La santé des Canadiens Le rôle du gouvernement fédéral
Rapport intérimaire
Volume quatre – Questions et options
Enjeux et options quant au financement
Le financement des soins de santé au Canada, et en fait dans tous les pays de l’OCDE, soulève de vifs débats qui portent sur un certain nombre de questions. Dans quelle mesure les soins de santé devraient-ils être financés par l’État? Quel rôle le secteur privé devrait-il jouer dans ce domaine? Quel serait le partage optimal entre les secteurs public et privé pour le financement des soins de santé? Dans les pays dotés d’un système politique fédéral comme le Canada, une autre question s’ajoute, à savoir comment équilibrer les dépenses consacrées aux soins de santé entre les divers ordres de gouvernement.
Tous les systèmes de soins de santé sont hybrides : ils sont financés tant par le secteur public que par le secteur privé. Au cours de la phase trois de son étude, le Comité a pris connaissance des différences importantes entre les pays de l’OCDE au niveau des services couverts par les divers régimes publics d’assurance-maladie et de leur mode de financement.
Selon notre étude comparative à l’échelle internationale, l’Allemagne, la Suède et le Royaume-Uni possèdent actuellement les systèmes publics les plus complets. La part des dépenses totales liées à la santé assumée par le secteur public est plus grande dans ces trois pays (soit 84 % en Suède et au Royaume-Uni et 75 % en Allemagne) qu’au Canada (70 %). De nombreux pays où le taux de participation du secteur public au financement des soins de santé est similaire à celui du Canada – par exemple l’Australie et les Pays-Bas – offrent également une couverture qui est beaucoup plus large que celle disponible au Canada.
Contrairement au Canada, toutefois, des frais d’utilisation des services couverts par le régime public sont imposés en Australie, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Suède et au Royaume-Uni. En outre, les résidents peuvent adhérer à un régime privé qui couvre les mêmes services que le régime public, ce qui n’est pas le cas au Canada. Ainsi, il est possible de déduire que, grâce à la façon dont la participation du secteur privé est organisée, ces pays peuvent offrir une couverture élargie dans le cadre du régime public.
Au Canada, le débat sur l’abordabilité et la durabilité du système de soins de santé public englobe des enjeux plus larges touchant à la sélection des services qui devraient être considérés comme « médicalement nécessaires » et, par conséquent, couverts par le régime public, à la détermination des bénéficiaires des soins de santé financés par l’État et au mode de paiement de ces services. Le rôle joué par le gouvernement fédéral dans le transfert de fonds aux provinces et territoires pour la fourniture des soins de santé et concernant l’application de la Loi canadienne sur la santé se situe au cœur même de ce débat.
En ce qui concerne le financement des soins de santé, le Comité a déterminé que les quatre grandes questions suivantes se posaient :
- quels changements peut-on apporter au mode de prestation des soins de santé qui seraient susceptibles d’avoir un impact sur le niveau de financement requis?
- quelle forme devrait prendre l’aide financière du gouvernement fédéral pour les soins de santé?
- quels moyens devrait prendre le gouvernement pour réunir des fonds aux fins des soins de santé?
- quels services devraient être couverts et qui devrait être couvert par le régime public d’assurance-maladie?
Nous ne prétendons pas que les options présentées dans le présent chapitre sont exhaustives. De plus, elles ne doivent pas être perçues comme s’excluant mutuellement; des éléments des diverses options peuvent être reconfigurés de plusieurs façons différentes.
Lorsqu’on examine la structure de financement future des soins de santé, il est important de se demander si de nouvelles sources de financement sont nécessaires afin de rendre le système économiquement durable à long terme ou bien s’il est possible d’apporter suffisamment de changements au système de manière à ce que les économies résultantes permettent de supporter les hausses futures des coûts (attribuables entre autres au vieillissement de la population et à l’augmentation du coût des médicaments).
De nombreux changements ont été proposés tout au long des audiences du Comité au cours des trois premières phases de l’étude. Ces options ne touchent pas nécessairement directement au rôle du gouvernement fédéral en matière de financement, mais elles peuvent néanmoins se traduire par des économies qui auraient un impact sur le niveau global de l’aide financière nécessaire pour soutenir le système.
Plusieurs options visant à accroître l’efficience du système actuel sont présentées dans les sections 8.2.2 à 8.2.5 ci-dessous. Le Comité est d’avis que la plupart sinon la totalité de ces changements devraient être apportés dans un proche avenir.
8.2.1 Accroissement de l’efficience et de l’efficacité
Il existe deux écoles de pensée quant au besoin de nouvelles sources de financement pour assurer la durabilité du système de soins de santé. Selon les partisans de la première ligne de pensée, une exploitation plus efficiente du système de soins de santé permettra de réaliser des économies telles qu’aucune nouvelle source de financement ne sera requise. Ce point de vue se reflète dans le récent rapport Fyke sur les soins de santé en Saskatchewan de même que dans des rapports et des articles de journaux de nombreux auteurs, y compris le Dr Michael Rachlis.
Par exemple, la commission Fyke a conclu que « modifier la prestation des services de santé primaires, planifier soigneusement la fourniture des soins spécialisés, continuer à investir dans le bien-être et s’engager à améliorer la qualité constituent les fondements d’un système de soins de santé efficace et durable ». Pour sa part, le Dr Rachlis est d’avis que la meilleure façon d’assurer la durabilité du système consiste à généraliser les meilleures pratiques, notamment dans le cadre de la réforme des soins primaires. Parmi les exemples qu’il cite, mentionnons la médecine de groupe pratiquée à Beechy, en Saskatchewan, et à Sault Ste. Marie, en Ontario, grâce à laquelle le nombre de patients par médecin a augmenté de façon notable grâce à l’intégration des infirmières praticiennes et d’autres intervenants à un groupe de soins primaires polyvalent.
De nombreux analystes reconnaissent la nécessité d’accroître l’efficacité et l’efficience du système de soins de santé du Canada, mais on ne s’entend pas sur l’ampleur des économies qui en résulteraient. En outre, il existe actuellement deux obstacles importants qui nous empêchent de réellement améliorer l’efficacité et l’efficience du système : premièrement, l’absence d’indicateurs du rendement, et deuxièmement, les difficultés rencontrées lorsqu’il s’agit de modifier un comportement.
En raison de la rareté des indicateurs mesurant l’amélioration de l’état de santé et du manque d’information sur les effets des traitements médicaux, il est difficile d’évaluer l’efficacité des soins et le rendement global du système de soins de santé. Donc, actuellement, on ne dispose pas de preuves suffisantes pour démontrer qu’une amélioration de l’efficience permettrait à elle seule de combler l’écart entre les coûts croissants des soins de santé et l’aide financière du gouvernement.
Voilà qui nous amène à la deuxième école de pensée quant au besoin de nouvelles sources de financement. Les partisans de cette ligne de pensée reconnaissent que, dans le cadre d’un système de soins de santé de 90 milliards de dollars, certaines économies sont assurément possibles et que tout doit être fait pour mettre en place des changements axés sur l’efficience.
Selon ces gens, il sera toutefois difficile d’apporter des changements qui visent à accroître l’efficience et l’efficacité parce que l’attitude et le comportement d’un éventail de personnes et de groupes ayant des intérêts bien établis dans le système de soins de santé – y compris les malades, les fournisseurs de services, les compagnies pharmaceutiques, etc. – se sont révélés, au fil des ans, très difficiles à changer. En fait, si bon nombre des changements proposés étaient aussi faciles à mettre en place que le laissent entendre les partisans de la première école de pensée, alors il y a lieu de se demander pour quelle raison ils n’ont pas déjà été apportés.
Par conséquent, le Comité croit qu’il est important d’être prudent et d’élaborer des politiques et des plans qui se révéleront efficaces si des économies suffisantes n’étaient pas réalisées à la suite des changements apportés au fonctionnement du système. En agissant autrement, nous mettrions tous nos œufs dans le même panier et nous compromettrions la durabilité future du système de soins de santé en pariant sur des changements à apporter au système alors qu’il n’existe pas encore de preuves suffisantes que ces changements sont vraiment réalisables, et qu’on ne dispose d’aucune indication fiable quant aux économies qui peuvent être réalisées grâce à ces changements.
Le Comité se rend compte que la démarche des adeptes de la première école de pensée comporte un avantage important : elle permet d’éviter la plupart des questions difficiles liées au financement qui sont décrites dans le reste du présent chapitre. Il est certes tentant d’adopter ce point de vue et d’esquiver les questions les plus controversées concernant les soins de santé, mais le Comité est d’avis qu’une planification responsable de la politique gouvernementale exige que la deuxième école de pensée l’emporte et que les Canadiens devraient poursuivre les discussions sur la façon de réunir des fonds additionnels tout en déployant des efforts pour organiser de manière plus efficiente la prestation des soins de santé.
Nous aimerions connaître les vues des lecteurs sur cette question fondamentale, à savoir laquelle des deux lignes de pensée devrait servir de base à la politique en matière de soins de santé?
8.2.2 Réforme des soins primaires
La façon dont la réforme des soins primaires peut être utilisée pour accroître l’efficience de la prestation des soins de santé est décrite à la section 5.1. Comme on l’a déjà mentionné, les soins primaires représentent le premier point de contact entre le malade et le système de soins de santé. Actuellement, le médecin fournissant les soins primaires est « l’aiguilleur » du système, il est celui qui doit diriger les patients vers les autres intervenants pour recevoir leur traitement. Les gouvernements provinciaux et territoriaux sont tous d’accord sur la nécessité d’une réforme des soins primaires. Cette réforme signifie qu’il faut encourager l’utilisation des fournisseurs de soins de santé les plus appropriés (pas nécessairement les médecins), veiller à ce que les dispensateurs de soins travaillent au sein d’équipes multidisciplinaires et adopter de nouveaux modes de rémunération des médecins – soit sous la forme d’une rémunération par capitation ou d’un salaire, soit un système de paiement mixte, par exemple la rémunération par capitation combinée à la rémunération à l’acte. De nombreux spécialistes croient que la réforme des soins primaires peut générer des bénéfices importants pour les raisons suivantes :
- Premièrement, étant donné que les médecins ne seraient pas rémunérés uniquement à l’acte, ceux-ci ne seraient plus incités, comme c’est le cas actuellement, à vouloir voir chaque patient qui se présente à la clinique. Par conséquent, un patient peut ainsi recevoir un service d’un professionnel de la santé qui est compétent, mais qui n’est pas nécessairement surqualifié. Donc, au lieu de confier la prestation des soins au médecin, comme c’est souvent le cas actuellement, une infirmière de triage, une infirmière praticienne ou un autre dispensateur de soins de santé pourrait s’en charger.
- Deuxièmement, dans le cadre d’un système de rémunération par capitation des soins primaires, le médecin qui est responsable d’un patient touche un montant fixe pour la fourniture des soins au patient pendant un an. Ainsi, par exemple, le médecin est incité à faire faire uniquement les tests qui sont vraiment nécessaires étant donné que les tests sont payés à même le montant fixe que le médecin a reçu pour les soins au patient. Lorsque les tests ne sont plus « gratuits » pour le médecin, comme c’est le cas actuellement, un changement comportemental est observé au niveau des demandes de tests.
- Troisièmement, le travail au sein d’une équipe multidisciplinaire, qui est à la base de la réforme des soins primaires, permet une utilisation plus appropriée et efficiente des ressources humaines en santé.
- Quatrièmement, un nouveau système de soins primaires pourrait aussi permettre de consacrer plus de temps et d’efforts à la promotion du bien-être et à la prévention de la maladie, ce qui aiderait à réduire la demande pour les services de santé à plus long terme.
La réforme des soins primaires pourrait donc éventuellement générer des économies considérables pour le système de soins de santé. Elle entraînerait tout probablement une baisse du taux d’augmentation des dépenses en soins de santé, sinon une diminution réelle de ces dépenses. Ces « économies » pourraient être réinvesties dans le système sous la forme de services additionnels qui ne sont pas actuellement inclus dans le système de soins de santé public de certaines ou de la totalité des provinces.
Par exemple, les services de santé fournis par des personnes autres que les médecins, comme les physiothérapeutes, les orthophonistes, les ergothérapeutes, pourraient être couverts (du moins pour les patients qui ne bénéficient pas actuellement de cette couverture dans le cadre d’un régime privé d’assurance-maladie). En outre, certains services diagnostiques (par ex. un test PSA pour le dépistage du cancer de la prostate) pourraient être ajoutés à liste des services couverts, tout comme les soins de réadaptation et certains dispositifs médicaux. Ici encore, on suppose que ces services seraient ajoutés uniquement dans le cas des personnes qui ne bénéficient pas déjà d’une couverture.
Les deux secteurs où le public canadien semble souhaiter le plus un élargissement de la couverture sont la pharmacothérapie et les soins à domicile. En raison de l’importance de ces secteurs et des coûts qu’ils pourraient engendrer, nous les avons traités séparément dans les sections 8.9 et 8.10.
8.2.3 Régionalisation des services de santé
La régionalisation est un élément important de la réorganisation des soins de santé réalisée depuis le début des années 1990. En règle générale, la régionalisation comporte à la fois une décentralisation et une centralisation. La décentralisation entraîne habituellement le déplacement de la planification, de la budgétisation et du pouvoir décisionnel, qui passent des autorités provinciales ou territoriales à des organismes régionaux. La centralisation signifie que la planification et la direction des soins de santé et des services médicaux passent des établissements ou des organismes individuels aux autorités régionales.
L’ensemble des provinces et des territoires, à l’exception de l’Ontario et du Yukon, ont mis en place une certaine forme de régionalisation. Les objectifs de la régionalisation comprennent la rationalisation de la fourniture des services de santé et la prestation des soins en fonction des besoins de la communauté. La régionalisation offre également la souplesse nécessaire pour que la responsabilité et la responsabilisation en matière de fourniture des soins de santé se rapprochent des personnes qui dépendent des services.
Un avantage important de la régionalisation est qu’elle permet de modifier les modes traditionnels de planification et d’affectation des crédits. En effet, on peut alors gérer et planifier de manière horizontale, ce qui a permis de réaliser des économies énormes dans certaines provinces. Ainsi, à Calgary, on a consacré des fonds à la vaccination anti-grippale des personnes âgées et généré du même coup de grandes économies en réduisant le nombre de ces personnes qui se présentaient aux urgences des hôpitaux. Avant la régionalisation, il n’était habituellement pas possible de jongler de cette façon avec les crédits.
De nombreux spécialistes croient que la régionalisation offre l’occasion d’intégrer et de mieux coordonner la fourniture de tout l’éventail des services de santé, depuis la protection de la santé et la prévention de la maladie jusqu’aux soins aigus, en passant par les soins primaires, et sans oublier les services de réadaptation et les soins de longue durée. Ils signalent également que des avantages importants peuvent être tirés de l’intégration, à l’échelon régional, des budgets des hôpitaux et des soins médicaux qui, autrement, demeureraient financés séparément. Par exemple, le conseil régional de la santé d’Edmonton a intégré tous les budgets consacrés à la fourniture des services de laboratoire. Selon les estimations, cette mesure a permis de réduire les coûts des services de laboratoire de près de 40 % du fait que les gestionnaires régionaux (en utilisant la capacité des laboratoires d’hôpital comme argument de négociation) ont conclu des marchés beaucoup plus avantageux avec les laboratoires privés que ce qui avait été possible d’obtenir pour le régime provincial d’assurance-maladie.
La régionalisation, comme la réforme des soins de santé primaires, est un élément clé pour mieux intégrer les services de santé, même si elle ne permet pas de régler tous les problèmes.
8.2.4 Passation de marché avec des établissements de santé privés à but lucratif
Pour éviter que le secteur public ne soit obligé d’assumer le coût en capital de toutes les unités spécialisées de prestation de services (souvent appelées des cliniques), on pourrait demander au secteur privé de se charger de leur construction et de leur exploitation tandis que le coût des services de santé médicalement nécessaires qui y sont offerts serait assumé par le régime public d’assurance-maladie, comme c’est le cas à la clinique Shouldice (spécialisée dans le traitement des hernies), à Toronto.
Le gouvernement de l’Alberta (dans le cadre du projet de loi 11, 2000) autorise les conseils régionaux de la santé à conclure des marchés avec des établissements privés à but lucratif pour la fourniture de certains services de santé couverts par le régime public (interventions chirurgicales mineures). D’autres pays, notamment le Royaume-Uni, autorisent les régimes privés d’assurance-maladie grâce auxquels les malades peuvent être traités dans des établissements de santé privés à but lucratif.
Les partisans de ce point de vue laissent entendre que l’impartition au secteur privé à but lucratif offre un certain nombre d’avantages comparativement à l’investissement de montants similaires dans le secteur sans but lucratif existant, qu’il soit public ou privé. À leur avis, l’impartition entraîne un meilleur accès, une diminution du temps et des listes d’attente et une efficience accrue grâce à la diminution de la demande dans les hôpitaux publics ou privés sans but lucratif. Ils laissent également entendre que la perspective de la concurrence pourrait encourager les hôpitaux publics à faire une gestion plus efficiente de leurs ressources et que les montants ainsi économisés pourraient servir à améliorer la qualité et l’accès aux soins.
Pour leur part, les opposants affirment que l’impartition aux établissements privés a pour effet de réduire l’aide financière accordée aux hôpitaux publics existants, d’où la possibilité d’une diminution de la qualité des soins qui y sont offerts. Les hôpitaux publics pourraient également perdre une partie des recettes qu’ils touchent actuellement grâce à la fourniture de services non assurés (chirurgie esthétique, commission des accidents du travail, etc.) si leurs concurrents privés à but lucratif décident d’offrir ces services.
Si les cliniques spécialisées de prestation de services appartenant à des intérêts privés sont autorisées, on reconnaît généralement qu’ il faudra les superviser de près afin d’assurer le maintien de normes de qualité appropriées, comme c’est le cas dans les autres pays où des systèmes public et privé parallèles sont en place.
Un certain nombre de spécialistes soutiennent qu’il ne faudrait pas élargir la part des fonds publics actuellement affectés à la prestation de soins de santé. À leur avis, il faudrait plutôt rediriger une partie des fonds affectés à la fourniture des soins de santé vers la promotion de la santé, la prévention de la maladie et la mise en œuvre de stratégies sur la santé de la population.
Au cours de la phase deux de l’étude, le Comité a été informé que la promotion de la santé et la prévention de la maladie pouvaient générer des avantages importants à long terme, à la fois grâce à la réduction des coûts du système de soins de santé global et à l’amélioration de la qualité de vie des Canadiens. Les spécialistes dans ce domaine affirment qu’il pourrait être possible d’obtenir un meilleur rendement pour chaque dollar investi dans la santé en faisant la promotion de modes de vie plus sains plutôt qu’en affectant le même montant au traitement de la maladie.
De même, selon les témoignages recueillis, les investissements dans des stratégies sur la santé de la population, par exemple pour le développement des jeunes enfants, l’augmentation du niveau de scolarité et une répartition plus équitable du revenu, pourraient se révéler plus profitables à long terme que l’augmentation des dépenses dans le secteur de la fourniture des soins de santé. À long terme, cette démarche pourrait réduire de façon marquée les pressions sur les coûts des soins de santé.
De toute évidence, les décisions concernant l’affectation des ressources publiques exigent nécessairement d’importants compromis et la conciliation d’intérêts opposés. Finalement, les Canadiens doivent décider quelle portion des ressources publiques devrait être affectée à la promotion de la santé et à la prévention de la maladie et quelle part devrait être allouée au traitement de la maladie. De même, nous devons déterminer si les ressources gouvernementales devraient être affectées à d’autres utilisations dans le domaine de la santé, par exemple aux dossiers médicaux électroniques, à l’infostructure de la santé, à la recherche en santé, etc., plutôt qu’à la prestation directe de services de santé. Ces enjeux et ces options sont analysés plus en détail au chapitre 11, qui traite du rôle du gouvernement fédéral dans le secteur de la santé de la population.
8.3 Quelle forme devrait prendre l’aide financière du gouvernement fédéral pour les soins de santé?
Comme il est expliqué dans le premier rapport du Comité, l’aide financière du gouvernement fédéral aux provinces et aux territoires pour les soins de santé existe depuis longtemps et les transferts fédéraux ont pris différentes formes depuis que le premier programme d’assurance-maladie a été négocié à la fin des années 1950.
Les premiers transferts fédéraux s’inscrivaient dans des accords de partage des coûts. Les contributions fédérales étaient équivalentes aux dépenses liées à la santé des provinces et des territoires et ces transferts devaient servir exclusivement aux soins de santé. Comme l’indique le rapport sur la phase un du Comité, les accords de partage des coûts comportaient un certain nombre d’inconvénients. Ils étaient imprévisibles pour le gouvernement fédéral, difficiles à administrer et perçus comme une ingérence du gouvernement fédéral dans une sphère de compétence provinciale. En outre, ils étaient jugés rigides parce qu’ils avaient tendance à étouffer l’innovation dans le domaine de la prestation des soins de santé par les provinces.
À la suite de la mise en place du financement des programmes établis (FPÉ) en 1977, les transferts fédéraux ont pris la forme d’un programme de financement global pour la santé et l’enseignement post-secondaire. Le FPÉ comportait quatre caractéristiques principales. Premièrement, la contribution fédérale n’était plus liée aux dépenses provinciales et territoriales et le gouvernement fédéral déterminait seul le montant du transfert dans le cadre du FPÉ. Cette façon de faire a permis de régler les problèmes liés à l’imprévisibilité des coûts pour le gouvernement fédéral et à la lourdeur des procédures administratives. Deuxièmement, les fonds affectés aux deux éléments du FPÉ étaient répartis suivant des valeurs théoriques (environ 70 % pour la santé et 30 % pour l’éducation). Troisièmement, le FPÉ comportait des transferts pécuniaires et des transferts fiscaux. Ces deux dernières mesures ont permis de régler les problèmes causés par la prétendue ingérence fédérale et par la dissuasion de l’innovation au niveau provincial. Du même coup, cependant, ces mesures ont également contribué à réduire la visibilité du gouvernement fédéral dans le domaine du financement de la santé. Quatrièmement, les transferts du FPÉ devaient croître suivant une échelle mobile qui tenait compte du PIB et de la croissance démographique. Cette échelle mobile s’est révélée difficile à maintenir, notamment pendant les périodes de restrictions financières, et elle a été modifiée à plusieurs occasions au cours des années 1980 et 1990 de manière à réduire et même à bloquer le taux de croissance des transferts dans le cadre du FPÉ.
En 1996, le gouvernement fédéral a fusionné le FPÉ et le Régime d’assistance publique du Canada (RAPC) pour créer le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux (TCSPS). Comme le FPÉ, le TCSPS est un mécanisme de financement global; il prévoit des transferts fédéraux pour les soins de santé, l’enseignement post-secondaire et l’aide sociale. Contrairement au FPÉ, la loi régissant le TCSPS n’indique pas, que ce soit en termes précis ou de façon théorique, la proportion du montant total autorisé qui doit être affectée à chacun de ces secteurs. De plus, la loi ne fait pas état de la façon dont les provinces devraient utiliser les fonds fédéraux. Contrairement au FPÉ, il n’y a pas d’échelle mobile associée au TCSPS.
Comme par le passé, les cinq principes de la Loi canadienne sur la santé s’appliquent uniquement à la portion pécuniaire du TCSPS. Le gouvernement fédéral a le pouvoir de retenir les transferts pécuniaires aux provinces et territoires qui ne respectent pas ces principes. Cependant, le gouvernement fédéral ne peut pas diminuer les transferts fiscaux parce qu’il n’a pas le pouvoir d’exiger des provinces et des territoires qu’ils diminuent leurs taux d’imposition du revenu. Pour cette raison, on a souvent fait remarquer qu’il faudrait prévoir un mécanisme de retenue des transferts pécuniaires fédéraux si des principes nationaux régissant le système public d’assurance-maladie étaient adoptés au Canada. Autrement, le gouvernement fédéral ne disposerait d’aucun moyen pour persuader les provinces de respecter les principes nationaux.
L’accord de financement actuel comporte trois principaux points faibles : un manque de visibilité fédérale, un manque de responsabilisation à l’échelon fédéral et provincial et un manque de stabilité de l’aide financière fédérale. La visibilité fédérale est faible dans le cadre du TCSPS parce qu’il n’est plus possible de déterminer, ne serait-ce que théoriquement, le niveau réel de la contribution du gouvernement fédéral à la santé. En outre, étant donné que le montant de la contribution fédérale à la santé est inconnu, il n’est pas possible de déterminer comment les provinces et les territoires utilisent les fonds fédéraux, et cette situation conduit à une responsabilisation insuffisante.
Finalement, les transferts fédéraux ont beaucoup varié au cours des 40 dernières années. De la fin des années 1950 au milieu des années 1970, dans le cadre des accords de partage des coûts, la contribution fédérale correspondait à 50 pour cent des dépenses provinciales et territoriales admissibles dans le domaine de la santé. Pendant la période du FPÉ, le gouvernement fédéral a unilatéralement restreint le taux de croissance des transferts du FPÉ. Lorsque le TCSPS a été mis en place en 1996-1997, les transferts fédéraux ont été systématiquement réduits. Depuis, le gouvernement fédéral a mis un terme aux coupes dans les transferts du TCSPS et il a même permis qu’ils augmentent à nouveau. Cependant, selon les autorités provinciales et territoriales, le gouvernement fédéral n’a pas ramené les transferts pécuniaires à leurs niveaux antérieurs.
Les gouvernements provinciaux et territoriaux affirment que les mesures prises par le gouvernement fédéral, soit une restriction de la croissance des transferts suivie d’une réduction, ont eu pour effet de provoquer un « déficit de financement ». Ce déficit représente l’écart croissant, au fil du temps, entre les contributions du gouvernement fédéral au système de soins de santé sous la forme de transferts aux provinces et aux territoires, et les dépenses que les autorités provinciales et des territoriales ont dû effectuer pour faire face aux coûts croissants.
Les gouvernements provinciaux et territoriaux ont demandé à maintes reprises au gouvernement fédéral de ramener le transfert pécuniaire du TCSPS au niveau maximum atteint en 1994-1995 et d’inclure une échelle mobile permettant d’assurer une croissance appropriée du TCSPS. À leur avis, cet investissement additionnel est nécessaire seulement pour maintenir le système de soins de santé actuel, tandis que l’élargissement du régime public, de manière à y inclure d’autres services de santé, exigerait une aide financière fédérale encore plus grande.
Dernièrement, certaines provinces ont proposé une augmentation des transferts fiscaux de manière à accroître la part provinciale et territoriale des dépenses publiques croissantes liées à la santé. En outre, dans un communiqué récent, les ministres des Finances provinciaux et territoriaux ont souligné que « les Canadiens ne peuvent attendre dix-huit mois que le commissaire Romanow dépose son rapport au Premier ministre. Il faut de toute urgence faire en sorte qu’il y ait un partage équitable des coûts croissants des programmes sociaux. »
Dans ce contexte, un certain nombre d’options ont été proposées ces dernières années concernant la conception des transferts fédéraux.
8.3.1 Retour aux accords de partage des coûts
Suivant cette option, la contribution fédérale à la santé prendrait la forme d’un pourcentage fixe des dépenses des gouvernements provinciaux et territoriaux liées à la santé; cette mesure aurait pour effet d’accroître la visibilité du gouvernement fédéral dans le secteur de la santé et d’améliorer la responsabilisation à l’échelon fédéral. Elle entraînerait également une plus grande prévisibilité et stabilité de l’aide financière fédérale en plus d’améliorer la responsabilisation au niveau provincial et territorial. En outre, cette mesure pourrait permettre de réduire le « déficit de financement », ce qui aiderait les provinces et territoires à faire face aux pressions exercées par l’accroissement des coûts. Toutefois, comme on l’a expliqué dans la partie 8.3, quand le partage des coûts a été utilisé dans les années 1960 et 1970, il comportait des inconvénients si importants qu’il a été abandonné.
Une variante de cette option a été suggérée par Tom Kent. Il a proposé non pas de rétablir le partage des coûts dans sa forme initiale (un partage moitié-moitié) mais plutôt de mettre en place un genre de « partage des coûts modifié » où la contribution fédérale serait assujettie à un plafond de 25 %. L’avantage de ce plafond est qu’en imposant une limite à la contribution fédérale totale en santé, on évite le problème de l’imprévisibilité des coûts.
8.3.2 Maintien du financement global actuel
D’autres analystes soutiennent que toutes les formes de partage des coûts représentent un recul. Ils affirment que les avantages tirés des transferts fédéraux globaux, notamment la flexibilité provinciale accrue, doivent être maintenus même au prix d’une visibilité fédérale réduite. À leur avis, le suivi détaillé de l’utilisation des fonds fédéraux est inutile étant donné que le respect de la Loi canadienne sur la santé est suffisant pour obliger les provinces à rendre des comptes.
Cependant, il est difficile pour le public de comprendre pour quelle raison le gouvernement fédéral est incapable de déterminer si les fonds transférés aux provinces et territoires pour des objectifs précis (par exemple 800 millions de dollars affectés à la réforme des soins primaires et un milliard de dollars alloués pour de nouveaux équipements médicaux, par exemple les appareils IRM) sont réellement utilisés aux fins prévues. Ce manque de responsabilisation provinciale et territoriale face à des transferts fédéraux ciblés incite de nombreuses personnes à s’interroger sur leur valeur.
8.3.3 Financement global amélioré dans le cadre du TCSPS
Une question importante concernant le TCSPS touche à l’impossibilité de déterminer la contribution exacte du gouvernement fédéral en santé. On pourrait régler ce problème en déterminant la portion théorique du TCSPS affectée à la santé, comme c’était le cas avec le FPÉ. Ainsi, on assure la reconnaissance des fonds fédéraux sans toucher à la flexibilité provinciale.
Un autre point fréquemment soulevé par les provinces et territoires est l’absence d’une échelle mobile appropriée dans le TCSPS afin d’assurer la croissance continue des transferts fédéraux. Un mécanisme qui permet une croissance annuelle semble souhaitable, mais il demeure nécessaire de concevoir une échelle mobile appropriée. Il existe un certain nombre de possibilités.
L’échelle mobile initiale du FPÉ était la moyenne mobile composée sur trois ans du PIB nominal par habitant appliquée aux contributions pécuniaires par habitant et cumulée année après année. D’autres ont proposé que le transfert pécuniaire total du TCSPS soit indexé de manière à refléter non seulement l’accroissement de la population et la croissance économique, mais aussi l’incidence de la maladie et le coût des nouveaux médicaments et des nouvelles technologies de la santé. Cependant, tous ces points sont certainement pertinents mais la complexité de cette proposition rend sa mise en oeuvre difficile.
Une autre solution proposée par l’Institut C.D. Howe en réponse au problème du vieillissement de la population consiste à convertir une partie du TCSPS en une subvention pour chaque personne de 65 ans et plus (la « subvention à la santé des aînés »). Cette subvention augmenterait suivant le taux de croissance du PIB (croissance réelle plus inflation) par personne. Ainsi, les fonds supplémentaires accordés à chaque province dans le cadre de la subvention à la santé des aînés seraient proportionnels à la croissance de sa population âgée. Dans les provinces où les populations âgées augmentent relativement rapidement, la subvention aurait une répercussion notable sur les finances provinciales.
8.3.4 Comptes d’épargne-santé (CÉS)
Un certain nombre de propositions concernant des CÉS ont été présentées ces dernières années au Canada. Les CÉS sont des comptes affectés à la santé, similaires aux comptes bancaires, créés pour le paiement des dépenses liées à la santé d’un particulier (ou d’une famille). Dans le cadre du système des CÉS, une partie ou même la totalité du TCSPS actuel serait placé dans des comptes santé individuels distincts. Chaque compte serait établi au moyen du dépôt d’un montant équivalent au montant moyen que le gouvernement fédéral affecte actuellement par habitant aux soins de santé, et chaque personne serait responsable de son propre compte.
Les CÉS comportent habituellement des caractéristiques semblables à celles de fonds privés – chaque titulaire doit assumer une portion des dépenses liées à la santé jusqu’à une certaine limite. En outre, les CÉS sont généralement établis pour couvrir les coûts des soins de santé sur lesquels le particulier a prise (comme des dépenses médicales courantes ou mineures). Il faut y combiner un régime d’assurance-catastrophe à franchise élevée pour le paiement des soins extraordinaires et coûteux.
En règle générale, suivant cette théorie, les consommateurs prendraient des décisions plus judicieuses et économiques s’ils dépensaient leur propre argent, plutôt que de compter sur les deniers publics. Il existe plusieurs moyens différents d’organiser ces comptes, et chaque méthode doit être évaluée suivant ses mérites.
Cependant, en règle générale, on trouve parmi les arguments à l’appui de la mise en place de CÉS la possibilité qu’ils encouragent la responsabilité et la responsabilisation personnelles, qu’ils aident à réduire l’utilisation « inutile » des services, qu’ils favorisent la concurrence au niveau des prix et qu’ils encouragent la planification financière axée sur l’avenir. Les opposants au projet sont d’avis qu’il est peu probable que ces comptes permettent un contrôle efficace des dépenses ou de l’utilisation des services, et ils insistent pour dire que les pauvres seront désavantagés par rapport aux riches.
On s’accorde généralement à dire que tout projet de CÉS devra être soigneusement examiné. Cependant, il n’est pas déraisonnable de prévoir qu’un plan pourrait être élaboré afin d’éviter les embûches possibles. On pourrait d’abord envisager l’application d’un tel plan dans une sphère limitée, par exemple le paiement des services dans des établissements de soins de longue durée, où les bénéficiaires assument déjà eux-mêmes une large part des frais.
8.3.5 Convertir tous les transferts pécuniaires du TCSPS en transferts de points d’impôt
Selon une autre option proposée par les spécialistes, le gouvernement fédéral abandonnerait entièrement son rôle premier qui consiste transférer des fonds aux provinces et aux territoires aux fins de la santé. Pour ce faire, on pourrait transformer la totalité du TCSPS en transferts fiscaux.
Ce retrait complet du gouvernement fédéral du secteur du financement de la santé éliminerait l’incertitude et l’instabilité quant au niveau des transferts pécuniaires aux provinces. Cette option assurerait un partage plus clair des responsabilités et aurait probablement pour effet de réduire le risque de friction entre le gouvernement fédéral et les administrations provinciales et territoriales. Elle offrirait également aux provinces une flexibilité accrue pour l’allocation des fonds liés à la santé et pour la réforme et le renouvellement de leurs systèmes. Les provinces mettraient en place le type de système de prestation de soins de santé le mieux adapté à leur population. Avec le temps, tout un éventail de systèmes de soins de santé existeraient au Canada.
Cependant, étant donné que les points d’impôt ont une valeur moindre dans les provinces les plus pauvres, ces mêmes provinces éprouveraient probablement des difficultés à maintenir le niveau actuel de services de santé. En outre, la Loi canadienne sur la santé deviendrait inutile puisque son mécanisme d’application est lié aux transferts pécuniaires fédéraux. Dans l’ensemble, cette option aurait pour effet d’élargir les écarts entre les provinces quant au niveau, à la qualité et à l’accessibilité des services de santé. Par conséquent, cette mesure ne semble pas conforme aux objectifs énoncés par le Comité au sujet du rôle du gouvernement fédéral en matière de financement.
8.4 Comment le gouvernement devrait-il générer des recettes aux fins des soins de santé?
Le gouvernement a accès à deux sources fondamentales de recettes pour payer les soins de santé : (1) les recettes générales et (2) diverses formes de paiements directs.
En ce qui concerne l’imposition générale, il existe deux méthodes possibles pour augmenter les fonds consacrés à la santé et aux soins de santé : affecter une plus grande part de l’argent disponible aux soins de santé ou accroître les recettes générales et consacrer les recettes additionnelles aux soins de santé.
La deuxième façon d’accroître les recettes consiste à mettre en place une forme de paiement des services de santé par les consommateurs. Il existe divers moyens pour ce faire, lesquels se répartissent en trois grandes catégories : les frais d’utilisation, la prise en compte des soins de santé reçus dans l’impôt sur le revenu et des primes annuelles d’assurance-maladie.
Lorsqu’on examine les frais d’utilisation et les primes, il faut également déterminer si le particulier devrait être autorisé à adhérer à un régime privé d’assurance-maladie pour se protéger contre le risque que représentent ces paiements. Le régime privé d’assurance-maladie peut également englober des services de santé reçus dans des établissements privés et même des soins qui sont également couverts par le régime public. Cette possibilité comporte une autre option, soit un régime privé d’assurance-maladie couvrant les services dispensés dans des établissements privés et qui fait concurrence au régime public couvrant les services reçus dans des établissements publics.
Toutes ces options sont examinées plus en détail ci-dessous.
8.4.1 Affecter une plus grande part des impôts existants aux soins de santé
Cette mesure signifie un accroissement de la part des budgets fédéral et provinciaux consacrés à la santé et une diminution des dépenses publiques dans d’autres secteurs. Elle comporte deux grands défauts. Premièrement, il est clair que, d’une part, les gouvernements ont d’autres grandes priorités en matière de dépenses (par exemple les routes, l’environnement, etc.) et que, d’autre part, la somme consacrée directement à la santé n’est que l’un des déterminants de l’état de santé du particulier Deuxièmement, les dépenses liées aux soins de santé augmentent à un rythme beaucoup plus rapide que les recettes gouvernementales. Selon les projections, les dépenses provinciales liées à la santé augmenteront en moyenne de 5 % annuellement si les tendances actuelles de la croissance démographique, du vieillissement et de l’inflation se maintiennent. Donc, l’impact de cette option sur la diminution du déficit de financement est limité.
Cette option est influencée par la capacité et la volonté politique des gouvernements, à tous les niveaux, d’augmenter leurs recettes et elle dépend de la volonté de payer des contribuables pour produire ces recettes additionnelles. L’examen des sondages d’opinion effectués pendant la phase un de l’étude du Comité a permis de constater que les Canadiens avaient des vues partagées face à une augmentation des impôts et des taxes pour les soins de santé. La diminution de l’impôt sur le revenu des particuliers est importante pour les Canadiens, mais ceux-ci accordent également une priorité très élevée aux réinvestissements dans les soins de santé. Cependant, quels que soient les résultats des sondages d’opinion, cette option va à l’encontre des stratégies de réduction des impôts, tant au niveau fédéral que provincial, appliquées ces dernières années.
Les frais d’utilisation sont habituellement définis comme une forme de paiement effectué par le consommateur d’un service de santé au moment où le service est rendu. Il s’agit donc d’un coût initial imposé au patient. Il existe différentes formes de frais d’utilisation :
- La coassurance, la façon la plus simple d’imposer des frais d’utilisation, consiste pour le patient à payer un pourcentage fixe (disons 5 %) du coût des services reçus. Plus le coût du service est élevé, plus la coassurance l’est elle aussi. De nombreux régimes privés d’assurance-médicaments optent pour cette formule.
- La quote-part est une autre option. Au lieu de payer une part des coûts, le patient doit payer pour chaque service un montant fixe (par exemple 5 $) qui n’a pas nécessairement de rapport avec le coût du service. Le même montant est perçu quel que soit le coût du soin de santé fourni. Cette formule existe dans bien des pays comme la Suède.
- Dans un régime de franchises, le patient doit payer le coût total des services reçus pendant une période donnée jusqu’à l’atteinte d’un plafond, la franchise. Ensuite, les coûts des services fournis au patient sont couverts par le régime d’assurance. Tous les utilisateurs doivent payer une franchise minimale uniforme qui ne dépend pas de la quantité de services reçus. Cette forme de frais d’utilisation est utilisée dans certains pays.
Au Canada, les auteurs de documents sur les frais d’utilisation sont portés à conclure que ces frais dissuadent certaines personnes de chercher à obtenir des soins, qu’ils soient nécessaires ou non, et cette tendance est beaucoup plus grande chez les pauvres que chez les riches. Compte tenu de ces études, des spécialistes ont informé le Comité que les frais d’utilisation soulevaient des questions sur les plans de l’accès et de l’équité et que, suivant la façon dont ils sont appliqués, ils pourraient contrevenir à certains des principes axés sur le client énoncés dans la Loi canadienne sur la santé. On pourrait éviter une partie de tous les problèmes liés aux frais d’utilisation si le montant imposé était fonction du revenu ou si les groupes à faible revenu étaient exemptés du paiement de ces frais.
Il convient de noter que le Canada est le seul pays industrialisé au monde qui interdit les frais d’utilisation pour les services de santé subventionnés par l’État. Même en Suède, que l’on considère comme l’un des pays européens les plus socialistes, les frais d’utilisation sont considérés comme « essentiels pour inciter les personnes à choisir le service le plus économique ». Les Suédois paient entre 15 et 20 dollars pour chaque visite chez le médecin et environ 12 dollars par jour en cas d’hospitalisation. Le montant total qu’une personne peut être tenue de payer chaque année est limité à environ 135 dollars.
En Suède, les frais d’utilisation ne sont pas considérés comme un facteur de limitation de l’accès. Ils ne sont pas conçus non plus comme une source de recettes. En fait, les coûts d’administration du programme des frais d’utilisation (la collecte des droits et le suivi du montant payé par chaque personne de manière à ne pas dépasser la limite établie) sont pratiquement équivalents au montant total recueilli au titre des frais d’utilisation. Le système des frais d’utilisation a été conçu en Suède pour changer le comportement des consommateurs. Cette politique repose sur le principe selon lequel les personnes doivent être conscientes que la décision d’utiliser le système de santé se traduit par des coûts pour le gouvernement, et donc pour tous les contribuables, et que, par conséquent, elles doivent utiliser le système seulement lorsqu’elles en ont vraiment besoin.
Ainsi, si des frais d’utilisation étaient imposés au Canada, il serait possible de réduire au minimum la possibilité qu’ils empêchent une personne d’avoir accès aux soins, tout en encourageant cependant chaque personne à faire une utilisation appropriée du système. Une question importante devrait être tranchée : les frais d’utilisation devraient-ilss’appliquer aux services de santé actuellement couverts par le régime public (les médecins et les hôpitaux) ou devraient-ils être envisagés uniquement pour les services non couverts?
8.4.4 Prise en compte des soins de santé dans l’Impôt sur le revenu
Suivant cette option, les patients sont tenus d’ajouter les coûts des services de santé qu’ils reçoivent au cours de l’année à leur revenu imposable. Cette proposition a été présentée à la fois comme un moyen d’accroître les recettes et comme un moyen d’encourager la responsabilisation personnelle face à l’utilisation des soins de santé. Ce type de paiement a été proposé en 1961, au début du débat sur un programme de santé financé par l’État, et il a par la suite été ramené sur le tapis en 1991 par le gouvernement du Québec et en 2000 par Tom Kent.
Ce système comporte un certain nombre d’avantages par rapport à l’imposition de frais d’utilisation. Premièrement, la prise en compte des soins de santé dans l’impôt sur le revenu est progressive : pour une utilisation égale de services, le patient ayant un revenu plus élevé paie relativement plus que celui ayant un revenu moins élevé. Deuxièmement, ce paiement ne s’applique pas aux personnes qui ne paient pas d’impôt sur le revenu. Troisièmement, ce système permet d’éviter le problème de l’examen initial des ressources, réglant ainsi les questions d’accès et d’équité mentionnées à la section 8.4.3.
On a également proposé d’imposer une limite au supplément d’impôt sur le revenu qu’une personne devrait payer au cours d’une année et pendant toute sa vie. Cette façon de faire serait conforme au troisième objectif établi par le Comité quant au rôle de financement du gouvernement fédéral (à savoir éviter tout fardeau financier excessif). Cependant, cette option ne peut être appliquée pour le moment parce que le système de santé n’est pas organisé de manière à permettre le suivi des coûts imposés au système par chaque patient. Ce problème pourrait peut-être être réglé au moyen d’un système de dossiers médicaux électroniques (voir le chapitre 10).
Entre autres arguments contre la prise en compte des soins de santé dans le calcul de l’impôt sur le revenu , mentionnons que certaines personnes se plaindraient de payer deux fois les soins de santé, une fois par le truchement de l’impôt général et une fois par le biais de l’impôt additionnel exigé pour les services de santé reçus pendant l’année. Pour contourner cette difficulté, on pourrait affecter explicitement aux soins de santé une taxe qui serait payée par tous, comme la TPS, tandis que l’élément impôt sur le revenu viendrait essentiellement s’ajouter aux recettes de base générées par la TPS. Il conviendrait de rappeler que, lorsque le régime d’assurance-maladie a été créé, celui-ci était financé dans certaines provinces (par ex. la Nouvelle-Écosse) au moyen d’une taxe de vente provinciale appelée la taxedestinée aux hôpitaux.
8.4.5 Primes annuelles pour les soins de santé
Une prime pour les soins de santé est un paiement effectué par les résidents et qui aide le gouvernement à assumer les coûts du système de santé financé par l’État. Essentiellement, c’est une prime d’assurance que la personne paie pour avoir le droit d’être couverte par le régime public d’assurance-maladie. Actuellement, deux provinces, soit l’Alberta et la Colombie-Britannique, imposent des primes d’assurance-maladie. En Alberta, les taux mensuels s’élèvent à 34 $ par personne et à 68 $ pour une famille (deux personnes ou plus). En Colombie-Britannique, les primes sont de 36 $ par particulier sans personne à charge, 64 $ pour une famille de deux et 72 $ pour une famille de trois ou plus. Dans les deux provinces, des subventions sont accordées pour réduire le montant de la prime pour certaines personnes à faible revenu et pour les éliminer totalement dans le cas des personnes très pauvres.
Contrairement aux frais d’utilisation et à la prise en compte des soins de santé dans le calcul de l’impôt sur le revenu , les primes ne sont pas liées à la quantité de services reçus par une personne au cours de l’année. De plus, les primes imposées en Alberta et en Colombie-Britannique ne sont pas liées au revenu. Par conséquent, la plupart des personnes à faible revenu paient le même montant fixe que les personnes ayant un revenu plus élevé. Les primes ne sont pas interdites par la Loi canadienne sur la santé.
8.4.6 Régime privé d’assurance-maladie permis pour concurrencer le régime public
Actuellement, en vertu de la Loi canadienne sur la santé, les régimes d’assurance-maladie des provinces doivent être responsables devant le gouvernement provincial et ils doivent être sans but lucratif; ainsi, on empêche les régimes privés assurance-maladiede couvrir les services médicalement requis. En outre, la majorité des provinces (Colombie-Britannique, Alberta, Manitoba, Ontario, Québec, et Île-du-Prince-Édouard) interdisent aux compagnies d’assurance privées de couvrir les services qui sont également couverts par les régimes publics d’assurance-maladie. Les assureurs privés peuvent couvrir uniquement des services de santé supplémentaires, par exemple les chambres à deux lits ou à un lit pendant un séjour à l’hôpital, les médicaments prescrits, les soins dentaires et les lunettes.
Cette situation contraste fortement avec un éventail de pratiques observées dans d’autres pays industrialisés. Par exemple, en Allemagne et aux Pays-Bas, les personnes ayant un revenu annuel supérieur à un certain montant peuvent souscrire à un régime privé d’assurance-maladie. Dans ces pays, les assureurs privés doivent accepter toutes les personnes qui veulent être assurées et ils doivent fournir des services équivalents à ceux offerts dans le cadre du régime public. En Australie et en Suède, la loi exige que les primes imposées par les assureurs privés de soins de santé respectent le principe de la tarification sans distinction (c’est-à-dire un seul barème des primes sans égard à l’état de santé). Le gouvernement australien encourage activement les résidents à adhérer à un régime privé d’assurance-maladie en accordant une subvention équivalant à 30 % du coût. Au Royaume-Uni, tout comme en Australie, les résidents peuvent acheter de l’assurance privée pour couvrir les services fournis dans les hôpitaux privés de même que dans les hôpitaux publics.
Selon l’information obtenue par le Comité dans le cadre de l’examen international des systèmes de santé, le fait d’autoriser les régimes privés d’assurance-maladie peut comporter certains avantages, y compris un meilleur choix pour le patient, une concurrence accrue et de meilleures économies dans le secteur public.
Afin de permettre aux assureurs privés d’offrir une couverture similaire à celle offerte dans le cadre du régime public d’assurance-maladie au Canada, il faudrait modifier la législation fédérale et provinciale qui interdit actuellement cette pratique. Dans le cas de la loi fédérale, il faudrait revoir le principe d’administration publique (payeur unique) énoncé dans la Loi canadienne sur la santé.
Les défenseurs du régime privé d’assurance-maladie proposent la mise en place de mesures de protection dans le but d’assurer que : 1) l’assurance privée est administrée dans un cadre non limitatif (tous les demandeurs sont acceptés et non seulement ceux en meilleure santé; 2) le resquillage est évité en plaçant tous les patients sur le même plan; et 3) l’assurance privée ne se réserve pas les soins les plus faciles et ne compte pas sur le système financé par l’État pour les soins plus difficiles.
8.5 L’impact des options de financement sur le changement comportemental
Lorsqu’on examine les diverses options de financement, il est important de garder en mémoire que chaque option a un impact sur le comportement de même qu’un impact financier. Voici trois exemples pour illustrer ce point.
Premièrement, comme il est expliqué ci-dessus dans la section sur la garantie des soins offerte en Suède (section 7.4), lorsque les administrateurs d’hôpital se sont vu imposer une sanction financière si le temps pendant lequel un patient se trouve sur une liste d’attente dépasse la durée maximale établie, des changements ont été apportés au fonctionnement des hôpitaux et les listes d’attente ont considérablement diminué. Par contre, lorsque la garantie des soins a été abandonnée, les listes d’attente ont recommencé à s’allonger. De toute évidence, le comportement des administrateurs d’hôpital et du personnel hospitalier a été influencé par le fait que l’établissement était pénalisé si les listes d’attente étaient trop longues.
Deuxièmement, selon les témoignages recueillis, le remplacement d’un mode de rémunération à l’acte par un mode de rémunération en fonction de la population a pour effet d’inciter les médecins à ne plus fournir le plus de services possibles mais plutôt à fournir seulement les soins nécessaires. Par exemple, un médecin qui travaille dans le cadre d’un système de paiement par capitation est incité à faire faire uniquement les tests qui sont véritablement requis puisque les tests sont payés à même le montant fixe que touche le médecin pour les soins au patient. Lorsque les tests ne sont plus « gratuits » pour le médecin, comme c’est le cas actuellement, on observe un changement de comportemental au niveau des demandes de tests.
Troisièmement, examinons les frais d’utilisation imposés en Suède. Comme il est indiqué plus haut, les Suédois paient environ 15 à 20 dollars pour chaque visite chez le médecin et 12 dollars par jour d’hospitalisation, la limite annuelle étant de 135 dollars. Selon les témoins, le coût d’administration des frais d’utilisation est presque équivalent au moment total recueilli . En Suède, les frais d’utilisation ne visent pas à générer des recettes mais plutôt à modifier le comportement des consommateurs. La politique publique repose sur le principe selon lequel les personnes doivent être conscientes que la décision d’utiliser le système de santé se traduit par des coûts pour le gouvernement, et donc pour tous les contribuables, et que, par conséquent, elles doivent utiliser le système seulement lorsqu’elles en ont vraiment besoin.
Malheureusement, comme l’ont souligné de nombreux témoins, le système actuel incite très peu les fournisseurs de soins de santé au Canada à réduire leurs coûts ou à tendre vers une meilleure intégration (par une réforme des soins primaires par exemple). De même, le système canadien n’encourage pas les consommateurs de soins de santé à se servir du système d’une manière sérieuse.
Non seulement le système canadien n’incite-t-il pas les fournisseurs à réaliser des économies par l’intégration, mais il les encourage à recourir souvent au service le plus cher. La Loi canadienne sur la santé oblige de fournir les services médicaux et hospitaliers médicalement nécessaires sans frais pour le patient mais la Loi ne contient pas d’obligation semblable pour ce qui est fournir des façons moins chères (et souvent plus efficaces) de traiter un patient, comme les médicaments administrés à l’extérieur de l’hôpital, les soins à domicile ou l’aide à la vie autonome. La plupar des provinces paient une partie de ces services. Toutefois, il est plus avantageux pour le fournisseur, qui agit dans l’intérêt du patient, de surutiliser des services hospitaliers et médicaux chers mais payés par le gouvernement au lieu de recourir à d’autres services moins chers mais relativement peu subventionnés.
Pour ce qui est d’encourager les utilisateurs à réduire les coûts, certains faits sont bien clairs. D’abord, il faut bien se rappeler que bon an mal an de 80 % à 90 % des coûts de santé (selon l’âge et le sexe) sont attribuables à une maladie invalidante (aiguë ou chronique). Ainsi, quel que soit le régime d’assurance, privé ou public, des frais d’utilisation annuels modestes contribueront très peu à faire contrepoids.
Deuxièmement, il ne semble pas y avoir de moyen administrativement simple de régler le problème de la surconsommation des services de santé sauf exclure certains services de la couverture (ou limiter le nombre de fois qu’un service peut être offert à un patient donné à l’intérieur d’une certaine période).
Évidemment, l’autre manière de limiter la surconsommation des services est d’imposer des frais d’utilisation relativement importants. Les frais d’utilisation peuvent être fixés à des niveaux plus élevés pour les services susceptibles de faire l’objet d’une surutilisation plutôt que pour les services ayant trait à une maladie incontrôlable ou invalidante. Le problème engendré par des frais d’utilisation élevés pour des services médicalement nécessaires est qu’ils réduisent les ponctions faites au système public en écartant les personnes pauvres et malades du système au lieu de réduire les abus. Il ne fait aucun doute qu’il existe des abus; tous les régimes d’assurance font l’objet d’un risque moral. Mais il est tout aussi vrai que tout régime d’assurance qui a recours à des frais d’utilisation élevés pour rationner des services médicalement nécessaires écartera les moins bien nantis qui ont le malheur de nécessiter des services dispendieux.
Il demeure que les frais d’utilisation peuvent jouer un rôle très utile en dirigeant la demande vers des services de santé moins chers sans diminuer l’accès aux services médicalement nécessaires. Mais ce n’est possible que si un service moins cher est disponible et constitue un service assuré.
Les exemples et commentaires ci-dessus, ainsi que l’expérience des autres pays ayant un régime universel d’assurance-maladie , montrent que la façon dont le système de santé est financé peut contribuer à réaliser les objectifs premiers de la politique publique, soit fournir les meilleurs soins de santé possibles au coût le plus bas. Tout cela soulève des questions relativement à la structure du financement des soins de santé au Canada :
- la structure financière devrait-elle faire en sorte que toutes les personnes intéressées par le système – les consommateurs, les fournisseurs, les administrateurs d’établissements de santé, etc. – sont encouragées à utiliser celui-ci de la façon la plus efficiente possible?
- devrait-on utiliser des incitatifs pour aider les patients à comprendre que, tout comme ils ont l’impression d’avoir droit à un régime de santé universel, ils ont aussi la responsabilité d’utiliser ce droit de façon raisonnable et judicieuse?
Les réponses des lecteurs à ces questions auront une incidence directe sur le choix du futur système de financement des soins de santé.
8.6 Un système de santé à deux vitesses
Dans le rapport de la première phase, le Comité a établi les différentes significations du principe d’un système de santé à deux vitesses. Il s’agit en fait d’un régime où cohabitent deux systèmes : un système public financé par l’État et un système financé par des sources privées. Cette définition suppose que l’accès aux services de santé est déterminé par la capacité de payer et non pas par le besoin. Autrement dit, les personnes qui en ont les moyens peuvent obtenir des soins de meilleure qualité ou être soignés plus rapidement dans le système privé et le reste de la population continue de recevoir des soins dans la mesure des possibilités du système public.
Parmi les solutions proposées ci-dessus, notamment l’imposition de droits d’utilisation des services publics, les comptes d’épargne santé et l’assurance-maladie privée, certaines peuvent soulever des interrogations au sujet des conséquences éventuelles d’un régime à deux vitesses. Pour éviter les effets pervers d’un régime à deux vitesses, il a été proposé trois mesures qui permettraient en même temps de maintenir la qualité du système public.
- Que tous les médecins soient tenus de faire un certain nombre d’heures de travail dans le système public, de sorte qu’ils ne seraient pas autorisés à travailler exclusivement dans le système privé;
- que le système public fixe une limite de temps pour les différentes procédures et qu’il s’engage à payer les frais du traitement en régime privé lorsque cette limite est dépassée;
- que soit créé un organisme indépendant chargé de veiller à ce que les moyens technologiques dont dispose le système public soient au moins égaux aux moyens disponibles dans le système privé.
Le Comité souhaiterait obtenir les opinions des Canadiens au sujet d’un système à deux vitesses, dans la mesure où les conditions susmentionnées seraient respectées.
8.7 Services assurés et bénéficiaires du régime public d’assurance-maladie
La Loi canadienne sur la santé couvre les services hospitaliers et médicaux jugés médicalement nécessaires, sauf que la notion de nécessité médicale n’est pas définie . De plus, la Loi ne prévoit pas de mécanisme permettant de désigner les services de santé médicalement nécessaires. Par conséquent, il incombe à chaque gouvernement provincial et territorial (de concert avec les associations médicales intéressées) de choisir les services assurés par le régime d’assurance-maladie. Comme les différents gouvernements provinciaux et territoriaux n’utilisent pas une seule et même méthode pour définir la prestation de soins de santé complets, le régime public n’englobe pas les mêmes services partout au pays.
De plus, la Loi reste centrée sur les services hospitaliers et médicaux. Lors de l’adoption de la Loi, en 1984, les hôpitaux fournissaient beaucoup d’autres services (médicaments, réhabilitation, convalescence et soins palliatifs) qu’ils n’offrent plus aujourd’hui. De plus en plus, ces services sont fournis à la maison ou dans la collectivité par un éventail plus large de fournisseurs de soins (infirmières, infirmières praticiennes, physiothérapeutes, ergothérapeutes, etc.), de sorte qu’ils échappent désormais au champ d’application de la Loi canadienne sur la santé. Cela explique que l’on note entre les provinces de grands écarts dans les soins à domicile, les médicaments prescrits, les soins palliatifs, les soins institutionnels à long terme, les soins dentaires et oculaires, etc. qui sont couverts par le régime d’assurance-maladie.
Étant donné cette diminution des soins institutionnels, le Forum national sur la santé de 1997 a proposé que le régime public soit réorienté en fonction des soins et non pas du lieu. Des intervenants ont spécifiquement recommandé que le gouvernement fédéral inscrive des services additionnels, notamment les soins à domicile et des médicaments prescrits, sous le régime de la Loi canadienne sur la santé.
En bout de ligne, il s’offre deux grands possibilités en ce qui concerne les services visés par le régime public, soit le retrait de certains services, soit l’élargissement du régime.
8.7.1 Retrait de certains services
Certains estiment que le régime public ne peut tout donner à tout le monde et en même temps rester abordable. Selon ces personnes, il est irréaliste d’attendre des services illimités, ne serait-ce que dans les hôpitaux et de la part des médecins, dans un contexte de restrictions budgétaires. C’est ainsi qu’il a été proposé de retirer du régime certains services offerts gratuitement, de manière à économiser de l’argent.
Or, on ne s’entend pas sur la formule à employer pour choisir les services à retirer du régime public. De plus, des données en provenance de l’Oregon, où des expériences de ce genre ont été menées, indiquent que les économies réalisées sont minimes. Enfin, des études concluent au risque réel, en adoptant cette optique, que les services à retirer du régime public soient choisis davantage sur la foi de considérations économiques que de critères de nécessité médicale.
Quoi qu’il en soit, le Comité étant convaincu de la nécessité de trouver de nouvelles sources de financement, il faudra réduire les services si les Canadiens ne s’entendent pas pour explorer de nouvelles sources de financement; soit que le rationnement actuel continue, avec les listes d’attente que l’on connaît, et c’est la solution actuellement retenue par les gouvernements, soit que l’on prenne des mesures en vue de retirer explicitement des services du régime public.
D’autres analystes, en revanche, voient la nécessité d’élargir le régime public. Nous l’avons vu, la Loi canadienne sur la santé vise principalement les services hospitaliers et médicaux. Bon nombre de Canadiens croient que la portée de la Loi devrait être élargie de manière à englober davantage de services. Les deux domaines où le public semble souhaiter le plus un élargissement du régime sont les médicaments prescrits et les soins à domicile. Étant donné l’importance de ces services et leurs coûts éventuels, leurs tenants et aboutissants font l’objet d’une analyse détaillée aux sections 8.9 et 8.10, ci-dessous.
8.8 Médicaments prescrits : réduction des coûts
Au cours des dernières années, c’est au titre des médicaments prescrits que les coûts ont augmenté le plus rapidement, dans le régime de santé. Au cours de la phase deux de son étude, le Comité a pris connaissance de différentes informations, notamment :
- des données de l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS) montrent que les dépenses consacrées aux médicaments au Canada sont en hausse constante, depuis 25 ans, passant de 1,1 milliard de dollars en 1975 à 14,7 milliards de dollars en 2000;
- pendant la même période, la part occupée par les médicaments dans le budget global de la santé a augmenté : en 1975, les médicaments représentaient environ 9 % des dépenses en santé; en 2000, cette proportion était passée à 16 %;
- depuis 1997, les dépenses consacrées aux médicaments devancent les dépenses liées aux services des médecins et suivent, en deuxième place, les dépenses des hôpitaux;
- les dépenses par habitant consacrées aux médicaments au Canada continuent d’augmenter plus rapidement que les dépenses dans d’autres secteurs clés de la santé, notamment les hôpitaux et les médecins; en fait, entre 1990 et 2000, les dépenses par habitant consacrées aux médicaments ont augmenté de près de 93 %, soit plus du double de l’augmentation moyenne des autres dépenses de santé (40 %).
Les médicaments prescrits représentent le gros des dépenses consacrées aux médicaments (77 % en 2000 par rapport à 72 % en 1975). En 1975, le volet privé (régimes collectifs d’assurance-médicaments offerts par l’employeur, compagnies d’assurance privées et dépenses payées par le consommateur) représentait 80 % des dépenses liées aux médicaments prescrits. En 2000, la valeur du volet privé avait diminué à 57 %. Pendant la même période, la part des médicaments prescrits financés par les deniers publics (gouvernements provinciaux et territoriaux et gouvernement fédéral) est passée de 20 % en 1975 à 43 % en 2000.
Il convient donc de se demander ce que l’on peut faire pour limiter la hausse des coûts des médicaments prescrits imposés aux régimes publics d’assurance-maladie. Les propositions suivantes ont été présentées au Comité.
8.8.1 Liste nationale des médicaments admissibles
L’idée d’une liste nationale des médicaments a été évoquée un certain nombre de fois au cours de l’étude du Comité. Typiquement, il s’agit d’une liste de médicaments fournis en vertu d’un régime public d’assurance-médicaments. Une liste « nationale », que proposent certains experts, ne signifie pas que le gouvernement serait la seule instance chargée de déterminer les médicaments qui y figureraient. Au contraire, une liste nationale serait le fruit de la collaboration des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, avec le concours des intervenants intéressés.
Pour analyser ce sujet, il importe de comprendre le processus en vertu duquel est ajouté à la liste un nouveau médicament qui sera fourni par un régime provincial d’assurance-médicaments ou par le régime fédéral, dans le cas des personnes dont les soins de santé relèvent du gouvernement fédéral (voir la section 3.5, qui traite du rôle du gouvernement fédéral en matière de prestation de services).
Lorsqu’un nouveau médicament arrive sur le marché, les fonctionnaires chargés de la liste des médicaments reçoivent une demande d’inscription. Il incombe alors à ces fonctionnaires d’évaluer ce nouveau médicament et de decider s’il y a lieu de l’inscrire. Les sociétés pharmaceutiques ont intérêt à ce que le nouveau médicament figure sur la liste car, dans la négative, les ventes sur le territoire visé par la liste seront très limitées. On comprend donc que les sociétés pharmaceutiques travaillent très fort pour faire inscrire leurs nouveaux médicaments sur la liste.
Le Comité a appris que ce système donne lieu à deux situations. Premièrement, dès lors qu’un médicament est inscrit sur la liste d’une province, il est difficile (voire impossible) à une autre province de refuser de l’inscrire sur sa liste. Deuxièmement, beaucoup de provinces, surtout les moins populeuses, ne disposent pas des spécialistes voulus pour déterminer si un nouveau médicament offre des avantages qui justifient son inscription à la liste (ce qui peut nécessiter le retrait d’un médicament déjà approuvé).
La solution pourrait consister à établir une liste nationale (et non pas fédérale) de médicaments admissibles; cette idée a été lancée par de nombreux témoins qui se sont présentés devant le Comité. Voici les avantages généralement évoqués d’une liste nationale des médicaments admissibles :
- élimination de la possibilité qu’une province se sente obligée d’ajouter un médicament à sa liste parce qu’une autre province l’a déjà fait;
- capacité accrue de faire les recherches destinées à démontrer que les avantages d’un médicament nouveau (et plus cher) constituent un progrès important par comparaison à des médicaments existants (et moins chers), étant donné que ces recherches seraient réalisées à l’échelon national et non plus par différents gouvernements provinciaux.
La création d’une liste nationale de médicaments admissibles pourrait conduire à l’établissement d’un seul organisme acheteur, qui servirait tous les gouvernements provinciaux et territoriaux et le gouvernement fédéral. Le pouvoir d’achat d’un tel organisme serait colossal et cela aiderait probablement les régimes publics d’assurance-médicaments à obtenir le meilleur prix des sociétés pharmaceutiques.
Au cours des audiences de la phase deux, le Comité a appris que l’on discutait d’une liste commune des médicaments au sein de différents gouvernements provinciaux et territoriaux. Plus précisément, après leur conférence d’août 2000, les premiers ministres provinciaux et les dirigeants territoriaux sont convenus de collaborer et de charger leur ministre de la Santé d’élaborer des méthodes en vue d’évaluer et d’apprécier les médicaments prescrits. L’une de ces méthodes pourrait consister à mettre en place un processus consultatif interprovincial et interterritorial d’évaluation des médicaments en vue de leur inscription aux régimes provinciaux et territoriaux d’assurance-médicaments.
Le Comité sera heureux de recevoir des avis sur la faisabilité d’une liste nationale des médicaments admissibles et sur ses éventuels effets. Le Comité souhaiterait tout particulièrement savoir comment l’administration d’une liste nationale pourrait être organisée de manière à être indépendante du gouvernement (à noter que le gouvernement fédéral participerait au processus en vertu de sa responsabilité en matière de prestation de services de santé à certains groupes et non pas d’un rôle constitutionnel). De plus, dans le cadre d’une discussion sur une éventuelle liste nationale de médicaments, le Comité voudrait savoir si l’on doit envisager la création d’un organisme national d’achat de médicaments et, dans l’affirmative, quel devrait être son mode de fonctionnement.
8.8.2 Usage obligatoire du médicament efficace le moins cher
Les ressources publiques disponibles pour les soins de santé étant limitées, il convient de reconnaître la nécessité d’une gestion stricte des médicaments en fonction des coûts et des avantages; cela consiste notamment à n’inscrire que les médicaments prescrits les plus économiques. Pendant de nombreuses années, les hôpitaux dotés de budgets globaux ont dû faire des choix difficiles quand il s’agissait d’inscrire les médicaments sur leur liste interne. Ces choix étaient faits par les comités de pharmacie et de thérapeutique (CPT) des hôpitaux, et les médecins les ont acceptés parce qu’ils avaient été faits par leurs pairs. Certains croient que les médecins auraient du mal à accepter que la formule de l’examen par un CPT soit employée pour limiter l’inscription de tous les médicaments prescrits.
Quoi qu’il en soit, au cours des dernières années, les régimes provinciaux d’assurance-médicaments ont commencé à utiliser leur politique de remboursement pour encourager les médecins à remplacer des pharmacothérapies classiques par d’autres. Il arrive qu’un médicament ne figure tout simplement pas sur la liste, quand il est plus cher que d’autres médicaments aussi efficaces pour traiter certaines pathologies. Dans d’autres cas, un programme de médicaments gratuits (par exemple le Régime de médicaments gratuits de l’Ontario) exigera une autorisation spéciale pour payer un médicament plus cher quand il est préféré à une solution moins chère du fait qu’il est requis pour l’une et non pas la totalité de ses indications. La politique de prix de référence de la Colombie-Britannique sert le même objectif. En vertu de cette politique, le gouvernement de la province rembourse le prix d’un médicament à hauteur du prix d’un médicament de référence d’une catégorie thérapeutique donnée, à moins de nécessité d’utiliser le produit le plus cher, sur la foi de l’évaluation du médecin et à condition que ce produit soit préalablement approuvé par le régime.
Bref, certains régimes provinciaux d’assurance-médicaments encouragent déjà les médecins à substituer des pharmacothérapies. Il faut toutefois répondre à ces difficiles questions de principe :
- jusqu’où peut aller un gouvernement pour imposer la substitution de pharmacothérapies en fonction du médicament équivalent le moins cher?
- dans quelle mesure un gouvernement peut-il imposer une telle politique?
Un mécanisme de qualité et largement accepté d’expertise scientifique et clinique, à l’appui des choix des médicaments de substitution, a plus de chances d’être accepté par les médecins et toléré par le public.
On peut alors se demander si l’ensemble des intervenants, soit les gestionnaires de régimes publics et privés d’assurance-médicaments, les médecins et les pharmaciens, Santé Canada (à titre d’organisme fédéral responsable de la sécurité des médicaments), les patients et l’industrie pharmaceutique, devraient être tenus de travailler ensemble pour produire des avis communs dont se serviraient et les assureurs et les prescripteurs pour déterminer les médicaments qui peuvent être substitués à d’autres. Une telle collaboration viserait à rendre la prescription de médicaments et la gestion des prestations pharmaceutiques plus économiques et à améliorer la qualité des soins grâce à une meilleure identification des meilleurs traitements, l’élimination de traitements inefficaces ou de ceux qui présentent des risques évitables d’effets indésirables.
Une telle collaboration viserait donc à assurer i) une orientation nationale efficace et opportune pour l’établissement de listes de médicaments (ou d’une liste nationale) et ii) une orientation nationale opportune, pertinente et acceptée pour les prescriptions et qui pourrait être adaptée aux besoins locaux.
La collaboration proposée pourrait être intégrée à un système renforcé de surveillance post-commerciale des médicaments prescrits, dirigé par Santé Canada, et à un système national d’information sur l’utilisation des médicaments qui procurerait une analyse détaillée des prix des médicaments, de leur mode d’emploi et des facteurs de coût de chaque catégorie de pharmacothérapie, des informations qui permettraient de prendre de meilleures décisions en matière de gestion des listes, de prescription et de réglementation (sécurité des médicaments); de plus, la collaboration profiterait de tels systèmes.
8.8.3 Publicité sur des médicaments prescrits au consommateur
En ce qui concerne les coûts des médicaments prescrits, on peut également se demander de quelle manière les compagnies pharmaceutiques devraient être autorisées à faire de la publicité sur ces médicaments. Actuellement, Santé Canada interdit la publicité directe aux consommateurs et limite la publicité sur les médicaments prescrits aux seuls fournisseurs de soins de santé. Dans la plupart des pays industrialisés, il est interdit de destiner directement au consommateur une publicité sur les médicaments prescrits. Aux États-Unis, où il est permis d’annoncer des médicaments prescrits (l’industrie pharmaceutique consacre des centaines de millions de dollars chaque année à la publicité dans ce pays), des études montrent qu’une très grande proportion des prescriptions délivrées par les médecins, et en particulier les médecins de famille, découlent de la demande des patients qui ont vu la publicité pour le médicament en question. Faut-il s’en étonner, quand on sait que la publicité est destinée à faire monter la demande?
Certains font valoir que, pour éviter une augmentation correspondante de la demande de médicaments prescrits au Canada, le gouvernement fédéral devrait maintenir l’interdiction sur la publicité de médicaments prescrits. Trois arguments sont habituellement opposés au maintien de l’interdiction de publicité.
- le consommateur a le droit de connaître les médicaments prescrits qui sont disponibles;
- les sociétés ont le droit de communiquer avec le consommateur, en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés;
- les médicaments sont déjà annoncés aux États-Unis et les Canadiens peuvent voir ces publicités sur les canaux de câble américains ou sur Internet; par conséquent, l’interdiction canadienne est inutile et devrait donc être levée.
Au sujet du point a), il s’agit de savoir dans quelle mesure on doit monnayer le droit de savoir du consommateur contre le coût accru des médicaments, qui sera le résultat inévitable de la publicité sur les médicaments prescrits au Canada.
Au sujet du point b), les avocats constitutionnalistes sont partagés sur la constitutionnalité de l’actuelle interdiction de publicité. Certains estiment toutefois que, s’il est décidé d’établir une liste nationale des médicaments admissibles, l’on pourrait éviter l’écueil constitutionnel en intégrant aux principes créateurs de la liste une politique voulant que tout médicament qui au Canada n’est pas annoncé seulement aux médecins soit exclu de la liste.
Au sujet du point c), le débordement frontalier des publicités sur les stations américaines de télévision par câble pourrait être éliminé; le gouvernement fédéral pourrait utiliser ses pouvoirs pour ordonner au CRTC d’exiger des câblodistributeurs canadiens qu’ils substituent d’autres annonces aux publicités américaines portant sur des médicaments prescrits.
La grande disponibilité d’informations sur la santé sur Internet constitue un nouveau sujet de préoccupation. À toutes fins pratiques, il semble impossible de juguler le flot de publicités qui traversent la frontière par le cyberespace.
Voilà des questions de principe fédérales au sujet desquelles le Comité souhaite recueillir les opinions des lecteurs du présent rapport.
8.9 Médicaments prescrits – Élargissement de la protection
La plupart des Canadiens disposent d’une certaine forme d’assurance-médicaments, qu’ils s’agisse d’un programme gouvernemental, d’un régime privé collectif (offert par l’employeur) ou d’un régime individuel. Toutefois, la Loi canadienne sur la santé ne visant pas les médicaments prescrits à l’extérieur de l’hôpital, la protection publique varie énormément d’une province à l’autre. De même, les assurances privées pour les médicaments prescrits qui sont offertes par des régimes collectifs de l’employeur ou par un régime individuel diffèrent considérablement de par leur nature, les critères d’admissibilité et les frais à payer.
Les informations fournies au Comité par la Société canadienne d’indemnisation pour les assurances de personnes (SIAP) indiquent qu’environ 97 % des Canadiens disposent d’une certaine assurance pour les médicaments prescrits.
- Les régimes collectifs d’assurance offerts par l’employeur constituent la principale source d’assurance des Canadiens (57 % de la population);
- les régimes provinciaux d’assurance-médicaments des personnes âgées et des assistés sociaux représentent respectivement 12 % et 10 % de la population;
- les programmes provinciaux visant la population en général (c’est-à-dire qui ne sont pas limités aux personnes âgées ou aux assistés sociaux) représentent une autre tranche de 15 % de la population;
- divers autres régimes (polices individuelles, groupes d’affinités, etc.) représentent 1 % de la population;
- les régimes destinés aux Indiens inscrits et aux Inuits et Innus admissibles représentent environ 2 %.
Environ trois pour cent de la population canadienne n’aurait aucune assurance pour les médicaments prescrits. Le Comité a appris que la plupart de ces personnes sont des adultes en âge de travailler. Des données qualitatives indiquent également que les personnes de ce groupe ont le profil d’emploi suivant : il s’agit principalement d’ouvriers non spécialisés, de petits salariés, d’employés à temps partiel, d’employés saisonniers et de chômeurs occasionnels. De plus, parmi les personnes qui disposent d’une certaine protection, on note de grandes fluctuations dans la nature et la qualité de cette protection.
Le Comité a appris qu’il existe d’importants écarts interprovinciaux dans la protection offerte en matière d’assurance-médicaments. Le Tableau 1 montre que cinq prvinces (la Colombie-Britannique, la Saskatchewan, le Manitoba, l’Ontario et le Québec) affichent une protection à 100 % en ce sens que les programmes provinciaux offrent une protection minimale à tous les résidents. En Alberta, le gouvernement provincial offre à tous les résidents un programme public d’assurance-médicaments financé par les cotisations — Alberta Blue Cross. Les Albertains qui n’ont pas d’assurance-médicaments (17 %) disposent d’un régime public mais ont décidé de ne pas y adhérer pour ne pas payer la cotisation. Les provinces de l’Atlantique de distinguent par une protection beaucoup moindre que dans le reste du Canada. En fait, il n’existe pas de programmes publics d’assurance-médicaments qui protègent tous les résidents des provinces de l’Atlantique.
Tableau 1
Proportions de la population profitant d’une assurance-médicaments
|
Proportion (%) |
|
|
Canada |
97 |
|
Terre-Neuve |
65 |
|
Île-du-Prince-Édouard |
73 |
|
Nouvelle-Écosse |
76 |
|
Nouveau-Brunswick |
67 |
|
Québec |
100 |
|
Ontario |
100 |
|
Manitoba |
100 |
|
Saskatchewan |
100 |
|
Alberta |
83 |
|
Colombie-Britannique |
100 |
Ces écarts interprovinciaux traduisent des différences importantes dans les protections offertes par les régimes d’assurance-médicaments, notamment ce qui est offert aux groupes qui ne sont pas des personnes âgées à faible revenu et des assistés sociaux, lesquels sont assurés presque entièrement dans toutes les provinces. Les différences entre les provinces reflètent également des protections différentes offertes par des régimes privés. Le Comité a appris que toutes les provinces perçoivent actuellement des taxes sur les primes et que l’Ontario et le Québec perçoivent des taxes de vente sur les régimes privés d’assurance-maladie. Le fardeau fiscal additionnel d’un milliard de dollars est un important facteur pour dissuader de recourir à des régimes privés, qui représentent les principaux programmes d’assurance-médicaments.
De telles différences entre les provinces soulèvent des questions de politique publique et il en est de même pour les particularités fiscales susmentionnées. Toutefois, la question de la politique publique devient encore plus impérieuse quand on prend en considération l’objectif consistant à éviter les contraintes financières excessives, lequel a été déterminant dans l’élaboration de la politique canadienne de la santé. Malgré des taux de protection relativement élevéspour les médicamentsdans l’ensemble du Canada, de nombreux Canadiens ne sont pas à l’abri de « contraintes financières excessives » que pourraient causer l’achat de coûteux médicaments.
Les pharmacothérapies modernes peuvent engendrer des dépenses très élevées, et cela se produit de plus en plus. La Loi canadienne sur la santé prévoit seulement le remboursement des médicaments prescrits à l’hôpital. Par conséquent, de nombreux Canadiens s’exposent de plus en plus à des difficultés financières causées par l’achat de médicaments très chers hors de l’hôpital, et ce risque devient souvent réalité dans les faits.
Les informations fournies au Comité portent à conclure que les personnes qui sont actuellement à l’abri de telles contraintes financières sont :
- les Canadiens protégés par un régime privé d’assurance-médicaments qui limite le montant que l’assuré doit payer à l’achat d’un médicament;
- les Canadiens prestataires de l’aide sociale et les personnes âgées à faible revenu car ces groupes sont admissibles à l’assurance publique qui les met à l’abri des coûts élevés des médicaments prescrits dans toutes les provinces;
- les Canadiens habitant une province où des régimes publics d’assurance-médicaments limitent le montant qu’un assuré doit verser à l’achat de médicaments prescrits (Alberta, Colombie-Britannique, Manitoba, Ontario, Québec et Saskatchewan).
Toutefois, la protection fournie par les différents régimes n’est ni uniforme ni absolue. Par exemple, le genre de protection décrite ci-dessus n’est pas automatique dans toutes les provinces susnommées et seuls quelques régimes privés limitent la responsabilité financière des assurés.
Dans les quatre provinces de l’Atlantique, il n’existe pas de régime public limitant la responsabilité des personnes et des familles à l’égard des coûts élevés des médicaments prescrits. De plus, les assurances-médicaments privées sont généralement moins courantes dans la région de l’Atlantique. En fait, une étude récente financée par le Fonds pour l’adaptation des services de santé (FASS) de Santé Canada conclut que plus de 25 % des habitants de la région de l’Atlantique ne possèdent pas d’assurance-médicaments prescrits et que 25 % des personnes habitant cette région sont sous-assurés. Il est clair qu’il faut améliorer sensiblement la protection des résidents des provinces de l’Atlantique au titre de l’assurance-médicaments.
Ces constatations générales ont été placées dans un contexte humain particulier grâce au cas d’un Canadien de l’Atlantique dont la situation a été portée à la connaissance du Comité. Cet homme, bibliothécaire professionnel et pourtant cotisant à un bon régime d’assurance de son employeur , doit débourser de sa poche quelque 17 000 dollars par année pour payer une partie des médicaments dont sa femme a besoin et qui coûtent environ 50 000 dollars par année. Cet exemple montre bien que même les personnes bénéficiant d’un excellent régime d’assurance-médicaments ne sont pas à l’abri des difficultés financières à cause des coûts exhorbitants des médicaments.
8.9.1 Initiative nationale d’assurance-médicaments
Le problème consiste donc à trouver le moyen d’offrir une meilleure protection au titre des médicaments prescrits. Au cours des dernières années, un certain nombre d’experts ont recommandé que le gouvernement fédéral élabore une initiative nationale d’assurance-médicaments, de concert avec les gouvernements provinciaux et territoriaux, dans le but d’élargir la protection aux pharmacothérapies médicalement nécessaires. Une initiative nationale d’assurance-médicaments élargirait la protection aux personnes non assurées ou mal assurées et permettrait de fournir à l’ensemble de la population des prestations d’assurance-médicaments plus uniformes.
Il n’existe pas de modèle unique pour une initiative pancanadienne d’assurance-médicaments et un certain nombre de questions complexes peuvent influencer la conception d’un tel programme. Par exemple, il faut :
- choisir les assurés (garantir l’universalité ou limiter la protection à des groupes particuliers comme les personnes âgées ou les assistés sociaux);
- déterminer la protection à offrir (tous les médicaments prescrits ou seulement certaines catégories );
- établir l’orientation du programme (payer la totalité des frais des médicaments ou se protéger contre les dépenses élevées en médicaments);
- déterminer le mode de financement (financement public ou financement mixte assorti de franchises, de participation aux coûts, etc.);
- déterminer le mode de réalisation (par l’intermédiaire des programmes provinciaux d’assurance-médicaments, de régimes privés ou d’un nouveau programme fédéral ou d’une combinaison de ces possibilités).
Les opinions varient selon les intervenants. Les frais d’établissement d’un programme national d’assurance-médicaments et de maintien de sa viabilité à long terme sont une autre cause majeure de controverse. En 1997, la firme Palmer d’Angelo Consulting Inc. a évalué les coûts d’établissement de différents modèles d’un programme national et universel d’assurance-médicaments. Voici un résumé des principales conclusions de cette étude.
- Un programme national global, financé par les deniers publics, administré par le gouvernement et respectant les principes de la Loi canadienne sur la santé ferait monter les dépenses publiques liées aux médicaments prescrits de quelque 4,3 milliards de dollars.
- D’autres programmes administrés par le gouvernement et financés par les deniers publics, mais qui imposeraient des frais d’utilisation (à hauteur de 15,9 %) et des frais d’ordonnance, gonfleraient les dépenses publiques liées aux médicaments prescrits d’une somme se situant entre 2,1 et 2,5 milliards de dollars; cette solution équivaudrait à « nationaliser » les régimes privés actuels.
- Avec un programme semblable aux régimes qui existent en Saskatchewan et au Manitoba (lesquels imposent des frais d’utilisation très élevés), les dépenses publiques liées aux médicaments prescrits diminueraient de quelque 500 millions de dollars; cependant, les dépenses des particuliers augmenteraient de 900 millions de dollars.
- Des régimes mixtes publics et privés auraient une incidence beaucoup moins grande sur les finances des particuliers que les régimes entièrement publics. Les dépenses additionnelles varient entre 100 millions de dollars, avec un programme semblable au programme québécois actuel, et 1,5 milliard de dollars, avec un programme qui assure la totalité des coûts, sans franchise.
Il est donc clair que le prix d’un programme national d’assurance-médicaments dépendrait de la formule choisie. Une étude réalisée récemment par le docteur Joel Lexchin laisse entendre qu’un tel système permettrait d’économiser des frais d’administration même s’il avait comme conséquence d’augmenterles dépenses publiques.
Pour fins de consultation et de discussion, voici quatre formules présentant une orientation et une conception particulières.
8.9.2 Un programme public complet
Un programme national d’assurance-médicaments entièrement public pourrait être financé par le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et territoriaux, soit par le truchement de transferts accrus (TCSPS) soit en vertu d’un nouvel arrangement de partage des coûts dans lequel la part du gouvernement fédéral pourrait être de 25 %, 50 % ou davantage. Un tel programme serait universel et exempt de frais d’utilisation, donc conforme à la Loi canadienne sur la santé. Il pourrait également imposer des frais d’utilisation, auquel cas le financement fédéral pourrait être assujetti à une version modifiée de la Loi canadienne sur la santé ou à un nouvel ensemble de conditions. Il s’agirait d’une initiative entièrement nouvelle qui remplacerait tous les programmes fédéraux et provinciaux d’assurance-médicaments en vigueur et pourrait rendre largement inutiles les régimes privés existants.
8.9.3 Une initiative mixte globale
Comme pour la solution 8.9.2, ce programme assurerait une protection universelle pour toutes les dépenses de médicaments, sauf qu’il le ferait en vertu d’un partenariat conclu par le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et l’entreprise privée dans le but d’élargir la protection qui est offerte actuellement par les régimes publics et privés.
Une participation fédérale aux coûts pourrait être offerte aux provinces pour élargir la protection des programmes provinciaux de médicaments. Il y aurait lieu de mettre l’accent sur les provinces de l’Atlantique où il n’existe pas en ce moment de régimes d’assurance-médicaments universellement accessibles. Par souci d’équité, il faudrait toutefois assurer une aide fédérale aux provinces qui ont déjà mis en place des programmes largement accessibles. Cette aide pourrait les encourager à maintenir et même à élargir la protection offerte.
Comme certaines provinces pourraient ne pas bien répondre aux incitatifs de partage des coûts et qu’en conséquence ces programmes pourraient ne pas rejoindre toute la population, des incitatifs financiers fédéraux pourraient pourraient aussi être offerts aux régimes privés pour encourager un élargissement de la protection aux personnes qui ne sont pas assurées ou ne le sont pas assez mais qui ont un certain lien avec le monde du travail (comme les travailleurs à temps partiel, en transition entre deux emplois, etc.).
Une aide fédérale pourrait être offerte aux provinces sous réserve de certaines conditions, dont l’élimination des principaux facteurs dissuadant de recourir à l’assurance-médicaments privée que sont les taxes provinciales sur les cotisations d’assurance et les taxes de vente au détail sur les cotisations supplémentaires d’assurance-maladie. Il est à noter que le Québec s’est servi d’un modèle hybride public-privé pour mettre en œuvre son programme universel d’assurance-médicaments, qui est en vigueur depuis 1997.
8.9.4 Initiative mixte de garantie des dépenses élevées en médicaments
Contrairement aux solutions 8.9.2 et 8.9.3 qui visent à payer la totalité ou la quasi-totalité des coûts des médicaments prescrits, cette initiative mixte cherche à protéger tous les Canadiens contre des difficultés financières liées à des dépenses de médicaments élevées. Cette option viserait à protéger les Canadiens, y compris ceux qui ont déjà une assurance-médicaments privée, contre le genre de situation catastrophique décrite au dernier paragraphe de la section 8.9. À ce titre, cette option est un filet de sécurité.
Comme la solution 8.9.3, cette initiative prévoit que le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et l’entreprise privée mettront en valeur et élargiront la protection offerte par les régimes provinciaux et privés contre les coûts élevés des médicaments. Il est prévu que le gouvernement fédéral assumerait une partie importante des coûts des programmes provinciaux universellement accessibles qui fixent le risque personnel lié aux coûts élevés des médicaments à un niveau approprié. Ilpourrait s’agir d’une proportion donnée du revenu (p. ex., 4 %, comme le prévoient déjà certains programmes) ou encore d’un montant fixe (p. ex., 1 000 $ par année).
Comme dans l’option précédente, on viserait en priorité à encourager les provinces de l’Atlantique à mettre en place des programmes provinciaux de cette nature. Mais une participation aux coûts serait également possible pour les régimes provinciaux d’assurance-maladie qui ont déjà mis en place ce genre de protection.
Comme dans l’option 8.9.3, étant donné que certaines provinces pourraient ne pas se montrer sensibles aux incitatifs financiers et qu’en conséquence leurs programmes publics pourraient ne pas rejoindre toute la population, on pourrait offrir l’aide financière fédérale aux régimes privés qui limitent les dépenses des assurés à un certain plafond (p. ex., 1 000 $ par année). Comme dans le cas de la solution 8.9.3, la participation fédérale serait assujettie à des conditions comme la suppression des facteurs fiscaux dissuasifs imposés aux régimes privés d’assurance-médicaments.
L’option 8.9.4 pourrait gagner en importance à mesure que le prix des médicaments augmente et que les médicaments biotechnologiques très chers occupent une part croissante des médicaments consommés. Il y a un risque qu’une telle augmentation des coûts entrainerait certains employeurs à interrompre leurs programmes d’assurance-médicaments. Par contre, si une aide financière du gouvernement était disponible aux employeurs lorsqu’un employé atteint la limite assurable, ils pourraient être incités à maintenir leurs programmes d’assurance-médicaments.
8.9.5 Une initiative fiscale contre les dépenses élevées en médicaments
Comme la solution 8.9.4, cette initiative viserait à limiter le risque des assurés à l’égard de dépenses élevées en médicaments. Toutefois, dans ce cas-ci, c’est la fiscalité qui jouerait, plutôt que des régimes publics et privés d’assurance-médicaments.
En vertu de cette solution, les Canadiens obligés d’acheter des médicaments prescrits et « médicalement nécessaires » d’une valeur supérieure à un seuil donné (p. ex., une proportion du revenu, probablement entre 2 % et 4 %) recevraient un crédit d’impôt au titre de la différence. Ce crédit abaisserait les impôts qui seraient autrement exigibles (dans le cas des personnes à revenus élevés) ou serait remboursé à titre de crédit remboursable (dans le cas des personnes à faibles revenus qui ne paient pas d’impôt). On pourrait procéder en modifiant le crédit d’impôt pour frais médicaux ou en créant un nouveau crédit d’impôt distinct. Pour réaliser cette initiative, il faudrait établir une liste qui contiendrait tous les médicaments nécessaires du point de vue médical.
L’un des désavantages majeurs de cette solution tient à la nature rétrospective de la déclaration de revenus, c’est-à-dire qu’elle s’appliquerait aux dépenses encourues l’année précédente. Le problème ne s’appliquerait pas dans le cas du décès ou de l’insolvabilité personnelle de l’assuré. Cette solution s’appliquerait davantage aux besoins des personnes qui éprouvent des difficultés chroniques liées aux coûts élevés des médicaments.
On entend habituellement par soins à domicile les services qui sont fournis à une personne chez elle. Les soins à domicile ne comprennent pas les soins fournis par une entreprise privée ou publique dans une résidence de soins de longue durée ou de soins continus. On ne s’entend pas au sujet des services qui devraient être englobés par l’expression « soins à domicile ». Il peut s’agir de certains soins pour malades aigus comme une intraveinothérapie ou la dialyse, de soins de longue durée fournis à des personnes atteintes de maladies dégénératives comme l’Alzheimer ou d’incapacités physiques ou mentales chroniques, ainsi que de soins de fin de vie à des personnes en phase terminale ou de services de soutien personnel comme des services de préposés et des aides techniques. Les soins à domicile peuvent comprendre des soins de santé et des services de soutien social comme la surveillance, l’évaluation, la coordination, les soins infirmiers, les services ménagers, les conseils nutritionnels et la préparation de repas, l’ergothérapie et la physiothérapie, la lutte contre la douleur, le soutien émotif et l’éducation à l’autonomie.
Autrement dit, les services offerts à domicile peuvent s’étendre sur un spectre large comprenant aussi bien des interventions médicales que des soutiens sociaux. Les soins à domicile peuvent être fournis par des personnes qui sont en majorité des infirmiers, des thérapeutes et des travailleurs en soutien personnel mais aussi par des soignants informels, habituellement des membres de la famille ou des amis.
L’enquête de 1998-1999 sur la santé de la population conclut que la majorité des personnes qui déclarent avoir besoin de soins à domicile en raison de leur âge, de maladies chroniques ou d’incapacité ne recevaient aucun soin officiel payé par l’État. Entre 80 % et 90 % des soins fournis à ce groupe sont offerts gratuitement. L’enquête n’indique pas dans quelle mesure les besoins qui ne sont pas satisfaits par l’État le sont par des contribuables ou par des soignants informels ou ne le sont pas du tout.
Au cours des audiences de la phase deux, le Comité a appris que la satisfaction des besoins en soins à domicile pose un problème qui grandit à mesure que les « baby boomers » vieillissent, qu’augmentent les espérances de vie, que les soins sont désinstitutionnalisés et gagnent en complexité technologique et que les régimes de travail et les modèles sociaux réduisent la possibilité que des membres de la famille puissent offrir des soins informels.
Actuellement, chaque gouvernement provincial et territorial offre un programme de soins à domicile. Mais comme, les soins à domicile ne sont pas considérés comme un service « médicalement nécessaire » par la Loi canadienne sur la santé, les programmes publics de soins à domicile varient énormément, d’un bout à l’autre du pays, eu égard à l’admissibilité, à la protection offerte et aux frais d’utilisation perçus. Tous les régimes comprennent des services comme l’évaluation et la gestion de cas, les soins infirmiers et le soutien à domicile, pour les clients admissibles. Seulement quelques provinces offrent différents types de thérapies (physiothérapie, orthophonie, inhalothérapie) dans leurs programmes de soins à domicile financés à même les fonds publics. Les clients qui souhaitent obtenir des services qui ne sont pas prévus par le programme doivent payer de leur poche. Dans la plupart des provinces, les soins de santé ont augmenté ces dernières années, mais les dépenses publiques consacrées à ce poste ne représentent encore qu’une petite proportion des budgets provinciaux de la santé.
Des études récentes indiquent que les soins à domicile sont économiques dans certains cas; dans de nombreux cas, toutefois, les soins en établissement sont plus efficients, surtout pour la personne âgée en perte d’autonomie. De plus, pour les fournisseurs, les soins en institution sont toujours plus faciles à donner. Toutefois, le coût et la commodité ne sont pas les seuls facteurs à prendre en considération; beaucoup de gens souhaitent recevoir des soins chez eux plutôt que dans un établissement. Il ne faut pas en déduire qu’ils préfèrent rester à la maison sans recevoir de soins appropriés.
De bons soins à domicile peuvent faire baisser les coûts à long terme du système de soins de santé, pour différentes raisons dont les suivantes :
- ils réduisent la pression sur les lits pour soins de courte durée car ils permettent de faire des interventions médicales dans un cadre moins coûteux et de n’utiliser les ressources hospitalières que lorsqu’elles sont véritablement requises (autrement dit, les soins à domicile évitent de garder le patient dans un hôpital de soins actifs);
- ils réduisent la demande en lits de longue durée en offrant aux Canadiens vieillissants la possibilité de conserver leur indépendance et leur dignité chez eux (autrement dit, les soins à domicile se substituent aux soins en maison de repos);
- ils permettent aux patients qui reçoivent des soins palliatifs de passer leurs derniers moments dans le confort de leur milieu familial (autrement dit, les soins à domicile se substituent aux établissements de soins palliatifs).
De nombreux témoins ont fait valoir que les soins à domicile qui se substituent aux soins actifs devraient être considérés comme des soins actifs fournis dans un autre cadre et, par conséquent, tomber sous le régime de la Loi canadienne sur la santé.
Des intervenants se sont demandé si les patients qui reçoivent à domicile des soins qui se substituent à des soins à long terme ou à des soins palliatifs devraient être tenus d’augmenter leur cotisation, dans la mesure de leurs moyens, pour contribuer à payer ces services. Une telle participation additionnelle est déjà requise dans certaines provinces, où beaucoup de patients doivent épuiser la majeure partie de leurs moyens personnels avant que leurs soins ne soient payés par le gouvernement.
La question se résume ainsi : est-il raisonnable d’utiliser les deniers publics pour payer les soins palliatifs à long terme d’une personne qui a les moyens de les payer, même si ces soins sont fournis dans un établissement de soins de longue durée, comme une maison de soins? Autrement dit, est-ce que les contribuables devraient être subventionnés par l’État pour qu’ils puissent léguer un plus gros héritage à leurs enfants? Le Comité attend les opinions des lecteurs à ce sujet.
Beaucoup de témoins estiment que plusieurs possibilités s’offrent au gouvernement fédéral pour infléchir l’orientation des soins à domicile au Canada. Ces propositions sont présentées ci-dessous.
8.10.1 Un programme national de soins à domicile
En vertu de cette solution, le gouvernement fédéral augmente ses paiements de transfert afin d’aider les gouvernements provinciaux et territoriaux à mettre en place des programmes de soins à domicile sur leur territoire. Le gouvernement fédéral pourrait utiliser le Fonds pour l’adaptation des services de santé ou procéder en vertu d’un nouvel arrangement de partage des coûts.
Ce programme pourrait assurer le paiement intégral des coûts, ce qui le conformerait à la Loi canadienne sur la santé, ou il pourrait imposer des frais d’utilisation, auquel cas le financement fédéral pourrait être assujetti à une version modifiée de la Loi canadienne sur la santé ou à un nouvel ensemble de conditions.
Ce programme pourrait être universel ou viser certains groupes de la population (p. ex., les personnes âgées ou les malades mentaux) ou encore comprendre certaines catégories de services à domicile (p. ex., les soins palliatifs).
Le gouvernement fédéral devrait collaborer étroitement avec les gouvernements provinciaux et territoriaux pour élaborer des normes nationales de soins à domicile et s’entendre au sujet des services de base et des ressources humaines. L’élaboration de normes nationales est absolument essentielle si l’on veut que les soins à domicile fassent partie du système canadien des soins de santé. La question des ressources humaines est au premier plan des préoccupations étant donné la pénurie de fournisseurs qualifiés de services de santé à domicile et elle est étudiée plus à fond au chapitre 11.
8.10.2 Crédit d’impôt et déduction fiscale aux consommateurs de soins à domicile
Le gouvernement fédéral pourrait offrir une aide financière accrue aux consommateurs de soins à domicile grâce à des changements fiscaux. Actuellement, une telle aide est offerte au moyen des différentes mesures suivantes :
- Le crédit d’impôt pour frais médicaux est offert à tous les contribuables ayant des coûts médicaux supérieurs à la moyenne. En 2000, le crédit d’impôt pour frais médicaux réduisait l’impôt fédéral d’un particulier de 17 % des dépenses médicales admissibles en sus du plus petit des deux montants suivants : 1 637 $ ou 3 % du revenu net. Il n’y a pas de limite supérieure au total des dépenses dont on peut demander le remboursement.
- Le supplément remboursable pour frais médicaux apporte une aide fiscale aux personnes à faible revenu de la population active qui ont des dépenses médicales supérieures à la moyenne. Le supplément est calculé comme suit : 25 % de la portion autorisée des dépenses médicales admissibles qui déterminée dans le crédit d’impôt pour frais médicaux jusqu’à concurrence de 500 $. Il n’est offert qu’aux personnes ayant un revenu gagné d’au moins 2535 $ et on en soustrait 5 % du revenu familial net supérieur à 17 663 $ afin que seules les personnes à revenu faible et modeste en profitent.
- Le crédit d’impôt pour handicapé vise à tenir compte de l’incidence d’une incapacité mentale ou physique grave et prolongée sur la capacité d’une personne de payer de l’impôt. En 2000, le crédit d’impôt pour handicapé équivalait à environ 730 $. Ce crédit a peu de chance d’être utile, compte tenu du coût réel des soins à domicile.
- La déduction au titre des dépenses en soins auxiliaires vise à réduire les barrières empêchant de travailler. Elle permet à un patient ou à une personne handicapée de déduire jusqu’aux deux tiers du revenu gagné pour rémunérer un préposé dont les services sont essentiels pour permettre à la personne d’être sur le marché du travail.
Parmi les solutions fiscales possibles, on pourrait augmenter le crédit d’impôt pour frais médicaux applicable à l’impôt fédéral et élargir la déduction pour dépenses en soins auxiliaires afin qu’elle englobe une déduction du revenu du soignant et qu’elle accepte une déduction de toutes les sources de revenus et pas seulement des revenus gagnés.
De plus, il y aurait lieu d’envisager la possibilité de stimulants fiscaux pour encourager les gens à épargner en prévision des soins à long terme dont ils auront besoin. Ces stimulants pourraient s’apparenter aux REER et aux REEE. Les personnes à faible revenu seraient cependant dans l’impossibilité d’y contribuer ou bénéficieraient d’une plus petite déduction fiscale que les Canadiens à revenu plus élevé.
8.10.3 Fonds d’assurance spécial pour les soins à domicile
La Commission Clair, au Québec, a proposé la création d’une caisse d’assurance pour couvrir les dépenses liées à la perte d’autonomie à long terme. Un tel fonds serait distinct des recettes générales et serait administré par un établissement financier, comme la commission des pensions du Canada ou du Québec, qui n’en retirerait aucun avantage financier. Le fonds serait provisionné au moyen d’une cotisation obligatoire en fonction du revenu personnel (ou pourrait être financé par des contributions de l’employeur et de l’employé à la fois). Il serait capitalisé (à un taux à déterminer) de manière à réduire l’impact financier prévisible lié au coûts des services à fournir à la jeune génération.
Les soins à domicile pourraient être offerts par le truchement de prestations en nature ou de paiements. Les paiements versés au titre des soins à domicile seraient déterminés, au besoin, par le programme de soins. Ces prestations seraient exemptées d’impôt, dans les mains du prestataire ou des soignants reconnus, selon des niveaux et des circonstances à déterminer.
8.10.4 Mesures spécifiquement destinées aux soignants informels
Au cours de la phase deux de l’étude, des témoins ont estimé que la diminution des services aux patients hospitalisés a augmenté le fardeau des membres de la famille et des amis des patients. Le Comité a appris que la majorité des soignants informels sont des femmes qui subviennent aux besoins de leur famille et qui doivent souvent concilier la responsabilité de parents vieillissants, de leurs propres enfants et d’un travail rémunéré à temps plein.
Actuellement, plus de trois millions de Canadiens – des femmes pour la plupart – fournissent des soins à des membres malades de leur famille, à domicile, et sans être rémunérés. Le rapport de la phase deux du Comité indique que, jusqu’à l’âge de 75 ans, les femmes sont beaucoup plus susceptibles que les hommes d’avoir fourni des soins de santé à un membre de la famille. De plus, davantage de femmes sont contraintes, par la force des choses, à fournir gratuitement des soins de santé et ce sans aucune formation et avec peu d’appui. Les pressions cumulatives peuvent engendrer des maladies du stress et la perte de temps de travail pour le soignant et elles peuvent augmenter les risques de négligence et de mauvais traitement du soigné.
Le Comité estime qu’il est très important d’examiner le soutien offert aux soignants informels. La création récente du crédit d’impôt au soignant (en 1998) est un signe encourageant de la sensibilisation du gouvernement fédéral au rôle important joué par les dispensateurs de soins informels. Grâce à ce crédit d’impôt, les contribuables canadiens assurant des soins à un parent âgé ou à un membre de la famille peuvent réduire leur impôt fédéral d’une somme allant jusqu’à 400 dollars par année. Toutefois, il faut reconnaître que l’actuelle limite de 400 dollars n’indemnise pas adéquatement les soignants pour le temps et les ressources qu’ils fournissent.
Il faut donc augmenter l’appui financier accordé aux soignants informels. Le Comité consultatif national sur le vieillissement a recommandé que le Régime de pension du Canada (RPC) et que l’assurance-emploi soient modifiés pour accepter les personnes qui quittent le marché du travail temporairement pour prodiguer des soins informels.
- Le RPC autorise déjà les personnes qui ont quitté le marché du travail provisoirement pour s’occuper de leurs enfants à retrancher les périodes de gains modestes ou nuls du calcul des prestations du RPC. Ces dispositions d’exemption au RPC pourraient être élargies aux soignants informels qui ont quitté le marché du travail pour s’occuper de parents malades.
- Le régime d’AI vise les perturbations temporaires de la participation d’une personne à la population active. On pourrait réduire le fardeau financier des soignants informels en fournissant des prestations d’AI aux personnes qui quittent leur emploi pour s’occuper d’un parent malade. Il a été estimé que cette solution ferait monter le coût total de l’AI d’environ 670 millions de dollars par année.
Le Comité a aussi appris que les besoins de répit des soignants informels au Canada sont importants. Ils font face à un certain nombre de difficultés pour obtenir des soins de répit :
- Les soins de répit s’adressent aux soignants sur le bord de l’épuisement au lieu d’être offerts dès le début et sur une base continue pour permettre aux soignants d’assumer ce surcroît de travail. En d’autres termes, les soins de répit servent souvent à faire face à une situation d’épuisement au lieu de prévenir l’épuisement ou la maladie.
- Lorsqu’un programme de répit est mis en place, les services offerts visent généralement à remplacer le soignant pendant son absence au lieu d’offrir un choix intéressant de soins de répit.
- Les programmes de répit sont mis sur pied et financés séparément des autres services de soins à domicile et de longue durée de la collectivité. Il est important de mieux intégrer les soins de répit à la gamme des services existants : soins de longue durée en établissement, soins hospitaliers, soins à domicile et organismes communautaires.
Le Comité aimerait connaître le point de vue des lecteurs sur ces options et prendre connaissance d’autres options non mentionnées dans le rapport.
Les questions soulevées et les solutions proposées au sujet du rôle financier du gouvernement fédéral dans les soins de santé sont complexes, multiples et reliées entre elles. Le tableau qui suit présente les solutions proposées dans le présent chapitre.
Il faut prendre des décisions au sujet de la nature et de l’ampleur du financement fédéral de la santé. Pour que le financement fédéral soit maintenu ou accru, il faut se demander si le gouvernement doit continuer de réaliser des recettes par imposition générale ou s’il devrait plutôt envisager de réaliser d’autres recettes par le truchement de paiements directs du consommateur. S’il opte pour les paiements directs du consommateur, il devra décider s’ils s’appliquent à tous les services de santé financés par l’État, y compris les services médicaux et hospitaliers, ou seulement à une gamme élargie de services. Pour autoriser le paiement direct de services de santé financés par l’État, il faudrait revoir le principe d’universalité de la Loi canadienne sur la santé.
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RÔLE FINANCIER DU GOUVERNEMENT FÉDÉRAL – PROPOSITIONS |
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Changements Prestation des soins primaires (8.2) |
Accroissement de l’efficience et de l’efficacité (8.2.1) |
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Réforme des soins primaires (8.2.2) |
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Régionalisation des services de santé (8.2.3) |
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Passation de marchés avec des établissements de santé privés à but lucratif (8.2.4) |
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Promotion de la santé, prévention de la maladie et santé de la population (8.2.5) |
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Quelle forme devrait prendre l’aide financière du gouvernement fédéral (8.3) |
Partage des coûts (8.3.1) |
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Maintien du financement global actuel (8.3.2) |
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TCSPS (8.3.3) |
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Compte d’épargne santé (8.3.4) |
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Transferts fiscaux (8.3.5) |
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Accroissement des recettes aux fins des soins de santé (8.4) |
Recettes générales: Affecter une plus grande part des impôts existants aux soins de santé (8.4.1) Augmenter les impôts et taxes (8.4.2) |
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Paiements directs : Frais d’utilisation (8.4.3) Impôt sur le revenu (8.4.4) Cotisations pour les soins de santé (8.4.5) |
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Assurance-maladie privée (8.4.6) |
Services de santé offerts par l’État et par l’entreprise privée |
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Services assurés (8.7) |
Retrait de certains services (8.7.1) |
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Élargissement du régime (8.7.2) |
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Réduire le coût des médicaments prescrits (8.8) |
Liste nationale des médicaments admissibles (8.8.1) |
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Usage obligatoire du médicament efficace le moins cher (8.8.2) |
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Publicité des médicaments prescrits (8.8.3) |
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Médicaments prescrits – Élargissement de la protection (8.9) |
Initiative nationale d’assurance-médicaments (8.9.1) |
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Un programme public global (8.9.2) |
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Une initiative mixte globale (8.9.3) |
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Initiative mixte de garantie contre les dépenses élevées en médicaments (8.9.4) |
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Initiative fiscale contre les dépenses élevées en médicaments (8.9.5) |
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Soins à domicile (8.10) |
Programme national de soins à domicile (8.10.1) |
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Crédit d’impôt et déduction fiscale (8.10.2) |
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Fonds d’assurance spécial pour les soins à domicile (8.10.3) |
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Mesures spéciales pour les soignants informels (8.10.4) |
Afin de soulager les pressions qui s’exercent sur le financement public, il pourrait être décidé d’autoriser les régimes privés d’assurance-maladie à faire une concurrence directe aux régimes publics. Pour permettre aux assureurs privés d’offrir une protection semblable à celle qu’offrent les régimes publics d’assurance-maladie, il faudrait modifier le principe d’administration publique de la Loi canadienne sur la santé.
Les Canadiens devront également se demander si les services de santé additionnels devraient être financés par l’État et, dans l’affirmative, choisir lesquels. Ces dernières années, on a beaucoup discuté de l’élargissement du financement public aux médicaments prescrits et aux soins à domicile. Il s’offre à cet égard de nombreuses possibilités allant de la collaboration entre les gouvernements fédéral et provinciaux et territoriaux, pour l’établissement de programmes nationaux d’assurance-médicaments et de soins à domicile, à la création ou à l’amélioration des crédits d’impôt et des déductions fiscales au titre des coûts des médicaments et des soins à domicile. Si le gouvernement fédéral décide de payer les médicaments prescrits et les soins à domicile, ce financement doit-il être assujetti aux principes de la Loi canadienne sur la santé? Devrons-nous nous doter d’un nouvel ensemble de principes?
Enfin, il importe de se rappeler que le renouvellement du rôle du gouvernement fédéral, en matière de financement des soins de santé, doit être examiné parallèlement à l’analyse d’autres activités destinées à améliorer les soins de santé, notamment accroître notre capacité d’effectuer des recherches, élaborer une infostructure de la santé et réaliser des projets et des programmes sur la santé de la population. Nous allons maintenant examiner ces questions.