Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 34, Témoignages
OTTAWA, le mercredi 8 mai 2002
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles s'est réuni ce jour à 16h12 pour examiner la motion ainsi que le message de la Chambre des communes concernant le projet de loi C-15A, Loi modifiant le Code criminel et d'autres lois et pour étudier le projet de loi S-41, Loi visant la réédiction de textes législatifs n'ayant été édictés que dans une langue officielle.
Le senateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, nous avons deux points à notre ordre du jour. Nous allons commencer par examiner la motion visant à modifier le projet de loi C-15A. Nos premiers témoins seront des représentantes du ministère de la Justice, MmeAngers et MmeMorency, qui vont nous expliquer très clairement pourquoi un des amendements proposés par notre comité n'a pu être accepté par la Chambre des communes. Après cela, nous passerons à nos délibérations sur le projet de loi S-41.
MadameAngers, je vous invite à prendre la parole.
Mme Lucie Angers, avocate, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice: Honorables sénateurs, je suis heureuse d'être ici aujourd'hui pour parler des questions qu'ont posé les fournisseurs de service Internet au sujet de la responsabilité que pouvait leur imposer le projet de loi C-15A. Si le comité le permet, j'aimerais vous présenter quelques observations et je répondrais ensuite à vos questions.
Comme les honorables sénateurs le savent, ce sont principalement les fournisseurs d'accès Internet (FAI), représentés en particulier par l'Association canadienne de télévision par câble, l'ACTC, et par l'Association canadienne des fournisseurs Internet, l'ACFI, qui s'inquiètent des risques de poursuites pénales. L'Association canadienne de télévision par câble estima qu'un fournisseur d'accès qui se contenterait de fournir à des clients le moyen de communiquer ou d'entreposer des données pourrait être accusé de transmettre ou de rendre accessible de la pornographie juvénile. Ces entreprises risquent donc d'être visées par le projet de loi C-15A. Ces associations estiment que les fournisseurs d'accès Internet pourraient être déclarés responsables d'avoir transmis ou rendu accessibles des données même dans les cas où le fournisseur ne sait pas que ces données constituent de la pornographie juvénile.
Le projet de loi C-15A ne s'applique pas à ces personnes. Comme l'ancienne ministre de la Justice l'a mentionné lorsqu'elle a comparu devant vous en novembre dernier, les fournisseurs qui ne savent pas que leurs serveurs sont utilisés pour transmettre ou entreposer de la pornographie juvénile ou qui n'exercent aucun contrôle sur ce genre d'activité ne peuvent être tenus responsables d'avoir transmis ou rendu accessible de la pornographie juvénile. La principale raison est que cela met en jeu un principe essentiel du droit pénal selon lequel il n'y a pas d'infraction si l'auteur du fait reproché n'a pas d'intention criminelle. Autrement dit, il est impossible de commettre une infraction sans le savoir.
L'utilisation de termes comme «sciemment» ou «sans en avoir connaissance» dans les dispositions du Code criminel créant des infractions laisserait planer un doute sur l'intention exigée pour les autres infractions du Code criminel, dont la formulation ne contient pas généralement cette expression mais que les tribunaux ont néanmoins interprété comme si elles exigeaient une intention criminelle. En fait, les présomptions de la common law, comme celle qui touche l'élément moral de l'infraction, obligent le législateur à énoncer expressément qu'il ne souhaite pas qu'une infraction pénale donnée exige un élément moral subjectif. Par conséquent, étant donné que le législateur n'a pas expressément exclu la présomption visant l'élément moral, il faut tenir pour acquis que le législateur a voulu créer une infraction de nature pénale.
D'après l'arrêt de la Cour suprême du Canada Sault-Sainte-Marie, ce type d'infraction oblige la Couronne à démontrer la présence d'un élément moral, à savoir, que l'accusé qui a commis l'acte prohibé l'a fait de façon intentionnelle ou insouciante, en ayant connaissance des faits constitutifs de l'infraction ou en faisant preuve d'un aveuglement volontaire à leur sujet.
Depuis 1993, la distribution de pornographie juvénile est une infraction. Si l'on appliquait l'argument des fournisseurs d'accès Internet aux dispositions de 1993, il aurait été possible de les inculper, et ils l'auraient probablement d'ailleurs été, d'avoir distribué de la pornographie juvénile au cours de ces neuf années, même s'ils l'avaient fait sans le savoir. Les membres du comité se souviennent du fait que les représentants des FAI ont admis aux honorables sénateurs qu'effectivement, aucun fournisseur d'accès Internet n'avait été poursuivi jusqu'ici au Canada pour avoir distribué de la pornographie juvénile.
Nous tenons à indiquer clairement que les FAI ne commettent pas d'infraction reliée à la pornographie juvénile lorsqu'ils n'ont pas connaissance du contenu des documents entreposés dans leurs systèmes ou transmis par eux. Le projet de loi C-15A ne modifierait pas cette situation.
Le sénateur Beaudoin: Si je suis votre raisonnement, je ne vois pas pourquoi vous n'acceptez pas l'amendement proposé par le sénateur Nolin. Il s'agit d'une infraction pénale. Si nous faisons comme vous le proposez, nous allons devoir agir de la même façon dans tous les cas qui pourront se présenter à l'avenir. Ce n'est pas ce qui nous occupe ici, c'est l'utilisation du mot «sciemment» qui nous intéresse, parce que c'est un mot important. Quelqu'un ne peut être déclaré coupable d'une infraction pénale s'il n'a pas eu l'intention — l'élément moral — de commettre l'infraction. Je comprends que cela soulève des difficultés. Votre argument selon lequel nous ne devrions pas procéder de cette façon parce qu'il faudrait continuer à le faire par la suite ne me paraît guère convaincant.
Si l'on constate au cours du processus législatif qu'il convient d'adopter une certaine mesure, alors il faut la prendre. Cela va peut-être modifier la façon dont nous allons rédiger les projets de loi à l'avenir. Il sera peut-être nécessaire de changer notre façon de formuler certaines dispositions législatives à l'avenir. Mais c'est la vie.
De plus en plus, je l'espère, comme nous le disons en français,
[Français]
On apprend beaucoup avec le temps. Le Code criminel est fondé sur l'intention. Si cela nous oblige dans le futur à être plus précis, nous le serons.
Mme Angers: Vous avez demandé, dans un premier temps, quel était le problème avec l'adoption de l'amendement tel que proposé. Nous voulons être en mesure— je sais que c'est votre intention aussi— de pouvoir poursuivre un fournisseur d'accès Internet qui ne fournirait que les moyens de transmettre la communication, s'il le sait. Par exemple, une des choses à laquelle les gens pensent c'est qu'un pédophile pourrait lui-même devenir un fournisseur d'accès Internet. Si l'amendement, tel que proposé, était accepté, cela pourrait résulter dans le fait que ce pédophile fournisseur d'accès Internet qui fait cela afin de faciliter le travail des gens qui pensent comme lui, pourrait se trouver exempté de toute forme de responsabilités criminelles parce qu'il n'aurait plus, par exemple, qu'à mettre en place le système permettant à ses congénères de transmettre ou d'avoir accès à de la pornographie juvénile.
[Traduction]
D'après nous, la personne qui est en possession d'un système informatique et qui se contente de laisser d'autres personnes utiliser ce matériel ou des installations ne commet pas l'infraction mais nous voulons pouvoir poursuivre le FAI qui se contente de fournir les moyens ou les installations, s'il le fait de façon intentionnelle, s'il sait que ses installations sont utilisées pour transmettre de la pornographie juvénile.
Tout le monde admet que la modification proposée ne visait certainement pas à exonérer de toute responsabilité pénale les FAI qui commettent des infractions. C'est pourtant l'effet que cette modification pourrait avoir parce que, dans certains cas, elle pourrait exonérer les personnes que l'on voudrait au contraire viser avec cette disposition.
[Français]
En ce qui a trait à votre deuxièmepoint, le fait d'ajouter à une disposition qui est une infraction de nature criminelle la notion de «sciemment» ou «volontairement» pourrait créer des problèmes tant pour les infractions de nature criminelle existant présentement dans le Code criminel que celles qui viendraient dans le futur. Comme je l'ai expliqué, il y a une présomption en common law qui dit au Parlement: si vous ne voulez pas que votre infraction soit de nature criminelle lorsque vous l'insérez dans le Code criminel— je ne parle pas des infractions de nature pénale—, vous devez le dire. C'est là que vous ajoutez, par exemple: «avec une excuse légitime dont la preuve lui incombe». Vous choisissez des mots pour empêcher que cela devienne une infraction de nature criminelle, mais une infraction de responsabilité stricte. Ces deux problèmes font en sorte que l'amendement crée des difficultés.
Le sénateur Beaudoin: J'ai appris qu'en droit criminel, on n'est jamais trop précis.
[Traduction]
Le senateur Andreychuk: Si j'ai bien suivi vos commentaires, je constate que vous voulez sûre, et vous ne voulez pas accepter la modification, parce que vous voulez viser les fournisseurs d'accès Internet qui se contentent de fournir son matériel. Il me semble que c'est le contraire qui se produira. Ceux qui n'ont aucune intention de commettre l'infraction seront néanmoins visés. Voilà ce qui nous préoccupe.
Comment proposez-vous de sortir de cette impasse? Le fournisseur d'accès Internet qui offre uniquement l'usage de son matériel n'est pas différent des autres. S'il fournit un service à des amis qui transmettent ce matériel, il pourrait y avoir complot et complicité. La Couronne serait tenue d'établir certains éléments de l'infraction et non pas uniquement le fait qu'il a fourni un certain matériel.
C'est exactement la façon dont le droit, je pense, s'appliquerait, avec cette précision. Sans cette précision, l'homme — j'ai dit l'homme et le sénateur Taylor a eu tout à fait raison de me critiquer la dernière fois — ou la femme, la personne qui fournit le matériel, qui n'a aucunement l'intention de commettre l'infraction, pourrait être visé. En quoi cette personne serait traitée différemment?
Au cours du débat que nous avons eu au Sénat, certains sénateurs ont déclaré qu'ils souhaitaient que l'on puisse sanctionner les personnes qui transmettent ce genre de matériel. J'ai essayé de montrer que ces personnes ne faisaient peut-être que transmettre ce matériel et qu'elles n'étaient pas tenues de surveiller constamment l'usage que d'autres faisaient de leur équipement. Bien sûr, si ces fournisseurs découvrent que leur matériel est utilisé de cette façon, ils seraient coupables d'une infraction s'ils ne faisaient rien.
Madame Angers, vous utilisez l'argument contraire pour réprimer les personnes qui se livrent à ce genre d'activité. J'essaie de préserver la modification. Comment protéger les personnes qui n'ont aucune intention de transmettre de la pornographie juvénile? Comment protéger l'industrie et sanctionner les véritables auteurs de ces infractions?
Mme Angers: Tout le monde reconnaît que nous voulons viser les personnes qui, volontairement, transmettent ou rendent accessible de la pornographie juvénile, cela est clair. La difficulté vient effectivement du moyen retenu pour y parvenir.
Vous avez tout à fait raison d'affirmer que les FAI n'ont aucune obligation et que le gouvernement ne souhaite aucunement les obliger à surveiller le contenu transmis par Internet. Premièrement, cela n'est pas possible et deuxièmement, c'est une obligation qui ne peut être imposée sans que l'on modifie la loi.
La difficulté vient du fait qu'on ne peut les obliger à surveiller ce qui est transmis par Internet mais que, dans certains cas, ces fournisseurs savent qu'on utilise leurs installations dans ce but. Par exemple, comme vous le savez peut-être, le gouvernement examine la possibilité de créer une ligne téléphonique que le public pourrait utiliser pour dénoncer les cas d'exploitation sexuelle ou de pornographie juvénile à un organisme. Cet organisme essaierait d'empêcher que l'on transmette de la pornographie juvénile.
Cet organisme aurait pour rôle de surveiller le contenu des données transmises par Internet mais lorsqu'il recevrait une plainte il pourrait, selon la façon dont cette ligne téléphonique serait établie, le mentionner au FAI concerné, par exemple. Si cet organisme avertissait le FAI et que celui-ci ne fasse rien, nous aurions un problème si cette exception figurait dans le Code criminel. Le FAI pourrait fort bien se contenter de fournir ses installations ou les moyens de transmettre la pornographie juvénile mais nous voudrions néanmoins pouvoir le poursuivre parce qu'il serait au courant de la situation. Le FAI connaîtrait la nature du contenu transmis. C'est dans ce genre de situation que l'interprétation des infractions pénales joue un rôle important; lorsqu'une disposition parle de transmission ou d'accès à la pornographie en vue de la distribuer, elle exige implicitement un élément moral. Il ne suffit pas de commettre l'acte — c'est-à-dire de transmettre certaines choses — il faut également avoir l'intention de transmettre ce genre de chose. Dans le cas où le fournisseur fournit uniquement son matériel, il n'a pas cette connaissance.
Par contre, il pourra arriver que le FAI ait été informé par la police, par le service d'appel ou par l'organisme en question qu'on utilise son installation de cette façon, qu'une infraction est commise, et il faudrait alors pouvoir le poursuivre. La façon dont est formulée la modification proposée soulèverait des problèmes parce que ce fournisseur pourrait affirmer qu'il ne fait qu'offrir des installations ou certains moyens à ses clients.
Le senateur Andreychuk: Cela va dans le sens de mon argument. Si un FAI a connaissance de ce qui se passe, qu'il l'apprenne lui-même ou que ce renseignement lui soit fourni par d'autres, il tombe dans la catégorie des complices de la pornographie juvénile, c'est-à-dire, qu'il commet un acte criminel. Dès que le fournisseur sait ce qui se passe, quelle que soit la façon dont il l'apprend, il franchit cette ligne. La situation dont je parle n'est pas celle où un fournisseur franchit cette ligne, mais c'est la situation où le fournisseur n'a pas cette connaissance, ne franchit pas cette ligne, et se contente de fournir son matériel.
Si j'étais juge à Regina en Saskatchewan et que l'on me cite la disposition du Code criminel qui se lit ainsi: «Quiconque transmet...» et si j'étais vivement choquée par ce que j'ai vu, par ce qui a été transmis — et je ne suis pas une spécialiste de ces nouvelles technologies — j'interpréterais cette disposition en donnant à ces termes leur sens courant et je déclarerais que le FAI a transmis de la pornographie juvénile puis qu'il a fourni la ligne utilisée.
Je voudrais savoir deux choses. Premièrement, le gouvernement a-t-il l'intention de poursuivre cette catégorie de personnes? Je pense au cas où ces personnes fournissent uniquement un service; autrement dit, elles n'ont pas franchi la ligne et n'ont pas connaissance des activités répréhensibles. Ne pensez-vous pas qu'il y a le risque que la police, les tribunaux et les autres, qui ont tendance à réagir vivement à la pornographie juvénile, qui veulent y mettre un terme, et qui n'ont pas vos connaissances spécialisées, décident de poursuivre ces personnes si le gouvernement n'indique pas clairement que telle n'est pas son intention?
L'indication claire que pourrait donner le gouvernement serait de dire qu'il ne cherche pas à poursuivre les fournisseurs, ceux qui offrent le matériel. Deuxièmement, si nous voulons le faire, grâce aux lignes téléphoniques d'appel gratuites et autres, nous le ferons en utilisant le système de télécommunications.
Mme Angers: Vous dites que, lorsque le fournisseur n'a pas connaissance de ces faits, il ne faudrait pas le poursuivre. C'est tout à fait l'intention du gouvernement. Par exemple, le fournisseur qui ne sait pas que l'on transmet de la pornographie juvénile ne commet pas d'infraction parce qu'il est implicite, que ce soit dans la transmission ou dans l'accès ou dans le fait de la rendre accessible, que le FAI doit vouloir transmettre de la pornographie juvénile. Si le fournisseur ne sait pas que c'est ce qui se passe parce qu'il fournit simplement un outil qui est utilisé dans ce but, il n'est pas possible de le poursuivre parce qu'il n'a pas d'intention criminelle.
Le senateur Andreychuk: Aucun tribunal ne dirait: «Il aurait dû savoir que ce genre de chose pouvait se produire et il est donc coupable».
Mme Angers: Il existe de nombreux arrêts de la Cour suprême du Canada sur ces questions, notamment les arrêts Sault-Sainte-Marie, Wholesale Travel et d'autres depuis la Charte. Ces arrêts indiquent clairement que les infractions du Code criminel qui ne contiennent pas des termes exigeant qu'une faute ait été commise, par exemple, exigent implicitement qu'outre avoir commis l'infraction, l'auteur des faits reprochés doit avoir eu l'intention de la commettre. À la différence des infractions réglementaires, le droit pénal exige que les deux éléments soient présents avant que l'on puisse déclarer quelqu'un coupable d'une infraction.
Vous demandez en second lieu s'il n'y a pas un risque que les tribunaux déclarent ces FAI coupables. Comme certains d'entre vous le savent, cette loi a été adoptée en 1993. Depuis lors, aucun FAI n'a été accusé de distribuer du matériel pornographique. Votre raisonnement portait l'infraction de transmission, mais il pourrait également s'appliquer à la distribution parce qu'il est évident qu'Internet vise à communiquer l'information au plus grand nombre de personnes possible. Les fournisseurs distribuent donc du matériel, cela est clair. Cependant, aucune accusation n'a été portée depuis 1993.
Évidemment, il nous est impossible de garantir que cela ne se produira jamais. Nous n'exerçons aucun contrôle sur les tribunaux. Il existe cependant une jurisprudence constante sur ce point. Je peux vous affirmer que telle est bien l'intention du gouvernement.
[Français]
Le sénateur Nolin: Nous nous entendons sur le fait que nous désirons tous la même chose. J'espère que personne ne prend au sérieux les discours prononcés à la Chambre des communes sur les intentions réelles du Sénat. Aucun de mes collègues ne les prend au sérieux. Nous voulons tous la même chose: que les vrais coupables soient arrêtés, traduits devant les tribunaux et trouvés coupables. Toutefois, nous ne voulons pas que ceux qui ne le sont pas se fassent prendre dans le détour.
L'administration de la justice au Canada a ceci d'intéressant et d'unique: nous adoptons des lois et ce sont d'autres juridictions qui les appliquent dans la plupart des cas. Il est vrai que les actions passées devraient être garantes de l'avenir, mais nous ne pouvons pas le jurer.
Je comprends votre commentaire sur l'amendement que j'avais déposé. À la limite, quand je le relis, j'adhère à votre crainte. Si j'introduisais un autre amendement et que j'ajoutais le mot «sciemment» après le mot «quiconque», auriez- vous la même préoccupation?
Mme Angers: Vous l'ajouteriez à l'infraction?
Le sénateur Nolin: Je n'ajouterais pas une défense. J'ajouterais au paragraphe 3, après le mot «quiconque», le mot «sciemment» ou «volontairement et sciemment». Auriez-vous les mêmes objections si je faisais cet ajout?
Mme Angers: On revient au premier problème auquel j'ai fait allusion plus tôt: le problème de politique avec un petit «p». Si on ajoute au Code criminel des expressions telles que «sciemment» ou «volontairement» à des infractions de nature criminelle, c'est un peu troublant. Cela vient dire quelque chose qui est déjà implicite dans le fait que l'infraction se retrouve au Code criminel, sans mot qui viendrait diminuer cette présomption de mens rea. Que vous introduisiez ou non le mot «sciemment», cette notion se retrouve dans l'infraction de toute façon, parce que c'est une infraction de nature criminelle qui requiert en même temps un acte qui doit être fait par la personne et, en plus, une intention coupable. Je comprends très bien où vous voulez en venir.
Le sénateur Nolin: Je serais d'accord si le Code criminel ne contenait pas l'expression. Alors, on va en énumérer quelques-unes. En commençant par le projet de loi C-15A , à l'artile 5.(3) alinéa (4.2):
(4.2) Pour l'application du paragraphe (4.1), accède à de la pornographie juvénile, quiconque sciemment [...]
Cet alinéa est facile à comprendre. Je vais en citer un qui rejoint mon point. L'article 202 du Code criminel traite de gageures et de bookmaking et dit:
202.(1) Commet une infraction quiconque, selon le cas:
i) volontairement et sciemment envoie, transmet, livre ou reçoit quelque message par la radio, le télégraphe, le téléphone, la poste ou les messageries, donnant quelque renseignement [...]
Voyez-vous l'analogie que je fais?
Tout ce que j'essaie de faire, c'est de m'assurer qu'il n'y aura pas un procureur provincial, qui pour des raisons certainement non professionnelles, va décider de s'en prendre non pas à AOL, à Yahoo ou à Sympatico mais à un petit fournisseur de service Internet de sa localité et qui va réussir à la coincer. J'essaie de prévenir ces tentatives.
Le mot sciemment, je le comprends. Je connais Sault Ste. Marie. Mais on ne peut pas dire que la mens rea est incluse dans le Code criminel et que l'on ne devrait pas l'inclure. Je n'accepte pas cette idée.
Quand j'entends les tribunaux dire au Parlement qu'il n'a pas fait son travail comme il faut, je n'aime pas cela. On ne voudrait pas se faire dire dans dix ans qu'on a pas fait notre travail comme il faut. L'infraction incluait la compagnie XYZ de tel endroit. C'était à vous de bien faire votre travail. On ne serait pas heureux de découvrir qu'on avait la chance de rédiger une loi en bonne et due forme et qu'on ne l'a pas fait.
Mme Angers: Comme vous le savez, le Code criminel existe depuis un bon moment. Vous connaissez certainement d'autres exemples. Il s'agit quand même d'une infime minorité d'infractions du Code criminel où on retrouve les mots sciemment et volontairement. Comme vous dites, cela existe dans le Code criminel. Est-ce nécessaire à nos fins de faire cela? Le problème est que si vous avez le mot «sciemment» pour ce qui est de transmettre, alors n'aurez-vous pas besoin du même mot pour fin de production ou de distribution? Si vous l'ajoutez à cela, les tribunaux peuvent se poser la question: comment doit-on interpréter les autres infractions? Cela fait en sorte qu'on ajoute à toutes les infractions en matière de pornographie: «sciemment» transmet, distribue, importe ou exporte. Selon les précepte généraux du Code criminel, ce n'est pas nécessaire parce que c'est implicite, mais il y a évidemment des exceptions.
Le sénateur Nolin: Vous me donnez exactement la défense du procureur qui se verrait confronté avec cette mise en accusation d'avoir transmis. L'avocat dirait que l'article 202 requiert une mens rea. Comment cela se fait-il qu'à l'article 163.1, il n'y en a pas? Donc cela n'était pas nécessaire.
Mme Angers: Par contre, dans le domaine de la pornographie juvénile, il y a beaucoup de jurisprudence.
Le sénateur Nolin: D'ailleurs on va peut-être se revoir bientôt à ce sujet. On serait prêt à amender le Code pour rétrécir cette défense.
Mme Angers: Le ministre se dit intéressé à étudier cette question. Mais pour ce qui est de l'inclusion du mot «sciemment», il ne se retrouve pas dans les autres infractions en matière de pornographie juvénile. On a de la jurisprudence solide stipulant que ces infractions exigent une intention coupable, donc une mens rea.
Donc, le danger n'est pas très important dans le cadre de la définition de la pornographie enfantine interprétée dans les infractions sur les dispositions sur l'obscénité.
On a beaucoup de jurisprudence qui dit que ce sont des infractions requérant la mens rea. Le fait d'inclure le mot «sciemment» pour l'une de ces infractions pourrait faire en sorte que les tribunaux pourraient se poser des question sur les autres.
Vous faites allusion à l'article 163.1 et 164.2. On n'a pas dit que l'infraction comme telle est de sciemment accéder à de la pornographie juvénile. Il y a eu des questions qui ont été soulevées. Lorsqu'on dit: «accédé à de la pornographie juvénile par inadvertance», cela vous est sûrement arrivé de surfer sur Internet et d'arriver sur quelque chose que n'avez pas demandé en raison du mode de fonctionnement. Des intervenants nous disaient ne pas vouloir être poursuivis parce que, par erreur, la pornographie juvénile est apparue sur l'écran sans qu'ils l'aient voulu.
Le mot «accédé» pouvait prêter à confusion parce qu'on pourrait interpréter «accédé par inadvertance». C'est un mot, qui, selon le dictionnaire, pourrait prêter à ce genre de définition. C'est pour cela qu'on a défini «accédé» comme «sciemment agit de façon volontaire». Le mot ne se retrouve pas dans l'infraction comme telle, il se retrouve dans la définition du mot «accédé», parce cela pourrait prêter à confusion. Le gouvernement n'avait certainement pas l'intention de poursuivre des gens qui, par inadvertance, se seraient retrouvés sur un site de pornographie juvénile sans le vouloir.
[Traduction]
La présidente: Il ne faut pas oublier que nous ne sommes pas en train d'examiner le projet de loi, ni les modifications. C'est une motion dont nous devons débattre.
Le sénateur Nolin: Je ne dis pas que je le ferais ici. Je peux le faire au Sénat. Je veux en fait bien faire les choses.
Le sénateur Joyal: Je pense à la discussion que nous pourrons avoir à l'étape de l'étude article par article du projet de loi.
[Français]
Le sénateur Nolin a présenté un amendement qui était un moyen de défense. Si je me souviens bien, je n'ai pas la transcription, mais l'interprétation qu'on pouvait donner au moyen de défense soulevait un certain nombre de questions.
Mon collègue, le sénateur Grafstein, a exprimé une objection. Je me suis personnellement abstenu. Si je me souviens bien, quelqu'un parmi nous avait dit: ce serait différent s'il y avait le mot «sciemment».
Et je sais, madame la présidente, que nous sommes un peu hors d'ordre parce que nous discutons d'un autre amendement possible. Avec tout le respect que je dois à mes collègues et du débat libre qu'on tient au Sénat, je veux porter à l'attention du témoin le mémoire que nous avait présenté l'Association canadienne de télévision par câble, le 6décembre 2001. Je ne sais pas si vous avez copie du mémoire. Vers la fin du mémoire, on parlait de l'adjonction du mot «sciemment». La raison pour laquelle on nous proposait cette modification était essentiellement une question d'interprétation. Je lis le texte lentement pour que mes collègues se rappellent le témoignage de l'Association:
[...] si l'on n'amende pas le projet pour y inclure cette exemption, il faudrait, de l'avis de l'ACTC, à tout le moins s'assurer d'y employer le terme «sciemment» de façon cohérente. Quand un article établit plusieurs infractions [...]
C'est le cas de 133 —
[...] et que son libellé stipule que l'une d'elles, pour être réputée telle, doit être commise en connaissance de cause, mais ne précise pas qu'il en va de même pour les autres, on peut raisonnablement supposer que les autres sont des infractions à responsabilité stricte. Par conséquent, s'il est décidé de ne pas établir d'exonération de responsabilité dans le cas des intermédiaires Internet, il faudrait, d'après l'ACTC, éclaircir les dispositions par l'insertion de l'adverbe «sciemment» à l'égard de toutes les infractions reconnues à l'article 163.1 ou par sa suppression à l'égard de l'«accès» à la pornographie juvénile. Quelle que soit l'option retenue, le libellé du projet de loi doit être cohérent.
Donc, l'argument qu'on nous présentait concernait la cohérence de l'article lui-même. Vous avez fait une présentation sur l'ensemble de la philosophie du Code criminel. Je suis d'accord avec la définition de la mens rea. Dans ce cas précis du Code, à l'article 163, il y a au moins deux niveaux d'infraction. Il y a des infractions punissables de dix ans et d'autres de cinq ans. La différence entre les deux est très sérieuse. Ce n'est pas une nuance. C'est le double. C'est deux fois plus sérieux, deux fois plus grave aux yeux de la loi.
Comment répondez-vous à cet argument de l'Association, eu égard strictement à l'article 163?
[Traduction]
Je sais que nous ne parlons pas directement de la motion qui nous a été renvoyée.
La présidente: Vous vous éloignez de la discussion sur la motion soumise au comité.
Le sénateur Joyal: Je le reconnais mais je pense que cela fait partie des délibérations de notre comité.
[Français]
Mme Angers: En effet, j'ai lu le mémoire de l'Association canadienne de télévision par câble. Je pense qu'il y a confusion en ce qui a trait à l'ajout du mot «sciemment». Comme je l'ai expliqué plus tôt, le mot sciemment n'est pas ajouté dans l'infraction comme telle, mais bien dans la définition de ce que l'infraction signifie.
L'infraction aurait pu être interprétée comme touchant des conduites que le Parlement ne voulait pas toucher, c'est- à-dire quelqu'un qui, par inadvertance, se retrouve sur un site de pornographie juvénile sans l'avoir cherché, mais simplement à cause de la façon dont ces sites peuvent apparaître sur l'écran, bien que ce soit très peu commun, comparé à la pornographie adulte qui peut apparaître plus souvent.
Je ne pense pas qu'il y ait de l'incompatibilité entre la façon dont les infractions relatives à la pornographie juvénile ont été rédigées, bien au contraire. On a simplement voulu s'assurer, pour une des infractions, qui n'était peut-être pas très claire à cause de sa signification en vertu du dictionnaire, comme Le Petit Robert, qui pouvait prêter à confusion. On voulait s'assurer que, dans tous les cas, on pourrait simplement poursuivre les gens qui ont sciemment ou volontairement voulu regarder de la pornographie enfantine ou faire en sorte que cette pornographie leur soit transmise.
Ce sont les infractions comme telles. Je ne crois pas que le gouvernement a fait preuve d'inconstance dans la façon dont il a abordé les infractions. Il est bien qu'une de ces infractions ait été définie en disant: on ne veut pas pénaliser quelqu'un qui se retrouverait sur un tel site par hasard et qui essaierait de fermer son ordinateur. C'est la distinction.
C'est pour cela que la proposition de l'Association canadienne de la télévision par câble n'est peut-être pas tout à fait adaptée au cadre adopté à l'article 163.1.
[Traduction]
Le senateur Andreychuk: Je ne vois pas toujours très bien pourquoi nous voulons réprimer de cette façon la pornographie juvénile. Nous voulons que les tribunaux et notre système éducatif montrent à la population quelles sont les conséquences horribles de ce genre de pornographie. En cas de doute, je crois que nous nous retrouverons dans une situation comparable à celle qu'a créée l'arrêt Sharp en Colombie-Britannique. Les gens vont penser que toute personne qui a le moindre contact avec la pornographie juvénile, ou qui utilise la pornographie juvénile, devrait être visée par ces dispositions.
Je pense que le juge pouvait fort bien rendre la décision qu'il a rendue mais ce n'était pas celle que souhaitait la population. D'après ce que je lis dans le hansard de la Chambre des communes et compte tenu du caractère très émotif de ces situations, il m'a paru évident que cette situation n'a pas été examinée de façon claire et objective. Les gens sont devenus très émotifs, pour la seule raison qu'on utilisait l'expression «pornographie juvénile». Lorsque j'ai parlé de cette question devant le Sénat, j'ai également réagi vivement. Je voulais savoir ce que l'on voulait dire par «transmetteur», par exemple. C'était la réaction qu'on eut les députés qui n'avaient pas étudié ces dispositions en détail.
Si un fournisseur d'accès Internet est inculpé, quelle que soit la province ou le territoire, comment pourra-t-il s'en sortir si cette affaire suscite le genre de réaction très vive de la part de la population, comme cela s'est produit en Colombie-Britannique? C'est pourquoi il était nécessaire d'apporter une précision, comme vous l'avez fait remarquer très justement, pour les personnes qui pourraient voir apparaître ce genre de chose sur leur écran sans l'avoir voulu. Qu'arriverait-il à tous ces petits fournisseurs qui pourraient se trouver dans ce genre de situation? Je ne pense pas que l'on puisse se contenter de dire que ces lois existent depuis 1993 et que rien n'est jamais arrivé.
Nous savons ce qui peut se produire et les terribles conséquences que peut avoir un acte qui émeut autant l'opinion publique. Pourquoi ne pas vouloir protéger l'industrie pour que cette mesure vise uniquement les véritables distributeurs de pornographie juvénile et ne soit pas applicable à d'autres domaines? Je pose une question d'intérêt public.
Mme Angers: Vous demandez pourquoi nous ne voulons pas protéger cette industrie. Le gouvernement souhaite protéger l'industrie, il ne veut pas lui imposer des obligations qu'elle n'a pas à assumer, ni à poursuivre les fournisseurs qui n'ont pas une intention coupable. La plupart des FAI sont des citoyens respectueux des lois mais il est assez facile de devenir un FAI. Il y aura donc des FAI qui ont une intention coupable et le gouvernement ne veut pas qu'ils soient protégés. N'importe qui peut devenir un FAI. Le problème vient évidemment des petits FAI. Le gouvernement ne les poursuivra pas s'ils ne savent pas ce qu'il y a dans leurs serveurs. J'ai cité l'exemple des pédophiles qui se transformaient en FAI, et c'est un problème réel. Certains pourraient souhaiter ainsi réduire leur responsabilité lorsque ce genre de situation soulève autant de réactions.
Selon les principes du droit pénal, l'auteur d'un acte doit savoir qu'il commettait un acte criminel pour qu'il puisse être déclaré coupable. Ce principe s'applique aux infractions du Code criminel. Par exemple dans le cas d'un meurtre, l'auteur de cet acte sait qu'il s'agit d'une infraction pénale et il faut qu'il ait voulu commettre le meurtre. Les mêmes principes s'appliquent à la pornographie juvénile. Les procureurs de la Couronne vont intenter des poursuites contre les personnes qui ont une intention criminelle, et non pas contre celles qui n'avaient aucune intention de commettre une infraction.
Là encore, comme la ministre l'a dit lorsqu'elle a comparu devant vous, le gouvernement n'a certainement pas l'intention de poursuivre les fournisseurs d'accès Internet qui fournissent uniquement certains moyens et certaines installations mais il entend agir à l'égard de ceux qui savent que l'on utilise leurs services dans ce but. Nous reconnaissons qu'il faut effectivement poursuivre ces personnes.
Le gouvernement estime que la formulation actuelle répond à votre préoccupation. En ajoutant d'autres termes ayant ce sens, on risque de compromettre l'interprétation d'autres dispositions du Code criminel.
[Français]
Le sénateur Nolin: Présumons que nous avons l'amendement et qu'il suggère d'inclure le mot «sciemment».
[Traduction]
Pour que tout le monde comprenne, l'idée est d'ajouter le mot «sciemment» après le mot «quiconque».
[Français]
Vous avez parlé de l'interprétation que les tribunaux donnaient à ce groupe d'infractions prévues à l'article 163,1, lequel date quand même de neuf ans. Cela milite justement en faveur d'une précision dans la facture de nos infractions. La Cour suprême qui, dans l'affaire Sharp, avait décidé d'avoir une interprétation large de deux défenses avait, par la suite, ajouté deux nouvelles défenses qui n'avaient pas été prévues au Code. Ils en ont au bistouri, comme c'est leur droit de le faire et certainement leur devoir. L'interprétation des tribunaux sur l'article 163,1 doit donc être considéré si on veut rédiger un amendement au Code qui tient bien la route.
Après ce préambule, vous pensez quand même que le mot «sciemment» ne serait pas nécessaire même si un avocat voulait utiliser un autre article, comme l'article 202, par exemple, qui fait le parallèle entre les actions. Il s'agit de transmission par téléphone et par télégraphe. Le parallèle est évident entre transmettre de l'information par Internet et transmettre de l'information par téléphone ou télégraphe. D'ailleurs, je suis étonné qu'on n'ait pas ajouté, dans cet article, l'Internet comme moyen de transmission.
Si j'étais avocat de la Couronne, j'utiliserais comme argument que le degré de preuve qui m'est imposé est moindre dans l'article163,1 (paragraphe trois) que dans l'article 202. Et la Cour d'appel de la province de Québec m'approuverait.
Mme Angers: Le problème est que la grande majorité des infractions dans le Code criminel requièrent une intention coupable. Nous retrouvons les mots «sciemment» ou des «volontairement» dans certaines dispositions du Code criminel, mais c'est vraiment l'exception plutôt que la règle. On ne peut pas connaître le Code criminel en entier. À chacun son expertise selon son domaine.
Cependant, pour ce qui est de l'alinéa 202,1(b), par exemple, les cas où on précise que l'action doit être faite de façon volontaire, comme dans le cas présent, peuvent faire en sorte que vous pensiez que, puisqu'on a cru bon de le préciser à ces endroits, qu'on devrait le préciser dans les cas de pornographie juvénile. Le problème, par contre, c'est l'impact qu'une telle inclusion aurait sur les autres dispositions.
On faisait allusion au fait que la pornographie juvénile s'était retrouvée dans le Code criminel en 1993. Pourtant, les dispositions sur l'obscénité y sont incluses depuis le début. Elles ont toujours été interprétées de la même façon et exigeaient donc une intention coupable. Si vous rajoutez «sciemment» pour une seule des infractions, du point de vue politique, cela pourrait poser des problèmes d'interprétation pour les autres infractions. Les gens croiraient alors que vous voulez dire que les autres infractions ne devraient pas être faites de façon volontaire alors qu'il existe une présomption de common law à cet effet. Tout le monde s'entend sur ce qu'il faut faire. C'est la façon de le faire qui cause des problèmes. Comment se réconcilier avec la facture actuelle du Code criminel, laquelle est demeurée la même depuis 1867?
L'affaire Sharp a fait couler beaucoup d'encre en permettant deux exceptions pour certains types de comportements particuliers. La Cour suprême a ainsi ouvert la porte à de nombreux débats. On a vu récemment ce que cela a donné dans la décision du juge Shaw dans la nouvelle affaire Sharp. Toutefois, la Cour suprême n'a jamais mis en doute le fait que ces infractions, de possession en l'occurrence, exigeaient une intention coupable de la part de M. Sharp. Le problème ne se situait pas tant au niveau de l'infraction, qui exigeait qu'il y ait une intention coupable, mais beaucoup plus au niveau de la définition comme telle qui, selon la cour, était trop large et couvrait des comportements qui n'auraient pas dû l'être, dont ceux des deux jeunes de 17 ans qui ne pouvaient pas prendre des photographies de leurs relations sexuelles.
La Cour suprême n'a jamais dit que l'infraction, parce qu'on n'avait pas le mot «sciemment» ou «volontairement»,incluait de la pornographie infantile. Elle n'a jamais dit que parce que ces mots n'étaient pas inclus dans l'infraction qu'on devait interpréter l'infraction comme une infraction de responsabilité.
Le sénateur Nolin: La Cour suprême n'a jamais remis en cause l'infraction. Elle s'est interrogée sur l'infraction en rapport avec les droits fondamentaux de M. Sharp. La Cour n'avait pas à se prononcer sur l'intention coupable de M. Sharp, elle devait se prononcer sur le conflit entre l'infraction et les droits fondamentaux.
Mme Angers: Je suis d'accord avec vous. C'est simplement la façon dont elle a répondu. Toutes les composantes ont été revues: la possession, la défense, la rédaction de la définition, et cetera. Elle a donné un aperçu global de tous les différents éléments qui doivent être prouvés lorsqu'il y a infraction de possession.
Le sénateur Nolin: Elle a bien élaboré le test de la défense.
Mme Angers: Tout à fait.
Le sénateur Nolin: On sait exactement ce que cela veut dire et on doit agir en conséquence. C'est ce que le juge Shaw a fait en Colombie-Britannique.
[Traduction]
La présidente: J'ai également permis qu'on exprime toutes sortes d'opinions au sujet de la motion.
Le sénateur Beaudoin: Je reconnais qu'il s'agit là d'une question d'interprétation et que jusqu'ici, la Cour suprême a donné une interprétation libérale de cette disposition. Il y a deux jours, la juge en chef du Canada, MmeMcLachlin, a déclaré que nous sommes plus libéraux sur ce point que les États-Unis.
Vous dites que cela suffit puisqu'en l'absence d'intention, d'élément moral, la Cour suprême décidera en conséquence. Il est impossible qu'une telle personne soit déclarée coupable.
Dans notre système, il y a la présomption d'innocence. Il faut établir que l'accusé est coupable au-delà de tout doute raisonnable. Ce sont là les principes fondamentaux du droit pénal.
Dans l'ensemble, les personnes qui sont assises de ce côté-ci estiment que l'on devrait adopter cette modification parce qu'elle constitue une amélioration. Vous répondez en disant, et vous avez raison sur ce point, que, même en l'absence de toute modification, nous ne devrions pas nous inquiéter parce que la Cour suprême réglera le problème. La Cour suprême ne condamnera pas l'accusé.
Nous sommes les législateurs et nous devons trouver la meilleure formulation possible. Si j'avais à choisir entre ajouter le mot «sciemment» et ne pas le faire, j'ajouterais le mot «sciemment». Voilà mon argument mais c'est une question d'interprétation. Je vous communique simplement mon opinion.
La présidente: Merci de nous avoir exposé votre opinion, monsieur le sénateur Beaudoin.
Le senateur Fraser: C'est une discussion fascinante. Comme les honorables sénateurs le savent, j'ai très peu participé à l'étude de ce projet de loi. Je n'ai donc aucune position antérieure à défendre. J'ai toutefois suivi les discussions avec beaucoup d'intérêt et examiné un certain nombre de documents pour me préparer à l'étude du projet de loi C-15A. J'ai trouvé cela très instructif.
La question de savoir s'il convient d'ajouter le mot «sciemment» à l'article3 a suscité une discussion très intéressante. Dans l'ensemble, je dirais que MmeAngers m'a convaincue. Cependant, ce n'est pas la question que nous pouvons régler en ce moment. Nous devons discuter du fait que la Chambre des communes a rejeté la modification proposée par le Sénat. Je pense que la Chambre des communes a eu raison. La modification qui a été rejetée aurait protégé les personnes qui savent fort bien ce que font leurs clients.
Je présente donc la motion suivante:
Que le comité recommande que le Sénat n'insiste pas pour que soit adoptée la modification numéro 1a) au projet de loi C-15A, Loi modifiant le Code criminel et d'autres lois.
La présidente: Y a-t-il d'autres interventions sur la motion, honorables sénateurs? Étant donné qu'il n'y a pas de réponse —
Le sénateur Beaudoin: Excusez-moi. Nous disions que nous avions agi de façon irrégulière depuis le début. Sur quoi votons-nous?
La présidente: Nous votons sur la motion que nous a transmise le Sénat, à savoir que le Sénat n'insiste pas pour que soit adoptée sa modification numéro 1a) au projet de loi C-15A, Loi modifiant le Code criminel et d'autres lois. C'est tout ce qui nous a été soumis.
Le senateur Andreychuk: C'est la première fois que je participe à l'étude d'une motion qui a été renvoyée à un comité. Lorsque je vois la couleur du comité, je sais que nous n'allons pas insister pour que cette modification soit adoptée. Si cela devait être néanmoins le cas, faudrait-il préparer des observations pour compléter notre rapport?
Je trouve inquiétant que le ministre ait déclaré qu'il ne souhaitait pas poursuivre les fournisseurs d'accès Internet lorsque ces derniers fournissent uniquement de l'équipement.
Le senateur Fraser: Ils ne savent pas.
Le senateur Andreychuk: Vous voulez que l'on utilise le mot «sciemment»?
Le sénateur Nolin: J'espère que c'est ce qu'ils veulent faire.
Le senateur Andreychuk: L'aspect important est qu'il existe une grande confusion dans la population à l'heure actuelle. Je suis sûre que si l'on faisait un sondage en posant la question suivante «Voulez-vous que l'on poursuive les fournisseurs d'accès Internet?» Les gens répondraient qu'ils veulent interdire complètement la pornographie juvénile. Nous pouvons soit appuyer cette position ou appuyer ce qui me paraissait être la position du gouvernement. Voici la position du gouvernement: «Nous ne voulons pas sanctionner les fournisseurs d'accès Internet qui fournissent uniquement du matériel. Par contre, si ces personnes sont mêlées d'une façon ou d'une autre à la pornographie juvénile parce qu'elles savent ce qui passe dans leur système, parce qu'elles ont monté un système, elles tombent dans la catégorie d'auteur d'actes reliés à la pornographie juvénile, et c'est une situation tout à fait différente».
Il faut que le comité indique clairement que c'est bien cela que le gouvernement a déclaré, et que nous l'appuyons, à savoir que les fournisseurs d'accès Internet ne seront pas poursuivis, s'ils agissent uniquement à ce titre, sans avoir connaissance de quoi que ce soit d'autre. Nous proposons que le gouvernement prennent des mesures pour informer les tribunaux et les poursuivants de son intention. Je ne pense pas que cela se fera. Je ne suis pas vraiment rassurée lorsque je me dis qu'aucune poursuite n'a été intentée depuis 1993.
Nous devrions faire quelque chose pour inciter le gouvernement à indiquer clairement, par le truchement du groupe de travail fédéral, provincial, territorial, la nature exacte de son intention, à savoir que ce projet de loi n'a pas pour but d'incriminer les fournisseurs d'accès Internet qui respectent les lois.
La présidente: On m'informe qu'il existe des précédents pour ce genre de motion. Si nous décidons de retenir cette formule, cela renforcerait la position du gouvernement, et je ne pense pas que cela pose de problème. Si nous votons en faveur de cette motion, je suis certaine que le comité autorisera le comité de direction à formuler des commentaires dans le rapport, en disant que nous tenons principalement à rappeler clairement la position que le gouvernement a adoptée à l'égard de ce projet de loi.
Si les honorables sénateurs y consentent, je demanderais que l'on vote sur la motion suivante:
Que le comité recommande que le Sénat n'insiste pas pour que soit adoptée la modification numéro 1a) au projet de loi C-15A, Loi modifiant le Code criminel et d'autres lois.
Ceux qui sont pour?
Des voix: Adoptée.
La présidente: La motion est adoptée. Il y a des abstentions. Je ne peux pas faire rapport sur les abstentions mais nous préparerons un rapport contenant de brèves observations.
Avec la permission des honorables sénateurs, je ferais rapport demain après-midi sur le projet de loi C-15A.
Le sénateur Beaudoin: Lorsque vous dites que les abstentions ne sont pas enregistrées, qu'entendez-vous au juste?
La présidente: Je veux dire que cela figure dans notre procès-verbal. Cependant, je ne mentionnerai pas dans le rapport au Sénat qu'il y a eu des abstentions.
Voilà qui termine cette partie de la séance de notre comité. Je ferai rapport au Sénat demain après-midi sur cette motion, avec des observations.
Nous allons aborder maintenant la deuxième partie de notre séance, qui porte sur le projet de loi S-41, Loi visant la réédiction de textes législatifs n'ayant été édictés que dans une langue officielle.
Nous allons entendre MM.Newman, Tremblay et Keyes du ministère de la Justice.
Vous avez la parole.
M. Marc Tremblay, avocat-conseil, Groupe du droit des langues officielles, ministère de la Justice: Honorables sénateurs, avant de commencer, j'aimerais vous préciser le rôle des témoins que vous allez entendre ce soir. Comme les honorables sénateurs le savent, j'ai été chargé de piloter ce projet de loi au sein du ministère et je m'occupe de ce dossier depuis 1998.
M. Newman a beaucoup travaillé ces 20 dernières années dans le domaine du contentieux des droits linguistiques, notamment dans les deux affaires du Manitoba concernant les droits linguistiques qui touchent directement les questions qui nous occupent aujourd'hui et dans les affaires de droits linguistiques Brunet et Sinclair qui ont été portées devant la Cour suprême. M.Newman était également le directeur de projet pour la Loi de 1988 sur les langues officielles.
M. Keyes est un spécialiste en politique législative et a beaucoup écrit sur le sujet sous-jacent à ce projet de loi, la législation déléguée de nature exécutive. Nous espérons que M.Keyes sera en mesure de répondre aux préoccupations du comité sur les questions qui touchent la Loi sur les textes réglementaires et les règlements en général.
Cela dit, nous sommes prêts à répondre à vos questions.
Le senateur Fraser: Le principal argument qui a été avancé pour résoudre cette difficulté comme le propose le projet de loi S-41, c'est-à-dire en réédictant les textes législatifs qui ont été portés à l'attention du gouverneur en conseil, était qu'une recherche systématique de tous les textes comportant des lacunes sur le plan linguistique serait une tâche beaucoup trop difficile. Nous avons toutefois entendu la semaine dernière des témoins qui nous ont déclaré que cette tâche ne serait pas aussi lourde qu'on l'affirme, étant donné que ces textes sont tous officiels. Ils se trouvent dans les archives. Il est possible de les trouver en procédant de façon systématique, sans que cela soit trop compliqué, ni que cela coûte trop cher aux Canadiens.
On a proposé de refaire tous ces textes correctement, comme le Manitoba a été obligé de le faire. Pourquoi ne pas procéder ainsi? Serait-ce vraiment une tâche très lourde?
M. Warren J. Newman, avocat général, Section du droit administratif et constitutionnel, ministère de la Justice: En 1992, j'ai été amené à examiner certains textes dans le cadre d'une affaire qui avait été soumise à la Cour supérieure du Québec et qui portait sur un décret datant de 1921. Ce décret n'avait jamais été publié parce qu'il n'était pas obligatoire qu'il le soit. Ce texte avait pour seul effet d'autoriser une proclamation. La proclamation avait été imprimée et publiée dans les deux langues officielles dans la Gazette du Canada.
Je voulais établir l'existence du décret contesté. Je me suis d'abord rendu dans les bureaux du Conseil privé. Les documents anciens ne se trouvent plus dans ces locaux. J'ai dû consulter l'archiviste national et en fait, me rendre aux Archives nationales. Il a fallu déployer pas mal d'efforts pour, premièrement, localiser le document que je pensais chercher. Comme je l'ai dit, puisque c'était un décret, je pensais qu'il aurait été enregistré. Je n'ai jamais su si le mécanisme d'enregistrement utilisé à cette époque était le même que celui d'aujourd'hui. J'ai eu beaucoup de mal à déterminer si on avait préparé à l'époque une version de ce texte dans l'autre langue. J'ai dû conclure que cela n'avait sans doute pas été fait.
Autre aspect, le décret que je cherchais était, d'après moi, davantage de nature administrative que législative. J'ai dû poser un jugement à ce sujet. Ce décret avait uniquement pour effet d'autoriser une proclamation, ce qui veut dire qu'il semblait être un texte de nature exécutive. Cependant, la jurisprudence sur la question de savoir si certaines proclamations ont un caractère législatif même si elles ne contiennent elles-mêmes aucune règle de droit ou n'ont pas pour effet d'appliquer des règles de droit, est incertaine. Dans cette affaire, il s'agissait d'une proclamation qui donnait effet aux dispositions d'une loi.
Au cours des consultations auxquelles j'ai procédé à l'époque, on m'a laissé entendre qu'il ne serait pas facile de savoir avec précision ce qui existe. Une recherche risque de ne pas être fiable parce que, comme le savent les membres du comité, le gouvernement s'est fondé sur la codification des règlements de 1978 qui a eu pour effet de réédicter dans les deux langues officielles tous les règlements qui devaient être en vigueur en 1978. Nous examinions des textes qu'on n'avait pas jugés nécessaires, pour une raison ou une autre, de publier à l'époque. Je pense que cela reviendrait à peu près à chercher une aiguille dans une botte de foin.
En d'autres termes, je pense qu'il n'existe sans doute pas beaucoup de textes susceptibles de soulever un problème comme celui que j'ai mentionné qui remontait à 1921. Personne n'a fourni d'exemples. Le comité parlementaire chargé de l'examen de la réglementation a réussi à signaler l'existence de cinq règlements qui ont été imprimés et publiés dans la Gazette du Canada mais peut-être pas dans les deux langues officielles, comme il semble l'avoir constaté après de longues recherches. Les membres de ce comité n'ont jamais signalé de règlements ou de textes de caractère législatif qui n'auraient pas été publiés.
Le fait est qu'il faudrait examiner tous ces documents. On ne pourrait pas confier ce travail à quelques étudiants pendant l'été, comme quelqu'un semble l'avoir suggéré. Il faut poser un jugement juridique sur chacun de ces documents, et ensuite, les examiner dans le contexte de la loi elle-même pour peut-être en conclure qu'un document donné n'est peut-être pas de nature législative, considéré isolément, mais que l'effet général de ce texte, combiné à la loi en question, pourrait être qualifié ainsi.
C'est le raisonnement qui a été tenu à l'égard d'une série de textes dont il s'agissait dans l'affaire Sinclair, qui comprenaient des lettres patentes, un avis à la population et d'autres documents prévus par la loi en question et qui ont été tous publiés dans la Gazette officielle du Québec, mais uniquement en français. Le tribunal a décidé que ces textes, combinés à la loi en question, qui avaient pour but de fusionner les villes de Rouyen et Noranda, étaient de nature législative, considérés ensemble. Il faut donc poser des jugements, comme je l'ai indiqué.
Le Manitoba a été obligé de faire certaines choses parce qu'il n'avait rien fait ni dans une langue ni dans l'autre. La différence qu'il faut faire entre le Manitoba, le Québec et les institutions fédérales est qu'au cours de notre histoire nous n'avons jamais essayé d'accorder un traitement moins favorable à l'une des deux langues. L'intention, avec la Gazette du Canada, était de veiller à ce que tous les Canadiens aient accès en anglais et en français à tous les documents publiés dans la Gazette du Canada. Il n'a jamais été question d'attribuer une valeur moindre à une des deux versions. On pouvait se fier à ce qui était publié dans la Gazette du Canada. Personne n'a jamais essayé de contourner les prescriptions de l'article133 de la Loi constitutionnelle de 1867, ni celles de l'article18 de la Charte. Les lois sur les langues officielles de 1969 et de 1988 ont créé un régime assurant le respect de la suprématie du droit dans l'administration des affaires du gouvernement du Canada.
La question qu'il faut se poser est encore une fois la suivante: quelle est la gravité du problème? Vaut-il la peine de mettre en œuvre toutes les ressources qu'il faudrait employer pour effectuer cette recherche, pour examiner systématiquement tout ce qui a été fait, pour examiner cette question, en sachant qu'il y a peut-être un, deux ou trois de ces textes qui est suffisamment important pour justifier une telle recherche systématique?
Le senateur Fraser: Je comprends qu'il faut être un juriste spécialisé pour prendre une décision définitive dans les cas où la nature exacte du document en question est douteuse. Ma recommandation préférée est la suivante: En cas de doute, agissons.
Je ne pense pas toutefois que le travail initial consistant à retracer ces documents exigerait qu'on y attelle des avocats d'expérience. Le nombre des lieux ou des sources susceptibles d'abriter ces documents est limité et il pourrait être fastidieux de se plonger dans des documents anciens mais c'est pour cela qu'il y a des avocats stagiaires.
M. John Mark Keyes, directeur, Orientations et perfectionnement législatifs, ministère de la Justice: Comme l'a mentionné M.Newman, lorsqu'on a retrouvé les textes en question, il faut poser un jugement. La recherche de ces textes n'est pas une tâche facile. On pourrait commencer par examiner tous les décrets qui ont été adoptés mais cela pourrait ne constituer que le sommet d'un iceberg parce qu'il s'agit de tous les pouvoirs attribués par une loi fédérale et non pas uniquement de ceux qui ont été attribués au gouverneur en conseil. Nous parlons des pouvoirs accordés aux ministres et aux autres fonctionnaires.
La principale difficulté vient du fait qu'il n'existe pas de registre central contenant tous les documents qui ont été pris en vertu des pouvoirs d'origine législative. Il faudrait commencer par déterminer quelles sont les lois qui ont accordé des pouvoirs de ce genre, établir une liste de tous ces pouvoirs en identifiant les dispositions légales successives les concernant, lire toutes les lois adoptées depuis ces révisions, établir une liste des pouvoirs susceptibles d'être qualifiés de législatifs et de leurs détenteurs et enfin les rechercher dans les archives des divers ministères. Je ne saurais pas très bien comment procéder.
On pourrait peut-être commencer par passer au peigne fin les registres des bureaux des ministres et de ceux qui pourraient exercer des pouvoirs légaux pour voir ce que l'on pourrait trouver. Il faudrait trier une quantité invraisemblable de documents pour essayer de trouver ces textes parce qu'il n'existe aucun système d'enregistrement centralisé. Comme l'a dit M.Newman, cela reviendrait à chercher une aiguille dans une botte de foin.
M. Tremblay: Le sénateur nous fourni l'occasion d'établir un parallèle avec le Manitoba, une comparaison tout à fait appropriée. Il est intéressant de mentionner que le ministre de la Justice du Manitoba a déposé auprès de l'Assemblée législative de cette province un rapport concernant la réadoption des lois du Manitoba, dans lequel le ministre explique le processus utilisé. Ses fonctionnaires ont fouillé dans tous les dossiers du gouvernement, dans tous les ministères ayant reçu une délégation de pouvoir réglementaire. Je pourrais vous en laisser une copie. C'est un document bilingue préparé par le gouvernement du Manitoba.
J'en arrive au tableau essentiel. Nous ne disons pas que le coût de l'opération est le principal obstacle dans le cas qui nous intéresse. Pour le processus utilisé au Manitoba, ce coût s'est élevé à près de 6,85millions de dollars. Ce n'est pas une somme astronomique, mais les auteurs du rapport notent que ce montant ne comprend pas tous les coûts; il comprend uniquement les coûts directement attribuables à cette opération. La plus grande partie des coûts ne concerne pas la traduction. Ils n'ont pas trouvé un grand nombre de documents mais c'est la recherche qui constitue la principale composante de ce coût. La province a dépensé près de 5millions de dollars pour la recherche et 1million de dollars pour la traduction.
Les auteurs ont noté qu'il était impossible de quantifier l'apport de tous les organismes et fonctionnaires du gouvernement qui ont participé à ce travail. Par exemple, dans le seul ministère de la Justice, 20avocats de la Direction des services juridiques ont travaillé pendant une longue période sur un aspect du projet concernant les règlements. C'est le problème qui nous occupe ici —les règlements inconnus et non publiés. Cela a occupé 20avocats. Tous les avocats du ministère, soit 31 à un moment donné, ont travaillé à ce projet. Ces chiffres ne figurent pas dans le chiffre de 5millions de dollars. C'est une opération importante et nécessairement imparfaite.
[Français]
Le sénateur Beaudoin: Je voudrais revenir sur la question. On n'a pas beaucoup parlé de l'article 18 de la Charte canadienne des droits et libertés. Les lois, les archives, les comptes-rendus et les procès-verbaux du Parlement sont imprimés et publiés en français et en anglais, les deux versions des lois ayant également force de loi.
Il me semble que cet article règle le problème depuis 1982. Est-ce que l'article 18 permet que des règlements ne soit pas publiés? J'aimerais bien qu'on me réponde. L'article 133 parle des lois. Les Pères de la Confédération n'étaient pas très au courant du pouvoir délégué en 1867. On a eu deux causes qui parlent de ce sujet. La première, c'est Blaikie, qui a dit que les règlements doivent être publiés. L'autre, qui date de 1992, dit que certains documents, certains règlements peuvent ne pas être publiés. C'est très clair.
Comme c'est une décision de la Cour suprême, on dit que:
[Traduction]
C'est la loi du pays; c'est une décision de la Cour suprême et cela fait partie de la Constitution.
Il a été clairement déclaré que les règlements législatifs doivent être publiés mais que certains sont exemptés de cette publication s'ils ne sont pas d'intérêt public. Cela est limpide. Que s'est-il passé depuis1982? Il y a maintenant l'article18. Est-il possible de dire qu'il n'est pas nécessaire de publier certains règlements? S'ils sont de nature législative, les règlements et la législation déléguée doivent être publiés et adoptés dans les deux langues. S'ils ne sont pas de nature législative, nous pouvons alors nous passer de cette obligation.
Le fait est que l'article18 existe, il est au centre de la Constitution. L'argument fondé sur les coûts et les difficultés de la tâche n'est pas valide. J'ai participé à l'affaire Blaikie entendue par la Cour suprême du Canada en1985. Personne n'a avancé cet argument.
[Français]
Dans l'arrêt Beaulac, on lit:
Je tiens à souligner qu'un simple inconvénient administratif n'est pas un facteur pertinent.
[Traduction]
Je ne pense pas que nous puissions invoquer cela. Qu'importe le coût, la difficulté ou la longueur de l'opération, elle doit être faite.
Je reconnais que certains textes législatifs délégués n'ont pas à être publiés.
Le senateur Fraser: Ils doivent tout de même être édictés.
Le sénateur Joyal: Il faut qu'ils soient édictés.
Le senateur Fraser: Oui, dans les deux langues.
Le sénateur Rivest: Dans les deux langues, oui.
Le sénateur Beaudoin: Exactement. L'article18 est très clair. Les lois, les archives, et le reste, doivent être imprimés et publiés. Il n'y a pas d'exception.
M. Newman: Je suis d'accord avec vous jusqu'à un certain point. L'article18 ne reprend pas la terminologie de l'arrêt Blaikie. Il ne dit pas «édicté, imprimé et publié», ce qui est dans un certain sens regrettable. En outre, cet article ne parle pas de «lois et instruments législatifs» ou de «lois et règlements», et le reste.
[Français]
Essentiellement, cela répète ce qui était dans l'article 133. D'ailleurs, les articles 17, 18 et 19 de la Charte, pris dans leur ensemble, répètent l'article 133, pour le gouvernement fédéral, mais aussi pour le Nouveau-Brunswick. La jurisprudence interprète les articles 17, 18 et 19 de la même manière que l'article 23 de la Loi sur le Manitoba et l'article 133.
Le sénateur Beaudoin: Pas plus?
M. Newman: Pas à ma connaissance, et certainement pas dans le cadre de l'article 18 de la Charte. L'article 18 vise le même domaine que les articles 23 et 133. Cela est dit d'abord dans le Renvoi sur les droits linguistiques au Manitoba et dans l'arrêt Société des Acadiens.
Le sénateur Beaudoin: Oui, mais si vous prenez les lois, elles sont imprimées et publiées en français et en anglais. Il n'y a pas d'exception.
M. Newman: Non, mais il n'y a pas d'exception dans l'article 133 non plus. Les lois du Parlement sont imprimées et publiées dans les deux langues. Ce n'est pas parce que l'article 18 dit sensiblement la même chose que l'article 133, que cela change des choses. Qu'on invoque l'article 133 ou l'article 18, il faut les interpréter de la même manière, il me semble. Et ceci non pas pour réduire la portée de l'article 18 ni celle de l'article 133, mais pour dire que les deux exigent d'abord l'adoption, l'impression et la publication des lois du Parlement — ce qu'on appelle «The Act of Parliament» — et, deuxièmement, dans la mesure où l'arrêt Blaikie l'a précisé, ainsi que le jugement de 1992 dans le Renvoi des droits linguistiques au Manitoba, c'est la même chose pour les textes législatifs. C'est pour cette raison que j'ai fait circuler parmi les sénateurs cet extrait de la Loi sur les langues officielles de 1988 qui reprend ces mêmes exigences.
Vous avez signalé que si l'article 7 de la Loi sur les langues officielles de 1988 ne disait pas absolument qu'il fallait imprimer et publier dans les deux langues, c'était une entorse à l'article 133. Ce que je comprends des articles 18, 133 et 23 et de ce qu'on avait fait avec la Loi sur les langues officielles aux articles 7 et suivants, c'est qu'on avait visé l'interprétation fondée sur l'objet de ces garanties linguistiques qui sont l'égalité d'accès, l'universalité d'accès aux législatures, aux lois et aux tribunaux, tant pour les francophones que pour les anglophones.
Si vous regardez ce qu'on avait fait pour la mise en œuvre des articles 133 et 18 de la Charte aux articles 5 et suivants de la Loi sur les langues officielles, vous allez voir à l'article 6:
Les lois du Parlement sont adoptées, imprimées et publiées dans les deux langues officielles.
Quant aux actes législatifs, aux règlements:
Sont établis dans les deux langues officielles les actes pris, dans l'exercice d'un pouvoir législatif conféré sous le régime d'une loi fédérale, soit par le gouverneur en conseil ou par un ou plusieurs ministres fédéraux, soit avec leur agrément[...]
À la toute fin, dans la version française, on dit:
Leur impression et leur publication éventuelles se font dans les deux langues officielles.
La Loi sur les langues officielles est neutre sur la question, à savoir s'il y a une exigence à l'intérieur même de l'article 133 quant à l'impression et à la publication. Je crois que l'article 133 vise, d'abord et avant tout, l'égalité de statut des deux langues dans l'adoption et dans l'impression et la publication des lois.
Le sénateur Beaudoin: Mais il y a l'article 18. La Loi sur les langues officielles, je l'aime bien. Elle met les deux langues sur le même pied. Je trouve cela très bien, mais ce n'est pas la Constitution. Moi, c'est la Constitution qui m'impressionne. L'article 18 dit:
[Traduction]
Les lois, les archives, les comptes rendus et les procès-verbaux du Parlement sont imprimés et publiés en français et en anglais, les deux versions des lois ayant également force de loi et celles des autres documents ayant même valeur.
J'estime que cette disposition va plus loin que l'article133.
M. Newman: Dans quelle mesure va-t-elle plus loin?
Le sénateur Beaudoin: À cause de ses termes.
M. Newman: Je ne vois pas en quoi la teneur de l'article est différente de ce qui a été interprété dans l'arrêt Blaikie, parce que dans cet arrêt, la cour a déclaré que les termes de l'article133 ne prévoyaient pas seulement l'égalité de statut des langues française et anglaise, mais ils obligeaient à respecter cette égalité, non seulement pour ce qui est de l'impression et de la publication, mais également pour ce qui est de l'édiction des lois. À part le fait que ces mots se retrouvent expressément dans cette disposition, tout comme dans la Loi sur les langues officielles, on peut dire que les deux versions ont la même force juridique. Je ne vois pas ce que cela ajoute à l'article133.
Le sénateur Beaudoin: Il y a une différence. Le Parlement du Canada peut modifier demain la Loi sur les langues officielles. Vous pouvez essayer de modifier l'article18 quand vous voudrez mais vous n'y parviendrez pas.
M. Newman: Sur quel point, monsieur le sénateur? Sur l'égalité de statut? Cette règle est déjà établie, comme vous l'avez dit vous-même, par l'arrêt Blaikie. L'interprétation donnée à l'article133 dans l'arrêt Blaikie est une règle de droit. Tout le monde reconnaît que l'article133, les articles18 et23, établissent l'égalité de statut des deux langues officielles.
Le sénateur Beaudoin: Les décisions de la Cour suprême du Canada sur la Constitution font partie de la Constitution.
M. Newman: Parfait, nous sommes d'accord sur ce point.
Le sénateur Beaudoin: Ces dispositions ont une valeur supérieure à la Loi sur les langues officielles.
M. Newman: Valeur supérieure ou non, je dis simplement que l'article133 de la Constitution, l'article18 de la Charte et l'article23 de la Loi sur le Manitoba exigent que les lois soient adoptées dans les deux langues officielles. Cela doit se faire simultanément et les deux versions ont la même valeur juridique.
En outre, cette obligation s'étend à la législation déléguée ou subordonnée du type décrit par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Blaikie no2, et telle que précisée dans la décision de la Cour suprême du Canada rendue en1992 dans le Renvoi no2 concernant les droits linguistiques au Manitoba et dans l'arrêt Sinclair.
Le sénateur Beaudoin: Je suis d'accord avec vous.
M. Newman: Sur la plan linguistique, l'aspect essentiel est que les deux versions ont la même force juridique et doivent avoir un statut égal. La question de savoir si l'article133, la common law, ou l'article7 de la Charte à titre de principe de justice fondamentale, exigent que ces textes soient imprimés et publiés ne concerne aucunement, d'après nous, ce projet de loi.
Le sénateur Beaudoin: Est-il possible depuis1982, depuis l'article18, qu'un décret ne soit pas publié?
M. Newman: Ne soit pas publié?
Le sénateur Beaudoin: Je parle d'un décret qui ne serait pas de nature législative. On dit ici «imprimé et publié». Il n'y a pas d'exception. C'est la loi telle que l'énonce l'article18.
M. Newman: C'est exact.
Le sénateur Beaudoin: Ce n'est pas l'opinion de n'importe qui. C'est l'opinion de la Cour suprême dans l'arrêt Blaikie et cette opinion se situe au même niveau que les dispositions de la Constitution. Je crois que nous nous entendons tous là-dessus.
M. Newman: Monsieur le sénateur, permettez-moi d'essayer de reformuler cela.
Je me reporte à ce qui a été fait en1988 pour régler ce problème. L'objectif essentiel de la Loi sur les langues officielles de1988 était de mettre en oeuvre et d'appliquer les garanties constitutionnelles concernant la langue, notamment celles qui touchaient l'adoption des lois et le processus législatif bilingue. Je crois pouvoir clarifier la version anglaise en disant ce qui suit en français.
[Français]
Leur impression et leur publication éventuelle se font dans les deux langues officielles.
[Traduction]
La version anglaise énonce ceci: [...]legislative instruments shall be made in both official languages. (les actes de nature législative sont établis dans les deux langues officielles).
C'est là le point essentiel, je crois que nous sommes tous d'accord là-dessus. C'est également l'énoncé essentiel de l'arrêt Blaikie parce que c'est ce principe qui assure l'égalité de statut et l'égalité sur le plan de la valeur juridique. La disposition énonce ensuite que leur impression et leur publication éventuelles se font dans les deux langues officielles.
L'expression «shall be printed and published in both official languages» de la version anglaise est exactement celle que l'on retrouve à l'article18 de la Charte. Vous affirmez que les articles133 et18 rendent obligatoires l'impression et la publication. C'est peut-être vrai, mais cette question n'a jamais été tranchée.
Le sénateur Beaudoin: Cela est limpide.
M. Newman: Cette question n'a pas été tranchée dans le cas de la législation déléguée et nous savons que la Loi sur les textes réglementaires —et c'est la même chose dans de nombreux autres pays— prévoit des catégories de législation déléguée et de règlements qui ne sont pas publiés dans le sens qu'ils ne sont pas publiés dans la Gazette du Canada à cause de la nature même des textes en cause. Notre collègue, M.Keyes, vous en dira davantage à ce sujet.
Le sénateur Beaudoin: Je vous ai perdu dans les derniers kilomètres.
M. Newman: Ce sont les derniers kilomètres les plus durs.
Le sénateur Beaudoin: Lorsque vous dites qu'ils doivent être publiés dans les deux langues officielles, nous sommes d'accord. Les lois doivent toujours être publiées. Les règlements de nature législative doivent également être toujours publiés. Dans certains cas seulement, lorsque le règlement n'est pas d'intérêt public, il n'est pas obligatoire de les publier. Cela se trouve uniquement dans cette loi. Cette loi est importante, mais ce n'est pas la Constitution. Comment la Loi sur les langues officielles pourrait-elle restreindre ce qu'énonce la Constitution?
M. Tremblay: La Loi sur les langues officielles ne limite pas l'obligation de publier. S'il existe des dispositions limitant cette publication, ce serait celles de la Loi sur les textes réglementaires.
M. Newman: C'est pour cette raison que nous demandons à M.Keyes de vous répondre.
Le sénateur Beaudoin: Même si cela vient d'une autre loi, c'est encore inconstitutionnel.
M. Keyes: Monsieur le sénateur Beaudoin, nous pourrions peut-être revenir aux termes des articles133 et18. Ces dispositions énoncent qu'elles s'appliquent aux lois. Le mot loi désigne habituellement les projets de loi adoptés par le Parlement mais ne comprend pas la législation déléguée.
Le sénateur Beaudoin: Je suis d'accord.
M. Keyes: Il est peut-être important de noter qu'en1982, après les arrêts Blaikie, l'article18 adopté cette année-là ne faisait pas expressément référence à la législation déléguée. Cette disposition utilise un mot qui ne s'applique qu'aux projets de loi adoptés par le Parlement, à savoir les «lois».
Le sénateur Beaudoin: Où lisez-vous cela? Dites-vous que l'article18 n'a pas une portée plus large que l'article133?
M. Keyes: Non, ce n'est pas ce que je dis.
Le sénateur Beaudoin: Cela est vrai.
M. Keyes: Je suggère que cela est peut-être important.
Le sénateur Beaudoin: Affirmez-vous que l'article18 a une portée plus restreinte que l'article133?
Le sénateur Joyal: C'est ce qu'il laisse entendre.
La présidente: Je pourrais peut-être citer un passage de l'arrêt Blaikie no2. Je ne peux pas vous référer utilement à une page parce que cela a été téléchargé sur Internet. Selon ce document, il doit exister un lien entre l'Assemblée législative et la législation déléguée autre que le seul fait de la délégation. Ce lien est le facteur déterminant pour ce qui est de l'assujettissement des règlements du gouvernement à l'article133 de l'AANB.
Le sénateur Beaudoin: «Pour ce qui est?»
Le sénateur Joyal: Cela est clairement énoncé à l'article133.
La présidente: C'est énoncé là.
M. Keyes: Oui, il est très clair qu'il doit exister un lien entre la législation déléguée et le Parlement. C'est pourquoi l'article133 ne s'applique pas à de nombreux types de législation déléguée, comme par exemple, les règlements municipaux. Dans ce genre de cas, il n'existe pas un lien suffisant entre la municipalité et l'Assemblée législative. C'est pourquoi les règlements municipaux, qui constituent une forme de législation déléguée, ne sont pas visés par l'article133.
La présidente: Nous ne parlons pas de règlements municipaux ici; nous parlons de l'article133 de l'AANB et de son application aux règlements adoptés par le gouvernement du Canada.
M. Keyes: Oui, j'en conviens.
Le sénateur Beaudoin: En1867, la législation déléguée était très rare. Comparé à la situation actuelle, c'était très différent à cette époque.
D'après moi, la plus grande loi modificatrice a été adoptée en1982, et c'est la Charte des droits et libertés. Elle est au coeur de la Constitution.
Si je lis le second paragraphe de l'article133 et l'article18, je conclus que l'article18 a une portée plus large. Cet article ne vient pas limiter l'application de l'article133.
M. Keyes: Je n'ai pas voulu dire qu'il y avait une différence entre l'article18 et l'article133.
J'aimerais revenir à la remarque que vous avez faite, à savoir qu'en1867, la législation déléguée était une chose très rare. À cette époque, la loi ne s'appliquait probablement pas. En fait, il n'existait pas de mécanisme permanent prévoyant la publication de la législation déléguée dans les pays du Commonwealth. La première loi générale prévoyant la publication de la législation déléguée a été adoptée en1891 en Angleterre. La première loi fédérale adoptée au Canada à ce sujet remonte à la fin des années40.
L'importance de la législation déléguée a progressivement augmenté depuis1867. Parallèlement, des mécanismes prévoyant la publication et l'adoption de ces règles juridiques se sont développés. Au départ, il n'existait pas de mécanisme uniforme s'appliquant à toutes ces catégories de législation déléguée. Ces catégories se sont multipliées et les mécanismes de publication ont évolué.
Je crois que l'on peut dire que, tout au cours de cette évolution, la publication a joué un rôle de plus en plus important, tout comme la législation déléguée, mais il y a toujours eu des catégories de législation déléguée qui n'ont pas été visées par ces mécanismes officiels. Je pense qu'il existait d'excellentes raisons pour cela.
Lorsqu'il s'agit de déterminer ce qu'exige la Constitution, il est important d'étudier comment notre mécanisme de publication de la législation déléguée a évolué. Si l'on se reporte à la jurisprudence, en particulier aux arrêts Blaikie et au Renvoi du Manitoba, on peut dire que les tribunaux ont adopté une conception assez pragmatique de ces obligations constitutionnelles.
Le sénateur Beaudoin: La difficulté est la suivante: en1985, la Cour suprême du Canada a déclaré: «Vous avez adopté des lois uniquement en anglais. Toutes vos lois sont invalides; elles seront toutefois réputées valides pendant un certain nombre d'années. Si vous les traduisez en trois ou cinq ans, elles seront valides à cause de la notion de situation de fait et du principe de légalité, parce que nous vivons en démocratie». Cela est très beau. C'est le chef-d'oeuvre de la Cour suprême.
Lorsque la Cour suprême se prononce, c'est comme si sa déclaration faisait partie de la Constitution. Elle peut le faire. Le Parlement peut légiférer, mais la difficulté réside dans le choix de la forme utilisée pour le faire. J'estime qu'il faut tenir compte de la législation déléguée. Nous devons trouver le moyen, en adoptant un projet de loi par exemple, pour dire rétroactivement que la législation déléguée est réputée avoir été adoptée dans les deux langues. Je voudrais trouver le moyen de le faire. Je serais favorable à un projet de loi qui réglerait ce problème.
La difficulté réside dans la façon de le faire. Nous devons le faire correctement. Je ne suis pas en faveur de la rétroactivité en droit constitutionnel. Cela va directement à l'encontre du droit international. Si nous avions une liste de toute la législation déléguée, et nous l'aurons, je serais prêt à accepter que l'on adopte un projet de loi qui déclarerait que cette législation est réputée avoir été édictée. Je ne suis toutefois pas encore complètement convaincu. Il manque dans ce raisonnement un élément qui m'empêche d'en arriver à cette conclusion.
M. Keyes: Un élément important de ces arrêts de la Cour suprême est la notion de situation de fait. Dans un certain sens, lorsque le Manitoba a validé ses lois, il l'a fait de façon rétroactive. Il n'a toutefois pas créé une nouvelle série de lois. La plupart des gens pensaient probablement que ces lois étaient valides avant qu'on en conteste la constitutionnalité. Cela semble aller contre le principe qui interdit l'adoption rétroactive de lois. Dans un autre sens, cela revient simplement à réadopter des lois invalides de façon à ce qu'on ne puisse plus les contester.
Le sénateur Beaudoin: Il faut les traduire. Je ne vois pas comment nous pourrions éviter cela.
La présidente: Si vous me permettez d'intervenir encore avec l'arrêt Blaikie no2, je mentionnerais que deux paragraphes après celui que je vous ai lu, la Cour poursuit en disant que la forme des mots utilisés importe peu. L'arrêt énonce qu'il est possible d'assimiler ces textes à des dispositions adoptées par le gouvernement, et par conséquent, par l'Assemblée législative, dès que le gouvernement est tenu de prendre des mesures positives pour leur donner une valeur juridique. C'est cela que nous recherchons, des mesures positives prises par le gouvernement.
Le senateur Andreychuk: J'allais aborder la question d'un autre point de vue. Si j'ai bien compris l'arrêt Blaikie et le principe de la situation de fait, je dirais que ces lois ont été considérées par la population comme étant des lois mais qu'elles étaient désormais réputées être dans les deux langues officielles.
Ce qui me gêne avec la méthode que vous avez utilisée sur cet aspect précis, c'est qu'elle étend la portée de l'arrêt Blaikie à un point auquel je ne suis pas prête à aller. Nous ne savons pas quelles sont les lois concernées. Nous ne sommes même pas en mesure de les recenser mais nous sommes par contre prêts à dire qu'elles existent dans les deux langues officielles.
Nous allons encore plus loin avec le projet de loi S-41. Nous disons que si elles n'ont pas été publiées dans l'une ou l'autre langue officielle, nous allons déclarer qu'elles sont réputées valides. Est-ce que cela ne revient pas à aller beaucoup plus loin que ne le permet le jugement? Est-ce que cela ne va pas au-delà de la reconnaissance d'une situation de fait dont ont tenu compte les tribunaux dans l'affaire du Manitoba?
M. Tremblay: Il faut se demander ce que peut faire le gouvernement pour...
Le senateur Andreychuk: Non pas ce qu'il «peut» faire, mais ce qu'il «doit» faire.
M. Tremblay: Mais que peut-il faire? Nous ne pouvons revenir en1867 et réadopter ces textes. Les gens ont tenu pour acquis que ces règlements, ces décrets qui créaient diverses règles de droit et sur lesquels les gens se sont fiés pendant 125ans étaient la loi du pays. On nous dit après coup que cela n'est pas le cas. Il n'est pas possible de remédier parfaitement à cette grave irrégularité que tout le monde ignorait, de bonne foi, avant que les tribunaux la signalent.
Nous combinons ici deux techniques qui ont été reconnues valides par la Cour suprême; deux techniques que la cour a utilisées dans le contexte du contentieux des droits linguistiques.
La première est l'incorporation par renvoi, une technique qui permet pour l'essentiel d'adopter une loi du Parlement sans avoir à reproduire, à imprimer à nouveau tous les textes auxquels il est fait référence. Il suffit d'y faire référence. Ils sont présumés figurer dans cette loi comme s'ils en faisaient partie.
L'article3 a cet effet. Il incorpore, par renvoi, tous ces règlements publiés de la même façon, et avec le même effet juridique, que si on avait repris toutes les versions de ces règlements publiées dans La Gazette depuis1867, si on les avait rassemblées, regroupées, réimprimées, republiées et qu'on les avait fait adopter par le Parlement. Ces textes extraits de LaGazette rempliraient des dizaines de milliers de pages mais leur effet serait identique. Nous nous trouverions dans la même situation.
La cour a reconnu dans le Renvoi sur les droits linguistiques au Manitoba que l'incorporation par renvoi était une technique légitime et acceptable. Elle est d'ailleurs utilisée régulièrement.
La présidente: Nous ne sommes en train de discuter de l'article3. Nous examinons l'article4.
M. Tremblay: Je pense que nous étions en train de discuter de ces deux articles il y a un instant. Nous étions en train de dire que le fait que ces textes aient été publiés dans La Gazette et que nous les adoptions à nouveau soulève certains problèmes.
Pour ce qui est de l'article4, nous avons expliqué que nous essayons de régler, je le répète, une situation difficile qui perdure, et que le gouvernement a, de bonne foi, pris toutes les mesures qu'il pouvait prendre pour rétablir l'ordre juridique. Nous pourrions laisser les choses comme elles sont. Nous avons vécu dans cette situation qui a été créée par les tribunaux. Les règlements, les décrets ou les autres textes fédéraux n'ont jamais été déclarés anticonstitutionnels. Il y a eu l'affaire Alcan dont nous avons parlé mais c'est le seul exemple qui existe. Personne n'a réussi à trouver de texte de ce genre et à le signaler aux autorités.
Nous pensons que le législateur fournit au gouvernement un moyen raisonnable de remédier à la situation, dans le cas où un problème apparaîtrait.
Le senateur Andreychuk: Monsieur Tremblay, vous dites d'une part qu'il y a des milliers de règlements et que vous ne savez pas où ils se trouvent. Vous affirmez également que ce problème n'a été soulevé qu'à quelques occasions. Je ne comprends pas très bien. Personne n'a fait une analyse aléatoire pour déterminer s'il y en avait beaucoup ou très peu.
Devons-nous tenir pour acquis que pratiquement aucune de nos lois n'ont été imprimées et publiées dans les deux langues et que toutes nos lois, adoptées par voie de règlement et de loi, n'ont pas été publiées? Ce n'est certainement pas la bonne déduction à faire. Certaines ont été publiées dans les deux langues à un moment donné. Il est évident que la plupart des textes qui devaient être publiés l'ont été. J'aurais fort bien pu accepter cela.
Vous nous dites que tout a été fait de bonne foi mais je ne pense pas qu'il soit question ici de bonne foi. Comme nous l'a déclaré un autre témoin, dans une démocratie comme le Canada, les citoyens ont le droit de connaître les lois et vous venez nous dire ici que vous ne les connaissez pas.
La cour a adopté une approche pragmatique et a reconnu qu'il fallait du temps pour redresser la situation. Il est possible que, dans ce cas-ci, il ne suffira pas d'un ou de trois ans mais de 10 ou 20ans pour recenser et réunir toutes ces lois. Votre raisonnement ne tient pas lorsque vous dites que l'administration et le gouvernement n'ont aucune idée du lieu où se trouvent les lois et les règlements et n'ont aucun moyen de les trouver.
M. Tremblay: Ce n'est pas tout à fait exact.
Le senateur Andreychuk: Si j'étais le premier ministre, j'ordonnerais à un ministère de vérifier si ses lois et ses règlements sont correctement classés et archivés, pour faire un essai.
M. Keyes: Madame le senateur Andreychuk, je serais certainement d'accord avec vous si l'article4 avait pour effet de réédicter automatiquement tous les règlements non publiés qui existent en théorie et dont personne ne sait exactement quels ils sont. Cependant, ce projet de loi n'a pas pour effet de réédicter tous ces textes. Il charge le gouverneur en conseil, premièrement, d'identifier ces textes et ensuite, de les réédicter, par voie de règlement, dans les deux langues. Ces règlements doivent être tirés d'une masse de papiers et désignés comme constituant de la législation déléguée qui doit être réédictée et validée à nouveau.
J'essayais d'expliquer la difficulté de trouver ces textes en disant que nous pensons qu'il en existe relativement peu mais qu'ils sont dissimulés dans une masse de papiers et de pouvoirs. Il existe plusieurs milliers de pouvoirs et probablement des millions de pages de documents. La difficulté est de trouver ce que nous pensons être un petit nombre de textes enfouis dans une grande masse d'autres textes qui attribuent certains pouvoirs.
M. Tremblay: Il est vrai en outre que l'immense majorité des textes qui offrent un intérêt public ne sont pas exemptés de publication, et que ces textes-là ne posent donc aucun problème. On nous a déclaré à plusieurs reprises que votre comité ne voyait pas de difficulté avec l'article3. Je rappelle aux honorables sénateurs que l'immense majorité de ces textes ont été codifiés. Les textes que le Comité mixte permanent d'examen de la réglementation a signalés ont tous été codifiés et publiés. Il existe toute une série de règlements fédéraux qui ont en fait été publiés dans les deux langues officielles et pour lesquels l'article3 offre une solution susceptible de régler les problèmes qu'ils pourraient soulever.
Nous parlons de textes qui ne font pas partie des textes faciles à identifier qui représentent l'essentiel des règlements fédéraux et qui ont été publiés. Nous parlons d'autres textes qui se trouvent, comme l'a dit M.Keyes, parmi des millions de pages.
Le senateur Andreychuk: Sur quoi vous basez-vous pour affirmer que ces textes sont difficiles à identifier? Vous n'avez présenté aucun élément qui puisse justifier cette conclusion.
L'article4 énonce: «Le gouverneur en conseil peut...». Cette disposition est donc facultative. Il semble que, si nous ne respectons pas la loi, le présent de l'indicatif s'impose. Je serais plus tranquille si l'article se lisait ainsi «Le gouverneur en conseil abroge et réédicte...», par règlement, le texte qui fait problème. Cela accorderait un certain délai.
À l'avenir, grâce aux nouvelles technologies, nous serons en mesure de déterminer s'il existe un texte législatif applicable à une situation donnée. Il me semble que nous n'abordons pas cette situation en essayant d'utiliser les techniques modernes qui permettent de répondre aux attentes de la population.
M. Tremblay: C'est parce que ce problème remonte à1867 et qu'à cette époque, nous n'avions pas la technologie que nous avons aujourd'hui.
Le senateur Andreychuk: De nos jours, il faut les retrouver manuellement. Sommes-nous liés par les lois qui n'ont pas été correctement édictées? Le gouvernement les applique mais elles ne sont pas valides.
M. Keyes: Je dirais que ce n'est pas le cas et que le gouvernement aurait bien du mal à essayer d'appliquer des lois secrètes, que ce soit dans un contexte pénal ou autre. Il existe un certain nombre de décisions judiciaires qui traitent de ce que l'on peut appeler l'obligation «implicite» de publier certains textes et la question de savoir si le gouvernement est tenu, par la common law, de publier ces lois.
Une des principales décisions dans ce domaine a été rendue il y a près de 25ans et portait sur les règlements de la police de Toronto. Dans cette affaire, un journaliste voulait avoir accès au règlement disciplinaire interne de la police. Le journal a demandé aux tribunaux d'obliger la commission de police à divulguer ce règlement.
Dans cette affaire, le juge a conclu que la common law n'accordait pas au public un droit d'accès à ce genre de chose, même lorsqu'il s'agit de règlements. La cour a néanmoins déclaré qu'il serait impensable d'appliquer un de ces règlements à une personne qui en ignore l'existence et qui, en plus, en subirait un préjudice.
Pour ce qui est de la façon dont le système juridique traite ces lois non publiées ou qui n'ont pas été publiées tout à fait officiellement, il existe des protections substantielles qui ont toujours été reconnus par le système juridique. En pratique, le gouvernement aurait beaucoup de mal, et il ne pourrait même pas le faire, à appliquer des lois secrètes, s'il en existait vraiment, aux citoyens et au préjudice de leurs droits.
[Français]
Le sénateur Rivest: La publication dans les deux langues constitue une obligation constitutionnelle en vertu de l'article 133. Vous nous fournissez des justifications raisonnables, pratiques des difficultés financières et administratives. Mais cela reste une obligation constitutionnelle qui doit être satisfaite.
Quelqu'un peut passer sur un feu rouge et invoquer milles raisons pour lesquelles il a dépassé la limite de vitesse. Il y a un problème de loi. Est-ce qu'un citoyen pourrait obliger le gouvernement, malgré toutes les considérations administratives et financières, à respecter ses engagements constitutionnels en vertu de l'article 133? Je comprends qu'il n'y a pas eu de cause, mais quelqu'un pourrait insister pour que le gouvernement respecte ses obligations constitutionnelles.
M. Newman: Vous avez posé une très bonne question. Au ministère de la Justice, nous allons répondre que c'est une question hypothétique. Ce qui arrive dans un litige, c'est que quelqu'un se trouve devant un règlement. Cela s'est produit dans l'affaire Alcan. Comme la personne risque d'être inculpée en vertu de ce décret, on conteste le décret en question.
Le sénateur Rivest: Comme au Québec, la CEQ a invoqué le fait que les lois n'avaient pas été adoptés en anglais. Elle a utilisé cet argument. Mais quelqu'un pourrait le demander de toute façon. C'est hypothétique mais possible.
M. Newman: Oui.
Le sénateur Rivest: C'est hypothétique mais cela pourrait arriver. Je suis très content que vous nous fournissiez, en tant que fonctionnaire, des explications. Il y a une décision politique qui ne relève pas de vous ni de nous.
Je voulais clarifier la questions de l'édiction, de la publication et de l'impression des lois. On parle beaucoup de l'article 133 de la Loi sur les langues officielles. Le gouvernement du Québec, le gouvernement du Canada et le gouvernement du Nouveau-Brunswick ont les mêmes règles constitutionnelles à l'égard de l'adoption des lois. C'est pour cela que je ne pense pas que ce soit l'article 133 qui est à la base de la façon dont les lois doivent être adoptées, publiées, et cetera.
On a beaucoup dit que l'article 133 et la Loi sur les langues officielles stipulent que quand cela arrive au Parlement du Canada, à l'Assemblée nationale du Québec et à l'Assemblée législative du Nouveau-Brunswick, ceux-ci doivent publier et imprimer, pour d'autres considérations, leurs lois dans les deux langues.
Peut-être que je me trompe, ce n'est pas sur l'article 133 qu'est fondée l'obligation constitutionnelle de publier et d'adopter.
M. Tremblay: Nous sommes d'accord. Nous disons que bien que le débat peut continuer. Il est intéressant, ce projet de loi. L'article 133, l'article 18, la Loi sur les langues officielles et même la Loi sur les textes réglementaires sont tous neutres. S'il existe une telle obligation, un tribunal pourra le dire à un moment donné.
Le sénateur Rivest: Disons, de façon hypothétique, que le gouvernement du Canada n'a pas rempli ses obligations constitutionnelles. Il s'expose donc à une sanction un jour ou l'autre même si elle est hypothétique. S'il décide pour des raisons administratives et financières de ne pas faire les corrections qui s'imposent parce que c'est ce qui semble être la décision du gouvernement, quelqu'un peut lui demander de le faire ou il peut y avoir une contestation juridique, comme il y en a eu au Québec, à l'ALCAN par exemple. Cela pourrait être utilisé par quelqu'un qui écoute nos débats. Alors là, l'hypothèse pourrait devenir réalité, ce ne serait pas long.
M. Newman: Prenons de nouveau le cas du Manitoba. Toutes les lois de cette province, depuis 1890, n'ont pas été traduites pour être ensuite réadoptées. Le Manitoba a plutôt choisi les lois encore efficaces, pour lesquelles la traduction valait la peine. Il a également choisi des lois privées qui ont créé, entre autres, la société franco-manitobaine. Les autres lois ont été laissées au gré du jugement. On ne peut pas dire qu'il n'a pas respecté son obligation constitutionnelle en ne traduisant pas certaines lois qu'il a jugées caduques. Des lois invalides n'ont plus de portée juridique. Dire, donc, que le gouvernement du Canada ne respecte ses obligations constitutionnelles en choisissant de ne pas tout vérifier ni de tout traduire, c'est encore un saut, avec égard, parce qu'il se peut fort bien qu'on soit tout à fait en règle avec nos obligations constitutionnelles et c'est le but de la Loi sur la langues officielles de 1998.
Le sénateur Rivest: C'est votre prétention, mais il pourrait y en avoir d'autres?
M. Newman: Non.
Le sénateur Joyal: J'aurais un commentaireà faire sur la redondance de l'article 18 par rapport à l'article 133. On ne peut pas soutenir juridiquement que l'article 18 est redondant par rapport à l'article 133. C'est un principe d'interprétation des statuts que la loi est là pour dire quelque chose et que si le législateur en 1982 a créé l'article 18, c'est parce qu'il voulait dire quelque chose et il faut essayer de comprendre ce qu'il a voulu dire.
D'autre part, M. Keyes, il y a un autre principe de droit fondamental: l'accessoire suit le principal à moins qu'on ait prévu une exception. L'accessoire, dans le cas présent, ce sont les règlements. Ils suivent la nature juridique du principal, à moins que dans la loi qui donne le pouvoir de faire des accessoires, on prévoie une nature différente de l'accessoire. Je ne crois pas que votre raisonnement, à l'effet que ce qui ressort de l'autorité législative déléguée par le Parlement à un ministre ou gouverneur en conseil de faire des lois, change la nature de l'acte posé. Sur cet aspect, encore une fois, il existe des tonnes de doctrines.
Je voudrais revenir à l'article quatre. Si nous avions à considérer que la voie retenue serait de traduire les règlements — si on se retrouvait, par exemple, dans le même contexte que celui du Manitoba selon lequel la Cour suprême nous exhorte à traduire, voulant alors être raisonnable, rationnel et pratique, quelle serait alors, selon votre expérience de l'administration légale au Canada, l'approche à privilégier? Commenceriez-vous avec les ministères dont les règlements sont les plus utiles à la majorité — je pensais aux règlements de l'impôt, parce qu'un témoin nous a dit que le règlement de l'impôt sur le revenu était inconstitutionnel puisqu'il a été édicté dans une seule langue officielle. J'imagine alors qu'on devrait déterminer les règlements les plus utiles, qui concernent le plus grand nombre de personnes. Ensuite, on irait là où il y a déjà eu consolidation, puisqu'on connaît déjà ces règlements.
Il y a des rayons de bibliothèques remplis de règlements consolidés. Il faut s'enlever de la tête l'idée que tous les règlements ont été lancés en l'air et qu'ils flottent partout. Au contraire, la très grande masse des règlements canadiens est connue.
M. Tremblay: Leur cas serait réglé par l'article trois.
Le sénateur Joyal: Exactement. Essayons d'être pratique et utile dans ce débat. Tout cela mis ensemble, quelle approche préconiseriez-vous dans un cas comme celui-là, tout en tenant compte des coûts et de la somme de travail qui peut être absorbée dans la gestion quotidienne sans créer de chaos?
M. Tremblay: Il faut être prudent. Le projet de loi qui est devant vous aujourd'hui a été étudié par le ministre de la Justice. Des points de vue intéressants ont été mis de l'avant. Notre préférence est déjà exprimée dans le projet de loi. On parle vraiment de l'article quatre, ce que l'on considère être à la marge. Il faudra voir si les suggestions mises de l'avant sont acceptables. La suggestion, par exemple, de créer un devoir du gouverneur en conseil ne se fait pas sur le plan de la rédaction législative. Le gouverneur en conseil ne représente pas l'exécutif. On ne peut lier ainsi le Cabinet à prendre des actions. C'est une question de langage. Une loi ne pourrait pas imposer plus clairement une obligation que la Constitution impose déjà. On aurait des difficultés au niveau du langage, mais le concept voulant qu'une action quelconque pourrait devoir être entreprise est positif, si c'était le point de vue retenu par ce comité. Ce n'est cependant pas notre première option. On envisagerait plutôt une seconde option, de la nature de celle qui est présentement devant le comité. Toutefois, en plus de la restreindre à des actes antérieurs — ce serait seulement des textes antérieurs à la loi de 1988 qui seraient visés par la manœuvre —, on pourrait aussi concevoir qu'il faut, pour contraindre l'administration à agir, que les révisions engagées soient faites d'ici trois ou cinq ans, faute de quoi le pouvoir habilitant qu'on aura créé au moyen de ce projet de loi disparaîtrait.
Oui, une incertitude règnerait, mais le gouvernement serait prêt à vivre avec cette incertitude, sachant que tous ses textes législatifs sont valides. Ce serait probablement notre seconde suggestion au ministre, avant d'en arriver à adopter un modèle visant une recherche qui se vaudrait exhaustive si elle se veut efficace. Alors pourquoi avoir fait l'article 3, une belle technique avec laquelle tout le monde est d'accord qui visera la vaste majorité des textes pertinents, pour ensuite aller vers la recherche exhaustive? On en perd un peu le bénéfice.
Il s'agit de bénéfices marginaux et à mesure qu'on descend les échelles, il est certain que les bénéfices pour le gouvernement sont moindres. Il faudrait que le ministre décide comment il veut procéder.
Le sénateur Joyal: Vous avez entendu les témoins qualifiés l'article 4(3)b) — je vous les répète lorsqu'on dit que:
b) il est prouvé que des mesures raisonnables ont été prises pour que la substance du texte législatif qu'il remplace soit portée à la connaissance de cette personne avant la violation.
Vous avez entendu au moins deux témoins, dont la Commissaire aux langues officielles, qui ont fait référence à l'arrêt Beaulac qui semble avoir établi très clairement dans notre esprit qu'il faut que la substance ait été communiquée dans la langue de la personne, indépendamment du fait que la personne puisse connaître l'autre langue. Je crois comprendre que la Commissaire aux langues officielles a envoyé une lettre aux membres du comité qui n'a pas été déposée encore. Elle réitère cet élément très clairement à la page 3 de la lettre qu'elle nous a fait parvenir, suite aux commentaires qu'on lui a demandés lorsque le professeur Foucher a témoigné.
L'approche que vous proposez demeure celle du gouvernement. Accepteriez-vous que l'article 4(3)b) soit amendé pour reconnaître cet aspect particulier dans la langue officielle de la personne de manière à donner effet au jugement Beaulac?
M. Tremblay: Encore une fois, la prudence du fonctionnaire s'impose. Nous n'avons pas d'instruction de notre ministre à cet égard.
Encore une fois, c'est une question de perspective. La perspective que le professeur Foucher et que la Commissaire aux langues officielles ont apportée à ce sujet est très intéressante.
Cela dit, l'approche ou l'interprétation qu'on fait des principes ou de la distinction entre les droits linguistiques et les principes de justice naturelle est débattable. Dans l'arrêt Beaulac, le juge Bastarache a indiqué qu'il y a eu une histoire de confusion entre les deux notions; une vise la compréhension et l'autre vise l'existence de droits linguistiques.
Il a dit: «Je voudrais y mettre fin, mais de toute évidence, on continue de débattre, si on veut, d'où commence le droit linguistique et d'où fini le droit à la compréhension». Je ne veux pas résoudre cette question aujourd'hui. Lorsqu'on réédictera, le temps venu, des textes législatifs sous l'article 4, le gouvernement étudiera les recommandations qui lui auront été faites à cet égard.
Le sénateur Beaudoin: J'ai lu le texte M. Bernier. Vous n'arrivez pas à la même conclusion sur la question d'un an ou deux. Je suis très ouvert. Un an, deux ans, trois ans, ce n'est pas la fin du monde. Par contre, il est quand même un peu plus sévère pour le remède. Les articles 3 et 4 ressemblent beaucoup au droit constitutionnel. Le Parlement a le droit de légiférer, c'est certain et dans son domaine, il est souverain. Il va assez loin parce qu'il dit c'est un «deeming clause». La Cour suprême l'a fait dans le cas du Manitoba. Cela a été accepté, c'est une décision de la Cour suprême, c'est comme si elle légiférait. Pouvons-nous faire la même chose? C'est ce qu'on tente de faire avec les articles 3 et 4. Je suis d'accord que les articles 3 et 4 sont mieux que rien. Si j'avais le choix entre ne rien faire et accepter les articles 3 et 4, j'accepterais les articles 3 et 4. C'est beaucoup mieux que rien du tout. Il y a une inconnue dans cela. La cour pourrait arriver à la conclusion que le Parlement ne pourrait pas édicter les articles 3 et 4 sans en faire un amendement constitutionnel. C'est la seule difficulté que nous avons. C'est un travail assez extraordinaire, mais le problème est de savoir si, une fois que le projet de loi sera contesté — parce qu'il le sera probablement —, la cour n'arrivera pas à la conclusion suivante: oui, vous avez fait beaucoup de travail, mais il faudrait que ce soit un amendement constitutionnel pour que cela ait une valeur comme la décision du Manitoba.
Peut-être que la cour dira aussi que c'est de la législation déléguée. On a rendu notre arrêt pour les lois du Manitoba. Ceci, dans le fond, c'est pour la législation déléguée. Le Parlement a fait ce qu'il peut parce que le Parlement peut déléguer la législation. En ce sens, ce serait valide. Ce n'est pas au-delà de tout doute. Vous allez le plus loin possible, mais je ne suis pas sûr que cela répond au problème devant nous.
M. Newman: Au lieu de l'exemple du Manitoba, prenons plutôt celui du Québec dans l'affaire Sinclair, par exemple, où ce qui était en jeu était justement une série de décrets, de lettres patentes et d'avis. Dans ce cas, la Cour suprême avait donné un an à la législature du Québec pour adopter à nouveau la législation en cause et les décrets en cause. Dans l'affaire Brunet, Albert et Collier il était question des documents incorporés dans des lois de retour au travail au Québec. Les documents n'étaient que dans une seule langue et il fallait les adopter à nouveau dans les deux langues. Cette loi vise à aller dans le sens de la Constitution, de régler — sans attendre un jugement de la Cour suprême à cet égard — une situation qui existait par le passé et qui n'existe plus par rapport à l'avenir. La question qui se pose est donc: certaines mesures sont-elles valides ou non? Comment un tribunal va-t-il interpréter une telle loi? D'abord, cela va bénéficier de la présomption de la constitutionalité. Il y aura une lecture atténuée de la loi si cela va trop loin à certains égards, mais ce sera interprété aussi selon son caractère véritable.
Le caractère véritable de la loi fait en sorte qu'au niveau de ses effets, la législation fédérale sera conforme aux articles 133 et 18 de la Charte par rapport au passé. À cet égard, il faut que le Parlement et les techniques législatives lui permettent de se conformer à l'article 133.
Il est inutile, sur le plan de la revendication des droits linguistiques, d'insister sur des procédures qui sont au-delà de l'adoption de nouvelles procédures, au-delà de la publication dans les deux langues ou au-delà de ce que l'arrêt Blaikie exige déjà depuis 1992. Cela ne sert pas la cause des droits linguistiques. Le projet de loi vise l'égalité des deux langues.
C'est dans cette optique qu'il faut regarder ce projet de loi. Si la codification de 1978 avait été examinée par un tribunal, comme on l'avait toujours prétendu, est-ce que le tribunal aurait exigé plus que ce qui a été fait parce qu'ils ont adopté de nouveau les règlements d'impression et de publication dans les deux langues? Il n'est jamais question de faire autre chose que de respecter les deux langues officielles. Selon moi, ils auraient pris tout cela en considération si la question avait été abordée devant les tribunaux. Ce qui n'a pas été le cas. Donc la présomption à la constitutionnalité y est pour quelque chose.
Le sénateur Beaudoin: Oui, j'accepterais cela. Peut-être que la cour dirait: «Écoutez, vous avez fait tout ce qui est possible. Vous avez tenté de valider, de façon rétroactive, des règlements qui n'avaient pas été traduits». Cela peut être fait aux niveaux gouvernemental et législatif, et un projet de loi, c'est législatif. Peut-être qu'ils n'iront pas plus loin et qu'ils vont donner la bénédiction à la loi en disant que c'est tout ce qu'on peut faire sur le plan juridique.
M. Tremblay: Comme vous le savez, notre projet de loi est modelé sur la loi québécoise. C'est justement ce que la Cour supérieure du Québec a statué dans l'affaire Société Asbestos dont il a été question lors de notre première comparation, et dont j'ai cité des extraits. Il y a déjà un tribunal qui a regardé le modèle pour notre projet de loi et qui a dit que c'était une mesure tout à fait raisonnable que le gouvernement se dote de cet instrument pour corriger une situation historique.
Le sénateur Beaudoin: L'affaire Société Asbestos n'a pas été en appel?
M. Tremblay: Je reprends ce que j'ai dit le 24avril, il y a eu un appel, mais cette question n'a pas été débattue par la cour d'appel et l'appel a été rejeté pour d'autres motifs. Ce qui veut dire que le jugement tient; la validité de la loi québécoise n'a pas été questionnée. La cour d'appel qui aurait eu l'occasion, si elle l'avait voulu, d'en questionner les fondements, ne l'a pas fait. Cela s'est arrêté à la cour d'appel, cela ne s'est pas rendu en Cour suprême.
[Traduction]
La présidente: Si l'on veut régler le problème qui nous est soumis, conformément aux principes sur lesquels repose ce projet de loi et les mesures proposées, pourquoi n'adopterions-nous pas l'approche qui a été utilisée au Manitoba, qui a consisté à identifier les règlements en vigueur à un moment donné et qui ne respectaient pas l'article133 de l'AANB et à les valider? Cela pourrait être fait assez facilement en adoptant une modification dans le sens que propose le Comité mixte permanent d'examen de la réglementation qui ajouterait un paragraphe(7) à l'article4, selon lequel tout texte législatif visé par le paragraphe(1) est réputé être abrogé le jour —12mois, deux ans, enfin une période raisonnable— de l'entrée en vigueur de la présente loi, à moins que le texte ne soit réédicté conformément au paragraphe(1) avant cette date.
Cela vous donnerait la latitude dont vous avez besoin pour remédier aux problèmes que posent les règlements qui sont fréquemment utilisés, et que vous devez certainement connaître très bien, et ne pas vous inquiéter des règlements obscurs que vous ne pourriez retrouver qu'en faisant des recherches approfondies. Si ces règlements causaient des problèmes à l'avenir, il serait toujours possible de préparer un projet de loi pour y remédier.
M. Tremblay: Il faut faire deux distinctions. Le Manitoba aurait pu repartir à zéro. Il aurait partir du principe que toutes les lois et tous les textes législatifs postérieurs à une certaine date étaient abrogés. Il aurait pu se lancer dans une entreprise de société et se demander: «quelles sont les lois dont nous avons besoin? Adoptons-les. Quels sont les règlements dont nous avons besoin? Adoptons-les» et faire son travail de cette façon. Le Manitoba s'est lancé dans une entreprise à la fois plus vaste et mieux circonscrite.
La deuxième différence est que le Manitoba s'appuyait sur une décision judiciaire qui protégeait tous les actes posés conformément aux lois qui cessaient d'exister. Ce n'est pas de cette façon que nous entendons procéder mais à moins qu'un tribunal décide que les règlements ou les textes législatifs fédéraux sont inconstitutionnels et leur accorde ensuite une validité temporaire, par le recours au principe de la protection des situations de fait et à la règle du stare decisis, tant que nous n'aurons pas un jugement en ce sens, si la méthode proposée par le Comité mixte permanent d'examen de la réglementation nous amenait à commettre certaines erreurs et si nous manquions un texte se trouvant...
La présidente: Vous pourriez obtenir une directive judiciaire pour réparer cela.
M. Tremblay: Entre-temps, comment saurions-nous si un texte nous a échappé? Quelqu'un pourrait s'en apercevoir, comme dans l'affaire Alcan. Quelqu'un pourrait contester le fait qu'un terrain a été donné à quelqu'un d'autre ou un permis accordé à un concurrent. Cela susciterait le genre d'incertitude que nous essayons d'éviter ici.
Certaines personnes ont déclaré l'autre jour que nous nous trouvions devant un grave dilemme. Nous partons du principe que le gouvernement doit prendre toutes les mesures raisonnables pour résoudre ce problème. Nous l'avons fait à différentes étapes, en1969, en1978, en1982, en 1988 et aprèsen1992 avec le Renvoi sur les droits linguistiques au Manitoba. Les connaissances que nous avons acquises et la façon de mettre en oeuvre le pouvoir réglementaire ont évolué mais nous ne pouvons être sûrs que la méthode utilisée donnera des résultats parfaits si nous ne procédons pas à un examen complet et détaillé des documents du gouvernement pour être certains de préserver les effets juridiques de ces lois.
La présidente: Si vous procédez à un examen complet et détaillé dans le but d'assurer cette protection, il paraît évident qu'une période de cinq ans serait suffisante. Si vous n'avez pas trouvé ces choses après les avoir cherchées pendant cinq ans, elles pourraient être réputées avoir été abrogées sans que cela pose aucun problème.
M. Tremblay: Les hypothèses sur lesquelles vous vous basez semblent raisonnables. Nous pourrions néanmoins commettre une erreur. Lorsque j'ai demandé aux services juridiques de Revenu Canada de faire une recherche sur le règlement qui avait été signalé, le règlement de1955, j'ai constaté que ce service n'avait jamais examiné le règlement de1955. Le règlement avait été codifié en1978 et ensuite, il y avait eu des modifications successives. Les personnes qui utilisent ces documents, les utilisent sous leur forme actuelle. Elles n'ont aucune raison de remonter plus loin.
Il se pourrait toutefois qu'un contribuable ait des motifs pour remonter plus loin dans le temps. Il pourrait se dire «J'ai un argument qui me paraît raisonnable pour ce qui est du règlement de l'impôt». Il est possible que certains textes plus obscurs que d'autres aient mis en place un ordre juridique auquel se sont ajoutés progressivement d'autres règles. Rien ne permet de penser que les autorités réglementaires fédérales sont en mesure de savoir comment ces règles sont apparues au cours des années.
En réalité, il est possible que nous utilisions des textes anciens qui ont été modifiés plusieurs fois au cours des années. Il y a le risque que le texte original puisse soulever un problème, un problème imprévu. C'est donc une question de risque.
La présidente: Eh bien, bravo s'ils peuvent faire ce genre de recherche, découvrir le problème et le signaler. Le gouvernement pourra toujours le corriger ensuite.
Le sénateur Beaudoin: Si une loi problème faisait l'objet d'un renvoi devant la Cour suprême du Canada, rien n'empêcherait celle-ci de donner un avis consultatif déclarant que le mécanisme utilisé est acceptable et qu'elle lui accorde sa bénédiction. Ce serait sans doute la meilleure chose à faire.
Ma première réaction consisterait probablement à dire que ce n'est pas la fin du monde de présenter un renvoi à la Cour suprême. Nous l'avons fait 125fois. Cette question est suffisamment importante pour faire l'objet d'un renvoi. Il est possible que la cour dise: «Non, cela est acceptable» ou «Il faut une modification constitutionnelle». La cour pourrait également déclarer que cela est acceptable pour deux ou trois raisons. Une décision de cette cour est une réponse de nature constitutionnelle. J'estime donc que l'on pourrait procéder par renvoi.
La présidente: Si l'on disait à un citoyen ordinaire que le ministère de la Justice n'a ni le temps, ni les moyens de rechercher tous les textes qui ont été édictés de façon irrégulière dans le passé, il me semble que ce citoyen penserait que le gouvernement essaie de cacher quelque chose et qu'il tenterait de découvrir ce que c'est. J'aurais du mal à accepter une telle chose.
Le senateur Fraser: Je vois là un problème semblable mais pas identique.
Pendant 35ans, le gouvernement a officiellement rejeté les arguments des citoyens, des institutions et des sociétés privées qui soutenaient que l'application de la Loi sur les langues officielles était trop coûteuse. Il n'existe pas au Canada une organisation ayant davantage de ressources et accès à un si grand nombre d'avocats que le gouvernement du Canada. Je ne vois pas comment l'on pourrait invoquer un argument que nous avons interdit, à juste titre d'après moi, aux autres.
C'est une déclaration politique. Vous n'êtes pas obligé d'y répondre. C'est un aspect que j'ai de plus en plus de mal à éviter à mesure que nous approfondissons cette question.
La présidente: Je vais vous donner la possibilité de répondre; nous nous arrêterons ensuite pour ce soir et nous vous libérerons.
M. Keyes: Ce qui nous sépare dans cette discussion d'aujourd'hui, c'est l'étendue de l'obligation. De notre côté, il n'y a pas d'hésitation. Si c'est une obligation, c'est une obligation constitutionnelle. Le gouvernement doit la respecter, quel qu'en soit le coût. La question à résoudre est la suivante: quelle est l'étendue exacte de cette obligation, en particulier pour ce qui est de découvrir ces textes et de les republier?
Nous estimons que pour évaluer la portée de cette obligation, il est important de comprendre ce qu'elle impliquerait en fonction de la portée qui lui est attribuée. C'est un aspect qui permet d'apprécier ce qu'il serait raisonnable que le gouvernement fasse et ce qui constitue une obligation raisonnable dans ce domaine.
Voilà la question essentielle: qu'est-ce que la Constitution nous oblige à faire pour ressusciter ces textes?
Nous pensons que les textes qui sont visés par l'article4 sont sans doute invalides, si le gouvernement ne prend aucune mesure à leur égard. Ils n'ont sans doute aucune importance juridique. Le gouvernement est-il vraiment obligé de ressusciter ces textes? C'est là l'essentiel de la question. Nous pensons que le gouvernement n'est pas obligé de le faire mais si nous ne le faisons pas, le gouvernement devra vivre avec les conséquences qui peuvent découler de l'existence d'une série de textes invalides.
La présidente: Je crois que M.Tremblay nous a déclaré qu'il est possible que des règlements en vigueur actuellement soient fondés sur des règlements inconstitutionnels.
M. Keyes: C'est exact. Si tel est bien le cas, le gouvernement devra alors se charger de valider les règlements actuels.
M. Tremblay: Il faut préciser que la plupart de ces règlements ont déjà été codifiés. Les textes dont nous parlons auront déjà été corrigés grâce à l'article3.
Nous visons cependant une période antérieure et j'ai apporté un arrêt de la Cour suprême du Canada, Air Canada c. Colombie-Britannique, dans lequel la Cour suprême a examiné une question semblable portant sur l'effet rétroactif d'une loi. Les gens ont réclamé de l'argent: «Nous voulons qu'on nous rembourse les taxes que nous avons payées à cause de cette loi inconstitutionnelle». Ce genre de situation pourrait se reproduire si nous commettons une erreur, si les tribunaux prononcent des jugements contre nous et si la technique utilisée n'est pas sans faille.
M.Keyes a fait remarquer qu'à partir de 1978, de1969, de1978, de1982, et par la suite, les règlements fédéraux sont devenus de plus en plus bilingues. Nous réduisons le nombre de ces règlements et la population vieillit. À mesure que les règlements ne sont plus utilisés et sont remplacés par de nouveaux règlements et textes valides, processus qui est déjà engagé, il deviendra de moins en moins probable qu'un texte ancien pose des problèmes. Le processus a démarré en1969 et il s'est poursuivi depuis.
La présidente: J'espère que nous vous avons bien fait comprendre que nous pensions que ce projet de loi soulevait certains problèmes.
Merci de votre patience.
La séance est levée.