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TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 12 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 19 septembre 2001

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communi cations, auquel a été renvoyé le projet de loi C-14, Loi concernant la marine marchande et la navigation et modifiant la Loi dérogatoire de 1987 sur les conférences maritimes et d'autres lois, se réunit aujourd'hui à 17 h 35 pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Lise Bacon (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Je veux vous informer que le sénateur Forrestall démissionne de la vice-présidence de notre comité. Nous sommes désolés de vous voir partir, sénateur Forrestall, et nous vous remercions de la remarquable contribution que vous avez apportée au comité et au Sous-comité de la sécurité des transports.

À la lumière des événements de la semaine dernière, nous devons relire le rapport que vous avez déposé pour votre sous-comité. J'espère qu'on en enverra une copie au ministre des Transports en lui demandant de donner suite aux recommandations du sous-comité. Nous vous remercions, sénateur Forrestall, de votre travail, de votre collaboration et de vos bons conseils au nom du comité et de ses membres.

On m'informe également que le sénateur Oliver envisagerait d'accepter le poste de vice-président.

Le sénateur Eyton: Je propose la candidature du sénateur Oliver.

Nous nous rendons compte qu'il sera difficile de remplacer une personne qui a la stature du sénateur Forrestall, mais je me suis longuement entretenu avec le sénateur Oliver cet après-midi et il semble posséder les qualités requises pour être vice-président. C'est donc avec plaisir que je propose sa candidature à ce poste.

La présidente: Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter la motion?

Des voix: D'accord.

La présidente: Félicitations, sénateur Oliver. Je suis certaine que vous nous ferez profiter tout au long de cette session de votre expérience en tant que membre de notre comité et de président du Comité des transports il y a quelques années. Nous vous mettrons à la tâche dès que nous aurons terminé la séance d'aujourd'hui. Nous aurons en effet une réunion du comité directeur, avec le sénateur Callbeck, pour préparer la prochaine réunion. En plus du projet de loi C-14, nous avons plusieurs autres projets de loi qui nous attendent.

Je souhaite la bienvenue à notre premier témoin, M. Ja mes E. Gould, président de l'Association canadienne de droit maritime.

Comme vous le savez, nous vous entendrons d'abord. Tous les membres du comité ont reçu copie de votre mémoire, et nous vous poserons ensuite les questions voulues pour en savoir plus sur votre dossier.

M. James E. Gould, président, Association canadienne de droit maritime: Je pratique le droit maritime à Halifax et je suis actuellement président de l'Association canadienne de droit maritime, qui célèbre cette année son 50e anniversaire. L'Association a été fondée en 1951 par des Canadiens qui s'intéressaient au droit maritime canadien et international. Notre mandat est de promouvoir des lois maritimes efficaces et modernes au Canada et sur la scène internationale.

Notre association représente le Canada au Comité maritime international, une organisation non gouvernementale internationale privée qui a été fondée en Belgique en 1897. Le principal but de cette organisation est de faire la promotion de l'uniformisation et de l'unification du droit maritime international.

Comme je le précise dans mon mémoire, nous avons deux catégories de membres: des particuliers et des sociétés. Nos membres représentent des intérêts très diversifiés et nous ne sommes pas un groupe de pression. Nous comptons environ 300 membres à titre individuel qui représentent toutes les facettes de l'industrie maritime canadienne, et 19 associations membres qui représentent des intérêts particuliers mais variés dans les affaires maritimes. Je remarque que l'une de ces associations est d'ailleurs représentée ici même ce soir, nommément l'Association des transitaires internationaux canadiens, et il y en a d'autres, notamment la Fédération maritime du Canada, qui vous ont présenté des mémoires.

Depuis le début du processus de réforme de la Loi sur la marine marchande du Canada, l'ACDM participe activement aux consultations menées par des représentants du gouvernement. En janvier 1997, nous avons créé notre propre comité de la réforme de la Loi sur la marine marchande du Canada, lequel a travaillé en étroite collaboration avec les fonctionnaires gouvernementaux et les représentants de l'industrie maritime canadienne. Nous avons eu de nombreuses rencontres avec Transports Canada, le ministère des Pêches et des Océans et le ministère de la Justice au sujet du projet de loi C-14 et du projet de loi qui l'a précédé, le C-35, et sur l'ébauche de Loi sur la marine marchande du Canada qui a été présentée.

Nous avons eu un dialogue très ouvert avec les représentants du gouvernement, ce qui a été utile et avantageux. Nous félicitons le gouvernement du Canada et le comité pour le travail qui a été effectué par Transports Canada dans cette importante initiative consistant à réexaminer cette loi ancienne mais des plus nécessaires pour qu'elle reflète les normes et les besoins actuels.

Nous ne sommes pas d'accord avec toutes les dispositions du projet de loi C-14, mais, grâce à notre dialogue continu, la plupart des préoccupations que nous avions formulées avaient déjà été éliminées après l'étude du projet de loi C-14 par le Comité permanent des transports et des opérations gouvernementales de la Chambre des communes. Les différences qui subsistent relèvent essentiellement de questions de politique.

Nous vous avons fait parvenir notre mémoire écrit et, comme vous l'avez dit, madame la présidente, vous avez reçu ce mémoire. Nous y attirons votre attention sur notre préoccupation de longue date concernant les dispositions déjà intégrées dans les amendements apportés au cours de la première étape de la révision de la Loi sur la marine marchande du Canada, et je veux parler des dispositions qui permettent l'incorporation par renvoi de lignes directrices et de norme, et qui confèrent certains pouvoirs aux fonctionnaires.

Ces lignes directrices, normes et formules sont réputées ne pas constituer des règlements et sont par conséquent exemptées de l'application de la Loi sur les textes réglementaires et des garanties qu'elles comportent. Nous faisons maintenant une mise en garde, que nous avons déjà énoncée auparavant: le Parlement devrait peut-être revoir la notion d'incorporation par renvoi afin de s'assurer de protéger l'intérêt public canadien. Je n'en dirai pas plus à ce sujet, sauf pour faire remarquer que l'on trouve dans notre mémoire écrit un résumé de nos préoccupations à cet égard.

Nous invitons les membres du comité à prendre connaissance du mémoire écrit qui a été remis au comité en date du 12 juin 2001 et qui a été présenté par la Fédération maritime du Canada, qui est membre de notre association.

Je voudrais maintenant aborder trois sujets de préoccupation concernant la Loi sur la marine marchande du Canada. Nous n'avons aucune position pour ce qui est des modifications apportées à la Loi dérogatoire sur les conférences maritimes. Nous nous inquiétons surtout des dispositions du projet de loi C-14 relatives au contrôle d'application.

La principale initiative nouvelle en la matière est un mécanis me de sanctions administratives qui est censé constituer une solution de rechange, sans pour autant remplacer entièrement les poursuites criminelles ou quasi criminelles en cas de violations. On trouvera dans notre mémoire écrit les faits saillants de cette initiative.

Je voudrais signaler particulièrement le fait qu'en cas de violation d'une disposition visée, Transports Canada aurait le pouvoir discrétionnaire, au lieu d'intenter des poursuites, d'infli ger une sanction administrative qui impose le paiement d'un montant fixé en application des règlements. La personne à qui la sanction est infligée aurait alors 30 jours pour soit payer la sanction soit demander à être entendue devant un fonctionnaire appelé un «arbitre».

Je soutiens que le paragraphe 232(2) introduit une nuance très importante, à savoir que l'on impose à Transports Canada une charge de la preuve au civil, par opposition à une charge de la preuve au criminel, en ce qui concerne la procédure d'examen. C'est-à-dire qu'il faut présenter une preuve fondée sur la prépondérance des probabilités plutôt qu'une preuve au-delà de tout doute raisonnable.

Le consensus, parmi les membres de notre comité qui ont examiné les dispositions du projet de loi C-14 relatives au contrôle d'application et qu'il s'agit d'un aspect fort contestable. Transports Canada aurait le pouvoir de décider de procéder par voie administrative ou par voie judiciaire. Le ministère ne devrait pas être sensiblement avantagé en choisissant de procéder par voie administrative, ce qui réduit les protections offertes en cas de poursuites pour ce qui est de la charge de la preuve.

Je sais que d'autres intervenants ont exprimé la même préoccupation, notamment la Fédération maritime du Canada. Nous savons qu'il y a dans notre secteur une vive opposition à l'adoption de l'initiative d'application administrative, et cette opposition est notamment le fait d'un bon nombre de nos sociétés membres. Par conséquent, nous exprimons simplement notre préoccupation au sujet de l'adoption d'un régime d'application dont la nécessité n'a pas été démontrée.

D'autres initiatives du projet de loi C-14 dans le domaine de l'application sont également controversées. Comme on vient de le noter, les poursuites au criminel demeurent une option d'applica tion dans tous les cas. Sur le plan de la procédure, dans presque tous les cas, le projet de loi C-14 permet de procéder par déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Toutefois, les amendes maximales qui peuvent être imposées le cas échéant sont très élevées dans tout le projet de loi. D'autres ont fait des observations sur le montant des amendes et je n'en dirai pas plus là-dessus.

Le ministre aurait les pleins pouvoirs de refuser de délivrer, ou de suspendre, annuler ou refuser de renouveler un document maritime canadien (DMC), en vertu de l'article 20. Le comité de l'ACDM a deux objections à formuler en ce qui concerne cette initiative particulière.

Premièrement, le libellé des dispositions visées est vague et imprécis et ouvre la voie à des sanctions contre les titulaires du DMC qui soient infligées de manière arbitraire.

Deuxièmement, l'emploi éventuel de sanctions relatives au DMC à des fins pénales (par opposition à des fins de sécurité et d'assurance) ajoute un danger supplémentaire pour les personnes ayant prétendument commis une violation. L'ACDM estime qu'il s'agit là d'une utilisation injuste et illégitime du processus d'agrément du personnel.

J'ai aussi souligné dans le mémoire écrit que l'article 149, à l'étude à la Chambre des communes, et qui autorise le ministre à demander une enquête formelle sur un décès s'étant produit à bord d'un navire canadien, pourrait entrer en conflit avec la Loi sur le Bureau canadien d'enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports et, dans tous les cas, ne protège pas adéquatement les témoins contre une éventuelle auto-incrimina tion dans le cas d'un témoignage obligatoire avant la tenue de l'enquête.

L'ACDM ne juge pas que l'harmonisation des méthodes d'application entre les moyens de transport justifie en soi l'introduction d'un système d'application administrative dans l'industrie du transport. Nous ne savons pas si on a procédé à une analyse indépendante du risque et de la gestion du risque pour démontrer que le système d'application existant est inadéquat ou qu'il ne remédie pas aux lacunes sur le plan de la sécurité.

À nouveau, je vous renvoie au mémoire de la Fédération maritime du Canada du 12 juin 2001 qui traite des préoccupations particulières de la Fédération en ce qui concerne les dispositions relatives à l'application, préoccupations que partage de manière générale l'ACDM.

Le deuxième sujet que j'aimerais aborder brièvement est celui de la prévention de la pollution ainsi que la réponse. À l'origine, l'ACDM avait proposé qu'une disposition soit incluse pour empêcher le «risque antérieur» et qu'elle porte que, lorsqu'une infraction est commise en vertu de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, aucune accusation ne puisse être portée pour la même infraction ou aucune action intentée en vertu de toute autre loi.

Le gouvernement n'ayant pas donné suite à cette proposition, l'ACDM désire plus particulièrement commenter les parties qui concernent le chevauchement de la responsabilité criminelle pour la pollution causée par les navires.

L'article 12 du Code criminel dispose qu'un accusé n'est pas susceptible d'être puni plus d'une fois pour la même infraction sans égard au nombre de lois du Parlement en vertu desquelles les poursuites peuvent être engagées. Une protection semblable existe en common law et en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés.

Toutefois, malgré cela, la pollution de l'eau a donné lieu à des accusations en ce qui concerne un cas unique en vertu de plusieurs lois fédérales différentes. Avec l'adoption de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement, en 1999, la liste ne pourra que s'allonger. Actuellement, en plus de la Loi sur la marine marchande du Canada et de la Loi sur la prévention de la pollution des eaux arctiques, l'article 40 de la Loi sur les pêches, ainsi que l'article 13 de la Loi de 1994 sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs, peuvent servir pour porter des accusations de nature pénale.

Des accusations peuvent être portées en vertu de l'une ou l'autre de ces mesures législatives, mais l'ACDM soutient qu'il faudrait une disposition dans le projet de loi C-14 qui donne la priorité aux poursuites engagées en vertu de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada et prévoie que des accusations supplémentaires ne puissent être portées en vertu d'une autre loi fédérale, et qu'il faudrait que la partie 9 soit modifiée en conséquence.

J'ai déjà parlé d'enquêtes sur les causes d'un décès, et il en est traité aux articles 219 et 149. Dans sa forme initiale, l'article 149 obligeait le ministre à enquêter sur les causes de décès si le décès d'une personne se produisait à bord d'un bâtiment canadien. Il était déjà prévu, à l'article 219, que le ministre puisse ordonner une enquête sur les causes de décès à bord d'un navire.

L'ACDM s'inquiète du fait que la nature obligatoire de l'article 149, comme elle est prévue dans l'ébauche de départ, pourrait entrer en conflit avec le mandat du Bureau canadien d'enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports et causer un double emploi dans les travaux d'enquête sur les décès ayant eu lieu à bord des navires situés dans leseaux intérieures, puisqu'il s'agit d'un aspect qui relève de la compétence des coroners provinciaux. L'ACDM a proposé que l'article 149 ne soit pas obligatoire mais facultatif.

Cette recommandation de l'ACDM a été acceptée, en partie, et l'article a été modifié de telle sorte que, maintenant lorsqu'un décès se produit à bord d'un bâtiment canadien, le ministre doit, à l'arrivée du bâtiment à un port au Canada, tenter de déterminer la cause du décès et peut, à cette fin, tenir une enquête. Nous ne sommes pas sûrs pour l'instant que cette mesure pallie tout à fait la possibilité d'un chevauchement des efforts ou d'une incohéren ce avec les dispositions de la Loi sur le Bureau canadien d'enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports, ni ne les élimine.

La présidente: Je crois comprendre que votre grande préoccupation concerne l'introduction de sanctions administrati ves. À ce qu'on dit, si l'on y recourt, c'est qu'elles améliorent davantage la sécurité, et qu'elles semblent avoir donné des résultats dans le secteur aérien. À votre avis, dans le secteur maritime, lesquelles contribueraient davantage à améliorer la sécurité - les sanctions judiciaires ou les sanctions administrati ves proposées?

M. Gould: Je crois que le système actuel est adéquat. Il y a quelques poursuites entamées en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada. La plupart ont trait à des bâtiments ou à des incidents de pollution des sols. Il y a bien sûr quelques autres cas, mais pour la plupart il n'y a pas de poursuites. Nous pensons que cela pourrait entraîner le maintien d'une lourde bureaucratie qui au fond n'aurait peut-être pas grand-chose à faire.

Je ne vois pas l'utilité d'un système de contraventions, où des sanctions administratives sont imposées - et les niveaux sont très élevés. Je ne peux pas entrer dans les détails, mais il me semble que certaines des sanctions sont très lourdes.

La présidente: Les sanctions pourraient faire l'objet d'un appel si on n'était pas satisfait des résultats d'un examen. On pourrait interjeter appel auprès du tribunal des transports dont on propose la création. Cela vous rassurerait-il?

M. Gould: Ce serait du gaspillage, parce qu'on ajouterait une étape supplémentaire. Ce qui nous préoccupe, c'est que certaines de ces sanctions pourraient servir à pénaliser les titulaires de DMC, et d'autres qui doivent continuer à mener leurs affaires.

La présidente: À la page 3, vous nous dites que nous devrons peut-être réexaminer le concept de l'incorporation de normes par renvoi, malgré les difficultés que Transports Canada a connues dans le passé. Que proposez-vous?

M. Gould: Nous avons proposé dans le passé une certaine forme d'examen statutaire périodique pour s'assurer qu'on respecte les intérêts canadiens. Nous ne nous opposons pas nécessairement à ce qui se fait, l'idée étant simplement d'en assurer la vérification.

Il existe des normes internationales en matière de dotation, d'accréditation, par exemple. Quand les normes sont modifiées dans un autre pays et modifiées en conséquence ici, on peut ne pas tenir compte de certains aspects du problème qui sont propres au Canada. C'est ce qui nous préoccupe - nous voulons que les intérêts canadiens soient protégés dans ce processus.

La présidente: Pour l'instant, vous ne vous prononcez pas sur les changements à la Loi dérogatoire sur les conférences maritimes. Vous devez savoir qu'il s'agit de la dernière étape du processus législatif et c'est pourquoi je vous demande si vous voulez vous prononcer sur cette loi dérogatoire de 1987?

M. Gould: Non, à aucune étape. Nous n'avons pas de position sur cette loi.

Le sénateur Callbeck: Monsieur Gould, vous avez parlé de double emploi. Il pourrait y avoir chevauchement des efforts en cas d'enquêtes sur un décès. Vous avez eu de nombreux entretiens avec des hauts fonctionnaires, selon votre mémoire. Que vous ont-ils dit quand vous avez soulevé cette question?

M. Gould: Ils nous ont été reconnaissants de soulever la question, et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle l'article 149 a été modifié à la Chambre des communes. Notre seule objection, c'est que cela semble donner de bons résultats, mais nous ne sommes pas certains qu'il n'y ait pas un risque de chevauchement des compétences étant donné que le ministre peut faire enquête en vertu de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada et qu'une enquête peut aussi être menée par le Bureau canadien d'enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports.

Le sénateur Callbeck: J'aimerais poser une question au sujet du risque antérieur. En vertu du Code criminel, comme vous le disiez, on ne peut juger un contrevenant deux fois pour le même délit. Pouvez-vous m'en donner un exemple?

M. Gould: Il existe un système qui a marché relativement bien pendant de nombreuses années, en ce qui a trait à la prétendue pollution par les hydrocarbures causée par les navires. En vertu de la loi, on peut poursuivre l'exploitant d'un navire, qui doit payer une caution avant d'avoir l'autorisation de quitter le Canada - caution qui équivaut au montant de l'amende que l'on pourrait lui imposer. Récemment, Transports Canada et, si je ne m'abuse, Environnement Canada ont commencé à poursuivre les exploi tants de navires en invoquant la Loi sur la marine marchande du Canada et les règlements régissant la prévention de la pollution par les hydrocarbures, et c'est ainsi que l'on a inculpé le capitaine d'un navire en vertu de la Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs. Or, cela désavantage grandement le capitaine du navire, puisqu'il n'y a pas de disposition garantissant sa sécurité personnelle. De plus, l'infraction dont on l'accuse est la même que celle visant le navire en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada.

Nous croyons que le Canada peut s'appuyer sur l'une ou l'autre loi. Cependant, s'il fallait choisir entre les deux, le gouvernement devrait se fonder sur la Loi sur la marine marchande du Canada. Le cas échéant, c'est cette loi qui devrait prévaloir et on ne devrait pas entamer des poursuites en invoquant d'autres lois. Ce n'est tout simplement pas juste.

Le sénateur Oliver: Sur ce point, je ne sais pas pourquoi vous ne pourriez pas plaider la chose jugée, ou encore pourquoi vous ne pourriez pas invoquer l'article 12 du Code criminel pour montrer que la chose a déjà été jugée. Pourquoi ne pourriez-vous pas le faire?

M. Gould: Je suis d'accord avec vous, monsieur le sénateur. Cela dit, les autorités entament des poursuites simultanément, ce qui se traduit par deux procès parallèles. Il est évident que si l'on est trouvé coupable de l'un des deux chefs d'accusation, on pourrait toujours plaider la chose jugée. Je crois que l'article 12 dispose que l'on ne peut trouver quelqu'un coupable en vertu de deux lois différentes, mais cela n'empêche pas le gouvernement d'intenter des poursuites en invoquant des lois différentes.

Le sénateur Oliver: Sur cette base, ne pourriez-vous pas demander une suspension des poursuites? Si vous obteniez gain de cause, ne pourriez-vous pas alors invoquer l'article 12 et plaider la chose jugée?

M. Gould: À priori, je vous dirais que dans la plupart des cas, c'est le navire lui-même qui fait l'objet de la poursuite en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada. Il se peut que ce soit le propriétaire, une entreprise ou le capitaine dans bien des cas, c'est-à-dire un particulier, qui doive répondre d'un chef d'accusa tion en vertu de la Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs. Dans de telles circonstances, je ne pense pas que l'on puisse demander une suspension.

Le sénateur Oliver: J'ai une autre question à vous poser qui se rapporte à ce qui me semble être votre argument de fond, à savoir l'application de la loi. Si j'ai bien compris, ce qui vous préoccupe principalement, c'est la charge de la preuve. En droit criminel, il faut établir la preuve au-delà de tout doute raisonnable, tandis qu'en droit civil, on se fonde sur la prépondérance des probabilités.

Cependant, le paragraphe 232(2) dispose qu'il incombe au ministre d'établir la preuve selon la prépondérance des probabilités. Les tribunaux ont interprété la prépondérance des probabilités comme voulant dire «prépondérance de preuves crédibles».

Par conséquent, si le ministère peut établir une prépondérance de preuves crédibles, en quoi cela pourrait-il vous porter préjudice? C'est un fardeau assez élevé en soi. En d'autres mots, les autorités ne pourront pas inventer des preuves ou intenter des poursuites pour le plaisir de le faire.

M. Gould: Je partage votre avis. Il est évident que la prépondérance de preuves crédibles est le critère suprême. À mon avis, cela vaut bien mieux que de croire à 50 p. 100 en la véracité des faits attestés.

Toutefois, en droit criminel, la preuve doit être établie au-delà de tout doute raisonnable. En effet, tous les éléments de preuve se rapportant à l'infraction doivent être établis au-delà de tout doute raisonnable. Dans ce sens, je vous dirais qu'il y a une grande distinction à faire entre les différents types de fardeaux de la preuve.

Un fardeau de la preuve qui exige d'établir tous les faits au-delà de tout doute raisonnable est nettement supérieur au principe de la prépondérance de preuves crédibles.

Le sénateur Oliver: L'article 232 dispose que l'on ne peut contraindre une personne à témoigner, mais s'il faut établir un critère, on peut envisager une abrogation ou un examen sur demande. C'est dire que toutes les mesures de protection juridiques normales sont déjà prévues. Si la décision vous déplaît, vous pouvez toujours demander un examen.

Vous dites, plus loin dans votre mémoire, ignorer s'il y aura une procédure d'examen parce que celle-ci sera probablement établie par voie réglementaire, et vous ne savez pas la forme que prendra le règlement. Cependant, on connaît la forme que prend un règlement qu'une fois la loi adoptée.

Vous aurez l'occasion de parler du règlement plus tard. Si la loi elle-même autorise un examen, en quoi est-ce une mauvaise chose?

M. Gould: Il n'y a rien de mal à ce que la loi autorise un examen. Cependant, il appartient au ministre de décider à quel moment il se fera. Vous pouvez dire que nous allons intenter des poursuites contre ces personnes, mais il faudra prouver ces accusations au-delà de tout doute raisonnable. Pourquoi ne pas procéder tout simplement par voie administrative où l'on ne doit établir la culpabilité que selon la prépondérance des probabilités?

J'affirme pour ma part que cela est contraire à la façon dont on devrait procéder. Il faut appliquer au processus administratif le même fardeau de la preuve qu'aux poursuites elles-mêmes.

Le sénateur Oliver: Si j'ai bien compris votre mémoire et votre exposés, votre objection n'est pas sérieuse au point d'exiger un amendement au projet de loi? Vous ne faites que signaler votre préoccupation au gouvernement. Le gouvernement aurait un petit avantage s'il n'était pas obligé de prouver la culpabilité au-delà de tout doute raisonnable.

M. Gould: Je répète simplement les préoccupations que m'ont exprimées les membres de mon organisation, notamment nos associations membres.

Le sénateur Oliver: Mais vous ne demandez pas d'amendement ou quelque chose du genre?

M. Gould: Je ne le pourrais pas. Je dis simplement qu'il faut tenir compte de cela.

Le sénateur Oliver: Y a-t-il autre chose à votre avis que le comité devrait savoir, outre les trois points que vous soulevez dans votre mémoire? Avez-vous quelque chose à dire au sujet de la réforme de la loi?

M. Gould: Pas pour le moment. L'examen de cette loi a été exhaustif. Même dans les cas où il y a eu omission par erreur, on a corrigé le texte de loi. L'exercice a été bon, et je crois qu'on se retrouve essentiellement avec une très bonne loi.

Le sénateur Kenny: Monsieur, j'ai une question au sujet du respect de la loi. À votre avis, qui doit porter des accusations?

M. Gould: Transports Canada.

Le sénateur Kenny: Qui à Transports Canada?

M. Gould: Le ministère a des inspecteurs et des enquêteurs, qui sont nommés en vertu de la loi, et ces personnes peuvent procéder à des inspections et porter des accusations.

Le sénateur Kenny: Ce n'est pas une fonction de police?

M. Gould: Non, c'est une fonction administrative.

La présidente: Y a-t-il d'autres questions, chers collègues? Non?

Nos prochains témoins sont de l'Association des transitaires internationaux canadiens, Inc.: M. Tony Young en est le président, et M. H. J. Kuhn le directeur général.

Nous avons tous le texte du mémoire de l'association. Nous allons vous écouter, après quoi les sénateurs vont vous poser des questions.

M. H.J. (George) Kuhn, directeur général, Association des transitaires internationaux canadiens, Inc.: Merci de nous avoir invités ce soir. Nous sommes heureux de pouvoir faire valoir le point de vue de l'Association des transitaires internationaux canadiens.

Comme vous l'avez dit, madame la présidente, Tony Young m'accompagne. Il est le président de notre comité du fret maritime. Je suis le directeur général de l'Association.

Il y a une bonne quarantaine d'années que je suis dans cette industrie. J'ai fait mes débuts en Suisse. J'ai poursuivi ma carrière en Angleterre, puis en France, puis ailleurs en Europe, puis à Tokyo, et j'ai fini par m'établir au Canada. Comme vous voyez, j'ai tellement aimé ce pays que j'ai pris la nationalité canadienne et je n'ai plus bougé depuis. Mesdames et messieurs, je dois dire que j'adore ce pays.

Notre association regroupe un peu plus de 150 entreprises membres de même qu'une centaine de membres associés. Il s'agit de nos fournisseurs. Nos entreprises membres ont environ 500 bureaux répartis d'un océan à l'autre.

Certains d'entre vous se demandent peut-être ce qu'est un transitaire international. Nous offrons nos services dans chacun des modes de transport, soit le transport routier, ferroviaire, aérien et maritime. Dans un certain sens, nos transitaires sont des spécialistes des divers modes de transport.

Nous offrons des services transmodaux et certainement aussi transfrontaliers étant donné que nos activités couvrent, quotidien nement, le monde entier. Nous sommes au service des exporta teurs et des importateurs canadiens qui veulent expédier leurs marchandises vers des marchés étrangers ou en faire venir jusqu'au marché canadien. Nous connaissons bien le monde entier et nous sommes également associés de très près à tous les organismes internationaux qui réglementent le transport au niveau international.

Madame la présidente, nous savons que bien des choses ont changé dans le secteur du commerce maritime depuis 1987, année où la loi actuelle est entrée en vigueur. Les compagnies maritimes ont pris de l'expansion, offrant une capacité de plus en plus grande et une fréquence de service accrue. Notre industrie a connu une croissance parallèle. En 1997, notre association comptait une centaine de membres. Elle en regroupe aujourd'hui plus de 150.

Bien que notre association ne tienne pas de statistiques sur les revenus de ses membres ou sur le tonnage qui passe entre leurs mains, nous estimons que leur activité compte pour un plus fort pourcentage des dépenses consacrées au transport au Canada qu'en 1987 et que cette tendance va en accentuant.

Depuis les années 90, bon nombre de nos membres ont élargi leur gamme de services au-delà du transport multimodal pour se lancer dans des services d'entreposage et de distribution - ce qu'on appelle la logistique et la gestion de la chaîne d'approvisionnement. Vous avez tous entendu dire qu'une bonne gestion de la chaîne d'approvisionnement améliore la compétitivité et confère à l'entreprise un avantage sur ses concurrents.

Néanmoins, de nombreuses entreprises n'ont pas nécessaire ment l'envergure ou les moyens de gérer une chaîne d'approvi sionnement. Le transitaire international est donc l'intermédiaire idéal pour les importateurs ou exportateurs canadiens de petite ou moyenne taille. Cela permet une meilleure gestion de la chaîne d'approvisionnement.

Non seulement nous répondons aux besoins des importateurs et exportateurs canadiens sur le plan du transport, mais nous nous occupons également de leurs stocks, ce qui leur permet de réduire leurs coûteuses opérations d'entreposage, d'améliorer considéra blement l'efficacité de leur distribution et de diminuer sensible ment le coût de leurs produits.

Nos membres jouent un rôle crucial dans l'industrie; en réalité, nous sommes des partenaires stratégiques des fabricants, des importateurs, des exportateurs et des compagnies maritimes. L'évolution récente du secteur de la logistique n'est pas propre au Canada. Elle s'inscrit dans une tendance mondiale puisque bon nombre de nos membres font partie de sociétés internationales.

À titre de transporteurs multimodaux, nous achetons des services de transport modal; il est donc naturel que nous soyons constamment à la recherche de prix intéressants afin de demeurer concurrentiels et de réaliser des bénéfices.

D'un autre côté, à titre de fournisseurs de services de transport aux expéditeurs canadiens, nous avons besoin d'un bon choix de services fiables dans les divers modes, à savoir le transport routier, ferroviaire, aérien et maritime.

Néanmoins, il ne peut y avoir de services modaux de bonne qualité que si les exploitants de ces services sont en mesure de réaliser des recettes suffisantes pour moderniser et entretenir leurs flottes et leurs parcs de véhicules. Comme on dit, nous nous trouvons pris entre l'arbre et l'écorce.

Quand on regarde ce qui s'est passé ces vingt dernières années dans les secteurs du transport aérien et du camionnage, entièrement déréglementés, on constate que, bien que les tarifs marchandises aient légèrement diminué, le niveau de service et le choix des transporteurs se sont également détériorés à mesure que les plus gros ont chassé les plus petits à la suite de fusions, d'acquisitions ou de faillites, comme le veut la loi de la jungle.

Nous ne croyons toutefois pas qu'il y a une corrélation entre la réglementation de l'industrie et la qualité des services. À notre avis, la réponse se situe quelque part entre une déréglementation complète et un environnement réglementé.

En ce qui concerne plus particulièrement le transport maritime de ligne, nous estimons que ce secteur doit continuer à bénéficier d'une exemption de dispositions antitrust. Comme la création d'une compagnie internationale d'expédition par conteneurreprésente un investissement de plusieurs centaines demillions - sinon de milliards - de dollars, ce n'est pas un secteur où de nouvelles entreprises et de nouveaux navires apparaissent et disparaissent en fonction de l'offre et de la demande.

Comme nous l'avons vu dans l'industrie du transport aérien, un environnement tout à fait libre et entièrement déréglementé entraînerait à coup sûr, à notre avis, un déclin des prix à court terme, mais produirait à long terme une détérioration des services, une diminution du choix de services et, inévitablement, une augmentation des prix lorsque seules quelques entreprises plus fortes que les autres auraient réussi à survivre.

Cela ne veut pas dire pour autant qu'un cartel exempté des dispositions antitrust aurait carte blanche pour imposer ouverte ment aux expéditeurs tous les frais qu'il voudrait sous la protection de la loi. Depuis l'entrée en vigueur de la LDCM en 1987, nous avons assisté à une baisse continue des prix, et en même temps à une hausse de la capacité dans le commerce transpacifique, où la conférence de fret traditionnelle s'est transformée en «groupe de discussion». La désintégration de cette conférence de fret transpacifique résultait elle-même des forces de la concurrence, en raison de la surcapacité qui existait malgré l'exemption des dispositions antitrust.

Cela démontre de façon empirique que la force naturelle de la concurrence ne disparaît pas du simple fait de l'exemption des dispositions antitrust. Il y a de la concurrence même parmi les membres d'un cartel.

Ce groupe de discussion, baptisé «Transpacific Stabilization Agreement», ne fixe pas de taux pour des produits spécifiques, mais suggère certains niveaux et certains moments pour l'adoption d'augmentations générales, de suppléments et de réductions volontaires de la capacité. Les différents transporteurs membres de ce groupe de discussion sont libres de conclure des contrats d'exclusivité limitée privés et confidentiels avec des expéditeurs et des transitaires.

En fait, le but est de garantir une certaine marge bénéficiaire aux transporteurs membres afin d'assurer leur survie collective dans le secteur de l'expédition par conteneurs, tout en permettant la libre concurrence jusqu'à un certain point. À notre avis, ce mécanisme d'application volontaire s'est révélé avantageux pour toutes les parties en cause.

Du côté de l'Atlantique Nord et de la Méditerranée, cependant, les conférences de fret ont tenu bon sous le régime de la LDCM. Elles fixent des taux spécifiques pour chaque produit, et les contrats d'exclusivité limitée ne sont possibles qu'avec l'ensem ble de la conférence, et non avec les transporteurs eux-mêmes. La libre concurrence est donc restreinte puisque les taux contractuels sont connus de tous les membres de la conférence, ainsi que des expéditeurs du produit touché.

Nous croyons que si les conférences canadiennes dans le secteur du commerce transatlantique ne se sont pas désintégrées sous la pression du marché, comme elles l'ont fait dans le cas du commerce transpacifique, c'est parce que le nombre des transporteurs est relativement limité, que les navires sont plus petits et que le marché américain n'exerce pas une influence directe dans cette zone.

La Ocean Shipping Reform Act adoptée par les États-Unis en 1998 a changé tout cela. Elle visait notamment à satisfaire les intérêts intérieurs américains afin de faire en sorte que les marchandises américaines, surtout en provenance du Midwest, continuent à transiter par des ports américains plutôt que par le port de Montréal, mais elle ne semble pas avoir été très efficace à cet égard.

Cependant, la loi en question accorde actuellement aux expéditeurs américains un net avantage sur les expéditeurs canadiens d'un même produit parce qu'elle leur permet de conclure des contrats d'exclusivité limitée privés et confidentiels avec des transporteurs, ce qui n'est pas le cas des expéditeurs canadiens.

En outre, cette loi contient des dispositions extraterritoriales qui permettent aux expéditeurs américains de conclure avec des transporteurs des contrats d'exclusivité limitée confidentiels concernant des marchandises qui transitent par des ports américains en provenance ou à destination du Canada, et même des envois entre deux pays étrangers qui ne passent pas par un port américain ou qui ne contiennent pas des produits américains.

Nous l'avons fait remarquer dans le mémoire que nous avons soumis à Transports Canada en 1999, et d'ailleurs, cette pratique extraterritoriale tout à fait contraire à notre LDCM a été confirmée dans le rapport provisoire déposé par la Federal Maritime Commission (FMC) en juin 2000, et publié sur son site Web.

Dans ce même rapport, la FMC indique que plus de 46 000 nouveaux contrats d'exclusivité limitée ont été conclus avant mai 2000, un an après l'entrée en vigueur de la loi américaine. La FMC a également souligné que ces contrats d'exclusivité limitée n'étaient pas tous entièrement privés et confidentiels. Le degré de confidentialité allait de la divulgation volontaire à la confidentiali té totale, en passant par la divulgation partielle, en fonction des conditions du contrat.

Comme nous l'avons déjà dit, l'ATIC a présenté un mémoire à Transports Canada en août 1999. Dans notre énoncé de position, nous nous sommes dits d'accord avec l'option 4 présentée par Transports Canada, que nous sommes heureux de voir aboutir dans le projet de loi à l'étude. Nous sommes cependant déçus que le terme «expéditeur», qui n'est pas défini dans la loi en vigueur, ne le soit toujours pas dans le projet de loi. Aux États-Unis, en vertu de l'OSRA, ce terme est défini de façon précise et inclut les intermédiaires qui agissent en leur propre nom.

Comme nous l'avons indiqué dès le départ, les transitaires sont en fait des «expéditeurs» pour les transporteurs de conférence lorsqu'ils concluent des contrats en leur propre nom, et pourtant, certains transporteurs ont adopté une définition arbitraire du terme «expéditeur», pour désigner les parties ayant des intérêts bénéficiaires concernant les marchandises - autrement dit, les propriétaires des marchandises -, ce qui nie aux transitaires le droit de conclure des contrats d'exclusivité limitée pour des marchandises spécifiques.

Nous demandons respectueusement, encore une fois, que le terme «expéditeur» - ou «chargeur» - soit défini dans la LDCM; nous sommes d'avis que la définition suivante, contenue à l'annexe 4 (Règles de Hambourg) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime adoptée récemment, serait appropriée:

«Le terme «chargeur» désigne toute personne par laquelle ou au nom de laquelle ou pour le compte de laquelle un contrat de transport de marchandises par mer a été conclu avec un transporteur et doit s'entendre généralement de toute personne par laquelle ou au nom de laquelle ou pour le compte de laquelle ces marchandises sont effectivement remises au transporteur en relation avec le contrat de transport par mer.»

C'est la définition des Règles de Hambourg, et nous aimerions qu'elle soit intégrée à la loi.

Si la loi reconnaît que les transitaires sont des expéditeurs, nos membres pourront négocier individuellement des contrats d'ex clusivité limitée avec des membres d'une conférence maritime. Les intérêts des petits et moyens exportateurs et importateurs seront ainsi protégés contre le poids commercial des grandes compagnies maritimes multinationales parce que le transitaire aura combiné le volume des différentes PME afin de négocier un tarif plus avantageux pour elles. Autrement, les petits expéditeurs laissés à eux-mêmes pourraient être désavantagés par rapport aux plus gros. Aux États-Unis, l'OSRA contient une disposition de ce genre pour protéger les petits expéditeurs.

Comme nous le savons, les petites entreprises sont l'âme de notre pays et de notre économie. M. Young et moi-même aurions aimé que soit incluse une définition de l'expéditeur.

Pour conclure, madame la présidente, l'Association des transitaires internationaux canadiens félicite Transports Canada et le gouvernement d'avoir joué un rôle proactif pour assurer la compétitivité du Canada dans le secteur du transport maritime international, ainsi que le bien-être de l'industrie canadienne dans ce domaine. Nous demandons respectueusement au gouvernement de ne pas négliger dans le processus législatif le bien-être des transitaires canadiens, qui sont tout aussi essentiels au commerce extérieur du Canada. Nous remercions les membres du comité permanent d'avoir écouté notre présentation et nous voulons ajouter qu'en définitive, nous sommes favorables à l'adoption de ce projet de loi.

La présidente: Vous êtes favorable au maintien de l'exemption des dispositions antitrust, mais vous voulez que les expéditeurs puissent conclure des contrats confidentiels avec les transporteurs. C'est bien exact?

M. Kuhn: Puis-je soumettre cette question à M. Young?

M. Tony Young, président, Comité sur le transport maritime, Association des transitaires internationaux cana diens, Inc.: Je signale que je suis vice-président de l'Association des transitaires internationaux canadiens et président du Comité du fret maritime.

Pour répondre à votre question, nous sommes heureux de voir que le projet de loi C-14 reprend des dispositions de l'OSRA. On croit à tort que cette loi assure la confidentialité totale de tous les contrats d'exclusivité limitée. En fait, ce n'est pas le cas. Elle la permet, mais elle n'oblige pas les parties à assurer une confidentialité totale des termes du contrat.

Selon notre analyse, le projet de loi C-14 permet la même chose puisque si les parties le souhaitent, elles peuvent divulguer des détails du contrat. Nous pensons que c'est une disposition importante dans le contexte de l'exemption des dispositions antitrust accordée à l'industrie du commerce maritime. Si on impose la confidentialité obligatoire, il n'y a plus d'exemption, car chaque transporteur va savoir ce que font les autres. On aura donc essentiellement une situation de libre-échange soumise à la concurrence.

La possibilité d'accorder la confidentialité permettra aux transporteurs de divulguer le contenu de certaines expéditions dans des secteurs sensibles. Par exemple, si un certain pourcenta ge des navires d'un transporteur transporte un produit particulier, il ne peut pas se permettre de le perdre, car sinon, tout ce volume ira à un autre transporteur; il va donc y avoir une lutte concurrentielle qui va faire baisser les tarifs au détriment de tous les transporteurs. Nous pensons qu'il est important que la confidentialité soit facultative, et non pas obligatoire.

La présidente: D'après votre analyse des avantages de la concurrence dans le commerce du Pacifique, seriez-vous favora bles à l'inclusion dans le projet de loi d'une clause de temporarisation concernant l'exemption des dispositions antitrust, qui fixerait une date ou une période d'un certain nombre d'années à la fin de laquelle l'exemption expirerait automatiquement?

M. Young: Madame la présidente, si on ajoute une clause de temporarisation mais que la situation reste la même et que l'exemption soit reconduite tous les 10 ans, cela me convient. En revanche, s'il s'agit d'une disposition de temporarisation définiti ve, j'estime que le Canada devrait plutôt agir de concert avec le reste du monde. Nous considérons qu'il ne faut pas éliminer cette exemption dans un pays si elle persiste dans les autres. Le fret peut être expédié en port payé ou en port dû et si le Canada exclut l'exemption des dispositions antitrust, tout devra être expédié en port payé. Par conséquent, les acheteurs canadiens n'auront aucune idée du coût du fret, car il sera intégré au prix. La question ne peut se régler que dans une tribune internationale, éventuelle ment grâce à une conférence diplomatique. Aucun pays ne peut prendre une telle décision à lui seul. Il faudrait confier la question à l'OACD, qui s'occupe des intérêts des expéditeurs. À notre connaissance, la plupart des pays restent favorables à un certain niveau d'exemption.

La présidente: Vous avez signalé à Transports Canada l'extraterritorialité de la Ocean Shipping Reform Act américaine. Quelle a été la réaction du ministère?

M. Young: Lors de la promulgation de cette loi, nous en avons étudié soigneusement les dispositions et bien qu'elle ne relève pas directement de la loi, la FMC en a interprété l'application. En réponse aux demandes de certains expéditeurs, la FMC a confirmé que les expéditeurs peuvent effectivement inclure dans un contrat des marchandises d'origine autre qu'américaine. C'est ce qu'on appelle la «disposition de contrat d'exclusivité limitée mondial». Nous avons considéré le rapport provisoire de la FMC après un an d'application de la loi et la commission a confirmé que certains expéditeurs s'en sont prévalus.

Cela signifie qu'un contrat peut comporter une destination autre qu'américaine et des marchandises autres qu'américaines, c'est-à- dire des marchandises provenant de n'importe quel pays. Et ces marchandises s'ajoutent au volume provenant des États-Unis. Quand la loi américaine a été promulguée, nous y avons donc vu une menace potentielle pour le Canada. Même si le Canada maintient ses conférences, elles peuvent être mises en échec par les dispositions de contrat d'exclusivité limitée mondial des États-Unis. Nous considérons que c'est une application extraterri toriale de la loi américaine qui prend préséance sur la loi canadienne.

Cependant, je crois que le projet de loi C-14 règle cette question.

La présidente: Pouvez-vous donner des détails sur vos préoccupations concernant les exceptions relatives aux contrats d'exclusivité limitée, que vous évoquez dans votre paragraphe 4, sous-paragraphe 3.1?

M. Young: Madame la présidente, nous avons publié prématu rément et de façon trop hâtive un exemplaire de notre projet de déclaration. Nous ne voulons pas demander des changements qui risqueraient de retarder l'adoption du projet de loi, dont nous sommes tout à fait satisfaits. Nous considérons que c'est une question mineure, car la loi ne précisera pas tous ces détails et c'est aux tribunaux commerciaux, en cas de conflit entre un expéditeur et un transporteur sur les dispositions d'un contrat d'exclusivité limitée confidentiel ou privé, de se prononcer à ce sujet.

Dans notre document, nous disions souhaiter davantage de détails comme on en trouve dans la loi américaine en ce qui concerne l'identité de l'intermédiaire et les mesures qu'il peut prendre. Nous avons eu l'impression que nous pouvions deman der des changements, mais nous ne souhaitons pas le faire actuellement.

Nous allons émettre un rectificatif et je demande au comité de ne pas tenir compte de ce document, et de s'en tenir à notre témoignage.

La présidente: C'est pour cela que je tenais à obtenir une réponse de vous.

Le sénateur Oliver: Je voudrais reprendre les questions de madame la présidente concernant les expéditeurs. Je sais que vous vous êtes déjà adressés à Transports Canada. Avez-vous comparu devant le comité de la Chambre des communes?

M. Young: Non.

M. Kuhn: Non. Nous n'avons malheureusement pas été invités à le faire.

Le sénateur Oliver: Par conséquent, ce n'est que devant ce comité que vous avez pu exprimer votre préoccupation du fait qu'on ne trouve nulle part dans la loi une définition du terme «expéditeurs», n'est-ce pas?

M. Young: Oui. Nous avons demandé des explications à cet égard à Transports Canada et on nous a répondu que la loi ne définissait pas le terme «expéditeur». Nous nous sommes donc dits qu'il nous fallait ouvrir le dictionnaire pour voir ce qu'il en était. On y lit qu'«expéditeur» s'entend de la personne qui expédie.

Le sénateur Oliver: Il n'est pas question d'intermédiaire.

M. Young: À la lumière de cette définition, chacun d'entre nous fera de son mieux. Si la conférence devenait un groupe de discussion, tout se passerait probablement comme pour le commerce transpacifique actuellement où la définition de «expé diteur» n'est pas remise en question. Pour nous, la question n'est pas résolue.

Le sénateur Oliver: Même si vous avez soulevé la question, je comprends que vous ne vouliez pas que cela retarde le processus.

M. Kuhn: C'est juste.

Le sénateur Callbeck: Madame la présidente, j'aimerais poser une question au sujet de la définition du terme «expéditeur». D'après vous, le fait que la loi ne définisse pas ce terme empêche les transitaires de conclure des contrats pour l'acheminement de certains produits. De quels produits s'agit-il?

M. Young: Pour ce qui est du commerce en Extrême-Orient, les transitaires dominent le transport multimodal. Il s'agit surtout de produits d'importation comme les vêtements, la chaussure, les jouets et l'électronique. Presque tous les produits que nous achetons sont acheminés par des transitaires.

Les transitaires acheminent les marchandises par différents modes de transport sous un même contrat. Le transitaire est chargé d'acheminer des centaines de conteneurs remplis du même type de marchandise et il négocie à cet égard un prix de transport avec le transporteur de son choix.

Le sénateur Gustafson: Je me trouve à près de 1 500 milles de l'eau tant du côté Est que du côté Ouest. Je dois payer des tarifs élevés pour le transport des céréales. Vous avez dit à un moment donné que les prix étaient établis d'avance. Les prix pour le transport des céréales ou du pétrole, par exemple, ne sont-ils pas le résultat des forces du marché?

M. Kuhn: Il ne fait aucun doute dans mon esprit que ce sont les forces du marché qui déterminent le prix du transport de produits en vrac comme les céréales. C'est essentiellement une question d'offre et de demande. Les événements politiques ainsi que certaines négociations peuvent certainement avoir une incidence sur les prix et expliquer certaines anomalies temporai res. De façon générale, cependant, les prix reflètent les forces du marché.

Le sénateur Gustafson: Le transport d'un produit comme le pétrole présente des risques pour l'environnement. Demandez- vous davantage pour transporter du pétrole que des céréales?

M. Kuhn: Nous n'exploitons pas de navires. Le pétrole, par exemple, est un produit qui est acheminé par des navires commerciaux et non pas par des navires de ligne. Il s'agit d'un produit qui est transporté par une flotte interne. Les sociétés Exxon et Shell possèdent leurs propres navires de transport. Le prix du transport du pétrole n'est donc pas vraiment établi par le marché.

D'autres sociétés, et notamment les petites sociétés, nolisent des bateaux entiers pour transporter le pétrole. À l'échelle internationale, on a recours à des contrats d'affrètement à temps et à des contrats d'affrètement au voyage. Dans ces cas, les taux commerciaux ne s'appliquent pas.

Le sénateur Kenny: Ne prélève-t-on pas une certaine somme par baril dans le cas du transport du pétrole pour défrayer le coût des déversements? Une loi en ce sens n'existe-t-elle pas depuis un certain temps?

M. Kuhn: Je l'ignore. C'est une très bonne question.

M. Young: Les transitaires ne transportent pas de pétrole.

Le sénateur Gustafson: Cette question n'est-elle pas abordée dans le projet de loi?

M. Kuhn: Non.

Le sénateur Kenny: Ce prélèvement existe. Je ne vous ai pas entendu parler d'un prélèvement lorsque vous avez répondu à la question portant sur ce qui distinguait le transport des céréales du transport du pétrole.

M. Young: Nous ne transportons pas habituellement de marchandises en vrac. Nous transportons surtout des conteneurs. C'est ce que nous appelons le transport multimodal.

Le sénateur Gustafson: J'aimerais faire une observation. Les producteurs de céréales doivent accepter les prix qui leur sont demandés parce que ce ne sont pas eux qui les fixent. Voilà qui explique que nous subissions parfois des pertes.

Le sénateur LaPierre: À la page 2 de votre exposé, vous parlez de la loi de la jungle qui règne depuis 20 ans dans les industries du transport aérien et du camionnage en raison de leur déréglementation totale. Vous ajoutez ensuite que vous ne pensez pas qu'il y ait une corrélation entre la réglementation de l'industrie et la qualité des services.

Par conséquent, la solution se situe donc entre la déréglementa tion totale et la réglementation. La réglementation est donc nécessaire mais pas dans tous les cas. Faut-il comprendre que vous voulez gagner sur tous les plans?

M. Kuhn: Nous craignions que vous nous demandiez des précisions à cet égard.

M. Young: On a vu ce que donne la déréglementation totale de l'industrie du camionnage l'été dernier. L'acheminement des marchandises vers le port de Montréal a été perturbé en raison du mécontentement des propriétaires-exploitants. Au départ, ils étaient enchantés de devenir une entreprise de camionnage du jour au lendemain du simple fait qu'ils possédaient un camion. Les propriétaires-exploitants ont cependant dû ensuite conclure la meilleure entente possible avec leurs clients dont certains préféraient un prix par chargement plutôt qu'un prix à l'heure.

Un goulot d'étranglement s'est produit parce que l'économie tournait à plein et que le nombre de conteneurs augmentait pendant que le port demeurait le même. Le propriétaire-exploitant d'une entreprise de camionnage ne pouvait pas survivre lorsqu'il demandait 150 $ pour acheminer des marchandises vers le port de Montréal et qu'il devait faire la file pendant quatre heures. Voilà donc pourquoi nous pensons que la déréglementation totale n'est pas nécessairement une bonne chose.

Par ailleurs, il y a 30 ans, les bureaux des tarifs établissaient des tarifs qui variaient beaucoup. L'industrie du camionnage était tellement rentable qu'on ne voulait pas permettre à d'autres personnes de s'y lancer. On contrôlait alors l'offre pour maintenir les prix à un haut niveau.

Nous pensons que la solution est de permettre la libre concurrence tout en prévoyant certaines restrictions lorsque cette libre concurrence risque d'être nocive. Par comparaison, la liberté de négocier un contrat doit être assurée dans le projet de loi C-14, mais les transporteurs ne devraient pas être exemptés des dispositions antitrust, car ils devraient discuter entre eux avant de causer leur perte réciproque.

Bon nombre d'entre nous - les transitaires, par exemple - n'ont pas la possibilité de le faire. Si je discute avec un concurrent des prix qui devraient s'appliquer sur le marché, on parlera de «fixation de prix». Or, nous n'avons pas non plus investi des centaines de millions de dollars. À notre avis, le projet de loi propose donc un bon équilibre.

Le sénateur LaPierre: Vous ne possédez pas de navires, de camions, de trains ni d'avions. Vous êtes un agent. Si je veux expédier 100 millions de livres des Débats de la Chambre des communes, je recrute vos services comme agent et vous trouvez un avion pour en assurer le transport. Est-ce bien ce que vous faites?

M. Young: Nous ne sommes pas ce genre d'agents. Les transitaires négocient simplement un accord entre le transporteur et l'expéditeur.

Le sénateur LaPierre: Je vois.

M. Young: De plus en plus, les transitaires jouent le rôle de transporteur, de sorte que l'expéditeur qui veut acheminer des produits vers une destination éloignée n'a pas à s'adresser à tous les transporteurs pour connaître quels sont leurs prix. Il communique avec une entreprise - un transitaire - qui trouvera un transporteur qui acheminera les produits au prix convenu. Par l'intermédiaire de son réseau d'agents, il accorde ensuite des sous-contrats aux différents types de transporteurs, soit aux entreprises de transport ferroviaire, de camionnage ou de transport maritime.

Le sénateur LaPierre: Finalement, mon chargement arrive à destination.

Le sénateur Oliver: Ils placent aussi les chargements dans des entrepôts et des centres de distribution.

M. Young: Le sénateur Oliver a raison. Nous ne possédons pas les modes de transport, mais nous possédons des entrepôts ou des centres de distribution.

Le sénateur LaPierre: Je vois. J'ai toujours été fasciné de voir à quel point ceux qui croient fermement à la libre entreprise et àla concurrence font tout ce qu'ils peuvent pour limiter la concurrence et créer des cartels. Comment la libre entreprise peut-elle survivre dans ces conditions? Vous voulez maintenant que les cartels comprennent les expéditeurs. Peut-on parler de libre entreprise?

M. Young: Je suis heureux que vous ayez soulevé la question, sénateur LaPierre. Notre industrie se compose de petites et de moyennes entreprises qui jouent le rôle de transporteurs. Nous traitons avec des transporteurs appartenant à des multinationales, et nous traitons directement avec l'expéditeur, l'importateur ou l'exportateur. Nous offrons un service essentiel et nous sommes considérés comme des professionnels.

Bien que les transporteurs eux-mêmes concentrent de plus en plus leurs activités, c'est nous qui négocions les ententes. Malheureusement, la concurrence est vive et les entreprises qui composent notre industrie détruisent littéralement le marché afin de survivre. Nous nous égorgeons les uns les autres.

Je répète que les lignes de navigation peuvent établir un prix plancher. Dans notre industrie, nous ne pouvons pas le faire. Pour des raisons tout à fait absurdes, il y a des gens qui sont prêts pour attirer un client à lui offrir un prix inférieur au prix coûtant. Il y a un effet d'entraînement lorsque toutes les entreprises sont prêtes à le faire.

Des pressions s'exercent alors sur les fournisseurs de services. Nous devons ensuite demander aux lignes de navigation de réduire leurs prix. Le même effet d'entraînement se produitdans leur secteur à mesure que des quantités importantes de marchandises passent d'un transporteur à un autre et que les transporteurs s'empressent de demeurer concurrentiels.

Nous ne demandons pas le droit de créer des cartels, mais ce genre de problème se pose et la loi de la jungle règne également dans notre industrie. Des entreprises disparaissent tous les jours.

Le sénateur LaPierre: N'est-ce pas ce qu'on appelle la libre entreprise?

M. Young: C'est la libre entreprise et c'est aussi ce qui protège l'expéditeur. S'il existait une collusion entre les lignes de navigation et nous, nous deviendrions comme des courtiers et nous n'aurions pas à assumer des risques. En assumant des risques, nous ne sommes pas exemptés de l'application des dispositions antitrust. Dans la plupart des cas, les expéditeurs traitent avec des membres de notre industrie. Ils profitent donc de la protection qu'assure la libre entreprise parce que nous agissons comme rempart.

Le sénateur LaPierre: Si la loi comportait une définition du terme «expéditeur», vous pourriez alors créer tous les cartels que vous souhaitez, n'est-ce pas?

M. Young: Non, monsieur. Nous pourrons simplement alors négocier avec les lignes de navigation à titre de clients. Par le passé, elles nous considéraient comme des agents. En fait, nous étions autrefois de simples agents. Nous étions des agents pour elles. À cette époque, l'«agent» préparait simplement les documents. C'était ce qu'était un «transitaire».

Avec l'avènement des transports modaux - lorsqu'il s'est agi d'acheminer les marchandises du point A au point B par l'intermédiaire de différents modes de transport -, quelqu'un a bien dû prendre le risque d'établir un contrat global. Le transitaire est alors devenu un «transporteur» en vertu de la loi. Les tribunaux ne permettent plus que les transitaires soient considérés comme des agents et les considèrent plutôt comme des transporteurs puisqu'ils agissent comme des transporteurs. Contrairement aux lignes de navigation, nous ne sommes cependant pas exemptés de l'application des dispositions antitrust.

On peut donc dire que les expéditeurs jouissent d'une protection, dans ce sens.

Le sénateur LaPierre: Compte tenu des événements tragiques qui se sont produits la semaine dernière, il est beaucoup question maintenant de sécurité. Dans quelle mesure vos entrepôts et vos conteneurs sont-ils vulnérables à des actes de terrorisme? Avez-vous discuté de la question avec les autorités compétentes? Vous considérez-vous comme vulnérables? Comment prévenir les actes de terrorisme?

M. Kuhn: Oui, nous nous sentons vulnérables et nous prenons le problème extrêmement au sérieux.

Toutes nos compagnies membres me bombardent de questions sur la sécurité. Comment allons-nous nous protéger? Comment allons-nous nous assurer qu'il ne se passera rien dans nos activités? N'oublions pas que chaque mode de transport a ses problèmes particuliers. Évidemment, nous sommes préoccupés au premier chef par la mer et le transport aérien, car ce sont nos domaines d'activité les plus importants.

Le sénateur LaPierre: Je me préoccupe de vos conteneurs, vos entrepôts, vos navires, etc.

M. Kuhn: Nous avons eu dans le passé des problèmes de trafic de drogues par exemple. On pourrait avoir le même problème avec d'autres choses introduites illégalement.

Nous avons eu des problèmes avec des expéditeurs qui faisaient une fausse déclaration sur leurs marchandises qui étaient expédiées en groupage et importées ainsi de façon illégale. C'est par la GRC que nous l'avons appris. Ce sont ses agents qui essaient de s'occuper du problème.

Dans le domaine du transport aérien, par exemple, plusieurs compagnies ont adopté la règle des 36 heures. Elles n'acceptent pas de marchandises d'expéditeurs qu'elles ne connaissent pas, elles nous recommandent de faire la même chose.

Il y a aussi des compagnies aériennes comme Lufthansa qui demandent aux expéditeurs de signer une déclaration dans laquelle ils disent qu'ils ont détenu les marchandises pendant 36 heures dans leurs locaux protégés avant de les remettre au transporteur.

Le sénateur LaPierre: Cela vous plaît? Vous pensez que nous devrions avoir la même chose?

M. Kuhn: Oui. Nous ne disons pas nécessairement que la règle des 36 heures est la bonne, mais sur le fond, nous sommes 100 p. 100 d'accord.

Malheureusement, à notre avis, le gouvernement n'a pas vraiment pris l'initiative sur ce plan. J'ai communiqué avec les responsables de la sécurité à Transports Canada, etc. J'ai pris l'initiative de contacter Air Canada pour essayer de mettre sur pied une politique uniforme qui serait tellement plus avantageuse pour tout le monde.

Du point de vue de la concurrence, on appliquerait les mêmes paramètres à tous les transitaires ou expéditeurs. Ces paramètres communs permettraient aussi d'harmoniser les niveaux de service. L'expéditeur n'aurait plus l'impression que tout d'un coup un transitaire n'est pas aussi bon que l'autre parce que l'autre néglige en fait certaines choses.

Nous aurions souhaité que Transports Canada prenne l'initiati ve et présente des recommandations, et c'est la même chose pour Air Canada. Je leur ai dit que j'étais déçu à bien des égards parce que nous avons élaboré des recommandations, mais que ce n'est pas à une association de le faire.

Nous ne pouvons pas légiférer ou faire quoi que ce soit dans ce domaine. C'est au gouvernement de le faire, et idéalement il aurait fallu que le gouvernement mette la question sur le tapis. Les Français l'ont fait, les Allemands l'ont fait et bien d'autres pays européens aussi.

Le sénateur Gustafson: Si je vous comprends bien, la réglementation au Canada est moins rigoureuse que celle d'autres pays?

M. Kuhn: En matière de sécurité, certainement.

Le sénateur Gustafson: Et à votre avis il faudrait la modifier?

M. Kuhn: Oui.

Le sénateur Gustafson: Vous dites que les réglementations européennes sont beaucoup plus rigoureuses?

M. Kuhn: Tout à fait. Cela commence aux aéroports. Regardez les gens qui nous contrôlent et allez voir comment se passe la sécurité dans un aéroport européen. Il y a toute une différence.

M. Young: Madame la présidente, pourrais-je ajouter quelques mots aux réponses de M. Kuhn au sénateur?

Les transitaires pourraient en fait être un rempart de sécurité considérable. Si quelqu'un apporte un colis à un comptoir d'aéroport ou un conteneur à un terminal à conteneurs, le transporteur général est obligé d'accepter ces marchandises.

Un peu partout de nos jours, on a réduit les effectifs de ces services. Dans certains cas, si vous voulez appeler une compagnie maritime pour faire une réservation, vous appelez à un numéro 800 aux États-Unis. La personne qui fait la réservation ne connaît pas les clients, tout ce qu'elle sait c'est que quelqu'un veut expédier une marchandise. Elle donne à cette personne un numéro de réservation qui lui permet de prendre un conteneur vide et de le charger.

Le transitaire, en revanche, sollicite des opérations de transport. Il s'adresse aux expéditeurs, il connaît le client. Normalement, sauf si l'expéditeur réussit à le tromper sur la véritable nature de son activité alors que ce n'est qu'une façade, le transitaire connaît la nature de ce qui est expédié et chargé et il connaît le client.

L'autre avantage, c'est que le transitaire ne sait pas comment s'effectuera l'expédition. Ce n'est pas lui qui manoeuvre les véhicules. Il ignore quelle compagnie maritime ou aérienne sera utilisée. Le client ne sait absolument pas comment la marchandise sera acheminée.

Parfois, c'est une source de plaintes. Toutefois, c'est une bonne chose sur le plan de la sécurité car la personne qui expédie la marchandise n'est qu'un intermédiaire. Elle choisit la meilleure formule. Si on commence à lui poser trop de questions pour savoir exactement par quelle compagnie aérienne et sur quel vol la marchandise va être expédiée, il y a matière à rapport.

Je suggère qu'on donne à l'industrie des transitaires les pouvoirs nécessaires pour examiner ces questions. Notre associa tion est parfaitement apte à le faire. En fait, notre association va demander au gouvernement à pouvoir s'autolicencier. Il ne serait plus question pour n'importe qui de décider un beau jour de se présenter comme transitaire. Pour obtenir une licence, il faudrait que ces personnes respectent de nouveaux critères rigoureux émis par notre association. Ce serait un petit peu comme de demander à la police locale de tout vérifier avant d'aller plus loin.

Le sénateur Kenny: Madame la présidente, j'imagine que nous nous sommes écartés du projet de loi et que nous profitons simplement de la présence des témoins, n'est-ce pas?

La présidente: J'aimerais bien avoir les renseignements qu'ils ont à nous donner.

Le sénateur Kenny: Vous me permettez de poursuivre brièvement sur ce thème?

La présidente: Oui, mais brièvement.

Le sénateur Kenny: Je me demandais quel était l'avantage de cette règle des 36 heures dont vous avez parlé.

M. Kuhn: Les minuteries fonctionnent sur 24 heures. L'autre raison, c'est que n'importe quel vol, même si l'on inclut la préparation, les expéditions, le temps de vol et le temps de transit, même pour aller à l'autre bout du monde, ne prend généralement pas plus de 36 heures. Même s'il y a une minuterie qui va jusqu'à 36 heures, si on garde la marchandise pendant 36 heures, l'explosion va se produire dans votre entrepôt plutôt que dans l'avion.

Le sénateur Kenny: Mais en général, le détonateur dans un avion est lié à la pression et n'a rien à voir avec le temps.

M. Kuhn: Tout à fait.

Le sénateur Kenny: Vous me parlez de quelque chose qui retarde une expédition de 36 heures. Je ne vois pas l'intérêt.

M. Kuhn: C'est comme la décision de la FAA sur les couteaux en plastique. Où est la différence?

Le sénateur Kenny: Vous disiez que c'était une bonne idée.

M. Kuhn: Nous disons que certaines compagnies aériennes ont adopté cette règle. En général, elle a été mise en place dans le passé à l'époque où il y a eu ces alertes, et elle a donné de bons résultats.

Le sénateur Kenny: Mais vous venez de dire que cela ne sert à rien dans le cas où le détonateur est déclenché par la pression.

M. Kuhn: Soyons clairs: je ne suis pas ingénieur. Comment fonctionne un détonateur actionné par la pression? Si vous chargez votre marchandise dans une unité de chargement (UC) qui est mise à votre disposition par la compagnie aérienne, et que vous l'organisez comme vous le voulez, comment peut-on déclencher le détonateur?

Le sénateur Kenny: Il se déclenche quand l'avion atteint une certaine altitude.

M. Kuhn: L'altitude intervient.

Le sénateur Kenny: C'est cela. Est-ce que vous allez voir dans chaque conteneur dont vous prenez la responsabilité?

M. Young: Normalement, le transitaire a un entrepôt ou loue un entrepôt où il reçoit ces marchandises. Nous pensons que le délai de 36 heures a une fonction plus psychologique que pratique, comme vous l'avez souligné. Si le détonateur fonctionne avec la pression, peu importe le temps qui s'écoule. Mais si la marchandise reste là un certain temps, il peut y avoir une chance que l'explosif soit détecté par un chien renifleur ou lors d'un passage aux rayons X, par exemple.

Le sénateur Kenny: Regardez-vous à l'intérieur de chaque conteneur?

M. Young: Nous n'inspectons pas les colis. Nous chargerons les conteneurs, mais nous n'avons pas le droit d'ouvrir les colis.

Le sénateur Kenny: Et à bord des navires, est-ce que vous inspectez ces conteneurs?

M. Young: Non.

Le sénateur Kenny: Est-ce que vous savez ce qu'il y a dans chacun des navires arrivant au port?

M. Young: Non.

Le sénateur Kenny: Vous ignorez ce que contiennent la plupart des colis que vous expédiez?

M. Young: C'est exact.

Le sénateur Kenny: Vous proposez à ce comité de vous confier cette responsabilité.

M. Young: Non, ce n'est pas ce que nous proposons. Nous faisons valoir que vu la nature de nos activités, nous savons qui expédie quoi et qui sont les clients.

Par contre, un transporteur maritime ou une ligne aérienne n'a pas ces renseignements. Quelqu'un peut se présenter avec un colis, disant qu'il vient d'un tel; ce n'est pas la même chose qu'un transitaire qui se présente à l'entrepôt d'un expéditeur pour prendre livraison de ces marchandises. Le transitaire aurait peut-être déjà rencontré le propriétaire de l'entreprise, prévu des modalités de crédit, déterminé son genre d'entreprise, et fait la connaissance du client. Quand une ligne aérienne ou une ligne de navigation reçoit de la marchandise de la part d'un transitaire, il a déjà tout vérifié.

Le sénateur Kenny: J'ai compris, et je croyais avoir suivi la logique de cet aspect aléatoire qui fait en sorte que les gens ne savent pas précisément comment les marchandises sont expédiées si cela passe par un transitaire. C'est un concept intéressant.

Le fait que vous ayez semblé présenter votre association comme une agence de sécurité utile a piqué ma curiosité. Il me paraissait curieux que vous soyez désireux d'assumer cette responsabilité et les obligations qui s'y rattachent. C'est une proposition curieuse qui m'intrigue.

M. Young: Mon entreprise a déjà reçu des appels téléphoni ques de la part du SCRS. Ils voulaient savoir si on avait de l'information à propos d'un certain importateur.

La présidente: Je suis désolée de vous interrompe, mais nous avons assez parlé de ce sujet. C'est une question qui devrait faire l'objet d'une réunion à huis clos, et non pas d'une séance publique. Nous n'avons pas besoin de ces réponses pour le projet de loi.

[Français]

Le sénateur Gill: Vous mentionnez à la première page de votre mémoire que les membres de votre association ne possèdent aucune statistique ou information sur le volume des conteneurs. À toutes fins utiles, vous n'avez donc pas d'informations. Je trouve cela curieux parce que les associations, en règle générale, essaient d'obtenir beaucoup d'informations sur leurs membres. Pourquoi n'avez-vous pas d'informations?

M. Young: Nos opérations s'effectuent à partir du concept de libre commerce. Nous essayons de taire le nombre de clients que nous avons ainsi que notre chiffre d'affaires. Ce sont des secrets. L'association ne garde pas de statistiques telles que le volume, le poids, le nombre de conteneurs ou encore le chiffre d'affaires. C'est confidentiel. Nous savons toutefois que pour chaque dollar de transport dépensé par un expéditeur, la majorité de ce dollar de transport est organisé par le transitaire.

Le sénateur Gill: Comment vos clients procèdent-ils? J'imagi ne qu'il y a des appels d'offres. Il y a sûrement des informations vous concernant qui circulent à un moment donné.

M. Young: Parmi notre association, il y a de très grandes compagnies et ces compagnies publient leur chiffre d'affaires, telles les compagnies publiques. Par contre, la plupart de nos membres sont de petites ou moyennes entreprises. Même parmi eux, ils ne savent pas combien de tonnes de marchandises sont transportées.

[Traduction]

La présidente: Merci, monsieur Young et monsieur Kuhn.

La séance est levée.


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