine prochaine.
La présidente: Certains membres du comité souhaitent peut-être pouvoir lire les témoignages, mais je dois vous dire que d'autres membres du comité ont siégé ici et les ont écoutés. Je pense que nous sommes prêts à passer à l'étude article par article demain.
Le sénateur Nolin: J'ai demandé la semaine dernière au ministère un document sur l'enquête préliminaire. Je l'ai reçu à 4 h cet après-midi. N'est-il pas juste que l'on me donne le temps d'en prendre connaissance?
La présidente: Nous l'avons ici, sénateur Nolin. J'ai l'intention de faire un peu de lecture ce soir. Nous procéderons à l'étude article par article demain matin à 10 h 45.
La séance est levée.