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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 22 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 13 juin 2001

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit ce jour à 15 h 35 pour examiner l'état du système de soins de santé au Canada.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nous avons le quorum. Je tiens à remercier tous nos témoins, notamment la professeure Flood, qui est venue de Suisse pour s'entretenir avec nous.

Notre séance d'aujourd'hui consiste en une table ronde avec un groupe d'éminents témoins. Quels enseignements le Canada peut-il tirer des systèmes de soins de santé des autres pays? Devrions-nous adopter certaines de leurs façons de faire? Y a-t-il au contraire des choses que nous devrions éviter?

Nous avons fait effectuer des recherches comparatives à l'intention du comité. Nous avons aussi tenu une série très intéressante de vidéoconférences avec la Suède, le Royaume-Uni et l'Allemagne. Non seulement nous avons pu recevoir des documents de recherche écrits, mais nous avons aussi pu discuter avec divers experts.

Nous avons l'intention aujourd'hui d'avoir un débat général autour des cinq questions que nous vous avons soumises.

Vous avez la parole pour vos remarques d'ouverture.

M. Claude Forget, ancien ministre de la Santé: Préférez-vous que nous abordions ces cinq questions dans nos remarques liminaires?

Le président: Oui. Vous pouvez dire tout ce que vous voulez, mais nous préférerions que vous vous en teniez à ces cinq questions. Vous pouvez prendre cinq ou six minutes chacun pour vos déclarations initiales. Cela devrait nous prendre environ une demi-heure et nous permettre ensuite d'avoir un débat intéressant.

M. Forget: La première que vous avez posée était la suivante: «En quoi les systèmes de soins de santé des autres pays diffèrent-ils de celui du Canada et quelles sont les conséquences de ces différences sur des problèmes comme la limitation des coûts»?

Il doit être évident, à la lumière des textes aussi bien que des commentaires oraux que vous avez entendus il y a quelques semaines, que les différences d'un système à l'autre, en tout cas parmi les pays auxquels nous songeons actuellement, sont relativement ténues.

Il faut faire la distinction entre les différences concernant les systèmes de santé eux-mêmes, et les différences entre les sociétés. Il faut prendre en compte les éléments fondamentaux des sociétés qui représentent le contexte de ces systèmes.

J'ai récemment rencontré des dirigeants d'organisations de soins de santé aux États-Unis et des hauts fonctionnaires américains responsables des soins de santé. J'ai été frappé par la similitude des problèmes auxquels nous sommes confrontés, des objectifs que nous nous fixons, par exemple la limitation des coûts, et même des outils que nous utilisons. Cela n'enlève rien toutefois aux différences entre nos systèmes, car ces systèmes et les problèmes auxquels ils sont confrontés sont perçus dans le contexte de sociétés très différentes.

Par exemple, les Américains sont plus riches et peuvent dépenser plus d'argent et mieux payer les personnes. C'est une société plus procédurière et cela a toutes sortes de conséquences. C'est une société qui tolère plus l'exclusion et les disparités, et cela se traduit par des problèmes de manque de couverture, et cetera.

Toutefois, nos systèmes sont confrontés aux mêmes réalités et essaient de faire face à ces réalités. C'est encore plus vrai dans le cas des systèmes européens. On retrouve dans ces systèmes de nombreuses similitudes et de nombreuses frustrations analogues. Il y a cependant une différence que je voudrais souligner.

Il est flagrant que certaines sociétés, au moins en Europe de l'Ouest, ont abordé les problèmes de leurs systèmes de santé d'une manière peut-être plus pragmatique. Ces sociétés ont mis à l'essai ou essayé de concevoir de nouvelles démarches.

Cette évolution ne s'est pas faite de façon linéaire, car, comme ces systèmes sont étroitement liés à la vie politique du pays, ils ont subi diverses fluctuations. Je fais allusion ici à l'expérience de Stockholm en Suède et au plafonnement des listes d'attente. Je pense aussi au marché interne de Grande-Bretagne et à la façon dont il a été démantelé lorsque le gouvernement a changé.

Dans bien des cas, on essaie des solutions pragmatiques. Toutefois, étant donné les liens étroits entre ces systèmes et le monde politique de ces pays, ces tentatives sont fragiles.Même quand elles sont réussies, ces expériences ne sont pas nécessairement maintenues.

Je ne critiquerai certainement pas un système qui essaierait de nouvelles solutions et qui changerait d'avis en constatant qu'elles ne sont pas efficaces. Toutefois, ce n'est pas ce qui s'est passé. C'est pour des raisons idéologiques, à cause de leurs liens étroits avec le système politique de ces pays, que les systèmes ont échoué.

Nous sommes jusqu'à un certain point victimes du même défaut. Nous devrions être conscients du risque qu'il y a à avoir un système public qui est à la merci des caprices de la vie politique. Quand le système de soins de santé est lié au système politique, il ne peut pas appliquer une méthode pragmatique de gestion des problèmes. C'est un sérieux handicap dans notre système public. Le système public semble moins satisfaisant pour l'utilisateur que le système privé.

Je laisse de côté toutes les questions de distribution et d'accès. Il est certain qu'il y a des différences dans la gestion des systèmes.

La deuxième question est la suivante: «Pouvons-nous tirer des enseignements de l'expérience d'autrui»? Ma réponse est oui, c'est possible.

Reste à savoir si nous pourrions mieux réussir à éviter le piège que je viens de vous décrire. Je constate en lisant les témoignages que vous avez entendus, notamment sur l'expérience de gestion privée des hôpitaux à Stockholm, qu'il y a un facteur dont on ne parle pratiquement jamais au Canada. Ce facteur, c'est l'influence croissante du droit de la concurrence européen sur la nature du système de soins de santé.

Le droit européen interdit les monopoles dans quelque secteur que ce soit. C'est pourquoi divers systèmes nationaux ont dû s'ouvrir alors qu'ils ne l'auraient pas fait s'ils avaient été régis simplement par une législation nationale.

L'expérience de la Suède, avec divers tickets modérateurs pour les hôpitaux et les cliniques de soins primaires, a été une incitation à explorer diverses voies. C'est quelque chose d'illégal au Canada, et je trouve que c'est regrettable car cela pourrait être utile au système de soins de santé de notre pays.

L'expérience du plafonnement des listes d'attente en Suède a été très intéressante. Elle semble avoir eu des conséquences assez radicales. La sous-traitance de certains types de services a aussi été une expérience intéressante pour les hôpitaux.

L'expérience du marché intérieur qui a été menée sans grand enthousiasme au Royaume-Uni, et ensuite abandonnée, constitue à mon avis la meilleure tentative jamais accomplie pour accorder plus de poids aux préférences et aux demandes des utilisateurs plutôt qu'à celles des professionnels et des gouvernements. Mon épouse et moi-même avons écrit un livre à ce sujet. Je demeure convaincu que c'est la meilleure solution. Ce ne serait pas la panacée, mais c'est une solution intéressante.

La troisième question est la suivante: «Combien de pays ont été en mesure d'élargir la protection dont bénéficie leur population»? L'Allemagne est un bon exemple de pays qui a élargi la couverture générale. La richesse relative est probablement un facteur qui intervient en Allemagne, mais il y a aussi un vaste consensus sur la nécessité de cette vaste couverture.

Je préférerais ne pas répondre à la deuxième partie de la question qui porte sur la corrélation entre les résultats obtenus sur le plan de la santé et le niveau ou la portée de la couverture d'assurance pour les soins publics. Je pense que personne n'est en mesure de déterminer la relation empirique sur laquelle il faudrait se fonder. Personnellement, je pense que l'élargissement de la couverture est essentiellement une décision politique. Cela fait partie d'un programme politique, mais on ne peut pas le prouver par des résultats.

Votre dernière question est la suivante: «Que peut faire le gouvernement fédéral»? J'aimerais m'écarter un instant de ces questions.

Jusqu'à présent, nous avons eu une situation binairerelativement simple. On peut en dire autant de tous les pays auxquels nous nous comparons. Autrement dit, tout l'objectif du système de santé national a consisté à assurer un accès financier et géographique aux patients. L'accès existe ou il n'existe pas. C'est tout noir ou tout blanc.

Or, le monde devient de plus en plus complexe. On se rend compte, dans certains pays du moins, que le problème de la qualité est pluridimensionnel et qu'on ne peut plus s'en tenir à des situations où tout est blanc ou noir. La question n'est pas de savoir si l'on a accès, mais quel genre d'accès on a. Nous avons perdu notre innocence à la suite de crises comme celle du sang contaminé qui a frappé tous les pays occidentaux. Le public est aussi de plus en plus informé des erreurs et des accidents.

Il y a deux ans, le U.S. Institute of Medecine a publié un ouvrage assez célèbre intitulé «To Err is Human» (l'erreur est humaine). On estime qu'environ 50 000 Américains meurent chaque année prématurément à la suite d'erreurs qui auraient pu être évitées. Les erreurs de médication tuent plus de gens que les accidents industriels.

Ces chiffres ont fait bondir l'opinion publique, mais ils ne font que confirmer tout ce que l'on entend raconter de part et d'autre. Dans ce monde de différences qualitatives, il est grand temps de prendre des initiatives.

Pas plus tard que cette année, le Institute of Medecine a publié Crossing the Quality Chasm: A New Health System for the 21st Century, un ouvrage qui comporte des recommandations que je vous exhorte vivement à étudier. Ces recommandations répondent à beaucoup de vos questions. Naturellement, toute recommandation est discutable et ne représente qu'un point de vue particulier. La publication d'indicateurs et d'information sur la santé permet d'avoir une certaine notion de la qualité mais, si elle ne s'appuie pas sur un recours beaucoup plus systématique à la technologie, elle n'ira pas très loin. Les données recueillies par d'autres moyens coûtent très cher; leur qualité est discutable; et quelles que soient les normes que l'on établit, on n'est pas en mesure de déterminer si elles sont suivies.

Par conséquent, avant d'entreprendre quoi que ce soit de sérieux sur les soins de qualité, il faut avoir l'architecture et la classification nécessaires pour appuyer un système international. Nous n'avons pas besoin d'un ensemble de logicielsprédéterminés pour évaluer la qualité, mais nous avons besoin de l'architecture et des outils de classement nécessaires pour permettre à des personnes d'élaborer des applications logicielles qui permettent d'établir des comparaisons.

Les États-Unis et le Royaume-Uni sont sur le pointd'entreprendre un vaste effort en ce sens. Je sais que le gouvernement canadien a aussi entrepris une initiative analogue avec l'ICIS. Il serait regrettable que le Canada, les États-Unis et le Royaume-Uni élaborent leur système national sans essayer d'établir une base commune. Cette base, on pourrait probablement l'établir par le biais de l'OCDE ou d'une organisation analogue. C'est en tout cas ce que je recommanderais.

Ma deuxième recommandation serait que le gouvernement du Canada essaie d'avoir une vision moins statique du système de soins de santé. Depuis deux ans, certaines provinces ont pris l'initiative de faire l'essai d'une prestation privée de certains services au sein du système public. On a entendu des déclarations à Ottawa qui n'ont pas été très utiles et qui, d'après ce qu'on me dit, étaient aussi parfaitement fausses.

C'est regrettable, car nous devons être plus pragmatiques et encourager une formule plus fondée sur la gestion du système. Actuellement, tout cela est à peu près impossible en raisond'une législation qui interdit pratiquement tous les ingrédients nécessaires pour tenter une expérience. Même la clause sur l'administration publique a été tellement mal interprétée qu'elle est inutile.

Le président: Merci pour cet aperçu passionnant. Quel est le titre du deuxième livre de l'Institute of Medecine que vous avez mentionné?

M. Forget: Il s'intitule Crossing the Quality Chasm. J'en ai un exemplaire prépublication, mais je pense qu'il est maintenant sorti dans le commerce. C'est la recommandation qui suit le premier ouvrage intitulé «To Err is Human».

M. Cam Donaldon, Université de Calgary: Mes remarques vont reprendre en partie le contenu de ce récent commentaire du C.D. Howe Institute: «Integrating Canada's Dis-integrated Health Care System: Lessons from Abroad». J'ai remis un exemplaire de cette étude à la greffière.

Je ne suis pas sûr qu'il y ait tant que cela de similitudes entre les pays dont nous parlons. Une fois qu'on admet que la plupart des pays développés consacrent beaucoup de deniers publics à la santé, on se rend compte qu'il y a énormément de différences d'un système à l'autre.

Certaines des différences que je vais souligner concernent l'absence de possibilités, étant donné la structure actuelle, d'effectuer une réforme des soins de santé au Canada. La plupart de mes observations porteront sur le système en vigueur au Royaume-Uni.

Au Royaume-Uni, on met beaucoup plus l'accent sur les soins primaires. Cet élément est beaucoup moins séparé du reste du système, et ce sont les responsables en matière de santé qui s'occupent davantage de définir la stratégie concernantl'affectation des ressources.

Comme vous le savez peut-être, dans le système des soins primaires, il existe une liste de médecins autorisés, et les gens ne peuvent pas choisir leur médecin. Ce système de soins primaires joue un rôle important spécialement sur le plan de l'efficacité

Une autre différence existe en ce qui concerne les services assurés par l'État. Au Canada, le financement public du système est axé sur les hôpitaux et les médecins. Dans plusieurs autres pays, le financement public s'étend beaucoup plus aux produits pharmaceutiques. Je ne suis pas certain des effets que cela a sur l'efficacité, mais il y en a certainement en ce qui concerne l'équité et l'accès aux soins nécessaires.

Des différences surviennent aussi suivant l'ampleur du système à deux paliers dans divers pays. Au Royaume-Uni, tous sont obligés de payer pour le système. Au Canada, nous payons au moyen de nos impôts. Cependant, contrairement au Canada, le Royaume-Uni n'a pas de restrictions quant à l'achat privé de services assurés par l'État. On présente toujours cela comme un élément merveilleux du système canadien, mais l'un des paradoxes est qu'au Royaume-Uni, seulement 10 à 15 p. 100 des dépenses proviennent du secteur privé, tandis qu'au Canada, c'est 25 p. 100. Par conséquent, ce qu'on a ici, c'est une forme différente de système à deux paliers. Il s'applique simplement à un ensemble différent de services.

Pour ce qui est de la capacité de faire une réforme plus explicite, comme on l'a dit au Royaume-Uni et dans d'autres pays d'Europe, il existe une séparation précise entre l'acheteur de soins qui s'occupe de l'aspect financier au nom de la population, et les fournisseurs de soins de santé. Cela n'existe pas ici. Il pourrait être possible de s'orienter dans cette voie. La créationd'administrations de la santé, de conseils de la santé, de districts de la santé, car cela varie d'une province à l'autre, peut être vue comme un premier pas dans cette direction. Évidemment, l'Ontario et différente, et elle est peut-être plus loin de cette possibilité.

D'autres pays interviennent plus directement dans le système au moyen d'organismes comme des commissions pour l'amélioration de la santé. Cela se fait au Royaume-Uni.

On a abordé la question de l'achat public de soins de santé privés. On le fait plus volontiers dans plusieurs pays d'Europe. Cette idée a évidemment suscité beaucoup de controverse ici et a mené dans une certaine mesure à une impasse entre les provinces et le gouvernement fédéral. Quant à moi, je ne suis pas certain des conséquences d'une telle chose. J'y reviendrai à la fin de mon intervention.

La grande différence par rapport à bien d'autres pays réside dans la rémunération des médecins. Je vois là un grand obstacle à la réforme du système. J'estime personnellement que le maintien d'une formule de rémunération à l'acte est incompatible avec le passage à un modèle d'acheteur-fournisseur. Je ne pense pasqu'un tel modèle fonctionnera si l'on maintient la formule de rémunération à l'acte.

Les réponses aux autres questions sont beaucoup plus courtes. En ce qui concerne l'expérience d'autres pays, c'est vrai qu'on peut en tirer des idées, mais on ne peut pas simplement les adopter telles quelles. Comme M. Forget l'a dit, nous devrons essayer de faire d'autres expériences avec le système canadien. Cela peut sembler inacceptable à certains, mais il faut faire passerce message. Nous nous trouverons ainsi dans une position avantageuse par rapport à plusieurs autres pays qui ont adopté, puis annulé, des réformes généralisées. Il est donc très difficile de les évaluer.

La troisième question porte sur une couverture plus vaste. Je ne suis pas certain des raisons à cela. C'est peut-être dû à un simple phénomène historique. Il se peut qu'au moment où l'on a instauré un système global dans l'ensemble du Canada, le concept d'assurance privée était bien plus ancré qu'il ne l'était alors dans d'autres pays. Des systèmes plus complets ont été instaurés dans les autres pays dans les années 40. Il a fallu avoir recours à un compromis politique pour pouvoir mettre en oeuvre un système.

Je ne pense pas que quelqu'un ait étudié l'influence de l'ampleur de la couverture sur la santé, mais je suis au courant d'une étude effectuée par Starfield et ses collègues à Johns Hopkins au sujet de l'incidence de différents types de systèmes sur la santé. Dans cette étude, on comparait des systèmes privés, des systèmes d'assurance sociale, et des systèmes financés par les impôts. Je peux indiquer au comité comment trouver cette étude.

La quatrième question portait sur ce que le gouvernement fédéral peut faire. L'un des problèmes auxquels nous faisons face au Canada est la tension qui existe entre les gouvernements fédéral et provinciaux. Il est très difficile d'en discuter. Je pourrais répondre par une question: «Est-il possible que le gouvernement fédéral forme un partenariat avec les provinces pour effectuer certaines réformes ou certaines expériences dans une partie d'une province?»

La dernière question concerne le rôle du secteur privé. Il peut être déterminé par deux choses: les valeurs de la collectivité et les informations disponibles. À l'heure actuelle, il est déterminé par les valeurs. C'est parce qu'il n'existe pas beaucoup d'informations disponibles, sauf en provenances des États-Unis. Une grande partie des informations provenant du Royaume-Uni ne se rapportent pas au Canada.

Si nous prenons une décision dans ce sens, nous devons établir une distinction entre le rôle des fournisseurs privés et du financement privé, afin qu'on puisse encore avoir des services privés à l'intérieur d'un système subventionné par l'État. C'est une distinction importante. Les informations disponibles varient et il n'y en a pas beaucoup. On sait simplement que quelque chose se produit. Encore là, dans plusieurs pays d'Europe, les acheteurs publics communiquent avec des fournisseurs privés pour divers types de soins, en particulier les interventions chirurgicales facultatives.

Les informations disponibles varient, en ce qui concerne un marché interne. Il y a eu certains succès au Royaume-Uni, et une absence de succès dans certains cas, plutôt que des résultats négatifs. On peut certainement voir des possibilités. Je souligne encore qu'il faut en faire l'expérience au Canada, si nous voulons songer à le faire.

Les restes de ce marché intérieur continuent d'exister dans une certaine mesure. Nous avons mentionné la séparation entre ceux qui paient au nom de la population et les fournisseurs. Je ne dispose pas d'information à ce sujet, mais je pense qu'il est bon que la population ait un agent puissant et riche qui essaie de répartir les ressources dans l'intérêt de cette population.

Il existe des obstacles énormes à la mise en oeuvre d'un tel système au Canada. Si nous allons encore plus loin et envisageons d'adopter un modèle avec des cabinets de groupe de médecins, la population devra alors accepter de se faire traiter par l'un ou l'autre des médecins inscrits sur la liste. La rémunération et les conditions d'emploi des médecins devront changer radicalement. Il faudra aussi songer à l'adoption d'un budget pour les médicaments, dans un système d'acheteur-fournisseur. C'est peut-être ainsi qu'on pourrait faire entrer dans le domaine public un régime d'assurance-médicaments.

Je suis ambivalent face à l'idée d'un ticket modérateur. Lorsqu'on envisage un ticket modérateur, il faut aussi tenir compte de la dynamique de l'offre, et de la façon dont l'offre pourrait réagir face à des réductions de la demande chez certains segments de la population. Nous risquons de finir par dépenser autant pour les soins de santé, tout en répondant moins aux besoins. Certains indices montrent qu'un ticket modérateur contribue à réduire les soins inefficaces, mais dans une certaine mesure, il contribue également à réduire les soins efficaces. Les membres du comité peuvent deviner quelle partie de la population serait la plus durement touchée.

La question de l'assurance sociale, celle des soins de longue durée et des médicaments, ne font pas partie de mon domaine de compétences. Cependant, il y a des défis énormes à relever en ce qui concerne les soins de longue durée et les variations dans les ententes de financement, dans les coûts et dans les services, car ces variations sont énormes. Cela présente un défi immense. L'inclusion de ces services dans le système public présentera un défi politique. Ce sera peut-être l'occasion de négocier avec certaines provinces des ententes de financement conjoint pour certaines expériences.

M. Åke Blomqvist, professeur invité, Direction de la recherche appliquée et de l'analyse, Direction générale de l'information, de l'analyse et de la connectivité, et professeur, université Western Ontario: Je ne répondrai pas directement aux questions posées, je vais plutôt profiter de l'occasion pour vous faire un bref résumé de certaines des leçons les plus importantes qui ressortent, à mon avis, des comparaisons internationales que j'ai effectuées, ainsi que des documents remis par d'autres au comité.

Permettez-moi de commencer par une observation générale quant à la façon de réformer le système de soins de santé au Canada, proposée dans le document présenté par Mme Tuohy. Elle a établi une distinction entre une approche progressive de la réforme des soins de santé, et une approche graduelle vers un modèle. Les observations de M. Forget et de M. Donaldson représentent cette distinction, M. Forget tendant davantage vers une approche progressive, tandis que M. Donaldson, économiste, tend davantage vers un plan détaillé.

En tant que Canadien ayant une certaine connaissance des complexités du monde politique, je comprends qu'il peut ne pas y avoir d'autre choix qu'une approche progressive. J'ai une idée du point où nous pourrions vouloir nous retrouver, si la réforme des soins de santé se termine un jour.

Cela me rappelle un bon mot attribué à Yogi Berra:

Il faut faire bien attention quand on ne sait pas où on s'en va, parce qu'on risque de ne pas y arriver.

Dans ce sens, la notion d'un plan détaillé peut jouer un rôle utile.

Avant de parler des aspects concrets pour lesquels les possibilités de réforme paraissent des plus prometteuses, je veux faire une distinction entre les leçons que les provinces peuvent tirer, et celles que le gouvernement fédéral peut tirer.

Étant donné notre système de gouvernement fédéral-provincial, la plupart des leçons qu'on peut tirer des comparaisons avec divers systèmes de soins de santé concernent les provinces. Elles concernent le gouvernement fédéral par rapport à la Loi canadienne sur la santé, en tant que restrictions plus ou moins exécutoires imposées aux provinces. Il se peut que certains aspects de la Loi canadienne sur la santé devraient être révisés de manière à donner plus de liberté aux provinces pour faire l'expérience de certaines réformes. Cependant, la plupart des leçons à tirer concernent les provinces.

Mes observations sur les éléments concrets rappelleront en grande partie ce qu'a dit M. Donaldson. À mon avis, un modèle qui pourrait être utile au Canada ressemblera un peu au système du Royaume-Uni. Cependant, je voudrais que nous utilisions aussi certains aspects du système suédois dans le plan qui sera préparé, pour les provinces au Canada. Certaines des idées dont je vous ferai part portent là-dessus.

Je signale trois principaux secteurs où il y a moyen, à mon avis, de réformer les soins de santé au Canada. Ils correspondent à la distinction que je fais toujours quand j'analyse les différences entre divers systèmes de soins de santé. D'abord, il y a le système de financement et les restrictions imposées à la couverture, dans le système financé par l'État. Le deuxième secteur correspond à la question des soins primaires et aux possibilités. Le troisième secteur, auquel j'ai déjà fait allusion, est celui des services hospitaliers et spécialisés. D'une manière plus générale, on pourrait parler dans ce cas de la gestion du système. Ces trois secteurs sont ceux où l'on peut juger approprié d'apporter des réformes assez spécifiques.

En ce qui concerne le financement et la couverture, je ne peux que répéter ce que M. Donaldson a dit. Le Canada contribue relativement peu aux dépenses totales dans le secteur des soins de santé et c'est parce que nous finançons à même les deniers publics une gamme relativement limitée de services hospitaliers et médicaux. Dans ce sens, il me semble qu'on effectuerait probablement des réformes utiles en instaurant une forme d'assurance-médicaments et en modifiant la Loi canadienne sur la santé. Je veux dire qu'on devrait chercher à réaliser l'objectif d'accessibilité en y incluant les médicaments.

En ce qui concerne le deuxième secteur, soit les soins primaires et la réforme de ces soins, la meilleure possibilité consiste à modifier le système de rémunération des médecins qui fournissent les soins primaires, en adoptant une autre approche, en ajoutant peut-être un élément optionnel. M. Donaldson a parlé dans ce cas de listes de médecins et de paiements par capitation. Ce sont des éléments clés pour des réformes des soins primaires.

Il est intéressant de se demander si l'on peut choisir la voie progressive et faire l'expérience des listes de médecins et des paiements par capitation sur une base facultative, plutôt que de l'imposer de force, dans le cadre d'une entente qui est censée couvrir l'ensemble des régimes provinciaux d'assurance-maladie. Il y a plusieurs défis à relever pour parvenir à trouver une solution à ce problème.

Enfin, en ce qui concerne la gestion du système, la perspective d'aller plus loin en matière de régionalisation ou en officialisant le système de gestion régional et les ressources hospitalières par l'introduction d'une forme de financement proportionnel à la population pour les régions, représente une solution prometteuse. La principale réforme à opérer concerne l'intégration des services de soins primaires dans le mandat des régions et la redéfinition du financement proportionnel à la population de façon à intégrer le financement des services de soins primaires et des services hospitaliers. Voilà les trois principaux secteurs où les perspectives de réforme semblent les plus prometteuses.

En ce qui concerne l'assurance-médicaments, il reste plusieurs questions à régler. Il faudrait examiner le rôle des formulaires et, éventuellement, celui du gouvernement fédéral qui pourrait fournir des formulaires-modèles utilisables par les provinces lors de la mise en oeuvre de l'assurance-médicaments. On pourrait envisager un système d'établissement du coût en fonction du produit de référence, en autorisant éventuellement ceux qui souhaitent se procurer des médicaments non couverts à le faire à leur propre frais. Dans ce cas, faudrait-il envisager une forme d'assurance complémentaire pour les produits pharmaceutiques?

Comme l'a dit M. Donaldson, on pourrait également intégrer à la formule de l'assurance-médicaments un budget de médicaments pour les médecins. Dans l'expérience britannique, les médecins de soins primaires participants avaient un budget de médicaments.

Je ne pense pas qu'il y ait grand-chose à dire du deuxième sujet, à savoir la réforme des soins primaires. J'aimerais reprendre les propos de M. Donaldson. Dans certaines régions du Canada, on semble ne pas savoir qu'un système efficace de capitation oblige les assurés à s'inscrire auprès d'un médecin, c'est-à-dire que pour la durée du contrat de paiement par capitation, pendant laquelle le patient ne peut consulter qu'un seul médecin de famille, il n'a pas droit à une couverture illimitée auprès d'un autre médecin, sauf sur la recommandation du médecin de famille. Reste à savoir si une telle réforme est acceptable au Canada.

Le cabinet de groupe ou «fund holding s'harmonise bien avec le principe de la capitation, dont il représente une version étendue. Au lieu de payer à l'avance un montant de capitation pour les services de soins primaires du médecin, on paye une partie des produits pharmaceutiques et, éventuellement, une partie des services hospitaliers prescrits par le médecin ou recommandés au nom des patients. Le principe du «fund holding» est étroitement associé à ceux de la capitation et des listes de médecins.

Le troisième sujet est la gestion du système et le financement régional en fonction de la population. Les Canadiens devraient étudier avec attention l'expérience de la distinction entre l'acheteur et le fournisseur ainsi que les soins contractuels et les marchés internes du Royaume-Uni. J'ai mon propre point de vue sur les raisons de la remise en cause de ces méthodes au Royaume-Uni. On pourra parler plus tard des raisons pour lesquelles j'aime la formule de la distinction entre acheteurs et fournisseurs, même si elle semble poser des problèmes au Royaume-Uni. Ces problèmes n'ont pas eu la même ampleur en Suède.

Je dirai tout d'abord quelques mots du financement et de la distinction entre secteur public et secteur privé.

En ce qui concerne le ticket modérateur, j'en viens à la conclusion qu'on ne pourra jamais débattre du ticket modérateur de façon rationnelle au Canada. La formule du ticket modérateur est devenue le symbole des chicanes fédérales-provinciales concernant la compétence en matière de politique de la santé. Il vaut mieux renoncer à l'idée du ticket modérateur pour les services médicaux et hospitaliers.

Cependant, si on élargit le concept de l'assurance-santé pour y inclure une assurance-médicaments financée par des fonds publics ainsi, éventuellement, que les soins à long terme et les soins à domicile, je pense qu'il faudra envisager de nouveau la question du ticket modérateur. À ma connaissance, il n'existe aucun pays qui prenne en charge les produits pharmaceutiques et les soins à long terme et qui ne comportent pas une certaine participation aux frais pour le patient.

Faut-il prévoir une option de non-participation dans le système canadien? Faut-il permettre aux administrés de ne pas participer au régime d'assurance public moyennant rétribution, comme c'est le cas en Allemagne, où celui qui contracte une assurance privée est exonéré de charges sociales.

Évidemment, la question est très controversée, mais le modèle existe déjà. Le régime d'assurance-médicaments du Québec comporte une disposition de renonciation. La couverture peut être publique ou privée et la couverture publique comporte le paiement d'une prime. En ce sens, c'est officiellement l'équivalent d'une disposition de renonciation.

Sur la question du système d'assurance sociale par opposition à un système fondé sur l'impôt, nous considérons dans une certaine mesure que c'est une échappatoire. Du point de vue de la théorie économique, une fois qu'on a déterminé la partie des services de santé qui sera prise en charge par le secteur public, il reste à concevoir un régime fiscal efficace. Mais un tel régime ne doit pas servir à financer certains types de dépenses publiques. Un régime efficace doit pouvoir financer toutes les dépenses publiques. Dans cette mesure, l'essentiel du débat est sans objet.

Mme Colleen Flood, professeure, Université de Toronto: Je vous remercie de m'avoir invitée à participer à ce débat. Il est un peu curieux de témoigner à distance, mais j'essaierai d'être brève. Nous avons déjà largement participé au débat grâce à notre rapport.

Pour ce qui est des différences entre le système canadien et ceux des autres pays, je reconnais qu'à première vue, ces différences ne sont pas bien grandes, mais pourtant, elles sont plus profondes qu'il n'y paraît. On n'apprend pas grand-chose en ne considérant que les parts respectives des financements public et privé. Dès qu'on entre un peu dans les détails, on constate que si la Nouvelle-Zélande finance une plus grande partie de son régime par des fonds publics, elle applique un ticket modérateur plus élevé et fait participer davantage le patient à la prise en charge des services du médecin de famille. Comme le médecin de famille se trouve à l'avant-poste de l'ensemble du système, c'est lui qui détermine l'accès aux autres services. Si l'on compare le Canada à la Nouvelle-Zélande sur le terrain de la proportion entre régime public et régime privé, le Canada semble moins bien réussir que la Nouvelle-Zélande sur le terrain de la progressivité, mais dès qu'on entre dans les détails, on constate des problèmes d'accès à cause des frais considérables à acquitter pour obtenir les services d'un médecin de famille. Et de ce point de vue, je considère que c'est dans les détails qu'on constate les problèmes.

Puisqu'il est question de proportion entre le public et le privé, je ne pense pas, contrairement à M. Blomqvist, qu'il y ait une différence notoire entre le régime de financement axé sur l'impôt et le système d'assurance sociale. On pourra revenir sur ce sujet lors des questions, mais j'estime que le financement d'un système de santé à partir des cotisations des employeurs et des employés plutôt qu'en fonction de l'impôt pose un problème d'acceptabilité au plan politique. Par ailleurs, il faut faire en sorte que la diminution ou l'augmentation des dépenses publiques ne soit pas liée à l'orientation des autorités politiques en place. J'estime que le financement par l'assurance sociale risque de poser plus de problèmes que ne le pense M. Blomqvist.

Du point de vue des résultats au plan de la santé, il est vrai que les deux formules ne sont guère différentes si l'on considère l'espérance de vie et la morbidité dans les pays développés. Il faut savoir ce que l'on attend d'un système de santé. À mon avis, l'attente est supérieure à ce que l'on peut mesurer actuellement. On se trompe en disant aux Canadiens que ce qui importe, c'est ce que l'on peut mesurer actuellement, comme l'espérance de vie, la mortalité et la morbidité infantile. Les Canadiens se préoccupent beaucoup de la durée d'attente, des soins palliatifs et de la souplesse du système face à l'évolution technologique et démographique. Le régime peut être très performant aujourd'hui, mais il doit impérativement s'adapter à l'évolution technologique et démographique.

Si l'on cherche un modèle pour le Canada, il fautsoigneusement fixer ses objectifs. Je reconnais que le système britannique comporte certains éléments qui méritent d'être étudiés et dont on peut s'inspirer, mais qu'on ne s'y trompe pas: ce système britannique risque de ne pas nous permettre d'atteindre nos objectifs. Au Royaume-Uni, les coûts sont très bas mais les listes d'attente sont considérables et les délais risquent de mécontenter fortement les Canadiens. Il faut s'inspirer des meilleurs aspects des réformes entreprises par des pays comme le Royaume-Uni, en laissant de côté les moins bons.

En ce qui concerne l'équilibre entre le public et le privé, les recherches que j'ai entreprises avec M. Stabile et Mme Tuohy m'amènent à conclure qu'il n'y a pas de formule magique dans ce domaine. Les mots eux-mêmes sont trompeurs car la signification du public et du privé peut varier considérablement. Le Canada aurait avantage à évaluer de façon plus rationnelle et plus cohérente l'efficacité de son régime de santé de façon à renseigner les provinces sur la portée générale des services financés par des fonds publics.

À mon sens, c'est là le rôle du gouvernement fédéral. Il devrait proposer une évaluation nationale de l'efficacité des médicaments et des nouvelles technologies. Il devrait également fournir de l'information sur les services médicaux actuels, de façon à permettre aux provinces de décider ce qu'elles doivent financer, et éventuellement d'imposer un ticket modérateur pour certains services.

Je voudrais faire quelques remarques sur la sous-traitance et les marchés internes. Convenons-en, la sous-traitance n'est pasune solution en soi. La sous-traitance auprès de fournisseurs concurrents, publics et privés, peut être bénéfique sur certains marchés de soins de santé et à certaines périodes, mais ses avantages peuvent varier dans le temps ainsi que d'un marché à l'autre. Bref, ce n'est pas une panacée. Les marchés des soins de santé sont bien différents les uns des autres. En outre, ils sont dynamiques et évoluent avec le temps.

Il est essentiel que le système puisse décider à tout moment s'il est préférable d'assurer un service à l'interne ou de sous-traiter. Cela signifie qu'il faut prendre en compte ce qui incite les acheteurs de services de santé à bien travailler. Lorsque je parle d'acheteurs, je pense aux autorités en matière de santé, aux centres communautaires, aux organismes à but non lucratif, aux compagnies d'assurance privées, aux fournisseurs de services de santé qui sont responsables des achats, et à ceux qui garantissent l'accès à une vaste gamme de soins de santé.

Je considère que si la sous-traitance sur les marchés internes du Royaume-Uni et de la Nouvelle-Zélande n'a pas donné tous les résultats escomptés, c'est parce qu'on n'a pas prêté suffisamment d'attention à ce qui devait inciter les acheteurs de services de santé à bien faire leur travail. On n'a pas suffisamment tenu compte du fait qu'il faut de l'information sur les coûts et les avantages des services de soins de santé qui sont assurés. Au Royaume-Uni comme en Nouvelle-Zélande, on est passé d'une situation où on ne disposait d'aucune information sur les coûts et avantages des services à un contexte nouveau où il fallait des renseignements presque parfaits pour assurer le succès de la sous-traitance.

Je pense que si nous envisageons de nous orienter vers la sous-traitance, il va falloir s'intéresser aux incitatifs du processus décisionnel. Il faut faire en sorte que l'on produise une information fiable sur les coûts et avantages des soins de santé, tout en reconnaissant que Rome ne s'est pas faite en un jour. Pour obtenir un changement réel durable, il faut prendre le temps de se renseigner.

Pour ce que le gouvernement fédéral peut faire précisément, comme je l'ai déjà dit, il peut certainement jouer un rôle en fixant des normes nationales et en évaluant la rentabilité de tout un éventail de soins. Il peut peut-être aussi, comme le gouvernement du Commonwealth australien, gérer l'assurance-médicaments. Cela pourrait être évalué. Il pourrait aussi, en partenariat avec une ou plusieurs provinces, faire l'expérience de cabinets de groupe de médecins pour financer les soins primaires en envisageant une initiative similaire à celle du Royaume-Uni. Ce serait unefaçon d'élargir l'éventail de soins pour qu'il englobel'assurance-médicaments et peut-être même les soins à domicile dans ces budgets.

M. Mark Stabile, professeur, Université de Toronto: Je serai bref. Plusieurs ont dit aujourd'hui que la grosse différence entre notre système et d'autres n'est pas le niveau de financement privé, mais le rôle de ce financement. En fait, votre comité a remarqué dans les systèmes qu'il a étudiés que nous dépensons finalement plus d'argent privé que tous ces autres systèmes que vous avez examinés ces dernières semaines. Je m'arrêterai sur certains points qui pourraient être utiles.

Tout d'abord, l'utilisation des quotes-parts ou franchises. Les recherches effectuées dans plusieurs pays confirment que si l'on fait payer les gens de leur poche, ils ont recours à moins de services. Est-ce une bonne chose? Cela dépend de la population visée. Cela permet des économies et, pour les adultes à revenu moyen et élevé, la majorité des études confirment que cela n'aggrave pas leur état de santé. Par contre, tout le monde s'accorde pour dire que si l'on accroît les obstacles à l'accès aux soins primaires pour les enfants, cela finit par coûter très cher. Même chose pour d'autres populations qui sont déjà mal servies, notamment celles à faible revenu.

Il ne faudrait pas modifier le comportement en imposant des frais personnels pour la santé sans se demander si les intéressés ont le moyen de les payer. D'autres pays ont recours au ticket modérateur mais ils ont un mécanisme, qu'il s'agisse de l'évaluation des ressources ou d'une meilleure redistribution des revenus ou autre, qui permet d'assurer que les gens ont les moyens d'acheter ces services.

Pour ce qui est de la prestation de soins à but lucratif ou non, il n'y a pas tellement d'études internationales qui portent sur les différences entre les deux lorsque l'un et l'autre sont financés par le Trésor public, un peu comme ce qu'envisage l'Alberta. Toutefois, des études intéressantes venant des États-Unis semblent indiquer que les prestataires de services à but lucratif peuvent modifier le comportement de prestataires à but non lucratif. On s'est ainsi demandé si les prestataires à but lucratif ont plus tendance à relever les codes que ceux qui sont à but non lucratif. Relever le code consister à modifier le diagnostic donné par un hôpital à un patient afin que celui-ci paie davantage. Cela ne devrait avoir aucun effet sur la qualité des soins reçus mais cela peut augmenter les bénéfices que fait l'hôpital. Les résultats sont intéressants parce qu'ils indiquent que non seulement les hôpitaux à but lucratif semblent plus portés à relever les codes que les hôpitaux à but non lucratif, mais que dans les régions où il y a une forte densité d'hôpitaux à but lucratif, les hôpitaux à but non lucratif ont également davantage tendance à remonter le code. Les hôpitaux à but lucratif peuvent, en fait, modifier le comportement des hôpitaux à but non lucratif face à la concurrence. C'est quelque chose qu'il ne faut pas négliger.

Le comité a demandé pourquoi d'autres régimes d'assurance sociale sont en mesure d'offrir une couverture plus large que nous, et je dirais que l'on n'a pas suffisamment insisté sur le fait que nous faisons des compromis. Ceci pour élargir la couverture publique, ce que, nous en convenons tous, serait peut-être une bonne chose. Il faudrait peut-être envisager de ne pas couvrir absolument tout, dès le premier dollar, pour les services de médecins et d'hôpitaux. Cela obligera-t-il d'évaluer que les ressources des intéressés pour certaines formes de couverture, de permettre un financement mixte privé et public pour des éléments qui ne sont actuellement que financés de façon publique ou d'envisager d'autres méthodes de redistribution, voilà desquestions qui devraient être examinées.

Mme Carolyn Tuohy, professeure, Université de Toronto: Je compte aborder la question un peu différemment. Je suis une politicologue qui fait suite à des avocats et des économistes et j'aimerais parler donc des considérations politiques.

Une des différences en effet entre le Canada et ces différents pays est le régime politique et, en fait, la politique qui gouverne le secteur de la santé dans chacun de ces pays. Nous pouvons en tirer des leçons sur les systèmes qui ont été politiquement possibles. Ainsi, face aux différentes possibilités qui s'offrent au Canada, nous pourrons essayer d'imaginer ce qui serait politiquement possible dans le contexte canadien.

Plutôt que de me demander ce que nous voulons faire et de voir si c'est politiquement possible, j'aimerais voir ce qui est politiquement possible et envisager quelle serait parmi ces différents choix la meilleure solution.

Dans le document que j'ai préparé avec M. Stabile et Mme Flood, nous avons signalé que les pays que nous avons examinés - la Grande-Bretagne, la Nouvelle-Zélande, les Pays-Bas, l'Australie, le Canada et les États-Unis - envisageaient essentiellement la réforme des soins de santé de trois façons différentes: il y a la façon radicale, la façon graduelle et la façon progressive. La façon radicale consiste à essayer de tout réussir d'un coup, globalement. C'est ce que l'on essaie de faire en Grande-Bretagne, en Nouvelle-Zélande et aux États-Unis. En Grande-Bretagne et en Nouvelle-Zélande, on a essayé d'introduire très rapidement un marché interne. Aux États-Unis, on a essayé d'introduire un régime universel par la concurrence dirigée.

Les Pays-Bas ont choisi la formule graduelle - ce dont parlait M. Blomqvist - sachant où ils veulent en venir mais procédant étape par étape. Au Canada et en Australie, on ne peut pas parler d'un modèle, simplement d'une série d'adaptations dans des sous-secteurs particuliers.

L'ironie veut que peu importe la formule choisie, radicale, graduelle ou progressive, les résultats semblent variables dans chaque pays. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec M. Forget parce que j'estime que les réformes liées au marchéinterne semblent avoir mieux réussi en Grande-Bretagne qu'en Nouvelle-Zélande. Certes, elles ont été absorbées par le système existant. La tentative visant à diviser la hiérarchie du SNS en acheteurs et fournisseurs visait à faire éclater une structure établie. Les réseaux humains qui existaient dans cette structure se sont dans une certaine mesure reconstitués.

Le résultat a fait des contrats à long terme plutôt qu'annuels. Il y a eu d'autre part moins de concurrence entre les fournisseurs qu'on ne l'avait prévu. Cela a entraîné aussi plus de négociation et de contrats entre les acheteurs et les fournisseurs et, de façon un peu sournoise, des cabinets de groupe de médecins dans le secteur des soins primaires. Bien que la terminologie ait certainement changé lorsque les travaillistes ont pris le pouvoir en 1997, le concept fondamental des cabinets de groupe de médecins plus importants désormais, et la distinction fondamentale entre les acheteurs et les fournisseurs a été maintenue.

En Nouvelle-Zélande, par contre, les réformes ont étéprogressivement retirées après une série de changements au sein du gouvernement. Reste à voir si cela se poursuivra, mais il y a une version de l'effet sournois des réformes britanniques en Nouvelle-Zélande aussi pour ce qui est des cabinets de groupe de médecins. De façon générale, je conviens que ces réformes ont accusé plus de recul qu'en Grande-Bretagne. La tentative des États-Unis avec la concurrence dirigée dans le cadre d'une réforme radicale a tout simplement échoué de façon spectaculaire, comme nous le savons, pour ce qui est de la réforme Clinton.

Dans la solution graduelle des Pays-Bas, on constate, et c'est intéressant, que chaque étape devant mener à un modèle nécessite de maintenir la coalition d'appui qui existait au départ. Comme je l'indique dans notre document, cela pose à la fois un sérieux problème d'orientation et également un problème politique épineux. Si l'on a ce que nous qualifierons, aux fins de discussion, d'équilibre gauche-droite dans l'ensemble des réformes, et que tout le monde l'accepte au départ, il faut savoir qu'à chaque étape il s'agit de satisfaire à la fois la gauche et la droite. C'est très difficile. C'est ce qui s'est passé aux Pays-Bas avec une série de gouvernements de coalition dont la couleur changeait de centre-droit à centre-gauche pour revenir à centre-droit. Ils se sont retrouvés avec une réforme importante dans un sous-secteur - celui de l'assurance sociale - mais certainement pas, comme on l'avait prévu, pour l'ensemble de la concurrence dirigée.

Enfin, l'Australie et le Canada ont connu des réformes progressives qui ont changé un peu les choses dans certains sous-secteurs, pas d'une façon globale, pour ce qui est de la restructuration des hôpitaux au Canada et des subventions publiques à l'assurance privée en Australie.

Pourquoi ces pays ont-ils choisi ces formules différentes? Je crois que c'est à cause d'une situation politique générale différente plutôt que d'une situation différente dans le secteur de la santé lui-même. Une approche radicale face à une telle réforme est politiquement très dangereuse et il est rare qu'un gouvernement veuille courir ce risque. Cela exige de réunir plusieurs conditions politiques qu'il est difficile de réunir. Il faut pouvoir concentrer l'autorité politique à très grande échelle et avoir la volonté politique de prendre ce risque. Dans la mesure où on concentre l'autorité, on concentre aussi la responsabilité, si bien qu'il devient plus difficile de rejeter le blâme sur quelqu'un d'autre.

Les réformes radicales sont rares. Cela s'est produit en Grande-Bretagne après la Seconde Guerre mondiale lorsqu'a été instauré le système national de santé. Nous l'avons vu dans les années 80 en Grande-Bretagne, sous le gouvernement Thatcher, lors de son troisième mandat majoritaire successif. C'est rare.

Des réformes du genre graduel sont plus courantes dans des circonstances de coalition où les compromis sont nécessaires. Je n'ai pas mentionné certains États des États-Unis où l'on a également choisi la formule graduelle parce qu'il fallait parvenir à un compromis bipartisan - avec des résultats similaires à ce que l'on a vu aux Pays-Bas. Les choses avaient tendance à bloquer ou à reculer au fur et à mesure que la coalition politique changeait de couleur.

En Australie et au Canada, nous avons constaté des réformes progressives parce que l'on ne peut pas parvenir à un consensus fédéral-provincial plus large. Ceci résulte également de certains facteurs politiques généraux qui ne sont pas limités à la santé.

Quelle leçon peut-on tirer de ces différentes formules? Quel que soit le pays, que l'on ait choisi la formule radicale, la formule graduelle ou la formule progressive, les réformes se sont réalisées dans la mesure où le gouvernement pouvait constituer des alliances stratégiques avec certains acteurs clés dans le secteur de la santé. Ce n'est qu'ainsi que l'on a pu les mettre en oeuvre.

Cela nous amène à la structure des intérêts dans ce secteur et à la structure du système de santé publique lui-même.

Dans la hiérarchie britannique du système national de santé, il y a ce que mon collègue Rudolph Klein en Grande-Bretagne appelle «la concorde implicite», le compromis fondamental entre les fournisseurs, les hôpitaux, la profession médicale et l'État. Essentiellement, l'État fixe les paramètres budgétaires et les médecins, essentiellement, répartissent ces budgets en fonction de ces paramètres sans que l'État intervienne beaucoup. Les réformes du marché interne ont complètement bouleversé cela mais la situation s'est rétablie. Il y a eu une reconstitution.

En Nouvelle-Zélande, comme l'a signalé Mme Flood, du fait du système généralisé de quotes-parts, il est beaucoup moins facile de parvenir à des accommodements. Les médecins ont affaire non seulement à l'État mais également aux patients qui doivent payer et aux assureurs privés. Cela a fragmenté la base d'un consensus politique entre la profession médicale et l'État.

Aux États-Unis, il y a ce qu'Allen Schick appelle«l'hyperpluralisme» dans le secteur de la santé, étant donné la turbulence des marchés et les divers intérêts qu'elle engendre. Aux Pays-Bas, nous avons ce que l'on a appelé le terrain d'entente sociale entre les fonds d'assurance sociale, les associations de médecins et les assureurs privés - là encore, les terrains de compromis chevauchant un certain nombre d'intérêtsparticuliers. En Australie, la situation ressemble davantage à celle de la Nouvelle-Zélande où les intérêts sont divisés. Au Canada, et c'est un peu ironique, étant donné notre part relativement faible de financement public, nous avons un arrangement entre les fournisseurs et l'État qui ressemble un peu à ce qui existe en Grande-Bretagne parce que nos médecins et hôpitaux sont essentiellement payés exclusivement par le secteur public.

Ce qui fait que dans chacun de ces pays, il y avait des structures différentes dans lesquelles rechercher des alliances stratégiques. Il y avait les multipraticiens en Grande-Bretagne et, dans une moindre mesure, en Nouvelle-Zélande, les cabinets de groupe qui préconisaient la réforme. Aux États-Unis, l'hyperpluralisme a fragmenté la possibilité de coalition. Aux Pays-Bas, les fonds d'assurance sociale se firent les alliés de l'État pour préconiser des réformes. En Australie, encore, les accommodements sont difficiles du fait d'une structure fragmentée.

Au Canada, qu'est-ce que cela veut dire? Cela veut dire que nous devrions être prudents avant d'envisager la formule radicale. Je doute franchement que nous ayons les conditions politiques générales nécessaires pour une réforme radicale du système de santé qui exigerait un consensus fédéral-provincial comme on en n'a pas vu depuis les années 60. Si nous voulons envisagerun modèle, je conviens avec M. Blomqvist que ce serait intellectuellement plus attrayant. Là encore, toutefois, je ne suis pas certaine que nous puissions maintenir une coalitionfédérale-provinciale à toutes les étapes. Peut-être qu'il serait alors préférable d'envisager une formule progressive plus hardie que jusqu'à maintenant, en essayant de trouver des champions et des alliés au sein même du secteur de la santé.

Je pense que cela s'appliquerait essentiellement à la réforme dans le secteur des soins primaires. Il semble que l'on soit parvenu à un consensus sur l'importance de cette réforme, que l'on puisse trouver des alliés stratégiques, qu'il y a des groupes de médecins qui sont favorables à la réforme des soins primaires dans la plupart des provinces.

Je veux ajouter un mot sur plusieurs choses dont on a parlé aujourd'hui. En ce qui concerne la prestation privée de soins financés par le trésor public, je ferais trois mises en garde. La première à propos de la responsabilisation. Il est très important de faire la distinction, dans le secteur privé, non seulement entre les organismes à but lucratif et ceux qui sont à but non lucratif, mais également entre les établissements qui appartiennent à ceux qui les exploitent et ceux qui appartiennent à des investisseurs. Lorsque les propriétaires exploitent les établissements, ce sont essentiellement eux qui touchent les bénéfices. Dans le cas d'investisseurs, les bénéfices sont distribués sous forme de dividendes et de gains en capital aux actionnaires. Les incitatifs sont très différents dans chacun des cas. Nous pourrons en rediscuter si vous avez des questions à ce sujet.

Deuxièmement, le risque d'écrémage. Quel que soit le pays, lorsque des fournisseurs de services privés à but lucratif entrent dans certains secteurs, c'est dans ceux qui rapportent et ils quittent ainsi le système public. Même s'ils sont financés par le trésor public, les hôpitaux publics ont ainsi beaucoup moins de possibilités d'interfinancement et cela alourdit leur budget public.

Enfin, un avertissement à propos du regroupement de services. M. Stabile pourra en reparler. Si ces fournisseurs privés offrent des services payés par le trésor public et peuvent regrouper ces services avec des services qui doivent être payés par les particuliers - comme des lentilles pliables - c'est une forme de quote-part, si l'on ne peut obtenir le service public sans acheter le service privé. C'est quelque chose qui est interdit aux termes des dispositions de la loi 11 en Alberta mais c'est certainement un incitatif pour les fournisseurs de services privés.

J'allais parler de tickets modérateurs mais je m'abstiendrai.

Le président: Je ne voudrais pas me laisser égarer par votre commentaire sur la distinction privé-public, sauf pour dire que notre pays a une longue expérience dans les secteurs des transports, des télécommunications et autres, où des fournisseurs de services privés ont été tenus de subventionner, car c'est bien cela, des tronçons non économiques de l'entreprise. Par exemple, les compagnies de téléphone n'étaient pas autorisées à ne desservir que les régions urbaines; elles devaient également desservir les régions rurales. Les compagnies de transport étaient tenues d'assurer le service sur des parcours certainement pas rentables. Nous avons donc pas mal d'exemples au Canada qui prouvent que l'on peut avoir des fournisseurs privés pour dispenser un service public et que l'on peut exiger que des fournisseurs privés fassent un certain nombre de choses qui ne sont pas rentables pour avoir le droit de faire le reste. Je ne voudrais toutefois pas que nous nous lancions dans ce débat.

Mme Tuohy: La seule chose, c'est que, pour cela, il faut que ce soit réglementé.

Le président: M. Forget a soulevé une question qui trouble notre comité depuis le début de son étude et nous voudrions que l'on nous conseille au sujet de l'incompréhension généralisée de ce que signifie le principe d'administration publique prévue dans la Loi canadienne sur la santé. Sauriez-vous comment on pourrait redéfinir ce principe de façon à ce qu'il signifie ce qu'il devait signifier ou comment on pourrait corriger ce qui me semble être, très franchement, une utilisation délibérément abusive de ce principe par beaucoup de monde?

M. Forget: Il est plus facile de dire que cela a été mal interprété que de proposer une façon constructive de s'y prendre. Je suppose que l'intention initiale, lorsque le régimed'assurance-maladie a été institué, était que les provinces ne devraient pas se laver les mains du problème et demandent aux assureurs privés de gérer le régime pour elles. C'est peut-être ce à quoi songeaient les législateurs il y a 40 ou 50 ans. Tant que les gouvernements provinciaux garderaient la responsabilitéessentielle et ultime du régime qu'ils supervisent, cela devrait leur permettre de faire à peu près tout le reste qu'ils estiment approprié et opportun. Naturellement, nous savons que cela n'a pas été interprété de cette façon. Cela signifie une interdiction totale de tout type de services privés, et cetera.

Quelle est l'intention de la loi? Et bien, je suppose que différents avocats l'interprètent différemment. Une autre chose qui m'est venue à l'esprit à cet égard c'est l'idée que l'administration publique a tendance à laisser entendre un lien étroit entre le régime de santé et le gouvernement, mais l'exemple de la Hollande et de l'Allemagne laisse entendre qu'il est possible de mettre un peu de distance entre un pouvoir public sans but lucratif et la vie politique quotidienne et ses caprices qui perturbent un tel système.

Il y a manque de continuité au niveau supérieur de nos ministères de la Santé. On l'a certainement constaté au niveau fédéral, mais je crois également qu'on l'a constaté dans bon nombre de provinces. On en est arrivé à un point où les compétences et l'expérience totales que l'on retrouve chez les hauts fonctionnaires qui administrent le système de santé dans les diverses provinces ont énormément diminué. Ce ne sont pas des emplois enrichissants en ce sens qu'on n'a pas l'impression d'avoir du succès ces temps-ci et, par conséquent, il y a habituellement un roulement fréquent. Le système est donc dirigé par des gens qui ont des connaissances minimales au sujet de ce qu'il tente de réglementer.

Ce serait peut-être une bonne chose de mettre un peu de distance entre les hommes et les femmes politiques et la gestion du système de santé. Cela pourrait être une façon de réinterpréter l'administration publique pour procurer plus de liberté ou assurer plus de distance.

Le président: En ce sens, on pourrait mettre sur pied un organisme indépendant, une société d'État, peu importe comment on voudrait l'appeler.

M. Forget: Oui.

Le sénateur Morin: J'aimerais remercier M. Forget d'être venu nous rencontrer. Il était ministre de la Santé lorsque j'étais doyen de la faculté de la médecine à Laval, et il a été l'un des meilleurs ministres de la Santé que nous ayons eus au Québec, sinon le meilleur. Il a écrit un excellent livre sur les marchés internes au Canada et pour ceux que la question intéresse, il s'agit là d'une excellente source de référence.

J'ai deux demandes spéciales avant de commencer. Madame Tuohy, vous nous avez envoyé d'excellents documents. Dans l'un on déclarait qu'un pourcentage de la population dans différents pays est sur une liste d'attente. Cela se limitait à trois ou quatre pays; les États-Unis et d'autres pays n'y figuraient pas. Y a-t-il une liste plus longue? Peut-être que vous pourriez nous fournir une liste complète des pays, en ce qui a trait aux listes d'attente.

Mme Tuohy: Je devrais transmettre la question à Mme Flood. Il y a eu une enquête de la population du Fonds duCommonwealth dans les cinq pays anglo-américains dans laquelle on posait des questions au sujet des listes d'attente. Nous avons ces données.

Le sénateur Morin: Peut-être que nous pourrions avoir ces listes.

Monsieur Donaldson, peut-être que nous pourrions avoir la référence qui est citée dans l'étude qui compare les divers systèmes de prestation.

M. Donaldson: Absolument.

Le sénateur Morin: D'après notre étude des différents pays, il y a trois grandes différences entre le Canada et les autres pays. Notre système est très décentralisé. Je ne peux pas penser à un autre pays où toute la prestation des soins de santé relève des États ou des provinces, selon le cas. Le gouvernement central a toujours un certain pouvoir en matière de prestation de soins de santé. Ici au Canada, cela relève entièrement des provinces, lesquelles résistent tout à fait à toute intrusion du gouvernement fédéral, même si cela pouvait être avantageux. Avec le temps, les fonds fédéraux sont dépensés sans condition dans le domaine de la santé. Tant que le gouvernement fédéral accorde des points d'impôt ou un financement sans condition, il perd du pouvoir.

À un moment donné, je me demandais s'il ne fallait pas permettre aux provinces de faire des expériences indépendantes selon certains principes généralement acceptés, compte tenu du fait que le régime est tellement décentralisé. J'aimerais avoir votre opinion là-dessus.

Une autre différence qui a été mentionnée c'est que chaque pays que nous avons étudié, pour toutes sortes de raisons dont certains sont historiques, à un secteur privé pour les services hospitaliers et médicaux. Certains pays, comme l'Australie, encouragent cette approche et subventionnent le secteur des assurances. L'Australie estime que le secteur privé est très important et veut qu'au moins la moitié de la population s'en serve.

Certaines provinces canadiennes s'intéressent davantage à cette possibilité. Nous pouvons avoir des discussions théoriques à ce sujet. Faut-il permettre aux provinces de faire des expériences pourvu qu'elles respectent certains principes généralementacceptés?

J'ai également été frappé par l'augmentation des coûts de notre régime canadien et l'incidence de cette augmentation sur les provinces.

Selon l'ICIS, les coûts des soins de santé payés par les provinces ont augmenté de 9 p. 100 l'année dernière. Toutes les provinces, sans exception, se sont plaintes du fait que leur régime de prestation de soins de santé représente 45 p. 100 ou même 50 p. 100 de leur budget. Ce matin, on lisait dans les journaux que le ministre Trudel, ministre de la Santé du Québec, disait aux radiologues qu'il avait dû rejeter leurs demandes, même si elles étaient très bien fondées. Il a également annoncé quelle université devait être fermée.

En Grande-Bretagne, dans son programme, le Parti travailliste, pendant la dernière campagne électorale, a promis d'augmenter le coût du régime de soins de santé d'un tiers. D'après nos témoins, nous avons l'impression que les coûts sont relativement stables en Australie et dans la plupart des pays d'Europe. Ce qui me frappe c'est que le coût de notre régime augmente tellement au Canada. Les provinces ne peuvent plus se permettre ces augmentations, surtout depuis deux ans.

Mme Flood: Je crois comprendre d'après vos observations, sénateur, que vous jugez que les provinces sont contraintes par la Loi canadienne sur la santé.

Je dirais plutôt que les critères de la Loi canadienne sur la santé sont assez larges. Elle permet certaines possibilités, dont les marchés internes et la réforme des soins primaires. La seule interdiction c'est la mise en place d'un ticket modérateur, la surfacturation et un régime de soins de santé à deux vitesses. Cependant, cela s'applique seulement s'il s'agit d'augmenter le financement privé en vue d'une réforme du régime public.

Il est vrai qu'il y a eu une grande incompréhension de ce que signifie l'administration publique, mais je trouve que ceux qui prétendent qu'elle empêche le recours aux services privés font erreur. Ce n'est pas ce que prévoit la Loi canadienne sur la santé. Sans cette mauvaise interprétation, il y a beaucoup de possibilités d'apporter le genre de réformes dont parlent la plupart des spécialistes présents à cette table.

Sur le deuxième point, nos travaux concernant les expériences avec des assureurs privés et la surfacturation indiquent que les pays qui ont un régime à deux vitesses n'ont pas de listes d'attente ou des délais plus courts. Avec l'assurance privée, les listes d'attente et les délais seront de toute évidence plus courts, mais en général ce n'est pas le cas.

Cela dit, il serait peut-être possible de faire des essais de l'assurance privée, comme au Québec. On pourrait offrir une gamme de services plus vaste si on réglementait l'assurance privée et si on prévoyait des contributions obligatoires des employeurs et des employés. Si on adopte la formule des Pays-Bas en matière d'assurance privée, ou celle des autres pays ayant des systèmes d'assurance sociale, il y a beaucoup de possibilités de réforme intéressantes.

M. Forget: Voilà qui nous ramène à la question soulevée par M. Blomqvist: Quel est l'objectif du régime? De toute évidence, toute la philosophie dont s'inspire notre régime est influencée par l'approche des soins de santé publics, même pour ce qui est des soins aux particuliers. Cette approche est omniprésente lors des discussions par les gouvernements d'une réorganisation qui permettrait d'atteindre de meilleurs résultats. Les résultats en question visent la société dans son ensemble - l'espérance de vie, et cetera. Les résultats ne visent pas la personne qui va à une clinique ou à l'hôpital pour obtenir un service donné. Le régime a tendance à négliger cet ensemble de résultats, qui sont d'intérêt privé. On aime parler des effets macro-économiques du régime de soins de santé - l'équivalent du taux d'inflation et du taux de croissance de l'économie. Dans le régime de soins de santé, les résultats de cet ordre sont l'espérance de vie et d'autres facteurs de ce genre. Cette philosophie a guidé l'approche de la santé publique au financement public.

À mesure que nous nous rendrons compte de l'aspect multidimensionnel des résultats, de leur aspect qualitatif, il deviendra difficile de soutenir cette thèse. Par exemple, un jour viendra où nous pourrons classer les fournisseurs dans n'importe quel domaine - les soins cardiaques, par exemple. Il y aura un classement au niveau national dans les premier, deuxième et troisième quartiles. Quel homme politique voudra dire qu'on doit obtenir des soins auprès de fournisseurs se trouvant dans le quatrième quartile? Essayez donc de vous représenter cela. C'est un exemple extrême.

Dans la mesure où vous vous rendrez compte qu'il y a des variations, vous vous rendrez aussi compte qu'il y a des compromis. Dans ce contexte en particulier, les gens préféreront la proximité aux résultats. Cela se fait déjà. Nous savons que pour certaines interventions chirurgicales, il y a un lien entre le volume et le succès des résultats. C'est un fait connu depuis longtemps.

Cela n'a pas diminué la pression pour ce qui est de disposer d'installations de cardiologie dans des régions à faible densité démographique qui ne peuvent aucunement fournir le volume nécessaire pour assurer un haut niveau de qualité. C'est un fait connu depuis longtemps. Cela a-t-il influé sur les choix des autorités publiques, la pression populaire et les choix des individus? Les gens ont recours à ces établissements, et s'ils voulaient bien se renseigner, ils apprendraient qu'ils courent de plus grands risques. On fait des compromis, et ils deviendront de plus en plus évidents. Une fois que l'on aura documenté tous ces compromis - et ça se fera, le tout sera disponible sur Internet d'ici 10 ans - les gens seront au courant de tout cela.

L'aspect multidimensionnel des soins de santé et de la clientèle rendra impossible le financement de tout le système. À ceux qui voudront des soins plus spécialisés, on répondra qu'il y a un financement de base mais qu'ils devront payer pour tout ce qui dépasse. Je ne vois pas comment les gouvernements ou les administrations publiques peuvent vraiment faire de tels choix, quand ils sont lourds de conséquences économiques pour le système qui est entièrement financé par les fonds publics.

Voilà ce qui arrivera. Le système tombera en panne si on ne l'assouplit pas. Je crois que c'est là la réponse à la question du sénateur Morin. Existe-t-il un rôle pour le financement privé? Tôt ou tard, nous serons tous d'accord sur le fait que nous ne pourrons pas résoudre ces problèmes autrement qu'en permettant aux gens de payer la différence lorsqu'ils choisissent des options coûteuses.

Le président: Dans le même sens, il y a actuellement un site Web qui donne la liste de tous les chirurgiens cardiaques de l'État de New York avec des dossiers complets sur leurs opérations, et cetera.

Le sénateur Morin: Nous n'avons pas besoin de cela au Canada parce que les meilleurs chirurgiens cardiaques se trouvent ici.

Le président: Il y a bien des années, monsieur Forget, jefaisais un discours devant l'association des médecins de la Nouvelle-Écosse, et je pensais que je disais des vérités de La Palice, mais les membres se sont fâchés lorsque je leur ai rappelé que 50 p. 100 des médecins diplômés étaient parmi les derniers de classe - ils ont trouvé cela assez insultant.

M. Stabile: La solution au problème des compromis c'est de soumettre les compromis à des contraintes. Beaucoup de gens choisissent ces options parce qu'ils y sont contraints. Je ne vous contredirai pas, mais il faut reconnaître les conséquences de vos commentaires au niveau de la justice et de l'équité. C'est peut-être vrai, mais c'est chargé de conséquences au niveau de l'équité.

M. Forget: Sur le plan de l'équité, il faut surtout reconnaître que l'on ne peut pas faire ces choix à la place des gens même si l'on sait ce que ces choix impliquent. Nous sommes encore assez ignorants au sujet de ces classements; il est étonnant de constater à quel point nous ne connaissons pas la qualité relative des fournisseurs dans notre système. Une fois que ces données seront publiées, le système n'aura plus de justification éthique pour imposer ces choix. Les gens devront faire ces choix et il faudra qu'ils aient le pouvoir de les faire, mais ils devront en payer le prix.

M. Donaldson: J'aimerais dire que je suis d'accord avec M. Stabile. Je pense que cette orientation aura de graves répercussions sur l'équité.

Deuxièmement, je voulais aborder la question des coûts. Vous avez raison, depuis un an ou deux, les coûts ont augmenté. Néanmoins, il importe de souligner que cela s'est produit après des années de ralentissement économique. Certains disent que par rapport aux pressions exercées sur le système, il y a eu en fait une réduction des coûts. Ça c'est un élément de la question.

Au Royaume-Uni, le nouveau gouvernement s'est engagé à augmenter les dépenses pour atteindre la moyenne européenne ou celle des pays de l'OCDE. Je ne me souviens pas de laquelle.

Le sénateur Morin: Dans leur plate-forme électorale, ils ont parlé du tiers.

M. Donaldson: Vous avez raison, mais nous ne savons pas du tout quelle incidence cela aura sur la santé de la population. Nous ne savons pas encore quelle incidence les augmentations récentes des dépenses au Canada auront sur la santé de la population canadienne. Nous devons considérer cette question dans le contexte plus vaste du modèle des «déterminants de la santé». Si nous voulons améliorer de façon régulière la santé de la population, ne faudrait-il pas aussi augmenter les dépenses dans le système de soins de santé de façon régulière?

Le président: Je ne ferais pas grand cas du contenu d'une plate-forme électorale.

Le sénateur Morin: Je suis d'accord, mais c'était un changement de politique.

Le sénateur Fairbairn: Monsieur Forget, vous avez parlé de permettre aux citoyens de faire leurs propres choix. Vous avez dit que s'agissant de la qualité, ce n'était pas tout blanc et tout noir mais que la qualité était plutôt multidimensionnelle et que le Canada - ainsi que bien d'autres pays, je suppose - a dû faire face à des problèmes tels que le système d'approvisionnement en sang. Vous avez parlé d'erreurs et de bavures.

J'aimerais vous parler d'une question qui m'inquiète tout particulièrement. Même si je n'irai pas jusqu'à parler d'erreurs et de bavures, la technologie médicale a permis à certains établissements et à leurs employés, qui se trouvent souvent à l'étranger, d'accumuler du savoir-faire en ce qui concerne des problèmes médicaux compliqués et très rares. Que se passe-t-il quand un patient canadien apprend qu'il peut recevoir son traitement - une greffe de cellule souche par exemple - au Canada mais qu'il peut recevoir un meilleur traitement à l'étranger, non pas parce que les médecins étrangers sont meilleurs que leurs homologues canadiens, mais tout simplement parce qu'ils ont fait l'intervention plus souvent. Même si ces médecins reconnaissent qu'ils ont fait des erreurs, ils ont accumulé un savoir-faire qui rend leurs cliniques plus attrayantes. Si j'étais malade, je voudrais me faire soigner par le médecin le plus chevronné. Ensuite, il y a la question de savoir qui paye le traitement.

Qu'est-ce que vous en pensez? Les provinces ont un choix. Elles peuvent lier une partie des coûts de traitement à l'étranger ou elles peuvent estimer que le patient peut se faire traiter au Canada, même si ce traitement canadien coûte aussi cher qu'un traitement à l'étranger. Donc, on dit au malade qu'il doit se faire traiter au Canada. Ça peut représenter un coup très dur pour une personne qui voit que son assurance privée ne sert strictement à rien. Il s'agit là d'une question de qualité.

Quel est votre avis sur cette question dans le contexte du système de soins de santé au Canada? Pensez-vous que nos frontières s'estampent à un point tel que nous sommes obligés de revoir notre attitude envers les gens qui veulent recevoir un traitement de qualité en dehors du Canada?

M. Forget: La question est essentiellement la suivante: est-ce que notre système canadien d'assurance-maladie assure les Canadiens ou le revenu des fournisseurs de services?

J'espère bien sûr que le gouvernement offre uneassurance-maladie aux Canadiens plutôt qu'uneassurance-revenu aux fournisseurs de services. Essentiellement,la question revient à ça.

Une cause très semblable à ce cas, l'affaire Stein, a été soumise au jugement des tribunaux du Québec. Vous avez sans doute entendu parler de cette affaire. Le gouvernement du Québec avait une règle selon laquelle toute procédure médicale disponible au Québec ne pouvait pas être remboursée à l'extérieur du pays. Le tribunal a estimé que la procédure médicale - dans ce cas-ci un traitement pour le cancer - était disponible au Québec, mais pas en temps opportun. L'individu s'est rendu dans l'État de New York, a subi l'intervention, et a finalement interjeté appel auprès de la Cour d'appel du Québec qui a statué que la personne devait être remboursée pour les soins reçus dans l'État de New York. Le juge a déterminé que le terme «disponible» voulait dire disponible en temps opportun compte tenu de la nature de la maladie. Pour ce qui est du cancer, de toute évidence, le temps compte.

La situation était aggravée par le fait qu'il fallait installer une pompe dans le patient au moment de l'intervention. Cette pompe n'était pas sur la liste des achats approuvés pour les hôpitaux du Québec. C'était une autre raison.

Cette affaire démontre que, lorsqu'on soumet les cas au jugement des tribunaux - et il n'y a que cette décision de laCour d'appel du Québec qui existe pour le moment - les gouvernements provinciaux, semble-t-il, ne peuvent empêcher qu'on achète des services hors de la province ou hors du pays lorsqu'il y a des raisons valables de le faire.

C'est à cela que je faisais allusion quand j'ai mentionné la clause anti-monopole en Europe qui, d'après ce que j'ai compris de mes conversations avec des Hollandais, empêcherait des citoyens d'un pays donné de l'Europe de se faire rembourser pour des traitements reçus dans d'autres pays de l'Europe.

Cela montre donc que ce sont les citoyens qui sont assurés et qu'il s'agit de décider s'il est raisonnable ou non d'aller à l'étranger se faire soigner. J'imagine que la porte n'est pas complètement ouverte.

Le sénateur Fairbairn: Je m'inquiète du temps que cela prend à un patient pour se pourvoir en cour afin d'avoir la permission de recevoir le traitement. Dans bien des cas, le temps est primordial. C'est une difficulté dans chaque province. C'est certainement le cas dans ma province de l'Alberta. C'est une décision tout à fait humaine et tout à fait tragique à prendre.

M. Forget: C'est le contexte dans lequel plusieursgouvernements provinciaux ont décidé, plus ou moins en même temps que la décision du tribunal, de permettre des soins hors du pays pour les cas de cancer.

Le sénateur Fairbairn: Oui, mais on doit encore décider si l'intervention peut être faite ici ou peut être mieux faite ailleurs.

M. Forget: Il s'agit là uniquement de la dimension qualitative.

Le sénateur Fairbairn: Nous avons un système complexe au Canada. Il s'agit d'un système hautement politisé pour ce qui est de tout le débat entourant la question des compétences, en cas d'élection ou Dieu sait quoi. Nous avons des pressions en matière de compétences dans ce pays.

M. Donaldson et Mme Flood, en faisant l'étude d'un système public par opposition à un système privé, ont mentionné la notion du gouvernement fédéral qui agirait en partenariat avec une province. Pourriez-vous nous en donner un exemple? Vous pourriez même utiliser la situation récente en Alberta. À quel partenariat songez-vous pour cette question assez délicate?

M. Donaldson: Je ne songeais à rien de particulier, c'est simplement une pensée qui m'a traversé l'esprit dans ma chambre d'hôtel hier soir. J'imagine que je pensais aussi à cette question de compétence. À certains égards, le gouvernement fédéral ne peut pas imposer de réforme par voie législative. Une façon de le faire serait peut-être d'encourager un partenariat en proposant un financement moitié-moitié. Je n'ai pas de réforme précise en tête, à part ce dont nous avons parlé, que ce soit une réforme du marché interne ou d'étendre la capitation au-delà des expériences assez restreintes qui se font dans plusieurs provinces.

Mme Flood a peut-être des idées plus arrêtées là-dessus.

Mme Flood: Pour ce qui est du partage des compétences, jusqu'à présent les tribunaux ont donné une interprétation que les provinces ont la compétence principale sur la gestion et le financement des services de soins de santé. Cela pourrait changer. À un moment donné, les tribunaux devront peut-être déterminer si, en vertu de la disposition concernant la paix, l'ordre et le bon gouvernement, le gouvernement fédéral n'a pas une compétence plus large. Le gouvernement fédéral a une certaine compétence sur les produits pharmaceutiques, qui deviennent un élément de plus en plus important des soins de santé.

Étant donné le partage actuel des compétences et la façon dont les tribunaux interprètent à l'heure actuelle la distribution des pouvoirs, certains ont déjà proposé que le gouvernement fédéral offre de financer une réforme des soins primaires dans une province donnée. Prenons comme exemple hypothétique la province de la Nouvelle-Écosse qui accepterait d'entreprendre une réforme des soins primaires en adoptant l'approche du cabinetde groupe de généralistes, et le gouvernement fédéral, en contrepartie, financerait les diagnostics sur ordonnance par une formule de paiement par capitation, par exemple, pour les cabinets de médecins de famille et d'infirmières. Ce serait une expérience merveilleuse à tenter à l'échelle d'une province. Si c'était une réussite, d'autres provinces voudraient peut-être emboîter le pas.

Voilà un exemple très simplifié du genre de partenariat auquel plusieurs songent.

Le sénateur Cordy: J'ai trouvé intéressants les commentaires de M. Donaldson et de Mme Flood sur la rémunération des médecins. J'ai assisté la semaine dernière à une conférence sur la santé en Nouvelle-Écosse; un médecin a exprimé l'avis que sa profession avait très bien réussi - peut-être trop bien réussi - à convaincre les gens qu'ils devaient obtenir l'avis d'un médecin pour de nombreuses choses. Mme Flood a décrit cela comme étant la fonction de gardien dans notre système.

Que faut-il faire pour créer la volonté politique qui se traduira par des changements à notre système? Madame Tuohy, vous m'avez intriguée quand vous avez dit que le Canada devrait peut-être viser plusieurs petites réformes plutôt qu'une réforme globale. Vous avez parlé de la formation d'alliances avec les intervenants clés du système. Pourriez-vous nous en dire un peu plus long sur la façon de faire cela? Quand je parle de volonté politique, ce n'est pas nécessairement de la part du gouvernement, mais plutôt au sein du système de santé et de la population canadienne, une volonté de changement.

Mme Tuohy: L'exemple que j'ai donné et que je voudrais faire ressortir est celui de la réforme des soins primaires. Je crois qu'il existe une volonté de la part des fournisseurs des soins primaires - surtout des médecins mais aussi des infirmières praticiennes - à participer et à collaborer à la réforme des soins primaires. La plupart des associations médicales provinciales sont d'accord aussi. En Ontario, le Collège des médecins de famille, au moins, appuie cette idée.

Il y a du potentiel pour ce genre d'alliance. Ces intervenants influent beaucoup sur le système, précisément en raison de cette fonction de gardien. Il serait peut-être possible de mettre en oeuvre une réforme des soins primaires sur une base volontaire, comme on l'a fait en Grande-Bretagne et en Nouvelle-Zélande. Je ne suis pas du tout sûre qu'il faudrait rendre cela obligatoire. Je pense qu'il serait pertinent de mettre l'accent là-dessus, étant donné le climat au Canada au sein du système de santé et plus généralement dans la société. À mon avis, il y aura des effets importants pour les ordonnances de médicaments et pour les recours à des spécialistes et aux soins de longue durée.

Mme Flood: Je suis tout à fait d'accord. M. Blomqvist a exprimé la crainte que la formule de paiement par capitation puisse limiter les choix et a dit que cela deviendra une préoccupation majeure pour les Canadiens. Il faut se rappeler qu'en parlant des cabinets de groupe de médecins, il s'agit effectivement d'un groupe, peut-être un groupe qui estrelativement grand, de médecins et d'infirmières travaillant en équipe. Selon cette formule, si vous n'aimez pas votre médecin de famille, vous pouvez choisir un autre médecin de l'équipe. Le choix doit se faire parmi les membres de l'équipe, mais on n'est pas limité à un médecin donné.

L'important c'est d'y inclure les budgets pour les médicaments sur ordonnance et les services diagnostiques. À mon avis, le problème n'est pas tellement que les médecins demandent des paiements multiples pour leurs propres services, mais plutôt que rien ne les incite à être prudents concernant les coûts etles avantages des traitements qu'ils recommandent ou des médicaments pour lesquels ils donnent des ordonnances. Cela ne veut pas dire que les médecins sont méchants; ils n'ont tout simplement pas eu de raison dans le passé d'être sensibles à cela. M. Stabile peut vous donner des statistiques concernant le taux élevé de prescriptions de médicaments au Canada.

Il est très important d'accorder des budgets plus globaux. Il faudrait déterminer quels services seraient couverts, mais cela est essentiel pour la réforme des soins primaires.

Le président: Comme Mme Flood doit nous quitter, j'aimerais la remercier de sa participation aujourd'hui. Cela a été fort utile.

Le sénateur Cordy: L'universalité est sans doute l'un des aspects les plus importants pour les Canadiens. Si l'on poursuit l'idée de procéder d'abord à plus petite échelle, pensez-vous qu'il pourrait y avoir des projets pilotes dans une seule province au Canada, ou même dans une partie d'une province? Les gens semblent croire que les services qui sont offerts dans une province doivent l'être à l'échelle du pays.

Mme Tuohy: Je crois que cela serait faisable pourvu que les projets pilotes soient assez vastes pour couvrir de grandes régions à l'intérieur des provinces, ou même toute une province. Je crois qu'un tel projet serait conforme à la Loi canadienne sur la santé. Il ne faut pas croire que la disposition d'accès à des conditions uniformes constitue un obstacle à ce genre de projet.

Si Mme Flood était toujours là, elle nous dirait que cela porte vraiment sur l'absence d'obstacles financiers. Je crois que ce genre d'expérience en soins de santé primaire dont vous parlez peut se faire dans le cadre de la Loi canadienne sur la santé, pourvu que nous n'établissions pas de prix différents à l'intérieur du secteur public et que nous n'érigions pas d'obstacles financiers à ces soins de santé.

M. Donaldson: J'ai un commentaire rapide qui porte sur ce qu'on vient de dire. Pour mettre en oeuvre une réforme, il faut évidemment que les gens qui y participent se portent volontaires. Mais je crois qu'il faut avoir une plus grande participation. Nous devons convaincre ceux qui n'y croient pas d'y participer. Ce que nous savons déjà sur la capitation, est basé sur des petits groupes de volontaires isolés. Qu'est-ce que ces études démontrent? Que la capitation n'a pas de répercussion. C'est parce que les gens qui se portent volontaires pour ces études sur la capitation ont déjà une attitude branchée pour leur prestation des soins de santé. Ils ne font pas beaucoup de renvois à des hôpitaux. Ils ne se servent pas de beaucoup de médicaments, sans doute. On pourrait soutenir que ces expériences avec des volontaires ont, en fait, nui à la réforme des soins de santé.

Le sénateur Keon: C'est dommage que le circuit international soit fermé. Je voulais poser une question. Depuis longtemps, je suis d'avis que le principal problème en matière de réforme des soins de santé au Canada tient à l'absence d'un bon système d'information en matière de santé. On peut parcourir le monde entier à la recherche d'un tel système, mais il n'y en a pas. Ce qui est intéressant, c'est que ce sont peut-être les Britanniques qui sont les plus près de régler ce problème. Du point de vue de la technologie, c'est faisable - et ça se produit un peu par hasard sur Internet. Le seul problème c'est que les renseignements qui s'y trouvent sont erronés.

Le président: Nous sommes en train d'élaborer unsystème avec des renseignements erronés, ou du moins, des renseignements qui ne sont pas justes.

Le sénateur Keon: Selon vous, pourquoi ne l'avons-nous pas fait? Est-ce trop délicat sur le plan politique? Avons-nous peur de présenter à nos clients ce que nous savons et ce que nous ne savons pas? Est-ce, au Canada, un problème de querelle fédérale-provinciale, et sur la scène internationale, est-ce un problème de querelle internationale? Ce n'est pas une question de possibilité ou d'impossibilité; c'est tout simplement que personne n'y travaille. À mon avis, ce n'est pas un problème de financement. Je ne crois pas que cela nous coûterait très cher.

J'aimerais entendre les commentaires de tout le monde. Si nous voulons avoir le genre de résultats dont a parlé M. Forget, il nous faudra un tel système.

M. Blomqvist: Si je devais voir dans quelles circonstances l'information semble avoir été utilisée de la façon la plus efficace pour fournir des soins rentables, je citerais l'exemple des régimes de soins gérés aux États-Unis. Ils ont une incitation financière directe pour diffuser l'information auprès de leurs clients sur ce qui n'est pas nécessaire et sur ce qui ne répond pas aux critères de rentabilité.

À l'échelle nationale, comme vous l'avez mentionné, les Britanniques en sont arrivés très près. On peut, si vous voulez, imaginer que le NHS est un énorme régime de soins gérés qui a le monopole. Essentiellement, les incitatifs sont semblables.

Dans des systèmes où il y a paiement à l'acte et où les hôpitaux sont financés par des budgets globaux ou des choses de ce genre, il n'y a pas de mesure incitative pour encourager les acteurs individuels d'agir ainsi.

Le président: Selon vous, pourquoi les gouvernements provinciaux ne s'y sont-ils pas intéressés, étant donnéqu'ils profiteraient énormément d'un système d'information plus efficace?

M. Forget: Je ne sais pas. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi on n'y arrive pas; on y arrive seulement en partie. Lorsque les gouvernements parlent d'un système d'information pour la santé, on soulève le spectre de la confidentialité. À mon avis, c'est parfois suffisant pour empêcher les gouvernements de se lancer dans une telle entreprise dont les avantages ne se matérialiseront que des années plus tard. Du point de vue politique, c'est peiner à court terme pour obtenir un gain à long terme, ce qui n'est évidemment pas très prometteur.

Je crois également que les gouvernements provinciaux sont intimidés par la nature du problème. Pour avoir un bon système d'information, il faut avoir un bon modèle conceptuel de ce qu'on essaye d'obtenir et du genre d'information nécessaire pour prendre certains types de décisions. C'est à ce moment-là qu'il faut déterminer si on veut un système conçu dans l'intérêt de ceux qui payent et comme mécanisme de contrôle des coûts d'abord et avant tout, ou si l'on veut un système d'information qui aidera à prendre de bonnes décisions du point de vue des utilisateurs. Il s'agit de deux conceptions différentes. Nous n'avons pas encore entamé le débat sur cette question.

Conséquemment, on voit que la technologie de l'information est utilisée de façon décousue. Presque chaque appareild'équipement médical produit maintenant une sortie numérique d'une sorte, mais il est impossible de la relier à quelque chose d'autre. Essentiellement, l'appareil fonctionne indépendamment. Personne n'a conçu les logiciels nécessaires à l'échelle mondiale parce que chaque hôpital, chaque province et chaque région a son propre système. Il y a d'énormes obstacles à contourner dans la conception d'une architecture commune et d'un système de classification commune.

D'après ce que j'entends dire des États-Unis, il y a beaucoup d'activités là. J'ai entendu dire des Américains du Institute of Medicine dire qu'il nous faudrait un projet semblable au Manhattan Project. Ils envisagent de dépenser près d'undemi-milliard de dollars pour ce projet car les ressources nécessaires seront énormes. Donc, il va falloir que beaucoup de gens se mettent ensemble et se mettent d'accord.

Prenons le cas du Digital Register Graphic, DRG. C'est un système de classification pour les actes médicaux qui est largement utilisé, mais il éprouve toutes sortes de problèmes. Il faudra résoudre toutes ces questions, d'une certaine façon, à un niveau plus élevé, avant de pouvoir disposer d'un logiciel de série qu'un hôpital pourrait utiliser afin d'effectuer toutes sortes d'analyses et pour appuyer les tâches de gestion, tout comme dans le secteur privé. Il y a des systèmes de Planification des ressources de l'organisation, PRO, et ainsi de suite. Mais nous n'avons pas d'équivalent dans le secteur médical parce que nous n'avons pas encore mis au point l'infrastructure et l'architecture.

Le sénateur Robertson: Et il faut également considérer les dangers pour les provinces si le système n'a pas l'information correcte ou s'il y a quelque chose qui n'est pas juste. Il faudra énormément d'argent pour s'assurer que c'est bien fait.

M. Forget: Voilà pourquoi une initiative nationale pourrait porter fruit - mais une initiative nationale dans le cadre d'un effort international. À l'heure actuelle il y a une entreprise nationale pour essayer d'établir une telle initiative. Mais je crains que si elle se limite au Canada, l'initiative ne rapportera pas les mêmes avantages que si elle était faite à l'échelle internationale.

Le sénateur Robertson: Il est très important de donner aux Canadiens et aux Canadiennes des moyens d'agir. J'aimerais savoir si parmi les témoins il y en a qui connaissent un programme ou un projet pilote qui comporte un programme éducatif particulier pour donner ces moyens aux Canadiens et aux Canadiennes.

Sans connaissance, il est difficile de donner aux gens des moyens d'agir. Dans certaines régions du pays, les pertes d'emploi préoccupent davantage les gens que les pertes de personnel médical. En avez-vous fait l'expérience? Si l'on veut donner des pouvoirs aux gens, il faut qu'ils soient bien informés. En avez-vous fait l'expérience?

Mme Tuohy: Je pourrais vous dire un mot au sujet des diverses consultations communautaires tenues aux Pays-Bas et enNouvelle-Zélande pour discuter du contenu de l'assurance de base. La couverture de base est demeurée plus ou moins la même, cependant, ces réunions ont servi à renseigner les citoyens qui y ont participé sur l'efficacité de diverses formes de traitement. C'est peut-être un chemin sur lequel il vaudrait mieux ne pas s'aventurer.

M. Blomqvist: Le plan de l'Oregon est un autre exemple. Au niveau plus restreint de l'administration de la santé à l'Université de Toronto, on a travailler pour créer une informationsystématique à l'intention des patients dans le contexte de certains types d'interventions. N'a-t-on pas préparé des vidéos sur le cancer de la prostate à l'intention des patients qui doivent prendre des décisions?

Mme Tuohy: Effectivement, c'est à un niveau plus restreint.

Le sénateur Robertson: Tous semblent être d'avis, et je ne suis pas contre qu'il faut apporter des modifications importantes au régime de soins primaires et à l'assurance-médicaments.

J'ai l'impression que vous nous dites qu'il serait tout à fait acceptable d'avoir une participation au coût des soins primaires et de l'assurance-médicaments, mais que cela ne devrait pas s'appliquer aux autres éléments du système. Ai-je bien interprété vos propos?

Mme Tuohy: Vous m'avez mal interprétée. Je peux facilement entrevoir la coparticipation à l'assurance-médicaments. Comme on a expliqué, presque tout système d'assurance-médicaments implique un niveau de participation au coût fondé sur le revenu, mais ce n'est pas le cas pour les soins primaires.

M. Blomqvist: Je suis d'accord.

M. Forget: J'en ai fait mention seulement dans le cas de la Suède où une participation aux coûts supplémentaires sert à acheminer la demande de soins primaires vers les installations conçues à cette fin plutôt que vers les cliniques externes et les hôpitaux. C'est un problème. Nos services d'urgence, qui servent aussi aux soins ambulatoires, représentent un problème qui est très bien connu. Ni l'éducation ni l'exhortation ne semblent réussir.

Une petite incitation financière pour diriger les patients vers les autres installations serait peut-être une bonne solution - non pas pour financer le système, mais pour communiquer un message. Les gens auraient peut-être tendance à y regarder à deux fois avant de se présenter à une clinique externe ou à une salle d'urgence. Faute d'une autre option, nous sommes plus ou moins obligés de songer à des solutions de ce genre.

Le sénateur Graham: Savez-vous s'il existe un moyen de déterminer les coûts exacts de l'administration des divers systèmes de soins de santé dans les pays que nous examinons?

Nous avons dit qu'au Canada cela coûtait 2 à 3 p. 100, en Allemagne, 5,6 p. 100 et aux États-Unis les coûts étaient encore plus élevés. Les montants varient selon le type de services qui est offert, ainsi de suite. Pourriez-vous nous faire un commentaire? Est-il possible d'obtenir des données exactes qui nous permettraient de faire des comparaisons entre notre pays et les autres sur le plan des coûts administratifs?

M. Forget: Il me semble que c'est un calcul qui serait facile à faire, en se fondant sur un échantillon des budgets des hôpitaux, des budgets provinciaux, et cetera. Il serait possible d'arriver à une estimation, sinon un montant total.

Encore une fois, si l'on se reporte aux discussions préalables sur la question, quand on parle de budgets pour les hôpitaux, si on examine le budget administratif, on peut citer un montant et se faire dire: «Est-ce que l'infirmière chef dans chaque département représente un coût administratif ou non?» Si on adopte cette optique, le problème devient très complexe. Est-ce que le chef du département consacre une partie de son temps à des tâches administratives, et devrait-on en tenir compte? Au fur et à mesure que l'on entre dans ces détails, il devient presque impossible de répondre à la question.

Bien entendu, les budgets administratifs dans les hôpitaux ne sont pas secrets. Les compressions budgétaires de la deuxième moitié des années 90 ont eu pour effet de réduire radicalement cette partie du budget des hôpitaux. Pour l'hôpital que je connais, le Centre universitaire de santé McGill, la réduction cumulative en termes réels a été de 40 p. 100 du budget administratif et en tant que membre du conseil d'administration, je dirais que nous sommes sous-gérés. Il nous est impossible de bien gérer des organisations aussi complexes avec le personnel que nous avons à notre disposition.

Je n'ai pas le chiffre sous les yeux, mais je sais qu'il a maintenant atteint un niveau qui est trop faible. Il ne faut pas oublier qu'un hôpital offre des milliers de types de services. Sans exception, il s'agit de l'organisation la plus complexe au monde. Il faut une gestion active de la part de professionnels compétents afin de pouvoir fournir des services satisfaisants. Ce n'est pas ce que nous faisons à l'heure actuelle. Il y a un problème de qualité, assorti d'un problème de quantité.

Le sénateur Graham: Il y a quelques mois, un témoin nous a dit qu'il ne s'agissait pas d'augmenter les budgets, d'injecter d'autres millions de dollars dans le système, mais qu'il fallait plutôt devenir plus efficace dans la prestation de services. Qu'en pensez-vous?

Mme Tuohy: Ce n'est pas simplement une question de frais généraux. Toute la fonction de production entre en ligne de compte lorsqu'il s'agit d'assurer une prestation efficace.

Le sénateur Graham: Je comprends, et cela relève d'un autre domaine.

Cependant, n'est-il pas vrai que le témoin a exprimé une position selon laquelle il ne fallait pas tout simplement augmenter les budgets mais qu'il fallait aussi tenter d'améliorer l'efficacité du système?

M. Forget: Il y a une étude américaine à ce sujet où il s'agit d'un examen de plusieurs études qui tentent de répondre à la question suivante: quel est le niveau de qualité des soins de santé aux États-Unis?

Suite à ces études, les conclusions sont les suivantes: pour ce qui est des soins primaires, on ne prodigue que la moitié des soins qui devraient être offerts; pour ce qui est des soins chroniques et actifs, seulement 60 p. 100 des soins nécessaires sont prodigués. Ce sont des statistiques américaines - avec leur énorme budget. Je ne sais pas quels seraient les chiffres comparables pour le Canada. Des soins qui sont prodigués, 30 p. 100 sont mal choisis. Ça vous donne une idée de l'ampleur de nos carences pour ce qui est de l'efficacité ou de l'efficience, peu importe le terme que l'on choisit. Cela ne veut certainement pas dire que si nous étions plus efficaces, nous dépenserions moins.

Selon des études objectives, bon nombre de personnes se passent des soins qu'il leur faudrait. Pour ce qui est des soins qu'elles reçoivent, ce n'est pas ce qu'il leur faudrait, ou bien il leur faudrait autre chose. Cela ne signifie pas que nous pourrions économiser le montant global.

On ne peut pas dire qu'il serait possible d'économiser un montant important avec une meilleure gestion du système. Elle pourrait être plus appropriée ou plus efficace, mais pourrait aussi coûter plus cher.

Le président: Chaque fois que nous parlons de la prestation de services à notre comité, nous nous rendons compte qu'il s'agit d'un domaine de compétence provinciale et que même si nous aimerions avoir une influence, nous ne le pouvons pas, ou bien qu'il existe certaines possibilités, mais nous ne pouvons pas le faire. Ce n'est pas le cas pour la population aborigène. Le nombre de personnes dont le gouvernement fédéral est responsable pour la prestation de services dépasse la population de cinq provinces. Le Canada est effectivement au 6e rang comme dispensateur de soins de santé.

Dans un sens plus large, pour revenir au commentaire de Mme Tuohy, le gouvernement fédéral devrait-il songer à utiliser un nombre assez considérable de personnes pour participer à un projet pilote important? Étant donné tous les facteurs, tels le niveau de revenu et le niveau d'instruction, je doute qu'il nous serait possible d'avoir des échantillons représentatifs, c'est-à-dire, je ne crois pas qu'il soit possible de tirer des conclusions suite à un projet impliquant la population aborigène; serait-il possible de tirer des conclusions au sujet des changements systémiques ailleurs? C'est ma première question.

Deuxièmement, pouvons-nous tirer des leçons du programme québécois d'assurance-médicaments?

Mme Tuohy: Pour ce qui est des peuples aborigènes, je vous citerai l'exemple de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande. Vous avez peut-être déjà étudié la question, je vous dirai que les éléments les plus innovateurs dans les programmes destinés aux populations aborigènes en Australie et en Nouvelle-Zélande sont au niveau de la prestation intégrée des soins de santé.

Le président: Je dois vous signaler que dans lavidéoconférence, les témoins australiens nous ont dit qu'ils croyaient que l'Australie et la Nouvelle-Zélande accusaient un retard de 20 ans par rapport au Canada pour ce qui est de leurs populations aborigènes.

Mme Tuohy: Cela s'applique aux résultats pour la santé.

Le président: Nous avons qualifié la question des peuples aborigènes de propre au tiers monde. S'il y avait un cinquième ou un sixième monde, c'est là où le problème se situerait.

Le sénateur Morin: Nous ne dépensons que la moitié de ce qu'ils dépensent. Et il semblerait qu'ils sont en retard. C'est la question que nous avons posée.

Mme Tuohy: La réponse sera peut-être différente selon la personne à qui on la pose. Des collègues en Australie m'ont dit - et c'est encore plus vrai pour la Nouvelle-Zélande - que les expériences en matière de prestation de soins intégrés aux populations aborigènes représentent les aspects les plus innovateurs de leur système de soins de santé.

Il faudrait retenir l'exemple de l'assurance-médicaments au Québec, modèle dont nous pourrions nous inspirer si jamais nous songeons à fusionner les régimes d'assurance public et privé.

M. Blomqvist: Pour ce qui est du financement des soins de santé destinés aux populations aborigènes, je crois comprendre que les services hospitaliers et les services de médecin sont toujours couverts par les provinces en ce moment.

Le président: Ils ne sont pas couverts si on habite une réserve.

M. Blomqvist: Ils ne sont pas couverts sur la réserve - mais je ne sais pas dans quelle mesure cela s'applique aux hôpitaux et aux médecins. Dans le cas du régime d'assurance-médicaments, je crois personnellement qu'il nous reste beaucoup à apprendre puisque c'est le seul exemple d'un régime d'assurance facultative qui n'existe pas au Canada à l'heure actuelle.

Si j'ai bien compris, il existe aussi des études dont les conclusions sont négatives quant à l'utilisation du ticket modérateur pour contrôler les coûts, ce qui porte à se demander s'il ne serait pas possible de tenter d'autres méthodes, telles des formules ou des budgets médicaments pour les médecins plutôt que le ticket modérateur.

M. Forget: Je suis ébahi en ce qui concerne ces deux questions. En tant que Canadien, ma seule réaction face à la santé des peuples aborigènes est un sentiment de honte. C'est tout ce qui me vient à l'esprit.

En ce qui a trait à l'assurance-médicaments, j'aimerais savoir si nous pouvons tirer des leçons de ce programme. Pour moi, en tant qu'utilisateur, il est paradoxal de constater que je ne dois plus rien débourser pour obtenir des médicaments d'ordonnance. Ça n'a jamais été un problème pour moi. C'est un problème pour certains. Je ne sais si leur situation s'est améliorée. Je crois qu'une étude objective pourrait nous apprendre certaines choses, mais je ne connais pas la réponse.

Le président: Je remercie les témoins. Votre participation est grandement appréciée.

Nous aurons une dernière séance demain à midi avant de nous quitter pour l'été.

La séance est levée.


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