Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 4 - Témoignages du 10 décembre 2002
OTTAWA, le mardi 10 décembre 2002
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui à 9 h 05 pour étudier les enjeux qui touchent les jeunes Autochtones des régions urbaines du Canada, en particulier l'accessibilité, l'éventail et la prestation des services, les problèmes liés aux politiques et aux compétences, l'emploi et l'éducation, l'accès aux débouchés économiques, la participation et l'autonomisation des jeunes, et d'autres questions connexes.
Le sénateur Thelma J. Chalifoux (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Bonjour, mesdames et messieurs. Je tiens à remercier notre témoin, M. David Newhouse, de comparaître devant le comité. Notre étude sur les enjeux touchant les Autochtones en milieu urbain est opportune, car une crise apparaît dans de nombreux centres urbains. Nous sommes heureux d'avoir l'occasion d'entendre votre avis d'expert à l'égard de ces enjeux.
M. David Newhouse, professeur agrégé et chaire des études autochtones, Université Trent: Merci, je suis heureux d'être ici et de voir qu'on se penche sur la question des enjeux touchant les Autochtones en milieu urbain. Pendant la majeure partie du temps qui s'est écoulé depuis la Confédération, les Autochtones qui vivent dans les grands centres urbains ont été quelque peu traités comme une patate chaude, que se renvoient les diverses administrations — fédérale, provinciales, municipales et, maintenant, autochtones. La plupart du temps, cet enjeu est comme l'éléphant dans la pièce dont personne ne veut parler. Il a été difficile de mettre les enjeux touchant les Autochtones au programme afin que les gens en parlent; il a été difficile de convaincre la Commission royale de discuter des enjeux touchant les Autochtones en milieu urbain.
Cela tient partiellement au fait que, dans l'imaginaire collectif et dans le discours gouvernemental, les Autochtones sont perçus comme des gens qui vivent en milieu rural. Même entre Autochtones, nous avons tendance à supposer que, par défaut, nous vivons dans des collectivités rurales. Comme votre recherche commence à le montrer, cela n'est tout simplement pas le cas. De 40 à 60 p. 100 des Autochtones du Canada vivent dans les centres urbains. Selon la méthode de calcul qu'on adopte, la majorité des Autochtones sont en milieu urbain.
Il est donc difficile, dans un sens, de lancer des discussions sur l'orientation stratégique et politique si on n'aborde pas cette question. Aux yeux de la plupart des Autochtones, jusqu'à tout récemment, la ville est perçue comme un lieu d'assimilation, de dégradation et de perdition. La ville est perçue comme un endroit hostile aux Autochtones. C'est la perception dominante qui a été présentée aux Canadiens dans le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones.
Pour une raison quelconque, on croit que lorsqu'on déménage à la ville, on devient moins autochtone — qu'on perd notre identité d'Autochtone. L'histoire des peuples en milieu urbain, telle qu'on la présente à l'heure actuelle, est marquée par la perte. Quelque chose d'essentiel échappe aux Autochtones qui s'installent dans les villes: ils ont perdu ce lien qu'ils entretenaient avec la terre, avec leur identité et avec leur culture.
Dans une large mesure, cette croyance a pris de l'importance au cours des quelque 70 dernières années, car on a surtout examiné le cas des Autochtones en milieu urbain sous un angle sociologique. Tout d'abord, il y a cette tendance à envisager les Autochtones en milieu urbain selon une échelle qui oppose le courant traditionnel au courant urbain. Les Autochtones en milieu urbain sont considérés comme principalement urbains ou comme principalement traditionnels. On estime que la lente dérive vers la ville signifie qu'on perd quelque chose. De plus, la ville est perçue comme un lieu de désintégration, et le fait de s'y installer suppose une perte de culture et d'organisation sociale, ce qui mène à la pauvreté. Les Autochtones qui se rendent à la ville sont confrontés à la pauvreté, commencent à vivre dans la pauvreté et intègrent ce que Sinclair Lewis qualifie de «culture de la pauvreté». Ainsi, des Autochtones commencent à transmettre cette culture à d'autres Autochtones.
C'est la perception dominante que nous avions tendance à entretenir en ce qui concerne l'expérience en milieu urbain. La commission royale, comme je l'ai déjà dit, a renforcé cette image dans ses deux rapports, c'est-à-dire le rapport de la table ronde nationale sur les enjeux touchant les Autochtones en milieu urbain, ainsi que le rapport final faisant état de la pléthore de problèmes auxquels sont confrontés les Autochtones en milieu urbain. On a, dans une large mesure, mis l'accent sur la pathologie.
Les Indiens et les Métis qui grandissent dans les villes sont confrontés à cette perception dominante selon laquelle: il leur manque quelque chose; ils ne sont plus des Autochtones à part entière, au même titre que leurs homologues des régions rurales; ils ont été assimilés; ils ont perdu certains aspects de leur culture, et ils ont perdu une partie de leur identité.
Si c'est la perception dominante, vous commencez à comprendre pourquoi la commission royale commence à parler d'«identité culturelle» et du besoin de renforcer l'identité culturelle à titre de principal objectif de la stratégie qu'elle recommande: les Indiens qui s'établissent à la ville ont perdu quelque chose et doivent donc récupérer ce qu'ils ont perdu. Il s'agit d'une perte d'identité. Si nous les aidons à récupérer leur sentiment d'identité, ils commenceront à exceller et à pouvoir fonctionner à titre d'Indien à part entière.
Cela est partiellement vrai, mais je ne crois pas que cela dit tout. Le fait de mettre l'accent sur la pathologie ne fait qu'occulter d'autres aspects et d'autres points de vue. Nous ne voulons pas nier la pathologie et le problème urgent de trouver des solutions, mais nous devons commencer à envisager la ville d'une façon légèrement différente. Nous avons donc commencé à réfléchir à diverses solutions stratégiques susceptibles d'aider les gens.
Il y a cinq ans, j'ai décidé que je n'écrirais pas au sujet des problèmes des Autochtones. J'ai conclu qu'une telle approche contribuait au cycle de solutions stratégiques qui faisaient leur apparition partout au pays. J'ai décidé d'essayer de parler de l'avenir, des tendances que je prévoyais et des tendances que je voyais naître dans des collectivités autochtones. Je ressentais le besoin de lancer un nouveau discours ou d'enrichir celui qui prévalait. Ce discours s'attache à l'accomplissement, à la réussite et à l'avenir. C'est un discours qui a d'abord été tenu par John Kim Bell, qui met l'accent sur les Prix nationaux d'excellence décernés aux Autochtones.
Cela a été stimulé dans une certaine mesure par les enseignements traditionnels, qui prônent l'équilibre et le besoin d'examiner un phénomène en adoptant plusieurs points de vue différents. Quand j'ai commencé à examiner les recherches qu'on menait en vue d'orienter les politiques gouvernementales, j'ai vu un déséquilibre incroyable. J'ai constaté qu'on s'attachait exclusivement aux lacunes et aux problèmes, et qu'on a tout fondé sur ces recherches. J'ai décidé que je ne voulais jamais plus contribuer à ce type de recherche.
J'ai commencé à chercher une lueur d'espoir et un sentiment de progrès. J'ai préparé un bref rapport à l'intention de la commission royale, intitulé «From the Tribal to the Modern», où j'ai commencé à énoncer des idées fondamentales sur le développement de la société autochtone moderne. J'ai mis de l'avant l'idée selon laquelle il existe effectivement une société autochtone moderne naissante, qu'on ne la voyait pas et que, dans une large mesure, elle était occultée par notre désir d'envisager uniquement les problèmes.
J'ai commencé à recueillir des données et à réfléchir aux thèmes propres à la société autochtone moderne. À ce moment-là, six thèmes ont commencé à s'imposer.
Le premier thème était «l'urbanisation», car elle se poursuivrait. D'ailleurs, elle se déroulait depuis longtemps. Les gens s'établissaient en ville et n'allaient pas arrêter de s'installer en ville, et il nous fallait accepter cela. Ainsi, la poursuite de l'urbanisation des sociétés autochtones était un élément majeur de la société autochtone moderne.
Le deuxième thème était la «retraditionalisation», le terme que j'utilise pour désigner le désir incroyable de fonder les structures et les processus du quotidien sur des notions autochtones. Les gens voulaient que leurs organisations ressemblent au modèle occidental et agissent conformément à la pensée autochtone. Ils voulaient, dans une large mesure, que leurs idées sur les soins à l'enfant et sur la nature de l'être humain orientent les actions des gens qui évoluent dans les domaines de la garde d'enfants, de l'éducation, de la santé, du développement économique et de la gestion organisationnelle. Ils voulaient que ces idées issues de la culture et de la sagesse traditionnelle servent de base pour la vie au quotidien. C'est un désir incroyablement fort.
Le troisième thème était la notion d'«institutionnalisation», c'est-à-dire l'idée selon laquelle la société autochtone devient une société d'organisations, comme l'ensemble de la société canadienne. Comme je l'ai signalé dans les documents, j'ai compté les organisations et j'en suis venu à un total d'environ 6 000 en 1993. Il y en a beaucoup plus maintenant. La moitié de ces organisations œuvraient dans le secteur privé, et l'autre moitié, dans le secteur public. C'est un nombre incroyable d'organisations qui se sont établies au cours des 20 dernières années. Si vous examinez les dates de fondation, vous constaterez que la plupart d'entre elles ont été lancées vers la fin des années 80 ou le début des années 90. On a assisté à une croissance incroyable du nombre d'organisations qui existent au sein de la société autochtone, que ce soit dans les réserves, dans les collectivités rurales ou dans les villes.
Le quatrième thème correspond à ce que j'appelle le «renforcement positif de l'identité culturelle», c'est-à-dire le rejet des notions de panamérindianisme nées pendant les années 70. De nos jours, les gens se forgent une identité et veulent être reconnus à titre de Cri, d'Anishinabe, de Métis, de Pieds-Noirs ou de Nisga'a. Ils ne veulent pas être considérés comme des Autochtones. Ils se forgent une identité, renforcent cette identité, et rencontrent le monde au moyen de cette identité. Ils veulent que le monde respecte cette identité et commence à en tenir compte. Ils bâtissent leur identité d'une façon très positive, en faisant fond sur un sentiment de fierté. C'est une démarche très différente de celle qui prévalait pendant les années 50 et 60, où l'on apprenait qu'il fallait avoir honte d'être un Indien.
Le cinquième thème tient au fait que, malgré le désir de conserver la sagesse et les idées traditionnelles, il y a une transformation incroyable, car on passe de la tradition orale à la création de ce que j'appelle la «transformation documentaire du savoir». Les gens couchent par écrit les enseignements traditionnels: ils peuvent se rendre à la librairie, se procurer un livre sur le sujet, le lire et commencer à interpréter les enseignements. Dans la société autochtone moderne, nous commençons à transmettre le savoir au moyen de textes écrits, ce qui est très différent des méthodes du passé. Une société ressent des effets énormes lorsqu'elle commence à recourir à l'écrit, car cela change la relation entre le savoir et l'autorité. Cette relation devient caduque. On peut se rendre à la librairie, acheter un livre sur les enseignements traditionnels, le lire et l'interpréter soi-même, sans recevoir les explications d'un aîné. Le lien entre l'aîné et l'étudiant a été brisé.
Si on envisage cette situation sous un angle positif, cela signifie qu'on peut, dans une certaine mesure, commencer à faire preuve d'une innovation et d'une créativité incroyables, et commencer à encourager la diversité dans une société. Bien sûr, l'aspect négatif de cette situation tient à la disparition du lien et à la remise en question de l'autorité des aînés. Certaines personnes pourraient interpréter cela de façon très négative, car la société est en perte de contrôle. Il y a donc deux côtés à cela.
Le sixième thème renvoie à la notion d'«autonomie gouvernementale», selon laquelle la société autochtone moderne se dirigera elle-même. Dans le cas qui nous occupe, j'entends par autonomie gouvernementale que les Autochtones de la société autochtone moderne exerceront un contrôle sur les structures et les processus au quotidien. Ils commencent à exercer ce pouvoir dans certains domaines, comme la santé, l'éducation et le développement économique. Certaines personnes utilisent le terme «autodétermination», mais je crois que la notion est un peu plus large que cela. Elle signifie qu'une personne commence à donner suite à ses propres idées, et que ces idées naissent de la culture et de la sagesse traditionnelles.
Ce sont là les six thèmes qui, selon moi, animent la société autochtone moderne. Le principal thème dont nous avons tendance à faire fi est le thème selon lequel la société autochtone moderne sera largement urbaine. Elle s'installera en ville, elle progressera en ville, et elle s'épanouira en ville. Cela ne veut pas dire qu'il n'y aura pas de progrès dans les réserves indiennes ou dans les collectivités métisses, mais, dans une large mesure, la société autochtone moderne se réalisera en milieu urbain, en raison du nombre important de personnes qui vivent dans les villes.
Les artisans des politiques gouvernementales souhaitent ardemment faire fi de cette réalité, car les villes sont des zones incroyablement complexes. La ville devient source de conflits et de lutte au chapitre des compétences, car les gouvernements autochtones prétendent être responsables de leurs citoyens dans les villes, les municipalités réfléchissent aux méthodes de prestation de services aux Autochtones en milieu urbain, les provinces s'interrogent sur des questions touchant les soins de santé et l'éducation, et les institutions autochtones urbaines demandent qu'on leur accorde une place et une visibilité accrues. Ainsi, la zone urbaine devient incroyablement complexe, et les politiciens s'y aventurent à leurs risques et périls. C'est une situation où il est difficile de manœuvrer.
Les 2 500 dernières années témoignent de la tendance des humains à s'installer dans les villes. Je crois que la Banque mondiale prévoit que, dès l'an 2 060, 80 p. 100 des êtres humains vivront dans les villes. C'est un nombre incroyable. Cela signifie non pas que les gens rejettent les régions rurales, mais bien que la ville exerce un attrait marqué. Je crois que les Autochtones nord-américains poursuivront aussi cette tendance. Nous sommes des êtres humains et nous cédons aux mêmes désirs et aux mêmes ambitions que les autres.
Mme Evelyn Peters, de l'Université de la Saskatchewan, a fourni des preuves qui illustrent cette tendance. Je vous encourage à inviter Mme Peters à témoigner devant le comité. Mme Peters occupe la Chaire de recherche du Canada sur l'identité et la diversité: l'expérience autochtone au Département de géographie de l'Université de la Saskatchewan. C'est la seule chaire de recherche canadienne se consacrant à l'étude des populations autochtones en milieu urbain.
Elle a effectué des travaux intéressants. Elle constate que de nombreuses villes canadiennes sont situées à des endroits où les Autochtones se sont réunis et ont vécu, et que ce mouvement vers la ville n'est pas inattendu. Elle fait valoir que le mouvement vers les villes est une reconquête du territoire, que les peuples autochtones ont vécu dans des villes situées dans ces régions, qu'ils en ont été expulsés par les populations européennes, et qu'ils commencent maintenant à s'y rétablir. Si on envisage la situation de cette façon, on adopte une vision différente de cette population et de la ville.
Au-delà de la pauvreté — voire parallèlement à celle-ci —, il existe désormais une incroyable infrastructure servant la population autochtone en milieu urbain. Deux chercheurs ont commencé à se pencher sur cette population, et il n'y a pas beaucoup de recherche canadienne sur les populations autochtones en milieu urbain. La plupart des recherches examinent les caractéristiques démographiques. Au Canada, pratiquement aucune recherche, sauf celle de la Canada West Foundation, ne se penche sur les institutions autochtones en milieu urbain.
Ces deux chercheurs — l'un à Los Angeles, l'autre dans l'Ouest canadien — ont réparti les quelque 3 000 organisations autochtones dans les 14 catégories suivantes: politique, développement économique, santé et guérison, violence familiale, emploi, religion, éducation et formation, loisirs, garde d'enfants, communications, culture et développement culturel, justice et services correctionnels, et organismes fondés sur la parenté qui se penchent sur la famille et les jeunes. La Canada West Foundation a compté les organisations dans trois villes de l'Ouest canadien et en a repéré environ 300. Evelyn Peters fait la même chose à Winnipeg, et elle a trouvé de 30 à 40 organisations. Il existe une incroyable infrastructure destinée à servir les populations autochtones en milieu urbain.
Cette infrastructure tire ses origines des centres d'amitié autochtones. Ils ont énormément contribué à l'établissement de cette infrastructure en servant de centre communautaire, de centre de formation et de lieu de transition où les gens peuvent chercher un emploi, tirer avantage de services, avoir accès à un emploi, et ensuite passer à autre chose. Le centre d'amitié constituait le noyau de ce réseau d'organisations, et il se retrouve maintenant dans les divers secteurs.
De cet ensemble d'institutions se dégage aussi un sentiment de communauté — voire même de communautés au pluriel, car il est très difficile de parler d'une population autochtone homogène. Certaines recherches menées avec Statistique Canada montrent que la ville d'Edmonton accueille l'une des populations autochtones les plus diversifiées au pays. On y trouve une gamme incroyable de personnes issues de milieux culturels différents. Cet environnement est si diversifié qu'on en vient à ressentir ce mouvement de résistance communautaire à l'homogénéité. Ce sentiment d'appartenance à une communauté est important. Presque partout, on a le sentiment que la communauté a un noyau — en général, c'est le centre d'amitié établi dans ces régions de partout au pays qui sert de noyau communautaire.
Cette communauté est constituée d'un groupe de résidents urbains de longue date — deux ou trois générations — et d'un groupe de nouveaux arrivants, c'est-à-dire de visiteurs ou de personnes récemment arrivées en ville. Statistique Canada et le ministère des Affaires indiennes et du Nord font allusion à un effet de roulement. Un nombre considérable de personnes se déplace régulièrement entre les grands centres urbains et les collectivités rurales; la population est très mobile. Cela complique davantage l'élaboration d'approches stratégiques. En général, lorsqu'il est question d'approches stratégiques, on pense à des populations qui sont statiques et qui demeurent dans un endroit. Cela crée aussi des conflits au chapitre des compétences. Dans certains cas, les communautés des Premières nations veulent être habilitées à servir leurs résidents dans les villes. Cela crée parfois des problèmes.
On trouve aussi en ville un groupe de personnes qui travaillent au sein de cette infrastructure institutionnelle. Ce groupe est constitué d'une classe moyenne naissante ou d'un groupe de membres de la classe ouvrière. Je ne crois pas que nous ayons une bonne idée de la taille de ces deux groupes.
On trouve aussi des nombres énormes d'étudiants. Les 40 000 étudiants de niveau postsecondaire recensés par les Affaires indiennes se retrouvent principalement dans les grands centres urbains. On trouve aussi un nombre important de chômeurs ou de personnes qui ne touchent pas de revenu, ainsi qu'un certain nombre de personnes qui s'installent en ville pour bénéficier de services de soins de santé.
La population qui vit en ville est incroyablement complexe. Nous ne la connaissons tout simplement pas assez pour déterminer quoi que ce soit au chapitre des politiques. Nous disposons de certaines données démographiques de base, mais lorsqu'on tente de ventiler la population en fonction de la situation économique et d'envisager la question d'un angle légèrement différent, on ne dispose pas de données nous permettant de nuancer nos approches stratégiques.
Nous ne savons pas grand-chose au sujet des communautés autochtones urbaines et leur histoire. Outre celle qui a récemment paru à Toronto, il n'existe aucune histoire écrite. Il existe de nombreux témoignages oraux sur l'histoire, mais on trouve bien peu de documents écrits que les gens peuvent lire pour commencer à récupérer leur identité. Il existe peu d'information pour nous aider à prendre connaissance de l'histoire d'une population autochtone urbaine donnée, qu'elle soit à Winnipeg, à Edmonton, à Toronto ou à Halifax. Cette recherche n'a pas encore été effectuée.
Les communautés existantes sont diversifiées et se chevauchent, et, dans certains cas, elles sont divisées par les distinctions relatives aux Premières nations, aux Métis, aux Inuits et aux Indiens non inscrits. Ces institutions qui se développent doivent tenter de transcender ces distinctions de statut. Certaines y parviennent, alors que d'autres échouent.
Il faut tenir compte du fait que les politiques organisationnelles et institutionnelles sont parfois liées à un solide sentiment d'appartenance à un groupe culturel.
Il n'existe pratiquement aucune recherche qui commence à envisager les populations autochtones urbaines sous l'angle de la culture ou du statut et de certains des conflits que cela occasionne. Il y a donc beaucoup de travail à faire. La Canada West Foundation a commencé à s'en apercevoir dans le cadre de ses plus récents travaux, lorsqu'elle s'est penchée sur les compétences mixtes et sur les problèmes découlant d'une absence de coordination.
Le fait d'envisager les populations autochtones urbaines sous l'angle de la communauté correspond assez bien aux nouvelles recherches autochtones, qui sont fondées sur la sagesse traditionnelle. La notion de communauté est l'un des éléments centraux de la réflexion et de la recherche autochtones.
Au cours des quelque dix années à venir, cet idéal sera mis de l'avant dans la recherche. Je crois qu'il est important que nous comprenions ce que signifie la notion de communauté lorsqu'on parle des peuples autochtones en milieu urbain. Nous n'avons pas encore bien défini cette notion. C'est une démarche plutôt différente de celle qui consiste à envisager une population. Nous commençons maintenant à examiner les structures et les processus propres à une communauté donnée.
Nous savons bien peu de choses au sujet du cadre institutionnel que j'ai décrit. Nous pouvons compter le nombre d'organisations et dégager diverses catégories, mais nous ne savons pas encore comment ces organisations se perçoivent ou envisagent leur avenir. De plus, nous ignorons s'il y a des possibilités de coordination et si les distinctions relatives au statut ou à la culture constituent de véritables obstacles. Enfin, nous ne savons pas à quel point cet ensemble d'institutions est fragile. Nous avons l'impression qu'il l'est, car la majeure partie du financement qu'il reçoit provient de fonds discrétionnaires du gouvernement. La forme de financement change régulièrement, comme nous le savons tous, en fonction de l'orientation du gouvernement lorsque ses priorités changent.
Nous ne savons pas grand-chose en ce qui concerne le soutien des municipalités locales, et nous n'avons pas une idée claire de la participation des Autochtones aux activités des administrations municipales urbaines. Même si les Autochtones en milieu urbain sont des contribuables, nous ignorons combien d'impôts ils paient dans une ville donnée. Certaines études se penchent sur la population des réserves situées en périphérie des villes, ce qui donne une certaine idée de l'effet de débordement des montants de transfert. Toutefois, nous ignorons la part assumée par les contribuables autochtones en ce qui concerne les impôts municipaux liés à l'immobilier et à d'autres aspects, ainsi que le taux de représentation des Autochtones dans les administrations municipales locales.
Cela dit, lorsque je prends du recul, je constate que, malgré toute la pauvreté, une série de collectivités tente de trouver des solutions fructueuses, novatrices et dynamiques à leurs problèmes. Les institutions sont préoccupées et intéressées. Elles déploient beaucoup d'efforts pour améliorer la vie des Autochtones en milieu urbain de diverses façons, que ce soit par la création de sociétés de développement économique, par l'amélioration de la santé, par l'établissement d'écoles, par la participation aux commissions scolaires locales ou par la création d'institutions culturelles, comme des pow-wow, des collections d'objets d'art, et cetera.
On a l'impression qu'il y a une communauté — un ensemble d'institutions — qui tente de faire des choses. Il devient apparent que ce cadre institutionnel a pris de l'ampleur au cours des quelque 40 dernières années, et que son histoire peut être établie. L'idée de vivre en ville et de créer simultanément une identité autochtone urbaine n'est pas nouvelle.
Dans les communautés, on voit aussi l'exercice d'une certaine forme d'autodétermination à l'égard d'aspects spécifiques. En particulier, dans l'Ouest, les gens se rassemblent et forment d'importantes alliances politiques urbaines, comme l'Aboriginal Council of Winnipeg. On trouve aussi de tels organismes à Calgary et à Vancouver. Je ne sais pas encore si Edmonton s'est doté d'un tel organisme.
La présidente: Il commence à se former.
M. Newhouse: Les gens commencent à se regrouper et à former des alliances en vue de réaliser des objectifs communs. C'est très intéressant.
De plus, il existe une modeste et florissante classe moyenne urbaine et une classe ouvrière assez large, y compris un nombre important de petits salariés, qui sont préoccupés par le sort de leurs enfants. Ces gens travaillent fort pour se bâtir une vie meilleure et s'éloigner de la pauvreté dans laquelle ils ont l'impression de baigner.
Il existe bien peu de recherche sur les espoirs et les buts de ces personnes. La plupart des recherches s'attachent uniquement aux problèmes. Je ne suis pas convaincu qu'on peut toujours résoudre un problème en s'attachant uniquement aux aspects négatifs. Il faut chercher à comprendre ce que les gens tentent d'accomplir et ce qu'on veut pour aller de l'avant.
Je veux prendre un moment pour vous parler des jeunes. Je travaille au sein du mouvement des centres d'amitié depuis 15 ans. J'ai travaillé à titre de bénévole de 1978 jusqu'au milieu des années 90. J'ai consacré les dix dernières années à mes fonctions d'enseignant à l'Université Trent.
J'ai conclu que l'un des principaux obstacles auxquels sont confrontés les étudiants et les jeunes est ce sentiment d'être distinct et détaché des autres. Il y a un désir de demeurer distinct. À l'échelon universitaire, dans une certaine mesure, les jeunes sont en colère et manquent d'assurance. Je ne suis pas convaincu qu'ils puissent accomplir grand- chose. Selon mon expérience, les enseignants «programment» les étudiants à survivre. Notre programme de littérature, comme je lai découvert il y a un certain temps, aborde la question de la survie. Nous parlons d'aider les étudiants à se joindre aux institutions et de les aider à survivre. Nous ne parlons pas d'excellence, de réalisation et de réussite. Lorsque nous disons aux étudiants de survivre, c'est ce qu'ils font.
Le problème s'est aggravé considérablement, il y a environ cinq ans, lorsque des Européens ont remporté les prix d'excellence en langue ojibway à l'Université Trent. À l'époque, j'ai commencé à me poser des questions. J'étais stupéfait. Nous avions des étudiants dont la langue maternelle était l'ojibway. Je me serais attendu à ce qu'ils gagnent les prix d'excellence en langue ojibway, mais cela ne s'est pas produit. Ces étudiants obtenaient des C et des B dans ces cours.
J'ai commencé à envisager la façon dont nous traitions nos étudiants et ce que nous leur disions. Nous avions fondé toute notre approche d'aide aux étudiants sur la notion de survie. Nous avons entrepris de changer cela, nous avons parlé d'excellence et d'accomplissement, Nous avons créé un climat favorable à la réussite des étudiants, et nous avons cherché à les aider à se dépasser de diverses façons. Je me suis réjoui lorsque, deux ans plus tard, les étudiants anishinabe ont commencé à remporter les prix d'excellence. Nous devons aussi réfléchir au langage que nous utilisons lorsque nous parlons des Autochtones et de ce que nous sommes capables de faire.
Je dispense un cours sur la gouvernance autochtone aux étudiants de troisième année. Je leur demande de me dire quels adjectifs ils utiliseraient pour décrire les peuples autochtones. Ils utilisent tous les mots, dont nous avons parlé auparavant, qui sont liés à la culture de pauvreté — opprimés, pauvres et paresseux. Ce sont les réponses d'étudiants de niveau universitaire de troisième année en études autochtones. Ils n'ont pas utilisé les mots «inventifs» ou «innovateurs». Ces mots ne font pas partie du vocabulaire des Autochtones et des non-Autochtones de la classe. Cela m'a énormément bouleversé. Cela m'a révélé que les étudiants ne percevraient pas les peuples autochtones de façon positive. Ils continuaient de voir les peuples autochtones comme un fardeau, ce qui est, dans une large mesure, la perception de l'ensemble de la société canadienne. Nous sommes un fardeau pour l'État et pour la société.
Je publierai bientôt un livre sur lequel j'ai travaillé avec le ministère des Affaires indiennes et du Nord. Il sera publié par les presses de l'Université de Toronto en juin 2003 et il s'intitule: Aboriginal Contributions to Canada: Hidden in Plain Sight. Le livre brosse un portrait des grandes réalisations d'Autochtones de toutes les couches de la société. Nos recherches nous ont permis de découvrir qu'au cours des cent dernières années, des Autochtones ont gagné toutes les grandes distinctions militaires et tous les grands honneurs civils dans le domaine des arts, de la littérature et des services communautaires au pays. Tout cela s'est produit, mais, à l'heure actuelle, tout cela est caché. Il y a des réalisations remarquables qui sont passées sous silence. Il en va de même pour l'histoire des Autochtones en milieu urbain. Elle existe, mais on n'en parle pas.
Il est difficile de réfléchir aux politiques gouvernementales dans un tel contexte, car la pauvreté est si écrasante. Il est difficile de mettre de l'avant ces aspects positifs et de faire état de ces réalisations, car cela occasionne les railleries de certaines personnes. Les gens me demandent pourquoi je dis ces choses, on me demande si j'oublie la pauvreté. Je dis qu'il y a un autre côté, qu'il y a un ensemble d'institutions qui ont besoin de soutien et qui le méritent, que ces institutions font partie des communautés autochtones urbaines, qu'elles peuvent jouer un rôle très important à l'avenir, et qu'elles devraient avoir l'occasion de le faire.
Le message que je veux vous transmettre est le suivant: les peuples autochtones ont une histoire, et elle a été cachée. Ces institutions jouent un rôle essentiel, et il faut mener des recherches sur ces institutions et les soutenir. C'est important.
En ce qui concerne ce cadre institutionnel, on déploie beaucoup d'efforts afin de veiller à ce que les jeunes jouent un rôle important au chapitre de la gouvernance des institutions. On crée des conseils consultatifs de jeunes et on leur réserve des places au sein des conseils d'administration. Il est important de favoriser ce type de soutien. On est très préoccupé par la génération qui s'en vient, et on tente de la préparer à prendre la relève.
Le principe qui anime cette démarche consiste à essayer d'aider les jeunes à s'aider eux-mêmes au lieu de faire des choses pour les jeunes. Le principe selon lequel il faut aider les jeunes à se prendre en main est extrêmement important. Depuis environ un siècle, les politiques gouvernementales consistent à prendre des mesures pour aider les peuples autochtones; il faut maintenant que ces politiques visent à aider les peuples autochtones à se prendre en main, c'est-à- dire à soutenir les institutions naissantes.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Newhouse. Vos commentaires sont très pertinents et opportuns. Il était plus que temps que nous commencions à nous vanter un peu et à célébrer notre histoire et nos réalisations au fil des générations.
Le sénateur Sibbeston: Bienvenue, et merci de nous avoir renseignés. Vous nous avez fourni trois documents que vous avez rédigés, et j'en ai lu un.
Je suis originaire des Territoires du Nord-Ouest, où les Autochtones sont encore très traditionnels, c'est-à-dire qu'ils vivent de la terre et que leur vision du monde est plutôt différente de celle des gens qui vivent dans les villes. À une époque où l'industrialisation et l'urbanisation vont croissants, comment un Autochtone peut-il demeurer un Autochtone s'il n'adopte pas une vision du monde distincte et différente? La vision et les principes d'un individu sont fondés sur son expérience de vie. Si vous vivez dans une ville, votre expérience sera forcément axée sur la ville, et vous ressemblerez beaucoup à toutes les autres personnes qui vivent dans une ville.
Ce qui distingue les Autochtones des autres, c'est leur appartenance à la terre; ils sont le produit d'une expérience différente du monde. Leur attitude envers la vie, leur expérience de la terre, leur histoire et leur culture les rendent uniques, originaux et intéressants. C'est ce que les Autochtones ont à offrir au Canada, et c'est ce qui les distingue. Mais l'industrialisation et l'urbanisation mènent à la perte de ce patrimoine.
Peut-on continuer d'être autochtone lorsque la couleur de notre peau est la seule chose qui nous distingue des autres, lorsqu'on partage la même expérience de vie dans la ville? Qu'est-ce qui nous distingue?
M. Newhouse: Si j'écoute soigneusement ce qu'on m'a dit, et si je lis soigneusement ce que dit la commission royale, les gens tentent de préserver la philosophie et la notion de liens à la terre, le respect de la terre et la capacité de vivre de la terre. Cela changera un peu, mais on peut apporter ces idées à la ville. On n'a pas besoin de pouvoir pratiquer la conservation ou de vivre au sein d'une collectivité rurale pour respecter la terre et l'environnement. On constate aussi, à certains endroits, une incroyable détermination à veiller à ce que les gens parlent une langue autochtone, de sorte qu'une partie de la vision du monde propre à la langue soit préservée et transmise.
Comme me l'ont dit certains aînés, on peut mettre l'accent sur les principes et les idées afin de veiller à ce que ces idées soient mises en pratique dans les grands centres urbains. Elles évolueront un peu, et les pratiques changeront un peu. Néanmoins, chacun peut réfléchir aux moyens qu'il peut prendre pour appliquer ces idées en ville. On peut toujours tenir une cérémonie de l'aube dans un parc municipal. Évidemment, on ne peut chasser l'orignal dans un parc, mais on peut toujours, d'une certaine façon, effectuer ce genre de pèlerinage traditionnel.
Il y aura des changements. Ce processus de changement est plutôt naturel, d'une certaine façon. Nous y arrivons en réfléchissant aux aspects qui sont importants et aux éléments de notre vision du monde qui sont importants. Ces idées peuvent ensuite se traduire par des gestes concrets.
Le sénateur Pearson: Votre exposé m'a fascinée, car je m'intéresse depuis longtemps au rôle non pas de la langue, mais du langage que nous utilisons pour nous décrire. De nombreuses femmes ont changé leur façon de faire en raison des changements qui ont touché le discours sur la femme. Dans le domaine qui m'intéresse le plus, c'est-à-dire les enfants, on commence à modifier le langage qu'on utilise pour décrire les enfants, de façon à les habiliter davantage. Tout ce que vous avez dit à cet égard m'a intéressée.
Certes, votre exemple sur le passage de la survie à l'accomplissement est saisissant. C'est un aspect auquel nous devons tous réfléchir en profondeur. Depuis le lancement de notre étude avec notre présidente, nous tentons non pas de contribuer au sempiternel examen des problèmes, mais bien d'adopter une orientation positive menant à des solutions positives. Ainsi, votre exposé est particulièrement pertinent à notre démarche.
Vous avez fait allusion à la paucité de la recherche à l'égard de certains aspects. J'aimerais en savoir davantage sur vos étudiants, et sur le nombre d'étudiants que vous avez. Êtes-vous en train de former de nouveaux universitaires qui s'intéresseront à ces enjeux? Vos étudiants, en particulier vos étudiants autochtones, montrent-ils de l'intérêt à cet égard? Avez-vous des étudiants autochtones? Devrions-nous formuler certaines recommandations afin d'accroître la capacité du milieu universitaire?
M. Newhouse: L'Université Trent compte environ 250 étudiants autochtones, sur une population totale d'environ 5 000 étudiants. Il s'agit d'une petite université. Le programme d'études autochtones est un élément distinct de l'établissement depuis 1969. C'est l'un des premiers endroits où les études autochtones ont fait leurs premiers pas au pays. Les autres programmes qu'on trouve partout au pays sont, dans une certaine mesure, du même moule.
Nos cours d'études autochtones sont constitués d'environ 70 p. 100 d'étudiants non autochtones, et d'environ 30 p. 100 d'étudiants autochtones. Nous déployons beaucoup d'efforts pour informer les non-Autochtones au sujet des Autochtones. D'ailleurs, nous nous attribuons deux missions: instruire les non-Autochtones et instruire les Autochtones.
À l'heure actuelle, nous sommes dotés d'une gamme de programmes, qui va du programme d'admission spécial, destiné aux étudiants qui ne satisfont pas aux exigences d'admission habituelles, jusqu'au programme de doctorat. Nous avons établi le programme de doctorat il y a quatre ans, et c'est le premier au Canada.
Les universitaires à l'échelon du doctorat se penchent sur les enjeux touchant la culture, l'identité et le pouvoir. L'un de mes étudiants diplômés s'attache désormais au sujet qui vous intéresse, c'est-à-dire la question du discours et du langage. Il cherche à déterminer comment on peut entamer une conversation dans ce que j'appelle «l'espace entre les deux bandes de la ceinture wampum». Nous parlons du caractère distinct des deux bandes, mais nous oublions aussi qu'il y a un espace entre les deux. Selon l'interprétation courante, les deux bandes de la ceinture wampum sont distinctes et supposent la non-ingérence. Les gens oublient qu'il peut tout de même y avoir un dialogue, et ce genre de dialogue doit avoir lieu. Lorsqu'on passe au centre, entre les deux bandes, comment amorce-t-on le dialogue? Comment surmonte-t-on certains des obstacles? Comment règle-t-on les questions de pouvoir? Comme nous le savons bien, ce sont les mots qui créent la réalité. C'est donc la question à laquelle s'intéresse cet étudiant.
D'autres personnes se penchent sur l'histoire et commencent à réfléchir à la façon dont l'histoire d'un peuple se dessine et dont on commence la création d'histoires autochtones. Une autre envisage la création d'une école parallèle autochtone et applique ce projet à son programme de doctorat.
Les étudiants de ce programme couvrent un large éventail de sujets. Environ la moitié des étudiants sont des Autochtones.
Nous avons parlé à M. Peters, enseignant de l'Université de la Saskatchewan, au sujet de la création d'un groupe multiuniversitaire qui envisagerait les enjeux touchant les Autochtones en milieu urbain de divers points de vue, ce que j'estime important. Nous travaillons actuellement avec la SHRC à cette fin, et nous commençons à réfléchir à des moyens de financer des bourses d'études autochtones et d'encourager les chercheurs autochtones de partout au pays. Certaines de ces initiatives sont déjà en place et doivent être encouragées à aller de l'avant.
Dans les études autochtones, il est encore très difficile de proposer que le programme s'attarde aux enjeux touchant les Autochtones en milieu urbain. Cette année, je dispense le cours de première année des études autochtones. Il est difficile de mettre les enjeux touchant les Autochtones en milieu urbain à l'avant-plan dans le programme d'études, même si je l'enseigne. Personne ne veut en parler.
Les responsables du programme perçoivent la ville comme un endroit hostile, comme un lieu de perdition et de dégradation: se pencher sur le cas des Autochtones en milieu urbain, ce n'est pas comme examiner la situation des «vrais Indiens». Ceux qui s'établissent en ville ne sont pas des vrais Indiens, ou de vrais Autochtones. Les personnes qui adoptent ce point de vue sont très instruites, ont des idées libérales et ouvertes et voient la réalité qui s'offre à elles. Elles sont capables de lire facilement les statistiques. L'une d'elles fait des recherches sur les enjeux touchant les Autochtones. Les Autochtones en milieu urbain sont marginalisés et laissés de côté, d'une certaine façon. Il a donc été difficile de promouvoir l'étude de ce groupe.
Certains demandent qu'on établisse un certain équilibre et qu'on effectue plus de recherche dans ce domaine. Le programme d'études est important. Ce que nous enseignons aux gens est aussi plutôt important, car ce sont les idées qu'ils emporteront avec eux. C'est plutôt important.
Le sénateur Christensen: C'est une discussion très intéressante et étendue. Je reprends les paroles du sénateur Sibbeston selon lesquelles vous parlez d'une société des Premières nations ou d'une société autochtone qui prend de l'expansion dans les milieux urbains. De la façon dont vous l'expliquez, tout cela se tient.
Comment peut-on maintenir une société autochtone en milieu urbain? J'ai l'impression que, lorsqu'on réunit ce grand groupe de personnes dans un centre urbain, les distinctions commencent à s'estomper. Comment la société autochtone pourra-t-elle se maintenir à long terme? Vous avez parlé du caractère distinct et des différences, et pourtant, nous voyons souvent le côté négatif. Nous devons insister sur les aspects positifs, car ils sont nombreux. Il y a cette perception d'un fardeau imposé à la société, et pourtant on accorde une importance énorme aux responsabilités fiduciaires du gouvernement fédéral envers les Premières nations lorsqu'il est question de législation et de programmes. Le gouvernement fédéral a une importante responsabilité fiduciaire envers les provinces, et personne ne considère cela comme un fardeau — c'est tout simplement considéré comme une responsabilité.
Encore une fois, nous parlons de points de vue — il s'agit non pas d'un fardeau, mais bien d'une responsabilité découlant de traités, et cetera. Nous envisageons la charge sous des angles différents. Selon vous, comment pourrait-on apporter un point de vue plus positif à cette question?
M. Newhouse: Je répondrai d'abord à la question de la durabilité. Au chapitre de la durabilité, il faut faire deux choses. La première consiste à créer un ensemble d'institutions qui dureraient plus longtemps que les personnes qui les font fonctionner. Les institutions communautaires soutiennent la communauté dans le temps. Derrière ces institutions se cache le désir de maintenir un sentiment de communauté. Comme c'est le cas pour les communautés chinoises ou italiennes de Toronto, il y a un désir de maintenir un caractère distinct. C'est important. Les lignes ne seront pas claires, mais nous devons tout de même reconnaître cela. Les gens interagissent, ce qui suppose qu'il y aura des mariages mixtes et que cela créera une certaine zone floue, car le monde est ainsi fait. Si nous devions établir des distinctions trop précises, on ne rendrait pas service à l'expérience humaine. On exclurait plus de gens, et on créerait plus de problèmes que de solutions pour certaines personnes.
Toutefois, les institutions sont très importantes. On désire maintenir un caractère distinct, et le détachement est aussi un élément important de ce désir. Contrairement à ce que vous laissez entendre, je ne perçois pas le caractère distinct et le détachement comme des choses totalement négatives. Toutes les communautés ont ce caractère distinct et ce détachement. Le problème, c'est lorsqu'on s'isole et qu'on adopte une approche s'assimilant à celle des Mennonites. Certaines personnes préconisent une telle approche, mais ce n'est pas mon cas.
J'ai grandi au sein des Six Nations de Grand River. J'ai étudié dans le système scolaire établi par Joe Hill pendant les années 50. La philosophie pédagogique de M. Hill servait deux grands objectifs: premièrement, instruire les étudiants afin qu'ils prennent connaissance de ce qu'ils sont — c'est-à-dire, dans le cas qui nous occupe, des Iroquoiens — afin de leur donner une identité culturelle forte; deuxièmement, les instruire afin qu'ils puissent vivre dans le monde qui les entoure. Il faut faire les deux, dans ce cas. L'objectif consiste à maintenir le caractère distinct tout en amorçant le dialogue avec les autres. La ceinture wampum à deux bandes prévoit cela aussi. Les politiciens ont trop insisté sur le détachement et le caractère distinct. Ils ont oublié que nous devons vivre dans le monde et converser avec les autres. En affirmant que nous pouvons avoir cette conversation et qu'elle sera intéressante, nous percevrons la situation de façon positive au lieu d'avoir peur; c'est très important, ça aussi.
Ma vie a été façonnée par des expériences bizarres, et, je dois l'admettre, l'une d'elles s'est déroulée à l'Université Trent. Nous avons un salon des études autochtones à Trent — une grande salle particulière, sur le chemin qui mène aux résidences. On y voyait une enseigne qui disait «salon des études autochtones». À l'automne, il y a deux ans, l'enseigne a été volée. La nuit, les étudiants passaient par là et arrachaient les affiches et les enseignes. Alors il n'y avait plus d'enseigne pour la salle. Le local avait toujours été utilisé exclusivement par les étudiants autochtones, car il s'agissait du salon des études autochtones. Lorsque l'enseigne est disparue, le local a soudainement commencé à se remplir. On y voyait non seulement des étudiants du département d'études autochtones, mais aussi des étudiants en mathématiques, en administration des affaires, en économie, en anthropologie et en psychologie. Cela a donné lieu à de nombreuses conversations intéressantes — les gens devaient apprendre à se parler.
C'est ce que nous faisons aux études autochtones: nous aidons les gens à se parler. Nous rassemblons des étudiants qui ont peur l'un de l'autre. Nous avons des étudiants non autochtones, qui n'ont jamais rencontré un Autochtone de leur vie, assis en face d'un étudiant autochtone et ne sachant pas comment amorcer une conversation. Ils semblent avoir peur de commettre une erreur qui occasionnerait une certaine forme de colère dirigée contre eux — qui déclencherait de la colère et des cris. Ils ont toujours peur de faire un faux-pas.
Nous avons aussi des étudiants autochtones qui sont irrités et en colère et qui blâment les personnes assises devant eux pour tous les malheurs des 150 dernières années — ou, dans certains cas, des 500 dernières années. Avec le temps, cette conversation s'amorce, et on arrive à se comprendre, à accepter les différences de chacun, et on apprend à se parler. On commence à se détacher du langage axé sur le fardeau, et on adopte un langage axé sur l'adaptation et le respect. Les étudiants se perçoivent l'un l'autre de façon très différente. À la fin des quatre ans, ils ont une connaissance différente de chacun. Évidemment, certaines personnes ne font pas beaucoup de chemin.
Nous bâtissons à Trent une maison des Peuples autochtones qui accueillera les études autochtones, l'économie, les mathématiques et l'administration des affaires, car nous avons des liens avec ces programmes. Nous avons tenté de déterminer qui devrait être là. Certains de nos collègues craignaient que le fait d'entrer dans une maison ou un bâtiment construit selon les traditions autochtones et ayant une apparence autochtone les changerait. Ils avaient peur qu'on les force à effectuer chaque matin des cérémonies ésotériques, spirituelles. Cette peur de l'Autochtone est une partie importante de notre culture qui remonte à cinq ou six cents ans. Les Européens ont apporté ces idées, et elles sont encore courantes aujourd'hui. Dans une large mesure, toutes les images que nous voyons présente l'Indien comme étant l'«autre». Ici j'utilise le terme «Indien» dans un sens générique désignant cette créature ésotérique et exotique.
Même si nous savons que cela n'est pas vrai, ces idées qui résident dans l'imaginaire collectif constituent toujours une part très importante de notre culture et orientent nos actions, même si ce n'est pas ce que nous voulons. De plus, ces idées contribuent largement à maintenir le caractère distinct et le détachement que ressentent les non-Autochtones. Ce sentiment n'est pas exclusif aux Autochtones. Claude Denis a publié un livre qui s'intitule: We Are Not You. Je ne sais pas si vous l'avez lu, mais il reflète ce qui se produit lorsque vous dites à l'appareil judiciaire que vous êtes «différent». C'est un reflet plutôt différent de la réalité.
La présidente: Mme Phyllis Cardinal, d'Edmonton, est fondatrice de l'académie Amiskwaciy pour les étudiants autochtones. Certains qualifient cela de ségrégation, mais les plus de 300 étudiants qui fréquentent l'établissement commencent vraiment à s'épanouir. Cependant, à l'occasion de mes visites de l'académie, j'ai eu l'impression que les quelques étudiants non autochtones qui fréquentent l'école faisaient l'objet d'une discrimination à rebours. J'aimerais votre opinion là-dessus.
Ma deuxième question concerne la langue. Dans de nombreux cas, perdre sa langue correspond à perdre son identité. J'ai constaté ce problème en Alberta. Je suis métisse, et, autrefois, on ne nous permettait pas de parler notre langue, le mitchif. Quand Sir John A. Macdonald a pendu notre chef, il a aussi pendu une nation complète, mais nous avons survécu, dans l'ombre.
Je suis très chanceuse, car mon père et ma mère nous disaient de ne jamais oublier que nous sommes métis. Par contre, lorsque je rendais visite à ma parenté dans le Nord, j'ai été atterrée de constater qu'ils cachaient leur identité. Ils avaient honte. L'identité est si importante. Dans certaines communautés autochtones dans les villes, on trouve trois ou quatre générations d'Autochtones. J'aimerais entendre votre point de vue sur les mesures que ces gens pourraient prendre pour conserver leur identité — quelque chose que nombre d'entre eux n'ont jamais fait, ce qui occasionne un important problème d'identité pour nos enfants.
J'aimerais aussi savoir pourquoi, selon vous, les gangs deviennent si imposantes et dangereuses au sein des communautés autochtones.
Enfin, j'aimerais aborder une question qui m'intéresse beaucoup: les centres d'amitié. J'ai fondé un centre d'amitié et je collabore avec les centres d'amitié depuis la fin des années 60. Je vois maintenant que nous commençons à nous organiser, à former des communautés. Les centres d'amitié doivent donc évoluer et dispenser davantage de services d'approche qu'à l'heure actuelle. Une personne qui réside au nord d'Edmonton, comme moi, ne se rendra pas au centre d'amitié situé au centre-ville d'Edmonton. La même situation existe dans divers grands centres.
À quel point les centres d'amitié seront-ils utiles s'ils n'établissent pas des bureaux satellites permettant de tendre la main aux gens? J'aimerais aussi savoir à quel point les organismes de services communautaires sont importants. Les petits organismes de services dans les communautés sont en difficulté; ils arrivent à faire un travail fantastique avec peu de financement, voire aucun.
J'aimerais que vous nous parliez de certains de ces enjeux afin de nous aider à tenter de trouver des solutions.
M. Newhouse: Premièrement, je tiens à dire que les institutions sont extrêmement importantes. Elles sont le cœur d'une communauté. Il est extrêmement important de soutenir toutes les institutions — les centres d'amitié, les sociétés de développement communautaire et les services de santé.
Deuxièmement, il est important d'encourager les institutions à réfléchir à leur pertinence et à continuellement évaluer leurs activités au sein des communautés où elles se trouvent. Un centre d'amitié à Toronto n'évoluerait pas de la même façon qu'un centre d'amitié à Edmonton. Dans une certaine mesure, comme vous le savez bien, les centres évoluent d'une façon particulière, selon l'endroit où ils se trouvent. Et pourtant, ils sont toujours pertinents. Dans les grands centres urbains, la classe moyenne commence à prendre de l'ampleur, et les gens commencent à s'intéresser à la notion d'identité, de sorte que les centres ont un rôle important à jouer au chapitre de l'éducation culturelle, de la langue, et du regroupement d'enseignants initiés aux valeurs traditionnelles, et pour ce qui est de veiller à ce que les gens comprennent les philosophies et les méthodes traditionnelles.
La langue est extrêmement importante, car elle définit notre place dans le monde et notre vision du monde. Il est difficile pour un adulte d'apprendre une deuxième langue. C'est important pour les enfants. Nous devrions encourager le plus grand nombre possible d'enfants à apprendre une deuxième langue, car la plupart d'entre eux ont été instruits en anglais. Il faut prendre des mesures afin de veiller à ce que les centres puissent enseigner les langues.
Il suffit de songer au phénomène des écoles hébraïques au pays. Ces gens ont dit que la langue était importante pour certaines raisons et ont créé et soutenu leurs propres écoles à cette fin. Ils disposent de ressources que nous n'avons pas encore, mais nous commençons à progresser. Ce type d'écoles doit bénéficier d'un soutien de l'État pendant une période prolongée.
Je suis très impressionné par ce que le gouvernement ontarien a fait pour soutenir l'éducation universitaire et les initiatives dans les universités. Il s'est engagé, il y a dix ans, à fournir un soutien accru, et il a maintenu ce soutien. Puisqu'il s'agit d'un effort à long terme, nous n'avons pas à lutter chaque année pour obtenir du financement. C'est très important.
Nous devons encourager les centres d'amitié à examiner le rôle qu'ils jouent au sein de leur communauté. Ils évolueront de diverses façons. S'ils n'évoluent pas, ils dépériront et mourront. Ils doivent continuer d'être pertinents. Si la composition de la communauté change, ils doivent changer aussi. Cela peut supposer de recruter davantage de membres de la classe moyenne urbaine au sein du conseil d'administration et d'établir des alliances avec d'autres organismes qui servent d'endroits propices au développement.
Je ne sais pas grand-chose du phénomène des gangs, et je n'oserais même pas formuler des hypothèses quant aux gangs de Winnipeg. J'ai lu des articles de journaux sur les gangs, mais je n'en sais pas grand-chose. J'ai l'impression que les gangs donnent aux gens un sentiment de communauté et de protection dans un environnement très hostile. Ils ne trouvent pas cela ailleurs qu'auprès du gang. Une partie de la documentation sur le sujet semble soutenir cette opinion. Cela signifie peut-être qu'il faut mettre l'accent sur la famille et sur d'autres institutions afin de créer un esprit de communauté et de veiller à ce que les gens se sentent aimés et protégés. C'est ce que les gangs offrent.
Pour ce qui est de la langue, le groupe des aînés à l'Université Trent disent que nous devons insister davantage sur les philosophies et les idées et veiller à ce qu'on en discute en classe et dans la vie de tous les jours. C'est une approche différente. Il y a aussi un problème d'interprétation et de traduction. Je reviens constamment à certains aspects que j'ai appris au sujet du bouddhisme. Les enseignements fondamentaux du bouddhisme sont dans la langue originale, mais on ne se préoccupe pas de la traduction de ces enseignements dans d'autres langues. On peut maintenant lire ces enseignements en anglais, et des gens de partout dans le monde les ont étudiés en anglais. De nos jours, très peu de gens lisent le texte original. Un volume incroyable de recherches s'articulent autour des principes bouddhistes, et on commence à les enrichir. On rend hommage au texte original, mais on les interprète. Les idées commencent à se répandre dans une société, malgré la traduction, ce qui est plutôt important. On arrive néanmoins à se forger une identité de bouddhiste lorsqu'on parle anglais.
Enfin, pour répondre à votre question concernant l'académie, je crois que cet établissement est tout à fait conforme à la philosophie de Joe Hill selon laquelle il faut apprendre aux gens à être forts, à maintenir une très solide identité culturelle et à vivre dans le monde qui nous entoure.
Pour ce qui est de la discrimination à rebours, cette réaction naît de la colère. Les gens sont en colère. Ils voient tout ce qui s'est produit. Dans de telles situations, mon approche consiste à aider les gens à commencer à parler de respect. Les gens devant nous ne sont pas responsables des choses qui se sont produites. Je pose la question suivante: «D'accord, qu'allez-vous faire, alors, pour veiller à ce que ces choses ne se reproduisent jamais?» J'aide les gens en leur donnant cette question comme base de discussion. Il faut du temps pour renoncer à la colère. À long terme, la colère n'est pas une émotion productive; elle détruit plus qu'elle ne crée. J'aide les gens à trouver d'autres moyens d'exprimer leur colère, des moyens plus productifs, de sorte que cela devient un apprentissage.
Encore une fois, je reviens toujours aux idées traditionnelles lorsque j'enseigne. Je tente de toujours revenir à la notion de respect. Il est extrêmement difficile de commencer par cet aspect. Cela exige aussi beaucoup de changements.
La présidente: Beaucoup de bons aînés.
M. Newhouse: Effectivement, beaucoup de bons aînés.
La présidente: Je vous remercie beaucoup de nous avoir présenté un exposé intéressant et d'avoir pris part à une excellente discussion. Vous nous donnez matière à réflexion, ainsi que l'occasion d'assortir notre rapport de recommandations solides. Nous espérons terminer la version préliminaire dès la fin février. Comme vous le savez bien, personne ne veut parler de la culture autochtone en milieu urbain et les défis auxquels nous sommes confrontés dans les grands centres urbains. Vous avez énormément contribué à notre rapport. Encore une fois, je vous remercie beaucoup et je vous souhaite bonne chance avec les défis que vous devez relever à l'université.
La séance est levée.