Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 6 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 4 avril 2001
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 15 h 47 pour examiner l'état du système de soins de santé au Canada
Le sénateur Marjory LeBreton (vice-présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La vice-présidente: Honorables sénateurs, nous poursuivons la deuxième phase de nos audiences sur les soins de santé, qui visent à cerner les problèmes actuels et futurs du système de soins de santé. Nous allons nous pencher aujourd'hui sur les tendances en matière de maladies.
Certaines personnes craignent que l'apparition de nouvelles maladies et la prévalence croissante de certaines autres n'aient des répercussions importantes sur les coûts actuels et futurs des soins de santé. Pourtant, bien des causes de maladies, d'invalidité et de décès prématurés pourraient être supprimées. Les efforts croissants dans les domaines de la promotion de la santé et de la prévention des maladies, surtout auprès des Canadiens peu scolarisés et à faible revenu, doivent demeurer un élément clé de notre politique gouvernementale si nous voulons améliorer l'état de santé de la population en général et contenir les coûts des soins de santé. Les témoins que nous entendrons aujourd'hui sont ici pour nous aider à mieux comprendre les tendances en matière de maladies et leurs conséquences possibles sur le système public de soins de santé.
Nous recevons donc la Dre Christina Mills, du Centre de prévention et de contrôle des maladies chroniques à Santé Canada. Ce centre a pour mission d'évaluer et de déceler les menaces de maladies chroniques, de fournir de l'information stratégique sur l'évaluation des risques et de coopérer avec d'autres instances pour élaborer des programmes faisant converger les pratiques relatives à la santé de la population, à l'hygiène publique et à la prévention afin d'alléger le fardeau que représentent les maladies chroniques actuelles et nouvelles.
Le Dr Paul Gully est directeur général par intérim du Centre de prévention et de contrôle des maladies infectieuses, aussi à Santé Canada. Ce centre effectue de la recherche sur les maladies infectieuses, dans le but de répertorier et de quantifier les risques, et évalue les stratégies de prévention et de contrôle proposées.
Le Dr David MacLean est chef du département de santé communautaire et d'épidémiologie au centre de recherche clinique de la faculté de médecine, à l'Université Dalhousie.
J'invite les témoins à nous présenter leurs exposés, après quoi nous passerons aux questions des sénateurs. Chers collègues, je vous signale que la Dre Mills doit partir un peu plus tôt que les autres témoins. Je vous prierais donc de poser en premier les questions qui s'adressent à elles. Je laisse maintenant la parole à nos témoins.
[Français]
Dre Christina Mills, directrice générale, Centre de prévention et de contrôle des maladies chroniques -- Direction de la santé de la population et de la santé publique: Je vous remercie de m'avoir invitée à partager avec vous quelques données sur le fardeau des maladies chroniques et des blessures au Canada, et une perspective que la possibilité d'éviter une proportion du fardeau futur estimé.
[Traduction]
Je vais vous décrire brièvement le fardeau que représentent aujourd'hui les maladies chroniques et les blessures, le fardeau qu'elles risquent de représenter à l'avenir et, pour finir, la possibilité de réduire substantiellement ce fardeau futur grâce aux efforts de prévention et de promotion de la santé.
La question des maladies chroniques et des blessures est très complexe. Ce sont des problèmes qui touchent tous les Canadiens, mais dont le fardeau est réparti inégalement selon la région, l'origine ethnique, la situation socio-économique, l'âge, le sexe et beaucoup d'autres aspects. Par exemple, le diabète est de plus en plus fréquent partout au Canada, mais l'augmentation enregistrée est particulièrement marquée et particulièrement rapide dans les populations autochtones.
Beaucoup d'affections majeures ont divers facteurs de risque en commun, et beaucoup de facteurs de risque ont une influence sur de nombreuses maladies et blessures. Le classement de ces affections diffère selon l'indicateur choisi. De façon générale, nous manquons de données fiables relativement aux indicateurs reflétant la souffrance personnelle, la qualité de vie, l'invalidité et la baisse de productivité. Ces indicateurs existent -- les années-personnes sans invalidité, par exemple --, mais nous ne recueillons pas systématiquement des données suffisantes pour être en mesure de les calculer. Il faudrait des études spéciales. Et les stratégies nécessaires pour résoudre ces problèmes doivent être tout aussi complexes afin de refléter la complexité et la multiplicité des causes, des contextes et des populations.
D'après l'Enquête nationale sur la santé de la population réalisée en 1998-1999, plus de la moitié des Canadiens -- c'est-à-dire plus de 16 millions d'entre eux -- disent souffrir d'une affection chronique. Les plus courantes -- allergies, arthrite, problème de dos, hypertension artérielle, asthme -- ne sont généralement pas associées aux plus hauts taux de mortalité ou de mortalité prématurée, mais elles n'en représentent pas moins un lourd fardeau en termes de souffrance, d'invalidité et de coûts pour le système de santé.
Voici un graphique qui illustre assez bien la complexité de ces problèmes. Les années potentielles de vie perdue -- ou APVP -- reflètent la relative prématurité des décès reliés à différentes causes. Les affections qui tuent surtout des gens assez jeunes se classent plus haut quand on regarde les APVP parce qu'elles suppriment plus d'années de vie potentielle. Cette diapositive montre comment ce classement diffère selon le sexe et le groupe d'âge pour les trois principales causes de décès. Vous pouvez voir que, chez les jeunes, les blessures sont de loin la cause la plus fréquente. Pour les groupes plus âgés, elles sont devancées par le cancer et les maladies cardiaques.
La diapositive suivante est tirée de l'étude sur le fardeau économique de la maladie, dont vous avez déjà entendu parler, je pense; vous pouvez en prendre des exemplaires si vous n'en avez pas déjà reçu. Les deux tiers de ce fardeau économique sont imputables à cinq causes principales: maladies cardio-vasculaires, troubles musculo-squelettiques, cancer, blessures et maladies respiratoires. Quand on ajoute les deux causes suivantes, on explique les trois quarts de ce fardeau, dont les coûts d'hospitalisation représentent la plus grosse part, à 52 p. 100. Si les tendances actuelles se maintiennent, les médicaments -- qui arrivent maintenant en deuxième place parmi les facteurs de coûts -- pourraient finir par dépasser les coûts d'hospitalisation.
Le possible fardeau futur de la maladie comprend des composantes évitables et d'autres qui ne le sont pas, comme l'illustre la diapositive intitulée «Nombre total de décès liés au cancer du poumon». La ligne du bas reflète l'évolution des modèles de croissance. Elle montre comment le nombre de cancers du poumon chez les femmes canadiennes augmenterait jusqu'en 2010 s'il n'y avait aucun changement dans la taille de la population et dans sa répartition par âge et par sexe. Les deux autres lignes reflètent l'évolution des effectifs de la population et de sa répartition par âge, en raison du vieillissement des baby-boomers, et montrent que le nombre de cas va augmenter à cause de facteurs sur lesquels le système de soins de santé n'a aucune influence.
Notre seule chance de ralentir ou d'inverser cette augmentation est d'investir dans une prévention efficace en amont. Tout le monde reconnaît maintenant que la viabilité de notre système de soins de santé est menacée parce que nous ne nous sommes pas préparés à assumer le fardeau accru découlant du vieillissement de la population, mais bien peu de gens se rendent compte que le fait de ne pas investir en amont représente à cet égard une menace tout aussi sérieuse, et peut-être même plus grave. La dernière partie de ma déclaration va donc porter sur les possibilités d'interventions en amont.
La diapositive suivante montre la réduction théorique des accidents coronariens qui pourrait être possible grâce à diverses interventions visant les facteurs de risque: alimentation, tabagisme, exercice et indice de masse corporelle. Si nous agissions tout de suite, nous pourrions constater cette tendance dès 2016. Selon la nature et l'efficacité de nos interventions, nous pourrions constater en 2016 les effets nets représentés à la droite de ce graphique. Malheureusement, la plupart des gens qui vivent aujourd'hui ont accumulé beaucoup de risques, et il faudra attendre bien plus longtemps avant que nous ne tirions pleinement profit des interventions visant à réduire ces facteurs de risque primaires. Il y aura des retombées positives plus tôt pour les interventions visant par exemple la prévention des blessures et des affections comme les maladies respiratoires et les infarctus du myocarde aigus, dont les risques diminuent rapidement quand les gens cessent de fumer. Cependant, même dans le cas des affections pour lesquelles les effets se font sentir à plus long terme, comme le cancer, les retombées de la prévention primaire seront importants.
En outre, 85 p. 100 des Canadiens de plus de 65 ans présentent au moins un facteur de risque modifiable pouvant entraîner des troubles cardio-vasculaires, et près des deux tiers de tous les Canadiens en présentent au moins un. Les deux tiers mènent une vie sédentaire, et plus de la moitié dépassent leur poids santé. On constate par ailleurs une forte concentration des facteurs de risque, surtout chez les adolescents. Le régime alimentaire inadéquat, le manque d'activité physique, l'usage du tabac et les comportements sexuels à risque sont souvent réunis. Nous devons donc élaborer des stratégies visant toute une gamme de facteurs de risque, dans les combinaisons où ils se retrouvent le plus souvent.
On note des variations considérables entre les diverses régions du Canada au chapitre des moyens que prennent les provinces pour contrôler ces facteurs de risque. À mon avis, les chiffres les plus bas qui ont été enregistrés offrent un modèle réaliste auquel les autres provinces peuvent aspirer. Les approches susceptibles d'entraîner de nombreux bienfaits incluent par exemple le soutien intensif aux familles à risque et les efforts soutenus de promotion de la santé dans les écoles et en milieu de travail.
Je voudrais vous dire encore quelques mots au sujet des blessures parce que c'est un exemple d'affections pour lesquelles la prévention primaire pourrait porter fruit rapidement et qui imposent un fardeau important, mais le plus souvent évitable. Nous avons réalisé des progrès intéressants jusqu'ici dans ce domaine, comme en témoigne le nombre décroissant des blessures, ainsi que des décès et des hospitalisations qui en découlent. Divers facteurs ont contribué à ces progrès, notamment l'usage de la ceinture de sécurité, l'abaissement des limites de vitesse, le port du casque à bicyclette, la diminution des cas de conduite en état d'ébriété et la meilleure conception des produits de consommation. Les blessures demeurent toutefois la première cause de décès chez les enfants, et le principal facteur des années potentielles de vie perdue avant 65 ans. Le suicide et les accidents d'auto tuent encore nos jeunes hommes, surtout chez les Autochtones, et les chutes sont une importante cause d'invalidité et de décès prématuré chez les adultes de plus de 65 ans. Elles nécessitent des interventions à composantes multiples couvrant par exemple la consommation de médicaments, l'évaluation des résidences, la force et l'équilibre, et ainsi de suite. Ces variations dans les types de blessures les plus courantes selon l'étape du cycle de vie montrent bien la nécessité d'élaborer des stratégies propres à chaque groupe d'âge et tenant également compte des autres dimensions comme le milieu de vie -- terrains de jeux, régions rurales, milieu de travail, et cetera.
De plus en plus d'études indiquent que les interventions de promotion de la santé et de prévention des maladies peuvent améliorer la santé et la qualité de vie, réduire les dépenses en soins médicaux et augmenter la productivité au travail. La prévention des maladies, des blessures et de l'invalidité peut prolonger la vie, réduire le besoin en soins de santé et apporter des bienfaits aux points de vue du bien-être, de la qualité de vie et de l'auto-efficacité. Il nous suffirait pour ce faire d'utiliser nos connaissances actuelles, mais nous devons investir maintenant. Et nous devons investir en amont pour éviter de nous retrouver plus tard avec un lourd fardeau. Nous ne devons pas nous contenter d'un horizon de cinq ans, mais viser plutôt des résultats à long terme. La principale combinaison de facteurs de risque réunit le régime alimentaire déficient, le manque d'activité physique, l'obésité et le tabagisme, qui comptent pour plus de la moitié du fardeau des maladies chroniques évitables.
Pour en revenir à mon titre original, «Quelles sont les perspectives?», je dirais qu'il existe des lacunes dans nos connaissances, dans les données dont nous disposons et dans la surveillance des moyens efficaces pour lutter contre certains facteurs. Nous n'avons certainement pas au Canada ce que j'appellerais une dose préventive de prévention, et nous avons malheureusement l'habitude de nous attaquer aux problèmes un par un. Mais les perspectives globales sont bonnes. Le Canada est reconnu dans le monde entier comme un chef de file dans la conceptualisation de la santé et de la promotion de la santé, et dans l'élaboration de programmes innovateurs de promotion de la santé et de prévention des maladies.
Il se fait de plus en plus de recherche sur les causes évitables des maladies chroniques et des blessures, et le mandat élargi des Instituts de recherche en santé du Canada, par rapport à celui de l'ancien Conseil de recherches médicales, offre de nombreuses occasions de soutenir la recherche supplémentaire qui permettra de déterminer les moyens les plus efficaces pour susciter des changements durables des comportements.
Nous avons des organismes bénévoles forts qui commencent à s'élever au-dessus de leurs anciennes querelles de clochers et à bâtir une coalition pour faire front commun autour de la prévention primaire. Et l'accord sur la santé, qui met l'accent sur le rééquilibrage du système de santé afin d'assurer sa viabilité, fournit un cadre de collaboration entre les différents niveaux de gouvernement.
Nous devons profiter de ces atouts. Nous devons cesser de nous reposer sur nos lauriers, et travailler de manière coopérative et systématique à la planification et à la mise en oeuvre de stratégies de prévention qui nous permettront de tirer le meilleur parti possible de nos ressources et de nos connaissances. Je suis convaincue que nous pourrons ainsi éviter une proportion substantielle du possible fardeau futur des maladies et des blessures, promouvoir la meilleure santé possible pour les Canadiens et contribuer à la viabilité de notre système de soins de santé, dans les années à venir et à plus long terme.
Je ne pourrai peut-être pas rester avec vous jusqu'à la fin de vos délibérations, mais si je dois partir pour l'aéroport, la Dr Clarence Clottey, qui est directeur intérimaire de la Division du diabète, et Nancy Garrard, directrice de la Division du vieillissement et des aînés, pourront répondre à certaines de vos questions.
Dr Paul Gully, directeur général par intérim, Centre de prévention et de contrôle des maladies infectieuses, Santé Canada: Je voudrais vous dire, premièrement, que bon nombre des observations de la Dre Mills au sujet des investissements à faire en amont et de l'importance de la prévention s'appliquent aussi aux maladies infectieuses.
[Français]
Je voudrais vous présenter quatre points concernant les maladies infectieuses. Tout d'abord, la menace des maladies infectieuses persiste et augmente. Deuxièmement, les maladies infectieuses sont coûteuses pour le système de santé et pour l'économie canadienne. Troisièmement, les stratégies de prévention et de contrôle représentent un investissement judicieux et, enfin, les systèmes de surveillance efficaces sont essentiels.
[Traduction]
Les maladies infectieuses représentent certainement une menace persistante. L'optimisme que suscitait au départ la lutte contre ces maladies s'est émoussé. Il y en a maintenant de nouvelles, par exemple le sida depuis les années 80, le syndrome pulmonaire de l'hantavirus, les menaces émergentes comme l'infection par le virus du Nil occidental -- ou West Nile --, qui arrivera sans aucun doute au Canada cette année, ainsi que l'EBS -- la maladie de la vache folle -- et sa variante humaine. Nous nous attendons à enregistrer bientôt au moins un cas d'EBS contractée non pas au Canada, mais à l'étranger.
Il y a aussi les maladies infectieuses chroniques comme le VIH et les infections virales causées par l'hépatite B et l'hépatite C. Et puis les maladies chroniques d'origine infectieuse, par exemple les ulcères gastro-duodénaux et les cancers de l'estomac causés par les infections à Helicobacter, et peut-être également les coronaropathies attribuables à la chlamydia. La menace persistante que représentent les maladies infectieuses fait consensus aux États-Unis, au Royaume-Uni et dans les autres pays industrialisés.
Je peux vous donner d'autres exemples. La résistance antimicrobienne est un problème important pour le système de soins de santé, dont elle augmente sensiblement les coûts. Il y a aussi d'autres coûts substantiels dont je vous parlerai plus en détail tout à l'heure. Je tiens également à souligner que les classifications habituelles servant à évaluer les coûts liés aux maladies infectieuses, et en particulier aux décès qui en résultent, n'incluent généralement pas ceux qu'occasionnent la pneumonie et l'influenza. Ce sont pourtant des éléments importants dans une population vieillissante, tout comme le sont les infections génito-urinaires, gastro-intestinales et cutanées contractées en établissement. Il existe également de nombreuses maladies, généralement des états morbides, qui ne sont jamais mesurées systématiquement. Il s'agit notamment des troubles d'origine alimentaire dont les victimes ne consultent pas de médecin et ne séjournent pas à l'hôpital.
La mortalité résultant des maladies infectieuses a diminué, comme vous pouvez le voir à la page 10 dans le graphique portant sur le nombre de décès liés au VIH, la principale cause des variations dans la mortalité imputable aux maladies infectieuses. Le taux de mortalité a diminué, mais le VIH est une maladie infectieuse chronique. Les gens qui en sont atteints vivent maintenant plus longtemps, grâce aux nouveaux traitements, et continuent d'avoir besoin d'une aide soutenue du système de soins de santé.
L'apparition de nouvelles maladies infectieuses s'explique également par les voyages internationaux et les migrations. À la page 11 de ma présentation, vous pouvez voir un graphique sur la tuberculose et la proportion croissante des cas concernant des néo-Canadiens. Il s'agit d'une nouvelle tendance sur laquelle nous devrons nous pencher parce que les méthodes de prévention et de contrôle doivent être adaptées à la culture et à la situation ethnoculturelle des individus.
Il faut mentionner aussi que les Canadiens voyagent de plus en plus et que les approvisionnements alimentaires se mondialisent. Vous vous souviendrez peut-être de l'histoire des framboises du Guatemala et vous connaissez le problème de l'EBS, par exemple. En outre, l'activité humaine liée aux effets possibles du réchauffement de la planète, par exemple la déforestation, pourrait entraîner des affections comme la maladie de Lyme.
Les changements relatifs aux comportements sexuels à risque représentent un facteur important, particulièrement dans le cas des maladies comme le VIH parce que cette épidémie évolue. Les gens font des choses différentes, ce qui exige des efforts de prévention flexibles et bien ciblés. L'usage de drogues injectables est de plus en plus concentré dans les groupes marginalisés et socio-économiquement faibles comme les jeunes de la rue et les populations des Premières nations.
Les autres menaces incluent les pathogènes à diffusion hématogène comme l'hépatite C, que j'ai déjà mentionnée et qui représente un fardeau important. Je vous en reparlerai. Il y a aussi les maladies hydriques et d'origine alimentaire. Vous avez bien sûr entendu parler de la flambée d'infections attribuables à l'E. coli, qui illustre ce qui peut se passer et les pressions qui peuvent s'exercer sur le système de soins de santé quand il y a des lacunes dans l'infrastructure sanitaire publique. Je vous ai déjà mentionné la résistance antimicrobienne.
La résistance à l'immunisation est un élément que je tiens à mentionner parce qu'il y a de plus en plus de gens qui s'opposent à l'immunisation. Nous pouvons tenir pour acquis que l'immunisation est efficace dans le cas de la rougeole et de la polio. Les seuls cas de rougeole enregistrés de nos jours au Canada se rencontrent chez des gens qui n'ont pas été immunisés, généralement en raison d'objections de conscience, ou parce qu'ils viennent d'arriver au pays. Mais il ne faut pas nous reposer sur nos lauriers et il est important de maintenir les taux d'immunisation actuels pour éviter le retour de la rougeole.
Nous commençons aussi à reconnaître l'importance des zoonoses, c'est-à-dire les maladies d'origine animale. C'est le cas notamment de l'E. coli, qui entraîne une contamination des approvisionnements en eau. L'EBS, la maladie de la vache folle, est une forme d'encéphalopathie spongiforme transmissible qui recouvre un certain nombre d'autres maladies; mais elle est transmise par les animaux. L'infection par le virus du Nil occidental en est une autre, tout comme la rage transmise par les ratons laveurs, qui arrivera sans doute à nos portes, à Ottawa, d'ici un an.
Les répercussions économiques des maladies infectieuses sont souvent passées sous silence, mais elles sont évaluées à plus de 6 milliards de dollars par année. On a calculé en 1998 que les Canadiens porteurs du VIH à ce moment-là coûteraient à l'économie, jusqu'à leur décès, aux alentours de 27 milliards de dollars. Et on estime aujourd'hui que le coût annuel de l'hépatite C se situe entre 1,3 et 1,8 milliard de dollars. La résistance antimicrobienne coûte cher également, parce qu'il faut garder les gens à l'hôpital plus longtemps s'ils souffrent d'infections résistantes ou d'infections contractées dans un établissement de soins de santé. La tuberculose à pharmacorésistance multiple représente un faible pourcentage des cas, mais comme vous pouvez le voir sur le graphique de la page 11, il y a 1,2 p. 100 de nos cas qui se retrouvent dans cette catégorie; si ce pourcentage augmente, les personnes touchées pourraient coûter très cher au système.
Beaucoup de maladies infectieuses sont évitables. L'immunisation est un bon exemple de prévention, et il y a eu toutes sortes de percées dans ce domaine, y compris en ce qui concerne les vaccins anti-cancer. Il est intéressant de souligner qu'environ 15 p. 100 des cancers enregistrés dans le monde sont probablement causés par des maladies infectieuses. La vérification des produits sanguins est un bon exemple de prévention primaire. Et les efforts ciblés de promotion de la santé sont importants. Je l'ai déjà dit au sujet des maladies transmissibles sexuellement, mais la promotion de la santé doit être flexible et adaptée aux besoins. Il n'y a pas de formule applicable à tout le monde. C'est pourquoi la surveillance, qui permet de se tenir au courant des tendances relatives aux maladies infectieuses, est très importante.
Les mesures fondamentales comme une bonne hygiène à la maison et dans les établissements alimentaires, ainsi que la prudence en milieu de travail et dans les établissements de soins de santé, sont absolument vitales et peuvent être très efficaces. Je veux parler des lignes directrices sur le contrôle des infections dans les hôpitaux, par exemple, de la protection des sources d'approvisionnement en eau, du contrôle des moyens antimicrobiens, et de l'adoption de bonnes pratiques par les médecins, les infirmières et les éleveurs. Il est très clair que l'administration d'antibiotiques aux animaux est un important facteur de résistance antimicrobienne chez les humains.
Pour terminer, je répète que les maladies infectieuses représentent une menace de plus importante à la santé des Canadiens. Les conditions démographiques et environnementales modernes favorisent l'apparition et la propagation de ces maladies coûteuses pour notre système de soins de santé. Il serait possible d'en éviter beaucoup grâce à des stratégies de promotion de la santé, de prévention des maladies et de protection de la santé, et ces stratégies méritent un investissement.
La vice-présidente: Merci beaucoup. Docteur MacLean?
Dr David MacLean, chef de département, Santé communautaire et épidémiologie, Université Dalhousie: Je remercie le comité de l'occasion qu'il m'a offerte de venir ici aujourd'hui pour parler de santé. Je travaille maintenant à plein temps dans un milieu universitaire. Je tiens cependant à ce que le comité sache que j'ai pratiqué la médecine pendant un certain nombre d'années en Nouvelle-Écosse et que j'ai travaillé pendant un certain temps après mes études de troisième cycle en épidémiologie, entre autres, au gouvernement fédéral. Je suis maintenant à l'université depuis près de 13 ans.
Pour le moment, mon intérêt en ce qui concerne le système de santé porte surtout sur les maladies chroniques. Je vous ai préparé un exposé, que je ne lirai pas aujourd'hui, mais je ferai ressortir un certain nombre de points. Vous verrez que je vais surtout essayer aujourd'hui de vous faire valoir l'importance d'une meilleure prévention pour notre système de santé et je vous donnerai certains détails et certaines preuves. Parce que tout le monde veut des preuves, j'ai essayé de vous présenter celles qui étayeront le mieux ma position.
Je considère les maladies chroniques comme la principale menace pour la santé dans notre pays et pour notre système de santé au cours du présent siècle, et cela pour différentes raisons que j'essaierai de vous expliquer au fur et à mesure. On vous a dit que c'est le principal problème de santé auquel nous sommes confrontés aujourd'hui côté mortalité, morbidité et coûts. Les coûts directs des soins de santé au Canada s'élèvent maintenant à environ 86 milliards de dollars, comme nous l'a indiqué récemment le Centre d'information sur la santé. Quant aux coûts indirects, ils s'élèvent probablement à 80 milliards de dollars ou plus. Les maladies chroniques sont responsables de la plus grande partie de ces coûts.
Les tendances récentes en ce qui concerne ces maladies nous donnent raison d'être optimistes, mais elles nous donnent aussi raison d'être pessimistes. Nous avons raison d'être optimistes lorsque nous regardons, par exemple, les maladies cardio-vasculaires. Les taux de mortalité attribuables aux maladies du coeur ont diminué au cours des 25 dernières années. Les accidents cérébrovasculaires, notamment, et les taux de mortalité qui y sont associés ont beaucoup diminué.
La situation s'est améliorée dans le cas de certains cancers, comme le cancer des éléments sanguiformateurs et certains cancers chez les enfants, mais, dans l'ensemble, la situation en ce qui concerne le cancer a été décevante. Le cancer du poumon commence à diminuer chez les hommes, parce qu'ils fument moins. Malheureusement, l'inverse est vrai pour les femmes. La mortalité attribuable au cancer du poumon chez les femmes augmente à un rythme alarmant, en raison surtout de la cigarette.
Pour la plupart des principaux cancers, malheureusement, les taux augmentent ou demeurent les mêmes. Par exemple, le taux de mortalité attribuable au cancer du sein est demeuré essentiellement le même au cours des 40 dernières années. Je vous dis cela pour vous montrer qu'en dépit du fait qu'il y a eu des investissements massifs, relativement parlant, dans la recherche sur ces maladies et leur traitement, non seulement au Canada, mais dans tout le contexte qui nous intéresse, celui de l'Amérique du Nord, leur incidence ne se fait pas encore sentir. Il y a eu certaines réussites. Je ne suis pas tout à fait pessimiste.
Le vieillissement de notre population vient aggraver et continuera à aggraver ces problèmes. Je sais que vous en êtes tous conscients. Il est important de reconnaître que malgré une baisse des taux du genre de celle que nous avons connue pour les maladies cardio-vasculaires, parce que le nombre absolu de baby-boomers augmentera, un taux plus bas se traduira par un nombre absolu plus élevé de cas dans les salles d'urgence des hôpitaux de sorte que nous sommes confrontés à un problème croissant, un problème qui est très coûteux.
Comme on vous l'a dit, il y a eu une augmentation substantielle des coûts associés à la technologie, non seulement à l'élaboration de nouvelles technologies, qui sont coûteuses, mais aussi aux médicaments, par exemple, qui sont de plus en plus coûteux. Cela en soi posera un problème assez grave, parce que les membres plus âgés de la génération du baby-boom arrivent à l'âge des maladies chroniques. Non seulement cette technologie coûte de plus en plus cher, mais nous l'appliquons à une plage d'âge beaucoup plus large qu'auparavant. Lorsque j'étudiais en médecine, les gens de plus de 65 ans ne pouvaient pas être traités dans les unités de soins intensifs. Je ne dis pas que c'était là une sage décision, mais c'est ainsi que les choses se faisaient dans ce temps-là. Je tiens à attirer votre attention sur la récente greffe de coeur en Alberta d'une personne de 79 ans. Il y a peu de temps, les journaux de Halifax faisaient état du cas d'une femme dans la cinquantaine qui en était à sa cinquième greffe d'organes. Je n'ai rien contre; tout ce que je dis, c'est que c'est ce que l'avenir nous réserve puisque cette technologie de plus en plus coûteuse sera appliquée à une population de plus en plus âgée. Une seule greffe du coeur ne suffira peut-être pas. La même personne pourrait avoir au fil des ans trois ou quatre transplants. Je pense que ce sont là des menaces réelles, parce que même les sociétés les plus riches pourraient ne pas avoir les moyens qu'il faut, comme vous pouvez le voir d'après les difficultés que nous avons actuellement à assumer les coûts en cause.
D'une certaine manière, les coûts des soins de santé ruinent actuellement les autres secteurs de notre société. Par exemple, je viens d'un établissement d'enseignement. Les coûts de renonciation associés aux énormes dépenses attribuables aux soins de santé sont élevés, particulièrement pour d'autres secteurs importants de notre société et pour l'élaboration des politiques gouvernementales. Je ne m'élève pas contre ces dépenses, mais, si nous ne faisons rien, ces tendances risquent de constituer une menace grave pour notre système de santé public. Ce sont là des choses auxquelles même un pays riche comme le Canada devra renoncer à l'avenir si ces tendances se maintiennent.
Nous savons, et on vous l'a dit, que les déterminants sociaux et biologiques de ces maladies peuvent être évités. Ils peuvent être manipulés; nous pouvons y changer quelque chose. Cela a des répercussions importantes sur la façon dont nous devrions nous y prendre à l'avenir. J'ai essayé de vous expliquer dans mon mémoire que la prévention est une chose qui est possible parce que nous avons maintenant assez de connaissances.
Il est important de reconnaître que ces affections chroniques sont des maladies. Elles sont associées au vieillissement en ce sens qu'elles ont de longues périodes d'incubation, mais elles ne font pas partie du processus de vieillissement. Il y a des sociétés où ces maladies sont beaucoup moins courantes que la nôtre. Il est possible que la plupart des maladies chroniques auxquelles nous sommes confrontés, notamment les cancers, les maladies du coeur, le diabète, les maladies respiratoires chroniques, soient tout à fait évitables ou qu'à tout le moins leur taux baisse au point où elles seront un jour rares dans notre société. Elles ne sont pas nécessaires. Elles ne sont pas l'aboutissement inévitable du vieillissement et il n'est pas dit qu'il faut en mourir.
Nous avons suffisamment de connaissances pour agir dès maintenant et c'est ce que j'ai essayé de faire valoir dans mon mémoire. La vraie question n'est pas de savoir quoi faire, mais bien de savoir comment s'y prendre. Nous savons que les gens qui ont de saines habitudes de vie coûtent moins cher au système de santé et à la société, peu importe leur âge. Même les personnes âgées qui ont une vie saine coûtent moins cher.
Donc, une des solutions au problème de l'augmentation des coûts serait d'essayer de réduire la demande de services de santé coûteux. Nous pouvons y arriver en adoptant une approche de prévention. Il est important que les politiques gouvernementales insistent sur un mode de vie sain, mais la prévention doit se faire dans nos collectivités. Nous devons créer des collectivités plus saines au Canada, parce que de nombreux obstacles à une meilleure santé ont leur source dans nos collectivités et au niveau communautaire. Nous devons examiner l'ensemble de l'infrastructure et nous demander comment offrir des services préventifs de santé dans notre pays si nous voulons prévenir la maladie.
Il est facile d'enseigner la nutrition, de dire aux gens quels aliments choisir et de leur rappeler que 30 p. 100 seulement des calories doivent provenir des graisses, mais il faut presque un doctorat en chimie alimentaire pour faire son épicerie. Il y a de nombreuses questions sur lesquelles nous devons nous pencher. Quand je suis arrivé à l'université Dalhousie, par exemple, j'ai essayé de me mettre en forme pour montrer l'exemple au reste de mon département. J'ai décidé d'aller travailler à bicyclette à partir de chez moi à Dartmouth. Je ne le fais plus, parce que j'ai failli me faire tuer la première semaine. Il est impossible de faire de l'exercice dans nos rues. Elles ne sont pas sécuritaires pour bien des gens qui veulent courir, surtout les femmes qui ne se sentent à l'aise de le faire qu'en plein jour. Les gens qui veulent faire de la bicyclette mettent leur vie en danger. Je pense personnellement que de nombreuses infrastructures de notre société sont des obstacles à une bonne santé. Nous devons investir et essayer de voir comment nous pourrions mieux nous organiser.
Il est important de reconnaître que les déterminants sociaux de la santé comportent des liens entre eux et que les gens qui souffrent le plus de ces maladies sont ceux qui se situent dans les catégories socio-économiques les moins privilégiées. Il est important aussi d'établir un lien entre nos politiques économiques et sociales et la santé si nous voulons que les choses changent. Je viens d'une région du pays où ces maladies sont le plus courantes et, malheureusement, où nous sommes aussi les plus pauvres, et c'est ce que je peux constater clairement dans ma vie de tous les jours et au travail.
Étant donné que nous connaissons si bien les moyens à prendre pour régler ces questions, pourquoi ne pas l'avoir fait avant? Je pense qu'est en partie à cause de leur caractère politico-économique si vous me permettez l'expression. Autrement dit, il y a une industrie qui appuie les services curatifs. Il y a une grande industrie pharmaceutique, une grande industrie de la technologie et, je l'avoue, une grande industrie dans ma profession qui appuient ce type d'approche -- et c'est tout à fait logique. Ce n'est pas un complot; c'est naturel.
Personne n'appuie la prévention. Personne ne finance la prévention. L'industrie de la santé, d'une certaine manière, fausse nos priorités en matière de santé. Après tout, elle est là pour traiter les maladies, pas pour garantir la santé. Elle fausse nos priorités en essayant d'équilibrer notre système de soins. Nous devons nous pencher sur cette question si nous voulons y trouver des solutions.
Malheureusement, même la Loi canadienne sur la santé -- et croyez-moi, j'appuie les principes de cette loi -- parle essentiellement des services médicalement nécessaires. Le mot «prévention» n'y figure nulle part. Cela a de nombreuses répercussions, surtout sur la façon de voir des artisans de la politique qui sont les ministres provinciaux et le ministre fédéral de la Santé. Lorsqu'ils se réunissent pour décider des questions de santé au Canada, ils se concentrent sur ces questions curatives, et la prévention ne reçoit jamais l'attention voulue.
Je dois dire que personne ne finance la prévention en raison de nombreux obstacles. Le travail de prévention donne des résultats à long terme. Il n'y a pas de retombées immédiates. Pour certains éléments du processus politique, ce n'est pas une question attrayante. Les gouvernements n'ont pas la capacité de s'occuper de la question de la prévention. Nos organismes professionnels et nos corps médicaux n'ont pas la capacité nécessaire, c'est-à-dire ni les infirmiers et infirmières ni les médecins qu'il faut, pour s'occuper de la prévention. Dans l'ensemble, d'après les recherches que j'ai faites, le public n'arrive pas à saisir une bonne partie de ces questions ni les avantages possibles.
Par conséquent, nous devons essayer de donner la priorité à ces questions sur le plan politique. Nous devons élaborer des programmes et des activités au niveau communautaire pour essayer de les régler. Comme la Dre Mills l'a dit, c'est une question de dose de prévention. Nous n'avons pas tellement dépensé ici pour la prévention.
Lorsque nous avons à traiter des maladies infectieuses, nous savons tous que la pénicilline est le médicament de choix pour une infection à streptocoques, mais ce sera peine perdue si nous en administrons un milligramme à un malade. Il faut 500 milligrammes quatre fois par jour pendant dix jours. La prévention nécessite une dose semblable, pendant une période de temps donnée. Nous avons la capacité et les connaissances qu'il faut. Nous devons simplement trouver les moyens de tout mettre en oeuvre.
Je répondrai maintenant avec plaisir à toutes les questions que les sénateurs pourraient avoir à poser.
Le sénateur Graham: Ma première question va porter sur le cancer du sein puisque le Dr MacLean a dit dans son exposé que le taux de cancer du sein chez les femmes était demeuré relativement stable au cours des 40 dernières années. Pourtant, on nous a dit que le cancer était la deuxième cause de décès au Canada par comparaison à la cinquième dans les années 20 et 30. Pourquoi?
Dr MacLean: Principalement parce qu'il y avait d'autres maladies mortelles, surtout des maladies infectieuses dans ce temps-là. Le cancer du poumon est un cas intéressant; dans les années 50, c'était une des principales causes des décès par cancer au Canada. Il demeure une cause de décès par cancer, mais le taux de mortalité est loin d'être aussi élevé. Il y a eu une baisse marquée du taux de cancer de l'estomac dans notre pays, en raison surtout d'un changement des habitudes alimentaires. Cette baisse peut notamment être attribuée à des changements dans les modes de préservation des aliments, comme l'utilisation du sel, du marinage et ainsi de suite, qui sont associés aux cancers de l'estomac. Le changement est probablement attribuable en fin de compte à l'électrification rurale et au fait qu'il n'était plus nécessaire d'utiliser ces méthodes pour préserver la nourriture, parce que les gens pouvaient se permettre de réfrigérer leurs aliments. C'est un exemple d'une cause de cancer qui aurait été fréquente dans ce temps-là, mais qui ne l'est plus. Ce sont les changements dans l'évolution des maladies qui expliquent les classements différents.
Le sénateur Graham: Je tiens à mentionner la question de la cigarette et de son lien avec le cancer. Ma mère est décédée à l'âge de 91 ans et fumait toujours. Elle a fumé le jour de sa mort. Chaque fois que je lui conseillais d'arrêter de fumer, elle me répondait: «Voyons, veux-tu que la cigarette me tue ou le stress de ne pas fumer?»
Le chef des Services de santé aux États-Unis a dit récemment que le taux de cancer du poumon chez les femmes atteignait des proportions épidémiques. Est-ce que c'est vrai aussi au Canada?
Dr MacLean: Oui. Le cancer du poumon tue aujourd'hui plus de femmes canadiennes que le cancer du sein. Les choses ont beaucoup changé. Si vous aviez dit à un épidémiologiste il y a 25 ans que le cancer du poumon chez les femmes atteindrait de telles proportions, il aurait ri de vous, mais c'est malheureusement vrai. Cela est en grande partie attribuable au fait que les femmes se sont mises à fumer après la Seconde Guerre mondiale. Le cancer est une maladie qui a une longue période d'incubation. La plupart des gens qui perpétueront au cours des 30 prochaines années l'épidémie de cancer du poumon qui sévit actuellement fument déjà. Il faut qu'ils cessent de fumer si nous voulons mettre un terme à cette épidémie. Quatre-vingt pour cent des cancers du poumon sont directement liés à la cigarette, et 50 p. 100 des gens succombent à leur habitude de la cigarette. Heureusement, les autres ont un matériel génétique qui les protège. Votre mère faisait de toute évidence partie de ce groupe. Comme je l'ai dit, 50 p. 100 des gens succomberont à leur habitude de fumer.
Dre Mills: J'aimerais que vous regardiez la diapositive qui montre le taux de mortalité chez les femmes entre 1971 et 2010. Le Dr MacLean a raison. Si vous regardez l'augmentation des taux uniquement, c'est-à-dire la ligne la plus basse, vous remarquerez un taux d'augmentation assez prononcé pour les femmes, et celui-ci peut être directement attribué au fait que nous n'avons pas réussi à obtenir la même baisse des taux d'usage de la cigarette chez les femmes que chez les hommes.
J'ai une autre diapositive que j'aurais bien aimé vous apporter. Elle montre les taux de mortalité par cancer chez les hommes sur une période de 20 ans suivant les taux d'usage du tabac au sein de la même population, et le parallélisme est plus frappant. La pente de la courbe des décès attribuables au cancer du poumon est identique à la pente de la courbe du tabagisme dans le temps. L'usage de la cigarette chez les femmes n'a pas encore connu de renversement de sorte que nous n'avons pas encore vu chez les femmes le sommet de l'épidémie du cancer du poumon.
Le sénateur Morin: Combien de temps cela prend-il?
Dre Mills: Environ 20 ans pour le cancer du poumon. On peut observer des réactions plus rapides pour ce qui est des diminutions des taux de tabagisme dans le cas de maladies comme l'atteinte respiratoire aiguë et l'infarctus aigu du myocarde, mais le taux diminue plus lentement dans le cas du cancer.
Le sénateur Graham: Docteur MacLean, vous avez dit que personne ne subventionne la prévention. Que pensez alors de tous les programmes de promotion de la santé qui sont financés à l'échelle du pays?
Dr MacLean: Je suppose que j'ai parlé un peu trop vite. Je voulais dire que personne ne finance vraiment la prévention des maladies chroniques. Des fonds sont accordés, par exemple, pour la promotion d'un mode de vie plus sain.
Dans ma province, qui est aussi la vôtre, le coût des soins de santé s'élève à 1,8 milliard de dollars. Je pense que le budget de promotion de la santé de la province se situe autour de 500 000 $. Les gens me demandent souvent combien d'argent il faudrait consacrer à la prévention. Je ne connais pas vraiment la réponse, mais je sais que nous ne dépensons pas beaucoup. En Nouvelle-Écosse, le budget des soins de santé a augmenté de 7 à 10 p. 100 par année au cours des dernières années. Supposons que l'an prochain le ministre de la Santé maintienne le budget des soins de santé à son niveau actuel, c'est-à-dire qu'il ne l'augmente ni le diminue, et consacre ces 10 p. 100 à la prévention. Cela ferait 180 millions de dollars. Si vous nous donniez 180 millions de dollars en Nouvelle-Écosse, nous pourrions faire énormément pour prévenir ces maladies au cours des 15 prochaines années.
Le sénateur Kirby: À ce sujet précisément, des analyses de rentabilité ont-elles été effectuées, sinon au Canada, ailleurs dans le monde, pour répondre à votre question et montrer que si on consacre une certaine somme d'argent à des programmes de prévention, les économies pour le système de santé public correspondront aux coûts engagés? J'ai l'impression que vous aviez raison tout à l'heure de dire que tout le monde voudrait que nous consacrions tout l'argent que nous avons aux gens qui sont déjà malades au lieu d'essayer de les empêcher de tomber malades. Nous avons essentiellement besoin d'analyses de rentabilité. Est-ce qu'on en a déjà fait quelque part?
Dr MacLean: Je dirais que nous avons de vagues connaissances. Je vous ai donné l'exemple de la Finlande dans mon mémoire. Je sais que vous ne l'avez pas reçu avant aujourd'hui parce que j'étais en retard. Cependant, vous y trouverez un exemple de la Finlande et des renseignements instructifs. C'est difficile, parce que les pays n'ont pas mis en oeuvre d'importants programmes nationaux de prévention.
Je peux vous donner l'exemple du programme de lutte contre le tabagisme de la Californie. Ce programme est financé par des moyens que la plupart des politiciens canadiens n'aiment pas -- une taxe spécialement affectée aux cigarettes. Ce programme est en cours depuis 1988. Il a rapporté la somme de 850 millions de dollars qui a été consacrée à la promotion de la santé et à d'autres activités tournant autour de la lutte contre le tabagisme en Californie. Le succès remporté a été remarquable. Les taux de mortalité par cancer du poumon ont diminué de 14 p. 100 depuis par comparaison à 2 p. 100 dans le reste des États-Unis. Le taux de tabagisme chez les moins de 19 ans est d'environ 7,5 p. 100. Le nôtre est probablement de 28 p. 100. Il y a également eu dans cet État une diminution importante des maladies et des accidents cardio-vasculaires, et des articles ont été publiés à ce sujet. On s'y est également penché sur la question des coûts. Dans le cas du seul cancer du poumon, bien qu'on ait dépensé 50 millions de dollars pour la promotion, on pense avoir économisé trois milliards de dollars en coûts opératoires et en coûts de soins de santé en raison de la diminution du cancer du poumon, plus grande que celle qui a été enregistrée pour l'ensemble des États-Unis. Ces données ont récemment été publiées dans le New England Journal of Medicine, en ce qui concerne plus particulièrement les maladies cardio-vasculaires.
La difficulté à fournir autre chose que de petites analyses pilotes de rentabilité s'explique par le fait que personne dans le monde n'a adopté une politique nationale et n'y a consacré des ressources assez longtemps pour savoir de quoi il retourne.
Dre Mills: J'ai un tableau qui vous donnera un aperçu des études de rentabilité. Je n'ai pas pu le déposer aujourd'hui parce que nous n'avons pas eu le temps de le faire traduire, mais nous pouvons vous le fournir plus tard. Si vous me le permettez, je vais vous donner quelques exemples que vous trouverez probablement intéressants.
Le ratio avantages-coûts est de trois pour un dans le cas des casques de bicyclette. Dans le domaine de la santé dentaire, chaque dollar consacré à la fluoruration de l'eau entraîne des économies de 80 $ au chapitre des coûts des soins dentaires. La supplémentation en acide folique a un ratio avantages-coûts de 4,3 pour 1 tandis que le ratio est de 6,1 pour 1 dans le cas de l'enrichissement des produits céréaliers destiné à prévenir les anomalies du tube neural. J'ai de la difficulté à trouver la ligne exacte, mais de nombreuses études d'immunisation montrent des économies de coût nettes. La lutte contre les abus de drogue révèle des économies de 15 $ pour chaque dollar dépensé. De nombreuses questions demeurent sans réponse, mais nous avons la preuve que certains programmes fonctionnent.
Un des problèmes tient à ce que les économies sont réalisées dans le secteur des soins de santé et à ce que les gens qui doivent prendre les décisions au sujet des investissements dans la prévention ne sont souvent pas ceux qui subventionnent les traitements. Donc, on investit à un endroit et on réalise des économies ailleurs, et les investissements actuels ne donneront des résultats que dans deux, trois, cinq, dix, vingt ou trente ans. Il est difficile de persuader les gens qui ont d'urgentes priorités d'investir dans des priorités importantes qui n'ont pas la même urgence.
Le sénateur Graham: Vous avez dit que les fonds consacrés à la promotion de la santé en Nouvelle-Écosse étaient insuffisants. Comment cette province se compare-t-elle aux autres?
Dr MacLean: Malheureusement, la situation est à peu près la même partout. Je ne connais aucune province qui investit le type de ressources nécessaires. Par comparaison à l'ensemble des dépenses, les investissements sont relativement modestes.
Si vous regardez les taux d'atteinte et les taux relatifs aux facteurs de risque, vous verrez une courbe très distincte au Canada. Tout est pire dans l'Est. Les taux de tabagisme en Colombie-Britannique sont beaucoup plus bas qu'en Nouvelle-Écosse. Les niveaux de poids sont bien meilleurs dans l'Ouest. Les niveaux d'activité physique le sont aussi. Le gouvernement de la Colombie-Britannique n'a pas dépensé de grosses sommes, mais ses dépenses par habitant ont été supérieures aux nôtres.
Il y a ici une relation dose-effet. Plus on dépense, jusqu'à un certain point, plus l'effet est grand. C'est normal. Jusqu'à un certain point, les provinces plus riches ont dépensé plus d'argent et les résultats obtenus y sont supérieurs.
Le sénateur Morin: J'aimerais revenir à la question du sénateur Kirby au sujet de l'efficacité de la prévention pour ce qui est de la réduction des coûts. Il ne fait aucun doute qu'elle empêche les décès et les invalidités précoces. Je n'ai rien contre. Je suis tout à fait en faveur.
Cependant, on nous a répété maintes et maintes fois que l'année la plus coûteuse de notre vie est la dernière, peu importe l'âge. On peut mourir à 17, 50 ou 85 ans. Peu importe, la dernière année de notre vie est celle qui coûte le plus cher.
Lorsque nous vieillissons, à 85 ans, nous atteignons un âge où nous souffrons de maladies qui ne sont malheureusement pas inévitables pour le moment -- Alzheimer, toutes sortes de cancers, bien que certains puissent être prévenus, mais pas le cancer de la prostate ou du sein, l'arthrose et ainsi de suite. Malheureusement, dans certains cas et à un âge avancé, la prévention n'est pas aussi efficace qu'elle l'est pour un enfant ou un jeune adulte.
Ma question est la suivante: sur les 80 milliards de dollars que nous dépensons pour les soins de santé, quelles sont les économies réelles lorsque nous considérons qu'environ 80 p. 100 des sommes dépensées pour les soins de santé le sont au cours de la dernière année de la vie? Nous devons malheureusement tous passer par là. Nous finirons tous un jour par nous retrouver à l'hôpital et par souffrir d'une maladie qui nous emportera, et ce sera coûteux. Nous ne pouvons pas y échapper. Malheureusement, je ne pense pas que la prévention ait un grand rôle à jouer dans tout cela. Je ne veux pas dire que la prévention n'est pas importante. Bien sûr, elle l'est. Personne ne pense le contraire et je crois que nous nous y prenons mal. La position de notre gouvernement au sujet du tabagisme à l'heure actuelle est terrible. Il y a certainement beaucoup à faire.
Cependant, je ne pense pas que nous devrions nous arrêter surtout à l'ordre de grandeur des coûts. C'est difficile à dire, mais je ne crois pas que ce soit la chose à faire, à long terme. J'aimerais avoir votre opinion à ce sujet.
Il y a une autre chose que j'aimerais savoir. Quand on parle des coûts directs de la maladie, on veut bien sûr parler du fardeau économique. Quand on parle des coûts indirects, on entend par là le salaire perdu, mais quels sont les autres éléments que vous faites entrer dans les coûts indirects?
Dre Mills: Nous voulons surtout parler du salaire perdu et des invalidités.
Le sénateur Morin: Des invalidités, dans quel sens?
Dr MacLean: Des régimes de retraite. Par exemple, 30 p. 100 des prestations du Régime de pensions du Canada versées à des pensionnaires qui n'ont pas l'âge de la retraite sont attribuables à des maladies cardiaques.
Le sénateur Morin: Voici donc ma question: Si quelqu'un tombe malade à l'âge de 87 ans, quels sont les coûts indirects de la maladie pour cette personne?
Dr MacLean: Les coûts indirects deviennent moins certains.
Le sénateur Morin: Il n'y en a pas? S'il y en a, quels sont-ils? Je vous pose la question par curiosité.
Dr Gully: Il y a des coûts pour la famille. Il s'agit des coûts que la famille doit assumer pour s'occuper de cette personne.
Le sénateur Morin: Ce sont des coûts indirects. En Allemagne, par exemple, où on verse de l'argent à un membre de la famille pour s'occuper de la personne malade, il s'agirait donc d'un coût direct?
Dr Gully: Oui. C'est exact.
Le sénateur Morin: Je vais passer rapidement au Dr Gully. J'ai été surpris de lire à la page 11 de votre mémoire que la population autochtone a un taux de tuberculose plus bas que l'ensemble de la population.
Dr Gully: Il s'agit du pourcentage de cas.
Le sénateur Morin: Ce n'est pas en fonction de la population?
Dr Gully: Non. Ce n'est pas le taux.
Le sénateur Morin: Nous savons que la mesure la plus rentable pour la prévention des maladies chroniques consiste à arrêter de fumer. Dans le cas des maladies qui existent actuellement, quelle serait selon vous la mesure de prévention la plus rentable? Ma question s'adresse au Dr Gully. Pour ce qui est des maladies infectieuses?
Dr Gully: Pour les maladies infectieuses? L'immunisation.
Le sénateur Morin: Mais les maladies pour lesquelles il existe une immunisation sont presque inexistantes. Quelles seraient les mesures à prendre pour une maladie existante?
Dr Gully: Il est rentable de prévenir la maladie. Si nous n'investissions pas dans l'immunisation, alors des maladies aujourd'hui rares referaient sans doute surface.
Si nous devions exclure l'immunisation, je crois que ce serait la réduction de la propagation des maladies transmissibles sexuellement comme le VIH et les pathogènes à diffusion hématogène comme le VIH et l'hépatite C.
Le sénateur Morin: Il existe des mesures rentables pour le faire?
Dr Gully: Il existe des mesures rentables pour le faire. Toutefois, le ciblage de ces mesures est extrêmement important et les stratégies de même que les tactiques doivent changer constamment parce que les individus visés changent constamment. C'est tout un défi.
Dr MacLean: Aimeriez-vous une réponse à certaines de ces questions? Je pourrais rapidement répondre à quelques-unes d'entre elles.
La vice-présidente: Peut-être après que d'autres questions auront été posées.
Dr MacLean: J'aimerais répondre à certaines questions, au sujet notamment du vieillissement et des coûts qu'il suppose. J'aimerais en parler.
La vice-présidente: Vous pourriez peut-être en prendre note, docteur MacLean, et en parler lorsque vous répondrez à une de nos autres questions.
Le sénateur Fairbairn: C'est extrêmement intéressant parce que, d'une façon ou d'une autre, nous vivons tous avec la maladie et nous sommes touchés en nous-mêmes ou par l'intermédiaire des membres de notre famille. Je sais, pour l'avoir vécu dans ma famille, que la prévention est réalisable et très importante. Je me demande si l'information est suffisante dans ce domaine. J'ai bien conscience, comme l'a souligné le sénateur Morin, que nous n'en faisons pas assez dans le domaine du tabagisme. Il est parfois plus facile d'amener les gens à se libérer d'une habitude qui est mauvaise pour leur santé que d'adopter une nouvelle façon de vivre qui se traduira par de bons résultats.
Par exemple, depuis combien de temps avons-nous un guide de nutrition? Les règles de santé qui nous indiquent comment bien nous nourrir existent depuis quelque temps au Canada. Beaucoup de gens ne s'en préoccupent pas jusqu'au jour où ils souffrent de diabète ou d'une autre maladie. Dans le cas du diabète en particulier, quand la maladie est diagnostiquée les bons médecins recommandent, en plus du traitement médical, d'adopter un régime alimentaire sain doublé d'exercice physique.
J'ai constaté dans ma propre famille que cette combinaison produit d'étonnants résultats. En raison des économies que l'on peut ainsi réaliser dans le traitement de cette maladie et de plusieurs autres, cela semble être une solution, bien qu'elle ne soit peut-être pas très scientifique. Comment un médecin ou un politicien peut-il se faire le plus persuasif en la matière? Comment persuader les gens d'adopter des habitudes qui auront un résultat extraordinaire?
J'ai lu les commentaires sur le cancer du sein, de la prostate et des intestins. Les cancers du sein et de la prostate ont bénéficié d'une énorme publicité, de beaucoup d'activités et d'efforts. Vous avez dit, docteur MacLean, que les résultats généraux se sont peu ou pas améliorés. Est-ce parce que nos connaissances étaient insuffisantes auparavant? Pourquoi, malgré les progrès scientifiques et technologiques, affirmez-vous qu'il y a eu peu ou pas de changement dans les résultats?
Dr MacLean: Si vous le voulez bien, je vais d'abord répondre à votre première question. Nous avons pris de nombreuses mesures positives. Je ne dis pas le contraire. L'investissement dans la recherche et le traitement devrait continuer. Cependant, il y a d'autres mesures évidentes que nous n'avons pas prises. Par exemple, chez les femmes japonaises, les pourcentages de cancer du sein et les taux de mortalité qui lui sont reliés équivalent à un sixième du taux de cancer du sein chez les Canadiennes. Nous savons qu'il ne s'agit pas de causes génétiques, puisque l'on enregistre chez les Japonaises qui immigrent au Canada le même taux de cancer que chez les Canadiennes.
Le sénateur Fairbairn: Est-ce le régime alimentaire?
Dr MacLean: Nous ne connaissons pas la cause. Il est prouvé que le taux est beaucoup plus bas, mais nous ne connaissons pas encore la réponse. Nous avons examiné toutes les maladies cardio-vasculaires dans le cadre de l'étude des sept pays qui a permis de définir tout le processus de l'artériosclérose et les facteurs de risque que constituent les lipides et le cholestérol présents dans le sang, etc. Nous n'avons pas accompli d'études analogues dans le domaine du cancer du sein, et pourtant, nous avons injecté des milliards et des milliards de dollars dans la recherche.
Je ne prétends pas que de telles recherches nécessiteraient autant d'argent. Cependant, nous n'avons pas fait les études épidémiologiques de base. Nous avons lancé une énorme campagne de dépistage du cancer du sein et je ne pense pas nécessairement d'ailleurs qu'elle soit inefficace. Toutefois, nous savons par exemple que les Américains pratiquent le dépistage du cancer du sein chez les femmes de moins de 50 ans, bien qu'il n'y ait aucune raison scientifique pour cela. Le dépistage du cancer du sein chez les femmes est probablement utile compte tenu de l'épidémiologie et des origines de la maladie, mais ce n'est pas la panacée et ce ne le sera jamais. Cependant, le dépistage crée ce que nous appelons une «interprétation erronée de la progression», de sorte qu'il semble que l'espérance de vie de cinq années s'est améliorée, alors que c'est simplement que le diagnostic a été fait plus tôt, dans de nombreux cas.
Par conséquent, j'affirme que nous n'avons pas examiné les questions qui me paraissent importantes. Autrement dit, nous avons adopté une approche déséquilibrée par rapport à ces questions. Les soins sont importants. Je ne préconise pas de négliger les personnes malades et qui ont besoin de traitement. Je dis cependant que nous allons tout droit vers l'échec si nous ne ralentissons pas. Nous devons mieux équilibrer le système. Nous ne l'avons pas véritablement fait comme nous l'aurions dû.
Il y a beaucoup d'autres questions que nous pourrions examiner. Personne ne s'est jamais intéressé à l'étude des conséquences sur le cancer de l'estomac. C'est un type de maladie qui était à l'origine de nombreux décès et qui a pratiquement disparu au Canada. Nous pourrions faire la même chose pour le cancer du sein.
Dre Mills: La mortalité due au cancer du sein présente un autre élément relatif à la dose-réponse dont nous avons parlé lorsqu'il était question de prévention primaire. Comme les essais randomisés l'ont prouvé, pour que le dépistage du cancer du sein soit efficace, il faut examiner 70 p. 100 de la population cible tous les deux ans. Cela représente chaque année 35 p. 100 de toutes les femmes du groupe d'âge visé. Nos programmes sont encore relativement nouveaux. Aucun des programmes provinciaux n'est en mesure d'examiner 70 p. 100 de la population cible tous les deux ans. Nous en sommes encore à la phase d'introduction et nous n'avons pas encore atteint le point où nous serons en mesure de connaître des réductions de la mortalité. Néanmoins, nous constatons une diminution des taux de mortalité, mais il est encore trop tôt de l'attribuer aux programmes de dépistage.
Dr Gully: J'aimerais faire un commentaire au sujet de la première question. À mon avis, la promotion de la santé doit s'appuyer sur les sciences sociales. Avec son argument concernant les crédits, le Dr MacLean voulait souligner qu'une bonne promotion de la santé est coûteuse et que nous devons nous inspirer des techniques du marketing. Le Guide alimentaire canadien est une bonne chose, mais si nous étions une entreprise, nous éviterions de produire le même guide année après année. Nous ferions des efforts de marketing et nous le présenterions différemment, à des populations différentes. Nous choisirions de nouvelles perspectives, etc.
Par conséquent, il est juste d'affirmer que la promotion de la santé donne de bons résultats. C'est vrai en théorie, mais en pratique, il faudrait éviter de répéter toujours les choses de la même manière. Il faudrait faire appel aux ressources, faire preuve de souplesse et d'inventivité et réfléchir à la planification des campagnes.
Le sénateur Fairbairn: Compte tenu du potentiel de succès que présente une telle stratégie, il me semble qu'avec un peu plus d'initiative et une plus grande enveloppe budgétaire, nous pourrions améliorer les résultats pour la population et pour chaque groupe d'âge au pays.
Dr MacLean: Tout à fait. Je reconnais que le Guide alimentaire canadien est une bonne chose; c'est un document important, mais son marketing fait pitié. Depuis dix ans, nous n'avons pas dépensé pour sa promotion ce que la compagnie Kellogg dépense en une semaine. Les principes de nutrition ne se répandent pas dans la population par osmose. Si vous voulez amener un changement des habitudes, en particulier chez les gens qui les ont déjà acquises, il faut faire un effort spécial. La plupart des habitudes sont acquises dès l'enfance. Quand je suis devenu adulte, je ne pouvais absolument pas boire du lait écrémé, parce que je n'en aimais pas du tout le goût. Aujourd'hui, mes enfants ne veulent pas toucher au lait entier, parce qu'ils n'en aiment pas du tout le goût.
Beaucoup de choses sont acquises pendant l'enfance. Nous devons inculquer de bonnes habitudes aux enfants, de manière à ne pas avoir à modifier par la suite le comportement des gens. Les bonnes habitudes deviennent des principes de vie saine.
Le sénateur Keon: Vous avez expliqué que nous avons les connaissances scientifiques nécessaires. Nous savons où se trouvent ces connaissances et où sont nos lacunes. Nous savons ce que nos connaissances sont capables et incapables de prévenir. Notre gros problème a été notre difficulté à nous organiser. C'est une excellente présentation sur la santé de la population, mais comme nous l'avons vu, il y a un cloisonnement entre les différents intervenants, ceux qui se préoccupent de la santé de la population et le personnel provincial des soins de santé. C'est l'effet de silo. Par conséquent, nous ne pouvons pas nous attaquer à ces grandes maladies avec tous les moyens dont nous disposons. Nous nous connaissons depuis très longtemps et vous savez que c'est un de mes chevaux de bataille.
Laissez-moi vous demander comment notre comité du Sénat pourrait inciter les autorités provinciales et fédérales à utiliser les connaissances scientifiques que nous avons, à arrêter d'investir de l'argent pour acquérir les connaissances scientifiques qui nous manquent et à financer notre système de soins de santé en mettant l'accent sur des programmes cibles importants afin de prendre toutes nos décisions sur les objectifs scientifiques que nous voulons atteindre. Comment pouvons-nous y parvenir?
Dr MacLean: J'aimerais bien le savoir. Nous avons absolument besoin d'une infrastructure pour la prestation des programmes. Pour les soins, l'infrastructure existe. Même en Nouvelle-Écosse, si vous tombez, que vous vous cassez la jambe à la campagne, on viendra vous chercher dans l'ambulance la plus moderne pour vous conduire à l'hôpital où vous serez soigné par toutes sortes de spécialistes et dans les meilleures installations. Cette énorme infrastructure existe et fonctionne. En revanche, dans le même village, la prévention est totalement nulle. Il n'existe personne et aucune infrastructure pour la prévention. Nous devons nous pencher sur cette question d'infrastructure et de politique.
À mon sens, la réforme de la santé a notamment pour conséquence regrettable de détruire le système de santé publique du pays qui n'est plus déjà que l'ombre de ce qu'il était il y a 20 ans. Il continue d'être marginalisé par la concentration du financement dans le traitement des malades. Il ne reste plus que la structure de contrôle des maladies contagieuses qui est elle-même très fragilisée, comme nous l'a démontré la crise de Walkerton.
Je souhaiterais que le gouvernement fédéral revienne à sa traditionnelle façon d'influencer les provinces, par les programmes à frais partagés. Le gouvernement fédéral pourrait commencer par se donner pour priorité d'augmenter l'infrastructure de la prévention, étant donné qu'il doit collaborer avec les provinces sur ces questions. Le financement permettrait d'établir et d'entretenir l'infrastructure. Le gouvernement pourrait commencer par le financement.
En matière de santé publique, le processus de coûts partagés n'a jamais existé. Divers aspects tels que l'hospitalisation et le traitement par un médecin ont été réglés, mais certains affirment que notre système est bancal car il ne repose que sur deux piliers. Nous devons lui ajouter un troisième pilier, en l'occurrence le partage des coûts de certaines infrastructures de base qui permettraient d'encourager la prévention.
Le système de santé publique actuel ne peut pas assumer ce rôle, mais il pourrait se doter de nouveaux instruments s'il disposait des ressources et du mandat appropriés pour le faire. Au Canada de nos jours, le mandat et les responsabilités des autorités de la santé publique portent sur le contrôle des maladies transmissibles mais absolument pas sur celui des maladies non transmissibles. On pourrait commencer par là.
Il nous faut des fonds pour la recherche. Certaines recherches se font déjà sur ces questions. Je suis très heureux de l'existence des Instituts de recherche en santé du Canada et des grosses augmentations de budget qu'ils ont obtenu, mais je suis aussi très sceptique quant à la part de ces budgets qui ira à la promotion de la santé et à la prévention des maladies, etc. Je travaille dans une école de médecine où l'on trouve toutes sortes de spécialistes des sciences fondamentales qui n'arrêtent pas de sourire et de se frotter les mains.
Dr Gully: Je suis un médecin de la santé publique, comme les Drs MacLean et Mills. Mes collègues en Angleterre s'intéressent au système de soins de santé et analysent sa rentabilité. Ils sont en mesure d'effectuer cette analyse à la lumière des sciences épidémiologiques et d'autres sciences et l'infrastructure est habituée à cette façon de fonctionner au Royaume-Uni.
Ce n'est pas le cas au Canada. Il n'existe aucune tradition en ce sens. De fait, l'infrastructure de la santé publique n'est pas assez solide pour offrir un tel appui au système de soins de santé. Imaginez cette possibilité. Il est difficile pour des médecins de la santé publique de s'adresser à des cliniciens, mais pourtant, c'est peut-être ce que nous devrons faire. Ce sera peut-être le moyen d'obtenir la base ou l'analyse scientifique dont nous avons besoin.
Le sénateur Keon: J'aimerais vous poser une question importante, docteur Gully, espérant que cela ne vous placera pas dans une situation délicate puisque vous n'y avez peut-être pas réfléchi dernièrement. À l'époque où je siégeais dans divers comités consultatifs, une des grandes questions qui revenait toujours sur la table concernait le dispositif global de protection. La question revenait sur le tapis chaque fois qu'on était confronté à une crise environnementale ou une grosse épidémie de maladie infectieuse, mais il me semble que nous ne nous sommes jamais organisés pour mettre un système sur pied, par l'intermédiaire de l'Organisation mondiale de la santé ou d'un autre organisme. Lorsqu'il se produit quelque chose, nous filons à Atlanta ou à Dalhousie pour trouver une solution; nous filons à Winnipeg pour tenter de parer au plus pressé. Mais nous n'avons pas encore de dispositif global de protection.
Pouvez-vous nous parler des mesures d'hygiène publique concernant les maladies infectieuses et les menaces environnementales?
Dr Gully: C'est un problème évidemment et il est toujours difficile d'équilibrer les ressources entre les questions urgentes et les maladies chroniques. Je pense que nous avons fait peut-être quelques progrès, surtout sur le plan du laboratoire de Santé Canada à Winnipeg qui est sans aucun doute plus actif et plus à même qu'auparavant de juguler des menaces extérieures telles que le virus Ebola.
Par ailleurs, grâce aux Instituts de recherche en santé du Canada, les scientifiques du gouvernement pourront désormais avoir accès à ces fonds, en faire la demande ou présenter une soumission afin d'effectuer des recherches ayant une importance nationale pour l'hygiène publique, comme c'est le cas au laboratoire de Winnipeg et dans d'autres établissements. L'infrastructure s'améliore, mais il est toujours difficile d'obtenir des fonds d'urgence pour parer aux nouvelles menaces.
Cette année, la surveillance du virus du Nil occidental coûtera 2,5 millions de dollars. Il faudra bien trouver cet argent quelque part. Sinon, il faudra le prendre ailleurs. Ce virus n'a pas une grande incidence sur le plan de la mortalité et peut-être même de la morbidité. En revanche, le public canadien veut être tenu au courant et c'est cela qui coûte cher. Nous sommes peut-être mieux organisés que par le passé, grâce au laboratoire de Winnipeg, mais nous avons encore beaucoup de chemin à faire.
Pour ce qui est de l'infrastructure de l'information, les fonds injectés dans ce domaine par le gouvernement fédéral auront certainement un effet positif, si bien que la création de réseaux et l'échange et la collecte d'informations entre les provinces et territoires ainsi que sur Internet sont en progrès, ce qui représente une amélioration.
Le sénateur Keon: Mais il n'y a toujours pas de structure? Il n'y a toujours pas de liens mondiaux.
Dr Gully: Vous voulez dire des liens avec d'autres pays?
Le sénateur Keon: Oui.
Dr Gully: Un des problèmes c'est qu'on se tourne souvent vers l'OMS qui a une meilleure infrastructure pour le contrôle de maladies infectieuses qu'auparavant, mais l'OMS n'est pas suffisamment financée. C'est pourquoi, les organismes de contrôle des maladies infectieuses mieux financés tels que le CDC sont souvent inévitablement en mesure d'offrir leurs ressources avant les autres établissements tels que les nôtres, même si, à l'échelle internationale, ils souhaiteraient souvent bénéficier de la participation du Canada. Cependant, le fait de ne pas disposer d'une infrastructure très solide à l'OMS n'aide pas à l'établissement d'une infrastructure mondiale.
Le sénateur Robertson: Le sénateur Morin a posé une question sur le coût très élevé de la dernière année de vie. J'ai eu l'occasion, docteur MacLean, de feuilleter votre document et j'y ai trouvé votre référence à la Finlande. Est-ce que le même pourcentage s'applique également en Finlande?
Dr MacLean: Cela se pourrait très bien, dans le sens que les Finlandais ont été confrontés à des problèmes beaucoup plus graves que nous au début des années 70. Je répète que ce sont des processus morbides. La neutralisation de ces processus ne signifie pas bien sûr que nous pourrons échapper à la mort. Nous succomberons comme il se doit au processus de vieillissement. Par exemple, les crises cardiaques, les hémorragies cérébrales, etc., sont les résultats de l'artériosclérose ou durcissement des artères, qui est un processus morbide. Le système cardio-vasculaire vieillit, mais ce n'est pas un processus morbide. Le processus morbide se traduit par des crises cardiaques et des congestions cérébrales; le résultat du processus de vieillissement est l'arrêt cardiaque. C'est le cas typique d'une personne âgée de 90 ans qui meurt dans son sommeil d'un arrêt cardiaque. La crise cardiaque ou la congestion cérébrale est un problème de santé qui vous contraint à passer dix années de votre vie à vous soigner. C'est une sorte de processus idéalisé.
Si vous consultez les études existantes -- j'en ai citées plusieurs -- vous constaterez que les individus qui présentent le moins de risque et qui mènent une vie plus saine, qui sont actifs physiquement, qui mangent mieux et ne fument pas, coûtent beaucoup moins d'argent, quel que soit leur groupe d'âge, même au cours de la dernière année de leur vie.
J'ai cité une étude qui donne le cas d'une OSSI -- organisation de soins de santé intégrés -- des États-Unis qui avait procédé au classement de ses patients en divers ensembles regroupant ceux qui n'étaient pas obèses, qui ne fumaient pas, qui faisaient de l'exercice au moins trois fois par semaine, ce qui n'est pas beaucoup, et ceux qui fumaient, qui étaient obèses et qui ne faisaient pas d'exercice. Ces patients ont été observés pendant huit ans. L'organisation a dépensé deux fois moins en soins de santé pour les personnes menant une vie saine. Au Canada, nous dépensons 86 milliards de dollars. Une simple extrapolation révèle que nous pourrions économiser 40 milliards de dollars. Je comprends que cette extrapolation est impossible pour vous, mais cela représente beaucoup d'argent et ce sont des buts réalisables.
Le sénateur Morin: Est-ce que vous parlez de la dernière année d'existence?
Dr MacLean: Non, il ne s'agit pas de la dernière année d'existence, mais j'essaie de démontrer qu'il est possible de rendre la dernière année d'existence beaucoup moins coûteuse qu'elle ne l'est actuellement.
Le sénateur Robertson: On parle beaucoup de la longévité viable, au niveau international. J'ai été fascinée par certaines données statistiques et je me demande quel est leur degré de précision et dans quelle mesure elles s'appliquent à ce que nous faisons. À l'école, les enfants ne font même plus d'exercice. C'est vraiment dommage de ne pas leur donner plus tôt de bonnes habitudes.
Le débat est rafraîchissant et intéressant et j'aimerais avoir plus de temps. Je crois personnellement que nous devons mettre l'accent sur cet aspect pour encourager la santé de la population.
Il me semble que la dernière année de la vie est très importante. Je me demande si l'on a comparé les systèmes de prestation de soins de santé en milieu rural et en milieu urbain. Est-ce qu'il existe des statistiques sur les différences? Beaucoup de personnes âgées continuent d'habiter dans les localités rurales. Ce sont généralement les jeunes qui s'installent dans les villes.
Dr MacLean: Il existe des données sur les différents taux de maladie, mais étonnamment, la situation est assez homogène au pays et s'il existe des différences entre les secteurs urbains et les secteurs ruraux, elles ne sont pas aussi grandes que vous le pensez.
Le sénateur Robertson: Depuis quelques années, on a beaucoup entendu parler de la sécurité des enfants à la maison. Est-il toujours vrai que la plupart des accidents et des problèmes se produisent à la maison? N'a-t-on pas réussi à éduquer les parents sur la façon de maintenir la sécurité au foyer?
Mme Nancy Garrard, directrice de la Division du vieillissement et des aînés, Santé Canada: Les blessures sont à la baisse chez les enfants grâce à l'éducation à la sécurité au foyer ainsi que grâce au siège-auto et à la prudence au volant. Les collisions de véhicules automobiles ont nettement diminué. Nous estimons qu'il est encore possible de prévenir beaucoup d'autres problèmes en améliorant la sécurité des produits et la sécurité des terrains de jeux ainsi qu'en faisant la promotion générale des environnements sûrs et de l'éducation des parents. La surveillance des enfants permet de réduire les accidents, ainsi que les collisions d'automobiles liées au manque d'expérience et à l'alcool au volant.
Le sénateur Robertson: Parlons des produits chimiques contenus dans les produits domestiques de nettoyage. Est-ce que l'on prend des mesures à ce sujet?
Dr Gully: Je ne peux pas vous donner d'information à ce sujet mais je peux les obtenir pour vous. Nous pouvons consulter le système de surveillance qui contient des données sur les accidents impliquant des enfants et causés par des produits ménagers.
Le sénateur Robertson: Dans les écoles de médecine, quel est le pourcentage de l'enseignement qui porte sur la prévention?
Dr MacLean: Malheureusement pas autant qu'on le souhaiterait. Je ne peux parler que de mon école de médecine. Nous avons fait des avancées. Mon propre département qui est en grande partie responsable de ce type de programmes scolaires a augmenté les heures d'instruction dans ce domaine depuis sept ou huit ans. Cependant, cela pose problème puisque le temps d'enseignement est jalousement gardé et il est difficile d'intégrer des cours de prévention dans le programme. Au début de leurs études de médecine, les étudiants sont assez intéressés, mais leur intérêt diminue lorsqu'ils passent aux choses sérieuses. Cependant, ils y sont sensibles au début et c'est à ce moment-là que nous essayons de semer quelques graines.
Je crois que c'est dans le domaine de la nutrition que les lacunes sont les plus graves. La plupart des médecins n'ont malheureusement pas suffisamment de connaissances pour donner des conseils raisonnables à leurs patients.
Le sénateur Robertson: Sur la nutrition et le vieillissement.
Dr MacLean: Oui.
Le sénateur Cook: Merci pour votre exposé extrêmement instructif. Il y a un sujet dont il n'a pas été beaucoup question et qui pourtant, à mon avis, a de grandes répercussions sur le sujet du débat d'aujourd'hui. Je veux parler de la pauvreté, en particulier de la pauvreté des enfants. C'est très bien de parler du Guide alimentaire canadien. Il coûte beaucoup d'argent. Si les enfants vivent dans la pauvreté, leurs parents aussi, que ce soit dans les familles monoparentales ou les familles où les deux parents sont présents.
Est-ce que vous vous êtes intéressé à la pauvreté en tant qu'obstacle au bien-être et à la santé des collectivités? Je crois que les données ne manquent pas dans les programmes scolaires qui proposent des petits-déjeuners aux élèves, puisque la faim a une incidence sur la capacité d'apprentissage et je suis certaine que nous en paierons le prix plus tard.
Par ailleurs, l'usage du tabac dans les familles à faible revenu a également des répercussions. Nous devons nous en inquiéter pour la prochaine génération. J'ai le regret d'annoncer que cette semaine le ministère de l'Éducation de ma propre province de Terre-Neuve a supprimé les programmes d'éducation physique, de musique et d'art. Et pourtant, voilà bien trois disciplines qui contribuent à bâtir des collectivités saines.
J'attends vos commentaires.
Dr MacLean: Vous avez absolument raison. Comme nous le disons en épidémiologie, la stratification des résultats du risque et de la maladie est étroitement liée à la situation socio-économique. On le voit clairement dans ma province de Nouvelle-Écosse. Certaines études auxquelles j'ai participé le démontrent clairement.
De même, le niveau d'alphabétisation est étroitement lié à la pauvreté. Il influe directement sur la capacité des gens à comprendre les messages de promotion de l'hygiène et de prévention des maladies. Les études l'ont également très clairement démontré. Nous savons que les personnes qui profitent le plus des campagnes de prévention des maladies et de promotion de la santé sont, comme pour beaucoup d'autres choses, celles qui appartiennent aux catégories socio-économiques supérieures. Il est évident que nous devons cibler les autres couches de la société et c'est un aspect sur lequel je souhaiterais accroître les recherches. Je travaille dans ce domaine depuis 20 ans et je peux vous dire franchement que je ne sais pas vraiment comment cibler les couches socio-économiques inférieures ni comment y faire parvenir nos messages. Les pauvres en bonne santé, ça n'existe nulle part.
Le sénateur Morin: Est-ce la pauvreté ou le manque d'instruction?
Dr MacLean: D'un point de vue épidémiologique, le rapport est plus étroit avec le degré d'éducation qu'avec le niveau de revenu, mais je pense qu'il y a une grande interaction entre les deux.
Le sénateur Morin: D'après vous, est-ce plutôt le manque d'instruction ou la pauvreté?
Dr MacLean: C'est difficile à dire. Je crois qu'il existe divers degrés de pauvreté. Il existe un degré de pauvreté où même les personnes éduquées ne peuvent rester en bonne santé.
Dr Clarence Clottey, directeur général par intérim, Division du diabète, Centre de prévention et de contrôle des maladies chroniques, Santé Canada: La question de la pauvreté est certainement importante et a une incidence générale sur notre capacité à offrir de manière durable des services de promotion de la santé et de prévention. Depuis quelques décennies, le secteur de la santé publique s'est livré à des interventions à caractère plutôt paternaliste. Nous avons présenté l'éducation à la santé comme une sorte de commandement. Nous avons compris qu'il est important de présenter le comportement souhaitable dans un contexte qui permet à chacun de faire les bons choix. C'est seulement de cette manière que l'on peut espérer obtenir de bons résultats.
La pauvreté est un obstacle très important à l'établissement du juste contexte qui permet aux gens de faire des choix sains. Ce facteur va à l'encontre de certains de nos efforts visant à encourager des habitudes saines. La pauvreté est un aspect crucial que nous devons confronter dans nos efforts de promotion de la santé et de prévention.
Le sénateur Kirby: Si le gouvernement fédéral mettait à notre disposition de nouveaux crédits de 100 millions de dollars ou un montant équivalent et nous demandait de lui recommander comment utiliser cet argent dans le domaine de la prévention, à quel aspect souhaiteriez-vous consacrer ces crédits, sachant qu'il faudrait bien sûr faire des choix?
Le sénateur Morin: Permettez-moi de vous poser une question avant de vous laisser répondre à celle du sénateur Kirby. Qu'entendez-vous par appuyer l'infrastructure? Vous avez déclaré un peu plus tôt que le gouvernement fédéral devrait appuyer l'infrastructure. Qu'entendez-vous par là?
Dr MacLean: Je voulais dire que nous pourrions dépenser l'argent autrement que dans des campagnes de marketing social.
Le sénateur Kirby: Il ne serait plus question du Suédois de 60 ans?
Dr MacLean: Pas nécessairement. À mon sens, les mesures de prévention et la capacité à mener une existence saine ont une plus grande incidence sur les administrations municipales. En effet, ces dernières craignent les questions de santé car elles ne veulent pas en assumer les coûts dans leurs budgets. Pourtant, ce sont les administrations municipales qui fournissent essentiellement l'infrastructure qui peut favoriser la santé ou au contraire lui faire obstacle. Et dans notre pays, c'est malheureusement le plus souvent un obstacle. Par conséquent, l'infrastructure joue un assez grand rôle.
Je fais des recherches à l'échelon communautaire et nous disposons en Nouvelle-Écosse d'un programme actif de recherche. Nous travaillons avec les groupes communautaires et les coalitions. Nous créons des coalitions qui réunissent l'infrastructure et la capacité existantes, par exemple des organisations telles que la Fondation des maladies du coeur et la Société du cancer. Les fonds de recherche me permettent de leur offrir un soutien dans toutes sortes de domaines, du soutien administratif au soutien de la recherche. Nous faisons beaucoup de choses; nous élaborons des programmes, nous exerçons des pressions auprès des administrations municipales au sujet des règlements concernant le tabac, nous construisons des pistes de conditionnement physique, nous travaillons avec les écoles, et cetera. Nous avons créé une infrastructure et mis sur pied un grand site Web consacré à la promotion de la santé. Il contient toutes sortes d'informations qui sont mises à la disposition des membres de la collectivité. Par conséquent, l'infrastructure facilite l'accès à l'information.
L'appui se présente aussi sous la forme de la transmission des compétences appropriées au personnel. Ce ne sont pas nécessairement les médecins qui se chargent du développement communautaire et de la constitution des groupes. Il faut faire appel à d'autres professionnels de la santé qui ont les compétences nécessaires dans ce domaine.
C'est pourquoi, je dirais qu'il faut consacrer des fonds à l'infrastructure. Je suis convaincu que si nous disposions chaque année au Canada de 100 millions de dollars, soit environ trois dollars par personne, nous serions probablement en mesure de réduire de moitié le pourcentage de maladies cardiaques d'ici dix ans. La réduction serait sans doute de 50 p. 100 en dix ans. Je m'appuie pour faire cette extrapolation sur des recherches que nous avons faites en Nouvelle-Écosse. Si l'investissement était porté à cinq dollars par personne, les maladies cardiaques deviendraient même éventuellement des troubles rares d'ici 15 ans. Je risque de passer pour un fou, mais je suis convaincu que nous pourrions y parvenir. Dans des pays comme le Japon et beaucoup d'autres pays d'Asie, la cardiopathie ischémique ou crise cardiaque est vraiment très rare.
Dr Gully: Je suis d'accord, mais je ne connais pas bien les chiffres. Une fois que nous aurons bâti l'infrastructure durable nécessaire aux recherches et que nous disposerons des données utiles, il faudra ensuite réunir les infirmières et médecins de la santé publique et les éducateurs. Ce personnel peut par la suite utiliser les résultats de la recherche afin de lutter contre les maladies chroniques, les maladies transmises sexuellement, les troubles liés au style de vie, etc. Cependant, il faut entretenir l'infrastructure parce que nous devons disposer d'une capacité de surveillance de la population afin de suivre l'évolution des maladies et d'être capables d'intervenir. Cette tâche est impossible si nous n'avons pas l'infrastructure nécessaire.
Le sénateur Morin: L'infrastructure, c'est les gens?
Dr Gully: Oui, dans une large mesure, l'infrastructure, c'est les gens.
Le sénateur Kirby: Permettez-moi de vous poser une dernière question: Je suis intrigué par votre exemple du lait écrémé qui d'ailleurs me paraît très juste, quand on connaît les enfants. Si vous voulez vraiment obtenir des résultats à long terme, ne serait-il pas préférable d'oublier les vieux comme moi et de concentrer tous les efforts de prévention sur les jeunes? Autrement dit, nous, nous allons finir par disparaître sans trop tarder et, compte tenu de l'exemple de vos enfants, pourquoi ne pas miser tous les crédits sur les jeunes, quand on sait qu'un comportement acquis de bonne heure demeure la vie entière?
Le sénateur Graham: Je suis certain que le sénateur Kirby parle uniquement pour lui.
Dr Gully: Qui influence les enfants? Les parents, les grands-parents, les oncles et les tantes influencent les enfants.
Dr MacLean: J'ajouterais également que d'un point de vue statistique, c'est parmi les gens chez lesquels on observe les taux de maladie les plus élevés que l'on obtient les résultats les plus rapides. L'investissement chez des gens de 50 ans produira d'excellents résultats en matière de réduction des pourcentages de maladie et d'amélioration de la santé.
Dr Clottey: À mon avis, il y a beaucoup à gagner dans tous les groupes d'âge. Prenons l'exemple du diabète. Nous remarquons souvent que la prévalence et l'incidence du diabète augmentent considérablement après 40 ans. Pourtant, les risques de complications chez les diabétiques augmentent avec l'âge. Cependant, il est possible de prévenir ces complications de la même manière que l'on peut prévenir le diabète chez les jeunes. Par conséquent, ce type de traitement offre une multiplicité d'avantages dans tous les groupes d'âge.
Mme Garrard: Au sujet du succès de l'infrastructure, j'aimerais ajouter qu'il est important de se l'approprier et d'assumer les responsabilités en matière d'information. Si nous avions publié régulièrement des informations sur l'état de santé de la nation, précisant pas seulement comment meurent les Canadiens, mais comment ils vivent, en en acceptant la responsabilité, nous aurions galvanisé les énergies des individus et des collectivités. Les enfants, le système d'éducation publique, les services communautaires, tout le monde aurait été concerné. Par conséquent, il est important de s'appuyer sur l'infrastructure et il n'est jamais trop tard, ni trop tôt pour changer.
Le sénateur Graham: On dit que les maladies infectieuses telles que la tuberculose et la pneumonie sont de plus en plus résistantes aux médicaments antimicrobiens. Comment expliquez-vous cela?
Dr Gully: Il y a trois raisons: la première est une raison médicale dans le sens que certains médecins n'utilisent pas de manière appropriée les médicaments antimicrobiens. Je pense cependant que la situation a changé et certains indices dénotent une amélioration en ce sens au Canada. Deuxièmement, il y a le mauvais usage des médicaments antimicrobiens dans le secteur agricole et dans ce domaine, je crois que nous avons beaucoup de chemin à faire, car de nombreuses recherches ont prouvé que des organismes résistants découverts chez les animaux peuvent certainement se transmettre aux humains et les infecter. L'autre aspect se rapporte aux maladies telles que la tuberculose résistant aux médicaments. Ces maladies nécessitent l'absorption de médicaments antimicrobiens pendant de longues périodes. Elles exigent également une grande infrastructure de santé publique afin de veiller à ce que les malades prennent leurs médicaments jour après jour pendant au moins six à neuf mois.
Au Canada, l'infrastructure est assez bonne, bien que la situation soit moins positive chez les Premières nations. La véritable menace vient de l'étranger, surtout d'Europe de l'Est ou de Russie où les cas de tuberculose résistant aux antituberculeux courants posent un grave problème. L'importation de ces infections et maladies résistant à de nombreux médicaments est un problème. C'est donc un problème qui touche le système de soins de santé et le système de santé vétérinaire, ainsi qu'un problème global.
Cependant, on peut résoudre ce problème en consacrant suffisamment de fonds à la recherche d'une solution, comme cela s'est fait à New York qui était aux prises avec un grave problème de tuberculose résistant aux antituberculeux courants. Là encore, cependant, il faut investir dans l'infrastructure de la santé publique.
Le sénateur Graham: Est-ce que Santé Canada a publié ou a l'intention de publier un avis aux voyageurs qui se rendent au Royaume-Uni?
Dr Gully: Au sujet de la consommation de boeuf?
Le sénateur Graham: Un avis aux voyageurs qui se rendent au Royaume-Uni ou qui en reviennent.
Dr Gully: Le site Web de Santé Canada contient des informations sur la consommation de boeuf au Royaume-Uni. Il y a des observations à ce sujet.
Pour ce qui est des autres maladies, je ne pense pas qu'un avis aux voyageurs ait été émis pour le Royaume-Uni. Cependant, des avis aux voyageurs sont publiés chaque jour pour les autres pays du monde.
Le sénateur Graham: J'ai posé cette question en raison de la maladie de la vache folle et de la fièvre aphteuse.
Dr Gully: Il y a bien sûr un avis aux voyageurs qui met en garde contre la consommation de boeuf au Royaume-Uni.
La vice-présidente: Chers collègues, il me reste à remercier nos témoins. Comme l'a dit le sénateur Robertson, nous aurions pu poursuivre encore pendant deux heures. La séance a été des plus intéressantes.
Demain, nous nous réunissons à huis clos.
La séance est levée.