Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 8 - Témoignages pour la séance du matin
WINNIPEG, le lundi 17 mars 2003
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui à 9 h 05 pour étudier les problèmes qui touchent les jeunes Autochtones en milieu urbain au Canada, plus précisément, l'accessibilité, l'éventail et la prestation des services; les problèmes liés aux politiques et aux compétences; l'emploi et l'éducation; l'accès aux débouchés économiques, la participation et l'autonomisation des jeunes, et d'autres questions connexes.
[Traduction]
Le sénateur Thelma J. Chalifoux (présidente) occupe le fauteuil.
La présidente: Voici 18 mois que notre comité tient des audiences sur les problèmes qui touchent les jeunes Autochtones en milieu urbain. Ces jeunes font face à des défis uniques qui nécessitent des solutions uniques. L'objectif de notre comité est d'élaborer un plan d'action pour le changement.
Comme nous le savons tous, les Autochtones ont fait l'objet d'innombrables études. Il n'est pas nécessaire d'en faire une autre; il nous faut un plan d'action pour le changement et nous devons, en partenariat avec tous les organismes compétents, attaquer les graves problèmes que rencontrent nos jeunes dans les centres urbains.
À cette fin, le comité a reçu des témoignages des fonctionnaires fédéraux, des chefs autochtones nationaux et des prestataires de services.
Ici, à Winnipeg, nous débutons la dernière phase de notre travail en venant entendre les intéressés sur place. Nous espérons que l'on nous parlera des difficultés rencontrées ainsi que des succès obtenus afin que nous puissions tirer des leçons de l'expérience de chacun et veiller à ce que nos jeunes aient le soutien nécessaire pour réussir.
Il y a des statistiques intéressantes sur Winnipeg. C'est la ville canadienne qui a la plus forte population autochtone. D'après le recensement de 1996, 62,7 p. 100 des Autochtones de Winnipeg vivent dans la pauvreté; 45 p. 100 ont un revenu annuel inférieur à 10 000 $. C'est vraiment la pauvreté. Le Manitoba a le taux de participation scolaire des jeunes Autochtones le plus bas de toutes les provinces. Ce sont donc là les problèmes que connaît le Manitoba.
Nous avons l'honneur, ce matin, de débuter nos audiences à Winnipeg avec le grand chef de l'Assemblée des chefs du Manitoba, Dennis White Bird, qui est accompagné de Cathleen McKay, représentante du Conseil des jeunes de l'Assemblée.
Le grand chef Dennis White Bird, Assemblée des chefs du Manitoba: Bienvenue à Winnipeg au comité sénatorial. Je voudrais tout d'abord, dans l'esprit de notre culture, de notre tradition, demander à l'un de nos jeunes du Manitoba de nous chanter une prière.
(Prière chantée)
M. White Bird: C'est un de nos jeunes de Winnipeg. Il est membre de la Première nation du Traité 3 en Ontario. Il sortira de l'Université du Manitoba au printemps avec un diplôme en économie. Je le remercie de la prière qu'il vient de nous chanter.
Je voudrais aussi vous présenter Cathleen McKay, à ma gauche, qui est la jeune représentante du Manitoba à l'Assemblée des premières nations. Je suis en outre accompagné de M. Jason Whitford, membre de mon personnel à l'Assemblée des chefs du Manitoba. Il y a d'autre part un certain nombre de jeunes qui sont là dernière nous pour nous appuyer. Nous avons aussi des représentants de l'initiative Keewatin auprès des jeunes. D'autres représentants de l'école Children of the Earth. Il est dommage que nous ne puissions les entendre mais nous ferons ce que nous pouvons pour nous faire leur porte-parole.
Comme vous l'avez entendu, les statistiques sont assez alarmantes et je pense que nous devons nous préparer à l'avenir. Une façon de le faire est de répondre aux besoins de nos jeunes, ici au Manitoba, en particulier dans le centre urbain.
Je m'efforce avec M. Whitford d'obtenir que nous ayons un centre — et c'est tout un défi — où nous jeunes puissent se sentir chez eux et se livrer à des activités d'ordre culturel et récréatif. Nous y travaillons toujours. Nous n'avons pas jusqu'ici reçu beaucoup d'aide de l'administration.
Bonjour et merci de cette occasion que vous me donnez de prendre la parole aujourd'hui. Je suis très heureux d'apprendre que le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones étudie les problèmes qui touchent les jeunes Autochtones des villes au Canada, plus précisément, l'accessibilité, l'éventail et la prestation des services, les problèmes liés aux politiques et aux compétences, l'emploi et l'éducation, l'accès aux débouchés économiques, la participation et l'autonomisation des jeunes, et d'autres questions connexes.
Le Secrétariat de l'Assemblée des chefs du Manitoba est un groupe d'action politique. Il a été créé pour nous permettre de nous exprimer de la même voix pour défendre, préserver, protéger et mettre en oeuvre les intérêts et les droits de toutes les Premières nations au Manitoba par une action politique et socio-économique.
Les Premières nations ou les Indiens inscrits sont l'un des trois peuples autochtones reconnus à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Cet article reconnaît également les droits existants et ancestraux et issus de traité des Premières nations. Malheureusement, les politiques du Canada sont loin de concorder avec ses obligations constitutionnelles, comme on le voit dans le cadre stratégique ou législatif très étroit concernant les citoyens des Premières nations. Il est évident qu'il faut fondamentalement changer l'ensemble des institutions.
Il y a deux ans, la Canada West Foundation a lancé la Urban Aboriginal Initiative qui devait cerner les principaux secteurs d'intervention, explorer différentes options et solutions, souligner certaines idées et pratiques prometteuses et encourager le dialogue sur les problèmes autochtones. Le rapport final qui a été publié le 13 février 2003 présente plusieurs recommandations à l'intention des gouvernements à tous les échelons.
On recommande notamment que le gouvernement fédéral transfère une partie de ses dépenses de programme autochtone des réserves aux centres urbains, en particulier aux grandes villes, puisque les chiffres récents de Statistique Canada indiquent que 50,6 p. 100 de la population autochtone vit en dehors des réserves.
Le rapport est muet sur les raisons pour lesquelles les Premières nations quittent leur collectivité. La migration en dehors des réserves vient en grande partie de la pénurie de services, notamment, mais pas exclusivement, de logements, de programmes sociaux, d'emplois et d'infrastructures, qui limitent les chances des Autochtones. Ceci est dû aux ressources financières limitées que reçoivent les Premières nations. Un bon examen, fondé sur un budget en fonction des besoins, indiquerait que des ressources supplémentaires sont nécessaires, ne serait-ce que pour atteindre les normes minimums à assurer au reste de la population par les provinces dans le cadre de l'Entente-cadre sur l'union sociale.
Malheureusement, les Premières nations, en vertu de la Loi sur les Indiens, ne reçoivent pas d'argent pour les programmes et services assurés à leurs membres en dehors des réserves, bien que nous soyons politiquement responsables devant ceux-ci.
Les décisions de la Cour suprême du Canada, Corbiere, Delgamuukw et Musqueam, ont aidé à clarifier et à confirmer les responsabilités d'une bande vis-à-vis de ses membres hors réserve. Ces décisions confirment aussi les positions des Premières nations quant à la transférabilité des droits ancestraux et issus de traités de leur peuple et des gouvernements des Premières nations.
Les peuples des Premières nations ont bénéficié de très peu de ressources pour aider leurs membres obligés de faire la transition vers la vie urbaine. Si les Premières nations hors réserve ne bénéficient pas des services assurés dans les réserves, ce n'est pas la faute des Premières nations. C'est contraire aux intérêts, à la tradition et à la politique des Premières nations. Les Premières nations veulent faire beaucoup plus pour aider leurs membres, soutenir l'ensemble de leur peuple et renforcer les liens sociaux et culturels.
La transition entre les réserves et les régions métropolitaines peut être assimilée à la migration au Canada à partir d'un autre pays. Or le gouvernement canadien ne finance pas de programmes de transition pour les ressortissants des Premières nations comme il le fait pour les immigrants arrivant au Canada. Pour chaque dollar consacré aux programmes de transition des Autochtones au milieu urbain, on en dépense 20 pour la transition et l'établissement des immigrants.
Un des plus gros problèmes pour beaucoup des membres des Premières nations est de conserver leur identité culturelle. Ce n'est pas parce qu'ils se retrouvent en milieu urbain que les membres des Premières nations cessent d'êtres membres des Premières nations. Ils restent le peuple qu'ils ont toujours été — Cris, Dénés, Oji-Cree, Ojibway et Dakota.
La difficulté qu'ont les membres des Premières nations à exprimer leur identité autochtone et à la transmettre à leurs enfants est très grande pour ceux qui habitent dans des villes. Ainsi, lorsque l'on élabore et met en oeuvre des programmes et une politique officielle, est-il essentiel de tenir compte de la culture, de la langue, du protocole et du style de vie des peuples des Premières nations.
L'Assemblée des chefs du Manitoba s'est alliée à l'Institute of Urban Studies de l'Université de Winnipeg pour entreprendre une étude sur la mobilité des Premières nations. Il s'agissait d'une part de mieux comprendre les circonstances, les aspirations et l'expérience des membres des Premières nations qui ont déménagé à Winnipeg et, ce faisant, de mieux comprendre leurs besoins de services et la mesure dans laquelle ces besoins sont satisfaits.
Le rapport provisoire de cette étude a fait ressortir les conclusions suivantes: les principales raisons d'un déménagement à Winnipeg touchent à la famille, à l'emploi et aux études. Il s'agit en général d'une personne célibataire de 20 à 39 ans, sachant que 70 p. 100 de ce groupe gagne moins de 15 000 $ par an. Pour la majorité, ces gens sont venus en ville sans savoir où ils allaient loger. La période d'attente moyenne pour un logement subventionné à Winnipeg se situe entre deux et six mois. D'après ces statistiques, il est évident qu'il est nécessaire d'accroître les services pour faire en sorte que les citoyens de nos Premières nations puissent faire la transition sans trop de mal entre la vie rurale et la vie urbaine. Ceci doit inclure différents services qui répondent à leurs besoins variés, notamment en matière de logement de transition.
Ceux qui ont répondu au sondage ont également indiqué qu'ils aimeraient des services d'aide aux nouveaux venus des Premières nations afin de leur permettre de comprendre le système. Il faudrait aussi qu'il y ait une organisation des Premières nations qui s'occupe de la prestation des programmes sociaux.
Nous estimons que ces renseignements nous permettront d'améliorer les relations de travail entre les gouvernements et les Premières nations à Winnipeg pour évaluer et répondre aux besoins de services plutôt que de transférer des ressources des réserves dont le financement est uniquement fonction de la démographie des réserves.
Comme on l'a déjà dit, le gouvernement fédéral doit reconnaître la transférabilité des droits ancestraux et issus de traités des Premières nations. C'est ainsi que le gouvernement devrait accroître les fonds versés aux Premières nations afin que celles-ci puissent mettre sur pied et offrir des programmes à leurs citoyens dans les centres urbains.
Nous diffuserons les informations tirées de cette étude réalisée en partenariat avec vous.
Les Premières nations ont obtenu certains succès sur les plans culturels, administratifs, politiques et techniques au sein de leur collectivité, des conseils tribaux et au palier régional, et voudraient maintenant en faire autant dans les milieux urbains.
Les Premières nations veulent travailler avec les gouvernements à tous les échelons pour veiller à ce que les services voulus culturellement parlant soient en mesure de répondre aux besoins des membres des Premières nations qui vivent dans les centres urbains, en particulier des jeunes.
Les données du recensement 2001 indiquent que la population autochtone est beaucoup plus jeune que la population non autochtone. L'âge moyen des Autochtones au Manitoba est 22,8 ans, alors que l'âge moyen des non- Autochtones est de 37,7 ans.
Qu'est-ce que cela signifie pour la participation au marché du travail? Pour les études et la formation, le gouvernement et le secteur privé doivent considérer ces jeunes comme une ressource non exploitée parmi lesquels nous trouverons les chefs qui nous dirigerons plus tard. Ils veulent suivre des études, ils veulent recevoir une formation; ils veulent qu'on leur enseigne leurs traditions afin qu'ils puissent décider de leur propre cheminement.
Cela dit, je passerai maintenant la parole à Kathleen McKay, représentante des jeunes des Premières nations du Manitoba à l'Assemblée du conseil des jeunes des Premières nations. Merci.
Mme Kathleen McKay, Conseil des jeunes, Assemblée des chefs du Manitoba: Je tiens à vous remercier d'avoir invité les jeunes à être ici aujourd'hui et je remercie aussi mon conseil de m'avoir sélectionnée pour le représenter.
En vous parlant, je vais tenir cette plume d'aigle qui symbolise honneur et force. Les jeunes que nous sommes rencontrons quotidiennement des problèmes, non seulement personnels mais également propres aux Premières nations et c'est nous qui devrons maintenir l'honneur. Nous avons besoin d'autant de force que possible pour cela.
Bonjour. Je m'appelle Kathleen McKay et je suis membre des Premières nations de Pine Creek et membre aussi de la nation crie de Nisichawayasihk. Je disais que je suis la représentante nationale des jeunes au Conseil des jeunes des Premières nations du Manitoba et je travaille en étroite collaboration avec le Conseil national des jeunes de l'Assemblée des premières nations.
Nous avons préparé certaines notes d'information à votre intention. Nous insistons sur neuf points en particulier qui correspondent aux neuf points indiqués dans la Stratégie nationale concernant les jeunes Autochtones. Dans chaque catégorie, les jeunes ont fait des recommandations sur la façon d'aborder chacun des problèmes et insisté sur les principaux points.
Malheureusement, nous n'avons pu faire traduire ces documents et je vous prie de nous en excuser.
Je voudrais vous parler plus particulièrement de l'initiative du Conseil des jeunes des Premières nations du Manitoba et, surtout, vous présenter notre vision, nos idées et ce que nous essayons actuellement de réaliser.
Je commencerai par vous parler de cette initiative. C'est une initiative du Conseil régional des jeunes qui repose sur les problèmes et les recommandations présentés chaque année par les Jeunes des Premières nations du Manitoba. Les recommandations sont faites par des jeunes à des rassemblements régionaux de jeunes et sont mises en oeuvre par deux groupes très importants: le Secrétariat des jeunes de l'Assemblée des chefs du Manitoba, et Jason Whitford, à ma gauche, en est le coordonnateur régional, et le Comité consultatif des jeunes des Premières nations du Manitoba. Ce comité compte 16 membres et le Département des jeunes de l'Association compte sept permanents. Ce sont ces deux groupes qui collaborent avec des bénévoles à la mise en oeuvre des idées et recommandations des jeunes de toute la province.
D'autre part, l'Assemblée des chefs du Manitoba nous aide beaucoup en nous offrant des possibilités de stage, si bien que nous avons maintenant de jeunes stagiaires qui travaillent ensemble à des initiatives menées par des jeunes, notamment à l'élaboration et à la mise en oeuvre de programmes.
Je voulais simplement mentionner les rassemblements régionaux de jeunes. Chaque année, nous avons un rassemblement de jeunes — nous en avons déjà eu cinq puisque le conseil existe depuis cinq ans — et nous nous faisons mieux connaître par les jeunes qui s'intéressent davantage à ce que nous faisons. Nous avons un thème chaque année et cette année ce thème sera les études et le leadership. Nous avons également des élections annuelles de nos jeunes représentants et c'est donc une occasion d'initier les jeunes au processus politique, notamment aux élections, aux campagnes, au choix des dirigeants. Nous essayons vraiment de les encourager de voter aux différentes élections dans la région.
Les chefs des Premières nations nous soutiennent beaucoup et c'est la façon dont a vu le jour le Département des jeunes de l'Assemblée des chefs du Manitoba ainsi que le Conseil des jeunes. Les chefs ont soutenu cette idée par voie de résolution. Ils continuent de nous aider et c'est ce qui fait notre force et nous permet de sensibiliser les autres à notre présence et au genre de travail que nous essayons de faire. À l'heure actuelle, nous nous efforçons de conserver les appuis que nous avons tout en essayant d'en trouver d'autres dans toute la hiérarchie.
Une des recommandations et des initiatives à laquelle nous nous attelons est un institut des jeunes chefs qui pourrait permettre à nos jeunes d'acquérir des qualités de chef et de se préparer à diriger. Nos chefs actuels ont de grosses difficultés, comme le disait le grand chef White Bird, et nous voulons préparer les jeunes à reprendre les rênes. On dit souvent que les jeunes sont nos futurs chefs mais je considère que les jeunes sont aussi nos chefs et que nous les préparons simplement à prendre la place.
Nous visitons beaucoup de localités, notamment des centres urbains. Nous savons qu'il y a une forte concentration de jeunes dans les centres urbains et nous avons ainsi des consultations régulières. Que nous soyons invités à faire un exposé ou à organiser un atelier, nous en profitons également pour consulter et sensibiliser les jeunes. Nous les interrogeons sur la situation dans leur collectivité et sur la façon dont nous pouvons les aider.
L'un des principaux problèmes soulevés par la jeunesse concerne le manque de centres pour jeunes, le manque de centres de ressources, et c'est pourquoi nous avons travaillé sur l'inclusion des communautés des Premières nations. L'initiative Keewatin pour les jeunes de Winnipeg est actuellement financée par le Centre polyvalent urbain des jeunes Autochtones, et nous avons toujours cherché l'occasion de préconiser l'inclusion des Premières nations, qui répond à un véritable besoin. Presque toutes les communautés que nous avons visitées ont évoqué la nécessité de centres pour les jeunes.
L'Assemblée des premières nations a adopté une résolution concernant l'inclusion des Premières nations dans cette initiative, car elle est excellente et elle a donné de bons résultats. Je vous parlerai tout à l'heure de l'initiative Keewatin pour les jeunes de Winnipeg, qui fait partie des mesures que nous avons prises et dont les résultats sont très positifs. Si nous pouvons proposer des programmes de ce genre aux communautés des Premières nations, je suis convaincue que les jeunes du Manitoba en profiteront largement.
Nous avons aussi une stratégie de communication. L'un de nos agents rédige un bulletin, et nous avons un site Web destiné à l'Assemblée des chefs du Manitoba. Nous essayons également de créer une base de données environnementales. La responsabilité dans la promotion du respect et de la protection de l'environnement fait partie de nos priorités.
Je voudrais vous parler de l'initiative Keewatin pour les jeunes de Winnipeg, tout en réservant du temps pour les questions. Je préfère vous fournir l'information que vous souhaitez obtenir plutôt que de vous faire de longs discours.
L'initiative Keewatin pour les jeunes de Winnipeg est un programme axé sur les jeunes. Il est géré par de jeunes coordonnateurs. Il a été créé il y a deux ans et compte actuellement 32 participants. Au cours de la première année, 20 personnes y ont participé, et ce fut d'emblée une réussite. Il concerne le quartier nord de Winnipeg. C'est un projet holistique. Il est axé sur les quatre éléments du bien-être personnel et il aide les jeunes à étendre leurs compétences. On apprend aux jeunes à mener une vie équilibrée, à se préparer à l'emploi et à reprendre leurs études. C'est aussi l'occasion d'améliorer les relations avec d'autres organismes partenaires pour faire du bénévolat ou pour faire un stage.
Je crois que vous devez dîner ce soir avec les participants de l'initiative Keewatin auprès des jeunes de Winnipeg et je suis sûre que vous serez très impressionnés par ce qu'ils auront à vous dire de leur expérience très positive au sein de ce programme.
Nous allons présenter une demande de financement permanent pour la phase 3, et nous espérons qu'elle sera acceptée.
J'espère que vous avez hâte de rencontrer ces jeunes. Ils sont très convaincants; ils reviennent de loin, et c'est tout à fait évident. On le voit à leur sourire et à leur enthousiasme.
J'aimerais terminer sur cette note. Je vous remercie de m'avoir écoutée et j'espère pouvoir répondre à vos questions.
Le sénateur St. Germain: De toute évidence, vous avez bien expliqué les problèmes que rencontrent nos jeunes dans l'ensemble du pays, et qui sont particulièrement fréquents au Manitoba, comme sans doute en Saskatchewan et en Alberta, d'où je suis originaire. Je suis né près de la rivière Assiniboine, à l'ouest de Winnipeg, et je connais bien le clan McKay, avec lequel j'ai d'ailleurs des liens de parenté.
Ma question concerne le financement transitoire. Comment faire pour ne pas rendre les Autochtones dépendants de l'assistance sociale? Je comprends qu'il faut les éduquer et leur donner un sentiment de fierté, mais comment éviter qu'à l'occasion de cet exode des réserves vers les centres urbains, ils ne tombent dans la dépendance financière, et comment faire en sorte qu'ils deviennent autosuffisants? Pour moi, c'est la principale question. Parmi les jeunes que j'ai connus près de la rivière Assiniboine, je suis le seul qui ait terminé ses études secondaires. La plupart d'entre eux sont morts d'alcoolisme ou de toxicomanie. Les autres sont pratiquement tous assistés sociaux. Voilà ce que je crains. Madame McKay, vous avez parlé du Centre Keewatin qui applique un point de vue holistique, mais j'ai quand même mes craintes. Le pire qui puisse arriver, c'est la dépendance envers l'assistance sociale. Comment l'éviter? Pouvez-vous nous aider sur ce point?
M. White Bird: Je vais essayer de répondre sur la transition et sur la dépendance. Les Premières nations n'ont pas choisi de dépendre des fonds publics. Je dirai même d'emblée que nous étions très indépendants avant que les gouvernements ne légifèrent pour venir en aide aux gens des Premières nations. Nous étions une nation autosuffisante, nous avions notre terre, nos ressources, et nous assurions la subsistance de nos familles. Nous étions très fiers de ce que nous avions réalisé.
En réponse à votre question, je crois qu'il faut s'occuper de nos jeunes en veillant à plusieurs facteurs, notamment à la qualité du logement, à la qualité de l'éducation et à la bonne organisation des services de soutien. Il faut leur assurer la stabilité. Quand on a un bon foyer, une bonne école et une bonne famille, on améliore ses chances de succès. Il faut que les jeunes puissent assumer leur culture entre eux.
Par ailleurs, la question de la responsabilité de ce programme est essentielle.
Dans mes commentaires, j'ai signalé que lorsque les immigrants arrivent au Canada, ils bénéficient beaucoup plus que nous de services de soutien. Le financement des collectivités des Premières nations est proportionnel à leurs effectifs, au nombre de personnes qui vivent dans les réserves. Les Autochtones qui vivent à Winnipeg ne reçoivent rien. Il n'y a pas de soutien transitoire pour eux. Ils sont laissés à eux-mêmes. Il y a là un besoin essentiel, quand les statistiques montrent que 50,6 p. 100 de notre population autochtone vit à Winnipeg même. Nos jeunes sont très nombreux et si on ne commence pas à préparer leur avenir, la ville de Winnipeg va se retrouver avec la plus forte proportion de population autochtone, avec le plus haut taux de chômage et, vraisemblablement, avec le taux de criminalité le plus élevé.
J'ai eu l'occasion de visiter le Centre des jeunes de Winnipeg, qui s'appelle Agassiz, je crois, dont 90 p. 100 de la clientèle est autochtone. Il en va de même dans les établissements pénitentiaires provinciaux, qui sont tous peuplés d'Autochtones.
Il faut renverser ces statistiques. Il faut que la population des centres pour jeunes détenus et des prisons réintègre la population active.
Le sénateur St. Germain: Vous dites qu'il n'y a aucun financement actuellement pour les Autochtones en milieu urbain. Comment sont financés le centre Keewatin et le centre Agassiz dont vous parlez?
M. White Bird: Le centre Keewatin pour les jeunes est financé par le ministère du Développement des ressources humaines, mais les Premières nations ne reçoivent aucune ressource réservée au soutien de la jeunesse.
Le sénateur St. Germain: Merci.
M. White Bird: Plusieurs programmes bénéficient d'une modeste allocation, mais le plus souvent, il n'y a pas d'argent.
Le sénateur St. Germain: Je pense qu'il y a deux choses qui manquent, pour lesquelles je n'entrevois aucune solution. J'ai rencontré de nombreux chefs autochtones dans l'ensemble du pays. Il y a des gens qui ont un mode de subsistance traditionnel et qui, comme vous l'avez dit, sont généralement très fiers. Mon père n'est jamais allé à l'école. Il était trappeur. Ce n'est peut-être pas le cas dans votre famille, madame McKay, mais bien souvent, les Autochtones plus âgés n'ont reçu aucune éducation officielle.
Je crains que si les Autochtones ne sont pas motivés par quelque chose, s'ils n'ont pas de héros auxquels ils puissent se référer, il sera très difficile de les motiver et de leur insuffler une inspiration quelconque. Je ne sais pas comment on pourrait agir à ce sujet, mais je pense à certains Autochtones, comme Kim Bell et d'autres, qui ont fait des choses extraordinaires. Que peut-on faire à cet égard?
Mon autre question concerne la spiritualité. Je pense que l'individu qui n'a pas une bonne base spirituelle se sent perdu dans un monde déterminé par le matérialisme, qui n'apporte pas les bonnes réponses.
Je sais qu'il peut paraître bizarre de discuter d'un tel sujet dans une séance comme celle-ci, mais j'ai toujours préconisé que chaque communauté des Premières nations ait, dans sa réserve ou sur son territoire, un endroit où les Autochtones, même ceux qui vivent dans une ville comme Winnipeg, puissent venir chercher un réconfort spirituel, se livrer à des activités culturelles; ces locaux devraient être à perpétuité la propriété de la collectivité autochtone et n'être assujettis à aucune taxe. C'est notamment pour cette raison que je me suis opposé à l'accord Nisga'a, car la taxation mène à l'expropriation et les générations futures risquent de perdre les biens collectifs.
Mme McKay: Je suis d'accord avec vous en ce qui concerne le manque de motivation. Les jeunes reconnaissent que l'argent ne peut pas servir de motivation. C'est dans les êtres humains qu'il faut la chercher. Dans la solution que nous proposons, il faut que les programmes soient gérés par des Autochtones, par des personnes qui peuvent servir d'exemple vivant de ce qu'il est possible d'accomplir. C'est pourquoi nos programmes pour les jeunes sont gérés par des jeunes, car nous voulons leur montrer qu'il n'est pas indispensable d'habiter une grosse maison en ville et de fréquenter une école prestigieuse pour savoir de quoi on parle et pour être capable de faire de l'enseignement. C'est le principe que nous avons adopté, et nous avons la responsabilité de l'enseigner aux jeunes. Nous espérons pouvoir en convaincre le plus grand nombre.
En matière de spiritualité, les gens des Premières nations s'efforcent d'appliquer des principes de vie holistiques. Ce sont des principes que nous nous efforçons d'enseigner, non seulement aux Autochtones, mais aussi aux autres. Cette compréhension est essentielle, et elle nécessite que l'on éduque les non-Autochtones.
Dans son introduction, le sénateur Chalifoux a dit que nous avons déjà fait l'objet d'innombrables études, mais je ne suis pas d'accord. Je pense qu'il faut encore étudier les Autochtones. Il faut savoir ce qu'il en est. Les études actuelles ne donnent pas une image juste des gens des Premières nations. Elles insistent sur tous les problèmes que nous connaissons, mais il faut maintenant commencer à parler de nos atouts car ce sont eux qui permettront de nous émanciper et de nous sortir de la dépendance.
M. White Bird: Le plus grand défi, pour les gens des Premières nations, c'est de faire renaître leur spiritualité. L'action des pouvoirs publics, les lois et les règlements fédéraux nous ont empêchés de pratiquer notre spiritualité, ce qui a eu de graves conséquences pour nous. Les pensionnats nous ont incités à renoncer à notre spiritualité, à notre sens de l'appartenance à une Première nation, disons même à notre «indianitude». Le gouvernement s'est efforcé de nous assimiler et de faire de nous des Canadiens, ce que nous ne serons jamais. Nous sommes des gens des Premières nations. Au départ, nous avions notre propre mode de vie, que rien ne pourra effacer. Nos jeunes commencent à découvrir leur identité. Nous préserverons notre culture tant que nous vivrons, et malgré les défis, nous allons survivre.
Nous avons survécu à près de 600 ans d'empiétement où nous avons perdu notre terre, nos ressources et certaines de nos nations, mais cela ne veut pas dire que celles qui restent vont subir le même sort. Nous allons continuer à pratiquer nos langues et nous nous efforcerons de récupérer notre terre et nos ressources. Autrefois, nous avions notre propre économie. Nous l'avons toujours dans une certaine mesure, grâce à nos territoires traditionnels. Certains ont l'impression que nous avons renoncé à notre terre, que nous l'avons vendue, mais ils sont très loin de la vérité. Nous considérons que cette terre nous appartient toujours. Elle fera toujours partie de notre culture et nous ne nous en séparerons jamais. Nous luttons aujourd'hui pour préserver nos langues autochtones et pour les enseigner à nos jeunes et à nos enfants.
Nous avons nos héros. Ce sont nos aînés, car tout d'abord ils préservent notre langue. Ce sont nos historiens et ils nous enseignent notre culture.
Nous avons des personnalités comme John Kim Bell, Phil Fontaine et Ovide Mercredi. Nous avons des médecins, des avocats, des professionnels. Ce sont nos héros et nous continuons à les vénérer. Une fois que nous aurons redonné leur fierté aux jeunes, ils auront retrouvé leur langue, leur culture et leur identité, ils s'efforceront de réussir avec plus de conviction.
Je suis d'accord avec vous sur les centres de guérison. Donnez-nous l'argent pour les offrir à nos communautés. Ils nous aideront à préserver notre culture, notre langue et notre fierté, car c'est essentiel. J'ai eu l'occasion de me rendre dans le nord de l'Ontario, et j'ai vu ces constructions traditionnelles que l'on appelle les maisons rondes, qui sont de tradition ojibway. C'est là que les Ojibway se réunissent pour leurs activités culturelles, leurs cérémonies et leurs danses. Ces édifices sont polyvalents. Je considère que chaque communauté des Premières nations devrait avoir le sien.
Le sénateur Johnson: La ministre Sheila Copps était ici il y a deux semaines et elle a libéré un montant important pour l'enseignement de la langue crie. Vous avez parlé de l'importance de la langue. Pour vous, cette initiative est-elle positive? Est-ce qu'elle va vous aider à atteindre les objectifs dont vous avez parlé en ce qui concerne votre culture, vos héros et vos jeunes?
M. White Bird: Je ne connais pas exactement ce montant, mais il est important. C'est plusieurs millions de dollars.
Le sénateur Johnson: Je crois qu'il s'agit de 2,7 millions de dollars pour l'enseignement de la langue crie.
M. White Bird: Je croyais que c'était davantage.
Le sénateur Johnson: Le montant total est peut-être supérieur.
M. White Bird: Je crois qu'on a annoncé environ 100 millions de dollars pour l'enseignement des langues sur une période de cinq ans. Néanmoins, si l'on répartit ce montant entre toutes les collectivités autochtones du pays, dans les dix provinces et les deux territoires, on obtient environ 8 millions de dollars par province et par territoire. Ces 8 millions de dollars doivent être répartis parmi les Indiens inscrits, les Métis, les Indiens non inscrits et les Inuits sur une période de cinq ans. Je crois que le montant accordé au Manitoba est d'environ 500 000 $ par an, à répartir entre les cinq groupes linguistiques, dont chacun recevra environ 100 000 $. Je tiens quand même à dire que l'on dépense des millions de dollars pour faire la promotion de l'anglais et du français en tant que langues officielles au Canada. Nos langues sont les premières langues du pays et ne sont même pas reconnues en tant que telles.
Le sénateur Pearson: J'ai beaucoup apprécié votre exposé ainsi que le travail que vous faites ici. J'ai jeté un coup d'oeil à votre document et à vos recommandations. J'en ai retenu deux. La première concerne les questions politiques, car ce qui nous intéresse, ce sont les jeunes, l'emploi des jeunes et les décisions prises par les jeunes; vous avez parlé de formation en leadership et de tout ce que cela comporte. Ce que vous dites des questions politiques ne concerne pas uniquement des jeunes des Premières nations. Vous parlez au nom de presque tous les jeunes. J'entends toujours le même message, d'où qu'il vienne. Les jeunes se plaignent de ce qu'on ne les écoute pas. Les médias donnent d'eux une image négative, on les oublie toujours après les élections et ils ne sont pas intégrés au processus politique. Pour vos jeunes, ce sont là les vrais problèmes.
Vous avez des droits individuels et des droits découlant des traités; j'aimerais savoir ce que les jeunes pensent des questions concernant les droits de la personne et de leurs propres droits en tant qu'êtres humains. Est-ce que vous en avez discuté? C'est ma première question.
Mme McKay: Je vous répondrai d'expérience, puisque cela fait maintenant 10 ans que j'oeuvre auprès des jeunes du centre qui présentent des risques élevés.
Les milieux dans lesquels évoluent les jeunes leur laissent croire qu'ils ne comprennent pas les limites; de plus, je le disais déjà, on assiste à une grande dépendance de leur part, à tel point qu'ils ne se considèrent pas comme des individus, mais comme Autochtones faisant partie d'un groupe d'Autochtones. Et je ne pense pas uniquement aux abus auxquels fait face notre peuple, mais je pense aussi à ce qui se passe dans notre quotidien, chaque fois que nous allons au magasin, par exemple. Nos jeunes ne connaissent pas leurs droits.
Après avoir fait une évaluation des besoins dans ma collectivité, j'ai constaté que certains jeunes ne savaient même pas ce que signifiait le racisme. Pourtant, ils en font les frais, et ils peuvent décrire le racisme comme expérience, sans toutefois se rendre compte qu'il s'agit de racisme, de discrimination ou même de stéréotype. Ils sont victimes de cette façon de voir à bien des différents niveaux, mais sans pour autant comprendre que cela se fait en violation de leurs droits. Voilà pourquoi je dis qu'ils ne sont pas sensibles à leurs droits et ne comprennent pas qu'ils ont droit d'être respectés comme individus.
Le sénateur Pearson: Vous avez tout à fait raison, parce qu'à la base même des droits de la personne on trouve le sentiment de respect à titre d'être humain. C'est d'ailleurs ce sur quoi met l'accent la Convention contre la discrimination et pourquoi il est important de continuer à informer la jeunesse, comme vous le faites.
J'aborderai maintenant la question de la santé. Nous avons entendu beaucoup de jeunes nous faire part de leurs préoccupations au sujet de la sexualité. On a beaucoup parlé de grossesse chez les adolescentes, de prostitution, et cetera, comme étant à certains égards une forme d'exploitation résultant de l'inadéquation ou de l'absence d'information sur ce que peut être une sexualité saine. Je me demandais si c'était une priorité chez vos jeunes.
Beaucoup de ceux qui nous ont parlé nous ont expliqué que c'était prioritaire pour eux, et qu'il devrait y avoir plus d'action sociale, plus de cliniques, et qu'il fallait permettre plus volontiers aux jeunes d'explorer leur sexualité et d'en discuter pour mieux comprendre ce qu'est la saine sexualité, à quel point elle est importante dans le contexte humain, et ce qu'elle représente par rapport à l'amour, plutôt que de la mettre dans le même panier que toutes les autres interdictions. Je sais que la question est vaste, mais que pouvez-vous répondre à cela?
Mme McKay: Vous avez raison de dire que c'est sans doute là une des trois grandes priorités pour la jeunesse. Plutôt que de grossesse chez les adolescentes, on peut même parler de l'art d'être parent quand on est adolescent. C'est une vision que nous espérons insuffler en créant un institut du leadership chez les jeunes.
Éduquer ne signifie pas uniquement enseigner aux jeunes dans une salle de classe. Éduquer est une tâche sans fin.
Vous avez raison de parler des interdictions: justement, lorsque nous visitons nos collectivités, nous cherchons à nous éloigner des interdictions que vous mentionniez. De plus, il faut que les dirigeants emboîtent le pas et en fassent la promotion dans leurs propres collectivités. Il est important que les dirigeants le fassent aussi.
Le sénateur Pearson: Donc, l'éducation serait l'une des trois priorités que vous avez mentionnées.
Mme McKay: L'une d'elle, ce serait la grossesse chez les adolescentes. Lorsque nous tentons de cerner les grands problèmes, nous faisons souvent un exercice que nous appelons l'identification des obstacles et des solutions, et nous avons constaté que la grossesse chez les jeunes est sans doute l'une des trois priorités mentionnées.
Le sénateur Pearson: Et quelles sont les deux autres?
Mme McKay: L'alcoolisme et les drogues. On pourrait aussi ajouter l'absence de loisirs.
Le sénateur Pearson: Merci beaucoup, et bonne chance.
Le sénateur Chaput: Grand chef, vous avez dit que la politique canadienne ne répondait à vos besoins, et je suis d'accord. Vous avez également dit qu'il fallait se pencher sur les grands secteurs d'intervention. Vous nous avez ensuite donné des exemples de services essentiels, tandis que ce document-ci produit par les jeunes décrit les problèmes et formule des recommandations.
Je m'adresse à nos deux témoins: lorsque l'on a envisagé de hausser le financement et de réaffecter les fonds différemment en vue d'aider la jeunesse, vous avez demandé que l'on vous donne les fonds. Quel serait l'organisme qui recevrait les fonds, quelle en serait la structure et qui y serait représenté? De plus, comment ferez-vous en sorte pour que les jeunes Autochtones prennent part à la prise de décisions, puisqu'ils seront les dirigeants de demain?
M. White Bird: Merci de votre question.
Laissez-moi vous décrire la structure politique qui existe ici au Manitoba, où l'on compte environ 63 collectivités distinctes des Premières nations. L'organisation politique qui chapeaute le tout, l'Assemblée des chefs du Manitoba, s'occupe essentiellement des aspects politiques. Moi-même, je ne suis chargé d'aucun programme ni d'administrer des sommes versées dans le cadre d'un programme, à l'exception d'un seul, qui ne me satisfait pas, et c'est celui de Développement des ressources humaines Canada. Il s'agissait d'un programme de services à guichet unique de DRHC en vertu duquel nous avions accepté un accord de contribution devant regrouper toutes les ressources pour qu'elles servent à la formation dans toutes les localités des Premières nations. Mais la difficulté qui se pose dans l'administration des fonds est de nature politique. Ce qui fait problème, en effet, ce sont les relations que j'ai avec les chefs et la façon dont l'argent est réparti. Nous sommes en train de créer une entité indépendante qui sera chargée d'administrer l'ensemble des fonds; elle resterait néanmoins liée à l'assemblée, qui est l'organisation centrale, car elle rendrait compte au chef. Ainsi, l'administration des fonds resterait à l'écart de la politique. Mais nous voulons aussi, en même temps, pouvoir faire confiance à un autre organisme qui administrerait les fonds et nous voulons développer les capacités qui existent déjà.
L'Assemblée des chefs du Manitoba fait appel à un comptable agréé qui s'occupe de faire rapport de tous les fonds qui parviennent à l'organisation. Nous avons déjà suffisamment de compétences au sein de l'assemblée pour administrer les fonds, pour en faire le compte rendu et pour s'assurer que les fonds sont bien versés au projet voulu, mais nous avons besoin de développer encore nos capacités tout en donnant des responsabilités à un agent d'administration.
Nous devons habiliter nos jeunes pour qu'ils assument des responsabilités et pour que, une fois que cela sera fait, ils puissent non seulement se rendre compte de leurs propres actes mais aussi rendre des comptes à l'agence de financement, pour que toutes les activités soient conformes au plan.
Le sénateur Léger: Certaines choses que j'ai entendues ce matin m'ont frappée.
Je tiens tout d'abord à vous remercier de vos propos et de la prière. Nous avons rencontré ce matin une jeune personne dont la vie reflète tous vos espoirs. Cette jeune personne fait preuve de spiritualité et étudie, je crois, l'économie à l'université. Il semble qu'elle soit à la veille de recevoir son diplôme, et sa présence en début de séance m'a beaucoup frappée.
Je crois qu'il y a de grandes différences entre les Autochtones et les immigrants. Il semble que l'on accorde aux immigrants une certaine identité, et qu'on dise: «Ce sont des Chinois», par exemple, ce qu'on oublie de faire avec les Autochtones. De plus, si j'ai bien compris, les services de soutien ne sont pas les mêmes entre ces deux groupes.
Ce qui m'a aussi frappée, c'est qu'en dépit d'un manque de ressources, les Autochtones agissent. Mme McKay a dit que les gens, et non l'argent, étaient la force motrice, et elle a tout à fait raison. Si on attend d'avoir de l'argent, rien ne se fera car il n'y en aura jamais assez. De grâce, enseignez comment faire aux non-Autochtones, car ils ont besoin de savoir. Mais peut-être y a-t-il des choses que je ne devrais pas dire ici. Les journaux mentionnent le versement de sommes. J'ai lu, la semaine dernière, que 341 000 $ avaient été versés à un chef. Pour quelle raison? Comprenez bien que c'est comme citoyenne que j'ai lu cela dans le journal. Mais qui a écrit l'article? Peut-être l'auteur a-t-il mal compris? Voilà ce qu'il nous faut savoir. Nous avons besoin de votre enseignement et de connaître l'histoire des Autochtones. Nous devons faire revivre la spiritualité.
Ce que vous faites me semble prophétique: vous faites côtoyer la culture autochtone et le multiculturalisme, tout cela avec vous comme point de départ; c'est l'impression que j'ai.
C'est tout ce que je voulais dire. C'est ce qui m'a frappée.
Le sénateur Johnson: Étant originaire du Manitoba et ayant grandi à Gimli et à Winnipeg, je connais bien bon nombre de ces problèmes, et j'ai pu moi-même les constater de visu toute ma vie.
Mais je suis également de ceux qui adoptent un point de vue positif des choses. Je suis vraiment très impressionnée par l'Initiative jeunesse Keewatin de Winnipeg, madame McKay, et je pense que ces initiatives sont l'un des éléments de la solution que nous recherchons.
Je voudrais en revanche que vous nous disiez, et je sais que le temps nous est compté, comme toujours, combien de centres jeunesse nous avons actuellement. Je n'en suis pas sûre. Et à votre avis, quel est le principal résultat positif attribuable à ces centres?
Mme McKay: Vous parlez des centres de ressources?
Le sénateur Johnson: Vos centres, de même que les centres d'accueil. Je vais souvent m'entraîner au YWCA, et j'y vois beaucoup de jeunes le soir, ou même l'après-midi, des enfants qui sont en garderie, des centres pour jeunes, car nous avons des programmes à leur intention. Certes, je suis tout à fait acquise à l'idée qu'il faut offrir à la population, peu importe de qui il s'agit, des activités récréatives pour améliorer la santé. J'aimerais simplement savoir combien de centres pour jeunes gens existent actuellement, et quelles sont les initiatives que vous avez lancées? Est-ce que les jeunes gens continuent à affluer et à participer?
Mme McKay: À part les centres jeunesse pour la population en général, par exemple les clubs pour petits garçons et petites filles, il y a le centre d'amitié dans le cas plus particulier des Premières nations ou des jeunes Autochtones.
Le sénateur Johnson: S'agit-il du modèle qui a produit les meilleurs résultats chez vous jusqu'à présent?
Mme McKay: L'Initiative jeunesse Keewatin de Winnipeg?
Le sénateur Johnson: Non, le centre d'amitié.
Mme McKay: Je ne dirais pas que ce n'est pas une réussite, mais ce n'est pas non plus la plus grande réussite que nous ayons connue. C'est une réponse qui n'est peut-être pas très objective, mais l'Initiative jeunesse Keewatin de Winnipeg est probablement le meilleur programme que j'ai pu voir, non seulement parce qu'il est axé sur l'aspect loisirs, mais également parce qu'il produit des résultats dans les quatre volets de l'épanouissement personnel. Pour moi c'est un modèle de réussite. Et c'est précisément cela que nous encourageons nos collectivités à faire, adopter une approche globale parce que ce n'est pas simplement l'aspect loisirs, il faut également instiller des valeurs et créer un sentiment d'appartenance et d'identité.
Le sénateur Johnson: Et ce centre a maintenant cinq ans?
Mme McKay: Non, c'est la deuxième année du programme.
Le sénateur Johnson: La deuxième année? Mes renseignements étaient donc faux.
La présidente: Est-ce financé par l'Initiative des centres urbains polyvalents pour les jeunes Autochtones?
Mme McKay: Oui.
La présidente: C'est cela que je voulais vous demander, et je sais que le temps nous est mesuré et que le sous-ministre est ici, mais est-ce que vous avez des critiques à l'encontre de la formule de financement de l'Initiative des centres urbains polyvalents pour les jeunes Autochtones?
Mme McKay: En effet, plusieurs. Tout d'abord, cette initiative n'est pas au service des collectivités des Premières nations. Je vais peut-être laisser M. Whitford répondre à cette question parce que c'est lui qui négocie pour nous.
La présidente: N'oubliez pas qu'il s'agit ici d'un problème urbain dont nous parlons. Nous avons entendu beaucoup de critiques concernant les problèmes de financement de l'Initiative.
Mme McKay: Je vais m'en remettre à M. Whitford.
M. Jason Whitford, coordonnateur régional pour la jeunesse, Assemblée des chefs du Manitoba: Bonjour et merci de nous écouter.
L'un des principaux problèmes qui se pose dans le cas de l'Initiative des centres urbains polyvalents pour les jeunes Autochtones est le niveau de financement que nous recevons. Les projets qui sont ainsi financés sont des projets à court terme, ce qui ne nous permet pas de mettre à exécution quelque plan que ce soit à long terme. Nous avions recommandé qu'on nous laisse coordonner les projets pour Winnipeg. Nous voulions savoir ce qui se passait partout en ville parce que les différents projets se déroulaient un peu en vas clos.
Le niveau de financement, l'échéancier et la procédure d'approbation sont autant d'éléments qui posent problème. Notre projet se termine le 31 mars et nous avons déposé une nouvelle demande pour un financement de suivi qui nous permettrait de répondre aux besoins. À l'origine, nous voulions intervenir pour répondre aux besoins dans le quartier nord de Winnipeg, mais nous avons découvert que le problème était le même partout en ville et que même les collectivités rurales nous avaient demandé de réserver des places pour les jeunes qui migraient vers la ville, afin d'utiliser cela comme un programme de transition pour aider les étudiants à s'acclimater à Winnipeg.
Les membres du personnel attachés au projet travaillent d'arrache-pied, mais je crois savoir qu'il n'y en a que deux pour s'occuper du dossier à Winnipeg. Nous pouvons d'ailleurs les féliciter pour le Comité consultatif jeunesse qui supervise le processus d'approbation des projets et formule des recommandations.
Les plus gros problèmes sont l'incertitude quant au financement et l'insuffisance de ces fonds. Nous avions recommandé entre autres de financer un centre semblable à celui de Saskatoon, un centre dirigé par les jeunes des Premières nations pour les jeunes des Premières nations. C'est une formule qui a produit d'excellents résultats.
La présidente: S'agit-il du Centre White Buffalo à Saskatoon?
M. Whitford: Oui.
La présidente: J'aurais plusieurs questions à poser, mais je vais les garder pour ce soir étant donné que nous recevrons le sous-ministre. Vous pourrez poursuivre ce soir.
Je voudrais tous vous remercier d'être venus car vos témoignages ont été à la fois intéressants et instructifs.
Je voudrais ajouter une chose à propos des études. Il est grand temps que nous nous étudiions nous-mêmes car ce sont toujours des non-Autochtones qui nous ont étudiés.
Je voudrais maintenant souhaiter la bienvenue à M. Harvey Bostrom, sous-ministre des Affaires autochtones et du Nord du Manitoba.
M. Harvey Bostrom, sous-ministre des Affaires autochtones et du Nord, gouvernement du Manitoba: Je voudrais vous présenter les excuses de l'honorable Oscar Lathlin qui devait comparaître devant vous ce matin mais qui a dû décommander pour raison de maladie ce matin même, ce qui m'a obligé à intervenir au pied levé.
Ce dossier m'intéresse personnellement et professionnellement, de sorte que j'ai bon espoir de pouvoir bien m'acquitter de cette tâche.
Nous vous avons fait remettre plusieurs documents. Il y a ainsi un document intitulé «A Guide to Winnipeg for Aboriginal Newcomers» qui est publié par deux ministères provinciaux avec le concours de Développement des ressources humaines Canada. Il y a également un document intitulé «Education and Training as the Bridge to Employment». Je serai heureux d'en parler plus tard s'il y a des questions à ce sujet ou si cela vous intéresse.
Nous avons également fait distribuer un document intitulé «Aboriginal People in Manitoba» qui est également une initiative conjointe du gouvernement du Manitoba et du ministère du Développement des ressources humaines.
Je vais évoquer dans cette déclaration liminaire une bonne partie de ce que le ministre aurait voulu vous dire s'il avait pu être des vôtres aujourd'hui, et j'espère pouvoir le faire en utilisant mes mots à moi.
Par rapport à sa population totale, le Manitoba compte plus d'Autochtones que toute autre province au Canada. Au Manitoba, les Autochtones font face à d'énormes problèmes, comme c'est le cas partout au Canada. Selon les données du recensement de 1996, environ 10 p. 100 de la population active provinciale était des gens d'origine autochtone. Simultanément, le taux de chômage chez les Autochtones, toujours selon les données du recensement, était environ trois fois supérieur à ce qu'il était parmi les non-Autochtones. Il s'agit là bien évidemment d'un niveau inacceptable et nous devons tous nous employer à faire changer cela. D'ici 10 ans, les Autochtones de souche vont probablement représenter jusqu'à 25 p. 100 des nouveaux arrivants dans la population active provinciale et en même temps, plus d'un tiers des Autochtones dans la vingtaine n'ont aucune expérience du travail rémunéré.
Même après avoir fait des études, et vous le constaterez d'ailleurs dans certains documents que nous vous avons distribués, les Autochtones sont souvent défavorisés. Ainsi, un Autochtone ayant un diplôme d'études secondaires et collégiales a presque quatre fois plus de chance d'être au chômage qu'un diplômé non autochtone. Et même avec un diplôme universitaire, un Autochtone risque deux fois plus d'être chômeur qu'un non-Autochtone. Voilà qui représente manifestement un problème autant pour les Autochtones que pour les gouvernements, mais nous considérons cela également comme une potentialité, à la fois pour le secteur privé et le secteur public, un élément peut- être plus important encore.
Au Manitoba, la population active est vieillissante et dans plusieurs domaines déjà, les employeurs se demandent où ils vont, d'ici cinq à dix ans, trouver les travailleurs dont ils auront besoin pour remplacer ceux qui auront pris leur retraite. Par ailleurs, près de 40 p. 100 des Autochtones ont moins de 16 ans.
Comme l'a dit John Kim Bell, nous ne pouvons dissocier l'éducation de l'emploi. Nous croyons que la contribution récente du gouvernement fédéral à la Fondation nationale des réalisations autochtones, qui accorde des bourses d'études aux Autochtones, est un pas dans la bonne direction. Le centre pour Autochtones de Winnipeg, installé dans la vieille gare du CP, est à quelques pâtés de maisons d'ici. Je vous recommande vivement de visiter le centre, si vous en avez l'occasion, et vous verrez là un exemple extraordinaire d'innovation et de créativité de la part de gens autochtones, un exemple de ce qui pourrait être mis sur pied dans d'autres villes canadiennes. C'est un succès qui change à chaque année la vie de centaines d'Autochtones vivant en milieu urbain.
En face, on trouve la Circle of Life Thunderbird House, centre culturel et éducationnel pour les Autochtones mais aussi pour les non-Autochtones. Dans le même quartier se trouve le siège social de la Manitoba Metis Federation, qui sert aussi de point central pour les programmes et la prestation de services. De ce centre, on assure des services aux Métis à Winnipeg, mais aussi ailleurs au Manitoba. Leur agence de logement est très active et constitue probablement le propriétaire foncier le plus important dans la partie rurale du Manitoba du Nord, parce qu'elle gère des logements pour le compte de la SCHL et du ministère du Logement.
Je vous recommande donc la visite de ces centres à Winnipeg, qui vous permettra de constater le travail créatif et innovateur que font les Autochtones à Winnipeg.
La stratégie autochtone du Manitoba est axée sur le renforcement de l'éducation pour les Autochtones, l'élargissement de la formation et des débouchés. C'est également l'axe prioritaire d'un organisme unique établi il y a environ trois ans par les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux des Affaires autochtones et par le leadership autochtone national. Au cours des dernières années, ces derniers ont travaillé ensemble au sein de cette unique tribune que l'on appelle le groupe FPTA. Dans le cadre de leur travail, les ministres et fonctionnaires et les représentants d'organismes autochtones nationaux ont produit un rapport intitulé «Favoriser la participation des Autochtones à l'économie». Le rapport recommande de faire participer le secteur privé ainsi que le secteur public dans l'élaboration de partenariats visant à promouvoir la participation autochtone à l'économie.
Le Manitoba s'engage à utiliser ce rapport comme guide dans la promotion de l'activité économique et de l'emploi dans les collectivités autochtones et du Nord de toute la province.
Le groupe FPTA a également produit un autre rapport unique intitulé «Stratégie nationale pour la jeunesse autochtone», première stratégie nationale pour la jeunesse autochtone dans l'histoire du pays. Cette stratégie a été créée par des jeunes et pour des jeunes en partenariat avec les gouvernements provinciaux et fédéral et les leaders des organismes autochtones.
Les rapports appuient sur le fait que la participation du secteur privé est importante en vue d'augmenter l'emploi chez les Autochtones, élément vital à notre avenir collectif au pays. Au Manitoba, nous avons conclu un partenariat avec la Chambre de commerce de Winnipeg et le Business Council of Manitoba afin de réaliser cet objectif, et nous prévoyons étendre ce partenariat pour y inclure certains des employeurs les plus importants de la province.
Le gouvernement du Manitoba s'engage à augmenter le nombre d'Autochtones dans la fonction publique. À titre d'exemple, l'ancien ministère de la Conservation, qui relève de mon ministre, et qui est l'un des employeurs les plus importants de la fonction publique provinciale, a lancé une stratégie d'emploi pour Autochtones qui a connu beaucoup de succès et sert de modèle dans le recrutement et la rétention d'employés autochtones à tous les niveaux de la fonction publique. Hydro Manitoba connaît aussi un succès considérable dans ses efforts visant à augmenter le pourcentage d'Autochtones dans ses effectifs.
En 2001, le Manitoba a conclu un partenariat avec l'Office régional de la santé de Winnipeg pour promouvoir et accroître la représentativité des Autochtones chez les travailleurs de la santé. À titre d'exemple, l'Office régional de la santé de Winnipeg emploie quelque 27 000 personnes, soit près de deux fois le nombre de fonctionnaires que compte tout le gouvernement provincial. Conséquemment, l'Office représente un employeur de taille à Winnipeg et dans la région, et nous espérons, par cette entente, de promouvoir le recrutement et la rétention d'Autochtones à tous les niveaux d'emploi.
Depuis, nous avons signé des accords stratégiques de création d'emplois autochtones avec les offices régionaux de la santé de Norman et de Burntwood, les objectifs de ces accords étant d'augmenter la représentativité autochtone chez les travailleurs de la santé dans les régions du Nord de notre province.
Il y a deux semaines, un protocole d'entente semblable a été conclu entre le Manitoba Emergency Services College de Brandon et l'Assembly of Manitoba Chiefs. Ce protocole d'entente vise la promotion de la formation des Autochtones dans le domaine de l'intervention d'urgence, la recherche et le sauvetage et les programmes de lutte contre les incendies, afin d'encourager les gens à entreprendre des carrières dans le domaine des services d'urgence.
D'après notre analyse du marché du travail, les entreprises s'attendent désormais à ce que 70 p. 100 des nouveaux emplois exigent une éducation postsecondaire. L'un des problèmes — évidemment, cela va de soi — , c'est que les niveaux d'instruction chez les Autochtones ne répondent pas, hélas, à cette exigence. Au Manitoba, dans les réserves, moins de 30 p. 100 des jeunes, d'après le sondage de 1996, terminent leurs études secondaires. Un peu plus de 40 p. 100 ont complété leurs études secondaires hors réserve. Ce taux, comme vous pouvez le comprendre, nous préoccupe vivement. Les taux d'achèvement scolaire changent, mais pas assez rapidement.
Il nous faut une stratégie nationale globale en matière d'éducation autochtone, de formation et d'emploi également, qui puisse répondre aux besoins du secteur public ainsi qu'à ceux du privé, à savoir, les entreprises, qui créent la majorité des emplois. Il nous faut former nos jeunes gens pour qu'ils puissent participer pleinement à l'économie.
Pour le Manitoba, une stratégie d'emploi pour les Autochtones est un élément clé de toute stratégie globale autochtone et doit intégrer des éléments de formation et d'éducation.
La semaine dernière, le Manitoba annonçait qu'il versait 10 millions de dollars dans le cadre de la participation provinciale à la formation d'avant-projet pour les Autochtones du Nord en vue des futurs projets d'Hydro-Manitoba dans le Nord de la province. Nous sollicitons également une contribution du gouvernement fédéral. Une fois que ce dernier aura confirmé sa part, nous serons en mesure de former plus de 800 personnes en vue de l'exécution d'une série de projets d'Hydro-Manitoba dans le Nord, projets qui seront élaborés et exécutés au cours des dix ou vingt prochaines années. De tels emplois contribueraient de façon significative à accroître la participation des Autochtones du Nord de la province dans l'économie, ce que nous nous efforçons vivement de faire.
Les efforts que nous déployons en vue de développer notre économie septentrionale s'inscrivent dans le cadre de la stratégie de développement du Nord du Manitoba, qui circonscrit cinq priorités: le transport, la santé, l'emploi et la formation, le logement et le développement économique. Les efforts supplémentaires déployés pour encourager la formation des apprentis donnent de bons résultats et nous nous en réjouissons. Un rapport de Stats Canada publié la semaine dernière fait état d'une augmentation de 300 p. 100, depuis le dernier sondage, du nombre d'apprentis chez les Autochtones au Manitoba.
Nous espérons que, avec son nouveau campus au centre-ville de Winnipeg, le Red River College pourra faire grimper le taux de réussite. Les inscriptions dans les collèges et universités ont connu une hausse marquée au cours des trois dernières années en raison du gel des frais de scolarité par la province.
Le gouvernement du Manitoba est convaincu qu'il est temps d'inclure les travailleurs autochtones, et de leur permettre d'atteindre des nombres qui représentent vraiment notre population autochtone croissante. Accroître la scolarisation et accroître les taux d'embauche de travailleurs autochtones sont des objectifs que tous les gouvernements, le secteur privé et le milieu syndical au Canada devraient s'efforcer d'atteindre, à notre avis.
Le gouvernement du Manitoba a rétabli le financement à bon nombre d'organismes autochtones qui participent à cet effort — les centres d'amitié, les organismes autochtones comme l'Assemblée des chefs du Manitoba, la Manitoba Metis Federation et la Southern Chiefs Organization — et nous collaborons avec eux dans le cadre de plusieurs projets importants. Je vous cite la Child Welfare Initiative, Initiative de la protection de l'enfance, qui relève de l'AJI, Aboriginal Justice Inquiry. Cette seule initiative impliquera le transfert d'un budget annuel d'environ 100 millions de dollars aux autorités autochtones responsables des enfants. Pour la première fois dans l'histoire du Manitoba, les organismes autochtones et les peuples autochtones dirigeront les services de protection de l'enfance.
Des ministères du gouvernement manitobain collaborent également avec le Aboriginal Council of Winnipeg et Mother of Red Nation. Les deux organismes font de l'excellent travail.
Le gouvernement du Manitoba a signé un protocole d'entente, à la fin janvier 2003, avec les autorités fédérales et municipales en vue de l'élaboration de nouvel accord tripartite à Winnipeg. Cette entente portera résolument sur les Autochtones, comme il se doit.
Le ministère et le gouvernement du Manitoba s'engagent à soutenir leurs efforts pour éliminer les obstacles à la participation autochtone dans l'économie, et pour promouvoir et renforcer cette participation.
Comme je l'ai dit, j'ai apporté plusieurs exemplaires de documents dont on pourrait discuter ce matin si vous le souhaitez. Ce dépliant est petit mais est largement diffusé. Il s'agit d'un guide d'accueil à Winnipeg à l'intention des nouveaux venus autochtones. Il s'envole comme des petits pains. Au début, on y trouve une liste des services qui sont disponibles à Winnipeg pour ceux qui arrivent dans la ville pour la première fois: logement, transport, magasins, banques, santé et sécurité. Vous trouverez un certain nombre de citations intéressantes de gens qui travaillent dans ces divers secteurs, comme les agents de liaison autochtones dans les collèges et universités de Winnipeg, qui travaillent avec les nouveaux venus et les aident à s'installer.
Comme je l'ai dit, «Aboriginal People in Manitoba» est un document très précieux pour nous et ceux qui s'occupent des Autochtones. C'est un recueil de renseignements sur la situation des Autochtones au Manitoba qui comporte une partie spéciale à propos des jeunes. L'accent est surtout mis sur Winnipeg. Ceux qui l'ont lu m'ont dit que tous les Canadiens devraient le lire parce qu'il brosse le tableau de la situation des Autochtones au Manitoba, qui est très semblable à ce qui existe dans les autres provinces du pays.
L'autre document est en fait une présentation PowerPoint que nous avons préparée à partir de l'information qui est dans ce livre et dans d'autres. Elle contient des éléments intéressants dont je pourrais vous parler, si vous le voulez. La présentation s'intitule «Education and Training as a Bridge to Employment».
Nous nous réjouissons de l'occasion qui nous est donnée de faire un exposé ce matin et de l'intérêt que vous manifesté. Une des particularités culturelles de la population autochtone, c'est le cercle, et le fait que vous preniez la peine de venir ici à Winnipeg c'est comme si vous veniez à l'intérieur de notre cercle pour mieux nous comprendre. Comme vous l'avez dit tout à l'heure, il est important que tous les Canadiens se familiarisent et se sensibilisent à ces questions.
Le sénateur Pearson: Merci beaucoup de votre exposé. J'ai hâte de lire le livre et c'est donc sur d'autres points que je vais poser mes questions.
Ma curiosité a été piquée quand vous avez parlé de l'Aboriginal Justice Initiative et de l'initiative de la protection de l'enfance. Pourriez-vous nous parler un peu plus de ce programme?
M. Bostrom: Il s'agit plutôt de l'Aboriginal Justice Inquiry, l'enquête sur l'administration de la justice des peuples autochtones et initiative de la protection de l'enfance, qui sont issues des recommandations de la Commission d'enquête sur l'administration de la justice et les peuples autochtones. Elle avait proposé pour ce qui est des statistiques tenues sur les Autochtones dans le système judiciaire que les Autochtones aient leur mot à dire dans le système de protection de l'enfance autochtone et en aient le contrôle. Beaucoup d'Autochtones incarcérés au Manitoba ont, à un moment ou à un autre, été des clients du système de protection de l'enfance et rarement cela a-t-il été une expérience heureuse.
D'après ce que nous avons connu, les Premières nations qui ont fait fonctionner des agences de protection de l'enfance dans la province depuis plusieurs années dans les réserves ont fait beaucoup mieux que les non-Autochtones. Ils ont obtenu des résultats notables dans des secteurs importants comme abaisser le nombre d'enfants pris en charge et axer le programme sur la culture et les traditions autochtones.
Par exemple, l'agence Awasis du Nord du Manitoba a littéralement rédigé le manuel sur la protection de l'enfance au Canada et ses modes de prestation. Je regrette de ne pas en avoir apporté un exemplaire mais si vous contactez l'agence Awasis, vous pourrez obtenir son manuel et d'autres publications dans le domaine de l'aide à l'enfance. Elle considère l'enfant dans le contexte de sa famille et de sa communauté. Elle fait de la prévention et des interventions précoces pour éviter que les enfants n'aient à être appréhendés et placés dans le système judiciaire, ce qui est très traumatisant pour tous les intéressés.
Le sénateur Pearson: Je comprends. À propos d'un problème qui relève du gouvernement fédéral plutôt que du gouvernement provincial, on m'a signalé qu'il existe une directive administrative qui dissuade les agences de garder les enfants dans la collectivité, car on leur verse plus d'argent si l'enfant est placé en famille d'accueil. Je sais qu'on a recommandé de remédier à cela — avez-vous des arguments à nous fournir? Connaissez-vous cette directive?
M. Bostrom: Assurément, la réglementation du gouvernement fédéral à cet égard a posé des difficultés aux agences qui s'occupent des Premières nations. Quant à l'agence Awasis, elle a pu se prévaloir de certaines modalités pour conserver son budget, pour ainsi dire.
Le sénateur Pearson: Est-ce un modèle qu'il faudrait recommander?
M. Bostrom: C'est un bon modèle. Il faudrait que vous les interrogiez mais si je comprends bien, l'agence a réussi à surmonter certaines difficultés bureaucratiques et réglementaires qui, en raison du succès de ses activités, avaient un effet pervers sur son budget.
Le sénateur Tkachuk: J'ai plusieurs questions à vous poser. S'agissant des jeunes Autochtones, j'essaie de cerner une situation qui touche ceux qui vivent dans des réserves, les Indiens non inscrits et les Métis. Comment se compare le taux de succès scolaire des jeunes vivant dans des réserves et celui des Métis et des Indiens non inscrits qui vivent à l'extérieur des réserves?
M. Bostrom: Permettez-moi de vous demander de vous reporter à ceci. À la page 6 de ce document, on trouve un tableau des taux d'obtention du diplôme d'école secondaire au Manitoba d'après le recensement de 1996. Nous avons trois groupes d'âge, de 15 ans à 29 ans, de 30 ans à 39 ans, de 40 à 49 ans, et la moyenne se trouve au bas. Les chiffres intéressant les non-Autochtones se trouvent dans la colonne de gauche et nous avons pu faire une ventilation et obtenir des résultats pour les Métis, les Indiens inscrits vivant dans les réserves et les Indiens inscrits vivant à l'extérieur. Bien sûr, on indique le taux d'ensemble pour les Autochtones. Comme vous pouvez le constater, dans l'ensemble, les taux pour les Autochtones sont assurément bien inférieurs à ceux des non-Autochtones.
Le sénateur Tkachuk: Je vois.
M. Bostrom: En y regardant de plus près, on constate que les taux pour les Métis sont de façon générale un peu plus élevés que ceux des Indiens inscrits.
Le sénateur Tkachuk: Ils sont beaucoup plus élevés, n'est-ce pas? Dans le groupe d'âge de 30 ans à 39 ans, le taux est de 17 p. 100 supérieur — en fait plus élevé, mais tous les groupes d'âge confondus, on constate qu'il y a un écart de 20 p. 100, de 45,7 contre 27,9.
Les écoles secondaires situées dans les réserves sont-elles administrées par les bandes ou y a-t-il des liens avec la collectivité?
M. Bostrom: Il y a divers modèles. Certaines écoles secondaires situées dans les réserves sont administrées par la collectivité, par la Première nation. D'autres sont administrées par la Division scolaire Frontier, c'est-à-dire un service provincial qui s'occupe des écoles du Nord situées dans des régions éloignées. Il existe certaines réserves où les étudiants tout en résidant dans la réserve, fréquentent l'école à l'extérieur.
Le sénateur Tkachuk: Comment se comparent les résultats scolaires des étudiants qui étudient à l'extérieur de la réserve et le succès de ceux qui fréquentent une école secondaire située dans la réserve?
M. Bostrom: Même si ces statistiques ne sont pas prometteuses car elles ne portent que sur une année de recensement, il faut se dire que dans l'ensemble, elles sont nettement plus encourageantes que les statistiques d'il y a 10, 15 ou 20 ans. Le contrôle local de l'instruction a entraîné un taux plus élevé de succès dans les réserves. J'ajouterais qu'il y a encore beaucoup de chemin à faire, mais de façon générale, le contrôle local s'est traduit par une amélioration du taux.
Le sénateur Tkachuk: Les étudiants ici doivent-ils subir les épreuves provinciales du diplôme de 12e année pour entrer à l'université, et cetera, comme c'est le cas en Saskatchewan?
M. Bostrom: Non.
Le sénateur Tkachuk: Autrement dit, chaque école secondaire offre son propre programme et il n'y a pas d'examens communs à l'échelle de la province, n'est-ce pas? Procédez-vous à certains tests, dans les écoles situées dans les réserves?
M. Bostrom: Contrairement à ce qui se passait il y a 20 ou 30 ans, il n'existe pas d'épreuves officielles à l'échelle de la province pour l'obtention du diplôme d'études secondaires. On a supprimé cela. Il incombe aux divisions scolaires de déterminer les exigences d'obtention du diplôme, quoiqu'elles soient soumises aux exigences d'admission imposées par les universités et collèges.
Le sénateur Tkachuk: Comment font-elles?
M. Bostrom: Je suppose qu'elles tiennent compte des effectifs scolaires. Il y avait un article à ce sujet dans le journal la semaine dernière et bien que nous n'ayons pas vu tous les résultats du Manitoba, j'ai l'impression qu'il y a eu une forte augmentation du nombre des gens des Premières nations et des Métis qui font des études universitaires; on a observé la même augmentation pour l'ensemble de la population canadienne. Les jeunes des réserves sont plus nombreux à terminer leurs études secondaires et les jeunes Autochtones vivant hors réserve sont plus nombreux à faire des études supérieures, collégiales ou universitaires.
Le sénateur Tkachuk: D'après ces statistiques sur les taux de diplômation au secondaire, je suppose — peut-être à tort, mais en me fondant sur ce que vous avez dit au début concernant les taux de diplômation qui se sont améliorés considérablement — que les jeunes sont plus instruits que leurs parents. J'en déduis, d'après les statistiques que j'ai vues, qu'une grande majorité d'étudiants métis et indiens hors réserve proviennent de familles à faible revenu.
M. Bostrom: Les données socioéconomiques qui sont présentées dans le rapport montrent qu'en ce qui concerne le revenu d'emploi et le revenu global des familles, il existe un écart considérable entre la famille autochtone moyenne et la famille non autochtone.
Le sénateur Tkachuk: Absolument. On a ici les taux de diplômation des non-Autochtones pour les groupes d'âge de 15 à 29 ans, de 30 à 40 ans et de 40 à 49 ans; avez-vous des statistiques sur la répartition des revenus? Autrement dit, est-ce que les jeunes Blancs pauvres terminent leurs études, et dans quelle proportion?
M. Bostrom: Je n'ai pas ces chiffres, mais j'estime que le statut socioéconomique de la famille est souvent un facteur déterminant de la réussite scolaire des enfants. Par conséquent, une famille non autochtone dont les conditions sont semblables à celles d'une famille autochtone donnera des résultats semblables.
Le sénateur Tkachuk: Ces chiffres sont donc vraiment déterminés par le facteur de revenu? Si l'on compare la population non autochtone aux Métis, aux Indiens inscrits et aux Indiens vivant dans des réserves, les niveaux de revenu peuvent-ils nous donner une bonne idée des problèmes rencontrés?
M. Bostrom: Je peux prendre un exemple pour montrer ce qui se passe du point de vue des perspectives d'emploi. Dans certaines réserves où on s'est efforcé de faire travailler les Autochtones, les enseignants ont remarqué une meilleure participation des élèves aux activités scolaires. L'absentéisme diminue. Même les infirmeries signalent une diminution de leur clientèle. C'est donc un argument en faveur de mon hypothèse, à savoir que le renforcement de la participation autochtone à la main-d'oeuvre active aura un effet positif sur toutes ces statistiques.
Le sénateur Tkachuk: Je voudrais poser une question sur la population des réserves et les Autochtones hors réserve, car ces statistiques sur le taux de diplômation au secondaire sont très sommaires.
Le gouvernement fédéral verse beaucoup d'argent aux réserves. Qu'est-ce qui explique une si grande différence entre la population des réserves et les Autochtones hors réserve? Sans parler de valeur individuelle, on note une différence importante. Le taux de diplômation hors réserve est de 41,6 p. 100, contre 27,9 p. 100 pour les jeunes des réserves.
M. Bostrom: Je ne peux pas vous répondre. C'est effectivement préoccupant, et on pourrait certainement démontrer qu'il y a moins de possibilités d'emploi dans les réserves — ces statistiques le montrent sans doute — et que les Métis et les Autochtones hors réserve ont de meilleures conditions de vie et de meilleures possibilités d'obtenir un revenu et un logement décents qui vont donner de meilleures chances de succès à leurs enfants.
Vous dites que les réserves reçoivent beaucoup d'argent, mais presque toutes les réserves du Canada ont un retard considérable en matière de logement. Dans certaines réserves, chaque maison héberge une vingtaine, voire une trentaine de personnes, et le simple fait de ne pas disposer d'un endroit tranquille pour faire ses devoirs peut certainement limiter les chances de succès du jeune Autochtone.
Il y a des problèmes semblables à Winnipeg. Les Autochtones qui arrivent en ville, et même certains de ceux qui habitent ici depuis des années, sont obligés, à cause de leur faible revenu, de vivre dans de mauvaises conditions de logement. De ce fait, ils déménagent souvent pour essayer d'améliorer leur sort, et leurs enfants se déplacent d'une école à l'autre sans pouvoir se stabiliser, ce qui nuit à leurs chances de réussite scolaire.
Ces éléments sont souvent liés à la pauvreté que connaissent les Autochtones.
Le sénateur Tkachuk: Ceux des réserves sont encore plus pauvres; pourquoi?
M. Bostrom: Ils sont certainement plus mal lotis en matière de logement, comme je l'ai dit. De nombreuses réserves connaissent un grave problème de logement.
La présidente: Je tiens à vous remercier, monsieur Bostrom, de cet exposé très intéressant. Je vois d'après vos réponses que vous avez une bonne connaissance des problèmes que connaissent les Autochtones au Manitoba, et en particulier les jeunes Autochtones vivant en milieu urbain. Je vous remercie de toute la documentation que vous nous avez donnée.
M. Bostrom: Merci de m'avoir accueilli.
La présidente: Nos témoins suivants sont Elaine Cowan, Giselle Campbell et Crystal Laborero.
Mme Elaine Cowan, présidente du groupe Anokiiwin: Madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs, je tiens à vous remercier de me permettre de vous faire part de ce que m'a inspiré mon expérience en tant qu'habitante de cette région. Pour commencer, mes cheveux gris vous indiquent que je ne vous donnerai pas le point de vue d'une jeune personne. Je ne suis plus toute jeune, mais néanmoins, je suis membre de la Première nation Peguis, j'habite Winnipeg et j'ai travaillé pendant toute ma vie dans le domaine des ressources humaines et de l'emploi des Autochtones au Manitoba.
Je suis actuellement présidente du groupe Anokiiwin, qui comprend l'Institut de formation Anokiiwin et les Solutions d'emploi Anokiiwin; ce sont deux sociétés privées qui proposent de la formation, de l'emploi et des services annexes au secteur public, au secteur privé et à des personnes d'origine autochtone.
En ojibway, le mot «Anokiiwin» signifie «tout le monde au travail». J'ai choisi ce nom avec soin, car il correspondait à mon objectif. Je rêve de voir un jour tous les membres de notre communauté gagner leur vie.
En tant que présidente de ces deux sociétés, j'ai une bonne connaissance des atouts des jeunes Indiens, Métis et Inuits, et des défis qu'ils doivent relever. J'ai aussi assisté aux succès et aux échecs des initiatives gouvernementales aux niveaux fédéral, provincial et même municipal. Mon expérience m'a inspiré quelques idées dont j'aimerais vous faire part aujourd'hui. Je ne vous dirai sans doute pas grand-chose que vous n'ayez pas déjà entendu. Il n'y aura aucune révélation dans mes commentaires, mais j'espère pouvoir confirmer ce que d'autres vous ont déjà dit.
Pour commencer, je ferai une remarque plutôt brutale mais extrêmement importante; tout le monde ne sera peut- être pas d'accord, mais j'en suis tout à fait convaincue: bien que notre société ne soit pas raciste, la plupart des Autochtones font personnellement l'expérience du racisme. Il est certain que la situation s'est améliorée, mais le racisme fait toujours partie du vécu des Autochtones et le racisme, quel qu'il soit, est toujours de trop. Je vois bien que ce n'est sans doute ni le moment ni le lieu pour dénoncer le racisme à l'égard des Autochtones, mais je peux vous assurer que j'en ai fait l'expérience, mes enfants aussi, de même que nos clients; le racisme est inadmissible. Il a un effet dévastateur sur tous les jeunes, quelle que soit leur origine. On aura beau concevoir et appliquer les meilleurs programmes et les meilleurs services, mais s'ils sont mis en oeuvre dans une société où l'on tolère le racisme, ils n'auront que peu de valeur. À mon avis, la tâche la plus noble que puisse réaliser ce comité serait de s'appliquer à éliminer le racisme dont sont victimes tous les Canadiens d'origine autochtone, et en particulier les jeunes. C'est un défi considérable, je sais, mais il mérite d'être relevé.
Évidemment, il faudra du temps pour éradiquer le racisme. En attendant, je pense qu'il existe des mesures qui permettraient d'améliorer le statut socio-économique des jeunes Indiens, Métis et Inuits. Tout d'abord, il faut cesser de proposer des solutions aux jeunes, et trouver des solutions avec eux. La participation directe des jeunes à l'identification de leurs propres besoins et à l'élaboration de réponses pertinentes et efficaces à ces besoins est la première étape d'une véritable émancipation. Pour cela, les jeunes doivent avoir le droit à l'erreur.
L'un des principaux obstacles à l'innovation, en particulier quand les gouvernements interviennent, c'est l'idée selon laquelle l'erreur est synonyme d'échec. Dans la plupart des cas, ce n'est pas vrai, et particulièrement lorsqu'on travaille avec les jeunes. Les erreurs font partie intégrante de l'apprentissage. Elles sont l'une des modalités du développement de l'être humain. L'erreur ne signifie pas nécessairement l'échec.
J'ai occupé des postes administratifs et politiques de haut niveau au gouvernement provincial et je sais à quel point les gouvernements cherchent à éviter les erreurs. Mais je sais aussi qu'on ne peut pas progresser sans faire d'erreurs.
Ce qui vaut pour les gouvernements vaut également pour les personnes. Nous faisons tous des erreurs et nous devrions tous avoir la possibilité d'en tirer des leçons. Je ne veux pas dire qu'il faut délibérément faire des erreurs, mais il ne faut pas avoir peur de faire des erreurs au point de ne plus rien faire, de s'en tenir aux principes éprouvés et de ne prendre aucun risque.
Ce qui me préoccupe aussi, c'est l'obsession de la plupart des gouvernements pour la récompense immédiate.
La dernière mode, qui frise la folie, pour les gouvernements, c'est d'affirmer que la formation doit déboucher immédiatement sur l'emploi. Cette exigence du passage direct de la formation à l'emploi est désormais un critère dans l'enseignement post-secondaire destiné aux jeunes. Les cours de formation pour les jeunes devraient être ouverts et souples. Les jeunes, en particulier ceux dont les conditions socio-économiques limitent les perspectives, ont besoin d'explorer et d'expérimenter. Il ne faudrait pas les diriger de force vers un emploi ou un travail particulier parce qu'ils ont suivi des cours dans le domaine correspondant. En liant directement la formation à l'emploi, on empêche les jeunes de découvrir d'eux-mêmes ce qu'ils veulent faire. S'ils suivent une formation et qu'ils ne travaillent pas immédiatement après, on dit qu'ils sont en situation d'échec, du moins au plan statistique, et un programme de formation qui ne débouche pas directement sur un emploi est considéré comme un mauvais programme.
Il est intéressant de remarquer que ces exigences ne s'appliquent pas aux études universitaires. Ceux qui font des études supérieures ne sont pas dirigés automatiquement vers un emploi dans leur domaine de spécialisation.
Évidemment, il est toujours difficile de grandir, particulièrement lorsque les préjugés limitent les perspectives et ruinent la confiance en soi. L'ego des jeunes est déjà fragile. Pour la plupart des jeunes, le doute de soi dépend autant du régime hormonal que de la personnalité. L'érosion de l'estime de soi s'accélère lorsqu'on appartient à une culture persécutée et que le sens de la famille s'est perdu dans les ruines du système des pensionnats.
Personnellement, je n'aime pas revenir sur le passé. Je ne pense pas qu'on puisse excuser les comportements individuels en fonction des circonstances particulières de chacun. Néanmoins, je pense qu'il est indispensable de comprendre la façon dont le passé détermine le présent. Si l'on accepte les principes de la continuité de l'évolution, le présent va déterminer l'avenir.
Par conséquent, si l'on cherche à améliorer l'avenir des jeunes Indiens, Métis et Inuits, il faut étudier et comprendre le passé, analyser ce qui se passe actuellement et planifier l'avenir.
Les peuples autochtones d'Amérique du Nord considèrent que les décisionnaires doivent prendre en compte les intérêts de cette génération lorsqu'ils ont des décisions importantes à prendre. À ce propos, les sept générations vont dans les deux sens. Nous devons réfléchir aux sept générations passées pour comprendre les leçons du passé et nous projeter à sept générations de distance pour planifier l'avenir. Sept générations représentent une période considérable, mais la formule donne de la perspective.
Quel que soit le nombre de générations considérées, il est important de comprendre pourquoi les événements du passé nous ont amenés au contexte actuel. J'espère que les membres du comité du Sénat et ceux qui recevront ses recommandations feront l'effort de comprendre ce passé qui détermine la condition actuelle des jeunes Indiens, Métis et Inuits. Nos anciens ont beaucoup à nous apprendre.
Il n'est pas douteux que les jeunes ont besoin de modèles positifs pour réussir. Chacun n'a qu'à considérer ses antécédents personnels pour constater l'importance des modèles positifs. Combien d'entre nous ont suivi la trace d'un membre de la famille ou d'un ami? Combien d'entre nous ont choisi une profession partiellement en fonction d'un parent, d'un oncle, d'une tante, d'une grand-mère, d'un grand-père ou d'un ami influent qui nous avait montré la voie?
Je pense avoir acquiss un sens développé de l'éthique et un sens de l'entreprise parce que j'ai vu comment ma tante s'y prenait avec sa propre entreprise dans la communauté métisse de Wabowden, et grâce à l'esprit d'entreprise de mon père.
Les modèles positifs sont importants. Pourquoi pensez-vous que les Mohawks sont si nombreux à travailler comme monteurs de hautes charpentes métalliques en Ontario, au Québec et dans l'État de New York? À cause des modèles qu'ils ont eus. Pourquoi croyez-vous qu'il y ait si peu de médecins indiens, métis et inuits? Pourquoi pensez-vous qu'il y ait si peu d'informaticiens autochtones? À cause du manque de modèles.
Il y aurait encore bien des choses à dire, mais je voudrais, en dernier lieu, parler de l'importance de la formation stratégique. Il y a effectivement trop peu d'Autochtones dans les technologies de l'information, alors que ce secteur est l'un de ceux qui connaissent la croissance la plus rapide au Canada. Malgré ce qu'on entend dire sur le ralentissement de la croissance dans le secteur technologique, nous savons tous qu'il n'est pas près de disparaître et qu'il est même en train de revenir en force. C'est une lame de fond qui transporte des dizaines de milliers de Canadiens qui occupent des emplois de grande qualité. Cependant, cette lame de fond est hors de portée de la plupart des travailleurs autochtones.
Au départ, le fossé numérique sépare les jeunes Autochtones de ceux qui ont eu accès à des ordinateurs pendant leurs études. Il y a ceux qui connaissent les ordinateurs et ceux qui ne les connaissent pas, et les premiers ont plus de chance que les autres d'acquérir les aptitudes dont ils ont besoin pour trouver de l'emploi dans le secteur des technologies de l'information. Les emplois leur sont accordés en priorité et ils peuvent ensuite faire carrière. Ils peuvent devenir gestionnaires de projets, gestionnaires des ressources humaines, cadres supérieurs et décisionnaires au sein de l'industrie. Lorsqu'ils prennent des décisions d'embauche, ils cherchent autour d'eux et comme les collaborateurs autochtones sont rares, ils ne pensent pas à chercher dans la main-d'oeuvre autochtone.
La situation du travailleur autochtone qui trouve un emploi dans les technologies de l'information est un peu meilleure. Lorsqu'il commence à travailler, il ne voit guère de collaborateurs autochtones autour de lui. Les gestionnaires indiens, métis ou inuits sont rares en milieu de travail. Les travailleurs autochtones n'ont donc pas les modèles dont ils auraient besoin pour monter dans la hiérarchie. Ils se retrouvent dans un cercle vicieux d'exclusion.
Pour résoudre ce problème, il faudrait définir les secteurs stratégiques où des efforts particuliers en formation, des incitatifs et des initiatives spéciales d'embauche s'imposeraient pour que les jeunes travailleurs autochtones puissent profiter des nouvelles perspectives auxquelles ils risquent de ne pas avoir accès à cause des obstacles systémiques.
J'aurais aimé avoir davantage de temps à passer avec le comité, mais je suis bien consciente des contraintes qui vous sont imposées. Si j'avais le temps, je préciserais les arguments que je vous ai soumis et je vous parlerais de la participation plus directe des Premières nations à la formation de leurs membres dans les centres urbains comme Winnipeg, alors qu'une partie importante du financement de formation qui leur est destinée est orientée vers d'autres organismes; il faudrait aussi venir en aide aux formateurs du secteur privé, favoriser l'apprentissage sur le tas, au lieu de contraindre les formateurs à s'en remettre aux certificats délivrés par les collèges communautaires, inciter les formateurs et les enseignants du secteur public à faire preuve d'une plus grande souplesse pour répondre aux besoins des élèves autochtones, favoriser les réponses novatrices aux besoins en formation des étudiants autochtones, favoriser une formation de type plus communautaire pour les Premières nations, les Métis et les Inuits, et favoriser l'apprentissage à domicile; il faudrait mettre en place des services réalistes de counselling axés sur la participation pour les jeunes Autochtones et axer la formation sur des valeurs plus entrepreneuriales. Ce sont là des sujets dont vous avez sans doute déjà entendu parler, mais je ne voulais pas donner l'impression, si je n'y faisais pas référence dans cet exposé, que je les considérais comme étant de peu d'importance.
Je vous remercie encore une fois de m'avoir écoutée et j'espère que mes observations vous auront montré à quel point nous avons besoin de politiques et de programmes gouvernementaux pour satisfaire les besoins des jeunes citoyens autochtones, métis et inuits grâce à une approche équilibrée en ce qui concerne la conception, la mise au point et l'application de politiques, de services et de programmes.
Mme Giselle Campbell, conseillère d'équité en matière d'emploi, Hydro-Manitoba: Honorables sénateurs, on m'a demandé de venir vous parler aujourd'hui des initiatives de notre société pour les jeunes Autochtones. En jetant un coup d'oeil à la liste de ceux qui sont venus témoigner devant le comité, j'ai vu le nom de particuliers et d'organismes importants qui vous ont parlé des problèmes et des succès qu'ils ont eus à travailler pour et avec les jeunes Autochtones. Cependant, comme représentante d'Hydro-Manitoba et du point de vue d'une industrie et d'une entreprise, je tiens à vous expliquer non seulement comment, mais aussi pourquoi les entreprises comme la nôtre tiennent à prendre des mesures positives. Mon exposé aujourd'hui mettra ces raisons en lumière et expliquera les initiatives que nous avons prises à Hydro-Manitoba.
Il importe de jeter un coup d'oeil aux problèmes qui touchent nos jeunes pour comprendre quels changements nous pourrions apporter. Le rapport final du comité sénatorial sera un document important pour notre nation, notre gouvernement, nos éducateurs, nos entreprises et tous ceux qui s'occupent de nos jeunes. Même si cela n'était malheureusement pas le cas dans le passé, le bien-être social et économique de tous les Autochtones est une chose importante pour tout le pays.
Dans l'économie du savoir, il faut plus de compétences et plus de diplômes pour réussir sur le marché du travail. D'après la Table ronde nationale sur l'apprentissage, en 2004, il faudra un diplôme universitaire pour un emploi sur quatre.
Les changements démographiques et le vieillissement de la population du Canada auront aussi de lourdes conséquences pour notre main-d'oeuvre. Le gouvernement, les syndicats et les entreprises du Canada considèrent que la pénurie de travailleurs spécialisés continuera et ils essaieront de trouver de nouveaux moyens pour combler l'écart.
En outre, les données du recensement de 2001 montrent que la population autochtone continue d'augmenter. Au Manitoba, la population autochtone en milieu urbain continue d'augmenter. Cela veut dire que le pourcentage de jeunes Autochtones qui se joignent à la main-d'oeuvre active continuera d'augmenter.
Même si les Autochtones sont de plus en plus instruits, et qu'il y en a de plus en plus qui ont un diplôme collégial ou un certificat professionnel, il reste encore beaucoup à faire, surtout au niveau des diplômés universitaires. Cela a entraîné beaucoup de concurrence sur le marché pour le recrutement de diplômés autochtones locaux et compétents, surtout pour les emplois hautement spécialisés. Cela constitue aussi un risque important parce que les postes hautement spécialisés dans les domaines comme les sciences, l'ingénierie et la technologie ont augmenté de 32,9 p. 100 de 1991 à 2000. La sous-représentation possible des Autochtones dans ces postes importants est une chose qui doit inquiéter tous les membres de notre société. Cela veut dire que nous ne pouvons pas influer sur des décisions qui ont beaucoup de conséquences sociales. C'est un secteur qui est souvent mal ciblé. À cause de cela, les entreprises et les industries qui ont besoin de ces travailleurs se trouvent aujourd'hui dans une position tout à fait spéciale et critique, surtout celles qui ont investi beaucoup dans les régions où habitent les Autochtones et qui veulent appliquer de nouveaux modèles de partenariat avec les Autochtones pour le développement de l'entreprise, comme c'est le cas d'Hydro-Manitoba.
C'est pourquoi Hydro-Manitoba s'est fixé comme objectif stratégique d'être un chef de file dans le renforcement des relations de travail avec les Autochtones pour favoriser une représentation équitable à tous les niveaux de l'entreprise. Cela exige cependant une approche beaucoup plus proactive et créatrice de la part d'Hydro-Manitoba et d'autres intervenants pour la formation de futurs employés.
Même si l'on a réalisé des progrès importants et instauré divers programmes pour renforcer ces relations, je suis venue aujourd'hui vous exposer notre solution relative aux jeunes Autochtones et surtout aux adolescentes.
Pour sensibiliser les jeunes aux possibilités qu'offrent la technologie, l'ingénierie et les diverses professions, Hydro- Manitoba a mis sur pied le premier programme de camp de jour pour l'été appelé «Construire le cercle: Explorer l'ingénierie, la technologie et les métiers». Ce programme vise à permettre aux adolescentes autochtones âgées de 13 à 15 ans de voir ce qu'offrent ces divers domaines. Si nous voulons attirer les femmes autochtones dans des emplois non traditionnels, il faut prendre des initiatives novatrices. Nous croyons que ce camp de jour responsabilisera suffisamment les jeunes filles autochtones pour qu'elles choisissent de telles carrières et pour les sensibiliser à ces possibilités de changement. Il s'agit d'un programme sur quatre ans en quatre étapes basé sur le modèle du cercle d'influences autochtone. Le même groupe de dix adolescentes revient chaque année pour participer à diverses étapes pour stimuler leur curiosité, leur capacité de résolution de problèmes, leur travail en équipe et leur créativité. Nous continuerons de favoriser nos rapports avec les adolescentes et leurs familles pendant l'année lors de réunions et d'activités diverses. Nous espérons qu'à la fin du programme, nos adolescentes choisiront une voie qui les mènera à l'obtention d'un emploi à Hydro-Manitoba avec l'appui de notre programme de financement pour l'éducation des Autochtones.
Jusqu'ici, nous avons obtenu une réponse phénoménale de la part des entreprises, des établissements d'enseignement et des groupes communautaires, et encore plus des familles et des jeunes autochtones. Nous sommes donc en train de réexaminer nos partenariats et nos modes de financement pour mieux financer ces programmes à l'avenir et pour être en mesure de les élargir tant dans le nord que dans le sud de la province.
Vu que le temps prévu pour les exposés était limité, je ne peux pas vous expliquer tous les détails du programme, mais je tiens à mettre en lumière certains objectifs et activités clés qui nous ont permis de joindre les jeunes autochtones. Le programme est gratuit, ce qui veut dire que toute adolescente autochtone qui veut y participer peut le faire. Selon les recherches, les camps organisés peuvent faire beaucoup pour éveiller la conscience de soi des adolescents. Le programme est conçu et offert par un personnel autochtone et un conseil d'aînés avec la participation des jeunes. Nous travaillons aussi de concert avec divers partenaires communautaires de l'extérieur qui ont comme nous fait un investissement à long terme dans ce programme et qui s'intéressent aussi au succès des jeunes autochtones. Nous avons l'engagement de nos administrateurs et d'un personnel dévoué. Le programme met aussi l'accent sur les domaines scientifiques et technologiques qui ne sont pas ordinairement des choix de carrière privilégiés pour les adolescentes autochtones et dans lesquels elles ont bien plus de chance d'être mal représentées. Nos administrateurs et responsables du programme cherchent à favoriser les rapports avec les participantes au camp et continuent de s'intéresser à leurs études et à leurs choix de carrière. Leur participation, la création de modèles, les activités de mentorat et de défense des intérêts des participantes permettent d'offrir à celles-ci les soutiens et l'encouragement voulus sur les plans émotif et social. Le programme aide et instruit non seulement les adolescentes, mais aussi leurs familles à déterminer les compétences et les programmes d'études nécessaires. Nous offrons des services de tutorat en mathématique et en science et de l'aide pour la transition entre l'école secondaire et l'université. L'une des choses qui assurent le succès du programme, c'est qu'il donne aux adolescentes autochtones des occasions d'emploi réalistes pendant la durée du programme et plus tard. Ce programme est ambitieux et représente un investissement à long terme qui produit des avantages à long terme pour tous les intervenants.
Les entreprises canadiennes se trouvent aujourd'hui dans une situation critique. Nous n'avons pas encore fait d'analyse officielle des données, mais un nombre incroyable de particuliers et d'industries de tout le Canada ont manifesté de l'intérêt pour notre programme. Cela montre à quel point les organismes veulent aujourd'hui trouver des moyens de recruter chez les Autochtones, ce qui est quelque chose de nouveau dans certains cas.
Hydro-Manitoba est une entreprise de services publics. Le programme de camp d'été est un exemple d'initiatives créatrices auxquelles les employeurs doivent avoir recours pour répondre à leurs besoins de main-d'oeuvre et d'entreprise. Pour Hydro- Manitoba, le programme de camp d'été est une façon créatrice de maximiser l'emploi autochtone, ce qui est non seulement essentiel pour le succès de notre entreprise, mais nous permet en même temps d'assumer la responsabilité sociale que nous avons tous à mon avis pour encourager les adolescentes autochtones à poursuivre leurs études et à continuer d'apprendre toute leur vie. Nous devons cependant obtenir le concours de toute la société canadienne, des particuliers, des collectivités, des employeurs, des syndicats, des gouvernements et des établissements d'enseignement, tant autochtones que non autochtones. Il est essentiel d'obtenir la participation de tous ces éléments, parce que sinon il continuera d'y avoir des obstacles.
Je termine sur une note personnelle. Le programme de camp d'été est plus qu'une responsabilité professionnelle pour moi; c'est aussi une responsabilité personnelle et un engagement. Avant de travailler pour Hydro-Manitoba, je gérais une halte-accueil pour les jeunes au centre-ville de Winnipeg. J'ai donc travaillé pendant plusieurs années avec des adolescents autochtones dits «à risque» et leurs familles pour plusieurs raisons. J'ai grandi dans le même genre de milieu que bon nombre de ces jeunes et de leurs familles et je pouvais donc m'identifier en bonne partie à leurs histoires, à leur douleur, à leurs défis et à leurs succès. C'est à cause de ces leçons du passé que je tiens à aider les jeunes autochtones à ma façon. C'est aussi pourquoi je suis heureuse de participer aux travaux du comité aujourd'hui. Je sais que, quand on donne une chance aux jeunes et que l'on croit en eux, on peut faire une différence et c'est ce que j'espère accomplir aujourd'hui.
Mme Crystal Laborero, directrice, Initiative de l'emploi des Autochtones, Chambre de commerce de Winnipeg: Honorables sénateurs, je fais faire les choses un peu différemment. Mes collègues ont parlé de certains problèmes sociaux qui touchent les adolescents et, comme je viens de sortir de ce groupe d'âge, je pense pouvoir vous donner un point de vue différent.
J'ai été élevée ici même dans cette ville. Je fais partie de la Nation crie Sapotaweyak. On parlait cri chez moi et j'ai passé la plus grande partie de ma vie ici même, comme Giselle, au centre-ville avec des adolescents de la ville. J'ai aussi passé beaucoup de temps à la Banque Royale. J'y ai passé la plus grande partie de ma carrière, soit dix ans. Quand je suis partie, je suis devenue directrice de l'Aboriginal Employment Initiative et c'est de cela que je voudrais vous parler aujourd'hui parce que j'occupe le seul poste du genre au Canada. Notre chambre de commerce est la seule au Canada à avoir un poste de ce genre et je pense qu'il faut en parler.
J'ai apporté de la documentation que je vais vous distribuer.
Je suis devenue directrice de l'Aboriginal Employment Initiative en mars 2000 et je fais rapport à cinq groupes différents. Je fais rapport aux services d'éducation et de formation de la province du Manitoba, à l'Agence de diversification économique de l'Ouest, au Conseil sectoriel de développement des ressources humaines autochtones, à la Winnipeg Chamber of commerce, où j'ai mon bureau, et au Business Council of Manitoba, qui représente 55 P.D.G. de la province.
Quand on a décidé de mettre sur pied l'Aboriginal Employment Initiative, on voulait embaucher au départ quelqu'un pour faire la liaison entre le secteur des affaires et la collectivité autochtone et vu que Winnipeg a une population autochtone très importante, je crois qu'on a pensé que c'était le bon endroit où commencer.
Comme j'ai beaucoup d'expérience dans le domaine des banques et des ressources humaines, j'ai l'impression que les responsables de cette initiative espéraient que j'irais d'une entreprise à l'autre pour voir comment on y faisait les choses, que j'arrangerais tout et qu'elles commenceraient à embaucher des Autochtones. Ils ne savaient certainement pas que cela me prendrait dans certains cas six mois avant d'obtenir un rendez-vous avec le P.D.G. de certaines de ces entreprises. Cela fait trois ans que je passe mon temps à enseigner. Je n'ai pas fait d'études en éducation, mais j'ai dû passer une bonne partie de mon temps à enseigner à des administrateurs, des gestionnaires des ressources humaines et des P.D.G. pourquoi ils devraient embaucher des Autochtones.
J'ai toujours cru qu'il fallait favoriser la responsabilité sociale, mais ce n'est pas ce que bon nombre d'entreprises veulent entendre. Elles s'intéressent avant tout à des questions de rentabilité. Elles veulent savoir si ces gens ont les compétences voulues pour contribuer à leur entreprise. J'essaie de leur montrer les avantages qu'il y a à embaucher des Autochtones pour leur entreprise. Nous avons une population autochtone très nombreuse et très jeune et une grande partie de la main-d'oeuvre actuelle arrive à l'âge de la retraite. Dans certaines entreprises de la province, jusqu'à 50 p. 100 des membres de la haute direction vont prendre leur retraite d'ici cinq ans. C'est la panique.
Ces entreprises communiquent maintenant avec les organismes autochtones du Manitoba et comme elles savent qu'elles doivent commencer à chercher chez les Autochtones, elles se demandent par où commencer. C'est là que j'interviens. Je ne fais pas le même travail que les autres organismes de Winnipeg parce que je n'ai pas de base de données d'Autochtones qui cherchent un emploi. Mon rôle consiste à fournir des conseils pour le recrutement. Où ces entreprises doivent-elles aller pour recruter? Savez-vous qu'il y a des centres de liaison autochtones dans tous les campus postsecondaires de la province? Les entreprises ne le savent pas et je les mets en contact avec ces centres. Nous leur offrons aussi des services pour des initiatives de maintien de l'effectif. Savez-vous qu'il existe des initiatives que vous pouvez prendre dans votre organisme non seulement pour employer des gens, mais aussi pour les conserver chez vous?
Nous examinons aussi l'image de marque des entreprises. Certaines entreprises n'ont pas nécessairement une image de marque positive chez les Autochtones. Par exemple, on entend souvent des entreprises dire qu'elles souscrivent au principe de l'égalité d'accès à l'emploi et qu'elles sont prêtes à embaucher tout candidat compétent. Il n'y a cependant pas d'Autochtones qui se portent candidats pour les postes dans ces entreprises, et ce pour diverses raisons que je ne vais pas énumérer. Nous essayons d'aider ces entreprises à rehausser leur image de marque et à devenir des employeurs accueillants pour les Autochtones.
Les trois dernières années ont été vraiment remarquables. Nous avons pu innover parce que c'est la première fois qu'on offre de tels services aux entreprises. Cela a été très intéressant. Au départ, bon nombre d'entreprises n'étaient pas certaines de vouloir participer à l'initiative, mais je suis maintenant tellement occupée que j'ai pu embaucher un adjoint à plein temps. Nous commençons à songer à augmenter notre capacité et à favoriser divers rapports.
J'ai récemment formé un partenariat avec le ministère des Affaires autochtones pour élaborer une stratégie pour une main-d'oeuvre représentative. Nous ne voulons pas que les entreprises se contentent d'embaucher des Autochtones aux échelons inférieurs; nous avons la compétence voulue pour travailler à tous les échelons d'une entreprise, y compris dans le domaine des ressources humaines, à la haute direction et aux échelons inférieurs de la gestion. Nous sommes à la recherche d'entreprises qui sont prêtes à nous accueillir pour que nous voyions quels postes elles offrent et ce qu'elles exigent comme compétences. Comment pouvons-nous savoir que nous ne sommes pas admissibles à un poste si nous ne savons même pas quel genre d'emplois vous offrez? Si nous voulons instruire nos jeunes et les encourager à poursuivre leurs études et à acquérir plus de compétences, il importe que nous sachions quels emplois sont disponibles et ce qu'il faut pour y accéder. C'est l'une des choses que nous ferons dans le cadre de la stratégie pour une main- d'oeuvre représentative. Nous ferons une étude interne de ces entreprises pour savoir quelles compétences elles exigent et nous communiquerons ensuite ces renseignements aux collectivités inuites, métisses et autochtones. Comment pouvons-nous faire mieux pour inciter nos gens à poursuivre leurs études et à obtenir les crédits voulus en mathématiques et en sciences?
L'une des plus importantes initiatives auxquelles j'ai participé pendant trois ans dans le cadre de l'AEI a été le Programme de prix d'éducation autochtone du Business Council of Manitoba. J'ai aidé le BCM à mettre sur pied un programme de bourses pour les Autochtones du Manitoba. Le programme s'adresse aux étudiants postsecondaires autochtones dans tous les domaines, quand ils sont inscrits à une université ou un collège de la province. Nous financerons les études d'un tuyauteur à un collège technique ou d'un étudiant en médecine. Nous avons pu obtenir le concours du gouvernement provincial, du gouvernement fédéral et des entreprises et les deux échelons gouvernementaux offrent un financement équivalant à celui des entreprises. En trois ans, nous avons offert un financement de 675 000 $. L'année dernière, nous avons octroyé 86 bourses aux étudiants autochtones de la province et l'aspect le plus avantageux du programme, c'est que nous pouvons aussi leur offrir de l'emploi. Cinquante-cinq des plus grandes entreprises de la province participent au programme et nous pouvons donc dire: «Voici une bourse de 3 000 $ pour l'université, mais je suis aussi prête à vous offrir un emploi d'été.»
Dans notre rôle de liaison, nous avons participé à de nombreux programmes de modèles de comportement et de stages, qui sont très importants. Cela facilite la transition de l'école au travail et a connu beaucoup de succès dans notre province. Nous avons commencé ce type de programme en 1995, en trouvant des emplois à cinq étudiants dans des banques pour leur permettre d'acquérir de l'expérience ou encore tout simplement pour prendre contact avec le travail dans un bureau. L'an dernier, il y avait 75 étudiants qui travaillaient dans différents domaines d'un bout à l'autre de la province, ainsi que chez Hydro-Manitoba et au sein d'autres grandes entreprises de notre province.
Il y a de merveilleux programmes pour nos jeunes, mais il faut diversifier le tout. Nous pouvons être autre chose que des banquiers, des avocats ou des enseignants, et il est important de faire savoir à nos jeunes qu'il y a d'autres débouchés.
Le milieu des affaires et la communauté autochtone me disent: «Nous ne nous connaissons pas, il faut pouvoir échanger entre nous. Comment faisons-nous pour nous rencontrer? Comment faire bouger les choses dans la province?»
J'ai donc hérité du mandat de mettre sur pied des tribunes où ces personnes peuvent se réunir, et nos salons de l'emploi ont connu beaucoup de succès à Winnipeg. Il y a eu un tel salon en février — ce n'est pas nécessairement un salon des carrières, ce n'est pas le genre d'événement où l'on vient choisir ce que l'on fera quand on sera grand. On y vient avec son curriculum vitae. Quarante employeurs y tenaient un kiosque — et ils étaient tenus de présenter des descriptions de tâches, et pas seulement de faire acte de présence — et plus de 700 Autochtones sont venus à la recherche d'un emploi. J'en conclus que les Autochtones de la province veulent travailler, mais les débouchés ne sont pas au rendez-vous.
Quand on travaille, on est heureux, on est en bonne santé, et le travail a une incidence sur la famille, surtout sur les jeunes.
La présidente: Les trois exposés nous ont grandement éclairés sur ce que font les Autochtones pour trouver des solutions et relever les défis auxquels font face nos communautés et nos jeunes.
Le sénateur Sibbeston: Je viens des Territoires du Nord-Ouest, là où les Autochtones réussissent relativement bien. Je viens de passer les deux dernières semaines dans la région d'Inuvik et à Yellowknife. Vendredi, j'étais témoin de la signature d'une entente commerciale entre un groupe des Premières nations et une compagnie aérienne. Toutefois, je me suis rendu compte qu'il faut des incitatifs à la société si nous voulons que les Autochtones réalisent des progrès considérables. Je commence à croire que nous pouvons accomplir beaucoup de choses grâce à la bonne volonté et au désir, chez les non-Autochtones, de donner un coup de main aux Autochtones. Il y a, au pays, une conscience sociale positive, mais je commence aussi à comprendre que le moyen le plus efficace est de créer un incitatif financier, économique ou politique. Il faut qu'il y ait une certaine pression, un certain motif qui pousse la société dominante à agir en vue de rendre possible la participation des Autochtones à cette société.
Je suis curieux à propos de la situation au Manitoba. Dépendons-nous tout simplement de la bonté et de la bonne volonté des non-Autochtones, ou existe-t-il de réels incitatifs, des pressions concrètes qui s'exercent? À tout le moins, comme quelqu'un l'a noté, la population autochtone est en croissance, ce qui fait qu'ils n'ont d'autre choix, dans un certain sens, que de reconnaître qu'il leur faut composer avec cette réalité. J'aimerais entendre vos remarques à ce sujet, parce que je crois que cela pourrait nous donner une idée de ce que l'avenir réserve aux Autochtones.
Mme Cowan: Je vais répondre à une partie de votre question et partager avec vous certaines de mes expériences. C'est une question épineuse au Manitoba, et je crois qu'on peut trouver des exemples éloquents d'efforts spéciaux qui sont déployés. Je suis là depuis de nombreuses années, et je vois plus de bonne volonté que jamais en ce moment dans la communauté non-autochtone, dans le secteur privé et le milieu des entreprises, un plus grand désir d'agir, à défaut d'un terme plus précis. Cela devient une question de responsabilité sociale pour le milieu des affaires. Sincèrement, le secteur privé souhaite embaucher des gens et il y a beaucoup d'entreprises en expansion au Manitoba qui ont besoin d'employés. Conséquemment, il devient logique d'embaucher dans notre communauté, qui présente la population la plus dense, surtout chez les jeunes.
Il y a des programmes d'encouragement; je sais qu'il y a des subventions salariales pour certaines catégories, et des mesures de ce genre. Pour certains groupes, cela est perçu de façon négative: pourquoi subventionner les salaires comme condition d'embauche d'un Autochtone? Cela revêt une dimension quelque peu politique.
Voici l'exemple de quelque chose que j'ai essayé et qui a connu un énorme succès. D'après mes recherches limitées au fil des années, j'ai appris que, en effet, nous avons une population très importante et très dense dans la province. Deuxièmement, la proportion de jeunes est très élevée au sein de cette population. Troisièmement, nos diplômés postsecondaires ou encore nos gens ayant les compétences requises pour être cadres supérieurs sont probablement moins nombreux. Peu importe ce que nous aimerions changer, force nous est de reconnaître que le niveau d'éducation correspond encore au travail semi-qualifié, aux postes de premier échelon. L'une des choses que j'ai essayées, ce n'est pas une mesure incitative, consistait à encourager les Autochtones à se trouver un emploi temporaire, à court terme. J'ai fait cela parce que, comme le disait Crystal, dans certains cas, un emploi avec un chèque de paie à la clé est le meilleur moyen de guérir. Cela permet à une personne de toucher un revenu, ne serait-ce qu'à court terme, cela demeure un emploi. L'emploi offre à la personne autochtone la possibilité de toucher rapidement un chèque de paie, de refaire rapidement sa confiance en soi, tout en permettant à l'employeur de combler rapidement un poste. Nous espérons tous que, en fin de compte, cela fonctionnera si bien que l'employé se verra offrir un poste permanent.
Je crois qu'il y a un certain niveau d'engagement en place, je ne suis pas certaine que les mesures d'encouragement aux employeurs soient la solution. Peut-être que Crystal aimerait ajouter quelque chose.
Mme Laborero: Je n'aime pas beaucoup les programmes d'encouragement à l'emploi parce que, souvent, je reçois des coups de fil d'employeurs qui présument que l'embauche d'une personne autochtone entraîne une prime, un financement. Personnellement, je trouve cela difficile à accepter. Si vous avez besoin de gens compétents, vous les payez; vous ne vous attendez pas à ce que le gouvernement subventionne leur salaire. Je sais que cela pose problème pour certaines entreprises. Les services que j'offre par l'entremise de la Chambre de commerce sont gratuits, et je crois que c'est l'unique raison pour laquelle on daigne me recevoir dans beaucoup d'entreprises. Ces dernières sont taxées en fonction de leurs ressources, et lorsque je leur demande si elles sont intéressées à participer à une telle initiative, elles me répondent d'abord: «Combien cela me coûtera-t-il, quels sont vos frais?» Nous avons décidé que les services de l'AEI seraient gratuits, dès le départ. Nous espérons pouvoir subvenir à nos propres besoins à terme. Je ne crois pas que nous y soyons encore arrivés dans la province.
Le sénateur Sibbeston: Madame la présidente, je comprends pourquoi la réponse a été formulée en termes surtout financiers, et peut-être que j'aurais dû étoffer davantage le contexte. Dans les Territoires du Nord-Ouest, la société a évolué au cours des 20 dernières années, principalement à cause des revendications territoriales. Les Autochtones détiennent aujourd'hui des terres. Ils ont des ressources financières. Ils prennent part à l'exercice du gouvernement et à la vie politique, si bien que les Autochtones du Nord ne peuvent plus être ignorés. Lorsque des entreprises étendent leurs activités au Nord, elles doivent rencontrer des Autochtones face à face, parce que ce sont eux qui détiennent une bonne partie des terres du Nord.
Ma question est celle-ci: quelle est la situation actuelle et que prévoyez-vous pour les personnes du Manitoba? Connaissent-elles une évolution semblable qui leur permettra d'occuper une place plus importante dans la société canadienne au sens large?
Mme Laborero: En fait, c'est justement l'impératif commercial que j'essaie de transmettre aux employeurs. Dans notre seule province, quelque 175 millions de dollars en revendications territoriales des Premières nations sont actuellement en instance, ce qui fait que nous faisons partie plus que jamais de l'économie. Ainsi, si les entreprises veulent continuer à prospérer, elles doivent tenir compte de la communauté autochtone, et pas seulement à titre de consommateur de biens et services. Compte tenu des millions de dollars que les Autochtones dépensent dans la province, si notre communauté décidait de faire affaire exclusivement avec les entreprises qui embauchent des Autochtones, nous pourrions entraîner la faillite de certaines entreprises. Nous essayons de faire comprendre aux entreprises que nous sommes de plus en plus instruits, ce qui suppose un revenu plus élevé et un rôle plus important dans l'économie à titre de consommateurs de biens et services. Toutefois, les revendications territoriales contribuent également à créer de la richesse au sein des collectivités des Premières nations, qui cherchent désormais à fonder des partenariats avec différentes entreprises. Les choses évoluent en ce sens, mais cette évolution est lente parce que nous apprenons encore à nous connaître.
Le sénateur Tkachuk: Vous représentez la Chambre de commerce de Winnipeg. Y a-t-il une Chambre de commerce provinciale?
Mme Laborero: Il y a une Chambre de commerce du Manitoba et j'ai entrepris une initiative avec eux. Récemment, nous avons collaboré avec la Chambre de commerce de Brandon. J'ai mon bureau à la Chambre de commerce de Winnipeg, mais je travaille aussi pour le Business Council of Manitoba.
Le sénateur Tkachuk: D'autres chambres de commerce canadiennes vous ont-elles fait part de leur intérêt?
Mme Laborero: De fait, oui. Dans deux semaines, je rencontre la Chambre de commerce de l'Alberta, dans le cadre de leur journée d'action politique. Je prononcerai un discours sur l'Aboriginal Employment Initiative.
Nous participons également au Conseil pour le développement des ressources humaines autochtones du Canada, et ce dernier me demande notamment de mettre au point un modèle à partir de l'AEI et de la mise en oeuvre de cette initiative dans notre province.
Ça ne va pas bien vite, mais les demandes commencent à affluer. Les provinces nous font parvenir de plus en plus de demandes d'information sur les bourses d'études du Business Council of Manitoba également, parce que, dans le cadre de ce programme, le gouvernement verse en contrepartie ce que contribuent les entreprises.
Le sénateur Tkachuk: Madame Cowan, vous avez parlé, un peu plus tôt, de racisme, vous avez dit que vous avez vous-même vécu cela. Dans le cadre de votre témoignage, pourriez-vous peut-être — et vous avez dit que d'autres ici en auraient peut-être été victimes aussi — me dire exactement ce que vous entendiez par là, ce qui s'est produit?
Mme Cowan: L'incident que je n'ai pu oublier s'est produit quand j'étais plutôt jeune, bien que j'aie été victime de racisme par la suite, même dans ma vie professionnelle. Parce que je travaille souvent avec le secteur privé, je suis membre de nombreux conseils et je fais de mon mieux, à titre individuel, pour transmettre au milieu des affaires combien il est important de comprendre la communauté, et de travailler avec elle. Même dans les conseils d'administration, il y a un racisme latent.
Je peux vous donner un exemple cru de racisme bien réel, et ensuite je parlerai de ce racisme discret que j'ai vu au sein des conseils d'administration.
J'étais en 12e année et un jour, je marchais dans une ruelle avec un beau jeune homme et une de mes amies, et j'avais le coeur qui me débattait à l'idée d'être accompagnée par ce beau jeune homme. Je ne savais pas encore comment me débarrasser de sa copine, mais je comptais bien trouver une solution. Or, elle est rentrée à la maison prendre le déjeuner, et je me suis retrouvée seule avec lui. C'est alors qu'il s'est tourné vers moi et m'a dit: «Tu sais, tu n'es rien qu'une sale petite Indienne.» J'étais si estomaquée, si stupéfaite, je me souviens simplement du fait que mes jambes se sont mises à trembler. «Ta mère, a-t-il ajouté, est aussi une sale Indienne.» Cela m'a fait un effet terrible, m'a anéantie. À ce jour, je me souviens de cet incident. Bien sûr, il s'est passé beaucoup d'autres choses.
Ce genre de choses se produit encore aujourd'hui. Voici un exemple au travail. Même si je siège à des conseils d'administration, quelquefois je sens que ma présence est symbolique, même si j'ai beaucoup d'expérience en affaires et que j'ai occupé de nombreux postes prestigieux au gouvernement. Toutefois, je l'accepte parce que, s'il est possible d'en tirer avantage au profit de mes clients, je n'hésite pas à le faire.
Le sénateur Tkachuk: Votre présence est symbolique comme femme ou comme Autochtone?
Mme Cowan: Les deux. Voici comment cela fonctionne dans le monde des affaires: Lorsque je fais une offre sur une proposition ou un projet, un P.D.G. me répond — «Écoutez, Elaine, c'est excellent, il est vrai que nous devons augmenter le nombre d'Autochtones dans notre entreprise, mais vous devriez peut-être vous trouver un partenaire qui est en affaires depuis longtemps et qui jouit d'une bonne réputation. À cette condition, nous serons preneurs et vous pourrez obtenir 10 ou 15 p. 100 de ce projet.» Je suis estomaquée d'entendre cela parce que je suis dans les affaires sans doute depuis plus longtemps que n'importe quel partenaire éventuel.
Les gens ne se rendent pas compte de ce qu'ils disent, mais cela trahit leur mentalité. Cela me préoccupe parce que, à mon avis, il n'y a pas de place pour le racisme. Je travaille beaucoup avec les jeunes, je forme beaucoup de jeunes. Ils sont insécures, et c'est cela qui est à l'origine de leur manque de confiance.
Le sénateur Johnson: Je suis vraiment impressionnée par tous vos exposés et par le travail que vous faites.
J'étais curieuse à propos de la Chambre et je me demandais si vous alliez diffuser ce programme partout au pays, parce que cela serait une excellente idée. C'est une chose que nous devrions envisager, madame la présidente, dans le cadre de notre étude, en vue de recommander ce type d'initiative à d'autres régions du pays.
Récemment, j'ai lu un article dans le journal où l'on affirmait qu'il fallait cesser d'employer l'expression «été indien»; il faut se contenter de dire que la température est clémente. Cela correspond directement au niveau de sensibilité des individus, et c'est très important parce que la langue et la communication comptent pour beaucoup dans la façon dont nous sommes perçus. Notre étude cherche à comprendre les causes profondes de ces phénomènes.
Avant de conclure la séance de ce matin, j'ai une question: Vous êtes toutes deux de Winnipeg, et vous avez toutes deux grandi en milieu urbain, là-bas; est-ce exact dans votre cas, madame Campbell?
Mme Campbell: Toutes les deux.
Le sénateur Johnson: Et vous aussi, madame Laborero?
Mme Laborero: Oui.
Le sénateur Johnson: Comment êtes-vous arrivées à travailler dans le secteur bancaire? Notre étude porte sur les jeunes et sur les modèles de comportement qui façonnent leur avenir.
Mme Laborero: J'ai grandi dans un quartier défavorisé, très pauvre; l'alcoolisme était un facteur et ma famille suivait la structure monoparentale type. J'ai été la première de ma famille à obtenir mon diplôme d'études secondaires. Ma mère a survécu aux pensionnats. Le cri était parlé couramment à la maison, mais on ne nous a jamais enseigné cette langue parce que, si on veut connaître du succès, il faut savoir parler anglais et très bien. Je ne parle pas un mot de ma langue, ce qui est malheureux, parce que j'ai consacré toute ma vie jusqu'ici à la communauté autochtone. Toutefois, ma mère tenait mordicus à ce que l'on termine nos études secondaires. Elle ne tenait pas pour acquis que nous allions faire des études universitaires ou collégiales, cela était plutôt envisagé comme une bénédiction supplémentaire, mais il fallait absolument terminer les études secondaires. J'ai été chanceuse parce que j'ai eu, dans ma vie, beaucoup de modèles de comportement positifs, tant autochtones que non autochtones.
Le sénateur Johnson: Croyez-vous que votre instruction a été capitale?
Mme Laborero: L'éducation est assurément d'une importance vitale. Même adulte, devenue moi-même mère monoparentale, je dois retourner à l'école et mettre à jour mes connaissances. L'apprentissage est un processus continu.
Le sénateur Johnson: Les Islandais, mon peuple, ont vécu la même chose; c'est grâce à l'éducation que nous avons progressé après notre arrivée au pays en tant qu'immigrants.
Le sénateur St. Germain: Y a-t-il des établissements qui enseignent la langue crie?
Mme Laborero: Absolument.
Le sénateur St. Germain: Vraiment?
Mme Laborero: Oui, il y en a à l'heure actuelle.
Le sénateur St. Germain: Y a-t-il un appui pour ces programmes?
Mme Laborero: Oui.
Le sénateur Johnson: Le ministre vient d'injecter plus d'argent dans ce programme.
Mme Laborero: Ce n'est pas quelque chose que j'ai envisagé sérieusement de faire jusqu'ici. Je viens de terminer un certificat en ressources humaines à l'université, alors j'arrête les études pour le moment. Je suis aussi mère de deux enfants, et je dois donc concilier mes études, mon travail à temps plein et mes enfants. Toutefois, peut-être que je le ferai plus tard.
Le sénateur Johnson: L'éducation se poursuit tout au long de la vie. On n'arrête pas après le lycée ou après un diplôme.
Madame Campbell, je crois que les camps sont une chose merveilleuse, surtout le camp pour jeunes femmes dont vous avez parlé. Quel a été votre cheminement, et que croyez-vous que les camps apportent? Encore une fois, je suis d'avis que Winnipeg et le Manitoba constituent des exemples importants à suivre pour le reste du pays, dans l'approche aux jeunes Autochtones, et c'est pourquoi nos questions sont très précises.
Mme Campbell: J'essaie simplement de rapiécer tous les éléments. Je suis une femme métisse d'origine saulteuse et crie francophone. Mon père a été élevé à Winnipegosis et sa famille est originaire de Camperville. Ma mère est une métisse de Sainte-Rose du Lac, et sa famille vient de Saint-Francois Xavier. À la maison, on parlait le français et le saulteux et, comme c'est le cas pour Mme Laborero, nous arrivions à comprendre quelques injonctions. Alors je sais m'asseoir, manger et me taire, et c'est à peu près tout.
Nous avons vécu dans différents coins du Nord canadien jusqu'à mes 10 ans. Nous suivions mon père qui se déplaçait pour son travail, et ce n'est qu'après que j'aie atteint mes 10 ans que nous nous sommes installés dans un milieu urbain.
Si je crois au camp, c'est en partie parce qu'il m'a sauvé la vie. J'ai fait partie des camps dès un très jeune âge et jusqu'à l'âge de 21 ans, à différents niveaux. Ce qui m'a sauvée, ce sont les cadets de l'armée. Il y avait aussi un certain dysfonctionnement dans mon entourage. Aujourd'hui j'emploierais des mots comme pauvreté, sévices et alcoolisme. Cela revient à ce qui a été dit plus tôt, parfois, il suffit d'un modèle, et j'ai trouvé cette personne, mais à un âge assez tardif, 19 ans.
Par ailleurs, sur sept enfants, j'ai été la première à aller à l'école secondaire. L'instruction était loin d'être encouragée dans ma famille. Mon père a complété sa quatrième année. Il était pêcheur et trappeur. Je crois que ma mère s'est rendue jusqu'à la neuvième. L'éducation n'était pas valorisée. Le succès se mesurait à la simple survie. J'étais mue par le désir personnel de me libérer, et il est quelquefois nécessaire de briser des liens pour gagner sa liberté. Certaines personnes arrivent dans notre vie pour nous aider.
Le sénateur Johnson: Madame Cowan, vous ne nous avez pas parlé de vous. Aimeriez-vous ajouter quelque chose en guise de conclusion?
Mme Cowan: En fait, je viens d'une famille harmonieuse et unie, mais assez dysfonctionnelle. J'ai été élevée dans le nord et dans le sud pratiquement en même temps; tout dépendait de l'entente entre les membres de ma famille et de la personne qui décidait d'assumer ma garde. Pendant un moment, j'ai vécu avec ma mère, mais j'ai surtout été élevée par ma tante dans le nord.
J'ai une brève remarque, et Mme Campbell vient d'effleurer le sujet. Moi aussi, j'ai été la première à obtenir mon diplôme d'études secondaires et, dans ma famille, les générations d'assistés sociaux se sont succédé. Quand j'ai obtenu mon diplôme d'études secondaires, j'avais une seule idée en tête, quitter la maison. Quel élément de motivation! Je voulais quitter l'alcoolisme, la violence et quoi encore. Les manuels ne font pas encore état, parmi les facteurs de motivation pour les études secondaires, du désir de quitter la maison, mais c'est ce qui a fonctionné pour moi. J'ai terminé mes études et je me suis décroché un emploi, mais la conséquence, c'est que j'étais bannie de ma propre famille. Lorsque je suis revenue, j'avais un peu d'argent, j'ai acheté des chaussures à ma mère, toutes sortes de choses, et pourtant personne ne m'adressait la parole. Cela a duré pendant des années, une expérience extrêmement pénible. C'est pourquoi il est très important pour moi d'être ici et de pouvoir partager avec vous certaines de mes expériences.
La présidente: J'ai une seule question pour chacune d'entre vous. Avez-vous pris contact avec l'agence Keewatin ou une autre agence autochtone qui s'occupe de jeunes en milieu urbain, pour leur faire part de votre parcours et les encourager à participer à vos programmes? Madame Laborero?
Mme Laborero: Oui, je collabore avec de nombreux organismes autochtones et je connais plusieurs intervenants dans la communauté, parce que cela fait partie du rôle que je joue auprès des entreprises. Ces dernières se tournent d'abord vers moi et je les oriente; c'est moi qui aiguille l'entreprise. C'est difficile parce que je suis la seule dans ce créneau, mais je partage l'information dont je dispose et je fais de la publicité pour les programmes.
Ici, la communauté autochtone est très unie. Nous nous fréquentons tous régulièrement et assistons à de nombreuses réunions, ce qui fait que l'information est partagée fréquemment. À titre d'exemple, il se peut que Mme Campbell m'envoie quelque chose que je fais ensuite suivre à tout le réseau, et nous nous rendons souvent la pareille. Nous essayons de diffuser l'information le plus possible.
La présidente: J'ai eu l'occasion de visiter le centre autochtone à la vieille gare, et de participer un peu aux activités. L'initiative m'a vivement impressionnée; il est merveilleux de voir des Autochtones aider des Autochtones. C'est fantastique. Vous faites toutes les trois un excellent travail en matière d'emploi et de formation chez les jeunes Autochtones, c'est pourquoi je me demandais si vous aviez des liens de communication entre vous. La communication est si importante. Vous avez beau avoir un programme extraordinaire, si vous n'êtes pas en contact avec les organismes destinés aux jeunes Autochtones, vous n'en tirez pas tous les bienfaits que vous pouvez en tirer. Madame Campbell, le faites-vous?
Mme Campbell: Certainement. L'un des éléments de notre stratégie de recrutement consiste à communiquer le plus possible avec tous nos partenaires autochtones. Nous essayons d'entretenir et de resserrer ces liens à l'interne également.
C'est bien ce que nous avons fait pour le programme des camps. Nous avons formé un partenariat avec l'Université du Manitoba, où il y a un programme ENGAP, programme d'accès aux études en ingénierie, une première, qui vise à encourager les jeunes Autochtones à poursuivre des études dans ce domaine. Ce n'est qu'un exemple. Quand nous avons invité ces intervenants à la table, nous avons pu unir nos efforts, et la majorité des intervenants proviennent d'organismes autochtones.
Mme Cowan: Mon entreprise offre des services de formation et d'emploi. En conséquence, je dois entrer en contact avec à peu près tout le monde. Je me porte volontaire pour certaines choses et, comme l'a dit Mme Laborero, nous sommes reliés par le bon vieux télégraphe du mocassin.
La présidente: J'aimerais remercier chacun des témoins venus ce matin. La séance a été des plus intéressantes. J'espère que vous avez soumis vos mémoires à notre greffier et à notre attaché de recherche pour que nous puissions compléter notre documentation.
La séance est levée.