Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 5 - Témoignages
OTTAWA, le jeudi 29 mars 2001
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, de sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 11 h 05 pour examiner l'état du système de soins de santé au Canada.
Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Sénateurs, nous sommes ici pour poursuivre notre examen du système de soins de santé au Canada. Ce matin, quelques témoins s'intéresseront à la question de la technologie, c'est-à-dire l'état de la technologie actuelle au Canada, l'évaluation que nous faisons de la nouvelle technologie et, en dernière analyse, le coût qu'elle représente pour le système de soins de santé.
Nous devrons interrompre nos travaux pour la séance que le Sénat tiendra à 13 h 30 aujourd'hui. Nous terminerons la séance ouverte à 13 heures, puis nous tiendrons une brève séance à huis clos.
Notre premier témoin d'aujourd'hui est le Dr John Radomsky, de l'Association canadienne des radiologistes. Je demanderai aux quatre témoins de présenter un exposé, après quoi nous adresserons des questions au groupe de témoins.
Le Dr John Radomsky, président, Association canadienne des radiologistes: Nous avons préparé le document que vous avez sous les yeux, lequel servira de point de départ à mes propos d'aujourd'hui. On y retrouve des détails que je ne pourrai pas retenir dans mon intervention. Dans le rapport, vous trouverez des recommandations détaillées et bon nombre de questions que je n'aurai pas le temps de soulever.
La politique canadienne de la santé a pour premier objectif de protéger, de favoriser et d'améliorer le bien-être physique et mental des habitants du Canada et de faciliter un accès satisfaisant aux services de santé, sans obstacles d'ordre financier ou autre. La Loi canadienne sur la santé de 1984 définit les paramètres des services que nous fournissons aux Canadiens.
Je suis un radiologiste généraliste, et non un chercheur universitaire. Je me présente à vous fort de mes 24 années d'expérience pratique de la radiologie dans le centre de l'Alberta, c'est-à-dire un territoire de 10 000 milles carrés comptant un important centre de référence régional, de 10 à 15 hôpitaux et cliniques de petite taille répartis sur tout le territoire, et, enfin, un établissement de soins de santé indépendant relativement important financé par le régime d'assurance-maladie.
Je possède donc une expérience de première main des problèmes qu'éprouvent les Canadiens moyens confrontés à la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui.
En quoi consiste mon travail? Qu'est-ce que la radiologie? De quoi parlons-nous?
Röntgen a découvert les rayons X il y a 105 ans. Il a utilisé la procédure pour donner une image de la main de sa femme. La technologie a donné un portrait plutôt grossier, mais relativement détaillé, de l'anatomie des os. Pendant la majeure partie du siècle dernier, la radiologie n'a pas été plus loin. Nous pouvions examiner l'anatomie, représentée de façon rudimentaire, de même que certaines structures et fonctions du corps, mais nous ne sommes pas allés beaucoup plus loin avant les deux ou trois dernières décennies: la révolution informatique, la technologie de l'information et les nouvelles technologies à grande puissance nous ont permis de faire de notre profession un service multimodal et polyvalent qu'il convient désormais de nommer «imagerie médicale», et non plus simplement «radiologie». Nous utilisons les rayons gamma, les rayons X, l'échographie, les champs magnétiques et le rayonnement radioélectrique pour afficher des coupes sectionnelles du corps d'une très grande précision.
Aujourd'hui, nous pouvons non seulement dépister des maladies, mais aussi les diagnostiquer. Nous pouvons décrire la portée et l'étendue des maladies. Dans de nombreux cas, nous infiltrons les frontières thérapeutiques pour participer par la voie de l'imagerie à des biopsies et à d'autres procédures thérapeutiques, qui, fait important, remplacent des procédures plus coûteuses, plus longues et beaucoup plus douloureuses pour le patient.
Il est certain que l'imagerie médicale -- qui transcende de nombreuses frontières et spécialités -- se trouve idéalement positionnée pour occuper une place centrale dans le réseau de la santé.
Il ne s'agit pas que des rayons X. Nous pouvons désormais créer des images au niveau moléculaire. Les problèmes auxquels les radiologues sont aujourd'hui confrontés ne relèvent pas que de la simple radiologie. Ce sont des problèmes auxquels sont confrontés la quasi-totalité des membres de la profession médicale. Nous offrons désormais des services multimodaux et polyvalents.
Vers où cela nous conduira-t-il? Très brièvement, je précise que nous constatons une augmentation majeure de la demande de services d'imagerie médicale. Ces services sont très peu effractifs et efficients, et les inconvénients pour les patients sont tout à fait minimes.
Le Canada compte une cohorte d'environ 10 millions d'enfants du «baby boom» qui atteindront bientôt l'âge -- c'est-à-dire la dernière tranche de 20 p. 100 de leur vie -- au cours de laquelle se concentrera la plus grande part des soins médicaux dont ils auront besoin, soit environ 80 p. 100. Compte tenu des limites du régime actuel, nous ne sommes peut-être pas prêts à fournir de tels soins aux patients concernés ni à offrir des services à nos collègues d'autres domaines. D'ici 20 à 30 ans, on s'attend à ce que la proportion des personnes âgées de plus de 60 ans passe d'environ 10 à 15 p. 100 à plus de 30 p. 100 du total. C'est ce qui motive nos inquiétudes et notre présence ici aujourd'hui.
Nous vivons désormais à l'ère de la technologie de l'information -- l'ère des ordinateurs. Nous sommes aujourd'hui en mesure d'obtenir rapidement des coupes transversales et d'autres images numériques pour ensuite les transmettre presque instantanément à l'intérieur de nos établissements, vers d'autres établissements et même au-delà des frontières internationales. Pourtant, notre industrie, l'industrie médicale, est la seule industrie canadienne qui n'ait pas profité de cet avantage stratégique et perfectionné l'infrastructure de la technologie de l'information qui, dans toutes les autres industries, s'est révélée incroyablement efficiente et rentable. L'idéal diagnostic que nous nous sommes fixé consisterait à effectuer du premier coup le meilleur test qui soit. Nous ne pourrons y parvenir sans avoir accès aux images du patient réalisées dans un autre centre, pour fins de comparaison. Nous ne disposons simplement pas d'infrastructure nécessaire.
Au sein de notre profession, dans le domaine de l'imagerie médicale en particulier, nous faisons face à un grave problème. Nous sommes aux prises avec une pénurie majeure d'équipement de haute technologie, un déficit important au titre du matériel habituel utilisé aux fins de la radiographie, de l'échographie et des procédures médicales ordinaires de tous les jours et avec une pénurie de personnel concomitante, autant de facteurs qui découlent des huit ou dix années de compression budgétaire dont les programmes de formation et d'acquisition de matériel ont été victimes. Nous ne sommes plus en mesure de toujours remplacer le matériel désuet. Dans la plupart des centres, on ne remplace plus le matériel qu'à titre ponctuel, lorsqu'il n'est plus fonctionnel. En fait, notre association, qui a effectué des recherches considérables à ce sujet, a constaté que, dans de nombreux secteurs, jusqu'à 60 p. 100 du matériel est dépassé sur le plan technique.
De façon plus précise, le Canada fait partie du troisième tiers des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques pour ce qui est du nombre d'appareils de haute technologie, mais il fait partie du groupe de cinq pays qui viennent au premier rang du point de vue des dépenses affectées aux soins de santé en pourcentage du PIB. Bon nombre de nos appareils de radiographie et autres appareils utilisés dans les hôpitaux ne sont plus fonctionnels, simplement parce qu'ils sont trop vieux pour effectuer le travail pour lequel ils ont été conçus. Il n'est pas rare qu'on utilise du ruban adhésif en toile pour rafistoler le matériel. C'est devenu un sujet de plaisanterie entre nous. On lit des articles à ce sujet dans les médias, mais c'est la vérité. J'en ai moi-même été témoin dans les hôpitaux où je travaille et dans mon secteur. Nous avons recours à des expédients pour régler un problème majeur, tandis que nous devrions nous attaquer aux déficiences structurelles du système.
En ce qui concerne l'effectif, le Canada compte actuellement de 1 800 à 1 900 radiologistes, et il en manque 200. Dans la seule province où nous nous trouvons, mentionnons que, au cours des dernières semaines, l'Ontario Association of Radiologists a, dans son bulletin, publié pas moins de 45 offres d'emploi pour radiologistes. Appliquez les mêmes proportions au reste du pays, et vous vous retrouverez avec un sérieux déficit sur les bras. Nous ne disposons tout simplement pas de l'effectif nécessaire pour fournir les services. Dans mon propre secteur, nous avons dû réduire les services, et nous avons fait une annonce en ce sens il y a trois mois, et non pas uniquement aujourd'hui au profit des médias. Nous avons dû réduire les services dans deux établissements de petite taille faute d'un personnel suffisant pour assurer les services sur place. Les patients doivent se déplacer. Ils subissent des inconvénients. Dans de nombreux cas, ils négligeront simplement de le faire.
Dans ce contexte, on doit accorder une attention particulière à un sous-groupe précis d'établissements, c'est-à-dire les petits établissements de santé communautaire indépendants. Financés par le régime de soins de santé, au même titre que les hôpitaux, ces établissements ne sont pas traités équitablement sur le plan fiscal. En Ontario, en Alberta, en Colombie-Britannique et au Québec, jusqu'à 50 p. 100 des activités d'imagerie médicale sont effectuées dans de tels établissements. Pourtant, bon nombre d'entre eux sont acculés à la fermeture en raison de l'augmentation des coûts et de la faiblesse de notre dollar. Ils doivent payer la TPS sur le matériel et les fournitures sans pouvoir la récupérer. C'est une taxe dont tous les autres intervenants du système de soins de santé sont exonérés, à l'exception des établissements de soins de santé indépendant. Si on veut faire sortir une partie des soins de santé des grands établissements et les répartir dans la collectivité, on devra s'attaquer à ce problème. Nous avons besoin d'établissements indépendants viables.
Nous sommes dotés d'un régime de financement archaïque, de financement cloisonné qui empêche le secteur de bénéficier de l'efficience d'un autre. Essentiellement, tel est le message que je tiens à vous communiquer. Notre rapport renferme un certain nombre de recommandations. Je les résumerai sous trois grandes catégories. Premièrement, nous devons adopter une approche axée sur la collaboration pour régler nos problèmes. Il s'agit non pas simplement d'un problème de radiologie, mais bien d'un problème commun à l'ensemble du réseau. À titre de radiologistes, nous devons nous unir aux autres professionnels de la santé et discuter des problèmes avec le gouvernement et tous les ordres de gouvernement. Sinon, nous ne réglerons rien. Dans certaines autres provinces, la démarche a connu du succès.
Deuxièmement, nous devons dès maintenant recevoir certains fonds pour régler les problèmes que, pour le moment, nous nous contentons de balayer sous le tapis au moyen d'expédients.
Troisièmement, nous devons de toute urgence nous attaquer aux problèmes liés à la pénurie de personnel, chez les radiologistes aussi bien que chez les technologues, parce que les deux sont interreliés et ne peuvent être dissociés.
M. Martin Zelder, directeur de la recherche sur les politiques de santé, Institut Fraser: Je suis heureux et honoré d'être ici aujourd'hui pour discuter avec vous de ce sujet impérieux et important. Mon mémoire et mes propos d'aujourd'hui soulèvent la question fondamentale suivante: le système de soins de santé du Canada assure-t-il aujourd'hui une disponibilité suffisante pour divers types de technologie médicale? J'entends «suffisante» au sens économique. J'entrerai dans les détails un peu plus tard.
La question s'énonce assez simplement. Avons-nous accès aux technologies en quantité suffisante? Il est beaucoup plus difficile d'y répondre, mais nous devons à tout prix le faire.
Pour reprendre les mots d'un économiste sanitaire de renom, ne pas répondre à la question, c'est avancer à l'aveuglette. Pourquoi est-il si difficile de répondre à la question? Une raison tient à la nature même de la technologie. Elle se caractérise par l'innovation et la désuétude rapides. Le matériel que nous étudions est en voie de transformation rapide. L'analyse de la technologie relève donc de la même logique. Elle se caractérise par une innovation et une désuétude fréquentes.
La deuxième grande raison qui explique la difficulté d'apporter une réponse tient au fait que l'analyse sur laquelle doit s'appuyer une réponse exhaustive est complexe. Elle suppose une compréhension approfondie de notions et de méthodes médicales, statistiques et économiques.
Pour ces raisons, la nouveauté et la fluidité relatives de technologies médicales très importantes, de même que les exigences auxquelles font face les chercheurs du point de vue de l'analyse, l'évaluation économique de la technologie en est au stade embryonnaire. En même temps, de nombreux spécialistes talentueux s'intéressent à la question, de sorte que le pronostic pour l'«embryon» est bon.
Maintenant que les mises en garde ont été faites, la somme de ce que nous savons au sujet de la nature intimidante de la tâche qui nous attend n'est pas négligeable. On peut diviser ces connaissances en deux grandes catégories: les faits fondamentaux qui entourent la situation et l'analyse de ces derniers.
Après m'être intéressé à ces deux éléments, je formulerai un bref commentaire et des recommandations. Vous trouverez plus de détails à ce sujet dans le mémoire.
Quels sont les faits? Par rapport à d'autres pays de l'OCDE, le Canada offre des taux peu élevés de disponibilité de la plupart des technologies de base mesurées par l'OCDE. Si vous consultez le tableau 1 qui figure à la page 16 de la version anglaise de notre mémoire, vous constaterez qu'il s'agit essentiellement d'une version actualisée des tableaux qui figuraient dans notre enquête de 1998 sur la technologie. On constate peu de changements entre 1998 et aujourd'hui. La disponibilité est mesurée en fonction du nombre de machines par millions d'habitants. Nous constatons donc que le Canada vient au 20e rang de 29 pays du point de vue de la disponibilité des tomodensitomètres, au 21e rang du point de vue de la disponibilité des IRM, et, enfin, au 21e rang du point de vue de la disponibilité des lithotriteurs -- appareils servant à broyer les calculs rénaux. Le Canada se tire mieux d'affaire en ce qui touche la disponibilité des appareils de radiothérapie, domaine dans lequel il arrive au sixième rang. En ce qui concerne les postes d'hémodialyse, il vient au neuvième rang.
En même temps, il importe de remarquer que le Canada compte parmi les pays de l'OCDE dont les dépenses affectées à la santé sont les plus élevées. En 1997, en particulier, nous venons au quatrième rang du point de vue des dépenses par habitant et au cinquième rang du point de vue des dépenses en pourcentage du PIB. Ces données montrent bien que le niveau de technologie dont dispose le Canada est proportionnellement trop peu élevé compte tenu de ses dépenses.
La disponibilité des technologies de pointe est également limitée. Les données qui figurent au tableau 1 portent sur des technologies plus fondamentales. Dans notre rapport initial, nous nous sommes également intéressés aux technologies de pointe. Je n'ai pas de chiffres à jour à ce sujet aujourd'hui, mais les données du rapport antérieur figurent au tableau 3 du mémoire. Les chiffres font état de technologies de pointe qui, à l'époque, n'étaient pas disponibles dans les hôpitaux de la Colombie- Britannique, mais qui l'étaient dans certains hôpitaux des États de Washington et de l'Orégon, voisins les plus proches de la Colombie-Britannique.
Ainsi, 18 de ces technologies de pointe, énumérées au tableau 3, n'étaient pas disponibles. Le déficit a donc trait à la technologie de base comme à la technologie plus perfectionnée.
Étant donné la technologie limitée dont le Canada dispose, les périodes d'attente sont considérables. Au tableau 4, j'ai indiqué pendant combien de temps le patient moyen doit attendre pour recevoir un traitement après avoir consulté un oncoradiologiste. En 1999, la période d'attente habituelle était de plus de six semaines entre la consultation d'un oncoradiologiste et la radiothérapie en elle-même. Au Québec, l'attente pouvait atteindre neuf et même neuf semaines et demie. Dans l'ensemble, nous constatons une augmentation marquée par rapport à 1993 -- dans ce segment, les temps d'attente ont augmenté de 69 p. 100 entre 1993 et 1999.
Naturellement, entre ce deuxième temps d'attente, soit entre la consultation du spécialiste et le traitement, il y a une période d'attente initiale -- habituellement trois semaines entre la consultation d'un généraliste et celle d'un oncologie. À l'heure actuelle, la période d'attente est habituellement de plus de neuf semaines. Cette situation témoigne en partie de la non- disponibilité des appareils de radiothérapie. Dans notre enquête, nous avons demandé aux oncoradiologistes de préciser les raisons, le cas échéant, des périodes d'attente plus longues. Parmi les oncologues qui, en 1999, ont répondu «oui» à la question, 66 p. 100 ont déclaré que l'une des raisons était l'incapacité d'accéder aux appareils de radiothérapie. La non-disponibilité directe des appareils comptait pour l'une des raisons importantes.
Parfois, les Canadiens se rendent aux États-Unis pour obtenir un traitement. Nous avons demandé aux médecins d'indiquer le pourcentage de leurs patients qui avaient reçu un traitement dans d'autres pays au cours d'une année donnée. En 1999, c'est chez les oncoradiologistes qu'on a observé le pourcentage le plus élevé parmi l'ensemble des spécialistes -- 4,5 p. 100 de leurs patients se rendaient dans d'autres pays pour recevoir des traitements. Certains des déplacements étaient organisés par les provinces, fait qui, naturellement, a été bien médiatisé. Dans l'ensemble des spécialités, la proportion de patients qui, en moyenne, se rendent dans d'autres pays pour obtenir un traitement s'établit à 1,5 p. 100. Le problème est donc particulièrement épineux dans le domaine de l'oncoradiologie.
Le tableau 5 montre que la période d'attente pour les tomodensitomètres, les IRM et les échographies sont relativement longs et rallongent. En particulier, la période d'attente pour une IRM est de 12 semaines; elle est de 5 semaines pour la tomodensitométrie. Ces données font toutes état d'une augmentation de plus de 40 p. 100 par rapport à 1994.
Ce sont là des faits bruts.
Permettez-moi maintenant de passer à l'analyse. L'approche la plus populaire est ce qu'on appelle l'«analyse coût-utilité». On s'en sert pour comparer une intervention médicale nouvelle à une intervention habituelle existante. La comparaison porte sur deux éléments: le coût et les résultats. La mesure du coût vise l'exhaustivité, c'est-à-dire qu'elle porte non seulement sur le coût médical direct, mais aussi sur les coûts indirects que représentent la perte de revenu, la douleur et la souffrance. Le résultat se mesure en années-personnes sans invalidité. Cette mesure fait état des avantages d'une intervention médicale. Elle indique le nombre d'années de plus qu'une personne a à vivre de même que la qualité de vie qu'elle aura. Du point de vue des années-personnes sans invalidité, une mesure de un signifie que la personne aura une année de plus à vivre sans déficience ni invalidité de quelque nature que ce soit. Une valeur de zéro équivaut à la mort, tandis que des valeurs situées entre zéro et un indiquent une forme ou une autre d'invalidité.
La difficulté, c'est d'accoler une valeur aux états intermédiaires entre un état de santé parfait et le pire état de santé qui se puisse imaginer, ce qui signifie qu'il vaudrait mieux que la personne soit morte. Jusqu'à quel point la personne qui vit une année de plus souffre-t-elle si elle doit composer toutes les semaines avec des migraines qui durent pendant des heures? Les économistes ont mis au point des méthodologies complexes pour tenter de répondre à ces questions. On demande à des personnes de coter diverses invalidités sur une échelle en dix points. Par exemple, on leur demande de préciser le nombre d'années de vie avec un handicap donné auxquelles elles seraient prêtes à renoncer pour une année en parfaite santé. Au moyen de ces mécanismes, nous sommes en mesure d'établir combien d'années-personnes sans invalidité correspondent à diverses invalidité.
Nous pouvons évaluer les nouvelles technologies et les nouvelles interventions chirurgicales du point de vue du coût par année-personne sans invalidité. On dispose désormais d'estimations du coût des années-personnes sans invalidité pour un certain nombre d'interventions différentes. Au tableau 8, on trouve certains exemples se rapportant aux appareils technologiques. Ces données, je le souligne, viennent du Harvard Center for Risk Analysis -- une référence dans le domaine. La plupart de ces estimations, sinon la totalité d'entre elles, portent non pas tant sur les recherches initiales effectuées par les spécialistes de Harvard, mais bien plutôt sur les travaux d'autres chercheurs, que les spécialistes de Harvard évaluent. Ils se demandent si les estimations sont valables. Ils déterminent la nature exacte des estimations.
Au tableau 6, vous constaterez que, lorsqu'on compare les nouveaux traitements existants, on obtient quatre types de résultats différents. Dans certains cas, le traitement procure plus d'années-personnes sans invalidité. Il suppose également des coûts réduits. Les données figurent dans le coin supérieur gauche du tableau. On considère ces interventions comme des mesures d'économie. On obtient de meilleurs résultats à meilleur compte.
Cependant, certaines interventions assurent moins d'années- personnes sans invalidité à un coût plus élevé. Les interventions en question figurent dans le coin inférieur droit. On dit qu'elles sont «dominées». Ce sont les interventions les moins valables du point de vue du coût et de la qualité.
Habituellement, on obtient plus d'années-personnes sans invalidité pour un coût plus élevé, et les interventions de cette nature figurent dans le coin inférieur gauche. Le cas de figure illustré dans le coin inférieur droit, c'est-à-dire moins d'années-personnes sans invalidité à un coût inférieur, ne se matérialise pratiquement jamais.
Le même groupe de Harvard a publié une évaluation d'environ 650 traitements du point de vue du coût des années-personnes sans invalidité. De cette liste de 650 traitements, ils en ont extrait 228, qui à leurs yeux, répondent à des normes méthodologiques données. Ils affirment qu'il s'agit d'études bien menées répondant à certains critères méthodologiques. Ces études sont réputées «dignes d'un jury».
J'ai reproduit six d'entre elles au tableau 10. Elles portent sur les appareils technologiques, du point de vue du coût par année-personne sans invalidité.
J'insiste sur le fait que les données proviennent de sources de premier plan comme le centre Harvard. Nous devrions tenter d'établir une règle qui permette de déterminer les interventions dont les coûts se justifient. Ces dernières devraient être acceptées à des fins de traitement. Quant aux autres, elles devraient être rejetées.
Pour ce faire, nous devons déterminer un certain seuil. Combien sommes-nous prêts à payer pour une année-personne sans invalidité? Une fois de plus, on dispose de méthodes qui permettent d'établir de telles données sur la foi de la valeur statistique d'une vie. J'ai effectué certains calculs sommaires et abouti à une valeur d'environ 80 000 $ par année-personne sans invalidité au Canada.
On pourra peut-être mettre en doute la précision de l'estimation, mais je ne veux que souligner que nous devrions établir une estimation raisonnée. Nous devrions déterminer combien nous sommes prêts à payer pour une année-personne sans invalidité. Nous devrions examiner un tableau comme celui de Harvard ou toute autre recherche fiable que nous pourrons trouver. Nous pourrons alors déterminer que toutes les interventions qui coûtent plus, c'est-à-dire plus que 80 000 $ par année-personne sans invalidité, seront rejetées en raison de leur coût excessif. Nous pourrons considérer que les interventions dont le coût est inférieur à ce seuil méritent d'être effectuées et en valent le coût pour la société. Elles sont efficientes.
Avant de venir aujourd'hui, j'ai effectué une analyse préliminaire initiale des données pour tenter de déterminer si le Canada devrait ajouter à ses technologies médicales. Je me suis inspiré des chiffres de l'OCDE sur la disponibilité des technologies qui figurent au tableau 1. J'ai estimé les effets de l'accroissement de la disponibilité sur l'espérance de vie dans les pays de l'OCDE. Dans les pays où la technologie est plus disponible, l'espérance de vie est-elle plus élevée? J'ai tenu compte d'autres différences entre les pays du point de vue des dépenses affectées à la santé ainsi que de la consommation d'alcool et de tabac.
Qu'ai-je trouvé? J'ai remarqué qu'une augmentation du nombre de tomodensitomètres par 1 000 000 d'habitants se traduit par une augmentation marquée de l'espérance de vie à l'âge de 60 ans, mais pas aux autres âges.
Il s'ensuit que les tomodensitomètres peuvent jouer un rôle diagnostic d'une importance mesurable pour les personnes de 60 à 65 ans. J'ai également constaté que les appareils de radiothérapie avaient des effets bénéfiques pour tous les âges et que les postes de dialyse avaient des effets bénéfiques pour les personnes de 40 ans.
Pour revenir aux estimations concernant les tomodensitomètres, j'ai constaté qu'une augmentation de un tomodensitomètre par million d'habitant entraînait une augmentation de l'espérance de vie d'environ un mois à l'âge de 60 ans. Fort de cette donnée, j'ai été en mesure d'établir la valeur de l'intervention du point de vue des années de vie gagnées grâce à l'application de leur vie statistique. J'ai abouti à une valeur de 75 millions de dollars en années de vie gagnées.
Comment cela se compare-t-il au coût de l'ajout d'un tomodensitomètre? J'ai effectué certaines recherches à ce sujet. Le coût de l'ajout d'un tomodensitomètre -- l'achat et l'entretien à vie -- s'élève à environ 8,5 millions de dollars.
Selon mes estimations, l'ajout d'un tomodensitomètre permettrait au Canada de réaliser des gains de 75 millions de dollars au titre de l'augmentation de la longévité pour un coût de 8,5 millions de dollars seulement, soit un rapport coût-bénéfice de 8 pour 1. Je souligne que ce rapport m'est apparu à première vue comme peu plausible. Il m'a semblé trop élevé.
Dans le mémoire, j'ai fait allusion à un nouvel ouvrage auquel ont contribué un groupe d'économistes de premier plan. Ils tentent d'estimer la valeur des recherches médicales aux États-Unis du point de vue de l'augmentation de l'espérance de vie en regard des coûts. Selon leurs estimations, les recherches médicales effectuées aux États-Unis ont des effets bénéfiques annuels 35 fois supérieurs à leur coût. Dans ce contexte, le rapport de 8 pour 1 auquel j'ai abouti ne semble pas ridicule.
Ces chiffres étonnants nous montre que la vie est précieuse et que les percées technologiques ont un effet des plus considérables.
Les recherches récentes que j'ai consacrées aux effets des dépenses gouvernementales affectées à la santé apportent un dernier témoignage sur la valeur de la technologie. Le Fraser Institute a publié mon rapport l'année dernière. Dans mon rapport, j'ai tenté d'établir si les provinces qui dépensent le plus d'argent offrent des périodes d'attente plus courtes ou plus de procédures effectuées par des spécialistes. J'ai constaté qu'une augmentation des dépenses n'a ni l'un ni l'autre de ces effets souhaitables. Le fait de dépenser plus d'argent n'a pas eu pour effet de réduire les listes d'attente ni d'augmenter les procédures effectuées par des spécialistes.
J'ai alors ventilé les dépenses selon les catégories. J'ai fait le constat qu'il y avait un type de dépenses qui se traduisait par une augmentation du nombre de procédures offertes dans une province. C'était les dépenses d'immobilisations. Les immobilisations, bien sûr, comprennent la technologie.
Le président: Je vais vous demander de conclure bientôt.
M. Zelder: Étant donné ces faits et les informations dont nous disposons, pouvons-nous penser que nous serons habilités à prendre de meilleures décisions au Canada? À la lumière de la structure actuelle du système, je me demande, à la lumière des données, si nous y prendrons de meilleures décisions.
Aux États-Unis, de plus en plus de recherches portent sur l'impact de la réglementation qui limite les remboursements et exige l'approbation des achats de nouvelles technologies par des bureaucrates. Cette réglementation limite les achats de technologies, et les limites imposées au remboursement tendent à retarder l'adoption de la technologie sans nécessairement réduire les coûts ni accroître l'efficience.
Ces recherches s'appliquent directement à la situation canadienne. Dans notre régime, le remboursement des procédures ne correspond pas clairement à la valeur qu'elles représentent pour la société. En vertu de notre régime, les ministères de la Santé ou les conseils de santé régionaux doivent souvent approuver l'expansion technologique. Même lorsqu'ils sont habilités à prendre des décisions autonomes, les hôpitaux ne sont pas motivés à le faire en raison de leur incapacité à réaliser des profits.
Il y a 15 ans, un spécialiste a bien décrit la nature du processus décisionnel en vigueur au Canada dans le domaine des soins de santé:
Le système de santé canadien a ceci de particulièrement remarquable qu'il y a une diversité de politiques qui font la promotion de la compression de coûts, mais peu de politiques qui font celle de l'efficience.
Ce que j'ai constaté, c'est que les dépenses d'immobilisations sont le principal élément qui entraîne une augmentation du nombre de procédures pouvant être effectuées. Or, pour chaque dollar affecté à la santé, seulement 2 cents vont aux immobilisations.
Pour conclure, je précise que, indépendamment de la quantité de données utiles et convaincantes que nous tirons de l'analyse économique et de la technologie médicale, nous devons nous demander si elles seront utilisées dans le Canada d'aujourd'hui. À mon avis, elles ne le seront que si on procède à des réformes ayant pour effet de récompenser les décideurs, y compris les patients et les administrateurs d'hôpitaux, qui prennent des décisions éclairés sur la plan économique. Le cas échéant, la réponse à la question est oui.
La Dre Jill Sanders, présidente-directrice générale, Office canadien de coordination de l'évaluation des technologies de la santé: Je suis heureuse d'être ici. Aujourd'hui, j'ai pour rôle de vous fournir certains renseignements au sujet de notre petite organisation et du rôle qu'elle joue dans le processus décisionnel relatif aux technologies de la santé au Canada.
Notre système de soins de santé compte de nombreux organismes de recherche et de consultation. Pour sa part, l'Office canadien de coordination de l'évaluation des technologies de la santé (OCCETS) s'efforce d'aider les gouvernements à prendre des décisions difficiles dans le cadre de l'adoption et de l'utilisation des médicaments et des technologies de la santé.
Dans notre domaine, les médicaments font partie des «technologies de la santé». J'ajouterai le mot «médicaments» de temps à autre. Le mot «technologies», au sens où je l'entends, s'applique aux médicaments.
Le président: Soyons bien clairs. Le mot «technologie» au sens où vous l'entendez s'applique aux produits pharmaceutiques.
La Dre Sanders: Oui. J'ai tenté de l'ajouter, mais, parce que nous ne le faisons habituellement pas, il est possible que je l'oublie parfois. Ne perdez pas de vue que ce que je dis s'applique aux produits pharmaceutiques.
Depuis plus de une décennie, l'OCCETS produit des rapports exhaustifs portant sur les technologies de la santé au sens large, notamment les appareils, l'équipement et les médicaments. Dans ce domaine en pleine expansion, les recherches ont un retentissement international. Elles font appel à une approche interdisciplinaire dans le cadre de laquelle on s'intéresse à des questions comme la sécurité, l'efficacité et l'efficience, telles qu'elles s'appliquent à l'utilisation de la technologie dans le domaine des soins de santé.
Je vais prendre quelques instants pour vous faire certaines observations sur la situation actuelle du Canada du point de vue de l'évaluation des technologies de la santé de même que pour faire certains commentaires sur ce que nous réserve l'avenir à ce propos.
Comme vous le savez, les appareils et les médicaments doivent être homologués par le gouvernement fédéral avant de pouvoir être vendus au Canada. Cependant, ce sont les provinces et les territoires qui, pour une large part, prennent les décisions concernant le financement public de ces technologies. Au cours des dernières années, les décisions à prendre sont devenues plus nombreuses et complexes. Les décideurs doivent s'intéresser à de plus en plus de produits qui se disputent les deniers publics disponibles.
Prenons un exemple dans le domaine pharmaceutique. Il y a quelques années, l'OCCETS a préparé un rapport contenant des conclusions sur l'efficacité d'une nouvelle catégorie de médicaments connus sous le nom de statines. Ces médicaments sont des hypocholestérolémiants -- des médicaments qui font baisser le taux de cholestérol. Cependant, leurs prix varient considérablement. En Colombie-Britannique, deux statines viennent au deuxième et au troisième rangs des médicaments les plus coûteux pour la province. En 1999, la province y a consacré plus de 40 millions de dollars.
En ce qui concerne les instruments médicaux, plus de 900 sociétés canadiennes oeuvrent dans le domaine de la production. Souvent, elles mettent au point des produits créés aux mêmes fins, mais, parfois, les prix varient considérablement -- dans certains cas, ces instruments concurrencent des médicaments, et dans d'autres, rien du tout. Ce sont des décisions difficiles à prendre. Si les gouvernements n'ont pas accès à des informations indépendantes de qualité sur l'innocuité, l'efficacité et l'efficience relatives des produits, il devient difficile de prendre des décisions sages relativement à l'utilisation de l'argent des contribuables.
Des médicaments et des technologies de la santé voient fréquemment le jour et passent au stade du développement et de la mise en marché beaucoup plus vite qu'auparavant. À titre d'exemple, en 1995, Santé Canada a délivré 378 avis de conformité pour des produits pharmaceutiques. En l'an 2000, le chiffre est passé à 457. En d'autres termes, près de 500 nouveaux médicaments ou nouveaux usages pour d'anciens médicaments sont approuvés chaque année. Les décideurs font donc face à un nombre affolant de demandes, lequel continue d'augmenter.
De la même façon, Santé Canada estime à 25 000 le nombre de nouveaux instruments médicaux qui, chaque année, font leur entrée sur le marché canadien.
Au rythme où évolue la technologie, ce qui était inconcevable l'année précédente pourrait être monnaie courante l'année suivante.
Citons, à titre d'exemple, les réponses à une enquête récente d'Angus Reid: l'année dernière, 40 p. 100 des médecins de famille étaient d'avis que le clonage humain constituerait un jour une pratique médicale admise; par ailleurs, 90 p. 100 d'entre eux disent croire que le clonage de parties du corps deviendrait une pratique médicale admise. Cette accélération a un effet étourdissant sur les responsables des difficiles décisions concernant l'utilisation des fonds publics. Naturellement, elles ont un impact financier.
Prenons une fois de plus un exemple dans le domaine des médicaments d'ordonnance. Quand, il y a tout juste un peu plus de dix ans, l'OCCETS a été créée par les sous-ministres de la Santé, le budget des médicaments d'ordonnance au Canada s'élevait à 4,2 milliards de dollars, environ 1,9 milliard de dollars provenant des fonds publics. Aujourd'hui, le budget des médicaments d'ordonnance au Canada a triplé pour s'établir à 11,4 milliards de dollars, 4,9 millions de dollars provenant des fonds publics. En d'autres termes, le gouvernement consacre aujourd'hui presque autant d'argent aux médicaments d'ordonnance qu'aux services fournis par les médecins.
Les responsables des fonds publics doivent faire face à un facteur additionnel, soit des citoyens de mieux en mieux informés, ce qui, naturellement, est une bonne chose. Les Canadiens ont accès à des informations sur la santé nettement plus poussées qu'il y a dix ans, et la compréhension qu'ils en ont est à l'avenant. Le phénomène s'explique pour la plus grande part par l'avènement d'Internet, où on retrouve actuellement 40 000 sites Web dans le secteur de la santé. Le nombre de visites effectuées à ces sites est relativement élevé.
Nous pouvons faire des hypothèses. Nous avons entendu parler du vieillissement des enfants du «baby boom» -- qui sont les représentants de la «génération du moi». Il faut aussi tenir compte du fait que nous exerçons beaucoup plus de pressions sur le système du point de vue de l'accès aux technologies. Nous attendons des solutions. À l'époque où nous avons grandi, on nous a habitué à attendre des solutions aux problèmes. En raison d'une population de plus en plus avisée et exigeante, nous évoluons vers un système de soins de santé davantage dirigé par les patients.
En même temps, les fournisseurs de soins de santé, en particulier dans certaines sous-spécialités, attendent avec impatience d'adopter de nouvelles technologies. Cette situation a pour impact général une forte demande de technologies et de médicaments. Au vu de ces pressions, comment peut-on aider les responsables des dépenses affectées aux soins de santé à prendre les décisions qui s'imposent? Sur quoi peuvent-ils fonder leurs décisions?
Je vous réfère à une analyse de la conjoncture effectuée récemment par l'OCCETS et quatre autre organismes nationaux de la santé le mois dernier. Dans l'analyse, les chercheurs ont constaté que l'évaluation des technologies de la santé comptait aujourd'hui parmi les six priorités du régime dans le domaine de la recherche sur la santé. Nous avons été peu nombreux à nous en étonner. En fait, les sous-ministres de la Santé, qui avaient prévu le coup, ont, il y a moins d'un an, haussé le financement de l'OCCETS et renouvelé leur confiance envers l'organisation. C'est là un fait intéressant.
Bon nombre des répondants, en particulier au niveau des offices régionaux de la santé qui, me semble-t-il, ont le sentiment d'être débordés, ont cité une incapacité de suivre le rythme de l'évolution des technologies et le besoin de plus de données accessibles qui les aident à prendre les décisions qui s'imposent. Ils ont souligné en particulier le besoin d'information, en particulier en ce qui concerne les technologies et les médicaments nouveaux, notamment en ce qui concerne l'efficience. Ils ont également souligné le besoin de plus de données économiques. Les décideurs ont besoin d'informations qui soient de grande qualité et fiables. De toute évidence, elles doivent par ailleurs tenir compte des conséquences économiques, sociales et éthiques. Ces données peuvent provenir d'une organisation comme la nôtre, indépendante du gouvernement. Nous recevons des fonds du gouvernement, mais nous sommes indépendants de lui et de toute autre source extérieure, comme l'industrie.
Notre plan de travail prévoit l'évolution continue des technologies. Ainsi, on s'assure que les technologies sont évaluées assez tôt pour que les décisions en matière de financement soient entreprises avant que les technologies n'aient été diffusées et distribuées dans le système de soins de santé.
En ce qui a trait aux initiatives visant à définir ce que nous réserve l'avenir, citons le Programme canadien d'évaluation des technologies émergentes, dans le cadre duquel nous nous penchons sur les percées réalisées dans le monde tout en produisant et en diffusant rapidement des données sur celles qui se présentent. Les décideurs disposent ainsi d'un peu de temps pour planifier et contrôler l'introduction et la diffusion des nouvelles technologies qui ont parfois des impacts considérables sur le système.
Les mécanismes d'évaluation efficaces et sérieux qui sont utilisés commencent par la sélection rigoureuse des technologies à évaluer et vont jusqu'à la diffusion des résultats.
Les activités de sensibilisation mises sur pied par l'OCCETS sont conçues pour faire l'éducation des intervenants, y compris les payeurs, les médecins et le public, au sujet des résultats ou des évaluations.
L'OCCETS n'est pas la seule organisation à évaluer les technologies de la santé au Canada. On retrouve également des organisations dans les provinces. L'un de nos rôles majeurs consiste à coordonner les effets et les résultats des organisations et des organismes de façon à éviter les dédoublements. Pour éviter les dédoublements et accélérer le transfert des résultats et des conclusions à nos intervenants, nous coopérons et coordonnons nos efforts avec ceux d'organisations internationales.
En conclusion, les défis qui ont incité les sous-ministres de la Santé à créer l'OCCETS il y a 11 ans sont aujourd'hui plus pertinents que jamais auparavant. À l'avenir, il sera essentiel que les décideurs aient accès à de telles informations de qualité, en particulier si nous entendons accroître et modifier nos dépenses. Les décideurs auront besoin d'informations de qualité au sujet des avantages relatifs aux médicaments et des technologies. Ce n'est qu'ainsi qu'ils pourront dépenser de façon avisée les sommes affectées à la santé.
M. David Feeny, professeur: Je vous ai remis mon mémoire et un document comportant des diapositives. Je vous remercie de m'avoir invité à témoigner devant vous aujourd'hui. Par le passé, j'ai effectué beaucoup de travaux qui recoupent ceux de l'OCCETS, et je suis heureux que mon témoignage fasse suite à celui de la représentante de l'organisation.
Je vais tenter de m'intéresser à cinq thèmes.
Le président: Je vais devoir vous demander de parler plus près du micro. La séance est retransmise par CPaC, et on doit pouvoir capter vos propos.
M. Feeny: Je vais m'intéresser à cinq thèmes, et c'est peut-être trop. Le premier est quelque peu différent des quatre suivants. Il a trait à la création de connaissances relatives au développement de nouvelles technologies de la santé. Les autres thèmes ont trait à la production de données d'évaluation des technologies de la santé et à l'application de ces données dans la prise de décisions relatives à l'établissement de politiques fondées sur les résultats.
Au risque de trop simplifier, on peut parler de deux formes élémentaires de recherche -- la recherche fondamentale et la recherche appliquée. La recherche fondamentale a trait aux mécanismes qui sous-tendent la structure de la molécule d'ADN et à la façon dont elle se répare elle-même. La recherche appliquée a trait à l'utilisation que nous faisons de cette connaissance pour mettre au point une procédure ou un produit nouveau.
On peut considérer qu'il existe deux types de technologie différents. La technologie intégrée a trait à l'intégration de l'innovation dans des artefacts matériels, par exemple les imageurs à résonance magnétique. On a beau comprendre son fonctionnement, on ne peut rien faire sans avoir l'appareil.
Les technologies non intégrées ont trait aux idées ou aux procédures. Il n'est pas nécessaire de faire l'acquisition de quoi que ce soit pour pouvoir les utiliser. Il en a été très peu question dans les discussions d'aujourd'hui. Les technologies non intégrées ont trait, par exemple, aux embolisations rapides consécutives à une intervention visant à corriger une thrombose veineuse profonde. L'infirmière torture le patient en l'obligeant à se lever tout de suite, ce qui est bon pour lui. Inutile d'acheter quoi que ce soit pour obtenir que quelqu'un se lève. Il suffit d'avoir assimilé l'idée.
Dans un régime de droits de propriété intellectuelle, de brevets et de droits d'auteur comme celui du Canada, le secteur privé a tout intérêt à mettre au point de nouvelles technologies intégrées. Il peut faire breveter les nouveaux médicaments et les nouveaux équipements.
Le secteur privé a joué un rôle limité dans la découverte des mécanismes qui sous-tendent l'ADN et la molécule d'ADN et des techniques fondamentales pour l'ADN recombinant, mais il a été très heureux -- à juste titre -- d'investir dans la mise au point des techniques fondées sur l'ADN recombinant utilisé pour la production de l'insuline humaine.
Le secteur privé ne financera pas la recherche fondamentale parce que le taux de rendement sur l'investissement est faible. Il ne financera pas de recherches fondamentales ou appliquées sur les technologies non intégrées parce qu'elles ne débouchent pas sur des produits à vendre. Quand on examine les tendances récentes au Conseil de recherches médicales du Canada, dans les organisations provinciales et au nouvel Institut canadien d'information sur la santé, on constate pourtant que nous sommes, à titre de chercheurs, fortement incités à conclure des partenariats, surtout ici, mais aussi avec des organisations qui produisent des technologies non intégrées, les organisations de bienfaisance.
Cette tendance observée dans le domaine de la recherche au Canada a pour effet que l'argent vise de plus en plus à favoriser la conclusion de partenariats au niveau de la recherche appliquée au détriment de la recherche non intégrée et fondamentale. À terme, cette situation aura des répercussions sur le genre de nouvelles technologies qui font ou non leur apparition dans le système.
La notion de technologies de la santé se définit de façon générale par un ensemble de techniques, de procédures et de médicaments utilisés par les professionnels de la santé pour assurer des soins à des particuliers de même que les réseaux par lesquels passent ces soins. Il s'agit d'une définition large qui comprend de toute évidence les médicaments. Comme l'a précisé la Dre Sanders, nous devons accroître l'activité dans le domaine de l'évaluation des technologies de la santé.
Il s'agit d'un cadre simplifié, mais il montre bien que nous commençons par un problème. Nous étudions la possibilité de modifier le problème. Nous cherchons à déterminer si nous disposons d'une technologie efficace pour le corriger. Nous disposons de médicaments efficaces contre l'hypertension. Disposons-nous d'un instrument de dépistage et de diagnostic? Avons-nous la possibilité d'identifier les personnes qui disposent de tels moyens et les autres?
Nous examinons ensuite le fonctionnement du système en pratique et déterminons son efficacité dans les circonstances idéales. On compare les résultats à l'efficacité dans la collectivité, où la technologie n'est pas utilisée par tous exactement comme elle devrait l'être, et on détermine son efficacité. On établit les coûts de l'efficience et les conséquences de l'utilisation de la technologie par rapport à celles qui existent. Cette situation a des répercussions sur l'importance de l'utilisation qui sera faite de la technologie et l'identité des utilisateurs. Si vous réglez les problèmes, vous devriez pouvoir observer une réduction de la prévalence des cas d'hypertension non traités dans la collectivité. Vous fixez des objectifs pour vos résultats. Après, vous effectuez un nouveau contrôle.
Une telle situation a quelques répercussions. Premièrement, l'évaluation des technologies de la santé a trait à la promotion de l'efficience, et non à la compression des coûts. Deuxièmement, il s'agit d'une machine en mouvement perpétuel. Dès qu'on a réduit la prévalence d'un problème, on se tourne vers le problème suivant ou la question suivante à traiter dans le cas du problème donné.
L'un des avantages d'organisations comme l'OCCETS et des organisations provinciales, c'est qu'elles sont liées aux décideurs. Cette situation favorise l'adoption des recherches et des données synthétisées par ces groupes. Ces derniers sont également en très bonne position pour définir les lacunes.
Au Canada, les organisations qui évaluent les technologies se sont employées à faire la synthèse des meilleures données disponibles. Un tel mécanisme procure une réponse immédiate en plus de définir des objets de recherche -- ne serait-il pas merveilleux de savoir comment telle ou telle chose fonctionne dans telle ou telle circonstance.
Oui, les organismes de financement ou subventionnaires ne respectent pas ce programme. Nous devons donner aux organisations spécialisées dans l'évaluation des technologies de la santé les moyens de commanditer des études primaires, par exemple des études sur échantillons aléatoires et contrôlés, qui leur permettent de voir clair dans certaines questions qu'elles définissent.
Les évaluations des technologies de la santé effectuées jusqu'ici -- et je plaide moi aussi coupable -- ont pour l'essentiel porté sur la décision d'adopter ou de rejeter une technologie donnée. Franchement, il s'agit d'une simplification à outrance des enjeux. Très peu de technologies de la santé sont universellement inutiles ou universellement utiles. La véritable tâche qui nous attend consiste à déterminer pour qui et dans quelles circonstances il s'agit ou non de la meilleure approche possible. Nous devons définir des indications et des contre-indications applicables à l'utilisation, au sens large, de la technologie. Il s'agit du genre de données que nous devons produire à l'intention des personnes appelées à prendre des décisions dans l'ensemble du système de soins de santé.
Nous devons élargir la portée de l'évaluation. Nous avons fait du bon travail au chapitre de la synthétisation des données sur l'efficacité clinique et sur l'efficience économique. On s'est peu intéressé aux considérations sociales, juridiques et éthiques.
Nous devons effectuer des recherches sur l'adaptation des résultats obtenus à l'étranger, par exemple en ce qui concerne le compendium établi par Harvard pour le Canada. L'efficacité et l'efficience de la technologie peuvent ou non être généralisées, et il est certains que les coûts ne le peuvent pas. Une analyse coût-avantage effectuée aux États-Unis ne peut s'appliquer telle quelle au Canada. Les coûts sur lesquels l'analyse s'appuie tiennent compte de prix relatifs différents de ceux en vigueur au Canada.
Le troisième thème a trait au travail que j'effectue actuellement. Il s'agit donc d'une de mes marottes. Pour l'essentiel, le secteur des soins de santé ne s'intéresse pas vraiment à la mortalité. Il le fait dans certains cas, mais, pour l'essentiel, il produit une qualité de vie liée à la santé.
Dans ce cas, la proposition paraît simple. Si c'est bel et bien ce qu'on produit, peut-être devrait-on mesurer les résultats plus souvent. Nous le faisons parfois. Au cours des trois dernières décennies, on a été témoin d'une révolution dans le domaine de la psychométrie et de l'économie, au chapitre de l'élaboration de mesures utiles de l'état de santé et de la qualité de vie liée à la santé. Cependant, ces mesures sont loin d'être aussi universelles, et on les utilise rarement dans les soins de routine.
Le président: Laissez-moi vous poser une question. Comment la qualité de vie liée à la santé dont vous parlez se compare-t-elle à la définition du Dr Seller?
M. Feeny: Je vous en donne tout de suite un exemple. Il s'agit d'une mesure de la qualité de vie liée à la santé, question à laquelle j'ai consacré beaucoup de travail.
Les données sont similaires à celles que Statistique Canada vous a présentées plus tôt cette année. Vous connaissez tous le concept de l'espérance de vie. Une personne de 60 ans peut espérer vivre 24 années de plus, mais, pendant ces années, elle ne sera pas toujours en parfaite santé. Sur la même échelle, on accorde à la santé parfaite une cote de un; une cote de zéro représente la mort ou l'absence d'état de santé. Des cotes intermédiaires sont établies pour des invalidités intermédiaires. Si vous le souhaitez, je pourrai fournir plus de détails sur la façon dont nous procédons.
L'espérance de vie additionnelle rajustée selon l'état de santé des personnes de 60 ans est de 17 ans. Pendant cette période, elles seront parfois atteintes d'une forme ou d'une autre d'invalidité. L'espérance de vie rajustée selon l'état de santé est, sur l'ensemble de leur vie, de 74 p. 100. C'est relativement bon. Le pourcentage est beaucoup plus élevé pour les personnes jeunes et beaucoup moins pour les personnes âgées.
Statistique Canada, qui a utilisé le système Health Utilities Index Mark 3 dans son enquête nationale sur la santé de la population, est dans le monde, en position idéale pour établir un bulletin national de l'état de santé des Canadiens, tenant compte de la mortalité et de la morbidité, éléments relativement importants pour les gens.
Je vais maintenant aborder le quatrième thème. Nous disposons de certaines méthodes -- l'évaluation économique, la qualité de vie liée à la santé, l'épidémiologie clinique -- pour générer des données utiles aux fins de la prise de décisions. Comment mettre ces données à la disposition des personnes appelées à prendre les décisions? Les soins de santé sont une industrie très décentralisée. On a affaire à une multitude d'interactions entre professionnels de la santé et patients, à des offices régionaux de la santé, à des ministères et au gouvernement fédéral. Vous êtes au courant.
Une solution consiste à associer les décideurs à la conception, à l'analyse et à l'interprétation des évaluations. Laissons-leur la propriété de ces évaluations. Laissez-les vous aider à poser les questions pertinentes. Laissez-les participer à la collecte des données. Ils sont beaucoup plus susceptibles d'y porter attention.
Deuxièmement, nous savons tous ce que nous devrions faire, mais, à supposer que les médecins prescrivent trop souvent un médicament pour lequel il existe une meilleure solution de rechange moins cher, nous avons besoin de contrôles et de rétroactions. Nous devons nous rendre compte que nous n'utilisons pas le médicament en question selon certains indicateurs ou une diversité d'indicateurs.
Troisièmement, nous devons investir dans notre capacité de comprendre les données issues des évaluations des technologies de la santé. De nombreux cliniciens ne les comprennent pas particulièrement bien, même si la situation s'est améliorée au cours des dernières décennies. Franchement, l'industrie s'est beaucoup raffinée. Selon mon interprétation, le gouvernement n'a pas une compréhension particulièrement raffinée des données, ce qui, une fois de plus, nous empêche d'avoir des règles du jeu égales, une partie comprenant les données et l'autre ne les comprenant pas.
Enfin, et il s'agit d'un aspect que l'industrie pharmaceutique a compris il y a longtemps, les données sur la diffusion des technologies de la santé montrent que le êtres humains sont importants, même à l'ère du Web, pour la diffusion de l'information. Si on envoie de représentants faire la promotion des nouveaux médicaments dans les cabinets de médecins, c'est pour une raison, à savoir que les gens tendent à croire ce qu'une autre personne leur dit. Ils pourront obtenir une corroboration dans un formulaire écrit ou dans le Web, mais ils ont besoin de contacts personnels pour adopter de nouvelles idées. Dans le secteur public, nous ne le faisons pas souvent.
Enfin, on peut générer de nouvelles données, mais en tiendront-ils compte? Les données auront-elles une incidence sur la politique? Il arrive souvent que notre système décourage et n'encourage pas nécessairement l'utilisation de données aux fins de la prise de décisions cliniques stratégiques. Parmi les expériences qui pourraient être tentées pour améliorer l'utilisation de ces données et l'efficience du système, citons des dispositifs visant à favoriser un plus grand nombre de changements organisationnels ou de changements techniques non intégrés. Ce faisant, on pourra mieux harmoniser la responsabilité financière et clinique et modifier le comportement des professionnels de la santé.
Les listes de patients par capitation constituent peut-être un instrument du même genre qui serait utile et encouragerait le recours à des équipes cliniques multidisciplinaires. Le système de soins de santé du Canada mise souvent sur le temps de médecins hautement spécialisés dont les services sont coûteux pour des traitements que d'autres professionnels de la santé qui gagnent moins pourraient assurer tout aussi bien ou mieux, mais le régime actuel de rémunération à l'acte ne favorise pas le recours à des infirmières, à des infirmières praticiennes, à des physiothérapeutes, à des nutritionnistes et à des pharmaciens. Certaines expériences menées auprès d'équipes multidisciplinaires montrent que, dans de nombreux cas, elles font un meilleur travail. Elles exploitent l'expertise particulière de chacun des membres et, fait peut-être plus important encore, misent sur chacun des membres de l'équipe voit le patient sous un angle différent. L'infirmière de soins à domicile et le pharmacien qui effectuent un historique et un examen des médicaments à domicile se font une idée de la mesure dans laquelle le patient se conforme au traitement médicamenteux, idée dont sont privés les médecins qui travaillent dans leur cabinet. Ce n'est pas leur conscience professionnelle qui est en cause. Ils ne sont tout simplement pas en mesure de faire ce genre de constat. Au sein d'une équipe, chacun est incité à mettre ses idées en commun dans le cadre d'une tribune.
Bref, nous devons recibler une partie des efforts de recherche du secteur public vers la recherche fondamentale et le changement technique non intégré. Nous devons stimuler l'évaluation des technologies de la santé. Nous devons envisager et tenter des expériences sur les modifications de l'organisation des soins de santé qui favorisent la prise de décisions fondées sur des données.
Le président: Avant de céder la parole aux sénateurs, j'aimerais poser deux questions. Vous êtes tous invités à y répondre. Dans ses propos de clôture, M. Zelder a souligné que le Canada, sur un dollar, affecte deux cents aux immobilisations, c'est-à-dire 2 p. 100. Pour ma part, j'assimile les «immobilisations» à l'«équipement nouveau». Selon mon interprétation de la déclaration du témoin, le gouvernement consacre 2 p. 100 des dépenses affectées aux soins de santé à l'achat de nouvel équipement. Est-ce bien ce que vous vouliez dire?
M. Zelder: Oui. Je me suis inspiré de la définition d'immobilisation utilisée par l'ICIS, c'est-à-dire les sommes consacrées aux constructions et au nouvel équipement.
Le président: Ce qui comprend également les hôpitaux.
M. Zelder: Oui, ce qui comprend la construction d'hôpitaux. Le chiffre de 2 p. 100 provient d'une analyse statistique. Sous réserve d'autres facteurs, de combien augmentent les immobilisations lorsque nous majorons les dépenses?
Le président: J'aimerais parler de la technologie. L'un de vous dispose-t-il de données ou pourrait-il en obtenir sur le pourcentage des budgets de la santé affecté à l'équipement, à l'exclusion des immeubles, dans divers pays de l'OCDE? Si je comprends bien, le tableau 1 porte sur les nombres d'unités par million d'habitants. Je ne suis pas convaincu que faire le décompte d'appareils constitue la bonne approche. J'ai le sentiment qu'une machine pourrait souvent effectuer le travail de dix. Je ne suis pas convaincu de la validité de cette mesure. Les montants constitueraient probablement une mesure plus valable.
M. Zelder: Je ne sais pas si de telles données existent. Certains autres intervenants sont peut-être au courant. Jusqu'à un certain point, nous comparons des pommes et des oranges. C'était entre autres ce que voulait dire le Dr Radomsky à propos de la désuétude des appareils existants. Je ne sais pas.
Le président: Quelqu'un d'autre a-t-il une idée de ce chiffre?
Le Dr Radomsky: Je ne crois pas que nous ayons cette information en main.
M. Feeny: J'ai l'impression que ce genre d'information serait difficile à obtenir. On pourrait probablement mettre la main sur certains fragments, mais le système canadien en particulier, en raison du mode de comptabilité adopté, se prête mal à la production de ce genre de données.
La Dre Sanders: Dans le même ordre d'idées, je pense qu'il serait très difficile d'obtenir ce genre de données d'autres pays, où les dépenses publiques et privées sont mêlées de beaucoup plus près.
Le président: Je me suis engagé dans un cul-de-sac, on dirait. Laissez-moi essayer autre chose.
M. Zelder: Les économistes se butent souvent à ce genre de cul-de-sac.
Le président: Les économistes ont toujours deux perspectives. Dans le domaine de la politique gouvernementale, un des problèmes tient au fait qu'on doit en choisir une. Vous nous dites toujours: «D'une part» et puis «d'autre part».
Permettez-moi de vous poser une question au sujet de la mesure de l'efficacité de la méthodologie, question que vous avez tous abordée d'une façon ou de l'autre. Je ne sais pas faire connaître mes vues sur la question de savoir si les économistes sont oui ou non en mesure de mesurer ce qu'ils disent pouvoir mesurer, mais, dans le secteur des soins de santé dans son entier, existe-t-il une méthode admise du rapport coût-avantage d'un équipement donné ou chacun procède-t-il à sa façon?
M. Zelder: Dans le monde universitaire, il est certain que le coût des années-personnes sans invalidité ou le genre de variations présentées par David Feeny sont relativement bien établies. Ces données sont relativement fréquentes. C'est de cette façon qu'on tend à présenter les différentes interventions, mais uniquement dans le monde universitaire.
M. Feeny: On note un consensus relativement fort en faveur d'une diversité de moyens raisonnables de recueillir des données sur le coût des années-personnes sans invalidité, ou, de façon plus générale, sur la qualité de vie liée à la santé. Il y a tout un menu de mesures dans lequel choisir. Il y a sans contredit des controverses, mais on retrouve un certain nombre d'approches admises et validées qui donnent de bons résultats relativement à certains éléments très difficiles du casse-tête. Cependant, ces méthodes demeurent incomplètes, en particulier en ce qui a trait à l'information exhaustive que vous aimeriez avoir. Pourtant, ces mesures représentent un progrès étonnant par rapport à ce qui existait il y a deux ou trois décennies.
La Dre Sanders: Je suis d'accord.
Le président: Lorsque vous évaluez tel ou tel équipement pour les divers sous-ministres du pays, quel genre de renseignements leur fournissez-vous? Il est clair que vous n'êtes qu'un fournisseur d'information, et non un décideur. Quel genre d'information mettez-vous à leur disposition pour qu'ils puissent prendre des décisions?
Imaginons, par exemple, qu'on mette au point un nouveau tomodensitomètre. Vous l'évaluez. Vous communiquez alors avec le ministère de la Santé ou encore vous faites parvenir une note de service à tous les ministères. Que leur dites-vous? Quels sont les faits réels sur lesquels ils peuvent fonder leur décision?
La Dre Sanders: Comme vous le savez probablement, nos rapports se terminent sur des conclusions et jamais sur des recommandations. Essentiellement, nous déterminerons l'efficience à l'aide des méthodes économiques et autres auxquelles M. Feeny a fait allusion. Nous avons aussi recours à des comparaisons corrélatives entre divers types d'approches, en vertu desquelles nous nous inspirons de méthodes très complexes pour comparer des pommes avec des oranges. Ce n'est pas simple. Les médicaments sont beaucoup plus faciles à décrire. Je ne crois pas que ce soit la question que vous me posez, mais le cas des médicaments est plus facile.
Pour en revenir au rapport sur les statines, dans le cadre desquels nous nous sommes penchés sur l'efficience de chacun des médicaments, nous en sommes venus à la conclusion qu'il était possible de croiser les ordonnances, au sens où tous les médicaments avaient le même effet, même si leurs prix variaient considérablement. Nous sommes en mesure de le faire par rapport aux médicaments.
Pour l'équipement, c'est un peu plus difficile. C'est plus difficile parce qu'on ne peut recourir aux études sur échantillon aléatoire et contrôlé auxquelles M. Feeny a fait allusion parce que, pour le moment, il n'y a personne pour en assumer les coûts, tandis que l'industrie pharmaceutique assume le coût des siennes. C'est difficile.
M. Feeny: Pour insister sur ce point, je dirais qu'il est non pas facile d'évaluer les technologies thérapeutiques, mais bien qu'il est plus facile de le faire.
Le président: Qu'entendez-vous par «technologies thérapeutiques»?
M. Feeny: J'entends par là les médicaments ou les interventions chirurgicales qui visent à améliorer l'état de santé des malades. Quelles sont les technologies existantes? Quelles sont les nouvelles technologies? Quel est le coût de chacune? Quelles sont les conséquences additionnelles? Combien reçoit-on par rapport aux technologies existantes? Dans le domaine de l'oncologie, par exemple, on peut choisir un régime de chimiothérapie par rapport à un autre.
Les technologies diagnostiques sont beaucoup plus difficiles parce qu'on les utilise pour un grand nombre d'activités. La question est non pas d'établir l'efficacité d'un tomodensitomètre. On doit plutôt établir la comparaison avec, disons, une radiographie de la boîte crânienne. Quelle est l'efficacité d'un tomodensitomètre dans le cas d'un traumatisme crânien? Probablement très bonne. Pour certaines autres utilisations, l'utilisation d'un tomodensitomètre peut se révéler beaucoup plus coûteuse et à peine plus utile que celle de rayons X traditionnels.
Dans le contexte de la très grande diversité d'interventions que font les radiologistes, il devient donc très difficile d'évaluer un appareil dans la mesure où il sert à de nombreuses applications. Chacune de ces utilisations majeures devient en soi un sujet de recherche. C'est un élément.
Le président: Une fois la recherche terminée, l'appareil est désuet.
M. Feeny: Non, surtout lorsqu'on considère qu'on les utilise pendant si longtemps. Il y a un deuxième élément. On aura beau dire qu'on dispose de meilleures images dans le domaine de la radiologie, dans quelle mesure la qualité de ces images influe-t-elle sur le traitement des patients? Les médecins traitants font-ils les choses différemment en raison des données diagnostiques fournies? Très peu de radiologistes ont répondu à la question.
J'en viens à un troisième élément. La question qui se pose ensuite est la suivante: parce que les médecins traitants font les choses différemment, les résultats pour les patients sont-ils véritablement différents? On a très peu évalué les technologies thérapeutiques pour aller plus loin et déterminer si les technologies diagnostiques avaient bel et bien un effet sur les résultats pour les patients. Nous disposons de très peu de données de cette nature.
Le Dr Radomsky: J'apprécie beaucoup le débat que nous avons parce qu'il porte sur un secteur auquel nous nous intéressons sans succès depuis un certain temps. Il s'agit de l'élaboration de lignes directrices concernant la médecine fondée sur les données. Il s'agit d'un projet multidisciplinaire. Nous avons très bien réussi à mettre au point des normes relatives à la procédure que nous devrions adopter. Les travaux s'effectuent à l'interne. Ils concernent notre profession. Cependant, nous ne pouvons pas élaborer de lignes directrices pertinentes. Nous devons faire appel à tous les utilisateurs. Nous devons compter sur des économistes et des statisticiens appelés à nous épauler dans le cadre de chacun des examens. La démarche est très coûteuse. Dans deux ou trois cas, nous avons tenté de définir les lignes directrices pour des tests précis, mais la solution n'est pas pratique. Nous ne pouvons pas en assumer nous-mêmes les coûts. Nous devons miser sur l'apport de multiples groupes. Cela fait partie de nos recommandations. Voilà pourquoi nous devons pour ainsi dire réunir toute l'équipe et faire face ensemble au problème.
Souvent, ces personnes travaillent indépendamment de ce que font les cliniciens, et nous ne comprenons pas ce qu'elles font, tout comme elles ne comprennent pas ce que nous faisons.
Prenez l'exemple des statines. Elles ont beau faire baisser le taux de cholestérol, elles ne le font pas toutes également. Certains médicaments ont plus d'effets secondaires que d'autres. Bon nombre de patients ne toléreront pas telle ou telle statine, et très peu d'études indiquant que nous devrions recourir uniquement à des équivalents génériques en tiennent compte. Il s'agit d'une question de qualité de vie.
Le même raisonnement s'applique aux études effectuées presque en marge du travail clinique réel que nous effectuons sur l'efficacité de notre matériel.
Le président: Je vais maintenant vous dire ce que je comprends de ce que vous nous avez dit tous les quatre.
Si j'étais le directeur général d'un grand hôpital ou même un sous-ministre provincial de la Santé -- je peux plus facilement mettre l'accent sur un hôpital -- et que j'avais deux millions de dollars à consacrer à du matériel, les personnes dans votre sphère d'activités ne seraient pas en mesure de me dire si l'hôpital -- ou les patients -- auraient intérêt à ce que je consacre ces fonds à l'achat d'un tomodensitomètre, d'un appareil pour le traitement des reins ou d'autres choses. Ce que vous nous dites, essentiellement -- et je ne minimise en rien la valeur du travail accompli -- c'est que les personnes qui assument la responsabilité ultime de choisir d'acheter l'appareil A ou B dans des domaines complètement différents, parce qu'elles disposent d'un budget fixe, fonctionnent à l'aveuglette. Ai-je tort?
Le sénateur Morin: Je ne crois pas que le Dr Radomsky soit d'accord avec votre affirmation. Je suis surpris de le voir garder le silence. Je pense qu'il existe de bonnes données scientifiques qui montrent que l'équipement permet efficacement de traiter les maladies.
Le président: Sénateur, vous n'avez pas compris ce que j'ai dit. Je ne dis pas que l'équipement en soi n'est pas efficace. Ce que je veux dire, c'est que la personne qui fait face à une décision fait face à un terrible dilemme, le moment venu de choisir entre un appareil pour l'imagerie ou un appareil pour les dialyses, étant donné que le budget est limité.
Le sénateur Morin: Ou encore d'embaucher une infirmière ou de repeindre les murs du deuxième étage.
Le président: Je cherchais à comprendre s'il était facile ne serait-ce que de choisir entre deux appareils, et la réponse est non.
M. Zelder: Je ne serais pas tout à fait aussi pessimiste. L'un des espoirs soulevés dans l'analyse à laquelle j'ai fait allusion, dans laquelle j'ai tenté de déterminer si les citoyens des pays dans lesquels la disponibilité de ces divers types d'appareils était plus grande bénéficiaient d'une espérance de vie plus longue, c'était que nous pourrions avoir une estimation exacte du nombre d'années ajoutées à l'espérance de vie en raison de l'ajout de machines.
Vous hochez la tête. L'exercice n'est pas parfait, mais c'est ce que nous sommes capables de faire, et il nous renseigne sur les avantages par rapport au coût, en plus de donner aux responsables la possibilité de faire le choix qui s'impose. La question est de savoir si les directeurs généraux des hôpitaux ou les sous-ministres de la Santé seront incités à faire ce genre de choix.
Le sénateur LeBreton: Vos commentaires sont l'introduction idéale à ma question. Ma première question s'adresse au Dr Radomsky et à M. Zelder. Dans vos mémoires, vous faites tous les deux allusion au manque équipement adéquat, par exemple en ce qui concerne les IRM. Au premier plan, nous faisons face à un problème d'effectifs et aussi d'équipement. Dans votre exposé, Dr Radomsky, vous avez fait allusion à l'éducation et au traitement des nouvelles technologies qui font leur apparition sur le terrain.
Quelle serait la solution idéale pour hausser les niveaux au Canada? Dans votre mémoire, vous avez fait allusion aux niveaux observés dans le tiers monde et au fait que nous accusons du retard par rapport à tous les pays de l'OCDE. Comment devrions-nous transformer le système de soins de santé pour obtenir le matériel diagnostique nécessaire? Comme quelqu'un l'a mentionné, le public est bien informé, et les listes d'attente s'allongent. Comment modifier les mentalités pour obtenir l'équipement nécessaire? Comment les radiologistes composent-ils avec le fait que vous ne disposez pas du personnel suffisant pour faire fonctionner le matériel? C'est la faute de notre système d'éducation. Nous formons des médecins, mais nous ne les affectons pas dans les bons domaines.
Le Dr Radomsky: Il est relativement facile de répondre à la deuxième question. La pénurie s'explique simplement par le fait que nous n'avons pas tenu compte des besoins de plus en plus grand de la population. Collectivement, nous avons sabré dans le financement des places dans les écoles de médecine, les programmes de formation, les programmes de nursing et les programmes de technologie. C'est le moyen que nous avons utilisé pour limiter les dépenses dans la santé. La mesure a eu l'effet escompté pendant un bref instant. Cependant, comme vous le savez, il faut au moins 10 ou 12 ans pour produire un radiologiste. Nous en formons 70 par année, et il en faudrait 100 au Canada pour que nous puissions maintenir le statu quo. On pourra répondre à certains besoins en prenant certaines mesures à l'intérieur du régime de financement actuel pour accroître notre efficience. Nous avons besoin de faits sur la téléradiologie et la technologie de l'information qui a été refusée à ce secteur de notre économie. Dans tous les secteurs de l'économie où la technologie de l'information a été utilisée à son plein potentiel, on a réalisé des économies considérables. Nous n'avons pas été en mesure de le faire. Au fur et à mesure que nous utiliserons la technologie et que nous apprendrons à utiliser le meilleur test plutôt qu'une multitude de tests coûteux ou certains traitements radiologiques, le système réalisera à coup sûr des économies considérables, et les sommes pourront être appliquées à d'autres secteurs.
Le sénateur LeBreton: Au début de votre exposé, vous avez cité en exemple la transformation radicale de la technologie depuis que vous êtes radiologiste. Qu'en est-il des personnes qui travaillent actuellement dans votre domaine? Comment peut-on les initier au nouveau matériel adopté? Si on s'efforce de pallier dans les hôpitaux la pénurie de matériel diagnostique adéquat et que votre domaine compte trop peu d'étudiants en médecine, que faites-vous des personnes qui travaillent actuellement dans votre secteur?
Le Dr Radomsky: Il s'agit d'un problème majeur. Je peux vous l'expliquer d'un point de vue pratique. Nous venons tout juste d'ajouter un appareil d'IRM. Nous avons eu la chance de pouvoir embaucher deux ou trois diplômés de fraîche date tout à fait qualifiés, mais ce n'est pas suffisant. Quelques-uns des membres de notre personnel ont dû retourner sur les bancs de l'école et suivre une formation de trois à six mois pour établir leur admissibilité. Ils l'ont fait à leurs propres frais. Pendant cette période, ils étaient hors circuit et n'assuraient pas de service. Nous sommes confrontés à ce problème chaque fois que quelqu'un part à la retraite. Nous devons remplacer les compétences précises que possédait la personne. Nous sommes contraints d'annuler des procédures et des rendez-vous et de travailler plus fort pour assurer à une personne les trois mois dont elle a besoin pour perfectionner les compétences qu'avait la personne qui sera remplacée. Il s'agit d'un problème majeur dans le système. Ce que je fais aujourd'hui a peu de rapport avec ce qu'on m'a enseigné il y a près de 30 ans.
Le sénateur LeBreton: Cette situation contribue donc à l'allongement des listes d'attente?
Le Dr Radomsky: C'est vrai. Il y a certaines choses que nous pouvons faire pour accélérer l'entrée en fonction de nouvelles personnes. On les présente dans notre document. Nous devons nous attaquer au problème des diplômés en médecine formés à l'étranger. Au Canada, il n'y en a peut-être pas beaucoup qui soient en mesure d'effectuer le travail que nous faisons, et il est simplement impossible d'actualiser les connaissances de certains d'entre eux, ainsi que l'ont bien illustré nos collègues québécois. Ils ont accueilli un certain nombre de personnes formées dans des pays étrangers et ont tenté d'élever leurs compétences au niveau des normes canadiennes. Malheureusement, les personnes concernées ne possédaient pas les antécédents nécessaires. Le bassin est limité. Il y a un autre groupe de médecins qui souhaitent changer d'emploi. Traditionnellement, c'était la source d'au moins 25 p. 100 des radiologistes. Je suis moi-même un ancien généraliste. On a maintenant fermé la porte parce que les étudiants en médecine doivent effectuer des choix dès leur troisième année d'études. Il est très difficile ou presque impossible pour eux de changer d'idée. C'est une autre avenue que nous devons explorer. Il y a un certain nombre de choses que nous pouvons faire pour corriger maintenant la situation. J'hésite à recommander le recrutement actif dans d'autres pays. Personnellement, je ne crois pas qu'il s'agisse d'une pratique équitable. Certains pays nous ont reproché de le faire.
Le sénateur LeBreton: Je ne crois pas qu'il s'écoule une journée sans que, à la radio, quelqu'un nous dise que l'issue d'un traitement aurait été différente si seulement l'établissement concerné avait possédé une IRM. Les patients attendent un diagnostic pendant trop longtemps. S'ils avaient été diagnostiqués, ils ne seraient pas malades. À votre avis, monsieur Zelder, que doivent faire les gouvernements et les fournisseurs de soins de santé?
M. Zelder: Je crois que la question fondamentale est d'ordre structurel. Nous disposons d'un système d'allocation des ressources aux soins de santé axé sur le contrôle bureaucratique centralisé, c'est-à-dire qu'on fixe les prix et les remboursements, qu'on contrôle la disponibilité et qu'on limite les coûts. On sera beaucoup mieux en mesure d'obtenir les niveaux de technologie et d'effectifs voulus -- c'est-à-dire ceux dont les coûts sont compensés par les avantages -- lorsque seront adoptées des réformes assorties d'incitatifs en vertu desquels le mécanisme d'allocation des ressources aux fins de la dotation et de l'acquisition d'appareils sera axée non plus sur une structure centralisée de commandement et de contrôle, mais bien davantage sur les indicatifs économiques tenant compte de forces du marché. Les hôpitaux pourront alors tirer des avantages de la présence d'un parc d'instruments adéquats, et les responsables pourront administrer leurs ressources et leurs dépenses liées aux soins de santé grâce à des comptes d'épargne médicale où, comme on le fait en Grande-Bretagne, les médecins et les hôpitaux disposeront de fonds qu'ils pourront utiliser pour acheter des soins au nom de leurs patients. Nous devons laisser le contrôle financier aux mains des personnes susceptibles de bénéficier de la présence des ressources technologiques et humaines voulues.
Le sénateur LeBreton: Docteure Sanders, pour faire suite à la question posée par le président, que diriez-vous aux intéressés? Il faisait référence à l'équipement. Considérons les chiffres relatifs aux médicaments, pour la période de 1995 à 2000, au nouvel équipement: les décideurs doivent composer avec des chiffres astronomiques. Comment analyser et gérer adéquatement ces chiffres? Sur combien de personnes pouvez-vous compter à cette fin? Pour approuver un appareil ou un médicament donné, on doit se fonder sur une masse d'informations. Comment pouvons-nous donner aux Canadiens l'assurance que les appareils mis en marché ont subi un examen exhaustif? Je sais qu'on vous reproche de ne pas réagir assez rapidement à propos de certains de ces appareils.
La Dre Sanders: Au départ, je devrais peut-être préciser que, l'année dernière, notre financement annuel était de 3,7 millions de dollars. Nous disposions d'une poignée de chercheurs et de quelques dollars à utiliser aux fins de la sous-traitance. À compter d'avril, les sous-ministres ont porté notre financement à 4,3 millions de dollars. Nous misons désormais sur une douzaine de chercheurs.
Une croissance accrue nous permettrait de répondre à plus de questions plus rapidement. La réponse à la question que vous posez est que nous n'examinons pas tous les médicaments ni toutes les technologies. Le conseil d'administration, avec l'appui de certains comités consultatifs sectoriels, détermine l'ordre de priorité. Les provinces, les territoires et le gouvernement fédéral sont représentés. Nous commençons par le haut et nous allons vers le bas. Nous redéfinissons l'ordre de priorité tous les six mois. Nous reprenons tout à partir d'en haut et nous descendons pendant une période de six mois.
L'augmentation du financement serait une solution. Cependant, la capacité est limitée. Le phénomène s'explique par la pénurie de candidats qualifiés. C'est donc un problème auquel nous devons nous attaquer.
Dans l'ensemble du monde, où le Canada se situe-t-il dans le domaine de l'évaluation des technologies de la santé? Au Royaume-Uni, par exemple, le financement des types d'activités assimilables à l'évaluation des technologies de la santé équivaut à environ 100 millions de dollars canadiens. L'OCCETS reçoit 4,3 millions de dollars canadiens, mais les organisations provinciales reçoivent également du financement. Au total, au Canada, on estime le financement à environ 7 millions de dollars. La somme est beaucoup moindre, mais la quantité de technologies ne l'est pas.
Nous tentons de coopérer avec d'autres organisations établies ailleurs. Nous avons réussi à le faire avec une nouvelle organisation du Royaume-Uni. Nous échangeons des versions préliminaires de rapports, et choisissons les éléments susceptibles de nous être utiles, ce qui nous permet d'économiser temps et argent. Nous agissons de la sorte avec d'autres organisations des quatre coins du monde.
Le Canada est le seul partenaire non européen d'un groupe appelé Euroscan, qui s'intéresse à ce que l'avenir nous réserve à des fins d'avertissement précoce. Nous nous sommes nous-mêmes invités. Nous partageons les bases de données. Nous exerçons nos activités chacun de notre côté et nous mettons tous les résultats en commun.
Dans le domaine, la coopération bat son plein, mais nous ne nous intéressons pas à toutes les technologies ni à tous les médicaments.
Le sénateur LeBreton: Monsieur Feeny, votre exposé s'est très bien intégré à celui des trois autres témoins. À vous entendre, j'ai toutefois eu la nette impression que vous préconisiez l'adoption de techniques de prévention. J'ai eu l'impression que vous aimeriez qu'on consacre davantage de ressources aux diagnostics, en première ligne, là où, croyez-vous, on pourrait réaliser certaines économies. S'agit-il d'une appréciation juste?
M. Feeny: Peut-être. Dans la plupart des régimes publics, qu'ils portent ou non sur les soins de santé, on décourage l'acquisition de biens d'immobilisations. Les achats font l'objet d'une incroyable attention. Il est possible que nous ayons sous-investi dans l'équipement. Il s'agit d'une industrie à forte concentration de main-d'oeuvre qualifiée, mais pas vraiment d'une industrie axée sur le matériel. Nous devons modifier la culture et les incitatifs, sociologiques aussi bien que pécuniaires, relativement aux données qu'on doit fournir pour justifier l'obtention du nouveau programme, du nouvel équipement ou je ne sais trop quoi, ou tout au moins l'engagement de faire une évaluation qui justifie la démarche a posteriori puisqu'il y a des conséquences pour le reste du système. De cette façon, on peut montrer qu'il y a des gains du point de vue de l'innocuité, de l'efficacité, de l'efficacité communautaire et de l'efficience économique, tout en s'intéressant à certaines autres questions touchant l'équité.
Ici, je vais exagérer pour bien illustrer mon propos. Quand, à une certaine époque, des hôpitaux torontois voulaient que le ministère augmente leur budget, ils installaient des patients dans les corridors et convoquaient les médias. Ils justifiaient ainsi une augmentation de leur budget, dont ils avaient peut-être vraiment besoin.
Nous devons modifier les règles du jeu. Pour y parvenir, la solution consiste à faire la synthèse des données, à emprunter à l'OCCETS et à des organisations étrangères, s'il le faut, et dire: «Si nous adoptons tel ou tel programme, voici ce qu'il nous en coûtera. Voici les conséquences et ce à quoi nous devrons renoncer pour aller de l'avant. Ce à quoi nous renonçons est moindre que ce que nous gagnons. Tel est l'objectif que nous devrions atteindre. Si le programme donne les résultats escomptés, on parviendra à réduire de telle proportion la prévalence ou la gravité du problème éprouvé par les patients. Nous voulons que vous reveniez nous voir. Dans cinq ans, nous allons faire une nouvelle évaluation et déterminer si les objectifs ont été atteints ou non.» C'est ce genre de processus décisionnel itératif axé sur la résolution de problèmes dont nous avons besoin dans l'ensemble du système.
Le sénateur Robertson: Ma principale question s'adresse au Dr Radomsky. J'ai été intéressée au plus haut point par le tableau que vous présentez à la page 4 de votre mémoire au sujet du matériel désuet. Sur le plan technique, qu'entendez-vous par «désuet»?
Le Dr Radomsky: Il n'y a pas de norme uniforme pour définir ce qu'on entend par du matériel désuet. Aux États-Unis, les données dont nous disposions étaient fondées sur une moyenne de six ans. Dans certains pays européens, on utilise une moyenne de dix ans. Je crois que nous nous fondons pour notre part sur huit ans. Dans ce genre d'analyse, nous devons faire preuve de prudence parce que, en général, l'âge du matériel correspond à la fonctionnalité. Si, en nous fondant sur un critère temporel précis, nous disons que 60 p. 100 du matériel est désuet, la fonctionnalité de la plupart des appareils concernés sera elle aussi désuète, et les appareils en question devraient être remplacés parce que les roues ne tiennent plus en place.
Je vais vous citer l'exemple de l'échographie parce que c'est le meilleur qui soit. L'évolution de la technologie ultrason est extrêmement rapide. Plus personne ici n'utilise un ordinateur doté d'un processeur intégré 386. Ces processeurs ne font plus l'affaire. Il est possible que l'échographe qui était à la fine pointe de la technologie il y a à peine six ans ne soit plus en mesure d'effectuer le travail de diagnostic attendu de lui aujourd'hui. Je ne sais plus si j'ai utilisé cet exemple tiré de ma propre pratique. Dans nos hôpitaux, nous utilisons quelques machines vieilles de huit à dix ans. Elles étaient autrefois à la fine pointe de la technologie. On les a entretenues en conséquence. Dans mon cabinet, mon nouvel échographe me permet de dépister des cancers du sein que n'a pas détectés la machine vieille de huit ans que possède l'hôpital. Par conséquent, je ne peux pas faire de biopsie. Nous devons utiliser d'autres tests ou aiguiller la patiente vers un autre centre, ce qui entraîne une augmentation des coûts, sans parler de l'anxiété et des inconvénients pour la patiente.
En dernière analyse, nous devons, le moment venu de prendre une décision relative à tout appareil, exercer des jugements personnels sur la fonctionnalité. Nous pensons que la fonctionnalité épouse de près les chiffres que nous avons cités ici dans le document.
Le sénateur Robertson: Ce que vous nous dites, en regard de ce tableau particulier, c'est donc que, à supposer que, à titre de patiente, j'aie subi une quelconque procédure radiographique générale, les résultats produits par un appareil désuet ne vous donneraient qu'une exactitude de 37 p. 100? Dans ce cas, l'écart s'expliquerait par l'exactitude de votre diagnostic ou l'information que vous fournit cette procédure donnée.
M. Radomsky: Je ne crois pas que nous puissions faire une telle corrélation. Ce n'est pas une corrélation valide sur le plan statistique. Ce que je dis et puis dire, c'est que, avec ce type d'appareil, nous aurons du mal à établir le diagnostic ou à assurer le traitement. Il est possible que nous passions à côté de quelque chose qui est dangereux pour le patient, ce qui nous place dans une situation intenable.
Le sénateur Robertson: Si je vous comprends bien, la notion d'«appareil désuet» a trait à ce que la machine pouvait faire à l'époque où elle était relativement nouvelle par rapport à ce que peut faire un appareil plus récent, qui vous donne une bien meilleure compréhension ou interprétation de vos patients. La technologie est désuète. Elle continue malgré tout de faire ce qu'elle avait été conçue pour faire il y a huit ans, mais la nouvelle technologie peut faire beaucoup plus. Est-ce exact?
Le Dr Radomsky: En partie, oui. Comme tout appareil qui vieillit, l'appareil en question n'est pas toujours en mesure de fonctionner au niveau prévu.
Le sénateur Robertson: Je viens de la vieille école, en vertu de laquelle on considérait qu'il s'agit probablement de l'un des secteurs les plus importants de l'hôpital ou de la clinique. Je crois que nous avons fait preuve de négligence dans ce domaine.
Qu'en est-il de ce que j'appelle la technologie «dure»? J'ai lu quelque part que le Canada importe la plupart de ces technologies dures.
Le Dr Radomsky: Vous voulez parler de la fabrication et du développement?
Le sénateur Robertson: Oui.
Le Dr Radomsky: Au meilleur de ma connaissance, nous n'avons pas au pays de producteur d'équipement.
Le sénateur Robertson: C'est ce que je pensais. Je vous remercie du renseignement. Il importe que nous comprenions ce que signifie la présence de tous ces appareils désuets.
À la page 8 de votre document, monsieur Feeny, vous faites référence au bulletin de santé des Canadiens. Je crois que c'est dans le tableau 1. Dans une de vos diapositives, vous expliquez ensuite ce que vous avez fait. Vous dites qu'une jeune femme âgée de 15 à 19 ans peut compter vivre un nombre X d'années en bonne santé et un nombre X d'années en état de santé moins bon.
Dans vos travaux, utilisez-vous uniquement des données statistiques, ou vous arrive-t-il parfois de collaborer avec d'autres personnes et de leur demander: «Quelles sont les choses que nous pourrions faire différemment dans le système de santé pour modifier ces pourcentages?»
M. Feeny: Si je mesure ce genre de chose, c'est dans l'intention de contribuer au ciblage des questions stratégiques. L'Enquête nationale sur la santé de la population porte sur la santé de tous les Canadiens -- ceux qui vivent dans la collectivité et ceux qui vivent dans des établissements. Il s'agit d'un bulletin national. Pour établir les causes de la détérioration ou de la non-détérioration de l'état de santé des citoyens, il faut habituellement des micro-études -- des études nettement plus ciblées sur les groupes concernés. Il y a d'autres données qu'on peut se procurer auprès de ces sources. Il y a notamment le fait que les soins de santé ne sont qu'un petit élément de ce qui détermine l'état de santé. À cet égard, l'Enquête nationale sur la santé de la population constitue un extraordinaire véhicule. Du point de vue des mesures, le Canada est très bien placé pour examiner les rôles de l'éducation, de la santé et de l'exposition ambiante comme déterminants de la santé. Voilà pourquoi je me montre sceptique à l'endroit des macro-données portant sur les effets d'une plus grande disponibilité des tomodensitomètres ou de je ne sais trop quoi. Il y a beaucoup d'autres éléments dont on doit tenir compte.
D'autres personnes s'efforcent maintenant d'établir des liens entre des séries de données comme l'Enquête nationale sur la santé de la population et celles sur l'utilisation qui proviennent des provinces. On trouve les mêmes personnes aux deux endroits, ce qui soulève d'énormes problèmes liés au respect des renseignements personnels, mais l'existence des liens nécessaires permet d'examiner les tendances longitudinales relatives à l'état de santé et à l'utilisation des services de santé. Pour répondre aux questions relatives aux déterminants de la santé, on dispose dès lors de données davantage axées sur la population en général et non sur une cohorte clinique.
J'ai également participé à un certain nombre d'évaluations des technologies faisant appel à des équipes multidisciplinaires composées, par exemple, d'infirmières, de médecins, d'économistes et de statisticiens, lesquelles évaluaient l'impact des nouvelles thérapies technologiques sur les coûts et la qualité de vie liés à la santé. J'ai notamment effectué du travail dans le domaine de l'oncologie pédiatrique. De nombreux essais visent à réduire le fardeau lié au traitement -- c'est-à-dire la question de la qualité de vie liée à la santé et le fardeau du traitement -- et les problèmes que cause le statut de survivant, c'est-à-dire l'état dans lequel les gens sont laissés. La clé du problème, c'est de déterminer les moyens de permettre aux malades de survivre, tout en allégeant le fardeau qu'ils ont à assumer pendant le traitement et après, ce qu'on peut aussi appeler le résultat.
Le sénateur Morin: J'ai beaucoup appris ce matin. J'ai énormément de sympathie pour le Dr Radomsky: il ne fait aucun doute que la rouille s'est emparée du matériel radiologique canadien. J'ai noté avec intérêt que des avocats font maintenant partie du jeu. Je ne suis pas certain qu'il en résultera des économies. D'après ce que j'ai lu dans les journaux, un avocat vous accompagnera chaque fois que vous effectuerez un examen. Je suis sûr que la nouvelle procurera du réconfort à tous les patients.
Il est intéressant de noter que, il y a deux ans, l'Association canadienne des radiologistes a recommandé au gouvernement fédéral d'injecter une somme de 1 milliard de dollars. Malheureusement, je n'ai pas réussi à retrouver le document, mais je crois que l'hypothèse de base était qu'un investissement de 1 milliard de dollars dans ce secteur contribuerait à résoudre le problème. Eh bien, c'est ce qu'on a fait. Le gouvernement vous a remis une somme de 1 milliard de dollars en sus de sa contribution de 20 milliards de dollars aux soins de santé. Où l'argent est-il allé? C'est beaucoup d'argent. On peut acheter beaucoup d'équipement avec une telle somme. Apparemment, ce n'était pas suffisant parce que nous devons maintenant composer avec l'intervention des avocats. Combien de milliards de dollars additionnels devra-t-on investir pour régler le problème? Cela dit, je ne badine pas. Je suis tout à fait conscient de l'existence d'un problème.
En ce qui concerne les établissements de santé indépendants, parlons-nous de cliniques privées? Parlons-nous de cliniques à but lucratif? Parlons-nous des cliniques dans lesquelles les patients assument les coûts de tests qu'ils pourraient obtenir gratuitement simplement afin de ne pas attendre?
Monsieur Zelder, vous avez fait allusion aux listes d'attente pour les radiothérapies et à des personnes qui se rendent aux États-Unis pour obtenir de tels traitements. Ce que je trouve intéressant, c'est que nous disposons au Canada de plus de matériel de radiothérapie que les États-Unis. Nous en avons presque deux fois plus. Il n'en demeure pas moins que des patients doivent aller se faire traiter aux États-Unis. Un bon nombre des patients en attente d'un traitement qui ont décidé d'aller aux États-Unis viennent du Québec.
Enfin, c'est vrai que, du point de vue de la technologie dure, nous tirons assez mal notre épingle du jeu. Si, cependant, nous utilisons la définition de technologies données par la Dre Sanders, laquelle comprend les médicaments, nous nous tirons bien d'affaire. En ce qui concerne les dépenses affectées aux médicaments, nous venons au troisième ou au quatrième rang mondial. Au Canada, nous affectons aux médicaments 14 p. 100 des dépenses totales liées à la santé, tandis que, aux États-Unis, la proportion n'est que de 8 p. 100. Il y a aussi la question de l'évaluation des technologies. Si tout était si structurel, nous ne dépenserions pas beaucoup plus dans un domaine de la technologie -- et je ne dis pas que ce soit un tort -- tandis que nous ne dépensons pas assez dans le secteur de la technologie plus dure. Je suis d'accord pour dire que nous dépensons beaucoup plus dans un secteur de la technologie tandis que nous ne dépensons pas assez dans celui de la technologie plus dure.
Le raisonnement du sénateur Robertson était correct. Si l'industrie pharmaceutique canadienne dispose d'une capacité de R-D solide et novatrice, la technologie plus dure représente un maillon faible de notre économie.
La liste des technologies de pointe non disponibles au Canada et disponibles aux États-Unis que nous a fournie M. Zelder m'a intéressé. Les technologies en question ont pour la plupart trait à la recherche. L'angioplastie par sonde à ballonnet suivie d'une irradiation fait partie du domaine de la recherche. Ce n'est pas une technologie éprouvée. Je ne dis pas qu'on ne devrait pas y recourir ailleurs, mais, dans le domaine de l'évaluation des technologies, on procède par tâtonnements. C'est ainsi que tel ou tel instrument fait son entrée dans un pays. Le Canada n'agit pas ainsi. Nous sommes totalement dépendants. À cet égard, le Canada s'assimile vraiment au tiers monde, et c'est un problème auquel nous devrions nous attaquer. Les pays comme l'Allemagne, la France et la plupart des pays européens -- vous le savez mieux que moi, Dr Radomsky -- disposent de leur propre industrie de fabrication d'équipement. C'est ainsi qu'on introduit et obtient du nouveau matériel. C'est une capacité qui fait défaut au Canada.
Mon dernier commentaire a trait à l'évaluation des technologies. Au Canada, l'évaluation des technologies est très puissante par rapport aux États-Unis et à d'autres pays, où le secteur privé est actif, parce que nous avons ici affaire à un monopole de la santé. Il ne fait aucun doute que, par le passé, nous avons eu un préjugé défavorable à la technologie -- je veux dire envers la technologie plutôt que les soins centrés sur la personne. Je me souviens de ce qu'on a écrit au Québec au sujet des IRM lorsque les appareils ont fait leur apparition. On a dit qu'ils étaient coûteux, qu'ils étaient sans valeur et que la province ne devrait en compter qu'un seul.
Je suis certain que les responsables de la politique de la santé du pays ont un préjugé défavorable envers la technologie.
Le Dr Radomsky: Dans un premier temps, vous nous avez demandé où était passée la somme de 1 milliard de dollars? Nous sommes ici pour y répondre. Apparemment, quelques-unes des provinces n'ont pas demandé la part de la somme qui leur revenait. Je crois savoir que le premier segment ne comprenait que 500 millions de dollars. La tranche suivante de 500 millions de dollars sera versée après le 1er avril. Quelques-unes des provinces n'ont pas revendiqué leur part, peut-être parce qu'elles devaient avancer des fonds de contrepartie.
Deuxièmement, les provinces n'avaient pas d'obligations apparentes de rendre compte de l'utilisation des fonds. Nous ne savons pas combien d'argent a effectivement été affecté à l'achat d'équipement de pointe.
En ce qui concerne le déficit total, nous avions indiqué que nous avions besoin au pays de nouveaux équipements d'une valeur de 1 milliard de dollars pour ramener le pays à un niveau raisonnable de haute technologie. Les investissements ne nous ont pas permis de nous élever au niveau des Américains. Nous nous comparons en gros à d'autres pays qui ont un statut économique similaire au nôtre.
Troisièmement, cet investissement ne règle pas le problème de la vieille voiture dont les roues ne tiennent plus en place. Nous avons toujours en main du vieux matériel qui doit être remis à niveau parce que, il y a huit ans, on a carrément interrompu le financement. Il faudra pour ce faire une somme additionnelle d'environ 1 milliard de dollars.
L'Ontario Association of Radiologists a produit un excellent document indiquant avec précision le nombre d'appareils de tous les types dont elle a besoin.
Vous avez également soulevé une question concernant les cliniques privées. C'est à dessein que j'ai utilisé des expressions comme «établissement de santé communautaire» ou «établissement de santé indépendant», afin de les distinguer de ce qu'on connaît aujourd'hui sous le nom de médecine privée à but lucratif, qui ne fait absolument pas partie du régime. Je ne parlais pas de ce segment. Je ne faisais qu'évoquer les cliniques généralement exploitées par des médecins participant au régime qui sont rémunérés à l'acte par le régime et assurent aux patients un service rapide et efficient. Ce segment est en grande difficulté parce que les investissements sont à la baisse, qu'on nous impose des taxes que nous ne pouvons récupérer et qu'on nous force à amortir le matériel trop lentement.
Vous avez soulevé une autre question concernant l'évaluation des technologies. Je crois y avoir fait référence un peu plus tôt. Du point de vue des personnes qui fournissent des soins médicaux à la base, l'évaluation des technologies semble tourner en rond dans les universités et au gouvernement, sans que l'utilisateur à la base reçoive quelque information que ce soit. Il est urgent que nous collaborions avec ces personnes à l'élaboration de lignes directrices cliniques pratiques qui nous permettront d'utiliser l'équipement dont nous disposons de façon beaucoup plus efficiente et efficace. Nous ne pouvons agir isolément. Nous devons coopérer entre nous. Il s'agit d'une question de multidisciplinarité.
Ai-je répondu à toutes vos questions?
Le sénateur Morin: Oui, absolument.
La Dre Sanders: J'aimerais faire un commentaire sur la différence essentielle entre le processus décisionnel et le processus de diffusion des médicaments par rapport aux technologies. Les médicaments remboursés par les régimes publics doivent figurer dans les formulaires provinciaux. Ce n'est qu'à cette condition que le régime public rembourse les médicaments. Du point de vue de la technologie, ou de l'équipement ou des instruments, le processus décisionnel et les mécanismes d'achat sont beaucoup plus diffus. Les décisions sont prises à tous les niveaux du système de soins de santé et sont beaucoup plus difficiles à influencer du point de vue de l'évaluation des technologies de la santé ou d'autres lignes directrices qu'on souhaiterait mettre en place.
Pour en revenir à la question de la coordination ou de l'interface entre l'évaluation des technologies de la santé et la nécessité d'aller au-delà du gouvernement, nous entreprenons une campagne d'approche, mais nous sommes limités par le inancement. Nos trois premières séances se tiendront au printemps dans les provinces de l'Atlantique.
Il est difficile de rejoindre les gens parce qu'on leur demande d'empiéter sur un emploi du temps déjà chargé. On soulève une fois de plus la question du temps que nous prenons aux médecins qu'ils ne peuvent mettre à profit pour assurer des services. Nous ne voulons pas simplement les informer de ce que nous faisons; nous voulons qu'ils nous disent comment faire. On doit créer cette interaction. Nous tenterons de la renforcer, mais nous aurons besoin d'aide pour encourager les responsables des décisions relatives à la distribution à travailler avec nous. Ce n'est pas une mince tâche.
M. Zelder: Vous avez demandé pourquoi les patients vont se faire traiter aux États-Unis alors que nous possédons un plus grand nombre d'appareils de radiothérapie par habitant. Il s'agit en partie d'une question qualitative. La définition recoupe toutes sortes d'appareils différents. J'imagine que les appareils que possèdent les États-Unis sont de plus grande qualité et font appel à une technologie plus nouvelle et plus perfectionnée.
Le problème s'explique aussi en partie par les pénuries de personnel, notamment les radiothérapeutes qui administrent les traitements. Même s'ils possèdent moins de machines, les États-Unis sont malgré tout en mesure de soigner tous leurs citoyens et aussi ceux du Canada. On doit donc en conclure que l'utilisation efficiente des ressources accuse ici des défaillances systémiques.
Le sénateur Fairbairn: Vous avez ajouté un autre élément extrêmement décourageant à la liste que le comité s'affaire à dresser, et c'est celui qui a trait aux ressources humaines. On nous a parlé de la pénurie d'infirmières et de médecins. Hier, c'était au tour de l'industrie pharmaceutique. Aujourd'hui, vous avez tous -- en particulier le Dr Radomsky -- mis l'accent sur le secteur des radiologistes.
Quel est le problème? Au fil des ans, nous avons tiré une grande fierté de nos établissements d'enseignement dans le domaine de la médecine. Le problème s'explique-t-il principalement par les sommes plus importantes dont on dispose aux États-Unis? S'agit-il d'une simple question de technologie? Les problèmes qu'éprouve le Canada incite-t-il les jeunes étudiants à aller ailleurs, où la technologie est de meilleure qualité? Quels sont les facteurs qui, dans votre discipline, incitent les gens à quitter le pays? Dans le dernier point que vous avez soulevé au sujet des ressources humaines, vous avez fait allusion à la création d'un programme de rétention et de rapatriement des radiologistes canadiens. Ma question est la suivante: qu'avons-nous à offrir?
Le Dr Radomsky: Merci de poser ces questions. Chaque année, environ 25 p. 100 de nos diplômés se rendent aux États-Unis pour parfaire leur formation ou pour y demeurer. Un pourcentage d'entre eux reviennent.
La situation était relativement stable jusqu'à ce que les ministères de la Santé du Canada se concertent et décident que la meilleure façon de réduire les dépenses du régime d'assurance-maladie consistait à réduire le nombre de fournisseurs de soins. On a procédé à une réduction tous azimuts du nombre d'inscriptions dans les écoles de médecine de 10 p. 100. Au Canada, il est aujourd'hui plus difficile d'être admis dans une école de médecine. Il y a une place pour chaque tranche de 20 000 Canadiens, tandis que, dans le reste du monde industrialisé, en Grande-Bretagne, par exemple, la proportion est de 1 pour de 12 000 à 14 000 personnes. En Australie, la situation est analogue. Aux États-Unis, la proportion est de une place pour environ 9 000 personnes.
Le sénateur Fairbairn: C'est une situation choquante.
Le Dr Radomsky: Premièrement, nous interdisons à certains de nos enfants les plus doués et les plus brillants la possibilité de faire des études de médecine au Canada.
Nous réduisons le nombre de places disponibles, et nous sommes passés d'environ 100 diplômés par année à 70 diplômés par année. On ne pourra renverser la tendance avant quelques années en raison du temps qu'il faut pour former les étudiants.
Le sénateur Fairbairn: Oui, on parle de dix ans.
Le Dr Radomsky: Pour aggraver le problème, le Canada est en voie de devenir relativement non concurrentiel à l'échelle mondiale. Nous avons 1 dollar à 63 ou 64 cents et un régime fiscal qui, par rapport aux États-Unis, pénalise les plus hauts salariés. La possibilité d'aller vivre aux États-Unis et d'y demeurer est très séduisante pour les Canadiens. C'est un grave problème. Ce n'est pas à moi de le régler. Le problème auquel je suis confronté, ce sont les patients que je dois traiter selon les paramètres définis par la Loi canadienne sur la santé, avec lesquels je dois composer. Il s'agit d'un enjeu social que nous devons aborder à une plus grande échelle. Comment s'y prend-on pour retenir les gens lorsqu'il est plus lucratif -- non seulement sur le plan économique, mais aussi sur le plan de la recherche et de bien d'autres points de vue -- et plus attrayant d'aller vivre dans une économie différente?
Le président: À la fin avril ou dans la première semaine de mai, nous allons étudier la question des ressources humaines dans l'ensemble des secteurs.
Le sénateur Cook: Le sénateur Morin a abordé une de mes préoccupations, et c'est la somme de 1 milliard de dollars que le gouvernement a offerte aux provinces aux fins des biens d'immobilisations. Selon l'expérience que j'ai acquise dans le domaine des soins de santé, à titre de membre de conseils d'administration à Terre-Neuve, où j'habite, le financement des immobilisations n'était pas la priorité. Il y avait d'autres besoins plus criants. À mes yeux, c'est ce qui explique que certaines provinces n'aient pas demandé leur part de l'argent. L'argent qu'on touche -- au moins dans ma province -- est utilisé aux fins de l'entretien du matériel existant. Vous nous dites qu'on doit recruter un plus grand nombre d'employés pour pouvoir faire fonctionner le matériel technique perfectionné.
Cela dit, comment, à titre de nation, allons-nous nous y prendre pour suivre l'évolution de la nouvelle technologie -- et ce que nous dit la Dre Jill Sanders concernant les politiques, les recherches que vous préparez -- qu'avez-vous à offrir? À votre avis, comment devrions-nous nous y prendre pour garder le rythme?
Le Dr Radomsky: Il s'agit probablement de la question la plus difficile à laquelle j'ai eu à répondre aujourd'hui. C'est le noeud du problème auquel nous sommes confrontés.
Au point où nous en sommes, nous ne sommes plus en mesure d'assurer des services à tout le monde, en tout temps et dans toutes les circonstances. Même si vous nous fournissiez tout l'équipement voulu aujourd'hui, nous devrions le refuser. Faute des ressources humaines nécessaires, nous ne pourrons l'utiliser. Nous aurons beau tenter de réaliser des gains d'efficience au sein du système, nous accusons actuellement un tel retard que nous devrons prendre des mesures radicales pour gonfler l'effectif, retenir les ressources que nous avons et rapatrier au Canada certaines personnes qui sont parties aux États-Unis et dans d'autres pays.
Je suis moi-même un expatrié. J'ai passé une bonne partie de ma vie de jeune médecin aux États-Unis. Je suis revenu. Personnellement, je crois que le Canada est le pays idéal où vivre. Cependant, la moitié des membres de ma famille pratiquent la médecine aux États-Unis. Nous devons rapatrier nos citoyens. Pour ce faire, nous devons miser sur un environnement concurrentiel. Un environnement concurrentiel ne se résume pas qu'à des facteurs financiers. On doit également réunir toutes les autres conditions qui font que les médecins tirent satisfaction du travail qu'ils effectuent auprès de leurs patients. Je ne crois pas pouvoir répondre à la question de façon plus honnête.
Le sénateur Robertson: Les conseils d'administration et les administrateurs d'hôpitaux voient la technologie dure sous un angle différent parce qu'elle provient de l'étranger. Étant donné la valeur actuelle du dollar, les investissements ne vont pas bien loin lorsqu'on doit se procurer de l'équipement importé.
Le président: Vous faites allusion à la faiblesse du dollar?
Le sénateur Robertson: Oui. Le budget est très durement touché.
M. Feeny: J'aimerais faire un bref commentaire au sujet de la question de la main-d'oeuvre constituée de professionnels de la santé. À l'époque où on a réduit le nombre d'admissions dans les écoles de médecine, on avait recommandé, si je me souviens bien, une augmentation des taux d'inscription et de diplômation dans les professions paramédicales afin de modifier la répartition des fournisseurs de services. Bien entendu, nous n'avons retenu que la moitié de la solution. Nous avons réduit le nombre d'admissions dans les écoles de médecine, mais sans augmenter le nombre d'inscriptions dans les autres disciplines.
Certaines des solutions avancées par le Dr Radomsky sont aujourd'hui contrecarrées. Pour accroître son efficience, il pourrait confier plus de tâches aux technologues. Cependant, vous n'arrivez pas à en trouver non plus, n'est-ce pas?
Pour réduire l'effet de la pénurie de pharmaciens, nous pourrions faire appel à plus de techniciens en pharmacie et à la robotique. Certaines solutions robotiques pourront permettre la réalisation de certains projets, mais l'offre de techniciens en pharmacie est également limitée. Il en va de même pour les technologues médicaux. Nous avons besoin de plus de formation, mais nous devons également modifier la répartition ultime des choses, sans rester cantonnés dans nos anciens schémas. Malheureusement, nous n'avons pas formé de substituts. L'avenir paraît particulièrement sombre parce que nous n'avons pas d'autres soupapes de sécurité.
Le Dr Radomsky: Dans notre environnement extrêmement technologique, il y a peu de place pour les fournisseurs autres. Nous devons porter des jugements. Nous devons établir des diagnostics. Pour établir des diagnostics, on doit posséder un solide bagage médical. Il ne s'agit pas que d'examiner une image. On doit tenir compte d'une multitude d'autres facteurs, ce qui exige une expertise professionnelle.
Le président: En notre nom à tous, je vous remercie d'avoir pris le temps de venir discuter avec nous ce matin. J'espère que l'expérience aura été aussi intéressante pour vous qu'elle l'a été pour nous. Nous avons eu une séance fascinante.
Sénateurs, nous allons maintenant poursuivre à huis clos pendant quelques instants.
Le comité poursuit ses travaux à huis clos.