Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 24 - Témoignages
OTTAWA, le jeudi 7 février 2002
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 15A, Loi modifiant le Code criminel et d'autres lois, se réunit ce jour à 10 h 50 pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, avant de procéder à l'étude article par article du projet de loi C-15A, je vais donner lecture d'une lettre du ministre de la Justice.
La lettre est adressée à l'honorable Lorna Milne, présidente du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. En voici le texte:
Madame le sénateur,
Je vous remercie de votre lettre du 31 janvier 2002 concernant les modifications au processus d'examen postappel des condamnations que propose le projet de loi C-15A, qui est actuellement devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, et par laquelle vous me demandez de me prononcer sur ces amendements tout en précisant les raisons pour lesquelles le processus d'examen des condamnations au criminel devrait rester du ressort du ministre fédéral de la Justice.
Le processus d'examen postappel des condamnations, communément appelé processus d'examen des condamnations en vertu de l'article 690 du Code criminel, permet aux personnes qui pensent avoir été condamnées à tort de demander au ministre fédéral de la Justice un réexamen de leur cause. Le processus d'examen des condamnations en vertu de l'article 690 ne fait pas partie du processus judiciaire normal. Il s'agit d'un recours extraordinaire dont le but est de garantir qu'aucune erreur judiciaire ne se produira lorsque tous les modes d'appel conventionnels auront été épuisés. Après examen de la demande, le ministre de la Justice peut accorder un recours en renvoyant les causes appropriées devant les tribunaux en vue d'un nouveau procès ou d'un appel.
Le ministre de la Justice reçoit actuelle de 50 à 70 demandes d'examen de condamnation chaque année. En pratique, le ministre de la Justice n'est pas en mesure d'examiner personnellement chaque demande. Des conseillers juridiques font enquête et étudient les causes et conseillent le ministre de la Justice sur la possibilité de l'octroi d'un recours. Actuellement, le Groupe de la révision des demandes de clémence de la Couronne au sein du ministère de la Justice Canada est responsable de l'examen de ces demandes. Ce groupe est constitué de conseillers qui ont à la fois une expérience de la défense et de la poursuite au nom de la Couronne. Des conseillers juridiques de l'extérieur du ministère, y compris des juges retraités des cours supérieures, sont mis à contribution à l'occasion.
Le texte de l'article 690 du Code criminel est très vague, et c'est la critique la plus importante que l'on fait du processus d'examen des condamnations. Par exemple, l'article 690 ne prévoit ni un processus d'examen clair, ni des critères quant aux circonstances permettant l'octroi d'un recours. C'est pourquoi des principes ont été élaborés au fil des ans pour guider l'usage de ce pouvoir discrétionnaire. Par exemple, les ministres de la Justice ont refusé d'examiner les demandes dont le demandeur n'a pas exercé tous ses droits d'appel. L'article n'a pas été conçu comme un autre niveau d'appel ou comme une occasion pour le demandeur de plaider à nouveau sa cause après le rejet de son appel. Les demandeurs doivent présenter des faits nouveaux et significatifs qui n'ont pas été considérés par les tribunaux ou qui se sont révélés après épuisement des appels et selon lesquels on peut prévoir de façon raisonnable qu'ils aient affecté le verdict.
D'autres critiques à l'égard du système actuel d'examen des condamnations portent sur le fait que l'examen des condamnations est trop lent et peu transparent. Certaines critiques réclament la création d'une entité d'examen indépendante qui examinerait les allégations de condamnation à tort au Canada et qui serait semblable à la Criminal Cases Review Commission créée il y a quelques années au Royaume-Uni.
En réponse à ces demandes de réforme, ma prédécesseure, l'honorable Anne McLellan, a amorcé un processus de consultation pour examiner la façon d'améliorer le processus d'examen des condamnations au Canada. Un document consultatif a été publié en octobre 1998. Des propositions nous sont parvenues à la suite de cette publication. La question de la création ou non d'une entité indépendante officielle au Canada chargée d'examiner les allégations de condamnation à tort a été étudiée. En fait, au cours du processus de consultation, ma prédécesseure s'est entretenue avec les membres de la British Criminal Cases Review Commission pour discuter de leur système. En fin de compte, on a conclu que la création d'une entité officielle indépendante serait inappropriée dans le contexte canadien et que l'ultime autorité décisionnelle devait revenir au ministre fédéral de la Justice, qui est responsable devant le Parlement et la nation canadienne. Cette conclusion reconnaît et confirme la compétence traditionnelle des tribunaux tout en procurant un recours juste et équitable à ces causes exceptionnelles qui ont, d'une manière ou d'une autre, échappé au système de justice conventionnel.
Plusieurs raisons justifient cette conclusion. La situation du Canada est différente de celle qui prévalait au Royaume-Uni lorsque la nécessité de la création d'une entité d'examen indépendante avait été ressentie. Au Royaume-Uni, le Home Secretary, qui est responsable de la police et de la prison, était également responsable de l'examen des allégations de condamnation à tort. Comme vous vous en souvenez peut-être, de nombreuses causes d'envergure au Royaume-Uni reposaient sur des allégations d'inconduite de la part de la police. Au Canada, un tel conflit d'intérêt n'existe pas pour le ministre fédéral de la Justice parce qu'il n'est pas responsable de la police ou du système carcéral. En outre, la grande majorité des demandes en vertu de l'article 690 ne portent que sur des affaires purement criminelles dont la poursuite relevait de l'un des procureurs généraux d'une province.
Établir une entité distincte formelle pour l'examen de ces demandes ne mènera pas forcément à un examen plus rapide des dossiers. La British Criminal Cases Review Commission a trouvé que même avec un effectif et un budget importants, elle n'était pas en mesure de traiter tous les cas et de réduire au minimum dans un délai raisonnable les cas en attente d'une décision. D'après son rapport annuel le plus récent, la British Commission reçoit actuellement un financement qui s'élève à 5 415 millions de livres sterling par année et a un effectif de 80 personnes. La Commission reçoit 1 000 demandes par année. Le 31 octobre 2001, la Commission avait 460 cas en attente d'une décision.
Cependant, ayant conclu une entité distincte formelle d'examen des condamnations n'était pas nécessaire au Canada, le processus de consultation a mené à la conclusion que des modifications étaient nécessaires à l'amélioration du processus actuel d'examen des condamnations afin de le rendre davantage transparent, accessible et responsable. Les modifications au Code criminel que contient le projet de loi C-15A ont été conçues dans le but de mener à ces améliorations.
De façon précise, les modifications proposées clarifient l'admissibilité d'une personne au processus de demandes d'examen d'une condamnation. La personne doit d'abord n'avoir plus aucun recours au processus de révision par les tribunaux ou au processus d'appel. Il est maintenant clair que le processus d'examen des condamnations n'est pas une option autre que le système des tribunaux. Les modifications proposées permettent l'établissement de règlements qui dicteraient la procédure de demande d'examen à suivre et quels renseignements et documents doivent être fournis pour remplir une telle demande. Ces modifications aideront les demandeurs à faire leurs demandes d'examen en vertu de l'article 690, puisque le processus deviendra plus accessible et plus facile à suivre. Selon les modifications proposées, les étapes du processus d'examen seront fixées par des règlements. Le processus complet d'examen deviendra alors plus transparent et plus facile à comprendre et contribuera à dissiper les inquiétudes selon lesquelles le processus se fait trop secrètement. En outre, les facteurs dont tiendra compte le ministre de la Justice pour déterminer si la personne a droit à un recours sont maintenant clairement définis par les modifications proposées. L'inclusion de ces facteurs dans les modifications proposées responsabilise davantage le ministre de la Justice dans le cadre du processus d'examen.
De plus, le ministre de la Justice devra déposer un rapport annuel sur les demandes d'examen de condamnations au Parlement. Cette exigence le rend responsable à l'égard de l'examen des demandes.
Actuellement, l'article 690 réserve l'examen à des personnes qui ont été condamnées à la suite d'un acte criminel ou qui ont reçu une peine conformément aux dispositions prévues au Code concernant les peines de longue durée ou les condamnés dangereux. Les modifications proposées permettent l'examen de déclarations sommaires de culpabilité. Le processus de consultation a révélé un appui ferme en faveur de l'inclusion des prétendues erreurs judiciaires fondamentales dans les cas de déclarations sommaires de culpabilité. Bien que certaines préoccupations aient été exprimées concernant le caractère mineur de certaines déclarations sommaires de culpabilité, une condamnation à tort dans de tels cas peut quand même contribuer à ternir la réputation du système d'administration de la justice. De plus, étendre les peines maximales dans certains cas de déclarations sommaires de culpabilité ajoute au mérite d'adopter une mesure extrajudiciaire de réparation des allégations de condamnations à tort.
Une modification très importante et nécessaire au processus d'examen de condamnation est proposée à l'article 696.2. Actuellement, l'article 690 n'accorde aucun pouvoir d'enquête aux personnes examinant les condamnations. Parfois, les personnes examinant les causes au nom du ministre ne peuvent obtenir les renseignements pertinents afin d'examiner convenablement un cas et de mener une enquête à ce sujet. Par exemple, un témoin important ayant des renseignements pertinents concernant la possibilité qu'il y ait eu une erreur judiciaire fondamentale peut refuser de fournir volontairement les renseignements. L'article 690 ne fournissait aucun pouvoir permettant d'obliger des témoins à fournir des renseignements ou des documents; il n'y avait donc aucun moyen d'obtenir les renseignements nécessaires à moins qu'ils ne soient fournis volontairement.
L'article 696.2(2) proposé accorde au ministre de la Justice tous les pouvoirs d'un commissaire en vertu de la partie I de la Loi sur les enquêtes. L'article 696.2(3) proposé permet au ministre de déléguer l'exercice de ses pouvoirs d'enquête à ceux qui examinent les causes au nom du ministre. On doit se rappeler que le ministre de la Justice détient toujours le pouvoir décisionnel. Cet article donne simplement aux personnes enquêtant au nom du ministre dans de telles causes la possibilité d'obtenir les renseignements nécessaires afin de faire un examen complet d'une cause et d'enquêter à ce sujet dans le but de présenter un rapport complet au ministre indiquant si oui ou non un recours est à conseiller dans ce cas particulier.
L'article proposé donne une suite à une recommandation précise faite dans le cadre de l'enquête Donald Marshall. L'enquête a recommandé précisément que les personnes examinant les cas de condamnations à tort et enquêtant à ce sujet aient le pouvoir d'obtenir des documents et d'obliger des témoins à fournir des renseignements.
En même temps qu'elle a présenté les modifications à la loi, ma prédécesseure, l'honorable Anne McLellan, a annoncé que des changements administratifs seraient apportés au Groupe de la révision des demandes de clémence de la Couronne, y compris une augmentation de l'effectif du groupe pour y ajouter des enquêteurs et la nomination d'un conseiller spécial ou d'une conseillère spéciale qui surveillerait l'examen des demandes, qui serait responsable du groupe et qui rendrait compte directement au ministre, ajoutant ainsi un certain degré d'indépendance par rapport au ministre de la Justice Canada.
Je suis persuadé que ces modifications constituent le moyen le plus efficace d'améliorer le processus d'examen postappel des condamnations au Canada et qu'une entité distincte formelle n'est pas nécessaire.
Je vous prie d'agréer, madame Le sénateur, l'expression de mes sentiments les meilleurs.
Martin Cauchon
Cette lettre est datée du 6 février 2002.
Chers collègues, notre séance a pour objet de procéder à l'étude article par article du projet de loi C-15A. Si des sénateurs ici présents comptent proposer des amendements, ils voudront peut-être attendre l'étape de la troisième lecture à la Chambre afin d'assimiler ce que le ministre a dit dans la lettre dont nous avons le texte sous les yeux.
Le sénateur Joyal: Madame la présidente, je remercie le ministre de la Justice pour sa longue lettre. Il est utile de situer le contexte dans lequel on propose ce nouvel article. Je suis heureux de voir sa lettre figurer au procès-verbal.
Comme mes honorables collègues le savent, nous avons entendu des représentants de l'Association du Barreau canadien, et un certain nombre de témoins qui nous ont parlé de l'exercice des pouvoirs d'enquête du ministre qui sont énoncés à l'article 696.2, l'article que mentionne le ministre à la page 4 de sa lettre. Personnellement cet article me préoccupe et je sais que c'est aussi le cas pour certains de mes collègues.
J'avais aussi des réserves à l'égard du paragraphe 696.2(3), qui est à la page 38 du projet de loi. Je vais vous donner lecture de ce paragraphe.
Malgré le paragraphe 11(3) de la Loi sur les enquêtes, le ministre de la Justice peut déléguer par écrit à quiconque ses pouvoirs en ce qui touche le recueil de témoignages, la délivrance des assignations, la contrainte à comparution et à déposition et, de façon générale, la conduite de l'enquête visée au paragraphe (2).
Je répète qu'il «peut déléguer par écrit à quiconque... »
Cela me semble essentiel à tout le processus d'enquête. Cette personne doit être indépendante et disposer d'une formation juridique. Ce sont les deux qualités que cette personne devrait avoir si l'on veut que l'enquête soit menée avec l'objectivité qu'il faut pour se prononcer sur les diverses étapes du procès qui ont mené à la condamnation du demandeur.
J'avais songé à proposer, qu'au lieu de déléguer à «quiconque», le ministre pourrait déléguer son pouvoir à un juge à la retraite, ce qui garantirait bien sûr les connaissances spécialisées du processus judiciaire que possède on le sait, un juge retraité. Bien sûr, il s'agirait d'un juge qui ne ferait plus partie du système; ainsi, il ou elle n'aurait aucun intérêt à protéger le système. Comme le veut le dicton, il faut non seulement que justice soit faite mais qu'elle semble avoir été faite. Autrement dit, on ajouterait ainsi un élément d'intégrité supplémentaire au système sur lequel cette personne doit faire enquête.
À la suite des discussions que j'ai eues avec diverses personnes du ministère et de l'extérieur, je prétends assurément que les qualités de cette personne doivent être mentionnées dans ce paragraphe. Autrement dit, il doit s'agir d'une personne qui est indépendante et qui dispose d'une formation juridique. Autrement, ce pourrait être n'importe qui. N'importe qui, c'est n'importe qui. N'importe qui pourrait être une personne qui n'a aucun intérêt dans le système, ou il pourrait s'agir d'une personne qui fait partie du système, ce qui n'est pas indiqué, à mon avis.
Comme je l'ai dit, il faut non seulement que la justice soit faite mais qu'on ait la preuve qu'elle a été faite et c'est encore plus essentiel s'il y a eu erreur judiciaire. Autrement dit, la personne qui fait enquête doit faire preuve de façon presque évidente d'intégrité et d'indépendance.
Je ne suis pas disposé pour le moment à vous proposer un libellé exact. Je ne suis pas encore arrivé à l'exprimer dans les termes juridiques qui seraient compatibles avec les autres aspects de cette disposition et avec le Code criminel. Chose certaine, je tiens à faire savoir à mes collègues les réserves qui m'animent et l'intention que j'ai de proposer des amendements en troisième lecture après avoir consulté les juristes du ministère de la Justice sur le libellé.
Il n'y a pas de querelles avec le ministère; nous tâchons de créer le meilleur système qui soit pour éviter les erreurs judiciaires et proposer un amendement bien conçu qui garantirait qu'on choisisse une personne qui connaît le système, qui est impartiale et qui dispose bien sûr d'une formation juridique. Essentiellement, la personne doit enquêter sur le système. Cette personne ne peut pas être n'importe qui. Nous savons que ce n'est pas n'importe qui peut le faire.
L'amendement que je vais proposer laisserait toute discrétion au ministre de la Justice. Je n'ai aucune objection à laisser cette discrétion au ministre de la Justice, à la condition que ces titres et qualités soient mentionnés dans le projet de loi.
Je ne m'opposerais pas à ce que l'on vote ce matin, pourvu qu'on sache que je proposerai un amendement en troisième lecture.
Le sénateur Beaudoin: J'ai une question de procédure. Je suis tout à fait d'accord avec ce qui vient d'être dit. Ceux qui ont des amendements pourront les proposer en troisième lecture, mais nous devons en parler en comité dans une certaine mesure.
Le sénateur Joyal: Bien sûr.
Le sénateur Beaudoin: Nous avons des réserves au sujet de la délégation de pouvoirs et de la comparaison entre le système britannique et celui que propose le ministre de la Justice. Nous ne pouvons pas éviter de discuter des principes en jeu dans cette question.
S'il y a un ou deux amendements, la meilleure solution consiste peut-être à les proposer en troisième lecture. Cependant, il faut qu'il soit dit bien clairement que cela n'écartera pas toute discussion sur le principe du mécanisme.
[Français]
Le sénateur Nolin: Merci beaucoup d'avoir eu la diligence de demander au ministre ses commentaires au sujet des modifications apportées à l'article 690 du Code criminel. J'appuie la proposition du sénateur Joyal. J'ai, moi aussi, un problème avec une sous-délégation, si elle n'est pas suffisamment encadrée quant aux qualités requises. Devrait-elle être composée uniquement de juges? Dans la nouvelle commission britannique, il n'y a pas que des juges; des commissaires et certains membres du personnel ont aussi un pouvoir d'enquête. La suggestion d'attendre à la troisième lecture est, je crois, appropriée. Je m'abstiendrai de voter sur les articles 69 et 70 qui se rapportent aux amendements.
[Traduction]
La présidente: C'est l'article 71.
Le sénateur Nolin: Il y a aussi l'article 69. Nous aurons ce débat en troisième lecture au Sénat. Nous aurons eu le temps de lire la lettre du ministre. Nous avons un système et un régime différents. Nous vivons dans une fédération. Les autorités provinciales ont la responsabilité de faire respecter les lois pénales que nous adoptons. Néanmoins, c'est un privilège de la Couronne, et les juges l'un après l'autre parlent d'un processus plus indépendant et plus transparent pour l'examen de ces cas, mais nous aurons cette discussion en troisième lecture. Je m'abstiendrai de voter sur ces dispositions.
Le sénateur Joyal: Le sénateur Nolin a parfaitement raison. J'ai devant moi le texte de la Loi sur les appels au criminel de Grande-Bretagne. À la partie II, article 8, concernant la Commission d'examen des affaires criminelles, qui compte 11 membres, comme l'a indiqué le sénateur Nolin, le paragraphe 8(5) se lit ainsi:
8(5) Au moins le tiers des membres de la Commission seront des personnes disposant d'une formation juridique; et pour ces fins, une personne dispose d'une qualification juridique si:
a) elle est qualifiée officiellement de manière générale depuis 10 ans, au sens de la l'article 71 de la Loi sur les tribunaux et les services juridiques de 1990, ou
b) elle est membre du Barreau de l'Irlande du Nord, ou procureur de la Cour suprême d'Irlande du Nord depuis au moins 10 ans.
Autrement dit, il est évident que cette personne doit disposer d'une formation juridique étant donné qu'elle enquête sur le système judiciaire.
La disposition est muette à ce sujet. J'aimerais réfléchir plus longuement à ce qu'il convient de dire au sujet du système, de telle sorte qu'en troisième lecture, nous ayons une base solide pour proposer un amendement.
Le sénateur Grafstein: J'ai trois réserves. Le sénateur Joyal a exprimé la troisième, à savoir qu'il faut avoir la conviction que la personne à qui l'on confie la responsabilité d'étudier ces cas n'a aucun lien avec le système existant, est indépendante et possède des compétences nécessaires pour examiner le système. Nous connaissons tous maintenant des cas de condamnations injustes et excessives, à faire dresser les cheveux sur la tête.
Trois questions se posent. Premièrement, en ce qui concerne un examen clair et indépendant, nous en avons vu des exemples. Je n'y reviendrai pas. Les témoignages en font état en partie. Tout examen exhaustif des cas aberrants révèlent que, même lorsqu'on s'est penché sur le système à l'échelle provinciale, l'examen n'était pas indépendant. Il était partial et discriminatoire. Il a fallu attendre longtemps pour que justice soit faite.
L'une des trois questions essentielles consiste à s'assurer que la personne qui est choisie pour procéder à cet examen dispose des compétences nécessaires, est indépendante et ne cherchera pas à plaire au système. Il serait peut-être bon de retenir la suggestion du sénateur Joyal qui propose la nomination d'un juge à la retraite. J'aurais préféré pour ma part la création d'une commission indépendante, mais peut-être que sa suggestion est la solution de rechange voulue.
Les deux autres questions auxquelles on n'a pas trouvé réponse et auxquelles je réfléchis toujours sont les autres éléments du triangle, à savoir, que justice différée est justice refusée. C'est une question de temps: pourquoi une personne doit-elle attendre 10 ou 20 ans pour faire annuler une décision injuste?
Honorables sénateurs, dans quelle mesure êtes-vous convaincus, ou y a-t-il un membre du comité qui est convaincu, que l'on pourra invalider une condamnation injuste en temps opportun? Je ne vois rien de tel dans le projet de loi. Le gouvernement n'indique nullement que l'on agira avec équité et célérité. Justice différée est justice refusée, et ce problème ne semble pas avoir été réglé. Je pose la question parce que vous avez demandé si on en discuterait à l'étude article par article. Il appartient aux membres du comité d'en décider. Je tiens à signaler cela au comité pour le cas où il se demanderait si nous avons étudié cette question à fond, avant de passer à l'étude article par article. Le choix du moment pose donc un problème.
Un autre problème se pose relativement à l'identité du commissaire indépendant ou de la personne indépendante chargée de l'examen, et le sénateur Joyal a fait une suggestion qui mérite réflexion. Cependant, le problème intermédiaire est le coût, ce qui fut certainement le cas dans l'affaire Marshall et d'autres. Quand justice différée est justice refusée, combien faut-il de temps, et combien en coûte-t-il? Songez simplement à une personne autochtone, par exemple, qui serait condamnée injustement sur la foi de preuves insuffisantes. Il ou elle doit se soumettre à tout le processus de justice criminelle. Si l'on veut que justice soit rendue à cette personne dans notre système, il faut que tous les recours soient épuisés. Il ne peut pas y avoir de processus parallèle. Aux termes de ce processus parallèle horrible, notre système contraint alors cette personne à s'efforcer d'obtenir non seulement une justice en temps opportun — et rétrospectivement, on voit que ce n'est pas le cas — mais en plus, la question du coût se pose. On n'en a pas débattu objectivement, si ce n'est qu'on a parlé de moyens indirects, comme l'a fait le sénateur Nolin, qui nous a rappelé le cloisonnement qu'il y a dans l'administration de la justice entre les systèmes fédéral et provinciaux. Comment assurer une aide financière à cette personne pour lui permettre d'obtenir les meilleurs conseils dans une situation horrible?
Peut-être que les membres du comité qui ont étudié ce projet de loi soigneusement et vous-même, madame la présidente, pouvez nous dire dans quelle mesure on s'efforce de corriger ces deux problèmes dans le projet de loi. Nous comprenons comment on essaie de remédier au troisième, mais comment règle-t-on les deux premiers? Une fois qu'on aura une meilleure idée de ces choses, nous pourrons passer à la troisième lecture et avoir un débat approfondi sur ces questions.
Le sénateur Beaudoin: Au sujet du coût, le sénateur Grafstein a parfaitement raison de dire que les provinces participent directement et indirectement, à l'administration du système de droit criminel. Ma question est celle-ci: ont- elles été consultées? Qu'en pense le procureur général de l'Ontario, ou de toute autre province, parce qu'ils seront concernés au moins indirectement?
La présidente: Il est dit ici que des consultations exhaustives ont eu lieu. Je ne peux que présumer que le ministre a consulté aussi ses homologues provinciaux. Il y a ici des fonctionnaires qui peuvent répondre à ces questions si vous voulez les convoquer.
Le sénateur Beaudoin: Notre système est tel que toutes les provinces sont en cause. J'aimerais savoir exactement ce qu'elles en pensent. Si nous créons un système — et il s'agit d'un projet de loi intéressant — j'aimerais savoir comment elles vont réagir.
La présidente: Il est dit dans la lettre:
[...] ma prédécesseure [...] a amorcé un processus de consultation pour examiner la façon d'améliorer les processus d'examen des condamnations au Canada.
J'imagine qu'on a consulté les responsables provinciaux. Quelqu'un pourrait peut-être s'approcher et répondre à notre question.
Mme Mary McFadyen, avocate-conseil, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice: Au cours du processus de consultation, on a demandé à toutes les provinces de répondre à toutes les questions qui étaient posées. Après avoir décidé comment modifier le processus d'examen des condamnations, nous avons demandé l'opinion des provinces. Leurs commentaires ont tous été très positifs. Elles étaient heureuses de voir que le ministre fédéral de la Justice conservait le pouvoir d'examen.
Le sénateur Beaudoin: Ont-elles toutes répondu?
Mme McFadyen: Six provinces ont pris part au processus de consultation, mais cette possibilité a été offerte à toutes.
Le sénateur Joyal: Lesquelles ont participé?
Mme McFadyen: Je ne peux pas vous le dire maintenant, mais je peux sûrement vous fournir cette information.
Le sénateur Cools: Étant donné que nos propos sont inscrits au procès-verbal, je crois devoir me joindre au groupe et faire noter mes propos aussi. Je comprends parfaitement que nous discutons d'un amendement qui n'a pas encore été proposé. C'est en soi une procédure quelque peu inhabituelle. Si aucun amendement n'est proposé, pourquoi en discutons-nous? Sommes-nous saisis d'un amendement, oui ou non? C'est strictement une question de procédure.
Essentiellement, on nous donne avis qu'un amendement sera peut-être proposé plus tard, et ça va, si c'est acceptable. Cependant, cela demeure une question de procédure.
Pour ce qui est du fond, je tiens à faire savoir que je ne suis pas du tout d'accord avec ce qu'on propose sur le fond. Étant donné que ce débat n'est pas un débat, je réserverai mes commentaires pour le moment où il y aura débat. Je prendrai la parole lorsqu'il y aura débat et non pas un débat préalable.
La présidente: Merci.
Le sénateur Cools: Je tiens à faire remarquer, pour mémoire, que notre comité doit s'interroger très sérieusement sur l'idée selon laquelle seuls les juges peuvent être intègres et indépendants. Cette idée suscite beaucoup d'objections de ma part. Je suis d'avis qu'un grand nombre de nos avocats et de praticiens du droit sont très compétents dans notre pays, et des juges des cours inférieures aussi, qui pourraient également faire un bon travail. Je n'aime pas qu'on écarte ainsi du revers de la main un grand nombre de personnes compétentes, du processus de sélection de la personne chargée de mener à bien l'enquête prévue au paragraphe 696.2(3).
Voilà ce que je voulais dire concernant l'intégrité et l'indépendance et sur la question de faire en sorte que le ministre, le gouvernement ou quelqu'un d'autre soit en mesure de choisir à partir du plus grand nombre de talents et de ressources possible. Des gens comme Alan Gold, Eddie Greenspan et Morris Manning et bon nombre d'autres ont travaillé dans ce domaine. Ce sont d'excellents avocats, des personnes compétentes et talentueuses. J'ai énormément confiance dans bon nombre d'entre eux. Nous devrions faire en sorte que le ministre ait le plus grand choix possible.
Ma deuxième observation concerne le rôle du Parlement. Nous devrions tenir pour acquis que le ministre, lorsqu'il nomme quelqu'un à une telle fonction, choisira quelqu'un qui est compétent, qualifié et qui est versé en la matière. Si nous en sommes arrivés à un point où nous devons inscrire dans une loi le fait qu'un ministre doive nommer des personnes compétentes et qualifiées, le moment est peut-être venu pour nous de plier bagages et de rentrer chez nous. Il me semble, en tant que parlementaires, que si nous avons un ministre qui nomme des gens incompétents et non qualifiés, le Parlement devrait se débarrasser tout d'abord de la personne non compétente et ensuite du ministre, et nous devrions nous débarrasser des deux rapidement. Le rôle que nous décrivons ici relativement aux personnes compétentes et qualifiées est un rôle que doit jouer le Parlement en général non pas une loi. Le fait d'inscrire une telle chose dans une loi équivaut certainement à admettre et à déclarer l'échec du Parlement. Je crois fermement que si un ministre nomme une personne qui n'est pas compétente, alors nous devons nous débarrasser des deux.
Troisièmement, j'aimerais revenir plus en détail sur un point que j'ai déjà mentionné: il est tout à fait inacceptable pour nous de légiférer pour ordonner à un ministre de choisir à partir d'un tout petit groupe de personnes. Je l'ai déjà dit. Le ministre devrait pouvoir choisir, au nom de Sa Majesté, la personne la plus compétente, la plus qualifiée, crédible et disponible. Je ne crois pas que des juges de la Cour suprême à la retraite composent ce groupe. Nous sommes saisis de nombreux cas de condamnations injustifiées, et je pense qu'il y en aura beaucoup d'autres. Nous devons pouvoir choisir à même une large gamme de candidats la meilleure personne pour faire le travail.
J'en parlerai plus en détail plus tard au cours du débat. Je voulais tout simplement déclarer aux fins du compte rendu que ce n'est pas tout le comité qui pense que seuls les juges sont indépendants et honnêtes.
Le sénateur Nolin: Madame McFadyen, comprenez-vous personnellement la signification de cette lettre du ministre de la Justice?
Mme McFadyen: Je crois que oui.
Le sénateur Nolin: Si le système n'a pas changé, vous devez être au courant de cette lettre.
Pendant les Fêtes, mon attaché de recherche et moi-même avons pris connaissance du rapport de la Commission britannique sur l'Internet. Dans sa lettre, à la page 3, au deuxième paragraphe, le ministre parle du délai, problème que le sénateur Grafstein a soulevé. Le rapport 2000-2001 de la commission britannique révèle que depuis la mise sur pied de la commission il y a quatre ans, le nombre de demandes a diminué chaque année.
Mme McFadyen: C'est exact.
Le sénateur Nolin: Dans son rapport, la commission dit qu'elle a informé la population au sujet de la nature réelle de son mandat, qui n'est pas d'être un autre processus d'appel, mais plutôt un organisme d'enquête. Depuis, le nombre de demandes a diminué.
Dans le même paragraphe, le ministre dit que la commission a un effectif de 80 personnes. Je pense que l'on peut dire que sur ces 80 personnes, 50 s'occupent exclusivement de la présélection, la première étape du processus.
Mme McFadyen: Je crois qu'il y a environ 50 agents de traitement des cas.
Le sénateur Nolin: Ce sont ceux qui reçoivent les demandes et font le tri entre les bonnes et les mauvaises, ce qu'on appelle dans le rapport «le premier niveau». C'est l'information que nous avons.
Mme McFadyen: Ils suivent un processus initial de présélection. Je pense qu'il y a environ 50 agents de traitement des cas qui participent à ce processus et qui participent par ailleurs à l'étape de l'enquête.
Le sénateur Nolin: Le sénateur Grafstein a soulevé une question au sujet de l'utilisation du temps, et le temps est important. Ces gens sont incarcérés. Il faut le mentionner lorsqu'on parle de l'expérience au Royaume-Uni.
Lors de vos discussions après le processus de consultation, avez-vous pris en compte l'arrêt de la Cour fédérale dans l'affaire Thatcher en 1996 lorsque le tribunal dit essentiellement que la division des droits légaux de la Charte s'applique à la prérogative du ministre à l'article 690? Avez-vous pris cela en compte?
Mme McFadyen: Oui.
Le sénateur Nolin: Dans quelle mesure? Que pouvez-vous nous dire à cet égard?
Mme McFadyen: Certainement, lorsque le ministre prend une décision, comme cela a été le cas clairement dans l'affaire Thatcher, il doit s'assurer que sa décision est équitable et que l'article 7 de la Charte s'applique. Auparavant, l'article 690 était très vague. Nous préciserons dorénavant de quelle façon une demande doit être examinée. Cela créera certainement une norme plus stricte afin que le ministre s'assure que ces cas sont examinés équitablement et comme il se doit.
Le sénateur Nolin: Comme vous le savez, dans certaines décisions, l'article 7 est considéré comme l'article d'introduction de cette partie de la Charte. Lorsque le tribunal dit que l'article 7 s'applique, cela veut dire que l'ancien article sur les droits légaux de la Charte s'applique. Avez-vous tenu compte de l'indépendance et de l'impartialité du processus menant à la décision du ministre?
Mme McFadyen: Nous avons ajouté des contrôles. Dans cet article, on établit comment le cas doit être examiné et quels facteurs le ministre doit prendre en compte lorsqu'il accorde réparation, ce qui rend le processus plus équitable. Si le ministre rend une décision qui est, disons négative, le demandeur a la possibilité de contester cette décision ministérielle devant la Cour fédérale du Canada qui examinera si le ministre a agi équitablement aux termes des nouvelles dispositions. La Cour fédérale examinera la décision afin de s'assurer que le ministre a bien agi.
Le sénateur Nolin: Je suis certain que vous êtes au courant des divers cas portant sur l'indépendance du système judiciaire. Je n'ai pas à vous mettre au courant de l'affaire Généreux, Beauregard, Valente ni du renvoi aux juges de l'île-du-Prince-Édouard. Est-ce le genre d'indépendance dont vous avez tenu compte lorsque vous avez préparé vos amendements à l'article 690?
Mme McFadyen: Nous avons tenté de rendre le processus plus équitable de façon à ce que le demandeur sache ce qui se passe lorsqu'il présente une demande et comment son cas sera examiné. Nous aurons plein pouvoir d'enquête afin de nous assurer que tout a été examiné avant que le ministre prenne une décision. En ajoutant tout cela, nous faisons en sorte que le processus soit plus transparent.
Le sénateur Nolin: Cela améliore le processus.
Je m'arrête ici et j'attendrai à la troisième lecture pour vraiment débattre de la question.
Le sénateur Cools: C'est ça le problème avec le débat préalable.
La présidente: Précisément.
Le sénateur Nolin: Nous ne sommes qu'à l'étape des questions.
La présidente: Nous en discutons avant de faire l'examen article par article du projet de loi. Sénateur Pearson, je crois que vous avez des amendements à proposer au projet de loi.
Le sénateur Pearson: J'ai un amendement à présenter à la suite de la comparution du ministre de la Justice devant notre comité.
La présidente: Il s'applique à quel article proposé?
Le sénateur Pearson: Je propose un amendement à l'article 5, à la page 3, par adjonction, après la ligne 8, de ce qui suit. Dois-je lire l'amendement?
Le sénateur Nolin: J'ai un amendement semblable.
Le sénateur Pearson: Dois-je lire l'amendement?
Le sénateur Nolin: En sommes-nous déjà là?
La présidente: Ce que je voulais savoir, c'est à quels articles nous devrions nous arrêter lorsque nous ferons l'examen article par article du projet de loi.
Le sénateur Pearson: À l'article 5.
La présidente: Je peux donc alors regrouper les autres articles.
Le sénateur Beaudoin: On n'a pas répondu à la question de Le sénateur Cools concernant la procédure. Si l'on étudie le projet de loi article par article en disant que nous attendrons le débat à l'étape de la troisième lecture, c'est ce que nous ferons?
La présidente: Je vais regrouper les articles que ne sont pas controversés et sur lesquels on n'a rien à dire. Nous allons les regrouper, les adopter et nous arrêter à chacun de ces articles, si les sénateurs le souhaitent.
Le sénateur Cools: Le sénateur Beaudoin soulève une question plus générale, soit les conséquences sur le plan de la procédure et pour le Parlement si on se prononce dans un sens relativement à un article du projet de loi et dans un autre sens plus tard au cours du débat. C'est l'un des principaux problèmes que pose ce que nous faisons à l'heure actuelle. Les sénateurs disent en fait que nous allons voter maintenant et nous opposer plus tard. Je ne sais pas comment nous allons résoudre ce problème à ce moment-ci.
La présidente: À ce moment-ci, sénateur Cools, tout ce dont je suis saisie, c'est d'un amendement proposé à l'article 5. Tous les autres amendements proposés ne sont pas du ressort de notre comité.
Le sénateur Beaudoin: La logique m'échappe. Si nous disons que nous adopterons un article lors de l'étude article par article, en nous disant qu'à l'étape de la troisième lecture nous pourrons présenter un amendement...
La présidente: Voulez-vous que je m'arrête à ces articles pour que vous puissiez vous abstenir?
Le sénateur Beaudoin: C'est ce que nous voulons savoir. Je ne vais certainement pas voter sur la question qui a été soulevée par les sénateurs Joyal et Nolin. Je pense qu'un amendement pourrait être proposé à l'étape de la troisième lecture. Comment puis-je voter pour aujourd'hui et contre dans deux semaines?
La présidente: Ce que je propose alors, c'est que je m'arrête à ces articles et que vous vous absteniez.
Le sénateur Nolin: J'aurais des observations à faire au sujet des articles 5, 29 et 35.
La présidente: S'agit-il uniquement d'observations, non pas d'amendements à ce moment-ci?
Le sénateur Andreychuk: Ce qui me préoccupe, c'est l'enquête dans le processus de la commission. Je suis en faveur d'une commission indépendante. Je veux en parler à l'étape de la troisième lecture. Les articles qui touchent au processus d'enquête devraient être regroupés, de façon à ce que je puisse m'abstenir et parler d'une commission indépendante. Je ne présenterai pas nécessairement des amendements.
La présidente: Vous parlez des articles 70 et 71.
Le sénateur Andreychuk: Oui.
Le sénateur Beaudoin: Nous ne voterons pas sur ces articles.
La présidente: Honorables sénateurs, pouvons-nous commencer l'étude article par article du projet de loi C-15A?
Des voix: Oui.
La présidente: Le titre est-il réservé?
Des voix: Réservé.
La présidente: L'article 1 est-il réservé?
Des voix: Réservé.
La présidente: Les articles 2 à 4 sont-ils adoptés?
Des voix: Adopté.
La présidente: L'article 5 est-il adopté?
Le sénateur Pearson: C'est ici que le sénateur Nolin et moi-même allons présenter nos amendements.
Le sénateur Nolin: Mon amendement se trouve juste avant le vôtre dans la pagination du projet de loi. Je devrais peut-être introduire le mien en premier.
La présidente: Avez-vous des exemplaires de votre amendement?
Le sénateur Nolin: Oui.
Le sénateur Cools: Il n'y en a pas en français.
Le sénateur Nolin: J'ai des exemplaires de l'amendement de Le sénateur Pearson en français.
Le sénateur Beaudoin: Est-il bilingue?
Le sénateur Pearson: Oui.
Le sénateur Nolin: Madame la présidente, je parle ici de l'amendement précédent.
[Français]
Le sénateur Nolin: J'attire votre attention à l'article 5, aux paragraphes 1 et 2 du projet de loi. Je désire amender et inclure le paragraphe 2.1, mais avant de le faire, je voudrais donner quelques explications.
Deux groupes de témoins ont exprimé des préoccupations quant au libellé de cette partie du projet de loi C-15A. Nous avons entendu des témoins de l'Association canadienne des fournisseurs de l'Internet et de l'Association canadienne des télédiffuseurs par câble. Les témoins de ces deux associations ont demandé des clarifications, et il m'apparaît que leurs préoccupations sont fondées.
Ces préoccupations se rapportent au fait que dans l'exercice de leurs opérations commerciales, ils n'exercent aucun contrôle efficace sur le contenu qui transite sur les serveurs informatiques. Certains témoins ont ajouté que si les autorités policières leur demandaient d'exercer un contrôle spécifique sur un contenu particulier, en provenance d'un de leurs clients, ils pourraient agir suite à cette demande.
Le libellé actuel de l'infraction, prévu au paragraphe (2) de l'article 5, crée un problème important, puisque le libellé actuel de cet amendement ne prévoit aucune intention coupable, laissant la possibilité d'une infraction sans qu'aucun recours à cette intention coupable, la mens rea, ne soit nécessaire.
Pour cette raison, j'introduis un amendement à l'article 5, par adjonction, après la ligne 34:
(2.1) L'article 163.1 de la même loi est modifié par adjonction, après le paragraphe (3), de se qui suit:
(3.1) Ne commet pas une infraction le gardien d'un ordinateur qui ne fait que fournir les moyens ou installations de télécommunications qu'emploie une autre personne pour commettre une infraction au sens du paragraphe 163.1(3).
(3.2) Au présent article, «télécommunications» a le même sens qu'aux articles 326 et 327 de la présente loi.
[Traduction]
Vous l'avez dans les deux langues officielles.
Le sénateur Grafstein: Il s'agit là d'un vieil argument qui a été présenté par les radiodiffuseurs qui étaient d'avis que, conformément à la Charte, en ce qui concerne la liberté d'expression, ils ne pouvaient être responsables de ce qui était présenté sur leurs réseaux. Franchement, cela n'était pas un bon argument en ce sens qu'on leur accorde une licence dont ils sont responsables. Ils ne peuvent donc pas dire qu'ils ne sont pas responsables de ce qui est télédiffusé conformément à leur licence, car cela va à l'encontre de leur licence. Ou bien ils sont responsables de leur licence pour une certaine période ou bien ils ne le sont pas. Il y en a d'autres ici qui sont au courant de ce cas. Ça toujours été une question intéressante.
Le sénateur Nolin: C'est plus que cela.
Le sénateur Grafstein: Laissez-moi continuer. On arrive ensuite au processus suivant et on mélange les deux, soit une entreprise qui détient une licence et, en fait, une autre qui n'en détient pas, c'est-à-dire l'utilisation d'installations de télécommunications qui n'exige pas une licence fédérale, puis on mélange les deux ensemble.
Ce qui me frappe, sénateur, c'est que la réponse à mon propre dilemme, qui devrait vous en poser un, c'est qu'on ne peut pas, d'un côté, accorder à quelqu'un le droit d'exploiter une entreprise commerciale qui utilise un contenu sans conférer d'autre part à cette personne qui reçoit un avantage financier et qui se voit accorder une licence, la responsabilité de l'emploi abusif de son réseau.
Ce qui me frappe, c'est que la réponse à ce dilemme serait d'équilibrer les divers intérêts. Si quelqu'un veut être exempt de responsabilité en disant que même s'il est un radiodiffuseur avec un service numérique, en provenance de la Yougoslavie, qui est mauvais, même s'il est rémunéré pour cela, il n'est pas au courant.
Une façon de régler ce problème serait d'incorporer dans cet amendement le mot «sciemment». Le mot «sciemment» soulève un énorme débat car nous avons actuellement dans le Code criminel 16 définitions de ce que ce mot signifie. Ce n'est donc pas une solution car nous n'avons pas fait un examen détaillé de la signification de ce mot. Nous savons qu'il signifie 17 choses différentes aux termes du Code criminel. Cela en soi constitue un défi. Cependant, vous auriez mon appui si vous disiez que si c'est le gardien d'un système informatique — puisque c'est ce dont nous parlons ici plutôt que d'un radiodiffuseur — la personne ne commet pas une infraction pourvu qu'elle n'agisse pas sciemment. Le mot «sciemment» devrait être ajouté, ou une sorte de garantie pour dire que cette personne ne sait pas vraiment ce qui se passe.
J'aime l'idée selon laquelle si la police lui signale le problème il doit faire quelque chose. Cependant, il se peut fort bien qu'il soit au courant et qu'il ne fasse rien si la question n'est pas portée à son attention par la police. Il pourrait y avoir une plainte. Il y a de nombreuses plaintes à l'heure actuelle en ce qui concerne l'utilisation de l'Internet. Les fournisseurs de service décident de ne rien faire à moins que la police n'intervienne. S'ils reçoivent une rémunération dans l'intérêt public en ce sens que nous leur permettons de faire cela, alors il devrait y avoir une responsabilité concomitante.
Le sénateur Nolin: Sénateur Grafstein, je suis tout à fait d'accord en ce qui concerne les radiodiffuseurs en ce qui a trait à la licence du CRTC. Nous parlons ici de quelque chose de tout à fait différent.
Le sénateur Grafstein: Je comprends.
Le sénateur Nolin: Les fournisseurs de service offrent le lien, les installations de télécommunication.
Si on leur demande de surveiller tout ce qui passe par ces installations, ils peuvent le faire. Peut-être qu'ajouter le mot «sciemment» au paragraphe 3 résoudra le problème.
Le sénateur Grafstein: C'est mieux.
Le sénateur Nolin: Je ne veux pas que les gens soient pris pour avoir transmis quelque chose qui est indépendant de leur volonté. Cependant, je suis d'accord avec vous en ce qui concerne les radiodiffuseurs.
Le sénateur Pearson: J'ai moi aussi écouté ces gens. Je crois comprendre qu'ils étaient nerveux car ils craignent d'être trouvés responsables d'avoir commis une erreur. Cependant, je n'étais pas convaincue car à mon avis le terme «en vue de» signifie qu'il doit y avoir intention criminelle, et il n'est pas possible que quelqu'un qui ne l'a pas fait intentionnellement, puisse être tenu responsable.
Je croyais que la distinction était très claire. J'hésiterais à les dégager de toute responsabilité de la façon dont vous l'avez proposé ici. C'était peut-être intentionnel de leur part mais nous ne les attrapons pas.
Le sénateur Nolin: S'ils ont un système informatique, le but de leur système et de leur propre entreprise est la transmission.
Le sénateur Pearson: Non. Le but de la transmission n'est-il pas de rendre accessible pour la distribution, la vente ou l'exportation de la pornographie juvénile?
Le sénateur Nolin: Le but est de transmettre tout ce qui peut être numérisé.
Le sénateur Pearson: Pas la pornographie juvénile. S'ils disent qu'ils ne veulent pas être responsables de la transmission de la pornographie juvénile...
Le sénateur Nolin: Ils proposent par contrat d'aider à transmettre tout ce qui peut être numérisé.
Le sénateur Pearson: C'est exact. Je crois que l'on répond à leurs préoccupations en disant «en vue de de... la pornographie juvénile». S'ils ne sont pas au courant, alors ils ne sont pas responsables.
Le sénateur Nolin: Je n'en suis pas certain. Je veux les protéger. Je pense qu'il est nécessaire qu'il y ait spécifiquement intention criminelle. Nous pouvons entendre l'argument selon lequel il y a une règle non écrite, qu'il est nécessaire qu'il y ait eu intention criminelle partout dans le code, mais je veux en être certain.
Le sénateur Cools: Peut-être qu'aux fins du débat, nous devrions lire tout l'article. Le paragraphe 3 stipule:
Quiconque transmet, rend accessible, distribue, vend, importe ou exporte de la pornographie juvénile ou en a en sa possession en vue de la transmettre, de la rendre accessible, de la distribuer, de la vendre ou de l'exporter, est coupable.
L'expression «en vue de» s'applique à la première partie de l'article. Il s'agit de transmettre, de rendre accessible, de distribuer, de vendre, d'importer, ou d'exporter ou d'avoir en sa possession. Il est difficile d'agir intentionnellement, si on n'est pas au courant. Vous proposez d'insérer le mot «sciemment» entre les mots quiconque et transmet. On ne peut pas avoir l'intention de faire quelque chose si on n'est pas au courant. Lorsqu'on dit «en vue de», cela présuppose que la personne est déjà au courant. La première partie de l'article doit être lue conjointement avec la deuxième partie. L'expression «en vue de» fait le lien entre l'idée de transmettre, de rendre accessible et tous ces autres actes dont on parle dans la deuxième partie. Le tout doit être lu ensemble, mais sénateur Nolin, on ne peut pas faire l'un sans l'autre.
Le sénateur Nolin: En fait, techniquement, si.
Le sénateur Cools: Techniquement, comment pouvons-nous avoir une intention sans être au courant?
Le sénateur Nolin: Jusqu'à il y a 20 ans, ce n'était peut-être pas possible. Depuis que tout est numérisé, il est possible de transmettre sans savoir ce que l'on transmet.
Le sénateur Cools: Non, c'est très clair. On parle de transmettre de la pornographie juvénile. Lisez le paragraphe très attentivement.
Le sénateur Nolin: On ne dit pas «intentionnellement». On dit «en vue de».
Le sénateur Cools: On dit «en vue de».
Le sénateur Nolin: «En vue de», pour qui?
Le sénateur Cools: Cela revient à cela. C'est un autre problème. C'est une lacune. J'aimerais porter ce problème à l'attention du sénateur Nolin. Je ne sais pas le français. Il a présenté son amendement en français. Si on regarde l'anglais, je pense qu'il y a une coquille ou une erreur dans le texte anglais. Madame la présidente, si on lit la traduction de l'amendement qui est proposé par le sénateur — puisqu'il l'a présenté en français — l'amendement se lit comme suit: «For greater certainty, a custodian of a computer system who merely provides the means or facilities of telecommunication used by another person to commit one or more of the offences in subsection 163.1(3) does not itself... »
On ne peut pas dire «itself» pour un gardien. On dit «elle-même ou lui-même». Je tiens à vous le signaler.
Le sénateur Nolin: Le texte a été traduit par nos services.
Le sénateur Cools: Vous pouvez corriger cette erreur. C'est initialement pour cette raison que j'ai levé la main; c'était pour dire que j'avais du mal à comprendre pourquoi on dit «itself», plutôt que «himself» ou «herself».
Le sénateur Beaudoin: Je crois que le sénateur Grafstein a proposé qu'on ajoute le mot «sciemment» car le mot «en vue de»...
Le sénateur Grafstein: Dans son amendement.
Le sénateur Nolin: Il proposait de l'ajouter au paragraphe 3.1 qui est proposé. L'autre option serait de l'inclure au paragraphe 3.
Le sénateur Beaudoin: L'intention criminelle doit être très claire. C'est fondamental en droit pénal. Je pense que le sénateur Grafstein a fait une bonne suggestion.
Le sénateur Pearson: Voulez-vous modifier tout le Code criminel?
Le sénateur Beaudoin: Non, l'intention. Le mot «en vue de» a sa propre signification. Ce n'est peut-être pas suffisant. C'est pourquoi nous devrions ajouter la proposition du sénateur Grafstein, c'est-à-dire le mot «sciemment», car il est clair alors qu'il y a intention criminelle.
La présidente: On évite alors le risque de s'en tirer indemne quelqu'un qui le fait sciemment.
[Français]
Le sénateur Biron: Une compagnie qui fournit du matériel de communication est responsable de l'équipement qu'elle met en service, mais elle n'est pas responsable de la manière dont cet équipement peut être employé.
Le sénateur Nolin: C'est exactement ce que propose mon amendement. Il vise à assurer la différence entre le contenant et le contenu.
Le sénateur Biron: S'il y a demande, une compagnie de téléphone peut effectuer des vérifications, mais elle ne peut pas contrôler les millions d'appels qui ont lieu chaque minute.
Le sénateur Nolin: Qui n'a pas le contrôle ne peut avoir la connaissance de tout. Autrement dit, le fournisseur approvisionne son client en équipement, mais il n'a pas nécessairement connaissance de l'utilisation que celui-ci en fait. On ne peut tenir quelqu'un responsable d'une transmission sans trouver qu'il y ait eu intention coupable de permettre une telle transmission. Je n'ai aucun problème avec le principe de l'intention coupable, mais il faut qu'elle existe. On ne peut pas dire au transmetteur qu'il sera responsable parce qu'il transmettra de l'information illégale sans avoir une intention illégale.
[Traduction]
Le sénateur Andreychuk: Les fournisseurs ont une préoccupation légitime ici étant donné ce qu'on vient de dire. Il s'agit d'une nouvelle technologie. Elle n'est peut-être pas si nouvelle pour certaines, mais ce n'est pas tout le monde ici au pays qui utilise la nouvelle technologie. Il y a beaucoup de gens qui ne comprennent pas qu'un fournisseur fournit simplement le système. Qu'un fournisseur ne surveille pas et n'est pas obligé de surveiller ce qui est transmis sur son système. La ministre a été très claire lorsqu'elle a dit que l'intention n'était pas de porter des accusations contre les fournisseurs s'ils fournissent tout simplement le système.
D'un autre côté, la ministre a dit que si l'un des fournisseurs faisait partie d'un réseau de pornographie, on ne devrait pas les exonérer. La ministre estimait que ce qui était prévu dans la loi était suffisant. J'aurais tendance à reconnaître que l'amendement est juste. Ce ne sera peut-être pas nécessaire dans 20 ou 25 ans, mais pensez aux centaines de juges partout au pays qui se trouvent dans toutes les collectivités dans les régions éloignées. Pour la plupart, parlons franc, ils ne sont pas au nombre des plus jeunes de la population qui ont grandi avec des ordinateurs et les nouveaux systèmes. Il y en a qui se laissent entraîner dans l'ère de la technologie qui pourraient dire: «Vous aviez cela sur votre système et vous ne le surveillez pas?» Ils donneront l'interprétation qui inquiète l'industrie dans certains cas au Canada.
Je ne crois pas que ce soit là l'intention du ministre; je ne crois pas que ce soit là l'intention de l'industrie. Cependant, je doute que tous les juges interprètent l'article qui est proposé conformément à l'intention de la ministre. Par conséquent, on précise ici tout simplement qu'une personne n'est pas coupable simplement parce qu'elle fournit le système. Cependant, si elle est au courant et si elle fait partie du processus de la pornographie, elle sera trouvée coupable. Nous voulons qu'il soit bien clair que nous ne visons pas les fournisseurs.
Je ne sais si le libellé est bon ou non, mais je pense que ce que le sénateur Nolin tente de faire dans son amendement est nécessaire si on veut signaler à la police, aux avocats de la poursuite, aux juges, que cet article ne doit pas être interprété comme visant les fournisseurs simplement parce qu'ils sont des fournisseurs. Il y a ce risque tant que la technologie ne sera pas si courante que l'on peut être assuré que tous les Canadiens l'utilisent et la comprennent. Je ne suis pas certaine que notre système judiciaire soit aussi à jour en ce qui concerne la technologie moderne.
[Français]
Le sénateur Joyal: J'essaie de mettre les nuances qui s'imposent. Il est évident que le porteur de conversations téléphoniques, à savoir la compagnie de téléphone, n'est pas responsable si une personne utilise le téléphone, par exemple, pour harceler ou proférer des menaces de mort contre la personne au bout du fil.
Si l'utilisateur du système transmet de la pornographie, on peut comprendre que le porteur ou la compagnie qui transmet le message digitalisé, c'est-à-dire l'image, n'est pas responsable. Comment la compagnie réagitelle si le porteur, prenons le cas de Vidéotron, reçoit un avis de la police que monsieur ou madame X transmet de la pornographie infantile. Le porteur est donc informé de façon formelle par la police. Que fait la compagnie? Où est la responsabilité de la compagnie de cesser l'abonnement de l'émetteur?
Le sénateur Nolin: Dans votre exemple, il y a deux situations. La comparaison avec la compagnie de téléphone est très bonne parce que la plupart des fournisseurs de services, sauf Vidéotron, utilisent la ligne téléphonique. C'est finalement le même système, le même type de conduit, qui dessert deux types d'ordinateurs différents. Il n'y a que Vidéotron qui se sert d'un autre type de conduit.
Dans les deux cas, que ce soit la compagnie de téléphone pour une conversation vocale ou un fournisseur de services pour une communication numérisée, si on demande au propriétaire du conduit de s'introduire dans le système pour intercepter une communication — on le fait déjà en vertu du Code criminel pour les communications téléphoniques — à ce moment le fournisseur le fera. S'il ne le fait pas, le Code criminel prévoit une série de mesures pour s'assurer que le fournisseur de services va obtempérer.
Dans le cas du fournisseur de services Internet, nous n'avons pas encore développé un système analogue à ce qu'on peut faire en matière d'écoute électronique, mais il n'y a rien qui nous empêcherait de le faire pour s'assurer qu'on puisse intervenir à l'intérieur d'un système de transmission de données numérisé. L'infraction dont on parle couvre tout cela. À la limite, le fournisseur de services téléphoniques est aussi inclus parce qu'il transmet.
Le sénateur Joyal: Mais il y a le mot «purpose».
Le sénateur Nolin: Il y a un commencement de défense dans le mot «purpose». Moi, je veux absolument qu'il y ait une défense. On en crée des défenses; d'ailleurs, bientôt il y aura un amendement où sera élargie une défense qui existe déjà. Le Code criminel prévoit des défenses quand on veut s'assurer qu'on va chercher le vrai coupable d'une infraction. Nous risquons d'en ratisser plus large que nous en avions l'intention. Ce n'est que cela, mon intention. Je n'ai certainement pas l'intention de mettre à l'abri un individu ou une organisation qui commet une infraction criminelle.
[Traduction]
Le sénateur Grafstein: Tout d'abord, il est important de faire la distinction entre deux choses dans notre esprit. C'est difficile à faire dans ce cas-ci car parfois il y a fusion des deux lorsque le système informatique utilise à la fois la voix et les données.
Le sénateur Nolin: La voix est numérisée.
Le sénateur Grafstein: Cela rend les choses encore plus complexes. En fin de compte, il ne s'agit pas ici d'information juvénile numérisée, mais de pornographie juvénile. Je suppose que l'on parle ici d'images — je n'ai pas vraiment réfléchi à la question mais je vais le faire.
Le sénateur Pearson: Pas nécessairement. La pornographie c'est aussi des documents écrits.
Le sénateur Joyal: Cela peut être des documents écrits.
Le sénateur Nolin: Sénateur Grafstein, n'oubliez pas que tout ce qui entre dans votre ordinateur, même taper un mot ou utiliser une image, doit être numérisé.
Le sénateur Grafstein: Je suis heureux que Le sénateur Pearson le comprenne. Je tente de faire ressortir la complexité du mot «pornographie» comme tel. On passe ensuite à l'étape suivante, c'est-à-dire comment distinguer, à des fins criminelles, une infraction qui est au détriment de l'intérêt public, c'est-à-dire la pornographie juvénile. On a, en fait, trois cas: celui qui est consommateur de pornographie; on a ensuite celui qui distribue la pornographie aux consommateurs; et le fournisseur qui fournit le lien. Ce fournisseur peut être une combinaison d'un réseau de télécommunications ou d'un système informatique qui utilise peut-être à la fois la ligne téléphonique et le système informatique.
La question qui se pose est celle-ci: Où se situe la culpabilité? Si l'on dit simplement «en vue de», cela suffit-il s'il n'y a pas l'élément de connaissance? Je ne le pense pas. Cela nous ramène à la proposition du sénateur Nolin qui est de donner une définition bien claire.
Prenons l'exemple qu'a utilisé le sénateur Joyal, parce qu'il peut nous aider. Le réseau téléphonique fait deux choses. Certaines personnes en harcèlent d'autres au téléphone en leur transmettant des images pornographiques ou en tenant des propos pornographiques. Bell Canada dit qu'elle n'y peut rien parce que la personne qui place l'appel paie pour utiliser le réseau. Elle peut même avoir fait un appel interurbain. Que fait donc habituellement Bell Canada? La société dit au plaignant ou à la plaignante qu'il ou elle doit faire la preuve que le réseau est utilisé à des fins pornographiques. Si cette preuve est faite, je crois que Bell Canada est tenue de prendre des mesures pour empêcher qu'on se serve du réseau téléphonique pour harceler les gens.
Je ne connais pas la réponse à ce problème. Les personnes qui se plaignent à moi d'être harcelées par téléphone m'ont dit que Bell Canada refuse de s'en mêler.
Il ne s'agit pas ici d'obliger qui que ce soit à épurer le système. Il s'agit d'un système complexe et la réponse réside toujours dans l'intention criminelle. Comment imposer les bons vieux critères à ce nouveau système complexe? L'intention criminelle est un vieux principe de droit qui tient toujours. Quel poids accorder à la connaissance et à l'information?
Les numéros 1-800 sont un bon exemple. Personne ne compose un numéro 1-800 sans d'abord savoir à quoi correspond ce numéro. L'absence de connaissance et l'intention criminelle, voilà la disposition.
On ne peut pas s'en prendre à une personne innocente, mais il y a un certain degré de connaissance. L'information peut être transmise non pas dans le but explicite, avec intention criminelle, de commettre une infraction, mais la personne en question disposait peut-être d'un certain niveau de connaissance qui est juste en deçà de l'intention criminelle. On peut dire que cette personne sait à quoi sert cette information ou aurait peut-être dû le savoir.
Nous sommes tous favorables à un libre accès aux ondes et nous croyons tous qu'il faut limiter le moins possible la liberté de parole et d'expression. Il faut viser un équilibre. Cet équilibre se reflète peut-être dans les mots «sait» ou «aurait dû savoir». Il faudrait donc appliquer ce critère si l'on veut inclure une disposition de non-responsabilité.
[Français]
Le sénateur Nolin: Sénateur Grafstein, en français, c'est encore plus nébuleux.
Utilisez tous les verbes dans la première partie, c'est-à-dire quiconque «transmet, rend accessible, distribue, vend, importe ou exporte». Arrêtons-nous aux deux premiers: «transmet» et «rend» accessible. Prenons le premier «transmet» uniquement.
[Traduction]
Transmettre le matériel n'est pas une infraction aussi grave que celle de le rendre disponible. Le même verbe est utilisé en français. Faites une phrase et enlevez certains verbes.
[Français]
Quiconque transmet de la pornographie juvénile est coupable.
[Traduction]
La présidente: Oui, mais cette disposition ne porte pas seulement sur la pornographie transmise par l'internet; il s'agit également de l'importation et de l'exportation de la pornographie.
Le sénateur Nolin: Mon amendement vise à faire en sorte que le simple fait de transmettre le matériel ne sera pas considéré comme une infraction.
La présidente: Prenons le cas d'un fournisseur de service Internet qui est en fait dans le coup et qui complote avec un abonné pour assurer la distribution de ce matériel, et qui invoquerait votre amendement pour dire qu'il ne fait que le transmettre?
J'aime qu'on mentionne que c'est «en vue de».
Le sénateur Cools: De fait, madame la présidente, si j'avais rédigé cet article pour faire en sorte qu'il s'applique dans tous les cas, je préférerais le mot «en vue de» à «sciemment». Ce mot est préférable à «savoir».
J'ai travaillé pas mal avec des rédacteurs juridiques. Si je comprends bien, les rédacteurs cherchaient un mot qui comprendrait les intentions et la connaissance. Ils ont opté pour les mots «en vue de». C'est peut-être une formulation qu'on utilise couramment.
Le sénateur Grafstein: Un tribunal a-t-il déjà donné son interprétation de l'expression «en vue de».
Le sénateur Cools: Votre question s'adresse-t-elle à moi ou à la présidente?
Le sénateur Grafstein: À vous.
Le sénateur Cools: Je ne sais pas, mais nous pourrions nous renseigner.
La présidente: Je ne sais pas, mais je le suppose. On retrouve cette expression dans tout le Code criminel.
Le sénateur Cools: Nous n'allons pas nous compliquer la vie. Le mot existe et il n'est pas nécessaire de chercher une interprétation juridique de chaque mot. Les rédacteurs veulent mettre l'accent sur la connaissance et l'intention criminelle. L'expression «en vue de» ne convient peut-être pas, mais nous ne le savons pas encore.
À mon sens, cette expression a une portée assez large. J'ai écouté attentivement le sénateur Nolin. Je ne sais pas comment il pourrait y avoir l'un sans l'autre. Je ne le comprends toujours pas.
Le sénateur Nolin: C'est techniquement possible.
Le sénateur Andreychuk: J'aimerais faire une observation, madame la présidente, sur ce que vous venez de dire. L'amendement propose que le simple fait de fournir un service ne soit pas considéré comme une infraction. Je pense que c'est l'objet de l'amendement du sénateur Nolin. Par conséquent, si un fournisseur fait autre chose que de fournir un service, c'est-à-dire s'il sait qu'il transmet de la pornographie ou qu'il participe à ce délit, il commettra une infraction. Il sera traité de la même façon que quiconque commet une infraction liée à la pornographie.
Il s'agit ici simplement de dire que le fait de fournir un service ne constitue pas en soi une infraction.
La présidente: L'amendement ne dit pas «en soi».
Le sénateur Andreychuk: Si.
La présidente: Non, il est plutôt question du gardien d'un ordinateur.
Le sénateur Andreychuk: Il nous faut épurer le libellé.
Le sénateur Cools: L'amendement est mal rédigé en anglais. Il y a quelque chose qui ne va vraiment pas. Le sénateur Nolin n'a pas précisé ce que c'était. Il aurait dû retirer la version anglaise et nous en présenter une meilleure version.
Le sénateur Nolin: Vous voulez que nous ajoutions le mot «himself» en anglais?
Le sénateur Cools: Je dis qu'un mot ou deux manquent avant «itself» si c'est le mot que vous voulez conserver. Si c'est le mot que vous vouliez utiliser, très bien; autrement, on devrait lire «himself» ou «herself» dans la version anglaise.
Sénateur Nolin, la version anglaise de votre amendement est fautive. Je ne sais pas ce qu'il en ait de la version française.
[Français]
Il est fréquent que des amendements soient déposés en français. On corrigera la version anglaise en temps et lieu, mais la version française est parfaite.
[Traduction]
La présidente: Le temps passe. Je pense que je peux maintenant mettre aux voix l'amendement proposé par le sénateur Nolin.
Le sénateur Cools: Nous ne pouvons voter que sur la version française.
La présidente: Dans ce cas, je vais mettre aux voix la version française de l'amendement.
Le sénateur Cools: Quelle est la procédure à suivre?
La présidente: Je l'ignore, car je ne sais toujours pas comment l'amendement devrait être formulé en anglais.
Le sénateur Nolin: C'est très simple, vous n'avez qu'à le lire.
Le sénateur Cools: Il n'est pas nécessaire de fournir une traduction. La traduction n'est fournie que par courtoisie, mais ce n'est pas une nécessité.
Le sénateur Nolin: Je n'ai pas besoin qu'on me réprimande. Vous comprenez exactement le sens de mon amendement. Votez contre celui-ci si vous ne voulez pas l'appuyer.
Le sénateur Cools: C'est à mon tour de vous dire que je ne veux pas qu'on me réprimande.
La présidente: Passons au vote. Je mets aux voix la version française de l'amendement du sénateur Nolin.
Le sénateur Nolin: Je réclame la tenue d'un vote par appel nominal.
La présidente: Un vote par appel nominal. Je participerai au vote.
Mme Josée Thérien, greffière du comité: Sénateur Milne.
La présidente: Non.
Le sénateur Andreychuk: Oui.
Le sénateur Beaudoin: Oui.
Le sénateur Biron: Oui.
Le sénateur Cools: Non.
Le sénateur Jaffer: Non.
Le sénateur Joyal: Abstention.
Le sénateur Moore: Abstention.
Le sénateur Nolin: Oui.
Le sénateur Pearson: Non.
Le sénateur Rivest: Oui.
Mme Thérien: Cinq pour, quatre contre et deux abstentions.
La présidente: L'amendement est adopté avec dissidence.
Sénateur Pearson, vous voulez proposer un amendement à l'article 5.
Le sénateur Pearson: Je propose l'amendement qui vous a été distribué.
La présidente: Il est proposé par Le sénateur Pearson:
Que le projet de loi C-15A soit modifié, à l'article 5, à la page 3, par adjonction, après la ligne 8, de ce qui suit:
« (4) Les paragraphes 163.1(6) et (7) de la loi sont remplacés par ce qui suit:
(6) Lorsqu'une personne est accusée d'une infraction visée aux paragraphes (2), (3), (4) ou (4.1), le tribunal est tenu de déclarer cette personne non coupable si la représentation ou l'écrit qui constituerait de la pornographie juvénile a une valeur artistique ou un but éducatif, scientifique ou médical.
(7) Les paragraphes 163(3) à (5) s'appliquent avec les adaptations nécessaires, à une infraction visée aux paragraphes (2), (3), (4) ou (4.1). »
Êtes-vous prêts à voter sur cet amendement?
Des voix: D'accord.
La présidente: Tous ceux qui sont en faveur?
Des voix: D'accord.
La présidente: L'amendement est adopté.
Le sénateur Cools: Indiquera-t-on que l'amendement a été adopté à l'unanimité?
La présidente: Oui. L'amendement a été adopté à l'unanimité.
L'article 5, modifié, est-il adopté?
Des voix: D'accord.
La présidente: Les articles 6 à 28 sont-ils adoptés?
Des voix: D'accord.
La présidente: Les articles 6 à 28 sont adoptés.
L'article 29 est-il adopté?
Le sénateur Nolin: J'aimerais faire une observation sur cet article. Je n'ai pas d'amendement à proposer.
[Français]
Le sénateur Nolin: Lorsque j'ai demandé, en décembre dernier, qu'on ne procède pas à l'adoption article par article du projet de loi, c'était parce que je désirais avant tout lire la documentation que nous avait donnée le ministère. Je l'ai lue avec beaucoup d'intérêt, surtout celle qui se rapportait à la question de l'enquête préliminaire.
La décision de la Cour suprême en 1991 a obligé le ministère a réfléchir à l'enquête préliminaire, car cette décision a obligé la Couronne à transmettre toute sa preuve à l'étape de l'enquête préliminaire. Le ministère a dû se poser la question, à savoir s'il devait maintenir la procédure d'enquête préliminaire.
J'en suis venu à la même conclusion que le ministère. On doit conserver l'enquête préliminaire et on doit la rendre plus efficace. Le juge du procès sera à même d'évaluer la force probante des éléments de preuve, qui auront été transmis au moment de l'enquête préliminaire.
Je tiens à remercier nos témoins de nous avoir fourni cette information. Je me rallie à leur opinion.
[Traduction]
La présidente: L'article 29 est-il adopté?
Des voix: D'accord.
La présidente: Adopté.
Les articles 30 à 34 sont-ils adoptés?
Des voix: D'accord
La présidente: Adopté.
L'article 35 est-il adopté?
Des voix: D'accord.
La présidente: Adopté.
Les articles 36 à 39 sont-ils adoptés?
Des voix: D'accord.
La présidente: L'article 70 est-il adopté?
Le sénateur Nolin: Abstention.
Le sénateur Andreychuk: Abstention.
Le sénateur Beaudoin: Abstention.
La présidente: L'article 70 est adopté avec dissidence.
L'article 71 est-il adopté?
Le sénateur Nolin: Abstention.
Le sénateur Andreychuk: Abstention.
Le sénateur Beaudoin: Abstention.
La présidente: L'article 71 est adopté avec dissidence.
Les articles 72 à 93 sont-ils adoptés?
Des voix: D'accord.
Le sénateur Beaudoin: Le compte rendu indique-t-il lorsqu'il y a eu abstention?
La greffière: J'indique «avec dissidence».
La présidente: Les articles 72 à 93 sont-ils adoptés?
Des voix: D'accord.
La présidente: Adopté.
L'article 1 est-il adopté?
Des voix: D'accord.
La présidente: Adopté.
Le titre est-il adopté?
Des voix: D'accord.
La présidente: Adopté.
Le projet de loi est-il adopté avec des amendements?
Le sénateur Cools: Il faudrait préciser dans le rapport que l'amendement a été adopté, mais comme je le disais plus tôt — et peut-être que j'aurais dû insister davantage sur la procédure à suivre —, nous avons constaté que la version anglaise de l'amendement est fautive. Je ne peux pas me prononcer sur la version française que je n'ai pas sous les yeux. Je ne sais pas ce qu'on peut lui reprocher. Le rapport doit cependant indiquer que la version anglaise de l'amendement a été retirée.
Le sénateur Nolin: Non.
Le sénateur Cools: La version était fautive.
La présidente: Nous avons cependant adopté la version française.
Le sénateur Cools: La présidente devrait indiquer au Sénat que la version anglaise de l'amendement était fautive.
La présidente: Je le ferai.
Le projet de loi est-il adopté avec des amendements?
Des voix: D'accord.
La présidente: Adopté.
Puis-je faire rapport du projet de loi modifié à la prochaine séance du Sénat?
Des voix: D'accord.
La présidente: Adopté.
La séance est levée.