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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 6 - Témoignages du 19 février 2003


OTTAWA, le mercredi 19 février 2003

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit ce jour à 14 h 30 pour étudier les questions concernant les jeunes Autochtones au Canada et notamment effectuer une étude sur l'accessibilité, l'éventail et la prestation des services, les problèmes liés aux politiques et aux compétences, l'emploi et l'éducation, l'accès aux débouchés économiques, la participation et l'autonomisation des jeunes, et d'autres questions connexes.

[Traduction]

Le sénateur Thelma J. Chalifoux (présidente) occupe le fauteuil.

La présidente: Je souhaite la bienvenue à nos trois témoins. Notre comité a été chargé de se pencher sur les graves besoins que connaissent les jeunes Autochtones dans les centres urbains. En particulier, le comité sera autorisé à examiner l'accessibilité, l'éventail et la prestation des services, les problèmes liés aux politiques et aux compétences, l'emploi et l'éducation, l'accès aux débouchés économiques, la participation et l'autonomisation des jeunes, et d'autres questions connexes. Nous devons donc aborder tout un éventail de questions. C'est un problème qui se pose depuis longtemps dans nos centres urbains.

Permettez-moi de vous présenter les membres du comité: le sénateur Terry Stratton, du Manitoba, est vice-président du comité; le sénateur Elizabeth Hubley, de l'Île-du-Prince-Édouard; le sénateur Ione Christensen, du Yukon; le sénateur Nick Sibbeston, des Territoires du Nord-Ouest; le sénateur Viola Léger, du Nouveau-Brunswick; et je suis moi-même le sénateur Thelma Chalifoux, de l'Alberta, et présidente du comité. M. Adam Thompson est notre greffier et Mme Tonina Simeone, de la Bibliothèque du Parlement, est notre attachée de recherche.

Madame Martin, vous avez la parole.

Mme Nancy Martin, directrice exécutive, Miziwe Biik Aboriginal Employment and Training: Merci de nous accueillir aujourd'hui. Nous avons combiné notre intervention et nous allons donc commencer par M. Steve Williams, président du Cercle.

Le sénateur Stratton: Si vous me permettez de vous interrompre, pourriez-vous nous dire de quelle partie du pays vous venez?

M. Steve Williams, président, Aboriginal Labour Force Development Circle: Je suis l'ancien chef des Six Nations. Je suis président du Aboriginal Labour Force Development Circle depuis 12 ans.

Chef Blaine Commandant, représentant de l'Ontario, Assembly of First Nations Chief's Committee on Human Resources: Je suis chef des Wahta Mohawks à Muskoka, en Ontario. Je fais partie du Comité du développement des ressources humaines de l'Assemblée des chefs des Premières nations où je représente la région de l'Ontario.

Mme Martin: Je suis directrice exécutive du Miziwe Biik Aboriginal Employment and Training, qui est un service d'emploi de Toronto. Ma famille vient à l'origine des Premières nations et je suis née et j'ai grandi à Toronto.

M. Williams: Nous sommes heureux de pouvoir vous parler aujourd'hui de la jeunesse autochtone urbaine. Collectivement, Mme Martin, le chef Commandant et moi-même avons une expertise dans le domaine des programmes et services d'emploi et de formation. Nous sommes ici pour vous faire part des problèmes que connaissent les jeunes Autochtones urbains et discuter de solutions qui ont été proposées et, dans certains cas, mises au point par et pour ces jeunes Autochtones en milieu urbain.

Le Aboriginal Labour Force Development Circle, ALFDC, a plusieurs ententes de financement avec Développement des ressources humaines Canada, DRHC, en vertu desquelles nous administrons des programmes et services liés à l'emploi auprès des populations inuites et des Premières nations dans divers secteurs géographiques de l'Ontario. Nous utilisons divers mécanismes locaux de prestation. Nous administrons aussi des programmes pour les sans-abri à Ottawa, à Hamilton et à Toronto. Nous avons une entente distincte pour administrer des programmes d'emploi et de formation à Toronto. Nous estimons donc être particulièrement bien placés pour vous parler de formation à l'emploi et d'autres questions touchant les jeunes Autochtones en milieu urbain.

Le Miziwe Biik, un de nos mécanismes de prestation locale, est utilisé par le Aboriginal Labour Force Development Circle. Il est situé au cœur de Toronto. En première ligne, les travailleurs sont quotidiennement en contact direct avec les jeunes pour s'occuper de leurs problèmes. Nous avons la chance de disposer d'un récent projet réalisé par le Miziwe Biik, et pour lequel les jeunes et les étudiants autochtones ont servi de principaux informateurs. Les données de recherche dont nous allons vous faire part aujourd'hui ont été recueillies à l'occasion d'entrevues avec des groupes de consultation ou de simples particuliers.

Le groupe de consultation a discuté des programmes et services offerts aux jeunes Autochtones. Dans le cadre du Miziwe Biik, on leur a posé des questions précises sur leurs besoins, notamment en matière d'emploi. Il a aussi été question des obstacles à l'emploi, des services d'orientation professionnelle de base et du suivi de l'orientation professionnelle. Nous souhaitons faire connaître diverses solutions qui ont été proposées par les jeunes Autochtones. Le Miziwe Biik a aussi organisé des groupes de consultation avec les employeurs. Leurs remarques et recommandations ont été incluses dans le rapport.

Je vais maintenant laisser la parole à Mme Martin qui va faire le point des facteurs socio-économiques qui touchent les jeunes Autochtones urbains, des obstacles à l'emploi, des besoins des jeunes et de l'appui dont ils ont besoin pour être employés.

Mme Martin: Il existe encore un profond déséquilibre entre la situation socio-économique des jeunes Autochtones et celle de la société en général. Bien que des programmes comme Jeunes à risque, Services jeunesse Canada et d'autres programmes et services de counselling aient fait une certaine différence, le taux de décrochage des jeunes Autochtones demeure plus élevé que dans la population générale. Malheureusement, le syndrome des écoles résidentielles, où l'éducation est perçue comme un mécanisme d'assimilation, contribue à cette tragédie.

Le Canada, et notamment Toronto, se félicite de son multiculturalisme et il existe de multiples services pour répondre aux besoins des immigrants. Malheureusement, les jeunes Autochtones semblent avoir été oubliés à cet égard. Ils sont une minorité invisible à Toronto. On ne les mentionne pas dans les rapports qui sont rédigés, sauf si ce sont des rapports spécifiquement consacrés aux Autochtones. On ne les voit pas dans les médias ou dans la publicité, sauf si c'est une image négative. Une grande partie des établissements d'enseignement ordinaires refusent de reconnaître les modes d'apprentissage des Autochtones. Là encore, à Toronto, les commissions scolaires offrent des programmes de langue et de formation multiculturels, mais souvent on oublie les étudiants autochtones.

On met souvent des étiquettes sur les Autochtones: on dit qu'ils sont «différents» ou qu'ils ont «des besoins spéciaux». Ces étiquettes touchent les étudiants dans leur dignité au point que leur décrochage devient inévitable, sinon souhaitable.

Les jeunes Autochtones à Toronto sont souvent victimes de la «dépression de l'adoption». C'est un phénomène croissant chez les jeunes Autochtones élevés dans des foyers non autochtones et qui arrivent à Toronto sans les compétences et l'éducation requises pour entrer dans la population active. Ils recherchent des programmes culturels et ont besoin de rétablir des liens avec leur patrimoine pour renforcer leur propre estime.

Dans le passé, la communauté autochtone a implosé. On voit maintenant apparaître à Toronto des bandes de jeunes semblables à celles qu'on trouve à Winnipeg. Il faut enrayer cela avant que la situation devienne incontrôlable. Ce qui suscite la création et qui encourage le développement de ces bandes, c'est la frustration d'essayer de survivre dans un système qui ne répond pas à leurs besoins.

Notre principale tâche au Miziwe Biik est de mettre fin à l'engrenage de la pauvreté qui se transmet de génération en génération. C'est le point fondamental. La pauvreté découle du racisme. Tous les problèmes auxquels se heurtent les jeunes, la pauvreté, le syndrome d'alcoolisme fœtal, le chômage, le manque de formation, le taux de décrochage élevé, tous proviennent du racisme.

Nos jeunes sont à risque. Ils sont pris dans un engrenage de dysfonctionnement étalé sur des générations qui est un symptôme du racisme et ne peut être surmonté qu'à l'aide d'appuis de grande envergure. Notre budget à Miziwe Biik est de 3 millions de dollars par an. Au début des années 90, il était de 6 millions. Il a été réduit de moitié depuis 10 ans. Je n'aime pas parler d'argent, mais c'est quand même la base. Tout ce que nous pouvons faire est purement symbolique.

Notre mandat consiste à fournir des services d'emploi et de formation, et quelquefois les jeunes ne sont pas prêts pour cela. Ils ont besoin de se ressourcer. Ils ont besoin de reprendre contact avec eux-mêmes, avec leur communauté et leur culture pour trouver la force d'affronter une situation de formation ou d'emploi.

Soixante pour cent des foyers autochtones urbains vivent en dessous du seuil de la pauvreté. Le taux de chômage chez les jeunes Autochtones urbains est de 30 p. 100 plus élevé que chez les jeunes non-Autochtones. Les Autochtones représentent 15 p. 100 du total des sans-abri de la région du Grand Toronto. Il faut des ressources pour solutionner ce problème. La situation en matière de logement est sombre et elle a un effet de domino sur les familles.

Selon le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, la CRPA, ces statistiques s'expliquent par l'absence d'approche coordonnée face à ces problèmes. Beaucoup de nos jeunes Autochtones sont démunis des multiples compétences qu'on considère comme parfaitement normales dans la population générale. Il y a un énorme besoin de planning familial, de counselling, de compétences parentales, de compétences en matière d'éducation des enfants et de nutrition. Les grands-parents et les parents ne peuvent pas apprendre à un enfant à être fonctionnel dans sa famille s'ils n'ont jamais appris à l'être eux-mêmes. C'est évidemment le résultat direct du régime des écoles résidentielles.

M. Williams veut peut-être ajouter quelque chose à propos des obstacles à l'emploi.

M. Williams: En ce qui concerne la formation à l'emploi des jeunes ou des adultes, l'une des difficultés vient de ce que les gens ont déjà beaucoup de problèmes quand ils arrivent dans les villes. Ils n'ont pas le niveau d'instruction requis. Dans les villes, ils se laissent entraîner à la consommation de drogues et d'alcool pour essayer de rendre la réalité plus endurable. J'ai entendu des gens des Premières nations dire qu'il y avait beaucoup d'emplois disponibles en ville et qu'il était inutile de consacrer beaucoup d'argent aux personnes en milieu urbain. Le problème, c'est qu'il y a beaucoup de candidats pour ces emplois.

Pour pouvoir commencer à suivre une formation à l'emploi, il faut que les jeunes aient cessé de consommer de la drogue et de l'alcool. Il faut qu'ils aient un endroit où vivre. Ils ne peuvent pas avoir de travail s'ils sont à la rue. Nous devons les aider à améliorer leurs compétences avant même de les inscrire à un programme de formation. S'ils viennent d'une localité du Nord, par exemple, il est très possible qu'ils n'aient même pas les bases d'une 7e ou d'une 8e année.

C'est une partie du problème des systèmes scolaires qui ne sont pas conçus pour les Autochtones. C'est un des problèmes auxquels nous nous heurtons toujours. C'est très dur pour eux quand ils arrivent à Toronto en s'imaginant qu'il y a toutes sortes d'emplois disponibles. Ce n'est pas si simple. Il y a beaucoup de candidats pour ces emplois, et ils n'ont pas les mêmes problèmes que les Autochtones.

Mme Martin: Ce sont les jeunes eux-mêmes qui ont identifié les obstacles à l'emploi. Ils ont dit que les programmes de formation n'étaient pas assez longs pour leur donner les compétences voulues pour obtenir un emploi permanent. Leur absence d'expérience limite leurs possibilités d'emploi. En outre, bien souvent, les programmes de formation à court terme ne débouchent pas sur des possibilités d'emploi. Le taux de décrochage au secondaire demeure élevé et il y a une forte concurrence chez les jeunes Autochtones urbains pour profiter des crédits de formation.

Les programmes de transition entre l'école et le travail doivent être renforcés. Notre meilleure chance d'aider les étudiants est d'appliquer des programmes de prévention avant qu'ils décrochent du système scolaire. Il y a un manque de logements abordables corrects, de garderies abordables et de ressources pour régler les problèmes de démêlés avec la justice. Certains de nos jeunes traînent en prison pendant des jours, des semaines et des mois en attendant leur procès. Ils n'ont ni les ressources ni les appuis dans la communauté qui leur permettraient d'être libérés sous caution en attendant leur procès.

Nos jeunes se débattent avec toutes sortes de handicaps, et je ne saurais le souligner suffisamment. Il y a des problèmes de toxicomanie et notamment le syndrome d'alcoolisme fœtal qui touche les enfants d'hier et les jeunes et les parents d'aujourd'hui. Il faut leur donner des occasions de recevoir une éducation et une formation pour trouver un emploi et le conserver. C'est un défi de taille.

Parmi les autres défis, il y a l'absence d'expérience du travail; beaucoup n'ont jamais acquis les connaissances élémentaires nécessaires pour conserver un emploi ou même un appartement. Ce sont des choses que beaucoup de jeunes n'ont jamais apprises. Outre toute une gamme de problèmes personnels, ils ont aussi souvent un problème de langue qui constitue un obstacle à l'emploi. L'analphabétisme est aussi un problème.

Souvent, les jeunes partent de chez eux et arrivent en ville en s'imaginant qu'ils trouveront facilement un travail, et c'est là qu'ils s'aperçoivent qu'ils n'ont ni l'éducation ni l'expérience du travail nécessaires pour avoir un emploi à plein temps. Ce sont ces jeunes qu'on retrouve dans la rue avec des problèmes de drogues ou d'alcoolisme et qui ont des démêlés avec la justice ou se retrouvent en prison. Ce sont eux qui ont besoin de services spécialisés de counselling et de ressources supplémentaires pour ne pas devenir les victimes suivantes du système. J'ai l'impression d'être très négative quand je vous raconte tout cela, car nous avons aussi de nombreux cas de succès. Nous travaillons individuellement avec tous nos jeunes clients parce que c'est cela qu'il faut faire. Il faut travailler individuellement avec chacun d'eux de façon régulière, parfois pendant des années, pour réussir à leur faire passer avec succès leur test de connaissances générales, les aider à trouver un endroit où vivre, les envoyer au service d'aide à l'enfance ou leur faire suivre une thérapie. Il y a là de multiples problèmes qu'on ne réglera pas avec des interventions superficielles.

Grâce à la Stratégie emploi jeunesse, la SEJ, on consacre chaque année 28 millions de dollars à l'échelle nationale à des programmes qui apportent aux jeunes une expérience du travail, des connaissances, des compétences et des informations pour leur permettre de réussir la transition vers le monde du travail.

Ce sont des programmes extrêmement importants mais qui s'adressent essentiellement aux étudiants pour les aider à acquérir une expérience du travail et à faire la transition entre les études et le travail, et aussi aux étudiants qui risquent de décrocher. Ce que nous disons, c'est qu'il faut intervenir avant ces problèmes. Il faut s'attaquer aux besoins fondamentaux de nos jeunes.

Il faut élargir ces programmes dans toutes les zones urbaines, particulièrement dans la région du Grand Toronto et à Ottawa, pour offrir des services d'approche et un soutien aux étudiants autochtones alors qu'ils sont encore dans le système scolaire. Nous avons l'impression que le ministère des Ressources humaines du Canada ne se rend pas toujours compte que, dans le cas des jeunes en milieu urbain, il ne s'agit pas simplement de proposer des services d'orientation professionnelle et une formation permettant d'acquérir les compétences voulues pour un emploi. Pour réussir à obtenir un emploi à plein temps et à long terme, les jeunes ont besoin d'autres soutiens. Il faut donner une formation supplémentaire aux conseillers en emploi qui travaillent avec les jeunes Autochtones urbains pour qu'ils puissent orienter ces jeunes et leur apporter l'appui nécessaire pour avoir un mode de vie sain. Je songe notamment aux logements abordables, à l'acquisition de compétences parentales, aux services de soins à l'enfance et aux conseils en nutrition. Quand nous abordons l'emploi et la formation sous cet angle holistique, notre taux de succès est beaucoup élevé. C'est cette approche holistique qui fonctionne avec les jeunes Autochtones de notre communauté.

Sans ces appuis, les jeunes Autochtones urbains se braquent contre le système et deviennent des proies faciles pour les bandes de jeunes qui commencent à s'implanter à Toronto.

De plus en plus de jeunes Autochtones urbains font appel à nos services. Ils ont eu une expérience négative dans le système scolaire ordinaire et ont décroché avant d'obtenir des crédits. Les jeunes Autochtones que nous avons interviewés à Toronto nous ont dit qu'ils voulaient travailler pour avoir un diplôme d'études secondaires et qu'ils souhaitaient s'orienter vers des études universitaires une fois qu'ils seraient adultes. Malheureusement, compte tenu des budgets d'enseignement secondaire, cela risque de ne pas se réaliser.

Les priorités établies au niveau communautaire sont souvent axées en premier lieu sur les élèves qui poursuivent des études postsecondaires. En second, on finance les étudiants qui passent directement du secondaire à des études postsecondaires. Les étudiants adultes ne viennent qu'au troisième rang des priorités. Étant donné les listes d'attente pour les deux premières priorités de financement, les communautés des Premières nations n'ont pratiquement pas de fonds pour aider leurs ressortissants en milieu urbain.

Dans bien des cas, les jeunes Autochtones urbains ont perdu le contact avec leur communauté d'origine et ne veulent pas ou ne peuvent pas obtenir une aide financière pour réaliser leurs objectifs de carrière.

J'estime qu'un tiers de nos clients sont des enfants adoptés; un tiers de nos agents dans les 50 organismes autochtones ont probablement été adoptés. Il est essentiel que les jeunes Autochtones urbains acquièrent des aptitudes à la vie quotidienne, de bonnes habitudes de travail et un sens moral pour pouvoir rester employés à long terme. Je vais maintenant demander au chef Commandant de vous parler de quelques solutions envisagées.

M. Commandant: Cet exposé a montré clairement qu'il faut donner une formation supplémentaire aux conseillers pour qu'ils puissent offrir aux jeunes Autochtones urbains des conseils dans une perspective holistique.

On trouve dans la région du Grand Toronto une des plus fortes concentrations de population autochtone urbaine au pays, mais il n'y a pas de centre de traitement spécialement conçu pour eux. Nous savons que les programmes destinés à la population générale ne donnent pas d'aussi bons résultats que ceux qui sont conçus et administrés par et pour les Autochtones. Sachant qu'on estime à 65 000 personnes la population autochtone de la région du Grand Toronto, c'est une honte nationale.

Il faut nous donner la possibilité d'élargir les programmes destinés aux jeunes dans toutes les écoles secondaires de la région du Grand Toronto où des étudiants autochtones sont présents. Il faut nous donner la possibilité d'aider ces élèves à rester à l'école et à terminer leurs études secondaires pour qu'ils aient plus de choix pour leur avenir.

Les programmes pour aider les jeunes Autochtones à apprendre un métier de la construction et suivre un apprentissage ont donné de bons résultats dans le passé. Toutefois, il faut pour cela des gens qui se consacrent à plein temps à cette activité. En outre, il faut pouvoir donner une allocation de subsistance aux jeunes qui suivent ces programmes. Jadis, nous pouvions leur donner une petite allocation, mais nos budgets ont été tellement réduits que nous ne pouvons plus leur proposer cet incitatif. Les jeunes qui se demandent où ils vont trouver leur prochain repas ont peu de chances d'aller jusqu'au bout de leur programme.

Les employeurs nous ont dit qu'une éducation ou un complément d'éducation, une formation aux compétences de vie élémentaire, une aide pré-emploi et une aide de suivi étaient quelques-uns des besoins fondamentaux des jeunes Autochtones qui veulent avoir du travail.

Les jeunes eux-mêmes ont dit qu'ils souhaitaient pouvoir s'adresser à un centre de services aux entrepreneurs. Ils ont dit qu'ils ne savaient pas à qui s'adresser ni comment réaliser leurs idées d'entreprise. Certains de nos jeunes clients ont aussi dit qu'ils souhaitaient en savoir plus sur la façon de breveter et de faire fabriquer leurs inventions.

Si l'on veut trouver de véritables solutions, il faudra investir de l'argent dans les jeunes Autochtones urbains. On sait qu'à chaque fois que 100 personnes reçoivent une formation et trouvent du travail, on réduit les coûts du bien-être social de 1,4 million de dollars par an. Nous recommandons qu'on réinvestisse ces économies dans des programmes et services axés spécialement sur les jeunes Autochtones urbains. Cela devrait être une priorité pour nos investissements. Les restrictions budgétaires ont déjà entraîné la perte de conseillers spécialisés en emploi et en formation dans la seule organisation torontoise capable d'aider les jeunes Autochtones urbains à trouver un travail et à le garder.

Nous ne pouvons pas continuer à rester indifférents à tout cela. Le Canada a tout intérêt à prendre des mesures pour rectifier la situation immédiatement. Si l'on continue à marginaliser les jeunes Autochtones urbains, la société en paiera fatalement les conséquences tôt ou tard.

Nous sommes maintenant prêts à répondre à vos questions.

La présidente: Merci beaucoup pour cet exposé profond et intéressant, qui présente des recommandations pertinentes. Ce n'est pas seulement une étude; c'est un plan d'action pour le changement et nous avons besoin de votre avis.

Le sénateur Stratton: L'exposé était excellent. Non seulement vous nous avez parlé des problèmes, mais vous nous avez aussi exposé des solutions.

D'après le document de recherche de la Bibliothèque du Parlement, la population autochtone augmente plus rapidement que tout autre segment de la société canadienne. On dit aussi que d'ici 2006, la population en âge de travailler sera au nombre de 920 000 personnes. Cela veut dire beaucoup de personnes à la recherche d'un emploi.

Je sais que vous avez parlé des besoins dans certaines régions. Nous voulons aussi savoir quelles sont d'après vous les initiatives qui ont été efficaces jusqu'ici pour aider les jeunes. Nous aimerions savoir ce qui fonctionne actuellement. Si vous ne parlez pas de certains programmes, cela ne veut pas dire qu'ils ne fonctionnent pas, mais nous aimerions savoir quels sont ceux qui réussissent le mieux.

Mme Martin: Le chef Commandant a fait une remarque à propos des métiers de la construction. Par l'intermédiaire de Miziwe Biik et d'autres partenaires dans la communauté autochtone de Toronto, nous avons assez bien réussi dans les métiers de la construction étant donné le style d'apprentissage. Cela plaît aux jeunes, parce qu'ils ne sont pas obligés de rester dans un bureau. Les jeunes semblent avoir une certaine affinité pour le marteau et les clous et avoir une certaine expérience dans ce domaine. Nous travaillons en partenariat avec les syndicats et les écoles. Certains de nos étudiants ont terminé dans les premiers de la classe en menuiserie et comme poseurs de cloisons sèches. Il faut un peu d'aide du syndicat et des gens des métiers. Ils doivent être prêts à soutenir l'initiative. Nous avons eu un assez grand nombre de succès dans ce domaine particulier.

Il y a un autre bon modèle, l'industrie cinématographique. Là encore, c'est une domaine dans lequel nous essayons de pénétrer. Comme vous le savez, Toronto est notre «Hollywood du Nord». Il y a des domaines techniques et artistiques qui attirent les jeunes. Certaines de leurs lacunes, comme le fait de ne pas avoir leur 12e année, ne sont pas si importantes dans l'industrie du film. Nous comptons beaucoup sur la communauté cinématographique non autochtone pour accueillir les jeunes que nous envoyons pour essayer ce genre d'empois.

Ce sont deux domaines qui ont particulièrement bien fonctionné.

M. Williams: Il y a aussi un autre domaine qui a donné de bons résultats, la création d'entreprises individuelles. Il y en a beaucoup maintenant parce qu'il y a une association d'entreprises autochtones à Toronto. Je crois que c'est un Ancien qui a fait un commentaire après que nous nous soyons présentés. Il a dit: «Je n'aurais jamais cru que je me trouverais dans une pièce avec autant d'Autochtones présidents de leur propre entreprise». Il en était très heureux. Cela fait partie de ce que nous devons faire.

Nous avions auparavant pour l'Ontario un budget d'environ 50 millions de dollars dans le cadre des programmes de DRHC. Au cours des cinq dernières années, nous avons perdu 2 millions de dollars par an à cause des formules mises en place par DRHC. Nous ne sommes pas d'accord avec ces formules. Nous sommes tombés à environ 32 millions de dollars. Comme l'a dit Mme Martin, son budget est passé de 6 millions à 3 millions. Il a fallu se battre pour obtenir ce niveau. Avec 65 000 personnes autochtones essayant d'obtenir une formation professionnelle à Toronto, le très bon travail qu'a fait Mme Martin ne suffit pas.

Nous avons essayé de parler à DRHC et aux ministres des économies que nous avons réalisées en permettant à des gens de ne plus dépendre de l'aide social et du bien-être. Pourquoi ne pourrions-nous pas garder ces économies pour nous? Ils disent qu'il est impossible de les calculer.

Pourtant, quand je rencontre les représentants de l'Ontario, ils me disent: «Steve, nous avons déjà vos économies. Vous les réalisez, mais c'est nous qui les gardons.» Ce système ne semble pas fonctionner pour nous et il n'a jamais marché. C'est ça le problème. Si l'on pouvait conserver les économies réalisées pour DRHC dans tout le Canada, ce serait plus que suffisant.

Actuellement, 225 millions de dollars sont réservés pour la formation professionnelle dans l'ensemble du Canada. Ceci existe depuis 12 ou 13 ans maintenant et n'a jamais changé. Après 10 ans, nous en sommes exactement au même point, sauf que les budgets sont plus faibles, parce que les gens sont plus nombreux à demander des fonds. Nous allons nous concentrer sur les fonds destinés à la formation professionnelle en 2004.

Il n'y avait rien dans le budget d'hier mais peut-être que d'ici 2004, on annoncera de nouveaux crédits pour couvrir certaines de ces dépenses. C'est l'un des domaines dont nous devons nous occuper.

En Ontario, on divise les zone urbaines. Nous nous occupons des sans-abri. Notre organisation est la seule au Canada à s'occuper des membres des Premières nations dans les réserves et en dehors de celles-ci, ceux qui habitent en milieu urbain, les sans-abri, les enfants et les Inuits. Nous sommes la seule organisation à avoir fait tout cela. Pourtant, la province de l'Ontario a deux groupes différents qui assurent des services aux sans-abri. Nous l'avons toujours fait. On nous a dit que cette responsabilité nous serait enlevée pour être confiée à un autre groupe. Nous devions faire deux ou trois villes, tandis que l'autre groupe ferait le reste. Ils divisent l'argent alors qu'il n'y en a déjà pas assez au départ. On a réduit notre budget de 2 millions de dollars. Nous devons faire cela pour les personnes qui veulent les services, mais c'est toujours difficile lorsque les budgets sont constamment réduits.

Le sénateur Stratton: J'ai vu un assez grand nombre de réserves au cours de ma vie. Certaines sont très bien; d'autres sont dans une situation désespérante, comme nous le savons. J'imagine que c'est là qu'il faudrait commencer la formation que vous avez décrite.

Chef, vous pouvez peut-être répondre à cette question. Quels programmes y a-t-il dans les réserves pour préparer les jeunes Autochtones à leur départ de la réserve?

M. Commandant: Ils peuvent suivre pratiquement tous les types de formation. Nous faisons la promotion de l'éducation générale, nous encourageons nos enfants à terminer leurs études postsecondaires et à aller à l'université, si c'est possible. Notre communauté envoie certains enfants aux États-Unis parce qu'il y a là-bas des écoles qui sont nettement meilleures pour leur domaine d'études. Cela fonctionne bien pour nous.

Les programmes d'apprentissage sont excellents. Bien souvent, un apprentissage va donner aux jeunes la possibilité de gagner leur vie tout en apprenant un métier. Ils peuvent ensuite faire carrière dans le domaine.

Nous ne serons pas tous banquiers et avocats. Il y a des emplois honorables qui permettent de bien gagner sa vie sans que l'on doive suivre l'exemple de Hollywood. De plus, en donnant à ces enfants la possibilité de réussir une fois, on leur montre qu'ils sont capables. Ils garderont cette assurance et continueront à oser dans leur vie.

Le sénateur Stratton: Est-ce que c'est vu comme une réussite dans les réserves?

M. Commandant: Oui. En outre, si on peut le faire dans la communauté, ça aide à tenir les jeunes à l'écart de la ville — même s'il y en a toujours qui vont dériver vers la ville. Ils peuvent être heureux dans la communauté.

Le sénateur Christensen: L'argent et le moyen d'en obtenir semblent toujours être le gros problème. En général, les fonds liés à des programmes doivent être renouvelés régulièrement. Ce n'est pas un financement de base permanent. Vous en avez parlé brièvement. Vous avez dit que vous étiez en partenariat avec les syndicats, etc.

Quels efforts faites-vous pour essayer d'obtenir des fonds de contrepartie des entreprises privées? Après tout, la formation sert aux industries. C'est difficile à faire, mais c'est certainement une ressource utile.

M. Williams: Auparavant, les programmes ne fonctionnaient jamais. Nous allions voir les employeurs en leur disant: «Acceptez-vous de prendre un étudiant ou quelqu'un pour un emploi? Nous allons vous subventionner.» Dès que la subvention n'est plus versée, il n'y a plus d'emploi. Nous perdions de l'argent.

Les employeurs disent qu'ils vont aider l'employé, mais il faut que ce soit à plein temps. Dès que l'argent n'est plus là, ils arrêtent. Nous en sommes au stade où nous élaborons et nous exécutons nos propres programmes.

Mme Martin a réussi à Toronto, par exemple, avec les syndicats. Elle a envoyé un jeune homme autochtone prendre contact personnellement avec les syndicats, les corps de métiers et les employeurs pour les convaincre que c'était une bonne idée. Mais à lui seul, il ne peut pas faire tout Toronto. Il a fait un bon travail là où il était.

Nous avons même essayé de travailler en partenariat avec la province de l'Ontario, mais elle n'a pas d'entente sur le développement du marché du travail — c'est la seule province à ne pas en avoir. À moins d'avoir de l'argent, la province ne fait rien pour nous non plus. Elle ne veut pas traiter avec nous non plus parce que les Autochtones relèvent du fédéral.

En tant qu'ancien chef, j'ai remarqué que les loisirs étaient l'un des principaux problèmes dans les communautés. Il n'y a pas d'argent pour les loisirs dans les communautés. Les enfants font des bêtises parce qu'ils s'embêtent. Une grande communauté va peut-être réussir à avoir une aréna, mais ensuite il n'y a pas assez d'argent pour l'entretenir.

C'est dur. Nous avons assez bien réussi au cours des années. Nous continuerons probablement à faire tout notre possible, mais encore une fois, tant que nous n'aurons pas d'aide supplémentaire dans certains domaines, ce sera très difficile. Vous entendrez les représentants des autres provinces vous dire la même chose.

Le sénateur Christensen: Vous parliez du SAF et de l'EAF, et de la toxicomanie qui sévit depuis longtemps dans la société. C'est certainement un problème très grave. Y a-t-il des programmes de mise en place d'installations de diagnostic et ensuite des programmes pour s'occuper des personnes qui ont ces problèmes? Est-ce que c'est un domaine qui commence à prendre de l'importance d'après vous?

M. Commandant: Il y a toujours un travail de prévention de l'alcoolisme et de lutte contre la toxicomanie auprès des adultes. Il y a aussi des programmes de prévention pour les enfants. Un spécialiste local effectue le travail de diagnostic du SAF et de l'EAF dans les communautés.

On peut aussi progresser en impliquant davantage l'ensemble de la communauté dans ce qui se passe localement et en la sensibilisant aux problèmes de tel ou tel enfant qui peut être en danger ou être exposé à cet environnement. On peut accentuer le soutien communautaire pour les mettre à l'abri. Si un adulte continue dans cette direction, nous pouvons au moins mettre en place des mesures d'aide afin que l'enfant sente qu'il fait partie de la collectivité, veiller à ce qu'il soit entouré d'une famille pour qu'il se sente bien dans la communauté et qu'il ait une chance, au moins.

Le sénateur Christensen: Vous avez déclaré également que le système scolaire ne répondait pas aux besoins des Autochtones. Vous avez commencé à vous en occuper. Pourriez-vous nous donner des précisions? Nous entendons la même chose chaque fois qu'il est question des écoles résidentielles, qui étaient destinées uniquement aux Premières nations, et l'on sait que cela n'a pas fonctionné.

Quelles sont les différentes options possibles, d'après vous, pour répondre à ces besoins?

Mme Martin: Il faudrait imposer aux conseils scolaires la responsabilité d'inclure les célébrations et les contributions des peuples autochtones dans le programme d'études et d'augmenter leur visibilité dans les manuels. Ce programme d'études ne devrait pas être limité aux étudiants autochtones. Les Autochtones ne devraient pas être visibles uniquement dans les livres d'histoire. Quand avez-vous vu un Indien dans un canot pour la dernière fois? On ne parle que de cela en histoire. C'était il y a longtemps. Les conseils scolaires doivent assumer la responsabilité des problèmes auxquels sont confrontés les peuples autochtones aujourd'hui. Là encore, c'est une question d'éducation, il faut embaucher un plus grand nombre d'enseignants autochtones et avoir un plus grand souci d'intégration.

Dans le système scolaire, les jeunes sont aussi confrontés à la discrimination envers la pauvreté qui vient s'ajouter à la discrimination à l'égard de leur culture autochtone. Le système scolaire est souvent discriminatoire envers les familles pauvres et les familles monoparentales. Nos enfants sont attaqués sur tous les fronts dans ce système particulier.

M. Williams: C'est très bien de dire: «Donnons-leur une formation et un emploi», mais il y a beaucoup de grossesses et de problèmes liés au VIH/SIDA chez les jeunes parce qu'ils n'ont pas l'éducation voulue pour comprendre le monde qui les entoure. Je ne sais pas s'il s'agit nécessairement de l'ensemble du système d'éducation — on devrait peut-être en faire plus dans ce domaine. Mais il s'agit aussi de tous nos programmes, parce que nous n'avons pas le personnel pour faire tout cela. Ils passent entre les mailles du filet si nous ne les rattrapons pas.

Tout à l'heure, j'ai pris l'exemple du programme d'aide aux sans-abri. Nous l'avons depuis trois ans, mais c'est la première année que nous avons eu l'argent en octobre. Avant, nous avions toujours l'argent début mars, et nous devions avoir tout dépensé avant la fin mars. L'hiver est fini à ce moment-là. C'est là que nous recevions l'argent avant, et ça toujours été un problème pour nous. C'est la première année que nous l'avons eu au moment où nous en avions besoin pour pouvoir planifier. Nous devons changer ces idées. C'est très bien de dire: «Nous avons un contrat avec vous et voilà votre budget». Mais quand touchons-nous l'argent pour les sans-abri? On attend la fin de l'hiver pour nous le donner. C'est un problème que nous avons dans tous nos centres.

M. Commandant: En ce qui concerne le programme d'études, nous avons au niveau élémentaire une conseillère en éducation qui va un peu plus loin que d'autres peut-être. C'est une dame qui va dans les écoles pour examiner le programme d'études. Nous avons dû vraiment nous battre là-dessus parce que le programme était tellement loin de la réalité. Cela n'a rien à voir. C'était le portrait type Hollywood: le conflit entre les nations qui existaient au Canada avant le contact avec les Européens ou la bataille constante entre les Européens et les Autochtones. Rien de tout cela n'est vrai mais c'est ainsi que l'histoire est présentée.

Nous avons dû leur demander d'enlever beaucoup de matériel des écoles. C'était parfois très insultant. Ils acceptent, pendant un certain temps, jusqu'à ce que le climat change un peu, puis c'est oublié et il faut recommencer à se battre.

Je pense que nous avons gagné du terrain, mais il faut toujours être sur la brèche. Il est important de bien comprendre ce qui s'est passé ici au Canada et en Amérique du Nord. Il nous faut un point de départ fondé sur la réalité, pas sur la fiction.

Le sénateur Hubley: Je crois que le chef Commandant a dit qu'il y avait 65 000 personnes autochtones dans la région du Grand Toronto. Il était question d'un centre de traitement précis. Si je prends ce chiffre particulier, correspond-il aux jeunes dont vous vous occupez, ou est-ce la population totale?

Si ce chiffre représente la population totale, quelle est la répartition, pour que nous ayons une idée du nombre de personnes dont vous vous occupez?

M. Commandant: Vous verrez que c'est sans doute plus de 65 000.

Mme Martin: La population autochtone totale de Toronto est d'environ 65 000 personnes. Je ne connais pas exactement le nombre de jeunes. Je dirais environ 60 p. 100, sinon plus.

Le sénateur Hubley: Vos organisations s'occupent d'un très grand nombre jeunes.

Je ne sais pas s'il faut tout reprendre à zéro ou si l'on peut réparer le système. J'étais intéressée par les commentaires du sénateur Stratton. Est-ce que l'on remonte au début? Y a-t-il des programmes dans les réserves? Y a-t-il dans les réserves des incitatifs pour les parents qui seraient en mesure, le cas échéant, de prendre des cours sur les compétences parentales, dont certains de nos témoins nous ont beaucoup parlé? S'ils peuvent maintenir leurs enfants à l'école, y a-t- il des incitatifs en ce sens?

Si manifestement le système ne fonctionne pas pour tant de jeunes Autochtones, pouvez-vous voir, dans votre travail, à quel moment la situation commence à se dégrader? Lorsqu'ils quittent le foyer à un certain âge? Lorsqu'ils arrivent à la ville? Est-ce que vous pouvez nous donner des indications qui nous aideraient à formuler des recommandations éclairées? Cela viendra de ce que vous pouvez nous dire.

M. Commandant: C'est vraiment un ensemble. J'aimerais pouvoir trouver un point de départ. Ce serait fantastique.

Il faudra du temps pour faire oublier les écoles résidentielles.

Le sénateur Hubley: Je vous arrête là. J'imagine que des jeunes ont été enlevés à leur foyer et n'ont pas reçu la formation qu'ils auraient pu recevoir autrement dans le domaine des compétences parentales. Mais n'auraient-ils pas néanmoins acquis certaines de ces compétences, où est-ce que parce que c'est tellement spirituel?

M. Commandant: Je ne sais pas par où commencer ma réponse. C'est une question très complexe. L'un des plus gros problèmes, c'est certainement que nous pouvons tous acquérir des compétences parentales auprès de différentes sources au fur et à mesure de la vie.

L'expérience des écoles résidentielles a surtout créé des familles dysfonctionnelles. Mon père était dans une école résidentielle et il n'a pas grandi dans un milieu familial normal. On en hérite, jusqu'à un certain point. Les personnes de la génération suivante ne peuvent pas devenir immédiatement très solides dans la société. Il faut du temps pour s'en remettre au sein d'une famille, bien que ma famille ait été bien.

Il y a beaucoup de travail à faire là-dessus et c'est ce que nous essayons de faire. Malheureusement, nous souffrons d'un sous-financement chronique. Il y a toute une liste de choses que je ne peux pas fournir à ma communauté, notamment l'infrastructure de base comme l'eau et les routes, sans parler des problèmes sociaux qui sont si importants. De toute façon, les gens graviteront toujours vers la ville, et nous devons être sur place là pour répondre à leurs besoins.

Imaginez des enfants venant d'un village isolé du nord de l'Ontario d'où l'on ne peut sortir que par avion ou en marchant longtemps. Ils voient à la télévision un monde magnifique et extraordinaire à Miami, Hollywood ou ailleurs, puis ils se retrouvent dans les rues de Toronto au mois de novembre. Ça doit être un choc terrible. Pourtant, c'est la réalité. Aucune des connaissances qu'ils ont acquises dans leur communauté ne peut leur servir pour gagner leur vie en ville. Ils se retrouvent donc dans la rue ou doivent trouver un autre moyen d'enterrer tous leurs soucis.

M. Williams: La langue a été un problème pour beaucoup de gens. Par exemple, en raison des écoles résidentielles, beaucoup de nos parents ont perdu leur langue et n'ont pas pu nous la transmettre. Lorsque j'étais chef, j'ai essayé d'obtenir de l'argent pour faire revivre les langues dans mon village. Le gouvernement a accepté de nous donner 100 000 $ pour faire renaître nos 13 langues. Mais si nous voulions enseigner le français aux membres de la communauté, il nous donnerait 10 millions de dollars par an. Nous sommes les Premières nations de ce pays.

Il y a un autre problème, nous avons des jeunes qui doivent vivre en dehors de la communauté, en raison du manque de logements dans les réserves. Ils n'ont jamais vraiment vécu dans les réserves. Même s'ils ont de la famille qui y vit et qu'ils souhaitent y habiter eux-mêmes, ils n'y ont jamais vécu. Il y a aussi les abus sexuels et toutes sortes de problèmes.

Nous avons toujours essayé de convaincre les gouvernements d'affecter des fonds à des programmes spéciaux. Nous avons un programme national pour la jeunesse avec un financement de 350 millions de dollars, mais pas 1 p. 100 de ce programme n'est spécialement consacré aux jeunes Autochtones. Pour les sans-abri, il y a 750 millions de dollars, mais rien de spécial pour les Autochtones. Au lieu d'utiliser les mécanismes existants pour administrer les programmes localement, on a créé un système complètement différent. Combien est-ce que cela coûte de mettre sur pied toute cette nouvelle administration au lieu d'utiliser ce que nous avons déjà?

Quand nous avons repris les questions d'emploi et de formation, et que certains de nos représentants qui vivent dans les villes sont allés au bureau de DRHC, on leur a dit que DRHC n'avait plus besoin de s'occuper d'eux parce que c'était leurs communautés qui avaient l'argent. S'ils s'identifient, ils n'obtiennent rien. Ce sont des points de départ.

Le sénateur Hubley: Vous voulez dire qu'il faudrait commencer par un financement spécifique?

M. Williams: Oui. Quand on annonce des financements, il faudrait faire une mention particulière des Autochtones et affecter spécifiquement 10 ou 15 p. 100 du budget aux Autochtones. C'est un point de départ. Quand on entend parler de 750 millions de dollars sur six ans, cela a l'air fantastique, mais nous n'y avons pas accès parce que ce n'est pas spécifiquement destiné aux Autochtones.

Le sénateur Hubley: Je vais poursuivre rapidement sur cette question du financement. Est-ce que les crédits spécialement affectés aux programmes autochtones parviennent aux gens qui en ont besoin?

M. Williams: Très brièvement, dans la majorité des cas, oui.

Le sénateur Hubley: Vous en êtes convaincu?

M. Williams: Non. Je n'ai jamais été convaincu que nous recevions suffisamment d'argent.

Le sénateur Hubley: Je vous demandais si vous étiez convaincu que l'argent spécifiquement affecté à un programme pour les jeunes Autochtones était bien utilisé pour cela?

M. Williams: Oui, je suis convaincu de cela.

Le sénateur Pearson: Chef Commandant, vous venez de la région de Muskoka?

M. Commandant: Oui.

Le sénateur Pearson: Je crois qu'il serait utile de distribuer le livre du lieutenant-gouverneur dans tous les établissements d'enseignement de l'Ontario. Vous l'avez lu?

M. Commandant: Oui.

Le sénateur Pearson: Vous ne pensez pas que c'est une bonne description?

M. Commandant: M. Bartleman est un homme très intéressant. Je l'ai rencontré. En fait, nous partageons une terre commune.

Le sénateur Pearson: J'ai trouvé que c'était une description impressionnante de l'histoire et des défis des peuples autochtones de la région de Muskoka.

M. Commandant: Une bonne partie de ce qu'il a écrit m'interpelle personnellement.

Le sénateur Pearson: Je pense que c'est excellent que les jeunes se sentent interpellés par quelqu'un qui a été aussi terrible que lui quand il était adolescent. On comprend pourquoi il était comme ça.

M. Commandant: Nous n'allons pas entrer dans ce débat.

Le sénateur Pearson: Il est important que les jeunes comprennent qu'on peut s'en sortir et devenir quelqu'un de normal.

M. Commandant: Oui, certainement.

Le sénateur Pearson: Ce livre exprime un message puissant sur la région de Muskoka dont je n'étais pas consciente. J'ai l'impression que ce serait un bon livre à mettre sur les listes de lecture des écoles car les enfants pourraient le lire facilement.

Et quand il y a de l'argent qui est versée à la population autochtone, comme avec Casino Rama, que devient cet argent?

M. Commandant: Cet argent est dépensé par les communautés individuelles comme elles le jugent bon en fonction de certains paramètres. Il peut être utilisé pour l'éducation, le progrès communautaire, la santé ou le développement économique. Il y a diverses approches. Certaines communautés s'en servent comme capitaux d'amorçage pour monter des entreprises qui vont prospérer et créer des emplois. D'autres ont des plans de plus grande envergure, par exemple la construction d'édifices. Ces fonds sont utilisés de toutes sortes de façon dans la province.

Le sénateur Pearson: Est-ce qu'on les partage?

M. Commandant: Oui, il y a une formule de distribution de cet argent en vertu de laquelle tout le monde en obtient une part égale. Certains en obtiennent plus, mais nous nous occupons de la question.

D'autres l'économisent pour se faire une réserve qui leur permettra de compter sur des revenus pendant les années futures, et c'est une sage précaution.

Le sénateur Pearson: Voilà qui est instructif pour notre comité. C'est une façon très originale d'utiliser les recettes du casino. Je ne suis pas sûre que ce soit la même chose dans les autres provinces.

M. Williams: Non, en effet. Je suis aussi président de Ontario First Nations Limited Partnership. C'est moi qui verse l'argent de Casino Rama aux chefs. Nous leur avons remis une somme considérable. Certains consacrent de 40 à 60 p. 100 de ce montant au logement dans leur communauté. Le problème, encore une fois, c'est que cet argent est destiné à l'ensemble des membres mais que très peu de communautés consacrent de l'argent aux Autochtones urbains. Ils font beaucoup de choses pour leur propre communauté, là où il y a beaucoup de besoins.

Par exemple, je suis allé l'automne dernier à une inauguration dans la Première nation Hiawatha, pas loin d'ici. Nous avons organisé beaucoup de formation pour la communauté du chef. Ils sont tout près du Casino Scugog et ils ont eu beaucoup de formation et créé beaucoup d'emplois. Le chef a construit une station-service/restaurant/épicerie dans cette communauté, parce qu'il n'y en avait pas. Le jour de l'inauguration, il a annoncé qu'en ouvrant cet établissement ils avaient créé 12 emplois supplémentaires dans la communauté et qu'il ne restait plus qu'un seul assisté social. C'est une histoire concrète de réussite. J'étais vraiment heureux d'assister à cette inauguration. C'était vraiment réjouissant.

Nous pouvons élargir le mouvement. De nombreuses communautés utilisent l'argent avec succès. Certaines ne savent pas quoi en faire. Certaines refusent de le dépenser tant qu'elles n'ont pas un plan approuvé et jugé excellent.

Toutefois, les gens qui sont en milieu urbain ne reçoivent pas leur juste part de cet argent. Ils n'ont jamais pu le faire parce que l'argent va directement à la communauté.

Le sénateur Pearson: Je voulais en parler parce qu'il est important de savoir que la communauté autochtone verse de fonds à la communauté autochtone. Les montants ne sont peut-être pas suffisants en milieu urbain mais il n'y a pas que les gouvernements qui contribuent.

M. Williams: Nous avons eu de bons cas de réussite.

Le sénateur Sibbeston: L'exode des Autochtones qui quittent les zones rurales pour aller en ville est une réalité. Je sais aussi que le Canada est constitué de nombreux immigrants. Toronto et les villes du même genre sont remplies de personnes venues de divers pays. J'imagine que la plupart des immigrants qui arrivent au Canada n'ont pas beaucoup d'argent. Ils ne connaissent pas la langue et ils ne connaissent pas bien notre société capitaliste démocratique. Pourtant ils ont l'air de réussir à s'intégrer à la société et à y faire leur chemin. Prenez par exemple les Chinois, il y a des quantités de restaurants chinois et de petites boutiques un peu partout.

Les Autochtones, eux, partent des zones rurales vers la ville. Vous nous avez décrit les problèmes que vous constatez en milieu urbain, par exemple à Toronto, les problèmes qui se posent quand des gens différents essaient de s'intégrer à une société bien organisée et sophistiquée reposant sur la technologie et la production. Il y a dans cette société des emplois bien définis et des rôles que les gens doivent jouer. Les Autochtones ont du mal à s'intégrer à cette société technologique moderne.

Je suis Autochtone. Je dis que ce sont mes gènes primitifs, en quelque sorte. Je ne suis pas agriculteur. Je ne pourrais jamais être agriculteur parce que j'ai des gènes de chasseur et de cueilleur. Cela me fait rire.

Avez-vous un commentaire sur toute cette question? Je sais bien que c'est un peu philosophique.

Mme Martin: J'aimerais bien avoir la réponse à cette question. Si c'était le cas, nous ne serions peut-être pas là aujourd'hui.

M. Commandant: Disons à ce sujet que dans l'ensemble, avant les premiers contacts avec les Européens, le sens de la propriété n'existait pas dans les cultures autochtones. Une chose n'était pas à moi ou à vous ou à quelqu'un d'autre. Vous ne pouvez pas découper une propriété. Vous ne pouvez pas faire une ligne et m'empêcher d'aller là-bas. La réalité est là. En tant que Mohawks, nous sommes plus des jardiniers, ou en tout cas une partie de notre famille l'était. Toutefois, nous sommes aussi des chasseurs et des cueilleurs et nous vivons de la terre. C'est de cette histoire que nous nous sommes écartés.

Quand vous parlez de la Chine, vous parlez d'une culture qui remonte à des milliers d'années, et c'est la même chose pour l'Europe, ou tous les autres endroits d'où sont venus des immigrants. Ce n'était peut-être pas la crème de la crème qui avait quitté son pays d'origine, mais c'était des gens qui regardaient ce qui se passait autour d'eux et qui en étaient conscients. Nous avons ici quelque chose de complètement nouveau dans l'histoire de notre peuple, et il va nous falloir du temps pour prendre le rythme.

M. Williams: Je ne crois pas pouvoir ajouter autre chose à cela, car je suis aussi Mohawk. Nous avions l'habitude de conquérir des choses, en gros c'était ça.

Le sénateur Sibbeston: Dans les Territoires du Nord-Ouest, les Autochtones vivent encore pour la plupart dans de petites localités. Nous nous modernisons à bien des égards. Nous avons des camionnettes, des téléviseurs, des ordinateurs, tout ce qu'on voit dans le Sud est arrivé maintenant dans le Nord.

Dans les grands centres comme Yellowknife, les gens qui étaient autrefois des chasseurs et des trappeurs se sont transformés en une ou deux générations et grâce à l'éducation et à des débouchés, ils travaillent maintenant dans des secteurs comme la mine. Il y a énormément d'activités minières dans le Nord. Il y a deux grandes mines. Les Autochtones font leur chemin dans ces secteurs. Ils sont dans leur élément dans des secteurs comme la restauration ou le camionnage.

On voit des Autochtones s'intégrer à la société technologique moderne. J'imagine que cela implique une certaine patience et une certaine bonne volonté de la part de la société. Dans le Nord, les Autochtones sont la majorité. Dans des régions comme le Nunavut, ils ont de bonnes chances de contrôler la situation politique et économique.

En tant que Canadiens, nous sommes fiers d'être différents des Américains. Nous avons l'impression d'être plus doux et plus gentils. La société de Toronto est-elle suffisamment ouverte pour permettre un jour aux Autochtones d'y faire leur chemin, de se créer un avenir et de vivre correctement? Y a-t-il de l'espoir?

M. Williams: Ils commencent. Beaucoup lancent leur entreprise et réussissent. Ils engagent des Autochtones pour travailler dans leur affaire. C'est un bon pas dans cette direction. Si nous réussissons à faire comme les autres nationalités, à faire notre magasinage dans notre secteur en y faisant circuler l'argent, tout ira bien. Pour l'instant, nous sommes trop éparpillés.

M. Commandant: Je voudrais dire qu'avec toutes ces tentatives bien intentionnées, les choses vont progresser et nous finirons par avoir un nouveau gouvernement et les choses changeront. Nous n'avons jamais eu des règles du jeu égales. Si nous avions cette possibilité, nous pourrions accomplir ces progrès et faire partie plus pleinement de la société. Nous serions un peu différents, mais au moins nous aurions ces possibilités de réussir.

Ce serait bien s'il y avait de la cohérence. Je ne me souviens pas qu'il se soit passé 10 ans sans que nous soyons violemment bousculés par une initiative de gouvernance ou quelque chose de nouveau qu'on nous imposait. Nous n'avons jamais eu la possibilité d'aller jusqu'au bout des choses. Nous sommes toujours ballottés.

Le sénateur Sibbeston: Je n'ai pas pu m'empêcher de penser à Crocodile Dundee, qui arrive de l'intérieur de l'Australie dans la grande ville et ne sait pas du tout comment les choses fonctionnent. Il va dans un hôtel et ne sait pas à quoi servent les toilettes. Il dort par terre et marche dans la rue principale avec un grand couteau en disant «salut» à tout le monde.

À certains égards, c'est le même contraste. Les Autochtones qui viennent des zones rurales et qui arrivent en ville ne connaissent pas le mode de vie et le comportement de la société. C'est là qu'il y a un problème. Est-ce qu'on réussira un jour à faire la jonction?

M. Commandant: C'est un problème. Quand on vient d'une communauté du Nord, on est habitué à la chasse et à la pêche et on peut vivre de la terre. Dans le sud de l'Ontario, d'où je viens, on ne peut plus vivre de la terre, c'est impossible. L'eau est polluée, le sol est saturé. Il faut même acheter de l'eau en bouteille. C'est regrettable. C'est comme cela que les choses évoluent. Il faut s'y faire, que ce soit bon ou mauvais.

La présidente: Les vieilles traditions ont la vie dure. Je ne me promène pas avec un grand couteau mais je dis quand même bonjour à tout le monde.

M. Williams: Et on vous regarde de travers.

La présidente: Oui, mais je dis quand même bonjour.

Le sénateur Léger: Je vais dire quelque chose dans le même ordre d'idées. Madame Martin, vous disiez que le multiculturalisme semble être le mot à la mode. On l'utilise à toutes les sauces, mais on oublie les Autochtones à chaque fois. Et c'est vrai. On identifie les Chinois mais pas les Autochtones de la même façon. Pour les Autochtones, ce n'est pas la même chose. Ils n'ont même pas de statut dans cette dimension et on les ignore dans les écoles.

Madame Martin, vous avez aussi parlé d'entreprises privées et de fonds de contrepartie. Le secteur privé ne veut pas s'occuper des questions autochtones parce qu'il dit que c'est une responsabilité fédérale. Nous sommes très mal à l'aise avec ces problèmes, c'est clair. C'est notre faute, évidemment, et nous le savons mais nous avons besoin d'aide pour rattraper le temps perdu.

Avez-vous des programmes ou des projets autochtones pour les écoles? Envoyez-vous des groupes de personnes dans les écoles, pas nécessairement pour les élèves mais plutôt pour les enseignants lorsqu'ils ont leurs journées d'étude? Les gens du secteur privé invitent souvent des conférenciers à leurs réunions. Vous pourriez peut-être vous faire inviter comme conférenciers à des réunions d'enseignants lors des journées pédagogiques. Tout le monde devrait entendre ce que nous entendons à nos réunions de comités. En tout cas, les médias devraient entendre cela.

Est-ce que c'est une possibilité? Vous a-t-on déjà invités à ce genre de réunions? A-t-on prévu des crédits pour vous permettre de transmettre cette information à d'autres personnes? Nous avons entendu de nombreux témoins lors de nos réunions.

M. Williams: On nous invite. Je suis souvent invité à parler à divers groupes. Je vais bientôt aller à Sault Sainte- Marie parler à des employés de la Banque royale d'initiatives d'affaires pour les Autochtones. Leur vice-président m'a dit que la Banque royale était prête pour eux, mais ils n'écoutent pas parce qu'ils ne comprennent pas. La banque a besoin de quelqu'un de la base. Nous avons une entreprise dans les Six Nations qui rapporte environ 5 millions de dollars d'impôts fédéraux par mois au gouvernement. Vous savez ce que nous récupérons pour les loisirs communautaires? Rien du tout. L'année dernière, nous avons payé 60 millions de dollars et l'année prochaine nous allons en verser 98, et devinez quoi: nous aurons toujours zéro.

Des parents et des enfants viennent faire des collectes de fonds chez nous et se demandent pourquoi nous ne pouvons pas leur donner d'argent. Eh bien, nous avons donné 5 millions de dollars au gouvernement fédéral et il ne nous a pas rendu un dix-sous. Si une école a besoin de 35 000 $ pour aménager un terrain de jeux pour les enfants, nous ne pouvons pas les lui donner parce que nous ne pouvons pas faire la promotion d'entreprises comme les nôtres auprès des enfants. Je vais faire un exposé au chef et au conseil de cette communauté pour voir si nous pouvons obtenir de l'argent de Casino Rama. C'est à cela que servent les profits — aux futures générations.

Le sénateur Léger: On dirait que les gens que vous invitez veulent des projets concrets et immédiats.

M. Williams: Oui.

Le sénateur Léger: Je voudrais savoir si vous pouvez vous vendre pour ce que vous êtes — des Canadiens de ce pays. On nous a lavé le cerveau et nous avons toujours accusé le gouvernement, mais maintenant nous avons besoin d'aide et il faut que cette aide vienne des Autochtones.

M. Williams: Je suis de votre avis. Mais vous venez de faire une remarque avec laquelle je ne suis pas d'accord. Nous ne sommes pas des Canadiens; nous sommes des Nord-Américains parce que nous vivons et nous travaillons aussi bien d'un côté de la frontière que de l'autre. Nous ne sommes pas des Canadiens.

Le sénateur Léger: Voilà qui est instructif.

M. Williams: Dans les livres d'histoire, on dit que nous sommes des Indiens canadiens, mais il n'y a pas d'Indiens canadiens. Nous étions là avant que le Canada se construise. Il faut rectifier les attitudes et l'histoire pour le reconnaître. Je ne suis jamais offensé par l'erreur mais j'aime bien faire la correction.

Le sénateur Léger: C'est important. Je suis sénateur et je viens de commettre cette erreur. Vous n'êtes pas des Canadiens et par conséquent vous ne votez pas mais vous payez des impôts.

Le sénateur Stratton: Ils votent; ce sont des citoyens canadiens et ils votent.

M. Commandant: Nous fonctionnons au Canada mais nous pouvons aussi bien être aux États-Unis et y payer des impôts. Nos nations et nos cultures sont plus vieilles que le Canada, mais ce n'est pas une justification pour qu'elles disparaissent à un moment donné de la carte.

Le sénateur Léger: Vous êtes des citoyens canadiens mais pas des Canadiens.

M. Commandant: Je peux avoir un passeport canadien et m'en servir pour voyager à travers le monde et je peux voter. Beaucoup des nôtres ne votent pas dans le système canadien parce que c'est contraire à leur mode de vie.

La présidente: C'est une autre question dont on pourrait discuter ailleurs et à un autre moment car nous avons tous une responsabilité dans cette détermination. Je dis aux gens que je suis de nationalité métisse et de citoyenneté canadienne. C'est comme cela que je vois les choses de nos jours. Nous en discutons beaucoup.

Le sénateur Léger: Je suis Acadienne et citoyenne canadienne et cela ne me pose aucun problème.

La présidente: C'est une bonne question qui mérite un débat. Toutefois, dans l'immédiat, nous parlons des jeunes Autochtones en milieu urbain. J'aimerais faire une petite remarque à propos de la propriété. Mon père a refusé d'acheter de la terre en disant: Comment peut-on acheter quelque chose qui appartient au Créateur? Nous sommes les préposés à l'entretien de la terre. J'ai toujours des objections à être propriétaire de terre — même si j'en possède pour cette raison, mais c'est la tradition. C'est comme cela que les choses se passaient à cette époque.

Il faut vraiment que nous nous penchions sur la vie institutionnelle. Les écoles résidentielles, qu'elles aient été bonnes ou mauvaises, ont appris à nos ancêtres — et ma famille en a fait partie — la vie institutionnelle. Quand ils avaient 15 ou 16 ans, on leur disait: «Maintenant, vous allez devenir des parents». C'est pour cela que nos jeunes se sont toujours sentis plus en sécurité dans le système carcéral: c'était une autre institution.

Ce sentiment s'est transmis de génération en génération et il faut briser ce cycle. J'ai vu et entendu cela durant toutes les années où j'ai travaillé avec les gens de mon peuple dans le nord de nos provinces.

Le sénateur Chaput: Madame Martin, vous avez dit quelque chose qui m'a frappé et que nous avions déjà entendu auparavant. Vous avez dit que les jeunes avaient besoin de se ressourcer et de rétablir les liens avec eux-mêmes et avec leur communauté avant qu'on puisse faire autre chose. C'est tellement vrai. Vous avez dit aussi que cela impliquait une aide régulière de personne à personne pendant des années.

Combien de gens une personne peut-elle aider en un an dans ces conditions? Combien de personnes pouvez-vous aider en un an?

Mme Martin: Chacun de nos conseillers voit environ cinq personnes par jour. Cela fait 15 à 25 personnes par jour multiplié par cinq jours par semaine.

Le sénateur Chaput: Arrive-t-il à vos conseillers de souffrir d'épuisement professionnel?

Mme Martin: Oui. C'est un travail extrêmement exigeant. Nos conseillers en emploi travaillent avec des clients qui vivent des situations auxquelles ils ne sont pas préparés à faire face. Toutefois, comme nous l'avons dit, en l'absence de centre de traitement, il n'y a aucun endroit dans la région du Grand Toronto où l'on puisse envoyer les jeunes qui ont des problèmes de toxicomanie.

Le sénateur Chaput: Si deux de vos souhaits pouvaient se réaliser demain, l'un concernant les familles dans les réserves et l'autre concernant la situation urbaine, quels sont les deux souhaits que vous voudriez voir se réaliser? Quelles sont les deux choses que vous voudriez voir arriver?

M. Commandant: Je pense que ce serait la même chose dans les deux cas: que ces gens puissent vivre leur vie dans la société canadienne et bénéficier du même respect, des mêmes possibilités et du même avenir que la majorité des autres Canadiens.

M. Williams: Quand j'étais chef, j'ai parlé à un Aîné qui n'a dit: «Steve, nous voudrions préserver nos traditions mais je veux que mes petits-enfants vivent aussi au XXe siècle». Peut-on trouver cet équilibre?

Le sénateur Chaput: Je comprends parfaitement ce que vous dites car je suis un Francophone qui appartient à un groupe minoritaire. Je ne sais pas si on peut parler d'équilibre, mais c'est aussi ce que je souhaite pour mes petits- enfants.

Mme Martin: Dans le contexte du centre de Toronto, ce que je souhaiterais, c'est que les gens de notre peuple soient sur le même pied que les autres Torontois — les autres personnes qui profitent de l'économie dynamique de Toronto. Presque chaque jour, quelqu'un de notre peuple meurt victime de ces conditions de vie dans les rues de Toronto. Ce que je souhaiterais, c'est qu'on s'attaque au problème des sans-abri dans une perspective holistique.

Le sénateur Hubley: Je pensais que cela pourrait être la dernière question et que nous pourrions terminer là-dessus, mais je vais revenir un peu en arrière.

Je voudrais parler d'éducation. D'après nos informations, l'aptitude à gagner sa vie et à se débrouiller est liée à l'éducation, et nous allons trouver un moyen de nous occuper de ces jeunes Autochtones.

Vous avez dit qu'ils n'avaient pas les compétences voulues pour aller chercher une aide financière. Dans quelle mesure peuvent-ils obtenir des prêts aux étudiants tels que nous les connaissons? Est-ce que les jeunes Autochtones peuvent en obtenir aussi? Est-ce que c'est quelque chose que vous recommanderiez pour un programme antidécrochage?

Mme Martin: Nos clients sont admissibles aux prêts aux étudiants de l'Ontario. Mais là encore, nous constatons souvent qu'ils ne parviennent pas à en obtenir. Je ne sais pas quels sont les problèmes exacts, mais ils reviennent nous dire qu'on n'a pas approuvé leur demande. S'ils font une demande de financement auprès d'une Première nation pour leur éducation postsecondaire, bien souvent ils n'ont pas vécu en réserve et ils n'ont donc pas un niveau de priorité très élevé. Je souligne encore une fois que de nombreux jeunes Autochtones de Toronto n'ont jamais vécu en réserve.

Ils ne viennent pas nécessairement d'une réserve — même si c'est le cas pour certains — mais souvent, ils se retrouvent seuls après des adoptions qui ont échoué. Ils n'ont pas les systèmes d'appui des familles, même lorsqu'ils reviennent dans les réserves.

Le sénateur Hubley: D'après ce que vous savez, est-il possible de trouver dans le système de prêts aux étudiants des éléments qui tiennent compte des difficultés particulières que rencontrent ces jeunes Autochtones?

Mme Martin: Nous constatons qu'en général, nos clients ne sont pas acceptés; et pour présenter une demande, il faut suivre tout un processus normalisé destiné à l'ensemble de la population.

Le sénateur Hubley: Ce n'est pas un document convivial pour les jeunes Autochtones.

J'ai un petite question au sujet du mentorat. Vous avez parlé d'entreprises et de jeunes qui réussissaient très bien. Y a-t-il un système de mentorat, ou vous servez-vous de cette idée pour vous aider dans votre travail?

Mme Martin: Oui. C'est l'un des programmes qui relèvent du Aboriginal Labour Force Development Circle. Là, il y a un contact personnalisé avec le jeune.

Le sénateur Hubley: Vous avez dit que dans votre travail il n'y avait pas vraiment assez d'employés pour répondre aux très nombreuses demandes. Est-ce que vous avez un système de mentorat pour élargir un peu votre champ d'activité?

Mme Martin: Nous pourrions peut-être travailler en partenariat. Un employeur ferait du mentorat avec un jeune.

Le sénateur Pearson: Je voulais revenir sur la question du Casino Rama. Je me demandais si la décision Corbière peut avoir une influence là-dessus?

M. Commandant: Je ne crois pas, mais c'est possible, dans une certaine mesure peut-être, selon la communauté. Dans ma communauté, nous traitons nos membres de la même façon, où qu'ils se trouvent, et nous finançons nos étudiants; et jusqu'ici, nous avons toujours pu le faire. Nous les finançons tous, quel que soit leur lieu de résidence, et nous essayons de les soutenir au maximum.

Le sénateur Pearson: Ma vraie question s'adressait à Mme Martin, parce que l'un des grands problèmes, c'est le nombre de grossesses précoces chez les jeunes filles. Vous avez dit vous-mêmes qu'il était difficile d'aider ces jeunes à trouver un emploi, par exemple. Je sais que vous faites du counselling en emploi. Vous nous avez dit qu'il n'y avait pas de bons centres de traitement pour les jeunes Autochtones pour les problèmes de drogues et d'alcool. Y a-t-il de bons services de conseils pour ce qui touche la santé sexuelle et génésique des adolescents? Les jeunes nous disent que c'est un immense problème.

Mme Martin: C'est un immense problème. Beaucoup de nos clients sont séropositifs pour le VIH. Cela a des répercussions terribles sur leur santé. Oui, un certain travail se fait; mais toutes les organisations de Toronto sont poussées à la limite si elles s'occupent de protection de l'enfance, et cela comprend les grossesses chez les jeunes filles. Les ressources sont limitées, pas uniquement les ressources financières mais aussi les ressources en personnel.

Les endroits où envoyer les jeunes filles sont peu nombreux. J'ai vu, au fil des années, que la grossesse était un mécanisme de survie pour les jeunes femmes. Lorsqu'elles ont des enfants, elles ont plus de chance d'avoir accès à des logements subventionnés et ensuite à l'aide sociale. Plus on a d'enfants, plus on a d'aide sociale.

Le sénateur Pearson: C'est un problème poignant. D'un côté, est-ce qu'en augmentant les prestations d'impôt pour enfants, nous accentuons cette tendance particulière? De l'autre côté, si les jeunes filles ont l'impression d'avoir un avenir, il y a plus de chance pour qu'elles retardent la grossesse. Elles ne choisissent pas nécessairement; c'est juste un mécanisme de survie.

Avez-vous des suggestions? Quelles recommandations devrions-nous faire dans ce domaine de l'éducation et de la santé génésique et sexuelle des jeunes filles?

Mme Martin: Nous ne dispensons pas directement les services par le biais de l'emploi et de la formation. Nous envoyons ces jeunes aux services autochtones à l'enfance et à la famille, à Anishnabe Health. Il y a beaucoup de problèmes de violence envers les femmes et les enfants associés à cela.

Le sénateur Pearson: Nous avons parlé des écoles résidentielles, mais si l'on prend les chiffres totaux, il y a sans doute eu davantage d'enfants autochtones vivant en foyer nourricier. Il y a aussi les enfants adoptés que vous avez mentionnés. Ce n'est pas peut-être pas aussi facile à comprendre que les écoles résidentielles, mais cela a eu des répercussions au plan des abus, du manque de modèles et de ce genre de choses.

Mme Martin: Nous voyons tous les jours des clients qui ont été en foyer nourricier et qui ont été victimes d'abus.

La présidente: Je voudrais vous remercier tous et toutes. Notre débat a été très intéressant et très important. Je suis impressionnée par vos recommandations. Notre comité travaille sur un plan d'action pour le changement et donc vos recommandations sont prises très au sérieux. J'espère que nous réussirons à changer certaines choses. De plus, cela nous donnera des munitions pour essayer de revenir à une plus grande égalité.

Merci beaucoup. Je vous suis très reconnaissante.

Le comité continue à huis clos.


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