Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 23 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 6 février 2002
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi S-32, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (promotion du français et de l'anglais), se réunit ce jour à 15 h 36 pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, nous accueillons cet après-midi le sénateur Gauthier qui nous présentera son projet de loi d'initiative parlementaire, le projet de loi S-32, visant à modifier la Loi sur les langues officielles (promotion du français et de l'anglais).
Bienvenue au comité, sénateur Gauthier.
[Français]
L'honorable Jean-Robert Gauthier: Cette tribune est très importante pour la communauté francophone vivant en milieu minoritaire. Le projet de loi S-32, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, promotion du français et de l'anglais, adopté par le Sénat, a franchi l'étape de la deuxième lecture le 20 novembre dernier. J'ai distribué une copie de la Loi sur les langues officielles, une copie du projet de loi S-32 ainsi qu'une copie du compte rendu officiel des Débats du Sénat du 20 novembre 2001.
J'ai rêvé de la mise sur pied d'un comité permanent du Sénat qui étudierait le dossier des langues officielles. J'en rêve encore! Voilà plus de six ans que j'essaie de convaincre les autorités parlementaires de la nécessité d'établir un comité permanent des langues officielles au Sénat. Ce comité pourrait revoir l'application de nos droits linguistiques - droits qui nous distinguent comme société et qui font partie de nos valeurs fondamentales - dans un climat non partisan où le rôle de protecteur des minorités dévolu au Sénat prendrait tout son sens. Depuis plus d'un an, le Comité sénatorial permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement étudie cette proposition. Soyons patients!
Pouvons-nous croire qu'il existe des obligations sans conclure en même temps qu'il existe des droits réels? Le 20 juillet 1988, lors de l'adoption du projet de loi C-72, l'honorable Lucien Bouchard, alors secrétaire d'État, énonçait la politique linguistique du gouvernement lorsqu'il disait en comité parlementaire, ici au Sénat, et je cite:
L'importance qu'accorde le gouvernement fédéral aux communautés s'exprime tout particulièrement dans la partie VII du projet de loi C-72, dont l'application relève du secrétaire d'État. L'article 41 énonce toute la portée des intentions gouvernementales. Il assigne au gouvernement fédéral l'obligation de favoriser l'épanouissement des mino rités linguistiques, d'appuyer leur développement et de promouvoir la pleine reconnaissance de l'usage du français et de l'anglais.
Pour moi, et probablement pour tous les parlementaires, cet engagement de respecter l'objet de la loi était réel et pris au sérieux.
[Traduction]
M. Bouchard était très clair au sujet de l'objectif de la loi, autrement dit, le «pourquoi» de la question. Le «comment» est défini aux articles 42, 43, 44 et 45 de la partie VII de la loi. Bien entendu, si les gouvernements ne respectent leurs engagements en vertu de la Loi sur les langues officielles, les minorités linguistiques ont le droit de s'adresser aux tribunaux pour de l'aide. C'est tout à fait logique, et elles l'ont fait.
Quand le secrétaire d'État ou le ministre du Patrimoine canadien s'exprime au nom du gouvernement, d'après la loi, il ou elle doit encourager ou favoriser une approche coordonnée à la mise en oeuvre de la Loi sur les langues officielles par les divers ministères responsables. C'est probablement l'inaction dans ce domaine qui a poussé le premier ministre du Canada à nommer un ministre responsable de la coordination des langues officielles. L'honorable Stéphane Dion est, en un sens, un ministre délégué du Patrimoine canadien, avec le mandat et le pouvoir conférés par le premier ministre, de coordonner, élaborer et mettre en oeuvre les programmes de promotion des langues officielles. M. Dion a même promis aux Canadiens de leur livrer un plan d'action ce printemps. Il y travaille depuis un an, et nous attendons toujours.
[Français]
La mission de Patrimoine canadien est claire dans la loi. L'application de l'article 41, tel que libellé, semble poser une difficulté majeure pour les agences et les ministères du gouvernement fédéral. Est-ce à dire que la loi n'est pas claire, non exécutoire et que les dispositions qui portent autorisation d'agir ne sont pas assez fortes et encourageantes pour remplir le mandat? Est-ce un manque de volonté politique qui bloque l'action des institutions fédérales? Si vous regardez la définition d'institution à la partie II, vous allez voir que c'est clair.
[Traduction]
Jeudi dernier, le 24 janvier, l'honorable Stéphane Dion s'est adressé au Barreau du Haut-Canada. Il a déclaré:
Tant que des gouvernants n'assumeront pas d'eux-mêmes leurs responsabilités constitutionnelles et légales vis-à-vis du bilinguisme canadien, les citoyens et les communautés auront raison de se tourner vers les tribunaux.À mon avis, il aurait dû ajouter: «Tant que les institutions fédérales ne pourront pas suivre des leaders plus convaincants, rien ne changera». Au lieu d'employer l'expression «bilinguisme canadien», il aurait été plus avisé de dire «la dualité canadienne». Il y a toute une différence entre le bilinguisme et la dualité. Le mot «bilinguisme» n'est pas dans la Constitution. Il n'existe pas, en tant que tel. C'est une discipline.
[Français]
Je suis bilingue et plusieurs d'entre vous le sont aussi. On ne naît pas bilingue. Cela se développe graduellement. C'est comme un hybride. Un bilingue ne se reproduit pas.
[Traduction]
Je tiens à insister sur l'importance de la différence entre les concepts de bilinguisme et de dualité. Notre gouvernement doit cesser de parler de bilinguisme et se mettre à parler du respect pour les deux langues officielles, dont doivent faire preuve le gouvernement et ses institutions, y compris le Parlement. Autrement, nous ne faisons pas du bon travail.
Je crois que des obligations juridiques imposent à la ministre du Patrimoine canadien qu'elle s'acquitte de sa mission. Le ministère du Patrimoine canadien doit coordonner et soutenir des programmes de promotion, et cela présume que la ministre doit aussi agir. Naturellement, ces obligations font l'objet d'une surveillance par les tribunaux.
[Français]
Cela fait un certain temps que mon projet de loi traîne dans les officines du Parlement. De source assez fiable, j'ai entendu des arguments négatifs de certaines personnes en autorité concernant le projet de loi S-32 et d'autres ont été positifs. Vous prendrez votre décision. On m'a dit le projet de loi S-32 augmentera la judiciarisation de la Loi sur les langues officielles. Ce jargon juridique veut dire que cela va augmenter les procédures devant les tribunaux.
Le sénateur Nolin: Jusqu'à maintenant, ce n'est pas si mauvais.
Le sénateur Gauthier: Ce projet de loi créera des attentes chez les minorités de langues officielles que le gouvernement ne pourra satisfaire. Le ministre du Patrimoine me l'a dit dans une lettre. Il est vrai que le projet de loi S-32 s'inspire de la Loi constitutionnelle de 1982. Cela commence ainsi. Je fais référence au paragraphe 16(1) et (3) de notre constitution. Il est également vrai que ce projet de loi utilise le libellé du projet pour prendre les mesures nécessaires pour assurer l'épanouissement et le développement des minorités francophones et anglophones du Canada, et cetera.
Ce libellé ou l'inspiration du projet de loi S-32 se trouve en partie au paragraphe 43 (1) de la Loi sur les langues officielles, et je cite.
Le ministre prend les mesures qu'il estime indiquées pour favoriser [...]
Je me suis également inspiré de la loi du Nouveau-Brunswick intitulée Loi reconnaissant l'égalité des deux communautés linguistiques officielles, sanctionnée le 17 juillet 1981. Cela doit faire plus de 20 ans. Je vais vous lire un extrait de la loi du Nouveau-Brunswick:
Le gouvernement du Nouveau-Brunswick, dans les mesu res législatives qu'il propose dans l'impartition des ressour ces publiques et dans ses politiques et programmes, encourage par des mesures positives le développement culturel, économique, éducationnel et social des communau tés linguistiques officielles.
Je vous avouerai que j'ai failli mettre le mot positif dans mon projet de loi. Je ne l'ai pas inscrit parce qu'on m'a conseillé de pas le mettre. C'est cependant inscrit dans la loi du Nouveau-Brunswick.
Je ne suis pas un avocat, vous le savez, ni un expert dans la matière. Mais je sais lire. Et c'est vrai que l'inspiration m'est venue de la Constitution de notre pays et de la loi du Nouveau-Brunswick. Je suis coupable de plagiat. Que voulez-vous, on s'inspire là où on peut! Je me demande si le projet de loi S-32 occasionnera une plus grande judiciarisation. Si les droits fondamentaux sont ignorés, seront-ils soumis à des recours judiciaires? Oui, ils le seront, et avec raison.
Je pourrais vous faire part d'un discours prononcé le 24 janvier dernier à Toronto par l'honorable Stéphane Dion sur cette question.
Le sénateur Nolin: Cela coûte cher.
Le sénateur Gauthier: On a mis un signe de piastre sur des droits fondamentaux. Je m'y objecte. Je dis non. Ce n'est pas vrai.
De toute façon, les tribunaux n'ont pas l'habitude de perdre leur temps avec ceux qui abusent du système législatif ou juridique et aussi avec des minorités qui n'ont pas les moyens financiers ni le temps d'être frivoles dans la revendication de leurs droits. Quant aux attentes qui seraient créées par cette modeste proposition du projet de loi S-32, je répondrai tout simplement qu'un droit est un droit et est un droit. J'ajouterai, pour le bénéfice des gens inquiets à ce sujet, que les communautés linguistiques ne demandent pas plus que le respect en matière d'équité et de justice.
Certain vous diront que Gauthier est impatient, c'est vrai. Cela fait 40 ans que je fais cela. Je travaille dans le domaine de l'éducation depuis 1960 et au gouvernement fédéral depuis 1972. Il faut être d'une patience d'ange pour faire bouger les gouvernements, qu'ils soient provinciaux ou fédéral. J'arrive à l'automne de ma vie et de ma vie politique aussi, parce que dans trois ans je quitte. Il y a des choses qui pressent.
L'assimilation des Canadiens français vivant en milieu minoritaire est inquiétante et même critique. Je fais mon possible pour changer la donne.
J'ai connu plusieurs campagnes politiques locales, régionales, municipales, provinciales, fédérales, en éducation, en santé et en services sociaux.
Je vais essayer de vous convaincre d'adopter cette proposition. Je m'attends bien à ce que vous me suggériez des modifications. Je pourrais peut-être même en suggérer quelques-unes.
Les objectifs de la partie VII de la loi sur les langues officielles sont identiques à ceux de l'article 23 de notre constitution de la Charte canadienne des droits et libertés, tel qu'interprété par la Cour suprême du Canada dans l'arrêté Mahé et al. en 1990. C'est un prolongement du paragraphe 16(1) de la Charte des droits et libertés, pas plus ni moins.
L'objet général de la partie VII de la Loi est de maintenir les deux langues officielles du Canada et les cultures qu'elles véhiculent. L'article 41 de la Loi sur les langues officielles parle d'épanouissement de chacune des deux langues officielles du Canada. Cette partie de la loi est destinée à remédier à l'érosion progressive des minorités linguistiques.
[Traduction]
La partie VII de la loi vise cet objectif par les obligations imposées aux institutions fédérales dans l'exercice de leurs mandats. C'est ce qu'on appelle en général le bilinguisme institutionnel, soit le système de droits et d'obligations associés à la langue, aux communications, aux services, à la langue de travail, à la participation équitable au sein des institutions fédérales, et cetera. La partie VII ne crée pas de nouveaux droits; elle met en oeuvre le principe de promotion de l'égalité et du statut des droits et des privilèges égaux quant à l'emploi des deux langues officielles dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada. Je ne l'invente pas; c'est dans notre Constitution.
L'article 23 de la Charte porte sur les droits des minorités linguistiques en matière d'éducation. La partie VII, à l'article 41, reconnaît le statut des langues officielles partout au Canada et traduit l'engagement sans équivoque du gouvernement de promouvoir et de favoriser l'épanouissement des minorités francophones et anglophones.
La partie VII permet au gouvernement de se servir de son pouvoir de dépenser pour s'acquitter de ses obligations lorsqu'il s'agit de promouvoir la pleine reconnaissance et l'usage du français et de l'anglais dans la société canadienne. Les honorables sénateurs comprennent certainement ce que je veux dire par là.
[Français]
Les objectifs de la Loi sur les langues officielles de 1988 existent encore:
1. assurer, dans les institutions fédérales, le respect et l'égalité de statut des langues officielles;
2. appuyer le développement des minorités francophones et anglophones; et
3. favoriser la progression du français et de l'anglais dans la société canadienne.
La loi avait pour but également de préciser le rôle et la responsabilité des institutions fédérales.
Le Canada est devenu officiellement bilingue il y a 32 ans, lors de l'adoption par le Parlement canadien de la première loi sur les langues officielles en 1969. Ceci était le premier pas vers la solution à des problèmes linguistiques qui se posaient alors. Les communautés de langues officielles vivant en milieu minoritaire savaient que cette loi n'allait pas apporter du jour au lendemain la légalité d'accès et la paix sociale en matière de langues officielles. On le savait déjà.
Vous connaissez le déroulement difficile et parfois traumatisant dans le quotidien pour les communautés minoritaires de langues officielles, partout au Canada. Montfort n'est qu'un jalon parmi les nombreuses péripéties de cette campagne qui dure depuis trop longtemps au Canada. Les communautés linguistiques deviennent plus efficaces, vous me direz, lorsqu'elles font valoir leurs droits.
Je vais vous expliquer pourquoi. Il a fallu cinq ans pour obtenir justice pour la cause Montfort. En éducation, dans la province de l'Ontario, cela a pris 17 ans, dans une province, comme vous le savez, à majorité anglophone, même en enchâssant nos droits dans la Constitution. Pour le droit à l'éducation, à l'article 23, cela a pris 17 ans avant qu'on accorde aux Franco-Ontariens la gestion scolaire à travers la province. Dix-sept ans de chicanes, d'assimilation d'un côté, et de collectes de fonds pour pouvoir se payer un avocat pour se défendre. On a fait d'énormes progrès, je vous l'admets. Le cheminement des langues officielles se fait lentement, mais sûrement.
Tout ce que je viens faire aujourd'hui, c'est essayer d'aider à faire avancer les choses. La dualité linguistique, je pense que c'est un concept que la plupart des Canadiens n'ont pas encore compris. Je ne veux pas faire d'accusations, mais je pense qu'on confond le bilinguisme avec la dualité. On pense que c'est la même chose, mais ce ne l'est pas.
La dualité est inscrite dans notre constitution et comme je vous le disais tantôt, le mot «bilingue» n'existe pas dans notre constitution. Il y a des concepts de bilinguisme, évidemment: bilinguisme institutionnel, bilinguisme individuel. Si vous lisez le discours de M. Dion prononcé la semaine dernière, le mot «bilingue» figure cinq ou six fois sur une même page. Bilinguisme canadien, bilinguisme constitutionnel, bilinguisme juridique. Je sais ce que le concept veut dire, mais je parle de dualité, du respect des deux langues officielles par l'institution fédérale, par le gouvernement fédéral. C'est un concept un petit peu différent.
Nous voici en 2002 devant un projet de loi. Ce n'est pas l'invention du bouton à quatre trous, je vous l'admets. Le projet de loi a été rédigé, plus ou moins, à la suite d'une expérience personnelle. J'avais contesté devant les tribunaux la décision du CRTC vis-à-vis TFO, la Télévision française de l'Ontario. TFO avait demandé au CRTC la permission d'aller au Québec avec son signal, avec sa programmation. Elle avait essayé avec les compagnies du Québec, Vidéotron, Cogeco. Le dossier est très épais et j'ai tout un volume là-dessus. La TFO n'a pas été admise, mais les programmes des États-Unis ont été admis. C'est plus payant, c'est vrai, y compris les traductions.
J'ai pensé que le CRTC rendrait une décision honorable, puisque c'est une institution fédérale. Non. On a eu une décision qui dit, entre autres, que ce n'est pas dans l'intérêt national. Je souligne que ce sont les mots utilisés pour permettre au CRTC d'obliger les câblodistributeurs du Québec de transmettre le signal de la TFO. La même semaine, dans Le Droit, une page entière payée par Vidéotron, une compagnie assez importante au Québec, donnait des chiffres. Ils parlaient comme si c'était la découverte du siècle: «Si vous achetez la programmation de Vidéotron, vous aurez accès à 20 chaînes dans le bouquet offert.» Sur les vingt chaînes, il y en a à peu près huit en français et tout le reste est en anglais: des chaînes américaines.
Je ne comprenais pas. J'étais un peu choqué, je vous l'avoue. Je suis allé à la Cour fédérale et j'ai dit que je voulais contester cette décision, parce que le cabinet fédéral m'a dit qu'il ne pouvait rien faire. «Nous avons les bras attachés», me disaient-ils. Cela nécessite une question de droit ou de compétence. Ils m'ont demandé si je questionnais la compétence ou bien le droit. J'ai dit non. Ils voulaient savoir ce que je questionne. J'ai répondu que je questionne la définition d'institution fédérale et puis les obligations qu'elles ont devant la loi. Ils m'ont dit qu'ils allaient faire quelque chose pour m'aider. Ils ont fait ce que le fédéral peut faire, c'est-à-dire qu'ils ont émis un décret au CRTC visant à faire une étude sur les besoins de télévision dans les communautés francophones.
C'est un très beau volume. Il est très bien fait mais cela ne nous apporte absolument rien, sinon peut-être des ouvertures sur autre chose plus tard. Je suis allé à la Cour fédérale, j'ai demandé d'être entendu et au bout de six mois, la Cour fédérale a refusé de m'entendre sans donner de raison.
Je suis allé à la Cour suprême du Canada. Se rendre à la Cour fédérale et à la cour Suprême par la suite, c'est dispendieux. On avait la chance d'avoir un programme fédéral d'appui et d'encouragement, le «Programme de contestation judiciaire». J'ai fait une demande à Winnipeg et à la Cour suprême. On m'a aidé à payer les honoraires des avocats.
Finalement, après avoir préparé la cause, les avocats étaient les mêmes que ceux qui défendaient l'hôpital Montfort, et je les connaissais. La Cour suprême n'a pas voulu m'entendre. J'ai donc abandonné l'aspect juridique pour revenir à l'aspect politique, et c'est pour cela que j'ai rédigé le projet de loi S-32. Il faut prendre la politique par les cornes, et c'est ce que je fais aujourd'hui.
Prenons l'exemple d'Air Canada. Les dirigeants d'Air Canada, c'est du bon monde et, sans aucun doute, M. Robert Milton a de bonnes intentions. Tout bouge lentement, et, parfois, les choses reculent. C'est un peu le phénomène de la chaise berçante qui bouge, mais qui n'avance pas vite. À Air Canada, il y a peut-être un peu de mouvement, mais je vous le dis sincèrement, cela fait 30 ans que je suis membre du comité sur les langues officielles, et on parle encore d'Air Canada et des services offerts dans les deux langues officielles.
L'automne passé, le ministre des Transports et le président du Conseil du Trésor sont venus témoigner devant le Comité mixte permanent sur les langues officielles. Leur comparution faisait suite aux nombreuses plaintes rapportées par la commissaire aux langues officielles au sujet d'Air Canada. Ils ont avoué qu'il n'y avait pas de pouvoir de coercition, pas de pénalité ou de poursuite pour le délinquant, Air Canada, dans ce cas-ci. Pourtant, Air Canada est assujettie à la Loi sur les langues officielles.
Le comité parlementaire a eu beau faire son possible, rien n'a changé depuis bien des années. Il y a toutes sortes de raisons pour cela, et on va faire notre possible pour les aider. Un certain M. Beaulieu, du Syndicat des travailleurs, fait partie du comité, et je lui ai demandé ce qui arrivait, pourquoi cela prenait autant de temps. Il m'a répondu que c'était de la mauvaise volonté. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est un chef syndical.
Alors pourquoi présenter le projet de loi S-32, et pourquoi maintenant? Le combat engagé dans ce pays pour les minorités linguistiques s'inscrit, selon moi et selon plusieurs Canadiens et Canadiennes, dans la ferme conviction que sans une présence dynamique et épanouie des communautés de langues officielles partout au pays, sans une volonté de respecter leur développement et de promouvoir leur épanouissement partout au pays, le Canada n'aura pas besoin des Séparatistes pour se diviser; il va se briser tout seul par la «balkanisation progressive» du français au Québec et de l'anglais dans le reste du Canada. Que feront donc tous les Canadiens comme moi qui vivons à l'extérieur?
Parlons maintenant de l'assimilation. Les provinces ayant une majorité anglophone vivent un problème grave et inquiétant, car l'assimilation sournoise et galopante gruge les effectifs de nos communautés francophones aujourd'hui. J'ai des données récentes de Statistique Canada que j'ai fait circuler.
Je n'ai pas trouvé de définition statistique du phénomène d'assimilation car Statistique Canada n'utilise jamais cette expression parce qu'elle n'est pas claire.On parle plutôt de transfert linguistique, c'est-à-dire le nombre de personnes parlant le plus souvent à la maison une autre langue que la langue maternelle.
Vous trouverez un tableau intitulé «Nouvelles perspectives canadiennes», publié par Patrimoine canadien. Par exemple, en Ontario, en 1971, le taux de transfert linguistique était de 30,3 p. 100. En 1991, il était de 37,2 p. 100. Et en 1996, il était de 39,1 p. 100. Un Canadien français sur trois en Ontario ne parle plus sa langue maternelle à la maison. On m'a dit qu'en décembre prochain on aura d'autres statistiques linguistiques et on pourra mettre à jour le données que nous avons.
Je vous dirai franchement que je ne suis pas optimiste. Au Québec, par exemple, 10 p. 100 de la population a fait le transfert linguistique vers une autre langue que la langue maternelle. Chez nous, c'est quasiment 40 p. 100.
Il y a un problème. Le ministre Dion a fait tout un plat avec la question des couples exogames. Il s'agit d'un mariage mixte dans lequel les conjoints ont des langues maternelles différentes, et ceci fait obstacle, selon lui, à la pratique des langues maternelles. J'aimerais citer un extrait de l'allocution de M. Stéphane Dion devant les membres de l'Association du Barreau de l'Ontario, le 24 janvier dernier, à Toronto. Il parle des mariages exogames, et je cite:
Tout indique qu'une telle tendance va s'accentuer à l'avenir. Autrefois, l'isolement linguistique et la barrière de la religion faisaient obstacle à de tels mariages interlinguisti ques. Or, quand le conjoint anglophone est unilingue, seulement 13 p. 100 des enfants des communautés de la francophonie canadienne hors Québec apprennent le fran çais.
Je suis issu d'un mariage exogame. Ma mère était à la fois d'origine écossaise et irlandaise, mon père était canadien-français. J'ai eu la chance ou la malchance de venir au monde en 1929, en pleine dépression. Mon père a tout perdu et j'ai abouti ici, à Ottawa, dans un orphelinat.
Ce sont les S9urs grises de la Croix qui m'ont élevé, mais pas en français évidemment. Le mariage de mes parents s'est rompu. Ma mère ne pouvait rien faire. Mon cours classique à Limbourg n'a pas été payé par les fonds publics, mais par des amis et par mon grand-père.
En 1966, seulement 14 p. 100 des Franco-Ontariens terminaient leur neuvième année et 86 p. 100 n'avaient pas accès aux institutions nécessaires pour poursuivre leurs études jusqu'à la neuvième année. On poussait des balais, on conduisait des ascenseurs ou on devenait menuisier. On ne pouvait pas devenir médecin ou avocat parce qu'on n'avait pas les moyens. C'est ce qui arrive lorsque les institutions ne sont pas accessibles à tous. Les parents disaient: «C'est dommage, mais tu devras travailler à la ferme parce qu'on a besoin de ton salaire pour survivre.» J'ai vécu cela, ici, dans la basse-ville. C'était la réalité du temps.
L'assimilation fait son travail. Je pourrais vous en parler durant des heures en vous racontant mes expériences. J'ai été député pendant 22 ans pour le comté le plus pauvre de la région, où il y avait le plus grand nombre d'ouvriers, le plus de pauvreté et plus de misère humaine. J'ai vu des maisons avec des planchers de terre dans le secteur de Vanier. Ce que je vous raconte ne date pas d'un siècle, cela fait 25 ans ou 30 ans.
L'assimilation nous guette et cela m'inquiète, parce que c'est mon pays qui va y passer. Certaines personnes disent «the rest of Canada» et le Québec. Cela me choque d'entendre dire que «the rest of Canada», c'est seulement en anglais. Ce n'est pas vrai! Je vais vous faire part de statistiques qui parlent d'elle-même.
En 1969, j'étais conseiller scolaire. Suite à une campagne menée par la communauté francophone qui demandait qu'on lui donne des écoles et qu'on lui permette d'avoir des institutions d'enseignement secondaire et postsecondaire, le premier ministre de l'Ontario, M. John Robarts, a annoncé que le gouvernement de la province avait décidé de financer, à même les fonds publics, l'école secondaire dans la région.
À cette époque, il y avait des écoles privées dans la région où les religieux et religieuses - dont les s9urs de la sagesse qui ont construit l'hôpital Montfort - recevaient les jeunes qui, souvent, ne payaient pas.
J'étais présent et content d'entendre M. Robarts dire: «Dorénavant, on va payer pour les écoles publiques françaises.» En 1969, il y avait 1 700 élèves à Ottawa. En 1972, lors de l'ouverture de notre première école française, 7 200 élèves étaient éligibles. C'était renversant. Les autorités scolaires publiques disaient: «Vous n'avez pas le nombre requis pour justifier de telles dépenses, et même si vous l'aviez, ceci ne serait pas réalisable, car nous n'avons pas les ressources financières.» Ce même discours est tenu présentement par certaines personnes dans le pays. On dit: «Là où le nombre le justifie.» Depuis quand compte-t-on le nombre de personnes sourdes, aveugles ou ayant d'autres handicaps avant de leur donner des droits? On donne des droits à tout le monde. Le projet de loi S-32 a pour but détendre la portée de l'article 41 afin qu'il apporte de vrais changements. Cela me cause problème quand je vois des institutions comme Air Canada ne pas se conformer à la loi. Le projet de loi S-32 vise à donner du mordant à la loi.
Les institutions fédérales sont en quelque sorte paralysées, faute de volonté politique et faute d'une Loi sur les langues officielles qui manque de mordant, et qui est, à tout le moins, ambiguë.
[Traduction]
Pendant des années, j'ai travaillé avec mes moyens limités pour obtenir une nouvelle entente, une interprétation plus généreuse de la loi, qui serait plus réceptive aux besoins de la communauté. J'ai échoué par naïveté, je le reconnais. J'ai cru en l'engagement pris par le gouvernement en 1988, et exprimé par le ministre Bouchard et son successeur, David Crombie, qui ont dit la même chose en comité. J'ai la transcription de cette réunion. Je n'invente rien. J'ai vraiment cru ce qu'il disait. Même si j'étais le porte-parole de l'opposition officielle pour les langues officielles, à l'époque, j'ai fait confiance au gouvernement. J'ai beaucoup travaillé sur le projet de loi C-72 et j'ai même essayé de présenter des amendements. Ce n'était pas facile. Il y avait 40 libéraux à la Chambre, contre 212 conservateurs, soit une majorité qui avait le pouvoir de faire ce qu'elle a fait.
Mais en caucus, j'ai convaincu mes collègues de voter pour le projet de loi. Jean Chrétien était membre du caucus, comme beaucoup d'autres, notamment Sheila Copps. Ils savent de quoi je parle. Ils l'ont vécu avec moi.
Je n'ai rien contre les aspects politiques de la question, je dis simplement que nos institutions n'ont pas actuellement de leaders à suivre. Peut-être qu'il n'y en aura jamais.
Raymond Hnatyshyn, alors ministre de la Justice, a comparu devant notre comité du Sénat et nous a dit que l'article 41 qui est proposé était déclaratoire, qu'il ne représentait pas d'obligation pour le gouvernement mais ne faisait qu'expliquer ses intentions.
Les honorables sénateurs savent que je ne suis pas avocat et en vous parlant du sens de l'article 41, je me servirai plutôt de terminologie politique que juridique. Depuis que j'ai voté en faveur de ce projet de loi en 1988, je crois fermement que l'article 41 est exécutoire et impératif. Je croyais que les tribunaux interpréteraient cet article et qu'en le faisant, selon leur habitude, ils se fonderaient sur les témoignages donnés au moment de l'adoption du projet de loi. Je n'ai toutefois pas eu l'occasion de comparaître devant les tribunaux: ils ne nous entendront pas.
La partie VII de la loi n'est pas assujettie au pouvoir judiciaire. L'article 77 ne permet pas au commissaire aux langues officielles de s'adresser aux tribunaux. C'est plus précis.
Je me suis souvent demandé pourquoi les minorités n'ont pas déploré devant les tribunaux l'assimilation qui les décime, le manque d'institutions auxquelles elles peuvent avoir recours pour des problèmes de ce genre, pourquoi elles n'ont pas demandé d'aide pour survivre. Si elles l'avaient fait, notre pays se porterait mieux. Rien de cela ne s'est produit.
Je reconnais que depuis 30 ans, toutefois, nous avons eu trois ou quatre programmes d'éducation. Le sénateur Joyal les connaît bien puisqu'il était le ministre responsable d'un programme portant sur l'éducation et le soutien aux communautés. Je crois qu'un seul nouveau programme a été mis sur pied depuis 1988. Il faut davantage de mesures concrètes.
J'ai fait des recherches sur ce projet; j'ai consulté des experts; et j'ai longuement réfléchi. J'ai conclu qu'il faut prendre des mesures politiques et c'est pourquoi j'ai présenté le projet de loi S-32.
[Français]
Vous connaissez tous mon désir qu'on mette sur pied un Comité sénatorial permanent des langues officielles. Je crois sincèrement qu'il est essentiel et pressant d'avoir un tel comité.
J'avoue que le Comité mixte permanent des langues officielles fait un bon travail depuis quelque temps. Ce comité, comme tous les comités mixtes, n'est pas un comité législatif, mais un comité administratif. Il s'intéresse à la façon dont la loi est appliquée. Elle doit être interprétée par les tribunaux, mais son application relève de l'ombudsman. C'est le commissaire aux langues officielles qui fait les rapports, et il dépose un rapport tous les deux ans.
On trouve dans ce rapport des situations difficiles. Je ne préconise pas l'abolition du comité mixte des langues officielles, je dis simplement que l'article 88 de la Loi sur les langues officielles prévoit qu'il doit y avoir un comité permanent au Sénat, à la Chambre des communes, ou bien un comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes. Je demande un comité sénatorial.
[Traduction]
En 1988, un comité spécial mixte a étudié la loi. Il n'était pas possible à l'époque de saisir le Comité mixte des langues officielles d'un tel projet de loi, même si ce comité existait depuis 1979. Le sénateur Joyal, le sénateur De Bané et moi-même avions demandé à Joe Clark de créer un comité du Sénat sur les langues officielles. Je n'ai jamais compris pourquoi cette institution du Parlement n'a pas de comité sur les langues officielles étant donné que le Sénat s'occupe de questions régionales et de droits minoritaires. J'ai la conviction qu'il y en aura un avant que je m'en aille.
La présidente: Sénateur Gauthier, je vous donne tout le temps que vous voulez mais je dois vous demander de vous en tenir au projet de loi.
[Français]
Le sénateur Gauthier: Ce projet de loi est important, car il procède de la nécessité, premièrement, d'assurer une meilleure interprétation de la loi; deuxièmement, d'affirmer que le Parlement est à l'écoute des communautés linguistique; troisièmement, de mettre de la volonté à l'engagement formel de 1988 en vigueur et d'utiliser toutes les mesures nécessaires pour favoriser l'épanouissement des communautés linguistiques vivant en milieu minoritaire; et finalement, d'assurer leur développement.
Cette vision ouverte et éclairée fait appel à plus de tolérance et de générosité et non pas à plus de recours devant les tribunaux pour régler les différends.
Les tribunaux n'ont pas encore eu à se prononcer sur la portée de l'article 41, à savoir s'il était de nature exécutoire. Je souligne que d'importantes raisons à retenir empêchent la «judiciarisation» de cet article.
Premièrement, l'article 41 est trop vague et probablement politique. C'est d'ailleurs ce que le ministre m'a dit dans une lettre. Ce n'est pas exécutoire, c'est politique. Deuxièmement, aucun recours n'est prévu à la partie X de la Loi sur les langues officielles pour un manquement à la partie VII. Troisièmement, on ne peut demander à la commissaire aux langues officielles d'intervenir non plus, car l'article 77 ne prévoit pas cette éventualité, et celle-ci ne pourrait agir de toute façon, puisque la partie VII est exclue de l'article 77(1). C'est un peu compliqué, mais c'est la réalité. Enfin, un individu ou un groupe d'individus pourrait déposer un recours devant la Division de première instance de la Cour fédérale. Pour ce faire, ils leur faudrait des ressources financières importantes - quasiment des poches sans fond -, des conseillers juridiques très habiles et, en plus, une patience d'ange.
Je ne suis pas certain qu'on y trouverait satisfaction, car les tribunaux ne perdent pas leur temps à faire des lois claires et précises. Ce n'est pas leur travail. Ils ont la sagesse de la profession et ils laissent ces problèmes aux politiciens. C'est bien comme cela et je le comprends.
[Traduction]
Je ne serais pas surpris si le gouvernement ne soutenait pas cette initiative parlementaire. D'ailleurs, la ministre du Patrimoine canadien m'a dit très franchement dans sa lettre du 30 novembre 2001 qu'elle craint que le projet de loi S-32 ait pour effet de semer la discorde dans les communautés linguistiques et qu'une telle mesure suscite des attentes et cause des problèmes au gouvernement. Ce sont ses paroles.
[Français]
Le président du Conseil privé et ministre responsable de la coordination du dossier des langues officielles coordonne les ministères de la Justice et du Patrimoine canadien et le Conseil du Trésor. M. Dion, lors d'une rencontre à mon bureau, le 19 décembre dernier, m'a confié encore une fois qu'il était inquiet face à ce projet de loi, car, selon lui, cette loi augmentera la judiciarisation. En d'autres termes, les tribunaux seront appelés à interpréter la loi et son application plus fréquemment. Je ne sais sur quelles bases il fonde ses dires, mais c'est ce qu'il m'a dit.
Je peux vous faire un aveu. Quand je dis que je ne sais pas pourquoi il l'a dit, ce n'est pas tout à fait vrai. Je sais pourquoi. La Loi des contraventions a été contestée devant les tribunaux. Le juge Blais a dit qu'on ne pouvait pas, sur les terres fédérales, transférer des obligations du gouvernement fédéral à celui des provinces sans s'exposer à être en défaut de la loi. Qu'est-ce que cela veut dire? Vous ne pouvez pas émettre une contravention sur des terrains fédéraux tels les aéroports, les parcs ni même les océans. Si vous le faites, vous le transférez aux provinces par le phénomène de dévolution vers une province.
Six provinces sont affectées: le Québec, l'Ontario, le Manitoba, la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et l'Île-du-Prince-Édouard. Or, ils ont jusqu'au 23 mars prochain pour régler le problème. Autrement, la loi sera nulle, d'après le juge Blais. Cela signifie probablement qu'on retourne au vieux système. C'est la Gendarmerie royale qui va commencer à donner des contraventions. Les tribunaux vont encore devenir surchargés. Cela va être impossible. Que doit-on faire alors?
D'après moi, on donne du mordant à la partie VII de la loi. On permet que les droits enchâssés dans la Constitution se reflètent dans la Loi sur les langues officielles. L'article 41, selon mon interprétation, permet au gouvernement d'utiliser son «pouvoir de dépenser» pour protéger, promouvoir, développer et aider les communautés de langue officielle en milieu minoritaire à s'épanouir. Je ne suis pas le seul à penser cela. Les engagements du gouvernement fédéral vis-à-vis cet article ne doivent pas être perçus comme des v9ux pieux, car ils ne le sont pas. J'ai de la documentation importante dans mon bureau qui confirme que ma position est appuyée par des juristes, des gens qui ont une certaine connaissance de la loi et qui ont écrit que l'article 41 est exécutoire et qu'il va falloir que les institutions fédérales obéissent à la loi.
[Traduction]
J'en ai conclu que nous devons adopter le projet de loi S-32 pour les raisons que voici.
[Français]
Si le Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles conclut qu'il faut faire quelque chose, s'il est vrai que les tribunaux sont surchargés de plaintes, - c'est ce qu'on nous dit - s'il est également vrai que le gouvernement ne voudra pas ou ne pourra pas accepter le projet de loi S-32 - je ne sais pas, j'anticipe - dans sa forme actuelle, pour les raisons que je viens de vous expliquer ou d'énumérer, le comité pourrait faire un rapport au Sénat.
Dans ce rapport, il pourrait expliquer l'ambiguïté de l'article 41, les difficultés que cela nous cause, recommander au gouvernement d'utiliser son droit par renvoi à la Cour suprême, et demander à la Cour suprême une interprétation juridique claire et précise de l'article 41. Il en résulterait que le milieu législatif aurait toutes les raisons d'éclaircir son discours et de mettre en place une Loi des langues officielles plus juste et plus équitable pour les communautés de langue officielle vivant en milieu minoritaire. En passant, je suis prêt à répondre à des questions s'il y a du temps.
Le sénateur Beaudoin: Je dois, au départ, féliciter le sénateur Gauthier, qui, en plus de manifester une patience légendaire, a présenté devant nous un problème extrêmement intéressant et qui n'est pas aussi difficile qu'on le dit. Je suis d'accord avec vous que l'acticle 41 est exécutoire et impératif. C'est une loi importante et le législateur ne parle pas pour rien dire. J'ai toujours cru que c'était impératif. Si je comprends bien, vous me dites qu'on n'a pas réussi à convaincre le gouvernement, je ne sais pas, ou bien la justice, et que ce n'est pas devant les tribunaux actuellement, mais que cela devrait être devant les tribunaux, peu importe le coût. C'est l'objet de ma question. Jusqu'ici, cela n'a pas conduit à un renvoi, ni à un procès, et n'est pas encore devant les cours de justice. Vous dites alors que, sur le plan législatif, on fera un amendement, et l'article 41 sera amendé. Et si je lis l'article 41, c'est encore plus clair qu'au présent article 41. C'est impératif. Mais là, vous suggérez aussi la possibilité d'un renvoi à la Cour suprême. On fait souvent cela dans notre comité, parfois avec succès, parfois sans succès. Je peux vous dire tout de suite que je suis convaincu qu'il faut faire quelque chose, et que l'article que vous proposez est encore plus clair que l'article 41 actuel. Je voudrais connaître votre position, à savoir si on devrait uniquement se concentrer sur le projet de loi qui est devant nous, ou si on devrait aussi envisager d'autres possibilités dans notre rapport? Je ne sais pas ce que mes collègues vont dire - j'en ai une assez bonne idée, et il y a plusieurs aspects -, mais est-ce bien l'amendement que vous favorisez d'abord et avant tout, plutôt qu'un renvoi de la part du gouvernement à la Cour suprême du Canada?
Le sénateur Gauthier: L'article 41, d'après moi, traite de la question: comment fait-on cela? On trouve aussi cela dans les articles 42, 43, 44 et 45. Peut-être qu'il faudrait apporter des modifications à ces articles qui, d'après moi, indiquent clairement les obligations du secrétaire d'État. Il y a toute une liste à l article 43. Si vous regardez à l'article 43(1), par exemple:
Le ministre du Patrimoine canadien prend les mesures qu'il estime indiquées pour favoriser la progression vers l'égalité de statut et d'usage du français et de l'anglais dans la société canadienne et [...]
On énumère toute une série de choses qu'il doit faire. Les mots importants dans cet article - ce sont des avocat qui me m'ont dit cela - ce sont: «prend les mesures qu'il ou elle estime indiquées».
Le sénateur Beaudoin: On est d'accord là-dessus.
Le sénateur Gauthier: Il faudrait peut-être changer cela. Peut-être que prendre les mesures positives du Nouveau- Brunswick serait mieux que les mesures que vous estimez nécessaires et qui sont dans la loi actuelle. Comme je l'ai dit au début, le projet de loi S-32 n'est pas la réponse complète au problème, c'est un commencement. Mais si je peux lancer un débat, et si vous pouvez inviter des témoins qui vont m'appuyer dans mon initiative, je vais être bien content.
Le sénateur Beaudoin: C'est parce que ce cas-ci correspond un peu au cas de M. Forest qui, en 1979, est allé devant toutes les cours du Manitoba pour plaider que l'article 23 de la loi du Manitoba était impératif et non pas purement indicatif. Il a perdu partout. Je me rappellerai toujours qu'il est venu me voir ici à Ottawa et il m'a demandé ce que j'en pensais. J'ai dit que cela m'apparaissait clair que c'était impératif. Il était d'accord, mais il avait perdu partout. Je lui ai dit qu'il gagnerait à la Cour suprême, et c'est ce qui est arrivé. Que ce soit ici aujourd'hui, je trouve cela très bien. Le Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles peut faire un rapport et dire oui, ou bien dire non.
Tant que la Cour suprême ne se sera pas prononcée sur la valeur impérative de l'article 41, on n'aura pas gagné.
Le sénateur Gauthier: Vous avez entièrement raison. J'ai bien connu M. Georges Forest. Cela lui a coûté 70 000 $ pour plaider devant les tribunaux. Il n'y avait pas de programme de contestation judiciaire. C'est à la suite de cette cause à la Cour suprême que le ministre de la Justice, M. Basford, selon les directives de M. Trudeau, a mis en place un programme de contestation judiciaire. C'est Georges Forest qui a occasionné cette mesure. Il s'est mis dans la rue avec ces dépenses. Il est mort sur la paille. Toutes ses économies y ont passé.
Le sénateur Beaudoin: Sur le plan strictement juridique, cela fait longtemps que vous m'avez convaincu. L'article 41 est impératif. Malheureusement, des gens pensent le contraire et c'est leur droit de penser le contraire. Je suis d'accord que vous fassiez appel au Parlement pour vous aider dans cette lutte, qui va finir à la Cour suprême un jour. Il reste deux autres étapes à franchir. Je ne vois pas de problèmes, sauf qu'il faut convaincre les gens. La Cour suprême aura à se prononcer. Vous êtes devant nous pour dire que c'est impératif. Je suis tout à fait d'accord avec vous. Je n'ai rien à ajouter.
Le sénateur Fraser: Pour ce qui est du CRTC, sachez que sa stupidité et sa bêtise sont daltoniennes. Cela s'applique à nous aussi. Par exemple, au Québec profond, on peut recevoir par câble le réseau CNN mais pas le réseau Newsworld. Cherchez la logique!
Vous avez dit dans votre témoignage qu'au Québec, 10 p. 100 de la population ne parle plus sa langue maternelle à la maison. En fait, c'est 10 p. 100 de la population anglophone du Québec qui ne parle plus sa langue maternelle à la maison. Chez les francophones, c'est 1 p. 100.
Le sénateur Rivest: Dix pour cent chez les anglophones?
Le sénateur Fraser: Oui, croyez-le ou non. Beaucoup de francophones ne veulent pas le croire.
Le sénateur Rivest: Je suis un francophone qui ne le croit pas.
Le sénateur Fraser: Je le sais depuis longtemps. C'est seulement une précision. Je sais que vous avez l'habitude d'être précis dans vos chiffres et je vous admire pour cela.
Je voudrais que le gouvernement fédéral soit obligé d'agir dans l'intérêt des communautés minoritaires. Il me semble que c'est clair et évident. Quant à la portée de votre amendement, lorsqu'on dit que le gouvernement fédéral prend les mesures nécessaires pour assurer l'épanouissement et le développement des minorités, cela me semble assez vaste. Beaucoup de facteurs échappent au gouvernement fédéral. Le gouvernement fédéral ne peut pas tout contrôler, ni tout rectifier. Jusqu'où êtes-vous prêt à aller dans la formulation de votre proposition?
Le sénateur Gauthier: Le libellé actuel de l'article 41 dit que le gouvernement s'engage. Quand je m'engage dans quelque chose, je tiens parole. On m'a dit: M. Gauthier, cela ne veut pas dire «engage» dans le sens que vous le comprenez. Les ministres de la Justice - j'ai tout cela par écrit à mon bureau - m'ont répété presque le même discours à chaque fois que je leur ai écrit. J'ai écrit à M. Cauchon récemment pour savoir quelle était sa position. Mme McLellan, à deux reprises, m'a dit que c'était une disposition politique et non juridique. Je lui ai dit qu'il n'y avait pas de mordant dans cette disposition. Je ne peux pas aller devant les tribunaux pour contester. J'ai voulu faire enlever le mot «engage» puisque cela cause problème. On va l'enlever et on va le remplacer par des mesures nécessaires. J'aurais pu ajouter le mot «positif» mais je ne l'ai pas fait.
Le sénateur Fraser: Ma question vise le c9ur de la chose. Je ne suis pas allée au conseil des ministres. Il est concevable que si le gouvernement a décidé après coup que c'était juste déclaratoire, c'est justement parce qu'il se rendait compte que devenu exécutoire, c'était tellement vaste que cela pourrait à la limite absorber tout le budget fédéral, par exemple. C'est une hypothèse que j'avance. Je voudrais vos commentaires à ce sujet.
Le sénateur Gauthier: Nous avons été très ouverts quant au pourquoi. Nous sommes des politiciens. Quand on écrit des politiques, il faut que ce soit large, il faut que ce soit le moins possible discrétionnaire. Quand il s'agit d'un règlement, c'est le contraire, il est discrétionnaire. Il n'y a aucun doute à ce sujet.
Quand je vous dis, sénateur Fraser, qu'on va aller à la chasse ou à une partie de hockey, c'est un objectif. Comment on va y aller, à pied, en skis, en velo, en train, en autobus, là-dessus, on peut se chicaner. On pourrait avoir un différend pendant des semaines sur les moyens à prendre. L'article 41 n'est pas clair pour dire que le gouvernement s'engage.
[Traduction]
Si vous vous engagez à quelque chose en anglais, je sais que vous allez tenir parole. Cependant, les avocats du ministère de la Justice ont conseillé à leurs ministres de ne pas se mêler de cela étant donné que ce n'est pas justiciable. J'espère avoir éclairé quelque peu l'honorable sénateur.
Le sénateur Fraser: Dans le cours de notre étude de ce projet de loi, j'aimerais que le comité entende une opinion juridique.
La présidente: Nous avons une longue liste de témoins, et nous allons entendre des avis juridiques.
Le sénateur Grafstein: Je félicite le sénateur Gauthier d'avoir soulevé des questions importantes et complexes qui nécessitent clarification et méritent notre appui. Je me range derrière lui. J'ai cependant une question: Comment pouvons-nous soutenir une initiative qui répond de toute évidence à l'intérêt public mais qui vise à corriger des torts qui ne peuvent plus durer? Comment allons-nous créer des mesures de redressement pour combler cette lacune évidente dans la politique gouvernementale?
Je comprends que le sénateur Gauthier invoque le paragraphe 16(3) de la Constitution, qui dit que rien dans la Charte ne limite le pouvoir du Parlement et des législatures de favoriser la progression vers l'égalité de statut ou d'usage du français et de l'anglais. C'est clair. Cependant, j'ai un peu plus de difficulté à comprendre lorsqu'il invoque le paragraphe 16(1), qui ne traite que du statut et des droits et privilèges égaux quant à l'usage des langues officielles dans les institutions du Parlement.
À ce sujet, c'est-à-dire les institutions du Parlement et le gouvernement du Canada, l'honorable sénateur désire-t-il s'assurer que les droits qu'il cherche à consolider ou affirmer s'appliquent au gouvernement fédéral dans toutes les activités qu'il mène, y compris, outre le Parlement lui-même, les sociétés d'État, les autorités chargées de la réglementation et ainsi de suite? Est-ce la raison pour laquelle il invoque les paragraphes 16(1) et 16(3)?
Le sénateur Gauthier: Je comprends ce que veut dire mon honorable collègue lorsqu'il emploie le mot «complexe». Il n'emploie pas le mot «compliqué». Un tas de pierres peut être un tas de pierres compliqué. Il devient complexe lorsqu'on essaie de bâtir une maison.
Je fais ce que je crois utile de faire. J'invoque les paragraphes 16(1) et 16(3) de la Loi constitutionnelle de 1982 pour faire valoir les droits fondamentaux que nous avons dans notre pays, qui sont énoncés dans ces paragraphes, et qui doivent être respectés.
Le sénateur Grafstein: Je comprends.
Revenons-en à votre projet de loi. Si je comprends bien, vous voulez que nous délaissions un article discrétionnaire - étant donné que le gouvernement du Canada s'engage à décider ce qu'il veut faire, quand il veut le faire, mais le respect de cet article est facultatif et non obligatoire - et que nous adoptions un article où il y aurait le mot «prend», qui rendrait le respect de cet article obligatoire. Est-ce votre objectif?
Le sénateur Gauthier: J'espère que le nouveau libellé le rendra exécutoire ou, comme vous dites, obligatoire. Nous sommes sur la même longueur d'ondes. Certaines personnes font valoir qu'il est déclaratoire. Ce n'est pas comme ça que j'ai compris les choses en 1988, ni bien d'autres qui étaient là avec moi.
Le sénateur Grafstein: Je vous pose ces questions parce que j'espère que, lorsque nous obtiendrons une opinion juridique du ministère et du gouvernement, nous pourrons demander à nos témoins l'interprétation qu'ils donnent des obligations qu'énoncent les lois ainsi que votre projet de loi. Cela nous aidera à solidifier le fond de la discussion.
Il y a un principe de droit fondamental que les étudiants apprennent à la faculté de droit et qui n'est pas très compliqué. C'est ubi jus, ibi remedium, qui veut dire «là où il y a un droit, il y a un recours». Vous voulez énoncer un droit clair, conformément au paragraphe 16(3), qui traite du statut égal de l'anglais et du français quant à leur usage, de telle sorte que les personnes qui n'obtiennent pas, en vertu du paragraphe 15(1), le droit à la même protection et aux mêmes avantages qu'offre la loi sans discrimination - c'est-à-dire le droit à l'égalité devant la loi - disposent d'un recours clair.
Est-ce l'intention de votre projet de loi?
Le sénateur Gauthier: Oui, c'est exactement l'objectif de mon projet de loi. C'est ce qui est dit dans le sommaire: «afin de préciser la portée de l'article 41 de celle-ci de la manière la plus compatible avec la réalisation de son objet».
Le sénateur Grafstein: Nous sommes parfaitement d'accord avec ce que vous voulez faire. La question est de savoir quel est le meilleur moyen d'y arriver.
Pour ce qui est de la peur du gouvernement, dont j'ai entendu parler et dont a traité le sénateur Fraser, on appelle cela la paralysie de l'action, c'est-à-dire la décision de ne rien faire parce qu'on craint l'insurmontable. C'est donc un argument qui motive l'inaction. C'est un argument formidable que les gouvernements invoquent sans cesse.
Le sénateur Gauthier: Ce sont des péchés par omission.
Le sénateur Grafstein: Faites-moi confiance, je sais ce que c'est que les péchés d'omission, véniels ou autres. Je connais les pratiques des Jésuites.
Pour illustrer la difficulté que me pose votre projet de loi, je vais citer l'affaire Montfort. Une certaine population francophone estime qu'elle est privée du droit à l'égalité en vertu du paragraphe 15(1). Elle estime qu'en vertu du paragraphe 16(3), le soutien que le gouvernement fédéral lui doit est insuffisant, et elle est contrainte de s'adresser aux tribunaux pour obtenir un recours.
Compte tenu des craintes imaginaires des mandarins gouvernementaux, dans quelle mesure votre projet de loi accélérerait-il les choses? Une personne qui ne reçoit pas de soins médicaux dans sa langue maternelle a raison de se sentir vulnérable. Comment le fait d'obliger le gouvernement fédéral de prendre des mesures apportera-t-il un réconfort au patient lésé de l'hôpital Montfort, et comment cela lui permettra-t-il de contraindre les autorités hospitalières de faire ce qu'elles doivent faire en vertu de toutes les dispositions correctives? Soit dit en passant, dans ce cas-ci, l'affaire est du ressort du gouvernement provincial. Comment arrivera-t-on à un résultat ici? On blâme le gouvernement fédéral et on dit qu'il doit agir. Cependant, la partie qui est dans le tort ici est un organisme provincial qui ne respecte pas les dispositions relatives au droit à l'égalité en vertu de l'article 15. Dans quelle mesure votre projet de loi faciliterait-il les choses?
Le sénateur Gauthier: Je ne suis pas avocat et je ne peux pas vous donner d'opinion juridique. Cependant, je peux vous donner une réponse qui vous convaincra, je l'espère.
Trois jugements récents de la Cour suprême du Canada ont modifié tout le panorama.
[Français]
La Constitution, le fédéralisme et le respect des minorités font partie des principes non écrits.
[Traduction]
Il y a une autre affaire qui traite de la question de l'école de Summerside, à l'île-du-Prince-Édouard. Il y a aussi l'affaire Beaulac de Vancouver où l'on a refusé à un accusé le droit d'être entendu par un juge et un jury qui parlaient sa langue.
Le panorama a changé. Des experts juridiques m'ont dit que les choses sont bien différentes de ce qu'elles étaient il y a cinq ans. Je crois que, si l'on demandait à la Cour suprême du Canada d'interpréter l'article 41, elle répondrait que l'application de l'article 41 est exécutoire ou obligatoire.
Si le gouvernement ne veut pas de ce projet de loi, le Sénat peut quand même recommander que nous nous adressions à la Cour suprême du Canada parce que nous tenons de bons arguments étant donné l'évolution de la scène juridique. C'est la meilleure réponse que je puisse vous donner.
Le sénateur Grafstein: Enfin, il subsiste en nous une certaine insatisfaction parce que nous faisons ce que nous ne sommes pas censés faire, c'est-à-dire déléguer aux tribunaux la responsabilité qu'a le Parlement de s'acquitter de son mandat en vertu de la Constitution. Le paragraphe 16(3) et l'article 15 affirment l'égalité de la langue française. Mais nous ne faisons rien. Nous créons plutôt un système qui permet aux tribunaux de faire le travail que le Parlement devrait faire, à savoir prendre des mesures positives pour atteindre des buts positifs.
Le sénateur Gauthier: J'ai une observation à faire à titre de profane.
Le sénateur Grafstein: Allez-y en toute confiance.
Le sénateur Gauthier: Les tribunaux sont là pour régler les désaccords en matière d'interprétation des lois. Je dis que cet article est exécutoire. Les conseillers des ministres au cours des 14 dernières années ont affirmé que cet article est de nature déclaratoire. Je dis qu'ils ont tort. Ils disent que j'ai tort. Alors demandons aux tribunaux de trancher.
[Français]
Le sénateur Joyal: Je voudrais rappeler que les trois programmes auxquels le sénateur Gauthier faisait référence tout à l'heure sont des programmes que j'avais mis en place lorsque j'étais secrétaire d'État. Il s'agit d'abord du programme sur l'enseignement des langues minoritaires officielles, à savoir l'anglais au Québec et le français dans les autres provinces. Le deuxième programme était la formation des professeurs qui enseignent les langues officielles, et le troisième était le programme d'appui financier au développement du leadership communautaire des francophones, à savoir la Fédération des francophones hors Québec et Alliance Québec, à Québec, que plusieurs d'entre nous connaissons.
Je veux mentionner un point au sujet de l'affaire Forest. J'étais secrétaire d'État lorsque M. Forest est venu me voir pour demander une autorisation afin d'obtenir les fonds du fonds spécial. C'est sur ma recommandation que le gouvernement, dirigé par M. Trudeau et dont M. Chrétien était le premier le ministre à cette époque, avait accepté la mise sur pied pour appuyer les contestations qui devaient mettre en application les dispositions de la nouvelle charte que nous venions d'adopter, le 14 avril 1982.
Lorsque M. Forest s'est présenté à mon bureau, je devais prendre avis du ministère de la Justice avant de prendre une décision. Cela faisait partie de la procédure. La recommandation faite par le ministère de la Justice était qu'il n'y avait pas de cause dans l'affaire Forest, parce qu'ultimement, cela pouvait signifier que toute la législation de la province du Manitoba était inconstitutionnelle et que, par conséquent, le résultat était tellement monstrueux que le principe ne pouvait pas avoir de bon sens. La sous-ministre, Mme Huguette Labelle, était venue me voir à mon bureau et elle m'avait dit: «Si vous prenez la décision d'autoriser les fonds, vous le ferez en vous basant sur votre discrétion ministérielle.» J'ai signé, à l'instar du sénateur Beaudoin, parce que j'estimais qu'il y avait là un principe fondamental et qu'il devait être soumis au test par les tribunaux. La cour devait reconnaître le bien-fondé des prétentions de M. Forest. Je dois vous signaler qu'il avait perdu dans toutes les instances antérieures.
Le sénateur Gauthier s'en souviendra, j'ai été le premier citoyen canadien à oser contester la nature de la Loi sur les langues officielles dans l'affaire d'Air Canada. À l'époque, le problème d'Air Canada était exactement semblable à celui de l'article 41. Le ministère fédéral de la Justice soutenait que l'article 33 de la Loi sur les langues officielles était purement déclaratoire. Il exprimait des intentions généreuses, il va sans dire, mais n'avait pas de force obligatoire devant les tribunaux. Un citoyen qui se sentait violenté ou non respecté par les dispositions de la loi ne pouvait pas aller devant les tribunaux. C'est la position qu'a soutenu le procureur général du Canada à l'époque devant les tribunaux, et l'histoire le dit, les tribunaux ont soutenu mes prétentions. C'est ce qui a amené le gouvernement canadien, en 1981, à inclure les articles 16 et suivants dans la Charte canadienne des droits et libertés. Cela a été l'origine de la judiciarisation de l'article 16 et suivants de la Charte des droits et libertés.
L'article 41, dans l'esprit du gouvernement, est de nature purement politique. J'aimerais que, pour une prochaine réunion, nous distribuions le jugement Blais, qui date de 2001, et qui porte sur le débat du projet de loi S-32. Le juge Blais résume les prétentions ou la position définie par le procureur général du Canada à la page 13 de son jugement, et je cite:
La prétention du gouvernement canadien est que l'article 31 est essentiellement de nature politique.
Ensuite, à la page 8, article 55 où l'on mentionne la partie défenderesse qui était le procureur général du Canada et je cite:
La partie défenderesse [...]
soutient que l'article 41
[...] s'agit essentiellement d'un engagement de nature politique.
Comment le juge Blais a-t-il jugé cette question? Il y a une décision dans le jugement Blais sur la portée de l'article 41. À la page 15 du jugement aux articles 90 et 91et je cite:
En conséquence, la partie demanderesse ne m'a pas convaincu que l'évolution récente de la jurisprudence et notamment l'arrêt Beaulac, supra, aient donné à la Cour fédérale la possibilité d'intervenir, suite à un recours intenté en vertu de l'alinéa 78(1)a) de la LLO, quant à des allégations de violation de la partie VII de la LLO.
En d'autres mots, le juge nous dit que les arguments de la commissaire aux langues officielles ne l'ont pas convaincu que la partie VII, c'est-à-dire les articles 41 à 45, sont couverts par des actions judiciaires.
Mais il poursuit en disant, à l'article 91 et je cite:
Il importe de mentionner par contre que la Cour d'appel férérale a statué dans Devinat, supra, que les recours en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, sont toujours possibles pour des manquements aux parties de la LLO non prévus au paragraphe 77(1) de la LLO. Je n'ai pas à y revenir en l'espèce, sauf pour préciser que la partie demanderesse a choisi de n'utiliser que les recours en vertu de l'article 78(1)a) [...]
Le juge Blais soutien qu'il pourrait peut-être y avoir un recours en vertu du rôle des pouvoirs généraux de révision prévus à l'article 18 de la Loi de la Cour fédérale d'appel. Il n'a pas tranché de façon définitive sur cette question.
Ne serait-il pas plus simple d'amender l'article 77(1) de la loi pour inclure ceux qui ont saisi le commissaire d'une plainte visant une obligation ou un droit prévu aux articles 4 à 7, 10 à 13 et aux parties IV, V ou VII de la loi. Il suffirait simplement de rajouter la partie VII à l'article 77 ce qui permettrait, au commissaire aux langues officielles de faire des enquêtes et des recommandations, et le Parlement reste le maître de la décision de juger si le gouvernement assume ou non ses responsabilités. Et de façon ultime, cela permettrait au commissaire des langues officielles d'aller devant les tribunaux.
Il me semble qu'on obtiendrait l'espèce de contrôle dont on veut se munir. Comme Mme Fraser le disait, les anglophones du Québec veulent s'assurer que le gouvernement canadien prendra des initiatives pour contrer un phénomène d'assimilation ou un phénomène d'émigration à l'extérieur de la province.
On voudrait que le gouvernement canadien prenne des initiatives. Il n'y a personne qui fait le contrôle ou la gestion de ces initiatives. Si on amendait l'article 77 pour inclure la partie VII, on obtiendrait certainement, en partie, le bras long que l'on veut pour gérer les initiatives qui restent à la discrétion du gouvernement du jour.
Le commissaire aux langues officielles fait, à chaque année, un rapport au Parlement. On peut discuter à savoir s'il devrait venir au Sénat, ou la Chambre des Communes, ou dans un comité conjoint, mais au moins on aurait le suivi qui garantirait que le gouvernement ne dort pas sur ses lauriers. Et il n'y a que trois programmes, ceux que j'avais établis et un autre.
Il y a vingt ans que les initiatives gouvernementales existent. Ne serait-ce pas là une façon tout aussi efficace de donner suite à votre amendement?
Le sénateur Gauthier: Vous avez entièrement raison. Le juge Blais n'a pas fermé la porte au recours judiciaire. Mais au début de mon témoignage, je vous ai dit que les communautés n'avaient pas les moyens de recourir aux tribunaux pour statuer sur l'article 41 ou sur l'article 77. Il serait certainement plus simple d'amender l'article 77 pour y inclure la partie VII de la loi.
Je savais, à ce moment-là, que si je faisais cela, je faisais plus que de cibler mes actions sur l'article 41, et que cela aurait peut-être l'effet d'amender l'article 77 aussi. Cette initiative aurait pu apporter d'autres amendements. Aujourd'hui, ar la réglementation, on peut faire beaucoup plus. Je pourrais vous en parler pendant une heure de temps. Je pense que je pourrais évoquer de bons arguments, mais ce n'est pas là mon but.
Mon objectif, c'est de faire faire à l'article 41 ce qu'il doit faire. Il doit être exécutoire et, si possible, amendé plus tard. Le but est d'amender l'article 77 pour que le commissaire aux langues officielles puisse se servir des fonds publics pour faire le travail. C'était là, dans la cause Blais. Ce sont les juristes d'expression française qui ont amené la cause devant les tribunaux, parce qu'à Mississauga, on donnait des contraventions en anglais seulement. Ils ont gagné leur cause. C'est le 23 mars prochain que le jugement prendra effet.
Le sénateur Joyal: Précisément, dans le cas où le commissaire aux langues officielles est chargé de la responsabilité de mesurer la manière dont le gouvernement canadien s'acquitte de ses responsabilités, selon les moyens qui sont prévus aux articles 43, 44 et 45, il me semble que vous obtiendriez là les garanties nécessaires pour que le Parlement, à chaque année, soit informé de la manière dont le ministre du Patrimoine et le gouvernement dans son ensemble assument leurs responsabilités et définissent leurs responsabilités, en tenant compte des contraintes budgétaires, comme vous l'avez souligné et comme d'autres sénateurs l'ont souligné.
Ce n'est pas un droit absolu. C'est comme tous les autres droits sur lesquels la commissaire se prononce. Elle s'y prononce en fonction des décisions qui sont prises par le gouvernement, et c'est le Parlement en dernier ressort qui dispose des recommandations.
Il me semble que ce serait une manière plus efficace d'atteindre votre objectif, au lieu de simplement donner suite à votre amendement et d'attendre le jour où le gouvernement sera pris en défaut, et où on déposera peut-être plainte devant les tribunaux. On essayera de trouver des fonds pour financer la déposition de plainte et, ensuite, on demandera de façon ultime au commissaire de suivre cette cause. Il me semble que c'est prendre beaucoup de détours pour dire ce qu'on veut.
Le sénateur Gauthier: Parfois, c'est ce qu'on doit faire.
Le sénateur Joyal: Mettons-le dans la loi, alors.
Le sénateur Gauthier: L'article 77 indique que la partie VII n'est pas «judiciable» parce que elle n'est pas incluse. La commissaire se saisit d'une plainte visant une obligation est un droit prévu aux articles 4 à 7 et 10 à 13 et au parties IV et V. La partie VII est exclue. On m'a toujours dit que la commissaire ne peut pas aller devant les tribunaux.
Le sénateur Joyal: Alors, mettons la partie VII dans le mandat de la commissaire.
Le sénateur Gauthier: Je demande avis, puisque je ne suis pas avocat. J'ai dit tout à l'heure qu'un individu ou un groupe pourrait le faire devant la Cour fédérale selon la loi fédérale. C'est vrai, cela? On va faire une autre collecte de fonds et on va le faire.
Le sénateur Nolin: Le sénateur Beaudoin a parlé de votre patience et moi je parlerai de votre passion, qui vous a certainement servi à manifester cette patience. On a eu plusieurs débats. Le juge Blais, d'après moi, a démontré ce que le sénateur Joyal tente de démontrer. La loi est incomplète. Le juge Blais a dit: «Madame la commissaire, vous vous présentez devant moi sans avoir juridiction. Votre juridiction, ce sont les pouvoirs que l'article 77(1) vous donne. Vous venez devant moi en vertu de la partie VII, et vous n'avez pas le droit de la faire.» Lorsqu'il renvoie les parties à la Loi sur la Cour fédérale, il a absolument raison parce que c'est un peu l'article fourre-tout qui permet à un justiciable face à l'appareil fédéral de se présenter devant un tribunal pour dire que le fédéral mal agi. De là la référence à l'article 18 et 28.
À titre d'exemple, le sénateur Grafstein a soulevé un point intéressant au sujet de l'hôpital Montfort. Je ne pense pas qu'une modification à l'article 41 puisse régler la question de Montfort. On s'entend pour dire que l'article 41 vise le gouvernement fédéral. Une juridiction provinciale, dans l'exercice de ses droits en matière de santé, ne serait pas affectée par l'article 41.
Sénateur Gauthier, ma question est la suivante. Vous nous avez parlé de cette question du CRTC et de la possibilité d'étendre les services de TFO aux résidants québécois. Le CRTC vous a renvoyé presque cavalièrement sans donner suite à votre demande.
Est-ce que vous pensez que la modification que vous nous demandez à l'article 41 vous permettrait de vous présenter de nouveau devant le CRTC, une fois que les modifications législatives à la loi du CRTC auront été introduites, avec un gouvernement qui se sentirait obliger d'agir en vertu de l'article 41? Est-ce que vous croyez que l'amendement que vous nous demandez serait utile à une telle démarche?
Le sénateur Gauthier: Mon cher ami, moi, je pense que oui. Je vais vous dire pourquoi. Les quatre principes non inscrits qui ont servi à convaincre les tribunaux, tant la Cour divisionnaire que la Cour d'appel en Ontario, que Montfort était une «institution» essentielle à la survie d'une communauté comme la mienne, ce n'était pas l'article 41. Je me souviens d'avoir suggéré l'article 31. On n'a pas le temps de perdre notre temps. On va y aller avec ce qu'on connaît le mieux. Il y a eu les arrêts suivants: Beaulac, le Renvoi sur la sécession du Québec, Summerside et Arsenault-Cameron de l'Ile-du-Prince-Édouard.
Je suis persuadé que si on donne du mordant à l'article 41, on pourrait l'utiliser devant les tribunaux pour définir l'obligation des institutions fédérales de favoriser le développement, la promotion et l'épanouissement des communautés linguistiques.
Le sénateur Nolin: L'aspect financier de la question a-t-il été mentionné dans vos relations privilégiées avec les différents ministres qui ont tenté de vous démontrer que l'article 41, tel que vous vouliez l'amender, était dangereux? De quelle façon l'aspect financier vous a-t-il été présenté? Avez-vous obtenu des montants?
Le sénateur Gauthier: On m'a dit que la décision du juge Blais coûterait 10 millions de dollars pour conclure une entente avec l'Ontario. Une autre personne d'excellente réputation m'a dit par après que la décision du juge Blais coûterait non pas 10 millions de dollars mais 20 millions et plus, parce que les provinces n'ont pas l'infrastructure requise pour traiter ces contraventions dans la langue de l'accusé. J'ai répliqué que s'il s'agissait simplement d'un problème de traduction, il pouvait être réglé. On m'a répondu non, que c'était une question de personnel de soutien dans les tribunaux. Ce personnel n'existe pas actuellement dans des municipalités de l'Ontario. Cela va prendre du temps. J'ai rétorqué que la date limite était le 23 mars.
Je ne sais pas ce qui va arriver, mais cela presse. Lorsqu'on parle du bois d'oeuvre au Sénat, tout le monde sait de quoi on parle, même chose pour les hélicoptères. Quand je parle de droits linguistiques, on renvoie toujours cela aux calendes grecques. Je veux de l'action, je veux qu'on m'écoute, et quand je pose des questions sur le jugement Blais, je veux qu'on me réponde comme il le faut et non pas qu'on me dise que la réponse viendra dans quelques semaines. Dans quelques semaines, ce sera fini. Ce n'est pas d'hier que je soulève cette situation, mais depuis des semaines et des mois, et par écrit, pas en public, bien que je l'ai déjà fait avant aujourd'hui.
Le ministre de la Justice, M. Cauchon, est venu me voir aujourd'hui pour me demander de lui faire parvenir une copie de ma correspondance. Je vais le faire, avec mes commentaires sur la décision du juge Blais, sur l'article 41 et sur d'autres choses aussi.
Le sénateur Nolin: On vous a donné, de façon presque anecdotique, le montant des coûts engendrés par une modification, sans vous donner les détails de ce que cela pourrait engendrer comme dépenses pour le gouvernement?
Le sénateur Gauthier: Non, c'est pour cette raison qu'hier, j'ai demandé au leader du gouvernement au Sénat une ventilation de ce fameux montant de 10 millions de dollars, qui a été avancé et même répété en public par la commissaire aux langues officielles. C'est M. Dion qui me l'a dit.
Le sénateur Nolin: Ce qu'on vous a répondu est un peu semblable à ce qu'on avait répondu au ministre Joyal à l'époque: «Soyez responsable de votre décision car elle coûtera cher. C'est impossible!»
Le sénateur Gauthier: Je suis choqué qu'on veuille monnayer mes droits fondamentaux!
Le sénateur Nolin: Je suis d'accord avec vous.
Le sénateur Joyal: Exactement.
Le sénateur Gauthier:On m'a dit que quand on n'avait pas la masse critique en Ontario, on n'avait pas les moyens. Pendant des années, nous avons exigé des écoles, et cetera. Il faut faire le point là-dessus. Il faut arrêter de dire que les droits fondamentaux coûtent cher. Le Canada a un prix, c'est vrai.
[Traduction]
Le sénateur Beaudoin: J'aimerais poser une question au sujet de la comparaison avec la Charte canadienne des droits et libertés, qui est un chef-d'oeuvre.
[Français]
Il existe 450 causes sur la Charte canadienne des droits et libertés. Cela a dû coûter très cher. Cependant, personne n'a soulevé la question financière à cette occasion. En 1867, lorsqu'on a rédigé la Constitution, personne n'a parlé des dépenses. Pourtant, on n'a pas remis en jeu la Constitution. Cela ne confirme-t-il pas votre point de vue qu'il s'agit de deux arguments différents?
J'admets qu'à un moment donné, l'État doit limiter ses dépenses, mais jamais lorsqu'il s'agit d'un geste fondamental tel que celui de créer une Charte des droits et libertés, des droits linguistiques, et autres. On ne soulève pas cette question. Je suis d'accord avec vous, ce sont deux problèmes différents.
Le sénateur Gauthier: Lorsque je suis allé devant le ministre des Finances, il m'a dit non quant aux programmes d'appui aux langues officielles, étant donné les coûts de la décision du juge Blais. Cela m'a choqué.
Comme vous le dites, on n'a pas parlé de coûts lorsqu'on a adopté la Constitution. On le savait que cela coûterait cher. Maintenant, on me dit qu'il y a un budget fixe dans lequel les minorités peuvent puiser des fonds pour des programmes que le sénateur Joyal a mentionnés tantôt. Il n'y aura pas plus d'argent parce qu'on veut aller devant les tribunaux.
«Arrêtez d'aller devant les tribunaux, on est fatigué de payer! Il y a une limite.» Peut-être que je suis injuste, mais je trouve cela très «canadien» de dire à un groupe minoritaire qu'on leur donnera pas plus d'argent parce qu'ils ont contesté une erreur du gouvernement fédéral. Ce ne sont pas les minorités qui se sont trompées, c'est le gouvernement fédéral qui a manqué à son devoir en ne disant pas à l'Ontario qu'il y avait des obligations dans le domaine linguistique. La dévolution de certains pouvoirs administratifs tel que donner des contraventions entraîne des dépenses. Il y a des exigences. Il y a une loi qui s'applique sur les terres fédérales: les deux langues officielles sont égales; toutes les deux sont utilisées. Le gouvernement fédéral ne l'a pas dit à l'Ontario. Lorsque l'Ontario s'est retrouvée avec une cause devant les tribunaux, pouvez-vous blâmer les minorités pour cela?
Le sénateur Beaudoin: Sûrement pas.
[Traduction]
Le sénateur Grafstein: Cela nous amène à la question des coûts par rapport aux avantages: des coûts imaginaires par rapport à des avantages réels. Ce qui me frappe, c'est qu'il y a une autre approche - et c'est ce qui ressort de l'explication du sénateur Joyal - qui consisterait, en vertu de la Loi sur les langues officielles, à envisager une autre modification, qui autoriserait un recours collectif financé par le gouvernement fédéral pour les citoyens qui seraient d'avis que l'on a porté atteinte à leurs droits fondamentaux, peu importe comment. Ça ne coûterait pas des milliards ou des millions de dollars.
Imaginons un moment qu'un tort a été commis par une institution municipale et non provinciale, par exemple dans le cas d'un foyer pour sans-abri dans un milieu francophone mais où les services ne seraient pas fournis en français. La municipalité dit qu'elle n'a pas d'argent. Cette question n'est pas du ressort du gouvernement fédéral. Cette question est du ressort de la municipalité. Est-ce qu'on n'aurait pas une approche ciblée en armant les citoyens, qui se sentent lésés dans leurs droits fondamentaux, d'un outil juridique qui serait basé non pas sur une seule personne mais sur un groupe de personnes - ça ne peut pas être une seule personne, il faut que ce soit un groupe de personnes -, de manière à s'adapter pour permettre à ces personnes de s'en prendre à une institution fédérale, provinciale ou municipale qui ne leur donne pas les services auxquels ils ont droit en vertu de la charte? Est-ce que ça ne constituerait pas une approche ciblée pour ceux qui disent que cela va coûter des millions de dollars au Trésor fédéral?
C'était une longue explication, mais c'est une manière de poser le problème.
Le sénateur Gauthier: Je peux vous donner une liste longue comme le bras de choses qui, à mon avis, devraient être changées dans le domaine judiciaire, à commencer par la Loi sur le divorce, par exemple. L'égalité des deux langues officielles pourrait être réaffirmée dans la Loi sur le divorce. Il s'agit d'une loi du ressort fédéral, mais rien n'est fait. Je n'ai pas le temps. Je suis seul. Je n'ai qu'une secrétaire. Si j'étais avocat, je talonnerais les gens du ministère de la Justice. Ce sont de braves gens mais, à mon avis, ils ne sont pas ouverts au genre de critiques que je fais. Il faut apporter des tas de changements, par exemple des changements à la prestation des soins de santé dans les deux langues. Il a fallu cinq ans à l'Hôpital Montfort pour régler son affaire, et il en a coûté un million de dollars. Nous n'avons pas cet argent-là. Nous aimerions aussi apporter des modifications à la Loi sur le divorce.
Je vais m'arrêter, sinon la présidente va me rappeler à l'ordre.
[Français]
Le sénateur Rivest: Je tiens d'abord à féliciter le sénateur Gauthier. J'appuie très fortement sa démarche. Depuis longtemps, au Comité mixte permanent des langues officielles, on discute à savoir si c'est exécutoire ou non. On y dépense beaucoup d'énergie et la situation n'est jamais clarifiée.
La partie VII, ce n'est pas la Loi sur les langues officielles telle qu'on la conçoit. La Loi sur les langues officielles accorde l'égalité linguistique au Canada à des individus. Les tribunaux et la commissaire aux langues officielles peuvent facilement sanctionner ceux qui l'enfreignent.
On parle de mesures de soutien à l'activité communautaire. Au fil des ans, on a découvert que l'égalité linguistique et la dualité linguistique ne pouvaient pas s'adresser uniquement à des individus et ne pouvaient être supportées et viables que si elles s'appuyaient sur des communautés minoritaires dynamiques. C'est dans ce sens que des programmes - peu de programmes - ont été développés.
Ce que le sénateur Gauthier soulève - les rapports des différents commissaires aux langues officielles l'ont souligné à maintes reprises -, c'est que les ministères et les organismes du gouvernement fédéral ont des attitudes très négligentes à l'égard des besoins des communautés linguistiques minoritaires au Canada, qu'il s'agisse des anglophones au Québec ou des francophones hors Québec. On nous présente souvent des rapports sur les efforts des ministères pour mettre en oeuvre la partie VII de la Loi sur les langues officielles. Ces rapports sont ridicules. Ils ne dégagent aucune conviction. Les communautés ont des besoins sur les plans social, culturel, sportif et communautaire, et lorsqu'elles s'adressent aux différents ministères, elles reçoivent souvent des réponses insatisfaisantes.
On ne veut pas discuter à savoir si l'article actuel est exécutoire ou non. On veut que des programmes existent et qu'il y ait une obligation juridique, claire et précise, afin que les ministères et les organismes gouvernementaux assurent le respect des droits individuels sur l'obtention des services. On veut également qu'il y ait une obligation juridique déterminée et engagée pour soutenir les communautés. C'est le sens du projet de loi S-32. Ce ne sera pas aux tribunaux de dire si, par exemple, le ministère du Patrimoine canadien doit octroyer 10 ou 15 millions de dollars. Ce sera l'appréciation politique.
On s'est rendu compte que les phénomènes d'assimilation des groupes minoritaires dans l'ensemble du Canada ne pouvaient être contrés uniquement par l'octroi de droits aux individus. Pour que les communautés minoritaires puissent survivre, il faut qu'il y ait des institutions. D'ailleurs, on l'avait pensé puisque dans la Constitution, on avait accordé au Québec des droits pour les anglophones, comme des écoles, par exemple. Ensuite, cela s'est étendu à l'ensemble du Canada, et les francophones peuvent s'appuyer sur des réseaux scolaires. Au Québec, on a étendu cela aux services sociaux. C'est votre préoccupation, sénateur Gauthier. Vous ne voulez pas que les cours sanctionnent le niveau de soutien aux communautés linguistiques.
Vous voulez qu'il y ait une obligation passible de sanctions de fournir des services aux communautés linguistiques. C'est le but de votre projet de loi. Est-ce bien le sens de votre préoccupation essentielle?
Le sénateur Gauthier: Votre discours est excellent. Je vous invite à le faire. Le ministre David Crombie avait dit que le gouvernement ne se contenterait pas d'énoncés de principes et d'objectifs, et qu'il avait bien l'intention de passer à l'action. Plus loin, il a dit que le gouvernement avait l'intention de renouveler et d'étoffer ces programmes. Ce sont encore des intentions. Je veux avoir des obligations.
Le sénateur Rivest: Vous voulez des obligations?
Le sénateur Gauthier: Oui, c'est exact.
[Traduction]
Le sénateur Bryden: Je dirais que le sénateur Rivest vient d'exprimer les réserves que j'ai. Je ne suis pas d'accord avec le sénateur Gauthier pour dire que sa modification clarifie simplement la teneur de l'article 41. En fait, on essaie de faire ce que le sénateur Rivest vient de dire: nommément, obliger le gouvernement ou les organismes à prendre des mesures positives par rapport aux communautés ou aux collectivités.
Faisant suite à ce qu'a dit le sénateur Joyal, est-ce qu'il est raisonnable d'ajouter cela à l'article sur l'application. Aux articles 41 et 43, on lit des expressions comme «favoriser l'épanouissement», «encourager et promouvoir», «encourager le public à mieux accepter» et «encourager et aider». C'est le texte même de la loi. On exprime une obligation très différente de celle qu'énonce la modification du sénateur Gauthier: «...le gouvernement fédéral prend les mesures nécessaires pour assurer l'épanouissement...». Il s'agit là d'une question qui appartient évidemment à la justice alors que dans l'autre cas, c'est discutable.
Le sénateur Gauthier: Je vous remercie de vos commentaires. Mes honorables collègues voudront peut-être proposer un amendement qui aurait pour effet d'ajouter le mot «positif».
Le sénateur Bryden: Nous avons cela au Nouveau-Brunswick, comme vous le savez.
La présidente: Nous poursuivrons cette discussion plus tard.
La séance est levée.