Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 33 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 1er mai 2002
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, saisi du projet de loi S-41, Loi visant la réédiction de textes législatifs n'ayant été édictés que dans une langue officielle, se réunit aujourd'hui à 16 heures pour examiner ledit projet de loi.
Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, j'ouvre la séance pour que nous reprenions nos délibérations sur le projet de loi S-41.
Nous recevons cet après-midi M. Pierre Foucher. Vous avez la parole, monsieur Foucher.
[Français]
M. Pierre Foucher, professeur, faculté de droit, Université de Moncton: Honorables sénateurs, je suis heureux d'être ici avec vous pour discuter du projet de loi S-41. Grâce à Internet, ainsi qu'à l'efficacité de votre greffière, j'ai obtenu des transcriptions de vos premières réunions. Cela va me permettre de commencer en répondant à certaines préoccupations exprimées lors des réunions précédentes.
Premièrement, selon moi, l'article 133 n'exige pas que tous les règlements soient toujours publiés, même si le texte pourrait sembler vouloir dire cela. C'est bel et bien un droit linguistique qui s'interprète dans son contexte et, à mon avis, il signifie que si on doit publier un règlement, on doit le publier dans les deux langues officielles.
Deuxièmement, en common law stricte, il est possible d'être condamné pour une infraction à un règlement qui n'a pas été publié. La jurisprudence continue d'appliquer le principe que nul n'est censé ignorer la loi.
En droit fédéral, ce principe a été modifié par la Loi sur les textes réglementaires, de sorte que c'est la responsabilité de l'autorité réglementaire de prendre des moyens raisonnables pour communiquer la substance d'un règlement non publié à l'administré.
Si cela a été fait, une personne pourra être condamnée pour avoir violé un règlement non publié. Même si le texte de l'article 133 dit que les lois doivent être imprimées et publiées dans les deux langues, la Cour suprême a dit que le mot «loi» comprend les règlements et tout texte de nature législative. Aussi, «imprimées et publiées» comprend l'adoption.
Ceci dit, nous sommes devant un certain défi. Il y a peut-être des règlements — on ne sait pas combien, on ne sait pas lesquels, on ne sait pas depuis quand et peut-être qu'on ne pourra jamais le savoir — qui risquent d'être nuls, inconstitutionnels et inopérants parce qu'ils n'ont pas été édictés en français et en anglais.
Il est vrai qu'ils sont présumés valides tant qu'un tribunal ne les a pas annulés. Mais il suffirait d'un jugement général, comme celui du Manitoba en 1985 ou celui de la Saskatchewan, l'arrêt Mercure en 1987. Il suffirait donc d'un jugement pour prononcer l'invalidité de tous ces textes en même temps. Voilà, à mon avis, ce que ce projet de loi cherche à corriger. Il a donc deux objectifs principaux: respecter la dualité linguistique et préserver la primauté du droit.
Est-ce qu'une simple loi, par opposition à une modification de la Constitution, pourrait en effet corriger le problème? Je conclus que oui. Le Parlement souverain peut faire rétroagir ces lois. Il peut permettre que des règlements rétroagissent s'il le dit clairement. Le projet de loi est clair sur ce point.
De plus, nous avons des précédents. Le Québec a réadopté ces lois dans les deux langues en 1979; le Manitoba qui a dû réadopter toutes ses lois en bloc quand les traductions ont été terminées, à l'intérieur du délai de validité temporaire; les provinces de la Saskatchewan et de l'Alberta ont aussi été obligées de légiférer en bloc après l'arrêt Mercure, même si c'était pour une raison que je qualifierais de mauvaise, c'est-à-dire pour valider la version unilingue anglaise de leurs lois et enlever l'obligation qu'ils avaient de légiférer dans les deux langues. Le procédé me semble donc correct.
J'aborde maintenant la question des catégories de règlements. Pour les règlements qui sont déjà publiés dans les deux langues, je pense que l'article 3 du projet de loi règle le problème. Quant aux règlements qui sont publiés en anglais seulement ou qui ne sont pas publiés du tout, j'ai certaines réserves.
L'article 4 du projet de loi dit bien: «Le gouverneur en conseil peut» et «The Governor in council may». Or, l'exigence de bilinguisme est une obligation. On ne peut pas en laisser l'exécution à la discrétion du gouvernement.
Je proposerais donc de modifier l'article 4 pour en faire une obligation. Puisqu'il est peu réaliste ou raisonnable de rechercher tous ces textes, l'obligation serait imposée quand le gouvernement prend connaissance du fait que l'on vient de trouver un règlement non publié ou publié en anglais seulement et qui avait été adopté en anglais.
Toujours concernant cet article, j'ai une réserve au sujet des règlements qui sont exemptés de la publication, sous l'article 15(3) de la Loi sur les textes réglementaires. Le projet de loi S-41 dit que ces règlements n'auront pas à être publiés.
Il me semble que le public canadien a le droit de savoir, même pour les règlements exemptés de publication, qu'une version française est établie. Je proposerais donc qu'on demande que soit publié un avis dans la partie 1 de la Gazette du Canada stipulant qu'il existe maintenant une version française d'un règlement non publié.
Mon dernier point concerne la rétroactivité des infractions. La sauvegarde prévue dans le projet de loi sera suffisante si la substance du règlement a été communiquée à l'administré. À mon avis, il faudrait que ce soit fait dans la langue de l'administré. Si cela n'a pas été fait dans sa langue, je pense qu'on peut argumenter que la substance de l'infraction n'a pas été raisonnablement portée à la connaissance des administrés francophones. Le fait que l'accusé soit bilingue n'est pas un critère en droit linguistique. La Cour Suprême nous a dit, dans Beaulac, que même si M. Beaulac comprenait l'anglais, il avait droit à un procès en français. Cela n'a rien à voir avec la compréhension de l'accusé.
Je proposerai donc deux options de modification: soit que l'on dise que l'accusé sera toujours acquitté, si on ne lui a pas communiqué la substance de l'infraction dans sa langue ou, de manière plus modérée, qu'on invite la cour, dans un tel cas, à considérer si un acquittement s'imposait, compte tenu qu'un acquittement pourrait peut-être déconsidérer l'administration de la justice.
Dans cette deuxième hypothèse, cela signifie qu'un acquittement pourrait déconsidérer l'administration de la justice si on a une infraction sérieuse à un règlement sur l'environnement, par exemple, un cas de pollution sévère et ce, même si le règlement n'avait pas été publié ni édicté dans les deux langues, ni communiqué à l'accusé dans sa langue.
Le critère de déconsidération de l'administration de la justice, les tribunaux le connaissent bien, ils l'appliquent déjà en matière de charte. L'inclure dans le projet de loi leur donnerait une série de critères qu'ils connaissent et avec lesquels ils pourraient travailler.
Pour bonifier le projet de loi, je pense qu'une clause de sauvegarde des choses qui ont été accomplies en vertu des règlements inconstitutionnels pourrait être utile. J'ai proposé une telle clause et je me suis inspiré d'une clause semblable dans la loi de la Saskatchewan. Je propose que la loi entre en vigueur le jour de sa sanction et non pas à une date à être fixée par proclamation.
Je vous invite à adopter ce projet de loi. Il est vrai que cela semble vouloir couvrir des négligences passées du gouvernement fédéral dans le respect de ses obligations constitutionnelles, mais une réparation convenable et juste, dans ce cas, est la traduction et la réadoption des règlements. C'est ce que le projet de loi propose de faire. Cela va remettre le gouvernement fédéral sur le même pied que ceux du Manitoba et du Québec face à la même obligation constitutionnelle.
[Traduction]
La présidente: Merci, monsieur Foucher. Je crois savoir que vous avez des projets d'amendement précis à proposer, et on vient tout juste de me les remettre.
[Français]
Le sénateur Fraser: Pour les règlements non publiés, vous suggérez qu'il faut aviser le public que la version française est maintenant disponible dans la Gazette du Canada. Est-ce que la Gazette du Canada publie le fait qu'on a adopté un règlement qui n'est pas adopté? Cela fait-il partie de l'opération normale de la chose?
M. Foucher: Je ne suis pas au courant des détails de la chose. Je pense que non. Il faudrait vous informer auprès des gens compétents.
Le sénateur Fraser: La question de la nature des règlements qui ne sont habituellement pas publié, c'est une chose différente. Lorsqu'il s'agit de règlements de la Défense nationale et de la sécurité nationale, le fait de dire qu'on a adopté un tel règlement peut, dans un sens, faire une brèche dans la sécurité nationale.
M. Foucher: Cela peut alerter le public au fait qu'il y a en effet un règlement qui existe sur cette question. La substance d'un règlement est communiquée aux gens intéressés au moment où on l'adopte, même s'il n'est pas publié.
Le sénateur Fraser: Ce sont ceux qui lisent la Gazette du Canada. Je pensais que le but de l'article 4 était de dire que les règlements demeuraient en force, même si les exigences linguistiques n'étaient pas remplies. Par exemple, si j'ai enfreint à un règlement en 1972, je ne peux pas maintenant revenir en arrière et dire: redonnez-moi l'amende que j'ai dû payer parce que le règlement a été édicté dans une seule langue. Si on adopte votre proposition, cela voudrait dire que je pourrais revenir. Quand j'ai posé la question aux gens du ministère, j'ai demandé s'ils pensaient que le fait d'avoir publié dans une langue constituait une démarche raisonnable. Ils ont répondu que oui mais ils n'ont pas élaboré.
Étant donné qu'il s'agit du passé, c'est limité dans le temps et, depuis l'adoption de la Loi sur les langues officielles, on suppose que l'on est en règle. Il me semblait que c'était raisonnable. Pourquoi créer encore plus d'échappatoires pour les gens qui ont fait des choses qu'ils ne devaient pas faire?
M. Foucher: Pour deux raisons. Premièrement, on est devant un règlement qui est inconstitutionnel tant qu'il n'aura pas été traduit et réadopté, même s'il est présumé valide. Il y a quand même une infraction à la Constitution. Deuxièmement, il faut être conséquent avec l'esprit de l'égalité des langues officielles, qui est de placer les deux langues sur le même pied et donc d'imposer une conséquence au fait de ne pas avoir respecté cette obligation. Dans la mesure où, encore une fois, on parle de ne pas avoir communiqué la substance de cette infraction ou de ce règlement dans la langue de l'accusé, cela offre en effet une défense additionnelle dans l'esprit de l'égalité linguistique.
Le sénateur Fraser: C'est une question de priorité, finalement?
M. Foucher: Oui.
Le sénateur Fraser: Pouvez-vous nous expliquer le très long amendement sur l'article 7 avec un peu plus de détails?
M. Foucher: C'est ce que j'appelle la clause de sauvegarde. Ce n'est peut-être pas nécessaire — il faudrait peut-être que vous ayez plus de discussions avec les juristes du ministère de la Justice — parce qu'il y a des doctrines jurisprudentielles qui ont à peu près le même effet. Mais pour plus de sécurité pour les permis, les baux, les droits miniers, des choses qui auraient pu être accordées — on ne parle même plus d'infractions, on parle de décisions qui auraient été prises en vertu de cette catégorie de règlements — on dit simplement qu'ils sont valides et qu'on ne pourra pas remettre en question les décisions qui ont été prises en vertu de ces règlements.
Le sénateur Fraser: À partir de la nouvelle version?
M. Foucher: Oui, qui rétroagit. Ce n'est peut-être pas strictement nécessaire, mais je pense que cela apporte une précision.
Le sénateur Fraser: Cela ne pourrait pas nuire.
M. Foucher: Cela bonifierait.
Le sénateur Nolin: Monsieur Foucher, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. Merci pour le travail que vous avez fait. Je pense que cela nous aide à tenter de trouver une solution. Nous ne sommes pas ici pour tenter de prouver que le projet de loi est inefficace, mais plutôt pour le rendre efficace.
Premièrement, quant au fameux article 133, je vais tenter de paraphraser votre témoignage et vous me corrigerez si je fais erreur. Il n'y a aucune obligation d'imprimer et publier. Ce que nous dit l'article 133 au deuxième paragraphe, c'est que si on décide de publier ou qu'on doit publier, cela doit être fait dans les deux langues.
M. Foucher: Oui, c'est bien mon interprétation.
Le sénateur Nolin: Existe-t-il des décisions à cet effet? Si oui, de quels tribunaux proviennent-elles? Aussi, qui décide et en vertu de quels pouvoirs qu'on doit ou qu'on ne doit pas publier?
M. Foucher: Il est facile de répondre à votre première question. Non, il n'y a pas de décisions. La première décision sur l'article 133 visait des problèmes où il n'y avait pas eu adoption sur les langues officielles. Les jugements se sont donc concentrés sur le bilinguisme plutôt que sur l'obligation de publier. D'où viendrait une obligation de publier? C'est une vaste question. Pourrait-on la déduire d'un principe non écrit de la Constitution? Pour le moment, cela vient de la souveraineté du Parlement. Le règlement est une création du Parlement, c'est une délégation du pouvoir parlementaire. Le Parlement est souverain et peut décider d'obliger le gouvernement à publier ses règlements, certains de ses règlements, tous ses règlements ou pas tous ses règlements. À moins qu'on trouve, encore une fois, une disposition constitutionnelle qui créerait cette obligation, cela relève de la souveraineté du Parlement, puisque le règlement est subordonné au Parlement. Dans sa Loi sur les textes réglementaires, le Parlement a décidé que la plupart des textes seront publiés, mais que certains ne le seront pas.
Le sénateur Nolin: Suite à ce que vous avez dit, on doit lire le deuxième paragraphe de l'article 133 de la façon suivante: toutes les lois doivent être publiées et imprimées. Mais les règlements qui sont pris? Non?
M. Foucher: Non, la même chose pour les lois.
Le sénateur Nolin: Il y a des lois qui peuvent ne pas être publiées?
M. Foucher: Je pense que là, on pourrait remonter au principe non écrit de la démocratie qui a été avalisé par la Cour suprême dans le Renvoi sur la sécession pour dire que les lois doivent être publiées. Mais cela ne vient pas de l'article 133, c'est mon point. Cela vient d'une autre partie de la Constitution.
Le sénateur Nolin: Au sujet de votre clause de sauvegarde, a-t-elle déjà été utilisée?
M. Foucher: Je l'ai modelée — c'est peut-être la raison pour laquelle la rédaction est boiteuse — sur celle de la Saskatchewan.
Le sénateur Nolin: A-t-elle déjà été interprétée?
M. Foucher: Non.
Le sénateur Nolin: On présume donc qu'elle est bonne?
M. Foucher: Oui, on présume qu'elle couvre tous les cas. Encore une fois, elle n'est peut-être pas absolument nécessaire puisqu'il y a des doctrines de jurisprudence qui ont à peu près le même effet, mais c'est plus prudent. Cela donne plus de sécurité au projet de loi.
Le sénateur Nolin: Ma dernière question porte sur la rétroactivité. Vous êtes satisfait qu'en adoptant les amendements que vous nous proposez, nous serions respectueux des obligations de la Charte en matière de rétroactivité?
M. Foucher: Oui, je pense que ce que j'ai proposé pourrait être défendu comme une limite raisonnable dans une société démocratique au principe de non-rétroactivité des infractions.
[Traduction]
Le sénateur Andreychuk: Je voudrais continuer d'explorer cette question avec vous. Ce n'est évidemment pas mon domaine d'expertise en droit.
J'ai certaines préoccupations touchant l'aspect intérêt public. Le rôle du Parlement consiste à voter des lois au nom de la population. Je comprends très bien qu'il n'est pas nécessaire que tous les règlements soient publiés; mais à ce moment-là, ces exceptions seraient précisées dans la législation. Lorsqu'on adopte une loi, on précise ce qu'il est nécessaire de publier et ce qu'il n'est pas nécessaire de publier dans l'intérêt du public.
Supposons qu'un projet de loi indique qu'il y aura un règlement d'application; à ce moment-là, vous consultez la Loi sur les textes réglementaires, qui indique que les textes réglementaires seront publiés et que vos textes ne sont pas exempts de cette exigence de publication, serait-il normal qu'un projet de loi dise: «Si nous ne faisons pas ce que nous aurions dû faire, il n'y aura pas de problème»?
Qu'avez-vous voulu dire tout à l'heure en déclarant: «il est jugé valide mais peut ne pas être constitutionnel.» Je n'ai pas bien compris votre réponse à l'une des questions qu'on vous a posées.
Là nous ne traitons pas du cas survenu en Saskatchewan. En Saskatchewan, toutes les lois étaient jugées valides. Cependant, elles n'étaient pas dans les deux langues. Par conséquent, en Saskatchewan, ils ont déclaré que toutes les lois ayant déjà été adoptées seraient considérées comme valides, même si elles n'étaient pas rédigées en français; ainsi l'exigence du bilinguisme ne vise pas la situation en Saskatchewan.
À mon avis, le citoyen moyen avait très bien compris ça. En l'occurrence, nous sommes en train de dire: «Nous ne savons pas combien de lois sont en cause. Nous ne savons pas où elles se trouvent. La situation n'est pas vraiment très claire. Cependant, si nous trouvons A, B, ou C, nous les publierons conformément à la loi.» Est-ce un exemple de bonne gestion, à votre avis?
Voilà ce qui me préoccupe plus que vos observations en tant que telles.
Voilà les deux éléments qui me semblent très inquiétants. Je ne sais pas si vous avez l'expertise voulue pour répondre à mes questions ou non.
M. Foucher: Je vais faire de mon mieux, sénateur.
Pour répondre à votre première question, sénateur, strictement parlant, ces règlements sont jugés valides tant qu'un tribunal ne les a pas déclarés nuls et non avenus. Puisque nous abordons la question, je précise que nous savons que certaines catégories de règlements posent problème. Ces derniers pourraient effectivement être déclarés inconstitutionnels par un tribunal.
De plus, il pourrait y avoir une décision cadre déclarant que tous ces règlements sont nuls — comme ce fut le cas à l'Assemblée législative du Manitoba — étant donné que la Constitution n'a pas été respectée, et qu'ils resteront opérants de façon factice jusqu'à ce qu'on les ait traduits et réédictés. Cela pourrait se produire si quelqu'un découvrait un de ces règlements et décidait d'aller en justice. À mon avis, cette loi empêchera ce genre de choses.
Le point essentiel dans tout cela, c'est que nous prenons les mesures maintenant, avant qu'un tribunal nous l'impose. Si un tribunal nous ordonne de le faire, je présume que les règlements seraient jugés valides en attendant de les faire traduire et de les réédicter, comme ce fut le cas au Manitoba. Il s'agit ici de la même situation, et ce projet de loi empêchera que ce problème se pose.
Le sénateur Andreychuk: Donc, selon vous, ce projet de loi fera en sorte que la loi sera jugée valide, même si nous n'avons aucune garantie qu'elle sera jugée valide sur le plan constitutionnel et qu'il faudra une contestation devant les tribunaux sur la question du délai.
M. Foucher: Pas seulement sur la question du délai. Nous avons les versions françaises, donc il s'agit simplement de les réédicter pour régler le problème. Au Manitoba, ils n'avaient pas encore de versions françaises et ils ont donc dû attendre que les lois soient traduites.
Au Manitoba, la situation était la même; c'est le délai qui était différent. En fin de compte, le Manitoba a réédicté ses lois dans les deux langues et tout ce qui avait été fait était présumé être valide. Dans ce cas-ci, nous prenons cette même mesure avant qu'un tribunal nous l'ordonne.
S'agissant de vos préoccupations concernant l'aspect intérêt public, quelle est l'alternative? L'alternative consisterait simplement à s'exposer au risque que l'autorité de la loi soit peut-être menacée à certains égards. En 1992, il a justement été question d'un de ces règlements devant un tribunal et ce dernier a déclaré qu'étant donné que le décret avait été édicté en anglais seulement, l'accusation était inconstitutionnelle et devait être annulée. Ce risque existe toujours.
L'alternative consisterait à ne rien faire, plutôt que d'adopter ce projet de loi, et à courir donc un risque, aussi minime soit-il, que cette situation surgisse de nouveau. C'est certainement dans l'intérêt public, en ce sens que ce projet de loi permet de préserver la primauté du droit et d'empêcher ce problème de surgir systématiquement.
De plus, forcer le gouvernement à faire traduire des règlements qui n'ont pas été publiés dans les deux langues et qui sont portés à sa connaissance, c'est respecter le principe du bilinguisme officiel. Cette mesure amène donc le Canada à mieux respecter son obligation constitutionnelle.
Le sénateur Andreychuk: Là nous parlons de règlements. Votre opinion est-elle la même en ce qui concerne les projets de loi ou les lois?
M. Foucher: Je dirais que oui. Les tribunaux ont déclaré que les gouvernements concernés doivent réédicter les lois. Si les tribunaux n'avaient pas formulé ce jugement, et le gouvernement, se rendant compte qu'il avait un problème, décidait de son propre chef de les faire traduire et de les réédicter, ma réponse serait la même. La Cour suprême semblait nous dire que c'était la bonne procédure à suivre pour corriger la situation. D'ailleurs, c'est exactement ce qui s'est produit au Québec. La version anglaise existait déjà, alors il a suffi d'adopter une loi générale prévoyant que tout ce qui avait déjà été adopté en français était jugé réédicté dans les deux langues.
Au Manitoba, dès qu'ils ont fini de faire traduire toutes les lois, ils ont adopté un projet de loi général prévoyant leur réédiction. En Saskatchewan, ils l'ont fait uniquement pour la version anglaise. Ils ont éliminé l'exigence du bilinguisme et ils ont tout réédicté, déclarant que toutes les lois étaient valides.
Le sénateur Andreychuk: Si les règlements n'avaient été publiés ni en français ni en anglais, votre opinion serait-elle la même?
M. Foucher: Oui. S'ils doivent être publiés, il faut que ce soit dans les deux langues. S'il n'est pas nécessaire de les publier, il faut tout de même les réédicter dans les deux langues.
[Français]
Le sénateur Joyal: J'ai quatre questions que je vous poserai en un seul temps. Vous avez fait allusion à un point que nous avons abordé antérieurement à l'article 4, paragraphe (3)b):
[...] il est prouvé que des mesures raisonnables ont été prises pour que la substance du texte législatif qu'il remplace soit portée à la connaissance de cette personne avant la violation.
Si vous avez lu le compte rendu nos discussions, vous vous rappellerez de l'exemple d'un règlement se rapportant à l'industrie nucléaire que l'on portait à la connaissance de la personne. S'il était prouvé que la personne avait une connaissance de la substance du règlement, elle pouvait être susceptible de poursuites.
Vous avez soulevé le point — c'est contenu dans vos propositions d'amendements — que la substance du règlement doit être communiquée dans la langue de l'administré. J'avais cette préoccupation lorsque l'exemple nous a été donné. Pouvez-vous exprimer de manière plus élaborée les obligations qui ont été reconnues dans le jugement Beaulac sur cette question? Cela m'apparaît être un élément très important, dans la compréhension de l'article 3, pour pouvoir évaluer correctement la proposition que vous faites.
Deuxièmement, eu égard à l'article 4.(1), vous dites, et c'est le caractère gras de votre texte:
Lorsqu'il est porté à la connaissance du gouverneur en conseil [...]
L'article 4 ne parle pas de la connaissance comme telle. Si je comprends bien votre texte, il signifie qu'il faut poser un geste pour informer le gouvernement que ce règlement n'a pas été adopté ou publié dans les deux langues, alors que l'article 4 ne parle pas de la connaissance que doit avoir, en somme, le législateur — parce qu'on parle de législation déléguée, donc, en l'occurrence, le gouverneur en conseil. Est-ce que votre proposition n'est pas plus restrictive que le libellé de l'article 4? J'essaie de circonscrire la portée de l'article 4 quant à la proposition que vous nous faites.
Ma troisième question concerne le principe de la rétroactivité dans les textes législatifs. C'est un élément extrêmement important abordé dans la Charte. C'est ce à quoi, d'ailleurs, fait référence l'article 4(3) qui, évidemment, établit le principe que l'on connaît bien dans le droit en général.
Avez-vous, dans votre pratique de constitutionaliste, d'autres exemples de lois qui auraient un effet rétroactif comparable à celui que nous avons dans ce projet de loi?
Finalement, ma dernière question est au sujet de la publication. Vous avez lu nos débats sur cette question. Des règlements ont été adoptés et n'ont pas été publiés. Lorsqu'un règlement n'a pas été publié et qu'il doit l'être, il doit l'être dans les deux langues officielles. On est d'accord avec cela. Comment peut-on valider, avec un projet de loi qui a une portée essentiellement linguistique, une obligation de publication qui aurait été omise?
Le projet de loi fait deux choses. Premièrement, il vise à combler un manque linguistique. C'est ce que vous avez bien exprimé lorsque vous avez dit que le règlement est édicté dans les deux langues mais publié seulement dans une des deux langues, et on fait ensuite les permutations des hypothèses. Il reste que le projet de loi va valider les règlements qui devraient être publiés, mais qui ne l'ont pas été. Il s'agit d'une autre obligation: de corriger un autre élément de défaut, d'omission dans la loi. Je ne parle pas des règlements qui ne doivent pas être publiés selon la Loi sur les règlements statutaires. Certains règlements n'ont pas à être publiés pour être valides. Ici, on répond à un autre dépôt, un autre «vice», si je peux utiliser l'expression, qui existerait pour certains règlements qui devraient être publiés mais qui ne l'ont pas été, ni dans une langue ni dans l'autre. Le projet de loi vise à combler deux défauts dans la législation parlementaire.
M. Foucher: En réponse à votre première question, l'arrêt Beaulac a précisé ce que d'autres arrêts avaient déjà dit, c'est-à-dire que la question du bilinguisme officiel n'est pas reliée à la capacité linguistique de l'accusé. C'est totalement différent. Certains juges de cours provinciales ont souvent tendance à dire: — par exemple, lorsqu'un francophone se faire arrêter pour excès de vitesse sur les plaines de l'Ouest, ce qui semble arriver régulièrement si on se fie à la jurisprudence — «ce n'est pas grave, le conducteur comprenait l'anglais. Ce n'est pas grave que M. Beaulac n'a pas eu son procès en français. Il comprend l'anglais, il est capable de se défendre». La Cour suprême a été très claire dans l'arrêt Beaulac.
[Traduction]
C'est sans pertinence.
[Français]
Ce n'est pas une question de comprendre la langue ou pas, c'est une question d'égalité linguistique. L'objet de l'égalité linguistique est différent de la mens rea de l'accusé, de sa compréhension ou de son avertissement. Je recentre le projet sur l'égalité linguistique plutôt que sur la connaissance effective de l'accusé. Ceci dit, cela cause effectivement un problème si on a un règlement sur l'industrie nucléaire dont la violation aurait des conséquences catastrophiques.
C'est la raison pour laquelle on dit que, strictement, on devrait communiquer la substance de l'infraction dans la langue officielle de l'administré et que toute violation automatiquement entraîne un acquittement. On s'expose à des situations où, lors de l'application d'un règlement, cela n'aurait pas de bon sens d'acquitter l'accuser pour cette raison. Cela décréditerait l'administration de la justice. C'est pour cela que la deuxième option que je vous suggère vient introduire un élément où le juge va mesurer la sévérité de la violation linguistique contre la sévérité de l'infraction. Ai-je répondu à votre question?
Le sénateur Joyal: Je comprends le premier élément qui est celui que la substance du règlement doit avoir été portée à la connaissance de la personne dans sa langue officielle. C'est son droit, indépendamment de sa culpabilité ou de sa compréhension de l'autre langue officielle. Cependant, vous ajoutez ensuite un proviso: «sauf si un acquittement est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.» J'ai un peu de difficulté avec le deuxième élément de votre proposition. Cela signifie qu'en somme, les droits linguistiques doivent céder devant les intérêts supérieurs de l'intégrité judiciaire. En pratique c'est ce que cela veut dire.
Le sénateur Nolin: C'est une théorie qui s'applique plus largement.
Le sénateur Joyal: On parle de quelque chose qui est constitutionnel.
M. Foucher: Vous avez raison. C'est la raison pour laquelle je présente les deux alternatives, soit un acquittement automatique, ce qui rend l'obligation au bilinguisme assez drastique ou soit une nuance où l'on se réfère à un critère que les tribunaux connaissent, où ils vont mesurer la gravité de cette violation linguistique contre l'intégrité du système judiciaire.
Je ne me souviens plus de tous les critères de l'article 24 (2) de la Charte mais je pense qu'on y retrouve le critère de la gravité de l'infraction, les conséquences de l'infraction et la façon dont le droit a été violé. Est-ce que c'est intentionnel? Est-ce que c'est par inadvertance? Est-ce que c'est par négligence? Il y a une série de critères développés par la jurisprudence que les juges connaissent.
Cela atténue un peu la conséquence d'un acquittement, dans les cas où la sécurité du public est en jeu et où des considérations primordiales font en sorte qu'acquitter quelqu'un pour un détail technique comme celui-là serait mal vu. Ce n'est pas nécessairement une permission au laxisme, si vous voulez, ou une dévaluation des droits linguistiques. C'est de mesurer les droits linguistiques contre d'autres intérêts, comme on le fait lorsque des droits de la Charte sont violés. Par exemple, les saisies qui sont faites illégalement sont inconstitutionnelles. Le juge se demande alors s'il va admettre la preuve quand même et il y évalue la question à savoir s'il y a une violation de la Charte, par exemple, s'il s'agit d'un meurtre au premier degré avec des conséquences considérables. Dans de tels cas, même s'il y a eu violation de la Charte, la preuve est admise. Je vous laisse le soin de décider s'il est opportun d'aller dans cette direction et si oui, jusqu'où vous devez aller.
En réponse à la question de savoir si ma proposition est plus restrictive que le texte, il y aurait peut-être des difficultés à porter à la connaissance du gouverneur en conseil le fait qu'on vient de découvrir un règlement qui n'a pas été publié et qui a été adopté en anglais seulement. L'alternative est de laisser tout cela à la discrétion du gouverneur en conseil. Cette alternative me met mal à l'aise parce que la Constitution crée une obligation. Je pense que le projet de loi devrait refléter cette obligation. Sinon, on pourrait suggérer de forcer le gouvernement à chercher ces règlements, les découvrir, les traduire et les ré-annoter. En fait, créer une obligation. Je ne sais pas s'il est raisonnable de lancer le gouvernement fédéral dans une opération de dépoussiérage de vieux règlements adoptés en anglais seulement pour corriger ce défaut, s'il y a moyen de procéder autrement. L'intention n'était pas d'être restrictif.
Je dois vous admettre que j'ai rédigé le texte rapidement et il se peut que la rédaction soit boiteuse. Je ne suis pas légiste et je n'ai pas fait attention à tous les petits détails. Mon intention n'était pas d'être restrictif mais de créer une obligation envers le gouverneur en conseil. Ce n'est pas à votre discrétion. Lorsque vous en découvrirez un, vous êtes obligés de le traduire. Si vous n'en avez pas encore découvert, je ne vous obligerai pas à aller en chercher.
Mais si un fonctionnaire trouve quelque chose quelque part, il est l'alter ego du ministre, le représentant de Sa Majesté auprès de la population. S'il trouve un décret qui a été édicté en anglais et qui a pas été publié, c'est sa responsabilité et la loi impose de l'envoyer au gouverneur en conseil et de lui dire qu'il doit le faire traduire. S'il ne le fait pas, l'accusé sera acquitté parce que le gouvernement n'aura pas respecté son obligation.
[Traduction]
La présidente: Je rappelle à notre témoin, avant qu'il réponde aux prochaines questions, que nous recevons également cet après-midi la Commissaire aux langues officielles qui attend de passer devant le comité.
M. Foucher: Merci, madame la présidente; je vais essayer d'accélérer.
[Français]
Quant à la rétroactivité, y a-t-il des lois qui ont eu un effet rétroactif comparable? C'est rare mais il y en a. Il y a eu des lois en matière municipale, par exemple.
La ville de Moncton va le faire. Elle vient d'être obligée par la cour d'appel du Nouveau-Brunswick de traduire et de réadopter ses règlements. Elle le fera de nouveau. Il y a des précédents en matière linguistique et dans d'autres domaines, en matière municipale, dans d'autres secteurs qui ne me viennent pas à la mémoire. Je pourrais les rechercher. Il y a des précédents.
Quant à votre quatrième question, sénateur Joyal, je vous avoue que vous avez soulevé un point auquel je n'avais pas pensé et je crois que vous avez raison. Il faudrait trouver une façon de ne pas revalider des règlements qui devaient être publiés et qui ne l'ont pas été. Je n'avais pas vu ce trou dans le projet de loi. Il faudrait penser à cela pour ne pas que cela ait l'effet supplémentaire de donner effet à un règlement qui devait être publié mais qui ne l'a pas été, indépendamment de la question linguistique.
[Traduction]
Le sénateur Taylor: Vous avez dit qu'il existe des précédents pour un projet de loi d'ordre correctif comme celui-ci. À cet égard, vous avez cité les exemples de la Saskatchewan et de l'Alberta.
J'étais dans l'Assemblée législative de l'Alberta le jour où le président a déclaré que le français n'était pas une langue officielle et qu'on ne pourrait donc pas s'exprimer dans cette langue. J'étais chef de l'opposition à l'époque. J'ai pris le président à partie pour cette décision. J'ai ensuite découvert que le projet de loi faisant du français une langue officielle n'avait jamais reçu la sanction royale. Par conséquent, c'est eux qui ont eu gain de cause. Évidemment, on ne vous mettra pas en prison, mais il est certain qu'on vous exclura de l'Assemblée législative de l'Alberta si vous vous exprimez en français.
Quel projet de loi correctif a été adopté en Alberta? Peut-être pourriez-vous m'expliquer la situation.
M. Foucher: La province de l'Alberta a fait la même chose que la Saskatchewan. Ils ont simplement éliminé l'obligation de légiférer dans les deux langues. Ils ont déclaré que tous les projets de loi qui avaient été adoptés en anglais seulement étaient valides. Ils ont également déclaré que tout ce qui avait été accompli aux termes de ces lois était valide. Ensuite, ils ont ajouté certains droits linguistiques limités.
[Français]
Le sénateur Fraser: Je veux en profiter pour vous raconter une petite anecdote. Lorsqu'on parle des pauvres francophones dans l'Ouest qui ont des documents unilingues, ils ne sont pas seuls. L'autre jour, j'ai reçu une facture pour mes taxes foncières dans la nouvelle ville fusionnée de Montréal, plus trois pages d'explications techniques en français. Lorsque j'ai appelé pour savoir si je pouvais l'avoir en anglais, la réponse a été non! On m'a dit que dans le futur, les factures seraient disponibles en anglais. Mais là on m'a dit: non, madame, c'est trop tard maintenant, c'est fait en français. Les injustices persistent partout.
Le sénateur Rivest: C'est rare!
Le sénateur Fraser: Moins rare que vous ne le pensez.
Je reviens à l'article 7. Je voudrais comprendre. Il me semble qu'avec l'article 7, vous refermez la porte que vous avez ouverte à l'article 4.
M. Foucher: À l'article 4, on dit que le règlement est traduit et réadopté rétroactivement. Techniquement, en effet, tout ce qui a été fait en vertu de ce règlement se retrouve automatiquement valide puisqu'on a un règlement qui était valide dès son adoption. Le seul risque qui peut se poser, c'est qu'il y aura un délai entre la découverte d'un règlement qu'on doit traduire et réadopter et l'action de le réadopter.
Est-ce que dans ce délai, quelqu'un va pouvoir dire: le permis de pêche qui a été accordé en vertu de ce règlement unilingue anglais est nul. Donc, mon compétiteur va à la pêche de façon illégale.
Le sénateur Fraser: C'est juste pendant la période de transition?
M. Foucher: Oui, parce qu'une fois que le règlement va être réadopté, cela va être automatique. Tout ce qui a été fait en vertu de ce règlement est automatiquement revalidé.
Le sénateur Fraser: Je pense que j'ai saisi. Merci.
M. Foucher: Je vous souhaite de bonnes délibérations.
[Traduction]
La présidente: Merci, monsieur Foucher.
Nous accueillons maintenant, du Commissariat aux langues officielles, Mme Dyane Adam, commissaire aux langues officielles. Elle est accompagnée de Mme Johane Tremblay, directrice des Services juridiques.
Permettez-moi, madame Adam, de vous souhaiter la bienvenue encore une fois au comité.
Mme Dyane Adam, commissaire aux langues officielles: Honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir invitée à venir vous exposer mon point de vue sur le projet de loi S-41 portant sur la réédiction de textes législatifs n'ayant été édictés que dans une langue officielle.
J'ai suivi de près l'évolution de vos travaux et je tiens à vous féliciter de l'intérêt que vous portez à cette question importante. Tout comme moi, vous vous interrogez sérieusement sur les problèmes d'application de ce projet de loi qui nous vaut même le néologisme «réédiction».
À titre d'ombudsman linguistique de ce pays, je ne saurais passer sous silence qu'il est question ici de droits linguistiques et en particulier, du droit fondamental des citoyens et des citoyennes du Canada à l'égalité d'accès aux lois du Canada dans l'une ou l'autre des deux langues officielles. Cette égalité d'accès aux lois du Canada signifie la reconnaissance du statut égal des versions anglaise et française des textes législatifs, qui ont égale force de loi ou même valeur.
[Français]
Il s'agit, en outre, de droits reconnus dans les origines de notre pays à l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et confirmés et explicités dans la Loi sur les langues officielles de 1969, de 1988, et aussi dans la Charte canadienne des droits et libertés.
Toute entorse à ce principe de bilinguisme législatif revêt une grande importance, car ce bilinguisme officiel est l'ossature même de nos droits linguistiques historiques et actuels. Ce sont sur ces garanties embryonnaires et fondamentales de l'égalité réelle entre le français et l'anglais que nous avons construit tout l'édifice actuel de la dualité linguistique.
Fort de ces garanties linguistiques et des deux arrêts Blaikie, rendus il y a maintenant plus de 20 ans, voici que nous apprenons, non sans étonnement, qu'un certain nombre de textes réglementaires édictés avant 1980 — nul ne sait combien exactement — n'ont pas été réédictés dans les deux langues officielles.
Le ministère de la Justice a déclaré que le projet de loi à l'étude constitue «une manière efficace et économique» de résoudre les doutes que le Comité mixte permanent d'examen de la réglementation avait soulevés quant à la validité constitutionnelle de certains textes législatifs qui avaient été établis, à l'origine, dans une seule langue officielle, c'est-à- dire le plus souvent en anglais. Même si je déplore le manque de diligence du ministère en cette matière, je reconnais néanmoins l'opportunité de sa démarche et le bien-fondé de cette démarche. La situation doit, en effet, être corrigée aussitôt que possible afin de respecter les exigences constitutionnelles du bilinguisme législatif tout en assurant la primauté du droit.
[Traduction]
Je sais par ailleurs que le ministre de la Justice s'est montré très sensible aux préoccupations exprimées par ce comité. Je ne doute pas qu'il accordera donc toute l'attention voulue aux propositions que vous jugerez utiles de formuler en vue de préciser et de circonscrire l'application des mesures proposées.
Pour ma part, je partage les préoccupations exprimées par certains d'entre vous au sujet du projet de loi. Tel qu'il est présentement conçu, le projet de loi s'applique à tous les textes législatifs n'ayant été édictés que dans une langue officielle depuis 1867. Il semble que les dispositions de l'article 7 de la Loi sur les langues officielles, en vigueur depuis 1988, ont eu pour effet d'assurer le bilinguisme intégral des textes législatifs. Toutefois, ne serait-il pas plus sage de viser également les textes législatifs pris après 1988, et ce, afin de colmater toutes les brèches possibles?
[Français]
Examinons maintenant les moyens utilisés par le ministère de la Justice pour réédicter les textes législatifs ou réglementaires. Le projet de loi prévoit deux procédés.
Le premier, prévu à la clause 3, vise à réédicter automatiquement dans les deux langues les textes législatifs établis dans une seule langue, publiés dans les deux langues officielles au moment de leur édiction.
Le deuxième, prévu à la clause 4, vise à conférer au gouverneur en conseil le pouvoir discrétionnaire d'ordonner, par voie réglementaire, la réédiction dans les deux langues officielles des textes législatifs établis dans une seule langue, mais qui n'ont pas été publiés ou qui l'ont été dans une seule langue, ou encore qui ont été publiés dans les deux langues officielles, subséquemment à leur édiction.
Dans les deux cas, la réédiction automatique ou ponctuelle aurait un effet rétroactif.
Lors de sa présentation, le ministère de la Justice nous a assurés que ces procédés ont été inspirés du modèle utilisé dans la loi québécoise de 1979 adopté à la suite du jugement dans l'arrêt Blaikie. Malgré cela, je partage les inquiétudes exprimées par plusieurs membres de ce comité concernant la portée de l'application de la clause 4 et l'incapacité du ministère de la Justice de cerner avec précision la nature, le nombre et la portée des textes fautifs qui seraient visés par cette disposition.
Cette question semble d'ailleurs plus critique en ce qui a trait aux textes publiés dans une seule langue. La réparation de la clause 4 du projet de loi proposé est ponctuelle. Elle contourne en quelque sorte le problème de fond, à savoir l'existence d'un nombre indéterminé de textes législatifs unilingues.
La question se pose donc de savoir s'il sera possible, à la suite de l'adoption du projet de loi, que le ministère de la Justice réduise cette aire d'incertitude en faisant au moins un inventaire des textes législatifs selon leur domaine d'application. Cet inventaire permettrait au gouverneur en conseil d'exercer son pouvoir de réédicter des textes législatifs conformément aux exigences de l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867.
[Traduction]
Enfin, l'alinéa 4(3)b) a suscité une question de la part de Mme le sénateur Fraser, qui désirait savoir si le fait d'avoir publié le texte dans une seule langue pourrait suffire à lui seul à établir une «mesure raisonnable» pour informer «cette personne» de la substance du règlement avant l'infraction.
Reconnaissant qu'une telle situation mettrait en cause les droits linguistiques et les droits de justice fondamentale, le représentant du ministère de la Justice a indiqué que le ministère ferait valoir que la publication disponible dans une seule langue serait vraisemblablement suffisante. Cette interprétation du paragraphe 4(3)b) me semble contraire à l'esprit qui anime ce projet de loi, soit l'égalité de statut du français et de l'anglais. Je doute fortement qu'elle soit retenue par nos tribunaux et il me semble qu'elle devrait être clarifiée par le ministère.
[Français]
Connaissant votre expertise pour toutes les questions liées au droit constitutionnel et linguistique, je suis assurée que vous proposerez des modifications qui contribueront à améliorer ce projet de loi. Sous vos judicieux conseils, le ministère de la Justice devrait être en mesure de réédicter les textes réglementaires qui auraient pu échapper aux exigences du bilinguisme et faire en sorte que nous n'ayons plus jamais à envisager des mesures comme celles proposées pour pallier au non-respect des fondements mêmes de notre dualité linguistique.
J'ai bien hâte d'entendre vos commentaires et j'espère pouvoir répondre de façon satisfaisante à vos questions. Je suis accompagnée de la directrice des services juridiques qui compensera pour mon manque de formation de juriste.
Le sénateur Rivest: Je partage avec vous le malaise quant au terme «réédiction». Je pense qu'il devrait y avoir un équivalent en français parce que le terme n'est pas très joli.
Au Commissariat des langues officielles — je sais qu'il y a eu beaucoup de débats concernant la portée de l'article 133 — vous croyez que cet article est purement de nature linguistique et qu'il ne fonde pas l'obligation constitutionnelle de publier les règlements ou les lois. Est-ce bien votre interprétation?
Mme Adam: Oui.
Le sénateur Rivest: En ce qui a trait au fait qu'on ne sait pas le nombre de ministères qui n'auraient pas satisfait aux obligations de la dualité linguistique, vous dites que vous voulez connaître les faits. Quelle serait l'utilité de les connaître les règlements en question une fois que le projet de loi aura été adopté et qu'il les aura tous validés?
Mme Adam: Il est étrange que nous ayons encore des règlements en vigueur qui ne sont pas au moins identifiés ou dont ne connaît pas l'existence. Il est important et tout à fait raisonnable, d'autant plus que le processus d'archivage par numérisation des documents est en cours dans les grandes bibliothèques, d'avoir un dépôt central des textes législatifs qui gouvernent la conduite des parlementaires et des citoyens. Le délai pourrait prendre jusqu'à dix ans.
Le sénateur Rivest: Depuis peu, un secrétariat purement administratif au Conseil privé a la responsabilité de surveiller cet exercice. Le ministère de la Justice a peut-être autre chose à faire. Il existe donc déjà une instance administrative qui pourrait se charger de cette tâche. Le délai, comme vous le dites, pourrait être assez long, mais l'important est que nous tenions un inventaire.
Le sénateur Nolin: Avez-vous eu le temps de prendre connaissance de la proposition du professeur Foucher?
Mme Adam: J'en ai pris connaissance très rapidement.
Le sénateur Nolin: Je ne vous demande pas de répondre aujourd'hui ni de commenter la proposition d'amendement, mais vous pourriez peut-être nous soumettre vos commentaires par écrit.
[Traduction]
La présidente: C'est une excellente idée. Vous les avez sans doute reçus en même temps que les membres du comité. Il serait utile que vous y réfléchissiez et que vous nous fassiez parvenir vos observations par écrit, mais veuillez ne pas trop tarder à le faire.
[Français]
Le sénateur Nolin: Dans votre mémoire, je distingue deux commentaires fondamentaux. Le premier fait allusion à l'inventaire exhaustif des textes fautifs et le deuxième soulève la question de l'esprit du projet de loi ou des obligations constitutionnelles du palier fédéral.
Quant à l'esprit des obligations linguistiques qui reviennent au gouvernement fédéral, pensez-vous que l'amendement proposé par le professeur Foucher satisferait vos préoccupations?
Mme Adam: Je vais vous répondre par écrit le plus tôt possible, mais mon commentaire immédiat est à l'effet qu'on ne va pas assez loin dans le respect de l'esprit.
Le sénateur Nolin: C'est un peu facile de dire qu'on ne respecte pas l'esprit. Vous allez devoir nous expliquer plus en détails ce que vous entendez par cela et en vertu de quels documents.
Maintenant, j'aimerais revenir à la question de l'inventaire. Si je comprends bien, vous n'êtes pas d'accord avec ceux qui disent que les efforts consentis seront énormes et que les coûts sollicités seront élevés?
Mme Adam: Vous avez très bien compris. Nous ne pouvons juger à l'heure actuelle quels seront les coûts. Nous ne savons même pas combien il y a de documents. Nous savons seulement qu'il y a des règlements qui n'ont pas été adoptés dans les deux langues officielles. Nous ignorons la nature de ces règlements et leur quantité.
Le sénateur Nolin: Vous avez dit plus tôt que vous n'étiez pas d'accord qu'on donne un pouvoir discrétionnaire sans qu'il soit limité dans le temps. Comme vous allez nous écrire, vous pourriez nous donner des propositions d'amendements qui traiteraient de cette notion de délai. Je vous rappelle que le ministre de la Justice, lors de sa comparution, a fait allusion à un amendement possible, en provenance de son ministère, ayant effet de circonscrire la limite de temps. Puisqu'on veut se servir du précédent du Québec, l'Assemblée nationale avait effectivement une notion temporelle très précise lorsqu'elle a réédicté les lois dans les deux langues officielles.
Mme Adam: Je vais faire cela.
Le sénateur Joyal: Ma première question a trait au premier paragraphe de la page 4 de votre mémoire. Vous dites:
Tel qu'il est présentement conçu, le projet de loi s'applique à tous les textes législatifs n'ayant été édictés que dans une langue officielle depuis 1867. Il semble que les dispositions de l'article 7 de la Loi sur les langues officielles, en vigueur depuis 1988, ont eu pour effet d'assurer le bilinguisme intégral des textes législatifs. Toutefois, ne serait-il pas plus sage de viser également les textes législatifs pris après 1988, et ce, afin de colmater toutes les brèches possibles?
Lorsque l'honorable ministre de la Justice a comparu devant nous, il a dit qu'il était d'accord pour fixer la date butoir en 1988, qu'après cette année-là, si les textes n'avaient pas été adoptés, ils ne bénéficieraient pas de cette amnistie générale de validation.
Il dit que l'obligation formelle a été constatée en 1988 avec l'adoption de l'article 7 de la Loi sur les langues officielles, et que, par conséquent, si le gouvernement ne l'a pas fait, il doit porter les conséquences. En ce cas, il y a clairement manquement à une loi du Parlement qui n'est pas si ancienne que cela.
Le ministre était même disposé à ce que le projet de loi S-41, à l'article 2, soit modifié par substitution à l'alinéa 15, page 1, de ce qui suit:
Texte édicté avant l'entrée en vigueur de l'article 7 de la Loi sur les langues officielles le 15 septembre 1988 dans l'exercice d'un [...]
En d'autres mots, il barrait la porte. Nous semblions, autour de la table, d'accord avec cette approche. Cet après- midi, vous nous proposez plutôt de rouvrir le tout jusqu'à nos jours. Si je comprends bien, on voulait donner le signal à l'administration qu'il n'y a plus d'amnistie possible à partir d'une date précise. Il faut agir de façon à respecter les principes interprétés par les tribunaux et tel qu'on les appliquerait pour l'ensemble de toute l'activité réglementaire depuis 1867.
C'est ma première suggestion de réflexion. Comment y répondre? Pour employer une expression en anglais, «we're damned if we do, damned if we don't». Je vous laisse avec cette question.
En second lieu, à la page 6 de votre mémoire, vous revenez sur une question que nous avons soulevée avec le professeur Foucher, celle des droits linguistiques de l'accusé et de la distinction qu'il faut faire entre l'infraction et les droits linguistiques.
L'article 4(3)b) dit qu'il faut que le règlement soit porté à la connaissance de l'accusé et que des mesures raisonnables soient prises pour que la substance de l'infraction soit portée à la connaissance de cette personne. À mon avis, il faut que cela soit fait dans la langue du contrevenant.
Je vous demanderais d'élaborer sur cet élément. Le professeur Foucher nous a soumis une interprétation. J'aimerais savoir si en termes juridiques vous concourez à cette interprétation. Cela peut être un élément important de notre débat éventuel sur les propositions du professeur Foucher.
Mme Adam: En ce qui concerne votre première question, sénateur Joyal, je pense que c'est une question d'attitude. Nous avons choisi la voie de la prudence extrême. C'est l'approche souvent privilégiée par le Commissariat, où nous voulons couvrir tous les angles. Étant donné qu'il peut y avoir des ratés administratifs même si le texte législatif de 1988 est très clair sur les obligations de l'administration de produire des règlements ou des textes législatifs dans les deux langues et de les publier, nous voulons nous assurer de bien couvrir tous les ratés administratifs possibles.
En ce sens, je pense que l'un ou l'autre irait pour nous et la loi butoir de 1988 pourrait également nous convenir.
Mme Tremblay: Pour répondre à la deuxième question, notre préoccupation par rapport à l'application de la clause de sauvegarde de 4(3)b) visait la situation où on se baserait uniquement sur la publication dans une langue comme établissant que le poursuivant a pris des mesures raisonnables pour faire connaître au contrevenant la substance de l'infraction. Pour nous, cela soulève des questions importantes d'égalité du statut du français et de l'anglais et va à l'encontre de l'objet de l'article 133 et de l'objet visé par le projet de loi.
Cela irait à contre-courant de l'interprétation récente qui a été donnée aux droits linguistiques par la Cour suprême dans l'arrêt Beaulac. Vous avez raison, un juge pourrait interpréter l'article de la façon dont vous l'avez dit et conclure qu'effectivement, cela ne pourrait pas constituer une mesure raisonnable. Il reste néanmoins que le ministère de la Justice a indiqué que s'il se trouvait dans une telle situation, il ferait vouloir la position que cela constituerait une mesure raisonnable et que vraisemblablement, cela serait accueilli.
Le point de vue qu'on fait valoir, c'est que le ministère de la Justice devrait revoir tout cela à la lumière des principes d'interprétation énoncés dans Beaulac et considérer l'amendement qui a été proposé par le professeur Foucher qui va quand même un peu plus loin.
En effet, selon le professeur Foucher, si, en outre, l'autorité réglementaire avait pris d'autres mesures, en plus de la publication en une seule langue, pour porter à l'attention du contrevenant la substance du règlement qu'il a enfreint, mais qu'elle ne l'a pas nécessairement fait dans la langue du contrevenant, cela ferait en sorte que le contrevenant ne pourrait pas être condamné.
Cela va un peu plus loin. Cela met en cause des principes, des droits linguistiques et des droits de justice fondamentale de l'application de l'article 11 de la Charte. Quelle direction la cour suivrait-elle dans une telle situation? Une chose est sûre, la seule publication dans une langue ne serait pas considérée comme une mesure raisonnable parce qu'elle contreviendrait aux droits linguistiques prévus dans la Charte.
Le sénateur Rivest: L'hypothèse la plus vraisemblable concernant ces règlements, c'est que les chances sont bonnes qu'avant l'adoption de la politique sur les langues officielles de M. Trudeau et du sénateur Joyal ...
Le sénateur Joyal: Vous me faites trop d'honneur!
Le sénateur Rivest: ...il aurait été extrêmement surprenant qu'un règlement relatif à la pêche ou le plus minuscule règlement dans l'administration ait été rédigé en français dans la fonction publique, majoritairement anglophone de l'époque. La quantité des règlements qui n'auraient pas satisfait les dispositions de l'article 133 risque d'être, certainement avant l'adoption de l'article 133, extrêmement considérable. Dans la fonction publique, il n'y avait pratiquement pas de gens francophones ou bilingues. Comment auraient-ils pu faire des règlements en français?
Le sénateur Joyal: Si je peux me permettre un commentaire de la même nature que celui du sénateur Rivest, il ne faut pas oublier qu'en 1969, lors de l'adoption de la première Loi sur les langues officielles, elle n'avait, selon l'opinion du ministère de la Justice que j'ai combattue, qu'une valeur déclaratoire et non exécutoire.
Donc de 1969 à 1976, jusqu'à ce que l'on obtienne un jugement, puisque la valeur de la loi était exécutoire, il n'y avait pas, aux yeux du ministère de la Justice, une obligation stricte. C'était, comme je l'ai dit, déclaratoire.
Comme le dit le sénateur Rivest, si on retourne en arrière, il y a des périodes où dans plusieurs ministères — je n'en nommerai pas pour ne pas commencer de guerre — on fonctionnait uniquement en anglais.
Vous connaissez les constatations de la commission Laurendeau-Dunton. Il n'est pas étonnant que des règlements aient été adoptés, à cette époque, uniquement dans l'une des deux langues officielles.
Il faut essayer de comprendre tout le progrès et toute l'évolution qui a eu lieu. Ce qu'on essaie en pratique, c'est de fonctionner avec cette loi réparatrice. Comme l'a dit la Cour Suprême, on apporte un remède à une situation.
Mme Adam: Si vous me permettez, la question est-elle de savoir quel est le remède raisonnable?
Le sénateur Joyal: Voilà!
Mme Adam: Je ne suis pas une experte dans les règlements mais j'imagine que tous les règlements ne sont pas actuels ou actifs. Il doit y avoir des règlements qui ont une portée sociale différente, une portée plus large.
Des mesures pourraient être prises pour examiner ce genre de choses. Il faudrait regarder la question du remède et se demander si on ne devait pas aller plus loin, sans nécessairement, d'emblée, tout traduire ou tout refaire. C'est la question que je soulève et qu'on va étoffer un peu plus, suite à l'invitation du sénateur Nolin.
Si vous me permettez un commentaire, je trouve très intéressante l'intervention du sénateur Joyal à l'effet que la première Loi sur les langues officielles était interprétée par le ministère de la Justice comme étant simplement déclaratoire, et à l'heure actuelle, on discute de la Partie VII de la loi et on l'interprète comme étant déclaratoire. C'est l'histoire qui se répète. Merci pour cette leçon.
[Traduction]
La présidente: Je vous remercie de votre présence.
La séance est levée.
OTTAWA, le jeudi 2 mai 2002
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi S- 41, Loi visant la réédiction de textes législatifs n'ayant été édictés que dans une langue officielle, se réunit ce jour à 10 h 50 pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, nous recevons aujourd'hui les coprésidents du Comité mixte permanent d'examen de la réglementation. Je souhaite la bienvenue aux coprésidents du comité, le sénateur Hervieux-Payette et M. Gurmant Grewal, ainsi que M. François Bernier, conseiller juridique principal du comité. Nous vous écoutons.
M. Gurmant Grewal, député, coprésident, Comité mixte permanent d'examen de la réglementation: Madame la présidente, je vous remercie de nous avoir invités à votre comité.
Dans son troisième rapport de la deuxième session de la 35e législature, rapport no 59, le Comité mixte permanent a signalé au Sénat et à la Chambre des communes que certains règlements fédéraux, quoique publiés dans les deux langues officielles, n'avaient été édictés que dans une langue officielle, ce qui contrevient à l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867.
Tous les règlements portés à l'attention du comité ont été édictés en anglais seulement alors qu'ils auraient dû l'être en français et en anglais. La question de la constitutionnalité de la législation subordonnée édictée en anglais seulement a été soulevée pour la première fois en 1992, à propos du Règlement sur les minéraux des terres publiques.
Au début, le ministère de l'Énergie, des Mines et des Ressources, comme il s'appelait à cette époque, a soutenu que l'accroc à la constitutionnalité avait été réparé par la réédiction du Règlement sur les minéraux des terres publiques lors de la codification de 1978 des règlements fédéraux. Cette position a été débattue dans une correspondance entre le conseiller juridique du comité mixte et le sous-ministre de l'Énergie, des Mines et des Ressources, de juin à décembre 1992.
Le 13 janvier 1993, le conseiller juridique principal et Mme Ginette Williams, alors avocate générale principale du Bureau du Conseil privé, se sont réunis pour discuter de l'argument de la codification. L'une des conclusions qui a fait consensus à cette réunion, c'est qu'une codification ne peut pas servir à valider un règlement par ailleurs illégal et que si le Règlement sur les minéraux des terres publiques était inconstitutionnel en 1978, la codification réalisée cette année-là n'a pu avoir pour effet de le valider.
Dans une lettre subséquente du sous-ministre de l'Énergie, des Mines et des Ressources, l'argument dit de la «bonne foi» est avancé par écrit pour la première fois. En essence, le sous-ministre faisait valoir que le règlement édicté en anglais seulement en 1969 était valide parce que le gouverneur en conseil était de bonne foi quand il l'avait adopté dans une seule langue officielle.
Notre comité n'a évidemment jamais mis en doute la bonne foi du gouverneur en conseil, mais comme nous l'expliquons dans notre troisième rapport, la question de la bonne foi du gouverneur en conseil quand il a adopté certains textes législatifs n'a aucun rapport avec la question de la validité constitutionnelle de ces textes. Cette même lettre réitérait aussi que la codification de 1978 suffisait pour rendre valide le Règlement sur les minéraux des terres publiques, même si l'argument de la bonne foi était rejeté.
Une telle affirmation contredisait l'accord qui était intervenu entre notre conseiller juridique principal et l'avocate générale principale du Bureau du Conseil privé, et le 15 avril 1993, notre conseiller juridique principal a écrit à Mme Williams pour s'opposer à l'emploi de cet argument. Dans sa réponse du 13 mai 1993, maître Williams affirmait catégoriquement que jamais on n'avait laissé entendre, lors de cette réunion, qu'un règlement non valide pouvait le devenir par suite d'une codification. Le comité a cru que cette dernière déclaration mettait fin au débat. Nous n'avons plus entendu l'argument de la codification pendant environ quatre ans.
Le 6 janvier 1996, l'honorable Anne McLellan, alors ministre des Ressources naturelles, a informé simplement le comité qu'après avoir consulté le ministre de la Justice, elle souscrivait à la position exposée dans la dernière lettre de son ministère. Le comité mixte a alors décidé de faire rapport de l'affaire au Sénat et à la Chambre des communes, ce qu'il a fait le 10 octobre 1996.
Comme le Règlement sur les minéraux des terres publiques avait alors été abrogé, et pour montrer que ce règlement n'était pas une exception, le comité a fait état de quatre autres règlements inconstitutionnels dans son rapport. Nul doute, d'ailleurs, qu'il y en a d'autres. Par exemple, nos conseillers juridiques ont pu confirmer dernièrement que le premier Règlement de l'impôt sur le revenu était lui aussi inconstitutionnel puisqu'il avait été édicté dans une seule langue officielle.
Dans son troisième rapport, le comité mixte recommandait:
[...] que le gouvernement prenne des mesures pour identifier les règlements fédéraux réputés en vigueur qui sont assujettis à l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 mais qui n'ont pas été promulgués conformément aux exigences prévues par la Constitution. Une fois ces règlements connus, il faudrait les faire adopter de nouveau par l'organisme de réglementation subordonné compétent dans la forme et de la manière requises par la Constitution canadienne.
Le comité demandait aussi que le gouvernement dépose une réponse au rapport. La réponse déposée par le ministre de la Justice le 18 mars 1997 était rien moins qu'ahurissante. À partir de 1993, le gouvernement a invariablement soutenu que le Règlement était constitutionnel parce que le gouverneur en conseil était de bonne foi lorsqu'il l'avait édicté dans une seule langue officielle. Dans son troisième rapport, le comité mixte avait minutieusement analysé la jurisprudence pertinente et expliqué pourquoi cet argument n'était pas fondé en droit canadien. Nous avons été vivement étonnés de constater que, dans sa réponse à notre rapport, le gouvernement ne mentionnait même pas cet argument. Le comité ne pouvait faire autrement que conclure que celui-ci avait finalement abandonné cet argument après avoir admis qu'il était indéfendable.
Le plus étonnant, ce n'était pas que l'argument sur lequel le raisonnement du gouvernement reposait depuis quatre ans soit mis de côté, mais le fait que la réponse du gouvernement ressuscite l'argument de la codification qui avait été discrédité et dont on n'avait plus entendu parler depuis que l'avocate générale principale du Bureau du Conseil privé l'avait expressément désavoué quatre années auparavant.
Dans son témoignage, le ministre de la Justice a affirmé que le gouvernement avait clairement établi que la consolidation des Règlements du Canada de 1978 avait corrigé la difficulté technique à l'égard de cinq règlements fédéraux identifiés par le comité. Il est évident que nous ne partageons pas la conviction du ministre.
Après le dépôt de la réponse du gouvernement, les coprésidents ont écrit à la ministre de la Justice le 10 décembre 1997. Dans sa réponse, que nous avons fini par recevoir deux ans plus tard, la ministre ne répondait pas adéquatement aux questions que soulevait le comité mixte, mais elle y reconnaissait pour la première fois que le comité mixte avait présenté plusieurs arguments qui méritaient réflexion.
La ministre déclarait ensuite qu'elle avait demandé à ses fonctionnaires d'approfondir l'étude des problèmes soulevés et de suggérer des moyens de dissiper tous les doutes au sujet de la constitutionnalité des règlements fédéraux ou des autres textes législatifs toujours en vigueur. Cet engagement a convaincu le comité mixte qu'il était inutile de revenir sur la question de l'effet d'une codification sur la constitutionnalité des règlements. Antérieurement, le comité avait répliqué à cet argument que la validation de règlements inconstitutionnels ne faisait partie ni du champ d'application ni de l'objet de la codification tels qu'énoncés dans la Loi sur la révision des lois et que, comme l'avait reconnu le propre conseiller juridique de la Couronne, la codification ne sert pas à valider des règlements nuls au départ.
Nous sommes entièrement d'accord avec le sénateur Beaudoin lorsqu'il dit que la consolidation n'ajoute pas quoi que ce soit au plan juridique et constitutionnel, et qu'une consolidation de lois ou de règlements est au mieux une formalité administrative qui n'a aucun effet sur la constitutionnalité des lois et règlements codifiés.
Nous remarquons aussi, que plus de 20 ans après l'arrêt Blaikie, le gouvernement fédéral n'a toujours pris aucune mesure pour déterminer dans quelle mesure la législation fédérale n'est pas conforme à l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867. À cet égard, je remarque, que lors de sa comparution devant votre comité le 24 avril, le ministre de la Justice a affirmé que la portée du problème potentiel, auquel veut remédier le projet de loi S-41, est essentiellement limitée. Mais dès le lendemain, un témoin du gouvernement a affirmé devant votre comité que le fait d'identifier tous les textes non conformes entraînerait des coûts prohibitifs. Cette affirmation laisse certainement croire que le problème n'est pas aussi limité que le dit le ministre.
La réponse fournie par M. McDonald soulève aussi deux questions particulières. Comme parlementaires, nous demande-t-on d'accepter que le respect de la Constitution canadienne dépend d'une analyse coûts-bénéfices? Et est-il acceptable de ne pas respecter les exigences constitutionnelles si les coûts qu'entraînerait le respect de la Constitution sont trop élevés?
J'ai aussi de la difficulté à comprendre quels sont les difficultés et les coûts qui empêcheraient le gouvernement fédéral d'identifier la législation déléguée en vigueur. Nul ne se préoccupe de règlements qui ne sont plus en vigueur mais seulement de ceux qui s'appliquent toujours au citoyen. Si la législation subordonnée fédérale est connue, il devrait être assez simple de vérifier si cette législation a été édictée dans les deux langues officielles. Pourquoi est-ce qu'un tel exercice entraînerait des coûts prohibitifs? J'imagine bien sûr que le gouvernement fédéral sait quels sont tous les règlements en vigueur au niveau fédéral.
Je vais maintenant céder la parole à la coprésidente, qui vous fera part des observations préliminaires du Comité mixte permanent sur le projet de loi S-41.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette: J'aimerais vous dire notre plaisir d'être ici et de voir qu'un projet de loi a commencé à régler le problème. Nous pouvons vous aider dans vos délibérations et à compléter le travail amorcé.
Avant de vous faire part de mes commentaires sur le projet de loi à l'étude, il est important de rappeler que la position du comité mixte est fondée sur une lecture de l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 selon laquelle tous les textes législatifs auxquels cet article s'applique doivent être édictés, imprimés et publiés dans les deux langues officielles. Je crois comprendre que le ministère de la Justice a mis de l'avant une interprétation un peu particulière — j'allais dire bizarre — selon laquelle l'article 133 ne requiert l'adoption, l'impression et la publication d'un texte législatif dans les deux langues officielles que dans les cas où on décide d'imprimer et de publier le texte législatif.
À notre avis, le texte de l'article 133 est clair. Les lois du Parlement du Canada devront être imprimées et publiées dans ces deux langues. Il s'agit ici du français et de l'anglais, évidemment. La loi ne prévoit pas que les lois doivent être imprimées et publiées dans les deux langues si on décide de les publier, mais prévoit tout simplement que les lois devront être imprimées et publiées dans les deux langues. Il s'agit d'une exigence constitutionnelle simple et directe. En matière d'interprétation législative, il existe une règle d'interprétation —connue comme la règle d'or — voulant que dans l'interprétation d'un texte législatif, le sens grammatical ordinaire des mots gouverne. Il s'agit d'une règle bien fondée et sage qui trouve pleinement application ici. Je ne vois aucune raison d'adopter une interprétation de l'article 133 qui ignorerait le sens grammatical ordinaire des mots qui y sont employés et qui transformerait une obligation constitutionnelle simple en obligation conditionnelle qui ne s'appliquerait que si une loi est imprimée et publiée.
J'ai entendu dire que l'interprétation que fait le ministère de la Justice de l'article 133, tout récemment, est justifiée parce que l'article 133 énonce une garantie linguistique plutôt qu'une garantie d'accès aux lois. Exiger que tous les textes législatifs soient imprimés et publiés dans les deux langues officielles est évidemment une exigence qui a pour but de protéger les droits linguistiques. Le fait que cette obligation linguistique implique l'obligation de publier l'ensemble des lois n'en change pas la nature.
J'ai demandé au personnel juridique du comité de revoir l'ensemble de la jurisprudence pertinente et ils me rapportent qu'ils n'ont trouvé aucun arrêt ou obiter dictum qui puisse servir à étayer la proposition du ministère de la Justice. Au contraire, le langage utilisé par les tribunaux tend à confirmer que l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 exige la publication dans les deux langues de l'ensemble de la législation à laquelle il s'applique. Rien de plus, rien de moins.
J'invite les membres du comité à consulter le jugement de la Cour suprême du Canada, dans le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, dans ces raisons la cour a dit que l'objet de l'article 133, et je cite:
[...] est d'assurer aux francophones et aux anglophones l'accès égal aux corps législatifs, aux lois et aux tribunaux.
Et que:
L'article 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba enchâsse une exigence impérative d'adopter, d'imprimer et de publier dans les deux langues officielles toutes les lois de la Législature (voir l'arrêt Blaikie no 1, précité). Il impose à la législature du Manitoba une obligation constitutionnelle quant aux modalités et à la forme de l'adoption de ses lois. Cette obligation a pour effet de protéger les droits fondamentaux de tous les Manitobains à l'égalité de l'accès à la loi dans l'une ou l'autre des langues française ou anglaise.
Il est évident que ce qui vaut pour l'article 23 de la loi manitobaine vaut pour l'article 133 et que la question financière n'est pas intervenue dans cette interprétation.
Il est à noter que la Cour suprême parle bien de toutes les lois du Manitoba et non pas de certaines lois que le gouvernement aurait décidé de publier. Le moment est venu de vous faire part de nos commentaires sur le projet de loi S-41. Le projet de loi propose une définition de texte législatif qui reflète bien l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada de 1981 dans l'affaire Procureur général du Québec c. Blaikie. Il ne présente aucun problème. Comme mon collègue de la Chambre l'a mentionné, le comité mixte avait recommandé d'identifier tous les textes législatifs édictés en violation de l'article 133 pour les faire réédicter par l'autorité compétente. L'approche choisie par le gouvernement dans le projet de loi S-41 fait une distinction entre deux catégories de textes inconstitutionnels. La première se compose des textes législatifs qui ont été édictés dans une seule langue officielle, mais qui ont néanmoins été publiés dans les deux langues officielles au moment de leur adoption, ces textes seront validés par l'article 3 du projet de loi.
La deuxième catégorie se compose de textes législatifs qui, premièrement, n'ont pas été édictés dans les deux langues officielles et, deuxièmement, qui n'ont pas été publiés dans les deux langues officielles lors de leur adoption. En ce qui concerne cette deuxième catégorie de textes inconstitutionnels, on se contente de conférer au gouverneur en conseil le pouvoir discrétionnaire de valider ceux-ci rétroactivement.
En réalité donc, le projet de loi S-41 n'apporte qu'une solution partielle au problème exposé dans le rapport du comité. Après l'adoption du projet de loi, il restera un certain nombre de règlements inconstitutionnels qui n'auront pas été validés.
Il semble assez évident que l'article 4 reflète l'intention de continuer d'appliquer des textes législatifs dont on connaît l'illégalité. Du point de vue constitutionnel, une telle façon de procéder paraît peu convenable. Comme il ne veut pas entreprendre la tâche de définir précisément la catégorie des textes visés à l'article 4, le gouvernement s'en tient à autoriser leur application malgré leur illégalité. Si jamais quelqu'un invoquait l'inconstitutionnalité d'un tel texte législatif, par exemple, pour se défendre contre une accusation au criminel, le gouverneur en conseil pourrait intervenir pour le priver de ce moyen de défense en déclarant rétroactivement que le texte inconstitutionnel est réputé avoir été édicté validement.
Pourtant, le préambule de la Charte canadienne des droits et libertés énonce que la société canadienne est fondée sur des principes qui reconnaissent la primauté du droit. Est-ce trop demander, dans une telle société, que le gouvernement soit obligé de prendre des mesures concrètes pour corriger les cas d'inconstitutionnalité qu'il connaît depuis déjà 20 ans au moins?
Il faut souligner que les textes auxquels s'applique l'article 4 ne sont pas inconstitutionnels pour le seul motif qu'ils ont été édictés dans une seule langue officielle. En effet, comme nous vous l'avons déjà expliqué, l'article 4 s'applique aux textes qui, en plus de ne pas avoir été édictés dans les deux langues officielles, n'ont pas été publiés dans les deux langues officielles. À sa seule lecture, on sait que l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 exige que tous les textes législatifs auxquels il s'applique soient imprimés et publiés dans les deux langues officielles. Tout texte législatif visé à l'article 4 du projet de loi serait inconstitutionnel même s'il avait été édicté dans les deux langues officielles puisqu'il n'a pas été imprimé et publié dans ces deux langues.
Curieusement, l'article 4 du projet de loi ne semble pas envisager la possibilité que des textes aient été édictés dans les deux langues officielles mais sans être imprimés ni publiés dans ces deux langues. Évidemment, cela est conforme à la lecture de l'article 133 proposée par le ministère de la Justice, selon laquelle le gouvernement peut choisir de ne pas imprimer ni de publier un texte législatif, auquel cas l'article 133 ne s'appliquerait pas. Pour les raisons dont j'ai déjà fait mention à ce comité, nous n'acceptons pas le bien-fondé de cette interprétation de l'article 133. Je me demande pourquoi le projet de loi envisage qu'on doit adopter un texte législatif dans les deux langues même si ce texte n'est pas publié. Selon l'hypothèse mise de l'avant par le ministère de la Justice, est-ce que la non-publication ne dispense pas d'adopter dans les deux langues officielles?
En résumé, l'article 3 du projet de loi résout de façon satisfaisante le problème de l'inconstitutionnalité des textes législatifs édictés dans une seule langue mais publiés dans les deux langues officielles lors de leur adoption. Les membres du Comité mixte d'examen de la réglementation sont satisfaits de cet article.
Quant aux autres textes législatifs inconstitutionnels, il semblerait que le gouvernement trouve acceptable que ces lois restent en vigueur malgré leur inconstitutionnalité et semble incapable, 20 ans après le second arrêt Blaikie, d'identifier l'ensemble des textes législatifs concernés.
Selon nous, il n'est pas acceptable qu'un texte législatif qui contrevient à l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, soit parce qu'il n'a pas été édicté dans les deux langues officielles soit parce qu'il n'a pas été publié dans les deux langues officielles, continue d'être appliqué par les autorités gouvernementales. Nous sommes d'avis qu'un tel texte doit être formellement abrogé ou expressément validé.
Un modèle législatif approprié est fourni par l'article 32 de la Loi sur les textes réglementaires qui prévoyait que:
Lorsqu'un règlement ou une modification à un règlement n'ont pas été publiés dans la Gazette du Canada et sont d'une catégorie telle que, s'ils étaient établis après l'entrée en vigueur de la présente loi, ils ne seraient pas, [...] soustraits à l'application du paragraphe (1) de l'article 11, ils sont censés être abrogés à une date postérieure de 12 mois à l'entrée en vigueur de la présente loi, à moins qu'avant cette date ils ne soient transmis au greffier du Conseil privé dans les deux langues officielles, auquel cas le greffier du Conseil privé doit, nonobstant le paragraphe (1) de l'article 7, enregistrer immédiatement le règlement.
Les choix qui s'offrent à un gouvernement soucieux de respecter le principe de la primauté du droit, et en particulier l'utilisation de la langue anglaise et française dans ces textes juridiques, sont, premièrement, d'identifier les textes législatifs sujets à l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 qui ne sont pas conformes à cet article et de les réédicter de manière à corriger la situation, ou d'abroger formellement tous les textes législatifs non conformes.
Une disposition transitoire modelée sur l'article 32 de la Loi sur les textes réglementaires représenterait un compromis entre ces deux alternatives. Tout texte législatif soumis pour réédiction dans un délai d'un an de l'entrée en vigueur du projet de loi S-41 serait réédicté, mais à l'expiration de ce délai, tous les textes non conformes seraient réputés abrogés. Cela pourrait se faire en ajoutant un nouveau paragraphe (7), à l'article 4 du projet de loi, qui se lirait comme suit:
Tout texte législatif visé au paragraphe (1) est réputé abrogé à une date postérieure de 12 mois à l'entrée en vigueur de la présente loi sauf si ce texte est réédicté en application du paragraphe (1) avant cette date.
En terminant, je ferais remarquer au comité qu'une telle disposition refléterait essentiellement la solution retenue par la Cour suprême dans le renvoi sur les droits linguistiques au Manitoba quand la cour a accordé un certain délai au gouvernement manitobain pour se conformer à son jugement.
[Traduction]
La présidente: Normalement, je cède tout de suite la parole aux sénateurs qui ont des questions, et si j'en ai moi- même, je les pose habituellement à la fin, si nous en avons le temps. Toutefois, étant donné ce que vous avez dit, je procéderai un peu différemment aujourd'hui.
Monsieur Bernier, vous pouvez peut-être nous aider à comprendre ce qui a été dit. Les sénateurs membres de notre comité ont exprimé certaines réserves. Je vais hasarder quelques explications, et vous me corrigerez si j'ai tort. Nous pouvons peut-être faire quelque chose ici. Je crois que nous avons là un véritable problème qui n'a rien de théorique.
Un certain nombre de règlements ou de décrets du conseil portent atteinte aux droits linguistiques. Les tribunaux pourraient décider d'un jour à l'autre que certains de ces règlements, ou tous, sont invalides ou sans effet, et inconstitutionnels. Cependant, ce n'est pas qu'un problème théorique, c'est un problème concret. Le gouvernement doit donc trouver une solution pratique à ce vrai problème avant que les tribunaux n'interviennent et ne nous obligent à le faire.
Mis à part la question linguistique — bien que je n'en sois plus sûre après avoir entendu votre témoignage ce matin — je croyais, après avoir entendu les témoins qui vous ont précédés, que les règlements avaient été édictés comme il se devait dans le respect des pouvoirs délégués par le législateur à l'exécutif par les voies législatives voulues.
Ces règlements n'ont jamais été soumis à la Chambre ou au Sénat au même titre qu'un projet de loi étant donné que le législateur n'a pas à les voter. Le pouvoir de prendre ces règlements a été délégué, et en tant que tel, il est tout à fait raisonnable que soit également délégué à l'exécutif le pouvoir de régler les problèmes que posent ces règlements.
En outre, étant donné le nombre astronomique de règlements — et on vient de nous dire que quatre ou cinq d'entre eux poseraient des problèmes techniques — un projet de loi omnibus visant à les corriger tous compterait des milliers de pages et mobiliserait des centaines de rédacteurs, ce qui coûterait une fortune à la population du Canada, solution qui ne serait peut-être pas pratique. Argument qui encore une fois a été réfuté ce matin.
Ce projet de loi nous contraint-il à agir, mis à part le fait qu'il faut baliser l'activité de l'exécutif qui doit régler ce qui constitue un véritable problème, et non un problème théorique? Je commence à penser que nous avons plus qu'un problème véritable sur les bras; nous pourrions aussi avoir un problème constitutionnel sur les bras.
N'importe quel de nos témoins peut donner une réponse à mes interrogations, mais nous pourrions peut-être commencer par M. Bernier.
Le sénateur Hervieux-Payette: Madame la présidente, peut-être devrais-je revenir à ce que j'ai dit en français et en anglais. Le projet de loi S-41 résout une partie du problème. Bien sûr, nous aimerions ajouter quelque chose au projet de loi S-41, et je pense que le plus pratique serait d'éliminer les règlements qui n'ont pas été réédictés.
Le compromis serait d'avoir à récrire de très nombreux règlements. On nous a dit que ce serait un problème énorme, mais personne n'a été capable de me dire à quel point ce serait énorme. Pour moi, cela n'a aucune importance. Il s'agit après tout d'une question constitutionnelle. Lorsqu'il s'agissait de l'arrêt Blaikie au Manitoba ou lorsque le Nouveau- Brunswick est devenu officiellement bilingue, tout a été traduit. Le gouvernement fédéral a aidé les provinces à le faire
Notre comité ne dit pas que c'est un problème qui peut être réglé du jour au lendemain. Nos propositions concernent l'envergure, le coût et les délais de la chose. Je pense que nous devons arriver à quelque chose qui soit relativement raisonnable.
M. François Bernier, conseiller juridique principal, Comité permanent d'examen de la réglementation: Je vais revenir à deux choses que vous avez dites, madame la présidente. Vous avez dit que ces règlements avaient été «dûment édictés». Si, en disant cela, vous voulez dire que l'objet de ces règlements était conforme à la délégation du Parlement, je suis d'accord avec vous. Lorsque nous examinons ces règlements, il nous arrive d'en trouver qui sont inconstitutionnels. Je suis tout prêt à admettre qu'ils ont été pris de bonne foi. De toute évidence, ni le gouverneur en conseil ni un ministre, puisque ce sont eux qui ont l'autorité pour le faire, n'auraient pu savoir, avant le second arrêt Blaikie, que la Constitution exigeait que ces règlements soient édictés, imprimés et publiés dans les deux langues officielles.
Cela étant dit, si nous voyons les choses sous un angle constitutionnel, je dois admettre qu'un règlement assujetti à l'article 133, peu importe qu'il ait ou non été pris de bonne foi, mais qui n'a pas été édicté dans les deux langues officielles, imprimé et publié dans les deux langues officielles, ne peut pas, par définition, avoir été dûment édicté.
C'est là le problème et c'est la raison pour laquelle le comité est saisi du projet de loi.
Pour ce qui est du nombre de règlements en cause et de ce que cela coûterait, je pense qu'on en a déjà abondamment parlé. Et, nous l'avons entendu, le ministre lui-même a dit que le problème était relativement restreint. Il faudrait que nous arrivions à une entente. S'agit-il d'un problème relativement limité, ou s'agit-il de plusieurs millions de dollars et de plusieurs milliers de pages? Personnellement, j'en doute. Pour répondre à cette question, il faut savoir combien de règlements sont ainsi en cause. Ils ne sauraient représenter des millions de pages. Même la codification complète des règlements du Canada de 1978 ne représente pas des millions de pages.
N'oublions pas non plus que l'article 133 ne vaut que pour les règlements, les textes législatifs émanant du gouverneur en conseil ou d'un ministre, ou approuvés par l'un des deux, c'est-à-dire le pouvoir central de l'État. Il s'agit donc d'une catégorie d'instruments relativement limitée. N'oublions pas non plus que la plupart de ces règlements ont été pris et édictés après 1969 et qu'ils sont donc tout à fait conformes à la Constitution. Par conséquent, il s'agit donc d'une toute petite catégorie d'instruments antérieurs à 1969, des règlements relativement anciens, mais également des règlements qui ne relèvent pas de la Loi sur les textes réglementaires parce qu'ils n'ont pas été pris sous l'empire de ce que nous appelons la «formule magique».
Pour ce qui est de ce que cela coûterait, le comité doit se demander si on peut vraiment chiffrer ce que peut coûter quelque chose qui doit être fait pour respecter la Constitution. Une rémunération égale pour un travail de valeur égale, l'élimination de la discrimination, tout cela a coûté pas mal d'argent au gouvernement du Canada, mais le gouvernement a malgré tout été de l'avant. Les tribunaux ne lui ont pas dit: «Nous vous dispensons de le faire et nous vous permettons de continuer à faire de la discrimination parce que cela vous coûterait autant pour remédier à la situation». C'est une réalité incontournable.
La province du Manitoba a dû engager des montants considérables, peut-être avec l'aide du gouvernement fédéral, pour faire face à ses obligations constitutionnelles. Il me semble un peu curieux qu'aujourd'hui, le gouvernement fédéral, qui est toujours intervenu pour défendre l'article 133 et en assurer l'application, vienne invoquer des prétextes de coût pour ne pas se conformer à cet article 133 de la Loi constitutionnelle.
M. Grewal: Je pense que la plupart des thèmes prévus ont été abordés. À mon avis, le gouvernement a l'obligation constitutionnelle de se conformer à la règle de droit. Les coûts ne sont pas un critère en matière de correction des erreurs du passé. Le critère, c'est le respect de la règle de droit. Lorsque le ministre de la Justice, pour ne parler que de lui, avance cet argument, il montre bien l'arrogance du gouvernement qui refuse de reconnaître son erreur et de la corriger.
[Français]
Le sénateur Rivest: Je suis d'accord avec les commentaires qui ont été formulés par les témoins ce matin. Quant à l'étendue, il y a certainement, depuis avant 1969, des règlements qui sont encore en vigueur. Mais même entre 1969 et 1976, le sénateur Joyal nous rappelait hier que la loi de 1969 était non pas exécutoire, mais simplement déclaratoire. Il est donc fort possible qu'il y ait eu des règlements. De plus, antérieurement à 1969, les règlements en vigueur ont sans doute été adoptés et publiés seulement en anglais parce que la fonction publique était dominée par des fonctionnaires qui n'étaient pas bilingues.
Lorsqu'il est fait mention que l'obligation constitutionnelle ne s'appliquerait pas à des règlements ou à des décrets que le gouvernement avait décidé de ne pas publier, et que le fait de ne pas publier aurait l'effet d'une dispense de l'obligation constitutionnelle, je trouve cela un peu absurde.
Est-ce que cela veut dire que, s'il n'y a pas d'obligation linguistique dès lors que le gouvernement décide, pour des raisons qui lui sont légitimes, de ne pas publier un règlement, on peut adopter cela en chinois? Et le règlement serait valide? Constitutionnellement, il ne serait pas valide.
Mais si on l'adopte en anglais, on doit nécessairement l'adopter en français, parce qu'au Canada non seulement la lettre de l'article 133, mais aussi la jurisprudence, établissent qu'il y a une égalité linguistique, et les valeurs de ce pays reposent sur l'égalité linguistique. L'argument du ministère de la Justice m'apparaît assez saugrenu, parce qu'auquel cas, si on décidait de ne pas publier un règlement, on pourrait l'adopter en chinois et ce serait valide, ce qui est absolument absurde.
M. Bernier: Je suis entièrement d'accord avec vous. Le sénateur Hervieux-Payette l'a bien expliqué. Selon moi, lorsqu'on interprète la législation — j'ai quand même 20 ans d'expérience dans ce domaine —, on prend d'abord le sens grammatical ordinaire des mots. Que nous dit l'article 133? Il dit que les lois du Parlement du Canada devront être imprimées et publiées dans les deux langues. C'est tout. Dans le renvoi du Manitoba, la Cour suprême, au sujet de l'article 23 de la loi manitobaine — et toutes ses remarques s'appliquent à 133 —, a parlé de l'exigence impérative d'adopter, d'imprimer et de publier dans les deux langues officielles toutes les lois de la législature, pas les lois que la législature déciderait de publier.
Si on avait voulu que l'article 133 prévoie la publication dans les deux langues officielles des lois que le gouvernement décide de publier, les gens qui ont rédigé la Loi constitutionnelle de 1865 l'auraient dit. Ils étaient quand même des rédacteurs chevronnés qui avaient une expérience de la rédaction législative. Ils auraient dit que les lois du Parlement du Canada, si elles sont publiées, devront être imprimées et publiées dans les deux langues officielles. Ce sont les mots «si elles sont publiées» qu'il faut considérer. Le ministère de la Justice voudrait ajouter toute une phrase à l'article 133. À la lecture de la jurisprudence, nous ne retrouvons aucune indication de la part de la Cour suprême ou de d'autres tribunaux nous laissant penser que l'article 133 dit autre chose que ce qu'il dit.
[Traduction]
M. Grewal: Je ne suis pas avocat, mais à partir du simple bon sens, je me range à l'interprétation du conseiller juridique, comme le ferait n'importe quel profane de ce pays, et je considère que le ministre de la Justice crée une interprétation de toute pièce, ou qu'après l'avoir triturée, il la prend comme prétexte pour ne pas agir.
La présidente: Nous pouvons considérer que le ministre de la Justice agit de bonne foi. Néanmoins, nous pouvons poser certaines questions.
Le sénateur Fraser: Combien d'experts rémunérés à grands frais faudrait-il engager pour retrouver tous les règlements en question? Pourrait-on le faire, par exemple, en recrutant une demi-douzaine d'étudiants en droit pendant un ou deux étés, en leur indiquant dans quels recueils fouiller, ou faudrait-il recourir à des avocats d'expérience, aux honoraires faramineux?
M. Bernier: J'ai du mal à concevoir qu'il faille engager toute une troupe d'avocats aux honoraires faramineux. L'essentiel des textes assujettis à l'article 133 est indexé. La réglementation applicable se trouve dans l'Index codifié des textes réglementaires. C'est bien simple. Nous avons du reste fait le même exercice pour le comité en préparant ce dossier. Quand nous avons constaté que le règlement de l'impôt sur le revenu n'avait été édicté que dans une seule langue, nous avons cherché la date à laquelle il l'avait été pour la première fois. Dans le cas du règlement de l'impôt sur le revenu, c'était sans doute en 1955. Nous avons alors demandé aux Archives du Canada de produire le décret original du conseil en français, et elles en ont été incapables. Elles nous ont remis un exemplaire en anglais de ce décret du conseil. Comme deux précautions valent mieux qu'une, nous avons rappelé, en expliquant l'objet de notre démarche, et nous leur avons demandé de chercher la version française du décret, qui restait introuvable. Il faut en conclure que le gouvernement du Canada n'est pas en mesure de produire les textes originaux du règlement, et qu'il n'a été édicté que dans une seule langue.
La tâche est relativement simple et je pense que comme vous l'avez proposé, des étudiants en droit devraient pouvoir s'en acquitter, sans que cela prenne deux ans.
En dehors de l'Index codifié des textes réglementaires, la situation est plus complexe, à cause de la Loi sur les textes réglementaires. Cette loi, adoptée en 1971, donne des définitions du «texte réglementaire» et du «règlement» qui, selon l'interprétation du ministère de la Justice, ont donné une certaine catégorie de législation déléguée ou de règlements qui ne sont pas visés par cette loi, qui ne sont ni enregistrés, ni publiés et, par conséquent, qui ne sont pas indexés. C'est ce que nous avons appelé la «formule magique». Ce sont ces règlements qu'il faudrait retrouver. Mais je pense que si de tels règlements s'appliquent, les ministères doivent les connaître. Les pouvoirs publics les connaissent, il s'agit donc de bien exposer le problème et de demander à chaque ministère d'envoyer à l'autorité centrale un exemplaire de toutes les mesures législatives subordonnées en vigueur. Dans les délais envisagés ici, il faudrait sans doute un ou deux ans. Le gouverneur en conseil pourrait alors valider la situation et y remédier. À l'expiration de cette période, toute la réglementation en question serait réputée avoir été révoquée.
Comme on l'a indiqué, c'est en quelque sorte ce qu'a fait le Parlement en 1971, lorsque la nouvelle Loi sur les textes réglementaires est entrée en vigueur. À cause des définitions adoptées, la loi risquait de s'appliquer à certains règlements qui n'avaient pas encore été publiés ou qui n'étaient régis par l'ancienne Loi sur les règlements de 1950. C'est pourquoi on a adopté l'article 32. Les pouvoirs publics ont eu un an pour trouver ces règlements et pour les faire enregistrer auprès du greffier au Conseil privé. Au bout d'un an, les délais étaient écoulés et les règlements restants ont été réputés avoir été révoqués.
La formule a bien fonctionné et je suppose qu'elle fonctionnerait encore bien aujourd'hui. J'ai un peu de mal à envisager la possibilité que des règlements très importants échappent à l'attention de tout un ministère ou organisme public.
Le sénateur Fraser: Ma question suivante concerne la publication, qui m'intrigue depuis le début. Est-ce que chaque règlement doit être publié, c'est-à-dire être mis à la disposition des Canadiens? À mon sens, personne ne pense qu'on puisse gouverner dans le secret absolu, mais on dit ici et là qu'il existe différents niveaux de publication, selon la nature du règlement. Vous ne le contestez pas, je suppose.
M. Bernier: Je puis vous dire que j'ai lu certains témoignages recueillis par le comité et je constate que les exemptions de publication prévues dans la Loi sur les textes réglementaires ont suscité certaines inquiétudes. Il importe de préciser que la loi prévoit des exemptions à la publication dans la partie II de la Gazette du Canada. Cela ne veut pas dire que les règlements ne sont pas publiés ailleurs. Il est fort possible qu'ils le soient. Contrairement à ce que j'ai entendu dire, je ne peux pas considérer que ces dispositions de la Loi sur les textes réglementaires équivalent à une modification de la Constitution. À priori, ces dispositions indiquent simplement qu'il n'y a pas lieu de publier les règlements en question dans la Gazette du Canada.
Quant aux modalités de publication qui satisfont aux exigences constitutionnelles de l'article 133, je ne peux faire que des conjectures. La Cour suprême, bien sûr, est seule habilitée à donner une réponse définitive. Je suppose cependant qu'elle serait sensible à certains des facteurs que vous avez mentionnés, et qu'elle accepterait probablement autre chose qu'une publication générale.
Cela étant dit, je sais bien que chaque fois que l'on prononce les mots «sécurité nationale», «défense nationale» ou «relations internationales», les gens ont quelque peu tendance à se raidir. Pour ceux qui disent qu'il est essentiel d'être habilité à cacher des règlements ou à ne pas les publier, est-il concevable qu'une loi du Parlement du Canada reste secrète et qu'elle ne soit pas portée à la connaissance de l'ensemble des citoyens? Pour autant que je sache, cela ne s'est jamais produit, et je ne pense pas que cela puisse un jour se produire.
Il est exact que la Loi sur les langues officielles exige que toutes les lois du Parlement du Canada soient publiées; il est donc impossible qu'une loi du Parlement du Canada reste secrète ou ne soit pas publiée. Si le Parlement du Canada ne peut pas garder secrète l'une des ses lois, comment un simple délégué du Parlement pourrait-il être habilité à le faire? N'est-ce pas l'indication que de l'avis du Parlement, la législation est par nature publique?
Le sénateur Fraser: J'ai compris votre argument, monsieur Bernier. Merci.
Le sénateur Cools: Qu'est-ce qui permet de dire que le Parlement ne pourrait agir en secret? À tout moment, en vertu des dispositions sur l'exclusion des étrangers, le Parlement a le pouvoir d'expulser certaines personnes et d'agir en secret.
M. Bernier: L'article 133 de la Loi constitutionnelle précise que les lois du Parlement doivent être imprimées et publiées.
Le Parlement peut siéger.
Le sénateur Cools: Le Parlement peut fermer ses portes, siéger en secret et adopter des lois en secret.
M. Bernier: Oui, mais la loi...
Le sénateur Cools: Je pensais que vous parliez non pas d'adopter des lois en secret, mais d'agir en secret.
M. Bernier: Non.
Le sénateur Cools: Le Parlement peut tenir une session secrète. C'est ce qu'il fait en temps de guerre.
M. Bernier: Oui, il l'a déjà fait; vous avez raison.
Le sénateur Andreychuk: Le sénateur Fraser a déjà abordé les thèmes dont je voulais parler. Si je comprends bien, vous dites que tous les règlements doivent être publiés sous une forme ou une autre, mais pas nécessairement dans la Gazette du Canada, à moins qu'ils ne relèvent de cette formule magique, n'est-ce pas?
M. Bernier: Non, même ces règlements-là sont visés, madame le sénateur. Soyons précis: il s'agit de tous les règlements régis par l'article 133, ce qui ne signifie pas la totalité des règlements. Il s'agit uniquement des règlements pris par le gouverneur en conseil, par un ministre, ou approuvés par eux. C'est ce qu'a affirmé l'arrêt Blaikie no 2. Dans cet arrêt, la Cour suprême a dit qu'il s'agissait de la législation subordonnée à laquelle s'appliquait l'article 133. Un certain nombre d'autres règlements, pris par des organismes comme le CRTC, ne sont pas régis par l'article 133.
Le sénateur Andreychuk: Vous dites donc qu'ils doivent être publiés d'une façon quelconque, mais vous ne pouvez pas dire exactement sous quelle forme, car les tribunaux n'en ont pas décidé.
M. Bernier: Exactement. J'ai regardé dans les dictionnaires les définitions du mot «publier», qui a la même racine que le mot «public». On aurait spontanément tendance à dire que «publier» signifie mettre sous une forme quelconque à la disposition du public. S'il existait un règlement régissant la longueur des cheveux des employés du SCRS, les prestations auxquelles ils ont droit, les endroits où ils peuvent prendre leurs vacances, et cetera, et que ce règlement soit publié dans les deux langues officielles et distribué parmi tous les employés concernés, mais pas à l'extérieur, pourrait- on dire que ce règlement a été publié? La question reste posée. Je suppose que la Cour suprême pourrait être sensible à certaines préoccupations et considérer que la «publication» ne signifie pas nécessairement une publication générale, mais ce n'est qu'une supposition.
Le sénateur Andreychuk: Votre exemple concerne un problème d'emploi, et non pas un règlement. Peut-être faudrait-il en chercher un meilleur. Si un règlement précise que l'employeur a le droit d'imposer un code vestimentaire, cela ne menace en rien la sécurité nationale. L'important est de savoir quand et à qui le règlement s'applique, en dehors des exigences de l'article 133.
M. Bernier: Votre argument est juste, et je suis content d'avoir pris cet exemple, puisqu'il vous y a fait penser. Chaque fois qu'un règlement est pris, c'est le Parlement qui en décide. Pour le Parlement, il convient alors d'utiliser le véhicule législatif, si vous me permettez l'expression. Dans d'autres cas, pour le Parlement, il n'a pas lieu de recourir au véhicule législatif ni d'autoriser l'un de ses délégués à adopter une mesure législative; le Parlement se contente d'octroyer un pouvoir administratif, et c'est notamment le cas dans le domaine de l'emploi. Il dirait par exemple que la direction du SCRS est assurée par un tel et un tel. Les personnes en question peuvent alors, dans l'exercice de leur pouvoir administratif, émettre des lignes directrices, par exemple, mais qui n'auront pas valeur de législation déléguée.
Cela pourrait signifier que lorsqu'on décide que certaines choses ne doivent pas être publiées et qu'elles doivent rester secrètes, il ne faut pas procéder par la voie législative. Une mesure législative qui prend la forme d'une loi du Parlement est nécessairement et intrinsèquement publique par nature. Si l'on veut procéder d'une façon autre que publique, il faut alors conférer un pouvoir administratif. C'est tout à fait possible. Ainsi, le Bureau de la régie interne de la Chambre, ou son homologue du Sénat, n'ont pas à publier leurs procès-verbaux ni quoi que ce soit.
Le sénateur Andreychuk: Je voulais dire autre chose. La portée d'un règlement peut préciser que certaines mesures doivent être prises. Cependant, au niveau de l'administration du règlement, les mesures prises n'ont pas à être rendues publiques. Par exemple, dans le domaine de la sécurité nationale, on peut dire que certains agents ont tel ou tel pouvoir, mais ces agents ne seront jamais nommés, parce que c'est l'effet du règlement qui compte, plutôt que son existence proprement dite, laquelle n'a pas à être rendue publique.
M. Bernier: C'est exact.
Le sénateur Andreychuk: Il me semble que la Constitution n'échappe pas aux finances. La cour n'a pas affirmé qu'il s'agit d'une entorse à la Constitution; elle a accordé au gouvernement un certain délai pour se conformer à ses obligations constitutionnelles. On dit ici que l'exercice est si important et si coûteux qu'il va falloir prolonger ce délai. Personne n'entend se soustraire aux dispositions constitutionnelles.
Le sénateur Hervieux-Payette: Aux termes de la Charte canadienne des droits et libertés, chaque citoyen peut jouir intégralement de ses droits. S'il fallait demander à la justice de valider chacun de ces règlements illégaux, il en coûterait beaucoup plus cher que pour les régulariser. En passant par la Cour supérieure, la Cour d'appel et la Cour suprême, on se retrouve toujours avec des dépens d'un demi-million de dollars.
Pour que tous les citoyens de ce pays, y compris les Canadiens français, puissent faire valoir leurs droits, il faut qu'ils aient accès à la réglementation dans leur langue. Les Canadiens ne sont pas tous bilingues. Et c'est ce que prévoit la Constitution. Je trouve choquant non seulement que l'on fasse valoir des questions d'argent face à la possibilité, pour chaque citoyen, de faire valoir ses droits, mais également qu'il faille se battre, parce que le ministère affirme qu'il peut rendre ces règlements rétroactivement valides. Je ne comprends pas cela. Il va réédicter les règlements en les rendant rétroactifs. C'est une argumentation que je n'accepte pas.
Le sénateur Andreychuk: Quand la situation du Manitoba a été portée en justice et que le gouvernement a pris conscience de ses obligations, il a obtenu un délai. L'argument financier avait un certain poids, mais il fallait aussi gagner du temps.
M. Bernier: C'est vrai au niveau de la mise en oeuvre, mais pas en ce qui concerne la non-conformité.
Le sénateur Andreychuk: C'est exact.
M. Bernier: L'argument ne vaut pas en ce qui concerne la non-conformité. En réalité, je crains que ce soit un faux argument. Le ministre de la Justice a sans doute raison de dire qu'il s'agit d'un problème de portée limitée. En ce qui concerne les témoins qui ont fait état de coûts prohibitifs, je pense qu'il s'agit d'un cas d'imagination bureaucratique débordante.
Le sénateur Andreychuk: Je voulais dire que dans le cas du Manitoba, on peut peut-être considérer que le gouvernement provincial a été pris au dépourvu. En revanche, si je comprends bien votre témoignage, vous avez signalé le problème il y a près de 10 ans, et le gouvernement a eu largement le temps d'instruire le dossier.
M. Bernier: L'arrêt Blaikie a été rendu il y a 20 ans. Je voudrais faire encore remarquer que la proposition qui vous a été soumise ce matin sous forme d'amendement comporte un délai. Elle accorde un an au gouvernement, ce qui correspond exactement au délai que la Cour suprême a initialement accordé au gouvernement du Manitoba, qui faisait face à une tâche beaucoup plus considérable. Par la suite, ce délai a été reporté, et dans le cas présent, le Parlement pourrait, lui aussi, reporter le délai en cas de besoin.
Le sénateur Andreychuk: Madame la présidente, vous avez fait des commentaires auxquels je souhaite répondre. Vous avez dit que ce dossier pose un problème constitutionnel en plus du problème pratique. Quant à moi, je ne parviens pas à comprendre que le gouvernement canadien puisse venir nous dire qu'il ne sait pas combien de règlements ses services appliquent, et qu'il n'a aucune possibilité de le déterminer.
Pendant des années, j'ai étudié le régime de l'Union soviétique, où les lois étaient édictées et administrées à l'encontre des citoyens. À l'époque, j'étais fière du Canada, où s'appliquaient des lois contrôlées par le gouvernement. Aujourd'hui, je trouve curieux d'entendre dire qu'on ne connaît pas toutes les lois qui s'appliquent dans ce pays.
La présidente: Ce que je veux dire, madame le sénateur, c'est que nous avons un problème pratique sur les bras et qu'il nous faut trouver la meilleure façon de le régler.
Le sénateur Andreychuk: Je suis d'accord avec vous. Le gouvernement a quelqu'un qui s'en occupe au Conseil privé, mais nous devrions exiger que le gouvernement mette en place un processus de codification quelconque afin que nous sachions, comme quelqu'un l'a signalé, de façon précise à un moment donné, ce que représente au total la législation canadienne. J'en parlerai plus tard, lorsque nous préparerons notre rapport.
La présidente: Le mémoire qui nous a été remis dit ceci:
[...] la codification ne sert pas à valider des règlements nuls au départ.
J'aimerais donner la parole au sénateur Joyal, mais par souci de précision, je voudrais commencer par signaler à M. Bernier que le Comité de la régie interne, des budgets et de l'administration siège en séance publique, publie ses procès- verbaux et les adopte publiquement.
M. Bernier: Toutes mes excuses, sénateur.
[Français]
Le sénateur Joyal: J'aimerais revenir au paragraphe 5 de la déclaration dans lequel vous mentionnez que les règlements de la Loi de l'impôt n'ont pas été édictés dans les deux langues.
Je dirais que c'est purement une question de gestion. N'avez-vous pas fait le plus rapidement possible la recommandation au ministre du Revenu d'adopter à nouveau ces règlements dans les deux langues? Il s'agit d'un règlement plutôt fondamental dans la gestion du gouvernement.
M. Bernier: Nous avons obtenu confirmation il y a à peine deux semaines de la part des archives du Canada que l'article 3 du projet de loi, dans le cas présent, validerait le règlement de l'impôt.
Le sénateur Joyal: La loi n'a toutefois pas encore été adoptée. Ainsi, pendant toutes ces années d'argumentation entre vos services et ceux du ministère de la Justice sur la validité de votre point de vue, quelqu'un aurait pu, on se basant sur le jugement Blaikie, aller devant les tribunaux demander l'invalidation du règlement de l'impôt.
M. Bernier: Il en est de même dans le cas de tout autre règlement visé par les articles 3 et 4 du projet de loi.
Le sénateur Joyal: Il y a donc une certaine urgence à adopter ce projet de loi.
M. Bernier: Bien sûr.
Le sénateur Joyal: Vous avez mentionné l'année 1969 comme date butoir de l'application et de la portée du projet de loi S-41. Lorsque le ministre de la Justice a comparu devant le comité, il a indiqué qu'il serait disposé à limiter la validité ou l'application de cette loi à l'année 1988, date d'adoption de la loi actuelle sur les langues officielles, compte tenu que l'ancienne loi n'avait pas, selon le ministère de la Justice, un caractère exécutoire.
Serait-il souhaitable de fixer une date butoir à 1988, année de l'adoption de la Loi sur les langues officielles, ou ce projet de loi ne devrait-il pas être ouvert, c'est-à-dire sans échéance?
Le sénateur Hervieux-Payette: On parle de la Loi constitutionnelle de 1867. Si le gouvernement fédéral a tardé jusqu'en 1988 pour créer une loi plus spécifique, il en est de même en ce qui a trait à la première Loi sur les droits de la personne. Les gens n'avaient-ils pas des droits avant l'adoption de la première Loi sur les droits de la personne? Certains droits étaient reconnus sans pour autant avoir légiféré en détail l'application de la Loi sur le bilinguisme — qui s'étend à d'autres considérations que la publication et la rédaction des lois et règlements.
J'hésite donc à dire que l'application du projet de loi devrait débuter en 1969 ou en 1988. Lorsqu'un citoyen a un droit ou qu'on limite ses droits, il faut que celui-ci ait accès au règlement. Si au niveau de la langue il n'y a pas accès et que, constitutionnellement, ce règlement n'est pas valide, je ne vois pas pourquoi on fixerait une date butoir.
Le principe fondamental fait que la loi de 1867 s'applique entièrement et non pas à moitié. À mon avis, tout débute en 1867. Cette loi a été soumise à plus de précision dans l'arrêt Blaikie. Le droit existait puisque la cour l'a reconnu.
Je serais très réticente à dire qu'on part de 1988, car cela signifierait que l'article 133 ne s'appliquerait pas. J'essaie de voir comment réconcilier les deux et j'ai de la difficulté, à moins que vous n'ayez une façon constitutionnelle de rendre le tout valide.
M. Bernier: Je suis un peu désavantagé car, malheureusement, je ne m'attendais pas à une question aussi précise sur la Loi sur les langues officielles, et je n'ai pas avec moi la version de 1988.
Le sénateur Joyal: Je peux vous la remettre si vous le désirez.
M. Bernier: Jusqu'en 1985, on disait que les seuls règlements qui devaient être adoptés dans les deux langues officielles étaient ceux qui étaient soumis à une obligation de publication dans la Gazette du Canada. Cela laissait de côté un grand pan de législation.
Si je ne m'abuse, nous avons ici un avis formulé assez rapidement. L'article 7 exige l'adoption dans les deux langues officielles d'actes pris dans l'exercice d'un pouvoir législatif qui sont astreints sous le régime d'une loi fédérale à l'obligation de publication dans la Gazette du Canada.
Il existe justement des règlements de législation déléguée, qui n'est pas astreinte à une obligation de publication dans la Gazette du Canada, mais qui demeure sujette à l'article 133 de la Constitution canadienne.
Arrêter la loi en 1988 ne règle donc pas la situation.
En vertu de la Loi sur les textes réglementaires, tous les règlements, comme les règlements de l'article 15 faits soit par le Gouverneur en conseil ou le ministre, sont exempts de l'obligation de publier dans la Gazette du Canada, partie II. Ces règlements sont quand même de la législation et peuvent être, si c'est fait par le gouverneur en conseil ou le ministre, sujets à l'article 133.
Il n'y a pas vraiment de différence de statut au point de vue de l'article 133, et je pense qu'on ne peut pas prendre pour acquis que tout ce qui a été fait après la dernière révision de la Loi sur les langues officielles, a été nécessairement adopté dans les deux langues officielles.
Le sénateur Joyal: Si on revient à la définition de la publication, parce que c'est là où nous avons un besoin de clarification, il faut imprimer et publier, c'est-à-dire rendre accessible, les textes réglementaires qui ont été adoptés en vertu d'un pouvoir délégué du Parlement, que ces textes soient publiés dans la Gazette officielle ou non.
Le sénateur Hervieux-Payette: Oui, c'est cela.
Le sénateur Joyal: Eu égard à l'article 133 de la Constitution de 1867, ils sont assujettis au même régime d'accessibilité dans les deux langues officielles. Est-ce que cela correspond à votre interprétation?
M. Bernier: C'est un excellent sommaire. Le seul élément que j'ai pu dégager de la jurisprudence de la Cour suprême et des autres tribunaux est que la publication doit avoir un caractère officiel. La Cour suprême, je crois, l'exigerait. En d'autres mots, la publication est sanctionnée par l'État. Autrement dit, il ne s'agit pas d'une publication privée. Une loi, un règlement ou un texte législatif qui ne serait pas publié par le gouvernement dans la Gazette du Canada et qui se retrouverait publié par l'entreprise privée, par exemple, ne rencontrerait pas les exigences de l'article 133.
Le sénateur Rivest: Vous voulez dire par un organisme gouvernemental.
M. Bernier: Oui. Ou bien il se peut qu'il y ait une sanction. Ce qui préoccupe la Cour suprême au sujet de l'article 133, c'est le droit d'accès dans sa langue aux lois. Pour ce qui est d'un document qui serait publié par un imprimeur privé, il n'y a aucune garantie qu'il s'agit de la loi.
Le sénateur Joyal: Concrètement, comme vous le dites, il faut donner aux mots leur sens naturel et il n'y a pas un texte réglementaire qui n'est pas imprimé. Un texte, ce sont des mots. Ce sont des mot écrits et, à partir du moment où cela figure sur une feuille de papier, c'est imprimé.
M. Bernier: De nos jours.
Le sénateur Joyal: À partir du moment où le texte est sur une feuille de papier et qu'il est un multiple de un, il est imprimé. Par définition, s'il est imprimé selon l'article 133, il faut qu'il soit publié.
Mme Hervieux-Payette: Oui.
Le sénateur Joyal: C'est-à-dire circulé. Le mot «public» a un sens de circulation, d'accessibilité.
M. Bernier: Si vous dites qu'un texte imprimé doit nécessairement être considéré comme étant publié, je ne vous suivrai pas dans ce sens. Je pense qu'il s'agit de choses distinctes et c'est pour cette raison que les deux mots sont utilisés à l'article 133. Quelque chose peut être imprimé sans être publié. D'ailleurs, tous les projets de règlement doivent être soumis au greffier du Conseil privé en deux exemplaires, alors, en partant, on pourrait dire que c'est toujours publié. Ce n'est pas de la publication.
C'est une hypothèse personnelle, je le reconnais, mais la publication n'est peut-être pas nécessairement la publication à grande échelle, c'est-à-dire avec l'accès de l'ensemble du public canadien du genre Gazette officielle. C'est quand même plus que d'en glisser une ou deux copies à des collègues de bureau.
Le sénateur Joyal: Ma question suivante a trait à ce que j'appellerais la faisabilité de l'exercice, du recensement ou de l'inventaire de ces règlements. Hier, nous avons entendu le Commissaire aux langues officielles qui nous a fait la recommandation d'établir un inventaire.
En ce qui a trait à l'inventaire, il faut tenir compte de deux facteurs: l'identification et l'implication sous-jacente des coûts. Lorsqu'on veut évaluer l'impact de cette approche, il faut faire en sorte que la période de temps couverte corresponde raisonnablement au montant de travail à faire.
Dans le cas présent, vous suggérez un an. Pour reprendre les mots des témoins antérieurs, compte tenu qu'on ne connaît pas le nombre de règlements non publiés, si on adopte cette approche, n'y a-t-il pas lieu de se donner une période de temps raisonnable? La période temps raisonnable serait fondée sur l'inconnu que nous avons à découvrir. Dans le cas du Manitoba, la législation était là et on la connaissait. Dans le cas présent, théoriquement — c'est du moins ce qu'on nous a dit — on ne connaît pas l'ampleur du travail d'identification.
Le sénateur Hervieux-Payette: J'aimerais faire une réflexion suite à vos questions. D'une part, cela fait 20 ans que cette question a été soumise à l'examen des parlementaires et qu'on sait qu'il y a des règlements qui ont été publiés dans une seule langue et que, de cette façon, ces règlements sont invalides. Je pense qu'il y a eu amplement de temps pour faire l'inventaire.
Deuxièmement, l'application d'un règlement est connue par un gouvernement qui ne connaît pas son règlement. Je me demande comment on pourrait faire, sur le plan administratif, l'application d'un règlement dont on ne connaît pas l'existence. En contrepartie, comment un citoyen peut-il respecter un règlement que le gouvernement lui-même ne connaît pas ?
C'est pour cela que notre amendement a beaucoup de sens. Si tous ces règlements inconnus, non appliqués, et inapplicables parce que personne ne les connaît, deviennent automatiquement désuets après un an, on pourra s'attaquer à ceux qui sont en application, qui sont valides et que le gouvernement connaît. Je pense qu'un an est suffisant.
Il y a quand même eu des étapes dans la révision de la réglementation. C'est quand même la tâche du comité d'examiner tous les règlements. Ces règlements sont révisés à chaque fois qu'une nouvelle loi est adoptée parce qu'il y a une panoplie incroyable de règlements qui émanent de la nouvelle loi. De penser que le gouvernement ne connaît pas ses lois ni à quel moment elles ont été édictées et que, conséquemment, il y aurait des règlements qui seraient restés accrochés à des lois qui n'existent plus... On a les statuts et on a une consolidation qui ne remonte pas à 1920.
Au départ, sur le plan pratique, concernant le fait qu'on ne connaît pas le montant de travail qui est à faire, je pense que notre hypothèse pour régler cette question est valide, valable et pratique. On arrive avec une solution pratique. Ceux qui doivent être amendés le seront dans l'année qui vient — ils vont être traduits plutôt, c'est un travail de traduction.
Je ne pense pas que cela soit un travail aussi gigantesque que de traduire tous les règlements et lois au Manitoba. On nous raconte une histoire d'horreur, mais si on nous avait vraiment exposé les faits, après 20 ans on serait en mesure de savoir où est l'histoire d'horreur. Alors je n'accepte pas que la quantité de travail est énorme. Je pense qu'une durée d'un an est raisonnable. Cette approche a déjà fonctionné dans le passé. Comme le dit notre conseiller, s'il y avait un problème de retard de six mois, le Parlement siège validement et il pourra accorder une extension. Mais si on commence, après 20 ans, à augmenter le temps pour commencer à se conformer à la Constitution, je trouve que c'est une erreur.
[Traduction]
M. Bernier: Madame la présidente, j'aimerais si vous voulez faire rapidement un ou deux commentaires. Le délai d'un an qui est proposé n'est de toute évidence pas quelque chose d'impératif. Le comité fera ce qu'il voudra de la proposition d'amendement.
Ce qui est important, ce n'est pas qu'il s'agisse d'un an ou de deux ans, mais qu'il y ait une échéance. Le principe en cause, c'est que nous vivons dans une société qui ne permet pas qu'un règlement inconstitutionnel puisse continuer à être imposé à ses citoyens et continue à servir de référence aux pouvoirs publics. Nous sommes des citoyens du Canada et, à ce titre, nous avons le droit d'exiger une Constitution qui soit respectée.
Avec l'article 4, le gouvernement part du principe qu'il est parfaitement acceptable qu'un règlement inconstitutionnel puisse demeurer valide pendant un certain temps et que, à un moment donné, dans 20 ans peut- être, nous allons valider ces règlements qui vont à l'encontre de la loi. Voilà l'élément du projet de loi qui, dans une situation d'État de droit, n'est pas acceptable.
La présidente: Je vous remercie.
Le sénateur Bryden: Je vais y aller avec prudence parce que, jusqu'à aujourd'hui, je n'ai pas eu l'occasion de suivre ce dossier d'aussi près que je l'aurais voulu.
Il y a quelque chose qui m'interpelle dans votre mémoire. Pour être plus précis, il s'agit de la page 6 où vous dites, au seizième paragraphe:
[...] le Comité mixte avait recommandé d'identifier tous les textes législatifs édictés en violation de l'article 133, pour les faire réédicter par l'autorité compétente.
Qu'est-ce qui les rend contraires à l'article 133? Selon l'interprétation que je fais de cet article, un texte serait effectivement une violation. Par exemple, les lois du Parlement du Canada doivent être imprimées et publiées dans les deux langues officielles. Par conséquent, en ce qui nous concerne, un texte est contraire à l'article 133 s'il n'est pas imprimé et publié dans les deux langues officielles. Est-ce cela?
M. Bernier: C'est cela, mais il faut se souvenir que dans l'arrêt Blaikie, la Cour suprême avait déclaré que l'expression «imprimé et publié» équivalait à «adopt».
Le sénateur Bryden: Voilà précisément qui m'amène à un autre élément pour lequel je voudrais des précisions. En haut de la page 6, l'article 14 reprend l'extrait suivant de l'arrêt de la Cour suprême du Canada:
L'article 123 de la Loi de 1870 sur le Manitoba enchâsse une exigence impérative d'adopter, d'imprimer et de publier dans les deux langues officielles toutes les lois de la Législature.
Est-ce que l'arrêt Blaikie concerne cet article?
M. Bernier: Pour commencer, je dois rappeler qu'il s'agit de l'article 23 et je vous présente mes excuses pour cette faute de frappe. Ce n'est pas l'article 123 de la Loi de 1870 sur le Manitoba.
Le sénateur Bryden: C'est donc l'article 23.
M. Bernier: En effet.
Le sénateur Bryden: Vous parlez de l'arrêt Blaikie?
M. Bernier: Non, il s'agit du renvoi concernant les droits linguistiques au Manitoba. Il y avait eu deux renvois. Dans le premier renvoi, la Cour suprême, comme nous le savons, avait statué que le Manitoba était assujetti à l'article 23 qui est identique à l'article 133 de la Loi constitutionnelle.
Le sénateur Bryden: C'est cela que je voulais vous demander. On dit donc, après rectification de cette faute de frappe, que l'article 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba enchâsse une exigence impérative d'adopter, d'imprimer et de publier. Est-ce bien cela que dit l'article 23?
M. Bernier: Cela, sénateur, c'est un extrait d'un arrêt de la Cour suprême, et j'imagine donc que c'est bien de cela qu'il s'agit.
Le sénateur Bryden: Si nous interprétons l'article 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba, cet article dit-il bien «imprimer et publier» comme l'article 133, ou dit-il «adopter, imprimer et publier»?
M. Bernier: L'article 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba dit que les lois de la Législature doivent être imprimées et publiées dans ces deux langues, c'est-à-dire en français et en anglais, et cela est identique à ce que dit l'article 133 de la Constitution, étant bien entendu que la Constitution parle du Parlement du Canada et de l'Assemblée législative du Québec.
Le sénateur Bryden: Cet extrait signifie donc que la Cour suprême dit que l'expression «imprimer et publier» veut également dire «adopter». Est-ce cela?
M. Bernier: La Cour suprême l'avait déjà fait dans l'arrêt Blaikie. Au moment où elle a été appelée à entendre le renvoi concernant le Manitoba, la loi disait déjà que «imprimer et publier» voulait dire «adopter, imprimer et publier».
[Français]
Le sénateur Rivest: Suggérez-vous d'inclure dans le projet de loi des délais d'un ou deux ans, avec possibilité d'extension?
Le sénateur Hervieux-Payette: Oui, c'est le sujet d'un amendement. Il est important après 20 ans de placer une limite dans le temps si on veut en arriver à une conclusion. Si jamais la somme de travail est gigantesque, cette période peut toujours être prolongée, mais j'en doute. Si notre proposition est acceptée, plusieurs règlements deviendront automatiquement périmés et n'auront pas à être traduits. Je pense que ce sera le cas pour la majorité des règlements.
M. Bernier: Ce qui manque ici, et je le dis de façon très candide, c'est une volonté de régler la situation. Si le gouvernement s'était mis à la tâche immédiatement au lieu de contester le point de vue du Comité mixte d'examen de la réglementation, lorsqu'il celui-ci soulevé le problème, les choses n'auraient pas traîné en longueur et la tâche serait complétée aujourd'hui.
Le sénateur Rivest: J'ai un moyen infaillible pour leur donner la volonté d'agir: je vais contester un règlement de l'impôt demain matin!
[Traduction]
La présidente: Je vous remercie. Sénateur Rivest, je vous rappelle donc que l'amendement proposé dit ceci:
[...] une date postérieure de 12 mois à l'entrée en vigueur de la présente loi [...]
Je vous remercie tous d'être venus aujourd'hui.
La séance est levée.