Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 27 - Témoignages pour la séance du matin
OTTAWA, le mardi 2 octobre 2001
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été confiée l'étude du projet de loi C-11, Loi concernant l'immigration au Canada et l'asile conféré aux personnes déplacées, persécutées ou en danger, se réunit aujourd'hui à 9 h 30 pour examiner ledit projet de loi.
Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Chers collègues, nous entendrons ce matin des représentants de l'Association du Barreau canadien et de la section du Barreau québécois qui s'occupe des questions d'immigration.
Je cède maintenant la parole à nos témoins.
M. Benjamin J. Trister, président, Section nationale du droit de l'immigration et de la citoyenneté, Association du Barreau canadien: Nous sommes heureux de l'occasion qui nous est donnée de comparaître ici aujourd'hui au nom de la Section nationale du droit de l'immigration et de la citoyenneté de l'Association du Barreau canadien (ABC). L'ABC est une organisation volontaire nationale qui compte quelque 37 000 membres. La Section comprend plus de 600 avocats et avocates dont la pratique porte sur tous les aspects du droit de l'immigration. L'amélioration de la loi et de l'administration de la justice étant l'un de nos principaux objectifs, c'est dans ce contexte que nous formulons aujourd'hui nos observations.
Nous tenons d'abord à féliciter la ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et les gens de son ministère. Le projet de loi C-11 propose une refonte complète de la législation canadienne sur l'immigration et comporte de nombreux aspects positifs. La détermination de la ministre à faire adopter le projet de loi est louable.
Ce projet de loi n'est toutefois pas sans poser de graves problèmes. Malgré les bonnes intentions qui ont inspiré sa rédaction au départ, les dispositions qu'on y retrouve finalement sont souvent peu judicieuses et servent mal les objectifs politiques visés.
Nous aimerions vous dire ce que nous pensons de la volonté manifestée par certains de voir ce projet de loi adopté de manière expéditive dans la foulée des événements du 11 septembre. Nous savons que certaines personnalités publiques soutiennent qu'on doit s'empresser d'adopter le projet de loi C-11 pour donner au gouvernement les outils dont il a besoin pour combattre le terrorisme. La loi actuelle lui confère pourtant déjà le pouvoir d'arrêter, de détenir et de renvoyer toute personne qui constitue une menace pour la sécurité du Canada, l'autorisant même à considérer que la sécurité nationale l'emporte sur la liberté individuelle. En matière de détention préventive et anticipée de personnes qui pourraient constituer un danger pour la sécurité publique, la loi actuelle ne présente aucune lacune que viendrait combler le projet de loi C-11. Cette question ne devrait pas nous servir de prétexte pour occulter les défauts majeurs que comporte le projet de loi C-11 et ses conséquences pour les résidents permanents et au regard du droit à des procédures justes et équitables. En fait, à l'heure où des questions de sécurité nationale d'une telle importance sont en jeu, il est particulièrement impérieux de veiller à ce que le droit à des procédures justes et équitables soit protégé.
Les efforts considérables qu'a consacrés l'Association du Barreau canadien à l'examen du projet de loi C-11 reflètent à quel point nos préoccupations concernant ce projet de loi sont profondes. Je puis vous certifier que l'opération qu'a menée la Section du droit de l'immigration et de la citoyenneté de l'ABC pour en arriver à arrêter sa position à l'égard de ce projet de loi représente sa plus grande réalisation au cours des dix années qui se sont écoulées depuis que j'en suis membre. Récemment, mes collègues, MM. Michael Greene et Gordon Maynard, ont reçu le Prix d'excellence St-Laurent de l'ABC en reconnaissance de leur travail sur ce projet de loi. Ces messieurs ont fait honneur à la profession juridique et ont fourni un bel exemple de la façon dont l'Association du Barreau canadien sert l'intérêt public.
Les préoccupations de l'ABC concernant le projet de loi C-11 sont d'ordre juridique et concordent avec notre mandat, les souhaits de nos membres et notre expertise. Nous sommes conscients que le gouvernement a d'importants choix politiques à faire, mais nous estimons que son pouvoir à cet égard n'est pas sans limite. Les politiques gouvernementales, qui trouvent leur expression dans nos lois, doivent être établies dans le respect des institutions qui constituent les piliers de notre société libre. Ces piliers sont notamment notre Constitution, notre Charte des droits, notre tradition juridique ainsi que les principes fondamentaux d'équité, de démocratie et de primauté du droit. À maints égards, le projet de loi C-11 s'écarte de ces principes.
Certains des problèmes que pose le projet de loi C-11 peuvent être résolus par voie d'amendement, alors que d'autres peuvent l'être par règlement. L'ABC exhorte le Sénat à ne pas adopter le projet de loi C-11 sans s'être attaqué à ces problèmes.
Vous avez reçu notre lettre ainsi que l'exposé sommaire de nos six principaux sujets de préoccupation. Sauf erreur, les attachés de recherche du Sénat ont également reçu copie du mémoire plus détaillé que nous avons préparé à l'intention du Comité de la Chambre des communes.
Je vais maintenant demander à M. Greene, le président sortant de notre section, ainsi qu'à M. Maynard, notre trésorier actuel, de vous entretenir de ce qui nous préoccupe plus particulièrement.
M. Michael A. Greene, président sortant, Section nationale du droit de l'immigration et de la citoyenneté, Association du Barreau canadien: L'Association du Barreau canadien réprouve vivement certaines dispositions importantes du projet de loi C-11. Si vous êtes au fait de la discussion qui a eu lieu à ce sujet au Comité de la Chambre des communes, vous n'êtes pas sans savoir que nous y avons plus que quiconque contesté le projet de loi. Nos plus grandes inquiétudes concernent la négation du droit d'accès à la justice, l'élimination d'une procédure équitable en ce qui a trait aux décisions et aux comptes à rendre dans le traitement des questions relatives à la perte du statut et au renvoi de résidents permanents du Canada, le risque d'atteinte aux droits civils des immigrants et d'autres personnes au Canada, et ce qui nous apparaît être l'usurpation de l'autorité du Parlement par le transfert des pouvoirs législatifs aux instances réglementaires.
Les observateurs et les milieux concernés ont été pratiquement unanimes dans leurs critiques à propos des lacunes du projet de loi sur le plan procédural. Presque toutes les ONG, sur la cinquantaine et plus qui ont comparu devant le Comité de la Chambre des communes à ce sujet, ont condamné les limites qu'impose le projet de loi C-11 aux tribunaux en ce qui a trait à la révision des décisions des agents d'immigration.
Bien que certaines des lacunes du projet de loi C-11 aient été redressées par la Chambre des communes, certaines parmi les pires demeurent. Selon nous, ce projet de loi marque un virage fondamental et inadmissible dans la façon dont le Canada traite les immigrants et les candidats à l'immigration. Nous tenons à faire valoir très clairement que nous ne pouvons appuyer ce projet de loi dans sa forme actuelle, et que nous espérons qu'il en ira de même pour vous.
Faute de temps, nous nous contenterons, dans nos exposés, de traiter de quelques-unes de nos principales préoccupations. Nous pourrons ensuite expliciter davantage notre position sur certains aspects, si tel est votre désir.
Nos principales préoccupations concernent l'élimination de toute possibilité sérieuse de révision de la décision d'un agent d'immigration de priver des résidents permanents de leur statut et de les expulser sur la base de certains motifs, le retrait, pour les répondants qui parrainent certaines catégories de parents, de la capacité de s'adresser à la Section d'appel de l'immigration, l'atteinte au droit des résidents permanents d'entrer au Canada avant toute détermination de la perte de leur statut, et l'imposition de l'obligation d'obtenir une autorisation de la Cour fédérale pour avoir droit de demander un contrôle judiciaire d'une décision d'un agent d'immigration. Nous sommes d'avis que cela bloquera à toutes fins utiles tout contrôle judiciaire efficace des décisions des agents. Nous sommes en outre inquiets du pouvoir accru qui sera conféré aux instances réglementaires au détriment du pouvoir du Parlement et, enfin, du libellé même du projet de loi, qui permettra que la loi puisse être appliquée rétroactivement dans le cas de dossiers actuellement en instance de décision.
Je vais expliciter uniquement un de ces points et me contenter de répondre aux questions des sénateurs à propos des autres aspects.
Le problème qui suscite probablement le plus d'inquiétudes, sans vouloir nier l'importance des autres problèmes, c'est l'élimination complète du pouvoir de la Section d'appel de réviser les décisions relatives à la perte du statut et à l'expulsion de résidents permanents sur la base de certains motifs d'interdiction de territoire décrits à l'article 64. Les dispositions de la loi actuelle à cet égard étaient inspirées de principes qui avaient été énoncés dans un livre blanc publié en 1969 et qui ont été repris dans la Loi sur l'immigration adoptée en 1976. Cette loi établissait qu'un résident permanent avait le droit, avant qu'on puisse donner suite à une décision de l'expulser, d'interjeter appel d'une telle décision auprès de la Section d'appel de l'immigration. En vertu de la loi actuelle, la Section d'appel prend en considération toutes les circonstances pertinentes et décide si la personne doit être renvoyée.
Le projet de loi C-11 priverait de ce droit d'appel les résidents permanents visés par un arrêt d'expulsion en raison de ce qu'on définit comme étant une grande criminalité - une définition arbitraire - ou de l'appartenance à un groupe terroriste ou au crime organisé, deux notions qui ne sont pas définies dans la loi. Ces gens perdraient leur droit d'appel.
Nous croyons qu'il est inutile et injustifié de retirer à la Section d'appel cette compétence. Nous estimons que les délais relatifs à l'étude des cas de renvoi, qui constituent en fait le problème qu'on veut résoudre, pourraient être réduits en allouant à la Commission ainsi qu'à la section du ministère de l'Immigration chargée de l'application de la loi les ressources nécessaires et en traitant en priorité les cas où ces motifs plus graves sont en cause. Nous sommes particulièrement préoccupés par le défaut d'accorder une certaine protection aux résidents permanents qui sont au Canada de longue date. Aux termes de ce projet de loi, un résident permanent qui serait arrivé au Canada en bas âge pourrait être expulsé sans aucune révision indépendante visant à établir si l'acte criminel qu'on lui reproche était un événement isolé ou s'inscrivait dans un comportement criminel d'habitude, sans égard aux circonstances particulières entourant la perpétration de l'infraction ni au soutien que sa famille et la société canadienne pourraient lui apporter en vue de sa réinsertion sociale. La procédure proposée donne à l'agent d'immigration le pouvoir absolu de décision et met sa décision à l'abri de toute révision sérieuse de l'extérieur.
Nous croyons que la ministre est bien intentionnée. Ce qui la contrarie, c'est le fait qu'il faille beaucoup de temps pour renvoyer les personnes indésirables. Elle se dit convaincue que ses fonctionnaires agiront équitablement et qu'ils ne renverront jamais une personne sans avoir d'abord pris en considération toutes les circonstances de l'infraction qu'elle a commise ainsi que ses caractéristiques personnelles. De toute façon, elle croit qu'elle aura le dernier mot dans tout cas de renvoi, ce qui semble la rassurer, mais pas nous.
Nous estimons que la procédure proposée est non seulement inéquitable et injuste, mais proprement absurde. Quel agent ira compromettre sa carrière en permettant à quelqu'un de rester au Canada si la personne en question risque de récidiver et de le mettre dans l'embarras? D'ailleurs, quel ministre prendrait le risque politique de commettre la même erreur?
C'est pour cette raison que la procédure d'appel auprès de la Section d'immigration a été prévue au départ dans les années 70. Un tribunal indépendant est en mesure de dépolitiser le processus. Il peut prendre objectivement en considération toutes les circonstances pertinentes, à l'abri de tout préjugé qui pourrait avoir naturellement cours dans les sphères de l'administration et de la politique.
Les bonnes intentions ne sauraient remplacer la justice. Nous ignorons ce que les représentants du ministère ont dit lors de leur comparution devant le Comité de la Chambre des communes, car nous ne sommes arrivés ici par avion qu'hier et n'avons pas encore été à même de prendre connaissance des «bleus», mais, chose certaine, tout au cours du processus, ils ont donné l'assurance aux comités, à la population et à l'Association du Barreau que, et je cite le compte rendu de leur comparution devant la Chambre des communes:
[...] le système comporte une foule de freins et contrepoids qui permettent de s'assurer qu'on prend en considération les circonstances particulières du résident permanent.
Ils poursuivent en disant:
Nous sommes responsables. Ce processus fait l'objet d'une surveillance judiciaire.
En réalité, ce projet de loi ne prévoit nul frein ni contrepoids. Il ressort clairement de nos discussions avec les représentants du ministère depuis leur comparution devant la Chambre des communes qu'ils n'ont absolument pas l'intention de prévoir des freins et contrepoids dans les règlements, lesquels, vous le savez sans doute, ne sont d'ailleurs pas encore rédigés, ni même dans leurs documents d'orientation. Ils ne veulent pas prévoir de tels freins et contrepoids, parce qu'ils craignent qu'ils donnent lieu à un contrôle judiciaire. Nous soutenons qu'une personne qui vit au Canada depuis sa tendre enfance devrait au moins avoir la possibilité d'être informée de la tenue des procédures pour qu'elle puisse alors faire valoir qu'elle a maintenant une bonne conduite, qu'elle a tissé des liens étroits avec des gens dans notre pays et que l'infraction qu'on lui reproche n'était qu'un acte isolé, bref, pour qu'elle puisse fournir certaines explications.
Les gens du ministère ne veulent pas de telle disposition. Ils se contentent de citer leur conseiller juridique principal. Ils ne veulent pas faire inscrire dans la loi ce droit de l'intimé d'être avisé de la tenue de telles procédures, car celui-ci pourrait alors avoir droit à un procès équitable, droit de contester la décision devant la Cour fédérale. Il y a quelque chose de fondamentalement pernicieux dans cette situation.
De la façon dont ce projet de loi est structuré, un étranger qui s'amène ici pour revendiquer le statut de réfugié aura de multiples moyens pour accéder à notre processus judiciaire. Nous sommes tout à fait favorables à ce genre de chose. À notre avis, la procédure prévue dans le projet de loi dans le cas des réfugiés est valable. Nous y voyons une amélioration. Certaines choses ont été omises, mais, de façon générale, nous estimons qu'il s'agit là d'une amélioration. Les réfugiés auront de multiples recours pour faire valoir leur cause en justice.
Par contre, un résident permanent qui est au Canada depuis son enfance se retrouve devant rien. Les gens du ministère vous diront peut-être qu'une personne peut toujours contester la décision d'un arbitre en s'adressant à la Cour fédérale. Néanmoins, la décision de l'arbitre est automatique: si une personne a été condamnée et a écopé une peine de deux ans pour une infraction punissable de 10 ans d'emprisonnement, on émet automatiquement un arrêt d'expulsion. Si la personne visée s'adresse à la Cour fédérale, elle ne peut que contester la façon dont on a appliqué la loi. Il n'est dit nulle part que le tribunal doit prendre en considération les circonstances. Ne serait-ce que pour ce motif, nous estimons que ce projet de loi ne devrait pas être adopté.
Personnellement, j'ai l'impression de participer ici à un exercice plutôt futile. L'Association du Barreau et moi-même avons mis toutes nos énergies dans cette opération. Cela fait trois ou quatre ans que nous ne vivons et respirons que pour ce projet de loi. Il s'agit là de la première refonte majeure de cette loi en 25 ans. Étant donné la façon dont le projet de loi est libellé, ce sera probablement la dernière fois que vous aurez à vous pencher sur un projet de loi touchant l'immigration. On l'a conçu et rédigé de façon à ce que si on veut modifier la loi dans le futur on puisse le faire par voie de réglementation, ce qui ne nécessite pas l'intervention du Sénat. Le Sénat est censé être la Chambre du second examen objectif. Cependant, d'après ce que nous avons entendu dire, vous avez décidé d'effectuer en trois jours votre examen de ce projet de loi, qui remanie en profondeur la façon dont nous traitons et sélectionnons les immigrants qui arrivent au Canada. Nous nous demandons comment vous pourrez en si peu de temps vous familiariser avec le contenu du projet de loi et les changements qu'il propose et en mesurer les implications.
Nous pouvons aborder la question de la sécurité, si vous le voulez. Nous croyons, comme l'a mentionné M. Trister, que les inquiétudes qui ont été soulevées ne justifient pas l'adoption expéditive du projet de loi. On nous dit que son entrée en vigueur n'est prévue que pour juillet prochain - ou au printemps en forçant la note, mais les règlements n'ont pas encore été rédigés. Nous croyons que tous les pouvoirs sont déjà là en matière de sécurité - et nous pouvons traiter de cet aspect si vous voulez bien nous poser des questions à ce sujet -, mais, à notre avis, tous les problèmes de sécurité peuvent être résolus dans le cadre de la loi actuelle.
Nous souhaiterions davantage de freins et contrepoids. Certains d'entre eux peuvent être prévus au moyen de modifications au projet de loi. D'autres pourraient l'être par voie de règlements et de documents d'orientation, mais tant que nous n'aurons pas ces assurances, nous ne croyons pas que ce projet de loi devrait être adopté.
Mme Pia Zambelli, Association québécoise des avocats et avocates en droit de l'immigration: L'Association québécoise des avocats et avocates en droit de l'immigration (AQAADI) représente les avocats qui se spécialisent dans le domaine du droit de l'immigration et du statut des réfugiés dans la province de Québec. Nous avons déjà fait valoir nos points de vue devant le Comité permanent de la Chambre des communes. L'AQAADI désire vous faire part des réflexions suivantes concernant le projet de loi C-11, des réflexions qui portent principalement sur les questions touchant la protection des réfugiés et les recours auprès de la Cour fédérale.
Pour débuter, je tiens à vous faire remarquer que la position de l'AQAADI concernant la sécurité nationale est essentiellement la même que celle de l'Association du Barreau canadien. La loi actuelle et le projet de loi sont deux instruments qui pourraient être l'une comme l'autre on ne peut plus efficaces pour prévenir les activités terroristes, pour autant qu'il soit possible de le faire dans une société libre et démocratique. La seule question qu'il reste alors à se poser à cet égard, c'est à savoir si l'on mobilise les ressources voulues pour qu'on puisse se servir de manière optimale de tels instruments.
En ce qui touche la question des recours auprès de la Cour fédérale, nous aimerions porter à votre attention une ambiguïté majeure dans le projet de loi. Le paragraphe 72(1) du projet de loi C-11 prévoit qu'une mesure - décision, ordonnance, question ou affaire - prise en application de la Loi sur l'immigration ne peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire que s'il y a d'abord eu dépôt d'une demande d'autorisation.
Il s'agit là d'un pouvoir de contrôle judiciaire très étendu. Le projet de loi prévoit également, à l'article 72, que le délai limite de 15 jours pour déposer une demande d'autorisation ne peut commencer tant que toutes les voies d'appel n'ont pas été épuisées. Cette formulation donne fortement à penser que c'est la décision négative initiale de la Section de la protection des réfugiés qui pourra vraisemblablement faire l'objet de la demande d'autorisation.
D'après de nombreux documents concernant ce projet de loi, notamment le résumé qui en est proposé par le Centre d'immigration Canada, on semble présumer que ce sera la décision de la Section d'appel des réfugiés qui fera l'objet de la demande d'autorisation. En réalité, rien ne semble s'opposer à ce qu'une seconde demande distincte puisse être déposée à l'encontre du refus de l'appel, étant donné qu'il peut y avoir des motifs différents de demander un contrôle judiciaire du refus initial et du rejet de l'appel interne respectivement. Si deux demandes d'autorisation sont déposées pour chaque décision négative concernant le statut de réfugié, cela compliquera et retardera encore davantage l'ensemble du processus de décision.
Dans sa formulation actuelle, le projet de loi n'établit pas clairement si une personne ne peut contester que le refus initial d'accorder le statut de réfugié ou si c'est la décision rendue en appel qui devrait être contestée. De la façon dont le projet de loi est actuellement libellé, les deux décisions peuvent être contestées, et, connaissant le Barreau, je prévois qu'elles le seront. Il serait utile qu'on clarifie l'intention du Parlement sur cette question, car, autrement, nous allons nous retrouver avec deux fois plus de demandes d'autorisation de contrôle judiciaire à la Cour fédérale que sous le régime de la loi actuelle. Ce qui m'a permis de noter cet aspect, c'est mon expérience de la façon dont les choses se passent à la Cour fédérale. J'ignore si quelqu'un d'autre a soulevé cette question, ici ou aux Communes, mais en ce qui touche les recours auprès de la Cour fédérale, je crois qu'il faudrait qu'on clarifie les choses.
Enfin, l'AQAADI est déçue de ce que l'accès à la Cour d'appel fédérale dans les affaires relatives à l'immigration continue d'être singulièrement limité par l'application de la règle énoncée à l'alinéa 74d), à savoir que le juge doit certifier que l'affaire soulève une question grave de portée générale. Autrement dit, une personne peut obtenir un contrôle judiciaire en première instance, mais cette même personne ne peut avoir accès à la Cour d'appel fédérale qu'à cette condition. De telles dispositions empêchent le recours à la Cour fédérale dans de nombreuses affaires touchant l'immigration. Nous sommes déçus que cette disposition qui a pour effet de restreindre l'accès à la Cour d'appel fédérale se retrouve encore dans la nouvelle loi proposée.
En ce qui concerne l'asile, nombre des dispositions du projet de loi C-11 constituent d'heureuses additions à notre régime juridique. L'AQAADI applaudit le fait qu'on ait élargi les compétences de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour lui permettre d'accorder l'asile non seulement aux réfugiés au sens de la Convention, mais également à d'autres personnes à protéger. De même, l'AQAADI approuve le concept du droit d'appel sur la base du mérite dans le cas de décisions négatives concernant l'octroi du statut de réfugié et se réjouit du fait que le projet de loi traite de l'examen administratif des risques avant renvoi. En clair, ce qu'il nous faut, du point de vue humanitaire, c'est un régime de traitement des demandes d'asile qui permette de prendre les bonnes décisions la plupart du temps et qui comporte des mécanismes efficaces de correction des erreurs lorsqu'il en survient. Le principal mécanisme de ce genre dont il est fait mention dans le projet de loi nous semble être la procédure d'appel auprès de la Section d'appel des réfugiés, la SAR. Les demandes d'autorisation auprès de la Cour fédérale et l'examen des risques avant renvoi serviront de filets de sécurité supplémentaires.
Néanmoins, la SAR ne peut fonctionner efficacement que si les membres de son personnel sont compétents en matière juridique, connaissent bien les affaires relatives aux réfugiés et les conditions qui règnent dans les divers pays, et sont habilités à agir judiciairement. Malheureusement, le projet de loi C-11 ne contient pas de dispositions en ce sens. Des membres du comité permanent ont bien tenté d'obtenir que le projet de loi établisse les qualifications professionnelles requises des membres de la Commission, mais l'amendement proposé en ce sens n'a pas été adopté, ce que l'AQAADI ne peut que déplorer.
Si on maintient le régime actuel à cet égard, nous aurons une SAR composée de membres nommés pour des motifs politiques plutôt que de personnes bien qualifiées et soigneusement choisies. L'efficacité de la SAR comme mécanisme de correction des erreurs ne pourra qu'en souffrir. Par ailleurs, de la façon dont le projet de loi est actuellement structuré, la SAR n'est pas une entité suffisamment distincte de la Section de la protection des réfugiés, et le projet de loi prévoit que les membres de chacune des deux sections seront interchangeables. Cet entremêlement n'est pas propice à la prise de décisions en toute indépendance. Le concept de collégialité rend difficile à un membre de se prononcer sur la contestation d'une décision d'un collègue avec lequel il peut être appelé à travailler le lendemain.
Qui plus est, étant donné qu'en vertu du projet de loi, on ne peut présenter de nouveaux éléments de preuve devant la SAR, on risque d'avoir peu de moyens de remédier aux malheureux effets d'une piètre défense ou d'une traduction erronée lors de l'audition initiale devant la Section de la protection des réfugiés. Cette restriction a de quoi étonner, compte tenu du fait que la présentation de nouveaux éléments de preuve est permise beaucoup plus tard en cours de processus, à l'étape de l'examen des risques avant renvoi. Pourquoi ne pas accorder ce même droit, ou du moins un tel droit légèrement limité, à l'étape de l'examen par la SAR et rectifier l'erreur plus tôt au lieu de ne le faire qu'après que d'importantes ressources auront été dépensées? Dans de telles conditions, il y a tout lieu de douter de l'efficacité qu'aurait la SAR à corriger des erreurs qui pourraient survenir dans les décisions concernant l'octroi du statut de réfugié ou de personne à protéger.
Enfin, le gouvernement doit se rendre compte que le projet de loi C-11 établit la procédure d'examen des demandes d'asile la plus longue et la plus complexe que le Canada n'ait jamais eue: audition initiale, appel devant la SAR, une ou peut-être deux demandes de recours auprès de la Cour fédérale - nous ne savons pas encore ce qu'il en sera - et examen des risques avant renvoi. Nous sommes heureux de constater qu'on a prévu accorder aux réfugiés toutes ces garanties procédurales. Le gouvernement doit être conscient par ailleurs que le système comporte plus de voies de recours que jamais. Une procédure aussi longue et aussi complexe ne sert l'intérêt de personne. Il faudrait identifier les demandeurs authentiques du statut de réfugié et leur permettre de s'établir et de réintégrer leur famille le plus tôt possible. Ceux qui revendiquent frauduleusement le statut de réfugié ne devraient pas avoir le droit de demeurer longtemps au Canada.
Une procédure longue et complexe risque de crouler sous son propre poids. D'aucuns soutiennent qu'une telle procédure encouragera les demandes abusives et opportunistes. On n'en a pas moins réduit, dans ce projet de loi, la sévérité des peines dont sont passibles ceux qui abusent du système d'asile. Dorénavant, celui dont la demande d'asile est manifestement non fondée sera quand même autorisé à demeurer plus longtemps au Canada; au lieu de faire l'objet d'une mesure de renvoi dans les sept jours, comme c'est le cas actuellement, il pourra rester au pays tant que la procédure d'appel interne de la décision initiale rendue par la Section de la protection des réfugiés n'aura pas été menée à terme. Il sera en outre admissible à un examen des risques avant renvoi, ce qui n'est pas le cas sous la loi actuelle.
Il aurait été plus simple et moins coûteux que le gouvernement suive le conseil des intervenants, c'est-à-dire qu'il investisse des ressources dans l'amélioration de la qualité et de la compétence des responsables de la décision initiale plutôt que dans l'ajout de multiples mécanismes de correction des erreurs et de filets de sécurité après le fait. Tout comme on le fait en matière de sécurité nationale, on devrait, en ce qui touche l'examen des demandes d'asile, mettre l'accent sur la prévention d'erreurs coûteuses plutôt que sur des opérations de réparation de telles erreurs.
Le sénateur Beaudoin: Vous dites qu'il faudra beaucoup de temps pour rédiger les règlements, mais ceux-ci ne peuvent aller à l'encontre de la loi. Nous avons au Sénat un comité spécial d'examen des règlements dont le mandat est de s'assurer que les règlements qui accompagnent une importante loi comme celle-ci sont conformes à la loi elle-même. Pourquoi craignez-vous tant que les règlements ne respectent pas le projet de loi? À quoi tient votre inquiétude à cet égard?
M. Gordon Maynard, trésorier, Section nationale du droit de l'immigration et de la citoyenneté, Association du Barreau canadien: Le projet de loi C-11 est fondamentalement différent de la loi actuelle. Celle-ci confère au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre des règlements sur des questions précises qu'elle prend soin de décrire en détail. Vous avez bien sûr raison de dire que les règlements doivent être conformes à la loi. On ne peut prendre des règlements qu'en fonction de ce que la loi permet.
Le projet de loi C-11 est une proposition de loi-cadre. Nombre des éléments qui sont contenus dans la loi actuelle ne se retrouvent pas dans le projet de loi C-11. On s'en remet aux règlements pour étoffer la loi. L'une de nos principaux sujets de préoccupation a été le nombre d'aspects dont on ne traite pas dans le projet de loi C-11 comparé à ce qu'il en est dans la loi actuelle. Nous ne savons pas comment les règlements traiteront de ces questions passablement importantes.
En voici brièvement quelques exemples: le pouvoir de prendre des règlements peut comprendre celui d'établir si c'est un arrêt d'expulsion ou bien une ordonnance de moindre portée qui résultera de telle infraction à la Loi sur l'immigration. C'est une précision que contient la loi actuelle. Quel type d'ordonnance correspondra à telle infraction? On ne trouve pas ce genre de renseignement dans le projet de loi C-11. On nous prévient qu'une ordonnance sera émise, mais ce sont les règlements qui nous diront plus tard de quel type d'ordonnance il s'agira. Ce sera peut-être une ordonnance appropriée, mais peut-être pas.
La loi actuelle établit dans quelle mesure un agent d'immigration peut émettre une ordonnance administrative, quelle ordonnance peut être émise sans tenir d'audience, à l'endroit de qui et pour quel type d'infraction à la loi elle peut être émise. Le projet de loi C-11 ne le fait pas. On le fera par voie de règlement. Les catégories de personnes exemptées de l'application des dispositions touchant l'interdiction de territoire pour certains motifs seront définies par règlement. Nous savons qu'on le fera par voie de règlement, mais nous ne savons pas ce que prévoiront ces règlements. Les circonstances dans lesquelles on n'aura pas à donner suite à une ordonnance de renvoi seront définies par règlement, et non pas par la loi elle-même. Les catégories d'étrangers qui seront exemptés sur la base d'une autorisation de séjour conditionnelle et la mesure dans laquelle les demandes et les procédures déjà en cours sous l'autorité de la loi actuelle seront régies par la nouvelle loi une fois que celle-ci sera en vigueur sont autant de questions qui devraient être précisées dans le projet de loi C-11, comme elles le sont dans la loi actuelle, mais pour lesquelles on s'en remettra plutôt aux règlements.
Le sénateur Beaudoin: Vous êtes inquiet du manque de précision de la formule d'édiction. Vous la trouvez trop vague?
M. Maynard: En effet.
Le sénateur Beaudoin: Naturellement, nous pouvons toujours la modifier, mais nous ne sommes habilités à déléguer aucun pouvoir qui outrepasse celui de prendre des règlements, car le gouverneur en conseil n'est pas le Parlement.
M. Maynard: C'est juste.
Le sénateur Beaudoin: Je conviens avec vous que lorsque nous déléguons un pouvoir très important au gouverneur en conseil, la portée de ce pouvoir doit être très précisément établie dans la loi. La loi ne saurait demeurer vague à cet égard. Est-ce là le point que vous soulevez?
M. Maynard: C'est en effet ce qui nous préoccupe. Dans certains cas, ces règlements toucheront des droits très précis déjà reconnus dans la loi actuelle. Une fois l'exercice de ce pouvoir transféré aux responsables de la prise des règlements, le résultat échappe au contrôle du Parlement et on ne peut alors que s'en remettre à cet égard au gouverneur en conseil. Il est intéressant de noter que, soucieuse de trouver une façon de garder le contrôle sur ce pouvoir réglementaire, la Chambre des communes a pris soin d'apporter une modification au projet de loi, sauf erreur à l'article 5, pour exiger que les règlements futurs soient déposés à la Chambre et renvoyés aux comités concernés.
Selon moi, cet amendement n'a pas de dents, puisque le comité n'a pas de droit de retenue sur les règlements. Le gouverneur en conseil peut toujours promulguer un règlement et le déposer sans tenir compte des observations formulées par le comité.
Le sénateur Beaudoin: Ce n'est pas la seule mesure législative où l'on délègue beaucoup de pouvoir au gouverneur en conseil. Bon nombre de lois qui ont été adoptées ces dernières années posent ce même problème. Il n'y a rien de nouveau là-dedans. J'admets avec vous cependant que le libellé de ce projet de loi est trop vague pour bien servir l'objet poursuivi, c'est le moins qu'on puisse dire.
M. Maynard: D'après l'explication qui nous a été fournie par le ministère, il est devenu à la mode, pour ainsi dire, ces dernières années, de proposer des lois-cadres. Ce n'est pas la première fois qu'un projet de loi est structuré de cette façon, mais il n'en demeure pas moins que c'est là une tendance qui nous inquiète vivement. Ainsi, nous estimons qu'en l'espèce, on cède trop de pouvoir aux instances réglementaires.
Le sénateur Beaudoin: L'article 71 dit ceci:
L'étranger qui n'a pas quitté le Canada à la suite de la mesure de renvoi peut demander la réouverture de l'appel sur preuve de manquement à un principe de justice natu relle.
Cet article n'a pas l'air si mal en un sens, puisqu'il ouvre la voie à la possibilité d'interjeter appel. Je conviens avec vous que le droit d'appel est fondamental, du moins de la façon dont je conçois une démocratie aussi remarquable que celle du Canada. Je note toutefois que l'article 71 offre la possibilité d'interjeter appel sur preuve de manquement à un principe de justice naturelle. Au moins cet article prévoit-il quelque chose en ce sens, mais, si je comprends bien, ce n'est pas suffisant aux yeux du Barreau canadien, n'est-ce pas?
M. Greene: Ce n'est pas à cet article que je songeais à propos de la négation du droit d'appel. Cet article a pour effet de restreindre considérablement un autre droit existant, à savoir celui de faire rouvrir l'audition d'une affaire. L'article 71 traite du cas de personnes dont la cause a déjà été entendue par la Section d'appel de l'immigration et qui ont été déboutées. Pour une raison ou pour une autre, elles n'ont pas été expulsées du Canada. Parfois, c'est parce qu'elles se sont adressées à la Cour fédérale; dans d'autres cas, ce peut être que le ministère n'est pas arrivé à les expulser ou qu'il lui serait difficile de les renvoyer dans leur pays d'origine.
En vertu de la loi actuelle, une personne peut demander la réouverture de l'audition d'une affaire au motif d'un changement de circonstances. Elle n'a pas à faire la preuve d'un manquement à un principe de justice naturelle. À mon propre bureau, j'ai eu à traiter des cas de ce genre. Dans une affaire encore en instance, l'audience initiale visant à établir l'identité du requérant s'est terminée il y a cinq ans. Cette personne n'a pas encore été expulsée. Seulement environ un an sur les cinq ans du délai en question est imputable à elle-même. Elle peut maintenant s'adresser de nouveau au tribunal pour demander la réouverture de sa cause en invoquant de nouveaux éléments de preuve concernant ses possibilités de réinsertion sociale. La personne en question n'a pas récidivé. Elle a maintenant une famille et est bien établie dans notre pays. Elle a toujours occupé un emploi depuis l'audition de l'appel initial.
Cet article abolit ce droit de réouverture d'un appel, sauf sur preuve de manquement à un principe de justice naturelle lors de l'audition initiale.
Le sénateur Beaudoin: Il a donc pour effet de restreindre des droits.
M. Greene: Cet article a pour effet non pas d'étendre les droits d'appel, mais de les restreindre. Il n'aide en rien la personne qui n'a pas déjà de droit d'appel.
Le sénateur Beaudoin: Si je ne m'abuse, la personne doit prouver hors de tout doute qu'il y a eu manquement à un principe de justice naturelle, ce qui restreint son droit de faire rouvrir l'appel.
M. Greene: C'est un article extrêmement restrictif.
M. Maynard: Dans un pourvoi remontant à plusieurs années, la Cour suprême du Canada, dans son arrêt, a permis la réouverture d'un appel où il y avait eu manquement à un principe de justice naturelle. On reconnaît qu'il y a eu un tel manquement si, par exemple, le demandeur n'a jamais été informé de la tenue de l'audition de son appel parce que l'avis a été envoyé à la mauvaise adresse.
La Cour suprême a également dit que si la personne est encore au Canada et qu'elle est en mesure de produire de nouveaux éléments de preuve pertinents à l'affaire, des éléments qui n'auraient pu raisonnablement être présentés lors de la première audition de la cause, cela constitue également un motif légitime de demander la réouverture de l'appel. La Commission est habilitée à rouvrir l'appel quand elle juge à propos d'examiner de nouveaux éléments de preuve. Cet article du projet de loi C-11 supprime ce droit et fait en sorte qu'il ne sera plus affirmé dans la loi. Il apporte une restriction.
Le sénateur Beaudoin: Oui, je vois. Nous allons nous pencher plus avant sur cette question.
Le sénateur LeBreton: Monsieur Trister, j'ai été frappée par une observation que vous avez faite dans votre exposé préliminaire, à savoir qu'il n'y a pas de lacunes que le projet de loi C-11 va pouvoir combler. Je me suis interrogée sur cet aspect hier. J'ai demandé à Ward Alcock, du SCRS, ce qu'il en pensait; il n'a pas été en mesure lui non plus de me fournir une réponse catégorique sur la façon dont le projet de loi C-11 pourrait contribuer à résoudre les nouveaux problèmes auxquels nous sommes confrontés depuis les événements du 11 septembre. La coïncidence entre le numéro 11 que porte le projet de loi et la date du 11 septembre ne m'a pas échappé.
Je vais prendre au mot votre invitation à vous poser des questions sur la sécurité. Peut-être pourriez-vous expliquer au comité pourquoi vous estimez que ce projet de loi ne pourra en aucune façon contribuer à résoudre les problèmes dont nous sommes saisis par suite des événements survenus à Washington, New York et en Pennsylvanie le 11 septembre?
M. Trister: Je vais m'en remettre à M. Maynard, qui saura bien répondre à votre question.
M. Maynard: La loi actuelle renferme déjà d'importantes dispositions qui permettent de prendre les mesures de sécurité qui s'imposent quand on croit ou soupçonne qu'il y a des personnes qui sont déjà au Canada ou qui cherchent à y entrer et qui peuvent présenter des risques pour notre sécurité. Le projet de loi C-11 n'y change rien; il confère les mêmes pouvoirs qui sont déjà prévus dans la loi actuelle, lesquels sont du reste fort étendus.
En vertu de la loi actuelle, tout comme d'ailleurs aux termes du projet de loi C-11, si, lorsqu'un étranger se présente à un point d'entrée, les agents d'immigration ne sont pas convaincus de l'authenticité de ses papiers d'identité ou craignent qu'il ne présente un risque pour la sécurité, ils peuvent immédiatement l'arrêter, le placer sous garde, le soumettre à un processus de décision ou d'examen, et, au besoin, l'expulser du Canada s'il existe avec son pays d'origine une entente d'extradition. Ils ont un pouvoir considérable.
De même, une telle personne qui est déjà au Canada peut être arrêtée, détenue, traduite en justice et renvoyée du pays. Les questions de sécurité, que ce soit sous la loi actuelle ou en vertu du projet de loi C-11, l'emportent sur toute autre considération, pour ainsi dire. Même dans le cas où une personne invoquerait à cor et à cri son droit d'asile, si on estime qu'elle présente un risque pour la sécurité, on oublie tout le reste et on lui annonce qu'elle sera renvoyée.
En ce qui touche la protection de première ligne et les pouvoirs des agents d'immigration d'exercer un contrôle à l'entrée ou de traiter avec des personnes qui résident au Canada sans être des citoyens canadiens et qui présentent des risques pour la sécurité, les agents disposent déjà de pouvoirs considérables, qui, pour l'essentiel, sont réaffirmés dans le projet de loi C-11.
Il s'écrit beaucoup de choses dans les journaux tout comme il s'en dit beaucoup actuellement à propos de la nécessité de resserrer le contrôle sécuritaire initial à exercer auprès des demandeurs du statut de réfugié. On n'a pas besoin du projet de loi C-11 pour cela. L'application des mesures de contrôle sécuritaire qui s'imposent à ce niveau-là n'est qu'une question de volonté politique et de ressources financières. Si vous y tenez, vous agissez en conséquence. La réaction du gouvernement la semaine dernière a été de prendre les dispositions voulues pour que s'exerce dorénavant un contrôle sécuritaire initial plus étroit auprès des demandeurs du statut de réfugié, ce qui constitue un moyen parmi d'autres de contrer le terrorisme international. Le projet de loi C-11 ne changera rien à tout cela. Il n'ajoute rien à ce qui existe déjà à cet égard.
Le sénateur LeBreton: C'est donc dire que le projet de loi C-11 ne contribuera pas non plus à régler cet autre problème que constitue le fait qu'on perd de vue des étrangers qui sont déjà dans notre pays. Sauf erreur, il y aurait ainsi quelque 57 000 étrangers qui circuleraient illégalement au pays sans qu'on puisse les retracer. Voulez-vous dire que rien dans le projet de loi C-11 ne pourrait y faire quoi que ce soit?
M. Maynard: Ni le projet de loi C-11 ni la loi actuelle ne peuvent nous servir de loupe permettant de repérer les endroits où se terrent tous ceux dont le dossier a été classé et à qui on a redonné la liberté. Le Canada n'exerce pas de contrôle sur les sorties du pays. Peu de pays le font. Si tous ceux qui s'amènent au Canada étaient gardés en détention, ou si tous ceux qu'on frappe d'expulsion étaient placés sous garde, on pourrait en contrôler le nombre. Ce serait là tout un contrat. Établir dans quelle mesure nous désirons placer sous garde toutes les personnes que nous désirons voir quitter le Canada est avant tout une question de volonté politique et de ressources. La loi n'est à cet égard d'aucun secours.
Le sénateur LeBreton: Dans son exposé, M. Trister a traité tout particulièrement de l'article 64. Vous avez mentionné que cet article du projet de loi avait été universellement condamné. Vous avez poursuivi en disant qu'on avait fermement recommandé que de sérieuses modifications soient apportées à cet article, mais qu'un amendement proposé en ce sens avait été rejeté. Pourriez-vous développer un peu cet aspect? Quels motifs ont amené la Chambre des communes à passer outre à ces recommandations? D'après le compte rendu des délibérations, la plupart des intervenants étaient vivement opposés au maintien de cet article.
M. Greene: Avant de vous répondre, j'aimerais formuler une observation à propos de votre précédente question. Comme Canadiens, nous devons nous pencher sur la question de la sécurité, mais ce n'est ni par l'adoption du projet C-11 ni, pour l'essentiel, grâce à une mesure législative quelconque, que nous parviendrons à faire en sorte que les Canadiens se sentent en sécurité dans leur propre pays. C'est une question de choix des priorités et de volonté politique, et cela est particulièrement vrai en ce qui touche l'immigration.
Sauf erreur, on vous a dit dès le départ que le projet de loi C-11 devait être adopté rapidement parce qu'il allait nous permettre d'exercer un contrôle sécuritaire initial auprès des immigrants. La ministre a annoncé il y a une semaine qu'elle avait donné ordre qu'on exerce un tel contrôle. C'est donc dire soit qu'elle a agi dans l'illégalité, soit qu'elle avait déjà ce pouvoir en toute légalité. Selon nous, elle n'a pas agi illégalement. Elle avait déjà le pouvoir d'ordonner qu'on exerce un contrôle sécuritaire initial. Le problème, c'est qu'elle n'avait pas les ressources budgétaires voulues pour ce faire. Or, ayant obtenu qu'on affecte des fonds à cette fin, elle est maintenant en mesure de passer à l'action sur ce chapitre. Il y a un prix à payer pour exercer un tel contrôle à l'entrée. Nos priorités, comme Canadiens, ont changé. Nous nous rendons maintenant compte qu'il nous faut être plus prudents. C'est un faux-fuyant que de dire que ce projet de loi doit être adopté rapidement. Il ne contient pas de formule magique. Le resserrement des mesures de sécurité ne tient qu'à une question de ressources, à la façon dont nous les affectons et dont nous établissons nos priorités.
En ce qui a trait à l'article 64, nous savons que de nombreux membres du caucus libéral - pour en avoir rencontré un bon nombre privément - sont profondément mal à l'aise eux aussi avec cet article. Les partis de l'opposition ont été unanimes à en réclamer le retrait parce qu'ils le trouvent inutile. La Section d'appel de l'immigration fonctionne fort bien. Elle ne connaît aucun problème majeur dans l'accomplissement de son mandat. Il arrive à l'occasion qu'un cas lui échappe et qu'une personne à qui on a donné une deuxième chance récidive. Ce sont là des choses auxquelles on doit normalement s'attendre. Ça se produit également dans le système de libération conditionnelle, mais nous n'abandonnons pas complètement le régime pour autant. Nous en resserrons les règles, mais nous n'allons pas jusqu'à le supprimer. Ce que le ministère propose ici comme solution, c'est d'éliminer tout le processus.
Les gens du ministère soutiennent qu'il faut trop de temps pour renvoyer un résident permanent. J'ai entendu la ministre dire que le renvoi d'un résident permanent prenait six ans. J'ai vu une foule de cas de résidents permanents se régler beaucoup plus rapidement que cela, et c'est parce que le ministère se montre parfois déterminé à faire avancer les choses. Cette procédure peut être expéditive. Il n'est pas nécessaire qu'une audience d'expulsion prenne un an. Si on le veut, on peut faire parvenir un avis à la personne concernée et obtenir qu'elle comparaisse en dedans de deux ou trois semaines. Ensuite, cette personne peut déposer un avis d'appel. Rien ne justifie qu'il faille deux ou trois ans pour aller en appel. Normalement, il faut compter de six à douze mois. Cela pourrait se faire beaucoup plus rapidement si les ressources voulues étaient allouées et si les priorités étaient établies en conséquence. Le ministère et la ministre utilisent ce genre de chiffres pour montrer que la procédure est longue. Il est normal qu'il faille un certain temps pour procéder en bonne et due forme et en toute équité. Je tiens à vous rappeler ici que la procédure qu'on applique dans le cas des étrangers qui veulent entrer au pays comporte de multiples recours et qu'on n'en prévoit tout simplement aucun dans le cas des résidents permanents qui ont parfois passé pratiquement toute leur vie ici, qui sont au Canada depuis leur tendre enfance.
M. Maynard: J'aimerais ajouter une observation à propos de ce qui a été dit à ce sujet au comité. Voyant que cette disposition allait retirer à la Section d'appel son pouvoir discrétionnaire, notre première réaction a été de nous dire qu'il s'agissait là, à toutes fins utiles, d'expulsion obligatoire. Comment peut-on affirmer qu'un résident permanent qui vit ici depuis 30 ans et qui a été reconnu coupable d'un acte criminel ayant entraîné une peine d'au moins deux ans devrait automatiquement être expulsé? N'y a-t-il pas d'autres éléments à prendre en considération, comme les chances de réinsertion sociale, le dossier criminel, la probabilité de récidive, et cetera? Les gens du ministère ont convenu et affirmé dans le deuxième document qu'ils ont produit sur la question que le pouvoir discrétionnaire serait exercé par les agents d'immigration plutôt que par la Section d'appel. Où est-il écrit dans la loi que ce pouvoir discrétionnaire existe? Où est-il fait mention que les responsables auront l'obligation de tenir compte des circonstances de l'affaire? On nous a dit qu'on n'allait pas faire état par écrit de cette obligation, mais que nous pouvons êtres assurés qu'elle sera respectée. Les membres du comité ayant manifesté leur inquiétude à cet égard, les gens du ministère leur ont dit que le système comportait une foule de freins et contrepoids afin de garantir que les circonstances entourant le comportement d'un résident permanent soient prises en compte. Ils ont même ajouté que les agents étaient des gens responsables et que le processus était de toute façon soumis à un contrôle judiciaire.
Je suis sûr que les membres du comité en ont déduit que, puisque les gens du ministère avaient un pouvoir discrétionnaire, il y avait certes un contrôle judiciaire de prévu pour qu'on puisse s'assurer qu'en exerçant leur discrétion, les agents étaient bel et bien en possession de tous les renseignements dont ils avaient besoin pour fonder leur décision et qu'il les ont interprétés correctement. Or, il n'en est rien. Il est tout à fait erroné d'affirmer que leurs décisions discrétionnaires sont soumises à un contrôle judiciaire. Le contrôle judiciaire se ramène aux seules vérifications du nom de la personne, de son statut de résident permanent, de la question de savoir si la peine imposée était de deux ans, et cetera. Les gens du ministère nous ont confirmé qu'on ne ferait mention de ce pouvoir discrétionnaire ni dans la loi ni dans les règlements, car autrement, il se trouverait probablement quelqu'un pour contester les décisions prises. Ils ne veulent pas de contestation judiciaire, et c'est ce qui nous outrage profondément.
Quand on est responsable de la prise de telles décisions, on doit prendre son rôle au sérieux. Prendre son rôle au sérieux, c'est être ouvert aux questionnements, comme il se doit. Ou votre décision est bonne ou elle est mauvaise. Il est toutefois injustifiable de la soustraire à tout contrôle. Une telle attitude nous inquiète vivement. C'est une question de principe: on doit s'assurer qu'on a pris les bonnes décisions.
M. Greene: J'aimerais formuler deux ou trois autres remarques à ce sujet, car il s'agit là d'un point important. La ministre va comparaître devant vous dans quelques jours. Elle aura lu les «bleus» et se sera fait une idée des questions que vous allez lui poser. Elle va vous donner l'assurance que, dans 95 p. 100 des cas mettant en cause des résidents permanents, le ministère ne prend même pas de mesure de renvoi. Cela ne nous rassure nullement, car l'une des raisons qui expliquent ce pourcentage élevé, c'est que les gens du ministère savent fort bien qu'en prenant une telle mesure dans d'autres cas, ils perdraient leur cause, sous le régime de la procédure actuelle, si le tribunal avait à revoir leurs décisions. Avec l'abandon de cette procédure, il n'y aura plus rien pour les retenir. C'est pourquoi ce pourcentage élevé ne nous rassure nullement.
En un certain sens, nous avons affaire à une ministre qui s'est braquée sur une position émotive. Quiconque parmi vous discutera de la question avec elle sera à même de le constater: son approche de la question est très émotive. Elle n'est prête à aucun compromis. Elle prend la chose très à coeur. Elle voit l'adoption de cette nouvelle procédure comme s'inscrivant dans une stratégie visant à resserrer les contrôles à nos portes d'entrée arrière pour que nous puissions les relâcher à notre frontière avec les États-Unis, notre porte avant.
Nous croyons que la poursuite de cet objectif ne requiert pas l'abandon de la procédure actuelle. Nous respectons les intentions de la ministre. Elle veut qu'on se débarrasse des éléments indésirables le plus vite possible, et nous souscrivons à cet objectif. Nous sommes prêts à appuyer l'établissement d'une procédure plus expéditive, mais nous estimons qu'elle va inutilement beaucoup trop loin.
Le sénateur LeBreton: Vous avez caractérisé l'article 64 comme menant à l'expulsion obligatoire.
M. Maynard: Les gens du ministère vous renverront à l'article 44, qui décrit le début d'une procédure de mise à exécution. Vous allez noter que l'article 44 dit que l'agent peut établir un rapport qui enclenche le processus de mise à exécution. Voilà, selon eux, où s'exerce le pouvoir discrétionnaire de l'agent. Ce dernier peut établir un rapport ou s'abstenir de le faire. Quelque part au cours de ce processus, on évaluera les faits à l'interne. On ne décrit toutefois nulle part la façon dont on le fera. Nulle part il n'est dit que l'agent doit tenir compte des circonstances particulières à la personne en cause lorsque celle-ci ne peut interjeter appel en vertu de l'article 64. Voilà ce qui manque. Ce «peut» ne constitue pas une protection adéquate pour l'individu.
Le sénateur LeBreton: J'ai encerclé les occurrences du mot «peut» à l'article 44, mais je réserve cette question à la ministre.
Le sénateur Beaudoin: Vous dites que, depuis le 11 septembre, la question de la sécurité nous préoccupe tous. Naturellement, ce sentiment est universel. Pourtant, vous dites par ailleurs, si je ne m'abuse, que ce projet de loi, tel qu'il est rédigé, ne comporte en pratique aucune disposition pouvant contribuer à résoudre nos nouveaux problèmes. Dans les circonstances actuelles, répond-il à nos attentes en ce qui touche la protection de nos valeurs et de nos régimes démocratique et juridique?
M. Maynard: Il ne répond pas à toutes nos attentes à cet égard, mais il répond à toutes celles auxquelles un projet de loi sur l'immigration peut répondre. On adoptera d'autres mesures législatives qui porteront sur divers aspects de la lutte contre le terrorisme et du maintien de la sécurité, pour s'attaquer, par exemple, au blanchiment d'argent et à l'appartenance à une organisation terroriste. Notre pays est signataire de conventions de l'ONU sur ces questions. Il nous faudra modifier le Code criminel. Nous aurons d'autres lois que la Loi sur l'immigration qui porteront sur ces questions. La Loi sur l'immigration n'est pas l'outil indiqué pour s'attaquer à ces problèmes. Elle stipule que les personnes qui présentent une menace pour la sécurité, qui sont membres d'organisations terroristes, sont soit interdites de territoire au Canada ou encore, si elles sont déjà au Canada, passibles de renvoi. Ces personnes peuvent être placées sous garde et soumises à une enquête pour déterminer si elles sont des terroristes. S'il s'avère qu'elles le sont, on les expulsera.
C'est ce que dit la loi actuelle, et c'est ce que propose également le projet de loi C-11. Il y a certaines différences entre le projet de loi C-11 et la loi actuelle en ce qui touche les procédures relatives au traitement des cas d'étrangers qui se trouvent déjà dans notre pays, par exemple concernant la nature des enquêtes qui peuvent être effectuées pour déterminer si ce sont des terroristes. Le projet de loi propose certains changements à cet égard, mais pour ce qui est de la capacité d'interdire de territoire de nouveaux arrivants à un point d'entrée, c'est-à-dire du pouvoir de les mettre sous garde à cette étape, d'enclencher le processus visant à déterminer s'ils devraient être interdits de territoire, les deux mesures législatives sont sensiblement identiques. D'ailleurs, je ne vois pas comment on pourrait libeller les dispositions pertinentes pour faire en sorte qu'elles nous assurent une plus grande protection. Le projet de loi dit que nous ne voulons pas de terroristes au Canada. J'imagine que nous pourrions ajouter le mot «vraiment» et dire que nous ne voulons vraiment pas de terroristes au Canada.
Le président: Je suis plutôt séduit par cette idée.
J'aurais une question à propos des dispositions transitoires. Au Canada, les dispositions transitoires, dans tout un éventail de domaines visés par des politiques gouvernementales, ont toujours été appliquées de manière à ce qu'elles n'aient d'effet que sur les affaires qui ne sont pas déjà en cours de traitement. Vous dites qu'en l'espèce, les dispositions transitoires risquent d'engendrer des injustices. Pourrait-on, par voie de règlement, dissiper les inquiétudes que vous entretenez concernant les dispositions transitoires?
M. Maynard: Oui.
Le président: Le sixième problème que vous avez soulevé pourrait-il être résolu par voie de règlement?
M. Greene: Oui, sauf que nous n'aimons pas ce que nous entendons de la part du ministère actuellement. Il y a deux façons de traiter la question de la rétroactivité. Vous pouvez le faire soit dans la loi, soit dans les règlements. Le projet de loi stipule que, sauf indication contraire, toutes ses dispositions s'appliquent rétroactivement. Puis, on y dit que tout peut être soustrait à la rétroactivité par voie de règlement.
Lors de nos rencontres avec les gens du ministère, ceux-ci nous ont dit qu'ils avaient l'intention de rendre tout rétroactif, sauf si le contraire est clairement indiqué dans la loi, ce qui nous inquiète sur deux plans.
Le premier de ces plans est celui du processus de sélection. En raison des nombreuses demandes d'entrée au Canada et du retard qu'on accuse dans le traitement de ces demandes, certains dossiers sont en instance depuis deux ou trois ans. Selon le pays d'où est faite la demande, il faut compter jusqu'à quatre ans pour traiter le cas d'un immigrant économique avec le système de points. Nous entendons parfois le contraire, mais les hauts responsables du ministère disent qu'ils ont l'intention de rendre ces dispositions rétroactives. C'est donc dire que, lorsque la nouvelle loi entrera en vigueur, toutes ces demandes seront évaluées en fonction des critères du nouveau régime. On nous dit de ne pas nous inquiéter, que la plupart de ces gens seront de toute façon jugés admissibles sous le nouveau régime. Nous ne savons pas ce qu'il en sera vraiment, car nous n'avons pas vu les règlements du nouveau régime, mais on nous les a décrits dans leurs grandes lignes, et je connais personnellement des cas où je sais fort bien que le requérant ne sera pas jugé admissible. Ces gens ont soumis leur demande et ont versé des montants d'argent en fonction d'un ensemble donné de règles et, dans certains cas, il s'est agi de sommes considérables. À l'heure actuelle, il en coûte 1 475 $ par adulte pour présenter une demande. Pour ces gens, cela représente beaucoup d'argent, sans compter qu'ils risquent de perdre en plus leur investissement dans leur avenir.
Le second plan concerne les cas de personnes qui, à la suite d'un compromis, se sont vues imposer une peine de deux ans, disons il y a deux ou trois ans. En vertu de la nouvelle loi, ces personnes risquent d'être expulsées pour cette raison.
Dans certains de ces cas, une demande d'appel a déjà été déposée et la Commission en est saisie. Les gens du ministère nous disent qu'ils voudraient que la nouvelle loi s'applique rétroactivement dans ces cas également. Si l'audience n'a pas débuté, ce qui est habituellement imputable à un engorgement dans le système, le cas de ces personnes sera traité sous le régime de la nouvelle loi.
Le président: Par conséquent, cela veut tout simplement dire que le problème peut être réglé par voie de règlement, mais, pour employer un euphémisme, la possibilité que ce soit le cas vous rend extrêmement inquiets. Ai-je fidèlement résumé ce que vous avez dit?
M. Greene: Oui, et c'est pourquoi nous pensons que le Parlement devrait avoir davantage son mot à dire à cet égard. Des droits fondamentaux sont ici en jeu.
M. Trister: Nous sommes vraiment extrêmement inquiets de cette situation.
Le sénateur Di Nino: Pour poursuivre sur cette question, la disposition relative à la rétroactivité vise principalement les résidents du Canada ou les personnes dont le dossier est déjà en cours de traitement plutôt que les nouveaux demandeurs du statut de réfugié, n'est-ce pas?
M. Maynard: Elle vise qui que ce soit qui est déjà engagé dans une procédure prévue dans la loi.
Le sénateur Di Nino: Chacun des 27 000 étrangers dont on a perdu la trace dans notre pays pourrait être visé par cette disposition, n'est-ce pas?
M. Maynard: Je crois que ce chiffre de 27 000 correspond au nombre de sujets qui ont fait l'objet d'une mesure de renvoi du Canada et dont on ne sait pas s'ils ont quitté notre pays. Ce chiffre correspond à leur nombre depuis cinq ans. Il ne s'agit pas nécessairement de gens dont le cas est en voie d'être traité, mais plutôt de gens dont le dossier a été réglé. Nous ne savons pas s'ils ont quitté le Canada.
Le sénateur Di Nino: Une chose qu'ont en commun tous les témoins que nous avons entendus, sauf ceux du ministère, c'est un énorme sentiment de déception accumulée. Tous ont manifestement sur le coeur la façon dont les choses se passent.
M. Maynard: Voulez-vous parler des témoins du ministère?
Le sénateur Di Nino: J'ai bien dit sauf ceux du ministère. J'imagine que c'est là le résultat des efforts déployés pour traiter de ces questions ces dernières années, comme M. Green m'a semblé l'affirmer. Les gens du ministère nous ont dit que le processus de consultations est en cours depuis trois, quatre, voire cinq ans. Avez-vous eu l'occasion de participer à ces consultations au cours de cette période?
M. Maynard: Pour ma part, oui.
M. Greene: Malheureusement pour mon épouse, il s'est agi d'un long processus. La ministre et les fonctionnaires du ministère vous diront qu'ils ont mené de vastes consultations. C'est déprimant, ne serait-ce que parce que nous n'avons pas vu l'ombre d'un projet de loi avant le C-31. Ce projet de loi était horrible. On lui a apporté d'importantes modifications avant le dépôt du projet de loi C-11. Vous vous souviendrez sans doute qu'il y avait alors eu déclenchement d'élections générales.
Ce n'est que cette année que nous avons pu vraiment parler d'une mesure législative concrète et voir de quoi elle avait l'air. Le projet de loi qu'on nous a alors présenté était très différent de ce à quoi nous nous attendions par suite de certaines des discussions que nous avions eues. Notre déception tient en partie au fait que nous voilà confrontés à une position émotive. Nous voyons ce que nous croyons passionnément juste et efficace se heurter à une position émotive et à un refus de voir les choses autrement. Vous admettrez que ce peut être irritant.
C'est une chose que de tenir des consultations, et c'en est une autre que de le faire sérieusement. Je ne veux pas avoir l'air de critiquer le ministère ou la ministre, car nous avons eu droit à certaines consultations qui ont produit des résultats. Il ne serait pas juste d'affirmer qu'on ne nous a pas écoutés ou que l'exercice auquel on nous a conviés n'était qu'une comédie. Cependant, à certains égards, nous avons carrément eu l'impression de parler à un mur de brique. Les gens du ministère ou la ministre ont arrêté leur position et rien ne saurait les faire changer d'avis. Sur d'autres plans, il s'est fait du bon travail et nous avons obtenu des résultats intéressants.
Ce projet de loi remanie en profondeur l'ancienne loi. C'est de cette façon que nous allons traiter l'immigration pour probablement les 25 prochaines années, si on se fonde sur la longévité qu'a connue la loi actuelle. Vous comprendrez donc à quel point il peut être démoralisant de nous retrouver devant un projet qui laisse profondément à désirer et de constater notre impuissance à y changer quoi que ce soit.
M. Maynard: Le processus de consultation se poursuit depuis quatre ans. Il a été amorcé par le GCRL - le Groupe consultatif sur la révision de la législation - qui a mené des consultations dans l'ensemble du Canada. J'y ai participé. Vous vous retrouviez dans une salle avec une vingtaine de personnes que vous n'aviez jamais rencontrées auparavant, et, pendant une heure et demie, on parlait d'immigration. On ne fait pas beaucoup de chemin avec ce genre de consultation. Après un an de ce type d'exercice, on publie un énoncé de principe. Une autre année plus tard, c'est au tour de la ministre de produire son énoncé de principe. Ce ne sont là que des documents d'orientation. Ils sont écrits en grosses lettres et énoncent de grands principes. Il est difficile de discuter de principes. On peut fort bien être d'accord sur un principe, mais se demander comment on entend le refléter dans la loi.
Comme l'a signalé M. Greene, ce projet de loi a été déposé il y a seulement un peu plus d'un an. Ce n'est qu'alors qu'on a pu vraiment commencer à prendre connaissance de ce que contiendrait la loi, à entreprendre l'étude de chacun de ses articles et à se demander si les dispositions en question étaient judicieuses.
On ne saurait affirmer que cela fait quatre ou cinq ans qu'on mène de véritables consultations, car le projet de loi n'a pas été présenté il y a quatre ou cinq ans.
M. Greene: Le processus se déroule à toute vapeur depuis que le projet de loi C-11 a été déposé. On en a précipité l'examen à la Chambre. La ministre voulait que ça se fasse vite. Certains députés nous ont dit que son bureau avait donné comme consigne que ce projet de loi était nécessaire pour freiner l'entrée des boat people chinois. Maintenant que le Sénat en est saisi, on prétend avoir besoin de ce projet de loi pour des raisons de sécurité et on vous presse de l'adopter à la hâte.
Une telle façon de procéder est pénible. C'était déjà le cas à l'étape de l'examen par la Chambre, car le mot d'ordre était de faire très vite. On y a entendu des témoins, mais dans le cadre d'un programme étroitement minuté. Il fallait toujours accélérer le rythme des travaux pour en finir rapidement. Il était impérieux que le projet de loi soit adopté avant la relâche de juin.
Je vous en ai assez dit sur le sujet pour que vous soyez en mesure de vous faire une idée.
Le sénateur Di Nino: Par ailleurs, je vous ai également entendu affirmer qu'un certain nombre de choses vous inquiétaient, mais que vous étiez particulièrement préoccupé par le fait qu'on légiférait, en réalité, par réglementation, et que, notamment dans le cas du projet de loi C-11, on risquait de le faire de manière excessive.
M. Greene: C'est juste. Je crois que M. Maynard a déjà formulé des observations à ce sujet. En l'occurrence, des droits fondamentaux seront touchés par des règlements, et c'est ce qui est particulièrement inquiétant ici. On adopte cette orientation au nom de la transparence et pour être en mesure de réagir rapidement aux circonstances changeantes. Mais il reste qu'on le fait en sacrifiant quelque chose et, dans une large mesure, ce qu'on sacrifie, c'est le contrôle parlementaire. Ce n'est pas le Parlement qui établit les règlements. Le Parlement peut toujours tenir des audiences pour en discuter, mais nous savons fort bien qui fait les règlements.
Le sénateur Di Nino: L'une de vos remarques m'a particulièrement étonné - à savoir que, si nous mobilisions les ressources nécessaires pour appliquer plus efficacement la loi actuelle, nous pourrions résoudre tous les problèmes qui, selon la ministre, ne sauraient l'être sans l'adoption de ce projet de loi. Vous ai-je bien compris?
M. Greene: Je dirais qu'il n'y a pas lieu de paniquer à propos de l'adoption du projet de loi C-11. Ce projet de loi apporte effectivement des améliorations. Il entraînera des changements, par exemple concernant le renvoi de quiconque est considéré comme étant un terroriste. Actuellement, la procédure relative à un tel renvoi comporte deux étapes. On peut d'abord s'adresser à la Cour fédérale, puis demander une révision du cas par le Comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité, le CSARS. Le projet de loi C-11 élimine une étape, celle de l'examen par le CSARS. Nous ne sommes pas favorables à ce changement, pour une question d'équité.
D'ailleurs, il y a quelque chose d'autre que nous n'avons même pas abordé concernant toute cette question, à savoir la possibilité qu'on permette aux agents de produire des éléments de preuve dont la personne visée ne sait rien et auxquels elle ne peut réagir, et, si le projet de loi C-11 est adopté, d'étendre cette pratique à d'autres types d'audiences, et non pas uniquement à celles que tient la Cour fédérale. C'est nouveau. On ne saurait nier qu'il s'agit là d'un changement par rapport à ce qu'on a actuellement.
La poussière n'est pas encore entièrement retombée depuis les événements du 11 septembre, et nous sommes tous en état de choc à tenter d'évaluer la situation. Cependant, parmi tous les nouveaux problèmes qu'il nous faudra résoudre par suite de ces événements, il y a celui de trouver le moyen d'attraper les indésirables avant qu'ils n'entrent au Canada ou dès qu'ils foulent notre sol, ou de les retracer une fois qu'ils sont dans notre pays. La loi actuelle nous fournit déjà les outils pour le faire. Nous avons déjà le pouvoir d'effectuer une enquête de sécurité au moment où la personne se présente à nos frontières. Au point d'entrée, un agent peut arrêter quelqu'un simplement parce ce qu'il lui apparaît suspect. Il n'a pas besoin d'avoir des motifs raisonnables de le faire. S'il n'est pas convaincu de l'identité d'une personne, il peut l'arrêter et la placer sous garde, et on peut maintenir cette personne en détention. Si on doute de l'identité de quelqu'un ou qu'on a des motifs raisonnables de le soupçonner d'être un terroriste, c'est suffisant. Nous avons déjà ces pouvoirs. Un agent n'a pas à prouver que la personne en question est un terroriste. S'il a des motifs raisonnables de le croire, cela suffit.
Le sénateur Di Nino: Nous avons demandé à certains agents d'immigration ce qu'ils pensaient de la limite de 72 heures pour effectuer le contrôle sécuritaire à l'entrée. On nous a répondu qu'il était impossible de respecter cette contrainte. Auriez-vous des observations à faire à ce sujet?
M. Greene: M. Kers vous a entretenu de cette question hier. Cette exigence s'applique à la mise en branle du processus. C'est là notre interprétation.
Le projet de loi C-11 stipule que le processus doit s'enclencher en dedans de 72 heures. M. Kers a fait valoir que nous n'avions pas les ressources voulues pour satisfaire à cette obligation. Il a raison. Nous devons établir combien de ressources nous voulons allouer au ministère à cette fin. C'est là qu'il faut opérer un changement. Si nous tenons à renvoyer rapidement les criminels de notre pays, nous devons considérer qu'il s'agit là d'une priorité et affecter des ressources en conséquence. Nous pouvons le faire sans abandonner tous nos mécanismes de contrôle et priver des gens de leurs droits. Cependant, il y a des choses pour lesquelles il y a un prix à payer.
De même, la détention, qui est très controversée, serait peut-être le moyen le plus efficace de s'attaquer au problème. Un recours plus fréquent à la détention aiderait à retracer les 27 000 personnes dont vous avez parlé. Accélérer le processus pourrait également être utile. Cette question nous préoccupe et nous ne réclamons pas davantage de procédures. Les mauvaises décisions relatives à des demandes du statut de réfugié jettent du discrédit sur l'ensemble du système et minent la confiance de la population. Nous ne voulons pas sacrifier les gens qui ont vraiment besoin de notre protection, mais nous tenons à expulser plus rapidement de notre pays les éléments indésirables.
M. Maynard: J'aimerais apporter certaines clarifications afin de dissiper les inquiétudes que suscite le fait qu'on ne soit pas en mesure d'effectuer l'examen complet d'un cas en dedans de 72 heures. Lorsque qu'une personne veut faire progresser le traitement de sa demande du statut de réfugié, elle doit s'adresser à un agent d'immigration pour qu'il renvoie son dossier aux instances pertinentes, qui détermineront alors si sa demande est recevable. À cette étape, le service d'immigration effectuera la vérification de ses antécédents et de son passé criminel, prendra ses empreintes digitales et sa photo et rassemblera les renseignements voulus pour établir son admissibilité.
Dans le régime actuel, une fois qu'on a établi que la demande était recevable, celle-ci est renvoyée à la Section des réfugiés. Or, le problème qui se pose actuellement, c'est qu'il a parfois fallu jusqu'à six mois pour que ce renvoi soit effectué, ce qui rallonge d'autant le délai qui s'écoule avant que la demande soit examinée. Le projet de loi C-11 propose que, lorsqu'une personne soumet une demande, le renvoi de la demande soit réputé avoir été effectué en dedans de trois jours afin que la Commission puisse commencer à traiter le cas en question. Cela ne signifie pas que la vérification des antécédents de la personne doit être terminée dans les 72 heures. La vérification peut se poursuivre, mais la Commission entreprend l'examen du cas comme si le renvoi de la demande avait été exécuté. Si les résultats de la vérification des antécédents se révèlent négatifs, le ministère peut ordonner l'interruption de l'examen de la demande et mettre un terme à l'affaire. Le délai de 72 heures pour le renvoi de la demande ne limite pas la période de temps qu'on peut prendre pour établir si quelqu'un a des antécédents criminels ou présente des risques pour la sécurité.
Le sénateur Di Nino: Selon vous, y a-t-il des dispositions du projet de loi C-11 qui vont à l'encontre de la Charte des droits, ou encore qui pourraient donner lieu à des contestations judiciaires?
M. Greene: Le ministère et la ministre vous diront que, pour eux, le test sur lequel tout repose, c'est la Charte, que leurs services juridiques les assurent que le projet de loi est conforme à la Charte à tous égards et que, pour eux, c'est là ce qui importe.
Selon nous, M. Trudeau n'a pas voulu faire de la Charte la norme maximale de notre société juste. Il s'agit là d'une norme minimale, mais, dans ce projet de loi, la ministre a interprété la Charte comme étant la norme maximale à laquelle elle doit satisfaire. Quoi qu'il en soit de cet aspect, d'autres problèmes se posent. Le renvoi de résidents permanents de longue date sans tenir compte des circonstances particulières à chaque cas constitue virtuellement une contravention à l'article 7 de la Charte.
Le président: Celui qui porte sur le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne.
M. Greene: Oui, on ne doit priver personne de ces droits, sauf lorsque l'exige le respect des principes de justice fondamentale. L'article 15 de la Charte, qui porte sur le droit à l'égalité, s'applique pour le retour au Canada de nos résidents permanents. On s'interroge à propos de sa portée dans le cas des résidents permanents qui se retrouvent bloqués à l'étranger, dont la carte arrive à expiration et qui désirent revenir au pays. Des gens en provenance d'un pays dont les citoyens n'ont pas besoin de visa pour venir au Canada, comme le Royaume-Uni, pourraient prendre l'avion et être admis au Canada. Ils pourraient perdre leur statut, mais ils seraient admis dans notre pays. Une personne qui serait en visite dans un pays comme l'Inde serait tenue d'avoir un visa et ne pourrait même pas prendre l'avion, car les transporteurs aériens ont l'ordre de n'accepter personne qui ne détient pas une carte valide de résident permanent. Il s'agit là d'une discrimination fondée sur la nationalité.
Nous faisons déjà de la discrimination sur la base de la nationalité en exigeant un visa des citoyens de certains pays. Cependant, cette exigence s'applique aux visiteurs, car les visiteurs abusent parfois du système. Ils réclament le statut de réfugié ou ils ont tendance à disparaître clandestinement.
Cependant, de la façon dont ce projet de loi est libellé à cet égard, les résidents permanents ne peuvent se voir retirer leur statut qu'au terme d'un processus complet. Nous voulons parler ici du cas de résidents permanents qui ne peuvent rentrer au Canada en raison de leur nationalité. Ces visiteurs ne bénéficient pas de la protection de la Charte, étant donné qu'ils ne sont pas déjà au Canada et qu'ils n'ont pas fait de demande d'immigration au Canada. Il y a des éléments du projet de loi qui peuvent poser problème au regard de la Charte. Je ne crois pas que le Parlement ait voulu faire de la Charte la norme maximale au regard de ce qui est juste et équitable dans notre société.
M. Maynard: En ce qui touche l'article 64 et l'expulsion de résidents permanents de longue date sans que ceux-ci aient droit à un examen équitable, la ministre et le ministère vous diront que cette pratique est conforme à la Charte, et, d'ailleurs, ils ont peut-être raison. La Charte n'est pas aussi sensationnelle qu'on le prétend.
Il y a un certain nombre d'années, dans le renvoi Chiarelli, la Cour suprême a statué qu'aucun résident ne pouvait se réclamer de la Charte pour exiger la tenue d'un examen équitable de son cas lorsqu'il est visé par un arrêt d'expulsion. Le ministère a gardé longtemps à l'esprit le verdict dans cette affaire. À cette époque, la Cour suprême avait estimé que c'était au gouvernement qu'il incombait d'établir le genre d'examen auquel doit être soumis un résident permanent. Or, il se trouve qu'il nous apparaît indiqué qu'on reconnaisse à un résident permanent le droit à un examen complet de son cas. Cependant, la Charte ne garantit pas qu'il en sera ainsi d'après le libellé de la loi. Dans cinq ou dix ans, la Cour suprême aura peut-être l'occasion de reconsidérer sa façon de voir la chose. Si le projet de loi C-11 devient loi, il faudra tout ce temps pour que certaines de ces causes aboutissent à la Cour, si jamais elles y parviennent. Il est difficile de se rendre jusqu'en Cour suprême.
Le président: Est-il plausible qu'on puisse interpréter à juste titre l'article 64 comme donnant aux gens qui sont dans notre pays depuis longtemps un incitatif plus que raisonnable à devenir citoyen du Canada? Dans l'affirmative, qu'y a-t-il de mal à cela? Si une personne a vécu dans notre pays pour une période pouvant être considérée comme longue - 15 ans, 20 ans - il semble qu'il ne serait pas déraisonnable de s'attendre à ce que, plutôt que de conserver son statut de résident permanent, elle opte pour obtenir sa citoyenneté, auquel cas aucun des problèmes qui vous préoccupent n'existerait. Vous voyant faire signe de la tête, je présume que vous êtes également de cet avis.
M. Greene: Cet article a indéniablement pour effet net de mettre au premier plan la citoyenneté canadienne.
Le président: Je n'y vois donc qu'une bonne chose.
M. Greene: Je crois que c'est également l'opinion de la ministre et que c'est en partie ce qui la motive. Cependant, dans bien des cas, des gens ne veulent pas devenir citoyens canadiens pour des raisons légitimes. Par exemple, certaines personnes ne demandent pas la citoyenneté canadienne pour leurs enfants parce que de nombreux pays ne permettent pas la double citoyenneté. Le Canada n'est pas de ce nombre, mais certains pays d'Europe de l'Ouest, comme les pays scandinaves, l'Allemagne et les Pays-Bas, ne permettent pas la double citoyenneté. Dans une économie de plus en plus mondialisée, ces gens tiennent à ce que leurs enfants puissent un jour aller travailler en Europe si tel est leur désir. Ils veulent avoir le meilleur des deux mondes.
Le président: Je comprends les gens qui préfèrent ne pas avoir à choisir entre les deux. Je me demande simplement si c'est raisonnable.
M. Greene: J'ai été témoin d'un certain nombre de cas où des résidents permanents qui se croyaient citoyens canadiens ont appris qu'ils ne l'étaient pas au moment où un agent d'immigration est allé leur rendre visite en prison pour les informer qu'ils étaient renvoyés de notre pays.
Le président: Placée devant un fait semblable, une personne peut-elle alors présenter une demande de citoyenneté?
M. Greene: Non. Une personne qui a fait l'objet d'une condamnation au cours des trois années précédant sa demande ne peut espérer obtenir la citoyenneté.
Le sénateur Cordy: J'ai entendu dire qu'en fait, un pourcentage très élevé des immigrants - de 80 à 95 p. 100 - demandent la citoyenneté canadienne en dedans de cinq ans. Est-ce le cas?
M. Greene: Je ne connais pas les chiffres à ce sujet, mais je n'en serais pas étonné. À vrai dire, une telle mesure en fera probablement augmenter le nombre, ce qui ne veut pas dire qu'elle soit juste. Il existe bien d'autres moyens fort efficaces d'inciter les gens à demander la citoyenneté canadienne à part celui de les priver complètement de tout droit de réexamen de leur cas.
J'aurais quelque chose à ajouter à propos de l'article 64. Ce ne sont pas que les criminels ou les présumés terroristes qui seront touchés par cet article. Cette décision heurtera bien d'autres catégories de personnes, dont beaucoup sont des citoyens canadiens. Ces gens ont ici des conjoints, des enfants, des parents, des frères et soeurs et des liens étroits avec le reste de la collectivité. Il peut s'agir de personnes qui ont des employeurs ou des employés qui dépendent d'elles. Là encore, cela illustre qu'il y a peut-être une différence à faire dans la façon dont nous devons traiter respectivement les étrangers qui n'ont aucun lien avec le Canada et les gens qui peuvent avoir un réseau complexe de relations dans notre pays.
Le sénateur Cordy: Je crois que les Canadiens s'accorderaient généralement à dire que ce que la vaste majorité des immigrants et des réfugiés qui s'amènent au Canada souhaitent le plus, c'est d'améliorer leur sort et celui de leurs enfants. Dans les discussions que nous avons eues au sujet de l'article 64, j'ai pu constater que la plupart des Canadiens qui ont eu l'occasion d'en prendre connaissance avaient à l'esprit que c'était ceux qui avaient commis un acte de grande criminalité que cet article visait. Bien sûr, celui qui vient s'établir dans notre pays a des droits, mais il a également des responsabilités, notamment celle d'être un bon résident, un résident productif. Il est normal, de nombreux Canadiens en conviendraient, qu'une personne qui n'assume pas ses responsabilités envers le pays, qui va jusqu'à commettre un acte de grande criminalité, renonce de ce fait à son droit d'appel.
M. Greene: Nous sommes d'accord pour dire qu'on ne devrait pas permettre que des gens s'amènent chez nous et abusent de ce privilège. Nous ne disons pas que de telles personnes devraient être autorisées à rester au Canada. Dans bien des cas, l'expulsion s'impose. La Section d'appel de l'immigration en convient, et elle ordonne parfois l'expulsion. Nous ne disons pas non plus que ces personnes n'ont pas droit à une procédure d'examen sérieux de leur cas. Quiconque a commis un acte de grande criminalité a droit à un procès équitable, même après avoir été condamné. La situation qui nous occupe n'est pas différente à cet égard, sans compter qu'il nous faut en l'occurrence prendre en considération les intérêts de bien d'autres personnes qui peuvent être touchées et qui peuvent elles aussi être expulsées.
Un des inconvénients du projet de loi C-11, c'est la procédure du tout ou rien. Le ministère doit agir dans un sens ou dans l'autre; il n'a pas d'autre choix. Lorsque la Commission est saisie du cas d'un résident permanent de longue date qui a un réseau complexe d'attaches au Canada, elle peut soit ordonner son expulsion sans droit d'appel, soit lui permettre de rester au Canada sans plus de procès. Il n'y a pas de troisième voie.
Sous le régime actuel, devant une zone grise - tous les cas ne sont pas tout noirs ou tout blancs -, la Section d'appel de l'immigration peut surseoir à la mesure d'expulsion. Le cas échéant, on ne se contente pas de permettre à la personne de demeurer au pays en toute liberté. La Section sursoit à l'application de l'ordonnance d'expulsion et impose des conditions. Elle prévient cette personne que si elle ne respecte pas ces conditions, elle sera expulsée. C'est là un outil très puissant. J'ai moi-même été témoin de son utilisation. Au cours de maintes audiences de la Section d'appel de l'immigration auxquelles j'ai assisté, j'ai vu des clients qui ont complètement changé de vie du seul fait qu'on leur a imposé de telles conditions. Ces conditions représentent pour eux une épée de Damoclès qui les force parfois à se faire aider pour résoudre un problème de drogue ou d'alcool, ou encore pour obtenir des services de counseling. Le projet de loi C-11 ne donne à la Commission aucun pouvoir lui permettant d'imposer des conditions ou d'aider ainsi certaines personnes, ou encore de donner à ceux qui se trouvent dans une zone grise la chance d'évoluer positivement.
M. Maynard: La notion de «grande criminalité», telle que définie à l'article 64, est contestable. La ministre prétend que ce projet de loi prive les grands criminels de leur droit d'appel. Ce n'est pas le cas. Le projet de loi prive du droit d'appel les personnes qu'il définit comme étant des grands criminels, ce qui, en l'occurrence, désigne tout simplement les personnes qui ont été condamnées à au moins deux ans d'emprisonnement. Cette définition ne tient nullement compte du passé de la personne en cause, du fait qu'elle ait ou non des habitudes criminelles de longue date, des circonstances de la perpétration de son infraction, ou de ses chances de réadaptation.
Ceux parmi nous qui ont déjà traité avec la Commission comprennent le genre de questions qu'on se pose pour établir si on devrait surseoir à un arrêt d'expulsion. On procède à un examen vraiment sérieux du cas pour déterminer si la personne en cause est vraiment un grand criminel et si elle présente une menace pour la société. Le présent projet de loi ne permet pas un tel examen. Il trace une ligne sur le sable. Les gens du ministère reconnaissent que ce n'est là qu'une ligne de démarcation et qu'elle n'est pas particulièrement judicieuse. Ils avouent qu'il leur faut exercer une certaine discrétion. Tout au plus ne veulent-ils pas qu'il en soit fait mention noir sur blanc dans la loi.
M. Greene: Il est difficile de définir précisément ce qu'on entend par grand criminel. Dans ma province, l'Alberta, les tribunaux aiment bien emprisonner les gens. Les statistiques indiquent que nos juges imposent davantage de peines d'emprisonnement et des peines de plus longue durée qu'ailleurs. Le sénateur LeBreton sait fort bien ce qu'il en est. Dans notre province, la ligne de démarcation est bien différente de ce qu'elle est en Colombie-Britannique ou au Québec. Les Albertains sont plus nombreux qu'ailleurs à franchir ce seuil de deux ans.
Prenons l'exemple d'une personne qui conduit en état d'ivresse et qui cause un accident mortel. Si cette personne avait été interceptée par la police et accusée de conduite en état d'ivresse avant de causer un accident mortel, elle aurait pu se voir imposer une suspension de permis de six mois, plus une amende de 1 000 $. Or, dans ma province, il est fréquent que, dans les cas d'accidents mortels, les tribunaux imposent une peine d'emprisonnement de deux ans ou plus pour conduite en état d'ébriété. Une personne condamnée à une telle peine serait réputée avoir commis un acte de «grande criminalité», selon la définition qu'en donne le projet de loi C-11. Cette personne est-elle pour autant un grand criminel? Hors de tout doute, le crime commis est grave, mais la personne qui l'a commis est-elle vraiment un grand criminel?
Ce sont là des choses très difficiles à établir. Dans certains cas, les personnes placées dans ce genre de situation devraient être renvoyées du pays. On ne devrait pas leur donner une deuxième chance, compte tenu de la gravité des conséquences de leurs actions. Dans d'autres cas, il s'imposerait qu'on tienne compte des circonstances de l'événement. Telle personne a pu se retrouver au mauvais endroit au mauvais moment et avec les mauvaises personnes quand est survenue l'altercation au cours de laquelle quelqu'un a été blessé. Pour assurer sa propre défense, telle personne a utilisé trop de force et il en est résulté un décès ou des blessures graves. L'affaire Latimer est un autre type d'exemple de telles situations.
Ce projet de loi affirme arbitrairement que quiconque a écopé une peine de deux ans ou plus est un grand criminel. Certains de ceux qui se sont vu imposer une peine de deux ans ou plus sont effectivement de grands criminels et devraient être renvoyés du pays. La Section d'appel de l'immigration examine consciencieusement les faits et prend généralement des décisions judicieuses dans de tels cas. D'après notre expérience, elle ne s'est pas trompée souvent.
M. Maynard: Nous tenons à souligner que la solution de rechange que nous avons proposée au ministère pour remplacer l'article 64 comportait trois niveaux: éliminer purement et simplement l'article 64 et laisser tous les cas aller en appel auprès de la Section, ou, à tout le moins, retrancher de cet article la notion de «grande criminalité», puisque la ligne de démarcation utilisée n'est pas un critère valable. Laissons ces affaires aller devant la Section d'appel.
Nous avons suggéré qu'on prévoie une disposition relative au domicile. Un résident permanent qui vit au Canada depuis au moins cinq ans devrait avoir un droit d'appel, étant donné qu'il serait logique qu'on prenne en considération au moins d'éventuels éléments méritoires. C'est à la Commission qu'il appartiendrait de décider si une personne peut rester au Canada. Elle pourrait, en dernière analyse, décider qu'il y a lieu d'ordonner son expulsion, mais au moins la personne aura eu la possibilité d'interjeter appel.
Le quatrième niveau tiendrait au fait que, selon moi, le projet de loi devrait exiger qu'on prenne en considération les circonstances personnelles de l'individu en cause. Il y a plusieurs avenues de solution.
Le moins qu'on puisse dire, c'est que tel qu'il est actuellement libellé, cet article est absolument inacceptable. Il ne permet pas de bien effectuer le travail. Il y a de bien meilleures façons de procéder à cet égard.
Le sénateur Beaudoin: Ma question s'adresse à Mme Zambelli, parce qu'elle fait partie du Barreau québécois.
Souscrivez-vous, pour l'essentiel, aux propos que tiennent les représentants de l'Association du Barreau canadien au sujet de l'article 64?
Mme Zambelli: Je recommanderais la même chose que M. Maynard, à savoir qu'on en retranche la notion de «grande criminalité». Je ne saurais dire si nous sommes prêts à en éliminer les éléments relatifs au terrorisme. Il se pourrait que nous tenions à imposer l'expulsion «obligatoire» dans le cas des criminels de guerre, des terroristes et des autres catégories énumérées dans le projet de loi. Toutefois, en ce qui touche la grande criminalité, je partage entièrement l'opinion de l'Association du Barreau canadien.
Quoi qu'il arrive, cet article fera l'objet de nombreuses poursuites et de nombreux litiges. Il sera énormément coûteux pour le gouvernement. Du fait qu'il aille aussi loin, il n'est manifestement pas certain qu'il soit conforme à la Constitution. Il donne beaucoup trop dans le tout ou rien. Il détonne dans le droit canadien. Sa portée est beaucoup trop large. Il englobe tout le monde, y compris les résidents permanents qui sont ici depuis leur tendre enfance, et il nie à quiconque le droit de s'attendre à ce qu'on prenne en considération toutes les circonstances de l'infraction commise ainsi que le droit d'appel humanitaire qui est inscrit dans notre législation depuis de nombreuses années.
Le sénateur Beaudoin: Avez-vous des doutes concernant la constitutionnalité de cet article?
Mme Zambelli: En ce qui touche les résidents permanents de longue date, et à propos de la question de la criminalité ordinaire ou de la grande criminalité, j'entretiendrais de sérieux doutes concernant la conformité de cette disposition avec l'article 12 de la Charte, qui traite des traitements cruels et inusités, et peut-être avec l'article 7. En principe, la Cour fédérale ne considère pas que l'expulsion constitue une privation de la liberté.
Je connais suffisamment les avocats spécialisés en droit de l'immigration pour savoir qu'il y aura sur cette question une foule de contestations judiciaires, un assaut massif. Il en coûtera très cher au gouvernement pour défendre cet article.
Le sénateur Roche: Monsieur le président, ce projet de loi m'a beaucoup préoccupé, et ce que nous disent nos témoins ce matin ajoute à mes inquiétudes.
Vous dites que vous ne voudriez pas avoir l'air de critiquer la ministre, mais vous affirmez par ailleurs qu'elle se sert d'arguments émotifs pour faire adopter ce projet de loi. Peut-être a-t-elle de bonnes raisons de se montrer émotive. C'est elle qui sera blâmée si elle n'est pas en mesure de montrer à la population canadienne que notre législation sur l'immigration reflète la situation dans laquelle le Canada se retrouve aujourd'hui. Le Canada a besoin d'immigrants. D'un côté, nous avons le devoir d'accepter des réfugiés pour le bien de notre pays. D'un autre côté, nous avons le devoir de protéger la population contre l'entrée de terroristes. Si nous ne trouvons pas le juste milieu, la ministre appréhende, comme probablement bien des gens, je pense, que notre pays soit accusé d'avoir une législation trop laxiste en matière d'immigration. Nous pourrions nous voir forcés d'harmoniser nos lois avec celles des États-Unis de manière à ce que nous puissions établir un périmètre de sécurité autour de l'Amérique du Nord, une idée qui, selon moi, suscite une profonde inquiétude chez de nombreux observateurs canadiens.
Comme il nous faut concilier ces deux nécessités pour le bien de notre société, à savoir être le plus ouverts possible tout en fermant la porte aux éléments terroristes, je me demande si ce projet de loi n'est pas fondamentalement équitable. C'est un projet de loi complexe, et il est difficile pour un non-spécialiste d'en cerner tous les aspects. J'ai écouté ce que vous avez dit à propos de l'article 64. Mais n'êtes-vous pas d'avis que ce projet de loi est fondamentalement équitable?
Je crois que, comme sénateurs, nous devons nous pencher sur bien d'autres aspects que les seuls aspects juridiques. Je ne veux pas minimiser l'importance de ceux-ci, mais ce ne sont pas que des considérations juridiques qui sont ici en cause. Nous devons aussi nous demander si ce projet de loi est moralement correct. Nous avons le devoir moral de défendre l'ensemble des intérêts de notre pays dans le contexte dualiste que nous connaissons depuis le 11 septembre.
Je dois vous dire que je ne suis pas encore convaincu que ce projet de loi est mauvais pour les raisons que vous avez mentionnées. Vous n'aimez pas la précipitation. Parfois, dans la vie, il faut agir précipitamment, et les exigences qui ont résulté des événements du 11 septembre sont d'une telle ampleur que le gouvernement du Canada ne saurait se permettre d'être perçu comme se comportant comme si de rien n'était. Je sais que vous avez dit du Sénat qu'il était un lieu de second examen objectif, et ce que j'essaie de faire, c'est justement de réexaminer sérieusement cette question. Mais, si nous tergiversons trop à propos de ce projet de loi, je crains que le Canada ne se retrouve en position de se voir demander par les États-Unis quel genre de loi sur l'immigration nous allons adopter.
J'aimerais que vous interprétiez mes propos comme l'expression d'inquiétudes dont je tenais à vous faire part, et je vous invite à me répondre comme bon vous semblera.
M. Greene: Merci pour votre examen objectif. Ce projet de loi mérite vraiment ce genre de réflexions et cette recherche d'un juste milieu, et il est nécessaire qu'on s'y attarde comme vous le faites. La confiance de la population est très importante, celle de nos voisins du Sud également.
Il y a un an et demi, la ministre a très bien su maîtriser la situation dans l'affaire des boat people. Cette question a suscité, je crois, un tollé général dans la population. Les gens étaient terrifiés à la pensée que ces boat people puissent envahir notre pays. Les bateaux ont commencé à arriver. La ministre a géré la situation sans qu'il soit nécessaire de modifier la loi. Elle disposait déjà pour ce faire de tous les pouvoirs voulus. C'est le pouvoir de détention qui lui a permis d'agir efficacement. Ces gens se sont rendu compte qu'après avoir débarqué sur nos rives, ils ne pourraient s'attarder dans notre pays pour ensuite se faufiler furtivement aux États-Unis, comme ils en avaient l'intention. Soit dit en passant, c'est probablement là que se trouvent actuellement la plupart des 27 000 personnes dont nous avons parlé tout à l'heure. Les boat people ont réalisé qu'ils allaient se retrouver en détention, pour être renvoyés dans leur pays une année ou deux plus tard. Ces mesures ont suffi à stopper la venue de tels bateaux.
Il y des choses que le gouvernement peut faire pour garder la confiance de la population. Les mesures de contrôle sécuritaire à l'entrée que la ministre a mises en oeuvre la semaine dernière peuvent être prises dans le cadre de la loi actuelle. Déjà, rien ne nous empêche donc de prendre les mesures concrètes qui s'imposent. Adopter précipitamment ce projet de loi simplement pour montrer qu'on fait quelque chose est extrêmement dangereux.
Le Congrès américain fait actuellement face exactement au même dilemme. L'administration a introduit ce qu'elle a appelé une «loi anti-terrorisme» qui comporte des mesures très draconiennes, y compris celle qui consiste à conférer aux responsables de la sécurité le pouvoir d'établir qui est un terroriste sans qu'aucun tribunal sur le territoire des États-Unis ne soit habilité à remettre en question leurs décisions. Dieu merci, dans ce pays, on y a regardé de plus près et on a refusé d'accepter une telle règle. On a accepté certaines dispositions, mais pas d'autres, et on a renvoyé le projet de loi. Les autorités de ce pays subissent beaucoup plus de pressions que les nôtres pour agir de manière à donner à la population l'impression qu'elles prennent les mesures qui s'imposent.
À propos de cette nécessité de prendre des mesures propres à inspirer confiance à la population, oui, bien sûr qu'il le faut, et le public réclame d'ailleurs qu'on passe à l'action au plus tôt. Mais cela ne veut pas dire qu'on doive adopter un projet de loi qui n'ajoute rien de substantiel à ce qui existe déjà et qui, en réalité, porte gravement atteinte aux droits des gens. Ce n'est pas le genre de mesure qu'il faut prendre.
Mme Zambelli: Je me suis penchée moi aussi sur le système américain. La grande erreur que l'on fait, c'est de croire que, d'une certaine façon, sur papier, notre système est moins rigoureux que le leur. En réalité, sur papier, notre système a été légèrement en avance sur le système américain en ce qui concerne les éléments de notre loi sur l'immigration qui touchent la lutte anti-terrorisme. Je sais que le Canada a toujours été au premier rang dans le monde en ce qui a trait à la reconnaissance du statut de réfugié. Nous avons tenu à exclure les criminels de guerre et les terroristes de façon beaucoup plus directe que les États-Unis. Que la population canadienne se dise que notre Loi sur l'immigration est faible m'apparaît être une perception erronée, et la première chose qu'il nous faudrait faire, c'est de démystifier cette impression. Notre actuelle Loi sur l'immigration, comme tous les témoins l'ont signalé, comporte des mesures visant à empêcher les terroristes d'entrer dans notre pays, et nous évoluons à cet égard fondamentalement dans le même cadre législatif depuis 1989.
Le contrôle sécuritaire que nous effectuons auprès des demandeurs du statut de réfugié et nos dispositions législatives au regard de leur admissibilité avant qu'ils entrent dans le système ont été resserrés au fil des ans, mais le concept a toujours été le même. C'est une fausseté qu'on répand dans la communauté internationale que d'affirmer que le Canada a des lois sur l'immigration moins strictes que celles des États-Unis. C'est une perception publique qui doit être démentie. Que nous adoptions ce projet de loi ou que nous maintenions la loi actuelle, cela ne change pas grand-chose. En réalité, l'article 103.1 de la loi actuelle prévoit la détention obligatoire des personnes qui se trouvent au Canada et dont on ne peut établir l'identité. Aux termes du projet de loi C-11, l'application de cette mesure est facultative. C'est donc dire que certains éléments de la loi actuelle vont plus loin à cet égard que le projet de loi C-11. Essentiellement, les dispositions des deux textes législatifs sont semblables. Nous fonctionnons à l'intérieur de ce cadre législatif depuis 1989. C'est tout simplement que, jusqu'à maintenant, nous n'avons pas eu la motivation voulue pour consacrer suffisamment de ressources aux mesures de contrôle à l'entrée - enquêtes, exécution de la loi et coordination du renseignement de sécurité. Nous avons omis de donner aux agents d'immigration en poste à la frontière ainsi qu'à la Commission des réfugiés la bonne information. La structure est là; ce qu'il reste à faire, c'est d'affecter les budgets aux bons endroits. C'est injustement qu'on reproche au Canada d'avoir des lois de l'immigration plus clémentes que celles des États-Unis. En réalité, nous nous sommes montrés davantage proactifs que les États-Uniens dans l'adoption de mesures législatives antiterrorisme. J'ignore à quoi on veut en venir, mais il m'apparaît très injuste de prétendre que nous devons changer nos lois, car cela fait très longtemps que celles-ci sont adéquates.
Le sénateur Morin: Ce que vous venez de dire m'apparaît extrêmement important. Avez-vous bel et bien affirmé qu'il y a un point sur lequel le Canada était plus faible que les États-Unis?
Mme Zambelli: Non, je voulais parler du projet de loi C-11 en regard de notre loi actuelle.
Le sénateur Morin: Ce n'était donc pas du tout en comparaison avec les États-Unis?
Mme Zambelli: Non. Le fait est que les États-Unis ont dans leur loi sur l'immigration des dispositions plus sévères que les nôtres en ce qui a trait à la détention obligatoire, mais, à bien d'autres égards, nous avons, et ce, depuis longtemps, une structure législative qui nous permet d'effectuer les contrôles sécuritaires voulus pour refouler les éléments indésirables.
Le sénateur Morin: Il est très important que nous le sachions.
Mme Zambelli: Le travail d'un avocat spécialisé en droit de l'immigration est très pénible depuis le 11 septembre. Nous sommes assaillis de toutes parts, et il nous faut reprendre sans cesse les mêmes arguments.
Le président: Le sentiment d'être assailli est familier à chaque membre de notre comité. Bienvenue dans notre club.
Mme Zambelli: Le Canada n'est pas sensiblement moins rigoureux que les États-Unis en ce qui a trait à ses lois. Le problème, bien sûr, se situe au niveau de l'application de nos lois et de la volonté politique de les faire appliquer. Depuis 1989, nous avons des dispositions prévoyant le renvoi vers un tiers pays sûr. Or, ces dispositions nous auraient permis, si elles avaient été appliquées, d'endiguer probablement la moitié du flot de demandeurs du statut de réfugié. Elles n'ont jamais été appliquées en raison de divers problèmes, mais nous avons ces outils depuis plus de 10 ans.
Nos élus sont peut-être maintenant davantage résolus à affecter les sommes nécessaires pour appliquer les dispositions que nous avons déjà, mais il est absolument faux de prétendre que le Canada est, sur le plan législatif, plus timide et moins rigoureux que les États-Unis à l'égard des réfugiés et du terrorisme.
Le sénateur Fairbairn: Merci à vous tous de votre présence ici et pour vos exposés pleins de verve. Chacun d'entre vous a insisté à sa façon sur la limitation de l'accès à la Cour fédérale prévue dans le projet de loi. Mme Zambelli, en particulier, a exprimé sa déception à cet égard. Vous avez également abordé la question des qualifications professionnelles que devraient posséder ceux qui sont responsables de rendre ces décisions.
Le problème de l'affectation de ressources dans ce domaine est en partie une question de budget, mais vous avez également fait état d'une autre inquiétude. Si on laisse de côté pour l'instant la question de l'accès à la Cour fédérale, croyez-vous qu'il serait souhaitable, sinon nécessaire, que les nouveaux règlements précisent les qualifications professionnelles requises de ceux qui seront désignés pour faire partie de la Section d'appel, par exemple?
Mme Zambelli: Si elles étaient précisées quelque part, serait-ce dans les règlements plutôt que dans la loi elle-même, ce serait un pas dans la bonne direction. S'il est légalement possible d'établir ce genre de choses dans les règlements, comme ce me semble être le cas, j'y serais favorable.
Comme je l'ai mentionné précédemment, le Comité de la Chambre des communes a été saisi d'une proposition qui aurait eu pour effet d'amender le projet de loi de manière à ce qu'il y soit établi approximativement quelles qualifications professionnelles sont requises pour être membre de la section des réfugiés. Le comité n'a pas adopté cet amendement, bien qu'il y ait eu un mouvement en faveur de son adoption, et j'ai été déçue qu'il soit rejeté.
Il s'agirait là d'une mesure de type préventif. Elle permettrait de cibler, dans l'affectation des ressources, l'amélioration de nos chances que la section des réfugiés rende dès le départ de bonnes décisions. Si on appliquait cette mesure, nous nous éviterions des dépenses sur d'autres fronts et nous pourrions utiliser les sommes ainsi économisées à d'autres fins, peut-être pour la défense nationale, par exemple. Chaque année, le système d'accueil des réfugiés traite quelque 30 000 dossiers. Nous pourrions commencer par améliorer notre efficacité en nous assurant de mener une enquête initiale de bonne qualité afin de réduire au minimum le nombre de décisions erronées à ce stade. La seule façon d'y parvenir serait d'abandonner notre système actuel de nominations fondées sur des motifs politiques et de le remplacer par quelque chose de plus fonctionnel.
Le sénateur Robertson: Madame Zambelli, vous avez parlé d'un problème qui préoccupe de nombreux Canadiens. Vous nous avez dit que nos lois sont aussi bonnes sinon meilleures que celles des États-Unis et que les Canadiens devraient en être fiers et cesser de s'en plaindre. En général, les Canadiens ne connaissent pas les modalités de la loi, mais ils s'attendent à ce que la loi soit appliquée. Ils s'attendraient à ce qu'on applique les lois concernant la sécurité de notre pays au même titre qu'on applique la Loi de l'impôt sur le revenu. Cependant, on ne l'a peut-être pas fait rigoureusement. Les Canadiens veulent savoir pourquoi, si nos lois sont si bonnes, nous nous inquiétons si vivement du contexte et des circonstances dans lesquels nous nous retrouvons actuellement.
Mme Zambelli: Jusqu'à maintenant, nos élus n'ont pas manifesté la volonté politique voulue pour exiger qu'on se serve uniformément des outils dont nous disposons.
Nous sommes tous là à nous regarder les uns les autres et à nous demander pourquoi nous n'avons pas fait jusqu'à aujourd'hui ce qu'il fallait faire. Je l'ignore. On ne l'a pas fait non plus aux États-Unis, donc ne commencez pas à nous jeter le blâme maintenant. Nous ne connaissons pas la réponse à cette question. Chose certaine, le passé est le passé. Heureusement, nous avons la structure législative appropriée. Comme M. Greene l'a souligné, la ministre Caplan a affirmé l'autre jour qu'elle allait dorénavant exiger qu'on applique des procédures de contrôle sécuritaire à l'égard des demandeurs du statut de réfugié et que cela pouvait se faire rapidement. Comme on l'a fait remarquer à juste titre, il s'agit là d'un parfait exemple de cas où nous disposons déjà du pouvoir voulu. Son utilisation ne tient qu'à une question de volonté politique.
Le sénateur Robertson: Vous avez parlé du contexte aux États-Unis et de notre propre situation. Comment les Américains traitent-ils les cas de grande criminalité lorsqu'il s'agit de dossiers de réfugiés?
Mme Zambelli: De la même façon que nous. Une personne peut être jugée non admissible à l'obtention du statut de réfugié si elle a commis un acte criminel particulièrement grave, par exemple. La même norme s'applique dans tous les pays signataires de la Convention. Naturellement, un étranger qui réside aux États-Unis peut être expulsé comme c'est le cas dans notre pays pour à peu près les mêmes types d'actes criminels. Comme je l'ai souligné précédemment, nos deux systèmes sont passablement parallèles, généralement fondés sur les mêmes politiques et sur les mêmes objectifs globaux.
Le sénateur Robertson: Il y a dans notre pays 27 000 étrangers dont nous avons perdu la trace. Aux États-Unis, le nombre de cas de ce genre est-il comparable au nôtre en proportion de la population?
Mme Zambelli: Il est plus élevé.
Le sénateur Morin: Ils en ont 6 millions.
M. Greene: D'après ce que nous avons entendu dire, il y aurait de 5 à 6 millions d'illégaux aux États-Unis.
Mme Zambelli: Comme M. Greene l'a mentionné, nous disposons déjà des outils voulus pour nous attaquer au cas de ces 27 000 étrangers. Nous pouvons exercer un contrôle sur les déplacements des gens. Par exemple, si vous ne voulez pas placer toutes ces personnes en détention, vous pouvez les soumettre à des conditions plus rigoureuses. Elles peuvent être tenues de respecter des conditions concernant le signalement de leur présence. On peut les obliger à se présenter à tel ou tel bureau chaque semaine ou chaque mois. Il existe de nombreux outils qui peuvent nous permettre de mieux suivre la trace d'une personne.
Comme le disait encore M. Greene, il y a des limites à ce que la loi sur l'immigration peut faire pour résoudre ce problème, parce que les préposés à l'immigration se voient parfois remettre des documents falsifiés - cartes de résidents, passeports et visas. Ce genre de problème échappe au contrôle de la Loi sur l'immigration, et ce sont d'autres services gouvernementaux qui doivent s'y attaquer.
Le sénateur Robertson: La loi américaine sur l'immigration comporte-t-elle l'équivalent de notre article 64?
Mme Zambelli: Pour pouvoir vous répondre, il me faudrait effectuer quelque recherche. Je ne sais trop ce qu'il en est.
M. Greene: En 1996, il s'est opéré aux États-Unis ce qu'on ne saurait appeler autrement qu'un virage anti-immigrants au sein du Congrès nouvellement élu. Des lois plus sévères ont été présentées pour traiter les cas d'actes criminels. Les Américains ont sur ce chapitre différentes procédures qui m'ont semblé plus généreuses que les nôtres. C'est une farce de la part des Américains que de dire que nos lois sont plus laxistes que les leurs. Elles ne le sont pas. Notre définition du terrorisme est beaucoup plus large que la leur, et elle ne serait d'ailleurs pas acceptable suivant leur Constitution.
Les Américains sont maintenant en train de reculer sur la question de la criminalité parce que, à certains égards, ils sont allés trop loin. Même Lamar Smith le dit. On ne saurait trouver plus extrémiste que Lamar Smith.
M. Maynard: Je ne connais pas très bien la loi américaine dans ce domaine, mais je me suis toujours dit que nous n'avions pas de leçon à recevoir des États-Unis en matière de loi sur l'immigration. Je crois que nous sommes tout à fait à la hauteur à cet égard.
Cependant, je sais comment l'Australie, la France et le Royaume-Uni traitent un immigrant qui, un jour, est reconnu coupable d'un acte de grande criminalité. En Australie, on applique une règle dite de 10 ans. Une personne qui vit en Australie depuis au moins 10 ans à titre de résident permanent ne peut être expulsée. Le fait qu'elle y soit établie depuis longtemps en fait un citoyen de facto. On ne peut la renvoyer.
La France a une série compliquée de règles qui varient selon que le résident permanent est marié ou non à un citoyen français et selon l'âge qu'il avait au moment où il est entré au pays, toujours dans l'esprit de protéger les résidents permanents de longue date.
La loi britannique exige que les circonstances particulières à la personne en cause soient prises en considération si cette personne réside en Grande-Bretagne depuis un certain âge.
Je tiens à vous faire remarquer enfin, et ce sera mon dernier commentaire, que dans un rapport qu'il a produit en 1998, le Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration a affirmé que nous devrions songer à protéger contre le renvoi les résidents permanents qui sont au Canada depuis longtemps; sans dire qu'ils devraient toujours être autorisés à rester dans notre pays, le comité estimait que nous devrions examiner plus attentivement la question, car la loi ne leur offre pas suffisamment de protection à cet égard. Ce projet de loi va tout à fait dans le sens contraire.
Le sénateur Robertson: Je ne voudrais surtout pas donner à penser que nous devrions examiner ce qui se fait aux États-Unis et chercher à copier leurs procédures. J'estime que les citoyens du Canada devraient être informés des faits afin de mieux être en mesure de comprendre les circonstances dans lesquelles ils se retrouvent aujourd'hui. Un des problèmes que nous connaissons actuellement, c'est que les Canadiens ne savent pas où nous nous situons à cet égard sur le plan législatif, ce qui est regrettable.
M. Greene: Comme hommes et femmes politiques, vous êtes placés dans une situation difficile. S'il y a une passoire quelque part dans les lois sur l'immigration, c'est au sud de notre frontière qu'elle se trouve. Les Américains se plaignent du fait que des étrangers s'amènent ici dont nous ne parvenons pas à nous débarrasser et qui se faufilent par la suite aux États-Unis pour y commettre des actes terroristes.
D'où viennent, selon vous, la plupart des 30 000 demandeurs du statut de réfugié que reçoit le Canada chaque année? Comment sont-ils arrivés là au départ? Le problème, c'est que le système d'immigration aux États-Unis n'est pas plus efficace que le nôtre. Il y a une foule de gens qui s'amènent chez nous et qui parviennent à tromper les Américains. Certains d'entre eux ont obtenu des visas de visiteur et ne restent pas comme visiteurs. Leur véritable intention est tout autre. Leur intention, c'est d'abuser de notre système de réfugiés et de s'établir illégalement aux États-Unis.
Les États-Unis ont un problème d'illégaux bien plus énorme que le nôtre. Il est commode pour les politiciens américains de pointer du doigt un autre pays et de lui jeter le blâme. On s'en prend au Canada.
Le président: N'a-t-on pas défini la politique comme étant l'art de rejeter la responsabilité sur quelqu'un d'autre?
M. Greene: Il est beaucoup plus difficile pour les autorités politiques canadiennes d'imputer la faute aux Américains. Nous n'osons pas faire ce genre de critique. Les Canadiens devraient savoir, et les dirigeants canadiens devraient se charger de leur faire savoir, que notre système est bon. Il a besoin d'être amélioré, soit. Nous devrons revoir notre fonctionnement et réorienter nos ressources, nos priorités, et la façon dont nous gérons certaines situations. Nous avons un système dont nous pouvons être fiers et qui n'est certainement pas inférieur à celui des États-Unis.
Le président: Je tiens à remercier nos témoins de leur contribution à nos travaux.
La séance est levée.