Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule No. 31, Témoignages du 17 avril 2002
OTTAWA, le mercredi 17 avril 2002
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel est renvoyé le projet de loi S-32, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (promotion du français et de l'anglais), se réunit aujourd'hui à 16 h 30 pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Gérald-A. Beaudoin (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président: Nous entendons aujourd'hui des représentants d'Alliance Québec, soit M. Brent Tyler, M. Ted Cash et M. Andrew Male.
M. Brent D. Tyler, président, Alliance Québec: Il semble que certains sénateurs sont restés dans la salle du Sénat pour souligner le vingtième anniversaire de la Charte, ce qui est de bon augure.
Notre témoignage d'aujourd'hui porte sur le respect des articles 16 et 23 de la Charte relatifs à la dualité linguistique.
Permettez-moi de commencer par vous dire ce dont nous n'allons pas parler aujourd'hui, car j'aimerais plutôt profiter du temps qui nous est accordé pour nous concentrer sur ce dont nous voulons traiter. Nous n'allons pas parler des sphères de compétence provinciale, de l'imposition du français ni des restrictions quant à l'affichage commercial en anglais et à l'utilisation de l'anglais en milieu de travail que prévoit la Charte de la langue française. Nous n'allons pas non plus parler de l'accès à des écoles, à des services sociaux et à des soins de santé en langue anglaise. Nous allons nous en tenir exclusivement aux domaines de compétence fédérale, soit la Loi sur les langues officielles, qui semble ne pas être appliquée comme il le faudrait dans la province de Québec. Dans ce contexte, nous allons aussi mentionner la modification proposée par le sénateur Gauthier.
Nous appuyons de tout coeur l'intention sous-jacente de cette modification, qui vise à permettre au groupe linguistique minoritaire de jouir davantage de ses droits linguistiques dans les domaines de compétence fédérale. Nous craignons toutefois qu'elle ne soit inefficace si l'on en conserve le libellé actuel, qui ne définit pas les mesures nécessaires pour stimuler la vitalité et l'essor linguistiques.
Pour situer le contexte, je vous renvoie au jugement sur la dualité linguistique au Canada dans l'affaire de la Société des Acadiens:
La question de la dualité linguistique est une préoccupation de vieille date au Canada, un pays dans l'histoire duquel les langues française et anglaise sont solidement enracinées. Les garanties constitutionnelles en matière linguistique traduisent des efforts continus et renouvelés en vue de réaliser le bilinguisme. Selon moi, nous devons nous efforcer particulièrement de rester fidèles à l'esprit et à l'objet des droits linguistiques enchâssés dans la Charte.
La Loi sur les langues officielles comporte trois parties importantes, que nous avons analysées pour vous. Il y a d'abord la partie V de la loi, qui porte sur la langue de travail; les articles 34 à 38, qui régissent notamment les exigences linguistiques liées à l'emploi et enfin, la partie sur la participation équitable des gens d'expression anglaise et d'expression française aux institutions fédérales du Canada.
Il est important que vous sachiez qu'il n'existe qu'un recours judiciaire possible pour le premier et le deuxième éléments, soit la langue de travail et les dispositions sur la langue de travail. La version actuelle de la loi ne prévoit aucun recours contre les violations des dispositions sur la participation équitable.
De plus, l'article 82 de la loi précise que les dispositions sur la participation équitable n'ont pas primauté sur les autres lois, contrairement aux autres dispositions de la loi. Il n'y a donc aucun recours contre le non-respect des dispositions sur la participation équitable.
En vertu de cette Loi, seule la commissaire a droit de recours. L'article 63 lui permet de faire rapport au Conseil du Trésor; le paragraphe 65(1), de faire rapport au gouverneur en conseil et le paragraphe 65(3), de faire rapport au Parlement.
Le seul commissaire a avoir invoqué ce droit pour dénoncer la participation inéquitable des Canadiens d'expression anglaise aux institutions fédérales situées au Québec est D'Iberville Fortier, qui déplorait, dans son rapport de janvier 1987 au gouverneur en conseil, que:
Malheureusement [...] dans l'ensemble, la participation anglophone continue à diminuer. Des statistiques tirées des rapports annuels de la Commission de la Fonction publique, indiquent que, même dans les régions bilingues du Québec où la communauté anglophone forme près de 20 p. 100 de la population, la participation anglophone est passée de 8,7 p. 100 en 1980 à 7,1 p. 100 en 1986. C'est ce que disait M. Fortier il y a quinze ans. Les chiffres récents situent plutôt cette participation autour de 5 p. 100. J'en parlerai un peu plus tard.
Ce qui est aussi intéressant dans ce rapport, c'est la façon dont le commissaire décrit combien il se sent impuissant devant le problème qui se pose à lui et les lacunes de la loi.
Les mesures prises par les agences centrales et les divers organismes fédéraux, auxquels le commissaire a signalé à chacun la situation plusieurs fois, n'ont pas été suffisantes et appropriées, compte tenu de l'ampleur du problème à corriger et des tendances soutenues qu'il faudrait renverser afin que la participation anglophone à la Fonction publique fédérale au Québec devienne équitable.
L'objet du présent rapport n'est pas d'imputer la situation à une institution en particulier. Il est plutôt du devoir du Commissaire de signaler que la tendance actuelle risque de devenir irréversible et d'entraîner une polarisation linguistique peu favorable à une prestation de services entièrement conforme à l'esprit et à la lettre de la Loi sur les langues officielles, à moins que l'on intervienne de manière plus énergique. Dans les circonstances, ayant épuisé tous les recours à sa disposition, le Commissaire demande respectueusement au gouverneur en conseil, et subsidiairement au président du Conseil du Trésor, quelles mesures ils comptent prendre pour corriger la situation exposée dans le présent rapport.
C'était en 1987. Depuis, la situation n'a fait qu'empirer. En septembre 1999, Alliance Québec s'est jointe à Alan Greer, employé de Postes Canada, pour présenter à la commissaire une plainte sur la langue de travail, les chances égales d'emploi et d'avancement dans les deux langues et le manque de participation équitable. Il a fallu plus de deux ans à la commissaire pour préparer son rapport. Sur la participation équitable, voici ce que la commissaire a trouvé à dire dans son rapport finalement publié en octobre 2001, plus de deux ans plus tard:
Nous avons exprimé nos inquiétudes quant à la sous-représentation générale des anglophones dans les ministères et les organismes fédéraux ayant des bureaux au Québec, vu qu'ils ne constituent qu'environ 5 p. 100 de l'effectif. (Selon le Recensement de 1996, 12,6 p. 100 de la population québécoise est d'expression anglaise.) La vieille question de la sous-représentation des anglophones dans les institutions fédérales [...] a été examinée par la Commission de la fonction publique, qui a publié un rapport sur le sujet en 1999.
La conclusion de la commissaire au sujet des postes soulignait la nécessité d'accroître la participation anglophone, qui se limite actuellement à 3,7 p. 100, de façon qu'elle se rapproche du pourcentage d'anglophones dans la population générale du Québec. À cette fin, elle demandait expressément à Postes Canada de préparer, d'ici le 16 novembre, un plan d'action triennal prévoyant des indicateurs mesurables et des échéances strictes afin d'accroître la participation des anglophones dans tous les organismes de la fonction publique situés dans la région de Montréal pour la période de 2002 à 2005. Ce plan devait être annoncé et mis en place au plus tard le 1er janvier. Rien n'est arrivé depuis.
Enfin, la commissaire terminait son rapport d'octobre 2001 par ce commentaire:
Nous avons relevé des lacunes importantes quant à l'application de la LLO au sein de la société. Nous sommes portés à conclure qu'il existe effectivement des barrières systémiques.
S'ensuit une longue une section à la fin du rapport où elle exprime, elle aussi, sa frustration face au manque de protection adéquate et de recours possibles en vertu de la Loi sur les langues officielles. En ce qui concerne la Société canadienne des postes, elle conclut que:
La Société canadienne des postes a beaucoup à faire pour que les deux langues officielles puissent être utilisées dans ses bureaux de Montréal, où vit la plus grande minorité linguistique du Canada. Nous entendons suivre l'évolution de ce dossier de près.
Nous-mêmes, le plaignant, et Alan Greer, le coplaignant, n'avons plus entendu parler de la commissaire depuis lors en ce qui concerne la mise en oeuvre des recommandations de son rapport.
J'aimerais souligner qu'il importe d'adopter une unité de comparaison appropriée pour déterminer ce qu'est une participation équitable. Nous proposons que cette unité soit la région métropolitaine de Montréal, qui est l'unité de comparaison généralement utilisée par Statistique Canada. Autrement dit, nous ne pensons que l'ensemble de la province soit une unité de comparaison acceptable.
Selon ce rapport, les bureaux des ministères et des organismes fédéraux dans la province ne comptent que 5 p. 100 d'anglophones, alors que l'effectif anglophone de Postes Canada ne s'élèverait qu'à 3,7 p. 100 pour l'ensemble du Québec.
Par ailleurs, 24 p. 100 de la population de la région métropolitaine de Montréal est anglophone. Nous croyons qu'il vaudrait mieux se fonder sur le pourcentage de la population anglophone de la région métropolitaine de Montréal plutôt que sur le pourcentage de celle de l'ensemble du Québec. C'est le point et l'unité de comparaison qui s'imposent. Cela met encore plus en évidence le fossé entre le pourcentage de la participation des anglophones à la fonction publique et le pourcentage de la population qu'ils représentent.
Notre question est la suivante: Combien de rapports, de recommandations et d'échéances non observées faudra-t-il encore avant que cette loi soit respectée? Entre-temps, que pensez-vous qu'il est arrivé à Alan Greer? Il a été congédié en février pour avoir dénoncé le fait que Postes Canada ne respecte pas ses obligations aux termes de la Loi sur les langues officielles.
Je vais laisser mon collègue, monsieur Labbé, vous relater la saga d'Alan Greer.
M. Jacques Labbé, président, Comité d'action politique, Alliance Québec: M. Greer est entré à l'emploi de Postes Canada en 1989. Il est de père noir et de mère canadienne-française et il s'exprime parfaitement dans les deux langues.
En 1994, M. Greer a voulu écrire une lettre au bureau de poste d'Ottawa. Son supérieur lui a dit: «Vous m'avez remis une lettre en anglais. Récrivez-la en français, sinon je ne l'enverrai pas.» C'est à ce moment qu'il a pris conscience, pour la première fois, qu'il n'était pas autorisé à s'exprimer en langue anglaise.
Après quelques recherches, M. Greer a constaté que la connaissance du français était désignée essentielle pour son emploi — qui consistait à livrer des envois chez les gens — comme pour beaucoup d'autres emplois. C'est là l'une des nombreuses plaintes, plus de 100, qu'il a déposées devant le Commissariat aux langues officielles. Pratiquement toutes ses plaintes étaient fondées.
Dieu merci, aujourd'hui, bien des réparations exigées ont été faites. Le Commissariat aux langues officielles a statué qu'on pouvait être d'expression anglaise ou française pour conduire un camion, livrer des envois, trier du courrier, être mécanicien,réparer une crevaison, changer de l'huile ou quoi que ce soit d'autre pour maintenir le parc automobile de Postes Canada. L'embauche d'anglophones à Postes Canada pour exercer ces fonctions est le seul problème qui subsiste à l'heure actuelle.
Lorsque M. Greer s'est plaint, il a fait l'objet de harcèlements. À 45 reprises, son chèque de paie n'est pas arrivé le jour prévu, alors que les autres employés recevaient le leur. Plus de 30 fois, ses demandes de paiement d'heures supplémentaire ont été refusées.
En septembre 2000, M. Greer a commencé à faire l'objet de suspensions et des lettres ont été versées à son dossier. Il n'a que pu déposer des griefs et saisir le syndicat de ces accusations ou de ces refus de paiements d'heures supplémentaires. Jusqu'à maintenant, une vingtaine de ses griefs ont été étudiés, et toutes les décisions lui ont été favorables. Il n'en demeure pas moins qu'il a été congédié pour avoir réclamé un paiement pour 20 minutes de temps supplémentaire qu'il n'aurait pas fait. Les décisions relatives aux suspensions — dont beaucoup n'ont toujours pas été réglées — donnent raison à M. Greer. Jusqu'à maintenant, on lui a donné raison dans le cas des 25 griefs qu'il a déposés. Cependant, comme le règlement de griefs prend de deux à trois ans, un dossier qu'il ne peut effacer a été constitué à son sujet.
Nous avons repéré environ 12 autres employés qui se trouvent dans le même genre de situation: leur dossier est resté vierge pendant trois ou cinq ans, après quoi une pièce y est versée indiquant qu'ils ont déposé une plainte au Commissariat aux langues officielles, qu'ils ont appuyé quelqu'un comme M. Greer ou qu'ils ont témoigné en sa faveur. Soudain, on se met à les suspendre ou à leur envoyer des lettres pour les informer qu'on les surveille de près en leur disant: «Nous savons que vous n'êtes pas des nôtres.»
Un article récent dans les médias rapporte qu'un ex-employé de la Société immobilière aurait dénoncé des incidents survenus quelques années plus tôt. Je comprends qu'il ait attendu la sécurité de sa retraite pour faire éclater l'affaire au grand jour. Plutôt que de dénoncer ces incidents au fur et à mesure qu'ils se produisaient, il a préféré se taire et attendre sa retraite. Voilà où nous en sommes. Quand on voit ce qui est arrivé à M. Greer, on comprend bien pourquoi cet homme a eu la sagesse d'agir ainsi.
Malheureusement, Postes Canada ne me semble pas avoir manifesté de bonne volonté. En 1999, la société savait qu'elle faisait l'objet d'une enquête relative à une participation anglophone insuffisante. Entre 1999, date à laquelle elle savait que l'enquête débutait, jusqu'en octobre 2001, date à laquelle le rapport a été publié, soit deux ans plus tard, nous n'avons été informés d'aucune tentative de sa part d'apporter des changements. Comme l'a dit M. Taylor, la société a été avisée d'apporter des changements; nous sommes maintenant en avril et nous ne voyons aucun signe de changement.
J'encourage vivement les honorables sénateurs à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour aider la famille Greer. Alan Greer est marié et père d'un enfant. Il a perdu son travail et, étant donné qu'il a été licencié, il perd les cotisations de retraite de son employeur. Je ne sais pas s'il va être admissible à l'assurance-emploi. Ce sont des genres de situations auxquelles sont confrontés les gens qui aveuglément ou naïvement font confiance à notre pays et passent par le processus. On leur dit de présenter un grief et une fois qu'ils obtiennent gain de cause, ils devraient pouvoir s'attendre à ce que l'employeur apporte les correctifs voulus pour qu'ils n'aient pas à présenter un deuxième ou un troisième grief. En fait, on est arrivé au point où 100 griefs ont été présentés au cours d'une période de six ou sept ans.
M. Tyler: Alliance Québec présente des demandes de financement au ministère du Patrimoine canadien. Nous jouons traditionnellement le rôle de surveillant pour ce qui est de la mise en oeuvre des obligations prévues en vertu de la Loi sur les langues officielles.
Cette année, nous avons de nouveau fait une demande de financement. Les fonctionnaires de Patrimoine canadien nous ont demandé de retirer de notre demande de financement la description ci-après, qui figurait dans notre secteur d'activité:
Évaluer, par le biais de recherches, l'application de la Loi sur les langues officielles, afin de s'assurer du respect des règlements par les institutions fédérales.
On nous a clairement indiqué que cette phrase devait être supprimée de notre demande de financement pour le prochain exercice, à compter du 1er avril. Je vous laisse, honorables sénateurs, le soin de tirer vos propres conclusions au sujet de cette demande.
Nous aimerions proposer aux honorables sénateurs qui vont se pencher sur les modifications à apporter à la Loi sur les langues officielles de prendre en compte le processus d'Helsinki, dont le Canada est partenaire à part entière. Il s'agit d'une association de pays civilisés, un genre de système de surveillance mutuelle, qui prévoit des règles étendues quant à la façon de traiter les minorités linguistiques. En raison du temps qui nous est accordé, je ne peux pas entrer dans les détails. Toutefois, dans notre mémoire, nous expliquons en plus grand détail le processus d'Helsinki. Essentiellement, ce processus reconnaît l'existence de normes respectées à l'échelle internationale pour le traitement des minorités. Lorsque les honorables sénateurs examineront les modifications à la Loi sur les langues officielles, nous leur demandons respectueusement d'envisager cet accord comme une source intéressante d'inspiration.
Nous aimerions également proposer des modifications pratiques. Premièrement, prévoir des recours en cas de violation de la partie VI de la loi. À l'heure actuelle, aucun recours judiciaire n'est prévu pour toute violation des dispositions relatives à la participation équitable.
Deuxièmement, on pourrait assurer la protection de plaignants comme Alan Greer en prévoyant une présomption réfutable de congédiement injustifié lorsqu'un travailleur a présenté une plainte qui fait l'objet d'une enquête de la part du commissaire. Ce genre de présomption de congédiement injustifié existe dans la législation du travail aux paliers fédéral et provincial. Essentiellement, cela veut dire que lorsqu'un employé a présenté une plainte et que le commissaire mène une enquête à ce sujet et que cette personne a été licenciée, il est présumé, en faveur de l'employé, qu'il a été licencié du fait qu'il exerçait ses droits, conférés en vertu de la Loi sur les langues officielles. L'employeur devrait alors prouver qu'il existe une autre cause juste et suffisante. Cela est tout à fait courant en droit. C'est une modification qui, nous le croyons, aurait protégé Alan Greer dans une grande mesure, certainement beaucoup plus que la protection catastrophique qui est prévue en vertu de la version actuelle de la loi. En ce moment, Alan Greer se bat en cour pour récupérer son emploi.
L'attitude du Commissariat des langues officielles fait toujours l'objet d'une enquête, après toutes ces années.
Nous ne sommes pas en faveur d'une augmentation des pouvoirs du commissaire. La fonction de commissaire, occupée par des commissaires successifs, a joué le rôle de catalyseur. En effet, elle a permis aux institutions fédérales de continuer à enfreindre la loi plutôt que de la respecter. Nous ne doutons absolument pas de la bonne foi de la commissaire actuelle, mais nous doutons sérieusement de la bureaucratie qui est chargée d'assurer le respect de la loi.
Permettez-moi de vous donner un exemple de recours inadéquat. En vertu du paragraphe 62(2) de la loi, un employé qui fait l'objet de harcèlement du fait qu'il exerce ses droits, peut présenter une plainte au commissaire. Que peut faire la commissaire? Elle peut présenter un rapport au Conseil du Trésor. L'employé peut-il récupérer son emploi? Non. Nous ne faisons que multiplier le nombre de documents produits par le commissariat, sans que cela n'ait d'effet sur le terrain. De toute évidence, cela n'a pas aidé Alan Greer.
Ce que nous voulons essentiellement dire, honorables sénateurs, est ceci: S'il n'y a pas de volonté politique nécessaire pour que les institutions fédérales respectent leurs obligations en vertu de la loi, la situation des minorités de langue officielle ne s'améliorera pas.
Vous pouvez modifier la loi de la façon proposée par le sénateur Gauthier. Toutefois, à notre avis, s'il n'y a pas de volonté politique de la part du gouvernement pour respecter les dispositions de la Loi sur les langues officielles, notre sort en tant que minorité de langue officielle ne s'améliorera pas. Il faut qu'il y ait volonté politique et pour l'instant nous n'en voyons pas.
Je vous ai décrit notre situation ainsi que la diminution du niveau de participation des anglophones qui, permettez- moi de vous le souligner, correspond à la moitié du niveau de participation des francophones.
Ainsi se terminent nos observations; nous sommes prêts à répondre à vos questions.
La sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.
La présidente: Veuillez m'excuser de ne pas avoir assisté au début de la séance et de vous avoir fait attendre. Quatre membres du comité prenaient la parole au sujet de la Charte des droits de la personne dans la salle du Sénat cet après- midi et j'étais la dernière sur la liste.
M. Tyler: Madame la présidente, nous sommes à votre disposition.
[Français]
Le sénateur Rivest: Il faut dire que les Québécois anglophones, que ce soit à Québec ou à Ottawa, n'ont pas la culture de la fonction publique. Par exemple, à Québec, dans la fonction publique, la représentation des Québécois anglophones est beaucoup plus catastrophique. La représentation est-elle à 1 ou 2 p. 100?
M. Tyler: À l'heure actuelle, elle est à 0,7 p. 100. La différence c'est qu'au gouvernement fédéral, nous avons la Loi sur les langues officielles. En principe, c'est supposé nous aider, n'est-ce pas? Il n'y a rien d'équivalent au Québec.
Le sénateur Rivest: Dans le Grand Montréal, y a-t-il 24 p. 100 d'anglophones?
M. Tyler: Oui.
Le sénateur Rivest: Est-ce que ce sont des «parlants anglais»?
M. Tyler: Vous savez comme moi que selon le critère qu'on choisit, cela peut affecter les chiffres. Le chiffre qui est cité dans le rapport de la commissaire, je pense que c'est 12,6 p. 100, tandis que selon le recensement de 1996, si on calcule les gens dont la langue maternelle est l'anglais, c'est 8,8 p. 100, et ceux dont la langue d'usage à la maison est l'anglais, c'est 10,8 p. 100.
Le sénateur Rivest: Quel est le chiffre que vous avez donné pour la fonction publique fédérale au Québec?
M. Tyler: Cinq pour cent. À Postes Canada, c'est 3,7 p. 100.
Le sénateur Rivest: Vous avez raison de dire qu'il y a une correction qui devrait être faite sur la représentation et la participation des Québécois de langue anglaise dans les institutions fédérales au Québec. Pour apprécier un peu la relativité du problème, avez-vous les chiffres des autres provinces? En Ontario par exemple, la population francophone étant beaucoup plus réduite, combien de francophones participent aux institutions fédérales? Ou au Nouveau- Brunswick?
M. Tyler: Je ne peux pas vous donner des chiffres précis. Je peux vous dire que si on fait la comparaison, le problème de participation équitable est deux fois plus sévère pour les anglophones au Québec que pour les francophones ailleurs au pays.
Le sénateur Rivest: Dans les institutions fédérales?
M. Tyler: Oui, selon la commissaire aux langues officielles.
Le sénateur Rivest: Pourquoi?
M. Tyler: C'est une très bonne question. J'aimerais bien savoir la réponse. Voilà le problème. Dans son rapport, la commissaire parle de «systemic barriers». Je présume que c'est dû à cela. Même s'il y avait une différence au niveau des cultures, est-ce que cela explique l'écart?
Le sénateur Rivest: Non, cela ne le justifie pas. Comme vous le dites, la loi est là. Vous avez donné votre appui, sans appuyer le choix des termes au moment de la rédaction, au projet de loi qu'on étudie, et qui nous vient, d'ailleurs, officiellement ou officieusement des autorités gouvernementales. Les gens sont démunis lorsque leurs droits garantis par les principes de la Loi sur les langues officielles ne sont pas respectés. On dit: «On va judiciariser les droits linguistiques d'une façon trop grande et cela va donner lieu à plusieurs procès.» Vous savez qu'il y a des ministres ou des gens qui ont dit cela ici, à Ottawa, à l'égard du projet de loi. D'ailleurs, c'est aussi l'opinion du ministère de la Justice. On dit qu'on ne peut pas agir ainsi parce que cela va judiciariser le processus et que les mesures vont être trop dispendieuses. Quelle est votre réflexion face à cette attitude, malgré les discours officiels — et sans doute de bonne foi — qui sont très généreux? Quand il s'agit de demander: «Where is the beef?», les gens ne sont plus là.
M. Tyler: S'il y avait une autre façon de mettre du mordant dans la loi et de s'assurer que les dispositions sont respectées, je serais très content. Je n'en vois pas d'autres. À mon avis, il faut, dans une certaine mesure, judiciariser. Si quelqu'un exerce un droit en vertu de la Loi sur les langues officielles, qu'il dépose une plainte, que la commissaire est en train de faire une enquête là-dessus et cette personne est congédiée, devant la cour, elle aura le droit d'invoquer une présomption en sa faveur, et l'employeur sera obligé d'établir qu'il y avait un motif autre que l'exercice de ses droits.
Le sénateur Rivest: Les travailleurs ont d'autres motifs à faire valoir à leur employeur. Supposons que l'usage de la langue est une condition d'exercice du travail. Il y a beaucoup d'autres conditions de travail, comme le harcèlement, par exemple. Un employé peut se plaindre pour toutes sortes d'autres motifs.
Ne serait-il pas exorbitant de l'ensemble de notre droit et de notre pratique du travail?
M. Tyler: Je ne pense pas.
Le sénateur Rivest: Est-ce qu'il y en a d'autres?
M. Tyler: Oui, la Loi sur les normes du travail au Québec.
Le sénateur Rivest: Y-a-t-il présomption à ce moment-là?
M. Tyler: Oui. Si quelqu'un ne reçoit pas son salaire, qu'il dépose une plainte et qu'il est congédié dans l'intervalle, la loi prévoit une présomption en sa faveur. C'est pratique courante.
Le sénateur Rivest: Cela existe déjà?
M. Tyler: Oui. Toutes les lois provinciales en matière des relations de travail, tous les codes du travail, même au niveau fédéral, ont une présomption en ce sens. Ce n'est pas exorbitant en ce sens. Ce serait peut-être exorbitant parce qu'on parle de la langue et, comme vous l'avez dit tantôt, dans les autres exemples, ce n'est pas la langue qui est en jeu. Il s'agit de harcèlement pour des motifs d'orientation sexuelle ou autre.
Le sénateur Beaudoin: Vous avez dit que ce qui manquait, c'était la volonté politique et que le projet de loi S-32 ne règlerait pas le problème. D'un autre côté, si le projet de loi était adopté, l'article 41 aurait certainement une nature nouvelle, en ce sens qu'il deviendrait exécutoire, obligatoire. Alors s'il devient obligatoire, qu'il y ait volonté ou non, on est obligé d'obéir à une loi exécutoire.
M. Tyler: Je pense qu'il y a un manque de précision. Quand on dit dans l'amendement: «take the necessary steps», cela va nécessiter que les tribunaux interviennent pour définir, parce que ce n'est pas suffisamment précis comme ligne de conduite pour les institutions fédérales.
Qu'est-ce que veut dire «take the necessary steps» exactement? C'est dans ce sens que nous avons des réticences. Nous sommes d'accord avec toute tentative d'ajouter ou de tenter de rendre la loi plus exécutoire, plutôt que d'avoir une loi déclaratoire. On ne veut pas être perçu comme des gens qui veulent critiquer l'amendement, parce que nous sommes d'accord avec l'intention. Mais on se pose des questions sur les faits pratiques sur le terrain, sur la façon dont cela va améliorer le sort de nos minorités de langues officielles.
Le sénateur Beaudoin: Vous doutez parce que nous ne savez pas comment sera interprété le mot «nécessaire».
M. Tyler: J'ai des doutes parce que si je regarde le comportement du gouvernement fédéral et les institutions fédérales au Québec, leur effort est lamentable, et les statistiques que je vous ai données tantôt le démontrent amplement. Si nous n'avons pas la volonté politique, même si nous pensons que l'amendement proposé va dans le bon sens, cet amendement n'apportera aucun changement sur le terrain. C'est notre problème avec l'amendement.
Le sénateur Beaudoin: Si en amendant l'article 41 de la façon proposée, on n'améliore rien, que faut-il faire? On ne peut pas faire plus.
M. Tyler: Oui. Vous pouvez, par exemple, donner un recours à des organismes comme le nôtre dans le cas d'une violation de la partie VI de la loi, parce que la loi, telle qu'elle est, ne propose aucun remède pour une violation de la partie VI de la loi, même à la commissaire, sauf de s'adresser au gouvernement et d'écrire des rapports. On a eu des rapports dans le passé. Cela suffit. On a besoin de la possibilité de s'adresser à la cour pour une violation de la partie VI de la loi. Voilà un amendement pratique. L'autre amendement que nous avons proposé tantôt est la présomption. Ce sont des amendements pratiques qui vont avoir un effet sur le terrain au bénéfice des deux communautés.
Le sénateur Beaudoin: Quel serait le remède? Est-ce sur le plan législatif?
M. Tyler: Oui. Cela prendrait un amendement législatif à l'article 77 de la loi pour permettre à une partie qui a déposé une plainte et qui a reçu un rapport de s'adresser ensuite à la Cour fédérale pour avoir un remède efficace. Cela veut dire des ordonnances comme celles mentionnées dans les conclusions du rapport de la commissaire que j'ai cité tantôt.
[Traduction]
La présidente: Monsieur Tyler, avant que vous ne poursuiviez, je devrais peut-être préciser ce que notre comité peut faire et ne pas faire. Le projet de loi S-32 du sénateur Gauthier ne traite pas de la partie VI de la loi.
M. Tyler: C'est le problème.
La présidente: Effectivement, si bien que nous ne pouvons pas approfondir d'autres parties. Nous ne pouvons pas dépasser le cadre de ce projet de loi. C'est ce que le sénateur Beaudoin voulait dire.
M. Tyler: Je le comprends, mais d'après moi, si vous envisagez des modifications qui auront un effet, d'après nous, utile, je crois qu'il s'agit ici d'un exemple de modification qui, à notre avis, serait plus utile que celui que vous examinez.
Le sénateur Beaudoin: Madame la présidente, je ne m'opposerai pas à une autre modification, si nécessaire. Si, après votre témoignage, nous concluons que nous devrions modifier une autre partie de la loi, je serais certainement en faveur.
La présidente: Poursuivez, monsieur Tyler.
M. Tyler: Je n'ai rien d'autre à dire en réponse au sénateur Beaudoin. J'ai essayé de répondre complètement à sa question.
Le sénateur Moore: Nous célébrons aujourd'hui le 20e anniversaire de la Charte des droits et libertés et l'histoire de M. Greer me paraît tout à fait incroyable.
M. Tyler: C'est notre sentiment également.
Le sénateur Moore: Je ne peux tout simplement pas croire ce que j'entends.
Je trouve également que la proposition de Patrimoine canadien au sujet de votre demande de financement est incroyable. Pourriez-vous répéter la phrase que l'on vous a demandé de retirer de votre demande?
M. Tyler: Avec plaisir. Cette phrase se trouvait dans notre demande initiale au moment où elle a été présentée avant la date limite de décembre 2001:
Évaluer, par le biais de recherches, l'application de la Loi sur les langues officielles, afin de s'assurer du respect des règlements par les institutions fédérales.
Après avoir présenté notre demande de financement, des employés du ministère Patrimoine canadien nous ont dit de supprimer cette phrase de notre demande, ce que nous avons fait.
Le sénateur Moore: Cette phrase figurait-elle dans vos demandes précédentes?
M. Tyler: Notre rôle a toujours été de s'assurer que les institutions fédérales dans la province du Québec respectent leurs obligations en vertu de la Loi sur les langues officielles. Nous avons été très surpris par une telle demande.
Le sénateur Moore: Ce n'est pas ce que je vous ai demandé. Je veux savoir si cette phrase figurait dans votre demande l'année précédente, l'année avant celle-ci, et cetera?
M. Tyler: Il faut que je vous parle d'un nouveau paradigme dans le domaine du financement — la gestion fondée sur les résultats. Par conséquent, notre demande de financement a été complètement remaniée. Je peux vous affirmer que nous avons en fait reçu des fonds pour cette activité dans le passé.
Le sénateur Moore: Vous avez reçu des fonds pour cette activité?
M. Tyler: Exactement.
Le sénateur Moore: Qui vous a dit de retirer cette phrase? Je veux que des noms et des pièces de correspondance soient déposés.
M. Tyler: Je peux vous dire que Beverley Caplan, du bureau montréalais du ministère du Patrimoine canadien, a parlé à Lynn Roy, notre directrice des communications, et a indiqué à Lynn de retirer cette phrase de notre demande.
Le sénateur Moore: Était-il sous-entendu que si vous ne le faisiez pas, vous n'obtiendriez pas le financement demandé?
M. Tyler: Vous ne savez probablement pas que nous sommes le seul groupe de la province du Québec qui a vu son financement touché non seulement une fois, non seulement deux fois, mais trois fois.
Le sénateur Moore: Et cela est le fait de Patrimoine canadien?
M. Tyler: Oui. Par conséquent, nous ne voulions pas que notre financement soit encore réduit, si bien que nous avons retiré cette phrase lorsqu'on nous l'a demandé.
Le sénateur Moore: Vous l'avez retirée. Votre demande a-t-elle été accordée?
M. Tyler: On ne nous en a pas encore informé. Notre exercice a commencé le 1er avril et nous n'avons pas encore reçu d'approbation de notre demande de financement, même si l'exercice a déjà commencé.
Le sénateur Moore: Dans le passé, quand avez-vous reçu une réponse à votre demande? Était-ce avant le début de l'exercice suivant?
M. Tyler: Dans le passé, cela a toujours été un problème. Parfois cela est arrivé pas avant le mois de juin. Une association régionale dans la province du Québec, la CASA, a dû, l'année dernière, fermer ses portes pendant deux mois à cause du retard.
Le sénateur Moore: Que se passe-t-il exactement? Essaie-t-on de vous faire disparaître?
M. Tyler: Il ne serait pas honnête de spéculer. Je peux vous dire que nous sommes le seul groupe dont le financement ait été réduit — pas seulement une ou deux fois, mais trois fois. Nous sommes le seul groupe qui fait de la revendication à propos de questions liées à la communauté anglophone, nous sommes le seul groupe à saisir les tribunaux. Par exemple, lorsque le gouvernement québécois n'a pas mis en oeuvre les plans d'accès aux soins de santé conformément à ses obligations statutaires, c'est Alliance Québec qui a saisi les tribunaux de la question. Bien sûr, le gouvernement québécois a adopté tous les plans avant que les audiences ne débutent.
Nous jouons le rôle de groupe de revendication lorsque les intérêts touchant l'ensemble de la communauté anglophone sont en jeu. Toutefois, nous ne sommes qu'une association régionale parmi tant d'autres. Nous sommes la plus importante, 80 p. 100 de la population anglophone se trouve sur notre territoire.
Le sénateur Moore: On vous a dit de retirer cette phrase, mais cela fait toujours partie de votre mission, que vous entendez mener, j'imagine.
M. Tyler: Le fait que je sois présent aujourd'hui, par exemple — M. Labbé est un bénévole — et que nous avons des frais, nous oblige, à notre époque de diligence raisonnable, à indiquer à la fin de l'année que nous avons dépensé les fonds comme nous l'avions dit. Si cela ne figure pas dans notre demande de financement, nous devons alors trouver l'argent pour payer pour notre comparution d'aujourd'hui ailleurs, en faisant par exemple appel à nos membres et au secteur privé.
Le sénateur Moore: Même si cet énoncé de mission a été retiré de votre demande, vous avez toujours l'intention de poursuivre votre mission, n'est-ce pas?
M. Tyler: Absolument. Nous allons simplement trouver une autre façon de la financer. Nous devons poursuivre.
Le sénateur Moore: Vous a-t-on dit que si vous faites quoi que ce soit pour assurer l'application de la Loi sur les langues officielles, si vous menez une activité dans cette veine, que tout financement nécessaire pour cette activité sera supprimé?
M. Tyler: Comme on ne nous donne pas de financement pour cette activité, on nous a demandé de la retirer.
Le sénateur Moore: Toutefois, vous supportez des dépenses en étant présent ici aujourd'hui.
M. Tyler: C'est exact.
Le sénateur Moore: Je crois que cela se rapporte probablement à l'énoncé que l'on vous a demandé de retirer.
M. Tyler: Je répondrais que c'est clairement le cas.
Le sénateur Moore: C'est bien mon impression.
Vous faites une demande de financement. Au bout de l'année, vous présentez un rapport de vos activités.
M. Tyler: Tous les trimestres, on nous demande de faire preuve de diligence raisonnable; en d'autres termes, nous devons montrer à Patrimoine canadien que nous avons dépensé les fonds pour les activités que nous avons déclarées.
Le sénateur Moore: Si vous indiquez dans votre rapport trimestriel que vous témoignez ici dans le cadre de cette activité et que vous supportez certaines dépenses, ai-je raison de dire que ces dépenses ne seraient pas remboursées?
M. Tyler: Nous devrons trouver du financement privé pour ces dépenses. C'est exact. C'est ce que je dis.
Le sénateur Moore: C'est incroyable, dans notre pays et à notre époque.
M. Tyler: Nous nous ferons un plaisir de le documenter.
Le sénateur Moore: J'en ai assez entendu.
La présidente: Sénateur Moore, je soulignerais que notre comité rembourse les dépenses des témoins qui comparaissent devant lui, mais à raison d'un représentant par groupe.
Le sénateur Moore: Là n'est pas la question, mais je vous remercie de cette observation.
Le sénateur Gauthier: Le Quebec Community Group Network...
[Français]
Le sénateur Gauthier: Vous connaissez le Quebec Community Group Network?
M. Tyler: Très bien.
Le sénateur Gauthier: Vous êtes membre de cette organisation?
M. Tyler: Nous sommes membres, comme tous les membres qui reçoivent de l'argent de Patrimoine Canada.
Le sénateur Gauthier: Est-ce l'organisation «parapluie» des anglophones au Québec?
M. Tyler: On prétend que chez Alliance Québec, c'est le président qui est porte-parole, en ce qui a trait aux subventions. Il n'y a personne d'autre qui peut parler pour les membres d'Alliance Québec, sauf le président ou une personne désignée par notre conseil d'administration. Quand M. Maynard est venu vous voir à titre de président du Quebec Community Group Network, il ne parlait certainement pas pour nous.
Le sénateur Gauthier: Parlait-il au nom du Quebec Community Group Network?
M. Tyler: Il n'a pas de mandat de notre part. Il a le mandat d'aller négocier avec Patrimoine Canada pour des subventions, mais il n'a certainement pas le mandat de parler en notre nom.
[Traduction]
La modification que je propose à la Loi sur les langues officielles par le biais du projet de loi S-32 est appuyée par M. Maynard. Ne l'appuyez-vous pas?
M. Tyler: Si, c'est un pas dans la bonne direction.
Le sénateur Gauthier: Vous avez dit pour commencer qu'elle était inefficace. Que voulez-vous dire par cela?
M. Tyler: C'est un pas dans la bonne direction. Je conviens avec le sénateur Beaudoin qu'elle va dans la direction d'une affirmation exécutoire plutôt que purement déclaratoire. Ce n'est pas une critique de ma part. Nous sommes un groupe de pression et nous faisons des revendications, l'une d'elles étant que, selon nous, d'autres modifications seraient plus efficaces pour aider les membres des minorités de langues officielles sur le terrain.
Le sénateur Gauthier: Je crois que nous sommes tous d'accord avec vous pour dire que ce n'est pas un projet de loi parfait. Il aurait pu être un projet omnibus. Si nous modifions la loi pour englober la partie VII, la partie VI, dans...
[Français]
C'était pour rendre cela plus judiciable. La critique que j'ai entendue de certains témoins, pas de vous ni de M. Maynard, est que cela augmenterait la judiciarisation. Savez-vous ce que je veux dire?
M. Tyler: Très bien. C'était la crainte que le sénateur Rivest a exprimée.
Le sénateur Gauthier: Depuis 1997, l'article 15 de la Charte traitant de l'égalité a pris effet. Il y a eu 2 500 causes dans les dernières années reliées aux articles 15, 15(1) et 15(2). Il y a eu environ une vingtaine de causes reliées l'article 23 en ce qui concerne l'éducation, mais vous ne voulez pas toucher à cela.
M. Tyler: Pas devant vous.
Le sénateur Gauthier: Il y a eu environ une dizaine de causes reéiées à l'article 16, mais aucune concernant l'article 41 parce que ce n'est pas judiciable. Je suis d'accord avec vous. La partie VI n'est pas judiciable. À présent, si vous utilisez les services de la commissaire aux langues officielles, vous ne pouvez pas aller devant les tribunaux avec cela, mais vous pouvez aller devant la Cour fédérale, parce que l'article 18 de la Cour fédérale le permet.
[Traduction]
Il faut beaucoup d'argent et de bons avocats. Aucun de nous, que ce soit vous ou nous — lorsque je dis «nous», je veux parler de la minorité anglophone du Québec — a les moyens de procéder de la sorte. Ce serait trop coûteux.
M. Tyler: Je suis d'accord.
Le sénateur Gauthier: Ma proposition vise essentiellement à rendre la Loi sur les langues officielles exécutoire en ce qui a trait à sa politique. La partie VII établit la politique du gouvernement, son engagement, et la partie VI et la partie VII ont le même libellé, ou pratiquement le même.
M. Tyler: Effectivement.
Le sénateur Gauthier: À la partie VI, on peut lire ce qui suit: «Le gouvernement fédéral s'engage à veiller...»; et à la partie VII: «Le gouvernement fédéral s'engage à...»
Il s'engage à beaucoup de choses, sauf qu'il omet de respecter cet engagement, à mon avis. Ce que je cherche à ajouter ici, c'est: «vous devez remplir cette obligation.»
J'étais ici en 1988, lorsque la loi a été modifiée et la nouvelle loi présentée. J'ai entendu le ministre responsable de cette loi me dire clairement dans les deux langues officielles...
[Français]
La loi crée des obligations pour le gouvernement. J'avais cru que l'interprétation était justifiée, mais ce n'était pas le cas. Quelques semaines après, le ministre de la Justice est venu témoigner devant un comité du Sénat et il a dit que l'article 41 de la partie VII ne crée pas d'obligations dans le sens que vous le comprenez. C'est un engagement du fédéral, mais il est plutôt déclaratoire qu'exécutoire. C'est ce qu'il a dit.
Depuis ce temps, tous les ministres de la justice ont répété cette même proposition. J'ai fait ce que j'ai pu. Je suis allé devant les tribunaux au niveau fédéral et à la Cour suprême. On ne m'a pas entendu. Je me suis fait débouter aux deux endroits. Je me suis dit que s'il n'y avait pas moyen de faire interpréter la loi de façon généreuse et exécutoire, on devait chercher une solution politique. J'ai apporté un amendement très simple. Le libellé n'est pas tellement différent de l'original. Je ne fais que le rendre un peu plus clair et explicite. Le gouvernement a des obligations sérieuses. J'ai mal compris lorsque vous avez dit que c'était inefficace. Je vais peut-être prendre en compte vos avis pour améliorer ou bonifier le projet de loi.
[Traduction]
Peut-être, avec votre aide, pouvons-nous l'améliorer, mais je ne peux le faire seul.
[Français]
M. Tyler: C'est pour cette raison que nous sommes ici. Je ne voulais pas vous donner l'impression que nous n'étions pas d'accord à 100 p. 100 avec l'esprit qui vous motive et la raison pour laquelle vous avez décidé d'aller de l'avant avec cet amendement. L'intention est tout à fait louable et nous allons vous appuyer à 100 p. 100. On voulait quand même de vous faire part de quelques observations et de d'autres possibilités d'amendements.
Le sénateur Gauthier: Monsieur Tyler, si vous voulez parler de représentation équitable, je peux vous en parler. J'ai été impliqué dans le dossier pendant des années. Dans l'Ouest, on a des problèmes de représentation équitable, avec moins de 1 p. 100 des Canadiens d'expression française dans la fonction publique. On a des problèmes au Québec. Cela fait des années que je le répète, mais sans aucun résultat tangible. On a des problèmes de représentation équitable à travers tout le pays à l'heure actuelle. En Ontario, c'est la même chose, à l'exception de la capitale nationale. La situation à Montréal est épouvantable. Vous avez mentionné 5 p. 100 tout à l'heure. Je crois que c'est moins que cela en ce qui a trait à la représentation des anglophones dans cette région.
M. Tyler: Je cite tout simplement le rapport de la commissaire où elle parle de 5 p. 100 dans les départements et non dans l'ensemble des institutions fédérales.
Le sénateur Gauthier: Ce sont des chiffres qui peuvent être obtenus du Conseil du Trésor quand on le veut. Nous pouvons vous en envoyer une copie demain matin.
M. Tyler: Je présume que la commissaire a accès aux mêmes documents.
Le sénateur Gauthier: Oui, mais elle est toujours un an en retard, et vous, c'est pour demain.
[Traduction]
Nous avons exprimé des préoccupations au sujet de la sous- représentation globale des anglophones dans les ministères et organismes fédéraux au Québec, puisqu'ils représentent actuellement environ 5 p. 100 des fonctionnaires.
[Français]
C'est à la page 19 de son rapport.
[Traduction]
Le sénateur Gauthier: Je le comprends et je vous comprends. Tout ce que je dis, c'est que vous le présentez hors contexte. La présidente vous a dit clairement que nous ne pouvons pas commencer à débattre de la partie VI et de ses lacunes à propos de la représentation équitable. Nous parlons de la partie VII et de l'article 41. Je suis un parlementaire ordinaire et je ne peux pas présenter un projet de loi global, complet. Je ne suis pas le gouvernement. J'espère qu'avec vos observations et celles d'autres témoins, le gouvernement comprendra et présentera une modification qui reflétera non seulement vos observations, mais aussi celles faites par d'autres dans cette salle. C'est ce que j'espère.
M. Tyler: Il s'agit, nous le présumons, de l'objet du processus.
La présidente: Merci, sénateur Gauthier.
Le sénateur Joyal: Bienvenue, monsieur Tyler. Veuillez m'excuser de ne pas avoir assisté à la première partie de votre exposé. Je prenais part aux débats sur le vingtième anniversaire de la Charte.
J'ai eu l'occasion de lire des rapports des diverses initiatives que vous avez entreprises, personnellement ou au nom de groupes, à propos des droits linguistiques au Québec. À combien d'affaires judiciaires êtes-vous partie actuellement?
M. Tyler: Je dois les répartir en plusieurs secteurs. Je peux vous dire que nous avons sept causes en instance devant la Cour d'appel du Québec, qui traitent de la question de l'éducation. Nous avons une requête en autorisation d'appel présentée à la Cour suprême au sujet de la question de l'affichage commercial, de l'affichage extérieur. Nous avons des affaires relatives à des sites Web. Dans la province du Québec, la Charte de la langue française impose l'utilisation du français sur le Web. Une décision sera rendue le 23 mai prochain. Je suis sûr que j'en oublie quelques-unes.
Nous avons plusieurs affaires en cours comme celles relatives aux dispositions de la Charte de la langue française sur la langue du travail. Nous représentons un groupe de parents francophones, huit familles regroupant 20 enfants, qui souhaitent avoir accès à l'école anglaise, non pas en vertu de la Charte canadienne, mais en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Il s'agit d'un aperçu plus ou moins rapide de nos affaires.
Le sénateur Joyal: Si je comprends bien d'après cette liste, la plupart de ces affaires traitent de la législation provinciale et non de la législation fédérale.
M. Tyler: C'est exact et c'est la raison pour laquelle, dans mon introduction, j'ai dit que je souhaitais me concentrer sur des domaines de compétence fédérale, la Loi sur les langues officielles en particulier, parce que c'est ce que vise la modification proposée par le sénateur Gauthier.
Le sénateur Joyal: Je le comprends. Avez-vous déjà dans le passé saisi les tribunaux au sujet de la Loi sur les langues officielles ou de l'article 16 de la Charte canadienne à propos du gouvernement fédéral? Je mets de côté l'article 23.
M. Tylor: Bien sûr. Nous soulevons toujours la question de la dualité linguistique dans nos affaires. Je citerais l'exemple du commerce dénommé «The Lion and the Walrus» à Knowlton, région où le pourcentage de la population anglophone correspond à celui de la population francophone. Comme vous le savez, la loi au Québec prévoit une prédominance marquée si bien que l'affichage en français doit être deux fois plus gros que l'affichage de toutes les autres langues combinées.
C'est frustrant parce que, presque toujours, nous avons présenté des demandes de financement au Programme de contestations judiciaires et, à l'exception de litiges portant sur l'article 3 et l'accès aux écoles anglaises, nous avons systématiquement essuyé un refus du Programme de contestations judiciaires.
Le sénateur Joyal: Si je comprends bien, vos présumés droits sont prévus par la Charte et non pas par la Loi sur les langues officielles?
M. Tyler: Oui. Je connais bien la jurisprudence et l'incroyable pas vers l'avant qu'a fait la Cour suprême lorsqu'elle a répudié l'interprétation auparavant restrictive des droits linguistiques et a dit que ces droits, dans tous les cas, doivent être interprétés et appliqués de manière à favoriser le développement et la vitalité des minorités de langue officielle.
Le sénateur Joyal: À propos de cette loi, comme l'a mentionné le président, le Sénat nous a attribué une compétence qui se rapporte spécifiquement à l'article 41, que le sénateur Gauthier cherche à modifier. Selon votre évaluation de la loi, quels en sont les points faibles essentiels qui ont une incidence sur votre pratique, quotidiennement? Elle a été adoptée, comme l'a dit le sénateur Gauthier, en 1987, mais si on va jusqu'en 1969, dans vos activités quotidiennes d'application de la loi, quel changement est, à votre avis, prioritaire? Autrement dit, dans le contexte des diverses dispositions de cette loi, si, comme l'a mentionné le sénateur Gauthier, le gouvernement était favorable à la perspective d'une réévaluation de la loi après tant d'années d'application, quels sont les éléments essentiels qui devraient être réexaminés?
M. Tyler: J'en ai cité deux lorsque vous n'étiez pas là, mais puisque vous me posez la question, je peux les répéter. Il devrait y avoir un recours pour une infraction à la Partie VI de la loi qui se rapporte à la participation du gouvernement fédéral. Actuellement, tout ce que la commissaire peut faire elle-même, c'est présenter un rapport au Conseil du Trésor, au gouverneur en conseil et au Parlement. Elle ne peut même pas, elle-même, s'adresser au tribunal fédéral. Il faut qu'il y ait un recours.
Les statistiques qu'a compilées le Bureau du commissaire des langues officielles montrent que le pourcentage d'anglophone était, selon ses termes, «regrettable» en 1987 et, 15 ans plus tard, la situation est encore pire.
Si le gouvernement fédéral, des plus hautes sphères aux plus basses, ne fait pas preuve de volonté politique et ne fait rien à ce sujet, alors, en prévoyant une mesure de recours pour les gens comme Alan Greer et les organisations comme la nôtre, nous pourrions au moins nous adresser à des tribunaux. Nous pourrions prendre les obligations prévues à la partie VI et demander au tribunal fédéral de les définir et d'imposer des programmes d'action positive selon les besoins, comme le propose la commissaire dans son rapport relativement à la plainte d'Alliance Québec. D'après elle, d'ici à une date spécifique, il faut formuler un plan d'action triennal avec des indicateurs mesurables et des délais rigoureux pour accroître la participation des anglophones à tous les niveaux de l'organisation de la région de Montréal pour la période de 2002 à 2005.
Si je pouvais aller devant le Tribunal fédéral et dire: «Monsieur le juge, c'est ce qu'elle a conclu. Ordonnez à la Société canadienne des postes de faire ceci», peut-être irions-nous quelque part. Cependant, actuellement, tout ce que peut faire la commissaire, c'est présenter un rapport, nous dire que l'enquête est en cours, et présenter d'autres rapports. Nous avons reçu de nombreux rapports. Très franchement, nous pensons qu'il est grand temps d'agir et d'apporter des changements sur le terrain, parce que, si vous regardez les tendances, la situation ne fera que s'aggraver.
Le sénateur Joyal: Puisque vous avez si souvent été pétitionnaire au Canada, dans le sens le plus large, aux niveaux provincial et fédéral, que diriez-vous de la conclusion de la Cour suprême, selon laquelle les francophones du Canada sont en minorité et que le tribunal reconnaît que cela pourrait justifier des initiatives contraires aux principes d'une «société libre et démocratique»? Bien entendu, la Loi sur l'affichage est un exemple de ce genre d'initiative et la Cour suprême s'est prononcée sur le sujet auparavant, comme vous le savez. Comment envisagez-vous le moyen d'équilibrer tout ceci et ce qui, dirais-je, s'applique mutatis mutandis à la communauté anglophone du Québec? Comment définiriez- vous le point de vue du tribunal sur le sujet?
M. Tyler: Il y a une chose qu'il ne me semble pas que la Cour suprême ait dit. Dans l'affaire Lyon and the Walrus, la Cour suprême actuelle aurait, si elle décide de nous entendre, l'occasion de clarifier ce qu'elle a voulu dire en 1988 lorsqu'elle a parlé de cet éventail de possibilités entre la prédominance marquée et les points de vue communs. Cette référence à la prédominance marquée a été une remarque incidente. Elle ne s'intégrait pas au raisonnement du tribunal. Il en a beaucoup été question, et je pourrais passer trois heures à vous répondre, mais j'essaierai d'être bref.
Si, de fait, l'interprétation qui est faite ce qu'a dit la Cour suprême en 1988 est que les droits prévus dans la Charte des Canadiens qui vivent au Québec peuvent être limités dans une plus large mesure que ceux des Canadiens qui vivent ailleurs, alors, cette décision doit être répudiée parce qu'elle n'est pas conforme à nos obligations découlant des traités.
Nous avons présenté des preuves devant le tribunal. Pas un seul pays démocratique libéral du globe qui ait nos obligations découlant des traités et enchâssées dans la Charte des droits n'exige que la langue officielle ou nationale prenne deux fois plus de place que toutes les autres langues mises ensemble. C'est absurde, ridicule et humiliant pour nous tous, à mon avis. Il y aurait une solution simple, qui répondrait aux besoins de la vaste majorité des Québécois, et ce serait d'exiger le français sur les affiches extérieures, par respect pour le visage linguistique, mais de permettre des affiches de dimensions égales en d'autres langues. Autrement, nous nous retrouverons dans une situation ridicule. Montréal aura le seul Chinatown de la planète qui ne soit pas chinois.
Il y a un moyen de justifier le fait que nous avons effectivement, au Québec, la seule administration publique du continent avec une majorité francophone. Elle représente 2 p. 100 de la population du continent dans son ensemble et nous aurons toujours besoin de lois sur les langues au Québec.
Ceci étant dit, la question qui se pose est la suivante: quel genre de loi nous faut-il? Il y a des solutions qui sautent aux yeux. Je viens d'en citer une, au sujet de l'affichage.
En ce qui concerne les écoles, nous devrions exiger la citoyenneté. Autrement dit, un immigrant qui vient à Montréal ou n'importe où ailleurs au Québec, qui veut immigrer au pays, et au Québec en particulier, conscient des règles, jusqu'à ce que les enfants aient le statut d'immigrant reçu, devra les envoyer à l'école française. Une fois qu'ils sont immigrants reçus, n'est-ce pas la marque d'un pays libéral et démocratique que de traiter tous ses citoyens sur le même pied et de leur accorder les même droits et leur imposer les même obligations et devoirs? Pourtant, au Québec, nous semblons avoir permis, dans notre discours intellectuel, que le Québec soit différent en quelque sorte, et j'ai eu des juges...
Le sénateur Rivest: Distinct.
M. Tyler: Je pense avoir entendu ce terme. Cependant, la distinction et la particularité ne peuvent excuser la violation des droits de la personne. Vous ne pouvez pas vivre au Québec aussi longtemps que j'y ai vécu — j'y ai vécu toute ma vie, à l'exception de quelques années — sans comprendre que le Québec est différent des autres provinces, mais cela ne signifie pas que la Charte canadienne des droits y ait un sens différent; autrement, nous avons des droits, comme dans La ferme des animaux de George Orwell, qui font que certains Canadiens jouissent de tous leurs droits prévus par la Charte et d'une protection égale, mais parce que nous sommes des Canadiens anglophones au Québec, Gwen Simpson et Wally Hoffman peuvent être poursuivis pour avoir posé une affiche dans les deux langues officielles du Canada. À mon avis, c'est humiliant pour tous les Canadiens. Il est temps de changer cela.
La sénatrice Fraser: Il y a deux domaines que j'aimerais explorer avec vous. Quelle proportion du financement total des groupes anglophones au Québec — et par «total», j'englobe les autorisations spéciales ministérielles — va à Alliance Québec?
M. Tyler: Je voudrais m'assurer de bien comprendre votre question.
La sénatrice Fraser: Je parle de tout l'argent que verse le gouvernement fédéral aux groupes anglophones de toutes sortes.
M. Tyler: Je ne peux vous répondre que d'après l'enveloppe que nous recevons dans le contexte des programmes visant les minorités de langue officielle.
Nous avons reçu l'année dernière — nous ne savons pas ce que ce sera cette année — 634 000 $. L'enveloppe du Quebec Community Group Network est, je crois, de 2,5 millions de dollars, mais je peux le vérifier pour m'assurer de ne pas vous induire en erreur. C'est ce qu'il me semble.
La sénatrice Fraser: Est-ce que vos 634 000 $ viennent de cette enveloppe?
M. Tyler: Oui.
La sénatrice Fraser: Avez-vous reçu une subvention supplémentaire?
M. Tyler: Non, pas pour cet exercice-ci. L'année dernière, l'ancien président, après une autre coupure du budget, a pu négocier 300 000 $ pour un projet distinct et non récurrent. Nous avions dû absorber une perte de 300 000 $ dans les 12 derniers mois de notre exercice financier se terminant le 31 mars.
La sénatrice Fraser: L'adhésion à Alliance Québec est compliquée. Combien de membres cotisants avez-vous?
M. Tyler: Au moment où nous parlons, et c'est la période la plus mouvementée pour nous, nous avons des réunions annuelles générales de toutes nos sections régionales, et cela favorise une montée en flèche du nombre de nos membres. Cependant, lorsque j'ai été élu président intérimaire, en août, nous avions 2 400 membres.
La sénatrice Fraser: Comment cela se compare-t-il à la situation d'il y a cinq ans?
M. Tyler: Il y a cinq ans, ç'aurait été à peu près la même chose, mais il y a une époque, l'époque bénie d'Alliance Québec, pendant les années 80, où nous avions quelque chose comme 18 000 ou 19 000 membres. Nous avions 25 employés et un budget de 2,5 millions de dollars. C'est à la même époque qu'Alliance Québec avait le statut de groupe de coordination, mais il a été supplanté par le Quebec Community Group Network.
La sénatrice Fraser: Avez-vous encore, en plus de vos membres à titre personnel, des groupes?
M. Tyler: Nous avons des alliances stratégiques et nous avons été forcés, en fait, par le contexte et par la préférence du ministère du Patrimoine du Canada, de financer le QCGN. Nous avons décidé de limiter notre liste des membres aux membres à titre personnel qui ont versé leurs cotisations, et c'est ainsi que nous ne sommes plus que 3 400. Depuis mon élection, il y a eu une hausse de 1 000 membres. Je m'attends tout à fait à en avoir entre 1 000 et 2 000 de plus d'ici un an.
La sénatrice Fraser: Les membres du groupe ont pris cette décision, ou Patrimoine Canada l'a prise pour vous, après qu'il y ait eu une espèce d'hémorragie de certains groupes.
M. Tyler: Exactement. Lorsque William Johnson a été élu, il y a trois ans, plusieurs groupes ont décidé qu'il était trop agressif — et je fais ici une paraphrase.
La sénatrice Fraser: Je suis sûr qu'il serait d'accord avec cela — une discussion sur le point de vue de ses détracteurs.
M. Tyler: Par conséquent, beaucoup de gens ont coupé leurs liens institutionnels avec nous. Nous avons décidé récemment de constitutionnaliser cela et d'en supprimer toute mention dans notre propre acte constitutif.
La sénatrice Fraser: Je vous remercie.
Je ne parlerai pas de ce projet de loi. Au contraire de certains, je ne vois aucun problème à constituer en loi les obligations prévues par la Loi sur les langues officielles et à prévoir un recours judiciaire. Je peux écouter sans mot dire tout argument frappant que l'on voudra présenter si c'est nécessaire. J'ai, cependant, exprimé à plusieurs témoins certaines préoccupations que j'ai sur la formulation précise de ce projet de loi tel qu'il est présenté.
M. Tyler: Oui.
La sénatrice Fraser: C'est surtout parce qu'il est explicitement lié à la Loi constitutionnelle. Ce qui m'inquiète surtout, c'est que vous dites, en fait, que c'est une entreprise ou un besoin constitutionnel. Vous poursuivez en disant que le gouvernement du Canada devrait prendre les mesures nécessaires pour assurer la vitalité et le développement des communautés de langue minoritaire. C'est une directive tellement générale au gouvernement qu'elle pourrait raisonnablement être interprétée dans le sens où elle préempte quasiment toute autre obligation du gouvernement en ce qui concerne les budgets.
Je ne connais pas par coeur les Statuts du Canada, mais je serais étonnée qu'il s'y trouve bien des directives de nature aussi générale — sans limite raisonnable et sans que cela puisse être l'objet de la discrétion du ministre.
Vous avez déjà plaidé de ces causes devant les tribunaux. N'y verriez-vous pas, dans ce cas-ci, une invitation massive?
M. Tyler: Je vois que l'amendement, tel que proposé par le sénateur Gauthier, obligerait les tribunaux à attribuer une acception qui vise le fond à ce que l'on entend par les mots «doit prendre les mesures nécessaires» parce que ce n'est pas défini dans la loi. Qui le fera? C'est nécessairement le rôle des tribunaux. Quel baromètre utiliseraient-ils? Comment décideraient-ils de ce qui est une mesure raisonnable et nécessaire?
La sénatrice Fraser: On ne dit pas «raisonnable et nécessaire», seulement «nécessaire».
M. Tyler: C'est vrai. J'ai dit avant votre arrivée que l'absence de précision est un problème potentiel, non seulement l'aspect que vous avez soulevé, mais, par exemple, comment un gouvernement responsable qui examine des contraintes budgétaires peut-il décider d'allouer les ressources? Cela pose aussi un problème pour la mécanique judiciaire. Quelles lignes directrices les tribunaux adopteront-ils pour essayer comprendre ce qui constitue la conformité à cette loi? C'est un texte de loi qui est proposé. Le manque de précision des termes utilisés soulève deux problèmes.
M. Labbé: Est-ce que je peux faire un commentaire?
La présidente: Honorables sénateurs, permettez-moi de vous présenter M. Jacques Labbé, président du Comité d'action politique.
M. Labbé: Si je peux utiliser l'exemple de la Société canadienne des postes, je pourrais peut-être imaginer le gouvernement du Canada dire à M. André Ouellette, qui se trouve à être un signataire de la Loi sur les langues officielles, qu'il a six mois pour mettre en oeuvre certains changements positifs dans la région métropolitaine de Montréal. S'il ne le fait pas, peut-être quelqu'un d'autre peut-il prendre la place du président de la Société canadienne des postes, qui mettra en oeuvre les changements nécessaires, sans qu'il soit nécessaire de recourir aux tribunaux.
La sénatrice Fraser: Est-ce que vous ne pensez pas, par exemple, que ce texte, tel qu'il est formulé, obligerait le gouvernement à agir? Par exemple, dans le cas d'une communauté anglophone en rapide déclin autour du Lac Saint- Jean, est-ce que le gouvernement ne se sent pas obligé de financer les services de garde et les foyers pour personnes âgées?
M. Tyler: Non. En fait, ce texte ne tiendrait pas le coup une seconde sous un examen judiciaire. Si c'était l'implication nécessaire et logique du texte, il serait radié. Je ne peux pas modifier la division des pouvoirs. Ça m'est impossible.
Le sénateur Moore: Je serais bref. Quel était le chiffre qui figurait sur votre demande au ministère du Patrimoine cette année?
M. Tyler: Je crois que notre budget total était de $880 000, et là-dessus, nous espérions recevoir $634 000. Peut-être puis-je expliquer ceci. Le ministère du Patrimoine prend une enveloppe budgétaire unique, la lance au milieu de la table et ensuite laisse les membres de QCGN se battre entre eux pour le partage du gâteau. Autrement dit, ces même gens avec qui nous sommes censés coopérer et travailler doivent se disputer avec nous. C'est pourquoi nous avons subi une perte. Nous sommes le plus grand groupe, et il n'est pas nécessaire d'être astrophysicien pour comprendre que le budget peut être divisé et distribué à d'autres groupes. C'est exactement ce qui est arrivé à trois reprises.
La présidente: Est-ce que vos pairs coupent votre budget?
M. Tyler: Nos pairs votent et font des recommandations, mais le patron, c'est le ministre du Patrimoine canadien. Elle peut dire n'importe quand: «Non, c'est inéquitable.» Nous le lui avons demandé mais elle ne l'a pas fait. Au lieu de cela, elle a agi sur une recommandation de ce groupe, qui nous était défavorable.
Le sénateur Moore: Avez-vous 3 400 membres maintenant?
M. Tyler: Oui.
Le sénateur Moore: Combien sont membres du Quebec Community Group Network?
M. Tyler: C'est une question complexe.
Le sénateur Moore: En faites-vous partie?
M. Tyler: Oui, nous sommes le plus grand groupe, avec 85 p. 100 de la population d'expression anglaise de nos territoires. Il y a six associations générales: l'Outaouais Alliance, qui englobe la vallée de l'Outaouais et le Pontiac; la Voice of English Quebec, la VEQ, qui est à Québec; les Townshippers, qui est un groupe des Cantons-de-l'Est; CASA, sur la côte de la Gaspésie; les Coasters des Îles-de-la-Madeleine; et il me manque le dernier.
Il y a aussi des groupes centraux comme les Quebec Farmers et les Quebec Young Farmers. Il est intéressant qu'Alliance Québec, qui a 11 divisions régionales, une commission des jeunes et 80 p. 100 de la population d'expression anglaise dans nos territoires, n'ait qu'une voix au QCGN, tandis que les Quebec Farmer et les Quebec Young Farmers ont chacun une voix.
Le sénateur Bryden: Avez-vous des jeunes, dans votre organisation?
M. Tyler: Oui, et pourtant notre organisation entière n'a qu'une seule voix. Nous envisageons le scénario suivant: si nous nous divisons en 11 groupes plus petits, nous aurions 11 voix. Quand on essaie de créer des coalitions et des organisations qui ont des intérêts communs, cela ne nous semble pas très sensé.
La sénatrice Fraser: À ce que je vois, 3 400 personnes ne représentent pas 80 p. 100 de la population anglophone du Québec, au cas où il y en ait qui ne connaissent pas les données démographiques.
M. Tyler: Je ne voulais vous donner cette impression.
La sénatrice Fraser: Ce que vous voulez dire, c'est que vous avez des membres de secteurs où vivent 80 p. 100 des anglophones du Québec.
M. Tyler: Ceux qui ne sont pas reconnus par Patrimoine Canada comme représentant la région métropolitaine de Montréal. Nous sommes ceux qui représentent la région métropolitaine de Montréal, l'Abitibi, le Saguenay, la région de St-Maurice et les hautes est les basses Laurentides.
Le sénateur Moore: Vous avez parlé de 634 000 $. Quel est votre budget total pour l'année?
M. Tyler: C'est 880 000 $.
Le sénateur Moore: Au total?
M. Tyler: La différence, pour ce qui est de notre budget — parce que nous ne savons pas combien nous allons recevoir — vient des cotisations et des dons du secteur privé. C'est ce que nous espérons avoir. Nous sommes très optimistes dans nos attentes de dons du secteur privé. En réalité, nous allons recueillir environ 80 000 $ à 90 000 $. Si le ministère du Patrimoine maintient ses chiffres, nous pensons avoir un budget d'exploitation de 720 000 $.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Male, monsieur Labbé et monsieur Tyler, d'être venus aujourd'hui.
Avant de partir, mesdames et messieurs, nous devons adopter un budget. Notre suggestion d'étude spéciale a été approuvée. Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a été autorisé à examiner un rapport sur la mise en oeuvre des dispositions d'examen réglementaire que prévoient certaines lois relativement à des questions juridiques et constitutionnelles. Nous devons présenter un rapport au plus tard le 20 décembre 2003.
Le comité de direction a proposé un budget de 2 000 $. Nous demandons l'approbation de ce comité pour adopter notre budget.
La sénatrice Fraser: Je propose de l'adopter.
La présidente: Tous ceux qui sont pour? C'est adopté.
Je vais le présenter au Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration.
La séance est levée.