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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 5 - Témoignages du 12 février 2003


OTTAWA, le mercredi 12 février 2003

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui à 18 h 30 pour faire une étude sur les problèmes touchant les jeunes Autochtones urbains au Canada et en particulier sur l'accessibilité, l'éventail et la prestation des services, les problèmes liés aux politiques et aux compétences, l'emploi et l'éducation, l'accès aux débouchés économiques, la participation et l'autonomisation des jeunes, et d'autres questions connexes.

[Traduction]

Le sénateur Thelma J. Chalifoux (présidente) occupe le fauteuil.

La présidente: Bonsoir. Soyez les bienvenus dans cette salle des peuples autochtones du Sénat du Canada. Nous en sommes fiers. Elle est dénommée ainsi depuis plusieurs années. Elle représente un volet de l'histoire du Canada et est dédiée aux peuples autochtones canadiens.

Le comité a été mandaté pour examiner les problèmes touchant les jeunes Autochtones en milieu urbain au Canada. Il est plus particulièrement autorisé à faire une étude sur l'accessibilité, l'éventail et la prestation des services, les problèmes liés aux politiques et aux compétences, l'emploi et l'éducation, l'accès aux débouchés économiques, la participation et l'autonomisation des jeunes et d'autres questions connexes.

Ce soir, nous avons l'honneur d'accueillir M. Tom Warner, directeur exécutif des Services communautaires des jeunes Autochtones de Regina, John Potskin, directeur de la Société urbaine pour la jeunesse autochtone de Calgary et la chef Patricia Waite, qui est conseillère au Centre des jeunes Autochtones en milieu urbain de Calgary.

M. Jonathan Potskin, directeur, Société urbaine pour la jeunesse autochtone: Quand on m'a demandé de faire un exposé sur les problèmes des jeunes Autochtones, j'ai pris quelques notes. On m'a demandé de faire une allocution de tout au plus cinq minutes. Elle sera toutefois un peu plus longue, mais j'espère que vous n'aurez pas d'objection.

La présidente: D'accord, allez-y!

M. Potskin: [Le témoin fait son exposé en langue autochtone.]

Je m'appelle Jonathan Potskin. On m'a demandé de faire le début de mon exposé dans ma langue maternelle, qui est le cri. Elle aurait dû être ma première langue, mais ma première langue est l'anglais. Je tenais à le préciser. De nombreux jeunes comme moi ne connaissent plus leur première langue. Au Canada, la première langue est généralement l'anglais ou le français.

Les jeunes Autochtones qui vivent en milieu urbain sont confrontés à de nombreux obstacles. Dans mon exposé, je mentionnerai les obstacles auxquels ils se heurtent en matière d'emploi, d'éducation, d'entrepreneuriat, de sexualité, d'hygiène sexuelle, de santé mentale, d'accoutumances, de suicide, de financement de la justice, de racisme, de discrimination, d'itinérance, de compétence autochtone et de représentation des partis politiques autochtones et leurs conséquences pour les jeunes Autochtones en milieu urbain.

L'éducation, l'emploi et l'entrepreneuriat sont interdépendants et, dans ces secteurs, la plupart des jeunes Autochtones connaîtront des difficultés, des frustrations ainsi que les hauts et les bas de la réussite et de l'échec.

La plupart des jeunes Autochtones sont placés dans des classes spéciales où ils sont traités comme des enfants et reçoivent un enseignement destiné aux enfants. Lorsqu'ils entrent en milieu scolaire, la plupart des jeunes Autochtones ne réussissent pas à la première tentative parce qu'ils sont isolés de leur collectivité et de leur culture. Un pourcentage élevé de jeunes Autochtones abandonnent généralement au niveau secondaire parce qu'ils ne sont pas prêts à affronter les brimades d'autres jeunes auxquels des parents bienveillants ont appris la haine.

Si l'on faisait une étude sur les Autochtones qui ont un niveau de scolarité de 12e année, elle serait probablement faussée. D'après les statistiques, le nombre d'Autochtones ayant ce niveau de scolarité est minime alors qu'en fait, la plupart des membres de la collectivité autochtone l'ont atteint, comme dans mon cas. Nous avons abandonné nos études au niveau secondaire, mais nous sommes retournés à l'école à l'âge de 18 ans et avons achevé nos études dans des collèges. Les statistiques concernent les élèves qui ont obtenu leur diplôme de 12e année, ce qui est très intéressant, mais la plupart de ces jeunes l'ont obtenu dans des collèges. Les jeunes sont donc confrontés à la difficulté de faire des études postsecondaires et de les terminer malgré une pauvre estime de soi.

Je voudrais maintenant aborder la question de la sexualité et du véritable esprit des membres des Premières nations, des Inuits et des Métis.

Dans les collectivités autochtones, les lesbiennes, les homosexuels, les bisexuels ou les transsexuels ne sont pas rares. C'est pourquoi nous disons qu'ils sont «à deux esprits». Ces jeunes se heurtent à de nombreux obstacles en milieu urbain. Comme la plupart des jeunes lesbiennes, homosexuels, bisexuels et transsexuels nés dans de petites localités, ils vont s'établir dans une grande ville pour y trouver la paix et d'autres personnes ayant les mêmes orientations sexuelles qu'eux. Ils y trouvent généralement un milieu d'homosexuels, de lesbiennes, de bisexuels et de transsexuels qui sont comme les autres membres de la société canadienne: racistes et remplis de préjugés. Ces jeunes n'ont généralement pas l'appui de leur famille, parce que les membres de leur famille ont fait leurs études dans des pensionnats et que notre peuple a adopté l'opinion que c'est un péché envers Dieu.

Sans l'appui de leur famille, ces jeunes vivent pour la plupart dans la rue, où ils vendent leur corps, comme nos jeunes soeurs autochtones. Même lorsqu'ils ne sont pas dans cette situation extrême, les jeunes Autochtones à deux esprits sont perdus et ont moins d'estime de soi que les autres jeunes Autochtones, parce qu'ils cachent un aspect de leur personnalité qui leur échappe puisqu'ils n'ont pas des parents qui leur apprennent à le connaître.

D'après les résultats de diverses recherches et les chiffres qui ont été publiés à ce sujet, les jeunes sont généralement porteurs de maladies transmissibles sexuellement. Ces études concernent les jeunes en général et pas uniquement les jeunes Autochtones. C'est dans le groupe des jeunes âgés de 15 à 19 ans que le pourcentage de porteurs de la chlamydia et de la blennorragie est le plus élevé, parce qu'ils ne prennent aucune précaution. D'après les statistiques, le pourcentage de porteurs du VIH et du sida est également élevé. Chez les jeunes Canadiens et chez les jeunes Autochtones, ce sont surtout les filles qui contractent ces maladies infectieuses parce qu'elles ne se protègent pas. On constate également que les jeunes Autochtones ne prennent pas de précautions par le nombre élevé d'enfants qu'ils ont à l'âge de 15 et 16 ans. Notre population augmente, ce qui est très bien, mais j'aimerais que les jeunes filles attendent d'être plus âgées pour avoir des enfants.

J'aimerais que l'on fasse davantage de sensibilisation auprès des jeunes Autochtones et des jeunes Canadiens au sujet de l'usage de préservatifs par les membres des deux sexes et de la contraception.

Je voudrais faire quelques commentaires sur des maladies mentales comme le syndrome d'alcoolisme foetal (SAF) et les effets de l'alcool sur le foetus (EAF) — ceux-ci n'étant pas vraiment une maladie mentale, quoique classés dans cette catégorie — et sur la dépression qui frappe les jeunes, surtout les jeunes Autochtones. Si l'on ne détecte pas le SAF ou les EAF dès la tendre enfance, la maladie n'est généralement pas diagnostiquée avant l'âge adulte. Ces jeunes subissent alors les conséquences de l'abandon de leurs études et de l'incapacité de conserver un emploi ou de l'absence de relation fondée sur la compréhension. J'ai rencontré des jeunes pour lesquels la maladie n'avait pas été diagnostiquée et qui avaient des difficultés d'apprentissage à l'école. On ne les comprenait pas et ils étaient victimes des railleries et des brimades des professeurs et des autres élèves. J'ai également constaté une différence dans certaines familles où ces enfants ne sont pas tous traités de la même façon. Ces enfants devraient être traités d'une autre façon parce qu'ils ont des besoins particuliers, mais personne ne s'en préoccupe parce que le problème n'a pas été détecté. Lorsqu'ils sont plus âgés, ceux qui sont atteints d'une de ces maladies ne reçoivent pas davantage d'aide. En ce qui concerne le SAF, les personnes atteintes doivent participer à un programme social qui a été mis en place pour les malades mentaux, ce qu'elles n'acceptent pas. C'est un problème qu'il convient d'examiner. Un grand nombre de jeunes Autochtones sont atteints du SAF et des EAF et n'arrivent par conséquent pas à conserver un emploi alors qu'ils ont besoin d'argent.

Les accoutumances sont l'obstacle majeur pour les jeunes Autochtones. Le pourcentage de jeunes toxicomanes est très élevé dans notre collectivité. Je ne pense pas que les taux d'accoutumance soient plus élevés chez les jeunes Autochtones que chez les autres jeunes mais, plus tard dans la vie, lorsqu'ils atteignent l'âge adulte, les jeunes non- Autochtones sont dans un milieu familial plus propice étant donné que leurs parents ne sont pas alcooliques; ils ont donc une possibilité de s'en sortir alors que la plupart des jeunes Autochtones ont des parents alcooliques et ils n'ont pas accès aux services de soutien qui leur permettraient de se débarrasser de leur accoutumance à un certain âge. La plupart des adolescents deviennent alcooliques à un certain degré, mais il y a un moment où cela cesse. La plupart des jeunes Autochtones n'ont pas des parents qui soient en mesure de leur apprendre à cesser de boire ou à boire avec modération.

L'accoutumance est également liée aux drogues. De nombreux jeunes Autochtones et de nombreux jeunes en général sont exposés à des drogues comme le LSD ou l'ecstasy, qui est une drogue utilisée davantage dans les «raves», mais je vois constamment des gens en consommer dans la rue. Ces drogues donnent l'illusion d'une vie meilleure; l'accoutumance donne une sensation de mieux-être aux personnes qui ont une pauvre estime de soi. Il est nécessaire de les aider à avoir une meilleure estime de soi et davantage de confiance en soi pour qu'elles aient une chance de guérir de cet état d'accoutumance; il est nécessaire de les faire sortir de cet état dépressif et peut-être de leur faire suivre un traitement pour maladie mentale ou du moins de leur faire passer des tests.

De nombreux jeunes, surtout chez les Autochtones, ont été victimes d'abus sexuels. Ces problèmes, qui remontent à l'époque du régime des pensionnats, se sont transmis aux membres de ma génération; ils sont donc encore aux prises avec des problèmes de ce type, qui sont à la source d'obsessions sexuelles. Les obsessions sexuelles chez les jeunes, notamment chez les jeunes Autochtones, sont un des problèmes auxquels notre société doit faire face. Le sexe et la sexualité devraient être des questions dont on parle chez soi, avec ses parents. Il est nécessaire d'apprendre aux parents à parler davantage à leurs enfants et à entretenir avec eux un dialogue sur le sexe et sur la sexualité.

En préparant la partie de mon exposé portant sur la justice, je me suis posé la question suivante: y a-t-il une justice pour les peuples autochtones? J'ai abordé la question sous l'angle du Service correctionnel. Je ne m'attarderai pas sur les chiffres ni sur les démêlés qu'ont les jeunes avec le Service correctionnel, car ils sont bien connus. Nos jeunes doivent apprendre à connaître leur culture par l'intermédiaire de ce Service, et ce n'est pas normal. Il est nécessaire de créer un outil axé davantage sur la guérison pour aider ces jeunes et d'instaurer au Service correctionnel un programme de formation professionnelle préalable à l'emploi au lieu de se borner à leur faire connaître leur culture et leurs traditions. Il m'arrive de penser que des gens comme moi, qui continuent d'apprendre, auraient intérêt à être incarcérés pour acquérir des connaissances supplémentaires sur leur culture. Il est nécessaire d'instaurer davantage de programmes culturels pour les jeunes Autochtones en dehors du Service correctionnel.

Je voudrais maintenant aborder le problème du financement des centres autochtones urbains à vocation multiple en mettant l'accent sur l'importance que revêtent ces fonds pour des organismes comme le mien. Les budgets doivent être renouvelés cette année et j'aimerais par conséquent que vous insistiez pour que le financement soit renouvelé.

Nous publions un journal très important pour notre organisme. Il est publié avec l'aide financière des jeunes Autochtones. Les pouvoirs publics n'ont pas prévu de fonds destinés spécifiquement aux jeunes Autochtones. Les organisations d'Autochtones s'intéressant aux traités, les organisations des Premières nations, les organisations métisses et les organisations inuites destinent elles-mêmes une partie des fonds qui leur sont octroyés aux jeunes. Il faut toutefois être Inuit pour obtenir des fonds destinés aux Inuits et il faut être Métis pour obtenir des fonds destinés aux Métis, par exemple.

Pourtant, certains Indiens non inscrits et certains Autochtones ne tiennent pas à s'identifier avec un des groupes susmentionnés. Il est nécessaire d'envisager d'établir une source de financement global pour les Autochtones. En milieu urbain, on ne fait pas la distinction entre un Métis, un Inuit ou un membre des Premières nations, et c'est très agréable. On vous considère avant tout comme un Indien. On vous considère comme un Indien ivrogne et on ne se préoccupe pas de savoir si vous êtes Métis ou membre des Premières nations. Nous pouvons être fiers de notre identité, mais les autres personnes n'en tiennent pas compte. Ce qui est le plus intéressant en milieu urbain, c'est que nous soyons confondus sous l'appellation «Autochtones». Nous collaborons et nous formons une grande collectivité.

Tout le monde a déjà entendu parler de racisme et de discrimination contre les Autochtones et contre les gens de couleur. Les jeunes Autochtones sont confrontés au racisme quotidiennement dans les écoles et dans tous les autres milieux. Ils ne peuvent même pas s'acheter une laque capillaire en faisant leur épicerie à Winnipeg, ce qui est une réaction raciste. À Winnipeg, certains de mes amis n'arrivent pas à obtenir un emploi à cause de leurs perceptions sociales. Les employeurs ne veulent pas recruter des Indiens.

Les jeunes Autochtones sont la cible d'insultes à caractère raciste telles que «chief», «squaw», «squaw humper», «apple», «bush Indian», «drunken Indian» et «wife beater», pour n'en citer que quelques-unes et non les pires. En raison de cette discrimination, les enseignants, les pairs et les spécialistes ont d'emblée des préjugés à leur égard. Il est nécessaire de sensibiliser davantage les professionnels aux Autochtones, que ce soit dans les écoles, dans le cadre de programmes de sensibilisation aux cultures autochtones ou dans le milieu de travail. La Ville de Calgary a annoncé tout récemment que tous ses employés suivront des programmes de sensibilisation aux Autochtones. C'est une excellente initiative de la part de cette municipalité et il est à souhaiter que les autres municipalités s'inspirent de celle que le maire de Calgary a mise en place.

En ce qui concerne les jeunes Autochtones sans abri, ils ne sont pas tous dans la même situation. J'en aperçois tous les jours de la fenêtre de mon bureau. Certains sont devenus itinérants de leur plein gré alors que d'autres pas. Certains aiment l'itinérance. C'est un mode de vie et il n'y a aucune raison de les aider. Ils aiment ce mode de vie. Cependant, certains jeunes ne sont pas devenus itinérants par choix. Certains sont là parce qu'ils sont dans la rue, où ils se prostituent pour pouvoir satisfaire leurs accoutumances. Ce sont des jeunes âgés de moins de 17 ans qui n'ont pas droit à l'assistance sociale. Rien n'est prévu pour les jeunes fugueurs âgés de 14 à 17 ans. Ils doivent vivre dans la rue parce qu'ils ne peuvent pas rentrer chez eux. Ils ont généralement fugué parce que leur milieu familial n'est pas sain.

Lorsqu'ils s'adressent aux services d'aide sociale, ils sont placés dans des foyers d'accueil. Nous avons tous entendu parler, par l'intermédiaire de membres de la famille ou d'amis, des divers abus commis dans ce système. Ces jeunes ne tiennent pas du tout à être placés en foyer d'accueil ni à rentrer chez eux. Ils préfèrent vivre dans la rue sans pouvoir bénéficier de services sociaux adéquats. Ils ne peuvent pas faire des études parce qu'aucun système de soutien ne leur permet de fréquenter un établissement scolaire, étant donné qu'ils ne peuvent pas recevoir de fonds avant d'être âgés de 18 ans. Ils ne peuvent pas non plus retourner chez leurs parents. Ils ne peuvent pas s'adresser aux services d'aide sociale, sinon ils seront placés en foyer d'accueil. Ces jeunes n'ont aucune autre possibilité que de vivre dans la rue.

Il est absolument essentiel de s'intéresser à ces jeunes âgés de 14 à 17 ans et de se demander ce que l'on pourrait faire pour les aider et quel type de programmes on pourrait mettre en place pour éviter qu'ils soient placés en foyer d'accueil ou qu'ils soient obligés de réintégrer leur foyer?

C'est en Alberta que le salaire minimum est le plus bas. En fait, il est nécessaire d'augmenter le salaire minimum dans toutes les provinces. Quand ils débutent sur le marché du travail, les jeunes Autochtones doivent se contenter du salaire minimum qui leur donne à peine de quoi payer leur facture de téléphone; c'est donc largement insuffisant pour payer le loyer. Le salaire minimum n'est pas très élevé dans les diverses provinces; il est par conséquent nécessaire de pousser les autorités provinciales à augmenter le salaire minimum pour les jeunes. La plupart des jeunes qui touchent le salaire minimum sont sans abri et ont besoin d'un gîte.

On dénombre également des sans-abri parmi les étudiants. De nombreux étudiants autochtones de niveau secondaire sont sans abri. Les allocations versées par le ministère des Affaires indiennes s'élèvent à 675 $ par mois et n'ont plus été ajustées depuis je ne sais combien d'années. Je recevais le même montant quand j'étais étudiant. Les prêts aux étudiants sont de 500 $ par mois. La plupart des jeunes qui reçoivent ces allocations ne peuvent pas travailler s'ils veulent continuer à les toucher et deviennent des sans-abri ou deviennent une charge pour leur famille ou leurs amis, ce qui gâche leurs relations. Cette charge étant très lourde, ils ne terminent généralement pas leurs études. Notre société a le devoir d'envisager d'augmenter le montant des prêts aux étudiants et de faire baisser les frais de scolarité.

Les Autochtones sont représentés au sein des grands partis nationaux, mais nous ne sommes pas représentés à l'échelle municipale. Je sais que le Programme d'accès communautaire (PAC) représente les personnes vivant en milieu urbain qui ne sont pas socialement responsables envers les Autochtones urbains des diverses régions du Canada. Je recommande au PAC de collaborer avec les grandes municipalités urbaines, ce qui inclurait les six grandes villes de l'Ouest, afin qu'elles puissent s'acquitter de leurs responsabilités sociales à l'égard de la collectivité urbaine autochtone.

Dans le sud de l'Alberta vivent des membres des Premières nations visées par le Traité no 7 et des membres des nations métisses. Nous nous heurtons à de nombreux obstacles en matière de compétences et nous ne savons plus qui nous représentons. Nous ne savons plus si nous représentons les Autochtones du sud de l'Alberta. Les Métis relèvent de paliers de compétences différents. Chaque Première nation relève d'un palier de compétence différent des colonies métisses. Quand les jeunes Autochtones vivant en milieu urbain veulent demander des fonds, doivent-ils s'adresser aux organismes représentant les Premières nations visées par le Traité no 7 ou aux représentants de leur Première nation? Les Métis doivent-ils présenter leurs demandes au niveau de la colonie, de la nation métisse ou au niveau national? Il est nécessaire de mettre un terme à cette confusion totale.

L'organisme que je représente reçoit des fonds destinés aux Autochtones urbains, si bien que nous ne pouvons pas octroyer des fonds aux Premières nations établies dans la périphérie de la ville. Le territoire situé dans la périphérie de Calgary n'est pas très vaste et j'aurais tendance à considérer ceux qui y vivent comme des Autochtones urbains. Ils viennent en ville pour avoir recours à nos programmes, mais nous ne pouvons pas les en faire bénéficier parce qu'ils vivent en milieu rural. Nous publions également un journal que nous voulons distribuer aux jeunes.

Les Autochtones n'établissent pas divers paliers de compétences. Nous passons librement d'une collectivité à l'autre, qu'il s'agisse de réserves ou de collectivités métisses. Nous n'établissons pas de frontières. Nos frontières devraient être les mêmes que celles qui sont prévues dans le Traité J avec les États-Unis: toujours ouvertes et sans paliers de compétences, même dans les limites du territoire canadien, en raison des traités et des divers groupements locaux métis. Les Autochtones doivent se mettre à collaborer. J'insiste sur le fait que l'on devrait employer le terme «Autochtone» parce qu'il nous unit.

Je suis un Métis. J'ai été élevé comme un Métis. Cependant, même si j'ai été élevé par mon père, j'avais également une carte de membre des Premières nations à cause de ma mère et je n'avais accès à aucun service destiné aux Métis. J'ai représenté la nation métisse à divers événements à travers le pays, notamment en dansant — j'ai même dansé sur la colline du Parlement pour la Fête du Canada — mais cette même nation ne me considère pas comme un Métis parce que j'ai une carte d'Indien inscrit. Je suis Indien inscrit du côté de ma mère, mais j'ai mené la vie d'un Métis. Où est-ce que je me situe entre ces divers paliers de compétence? Il est essentiel que nous éprouvions de la fierté d'être Autochtones et que nous le fassions savoir.

En ce qui concerne le suicide, les divers problèmes que je viens de mentionner et bien d'autres encore poussent de nombreux jeunes au suicide ou du moins à faire une tentative de suicide.

Je voudrais maintenant faire quelques recommandations que j'ai notées. Je les ai préparées dans l'avion et il est possible que quelques autres me viennent en tête pendant que je les mentionne. Je voudrais encourager le Sénat à appuyer l'acquisition d'un certain niveau d'instruction chez les jeunes Autochtones en faisant une évaluation des besoins auprès des jeunes et des enfants qui fréquentent un établissement scolaire pour déterminer ce qui pourrait les aider à atteindre leurs objectifs. On a tendance à penser que l'on connaît leurs aspirations, mais il est nécessaire de s'adresser directement à eux pour savoir quels sont leurs besoins.

Je recommande de mettre davantage de services de soutien en place dans le système scolaire pour les aider à comprendre leur culture et leurs racines. Notre culture ou notre histoire ne font pas partie des programmes scolaires. On continue de nous enseigner, en 10e année, que Louis Riel était un traître. Je pense qu'il est nécessaire de réviser nos manuels scolaires afin de rectifier des erreurs semblables.

J'encourage les systèmes éducatifs provinciaux à obliger les élèves du niveau secondaire à suivre un cours de sensibilisation aux Autochtones d'une durée d'un semestre au moins. Puisqu'on les oblige à suivre deux cours d'anglais pendant leurs études secondaires, on devrait également les obliger à suivre un cours de sensibilisation aux Autochtones.

Je recommande d'instaurer davantage de programmes d'encadrement des jeunes Autochtones qui les aideraient à devenir des chercheurs ou des entrepreneurs. Des modèles ont été choisis, mais ces modèles ne sont pas liés à notre collectivité. Il est nécessaire de faire en sorte que ces modèles puissent encadrer ces jeunes et de consacrer un pourcentage plus important des fonds destinés aux jeunes Autochtones pour recruter dans les établissements secondaires un plus grand nombre d'Autochtones qui sont des modèles.

Il est en outre essentiel de créer davantage d'emplois d'été pour les étudiants du niveau secondaire et du niveau postsecondaire. Il est nécessaire de prévoir un plus grand nombre de stages pour les jeunes Autochtones. Il est essentiel d'établir un programme de bourses destinées spécifiquement aux Autochtones afin d'aider les jeunes qui ne peuvent pas recevoir d'aide financière de leur nation, qu'ils soient Métis, membres des Premières nations ou Inuits.

Personnellement, j'aimerais que le Sénat encourage les Autochtones — surtout les organismes politiques nationaux — à tenir compte des personnes «à deux esprits» dans leurs politiques. Les personnes à deux esprits militent constamment auprès de leurs gouvernements provinciaux. Je pense qu'elles devraient militer également au sein de leurs propres organisations autochtones pour que celles-ci en tiennent compte dans leurs politiques. J'encourage les gouvernements autochtones et non autochtones à tenir compte de ces personnes dans leurs lois afin de créer des programmes répondant aux besoins spécifiques de ceux et celles qui ont reçu ce don.

J'aimerais également encourager et appuyer l'adoption d'un plan d'action national portant sur la création de programmes pour les jeunes à deux esprits. C'est au sein de ce segment de la population que les risques de suicide sont les plus élevés. Nous n'avons pas accès à des chiffres concernant ce segment de la population, étant donné que les jeunes à deux esprits qui se suicident n'ont jamais avoué leur orientation sexuelle de leur vivant. C'est pourtant souvent le mobile du suicide.

Il est nécessaire de mettre en place une stratégie nationale visant à encourager les jeunes à utiliser des préservatifs. Il faudrait insister tout particulièrement auprès des jeunes filles parce que ce sont elles qui contractent les virus. Il est essentiel de mettre en place un programme qui permettrait aux jeunes Autochtones d'apprendre à s'échanger des informations utiles pour leur santé sexuelle. Il serait nécessaire de mettre également en place un programme national sur le VIH-sida pour les jeunes Autochtones. Je pense qu'un programme analogue est déjà en place, mais il doit être plus ciblé.

Je recommanderais que l'on mette en place un plus grand nombre de programmes et de services pour jeunes parents, comme des services de consultation, des cours de formation parentale, des services d'information sur les programmes recommandant un régime alimentaire adéquat pour leurs enfants et pour eux-mêmes et des programmes leur apprenant à prendre soin d'eux-mêmes et à prendre soin de leurs enfants. Étant donné qu'ils ont été placés dans des pensionnats, nos parents ne savaient pas comment prendre soin de nous. Je pense que nous devons réapprendre à être de bons parents.

Je mettrais sur pied une campagne nationale pour sensibiliser les parents autochtones à détecter les symptômes de maladie mentale chez leurs enfants. Il faut déceler ces symptômes dès le plus jeune âge afin de pouvoir établir un diagnostic précoce et d'être davantage au courant de leurs besoins.

Il est nécessaire d'encourager les autorités à apporter des modifications aux politiques concernant le syndrome d'alcoolisme foetal et les effets de l'alcool sur le foetus. J'encourage le Sénat à recommander à Santé Canada d'ouvrir un centre de traitement destiné aux jeunes Autochtones. Il est nécessaire de créer de tels centres parce que la collectivité autochtone a des besoins spécifiques.

Je recommanderais de faire une évaluation des besoins à l'échelle nationale en ce qui concerne les jeunes alcooliques ou toxicomanes autochtones. Il est nécessaire de découvrir les motifs pour lesquels ils consomment de l'alcool ou des stupéfiants et ils ont adopté certains comportements sexuels. Il est nécessaire de faire une étude sur les obsessions sexuelles au sein de la collectivité autochtone. C'est un problème qui est passé sous silence et je pense que c'est à cause de ce mutisme que notre population augmentera de 52 p. 100 en 10 ans.

Il est nécessaire d'apprendre aux parents à détecter les signes précoces d'accoutumance. Il aurait été bon que mon père s'en rende compte quand j'ai commencé à boire — ou qu'il ait pu reconnaître les symptômes de mon accoutumance — car il ne l'a même pas remarqué.

J'encouragerais les avocats et les juges à recommander un recours accru aux cercles de justice autochtone à la place de l'incarcération et d'examiner les possibilités de donner aux jeunes Autochtones les outils nécessaires à leur guérison dans le cadre du système correctionnel. La connaissance de la culture autochtone n'est pas la seule aide possible.

Je recommanderais de maintenir le financement de la Maison de la jeunesse autochtone à vocation multiple en milieu urbain (UMAYC). J'encourage le Sénat à insister pour que ce financement soit maintenu. Ce centre pourrait jouer un rôle salutaire. Il pourrait nous aider à garantir l'accès à ces programmes aux jeunes Autochtones au lieu qu'ils soient refoulés parce qu'ils n'appartiennent pas à un groupe autochtone précis.

J'encouragerais les groupes autochtones à unir leurs efforts dans le cadre d'initiatives de financement. Par exemple, les organisations d'Autochtones s'intéressant aux traités et les Métis pourraient financer conjointement un programme national pour les jeunes.

Je suggère en outre d'examiner les problèmes d'itinérance sans se limiter à en reconnaître l'existence. Il est nécessaire de les étudier sur place et de déterminer les besoins des sans-abri.

Je recommande en outre d'étudier les possibilités de créer des logements abordables pour les étudiants et de nommer un coordonnateur autochtone des droits de la personne dans les diverses régions urbaines du Canada. La plupart des Autochtones ne sont pas au courant des droits de la personne. Ils ignorent complètement de quoi il s'agit.

Je voudrais que les responsables du financement collaborent sans établir de paliers de compétences, étant donné qu'ils sont inexistants chez les Autochtones. Il serait nécessaire d'apprendre aux jeunes à mieux déceler les symptômes de suicide et à aider les autres jeunes qui sont dans le besoin. Il est nécessaire de donner à un plus grand nombre de jeunes une formation en prévention du suicide.

Je recommande d'examiner les possibilités de créer davantage de services médiatiques pour les jeunes Autochtones, notamment en leur permettant de créer leur propre chaîne. Une chaîne pour la jeunesse a déjà été créée, mais il serait peut-être nécessaire d'en créer une autre qui serait destinée spécialement aux Autochtones.

Je recommande d'examiner la possibilité de créer un plus grand nombre de ligues sportives de jeunes Autochtones. Dans les années 70 et les années 80, on accordait beaucoup d'importance aux sports. Les Centres d'amitié mettaient beaucoup l'accent sur les liens d'amitié établis grâce aux activités sportives. Nos jeunes souffrent d'un manque d'activité physique.

Je suis un danseur métis et c'est ce qui m'a permis de rester à l'abri des problèmes. Même lorsque j'avais des problèmes d'alcoolisme ou de toxicomanie ou des démêlés avec la justice, je pouvais toujours reprendre pied grâce à la danse. C'est grâce à cela que je suis souvent venu à Ottawa et je pense que ces voyages ont beaucoup changé ma vie. Je pense qu'il est nécessaire de créer un plus grand nombre de programmes récréatifs pour les jeunes, qu'il s'agisse de programmes culturels ou de programmes sportifs. Il est nécessaire qu'ils pratiquent des activités qui leur procurent un sentiment de fierté d'être Autochtones et de les encourager à le faire. Je ne dis pas que c'est la responsabilité du Sénat, mais vous pourriez peut-être encourager des organismes sans but lucratif des diverses régions du Canada à établir davantage d'installations récréatives pour les jeunes. Nous organisons une soirée récréative et c'est notre programme qui a le plus de succès.

Il est nécessaire de nommer davantage de représentants des jeunes Autochtones dans les conseils d'administration et les comités influents. Le Sénat pourrait convoquer un représentant des jeunes Autochtones tous les six mois pour examiner divers problèmes avec lui ou pour qu'il vous informe sur les problèmes qui touchent les jeunes Autochtones. On pourrait peut-être nommer un jeune au Sénat, pas nécessairement un jeune Autochtone, mais un jeune qui puisse sensibiliser le Sénat aux problèmes de la jeunesse. Vous pourriez peut-être le mentionner à Jean Chrétien avant son départ de la politique.

Une participation accrue des Aînés est nécessaire dans les programmes pour la jeunesse. On fait davantage participer les jeunes à l'élaboration des programmes qui leur sont destinés, mais il est nécessaire de faire participer davantage les Aînés. Le nombre d'Aînés diminue considérablement et le nombre de jeunes augmente à une telle cadence qu'une participation accrue des Aînés à nos programmes est nécessaire.

Il est en outre nécessaire de réexaminer le système de financement du gouvernement afin de vaincre les réticences en ce qui concerne le versement d'honoraires aux anciens. Le gouvernement a les moyens de payer un facilitateur 5 000 $ de l'heure pour des services de consultation en gestion, mais il est incapable de débourser 100 $ par jour pour rémunérer un Aîné. Il faut que la situation change. Il est essentiel que le gouvernement fédéral ou les gouvernements provinciaux mettent en place une politique reconnaissant le rôle que peuvent jouer les aînés, pas seulement les Autochtones, mais les aînés en général, en raison des connaissances qu'ils ont accumulées et qu'ils les fassent participer davantage aux programmes pour la jeunesse.

Il est nécessaire de nommer d'autres représentants autochtones à l'échelle nationale, en plus des trois groupes représentatifs que constituent les Inuits, les Métis et les Premières nations. Je pense que le Centre d'amitié en a un. On ne fait toutefois pas appel à ces jeunes. Il est nécessaire que nous soyons représentés par des jeunes à l'échelle nationale. Il est nécessaire d'établir davantage de programmes de modèles de comportement pour les jeunes sans se limiter à ceux que l'on voit à la télévision ou sur des affiches. Nous avons besoin de ces jeunes dans les collectivités. Nous avons besoin d'eux pour permettre aux enfants d'être fiers de leur peuple. Je félicite John Kim Bell pour son spectacle, mais nous avons besoin d'un plus grand nombre de jeunes comme lui dans la collectivité. Il est essentiel de mettre sur pied un spectacle national dans le cadre duquel on remettrait des prix nationaux d'excellence à de jeunes Autochtones qui pourraient voyager à travers le pays pour représenter la jeunesse autochtone et servir de modèles.

J'ai oublié de me présenter. Je suis directeur de la Société urbaine pour la jeunesse autochtone qui est un organisme sans but lucratif dispensant des services aux jeunes Autochtones âgés de 12 à 29 ans. Notre conseil d'administration est entièrement composé de jeunes Autochtones et notre personnel aussi. À nos débuts, la difficulté était le vieillissement. De nombreuses personnes influentes prétendaient que les jeunes sont des incapables. Nous avons créé huit programmes, un journal et nous instaurons un nouveau programme, un programme de préparation à l'emploi, par l'intermédiaire de Développement des ressources humaines Canada. Ce programme est en place depuis un an et demi et j'espère qu'il pourra prendre davantage d'expansion. À ce propos, je tiens à remercier le sénateur Chalifoux pour son appui.

La présidente: Avant de donner la parole à M. Warner, je voudrais signaler que je connais M. Potskin depuis sa plus tendre enfance. Je l'ai vu grandir et devenir un homme. Il est également issu d'une famille monoparentale. C'est son père qui l'a élevé, avec l'aide de son frère et de sa soeur. Je suis très fière de John et de ce qu'il a accompli.

Le sénateur Carney: Vous vous êtes présenté, mais j'ignore où vous habitez.

M. Potskin: J'habite Calgary.

Le sénateur Carney: Bien. Un autre Canadien de l'Ouest. Je vous remercie.

La présidente: Vous pouvez faire votre exposé, monsieur Warner.

M. Tom Warner, directeur exécutif, Services communautaires des jeunes Autochtones de Regina: Je vous remercie pour cette invitation à exposer nos opinions dans le contexte du plan d'action en ce qui concerne les jeunes Autochtones du Canada. Je suis directeur exécutif des Services communautaires des jeunes Autochtones de Regina. Je suis au service des jeunes Autochtones urbains et de leur famille depuis 35 ans. Pendant trois ans, je me suis occupé de cas de garde en milieu ouvert. Au cours des 21 années suivantes, je me suis consacré à l'établissement d'une école spéciale pour jeunes défavorisés de la ville, dont 95 p. 100 des élèves sont des Autochtones. Je suis actuellement directeur exécutif d'un foyer de groupe ou d'un centre de traitement à long terme ouvert 24 heures par jour depuis 1982. Je travaille à ce centre depuis 11 ans. Les commentaires que je ferai dans le cadre du présent exposé sont fondés sur mes activités avec des jeunes défavorisés qui sont en situation de conflit et incluent quelques solutions directes et efficaces en vue d'un changement.

Je peux attester de la nécessité d'établir un plan d'action. Je sais très bien que c'est une entreprise de très grande envergure. Je suis surtout à même de dire quelles initiatives pourraient être prises à l'échelle nationale pour obtenir de meilleurs résultats, étant donné les qualités innées et apprises et la ténacité des jeunes Autochtones que j'ai eu l'occasion de côtoyer.

Les jeunes Autochtones font face à des responsabilités d'adultes à un stade beaucoup trop précoce de leur développement. Un grand nombre d'entre eux ont eu une enfance trop brève parce qu'ils font face à des responsabilités parentales. Ils abandonnent souvent leurs études et c'est ainsi que de nombreux jeunes tombent sous l'influence d'un groupe de pairs qui les détourne du droit chemin. En outre, en raison de l'immobilisme et d'une mauvaise image de soi, ils manquent de plus en plus de confiance en eux. Finalement, ils sont de plus en plus désespérés face à l'avenir à mesure qu'ils perdent pied.

Je ne ferai pas beaucoup de commentaires au sujet des principaux facteurs déterminants qui sont liés à des considérations socio-économiques, aux préjugés raciaux, aux préoccupations en ce qui concerne la propriété et à d'autres considérations analogues. On pourrait mentionner de nombreux problèmes non résolus qui sont à la source des facteurs qui influencent actuellement les jeunes en situation de conflit. Je préférerais communiquer quelques renseignements au sujet de ces facteurs dans le but de vous permettre d'avoir une meilleure notion des initiatives qui seraient nécessaires pour permettre aux jeunes Autochtones d'avoir un avenir prometteur.

Notre Centre dispense des services de longue durée en internat 24 heures par jour à des jeunes âgés de 11 à 15 ans qui sont en situation de conflit. Ces jeunes sont des descendants d'Autochtones, surtout de membres des Premières nations, et ils sont issus d'un milieu urbain ou rural. La durée moyenne du séjour dans notre centre est de 12 à 14 mois, mais certains jeunes restent de deux à trois ans, selon la nature de leurs problèmes et le temps nécessaire pour que les perspectives deviennent plus optimistes. La plupart des jeunes que nous accueillons ont passé des années de leur vie dans plusieurs foyers d'accueil et certains d'entre eux dans des établissements de détention ou d'évaluation; certains d'entre eux ont fait un séjour dans de 22 à 25 foyers d'accueil différents parce qu'ils n'avaient que deux ans avant de nous être confiés.

Dans leur foyer natal, les responsabilités parentales sont le plus souvent assumées par une mère seule. La plupart d'entre eux ont perdu leur père ou leur mère ou l'un et l'autre ou ceux-ci sont incarcérés. En outre, l'un de leurs parents ou l'un et l'autre font de l'accoutumance à des drogues administrées par voie intraveineuse ou à l'alcool. Dans un nombre fréquent de cas, un des deux parents ou l'un et l'autre sont impliqués dans le trafic sexuel. Dans tous les cas, les parents de nos pensionnaires sont des assistés sociaux. Par conséquent, nos pensionnaires et leur famille bénéficient de plusieurs types de services sociaux: des services de protection, des services familiaux, des services pour jeunes contrevenants, des services complémentaires, des services financiers, et j'en passe. La plupart des parents de nos pensionnaires ont été eux-mêmes victimes de négligence parentale.

Les problèmes de nos pensionnaires sont multidimensionnels: négligence parentale, sévices physiques et sexuels, consommation abusive de substances psychotropes, statut de jeune contrevenant, piètre assiduité scolaire, activités associées à des bandes et, en fin de compte, beaucoup de colère. Dès leur arrivée au Centre, nous examinons leurs divers problèmes familiaux et personnels, leurs problèmes scolaires et leurs démêlés avec la justice, ainsi que les éventuels plans de réunification avec la famille et avec la famille élargie. La recherche d'une solution à ces problèmes s'étale sur une certaine période; nous leur offrons beaucoup d'appui, nous leur réclamons des comptes et nous mettons surtout l'accent sur les responsabilités.

Les scénarios qui suivent, qui ont été élaborés grâce à la participation et à l'expérience de nos pensionnaires et de leur famille, indiquent les initiatives qui pourraient être prises pour aider certaines collectivités démunies de la ville à mener un mode de vie sain: des programmes axés sur un avenir prometteur qui pourraient être mis en oeuvre en s'appuyant sur une base de soutien familial et communautaire, qui s'inspirent du soutien et des programmes dont ont bénéficié de nombreux foyers de groupe et centres de traitement très efficaces; ensuite, des scénarios qui s'attaquent aux problèmes qui se situent hors du champ d'action d'un milieu contrôlé comme un foyer de groupe ou un centre de traitement.

La majorité des jeunes pensionnaires des Services communautaires des jeunes Autochtones de Regina et des jeunes qui vivent dans la collectivité font preuve d'une ténacité étonnante. Avec le temps, on constate qu'ils sont bourrés de talents et de compétences inexploités. Nous tentons de les remettre sur la bonne voie afin de les aider à se réaliser. Malgré leurs défauts et leur manque d'espoir, ils aspirent à réussir. J'emploie le terme «tenace» dans son sens initial: ils veulent exceller à l'école, mais ont besoin d'appui; ils ne veulent pas avoir des démêlés avec la loi ou être associés à des bandes et ont donc besoin d'aide et d'une alternative saine; ils s'efforcent de se débarrasser de toutes leurs accoutumances et veulent faire partie d'une famille saine.

Les jeunes du centre-ville, appelé communément «hood» à Regina, ont les mêmes difficultés et les mêmes aspirations. Les occasions d'instaurer des mécanismes familiaux constructifs permettant de soutenir toute la famille abondent. Le père ou la mère de nos pensionnaires ignoraient généralement tout du rôle de parent. Ce n'est pas faute d'amour ou de bonne volonté, mais le sentiment d'appartenance s'est estompé pour faire place aux dissensions. Les mères chefs de famille monoparentale sont de plus en plus écrasées sous les responsabilités et n'ont pas les compétences ni le soutien nécessaires pour régler la plupart des problèmes. Il est par conséquent important de ne pas rejeter la responsabilité sur les parents qui sont la plupart du temps eux-mêmes des victimes. Ce qui est particulièrement important, c'est d'éviter que les enfants manquent de l'attention parentale nécessaire. Ces familles veulent de l'aide efficace et en ont besoin. Il faut briser le cercle vicieux. C'est impératif si l'on veut assurer un développement harmonieux et un avenir prometteur aux jeunes Autochtones en situation de conflit.

Un grand nombre de jeunes Autochtones sont placés dans un foyer et ce, pour d'excellentes raisons. Il serait plus avantageux et moins coûteux pour toutes les parties concernées de faire de la prévention. Le placement dans un foyer d'accueil, voire dans plusieurs, est une expérience traumatisante. On ne peut pas vraiment se mettre à la place d'un jeune de 11 ou 12 ans, voire moins âgé, qui est retiré du foyer familial pour être placé chez des étrangers. Bien que ce type d'interventions soient nécessaires en dernier recours, elles aggravent les problèmes qui se sont déjà développés. Une action préventive s'impose dans l'intérêt de toutes les parties concernées. Les mères chefs de famille monoparentale et leur famille souhaitent que la situation change. Ces mères et leur famille sont fières et voudraient que la situation s'améliore. Elles ont besoin d'un soutien sincère. Ce type d'intervention souhaitée permettra finalement à des familles indigentes de quitter le «hood» pour s'établir dans un milieu de vie meilleur ou, du moins, d'adopter un mode de vie plus sain dans les quartiers où elles résident actuellement.

La plupart des jeunes auxquels nous fournissons des services, voire tous, pensent qu'ils seront incarcérés à un moment ou à un autre. Ils pensent que l'incarcération est inévitable, en raison des antécédents familiaux. Cela équivaut à dire: «Quelle importance cela a-t-il? J'irai de toute façon bientôt en prison.» Ils tiennent toutefois ce type de raisonnement à un âge qui se situe entre 11 et 14 ans. La plupart des jeunes que nous aidons pensent qu'être associé à une bande et avoir des démêlés avec la loi est une question de survie dans le «hood». Celui qui n'est pas un «crip» — et à Regina, c'est un jeune âgé de 13 à 15 ans ou plus âgé et un «baby crip» est un jeune de moins de 12 ans — et qui ne porte pas les couleurs de la bande ou ne la suit pas sur la mauvaise pente où elle est, se fait harceler et reçoit des coups. J'ai assisté à des réunions où les «baby crips» et les «crips» avaient peur. Un directeur d'école avait organisé une réunion dans son bureau et ils avaient vraiment peur. Lorsque la nouvelle s'est répandue, c'est alors que les ennuis ont commencé.

Pour beaucoup de jeunes, les ennuis leur apportent une plus grande sécurité dans le «hood» parce que les accusations criminelles donnent de l'importance et de la sécurité. Ils jouissent davantage des agréments de la vie en prison que dans le «hood»: ils passent une bonne nuit, ils ont des repas à moitié convenables, ils sont vêtus et ont la sécurité, quoique pas totale, mais plus grande que dans le «hood». En outre, l'incarcération avec des pairs devient leur nouvelle notion de la «famille». Il est nécessaire d'assurer une présence directe accrue dans ces quartiers défavorisés pour permettre aux jeunes de faire des choix sûrs et constructifs. Ils voudraient en faire, mais ils n'ont pas les moyens nécessaires.

En ce qui concerne le développement individuel, la plupart des jeunes Autochtones du centre-ville n'ont pas accès à des activités qui leur permettent d'améliorer leurs compétences personnelles, du moins pas régulièrement. L'accès à des activités qui permettent l'épanouissement personnel, qu'il s'agisse de musique, de sport, d'arts ou d'autres centres d'intérêt sains, est très souvent hors de question en raison des coûts et des difficultés d'accès. Compte tenu de leur milieu familial et du quartier dans lequel ils vivent, des options de ce type seraient à coup sûr productives et thérapeutiques; en outre, elles leur apporteraient une plus grande autonomie.

Dans le secteur de l'emploi, étant donné que les jeunes dont nous nous occupons sont âgés de moins de 16 ans, les possibilités de trouver un emploi rémunéré sont très restreintes. Les jeunes veulent mener un mode de vie normal et faire quelques menues dépenses s'ils ont de l'argent. Ils veulent acheter par exemple le tricot qu'ils aiment. Pour la satisfaction de leurs besoins de base, les enfants pauvres voudraient gagner de l'argent parce qu'ils n'en ont pas. Il est nécessaire de mettre en place un système qui leur permette de s'adonner à des activités saines. Actuellement, les démêlés avec la justice et la survie dans le contexte du trafic sexuel demeurent les alternatives les plus faciles.

Notre programme, Regina Aided Youth, est efficace. Nous acceptons les plus nécessiteux car ils sont confrontés à divers problèmes qu'il est nécessaire de régler, surtout en ce qui concerne les jeunes. Notre programme est un programme de traitement à long terme. Comme je l'ai mentionné, aux divers problèmes liés à des abus sexuels, à des sévices physiques et à la consommation abusive de substances psychotropes se greffent l'activité criminelle, les piètres résultats scolaires et la mauvaise conduite dans la collectivité. Il est donc nécessaire que leurs cicatrices émotives guérissent.

Notre Centre fournit des services dans tous les domaines où se posent des problèmes et constitue un milieu sûr, bienveillant et propice à une réussite sur tous les plans. Notre personnel, composé en majorité d'Autochtones, élabore des plans de traitement individualisés, axés sur les aspirations et les difficultés du pensionnaire. Ces activités sont fondées sur des bases éducatives et récréatives solides, à fort intrant spirituel et culturel. Notre conseil d'administration est entièrement composé d'Autochtones, notamment d'Aînés qui interviennent sur le plan spirituel et sur le plan culturel.

La communication avec les diverses personnes qui contribuent à assurer le bien-être d'un pensionnaire est permanente afin de lui permettre de réaliser des progrès. Le réseau est composé d'Aînés, de tout le personnel des services sociaux pertinent, d'enseignants, de membres de la famille et de travailleurs primaires et secondaires s'occupant de la jeunesse autochtone de Regina au sein de la collectivité. Avec beaucoup de patience et d'insistance doublées de soutien et de responsabilisation, la situation de nos protégés s'améliore, même en ce qui concerne les plus nécessiteux. Les attitudes et le mode de vie de nos pensionnaires changent presque instantanément. Le placement dans des établissements scolaires de surveillance et le traitement des préoccupations liées à la justice, axées sur le bien-être émotif et spirituel ouvrent des perspectives de prospérité. L'enseignement de la tolérance — du respect de soi et du respect mutuel — dans un milieu bienveillant, doublé d'une certaine compréhension et de la responsabilité de faire des choix constructifs, permet à nos pensionnaires d'entrevoir un avenir prometteur.

Par exemple, au cours des dix dernières années, 10 de nos 12 clients ont quitté le Centre et n'ont pas récidivé, après avoir été réunis avec leur famille élargie. Pas un n'a abandonné les études. Huit de ces 12 garçons qui avaient été admis à notre Centre avaient été impliqués dans des vols de voitures et dans d'autres activités criminelles. Ils auraient probablement échoué en prison. Par chance, l'intervention de notre Centre a été salutaire.

Nos pensionnaires font également des progrès dans bien d'autres domaines pendant leur traitement. Ils améliorent leur style de vie, leur vision du monde, ils apprennent à maîtriser leur colère, à régler leurs afflictions et à surmonter leurs tendances autodestructrices. Grâce à de nombreux programmes sur la sécurité et à un soutien vigoureux, la réussite est possible avec des jeunes Autochtones défavorisés mais très tenaces.

La prévention des nombreux problèmes qui se posent de plus en plus dans les centres-villes est possible grâce à une aide et une intervention fondées sur des assises familiales et communautaires directes. Cette approche est préventive parce qu'elle entraînerait des coûts initiaux liés à la fourniture d'un service de qualité mais ils seraient toutefois inférieurs aux coûts de l'inaction. Ce qui est plus important, c'est que ce plan d'action a une incidence préventive sur la vie et les moyens de subsistance des jeunes Autochtones défavorisés et de leur famille.

La présidente: Je vous remercie. Votre exposé est très instructif et très intéressant.

Allez-y, madame Waite.

Le chef Patricia Waite, conseillère, Centre des jeunes Autochtones en milieu urbain de Calgary: Je suis honorée que l'on m'ait demandé de prendre la parole devant la présente assemblée. Ce n'est pas la première fois. Je suis déjà venue témoigner au nom du Mouvement des Indiens d'Amérique pour signaler aux législateurs qu'il y avait un problème dans l'Ouest. C'est la deuxième fois que je témoigne devant un comité. Je suis honorée de votre invitation.

Je suis chef à vie. J'ai accepté cette responsabilité parce que je pensais que ce serait une expérience intéressante, quoique je le regrette un peu. Nos villes de l'Ouest ont peut-être besoin d'un chef mais, une fois que le chef est en place, il y reste. Je préside la Cour Tsuu T'ina, et c'est une expérience très instructive. Ce n'est toutefois pas le sujet sur lequel je compte faire des commentaires aujourd'hui, bien qu'il soit intéressant et qu'il comporte de nombreux aspects nouveaux.

Je suis une femme-aigle, je suis une femme-hibou, je suis une femme-calumet, je suis membre des Premières nations Stoney. Je suis également crie et je suis une femme qui a de nombreuses identités. Vous seriez étonnés d'apprendre comment les Stoney la traitent.

Avant de présenter mon mémoire, je voudrais aider mon ami, si vous n'y voyez aucun inconvénient. Je lis le Globe and Mail parce que j'apprécie ses descriptions de nos problèmes. Je voudrais étayer l'argument de mon ami en lisant un extrait d'article de ce journal parce qu'il est très intéressant. Je vous prie de ne pas tenir compte des quelques minutes que j'y consacrerai dans les 15 minutes dont je dispose parce que je suis censée traiter d'un sujet très important. L'article du Globe and Mail mentionnait une étude faite par la Canada West Foundation et été écrit par Kim Lunman. Il dit notamment ceci:

L'étude a révélé que plus de la moitié — 51 p. 100 — de la population autochtone canadienne évaluée à un million de personnes, vit en milieu urbain alors que 29 p. 100 vit dans les 600 réserves nationales. Le reste de la population vit hors réserve en région rurale.

[...] on n'en a toutefois pas tenu compte dans les politiques de financement des programmes autochtones [...]

L'année dernière, 88 p. 100 des dépenses des programmes autochtones fédéraux ont été attribués aux Indiens vivant dans les réserves alors que 3,5 p. 100 seulement, soit 270 millions de dollars, ont été consacrés aux programmes urbains. Le ministère des Affaires indiennes a un budget annuel de 6 milliards de dollars.

Je saute, bien entendu, de nombreux passages.

À propos des commentaires faits pas le premier ministre Chrétien, l'article mentionne que:

Il a également promis de «combler l'écart entre les chances de réussite des Autochtones et des non- Autochtones».

À ce propos, je signale que j'en suis à ma troisième église à cause des relations raciales à Calgary. J'écrirai un article à ce sujet lorsque j'en aurai le loisir.

Le rapport recommande en outre que les provinces et le gouvernement fédéral collaborent davantage pour répondre aux besoins des Autochtones en milieu urbain et signale que la situation s'est détériorée à un point tel qu'il faudra peut- être une soixantaine d'années pour la redresser. Comme je l'ai déjà mentionné, c'est une certaine Kim Lunman qui a rédigé cet article pour le Globe and Mail.

Je suis présidente de la Cour Tsuu T'ina. Je suis diplômée de l'Université de Toronto et je suis la première femme autochtone titulaire d'un diplôme en sciences politiques et en économie. De nombreux Autochtones entreprennent des études universitaires mais ne décrochent généralement pas de diplôme. C'est un crime parce que les études universitaires coûtent très cher à la société.

Quelles sont mes autres activités? J'ai deux diplômes en musique, ce qui m'aide à avoir accès aux églises qui ne voudraient pas de moi autrement.

Je vous remercie à nouveau de me donner cette occasion d'exprimer mes opinions. C'est un sujet terrible, mais je présume que nous sommes entre amis. Je suis venue pour savoir si vous aviez des réponses en ce qui concerne le problème suivant. Le Groupe des jeunes Autochtones en milieu urbain de Calgary a été créé en 1971; c'est une société qui a des statuts et qui a été enregistrée à Edmonton (Alberta). Ses activités s'adressent aux jeunes de 0 à 25 ans, mais l'âge limite a maintenant été réduit à 16 ans. Le Groupe offre un programme complet composé d'activités sportives, d'activités éducatives, d'activités liées à la culture autochtone, de cours d'initiation à la procédure parlementaire et d'excursions, y compris cinq aux États-Unis à la recherche des racines indiennes. Il organise également une série de conférences à l'Université de Calgary, des pièces de théâtre, des spectacles de danse, des pow-wows et des ateliers de perlage. Son énoncé de mission consiste à montrer aux étudiants que de nombreuses activités sont possibles en milieu urbain et qu'il n'est pas nécessaire de sombrer dans l'alcoolisme.

Les jeunes Autochtones n'avaient pas le droit d'apprendre l'anglais comme langue seconde, contrairement aux enfants d'immigrants. Les enseignants n'appréciaient pas de devoir remplir des formulaires en cinq exemplaires pour le ministère des Affaires indiennes. On apprenait donc l'anglais dans les terrains de jeu, dans la rue, dans les couloirs de l'école et dans le cadre de programmes que nous avions mis en place nous-mêmes. C'étaient généralement les grands- parents qui devaient conduire les enfants au terrain de jeu.

Nos statuts contiennent une clause portant sur un comportement non acceptable pour le groupe. La première infraction liée à un comportement inacceptable entraîne l'expulsion du groupe pour une période de trois mois. La deuxième infraction entraîne l'expulsion pour un an. Nous avions mis en place un programme de tutorat auquel participaient 75 élèves sur une base volontaire, dans le cadre duquel chaque garçon était jumelé avec un autre garçon et chaque fille était jumelée avec une autre fille. Il en a été question dans le livre bleu intitulé «L'Indien et la loi» publié dans les années 80, mais je n'ai pas pu le retrouver dans mes dossiers. L'accent était mis principalement sur l'éducation et c'est encore le cas. Une lettre de recommandation avait été faite par Harold Cardinal et nos statuts étaient basés sur ceux de notre organisme cadre, l'Indian Association of Alberta, le premier programme provincial indien au Canada.

Le Centre des jeunes Autochtones en milieu urbain de Calgary est le plus ancien programme pour jeunes Indiens au Canada. Les locaux du groupe ont d'abord été établis à plusieurs endroits du centre-ville, après quoi l'adresse de Riverdale est devenue celle du bureau. Ensuite, le Centre a déménagé dans le nord-est de Calgary, dans une sorte de ghetto, que je n'aimais pas. Cet endroit me déplaisait au point où j'ai refusé que l'on y déménage le Centre des jeunes. C'est notamment à cet endroit que nos problèmes ont commencé.

Il y a quatre ans, le 20 septembre, je devais rencontrer les jeunes à une réunion qui devait avoir lieu au Centre d'amitié du centre-ville. Le Centre d'amitié indien de Calgary n'avait pas été informé de la réunion. Lorsque je suis arrivée, le veilleur de nuit, un aide et moi avons installé la table et y avons placé les procès-verbaux, à chaque place. Nous avons attendu. J'avais la liste des jeunes qui avaient assisté à la réunion précédente. Les noms avaient été communiqués verbalement à l'hôtel de Ville. Les noms, y compris ceux de 13 filles, étaient inscrits sur ma liste. À 19 h 30, nous nous sommes rendu compte que les jeunes ne viendraient pas. J'ai laissé une note sur le livre des visiteurs pour notre agent de police, qui ne s'était pas présenté non plus à la réunion et j'ai traversé le terrain de stationnement chinois, en direction ouest, pour me rendre à ma voiture.

La présidente: Je m'excuse de vous interrompre, mais le sénateur Carney doit s'en aller. Elle doit prendre un avion et elle aimerait poser deux ou trois questions.

Mme Waite: Très bien.

Le sénateur Carney: Avez-vous presque terminé votre exposé?

Mme Waite: Je n'ai que quatre pages à lire.

Le sénateur Carney: Puis-je mentionner le sujet rapidement pour vous laisser ensuite poursuivre votre exposé? J'avais fait des réservations sur un vol avant que cette séance n'ait été prévue.

Mme Waite: La suite est que j'allais prouver qu'au sud de la rivière Bow, les Indiennes ou les jeunes Indiennes ne sont plus en sécurité.

Le sénateur Carney: Vos commentaires sont extrêmement importants et je ne tiens pas à vous interrompre.

Mme Waite: Il s'agissait d'un acte criminel.

Le sénateur Carney: Je voulais seulement poser des questions sur les écoles pour Indiens, à laquelle vous pourriez répondre plus tard. Il semblerait qu'en Colombie-Britannique, les avis soient partagés quant à savoir si les jeunes Autochtones veulent fréquenter des écoles intégrées ou des établissements scolaires pour Indiens.

Mme Waite: Nous laisserons le choix à chacun.

Le sénateur Carney: Je voulais savoir ce que vous en pensiez. Continuez, je vous prie. Pourquoi est-ce que les femmes et les enfants ne sont pas en sécurité dans cette zone de la ville?

Mme Waite: Notamment à cause d'une menace de viol. Sur l'avenue, j'ai vu un taxi de la société Associated, dans lequel j'ai aperçu trois petits visages asiatiques — j'ai constaté plus tard qu'il s'agissait de Vietnamiens — recouverts de peinture comme celle qu'on utilise au théâtre. Ils avaient des cheveux raides coiffés de droite à gauche. Ils étaient assis à l'arrière du taxi et regardaient par la fenêtre. J'ai d'abord pensé que c'était une plaisanterie. Le sens de l'humour blackfoot est parfois surprenant. Puis je me suis rendu compte que j'avais affaire à une menace de viol collectif. Une voix intérieure m'a conseillé de continuer à marcher en direction du French Maid, un restaurant local. Je n'ai pas écrit ce texte au restaurant. Ce n'est pas uniquement un restaurant; en temps normal, je me serais tenue à dix milles au moins de cet établissement.

Nous avions déjà eu des problèmes avec des Vietnamiens à une station de train léger, où nos garçons avaient été attaqués par des Vietnamiens armés de couteaux. L'incident avait été signalé à la police, comme celui que je viens de mentionner.

Le taxi s'est approché de moi. Je me suis rendu compte que les Vietnamiens voulaient les noms des jolies filles inscrites sur ma liste. Les hommes les voulaient pour eux. Les parents des jeunes me faisaient confiance étant donné que je travaillais depuis des années pour les jeunes. Je craignais que les filles ne soient victimes du trafic de cocaïne. Quarante-neuf pour cent des Vietnamiens font du trafic de cocaïne d'une façon ou d'une autre. Ce chiffre est celui qui a été communiqué par le service de police de Calgary.

La cocaïne est un vrai fléau pour les Autochtones, surtout à l'heure actuelle. Il y a trois ans, j'avais vu un revendeur de drogue indien remettre de la cocaïne à une jeune Autochtone au Robson Square, à Vancouver. Le trafic de cocaïne s'est implanté à Calgary, avec des revendeurs, qui sont assez âgés pour être conscients des conséquences de cette activité, munis d'une liste de consommateurs des drogues insidieuses. Ce ne sont plus des jeunes. Ce sont des hommes d'âge moyen. J'ai eu l'occasion de les observer.

Le directeur des programmes du Centre d'amitié de Calgary faisait partie du réseau et nous avons d'abord fermé le Centre. Le 18 septembre, j'avais reçu de lui un appel téléphonique où il m'a tenu le discours le plus incohérent qu'il m'ait été donné d'entendre. Je savais que deux des hommes avaient des difficultés à se rendre à leurs rendez-vous, le revendeur et le directeur des programmes, parce qu'ils ne cessaient de m'appeler. L'ex-président du Centre des jeunes Autochtones en milieu urbain de Calgary était impliqué également; je l'ai vu mendier sur la 17e avenue et sur la 13e Rue, dans l'ouest du centre-ville. Je l'ai vu en passant en voiture. Par chance, je n'étais pas à pied. L'ex-trésorier du groupe de jeunes, qui est un Blackfoot, a été impliqué également. Les Cris étaient représentés par la famille Strawberry de Sunchild-O'Chiese, ainsi que par un membre cri de mon groupe de jeunes. J'étais sous le choc, c'est le moins que l'on puisse dire, et je me sentais coupable dans une certaine mesure. Étant donné que nous avions mis les membres du groupe en garde contre les drogues, ils n'avaient certainement pas choisi la cocaïne de leur plein gré. Peut-être était-ce une erreur de ma part, mais j'étais prise de court. Comment en sont-ils arrivés là? Je suis allée au bureau de police. Je pensais que celle-ci devait être au courant de la présence d'Autochtones au sein du réseau de trafiquants. La plupart des services policiers pensent que le trafic des stupéfiants est entre les mains de Blancs, mais les Indiens sont maintenant impliqués dans ce type d'activité criminelle. J'ai vu un agent de police en qui j'avais très confiance et avec lequel je n'avais aucune difficulté à communiquer. Je suis donc allée le trouver pour lui parler de ce trafic de cocaïne. J'étais certaine que le groupe avait exploité et exploiterait encore les pow-wows à l'occasion desquels les Autochtones se réunissent — «pow-wow» signifie un regroupement.

La fin de semaine suivante, ils m'ont appelée pour aller à Alexander. Ils se demandaient où j'étais. Ils voulaient de l'argent pour payer l'essence. Je me suis rendu compte que les Blackfoots, les consommateurs de cocaïne, étaient peut- être nombreux sur ce marché de la cocaïne. Je ne me trompais pas en ce qui concerne la méthode de distribution. Je n'avais pas fait de sondage, mais j'ai reçu des appels téléphoniques très suspects. Je pense que les Blackfoots sont en danger ici; j'en suis convaincue. Je n'ai pas fait de sondage. Je n'en ai pas eu le temps.

Pendant des années, nous étions extrêmement pauvres et les revendeurs ne nous sollicitaient pas. Tsuu T'ina a été le premier à avoir de l'argent pour acheter de la drogue. La mort causée par la consommation de cocaïne est épouvantable. La cocaïne ronge le cerveau. J'ai eu l'occasion de faire une cérémonie de funérailles pour un nouveau-né dont la mère n'en avait pourtant plus consommé depuis quatre ans. La cocaïne est une drogue dangereuse.

Je ne sais plus très bien ce qu'il faut faire. Je piétine depuis deux ans. Je me demande si un autre groupe prendra la relève ou sera la cible de discrimination. Le nom du groupe n'est plus utilisé. Nous l'avons retiré d'Internet et nous avons retiré nos symboles qui nous avaient été donnés par des groupes indiens.

Je crains que la drogue se soit infiltrée profondément chez les Blackfoots. Les relations raciales se sont détériorées, mais les jeunes aimeraient avoir l'occasion de se réunir dans un endroit où ils peuvent être eux-mêmes. Le besoin subsiste. La sécurité publique a disparu à cause des drogues comme la cocaïne. On se livre une guerre de territoire et on n'a pas de méthadone à utiliser dans le traitement des cocaïnomanes. La mythologie des Indiens des plaines ne recèle pas de légende sur la cocaïne et pourtant, des Indiens sont impliqués dans ce trafic. La discrimination est insidieuse également. Que faut-il faire pour nos jeunes?

C'est parce que la situation est extrêmement grave que j'ai accepté votre invitation. Je répondrai volontiers à vos questions. Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion d'en parler et je ne suis pas sarcastique. Je ne m'attendais jamais à devoir présenter un document comme celui-ci. La situation est horrible.

Mon exposé est terminé, madame la présidente. La situation est extrêmement grave. Je ne peux pas dire pourquoi parce qu'en langue indienne, il n'existe pas de terme correspondant à «pourquoi?», mais je peux poser la question suivante: «Comment en est-on arrivé là? Comment avons-nous fait fausse route?» Je ne me sens pas coupable parce que je pense que nous avons pris d'excellentes initiatives. J'étais fière du groupe. Je le suis encore parce que de nombreux membres sont toujours là, à ce que je sache. Le groupe ne compte plus que deux femmes, ce qui est assez intéressant; ce sont surtout les hommes qui participent. Comme je l'ai mentionné, c'est mon problème parce que j'ai accepté d'en prendre la responsabilité, mais je ne sais que faire pour le régler.

La présidente: Je vous remercie. Nous passons à la période de questions.

Le sénateur Pearson: On ne sait pas où commencer. Votre exposé m'a remuée.

Le témoin qui a fait le deuxième exposé semble avoir trouvé un moyen efficace en ce qui concerne ce groupe. L'exposé de M. Potskin me donne pleine conscience de la complexité de ces problèmes. Je trouve ces commentaires intéressants parce qu'ils sont semblables à ceux que font de jeunes non-Autochtones.

Lundi, je me suis entretenue avec quelques jeunes; nous examinions quelques questions prioritaires concernant les jeunes adolescents. De nombreux adolescents voudraient que l'on mette en place des programmes axés sur l'hygiène sexuelle et génésique. Vos commentaires confirment les leurs, à savoir que le nombre de maladies transmissibles sexuellement est extrêmement élevé au sein de l'ensemble de la population des jeunes. Une des jeunes femmes — de Calgary — a mentionné, dans le cadre d'un sondage anonyme, que près de 50 p. 100 des jeunes de son école avaient eu des expériences sexuelles et des infections. Je pense que c'est un aspect qui n'a pas été examiné d'assez près dans notre étude. Je m'informe pour savoir quelle approche adopter.

M. Potskin: Nous faisons actuellement une étude sur le VIH et sur le sida ainsi que sur les attitudes et les perceptions en ce qui les concerne; cette étude porte aussi sur la sexualité chez les jeunes Autochtones de la ville de Calgary. Nous la faisons avec la collaboration de la faculté de médecine de l'Université de Calgary. Nous avons fait un sondage auprès de deux groupes cibles de dix jeunes Autochtones et de dix autres groupes cibles. Nous tentons de déterminer en les consultant une possibilité d'adapter le système d'éducation à leurs besoins et de savoir ce qu'ils veulent apprendre au sujet de l'hygiène sexuelle et génésique.

Ce qui nous a étonnés le plus, c'est que tous les participants ont signalé qu'ils avaient des cours d'éducation sexuelle à l'école, mais qu'il s'agissait d'un cours de dix minutes pendant lequel l'infirmière faisait une courte démonstration de la manière de placer un préservatif. Elle ne tient pas vraiment à donner d'informations supplémentaires sur la sexualité. Je pense donc qu'il convient d'examiner les programmes d'éducation sexuelle des diverses provinces et d'explorer de nouvelles méthodes d'enseignement parce que le sexe est présent à la télévision. Sur Internet, on peut se brancher sur des sites Web explicites consacrés au sexe, grâce à un moteur de recherche. Il est nécessaire de parler plus ouvertement de sexe parce qu'il n'est plus caché et que nous y sommes exposés en permanence.

Le sénateur Pearson: Pensez-vous qu'il soit nécessaire d'aborder la question des liens entre le sexe et les relations humaines? Est-ce un sujet sur lequel la communication laisse à désirer?

M. Potskin: Nous avons demandé aux jeunes s'ils pensaient que le sexe consistait uniquement à faire l'amour. Ils ont répondu qu'ils ne savaient rien de l'amour. Nous avons posé la question à des jeunes âgés de 16 à 24 ans et même ceux qui sont âgés de 24 ans ont dit qu'ils associaient les relations sexuelles à faire l'amour, et uniquement à cela. Il est nécessaire de demander aux éducateurs d'enseigner ce qu'est le sexe. Le sexe n'est pas faire l'amour. La plupart des jeunes ne savent pas ce qu'est l'amour. Il faut enseigner aux jeunes comment apprendre à s'aimer. On pourrait le leur enseigner par l'intermédiaire de l'éducation sexuelle. Il suffirait de faire une évaluation des besoins de ces jeunes et une évaluation des besoins en matière d'éducation sexuelle à l'échelle nationale, sous la direction de Santé Canada. Ce serait une excellente initiative.

Le sénateur Pearson: Monsieur Warner, d'après ce que vous avez mentionné, il semblerait que la plupart des jeunes qui s'adressent à vos services soient des garçons?

M. Warner: C'est bien cela.

Le sénateur Pearson: S'agit-il uniquement de garçons?

M. Warner: Oui.

Le sénateur Pearson: L'éducation sexuelle fait-elle partie de vos activités?

M. Warner: Bien sûr. J'approuve les commentaires que M. Potskin a faits au sujet de l'amour et du sexe. Il ne faut pas perdre de vue qu'il ne s'agit pas uniquement d'amour et de sexe, mais aussi de faire ce qui est approprié. Il s'agit de garçons qui se prostituent parfois pour de l'argent et de jeunes, garçons ou filles, qui ont de la difficulté à trouver leur identité sexuelle. Cela devient pour eux un problème supplémentaire, dont la nature diffère selon le type d'abus qu'ils ont dû subir.

Le sénateur Pearson: Tous ces problèmes sont liés. Vous avez mentionné les obsessions sexuelles. De toute évidence, ils sont interdépendants.

M. Warner: Oui, et tous ces problèmes entraînent parfois de fortes déviations.

Le sénateur Pearson: Certains enfants ont été d'abord victimes d'abus et ne savent pas ce qu'est l'amour.

M. Warner: Leur conception du sexe est influencée par de nombreux facteurs émotionnels, chez les garçons comme chez les filles. Tout cela est très confus pour eux.

Le sénateur Pearson: M. Potskin fait d'excellentes recommandations. Il pourrait peut-être en faire une autre. Je vous remercie.

Le sénateur Hubley: Monsieur Potskin, quand la Société urbaine pour la jeunesse autochtone a-t-elle été créée?

M. Potskin: Sur le plan juridique, sa création ne remonte qu'à deux ans, mais le groupe est formé depuis quatre ans. Nous constituons en outre le Comité consultatif de jeunes Autochtones du maire de Calgary. C'est en fait le maire Al Doer qui a créé ce comité, puis qui l'a encouragé à devenir une société sans but lucratif. C'est grâce aux encouragements du maire que la Société a été créée.

Le sénateur Hubley: Êtes-vous la seule société de Calgary qui concerne les jeunes Autochtones en milieu urbain?

M. Potskin: Nous sommes la seule qui soit intégralement axée sur les jeunes Autochtones et qui soit dirigée et gérée par des Autochtones. Tous les organismes autochtones s'occupent des problèmes des jeunes Autochtones. Nous veillons à ne pas offrir des services analogues à ceux qui sont déjà en place, mais nous aidons aussi d'autres organismes à établir leurs programmes pour les jeunes.

Le sénateur Hubley: Monsieur Warner, je vous pose la même question au sujet des Services communautaires des jeunes Autochtones de Regina. Quand votre organisme a-t-il été créé?

M. Warner: En 1982.

Le sénateur Hubley: Avez-vous remplacé un autre organisme ou s'agit-il d'un nouvel organisme?

M. Warner: Il s'agit d'un nouvel organisme créé à la suite des difficultés survenues dans le centre-ville.

Le sénateur Hubley: Madame Waite, est-ce que vous enseignez depuis longtemps?

Mme Waite: Oui, et je voudrais des réponses. Conviendrait-il de mettre davantage l'accent sur l'éducation au sujet de la cocaïne? Je suis restée très discrète. Je n'ai même pas mentionné le problème aux journaux. Je suis restée très discrète, mais pas parce que j'avais honte. Je savais que je n'étais pas responsable, mais...

Le sénateur Hubley: Je ne veux pas entrer dans les détails, mais je voudrais mettre l'accent sur l'éducation. Les jeunes que vous vous efforcez d'aider sont déjà à risque, je présume.

Mme Waite: C'est bien cela.

Le sénateur Hubley: Ils n'ont probablement pas fréquenté la maternelle ou n'ont pas participé à des programmes d'aide préscolaire, ni à d'autres programmes analogues.

M. Warner: Ceux qui ont participé au Programme d'aide préscolaire à Calgary sont encore jeunes. C'était un excellent programme. Je ne le pensais pas au début parce qu'il enseignait deux cultures en parallèle: blackfoot le matin, crie l'après-midi et non indienne toute la journée. Je pensais que les capacités d'apprentissage des enfants étaient limitées; j'ai donc décidé d'aller constater sur place. J'ai assisté aux séances de matinée concernant les Blackfoots. C'était très bien. Je parle la langue blackfoot. L'après-midi, j'ai appris le cri et j'ai réussi l'examen, avec la musique et tout le reste.

À ce propos, je signale que j'ai fait supprimer les pow-wows à Calgary. On a beaucoup de pouvoir quand on veut l'utiliser. Je ne tenais pas particulièrement à l'utiliser, mais je constatais que l'on risquait de ternir l'image du pow-wow. Dans deux pow-wows, on fait des danses en rond, mais on n'organise pas de pow-wow à caractère religieux.

Le sénateur Hubley: Pensez-vous que l'éducation soit importante dans ce domaine?

Monsieur Potskin, vous pourriez peut-être faire des commentaires. Vous êtes un adulte, mais vous êtes plus jeune que nous. Vous avez l'âge qui nous intéresse. Vous vivez en milieu urbain. Nous cherchons tous la clé; nous cherchons des réponses et je ne pense pas que nous en ayons. Il sera nécessaire que nous nous appliquions à établir des stratégies permettant d'assurer une aide durable.

Monsieur Potskin, pouvez-vous mentionner le rôle qu'a joué l'éducation dans votre développement? Vous avez mentionné que vous aviez abandonné l'école, mais qu'un événement vous a poussé à reprendre plus tard vos études.

M. Potskin: Ce qui m'a poussé à m'instruire, c'est la nécessité d'acquérir des connaissances pour mon édification personnelle. Je signale que j'ai abandonné l'école trois fois avant de terminer mes études. J'ai abandonné à l'âge de 12 ans, en 6e année, ce qui est étonnant mais très fréquent chez les jeunes Autochtones. Je vivais alors dans une petite ville à proximité de laquelle se trouvaient trois réserves. Je vivais avec ma mère et comme nous ne pouvions pas nous défendre contre le racisme, j'ai quitté l'école. Pendant un mois, ma mère ignorait que je n'allais pas à l'école, mais elle s'en doutait. J'ai ensuite abandonné l'école à deux reprises en 9e année, puis j'ai fréquenté un établissement secondaire, mais j'ai également abandonné mes études secondaires.

À Edmonton, il y avait une école secondaire de premier cycle pour Autochtones. Il y a maintenant deux types d'écoles, une école secondaire et deux écoles élémentaires. C'était très rassurant de fréquenter cette école pour Autochtones. Je m'entendais bien avec certains jeunes et je me suis épanoui sur le plan social. J'étais une personne tranquille et timide qui vivait en milieu urbain. J'ai toujours eu des amis de race blanche.

Lorsque j'étais à l'école élémentaire, on a fait à mon sujet une observation que je n'ai jamais oubliée: «Vous êtes un des bons élèves.» J'en étais fier, parce que je n'étais alors qu'un enfant, mais maintenant, je pense que c'était stupide d'en être fier. Quand on est enfant, on est fier d'entendre ce type de compliment. Je me souviens de la réaction des autres enfants autochtones à l'école. Certains d'entre eux étaient mes cousins. J'étais fier d'être meilleur qu'eux.

Ensuite, j'ai fréquenté une école secondaire de premier cycle où tous les élèves étaient des Autochtones et, par conséquent, où nous étions à égalité. C'était une expérience très différente. J'ai abandonné mes études parce que le racisme était également présent dans les collectivités autochtones. Je n'ai pas un accent autochtone. Je ne parle pas ma langue. J'ai connu l'expérience du racisme en étant traité de «apple». Je n'étais accepté dans aucun des deux groupes.

Je pense que le problème est de découvrir son identité. Je suis Métis et c'est dans cette identité que j'ai puisé mon bien-être. Je ne connais pas la culture des Premières nations, mais je maîtrise la danse métisse. Je pense qu'il est essentiel d'enseigner leur culture aux jeunes avant toute autre chose.

Le sénateur Hubley: Comme individu, n'était-ce pas une recherche de votre culture menée parallèlement à l'éducation? C'est précisément l'objet de ma question suivante. Lorsque vous avez repris vos études, n'était-ce par parce que vous vous étiez rendu compte qu'une meilleure éducation vous donnerait des possibilités supplémentaires de gagner votre vie, d'obtenir un meilleur emploi, voire d'entreprendre des études universitaires, ou l'avez-vous fait uniquement parce que vous aviez besoin d'un élément culturel dans votre vie?

M. Potskin: Si j'ai décidé de terminer mes études, c'était pour aider ma collectivité. C'était mon principal but.

Le sénateur Hubley: Vous vouliez vous instruire pour pouvoir mettre sur pied des programmes comme ceux dont vous êtes maintenant responsable?

M. Potskin: Je fais partie de comités depuis mon jeune âge. Le sénateur Chalifoux est une des personnes qui m'a encouragé à le faire: «Vous êtes jeune; allez travailler sur le terrain.» Je ne fréquentais pas l'école et je pouvais donc être membre de nombreux comités. J'ai compris que je n'attendrais pas mes objectifs si je ne retournais pas à l'école. C'est donc la raison pour laquelle j'ai repris mes études.

Le sénateur Hubley: Était-ce votre motivation?

M. Potskin: Oui, je voulais travailler pour la collectivité.

Le sénateur Hubley: En étiez-vous conscient?

M. Potskin: Oui. J'étais conscient qu'il fallait être instruit pour être actif dans notre société.

La présidente: Monsieur Warner, en ce qui concerne les enfants auxquels vous avez affaire, je vous poserais la même question que celle que le sénateur Hubley a posée à M. Potskin. Avez-vous des commentaires à faire au sujet des enfants avec lesquels vous êtes en contact?

M. Warner: Nous devons décider au préalable, d'après leurs antécédents, quels enfants nous pouvons accueillir. Tous ces enfants sont dans le besoin mais, sur le plan éducatif, leurs besoins sont criants. D'après l'information fournie dans les formulaires de demande d'admission, ils sont pour la plupart des cas flagrants d'échec scolaire. Ils sont dans des classes spécialisées. Ils ont souvent de mauvais comportements.

Nous faisons des visites scolaires deux fois par semaine, ce qui frise le harcèlement, pour vérifier si nos jeunes font des progrès. Quatre-vingt-quinze pour cent d'entre eux sont dans des classes dites d'apprentissage structuré ou dans des classes spéciales. Ils s'absentent de l'école pendant de longues périodes. Personne ne les y envoie. Parfois, ils n'ont pas envie d'y aller parce qu'ils n'ont pas de quoi manger à midi. C'est embarrassant d'être là avec un sandwich aux épluchures de pomme de terre, à l'heure du dîner. Le racisme est présent également.

Quand on s'adresse enfin à nous, nous apportons un soutien direct aux enfants que nous accueillons pour nous assurer que tout va bien. S'ils ont des problèmes, nous tentons de les résoudre. Si nous n'y arrivons pas, nous les changeons d'école pour qu'ils soient dans un milieu scolaire sain.

Notre principe est que le séjour d'un jeune en milieu scolaire ne devrait pas être un enfer. Ces jeunes sont déjà très défavorisés. Nous nous efforçons donc d'établir de bonnes relations avec les écoles et de dire franchement ce qui ne va pas quand c'est nécessaire. Vous aurez peut-être de la difficulté à le croire, mais nos jeunes ne manquent pas l'école et ne sautent pas des cours. C'est grâce à l'appui qu'ils reçoivent.

Nous imposons même une petite sanction lorsqu'ils sautent des cours. Nous l'appelons MUT ou «makeup time». Nous les obligeons à lire un livre de communication axé sur le travail, l'assistance aux cours et le comportement et, par conséquent, nous avons un bon contrôle — non seulement lors des visites sur place mais quotidiennement — sur les difficultés qu'ils peuvent avoir. Les écoles apprécient beaucoup ce système. Nous l'apprécions beaucoup. Tout compte fait, il est efficace pour nos pensionnaires.

La présidente: Vous apportez donc du soutien, du soutien et encore du soutien.

M. Warner: Beaucoup de soutien. Quand ces jeunes ont des problèmes, ce n'est généralement pas la première fois, mais les parents se lassent. Nous avons plus d'influence. La plupart des parents hésitent à affronter certains des problèmes qui surgissent à l'école ou dans la cour d'école. Quant à nous, nous ne sommes pas intimidés. Nous avons l'habitude de soutenir les jeunes. Nous n'adoptons pas une attitude réprobatrice. Notre seule tactique est la diplomatie et nous obtenons d'excellents résultats.

Le sénateur Sibbeston: Je voudrais que les témoins me remettent un résumé de leurs mémoires. Il n'est pas facile d'évaluer la situation tout en les écoutant. Vous êtes actifs dans des domaines différents et vous relatez vos expériences. La situation est dans une certaine mesure déplorable.

Je vis dans le Nord où la situation n'est pas aussi grave. D'après les commentaires que j'entends sur les problèmes qu'ont les Autochtones vivant en milieu urbain, j'ai l'impression que leur situation est déplorable. Une personne qui a vécu en milieu rural a beaucoup de difficulté à s'adapter à un milieu urbain. Dans les centres urbains, le mode de vie est différent et les Autochtones qui vivent en contact étroit avec la nature ont de la difficulté à s'y adapter.

J'apprécie les connaissances que vous avez dans votre domaine. Je me rends compte que la migration des Autochtones des zones rurales vers les centres urbains est un phénomène qui sera probablement de plus en plus accentué. Cette tendance ne diminuera pas. Y a-t-il de l'espoir? Quelles mesures voudriez-vous que l'on prenne? Quelles initiatives le gouvernement peut-il prendre pour aider à sortir les Autochtones de cette situation critique? Vous avez une longue expérience et une connaissance approfondie dans ce milieu. Quelles mesures pourrait-on prendre? Y a-t-il de l'espoir? Peut-on voir une lueur au bout du tunnel? Peut-on envisager l'avenir avec sérénité et prévoir que les Autochtones s'adapteront à la vie en milieu urbain?

Mme Waite: Je pense que la situation s'est améliorée. Ce sont les premières familles qui ont eu le plus de difficulté. J'ai essayé de leur trouver un logement. Les logements qui nous étaient proposés — par l'Association des Métis — étaient en piteux état. C'étaient les seuls disponibles. Je me disais que, pour une femme, une maison où il était possible de travailler dans la cuisine était un logement acceptable.

La situation a changé du tout au tout. Les logements sont de meilleure qualité. Je sais qu'ils ne sont pas parfaits, mais ils sont de meilleure qualité. Le choc culturel qui se produit lorsqu'une famille quitte la réserve est maintenant amorti.

Nous avons eu des difficultés avec les travailleurs sociaux. J'ai tellement critiqué les travailleurs sociaux qu'on m'envoie maintenant les plus compétents. Nous avions établi notre propre système de travail social qui était efficace. Je l'ai utilisé pendant des années à Calgary. Le travailleur social intervenait — et cela m'est arrivé plusieurs fois — et il fichait tout en l'air parce qu'il se basait sur des normes propres à la classe moyenne de la population non autochtone. On ne peut pas fusionner les deux sociétés de la sorte. En fin de compte, on a de nouveau recours à la solution autochtone, qui sert le même objectif.

Je pense que le Programme d'aide préscolaire, que le sénateur Hubley a mentionné, est intéressant. Nous révélons de plus en plus les problèmes. Je me demande si je devrais continuer et faire savoir aux journalistes que nous avons un problème de cocaïne. C'est la question que je me pose.

M. Warner: Je suis convaincu qu'il y a de l'espoir pour l'avenir. On peut déceler certains secteurs où des problèmes se posent et apporter de l'appui. Des Autochtones originaires de régions rurales qui s'établissant à Edmonton par exemple, ont tendance à fréquenter des gens qu'ils connaissent. On finit peut-être par fréquenter des Métis plutôt que des Indiens. À Regina, les Autochtones qui viennent des réserves ont tendance à fréquenter des connaissances.

Leurs connaissances et les autres personnes qu'ils fréquentent vivent malheureusement dans le «hood». Les conditions socio-économiques y sont extrêmement dures. Il suffit d'aller y faire un tour à pied — pas parce qu'on souhaite le faire — et d'aller voir ce qui se passe à l'intérieur des maisons. Vous seriez consternés. Cela devient votre collectivité. De temps en temps, un travailleur social se rend là pour tenter d'améliorer la situation, mais le sens communautaire est absent. C'est la misère noire. Les gens n'ont pas d'argent, pas de vivres et peu de meubles. Il y a des problèmes dans le «hood» et il y en a à l'école. Il est nécessaire d'établir une base communautaire très solide.

Quand des établissements comme notre centre, et j'en connais d'autres, ont ouvert leurs portes, ils ont d'abord accueilli une famille, puis une autre, et finalement de nombreuses familles viennent solliciter notre aide. Il est nécessaire d'établir dans la collectivité une présence dans le domaine de la santé et de la sécurité sur laquelle les membres de cette collectivité puissent compter. Je voudrais mentionner à nouveau la ténacité des familles et des jeunes. Ils veulent changer leur vie. Ils peuvent le faire. Ils ont actuellement l'impression que la situation est sans issue. Ils veulent pourtant s'en sortir. Il faudrait qu'on les y aide parce qu'ils tiennent beaucoup à ce que la situation s'améliore et je suis convaincu qu'elle pourrait s'améliorer.

M. Potskin: Ce qui m'intéresse principalement, c'est de sensibiliser davantage les Autochtones à leur culture, de sensibiliser les non-Autochtones aux cultures autochtones et à la transition ou à la migration des membres des Premières nations et des Autochtones vers les zones urbaines.

On partirait du bon pied en mettant davantage l'accent sur la Journée nationale des Autochtones. Je pense que les activités de cette journée sont organisées par l'intermédiaire du ministère des Affaires indiennes et du Nord. On organise une semaine de sensibilisation aux cultures autochtones dans de nombreuses villes, ainsi que dans de nombreux collèges. On pourrait encourager davantage de personnes à y participer.

Louis Riel est mort un 16 novembre et chaque année, la plupart des villes de l'Ouest commémorent la Semaine des Métis. On pourrait faire davantage de publicité au sujet de cette semaine.

La création d'un centre autochtone dans chaque ville serait une excellente initiative. Je n'ai pas encore visité le centre White Buffalo, à Saskatoon. J'aurais aimé que la directrice exécutive du centre soit ici aujourd'hui. Le centre de Saskatoon est un centre pour Autochtones très intéressant, comme chaque milieu urbain devrait avoir son centre, pour aider les jeunes Autochtones urbains à faire la transition. Il y a un certain nombre d'années, nous avions besoin d'un centre d'amitié dans chaque ville. Maintenant, c'est de centres pour jeunes Autochtones que nous avons besoin parce que la population autochtone doublera au cours des dix prochaines années.

Il serait utile de sensibiliser davantage les Autochtones à leur culture et les non-Autochtones à notre culture.

Le sénateur Chaput: Je pense qu'un des témoins a mentionné que plus de 50 p. 100 des Autochtones vivent en milieu urbain. Est-ce bien cela?

M. Warner: Oui.

Le sénateur Chaput: Je pense que M. Potskin a mentionné qu'aucun centre n'avait été ouvert pour les jeunes Autochtones de 14 à 17 ans qui ne fréquentent pas un établissement scolaire. Ils n'ont aucun établissement où aller et n'ont pas accès aux services d'assistance sociale; ils sont donc dans la rue. Vous avez mentionné qu'environ 50 p. 100 des Autochtones vivent en milieu urbain, mais sait-on si le pourcentage est encore plus élevé chez les jeunes âgés de 14 à 17 ans?

M. Potskin: Je ne pense pas qu'il soit possible d'obtenir des chiffres portant spécifiquement sur ce groupe d'âge. À en juger d'après les jeunes que je vois dans la rue, la plupart d'entre eux en font partie ou sont venus s'établir à la ville à cet âge-là et sont maintenant dans la vingtaine. Une fois qu'on est dans la rue, il est difficile d'en sortir à cause des accoutumances.

Mme Waite: J'ai été membre du comité du maire de Calgary pendant plus de cinq ans. C'était intéressant parce que la population indienne n'était pas très importante. Certains vivaient dans des maisons pour Indiens qui étaient quelquefois en piètre état. Les jeunes sans abri, même s'ils ne sont pas autochtones, ont à peu près la même mentalité. Ils ne s'intéressent pas à l'agence mais à la personne avec laquelle ils ont des contacts. Ils travaillent dans la crainte et n'ont pas d'argent. Ce sont en quelque sorte des petits Indiens blancs. Le nombre d'Autochtones appartenant à ce groupe d'âge n'était pas très élevé à Calgary. J'ai constaté que les représentants des organismes faisant partie de ce comité avaient tendance à penser que leur organisme était le meilleur. Ce n'est pas ainsi qu'on travaille avec ce type de jeunes. Ils vous observent et ils vous jugent. S'ils vous apprécient, ils collaboreront. Qu'ils soient blancs ou Indiens, ils se comportent de la même façon. Ce problème est généralisé chez les sans-abri.

Le sénateur Chaput: L'un ou l'une de vous a mentionné qu'il faudrait enseigner leur histoire aux jeunes enfants. Est- ce qu'on le fait dans les écoles?

M. Potskin: Ce qu'on n'enseigne pas dans les écoles, c'est l'histoire régionale des cultures autochtones. D'après ce que j'ai constaté à Edmonton et à Calgary, dans les cours d'histoire, on mentionne les Iroquois qui avaient leurs terres dans cette région-ci, ainsi que Louis Riel, qui est toujours considéré comme un traître dans les manuels. On ne donne toutefois pas de cours d'histoire locale pour les groupes autochtones. C'est aux provinces qu'il incombe de mettre sur pied des cours d'histoire locale et de faire de la formation culturelle dans le réseau scolaire.

Mme Waite: Les écoles séparées invitent des Autochtones de leur région et les membres de la famille de leurs élèves à enseigner. J'ai d'ailleurs enseigné à Calgary pendant 30 ans et c'est grâce à cette présence autochtone que le calme a longtemps régné. Il est nécessaire de permettre à des personnes comme John Potskin d'enseigner. Elles sont capables de le faire. C'est grâce à cette présence que le calme a régné pendant des années à Calgary, puis tout a soudainement changé.

La présidente: Monsieur Warner, avez-vous des commentaires à faire au sujet des observations du sénateur Chaput sur les écoles et sur l'éducation?

M. Warner: Pouvez-vous me rappeler la question?

Le sénateur Chaput: Vous avez mentionné que vous vouliez que les jeunes acquièrent une identité propre. Pour y arriver il est nécessaire d'être au courant de ses racines et d'être fier de ses origines. Sinon, c'est comme si l'on n'avait pas de racines. Je voudrais savoir si l'on enseigne l'histoire dans les écoles.

M. Warner: C'est une excellente suggestion. Nous avons eu des contacts avec de nombreux jeunes auxquels on n'enseignait pas leur propre histoire. Il faudrait organiser des cours d'histoire en mettant particulièrement l'accent sur la culture. Les jeunes auxquels nous avons affaire apprécieraient beaucoup, surtout si l'on mettait l'accent sur la culture.

Le sénateur Chaput: Oui, sur les traditions, la culture et les centres d'intérêt.

Statistique Canada a publié récemment ses statistiques pour 2001. Un pourcentage très élevé des Autochtones vivant en milieu urbain sont âgés de moins de 14 ans.

M. Potskin: La population autochtone de moins de 24 ans représente 50 p. 100 des Autochtones vivant en milieu urbain et 60 p. 100 d'entre eux sont âgés de moins de 14 ans.

Le sénateur Léger: Madame Waite, si j'ai bien compris, les 51 p. 100 d'Autochtones vivant en milieu urbain mentionnés dans l'article dont vous avez lu un passage ne sont pas uniquement des jeunes. Ce sont probablement des familles qui ont déménagé. Est-ce bien cela?

Mme Waite: C'est ce que je pense.

Le sénateur Léger: Les adultes sont inclus dans ce pourcentage. Environ 88 p. 100 des fonds octroyés par le gouvernement sont destinés au financement des programmes dans les réserves alors que 3,5 p. 100 seulement de ces fonds sont destinés aux programmes en milieu urbain.

Mme Waite: Oui.

Le sénateur Léger: Pensez-vous que le gouvernement s'intéresse aux statistiques? Avons-nous perdu le contact?

Mme Waite: C'est moi qui ai un diplôme en économie.

Le sénateur Léger: C'est amusant. C'est la contribution du gouvernement. Pourquoi un tel écart? Nous poserons la question à un ministère.

Nous voulons aider les jeunes vivant en milieu urbain, mais leurs parents ont été éduqués dans des pensionnats, d'après ce que vous avez mentionné. Intervient-on également pour aider les adultes qui vivent en milieu urbain?

Mme Waite: Oui. J'ai reçu la visite dans mon bureau de trois personnes qui étaient incapables de lire. Je me suis adressée à l'établissement qui est maintenant le Collège de Bow Valley. Il s'appelait alors Alberta Vocational College (collège de formation professionnelle de l'Alberta). L'une de ces personnes était un homme qui voulait devenir taxidermiste et il savait qu'il devrait passer un examen de deux heures. Il était incapable de lire pour préparer cet examen. Une autre de ces personnes était une femme dont les enfants allaient à l'école et qui était incapable de les aider à faire leurs devoirs. C'est un long processus. On s'attend à ce que ce soit très rapide, mais on se fait des illusions. Ces trois personnes ont appris à lire et sont devenues des citoyens à part entière.

J'ai autre chose à signaler: parmi les participants au Programme d'aide préscolaire pour les Autochtones, il y avait trois élèves doués. Comment me suis-je rendu compte qu'ils étaient doués? À l'âge de deux ans, ils faisaient des phrases en anglais dont la structure était très complexe, même s'ils venaient d'un milieu traditionnel blackfoot. C'est étonnant, mais ces enfants étaient très doués.

Il faut d'abord convaincre la grand-mère qu'un enfant doué n'est pas nécessairement un enfant doué sur le plan spirituel mais plutôt sur le plan scolaire. Il faut faire la distinction entre les deux. Nous sommes finalement parvenus à faire passer le message, mais la grand-mère est intervenue et a repris la fille dans la réserve. C'est l'endroit le moins indiqué pour un enfant doué. Je l'avais gardée à l'école parce que je savais qu'elle finirait par se sauver et que ce serait trop dur pour elle. Les travailleurs sociaux ne nous permettent pas de suivre ces enfants. Nous avons besoin du plus grand nombre possible d'enfants doués. Quand ils se sont inscrits au Programme d'aide préscolaire, nous voulions avoir la permission d'aider cette fillette et nous assurer qu'elle reçoive les manuels nécessaires pour renforcer le climat scolaire. Nous n'avons pas obtenu la permission des travailleurs sociaux et le soutien a été retiré instantanément.

Le sénateur Léger: Voici ma troisième question. Monsieur Potskin, vous avez mentionné le terme «sensibilisation». Fait-on quelque chose sur ce plan? Je m'estime privilégiée d'avoir l'occasion comme sénateur d'apprendre tout ce que j'ai appris depuis un an et demi. J'ai le privilège d'en être consciente. Prend-on des initiatives pour aider ces travailleurs sociaux et pour encourager cette autre mentalité? Il ne s'agit pas de juger ni de critiquer, mais les élèves qui fréquentent les écoles pour Blancs sont-ils sensibilisés aux cultures autochtones?

M. Potskin: La meilleure sensibilisation aux diverses cultures est celle que l'on fait à Edmonton, dans le cadre du Heritage Festival. C'est le type d'événement qu'il faudrait encourager, non seulement pour la sensibilisation aux cultures autochtones mais aussi pour mettre les membres des divers groupes ethniques en contact avec leur propre culture.

Un de mes amis fréquente une Chinoise qui est très attachée à sa culture. D'après lui, c'est une fanatique de la culture chinoise. Je lui ai demandé à quelle culture il s'identifie et il m'a répondu: «Je suis Canadien.» J'ai mentionné que ce n'était pas parce qu'il suivait des parties de hockey tous les jours qu'il était Canadien. Il m'a alors dit qu'il était Polonais. Je lui ai demandé pourquoi il ne fréquentait pas l'église polonaise. Je lui ai signalé qu'il y avait dans la rue un centre pour jeunes Polonais où il pourrait faire du bénévolat, mais il m'a dit qu'il était Canadien, pas Polonais.

Je pense que notre société canadienne doit s'intéresser à ses racines. Je pense que si l'on acquiert une connaissance de sa culture, on est davantage sensibilisé aux autres cultures.

Le sénateur Léger: On ne donne pas des cours sur la culture dans les écoles.

M. Potskin: Je connais quelques experts autochtones.

Le sénateur Léger: Y a-t-il un cours? Est-ce qu'on utilise les manuels d'histoire?

M. Potskin: J'ai fait une intervention auprès de Mme Hedy Fry lorsqu'elle était ministre du Multiculturalisme. J'ai mentionné qu'il faudrait encourager les diverses provinces à faire de la sensibilisation aux cultures autochtones. Je pense qu'en Ontario, il y a un Mois de sensibilisation aux Noirs. Il est nécessaire d'instaurer des cours de sensibilisation aux cultures autochtones dans les diverses régions du pays.

Aux États-Unis, la sensibilisation aux Noirs aide les Noirs à avoir de l'estime de soi et une telle approche serait efficace au Canada en ce qui concerne les Autochtones.

Le sénateur Léger: Monsieur Warner, n'avez-vous pas mentionné que votre conseil d'administration était entièrement composé d'Autochtones?

M. Warner: Oui, y compris deux Aînés.

Le sénateur Christensen: Monsieur Warner, est-ce que vos jeunes sont des internes?

M. Warner: Oui.

Le sénateur Christensen: Combien de garçons avez-vous?

M. Warner: Un maximum de six à la fois.

Le sénateur Christensen: Vous vous occupez des enfants mais vous collaborez également avec leur famille, quand c'est possible.

M. Warner: C'est bien cela.

Le sénateur Christensen: Comment arrivent-ils à votre centre?

M. Warner: Dans la plupart des cas, la famille se met en contact avec nous.

Le sénateur Christensen: Les enfants?

M. Warner: C'est généralement un parent qui se met en contact avec nous quand il a des problèmes avec un jeune. Nous avons des contacts avec le ministère des Services sociaux. On les dirige vers ce ministère et les admissions sont faites en fonction des besoins. Notre comité se réunit et prend une décision sur l'opportunité d'admettre un jeune. Dès lors, on fait un suivi auprès de la famille et auprès de l'enfant placé en foyer de groupe, toutes les quatre à six semaines, selon les besoins et selon les circonstances.

Le sénateur Christensen: Lorsqu'un parent — généralement chef de famille monoparentale — a un problème avec un enfant qui vit dans la rue ou sur lequel il n'a plus aucun contrôle, est-ce à vous qu'il s'adresse pour solliciter de l'aide?

M. Warner: À nous ou à son travailleur social. Quelquefois, les parents ne s'adressent pas à nous ni au travailleur social. Nous sommes parfois saisis de certains cas à cause des antécédents ou de comportements trop graves.

Le sénateur Christensen: Vous avez mentionné que certains d'entre eux restaient chez vous pendant une période assez prolongée.

M. Warner: Oui.

Le sénateur Christensen: Comme vous n'avez que six places, vous n'êtes probablement pas en mesure de vous occuper d'un grand nombre d'enfants.

M. Warner: C'est bien cela.

Le sénateur Christensen: C'est un très petit groupe.

Monsieur Potskin, vous avez mentionné qu'il était souvent question d'itinérance, notamment que certains sans-abri vivent dans la rue par choix. Vous avez mentionné que c'est un mode de vie que certaines personnes adoptent et que ce n'est pas de celles-ci qu'il faut s'occuper.

Pourriez-vous donner des renseignements plus précis sur les personnes qui sont heureuses d'être sans-abri et de vivre dans la rue? Je n'ai jamais prêté foi à ce type d'argument et je voudrais que vous donniez des informations plus précises à ce sujet?

M. Potskin: Ces personnes ont peut-être la mentalité des gitans qui ne veulent pas être sédentaires. Nous avons un journal autochtone et une femme autochtone nous écrit tous les mois. Elle écrit qu'elle est heureuse de vivre dans la rue et de ne pas devoir payer de loyer. Elle loge dans un petit studio qui lui coûte 10 $, et qu'elle partage avec une vingtaine de personnes.

Le sénateur Christensen: Ce ne sont donc pas de vrais sans-abri.

M. Potskin: Ce ne sont pas vraiment des sans-abri, mais elle passe toute la journée dans la rue où elle vend ses oeuvres d'art. Elle change d'appartement régulièrement. Pendant certains mois de l'année, ces personnes vivent dans des maisons abandonnées.

Si elle apprécie ce mode de vie, c'est parce qu'elle n'a aucune contrainte. Elle n'a pas d'emploi à plein temps et aime voyager. Elle a parcouru toutes les régions du Canada et certaines des États-Unis. Elle n'a que 22 ans et, d'après elle, elle a déjà appris davantage que la plupart des gens n'apprendront au cours de leur vie. Elle apprécie ce mode de vie, comme d'autres jeunes, d'ailleurs. Certains d'entre nous aiment mener une vie sédentaire, aiment avoir une maison et un chat alors que d'autres préfèrent parcourir le pays.

Le sénateur Christensen: Je présume que cette jeune femme constitue une exception.

M. Potskin: Quelques personnes apprécient vraiment ce mode de vie, mais la plupart ne veulent pas être dans la rue.

Le sénateur Hubley: Monsieur Warner, la question des compétences parentales revient constamment. Que sont devenues les compétences parentales? Est-ce la première génération où les très jeunes parents et les familles monoparentales sont nombreux?

M. Warner: C'est une excellente question, et je dirais qu'elle concerne plusieurs générations. Cela dure depuis deux ou trois générations. C'est intéressant que vous posiez la question, parce que j'ai donné des cours aux mères de deux des quatre derniers jeunes qui ont été admis chez nous, quand elles fréquentaient l'école alternative de Cornwall. Après une longue absence, elles ont refait surface et leurs enfants ont des problèmes. C'est une génération que je connais, mais je pense que cette situation a des origines plus lointaines. Lorsqu'elles étaient plus jeunes, leur situation socio- économique et leur mode de vie étaient aussi précaires que maintenant. Rien n'a beaucoup changé à cet égard.

Un autre sénateur a demandé tantôt qui fournissait ces services et s'ils étaient accessibles. Des cours de formation au rôle de parent et d'initiation à la vie quotidienne sont dispensés par l'intermédiaire du ministère des Services sociaux. Ces cours sont toutefois offerts périodiquement et pas en permanence. La jeune génération actuelle de mères a d'énormes difficultés avec les enfants et ce n'est pas faute d'amour ou de bonne volonté. La plupart des jeunes deviennent incontrôlables.

Le soutien doit être global. Il est nécessaire d'adopter une approche holistique. Il est indispensable d'y inclure le logement et que ces mères aient une personne de confiance à qui parler de leurs problèmes. Ce genre de contact s'établit à la longue, par le bouche à oreille, mais c'est possible.

Les travailleurs sociaux du ministère des Services sociaux de la Saskatchewan sont surchargés. Leur tâche inclut les questions financières, la protection familiale et les services à la famille. Elle n'est pas uniquement axée sur les familles; ils doivent s'occuper de bien d'autres aspects. Il est nécessaire d'établir un soutien venant davantage de la collectivité.

Mme Waite: Monsieur Warner est issu d'une collectivité stable. Winnipeg est stable également; la ville ne prend pas d'expansion.

Calgary est probablement l'une des villes canadiennes dont la croissance est la plus rapide; ceux qui y ont passé leur enfance n'en reviennent pas. Si j'en parlais à Calgary, on me dirait: «Ce sont les problèmes habituels propres à une grande ville.» Je déteste cette réponse, mais elle est probablement exacte. Nous avons actuellement les problèmes d'une grande ville.

Nous avons des problèmes de circulation. Il faut parfois deux heures pour rentrer chez soi en voiture. Les gens ont les nerfs à vif. On entend des insultes qu'on n'entendait jamais à Calgary. Des bagarres éclatent constamment. Cela n'arrivait jamais. On dit que c'est parce que c'est devenu une grande ville. Les Autochtones sont pris entre le marteau et l'enclume. Je ne me plains pas trop personnellement, mais Calgary est une grande ville. Où s'adresser pour tel ou tel service? J'ai des manuels qui indiquent comment survivre en ville, mais ils n'abordent pas le problème de front.

La présidente: Monsieur Warner, vous êtes directeur exécutif du Centre d'amitié de Regina; est-ce bien cela?

M. Warner: Non, je suis directeur exécutif des Services communautaires des jeunes Autochtones de Regina.

La présidente: Est-ce bien le foyer de groupe spécial que vous dirigez?

M. Warner: C'est bien cela.

La présidente: N'y a-t-il pas un centre d'amitié à Regina?

M. Warner: Oui, il y en a un.

La présidente: Y avez-vous accès? Quelles sont les activités du Centre d'amitié?

M. Warner: Nous avons nos propres programmes. Nous offrons nos services dans notre centre et dans la collectivité. Nous n'avons pas accès au Centre d'amitié. À l'occasion, lorsqu'il y a une activité que nous trouvons très intéressante, nous y avons accès. Nous gardons l'oeil ouvert pour être au courant de ce qui se passe dans la collectivité. Il y a aussi des écoles au centre-ville de Regina, des écoles communautaires, fréquentées par un grand nombre d'Autochtones. La lacune en ce qui concerne la sensibilisation culturelle est très visible dans les écoles. Pour le moment, les enfants auxquels nous avons affaire ne fréquentent pas ces écoles, mais cela a déjà été le cas. Tout dépend de la région dont on vient et de divers autres facteurs.

Mme Waite: Il y a trois centres d'amitié à Winnipeg.

La présidente: Il y en a un et de nombreux autres organismes, dont certains sont très intéressants.

Mme Waite: Nous nous sommes inspirés du Centre de Winnipeg. Celui de Winnipeg a été le premier et le nôtre, le troisième. Le Centre de Winnipeg nous a beaucoup aidés et nous a communiqué ses programmes.

Le sénateur Hubley: Monsieur Warner, en ce qui concerne le programme de votre école, est-ce que les six jeunes qui sont placés au centre vont à l'école dans votre institution?

M. Warner: Non.

Le sénateur Hubley: Ne vont-ils pas à l'école pendant qu'ils sont au centre?

M. Warner: Non. Nous avons pour eux accès à une école située dans le même quartier que nous. Cela a de l'importance également. Tous nos jeunes vont à l'école. Pour la plupart d'entre eux, c'est la première fois qu'ils suivent régulièrement des cours dans un établissement scolaire.

La présidente: S'il n'y a plus d'autres questions, j'aimerais remercier le groupe de témoins d'avoir fait des exposés extrêmement intéressants et d'avoir communiqué des informations importantes qui pourraient nous aider à établir un plan d'action pour les jeunes Autochtones en milieu urbain. Nous ne proposerons pas de solutions. Il s'agit d'un plan d'action. Nous espérons que lorsque nos audiences seront terminées, nous serons en mesure de vous donner les outils nécessaires pour avoir accès aux fonds nécessaires et de communiquer au gouvernement des chiffres qui prouvent que l'enjeu est très important.

Je vous remercie. Cette séance a été très intéressante.

La séance est levée.


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