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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 4 - Témoignages du 4 février 2003


OTTAWA, le mardi 4 février 2003

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 9 h 05, dans le but d'étudier les enjeux qui touchent les jeunes Autochtones des régions urbaines du Canada, en particulier l'accessibilité, l'éventail et la prestation des services, les problèmes liés aux politiques et aux compétences, l'emploi et l'éducation, l'accès aux débouchés économiques, la participation et l'autonomisation des jeunes, et d'autres questions connexes.

Le sénateur Thelma J. Chalifoux (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Nous avons le quorum. Je tiens à souhaiter la bienvenue à nos témoins, qui vont nous parler des enjeux qui touchent les jeunes Autochtones, notamment en milieu urbain.

M. Murray Hamilton, coordonnateur de programmes, Institut Gabriel Dumont: Au nom de l'Institut Gabriel Dumont, j'aimerais vous remercier de nous avoir invités à comparaître devant vous aujourd'hui.

Je travaille pour l'Institut Gabriel Dumont. Je suis un Métis et je suis originaire de Lebret, en Saskatchewan, qui est situé dans la magnifique vallée Qu'Appelle. J'agis à titre de coordonnateur de programmes pour le collège Gabriel Dumont, un des programmes offerts par l'Institut, à l'Université de la Saskatchewan. J'occupe ce poste depuis 1987. J'ai toujours crû que l'éducation contribuait, de manière importante, à régler certains problèmes sociaux et autres auxquels font face les Métis et autres Autochtones.

L'Institut Gabriel Dumont a été fondé en 1976 à Saskatoon, en Saskatchewan, à l'occasion d'une rencontre où il a été question des inquiétudes profondes que soulevait le taux d'abandon, de décrochage ou de refus observé chez les élèves allant du jardin d'enfance à la 12e année. Nous avons accompli des progrès énormes au cours des quelque 30 années d'existence de l'Institut. Toutefois, il reste encore de nombreux problèmes à régler.

J'ai préparé des notes d'information à l'intention du comité. Mon travail à l'Université de la Saskatchewan est fort intéressant et stimulant. Il me permet, entre autres, de rencontrer des personnes qui viennent de milieux différents. J'ai assisté récemment à une conférence spéciale organisée par Eric Howe, un professeur d'économie. Les notes d'information que je vous ai remises contiennent des statistiques fort révélatrices. Je sais ce que Winston Churchill pensait des statistiques, mais celles-ci résument assez bien la situation.

Ces chiffres montrent ce à quoi peuvent s'attendre les Autochtones qui poursuivent, ou non, leurs études secondaires. Le jeune homme autochtone qui abandonne ses études secondaires peut s'attendre à gagner, sa vie durant, un revenu global de 344 000 $. Ce revenu, dans le cas d'une jeune femme autochtone, ne sera que de 89 000 $, ce qui est scandaleux. Le jeune homme Autochtone qui termine ses études secondaires peut s'attendre à gagner, sa vie durant, un revenu de 861 000 $. Ce revenu, dans le cas d'une jeune femme autochtone, ne sera que de 294 000 $. Il y a donc un écart énorme entre les deux sexes.

Or, la situation est beaucoup plus positive quand on termine ses études secondaires. Le jeune homme autochtone qui fréquente un établissement d'enseignement non universitaire, comme une école de métier, touchera, sa vie durant, un revenu de 1,1 million de dollars. Ce revenu, dans le cas d'une jeune femme autochtone, sera d'environ 646 000 $. Elle devra faire des études supérieures si elle veut toucher un revenu équivalent.

Demain, à mon retour à Saskatoon, je présenterai un exposé dans une école secondaire fréquentée surtout par des Autochtones. Je dirai aux jeunes que le fait de ne pas terminer leurs études secondaires équivaut à prendre un billet de loterie et à le déchirer.

Encourager les jeunes à poursuivre leurs études secondaires, voilà un des grands défis, et il y en a de toutes sortes, que nous devons relever en milieu urbain. La tâche n'est pas facile.

J'ai eu l'occasion, la semaine dernière, d'assister à une conférence donnée par Mme Cornelia Weiman, à l'Université de Saskatchewan. Mme Weiman est Mohawk. Elle est également la première Autochtone au Canada à obtenir un diplôme en psychiatrie de l'Université de la Saskatchewan.

Les organisations politiques et les organismes de services autochtones ont eu beaucoup de mal, au cours des 30 dernières années, à convaincre les gouvernements, que ce soit au palier fédéral ou provincial, qu'ils doivent exercer un plus grand contrôle sur leurs activités. Mme Weiman a préparé une étude qui montre que les communautés qui parviennent à assurer une certaine continuité sur le plan culturel, que ce soit par le biais de l'autonomie gouvernementale, des revendications territoriales, de l'éducation, de la santé, des installations culturelles et des services de police et d'incendie, enregistrent moins de suicides. Plus les communautés exercent un contrôle sur leur destin, mieux elles s'en portent. Cela a un impact sur les enfants qui abandonnent l'école. Quand ceux-ci voient qu'il existe une certaine continuité au sein de la communauté, quand ils ont des modèles de comportement vers qui se tourner, il n'y a pas lieu de se poser de questions.

Vous allez trouver, dans la documentation, un extrait du rapport de la Commission des droits de la personne de la Saskatchewan, qui a récemment conclu qu'un système de gouvernance ou de partenariat serait plus productif, dans certains cas, que les modèles utilisés jusqu'ici. J'en déjà discuté avec le sénateur Chalifoux.

Nous devons établir de nouveaux partenariats et mécanismes de gouvernance entre les différents paliers de gouvernement et les organismes de services. C'est une solution qui, malheureusement, n'a été explorée parce qu'elle a donné peu de résultats dans le passé.

Toutefois, la situation n'est pas totalement négative. Elle présente également un côté positif, que je tiens à vous décrire. Je répondrai ensuite volontiers aux questions des honorables sénateurs.

Je suis responsable, entre autres, du collège Gabriel Dumont, qui offre aux Métis des programmes en arts et en science. Nous offrons également un programme appelé SUNTEP, qui est un programme de formation des maîtres autochtones urbains de la Saskatchewan. Il a été fondé en 1980. Je tiens à préciser que l'Institut est le seul établissement d'enseignement entièrement sous la propriété et le contrôle des Métis au Canada. Nous en sommes très fiers.

Donc, comme je le mentionnais, le programme SUNTEP a été fondé en 1980. Il s'agit essentiellement d'un programme de quatre ans qui mène à l'obtention d'un baccalauréat en éducation. Si le SUNTEP donne de bons résultats, c'est parce que nous fournissons une aide financière, universitaire et personnelle aux étudiants. Il faudrait, à mon avis, offrir le même genre d'aide du jardin d'enfance à la 12e. Nous devons être en mesure d'offrir le même genre d'aide dans les écoles secondaires et les autres établissements d'enseignement.

Le livre bleu que je vous ai distribué est assez récent. Il s'agit, essentiellement, d'une mise à jour du programme SUNTEP. Comme je l'ai mentionné, tout n'est pas négatif. Au moment de la préparation de ce document, nous comptions 359 diplômés. Nous en avons maintenant plus de 600. Côté financier, la plupart des étudiants qui se sont inscrits à ce programme auraient sans doute continué de toucher un revenu qui correspond au minimum vital ou qui se rapproche du seuil de pauvreté, qu'ils aient été bénéficiaires de l'aide sociale ou salariés à faible revenu. Quatre-vingt- dix-huit pour cent de nos étudiants finissent par décrocher un emploi, et plus de 82 p. 100 obtiennent leur diplôme. En fait, une de mes diplômées se trouve aujourd'hui à mes côtés. J'en suis très fier.

Si vous jetez un coup d'oeil à la page 17 du document, vous allez constater que, l'an dernier, nos diplômés ont versé plus de 3 millions de dollars en impôt fédéral, et 2 millions en impôt provincial. Ils étaient 359 au début, et près du double maintenant. L'argent consacré à ces programmes a donc été largement remboursé. Vous savez, tout comme moi, qu'il est important d'investir dans l'éducation. La tâche est loin d'être facile, mais nous devons investir dans l'avenir.

Toutefois, j'éprouve certaines inquiétudes. Les Métis, notamment, parce qu'ils n'ont pas accès à certains des avantages dont bénéficient les Premières nations, accusent un retard dans le domaine des études supérieures. Nous devons, quand nous songeons aux jeunes qui abandonnent leurs études secondaires, nous mettre à leur place et essayer de comprendre ce à quoi ils sont confrontés dans leur communauté. Sur les quelque 600 diplômés que compte notre programme, moins de 12 ont entrepris des études supérieures. Or, si aucun étudiant n'entreprend de telles études, on ne pourra contribuer à la recherche qui s'effectue dans les universités et autres établissements.

Mon but ici n'est pas de raconter ce qu'on devrait taire. Toutefois, jusqu'à tout récemment, le Conseil de développement des ressources humaines autochtones fournissait, en vertu de certaines ententes, des fonds aux Métis qui voulaient poursuivre leurs études au-delà du secondaire. Le Conseil a, depuis, changé sa politique. Il est sur le point de la modifier de nouveau. Je ne suis pas d'accord avec cette décision, parce que c'est là le seul moyen dont disposent certains Métis pour faire des études universitaires. La plupart de nos diplômés doivent obtenir un prêt étudiant. Une fois leurs études terminées, ils se retrouvent avec une dette qui oscille entre 25 000 et 35 000 $. La plupart de nos diplômés sont des mères célibataires qui, après avoir passé 10 ou 12 ans à rembourser leurs prêts d'études, continuent de vivre dans la pauvreté.

Il y a un autre facteur que nous devons examiner de près, et vous allez peut-être penser que je suis de la vieille école: il s'agit de la responsabilité parentale. Les Métis sont prêts à accepter le fait que nos parents doivent faire plus. À cause de la pauvreté et de la colonisation qu'ils ont connues au cours des dernières décennies, nos étudiants ne possèdent ni les compétences parentales ni les connaissances élémentaires dont ils ont besoin pour survivre. Plus inquiétant encore, ceux qui doivent voir à ce que l'enfant réussisse à l'école n'assument pas leurs responsabilités. Il s'agit là d'une question délicate pour les politiciens qui ne sont pas Métis. Les gens hésitent à en parler. C'est une question délicate même pour les politiciens qui sont Autochtones. Par conséquent, certains organismes de services doivent élaborer des stratégies pour faire en sorte que les parents jouent un rôle plus actif au sein de la communauté. À mon avis, du moins, d'après ce que j'ai vu en Saskatchewan, nous exigeons trop des enseignants. Il y en a qui travaillent dans le milieu depuis maintenant de nombreuses années. Ils nous disent que certains enfants ne semblent pas avoir de parents parce que ceux-ci ne se manifestent jamais. C'est un problème. Nous devons encourager les jeunes à poursuivre leurs études secondaires; nous devons mettre sur pied des programmes d'études supérieures; nous devons trouver les ressources nécessaires — et je ne comprends pas pourquoi DRHC a décidé de ne plus financer les programmes d'études supérieures — nous devons amener les parents à jouer un rôle plus actif à ce chapitre. Voilà les principaux enjeux.

Merci.

Le président: Vous n'avez soulevé que quatre enjeux.

M. Hamilton: Ce sont les principaux.

Le président: Nous pourrions peut-être entendre l'exposé de Mme LaPierre, et ensuite passer aux questions.

Merci d'être venue nous rencontrer ce matin.

Mme Irene LaPierre, directrice, Piitoayis Family School: Merci de m'avoir invitée à comparaître devant le comité. Je suis une Métisse. Mes ancêtres étaient Ojibway. J'ai un baccalauréat en éducation que j'ai reçu de l'Université de la Saskatchewan en 1996, par l'entremise du programme SUNTEP. J'ai également une maîtrise en analyse des programmes, que j'ai obtenue en 2002. J'ai eu de la chance: j'ai travaillé pour un conseil scolaire qui a accepté de payer mes frais de scolarité. Une fois mes études terminées, il n'a pas été en mesure de m'offrir un emploi. J'ai donc déménagé.

J'ai travaillé pour la Commission des écoles catholiques de Saskatoon à titre de coordonnatrice de l'enseignement à domicile, tout en poursuivant mes études en vue d'obtenir un baccalauréat en éducation. Comme j'ai débuté mes études sur le tard, je ne pouvais pas me permettre de m'endetter. J'ai donc travaillé et étudié en même temps. J'ai peut-être mis plus de temps à obtenir mon diplôme, mais je n'étais pas endettée une fois mes études terminées. J'ai travaillé avec des élèves à risque, ce qui m'a permis d'acquérir une expérience précieuse, que j'ai pu mettre en pratique dans la salle de classe.

J'ai enseigné au secondaire pendant quatre ans, à Prince Albert. J'ai aussi élaboré un programme intrascolaire pour les élèves à risque.

Au secondaire, j'ai donné des cours sur les études autochtones et les sciences humaines, en anglais. J'ai ensuite travaillé pour le conseil d'éducation de Calgary, en tant que spécialiste des questions autochtones. Je suis maintenant directrice d'une école primaire. J'ai donc une vaste expérience du milieu.

Je ne tiens pas à vous parler de l'impact historique qu'ont eu les pensionnats sur les Autochtones. Vous en êtes déjà conscients. Cet impact se fait toujours sentir. Je crois toutefois qu'il s'atténue avec toute nouvelle génération, via le processus de guérison. Par ailleurs, il est important de travailler avec les jeunes et avec leurs familles, de raffermir leur courage et leur ténacité en tant qu'Autochtones. Beaucoup de recherches ont été effectuées sur les enjeux auxquels sont confrontés les jeunes Autochtones; il y a eu une commission royale, de même que des études menées dans les communautés.

Je vais vous parler de Calgary, parce que c'est mon lieu de résidence et de travail. J'ai constaté, en effectuant mes recherches, qu'une évaluation des besoins avait déjà été réalisée en 1984. Même à ce moment-là, les jeunes Autochtones étaient confrontés à des problèmes socio-économiques. Ceux-ci englobaient la pauvreté, les conditions culturelles, l'absence de connaissances et le manque de compréhension des cultures autochtones au sein des écoles.

Les programme d'études présentaient une image négative des Autochtones et n'accordaient aucune attention à leur langue, leur culture et leurs traditions. Les jeunes Autochtones doivent évoluer dans un milieu scolaire qui tient compte de la contribution qu'ils apportent à la société.

Le ministère de l'Apprentissage de l'Alberta a réalisé, en 2000, une étude sur la politique en matière d'éducation des Autochtones. J'ai annexé, à mon mémoire, un tableau qui montre que les étudiants de la neuvième année accusent du retard par rapport aux étudiants non autochtones.

D'autres consultations ont été organisées avec les Autochtones de Calgary par le biais de cercles d'écoute, un processus assez laborieux.

Encore une fois, le racisme et la discrimination manifestés par les enseignants et les étudiants, et que l'on retrouve aussi dans les programmes d'études, soulèvent des préoccupations. Les traditions et l'histoire ne sont pas prises en compte, ou sont représentées de manière inexacte. Résultat: les élèves autochtones ont honte de leurs ancêtres.

En tant que Métisse, je comprends la honte qu'ils ressentent, car, moi aussi, je me suis sentie exclue. Avec un nom comme LaPierre, je suis devenue une Canadienne française en 7e année, pendant une courte période. Ce n'est qu'une fois inscrite au programme SUNTEP, 20 ans plus tard, que j'ai retrouvé un sentiment d'appartenance et d'identité, que je me suis sentie fière d'être une Métisse. La première année, nous avons été plongés dans la culture métisse, et j'ai senti que j'étais un membre à part entière de la société.

Le taux de décrochage chez les jeunes Autochtones de Calgary oscille entre 60 et 70 p. 100, ce qui veut dire que 40 p. 100 des Autochtones ne font même pas d'études secondaires. Ce taux est de 26 p. 100 chez les non-Autochtones. Six pour cent des Autochtones ont un diplôme universitaire; le taux est de 19 p. 100 chez les non-Autochtones.

La communauté autochtone a formulé plusieurs recommandations pour venir à bout de ce problème. Elle a proposé, entre autres, qu'on recrute des anciens et des Autochtones pour enseigner l'histoire et les traditions. Elle a également recommandé que le programme d'études soit réexaminé et qu'on s'attaque aux problèmes de racisme en sensibilisant le personnel, les parents et les étudiants.

On devrait embaucher un plus grand nombre d'Autochtones au sein du système scolaire. Il y a de nombreux domaines d'activités où les Autochtones peuvent apporter une contribution. Il n'y a pas de solutions simples.

Le système d'éducation doit offrir un programme d'études qui tient compte des cultures. Les enseignants n'ont pas la formation et les connaissances voulues pour travailler avec les étudiants autochtones. Il faut se doter d'un système d'éducation proactif qui est capable d'apporter les changements qui s'imposent.

Le conseil scolaire de Calgary a joué un rôle de chef de file à cet égard. En 1979, il a ouvert la Plains Indian Cultural Survival School, le premier établissement de ce genre au Canada qui a su servir de modèle. Bon nombre des écoles au Canada ont adopté le concept de l'école de survie. Toutefois, au cours des dernières années, le nombre d'inscriptions a diminué, et de nombreux autres programmes offerts aux étudiants adultes ont été abolis, de sorte que l'école a fermé ses portes en juin 2002.

Au cours de la dernière année, j'ai été en mesure, une fois de plus, de tenir des consultations auprès des communautés autochtones sur l'orientation à donner à l'éducation autochtone. Grâce aux recherches effectuées par d'autres, et aux résultats des consultations, nous avons élaboré une nouvelle vision pour l'éducation autochtone au sein du conseil.

Ces consultations ont permis de dégager quatre grands thèmes. D'abord, les communautés autochtones tenaient à ce que les écoles offrent un volet universitaire bien structuré. Elles jugeaient que, trop souvent, les programmes ne répondaient pas aux besoins des Autochtones. Elles tenaient également à ce qu'on enseigne la culture et la langue au sein des écoles, et à ce que leurs enfants aient accès à la technologie. Plus important encore, les communautés voulaient un système scolaire communautaire, un système qui leur permettrait de faire partie intégrante de l'école.

Bon nombre des personnes que j'ai consultées estimaient ne pas posséder les outils nécessaires pour aider leurs jeunes à s'adapter au milieu scolaire. Elles estimaient ne pas avoir les compétences nécessaires pour les aider à faire leurs devoirs, une fois qu'ils avaient atteint un certain niveau. Elles étaient incapables de leur offrir le soutien dont ils avaient besoin.

Les collectivités autochtones exigent que leurs enfants bénéficient d'un enseignement de qualité et qu'ils aient accès à des programmes qui les exposent à la culture, à l'histoire et aux traditions des peuples autochtones. Elles préconisent également une approche globale à l'éducation. Elles veulent qu'on réponde aux besoins spirituels, émotionnels, physiques et psychologiques de leurs enfants. Une approche globale signifie que le programme scolaire inclut les parents, les grands-parents et les familles. Une telle approche tire parti de la force que confèrent les familles.

La Piitoayis Family School a ouvert ses portes en septembre 2002. Le nom de l'école signifie hutte de l'aigle dans la langue des Pieds-Noirs. L'école est un don de la part des aînés de notre collectivité. Nous offrons un programme pour les niveaux allant de la première à la sixième année et nous fournissons le transport et le dîner. Nous prônons l'égalité des chances pour les enfants autochtones.

Certains parents d'élèves ne sont pas Autochtones. Tous nos enfants sont Autochtones, mais certains d'entre eux vivent dans une famille d'accueil. Les parents de ces familles les envoient à notre école afin qu'ils puissent s'attacher à leur culture. Nous assurons le transport d'élèves des quatre coins de la ville.

Nous avons incorporé dans notre programme d'études les recommandations que les familles nous ont formulées. Étant donné que nous mettons beaucoup l'accent sur le volet scolaire, les professeurs ont été embauchés selon leurs compétences dans l'enseignement des matières et sur le plan de la lecture et de l'écriture. Ces professeurs, qu'ils soient Autochtones ou non, devaient démontrer leur volonté d'apprendre tous les aspects de la culture et des pratiques des Autochtones et de participer à celles-ci. Ils doivent veiller à inclure une perspective autochtone dans leur enseignement. Tous nos employés de soutien sont d'origine autochtone.

Malheureusement, les élèves de première à sixième année qui arrivent chez nous ont souvent un ou deux ans de retard sur le plan de leur apprentissage. Ils sont en train de prendre rapidement du recul. La population de Pieds-Noirs et de Cris est importante; ainsi, nous enseignons la langue des Pieds-Noirs et des Cris à nos élèves. Le programme culturel prévoit des leçons de tambour, de chant et de danse. Nous commençons chaque matin par un hymne au drapeau, une cérémonie de purification et une prière. Notre milieu reflète la culture autochtone, qu'il s'agisse des employés, des bénévoles qui travaillent à la cuisine, des affiches sur les murs ou de la représentation des lettres de l'alphabet.

Les célébrations communautaires reflètent également la culture des gens. Au lieu de présenter un concert de Noël, les élèves dansent en rond. Nos enfants chantent à leurs parents des chansons dans la langue des Cris et des Pieds- Noirs.

Notre école bénéficie d'un assez bon accès à la technologie, Nous avons des ordinateurs dans chaque salle de classe, et les professeurs les intègrent à leur enseignement.

Les familles jouent un rôle important dans la réussite de nos jeunes. Par le passé, les familles autochtones étaient à l'écart. Aujourd'hui, elles participent à la vie scolaire et à la culture. Lorsque des Autochtones viennent s'établir en ville, ils perdent le contact avec les cérémonies et les pratiques, car elles existent très peu en milieu urbain. C'est pourquoi nous incluons les familles.

Nous avons réussi à obtenir du financement pour le volet famille du programme de notre école. Nous allons offrir des camps culturels tous les mois. Nous nous concentrerons sur quatre domaines — les choix santé, les familles en santé, les familles et la culture ainsi que les familles et l'alphabétisation.

Nous devons aider nos familles à acquérir des compétences en lecture et écriture afin qu'elles puissent encourager leurs enfants à en faire autant. Les familles nous promettent qu'elles appuieront le volet scolaire, qu'elles feront la lecture à leurs enfants et qu'elles les enverront à l'école régulièrement.

Nous nous efforçons de développer les compétences des familles et de leur donner les outils nécessaires pour qu'elles puissent travailler efficacement avec leurs enfants. Les responsables de la culture et les chefs spirituels sont très importants dans nos écoles. Comme nous représentons plus de neuf peuples dans notre école, des aînés de ces différents peuples viennent transmettre leur savoir aux enfants. Le simple fait qu'ils soient présents dans l'école est important. Les aînés nous soutiennent et nous guident.

Notre comité de parents se réunit une fois par mois, et plus d'une vingtaine de parents, accompagnés de leurs enfants, assistent aux réunions d'école. Les parents ont rédigé l'énoncé de notre vision, ce qui témoigne de l'importance qu'ils accordent à l'éducation. L'énoncé de notre vision indique que nous devons créer un milieu d'apprentissage où règne le respect et qui est fondé sur un équilibre entre les valeurs culturelles traditionnelles et l'excellence scolaire. Cette approche globale contribuera à accroître la fierté et l'estime de soi chez les élèves, ce qui les aidera à devenir pour le reste de leur vie de bons apprenants responsables.

C'est ce que les parents veulent pour leurs enfants, et nous parvenons à le leur offrir en nous efforçant d'honorer les valeurs que nous ont transmises nos ancêtres: la sagesse, l'amour, le respect, la bravoure, l'honnêteté, l'humilité et la vérité. Il semble que nous ayons bouclé la boucle. Nous sommes passés d'un système de pensionnats qui divisait les familles à un système d'éducation qui inclue désormais les familles et les collectivités au sein des écoles.

Nos locaux se trouvent actuellement dans un immeuble que nous partageons avec une autre école, mais nous espérons obtenir un endroit à nous. Dans mon mémoire, j'ai dressé une liste de pratiques optimales et de suggestions.

Assez souvent, la voix des Autochtones vivant en milieu urbain n'est pas entendue. Lorsque des Autochtones quittent leur réserve, ils perdent non seulement le contact avec leur collectivité, mais aussi du financement. Les peuples autochtones souhaitent un endroit bien à eux. La Piitoayis Family School fait partie d'un grand réseau d'écoles urbaines. Elle fonctionne bien uniquement parce que nous avons inclus la collectivité. En outre, nous offrons des programmes pour les élèves à risque. J'utilise l'expression «à risque» à défaut d'un meilleur terme pour désigner les élèves qui risquent de ne pas réussir. J'ai pris part à ces programmes en tant qu'agente de liaison avec les familles. Il faut reconnaître que nous devons exposer très tôt nos élèves à leur langue, à leur culture et à leurs traditions, en fait, dès l'âge préscolaire, afin qu'ils puissent s'identifier à celles-ci et réussir dans d'autres domaines.

Le changement est nécessaire à tous les niveaux d'éducation, que ce soit dans les écoles ordinaires ou dans les écoles éloignées. Un volet d'études autochtones contribuerait de façon importante à sensibiliser les élèves. Il y a un grand besoin de professeurs autochtones compétents, non seulement dans les réserves, mais aussi dans les régions urbaines. Les professeurs autochtones ont tendance à retourner dans les réserves, où ils peuvent travailler et ne payer aucun impôt. Il faut mettre en place des incitatifs fiscaux pour les attirer en ville ainsi que du financement à l'intention des élèves qui n'habitent pas les réserves et des personnes qui nécessitent des ressources supplémentaires en éducation. Par ailleurs, les systèmes d'éducation en milieu urbain doivent se préparer à accueillir des étudiants autochtones en élaborant et en mettant en oeuvre une politique autochtone et de la formation sur la culture autochtone. Nous oublions parfois que le ou la secrétaire de l'école joue un rôle important en ce qui a trait à l'accueil des personnes qui se présentent à l'école. Si les familles ne se sentent pas bien accueillies, elles ne voudront pas aller souvent à l'école.

Le programme provincial d'éducation doit tenir compte des Autochtones, dans le sens que l'étude des peuples autochtones devrait faire partie du programme de tous les niveaux scolaires, et non pas uniquement en 4e et en 5e année, comme à l'heure actuelle. Il devrait aussi exister des programmes au choix. Nous devons garder en tête que nous sommes au service d'une certaine partie de la population autochtone seulement. Premièrement, je dis toujours que notre programme n'en est pas un pour tous les peuples autochtones. Nous sommes au service des personnes qui souhaitent que leurs enfants aillent dans une école destinée aux Autochtones. Ce qui m'importe à l'heure actuelle, c'est l'accès à des fonds pour la construction d'écoles autochtones dans les grandes régions urbaines.

En terminant, je vous remercie pour votre temps et votre attention. Je serai ravie de répondre à vos questions.

La présidente: Je vous remercie tous les deux pour vos exposés informatifs et intéressants.

Le sénateur St. Germain: Si je comprends bien, monsieur Hamilton, vous travaillez pour l'Institut Gabriel Dumont?

M. Hamilton: Oui.

Le sénateur St. Germain: Madame LaPierre, travaillez-vous pour une école autochtone?

Mme LaPierre: Oui.

Le sénateur St. Germain: Mais vous êtes Métisse.

Mme LaPierre: Je suis Métisse et je suis diplômée de l'Institut.

Le sénateur St. Germain: C'est ce qui vous réunit.

Mme LaPierre: Oui.

Le sénateur St. Germain: J'ai grandi en tant que Métis au Manitoba. Mon père était un trappeur et l'éducation qu'il pouvait me transmettre n'était certes pas adaptée au monde dans lequel nous vivons aujourd'hui. Il a pourtant toujours agi de bon coeur et il était un excellent père.

Les parents métis dont vous parlez ont besoin d'aide pour guider leurs enfants sur le plan de l'éducation. La génération de mes parents était constituée de trappeurs et de personnes qui vivaient de la terre. Les parents de la génération de mes enfants vivent une réalité différente selon moi. Quelle est leur position? Participent-ils à la société et à l'économie modernes ou prennent-ils encore un peu part à l'économie du temps de mon père?

M. Hamilton: Puis-je vous demander, sénateur St. Germain, si vous avez effectué des études postsecondaires?

Le sénateur St. Germain: Oui. J'ai abandonné l'école secondaire, j'y suis retourné et ensuite je me suis engagé dans les forces aériennes. Je remercie le ciel pour l'Aviation royale du Canada et pour un peu de chance. Chaque fois que je me promène à Winnipeg, je me dis: «Sans la grâce de Dieu, je ne serais pas ici en train de marcher sur la rue Main avec un paquet de six bières sous mon bras.»

M. Hamilton: Je vous comprends, je me suis souvent dis la même chose. Je ne suis pas certain d'être d'accord avec vous, peut-être est-ce à cause de mon âge avancé, mais j'estime que ce qu'il faut c'est un intérêt dans son enfant et dans son éducation. Les trappeurs sont des personnes intelligentes. Mon beau-père était un trappeur aux abords de la rivière Churchill. Sa fille, mon épouse, a poursuivi des études postsecondaires. Il faut être intelligent pour être trappeur. Il faut étudier les animaux et les connaître. Peut-être que Mme LaPierre ne sera pas d'accord avec moi, mais j'estime qu'il est très important que les parents participent à l'éducation de leurs enfants. Je maintiens catégoriquement que nous devons changer. Je pense que les organismes politiques autochtones, les organismes de services aux Autochtones et les parents autochtones se défilent. Ils doivent s'intéresser de près aux enfants. Certains immigrants qui arrivent au Canada ne parlent même pas l'anglais, mais ils insistent sur l'importance qu'occupe la langue du pays, leur langue d'origine et l'éducation. Mme LaPierre a fait valoir de bons points, comme le fait que le niveau de confort dans les écoles est parfois insuffisant. Il faut voir à cela. Nous devons convaincre nos parents — et je veux dire nous, la collectivité métisse — qu'il va dans l'intérêt des enfants, des parents et de l'ensemble de la collectivité de s'intéresser vivement à l'éducation des enfants.

Je simplifie la question, mais très honnêtement, je dois avouer que j'en ai assez d'entendre des histoires à propos des pensionnats et de ce que les Blancs ont fait. Je vois des Autochtones qui s'intéressent à différentes choses. Ils doivent décider consciemment de s'intéresser à l'éducation de leurs enfants.

Votre père était un trappeur. Un homme originaire de votre coin, Paul Chartrand, est maintenant professeur au collège de droit de l'Université de Saskatchewan. Son père était également un trappeur. Les pères de bien d'autres personnes étaient également des trappeurs, mais ces pères étaient conscients du fait que l'économie évoluait et qu'il faudrait à leurs enfants d'autres compétences pour survivre.

C'est pourquoi des parents métis envoient leurs enfants à Montréal pour les faire instruire, et ce depuis l'époque de Louis Riel et de Louis Schmidt. Certains parents métis savaient. L'éducation comporte un élément d'assimilation. Les politiciens en général, et en particulier les politiciens autochtones, ne s'occupent pas de ce problème.

Le sénateur St. Germain: Nous ne nous en occupons pas, mais le fait est que les gouvernements n'écoutent pas. Dès qu'ils prennent le pouvoir, peu importe leur camp, ils prétendent qu'ils savent ce qui convient. Une partie de la solution peut provenir du gouvernement, mais, en général, dès qu'un gouvernement accède au pouvoir dans ce pays, il prétend tout savoir et n'écoute personne. Il affirme qu'il consultera, mais il ne le fait habituellement pas. Alors, comment aborder la question?

Je comprends ce que vous dites. Vous mettez le problème entre nos mains. Vous travaillez actuellement au sein de ces collectivités. J'ai les mêmes origines. Je voulais être pilote professionnel, et c'est ce que je suis devenu. Mais comment transmettre notre message aux parents? Les parents doivent aussi avoir des modèles et des héros. S'il est un problème dans notre système, c'est que nous n'avons pas de héros. Le sénateur Chalifoux et moi-même avons essayé de nous en donner un, mais le Parti conservateur a entravé l'adoption du projet de loi sur Louis Riel, qui, selon moi, était un début. Si nous n'avons pas de héros ni certains modèles à admirer, comment, en temps que parents, pouvons-nous instaurer chez les enfants métis la fierté dont ils ont besoin pour vaincre certaines des difficultés auxquelles ils font face? Quand nous étions enfants, on nous disait que nous ne pouvions pas aller à l'épicerie, car nous étions tous des voleurs innés.

Je vous comprends. Vous êtes un professionnel. Vous êtes dans les rangs. Vous êtes avec les troupes. Que pouvons- nous faire? Je me suis entretenu avec Margaret Swann au Manitoba et avec de nombreux Autochtones partout au pays, bien plus qu'avec des Métis.

M. Hamilton: Je ne demande pas davantage d'argent. Si les fonds sont là, très bien, mais sinon, je suis prêt à dire à quelque comité que ce soit que nous sommes en train de dépenser de l'argent. Mme LaPierre a travaillé comme agente de liaison avec le milieu familial. Voilà ce dont nous avons besoin. Davantage de personnes qui doivent travailler avec les parents, les encourager à venir à l'école et leur dire que l'école n'est vraiment pas si mal. C'est leur école. Je le sais, car j'ai quatre garçons. Le plus vieux est allé à ce qu'on appelle une école communautaire à Prince Albert. Des personnes venaient à la maison pour nous persuader d'aller à l'école, mais comme je suis une personne timide, ce n'était pas difficile de me convaincre. Toutefois, d'autres personnes sont plus difficiles à persuader.

L'autre élément nécessaire est l'expérience de travail. Lorsque les Métis, les peuples des Premières nations et les Inuits arrivent à l'âge de la socialisation, nous avons un grave problème. À Saskatoon, par exemple, il faut combiner les études secondaires avec une expérience de travail. Cette méthode ne coûte pas nécessairement bien cher. Nous avons une rue principale, la Huitième rue, qui se situe sur le côté est de la rivière. Si vous connaissez la Saskatchewan, vous savez que vivre sur le côté est ou le côté ouest veut tout dire. Sur le côté est, la 8e rue fait environ six milles de long. On y trouve environ 60 restaurants-minute. Je le sais, car Mme LaPierre et moi-même les avons tous essayés lorsqu'elle poursuivait ses études. Vous ne trouvez aucune personne métisse ou autochtone dans ces endroits, pas une seule. C'est la même chose lorsque vous allez chez Sears ou chez La Baie. Les élèves du secondaire examinent la société qui les entoure et se demandent pourquoi ils devraient faire des efforts et quelle place ils peuvent se tailler. Ils se posent ces questions, mais s'ils avaient la chance de voir leurs semblables et d'autres personnes dans un milieu de travail, cela les aiderait.

Le sénateur Pearson: J'ai écouté vos exposés et il est intéressant, madame LaPierre, d'avoir quelqu'un comme vous qui connaît le fonctionnement des systèmes scolaires, puisque vous avez non seulement travaillé à l'école dont vous êtes maintenant la directrice, mais aussi, de toute évidence, pour le système scolaire de Calgary, sans compter que vous avez étudié dans le domaine des programmes d'études. Ma question vise essentiellement le programme d'études, puisque vous dites qu'il ne s'est pas beaucoup amélioré dans le cas des peuples autochtones depuis maintenant 20 années, même si bien des gens ont une impression plus positive de la situation.

J'aimerais savoir quels obstacles empêchent de modifier le programme d'études. Je pourrais parler de la province de l'Alberta en particulier, mais je suis sûre que d'autres sont tout aussi récalcitrantes.

Mme LaPierre: Cela dépend de la province, mais je peux dire que la Saskatchewan est très novatrice en matière de programme scolaire. Par exemple, lorsque j'étais enseignante au secondaire à Prince Albert, les études autochtones avaient la même importance que les études sociales. Il était possible de suivre les études autochtones et d'obtenir un crédit. En Alberta, j'ai travaillé sur les études autochtones 10, 20 et 30 il y a deux ans, et un projet pilote n'a été lancé que l'an passé; c'était un cours facultatif. Les études autochtones en Alberta ne permettent pas d'obtenir un crédit, contrairement à ce qui se passe en Saskatchewan. Je ne peux pas parler de la Colombie-Britannique, même si j'y ai vécu pendant plusieurs années, parce que je n'étais pas dans le système de l'éducation. Je peux dire que le ministère de l'Apprentissage de l'Alberta n'est pas novateur au même titre que la Saskatchewan d'il y a 20 ans et qu'il a du retard à rattraper.

Le sénateur Pearson: Y a-t-il d'autres éducateurs à part vous?

Mme LaPierre: Oui, nous nous infiltrons dans le système. Le ministère de l'Apprentissage de l'Alberta comporte un département des études autochtones, si bien qu'on peut dire que des progrès se font en matière de programmes d'études et d'approbation de cours élaborés sur place.

Le sénateur Pearson: C'est prometteur.

Mme LaPierre: Le travail se fait lentement mais sûrement.

Le sénateur Pearson: D'après les tableaux, il semble que vous soyez en mesure d'attirer un certain nombre de femmes dans votre programme post-secondaire en éducation. J'imagine que la situation est généralisée, car plus de femmes que d'hommes s'intéressent à ce domaine. Vous parlez aussi dans votre tableau du nombre de femmes qui s'inscrivent alors qu'elles sont parents uniques, mais ce n'est pas elles qui m'intéressent pour l'instant. Vous faites mention de la participation des parents et je pense que vous avez absolument raison. J'aimerais parler de certains des élèves du secondaire et de la question de l'alphabétisation.

Nous savons que les enfants sont plus vulnérables lorsque leurs parents ne sont pas alphabétisés et que leur mère, par exemple, est déprimée. Cela ne s'applique pas uniquement aux Autochtones mais à toutes les populations de la société. Il y a énormément de mères chefs de famille monoparentale qui sont déprimées pour toutes sortes de raison que l'on peut parfaitement comprendre. Dans vos programmes d'alphabétisation, lorsque vous essayez d'amener les familles à l'école, parvenez-vous à mettre l'accent sur l'alphabétisation, étant donné que si elles ne savent pas lire, vous ne pouvez pas vraiment leur demander de faire la lecture à leurs enfants.

Mme LaPierre: Nous avons la chance d'avoir une personne contact entre la maison et l'école qui travaille avec les familles en situation de crise; notre nouveau programme comporte un volet important d'alphabétisation et nous allons ouvrir une bibliothèque afin de permettre aux parents d'emprunter des livres. Nous allons également avoir des gens qui travailleront avec nos familles pour améliorer le taux d'alphabétisation afin qu'elles soient plus en mesure d'aider leurs enfants.

Le sénateur Pearson: Sont-elles motivées ou opposent-elles de la résistance?

Mme LaPierre: Étant donné que notre école est un lieu recherché, elles veulent être présentes. Elles sont tout à fait prêtes à commencer à apprendre en même temps que leurs enfants, vu qu'elles doivent répondre à certaines exigences pour pouvoir participer.

Le sénateur Pearson: Merci et bonne chance.

Le sénateur Hubley: J'aimerais revenir sur une question soulevée par le sénateur Pearson. Vous venez juste de dire que votre école est une école de choix pour les Autochtones. Arrive-t-il que des enfants ne soient pas acceptés du fait que leurs parents n'acceptent pas la responsabilité qu'il leur revient selon vous, à ce moment-là?

Mme LaPierre: Oui, nous avons eu de telles expériences. Pas plus tard que la semaine dernière, nous avons dû contacter une mère dont l'enfant est inscrite à notre école depuis près d'un mois ou six semaines et qui ne vient pas. Nos enseignants ont téléphoné tous les jours et la mère a fini par retirer son enfant pour la mettre dans l'école d'en bas. La même chose s'est cependant produite. Il fallait lui téléphoner constamment. Elle a alors demandé si sa fille pouvait revenir dans notre école. Je lui ai répondu que tant que la question de l'assiduité n'était pas réglée et qu'elle ne pouvait prendre un engagement dans ce sens — et c'est à elle que je ferais signer un contrat d'assiduité plutôt qu'à sa fille — je ne pourrais pas la reprendre dans notre école puisqu'il faut y être présent 90 p. 100 du temps, si pas plus.

Le sénateur Hubley: J'aimerais poser une autre question à propos du nombre des élèves qui décrochent du secondaire. Vous avez dit que vous offrez des programmes aux élèves vulnérables. Pourriez-vous en parler davantage et nous dire si ces programmes permettent de faire revenir ces élèves à l'école? Si oui, ces jeunes vont sans doute réussir, j'imagine.

Mme LaPierre: Ce que l'on oublie de mentionner dans le cas des décrocheurs du secondaire c'est que — par exemple, j'ai moi-même décroché au secondaire — parfois on ne prend pas en compte le taux de retour des étudiants adultes. Je suis retournée à l'école à l'âge de 34 ans. Dans notre classe, il y avait cette année-là très peu de jeunes. Sur une classe de 26, 22 étaient des étudiants adultes qui revenaient à l'université. On ne prend pas souvent compte de ces étudiants.

Nous avons également un programme au sein du Conseil scolaire de Calgary qui nous permet de travailler avec les familles d'élèves qui sont vulnérables pour quelque raison que ce soit; souvent il s'agit de situations de crise, de toxicomanie, de violence familiale ou d'autre chose qui peut entraver le processus d'éducation. Tant que ces problèmes ne sont pas réglés, il est difficile d'enseigner aux élèves dont l'état d'esprit n'est pas propice à l'apprentissage. Parfois, il faut essayer de leur donner le sentiment qu'ils sont capables de reprendre et de poursuivre leurs études. Parfois, c'est en dehors de l'école que l'on règle ces questions. Beaucoup de nos élèves ont affaire à la justice et doivent régler leurs problèmes avant de pouvoir revenir à l'école.

Je me souviens de certains de mes élèves. L'une d'elles va revenir suivre des études post-secondaires. Elle est enseignante dans une de nos écoles à Saskatoon et j'ai travaillé avec elle alors qu'elle était âgée de 16 ans. Il est très important de simplement être présent, de représenter un appui, de travailler avec leur famille et de faire venir les familles dans les écoles pour régler les problèmes. Très souvent, il s'agit de problèmes d'assiduité et il faut alors examiner ce qui empêche les élèves d'être présents, régler la question et aller de l'avant.

Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question.

Le sénateur Hubley: Si.

[Français]

Le sénateur Gill: J'aimerais poursuivre le questionnement du sénateur St. Germain concernant les références aux parents et aux modèles. J'aimerais aussi toucher un mot au sujet d'une de vos recommandations dans laquelle vous avez dit:

[Traduction]

Le programme provincial d'études devrait refléter la réalité des peuples autochtones et faire état de leur contribution au Canada.

[Français]

Si en fait vous sentez le besoin de dire cela c'est que la présence autochtone n'est pas comprise ou n'est pas acceptée ou n'est pas partie prenante dans le pays et c'est pour cela qu'on sent le besoin que cela soit enseigné dans les écoles. Le problème c'est de faire comprendre aux Canadiens ce qu'est un Autochtone, un Métis, un membre de la Première nation. M. Hamilton semblait dire que les politiciens ne prennent pas leurs responsabilités. Tout le monde le fait parce que la culture canadienne n'a pas évolué de façon à accepter les Premières nations avec leurs différences. On manque un peu le bateau en ne faisant pas, et ce avec solidarité, de l'éducation aux non-Autochtones et ceux qui ne comprennent pas. Les politiques ne sont pas faites par les Autochtones.

Je ne crois pas important que le père soit trappeur, cultivateur ou agriculteur. L'important c'est d'être fier de ses parents parce qu'ils nous enseignent des qualités de base, des vertus comme la justice, le partage et le respect.

Mon père a été trappeur. Ce n'est pas important. Ce qui l'est, c'est d'avoir des modèles, des références qui nous ont donné quelque chose. C'est pour cette raison qu'aujourd'hui beaucoup de jeunes ont des problèmes. On fait face à des couples séparés, des familles éclatées et les jeunes ont plus ou moins de modèle, mise à part la mère. Quand on parle de références, les jeunes ont besoin d'avoir de l'espoir. Comment les jeunes des milieux urbains vont-ils pouvoir espérer bâtir quelque chose s'ils ne continuent pas à avoir des liens avec leur communauté? Comme vous le disiez, ces jeunes fréquentent certains secteurs d'une ville, ils ne voient pas d'Autochtones ou de Métis. Comment ces jeunes vont-ils faire pour s'intégrer dans la société et être heureux?

[Traduction]

La présidente: Qui de vous deux veut répondre?

Mme LaPierre: J'aimerais répondre à la question du programme scolaire. Vous avez raison, c'est la société dominante qui en est actuellement l'auteur. Certaines provinces ont des études autochtones, mais il faudrait en fait citer des héros autochtones en exemple et les décrire de manière positive. Il serait pertinent de penser aux héros du passé qui sont à l'origine de notre avenir.

M. Hamilton: Beaucoup de questions se posent.

Le sénateur Gill: Je le sais.

M. Hamilton: À propos du programme d'études, d'après mon expérience, les Autochtones — et je ne peux que parler des Métis — se tournent toujours vers le gouvernement pour en attendre une solution magique au niveau fédéral, provincial ou autochtone. Cela ne marche pas, car dans la plupart des cas, c'est la collectivité elle-même qui peut apporter les réponses voulues. Depuis 1980, nous avons 600 personnes de qualité, comme Mme LaPierre, qui viennent des collectivités. Pour ce qui est des programmes d'études, je sais par expérience qu'en Saskatchewan, le ministère de l'Éducation embauche des gens pour la conception du programme d'éducation. Ils répondent simplement aux desiderata de quelqu'un d'autre. Par exemple, ils peuvent dire: «Aujourd'hui, nous allons rédiger un livre pour les diverses années.» Toutefois, le meilleur programme que nous ayons jamais produit pour notre collectivité a été conçu nécessairement par ceux qui ont travaillé dans les écoles.

C'est la même chose pour les Premières nations et les Inuits. Vous devez disposer des ressources nécessaires pour mettre sur pied votre propre programme d'études. Le gouvernement ne peut pas le faire, cela ne peut se faire que par des gens de la collectivité qui travaillent dans les écoles, comme Mme LaPierre.

Je ne pense pas que quiconque dans l'Est comprenne bien les Métis. La dichotomie est différente dans cette région — vous êtes soit Autochtone soit Blanc. Toutefois, dans l'Ouest, on note une certaine évolution. En ce qui concerne le point de référence, vous avez raison. Il n'y a pas de terre; ils n'ont rien. Cela nous ramène à la question. Même d'un point de vue de compétence, les Métis sont des orphelins constitutionnels. Il s'agit d'un problème de ressources, mais les gouvernements fédéral et provinciaux déclarent que cela ne relève pas d'eux. J'entends depuis des années des politiciens métis dire: «Je ne veux pas être responsable au plan fédéral ou provincial, je veux être responsable personnellement.» Nous cherchons simplement les ressources nécessaires afin de pouvoir régler certaines de ces questions. Toutefois, vous avez raison en ce qui concerne le programme d'études.

J'aimerais vous raconter une anecdote. En septembre dernier, j'ai été présenté à un Sami du nord de la Finlande, avocat et ami de Paul Chartrand, à l'Université de la Saskatchewan. Il était venu examiner les systèmes de justice au Canada, ainsi que la situation autochtone en Saskatchewan. Il s'y intéressait surtout parce qu'un Métis a été récemment nommé juge et voyage dans le Nord. Il est allé passer une semaine dans le Nord avec le juge.

Auparavant, je l'avais amené au centre-ville de Saskatoon, dans des endroits qu'il n'aurait jamais visités seul: les soupes populaires, les salles de bingo, et cetera. Des gens viennent du Nord et d'autres régions rurales — des Métis — alors qu'ils n'ont aucune compétence. Cet avocat s'est rendu dans le Nord avec le juge et, à son retour à Saskatoon, il m'a fait part de sa consternation: «On ne verrait jamais pareille chose dans mon pays.»

Je le répète, je veux rester positif. Nous avons mis sur pied un formidable programme d'études. Mme LaPierre a bien dit qu'elle est allée à l'école avec beaucoup d'étudiants adultes, âgés de 26 à 28 ans, si pas plus. Tout porte à croire que la situation évolue. Beaucoup de nos gens sortent de l'école secondaire après leur 12e année et il semble que le taux d'abandon diminue. Toutefois, la situation est parfois très décourageante et frustrante compte tenu du temps que nous consacrons à ces problèmes. Il m'arrive d'appeler le taux d'abandon ou de décrochage «taux de rejet.» Parfois, je pense que ceux qui décrochent sont en fait les plus forts; ils ne font que rejeter l'école. Qui d'autre voudrait d'un milieu où son histoire n'est pas appréciée, ou sa famille n'est pas incluse, et cetera? En fait, si un Autochtone passe toutes les étapes du jardin d'enfants jusqu'à la 12e année, sans jamais avoir de problèmes, je dirais qu'il y a quelque chose qui ne va pas. Les signes positifs sont cependant nombreux et c'est sur une note optimiste que j'aimerais conclure.

Le sénateur Christensen: Merci de comparaître aujourd'hui devant notre comité. Beaucoup de mes questions ont déjà fait l'objet de discussion.

La question des jeunes qui viennent des régions rurales vers les centres urbains est celle qui nous occupe. Nous allons essayer de trouver des moyens de rendre leur vie et leur avenir intéressants et productifs. Lorsqu'ils viennent dans les établissements dont vous parlez, la moitié de la partie est gagnée, puisqu'ils disposent de modèles de comportement et d'orientation. Ce qui nous préoccupe, c'est le laps de temps qui s'écoule entre le moment où ils arrivent dans les villes et celui où ils peuvent fréquenter ces établissements. Comment régler ce problème?

Vos statistiques, monsieur Hamilton, pourraient s'appliquer à n'importe quel jeune, homme ou femme. Si les jeunes n'ont pas d'éducation, ils ne vont pas réussir. Une jeune femme sans éducation va faire de la plonge; un jeune homme sans éducation peut être embauché comme manoeuvre et gagner un peu plus. C'est la réalité, malheureusement, et il faut que les jeunes en aient bien conscience. S'ils veulent s'en sortir et s'occuper de leur future famille, ils doivent passer par l'éducation.

Madame LaPierre, y a-t-il dans votre école des enfants provenant de régions défavorisées — des enfants des régions rurales qui sont maintenant en ville? D'après ce que vous dites, il semble qu'ils vous trouvent, car ils cherchent un milieu susceptible de remplacer leur famille. Ce n'est probablement pas la mère célibataire qui vient d'arriver à Calgary qui cherche votre établissement.

Mme LaPierre: En fait, certaines de nos familles ont déjà été sans abri. Ce qu'il y a de bien dans notre école, c'est qu'il importe peu où vous habitez en ville, car nous assurons le transport; nous ramassons les enfants pour les emmener à l'école. Les familles peuvent s'installer dans n'importe quel quartier.

Le sénateur Christensen: Comment vous trouvent-ils?

Mme LaPierre: Ils nous trouvent grâce au bouche à oreille. D'autres Autochtones leur ont parlé de nous.

Le sénateur Christensen: Souvent, ils ne se sentent pas sûrs en ville et retournent à la campagne. Il y a beaucoup d'allées et venues. Qu'est-ce que cela donne?

Mme LaPierre: Il y a beaucoup de passages, car ils ont l'impression de ne pas pouvoir survivre en ville, pour quelque raison que ce soit, si bien qu'ils retournent dans la réserve. Une fois là-bas, ils rebroussent chemin pour revenir en ville. Nos portes sont ouvertes aux familles qui veulent s'engager à propos de l'éducation de leurs enfants.

Le sénateur Christensen: Cela arrive-t-il souvent?

Mme LaPierre: Cela arrive à deux moments de l'année scolaire: en septembre, lorsque tout le monde déménage en ville et ensuite, en janvier et février, lorsque la situation devient difficile pour eux en ville. On note un autre retour à la réserve à ce moment-là. Cela n'arrive pas seulement dans notre école, mais aussi dans toutes les écoles de la ville de Calgary. Les raisons sont plus souvent de nature économique, sans aucun doute. Ils arrivent en ville et trouvent la situation trop difficile, ou ils ont un sentiment d'aliénation et ont besoin de rentrer chez eux, mais ils reviennent par la suite.

Le sénateur Christensen: Quel est le pourcentage des élèves qui proviennent de ce genre de situation familiale?

Mme LaPierre: Près de 10 p. 100 de nos familles ont des problèmes de logement et vont et viennent constamment.

Le sénateur Christensen: Ceux qui connaissent votre système, qui sont repartis dans leur région d'origine, reviennent- ils vous voir une fois de retour en ville?

Mme LaPierre: Oui, la plupart du temps.

Le sénateur Christensen: Si cela se produit à deux ou trois reprises, la durée de leur séjour augmente-t-elle de plus en plus? Restent-ils de plus en plus longtemps avant de finalement s'installer?

Mme LaPierre: Ce ne sont pas toujours les mêmes familles, cela dépend de la famille et de la situation.

La présidente: Pour ce qui est du programme d'études, nous négocions depuis de nombreuses années l'introduction de programmes d'études autochtones dans les écoles. Nous avons découvert que la province gère un conseil chargé de la conception d'un programme d'études tous les cinq ans seulement. Je parle ici de l'Alberta. Nous sommes complètement laissés pour compte, alors que nous avons essayé à plusieurs reprises, sans succès, de déléguer à ce conseil un concepteur de programmes scolaires de notre propre nation. Pearl Calahasen, ministre des Affaires autochtones, faisait partie de ce conseil, mais nous nous sommes retrouvés dans une impasse. Quelques livres ont été écrits, un point c'est tout, et je ne sais même pas où ils se trouvent aujourd'hui.

On m'a demandé d'aller en Colombie-Britannique pour travailler sur le programme d'enseignement métis de la division scolaire de Prince George. Là-bas, le conseil m'a dit: «Vous voyez tous ces livres ici? Ils constituent la totalité du programme d'enseignement autochtone et ils dorment sur les tablettes. Personne ne s'en occupe.» Grâce aux Métis de Prince George, nous avons pu obtenir qu'une personne capable d'élaborer un programme d'enseignement se rende là-bas. Elle a utilisé des personnages modèles métis dans le système de justice, de sorte que lorsque qu'il était question de justice, on pouvait utiliser ces personnages modèles. Cela n'est jamais arrivé. Ils nous ont ignorés totalement.

J'aimerais en savoir plus sur vos expériences en Saskatchewan et en Alberta en ce qui concerne le programme scolaire, sur l'accueil qui vous est réservé et sur la façon dont nous pouvons infiltrer le conseil responsable du programme d'enseignement, ou quel que soit son nom, pour nous assurer que nous avons ce type de programme d'enseignement. En réalité, ce dont il est question ici, c'est d'histoire canadienne et ils refusent de l'accepter.

J'aimerais qu'on me donne plus d'information sur cette question.

Mme LaPierre: Comme je l'ai dit plus tôt, d'après mon expérience, la Saskatchewan se montre certainement plus progressiste que l'Alberta.

Je ne peux parler qu'à partir de mon expérience. Lorsque j'ai travaillé sur le programme d'enseignement en Alberta, études autochtones 10, 20 et 30, on se heurtait partout à des obstacles. L'année où j'ai été spécialiste autochtone, j'ai travaillé sur le programme d'enseignement. Ce travail était amorcé depuis quatre ans déjà, mais n'était toujours pas terminé. Les gens n'étaient pas à l'aise, particulièrement avec les études autochtones 10, 20 et 30, y compris la partie portant sur la spiritualité et la culture autochtone. Les gens qui travaillaient sur ce programme étaient solides et bien déterminés, disant: «On ne peut séparer les deux: c'est ce qui fait de nous un peuple autochtone.» Trouver des commissions scolaires qui accepteraient d'appliquer ce programme d'enseignement a constitué une autre difficulté pour les personnes qui pilotaient le programme ou qui étaient désireuses de le faire.

Comment faire avancer les choses, c'est une question difficile. Je n'en connais pas la réponse. Comment faites-vous pour faire bouger les gens sur des questions qui sont importantes? Comme vous l'avez dit, il s'agit d'histoire du Canada.

Le Conseil scolaire de Calgary s'est donné une politique internationale. Encore une fois, pour garder le programme vivant et actif, pour éviter qu'il ne dorme sur les tablettes, il faut qu'il soit présenté à des échelons supérieurs. À l'heure actuelle, nous sommes assez chanceux d'avoir un haut responsable qui est proactif en ce qui concerne les politiques autochtones. Il veillera à ce qu'il continue à être actif dans les écoles. Toutefois, il faudra beaucoup de travail et de nombreuses décennies pour en faire une partie vivante du programme d'enseignement.

M. Hamilton: De grands progrès ont été réalisés dans le programme d'enseignement. Mais j'invite toutefois Mme LaPierre à faire preuve de réserve lorsqu'elle loue l'attitude progressiste de la Saskatchewan. Son attitude est juste un peu différente. Elle est progressiste dans un domaine, mais elle cause un problème dans un autre. Cette perception vient des collectivités. Il nous faut travailler avec les gens qui sont dans les tranchées. Mme LaPierre en sait davantage sur ce qui se passe avec le programme scolaire dans les écoles.

J'ai siégé pendant de nombreuses années au sein de commissions des études chargées d'élaborer des programmes d'enseignement. Je dois admettre que j'étais l'une des personnes qui, à un moment donné, ont décidé que nous avions besoin des Études autochtones 10, 20 et 30 dans les écoles secondaires. Il y avait un type très bien qui travaillait pour le compte du ministère de l'Éducation de la Saskatchewan et qui a mis ensemble tous ces grands cahiers, ces guides du programme scolaire. Ils étaient merveilleux. On y trouvait plus d'information que dans le cours d'études autochtones 110 donné à l'université. C'était fabuleux. Cependant, mon expérience — et je serai très franc avec vous —, c'est que dans de nombreuses écoles secondaires où je suis allé, les parents, et d'autres personnes, m'ont dit: «Eh bien, il s'agit d'études autochtones. Mon enfant n'a pas besoin de cela.»

Si c'était à refaire, lorsqu'on élabore un programme d'enseignement pour les Métis ou pour d'autres Autochtones, que ce soit à l'intention des enfants ou pour des raisons plus historiques, je dirais: «Voici l'histoire du Canada», ce serait là le grand titre que je donnerais. J'ajouterais ensuite des éléments expliquant ce que représente 1869-1870 et sur quoi portaient les négociations du traité. Cela peut ressembler à de la duperie, mais c'est ce qui se passe en Saskatchewan. Nous avons, en ce moment, des élèves dans toutes les années scolaires, de l'élémentaire au secondaire. La semaine dernière, nous avons participé à des séances de compte rendu. Il nous arrive constamment de nous heurter à des situations où des enseignantes et enseignants disent: «Eh bien, non, nous n'avons pas besoin d'enseigner cela à personne parce que nous n'avons pas d'enfants métis ou des Premières nations ici.» Je vous dis cela pour votre information.

Le programme d'enseignement au niveau universitaire pose un grave problème. Il faut deux ans et demi pour qu'un nouveau cours passe toutes les étapes nécessaires à son acceptation et il est encore plus difficile d'obtenir la création d'une classe. On serait porté à croirequ'avec tous ces gens brillants à l'université, il serait plus facile d'obtenir une classe. Ce n'est pas le cas. Obtenir une nouvelle classe à l'université est un processus extrêmement laborieux.

Je dirais aux collègues sénateurs que l'un des documents que vous avez commandés fait maintenant l'objet d'un enseignement dans l'une de nos classes à l'université.

La présidente: C'est la définition du mot «métis» que notre caucus a demandée. C'est excellent.

Le 9 janvier, Robert Nault a annoncé dans le Edmonton Journal que le gouvernement fédéral envisage un nouveau régime de commissions scolaires autochtones. Celles-ci seraient établies partout au pays et relèveraient des provinces. Cette annonce découle des recommandations du groupe consultatif d'experts en éducation établi par le ministre pour lui faire rapport à la mi-février.

À votre avis, quelle est l'importance de ce type de réforme pour améliorer la scolarisation des jeunes Autochtones et quel effet aura cette réforme sur les partenariats existant entre le fédéral, le provincial et les gouvernements des Premières nations?

En avez même entendu parler?

M. Hamilton: Je travaille en étroite collaboration avec un autre diplômé maintenant au service du Saskatchewan Tribal Council à titre de consultant en matière de services d'enseignement à North Battleford, et qui vient juste de prendre des mesures en vue de la création d'une école secondaire entièrement autochtone. Un certain nombre de bandes de Premières nations vivant autour de North Battleford ont mis leurs ressources en commun. Il s'agit d'une question chaudement débattue.

Nous avons une situation unique à l'Université de la Saskatchewan. On y trouve un programme, sous l'égide du College of Education, qui est semblable au nôtre, mais qui s'adresse aux gens des Premières nations. Il y avait certaines inquiétudes parce que ces gens avaient leur propre salon étudiant. Le doyen n'aimait pas cette situation parce que vous aviez là des gens des Premières nations, que les visiteurs voyaient cela et que cela ressemblait à un ghetto. Le doyen a déplacé des montagnes et a fait ce qu'il devait faire, mais il s'est débarrassé du salon. Tout le monde a dû descendre à l'étage où il y a des gens des Premières nations, des Métis ainsi que d'autres personnes.

J'ai un fils qui a fréquenté Nutana qui, à toutes fins utiles, sauf pour la gouvernance, est une école secondaire autochtone. Je pense que beaucoup d'étudiants y sont beaucoup plus à l'aise. Je ne peux pas parler pour les gens de l'Est, et je le dis d'un point de vue personnel, mais je ne suis pas très entiché des initiatives pan-autochtones. Je ne l'ai jamais été. Alors M. Nault peut s'attendre à une certaine résistance à cet égard.

La question de la mise en application relève davantage des politiques et procédures des Premières nations parce que ces dernières estiment avoir à cet égard des droits établis issus de traités. La Couronne possède des obligations de fiduciaire à leur égard et je suis d'accord avec elles. Lorsque vous introduisez un Métis dans le mélange, cette vieille querelle de compétence revient sur le tapis. Les initiatives pan-autochtones n'ont jamais fonctionné en Saskatchewan. La question est de savoir si vous pouvez avoir une commission scolaire métisse ou des Premières nations ou si vous pouvez avoir une commission scolaire où siègent des représentants de chacune des communautés.

Est-ce une bonne chose? À vrai dire, mon coeur répond oui, mais mon esprit nourrit quelques réserves. Vous parlez en partant de ségrégation, même s'il faut dire que les conditions socio-économiques dans notre province ainsi que les données démographiques nous ont déjà poussés dans cette direction. Vous avez le cas de l'école Joe-Duquette, qui a commencé comme une école de survie et qui, fondamentalement, est en train de devenir une école autochtone, et celui de Nutana. Les chiffres le disent, si cela fournit certains moyens de mettre en oeuvre certaines des choses dont nous avons parlé et si cela a un effet sur la scolarisation. Je sais que les membres de ce comité vont partir, prendre un café et dire: «Mon Dieu qu'il est plaignard!», mais je l'ai dit pendant des années et des années, même dans notre grand Institut, nous n'avons pas d'éducation métisse. Nous avons un contrôle métis sur ce que j'appelle «l'éducation blanche», même à l'intérieur de notre programme. Vous savez, je veux que Mme LaPierre revienne à la maison en Saskatchewan et qu'elle enseigne à l'université pour nous.

Je ne crois pas un seul instant que seules les personnes métisses peuvent enseigner l'histoire métisse. En fait, ils sont plus révisionnistes que quiconque. Cependant, nous avons besoin d'un plus grand nombre d'enseignantes et d'enseignants métis dans un environnement dans lequel ils peuvent fonctionner avant d'avoir accès à une éducation métisse. J'ignore avec combien de personnes Mme LaPierre a travaillé, mais habituellement leur situation dans les écoles est telle qu'elles ont un impact limité. Je sais que les gens vont s'inquiéter. Vous dites que la Saskatchewan est progressiste. J'imagine déjà la réaction de M. Pankiw lorsqu'il entendra cela.

Le statu quo n'a pas fonctionné pendant de nombreuses années. Nous avons toujours un taux de décrochage scolaire qui frise les 90 p. 100 en Saskatchewan. Pourquoi ne pas essayer ce système pendant un certain temps?

Mme LaPierre: J'aimerais répondre à votre question au sujet des commissions scolaires autochtones. Je nourris les mêmes craintes politiques que M. Hamilton en ce qui concerne le mélange? Seront-elles urbaines? Peut-être du fait que je travaille dans une grande commission scolaire, mon premier instinct serait de dire, plutôt que d'avoir des commissions scolaires autochtones séparées, pourquoi ne pas donner notre appui aux commissions scolaires locales en place et assurer une forte composante autochtone, ou créer un autre groupe de coordination. Et cela, pour deux raisons. Premièrement, peut-être que du point de vue politique, cela empêcherait la séparation des Métis, des Premières nations et des Inuits. Deuxièmement, puisque la gouvernance est déjà en place, pourquoi ne pas tout simplement développer le contenu autochtone? Si vous avez déjà l'appui d'une grande commission scolaire autochtone urbaine, que reste-t-il à changer? Pourquoi ne pas bâtir sur cette base? Les politiques et les procédures sont en place. Sans doute que certaines devront être révisées pour les rendre un peu plus réelles aux yeux de la collectivité autochtone. Il s'agit là de ma réaction initiale.

Appuyez ce qui est bon et ce qui existe déjà.

La présidente: Puis-je vous demander à tous les deux comment vous trouvez la situation du racisme latent? Y a-t-il amélioration? La situation est-elle la même? Je parle de votre acceptation au sein de la population générale de l'association des enseignantes et enseignants, ce genre de choses.

Mme LaPierre: Au sein du Conseil scolaire de Calgary, parce que nous sommes si peu nombreux, en fait, la première année que j'y étais, je cherchais les autres enseignants autochtones et j'ai consacré beaucoup de temps à trouver nos élèves autochtones, parce que beaucoup d'entre eux ne sont pas identifiés comme tels. Peut-être aussi que bon nombre d'entre eux sont Canadiens français, comme moi. Cependant, parce que nous sommes très peu à faire ce travail, je trouve que nous sommes acceptés par les dirigeants et les enseignants des commissions scolaires. Je pense toujours qu'il y a de la place pour embaucher beaucoup plus d'enseignants autochtones, mais encore une fois, lorsque j'embauchais des enseignants, je recevais en entrevue aussi bien des Autochtones que des non-Autochtones, et je n'ai jamais engagé un enseignant en fonction de la couleur de sa peau, mais en fonction de ses compétences dans le domaine de l'alphabétisation. Dans notre école, le personnel enseignant compte deux Autochtones et quatre non-Autochtones. Dès qu'il y aura davantage d'enseignants bien formés, il y aura certainement plus d'enseignants autochtones dans notre école. C'est plus la passion d'enseigner et d'apprendre, peu importe la couleur de la peau, qui est importante, surtout lorsqu'on s'engage dans une nouvelle entreprise. À l'heure actuelle, il faut beaucoup de souplesse pour survivre dans notre école parce que nous sommes très nouveaux dans ce travail.

En même temps, il y a toujours l'expérience personnelle du racisme. C'est à Prince Albert, qui possède une importante communauté autochtone, que je l'ai le plus ressenti. C'était juste sur la rue. J'ai été renversée de constater cela dans une aussi petite collectivité ayant une aussi importante population autochtone. Cela dépend de la ville et de la communauté.

La présidente: C'est très intéressant.

Mme LaPierre: Oui.

M. Hamilton: Ma situation est un peu unique. Je ne pense pas que la plupart des gens me rattachent à la communauté métisse. Par contre, je vais effectivement dans des endroits où je me sens parfois comme le fantôme qui rôde. Je m'imagine souvent que c'est ce que doivent ressentir les personnes juives. Je vais dans certains endroits où les gens qui sont là disent des choses alors qu'ils diraient des choses très différentes dans d'autres cas.

L'espoir que j'ai, c'est que de façon générale, les choses s'améliorent en Saskatchewan. Mais je n'en suis pas sûr, cependant. Je pense que parfois nous développons un antidote ou quelque chose du genre, et, alors, la résistance de l'autre côté se renforce. Il est difficile de croire que dans une même ville, vous avez, d'une part, un Pankiw et, d'autre part, des situations comme celle où deux policiers sont accusés d'avoir abandonné des gens sur une petite route secondaire au beau milieu de janvier. La communauté est polarisée et cela paraît dans les écoles. Et une bonne partie de cette situation est attribuable à la situation économique.

Saskatoon est un endroit où il fait bon vivre, mais l'économie, la sécheresse, et cetera, ont un effet. Chaque fois que l'économie se dégrade, il y a concurrence pour les ressources. Est-ce que les choses s'améliorent en Saskatchewan? Je n'en suis pas sûr. J'ai parfois du mal à croire qu'il y a une amélioration. J'aimerais pouvoir dire le contraire. J'ai quatre fils et l'aîné et le cadet sont visiblement Autochtones. Évidemment, ils m'ont parlé des expériences qu'ils ont vécues. Mon épouse aussi est visiblement Autochtone et je pense qu'ils vous diraient que ce n'est pas mieux aujourd'hui qu'avant. En fait, c'est probablement pire maintenant que ce l'était il y a quelques années.

La présidente: Merci. Y a-t-il d'autres questions?

Le sénateur Pearson: J'ai une question qui fait suite à celle de madame la présidente. La question est: quelle école est la meilleure pour les enfants? Devrait-elle être plus ou moins séparée; devrait-elle être mixte ou non? Il s'agit là de questions importantes pour les enfants atteints d'un handicap, pour les enfants d'immigrants ou même, pour tous les petits garçons et toutes les petites filles. Devrions-nous les séparer ou non? J'ai visité une école principalement autochtone il y a trois ans à Edmonton. Savez-vous de quelle école je parle?

Mme LaPierre: S'agissait-il d'une école secondaire?

Le sénateur Pearson: Non, c'était une école élémentaire.

Mme LaPierre: Il pourrait s'agir de Prince Charles ou de Ben Calf Robe.

Le sénateur Pearson: L'école avait un directeur merveilleux et je pense que dans les systèmes scolaires, c'est le leadership de la direction qui fait avancer les choses. J'envie les enfants de votre école parce que je suis convaincue que vous faites une excellente directrice d'école. Cela fait une énorme différence. Si vous vous tournez vers l'avenir, aimeriez-vous qu'il y ait davantage de directeurs et de personnel autochtones? Aimeriez-vous voir des écoles qui sont séparées ou qui sont combinées? Je suis certaine que vous êtes d'accord avec la nécessité d'un leadership.

Mme LaPierre: Oui, je suis d'accord. En fait, je souhaiterais non seulement des écoles séparées, mais également des écoles qui répondent aux besoins de la population ordinaire. Comme je l'ai dit plus tôt, nous desservons une certaine population d'Autochtones qui cherche à obtenir de l'école l'enseignement de la langue et de la culture, enseignement qui vient compléter le travail qu'ils essaient de faire à la maison.

Définitivement, nous avons besoin d'un plus grand nombre d'enseignants autochtones dans nos écoles et de plus d'enseignants qui ont un diplôme de maîtrise et qui peuvent diriger les changements qui surviennent dans le milieu de l'éducation.

En fait, je me considère chanceuse d'être la directrice de cette école, à cause des avantages. Le passage d'une école secondaire à une école primaire me faisait un peu peur, mais je vois maintenant les avantages. Je reçois beaucoup de caresses tous les jours et je suis très heureuse d'être leur directrice. Il serait bien que les besoins de nos autres élèves autochtones soient comblés dans les écoles ordinaires, où l'on ferait preuve de sensibilité à l'égard de leur culture et où l'acceptation et la reconnaissance de leur culture se refléteraient dans le programme d'enseignement, et non pas juste un mélange qui fait qu'en apportant une composante culturelle pendant une journée par semaine, on puisse affirmer offrir du contenu autochtone.

Le sénateur Pearson: Je comprends cela. Y a-t-il des Autochtones siégeant sur les conseils scolaires dans l'une ou l'autre de vos provinces?

M. Hamilton: À Regina, une femme qui travaillait pour l'Institut a été élue membre du conseil scolaire. Nous avons des gens, dans le Nord, qui font partie des conseils scolaires. De fait, c'est la même personne qui préside notre Institut et la Northern Lights School Board dans le nord de la Saskatchewan, où la population est composée à 70 p. 100 de Métis. Dans les centres urbains, nous n'en avons aucun.

Le sénateur Pearson: C'est une autre question. Il nous faut travailler sur le leadership et non pas seulement sur les héros. Il nous faut fournir à la fois l'image positive et cette sorte de mentor, de manière que les jeunes puissent voir qu'ils peuvent envisager un autre avenir que celui qu'ils voient en ce moment. Nous sommes encouragés par votre présence, même si vous semblez découragés dans certains de vos messages.

La présidente: S'il n'y a pas d'autres questions, j'aimerais remercier nos deux témoins. Ce fut une discussion enrichissante et intéressante.

La séance est levée.


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