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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 12 - Témoignages du 2 avril 2003


OTTAWA, le mercredi 2 avril 2003

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit à 18 h 20 pour faire l'étude des problèmes qui touchent les jeunes Autochtones des villes au Canada, plus précisément l'accessibilité, l'éventail et la prestation des services, les problèmes liés aux politiques et aux compétences, l'emploi et l'éducation, l'accès aux débouchés économiques, la participation et l'autonomisation des jeunes, et d'autres questions connexes.

Le sénateur Ione Christensen (présidente suppléante) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente suppléante: Honorables sénateurs, nous accueillons ce soir des représentantes du Conseil des peuples autochtones du Nouveau-Brunswick, le chef Betty Ann Lavallée et Mme Stephanie Bolger.

Comme vous le savez, le comité préfère appeler son étude un plan d'action pour le changement concernant les jeunes Autochtones vivant en milieu urbain et certains des problèmes auxquels ils font face. Le comité a pris connaissance de nombreuses études et recommandations précédentes. Nous avons également examiné des mesures législatives et des programmes divers. Nous avons aussi parcouru le pays pour nous entretenir avec des gens qui traitent avec les jeunes Autochtones pour nous familiariser non seulement avec les problèmes, mais aussi avec les succès.

Chef Lavallée, veuillez commencer votre exposé.

Chef Betty Ann Lavallée, C.D., Conseil des peuples autochtones du Nouveau-Brunswick: Au nom des membres du Conseil des peuples autochtones du Nouveau-Brunswick, ci-après appelé le Conseil, qui réunit plus de 7 500 Indiens inscrits et non inscrits vivant hors réserve au Nouveau-Brunswick, je suis heureuse de comparaître aujourd'hui devant le comité sénatorial permanent, accompagnée de la représentante de la jeunesse de l'organisation, pour discuter des problèmes qui touchent les jeunes Autochtones en milieu urbain.

Je vais prendre quelques instants pour vous renseigner sur le Conseil et ses membres. Cette information vous aidera énormément à comprendre non seulement nos jeunes, mais aussi les nombreux problèmes relatifs aux droits et aux intérêts des Indiens micmacs, malécites et autres peuples autochtones qui vivent hors réserve au Nouveau-Brunswick.

Le Conseil des peuples autochtones du Nouveau-Brunswick a vu le jour en 1972. À l'époque, il s'appelait le New Brunswick Association of Non-status Indians. Au départ, notre objectif premier était de répondre à la demande et de défendre efficacement les Autochtones d'origine malécite et micmaque vivant hors réserve au Nouveau-Brunswick qui étaient des Indiens non inscrits. Ce groupe englobait des femmes indiennes qui avaient perdu leur statut à cause de certaines dispositions de la Loi sur les Indiens, et surtout de l'alinéa 12.1b); des personnes qui n'avaient jamais vécu sur une réserve et qui n'avaient jamais été inscrites aux termes de la Loi sur les Indiens, des Indiens qui avaient perdu leur statut à la suite d'une émancipation volontaire ou involontaire; et les descendants des personnes que je viens de nommer.

Quand nous avons commencé à prendre contact avec ce groupe de personnes en vue d'organiser la défense de leurs intérêts, nous n'avons pu faire autrement que constater les déplorables conditions économiques et sociales dans lesquelles vivaient ces Autochtones. Très rapidement, nous nous sommes attachés à régler les nombreux problèmes auxquels ils se heurtaient dans leur vie quotidienne. En tant qu'Indiens non inscrits, nous n'étions pas admissibles à l'aide du ministère des Affaires indiennes et du Développement du Nord et nous dépendions de programmes fédéraux et, dans une moindre mesure, de programmes provinciaux d'application générale. Nous avons mis sur pied un certain nombre de mécanismes et d'organismes de service pour améliorer les conditions socio-économiques des peuples autochtones oubliés du Nouveau-Brunswick.

L'un de ces mécanismes ou organismes est la Skigin-Elnoog Housing Corporation, une société d'habitation sans but lucratif appartenant à des Autochtones qui en assurent aussi la gestion. Cette société a construit ou acquis plus de 1 000 unités de logements sociaux pour des familles à faible revenu autochtones et non autochtones au Nouveau-Brunswick.

La Wabanaki Development Corporation est un organisme de développement économique relevant du Conseil qui a créé de nombreuses occasions de formation, d'emploi et de développement économique pour les peuples autochtones hors réserve dans la province. Nous avons offert de nombreux programmes et services au nom de Développement des ressources humaines Canada, DRHC. Depuis 30 ans, le Conseil a aidé les membres des peuples autochtones à obtenir des services de formation, de perfectionnement des études, d'acquisition de compétences professionnelles, et d'emploi. Le programme d'aide à l'éducation du Conseil a permis à de nombreuses familles autochtones à faible revenu et à leurs enfants de prendre conscience de l'importance de l'éducation en les encourageant à continuer de fréquenter les écoles publiques, en reconnaissant l'excellence et en insistant pour que les élèves autochtones vivant hors réserve fréquentent les établissements d'enseignement postsecondaire.

Le Rising Sun Summer Camp, parrainé par le Conseil, est situé à Little Lake, au Nouveau-Brunswick. Le camp offre aux enfants pauvres autochtones l'occasion de s'évader pendant quelques brèves semaines chaque été pour échapper aux conditions socio-économiques déplorables dans lesquelles bon nombre d'entre eux sont forcés de vivre. Ils ont ainsi la possibilité de rencontrer d'autres Autochtones et de se refamiliariser avec divers aspects de leur patrimoine.

Ce ne sont là que quelques-uns des nombreux services, programmes et organismes que le Conseil a mis sur pied depuis trois décennies à l'intention de la communauté autochtone hors réserve résidant au Nouveau-Brunswick. On ne peut comprendre pleinement la nature du Conseil, son rôle, son objectif et ses préoccupations au sujet de la jeunesse autochtone urbaine à moins de connaître les caractéristiques démographiques de la population autochtone du Nouveau-Brunswick. Il serait très long de vous réciter page après page des statistiques sociales, économiques et démographiques qui montrent de façon éloquente les conditions lamentables dans lesquelles les Autochtones hors réserve vivent; d'ailleurs, ce n'est pas le but de ce mémoire de dresser ce portrait. Cependant, nous fournirons au comité certaines statistiques démographiques. Nous vous invitons également à consulter les statistiques socio-économiques que l'on trouve dans de nombreuses études commandées par Statistique Canada, Patrimoine Canada ainsi que dans le volume 2 du rapport final de la Commission royale sur les peuples autochtones.

En 1996, le recensement nous a appris qu'environ 17 000 personnes d'origine autochtone résidaient dans la province du Nouveau-Brunswick, dont 5 500 vivant dans les réserves. Des 11 500 Autochtones restants, 4 500 étaient des Indiens inscrits vivant hors réserve et 7 000 des Métis non inscrits. D'après nos dossiers et les données fournies par AINC, 32 p. 100 de la totalité des Indiens inscrits dans les réserves provinciales vivent hors réserve, ce qui représente approximativement 3 200 personnes. En outre, quelque 1 000 Indiens inscrits et Inuits sans territoire ont fait de la province du Nouveau-Brunswick leur lieu de résidence.

Si l'on fait le calcul, environ 3 300 Indiens non inscrits — c'est-à-dire des Autochtones d'origine micmaque et malécite qui ne peuvent être inscrits aux termes de la Loi sur les Indiens —, 52 p. 100 des Autochtones, soit 7 500 personnes environ, vivent en dehors des réserves dans la province. Ce chiffre représente un nombre considérable d'Autochtones qui, d'après les tribunaux, ont un intérêt plus que superficiel pour les enjeux autochtones. Qui plus est, ce nombre justifie notre position voulant que l'accès aux programmes, aux services, ainsi qu'aux droits ancestraux et issus de traités et à l'autonomie gouvernementale ne se fonde pas sur le lieu de résidence ou l'inscription aux termes de la Loi sur les Indiens.

Mme Stephanie Bolger, représentante de la jeunesse, Conseil des peuples autochtones du Nouveau-Brunswick: Au nom des jeunes Autochtones hors réserve du Nouveau-Brunswick, je remercie le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones de nous donner aujourd'hui l'occasion d'exprimer l'état de notre réflexion et nos opinions sur les problèmes que connaissent les jeunes Autochtones qui vivent en milieux urbain et rural au Nouveau-Brunswick.

Avant de commencer, je vais me présenter et vous dire quelques mots pour que vous sachiez qui je suis et comment mon vécu a façonné mes opinions.

Je m'appelle Stephanie Bolger. Je travaille à divers titres avec des jeunes Autochtones inscrits et non inscrits vivant hors réserve en milieux urbain et rural depuis l'âge de 16 ans. En 1999, j'ai été élue représentante de la jeunesse autochtone au niveau provincial. Je suis la représentante de la jeunesse autochtone du Nouveau-Brunswick au Congrès du Conseil de la jeunesse des peuples autochtones depuis plusieurs années et récemment, j'ai été élue au Comité directeur du Conseil national de la jeunesse. L'an dernier, j'ai été nommée au Comité de la jeunesse des organisations autochtones nationales, au nom du congrès. Tout au long de ce processus, j'ai eu l'occasion de rencontrer les ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux responsables des affaires autochtones ainsi que les dirigeants autochtones nationaux et de leur communiquer mes opinions. J'ai siégé à divers autres comités et j'ai assisté à de nombreuses conférences, y compris la Conférence nationale sur la stratégie relative à la jeunesse autochtone tenue en 2001.

Étant moi-même une jeune Autochtone mère de deux enfants, je crois avoir une bonne idée des problèmes auxquels sont confrontés les jeunes Autochtones en milieux urbain et rural, à la fois au Nouveau-Brunswick et sur la scène nationale.

Quels sont les problèmes des jeunes Autochtones tant à la ville qu'à la campagne? Si l'on m'avait donné 25 cents chaque fois que j'ai entendu un jeune Autochtone se plaindre de l'ennui, j'aurais sans doute suffisamment d'argent pour prendre ma retraite. Nos jeunes s'ennuient. Cela peut sembler un problème courant, qui frappe non seulement les jeunes Autochtones, mais tous les jeunes en général. À une différence près, cependant. Les jeunes Autochtones n'ont pas les mêmes possibilités que les autres jeunes. Ils font face à des taux élevés de pauvreté, de chômage, d'itinérance, de santé, de mauvais traitements, de violence familiale, d'exploitation sexuelle, et la liste est encore longue.

Ajoutez à cela l'ennui, et les résultats sont désastreux: suicide, consommation abusive d'alcool et de drogues, incarcération, ainsi que le cycle intergénérationnel ininterrompu de la violence. En tant que jeune, ce sont là des problèmes que je suis lasse de voir rapporter dans les médias.

La politique d'inscription aux termes de la Loi sur les Indiens appliquée par AINC est un problème écrasant dont de nombreux jeunes Autochtones viennent récemment de prendre conscience. À mes yeux, la Loi sur les Indiens est une mesure raciste des plus répugnantes. Personne ne peut me dire que mon enfant est ou n'est pas Autochtone. Comment une nation peut-elle avoir l'audace de dire à une autre nation qui sont ses citoyens et quels sont les critères de la citoyenneté? Quelle autre nation permettrait pareille chose? Cette question touche tous les peuples autochtones, mais surtout les jeunes d'aujourd'hui et leurs enfants.

Le projet de loi C-31 a uniquement retardé d'une génération ou deux l'assimilation des jeunes et des enfants autochtones. La loi programme littéralement notre disparition; nous sommes assimilés par la plume plutôt que par l'épée. Être non-Indien signifie être privé de prestations de santé et de la possibilité d'accéder à l'enseignement postsecondaire. Cela signifie être harcelé lorsqu'on tente d'exercer nos droits traditionnels de chasse et de pêche. Cela signifie être stigmatisé par son propre peuple qui nous reproche de ne pas être suffisamment Indiens. Cela signifie se voir refuser l'accès à d'autres programmes et services. Cela signifie avoir les mêmes problèmes que les Indiens inscrits, tout en étant dépourvus de mécanismes de soutien. Où est la justice pour les jeunes et les enfants de nos nations autochtones?

À tout cela s'ajoutent les querelles continuelles des gouvernements fédéral et provinciaux au sujet de la responsabilité fiduciaire à l'égard des peuples autochtones hors réserve. Le gouvernement fédéral ne veut pas assumer la responsabilité des Indiens inscrits et non inscrits car ils ne relèvent pas de sa compétence sur les réserves. Quant aux gouvernements provinciaux, ils ne veulent rien savoir puisqu'ils estiment que nous relevons de la responsabilité du gouvernement fédéral. On se renvoie la balle et part et d'autre et dans l'intervalle, des jeunes Autochtones souffrent et meurent. C'est inacceptable.

Cela dit, je tiens à signaler au comité que tout n'est pas sombre, qu'il existe quelques bons programmes qui commencent à apporter des changements positifs dans la vie des jeunes Autochtones urbains et des jeunes Autochtones en général. La Stratégie nationale concernant les jeunes Autochtones est, en théorie, une bonne stratégie. En principe, il est bon de voir que le Canada et les provinces se soucient des jeunes Autochtones. C'est une bonne idée. Cependant, en réalité, qu'a fait cette stratégie pour les jeunes Autochtones? Je n'ai pas encore vu de résultats concrets découlant de cette stratégie, si ce n'est une conférence qui a eu lieu à Edmonton. Jusqu'ici, je n'ai pas été impressionnée. Cependant, il est encore trop tôt pour se prononcer et nous continuerons à participer à cet exercice car au Conseil, nous essayons de conserver une approche proactive à tout prix. Qui ne participe pas n'a pas le droit de se plaindre.

La Stratégie de développement des ressources humaines autochtones est une excellente initiative. Au Nouveau- Brunswick, cette stratégie a permis à des jeunes de réaliser leurs objectifs. Elle s'adresse à tous les membres des peuples autochtones hors réserve, qu'ils soient Indiens inscrits ou non inscrits, qu'ils vivent en milieu urbain ou rural. Il s'agit d'un programme de nature communautaire qui comporte suffisamment de souplesse pour convenir à tous nos besoins. Aucun programme n'est parfait; il y a toujours place à l'amélioration, mais c'est un bon début et nous devons poursuivre dans cette voie.

L'un des problèmes de la SDRHA est l'inégalité du financement pour les peuples autochtones hors réserve.

Une autre excellente initiative est l'Initiative des centres urbains polyvalents pour les jeunes Autochtones. La théorie sous-jacente à cette initiative, c'est qu'elle est conçue par des jeunes, pour des jeunes. Elle confère aux conseils de la jeunesse suffisamment de souplesse pour répondre à leurs propres besoins. Il convient d'étendre ce programme et de le rendre plus accessible. En général, il y a une vive concurrence pour les fonds limités. Ce financement fort convoité crée souvent des divisions et de l'animosité entre les membres de notre peuple. D'ailleurs, on peut dire la même chose d'un grand nombre de programmes.

Il y a sans doute un nombre considérable de programmes, stratégies, initiatives et organismes axés vers les peuples autochtones, et vers les jeunes en particulier. Cependant, il y en a un grand nombre que je ne connais pas. Les peuples autochtones hors réserve, qu'ils vivent en milieu urbain ou rural, ne sont pas admissibles à bon nombre de programmes existants pour une raison ou une autre, sans oublier les personnes non inscrites aux termes de la Loi sur les Indiens. On affirme que de nombreux programmes ne font pas de discrimination fondée sur le lieu de résidence ou le statut, mais ce n'est tout simplement pas le cas.

J'ai eu le privilège d'être nommée au groupe de travail du Comité jeunesse des organisations autochtones nationales. Il s'agit d'un sous-groupe du Forum fédéral-provincial-territorial autochtone qui réunit les ministres responsables des affaires autochtones et des dirigeants autochtones nationaux. L'objectif de ce groupe est de surveiller l'évolution de la stratégie nationale concernant les jeunes Autochtones. Nous avons soumis cette omission flagrante aux ministres et à nos dirigeants autochtones lors d'une réunion tenue à Iqaluit en novembre dernier et nous en avons fait notre priorité.

La raison pour laquelle nous avons fait du développement du leadership notre priorité, c'est que nous voulons renforcer l'autonomie des jeunes en les aidant et en leur donnant les outils dont ils ont besoin pour s'assumer et prendre en charge leur situation. Il n'y a qu'eux qui peuvent régler les problèmes individuels qui les affectent, ainsi que leur famille et leur communauté. Cela oriente les jeunes Autochtones vers des solutions positives plutôt que vers des actions négatives. Cela les prépare à être les leaders de demain, la plus importante ressource renouvelable des nations autochtones.

Même si le développement du leadership n'est sans doute pas la réponse à tous les problèmes auxquels se heurtent les jeunes Autochtones, à mon avis, cela peut faire beaucoup pour susciter des changements positifs dans la vie de nos jeunes et des Autochtones en général.

Je recommanderais en outre que l'on donne aux organisations de représentation des Autochtones des fonds pour embaucher un coordonnateur jeunesse à temps plein. Trop souvent, nous sommes obligés de compter sur des bénévoles pour travailler auprès des jeunes Autochtones. Je consacre 25 à 30 heures par semaine au portefeuille de la jeunesse et ce, en plus de mon emploi à temps plein et de mon deuxième emploi à temps plein en tant que mère.

Je signale que ce faisant, je me borne à faire ce qui doit être fait et non pas ce qui devrait être fait.

Grâce à un coordonnateur jeunesse à temps plein, nous pourrions obtenir davantage de fonds en rédigeant des propositions, en faisant des collectes de fonds et même du développement économique. Les jeunes auraient les outils de base pour commencer à régler les problèmes qui ont été recensés, étudiés, analysés et fouillés depuis une vingtaine d'années.

Voici enfin ma dernière recommandation: il faut remplacer la Loi sur les Indiens, qui est obsolète, par une Loi sur les peuples autochtones allant dans le sens de ce qu'a proposé la Commission royale sur les peuples autochtones dans son rapport final de 1996.

Je remercie le comité de m'avoir donné le temps d'exprimer mon opinion. Je suis prête à répondre à toute question que vous pourriez avoir concernant mon exposé ou les jeunes Autochtones en général. J'ai inclus dans mon mémoire un exemplaire du procès-verbal de la réunion du Comité jeunesse. Les jeunes qui sont membres du Conseil m'ont aidée à rédiger le mémoire que je soumets à votre comité. Au sein de notre organisme, aucun mémoire n'est rédigé en vase clos. Je vous transmets la voix et les aspirations du Conseil.

La présidente suppléante: Les choses que vous avez faites m'impressionnent. Il y a là toute une liste de programmes différents que vous avez mis sur pied. C'est très impressionnant et fort encourageant. Certes, les problèmes sont nombreux, mais vous nous avez présenté un exposé très positif.

Le sénateur Pearson: C'est toujours un plaisir d'entendre des jeunes, et d'autres qui sont tout aussi jeunes. Vous avez l'air très jeune aussi, chef Lavallée.

Ma question s'adresse à Mme Bolger. Comme vous l'avez déjà dit, le défi de la jeunesse ne se pose pas uniquement dans la communauté autochtone. Vous dites que les jeunes s'ennuient. L'ennui est un état d'esprit et par conséquent, c'est un malaise qui reflète ce que l'on est à l'intérieur de soi. Vous avez beaucoup parlé d'autonomie, de prise en charge et je voudrais que vous me donniez plus de détails sur vos initiatives en ce sens. Une fois que les jeunes sont engagés dans un domaine ou un autre, l'expérience m'a appris qu'ils ne s'ennuient plus.

Votre idée d'avoir un coordonnateur jeunesse est excellente. On a toujours besoin de quelqu'un. On ne peut s'attendre à des progrès si l'on n'a pas d'aide du tout.

Nous nous sommes penchés, par exemple, sur le rôle des sports dans la vie des jeunes. Avez-vous des exemples de ce qui se fait au Nouveau-Brunswick? Ne faudrait-il pas que nous recommandions que l'on encourage l'organisation d'activités pour les jeunes?

Mme Bolger: Dans le contexte du Comité jeunesse des organisations autochtones nationales auquel je siège, nous avons parlé de leadership. Notre modèle de leadership englobe des aspects culturels, physiques, affectifs, économiques et politiques. Nous avons une vue d'ensemble. Dans le cadre de l'acquisition de qualité de chef, nous voulons qu'ils s'intéressent également à l'aspect physique et qu'ils fassent du sport, qu'ils se préoccupent de leur santé, et ainsi de suite.

Je travaille à l'Initiative de développement des ressources humaines autochtones et bon nombre de mes clients nous demandent de l'aide lorsque leur fils veut jouer au hockey, par exemple. À l'heure actuelle, aucun programme ne nous permet de leur offrir de l'aide à cet égard, mais ce serait une bonne chose puisque la pratique du sport contribue à favoriser le leadership.

Le sénateur Pearson: Je ne parle pas seulement de leadership, car qui dit chef dit aussi suiveur. Ce qui m'intéresse vraiment c'est l'autonomisation. Il n'est pas nécessaire d'être chef si on est autonome. Le sport est une bonne façon d'habiliter les jeunes; entre autres, le sport nous apprend à gagner et à perdre. Nous sommes convaincus des bienfaits du sport. S'il y a à cet égard quelque chose que vous pouviez recommander, cela m'intéresserait beaucoup.

Mme Lavallée: Nous avons récemment demandé à être représentés au Cercle sportif autochtone du Nouveau- Brunswick, et c'est maintenant chose faite. Malheureusement, comme Mme Bolger l'a dit, nous n'avons pas accès à des fonds qui nous permettraient de venir en aide aux parents qui veulent inscrire leurs enfants à des activités sportives. J'estime que le sport joue un rôle important dans le développement de l'enfant. Il apprend à jouer en équipe et acquiert de la confiance. Le sport contribue à accroître leur estime de soi et fait la promotion d'un mode de vie sain. Voyez ce que disent les derniers rapports rendus publics par le gouvernement au sujet des enfants autochtones et de la population autochtone en général. On y retrouve une forte incidence d'obésité, de diabète, de maladie cardio- vasculaire, et ainsi de suite.

La pratique des sports, même les sports communautaires, est très coûteuse. J'ai deux jeunes neveux et trois familles s'unissent pour payer les frais d'inscription à leurs activités sportives au Nouveau-Brunswick. Mon mari, ma mère et mon père, mon frère, qui est père célibataire et moi-même y allons tous de notre écot. Il en coûte environ 700 $ pour deux jeunes garçons, sans compter le coût de l'équipement et des déplacements dans les diverses localités où ils doivent jouer. Il y a aussi des frais d'administration supplémentaires pour assurer la rémunération des arbitres. Pour quelqu'un qui vit de l'aide sociale, c'est tout simplement un rêve chimérique.

Le sénateur Pearson: C'est une question très importante. Mes petits-fils jouent au soccer, ce qui coûte 60 $ par saison, y compris les uniformes. Le hockey est un sport coûteux, même s'il ne l'était pas auparavant. Autrefois, on pouvait jouer au hockey organisé dans sa cour.

Votre message, c'est que nous devrions faire en sorte que ces activités soient abordables et offrir aussi un plus grand choix.

Mme Lavallée: Oui. En bout de ligne, la participation à un sport organisé, quel qu'il soit, coûte de l'argent. Il est malheureux, même pour les enfants non autochtones, que l'on ait retiré l'éducation physique du système scolaire. Ces cours faisaient partie du programme scolaire de base. Lorsque j'allais à l'école, nous avions des cours d'éducation physique au moins trois fois par semaine. À ce moment-là, nous avions accès à des sports, entre élèves ou autrement. À l'heure actuelle, même cette composante fait défaut.

Le sénateur Stratton: Je veux revenir sur la question de l'ennui. C'est fantastique d'encourager les jeunes à faire du sport, mais je m'inquiète au sujet des jeunes pour qui il est plus cool de s'ennuyer que de faire du sport.

Je me souviens très bien de cette époque. Je m'ennuyais. Il n'était pas bien vu de faire du sport ou d'avoir de bonnes notes. Ce sont ces jeunes-là dont il faut s'inquiéter, ceux qui pensent qu'il n'est pas cool de faire du sport. Des jeunes comme ça, il y en a énormément, tout comme il y en avait dans mon temps. Je ne pense pas que le monde ait tellement changé depuis.

Que faire au sujet de ces jeunes?

Mme Bolger: Bien souvent, ces enfants ont une perception négative d'eux-mêmes. Bien souvent, ce n'est pas bien d'être une personne autochtone. Une grande partie de notre fierté s'effrite et se perd pour de nombreuses raisons.

Nous devons inculquer à nos jeunes un sentiment de fierté face à leur appartenance et les aider à réapprendre leur culture. Nous sommes nombreux à avoir perdu notre culture et notre langue. Parfois, nous ne savons plus qui nous sommes. Nous devons retrouver notre identité et ensuite, nous pourrons nous épanouir. L'estime de soi est un gros problème pour beaucoup de nos gens.

Il y a bien des choses que nous pourrions faire. Nous avons besoin de modèles de comportement positif. Nous avons deux ou trois programmes de prix d'excellence et de mentorat, par l'entremise du congrès. Cependant, pour l'instant, cela s'applique seulement dans la région d'Ottawa et ne nous aide pas beaucoup dans l'est. Il faut espérer qu'on en étendra la portée. Ce genre de chose ne coûte pas beaucoup d'argent, mais nous avons besoin d'infrastructures pour être capables de faire cela. Il nous faut plus de personnel pour être en mesure de coordonner tout cela.

Mme Lavallée: Je suis d'accord avec Mme Bolger. Parfois, quand les enfants se promènent en crânant et en disant: «Je suis cool et je refuse de faire du sport», ce n'est rien d'autre qu'un mécanisme d'autodéfense. Parfois, c'est plus facile de se mettre soi-même sur la touche, plutôt que d'entrer dans le jeu. La dénégation rend plus facile d'affronter la réalité de sa vie quotidienne.

Je connais personnellement une jeune femme qui avait cette attitude. C'est une brillante jeune femme qui a beaucoup de potentiel. Quelqu'un s'est occupé d'elle et a réussi à lui faire comprendre qu'elle était brillante et que tout était à sa portée. Tout ce dont elle avait besoin, c'est de quelqu'un pour l'appuyer et l'encourager. Elle était ravie de m'apprendre hier — c'est une enfant qui a été expulsée de l'école et qui a dû suivre un cours de gestion de la colère — qu'elle avait eu une note de 80 dans toutes ses matières cette année et qu'elle est bien partie pour décrocher son diplôme. Ces enfants-là ne sont pas des cas désespérés, tout ce dont ils ont besoin, c'est de quelqu'un qui s'intéresse à eux et qui leur donne les outils pour les aider à s'aider eux-mêmes.

Le sénateur Sibbeston: D'après les renseignements que vous nous avez fait parvenir, il y a 17 000 Autochtones au Nouveau-Brunswick, dont 5 500 dans les réserves. C'est moins de la moitié qui vivent dans les réserves. La vie est-elle meilleure dans les réserves, ou bien les Autochtones vivent-ils mieux en milieu urbain dans votre région du pays?

Mme Lavallée: Vous pouvez avoir deux réponses différentes à cette question, selon la personne à qui vous la posez. Si vous vous adressez à une personne qui habite dans une réserve, celle-ci vous répondra probablement que sa situation est pire. Si vous posez la question à une personne comme moi, qui habite hors réserve, je vous répondrais que c'est notre situation à nous qui est pire. Elles sont comparables, ce sont simplement des situations différentes.

Je n'oserais pas parler au nom des gens qui habitent dans les réserves, car je n'y ai jamais vécu. Ma famille a quitté la réserve depuis trois générations. Je fais partie des femmes qui ont reçu le droit de vote. De plus, je me suis enrôlée dans l'armée et j'ai été dès lors considérée comme une personne instruite, et puis j'ai épousé un homme non autochtone. J'avais trois prises contre moi. Cependant, je peux vous dire, d'après ce que je vois et constate tous les jours, d'après les gens que je côtoie et les appels téléphoniques que je reçois, à la lumière des derniers rapports de l'ONU, que les conditions là-bas sont comparables à celles des pays du tiers monde.

Le sénateur Sibbeston: J'aimerais savoir à quel point la vie est difficile. Je connais la situation des Autochtones dans le Nord, d'où je viens. De plus, nous avons voyagé dans l'ouest du Canada et nous avons entendu des témoignages. Nous avons une bonne idée de la situation et de l'identité des Autochtones. Il y a eu une migration des régions rurales vers les villes. Est-ce que le même phénomène existe au Nouveau-Brunswick? Comment est la vie chez vous? Le Canada est un pays riche. Est-ce qu'il y a des gens qui ont faim?

Mme Lavallée: Au Nouveau-Brunswick, à un moment donné, nous avions un programme de logement administré par le gouvernement fédéral. À la fin des années 90, ils ont confié ce programme au gouvernement provincial. Nous avons alors perdu nos logements ruraux et urbains.

Ceux qui pouvaient à un moment donné avoir accès aux études supérieures ou aux avantages de l'éducation, pour ceux d'entre nous qui étaient inscrits, n'y avaient plus accès parce que ces programmes ont été remis aux conseils de bande, administrés par les réserves, tout comme pour l'accès aux services de santé. Tout cela été délégué aux bandes.

Je peux parler au nom de ma famille. Mon père a dû aller à Saint John pour se faire soigner à l'unité du cancer et on lui a refusé de payer ses frais de déplacement pour aller et venir. Il est un ancien combattant autochtone dont le budget est très serré. Il y a d'autres histoires épouvantables comme celle-là: des gens qui sont incapables d'obtenir les médicaments dont ils ont besoin, et cetera.

Beaucoup d'Autochtones sont assistés sociaux. Les problèmes intergénérationnels dont ils souffraient dans les réserves ne sont pas disparus. Ils traînent ces problèmes avec eux jusqu'en ville et, malheureusement, au Congrès des peuples autochtones du Nouveau-Brunswick, nous n'avons pas les outils voulus pour affronter les problèmes de ce genre. C'est malheureux lorsque nous devons faire un choix, compte tenu des programmes et services que nous pouvons offrir, à notre programme de développement des ressources humaines autochtones, parce que nous sommes parfois obligés de choisir le client qui a les meilleures chances de succès et d'écarter les autres. C'est injuste, parce que parfois, il suffirait d'un petit coup de pouce, une petite somme d'argent pour faire garder les enfants, pour s'assurer qu'un enfant soit dans un environnement sûr pendant que la mère suit un cours de formation ou de perfectionnement pour obtenir un emploi qui lui permettra de décrocher de l'aide sociale.

Nous avons les mêmes problèmes. Si vous alliez voir sur place certaines unités de logement... À un moment donné, nous avions des gens qui étaient logés dans des tentes, en attendant que notre organisation de logements à but non lucratif se mette en branle. Allez voir certains complexes résidentiels où les gens habitent actuellement; aucun autre citoyen canadien n'accepterait de vivre dans un endroit pareil. Je peux vous l'affirmer. Les gens refuseraient d'habiter à cet endroit.

Ce que vous avez vu dans d'autres communautés autochtones, vous le verrez probablement aussi au Nouveau- Brunswick.

Le sénateur Sibbeston: Le gouvernement fédéral dépense environ six milliards de dollars chaque année pour les peuples autochtones. La plus grande partie de cet argent est dépensée dans les réserves. C'est surtout le ministère des Affaires indiennes qui fournit l'argent et les programmes.

Mme Lavallée: Le mandat du ministère des Affaires indiennes est d'administrer les programmes destinés aux réserves. Nous ne recevons absolument aucun financement des Affaires indiennes pour quelque programme ou service que ce soit. Ils n'ont pas le droit de nous donner de l'argent parce que nous ne relevons pas de leur responsabilité fiduciaire.

Le sénateur Sibbeston: Y a-t-il une culture autochtone au Nouveau-Brunswick? Je m'explique. Dans les Territoires du Nord-Ouest, si vous êtes un Autochtone, vous êtes étroitement associé au territoire. Nos ancêtres habitaient ce territoire, y chassaient et y pêchaient. Beaucoup d'entre nous, même si nous ne chassons plus et ne faisons plus le piégeage, peuvent aller vivre dans la brousse.

Il y a un mois, je suis allé au Grand Lac de l'Ours pour chasser avec mon fils. Nous sommes allés à la chasse au caribou. Nous sommes allés dans la brousse. En été, je vais sur la rivière. En tant qu'Autochtone, je peux faire des activités qui me permettent de reprendre contact avec le territoire et avec ma culture. Je me demande si, au Nouveau- Brunswick, il y a encore des gens qui vivent ce mode de vie, qui font la chasse et le piégeage, qui tirent leur subsistance du territoire, et si les Autochtones peuvent dire que, d'une façon ou d'une autre, ils ont encore un lien avec ce mode de vie?

Vous dites que vous ne savez pas qui vous êtes. Je reconnais que si vous vivez en ville, vous ne savez pas qui vous êtes. Cependant, si vous avez encore un lien quelconque avec le territoire, avec ce mode de vie, vous pouvez dire que vous avez gardé ce lien et que vous parlez la langue. Vous pouvez dire que vous êtes vraiment une personne autochtone parce que vous possédez ces qualités et aussi parce que vous avez des liens avec le territoire.

Êtes-vous en mesure de faire une telle affirmation?

Mme Lavallée: J'ai grandi en faisant la chasse et la pêche au Nouveau-Brunswick, dans la brousse. Je n'ai pas mangé de nourriture achetée au magasin avant l'âge de 17 ans. Oui, la plupart de nos gens qui habitent les régions rurales et même ceux qui habitent en ville continuent de chasser et de pêcher. Ce qui est malheureux, c'est qu'on les poursuit devant les tribunaux pour cette raison. Je viens tout juste de payer la dernière facture de 100 000 $ pour aider ces gens- là à se défendre devant les tribunaux parce qu'ils ont exercé leurs droits ancestraux. C'est de l'argent que j'ai dû enlever à des programmes.

Le sénateur Sibbeston: Y a-t-il encore des gens qui vivent dans la brousse, qui y vivent de la chasse et qui ont cet attachement au territoire?

Mme Lavallée: Oui, il y en a. Même s'ils vivent peut-être en ville, à Fredericton, à Saint John ou à Moncton, ils ont encore leur territoire ancestral dans lequel ils ont probablement grandi. Une personne qui vient des environs de Dalhousie ou de Bouctouche retourne probablement dans la région de sa famille pour y faire la chasse et la pêche.

Nous avons une stratégie des pêches autochtones qui leur permet d'avoir accès à de la nourriture à des fins sociales et cérémoniales.

Dans ma famille, mon frère chasse le chevreuil et l'orignal pour notre famille élargie.

Le sénateur Sibbeston: Avez-vous dit «orignal»?

Mme Lavallée: Autrefois, nous avions du caribou.

Le sénateur Carney: Je m'adresse d'abord à Mme Bolger. Nous avons remarqué à notre comité que les gens ont tendance à appeler les femmes par leur prénom et à s'adresser aux hommes en leur disant «monsieur», et j'insiste donc pour dire «Mme Bolger», avec l'appui de notre présidente, le sénateur Chalifoux. C'est un phénomène assez curieux.

Ma première réaction s'adresse donc à Mme Bolger. J'ignore comment vous réussissez à faire tout ce que vous faites pour les jeunes — nous sommes tous des femmes occupées — tout en ayant deux enfants autochtones. Je vous pose la question: quelle est la définition de jeune Autochtone? Quel âge faut-il avoir pour être considéré comme un jeune?

Mme Bolger: À l'heure actuelle, nous nous occupons des jeunes de 30 ans et moins. Nous avons beaucoup de jeunes. J'ai 27 ans. Beaucoup des enfants de 13 et 14 ans ont des problèmes différents des miens parce que je suis mère. Je suis quasiment une professionnelle de la jeunesse à l'heure actuelle.

Le sénateur Carney: Quel système de soutien avez-vous pour vos enfants? Est-ce qu'un membre de votre famille s'occupe d'eux?

Mme Bolger: Oui, j'ai une famille qui me soutient beaucoup.

Le sénateur Carney: Vous avez fait allusion au projet de loi C-31 et, comme certains membres du comité le savent, je m'intéresse particulièrement au projet de loi C-31 parce que j'étais l'une des 16 femmes députés qui ont réussi à faire adopter ce projet de loi à la Chambre des communes et qui pensaient avoir fait quelque chose de remarquable. Celles d'entre nous, peu nombreuses, qui vivent encore se rendent bien compte que cette mesure législative avait des défauts et qu'elle a créé beaucoup de problèmes. La question est maintenant de savoir comment régler ces problèmes.

Voici la question que je vous pose à toutes les deux: quelles ont été les conséquences du projet de loi C-31 pour les jeunes? C'est la première fois que cette question est soulevée devant notre comité. Il est clair que cela a été un facteur de la migration, les femmes ayant perdu leurs droits et leurs logements. Elles ont perdu les droits qu'elles avaient dans la réserve et elles ont dû migrer vers les villes, ce qui est l'objet de notre étude. D'après votre expérience, pouvez-vous me dire comment cette loi que nous avons fait adopter s'est répercutée sur les jeunes?

Mme Bolger: Personnellement, je suis visée par le paragraphe 6(2). J'ai le statut, mais je ne suis pas en mesure de le transmettre à moins d'épouser un Autochtone ayant le statut d'Indien inscrit.

Cela m'a touchée personnellement parce que j'ai deux filles. L'une a le statut et l'autre ne l'a pas. Cela va poser de graves problèmes parce que l'une reçoit des prestations de santé tandis que l'autre n'en reçoit pas. L'une pourrait avoir le droit de faire des études supérieures en passant par la réserve, tandis que l'autre ne le pourra pas. Cela créera beaucoup de problèmes pour moi personnellement.

Beaucoup de jeunes avec qui je travaille n'ont pas le statut d'Indien. Par conséquent, ils n'ont pas droit à certains avantages auxquels j'ai droit, pas plus que leurs enfants n'y ont droit. C'est en train de devenir un grave problème qui crée beaucoup de divisions entre nous.

Le sénateur Carney: Exactement.

Mme Bolger: C'est parfois difficile.

Le sénateur Carney: Pourriez-vous expliquer publiquement ces divisions, parce que bien des gens ne comprennent pas les divisions.

Mme Lavallée: Ce que bien des gens ignorent parmi le grand public, et ce que le MAINC évite de crier sur les toits, c'est qu'une partie importante de la population de beaucoup de réserves est composée d'enfants qui n'ont pas le statut d'Indiens inscrits. On dit que d'ici 10 ou 20 ans, la plupart de ces réserves seront entièrement peuplées d'enfants non inscrits. Qu'arrivera-t-il alors? Si cela arrive effectivement, le ministre a le pouvoir d'aller là-bas et de dire: «Il n'y a pas de véritable Indien qui habite ici. Par conséquent, cette réserve n'est plus nécessaire.» Il peut donc supprimer cette réserve d'un trait de plume. Ainsi disparaît une nation.

Ce qui me met vraiment en colère, c'est la dernière décision des tribunaux dans l'affaire R. c. Marshall. Dans cette décision, on dit que les réserves sont les bénéficiaires des traités, la manifestation moderne de la nation. On va donc rayer d'un trait de plume des nations autochtones d'ici 10 ou 20 ans. Il faut empêcher cela.

Je suis visée par le 6(2). Mon fils n'a pas droit au titre d'Indien inscrit aux termes de la Loi sur les Indiens. Mon mari l'a adopté quand nous nous sommes mariés. La seule manière dont j'aurais pu le faire inscrire aux termes de la Loi sur les Indiens, c'était de nier son ascendance. Je vous prie d'excuser l'expression, mais il aurait fallu que je déclare que mon fils est un bâtard pour le faire inscrire aux termes de la Loi sur les Indiens. J'ai refusé de le faire.

Nous sommes les seules femmes, à ma connaissance, à avoir des bébés non autochtones. Si une femme chinoise a un bébé, son enfant est considéré comme un Chinois. Si une femme mexicaine a un bébé, son bébé est considéré Mexicain. Nous sommes les seules femmes au monde, à ma connaissance, dont les bébés ne sont pas considérés comme ayant hérité du patrimoine de leur mère. Je trouve cela répugnant.

Le sénateur Carney: C'est une question chargée d'émotions. En quoi cela touche-t-il le droit de propriété, les ententes conjugales, et cetera?

Mme Lavallée: Parce que beaucoup de femmes autochtones ne déclaraient pas l'ascendance de leur enfant, le ministère a pris des mesures. Ils savent que neuf fois sur dix, le mari est probablement non autochtone. Ils supposent maintenant que le père est blanc. En conséquence, l'enfant est pénalisé.

Il y a actuellement des situations où, entre frères et soeurs, l'un est inscrit et l'autre ne l'est pas. Les enfants de mon frère seraient admissibles à l'inscription; mon enfant ne l'est pas. C'est répugnant.

Le sénateur Carney: Je suis contente que l'on discute de cela publiquement. Je suis contente qu'il y ait un début de prise de conscience publique de ce problème. Je dis — et je demande l'indulgence du comité — que nous avons là le seul groupe de personnes au Canada qui ont perdu leurs droits garantis par la charte. Le groupe qui subit la pire discrimination au Canada, ce sont les femmes autochtones qui ont perdu ces droits.

Stephanie, je vais maintenant adopter un ton un peu plus personnel parce que j'ai le sentiment que nous commençons à nous réchauffer un peu dans ce débat.

Quand vous dites qu'à cause du projet de loi C-31, on est littéralement en train de programmer votre disparition, je comprends cela. En Colombie-Britannique, nous négocions des traités mettant en cause d'immenses ressources, d'immenses territoires, de grandes richesses en bois, et tout le reste. Ce que je crains, c'est qu'il ne restera plus dans une génération ou deux d'Autochtones, d'Aborigènes ou d'Indiens visés par les traités. Qu'arrivera-t-il alors? Personne ne peut nous le dire.

Nous savons que le projet de loi C-31 n'a fait que retarder de deux ou trois générations l'assimilation des enfants et des jeunes Autochtones. Pour éclairer le public qui nous écoute, pourriez-vous expliquer ce que c'est que le paragraphe 6(2)? Après l'avoir expliqué, pourriez-vous nous expliquer comment on est littéralement en train de légiférer votre disparition, à cause de l'incidence de tout cela sur les jeunes? S'ils perdent leur statut, où se retrouvent-ils?

Premièrement, pouvez-vous nous expliquer ce que c'est que le 6(2) et le 12(1)? Nous n'avons pas eu l'occasion d'avoir cette discussion parce que la question n'est pas souvent abordée. Nous avons tendance à être tellement absorbés par le témoignage des gens que nous n'orientons pas le débat dans cette direction.

Mme Bolger: C'est une question de pureté de la race. Ma mère est une Indienne 6(1) parce que sa mère et son père sont tous les deux des Indiens 6(1). Ma mère a épousé un homme non autochtone. Par conséquent, je suis devenue une 6(2). Autrement dit, je dégringole d'un échelon.

Mon premier enfant a été conçu avec un homme autochtone. Elle est donc une 6(2). Elle ne perd rien et ne gagne rien non plus. Le père de mon autre fille n'est pas un Autochtone. Par conséquent, elle est une 6(3). Elle n'a aucun statut autochtone aux termes de la Loi sur les Indiens. Aux termes de la Loi sur les Indiens, elle n'est pas une Indienne. Elle ne pourra pas avoir d'enfants autochtones. Mes enfants sont élevés plutôt du côté de ma mère. Ils ont été élevés avec toute la culture et les traditions et on leur a fait comprendre qu'ils sont des Autochtones. Cependant, quand ils essayent d'obtenir des services, le gouvernement leur dit: «Vous n'êtes pas Autochtones; vous n'avez pas le statut».

Le sénateur Carney: Qu'est-ce qu'un 6(1)? Est-ce la première génération?

Mme Bolger: Ils sont Autochtones à 100 p. 100.

Le sénateur Carney: Quand je travaillais dans les territoires, nous étions constamment confrontés à ce problème.

Mme Bolger: Avant 1985, dès qu'une femme épousait un homme autochtone, elle devenait subitement une Indienne 6(1), même si elle n'avait pas une seule goutte de sang indien.

Le sénateur Carney: Qu'est-ce qu'un 6(2)?

Mme Bolger: C'est la moitié.

Le sénateur Carney: À partir de quel moment est-on rayé de la liste de la bande?

Mme Bolger: À 6(2).

Mme Lavallée: Nous sommes comme du bétail. Nous sommes classés par catégories A, B et C. Je suis de catégorie C puisque je suis 6(2).

Le sénateur Carney: Que voulez-vous dire quand vous dites qu'on programme votre disparition à coup de lois?

Mme Lavallée: Il y avait un document rédigé sur la côte Est qui portait sur le problème des enfants des Indiens non inscrits. Ils savent qu'à partir du moment où on descend un échelon plus bas que 6(2), on n'est plus considéré comme un Indien par la loi canadienne. On n'a plus le droit d'être inscrit. On n'est même plus reconnu comme un Indien, point, à la ligne; par conséquent, ils n'ont plus aucune responsabilité.

À l'heure actuelle, on dit que d'ici 10 ou 20 ans, certaines réserves seront entièrement peuplées par des enfants comme mon fils, ceux qui n'ont pas le droit d'être inscrits, et comme la fille de Stephanie. Il y a certains éléments sur lesquels nous pouvons exercer un certain contrôle dans la vie. L'identité des personnes que nos enfants épousent n'en est pas un. En tant que parent, nous le savons tous. On ne tient aucunement compte de la façon dont ils ont été élevés, de leur bagage culturel. On tient uniquement compte de la proportion de sang indien et de la façon dont le mariage a lieu. Il y aura des réserves entièrement peuplées par ces Indiens non inscrits, qui n'ont aucun statut. On les appelle parfois des «fantômes».

Le sénateur Carney: Des fantômes?

Mme Lavallée: Oui, des fantômes.

Le sénateur Carney: Ces témoins sont merveilleux. Je mets tout cela par écrit.

Mme Lavallée: Cela veut dire qu'il n'y aura plus de véritables Indiens qui habiteront là, selon la loi du Canada. Voilà la conséquence. S'il n'y a plus de véritables Indiens qui habitent dans une réserve, alors à quoi sert cette réserve, puisque seuls les Indiens sont censés habiter dans les réserves.

La présidente suppléante: Il n'y aurait plus aucun Indien admissible à des programmes dans cette réserve.

Mme Lavallée: À quoi servirait alors d'avoir une réserve?

Le sénateur Carney: En Colombie-Britannique, nous n'avons pas de réserves, et il n'y a pas de réserves au Yukon non plus.

La présidente suppléante: Non, nous n'avons pas de réserves.

Mme Lavallée: Le ministre a toutefois le pouvoir, aux termes de la Loi sur les Indiens, de faire disparaître cette réserve.

Le sénateur Carney: Quelles sont les répercussions de tout cela parmi les jeunes? L'une de vos filles est une 6(1) et l'autre est une 6(2). J'ai oublié ce qu'est un 12(1), auriez-vous l'obligeance de me le rappeler?

Mme Lavallée: Les femmes qui ont épousé des hommes non autochtones et qui ont été expulsées des réserves.

Le sénateur Carney: Quand vous avez, comme vous le dites, une fille qui est, pour reprendre votre analogie, une vache d'une catégorie différente, pour ainsi dire, en quoi cela influe-t-il sur ses relations avec votre autre fille?

Mme Bolger: Elles sont encore jeunes, de sorte que cela ne pose pas de problème. Ma cadette aura six ans dans deux ou trois semaines et mon autre fille vient d'avoir sept ans. Quand elles seront un peu plus vieilles et qu'elles commenceront à se rendre compte de ce qu'est une personne autochtone, de ce que cela veut dire d'être Autochtone, je crois que cela pourra nuire à leurs relations. Quand j'étais enfant, j'étais une 6(2). Mon père était un non-Autochtone. Je suis allée dans une école où il y avait beaucoup d'enfants autochtones et ils savaient que je n'étais pas une Indienne pure race. J'étais coincée entre les deux. Pendant un certain temps, tout s'est bien passé parce que j'étais la conciliatrice entre les deux groupes, je les rapprochais, mais en même temps, je ne faisais jamais vraiment partie d'un groupe. C'était difficile.

Le sénateur Carney: Vous nous avez assurément donné un bon aperçu.

Je voulais faire comprendre au comité que cette question est pertinente à un autre dossier dont le Sénat est saisi, à savoir les amendements proposés par le ministre à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Des femmes autochtones à qui j'en ai parlé récemment craignent que l'on crée deux classes de citoyens pour ce qui est des droits de la personne. Il y aura les droits de la personne pour les non-Autochtones et puis il y aura les droits de la personne pour les Autochtones. Des situations comme celles que vous décrivez, où il y a une différence entre diverses catégories d'Indiens, créeront une avalanche de problèmes quant aux différents droits qu'auront différentes personnes. C'est un problème auquel nous serons confrontés relativement à la Loi sur les Indiens quand nous en serons saisis.

Mme Lavallée: C'est pourquoi nous avons préconisé une Loi sur les peuples autochtones. Nous devons enlever les étiquettes. Le Canada a joué un rôle de premier plan à la Conférence mondiale contre le racisme. Nous faisons la promotion du racisme au Canada en apposant ces étiquettes sur les peuples autochtones, ces définitions artificielles faisant la distinction entre les Indiens, les personnes 6(0), 6(1), 6(2), les Indiens inscrits, les Indiens non inscrits, ceux qui habitent dans les réserves et ceux qui vivent hors réserve, et puis les Métis. Il est grand temps d'arrêter tout cela, de prendre du recul, d'examiner la Loi sur les Indiens comme l'a proposé la Commission royale sur les peuples autochtones, de la modifier pour qu'elle soit conforme à la réalité d'aujourd'hui, et d'adopter enfin une Loi sur les peuples autochtones.

Au Conseil des peuples autochtones du Nouveau-Brunswick, nous avons participé à l'élaboration de la nouvelle loi qui est proposée, le projet de loi C-7. L'une des recommandations les plus énergiquement défendues par les femmes, les jeunes et l'ensemble des gens avec qui nous avons communiqué et que nous avons consultés, c'était qu'il faut modifier la Loi sur les Indiens. Elle doit refléter la réalité d'aujourd'hui.

Le sénateur Carney: Je n'ai rien à ajouter à votre superbe témoignage.

Le sénateur Léger: Je suis scandalisée d'apprendre cela. C'est la première fois, dans toutes les réunions que nous avons tenues, que nous touchons vraiment du doigt la réalité, à savoir l'étiquetage de vos deux filles et de votre fils. C'est tout simplement incroyable. C'est la première fois que j'entends parler de 6(2). J'avais déjà assez de misère à prononcer certains noms autochtones, parce que nos oreilles n'ont pas été habituées.

La Loi sur les Indiens décide qui vous êtes, qui est votre fille, Stephanie, et vous ne voulez pas de cela. C'est tellement vrai. J'ai choisi de faire partie du Comité des affaires autochtones à cause des racines. J'ai pensé que s'il y a un groupe de gens qui ont des racines, ce sont bien les Autochtones. Moi, j'ai des racines. Je sais qui je suis. J'entends tout cela aujourd'hui et je suis contente de l'avoir entendu. Est-ce parce que vous êtes tellement peu nombreux? Dix- sept mille, en comparaison de l'Ouest, où nous sommes allés. Je trouve tout cela très puissant. C'est là-dessus que portait ma question, cette histoire de divisions et de subdivisions, mais quand vous êtes classés par catégories désignées par des chiffres, c'en est trop pour moi. Nous devons en faire le point de départ de la discussion ou du renouveau, plutôt que d'en finir là.

J'ai assisté aux Jeux du Canada à Bathurst et je me suis régalée comme jamais auparavant. Le sénateur Christensen était là également. Les Autochtones nous ont donné un magnifique spectacle de 25 minutes comme nous n'en avions jamais vu auparavant lors des cérémonies d'ouverture, et je me suis sentie très fière. Le rythme était spécial. Certains critiques ont dit que c'était un peu long. Et alors? Prenons le temps. J'ai vu quelque chose de tout à fait magnifique. C'était le 8 février.

Mme Lavallée: Certains de nos jeunes se trouvaient parmi eux.

Le sénateur Léger: On pouvait sentir la fierté ressentie par les danseurs. Ils étaient tous costumés. Je vous en remercie. J'ai été témoin de quelque chose de très positif.

J'avais l'intention de vous demander à quelle école vous allez et si vous avez votre propre réseau scolaire, mais je vous entends maintenant dire que l'on va légiférer votre disparition et que c'est ce qui vous attend à l'avenir. Vous n'avez donc pas vos propres écoles.

Mme Lavallée: Non. Nos enfants fréquentent les écoles publiques partout dans la province du Nouveau-Brunswick, puisque c'est dans cette province que nous vivons. C'est malheureux. Récemment, on a commencé à enseigner à l'école secondaire une nouvelle matière appelée Études autochtones. Malheureusement, les livres qu'on utilisait quand j'allais à l'école et dont certains sont encore utilisés ne sont pas exactement les meilleurs livres pour apprendre à lire parce que l'histoire autochtone y est parfois présentée de manière très négative.

J'aimerais que la province demande à des Autochtones, des gens comme moi-même ou des gens qui se sont montrés intéressés d'aider à élaborer le programme scolaire des écoles publiques. Ils devraient nous inviter à participer.

C'est triste et drôle à la fois, mais quand j'étais dans les forces armées, mes propres soldats ne savaient pas que j'étais Autochtone; ils ne l'ont appris que le jour où j'ai pris ma retraite, quand ils m'ont demandé où j'allais travailler. Je leur ai dit que je travaillerais au Conseil des peuples autochtones du Nouveau-Brunswick, à titre d'agent de développement économique. Ils m'ont répondu qu'ils pensaient qu'il fallait être Indien pour travailler là, et quand je leur ai dit que j'étais Indienne, ils m'ont appelé sergent Pocahontas.

Le grand public ne s'en douterait pas parce que tout le monde pense qu'un Autochtone est nécessairement une personne aux cheveux et aux yeux noirs et à la peau rouge. Eh bien, devinez quoi? Ce n'est pas le cas. J'ai un frère qui a les cheveux blonds et les yeux noisettes; l'autre a les cheveux foncés et les yeux verts. C'est moi qui ai hérité des restes. Mon fils est blond aux yeux bruns. Nous avons aussi des personnes aux cheveux roux flamboyants. Ce sont des stéréotypes.

Le sénateur Léger: J'aime votre suggestion, quand vous dites que vous aimeriez participer aux études autochtones. Les gouvernements devraient l'entendre. J'ai bien aimé entendre Mme Bolger dire qu'elle est fatiguée des querelles entre les gouvernements fédéral et provincial.

Mme Lavallée: Ma vie serait tellement plus simple s'ils pouvaient seulement s'enfermer dans une pièce, s'asseoir et en ressortir avec une solution raisonnable. Je pourrais commencer à apporter des améliorations dans la vie de mon peuple. Je serais même prête à ce qu'ils se mettent d'accord pour partager. Je me fiche de savoir qui assume la responsabilité. Je serais contente s'ils pouvaient seulement dire: «Écoutez, nous ne sommes pas d'accord quant à savoir lequel d'entre nous devrait être votre propriétaire, mais nous allons discuter et travailler avec vous de manière coopérative et essayer de remédier à certains problèmes. Nous allons discuter et élaborer un plan de gestion de la récolte, pour qu'on cesse enfin ce harcèlement des gens et qu'on ait une bonne gestion, qu'on prenne en main les mesures de conservation, afin d'arrêter de gaspiller de l'argent à payer des avocats pour essayer de faire régler le problème par les tribunaux.»

Je donnerais n'importe quoi pour cela. Beaucoup de gens de mon peuple ont besoin de la viande d'orignal, de chevreuil et du poisson pour passer l'hiver au Nouveau-Brunswick.

Madame, vous savez exactement de quoi je parle. Beaucoup de gens de mon peuple viennent de la Péninsule acadienne. Le travail là-bas est saisonnier. Le Nouveau-Brunswick est essentiellement rural. C'est atroce.

Le sénateur Chaput: Je suis impressionné par les magnifiques présentations que vous nous avez données toutes les deux aujourd'hui. Je suis impressionné, mais je suis aussi scandalisé. Je pensais connaître la réalité des Autochtones, mais je ne la connaissais pas vraiment.

Je voudrais remercier le sénateur Carney pour ses questions. Je n'aurais pas été capable de les formuler de cette manière.

Je comprends que vous aimeriez avoir vos propres écoles.

Mme Lavallée: Je n'ai pas besoin d'avoir ma propre école. Je serais tout à fait ravie de travailler avec le gouvernement provincial et le gouvernement fédéral pour élaborer un programme qui serait dispensé dans le cadre du réseau des écoles publiques. Je ne veux pas dépenser plus d'argent pour l'infrastructure. Nous vivons dans les villes et les villages. Je ne veux pas isoler mon peuple.

Le sénateur Chaput: Vous voudriez une école conçue pour répondre à vos besoins, mais établie dans le cadre du système public?

Mme Lavallée: Exactement. Je ne veux pas isoler mon peuple. Ils n'ont pas besoin d'être encore plus isolés.

Le sénateur Chaput: Nous avons parlé d'une Loi sur les peuples autochtones, et vous avez dit que si le gouvernement pourrait en arriver à une mesure qui s'inspirerait de ce que la commission royale avait proposé, les femmes et les jeunes seraient en faveur d'une telle mesure.

Si elle était présentée aux Autochtones d'un bout à l'autre du Canada, quel pourcentage de votre peuple serait en faveur d'une telle loi? En avez-vous une idée?

Mme Lavallée: Probablement qu'au moins 80 p. 100 de la population autochtone se prononcerait en faveur d'une Loi sur les peuples autochtones, parce qu'à ce moment-là, on reconnaîtrait les peuples autochtones comme des nations et non pas comme des réserves.

Bien des gens se font leurrer par le terme «Première nation». Les réserves ne sont pas des Premières nations. Il y a seulement environ 62 Premières nations au Canada.

Au Nouveau-Brunswick, il y a trois Premières nations: la Nation micmaque, la Nation malécite et la nation Passamaquoddy. Les 15 réserves du Nouveau-Brunswick font partie de ces nations. Elles ne sont pas des nations en elles-mêmes.

Si nous avions une Loi sur les peuples autochtones qui était fondée sur la reconnaissance des nations, on n'aurait plus ces étiquettes; un Micmac est un Micmac, un Malécite est un Malécite.

La présidente suppléante: Comment allez-vous financer les programmes que vous avez établis? Ce sont des programmes très élaborés, d'après la description que vous en avez faite. Ils sont impressionnants. Où trouvez-vous l'argent?

Mme Lavallée: Ce ne sont là que quelques-uns de nos programmes. Nous en avons beaucoup d'autres. Nous avons notre budget de base pour le conseil aux termes du programme de représentation autochtone de Patrimoine Canada, qui nous donne un petit budget de base annuel. Nous ajoutons à ce budget de base. Nous avons présenté des demandes à divers programmes et services au fil des années. Nous faisons des propositions et les présentons, et nous faisons de notre mieux.

Tout l'argent amassé est entièrement amassé par nous-mêmes. Si je donne une conférence, le per diem est remis au conseil pour le camp d'été pour enfants.

Nous sommes inventifs au Nouveau-Brunswick. Nous existons depuis 32 ans. Nous sommes propriétaires de notre propre immeuble à Fredericton. Nous avons un petit terrain que nous louons à la province du Nouveau-Brunswick pour le camp d'été des enfants. C'est un ancien parc provincial. Tous les membres de la collectivité font du bénévolat, et les jeunes travaillent comme apprentis moniteurs. Ma mère et mon père travaillent à la cuisine. C'est essentiellement une affaire familiale et communautaire.

Je voudrais signaler que ce rapport a été écrit en majeure partie par Mme Bolger et par les jeunes. Je me suis contentée de faire des suggestions et d'assurer la supervision. Mme Bolger et les jeunes ont tout fait. Je refuse de faire le travail à leur place et je le leur ai dit. Je vais les appuyer, mais je vais les faire entrer de force avec moi dans le XXIe siècle.

La présidente suppléante: Dans les programmes et les programmes scolaires auxquels vous participez, quel pourcentage des participants sont des hommes et des femmes? Y a-t-il plus de jeunes femmes que de jeunes hommes? Quel est le seuil à partir duquel on refuse les candidats? Avez-vous des raisons pour cela?

Je demande tout cela parce que cette question a été soulevée par un certain nombre d'autres témoins. Nous essayons d'avoir une idée exacte de la situation dans l'ensemble du pays.

Mme Lavallée: D'après mon expérience, j'ai vu plus de femmes travailler dans le secteur bénévole ou bien au conseil. Elles semblent jouer tous les rôles clés. Nous étions une nation maternaliste. Les femmes étaient la force motrice, c'est elles qui faisaient bouger les choses. Nous étions l'assise de nos nations.

Je n'ai pas vu tellement de changements à cet égard dans nos collectivités hors réserve. Nous sommes encore les forces motrices. Je suis certaine que mon mari l'exprimerait probablement différemment, mais nous insistons lourdement.

Je dois dire que, d'après mon expérience, ça a toujours été les femmes.

La présidente suppléante: Dans le système scolaire également?

Mme Lavallée: Dans une grande mesure, oui. Les jeunes femmes comme Mme Bolger font bouger les choses.

La présidente suppléante: Notre recherchiste fait beaucoup de travail pour nous. Elle a une question à poser sur l'éducation.

Mme Tonina Simeone, recherchiste, Bibliothèque du Parlement: Je voudrais que l'on précise comment s'applique la Loi sur l'éducation des Micmacs.

Mme Lavallée: Elle ne s'applique pas à nous.

Le sénateur Pearson: Merci, sénateur Carney, d'avoir soulevé cette question. C'est contraire au bien-être des enfants de les mettre dans une situation où leur identité est précaire, pour des raisons totalement arbitraires. Y a-t-il un autre moyen de remédier au problème?

Les gens comme nous, qui sont d'origine mixte, ont tendance à dire: «Je suis d'origine écossaise». C'est beau de voir les choses sous cet angle, cela devrait être une question de choix.

Vous avez une foule d'enfants qui ont subitement été retranchés. Je ne pense pas que tout le monde choisirait d'être Autochtone. Cependant, les gens devraient avoir le choix. Quiconque a des ancêtres autochtones devrait pouvoir choisir. Est-ce votre sentiment?

Mme Lavallée: Exactement. Je suis fière de mon ascendance. Ma mère n'est pas Autochtone. Si ce n'avait pas été d'elle, je ne serais pas ici en train de m'entretenir avec vous. C'est elle qui m'a poussée à m'épanouir. Elle était de ces femmes qui se sont totalement adaptées à notre culture, et elle nous a poussés à affronter le monde et à être qui nous sommes aujourd'hui.

Voyez quels sont les signataires de nos traités sur la côte Est. La plupart étaient des gens comme moi-même, des gens que l'on qualifiait de demi-sang dans l'ancien temps parce qu'ils pouvaient parler les deux langues des gens avec qui ils négociaient. Il ressort clairement des monologues et des procès-verbaux des traités qu'ils étaient là comme représentants des peuples de leur mère.

Devrait-on avoir le choix? Oui, absolument. Tous les autres citoyens canadiens ont le choix. Les enfants doivent choisir à un moment donné. Ce n'est pas différent de la religion. Vous pouvez toujours forcer votre enfant à aller à l'église chaque semaine. Mais dès l'instant où il quitte votre foyer, la probabilité qu'il continue à fréquenter l'église est mince, sinon nulle. J'ai eu une discussion là-dessus dernièrement avec mon fils.

Le fait est que l'on a la capacité d'inculquer le bagage culturel de base. Quant à savoir ce que l'enfant fera de ce bagage à l'avenir, encore une fois, l'enfant est le seul à pouvoir en décider. Si vous, en tant que bon parent, faites qu'il soit fier de ce bagage, la probabilité qu'il rejette son ascendance ou ses racines est mince — elle est même nulle à mes yeux.

Le sénateur Pearson: Je vous en remercie. Je pense que cela doit figurer au compte rendu. C'est une question de choix.

Mme Lavallée: Je voudrais remercier le comité de nous avoir entendus ce soir. J'aime avoir l'occasion de me faire entendre parce que cela me permet d'aider nos jeunes. Tout le monde m'entend toujours parler, mais ils n'entendent pas les jeunes. Je suis contente de leur donner l'occasion de venir faire l'expérience, de voir à quoi ressemble mon travail de chef de file de ma collectivité. Cela les aide beaucoup en les inspirant et en leur faisant entrevoir des jours meilleurs; en leur faisant comprendre que l'on peut réussir. Cela me facilite la tâche quand ils peuvent voir de leurs propres yeux ce que je fais en leur nom.

La présidente suppléante: Nous avons reçu beaucoup de jeunes qui sont venus nous voir et ils ont tous été sans reproche. Ils nous ont beaucoup impressionnés. Cela nous donne beaucoup d'espoir, et je suis certaine que cela vous donne beaucoup d'espoir de voir que des personnes comme Mme Bolger seront là pour aider à prendre le relais et poursuivre le travail que vous faites.

Le sénateur Carney: Je voulais demander aux membres du comité de bien vouloir rester quelques minutes pour que je puisse les mettre au courant de certaines préoccupations que j'ai au sujet des travaux du comité. Cela ne prendra que quelques minutes, mais je tiens à ce que vous le sachiez. C'est directement lié aux témoignages que nous avons entendus ce soir.

La séance se poursuit à huis clos.


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