Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 16 - Témoignages du 27 mai 2003
OTTAWA, le mardi 27 mai 2003
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, à qui a été renvoyé le projet de loi C-6, Loi constituant le Centre canadien du règlement indépendant des revendications particulières des Premières nations en vue de permettre le dépôt, la négociation et le règlement des revendications particulières, et modifiant certaines lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 9 h 05 pour examiner la teneur du projet de loi.
Le sénateur Thelma J. Chalifoux (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Nous accueillons aujourd'hui des représentants du Treaty and Aboriginal Rights Centre of Manitoba Inc., du Manitoba Keewatinowi Okimakanak Inc., de la Federation of Saskatchewan Indian Nations et de l'Association of Iroquois and Allied Indians.
J'aimerais que vous limitiez vos exposés à 10 à 15 minutes afin que nous ayons la chance de vous poser certaines questions et d'entamer la discussion avec vous. Si, une fois votre exposé terminé, vous avez l'impression de ne pas avoir eu le temps d'aborder toutes les questions que vous souhaitiez discuter, nous vous encourageons à en prendre note et nous les examinerons.
Le chef Morris Shannacappo, Treaty and Aboriginal Rights Research Centre of Manitoba Inc.: Bonjour.
[Le témoin s'exprime dans sa langue autochtone.]
Je représente aujourd'hui le Treaty and Research Office de Winnipeg, mais également les Premières nations du Manitoba. En introduction, je vais vous donner un aperçu de la question.
Nous avons participé au processus que vous examinez et ce, au nom des Premières nations du Manitoba. Je suis le représentant manitobain du Comité des chefs sur les revendications, un organisme national créé au début des années 90. L'un des principaux objectifs de ce comité était et est toujours d'obtenir une réforme satisfaisante de la politique sur les revendications afin d'établir un système de règlement des revendications équitable, plus transparent et efficace au Canada.
Je suis également le président du Treaty and Aboriginal Rights Research Centre of Manitoba, qui se consacre depuis plus de 20 ans à la R-D en ce qui a trait aux revendications particulières de nos Premières nations membres. Nous offrons à ces dernières des services de recherche technique et historique pour la négociation des revendications acceptées par le gouvernement du Canada. En outre, le Centre a participé au Groupe de travail mixte Premières nations-gouvernement du Canada sur les revendications particulières, qui a publié son rapport et fait part de ses recommandations sur la réforme de la politique sur ces revendications en novembre 1998. Ce rapport est le fruit d'une longue expérience dans le domaine des revendications particulières, expérience dont on peut vous faire profiter et que l'on peut mettre à profit pour formuler nos commentaires sur le projet de loi à l'étude ou sur la Loi sur le règlement des revendications particulières.
Le Centre est d'avis que le projet de loi C-6 souffre de lacunes graves en ce qui concerne d'importantes questions, parce que le gouvernement dispose du pouvoir unilatéral de procéder aux nominations et de reconduction de celles-ci à l'organisme qui doit être établi en vertu du projet de loi. Nous croyons que l'indépendance de cet organisme sera grandement compromise. Nous estimons en outre que l'organisme ne sera ni efficace ni efficient, car aucun paramètre n'a été établi pour déterminer le calendrier des étapes à suivre. Nous estimons que la mesure législative proposée créera malheureusement des retards indéfinis dans le processus.
Le nouveau Centre de règlement des revendications particulières ne sera pas équitable, le gouvernement du Canada conservant un contrôle inacceptable sur le processus. Bref, nous croyons qu'une nouvelle politique sur les revendications ne constituera pas un pas en avant dans le processus de règlement des revendications particulières. Dans la plupart des cas, ce sera plutôt le contraire.
Au lieu de régler de façon efficace et efficiente l'arriéré des revendications déjà accumulées dans le système, que l'on évalue actuellement à 600, nous croyons que le nouveau processus ne fera qu'empirer les choses. À notre avis, étant donné ses nombreuses lacunes et imperfections, le projet de loi devrait être retiré.
Nous croyons également que la seule façon de créer un organisme nouveau et véritablement indépendant chargé de régler les revendications particulières est d'établir un organisme mixte Premières nations-gouvernement du Canada comme le groupe de travail mixte sur les revendications. Le rapport présenté par ce groupe de travail en novembre 1998, qui était le fruit d'une approche commune en vue d'établir une réforme de la politique sur les revendications particulières, montre ce qui peut être accompli grâce à la collaboration. Pour créer un organisme de règlement des revendications véritablement indépendant, équitable, efficace et efficient, il est impératif de revenir à cette approche de coopération entre les deux parties.
Au Manitoba, notre centre a été créé en 1982 pour aider les Premières nations de la province, membres de notre organisation, à faire de la R-D concernant certaines revendications particulières. Le TARR était, au départ, un programme administré par la Fraternité des Indiens du Manitoba au début de 1980. Les Premières nations du Manitoba ont décidé d'exclure le TARR de la structure des organismes politiques des Premières nations à l'échelle régionale et provinciale et d'en faire un organisme distinct conçu pour travailler exclusivement au règlement de revendications particulières au nom des Premières nations adhérentes.
Le Centre relève toujours directement des Premières nations membres et doit rendre des comptes à un conseil d'administration dont les membres proviennent des diverses régions du Manitoba. Le conseil d'administration supervise les activités du Centre pour ce qui est des dépenses engagées au titre de la recherche et des finances. Actuellement, 51 Premières nations du Manitoba sur 63 sont membres du Centre. Il possède deux bureaux de recherche, le principal étant situé à Winnipeg, l'autre à Thompson, dans le nord du Manitoba. La brochure de notre Centre est jointe à ce document.
Je vais maintenant aborder la question des revendications particulières au Manitoba. Depuis sa création, le Centre du TARR s'est avant tout consacré à la R-D en ce qui concerne les revendications particulières présentées au nom de nos Premières nations membres. Nous avons entrepris de la recherche sur une vaste gamme de revendications, qu'il s'agisse des cessions de terres illégales dans les réserves illégales ou de droits conférés par les traités, c'est-à-dire les terres de réserve qui appartiennent aux Premières nations en vertu des modalités du traité. Nous avons découvert un grand nombre de situations passées où, en raison de l'action ou de l'inaction du gouvernement fédéral, les Premières nations du Manitoba ont subi des pertes pour lesquelles nous exigeons réparation.
Depuis que les traités ont été signés au Manitoba et que des terres de réserve ont été concédées aux Premières nations de la province, selon les modalités de ces traités, on retrouve de nombreux cas où le Canada n'a pas agi au mieux des intérêts des Premières nations pour ce qui est de la protection de ces terres. En outre, les modalités des traités n'ont pas toujours été respectées, dans certains cas relatifs à l'étendue des terres accordées. Dans d'autres cas, les modalités d'un traité n'ont pas été respectées pour ce qui est de protéger d'autres droits enchâssés tels que les droits de chasse, de trappe, de pêche et de récolte, et le Canada n'a pas toujours agi au mieux des intérêts des Premières nations pour protéger leurs droits. C'est donc pour cela que des revendications peuvent être présentées et qu'elles le sont effectivement.
Au Manitoba, seulement 0,04 p. 100 des terres sont contrôlées par les Premières nations. Avec tout le respect que je dois au gouvernement du Canada, 0,04 p. 100 des terres sont enregistrées au nom des Premières nations et sous le contrôle des peuples des Premières nations.
Chaque année, environ 710 milliards de dollars de ressources naturelles quittent le pays. Moins de 10 p. 100 de cette somme revient aux Premières nations, et ce sont les employés du ministère des Affaires indiennes, des tours érigées à Hull, à Winnipeg et dans tout le Canada, qui les distribuent. Nous partageons cette somme avec les Métis et les Inuits, et, de tout côté, on nous demande de rendre des comptes pour de l'argent avec lequel on a peine à survivre.
À vrai dire, la question des terres est un problème contemporain qui découle des traités. Chaque traité implique deux parties qui veulent se partager une chose, les ressources naturelles. Les traités reposent sur le partage des ressources, et le processus actuel est le fruit des traités signés dans les années 1800.
Nous voulons aujourd'hui discuter de cette question des traités. Au fil des ans, on nous a promis de nous traiter d'une certaine façon. On nous a dit que nos peuples conserveraient leur pouvoir de détermination et que nous jouirions des terres qui se trouvent dans nos collectivités.
Au Manitoba, le Traité numéro deux a été négocié afin que les Premières nations puissent conserver leurs modes de vie traditionnels.
De cela, il n'en est nullement question dans mon exposé. J'ai renoncé au discours que j'avais préparé pour laisser parler mon coeur, comme me l'ont appris mes Aînés. Les gens qui ont à coeur de travailler avec mon peuple ont rédigé le présent exposé. Les études effectuées indiquent qu'actuellement, nous ne recevons pas le traitement prévu dans les traités.
En ce qui concerne les traités conclus par le passé et le partage du territoire, Alexander Morris a dit que le gouvernement, en toute bonne foi, s'assoirait avec les peuples autochtones du Canada pour discuter des ressources et de la façon de les partager entre tous les peuples.
Au Canada, il n'y aucune raison pour que les gens, surtout les Premières nations, les premiers habitants de notre pays, vivent dans la pauvreté. Le tissu même du Canada a été créé à partir de la négociation et maintenant, on nous dit que nous n'avons rien à dire en ce qui a trait au partage des terres et des ressources.
C'est peut-être la dernière fois aujourd'hui que j'accepte de prendre la parole devant vous. Je suis venu dire aux Canadiens que je suis le chef de ma communauté. J'ai une tradition tout comme le Canada et son gouvernement traditionnel.
Nous avons adopté la majeure partie des éléments de la politique établie par le gouvernement du Canada, politique qui nous est étrangère, politique qui n'a rien à faire sur ma table chez moi. La seule politique qui m'appartient, c'est celle que les Aînés ont transmise de génération en génération. Cette politique consiste à traiter chacun avec respect et équité, et à refuser que la pauvreté sévisse dans notre communauté.
Dans ma collectivité, les gens viennent me réveiller la nuit. J'aimerais bien savoir à quel service les renvoyer. J'aimerais avoir des numéros de téléphone de façon à les diriger vers les autorités compétentes. Les gens qui m'ont élu pour parler en leur nom afin de trouver une meilleure façon de vivre font de moi un agent indien dans ma propre collectivité.
Ma collectivité a signé un traité sur les droits fonciers. Où sont les personnes responsables de ce traité? Pourquoi ne viennent-elles pas témoigner au Comité sur les droits fonciers issus des traités au sujet des terres qui devraient revenir aux Premières nations? Des représentants de notre communauté ont siégé à ce comité, et nous avons réussi à obtenir que certaines terres nous soient de nouveau concédées. Il y a cinq ans de cela. Nous payons toujours des taxes sur les terres, et pour chaque enfant que nous envoyons à l'école, nous versons 6 000 dollars. Quelqu'un empoche des deux côtés. Ce ne sont pas les peuples des Premières nations, mais les conseils scolaires. Nous payons actuellement des taxes sur les terres et nous n'avons toujours pas le droit d'y ériger quoi que ce soit, le gouvernement du Canada ne le permet pas.
Nous avons acheté des terres le long de l'autoroute 10 où il passe des millions de voitures. Si je pouvais obtenir 25 cents par véhicule et consacrer cet argent au développement économique de mon peuple, n'aurais-je peut-être pas besoin d'être ici pour présenter mes doléances.
Nous voulons simplement que les règles du jeu soient les mêmes pour tous afin que nos peuples puissent dire: «Voici notre contribution à la société», pas seulement la nôtre, mais toute la société canadienne. J'en suis convaincu.
J'ai assisté à des réunions avec des représentants de ma Première nation. J'ai amené les gens aux réunions pour montrer que nous étions responsables, pour montrer à mes Aînés qu'ils doivent assister à ces réunions, pour montrer à mes enfants que s'ils veulent être les leaders de demain, ils doivent s'impliquer. Ils ne peuvent pas simplement y déléguer leur chef qui reviendra leur faire rapport. Nous avons souffert parce que nous avons pris beaucoup de cet argent pour lequel nous devons rendre des comptes, ou ce que l'on appelle l'argent des contribuables.
Je vous rappelle que 710 milliards de dollars de ressources naturelles quittent le pays, au moins 10 p. 100 de cette somme nous revient et je crois que les Premières nations devraient contrôler ces 10 p. 100.
Je crois qu'avec au moins 10 p. 100 des terres contrôlés par les peuples des Premières nations, nous serions en mesure de prendre nos propres décisions et d'adopter des politiques gouvernementales pour nos gens. Nous ne voulons pas que quelqu'un d'Ottawa vienne nous dire comment vivre; cette époque est révolue. Nous vivons tous au Canada et nous voulons en tirer le meilleur parti possible, mais donnez-nous-en la chance.
Depuis sa création, le Centre du TARR s'occupe principalement de recherche. Depuis la signature des traités, le Canada n'a pas toujours agi au mieux des intérêts des Premières nations. Le Centre du TARR a toujours été régi par une politique fédérale sur les revendications particulières. Nous avons fait de la R-D au nom de nos Premières nations membres, nous avons offert notre aide à diverses étapes du règlement des revendications particulières. Tout au long du processus, le Centre et ses Premières nations membres ont reconnu l'inéquité et le conflit d'intérêts inhérents à la politique fédérale sur les revendications particulières, et nous nous sommes prononcés à ce sujet.
Dans ma collectivité, quand les gens viennent me voir pour rendre un jugement, je me retrouve dans une situation très difficile. Je dois rassembler mes ressources. Je réunis les Aînés dans un forum comme celui-ci, nous mettons la question sur la table et nous en discutons. J'ai beau être le chef, je ne peux pas prétendre être le détenteur du pouvoir dans la collectivité. C'est absolument faux. Dans ma collectivité, je dis ce que les gens me disent de dire. Je suis ici aujourd'hui parce qu'ils m'y ont envoyé. Je ne suis pas ici de mon propre chef; j'y suis délégué par mon peuple.
Ce monsieur m'a téléphoné pour me dire que nous pourrions faire un exposé. Je crois que telle est notre responsabilité. J'ai dit que je reporterais tous mes engagements afin d'être ici avec vous aujourd'hui.
Il est très difficile de croire à un processus équitable quand le gouvernement du Canada est à la fois juge, jury et exécuteur. Je suis certain que si les rôles étaient renversés, vous fulmineriez contre nous, vous aussi. Je suis sûr que vous voudriez vous adresser à quelqu'un d'autre au sujet de la décision.
Je vous parle du fond de mon coeur, et mon peuple éprouve les mêmes sentiments parce qu'il sait ce qui est en train de se passer. Je pense qu'en fait, ce sont les gens d'Ottawa qui ignorent ce qui se passe dans ma collectivité.
Je vous invite tous à venir dans ma collectivité, je vous y accueillerai, venez voir la prospérité que nous pouvons générer, venez voir le «Commonwealth» dont je parle, que je prêche littéralement à mes gens, pour leur dire que chacun aura le moyen d'avoir sa propre maison. Un jour, lorsqu'il y aura un taux d'emploi de 95 p. 100 dans la collectivité, nous inviterons les autorités locales à écouter notre plan et à constater nos réalisations. Nous serons capables de dire qu'un jour, nous irons dans leurs villes parce que nous n'aurons pas assez de main-d'oeuvre chez nous pour réaliser nos rêves. Alors, nous prendrons ceux que vous appelez des «laissés-pour-compte», ceux en qui vous avez cessé de croire, comme vous l'avez fait pour nous, et nous leur donnerons des emplois, nous leur enseignerons à s'intégrer à la société, à être responsables et à contribuer à son développement.
Je vais maintenant demander à M. Abramson de poursuivre avec les documents rédigés par le TARR.
Je m'exprime bien, je sais lire, et j'ai un diplôme universitaire en développement organisationnel et économique communautaire. C'est pourquoi nous avons élaboré un plan décennal pour ma collectivité, dont la mise en oeuvre prendra 20 ans. Cependant, tout le monde appuie ce plan et sait que c'est ce que nous devons faire. Je suis rarement chez moi parce que je dois me battre avec les gens qui ont promis de nous aider. Je m'adresse aux personnes mêmes qui m'ont dit avoir un Livre rouge et vouloir nous aider à assurer notre propre destin. Donnez-nous maintenant ce pouvoir parce que nous savons ce que nous voulons, et nous savons où nous voulons aller. Malheureusement, tout cela tombe dans l'oreille d'un sourd.
Nous avons élaboré un plan détaillé pour rassembler nos gens et leur enseigner à contribuer, et à se sortir de l'endettement. Dans ma collectivité, depuis quatre ans, nous avons atteint un niveau d'emploi de 90 p. 100 pendant trois à quatre mois. Nous y sommes parvenus en nous assoyant à une table comme celle-ci et en discutant avec nos gens. Nous n'avons pas prétendu avoir toutes les réponses. Cette discussion nous a permis de nous entendre sur la façon de régler nos problèmes communs.
La présidente: Monsieur Shannacappo, avez-vous votre exposé de sorte qu'il puisse être déposé ici?
M. Shannacappo: Oui, j'en ai des exemplaires à remettre au comité.
M. Ralph Abramson, Treaty and Aboriginal Rights Research Centre of Manitoba Inc.: Comme le chef Shannacappo l'a dit, l'un des principaux problèmes que pose le processus actuel, c'est que le gouvernement du Canada est en conflit d'intérêts parce qu'il décide du sort des revendications qui sont déposées contre lui. Au Manitoba, nous savons que ce processus est long et qu'il ne permet tout simplement pas de régler ces revendications de façon équitable. Nous avons participé à divers processus mixtes pour formuler une recommandation commune sur la façon d'améliorer le processus, la dernière étant celle du groupe de travail mixte au milieu des années 90. Grâce à ce processus, nous avons mis au point ce que nous estimions être une façon équitable de régler les revendications, selon laquelle ni l'une ni l'autre des parties ne contrôlait le processus parce qu'il était confié à un organisme indépendant. Je tiens à préciser que ce sont les responsables des Premières nations et du gouvernement du Canada qui ont créé ensemble le groupe de travail mixte. Le groupe de travail mixte a publié son premier rapport en novembre 1998. Lors d'une Assemblée des premières nations tenue le mois suivant, celles-ci ont entériné le rapport et ont déterminé que le modèle du GTM était celui que l'on privilégierait comme mécanisme indépendant de règlement des revendications au Canada.
Si l'on se fie au projet de loi, nous nous éloignons de cette indépendance et d'un organisme apte à régler de façon équitable, efficace et efficiente les revendications présentées. À notre avis, l'indépendance du mécanisme est compromise parce que seul le gouvernement du Canada a le pouvoir de recommander les nominations de personnes responsables du processus. Ainsi, plutôt que de se sentir responsables à l'égard du processus, ces personnes vont se sentir responsables envers ceux qui les ont nommées. Dans le cadre du GTM, le processus commun de nomination faisait en sorte que les personnes nommées étaient responsables envers les deux parties. Nous croyons que le projet de loi compromet gravement le processus. L'absence de calendriers lui enlèvera toute efficacité. Selon le modèle du GTM, des calendriers précis avaient été établis pour toutes les étapes du processus et l'on avait prévu des moyens de remédier aux problèmes de temps. Les échéanciers étaient serrés mais réalistes. Le projet de loi ne prévoit aucun échéancier de ce genre. De fait, nous croyons qu'il engendrera plutôt des retards indéterminés. Selon le modèle du GTM, la commission prévue pouvait régler les problèmes. Elle pouvait entendre les deux parties et proposer des façons de régler le problème. Selon les modalités du projet de loi, l'objectif de la commission ne serait pas de régler les problèmes mais de présenter des exposés au ministre. Celui-ci disposerait alors de tout son temps pour décider d'accepter ou de refuser la revendication.
Nous continuons à croire que le gouvernement du Canada détiendra trop de pouvoirs en la matière. Nous croyons que la limite de 7 millions de dollars par revendication viendrait restreindre la possibilité de régler de nombreux problèmes. À notre avis, le fait de puiser dans cette somme aurait également une influence sur la capacité de l'organisme de régler les revendications de façon équitable. Selon nous, le processus a des problèmes de structure. Le modèle GTM prévoyait deux organismes: une commission et un tribunal. Le commissaire en chef était également le président-directeur général. D'après le projet de loi, il y aurait un président-directeur général distinct et cela pourrait, à certains moments, causer des problèmes de compétences ou de pouvoirs entre le commissaire en chef et le président- directeur général. Nous décelons de nombreux problèmes de structure dans cette façon de procéder.
Le Centre est d'avis que le projet de loi devrait être retiré. Le processus du GTM a démontré les avantages que comportait une approche commune, selon laquelle les deux parties se présentent à la table, déterminent les problèmes à résoudre et essaient d'y trouver une solution efficace. Nous croyons que c'est la seule façon d'établir un processus au Canada qui permette de régler équitablement les revendications et ce, de façon efficace et efficiente. Comme l'a dit le chef Shannacappo, il y a actuellement 600 revendications en suspens. Nous croyons que si le projet de loi est adopté, il sera impossible de réduire cet arriéré. À notre avis, l'arriéré ne fera qu'augmenter.
Votre comité peut exercer une grande influence sur l'avenir du processus de règlement des revendications particulières au Canada. Si vous acceptez le projet de loi C-6, vous allez empirer une situation déjà déplorable. Nous sommes d'avis que le processus serait un pas en arrière par rapport au processus actuel qui comporte déjà tant de lacunes. Si vous rejetez le projet de loi, vous contribuerez à rétablir une réforme nécessaire et commune de la politique sur les revendications particulières. Vous ferez en sorte qu'un organisme indépendant, équitable, efficient et efficace soit créé et rendu opérationnel.
La présidente: Monsieur Ahenakew, vous avez la parole.
M. Greg Ahenakew, premier vice-chef, Federation of Saskatchewan Indian Nations: Bonjour, je représente aujourd'hui la Federation of Saskatchewan Indian Nations. Mes responsabilités concernent entre autres le règlement des revendications particulières. Je suis accompagné du directeur de notre programme de recherche sur les droits ancestraux, lequel porte surtout sur les revendications particulières.
Notre organisation représente 74 Premières nations et quelque 115 000 Autochtones de la Saskatchewan; je parle en leur nom.
En ce qui concerne les revendications particulières, le pourcentage de règlement en Saskatchewan est très intéressant. Près de la moitié des crédits affectés au règlement des revendications au Canada ont été accordés à la Saskatchewan. Je crois que cela reflète le programme de même que l'excellent travail de nos chercheurs et de notre personnel en ce qui concerne les revendications particulières. À vrai dire, le premier règlement intervenu en vertu de la politique actuelle l'a été à White Bear, au sud-est de la Saskatchewan.
Malheureusement, il existe encore beaucoup trop de revendications non réglées en Saskatchewan. Nous avons environ 66 revendications non réglées, soit validées et dans le système, soit non validées, mais aussi dans le système.
Comme vous l'avez entendu de nombreux témoins de l'ensemble du pays, y compris de l'APN, nous voulons un processus véritablement indépendant de règlement des revendications. Ce faisant, le gouvernement du Canada ne sera plus en conflit d'intérêts en jugeant les revendications qui sont présentées contre lui.
La FSIN a participé activement tant au processus qu'à la préparation du rapport du groupe de travail mixte. Nous avons endossé ce processus et nous continuons de préconiser un processus semblable. Nous acceptons l'analyse juridique réalisée par l'APN, dont vous avez un exemplaire.
D'après l'analyse approfondie et les nombreuses réunions techniques et politiques que nous avons tenues, nous en sommes venus à la conclusion que le projet de loi n'offre pas le processus permettant de résoudre les revendications. Il ne sera pas efficace et n'accélérera pas les choses. Il n'élimine pas non plus le conflit d'intérêts.
Si le projet de loi est adopté dans son libellé actuel, les tribunaux seront appelés à régler un plus grand nombre de revendications. Le ministre a dit que ce ne sera pas le cas. Nous ne sommes pas d'accord. Ce sera le cas, parce qu'il n'y aura pas de commission indienne sur les revendications particulières. Dans le projet de loi, rien ne prévoit un mécanisme de ce genre.
Les deux parties doivent accepter l'arbitrage exécutoire. À ce jour, le Canada n'a pas accepté un tel mécanisme pour aucune des revendications particulières. Par conséquent, pourquoi devrions-nous nous attendre à ce qu'il soit d'accord aujourd'hui? Rien dans le passé ne le prouve et nous doutons que tout mécanisme de règlement des différends puisse fonctionner.
Aujourd'hui, je vais me concentrer sur les quatre grandes lacunes du projet de loi ainsi que sur la façon de le modifier et de l'améliorer. Dans un monde idéal, le projet de loi serait retiré. Je crois que cela ne se produira pas. Les chefs des Premières nations de la Saskatchewan m'ont mandaté pour tenter d'y apporter des amendements. Si nous n'arrivons pas à exercer notre influence, nous le rejetterons. Aujourd'hui, je suis venu vous proposer certaines modifications pour rendre le projet de loi efficace, équitable et efficient.
Aussi, j'aimerais que le comité songe à commander une étude indépendante. Je ne sais pas si les problèmes peuvent être réglés en incorporant tous les amendements dont nous discuterons avec vous.
La première lacune est la limite imposée aux réclamations qui dépassent un certain seuil financier. Qu'arrive-t-il de ces réclamations? Premièrement, il y a un budget annuel de 75 millions de dollars, sur trois ans, soit un budget total de 225 millions de dollars. Il y aurait une limite de 7 millions de dollars imposée au tribunal.
Qu'est-ce qu'une telle mesure favorisera? Si le Canada dit que c'est efficace, alors, de toute évidence, le tribunal se concentrera sur les réclamations de moins de 7 millions de dollars à cause des chiffres. Si 25 réclamations sont réglées la première année, ce sera considéré comme un succès. Actuellement, les revendications sont traitées au rythme de quatre à 14 par année.
Ce n'est pas ainsi que nous viendrons à bout de l'arriéré. Ce nouveau processus réglera-t-il le problème? Non. Il pourrait faire grimper le nombre de règlements de revendications. En Saskatchewan, ces dernières années, nous avons assisté au règlement de revendications de 24 millions de dollars à Fishing Lake, de 25 millions de dollars à Kuwaitis et de 94 millions de dollars à Kahkewistahaw. Des revendications de l'ordre de 50 millions de dollars et de 40 millions de dollars respectivement ont été réglées à Moosonee et Thunder Child.
Le tribunal ne pourrait tout simplement pas régler ces revendications parce qu'il n'en a pas les moyens. Quel est le processus prévu? On ne peut pas régler le problème en disant que vous allez avoir 75 millions de dollars et 10 avocats pour toutes les revendications présentées dans l'ensemble du Canada. C'est tout simplement impossible.
Prenez la question des pensionnats. Plus de 100 avocats ont été engagés en un rien de temps.
Légalement parlant, le Canada a des obligations exécutoires et la réalité financière l'empêche pourtant de régler de nombreuses revendications importantes.
Si je me présente à la banque pour emprunter de l'argent pour une hypothèque, je ne peux pas invoquer la réalité financière, et dire que je ne peux rembourser parce que je n'ai pas l'argent. Je perdrais ma maison. Si nous pouvions faire la même chose pour le Canada, ce serait bien, mais ce n'est pas possible. Il faut aller devant les tribunaux. Le litige est la mesure de dernier recours pour nous parce que nous ne pouvons pas nous le permettre.
Il doit y avoir un mécanisme. Je recommande donc qu'il n'y ait pas de limite imposée à la validité de la revendication et qu'elle soit entendue par le tribunal.
J'ai dit par exemple qu'à Kahkewistahaw, il y avait eu un règlement de 94 millions de dollars. Nous n'aurions jamais pu nous adresser au tribunal. Même valides, les revendications plus importantes seraient écartées. Et même en se déclarant d'accord avec le montant réclamé, le Canada dirait qu'il n'a pas l'argent pour le payer.
Il est très difficile de voir l'utilité d'une limite. Si vous devez adopter le nouveau projet de loi, alors retirez la limite. Elle n'est pas nécessaire. Les revendications plus importantes seront certainement traitées différemment. Cela ne fait aucun doute. En tant que chef d'une Première nation, je peux difficilement dire à mes gens: «Oui, nous recommandons que vous acceptiez ce projet de loi tel quel.» Nous ne pouvons pas faire ça.
L'amendement que nous proposons consisterait à retirer la limite concernant la validité de toutes les revendications. Il faudrait proposer un amendement qui permettrait l'accès au tribunal pour déterminer la validité de toutes les revendications, quelle que soit la somme réclamée.
Cet amendement se trouverait à l'article 32, en remplaçant les lignes 36 à 43 à la page 14 et les lignes 1 à 8 à la page 15 par ceci: «la validité d'une revendication particulière pour le tribunal.» De même, si la question du délai à l'article 30 portait sur les autres amendements, la limite imposée à la validité pourrait être retirée en abrogeant les alinéas 32b) et 32c).
Les critères d'accessibilité et la définition de la revendication constituent la deuxième lacune majeure du projet de loi. Celui-ci circonscrit la définition des revendications qui doivent être examinées par rapport à celle qui est actuellement en place dans la politique fédérale. On y exclut l'obligation découlant des traités ou des ententes qui ne portent pas sur les terres et les actifs des initiatives unilatérales du gouvernement fédéral visant à accorder des terres et des actifs.
Selon cette définition, les revendications ne peuvent être fondées sur un traité. Cela les éliminerait totalement. Prenons l'exemple de Primrose Lake Air Weapons Range. Il s'agit d'une terre dans le nord-ouest de la Saskatchewan qui appartenait à plusieurs nations Cri et Déné. En vertu de la politique actuelle, parce que ce sont les indemnisations pour la perte de droits de chasse, de trappe, de pêche et de récolte qui découlent des traités, il n'y aurait pas de revendication. En Saskatchewan, il existe de nombreux exemples de revendications qui seraient rejetées parce qu'elles sont fondées sur un traité; par conséquent, nous n'aurions pas la possibilité de les présenter. Qu'il s'agisse de revendications sur les munitions, la vannerie ou d'autres sujets ayant fait l'objet de traités, compte tenu du fait qu'on les a toujours niées, on ne pourrait pas les présenter.
Là encore, le rapport du groupe de travail mixte prévoyait le maintien de la définition de base d'une revendication particulière que l'on trouve dans la politique actuelle. Les gens ont eu l'impression qu'on voulait élargir un peu la définition pour permettre la présentation d'un plus grand nombre de revendications et plus particulièrement, de revendications basées sur des traités. S'adressant à votre comité, le ministre a précisé que le gouvernement avait l'intention de ne faire que deux changements au rapport du GTM: l'imposition d'une limite pour tenir compte de la réalité financière et un changement dans le processus de nomination selon lequel nous proposerions des noms, qu'il accepterait ou non pour ensuite les soumettre au gouverneur en conseil.
À notre avis, et à cet égard, il doit avoir par inadvertance circonscrit la définition d'une revendication particulière. D'après nous, le moyen le plus facile de régler toutes les difficultés liées à la définition d'une revendication serait d'abroger entièrement l'article 26 et de le remplacer par le paragraphe 10(1) du rapport du groupe de travail mixte. Dans l'exposé que je vous ai remis, cela se trouve à l'annexe A.
Délais — je suis certain que vous avez beaucoup entendu parler de cette question au cours des dernières semaines. Les délais de règlement des revendications sont l'un des grands problèmes que pose le régime actuel. Cela explique une grande partie de l'arriéré. Actuellement, il est possible pour une Première nation d'alléguer devant la CRPI qu'un retard du gouvernement fédéral à répondre à une revendication constitue un refus implicite et que, par conséquent, il faut mener une enquête publique.
La Nation Peepeekisis, l'une des plus importantes Premières nations du Sud, a dû attendre 17 ans une réponse d'Ottawa, avant que la menace d'une enquête par la CRPI entraîne un refus de la revendication. Une enquête est actuellement en cours.
Voilà comment fonctionne le système actuel. À notre avis, le projet de loi autorise le gouvernement à s'accorder des délais. Les délais de six mois que le gouvernement fédéral s'autorise pour effectuer le paiement réduiront la somme versée à la Première nation. Si vous avez une limite de 7 millions de dollars, et que vous incluez les frais juridiques et les frais d'intérêt accumulés depuis le début du processus — ou une fois que la réclamation est validée, il y a de l'intérêt qui court à partir de cette date — ces deux choses-là actuellement ne sont pas prises en compte dans l'indemnisation. Elles le seraient dans le projet de loi.
Par conséquent, si on retarde le règlement de la revendication de cinq ou 10 ans, on aura de moins en moins d'argent. On peut avoir une réclamation, par exemple, de 10 ou 12 millions de dollars, mais si on veut qu'elle soit traitée plus rapidement dans le système, on acceptera 7 millions de dollars. Il faudra peut-être payer une année d'honoraires d'avocats, plus des frais de consultation et de recherche, on acceptera 7 millions de dollars pour une réclamation qui aurait valu 12 millions de dollars. On le fait parce qu'on ne veut pas s'éterniser dans le système.
Comme vous le voyez, les délais favorisent le gouvernement fédéral, ce qui n'est pas le cas dans le système actuel. Si le gouvernement tergiverse pendant 15 ans, une fois la revendication validée, il devra payer plus d'intérêt. Je n'aborderai pas les amendements qui figurent dans le projet de loi, faute de temps.
L'indépendance — vous en avez beaucoup entendu parler. Nous sommes d'accord. L'objectif premier du GTM était d'avoir un organisme indépendant de la commission et du tribunal qui fonctionnerait ainsi; ensuite, le gouvernement fédéral ne nommerait personne. Trois ans, ce n'est pas long pour examiner le fonctionnement d'une commission. Nous allons justifier notre travail en réglant le plus rapidement et le plus possible les petites revendications, qu'elles soient validées par le tribunal ou par la commission.
Le processus de nomination que respecte actuellement le gouvernement fédéral et qui permettra — je ne veux rien enlever aux nominations possibles, il y a des personnes très compétentes qui siègent à la CRPI — mais si l'on veut vraiment que la commission soit indépendante, elle ne doit avoir de comptes à rendre à personne. Soumettons ensemble des noms — il ne s'agit pas simplement de dire, très bien, nous allons vous écouter, mais nous sommes les derniers arbitres en ce qui concerne les personnes qui siégeront à la commission. Proposons ensemble des noms soumis au gouverneur en conseil. Sur recommandation du ministre, le gouverneur en conseil les acceptera. Si nous n'avons pas notre mot à dire dans ce processus, il est très difficile de voir l'indépendance de tout cela.
Bien d'autres questions nous chicotent, mais je dirai pour conclure qu'il est dans l'intérêt des Premières nations, du gouvernement fédéral, des Canadiens et du secteur privé d'avoir un processus efficace, équitable et rapide. Au Canada, le règlement des revendications, qu'il s'agisse des forêts, des ressources minérales ou de l'eau, génère une certaine confiance.
Le projet de loi C-6 ne permettra pas d'atteindre ces objectifs. Trop de pouvoirs sont encore aux mains du gouvernement du Canada qui est juge et arbitre. Le GTM n'a jamais abordé cette question, son objectif était plutôt de travailler en collaboration avec les autres. Nous voulons travailler avec vous pour modifier ce projet de loi. Nous voulons travailler avec le gouvernement fédéral pour régler rapidement les revendications particulières parce que plus on attend, plus ça coûtera cher. Il y a beaucoup d'incertitude en Colombie-Britannique. Beaucoup d'incertitude au nord de la Saskatchewan quant à savoir qui est véritablement propriétaire des terres et des ressources. Nous voulons dire à notre public — tant les Premières nations que le gouvernement fédéral — que oui, nous avons réglé la question, que dans le Nord, c'est chose faite.
Je crois que le projet de loi peut être sauvé si vous êtes disposés à proposer à la Chambre des communes un certain nombre d'amendements — et ce ne sont pas des amendements majeurs, mais des amendements très simples. On supprime certaines parties, on ajoute des mots à d'autres et on retire des mots de certaines dispositions. Nous pensons et nous espérons que cela peut fonctionner parce que ce sera à l'avantage de tout le monde.
Le grand chef Chris McCormick, Association of Iroquois and Allied Indians: Madame la présidente, honorables sénateurs, je tiens à dire qu'il est bon de voir quelqu'un dans le fauteuil qui a déjà eu l'expérience et la possibilité de parler à nos Aînés. Je tiens également à m'excuser auprès des sénateurs francophones de ne pas avoir de copie de notre mémoire en français. Nous ne disposons pas des ressources nécessaires pour le faire traduire.
Je suis accompagné de Mme Carol Nadjiwon, attachée de recherche de la Première nation Batchewana, qui est membre de notre association, et qui fait également partie de l'équipe de recherche consultative pour l'association.
Mme Nadjiwon a poursuivi des études en dehors de la réserve. Revenue dans sa collectivité, elle nous aide dans nos efforts pour faire reconnaître nos droits.
L'Association of Iroquois and Allied Indians a été créée en 1969. Les Premières nations fondatrices se sont opposées au Livre blanc de 1969 et au gouvernement du Canada qui ne respectait pas ses obligations fiduciaires et juridiques à l'égard des Premières nations. Le règlement des revendications est, depuis le début, la priorité de l'association. Nos membres comprennent les huit Premières nations suivantes: les Mohawks de la baie de Quinte, la Première nation Hiawatha, les Mississaugas de New Credit, la Première nation Oneida, la Nation Delaware, les Premières nations Caldwell et Batchewana et les Mohawks Wahta.
Les cinq premières vivent dans le sud de l'Ontario alors que les Premières nations Wahta et Batchewana sont établies dans le centre de l'Ontario. Certaines de nos revendications datent d'avant la Confédération et actuellement, nos Premières nations en ont présenté au total 50.
L'Association of Iroquois and Allied Indians rappelle au gouvernement du Canada de reconnaître nos Premières nations en établissant des liens de nation à nation comme cela a été fait par le Two-Row Wampum Traity, notamment. C'est la base du Canada et l'obligation légale du gouvernement fédéral. Sans traité, il n'y aurait pas de Canada. Les traités sont essentiels à nos relations et à la création du Canada. Une partie a connu la prospérité grâce aux traités, l'autre pas.
Les Britanniques ont fait des promesses aux Premières nations en tant qu'alliés lors de la Révolution américaine de 1775-1783 et de la guerre de 1812. Nous demandons au Canada d'honorer le traité Two-Row Wampum Belt qui était une entente d'amitié et de paix permettant la coexistence pacifique et le règlement de cette revendication territoriale.
Le gouvernement du Canada traite les Premières nations et le Québec de façon contradictoire. Lorsque le Québec a été défait, on lui a accordé l'autonomie politique et la possibilité de se joindre à la Confédération. En comparaison, les Premières nations, qui étaient les alliées des Britanniques et qui ont aidé le Canada à prendre forme, n'ont pas été reconnues comme nations.
Nos Aînés nous disent que cette terre est rouge à cause du sang de nos morts. Nos gens ont combattu et sont morts en tant qu'alliés pour fonder le Canada. Des villages et des familles ont été détruits. Nos Premières nations n'ont jamais abandonné la souveraineté que leur accorde le Créateur, le lien avec notre mère la Terre et le droit à l'autonomie politique.
Les Premières nations membres de l'Association of Iroquois and Allied Indians demandent au Sénat de retirer le projet de loi à l'étude. Le Canada n'a jamais respecté ses obligations fiduciaires et juridiques, il n'a jamais agi au mieux de nos intérêts et n'a jamais respecté l'honneur de la Couronne; par conséquent, nous demandons que le projet de loi soit retiré.
Puisque le Canada a pris des décisions unilatérales, il doit respecter des normes élevées et éviter tout conflit d'intérêts. Le projet de loi n'empêche pas les Canada de se placer dans une situation de conflit d'intérêts comme le montre la disposition proposée suivante.
Le paragraphe 26(1) porte sur le type de revendication fondée sur un bris ou un déni de traité. On a oublié, par exemple, d'imposer des obligations concernant l'accès aux ressources et les droits de récolte ou encore la prestation de services comme les services de santé. Ces problèmes demeurent et le projet de loi à l'étude exclut spécifiquement plusieurs types de revendications, y compris celles concernant les services de santé.
Le paragraphe 30(4) montre que le gouvernement fédéral est toujours juge et partie. Dans cette disposition, le ministre peut décider de négocier une revendication particulière et quel que soit le temps pris pour décider de négocier, n'importe quel délai peut être utilisé pour en venir à la conclusion que le ministre a décidé de ne pas négocier. En effet, cela ramène l'ancienne question de la validité dans le camp du ministre et la revendication peut rester longtemps en suspens. Un système qui n'est pas opportun ne vaut rien.
L'alinéa 56(1)a) stipule que si le ministre refuse de négocier une revendication, la commission entreprend le processus de règlement des différends au sujet de la validité de la revendication. Le revendicateur peut demander que la validité soit soumise au tribunal, mais cela ne sera le cas que si la commission est convaincue que, d'abord, le ministre a reçu toute l'information appropriée, ensuite, que tous les processus appropriés de règlement des différends ont été utilisés et que, enfin, le revendicateur accepte de ne pas réclamer de dommages de plus de 7 millions de dollars.
Nous ne connaissons aucun autre tribunal canadien à qui on a imposé une limite. C'est inacceptable. Qui va définir que tous les processus appropriés de règlement des différends ont été épuisés? Comment en viendra-t-on à cette décision? Pour interjeter appel auprès du tribunal, la Première nation doit refuser de présenter des revendications de plus de 7 millions de dollars. Ce n'est pas de la justice et c'est contraire au processus actuel et au contenu du rapport du groupe de travail mixte.
En 1990, les revendications qui dataient d'avant la Confédération ont été incluses dans le processus actuel; ce projet de loi n'en fait pas mention.
Le paragraphe 35(1) stipule que le processus actuel ne prévoit aucune disposition précise permettant aux Premières nations de se réapproprier les terres qu'elles ont perdues. Le fait que le total des terres des Premières nations de toutes les réserves équivaut à zéro pour cent des terres au Canada doit représenter un record mondial. Nous refusons un règlement en argent, sans terres.
L'article 24 du projet de loi dispose que la commission a le pouvoir unilatéral d'exécuter ses fonctions. Elle peut établir un montant pour la recherche, les critères de recherche ou faire elle-même la recherche. Il n'existe aucun mécanisme en place permettant de consulter les Premières nations sur les enjeux passés et actuels concernant le financement de la recherche pour aborder des questions de recherche de longue date.
En ce qui concerne les consultations inappropriées, les Premières nations de l'AIAI soutiennent qu'un système juste et équitable est nécessaire pour régler les injustices commises par la Couronne ou le gouvernement du Canada à l'égard des Premières nations. La Politique sur les revendications autochtones de 1982, la politique sur les revendications particulières, n'a pas été acceptée parce que le gouvernement fédéral ne pouvait pas éliminer le conflit d'intérêts dont il était accusé, c'est-à-dire être juge et partie et contrôler le financement. Le projet de loi actuel est pire parce qu'il donne force de loi à une politique qui ne tient pas compte du travail essentiel effectué par le groupe de travail mixte pour en venir à un système juste et équitable.
Le projet de loi à l'étude a été unilatéralement mis au point par les Affaires indiennes, et nous n'avons pas été consultés sur les nouvelles idées et les nouveaux enjeux. Par conséquent, il ne reflète pas le travail du groupe de travail mixte. Le groupe de travail mixte a été créé pour améliorer les relations entre le gouvernement du Canada et les Premières nations.
L'action unilatérale du gouvernement fédéral fait comprendre aux Premières nations et aux autres Canadiens que le gouvernement fédéral ne veut pas améliorer ses relations avec les Premières nations, qu'il ne veut pas non plus éliminer le conflit d'intérêts dans lequel s'est placé le gouvernement du Canada pour ce qui est de régler les questions avec les Premières nations.
Les Affaires indiennes n'ont pas consulté les Premières nations au sujet du projet de loi afin d'établir un organisme indépendant chargé de régler les revendications. En outre, le processus législatif n'a pas été soumis aux Premières nations pour leur permettre de s'exprimer sur la question.
Le Canada n'a pas respecté ses obligations juridiques à l'égard des Premières nations. Ses obligations et ses responsabilités ne font pas l'objet du système de partis politiques du Canada, de la politique sociale ou de l'opinion publique.
Lors d'une séance d'information de l'AIAI en janvier 2002, Edward John, qui a été engagé par le ministre Nault, a donné de l'information sur la création proposée d'un organisme indépendant chargé de régler les revendications. Les Premières nations se sont dites inquiètes et ont rejeté nombre de propositions, y compris la limite de 7 millions de dollars. C'est là un conflit d'intérêts et aucun chef ne peut signer cette renonciation au mieux des intérêts de son peuple.
Les Affaires indiennes n'ont pas tenu compte de la séance d'information. En 2002, plusieurs lettres et résolutions des conseils qui demandaient l'élimination du conflit d'intérêts dans lequel se trouve le Canada ont été envoyées au premier ministre et au ministre des Affaires indiennes et du Développement du Nord. Pour s'assurer que le nouvel organisme indépendant serait véritablement indépendant, il a été demandé que l'Assemblée des premières nations participe au processus législatif. Cependant, le gouvernement fédéral n'a pas réagi et a poursuivi son action unilatérale. En fait, les Premières nations se sont fait dire que la consultation aurait lieu dans le cadre du processus législatif du gouvernement du Canada. Certaines d'entre elles ont demandé la possibilité de comparaître devant le comité sénatorial, mais on leur a refusé cette possibilité; d'autres demandes n'ont pas été reconnues et certains témoins ont été soumis à des restrictions de temps.
L'article 4 de la partie 1 stipule que le projet de loi C-6 est établi pour mettre en oeuvre la politique sur les revendications particulières du gouvernement fédéral. Nous invoquons ces motifs pour rejeter le projet de loi C-6: le gouvernement fédéral a élaboré unilatéralement la politique sur les revendications autochtones, la politique sur les revendications particulières et les processus. La politique, élaborée par le gouvernement fédéral en 1982, n'a pas suivi le rythme des décisions des tribunaux concernant les droits des Autochtones et les droits découlant des traités. Les Premières nations se sont opposées à la division des revendications en revendications complètes et en revendications particulières.
Depuis des années, les Premières nations réclament la création d'un organisme indépendant de règlement des revendications pour éliminer les conflits d'intérêts du gouvernement du Canada. Ce dernier détermine la validité des revendications présentées à son endroit et contrôle le financement pour ce qui est de l'indemnisation, de la négociation et de la recherche.
Le livre rouge et le document de 1997 intitulé «Rassembler nos forces — Le plan d'action du Canada pour les questions autochtones», lequel constitue la réponse au rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, comprenaient les décisions du gouvernement visant à établir une nouvelle orientation pour ses politiques autochtones. L'affirmation des relations découlant des traités et la négociation de revendications territoriales équitables faisaient partie des objectifs du plan. Le plan d'action a été conçu comme cadre de ce nouveau partenariat. Cependant, nous n'avons pas vu la couleur d'une politique de consultation en vue d'établir un processus commun pour déterminer un plan d'action et un programme.
Le Sénat doit respecter l'honneur et les principes démocratiques du gouvernement du Canada et n'a d'autre choix que de retirer le projet de loi C-6 en ce qui concerne le règlement des revendications particulières. Les Premières nations membres de l'Association of Iroquois and Allied Indians encouragent le Sénat à agir de façon honorable et à réaffirmer le but du Canada, qui est d'établir avec les Premières nations de nouvelles relations reposant sur le respect mutuel et la confiance.
La présidente: Soyez le bienvenu, monsieur Hyslop, vous avez la parole.
Le chef Joe Hyslop, membre du conseil exécutif, Manitoba Keewatinowi Okimakanak Inc.: Bonjour chefs et honorables sénateurs. Je veux moi aussi vous parler avec mon coeur. Je vais tenter d'aborder quelques questions dans mon exposé.
Le territoire traditionnel combiné des Premières nations MKO couvre près des trois quarts des terres et de l'eau de la province du Manitoba. Le Manitoba Keewatinowi Okimakanak Inc. représente plus de 60 000 Autochtones qui sont membres des 30 Premières nations du Manitoba qui vivent le plus au nord. Le MKO s'oppose au projet de loi C-6 et voici pourquoi.
Avant que le projet de loi C-6 ne soit déposé par le ministre des Affaires indiennes et du Nord le 9 octobre 2002, les Premières nations du Canada et le gouvernement du Canada avaient souhaité établir un processus de règlement des différends pour régler les revendications actuelles et futures des Premières nations présentées contre le gouvernement du Canada. Les Premières nations et le gouvernement du Canada avaient d'abord accepté, tel que recommandé par plusieurs comités, des enquêtes et des commissions royales, que ce processus de règlement des différends et des revendications soit établi conjointement par consentement mutuel des Premières nations et du gouvernement du Canada, qu'il soit indépendant de toute influence réelle ou perçue du gouvernement du Canada et qu'il soit efficace pour régler les revendications. Le Manitoba Keewatinowi Okimakanak Incorporated appuie toujours les objectifs visant à établir un organisme indépendant de règlement des revendications.
C'est avec regret que le MKO doit informer votre comité que le mécanisme proposé dans le projet de loi C-6 ne sera pas un mécanisme commun, indépendant ni efficace.
Les Premières nations du MKO ont conclu des traités décrits et connus à titre de Traité numéro quatre, 1874, Traité Qu'Appelle; Traité numéro cinq, 1875-1910, Traité de Winnipeg; Traité numéro six, 1876, traités de Fort Carlton et de Pitt; et Traité numéro dix, 1906-1908.
Nos ancêtres, en tant que représentants de nos nations souveraines, ont négocié des traités avec Sa Majesté la Reine, et ces négociations reposaient sur le fait que l'on nous reconnaissait le statut de nations souveraines et le droit à nos terres ancestrales. Nous avons accepté de négocier en précisant que nous «discuterions conjointement de certaines questions d'intérêt pour Sa Gracieuse Majesté, d'une part, et (de nos ancêtres), d'autre part». Nous avons entrepris la négociation de traités sur la reconnaissance par Sa Majesté du fait qu'il était nécessaire «d'obtenir le consentement» de nos ancêtres afin «d'ouvrir» nos terres «pour la colonisation, l'immigration et le commerce» par Sa Majesté et «d'autres sujets».
Aujourd'hui, l'organisation MKO est représentée par le dessin de la médaille de traité remise par les commissaires de Sa Majesté comme symbole des liens sacrés qui persistent entre nos nations et Sa Majesté. Sur la médaille, on voit un commissaire de traité qui entre sur les terres des Premières nations, en tant qu'invité, pour négocier et conclure un traité, pour rencontrer les autorités gouvernementales et conclure une entente avec elles dans les terres de chaque Première nation. Cette médaille représente notre engagement commun à l'égard des nations avec les objectifs de partage, de paix et de bonne volonté, ainsi qu'une relation fondée sur les principes de confiance mutuelle, de reconnaissance, d'honneur et de respect.
Sa Majesté a demandé le consentement de nos ancêtres pour partager nos terres ancestrales et nos ressources avec les colonisateurs. Notre consentement est toujours requis avant que des changements ne soient apportés aux modalités de nos traités qui seront acceptés par nos nations et par notre peuple. Le consentement mutuel est le principe exécutoire des traités.
Un traité moderne est très détaillé et fondé sur des opinions juridiques. L'objectif de l'entente, tel qu'exprimé dans le texte du document d'un traité moderne, comprend tous les détails, de même que plusieurs calendriers, annexes et cartes.
Les traités d'origine ont été conclus sur la base de la bonne foi entre les peuples qui parlaient des langues différentes et qui provenaient de cultures et de sociétés différentes. Les traités originels établissaient un engagement à construire une nation ensemble et à partager les terres qui seraient utilisées par les colons qui s'établiraient sur nos terres.
Les traités de la fin des années 1800 et du début des années 1900 créaient un devoir d'honneur pour les deux parties. Nos traités reflètent l'engagement solennel et la confiance des Premières nations d'entreprendre conjointement la construction d'une nation avec le gouvernement de Sa Majesté «tant et aussi longtemps que brillera le soleil, que l'herbe poussera et que les rivières couleront». Cet engagement prévoit l'obligation de renouveler, de développer et de faire évoluer nos relations de nation à nation.
Notre engagement à cet égard n'est pas gelé à un moment de l'histoire, mais doit être compris dans sa forme contemporaine au fur et à mesure que se déroulent les événements et que nos nations respectives prennent de l'expansion. Le projet de loi C-6 viole les relations découlant de traités, notre engagement commun à bâtir une nation et l'honneur de la Couronne.
Les Premières nations du MKO ne peuvent accepter et n'accepteront pas que Sa Majesté ou le gouvernement du Canada ait déjà eu la capacité de modifier unilatéralement nos relations sacrées ou d'y mettre un terme de façon unilatérale grâce à des lois adoptées subséquemment sur le plan national et constitutionnel. Nos traités ont été conclus entre des nations souveraines et ne peuvent être modifiés ou changés que par le consentement unanime des nations signataires.
Les Premières nations du MKO estiment que nos traités ont été conclus entre des nations souveraines. À ce titre, nos traités ne sont pas régis selon lois nationales du royaume de Sa Majesté mais conformément au droit international sur les traités.
Pour que nos relations et notre engagement commun à bâtir une nation évoluent en fonction des critères contemporains, il est essentiel que la Couronne réalise ses engagements avec intégrité et honneur. Dans le cadre de ses engagements, il est également essentiel qu'un mécanisme commun, indépendant et efficace soit créé pour obtenir des résultats concernant les modalités et les promesses d'un traité. Ce genre de mécanisme doit être établi et utilisé conformément au processus, à l'esprit et à la lettre des négociations de traités originelles à partir desquelles le processus de groupe de travail mixte peut être considéré comme un élément contemporain.
Le MKO implore les sénateurs d'agir en tant que représentants actuels de Sa Majesté pour faire respecter l'honneur de la Couronne. Le MKO suggère qu'un simple test ou qu'une mesure soit appliqué par le comité dans son examen du projet de loi C-6.
Le mécanisme de règlement des revendications proposé dans le projet de loi C-6 reflète-t-il tous les aspects recommandés par l'organisme indépendant de règlement des revendications et conjointement négociés et acceptés par le groupe de travail mixte? Les Premières nations du MKO estiment que le projet de loi C-6 ne respecte pas ce critère de base et qu'il devrait être modifié ou rejeté.
En ce qui concerne le projet de loi C-6 et la création proposée d'un organisme indépendant chargé de régler les revendications, le MKO signale que le projet de loi a des répercussions sur les relations découlant des traités et l'honneur de la Couronne de même que sur les droits ancestraux et autochtones des Premières nations. Le comité doit s'assurer que toutes les Premières nations et leurs organisations désireuses de comparaître devant le comité aient le loisir de le faire.
Le comité devrait recommander que le Sénat du Canada et le gouvernement appuient les objectifs du processus mis en place en 1997 par l'entremise du Groupe de travail mixte Premières-nations-gouvernement du Canada sur la réforme des revendications particulières, le GTM. Le comité devrait reconnaître le processus d'éléments contemporains, l'esprit et la lettre des relations découlant du traité.
Votre comité a fait rapport et recommandé que le Sénat du Canada et le gouvernement appuient l'établissement de l'organisme indépendant de règlement des revendications qui résulterait de la mise en oeuvre des recommandations du rapport de novembre 1998, «Proposed Final Draft of Legislative Drafting Instructions for an Independent Claims Body».
Le rapport du comité devrait recommander que les amendements à apporter au projet de loi C-6 soient effectués pour s'assurer que l'organisme indépendant susceptible d'être établi conformément au règlement des revendications particulières le soit en fonction du rapport du GTM de 1998.
Advenant que le ministre des Affaires indiennes et du Développement du Nord, le premier ministre et le gouvernement refusent d'adopter les recommandations présentées par votre comité, celui-ci devrait alors recommander que le gouvernement retire le projet de loi C-6 et réinstaure le GTM afin d'examiner une entente négociée sur diverses révisions proposées dans l'entente du 25 novembre 1998 par le GTM sur le «Proposed Final Draft of Legislative Drafting Instructions for an Independent Claims Body».
Nos Aînés ont interprété le projet de loi. Ils estiment que nous partageons les terres et les ressources avec les immigrants avec qui nous avons signé les traités, Sa Majesté et ses sujets.
Je suis assujetti au Traité numéro dix, qui a été signé en 1906. Cependant, au fil du temps, on nous a considérés comme des peuples de seconde classe alors que nous devrions être considérés comme des nations, comme un gouvernement signataire d'un traité avec le Canada. Nos traités devraient être respectés.
Depuis qu'il a signé le traité, le Canada n'a pas respecté ses devoirs fiduciaires et c'est la raison pour laquelle nous sommes ici aujourd'hui. Du début des années 1800 jusqu'à aujourd'hui, le travail n'a pas été fait.
Je propose respectueusement que les honorables sénateurs tentent de persuader le gouvernement de respecter ses obligations fiduciaires, et ce, au niveau bilatéral. Nous devons avoir des négociations de nation à nation, nous sommes une nation et nous allons continuer de l'affirmer.
Les Premières nations MKO rejettent le projet de loi. Nous avons les justifications nécessaires pour aller aussi loin que nous voulons. Le Canada doit comprendre qu'il est fiduciairement tenu de négocier avec nous. C'étaient là les conditions qui ont été comprises par nos ancêtres. Et c'est ce qui donnait une telle importance au GTM. Le travail a été fait par les deux parties, qui se regardaient les yeux dans les yeux et qui négociaient sur la façon de le faire.
En tant que membre de la Nation Déné et que chef, je devrais avoir le droit d'être assis en face du Sénat et du Parlement pour négocier les droits de mon peuple, mon territoire et mon pays.
Nous devons instruire le Sénat, le gouvernement, au sujet de nos origines. Nous devons instruire le public, et peut- être alors serons-nous compris. Je suis à la table en train de négocier des organismes de revendication, et je ne devrais pas faire cela. Si le Canada s'était assis au tout début avec mes ancêtres, mes grands-pères et mes oncles, nous n'aurions pas à présenter des revendications particulières parce que nos ententes nous permettraient de travailler côte à côte, en tant que nations. Le pouvoir ne nous empêche cependant pas de penser comme on voudrait penser.
Nous avons appris à respecter les biens des autres peuples. Si je prenais quelque chose sur vos terres, dans votre maison, votre cour, vous me traîneriez en cour. Je devrais me présenter devant le tribunal et répondre de mes gestes. C'est exactement ce que le Canada a fait. Il a pris quelque chose qui ne lui appartient pas et ne l'a pas partagé avec nous. Il faut voir les choses ainsi. Il faut garder l'esprit ouvert non pas sur le pouvoir que nous avons, mais sur l'engagement que la Couronne a pris à l'égard des Premières nations et des peuples autochtones du Canada. Je ne veux pas dire que je suis un Indien parce que je suis un Déné. Il faut vous en souvenir.
En négociant de bonne foi, les Premières nations et le gouvernement du Canada fonctionneront et se comprendront mieux lorsqu'ils seront à la table, sans qu'il soit nécessaire d'imposer lois et politiques. Nous sommes aussi un gouvernement. Partageons les richesses de ce pays. Réglons nos revendications territoriales, nos revendications particulières et les droits découlant de traités. Nous devons demander au Parlement pourquoi il a pris tant de temps, jusqu'à ce jour, pour s'entendre avec les Premières nations du Canada.
La présidente: Avant de passer aux questions, je tiens à préciser que nous avons reçu plus de 75 demandes de personnes voulant faire un exposé. Le temps ne nous le permet pas. Mon greffier et moi avons choisi des régions. Vous représentez une grande région, chef Hyslop, tout comme le chef Shannacappo et les autres. Nous avons ainsi procédé pour que les voix des peuples puissent être entendues grâce à vous, en tant que chefs élus. J'espère que vous comprendrez pourquoi nous avons écrit aux autres et leur avons demandé de faire un exposé écrit. Vous êtes la voix des peuples dans toutes vos régions. C'est pourquoi nous avons choisi de procéder ainsi. Sinon, cela prendrait trop de temps et nous avons certaines décisions à prendre.
[Français]
Le sénateur Gill: J'aimerais remercier tous les témoins pour leur présentation et pour la consistance de celle-ci qui, en fait, est assez exceptionnelle. Cela ne me surprend pas du tout. J'entends le même message des Premières nations du Québec, à savoir que ce projet de loi soit oublié ou, encore, qu'on y apporte des amendements considérables. On a la chance d'en discuter au Sénat avec des sénateurs autochtones et non-autochtones et quelques-uns expriment la même opinion.
Comment se fait-il qu'après toutes ces années, vous devez encore donner le même message? Cela fait plus de 400 ans. Il y a des gens qui endurent ces choses. Il n'y a pas que les Autochtones qui supportent cela, il y a aussi des non- Autochtones. Les relations entre les Autochtones et les non-Autochtones, entre les Premières nations et les autres, ne réussissent pas à passer. Ils ne réussissent pas à construire le pays de façon à ce que leurs actions soient perçues comme positives.
Comment se fait-il qu'on n'a pas réussi à travers le pays à faire passer l'idée que les Premières nations connaissent le pays et qu'ils peuvent apporter une contribution? Pour être capable d'apporter une contribution réelle au pays, il faut que les Premières nations prennent part au processus législatif, aux projets de loi. Sur la colline, des gens remplis de bonne volonté sont prêts à les aider, mais on n'a pas encore réussi à le faire.
On parle d'un plafond de 7 millions de dollars. J'ai toujours pensé que des revendications particulières impliquaient un processus qui pouvait permettre d'établir l'existence de droits qui ont été brimés dans le passé et qui ont été réinstallés. En même temps que l'on fait ce processus pour établir le droit, il y a la préoccupation financière.
À ce moment, j'ai comme l'impression que le gouvernement a peur des revendications trop élevées à venir et qu'on mette le pays en faillite. Je pense que cela doit être séparé. On fait des revendications particulières, on établit le droit ensuite on négocie sur un règlement qui n'est pas nécessairement un règlement qui va apporter une somme d'argent immédiatement. Il peut être échelonné selon les négociations. Je voulais avoir votre idée sur ce sujet.
[Traduction]
Mme Carol Nadjiwon, recherchiste, Association of Iroquois and Allied Indians: J'aimerais répondre. Tel que précisé, je suis de la Première nation Batchewana, signataire du Traité Robinson-Huron de 1850 qui date d'avant la Confédération.
La question que vous avez soulevée est une question qui nous laisse tous perplexes: pourquoi le gouvernement du Canada n'écoute-t-il pas les peuples des Premières nations?
Fidèles à notre histoire, nos ancêtres ont présenté des requêtes aux nouveaux arrivants, aux Européens de ce pays. Ce sont nos Aînés qui ont pressenti le gouverneur général et d'autres colonisateurs pour établir la justice pour les peuples des Premières nations. Résultat: notre traité historique.
Nous avons aussi entendu dire que nos ancêtres ont servi d'alliés aux Britanniques contre les États-Unis pendant la Révolution et la guerre de 1812. Nos Aînés nous racontent ces choses.
La Première nation Batchewana est située à Sault Ste. Marie, en Ontario. C'est là notre terre. De l'autre côté de la rivière, se trouve Sault Ste. Marie, au Michigan, où nos parents ont une relation bien différente avec leur gouvernement. Aux États-Unis, les pêcheurs des Premières nations ont le droit de pêcher, les Indiens américains Chippewas peuvent pêcher conformément à leur souveraineté tribale et à leur droit à la pêche commerciale. Ici au Canada, on refuse d'entendre que nous aussi avons des droits souverains et des droits économiques. Nos droits souverains sont perçus comme des droits minoritaires parce nous sommes un peuple défavorisé. Le Canada n'a pas honoré nos traités.
Nous reconnaissons que les Canadiens ne savent pas comprendre notre histoire. Les Canadiens ne savent pas qu'avant 1850, nos peuples prévoyaient s'adonner à l'exploitation minière et au développement de l'industrie du bois. Avec l'arrivée des Européens, nos plans ont été mis de côté par les intérêts économiques des colonisateurs qui devenaient la force motrice du développement du Canada. Toute la question de l'histoire et des relations doit être abordée afin que l'on puisse parvenir à une compréhension. Nous avons des liens anciens avec cette terre. Nous sommes une population en transit.
Nous n'acceptons pas la limite financière. Nous avons ressenti l'impact des différentes politiques et le mépris des droits de nos peuples.
La présidente: Monsieur Anderson, voulez-vous répondre au sénateur Gill?
M. Michael Anderson, directeur de recherche, Manitoba Keewatinowi Okimakanak Inc.: Honorables sénateurs, je suis toujours honoré de venir sur la colline du Parlement pour témoigner devant un comité du Sénat.
En ce qui a trait à la première partie de la question, c'est-à-dire pourquoi, après 400 ans, nous discutons toujours des mêmes choses, deux remarques m'ont frappé. La première est celle du conseiller juridique principal du ministère des Affaires indiennes et du Nord au sujet du groupe de travail mixte:
L'expérience a été productive et l'une de ses caractéristiques fondamentales est que, en fin de compte, toutes les recommandations ont été négociées et adoptées.
Toutefois, lorsqu'on lui a demandé de brosser un portrait des résultats attendus, M. Binda a répondu:
Quand les membres du GTM se sont réunis — les Premières Nations et le gouvernement du Canada — on ne s'attendait jamais à ce que leurs recommandations soient mises en oeuvre.
Nous avons trouvé cet énoncé tout à fait renversant.
De toute évidence, l'objectif était d'entamer un processus de bonne foi. Comme le disait le chef Hyslop, le Manitoba Keewatinowi Okimakanak (MKO) voit sincèrement le processus du GTM comme le reflet contemporain de l'esprit et de la lettre de la négociation des traités. Les chefs, le grand chef, les dirigeants, les membres et les spécialistes de la collectivité ont déployé d'énormes efforts au niveau national pour obtenir l'appui politique des Premières nations à l'égard du processus du GTM. L'engagement du ministre envers l'élaboration conjointe de la mesure législative fait en sorte que le GTM est digne de notre appui, de notre confiance et de notre croyance au Canada.
Entendre un haut fonctionnaire du ministère déclarer aux sénateurs que personne ne s'attendait à ce qu'une mesure législative résulte de ce processus est tout à fait renversant. C'est le genre de réaction qui nous étonne; un engagement pris de bonne foi par l'État n'est pas respecté, les gens disant: «Nous ne respecterons pas cet engagement». Les gens n'assument pas leurs responsabilités, et c'est de plus en plus fréquent au sein du gouvernement. Le gouvernement change son fusil d'épaule en cours de route, et on ne l'en tient pas responsable.
Après avoir mûrement réfléchi, comme l'expliquait madame la présidente en ce qui a trait au niveau de représentativité du groupe d'experts ici présents, la Chambre des communes et le ministre ont rejeté le rapport du GTM. Le comité de la Chambre des communes en a rejeté les recommandations et la Chambre vous l'a retourné sans amendements. Il vous incombe, honorables sénateurs, de protéger l'honneur de la Couronne et de redonner souffle aux engagements du traité initial.
C'est le manque de responsabilisation et c'est la possibilité qu'on puisse se permettre de penser de cette manière — c'est-à-dire que les ministères puissent accepter que des changements soient apportés à leurs engagements — qui nous amènent devant vous aujourd'hui.
La deuxième remarque concerne la limite financière. Vous avez entendu de nombreux témoignages au sujet des répercussions de cette limite sur nos collectivités. Le MKO est d'accord. La remarque qui m'a frappé vient des notes du ministère datées du 6 mai qui vous ont été remises. Elles concernaient le compromis accepté par le GTM au sujet du cadre financier qui établissait une limite au règlement des revendications sur cinq ans. Dans le cadre du GTM, nous avions accepté de participer de bonne foi au processus et de voir ce qui en résulterait. Cela finit par être une autre forme de plafond mais nous en avions convenu. Le processus était suffisamment ouvert pour permettre l'examen des divers montants de règlement qui pourraient être pertinents dans le contexte actuel et selon le nouveau cadre.
S'agissant du règlement des revendications, l'histoire révèle qu'il y a des questions sur les antécédents des montants réclamés et que le 74e centile se situe aux alentours de 7 millions de dollars. Toutefois, ces revendications ont été établies selon le mécanisme actuel ou un mécanisme précédent dont tous les aspects relatifs aux indemnisations réelles étaient largement contrôlés par le gouvernement. En d'autres mots, cela veut dire que le gouvernement exerçait déjà une influence importante pour que les indemnisations demeurent faibles.
Un certain nombre d'événements, y compris la pression morale exercée par la Commission sur les revendications particulières des Indiens, au moins en ce qui a trait à la reprise des enquêtes sur les revendications — dont celles mentionnées récemment par l'APN en Saskatchewan et d'autres revendications semblables — laissent croire que si le plafond est supprimé, le nombre de revendications pourrait effectivement augmenter.
Le GTM avait proposé des moyens autres que financiers pour éviter le recours aux tribunaux. Il existe des mécanismes de partage des richesses autres que l'argent qui pourraient sûrement répondre au besoin de régler la non- indemnisation des revendications. Mentionnons par exemple la négociation de l'accès aux ressources, l'entente de partage des bénéfices découlant des grands projets sur tout le territoire au nord du 60e parallèle qui relève de la compétence directe du Canada ou en mer, et ainsi de suite.
Selon les directives du conseil exécutif, nous nous sommes prévalu d'autres mécanismes pour respecter les liens établis par le traité. Nous avons agi ainsi pour présenter aux sénateurs une image toute lisse des liens créés par le modèle du traité. La colle qui fixe l'entente est composée de l'honneur et du respect mutuellement témoignés par les parties et le mécanisme qui fait fructifier nos liens offre d'autres solutions.
Toutefois, en ce qui concerne les revendications et la responsabilisation financière, on est arrivé à un compromis qui semble satisfaire aux exigences du Parlement qui doit sagement dépenser l'argent des Canadiens et au besoin du Conseil du Trésor d'attacher aux sommes déboursées un niveau de responsabilité reconnaissable.
Encore une fois, nous revenons aux recommandations du GTM, y compris le cadre financier.
M. McCormick: Nous revenons toujours au même point, sénateurs, parce que nous nous étions engagés à établir un processus commun. Le gouvernement nous a ensuite tourné le dos sans mettre en oeuvre les recommandations du groupe de travail mixte. Le gouvernement du Canada a manqué à sa promesse.
Le gouvernement du Canada est en conflit d'intérêts quand il dit qu'il n'examinera pas les revendications de plus de 7 millions de dollars. Les revendications particulières impliquent des responsabilités juridiques non assumées jusqu'à ce qu'elles soient indemnisées ou réglées.
Je suis d'accord que nous ne souhaitons pas ruiner le pays. Toutefois, nous voulons que nos droits soient reconnus tout comme le souhaiteraient les non-Autochtones. Une situation semblable touchant le territoire personnel d'un non- Autochtone appellerait une action rapide de la part du gouvernement pour que justice soit faite. On négocierait avec la personne, après quoi on lui proposerait un plan de remboursement.
M. Ahenakew: Sénateur Gill, en réponse à votre question, on comprend très facilement pourquoi nous aboutissons toujours au même point. D'abord, la Loi sur les Indiens contrôle nos vies. Ensuite, nous ne votons pas souvent. Dans la plupart des régions du pays, nous ne sommes pas assez nombreux pour influencer les résultats d'une élection. Enfin, nous n'avons pas de véritable pouvoir économique. Et c'est pourquoi nous nous retrouvons encore là où nous sommes. Si nous étions une entreprise de plusieurs milliards de dollars, le gouvernement nous écouterait. Malheureusement, nous ne sommes pas une riche entreprise. Nous nous efforçons de le devenir et j'espère que nous y arriverons un jour.
Nous sommes d'accord avec M. Anderson en ce qui a trait à la question financière. Le GTM prévoyait un mécanisme permettant la responsabilisation financière. Il n'est pas dans notre intérêt de ruiner le Canada.
Toutefois, nous devons avoir accès au processus. Il ne peut y avoir de limite imposée à la validité des revendications. Toutes les revendications doivent être traitées au même titre par le système. Il n'est pas dans l'intérêt du Canada, de la province, du public en général ni des Premières nations d'avoir recours aux tribunaux. Dans certains cas, le tribunal nous récompensera généreusement, dans d'autres, non. Le résultat d'une poursuite est souvent un coup de dés; on soumet notre cause et le tribunal tranche.
Compte tenu des coûts du litige, il est préférable de ne pas s'y aventurer. Travaillons ensemble pour formuler un projet de loi qui réponde à toutes nos préoccupations.
Le sénateur Watt: Votre exposé correspond assez bien à ce que d'autres ont dit au sujet du projet de loi.
À quel moment le gouvernement du Canada s'est-il donné l'autorisation d'établir un plafond? Je parle ici du plafond de 7 millions de dollars.
En ce qui concerne les nominations, comme vous le savez, le système est doté d'une marche à suivre pour faire une nomination. Quand vous avez formé le groupe de travail mixte, vous pensiez avoir, je crois, l'occasion d'établir un équilibre entre les Premières nations et le gouvernement du Canada.
Je crois que tout ce que vous demandez, c'est de pouvoir dire: «Au moment où nous avons signé le traité, nous comptions travailler ensemble, vivre ensemble et prendre des décisions ensemble.» Je comprends donc que c'est votre raisonnement.
En ce qui concerne les différends, le ministre responsable de la Loi sur les Indiens contrôle effectivement votre vie de tous les jours. Vous avez également mentionné que l'objectif est apparenté à deux canots qui descendent une rivière côte à côte. Ce point de vue a été clairement exprimé par plusieurs personnes au cours des années.
Si on compare la situation initiale et celle d'aujourd'hui, diriez-vous: «Ils ont fini avec nous, les peuples autochtones. Nous avons fait notre part, mais maintenant ils connaissent tout au sujet de ce pays. Ils ont tous les pouvoirs et tout le financement nécessaires, les bases économiques et tout le reste, et les Autochtones n'ont plus rien»? Dans ce cas, on pourrait dire que le processus n'a pas été exécuté de bonne foi, si on peut l'exprimer de cette façon.
Par conséquent, croyez-vous que les personnes qui gèrent le système ont agi de manière intentionnelle? Souhaitent- elles que le Canada finisse de cette façon? Par exemple, il n'y aurait aucune variation en ce qui concerne la loi, ou si elle doit être uniformément appliquée à tous. Je dis cela parce que c'est exactement ce que j'ai vu au fil des années. Il n'y a pas de place pour nous ici. Vous vous êtes présentés devant notre comité, qui représente l'endroit de dernier recours pour votre cause, parce que les sénateurs ont cette responsabilité constitutionnelle. Notre constitution est très claire. Notre devoir est de défendre les régions qui ne sont pas équitablement représentées à la Chambre des communes et les minorités mal représentées au sein des autres organes du Parlement. Notre devoir est de représenter les peuples autochtones.
Vous vous êtes présentés devant nous pour nous demander de «faire ce qu'il faut», parce que le projet de loi ne vous accorde rien et, d'une certaine manière, il vous enlève quelque chose. Vous nous demandez de faire ce qu'on peut pour entraver l'adoption de ce projet de loi. C'est ce que j'entends. Ai-je raison?
M. Shannacappo: J'ai le plaisir de vous saluer tous à nouveau. L'autre jour, j'ai demandé à Dieu: «Seigneur, suis-je une minorité?» Il ne m'a pas répondu. J'espère que vous aurez tous un jour l'occasion de vous poser la même question.
Au cours de ma vie, j'ai rassemblé les enseignements de mon peuple et je me suis exilé pendant quatre jours, seul avec mon Créateur. Nous avons été placés dans ce monde en tant que gardiens de la terre pour nos petits-enfants. Je demande aux membres de mon peuple de ne pas se préoccuper d'eux-mêmes, du travail qu'ils accomplissent au jour le jour et de toutes les richesses qu'ils peuvent accumuler dans leurs maisons pour leur propre bénéfice. Tout le travail qu'ils accomplissent aujourd'hui doit être fait en fonction de leurs petits-enfants, des sept générations dont nous devons nous occuper. Je ne demande pas à mon peuple de prendre position parce qu'il croit en ce que je dis. Lorsque vous croyez en mes paroles, vous croyez aux paroles des Aînés. Je parle le langage des Aînés, ce ne sont pas mes paroles. Je me charge de rassembler leurs paroles et je demande à mon peuple, que l'on qualifie de minorité dans son propre pays, comment il veut avancer.
On me signale que notre place légitime dans le processus législatif est reconnue sur votre billet de vingt dollars. Mais comme le disait le sénateur Watt, il ne semble pas y avoir de vraie place pour nous. On ne peut faire partie d'un foyer que si l'occasion nous est donnée de contribuer à ce foyer. Qu'est-ce qu'on peut apporter? Son temps, ses efforts et beaucoup de coeur pour rendre le foyer accueillant pour la famille. Si on ne contribue pas, on est exclu. Dans ce foyer, si un plan est en voie d'élaboration mais qu'on ne peut y contribuer, alors on doit oublier ce plan.
Un projet de loi ne peut être un effort de participation que si les autres intervenants acceptent d'accorder une place à tous ceux qui désirent apporter leur collaboration et leur donnent voix au chapitre. On nous traite comme des enfants qui ne doivent pas se faire entendre.
Mon peuple me dit que je dois évoquer l'incendie du milieu du XIXe siècle et le traité signé en 1874 et que nous sommes au coeur du territoire no 2 du traité, par lequel la sauvegarde de notre mode de vie traditionnelle a été négociée et convenue. Il existe une large bande de terre qu'on appelle la réserve de la forêt Riding Mountain, où notre peuple devrait s'exprimer, vivre son mode de vie traditionnelle en harmonie avec la nature dans le «paradis terrestre» qui nous a été confié. À cet endroit, le droit naturel régnait et personne ne cherchait à dépasser l'autre ni à dominer ou à étendre son influence, et personne ne cherchait à éclipser l'autre pour des richesses de ce monde.
Aujourd'hui, nous sommes tassés dans un coin, mis de côté et accusés de ne pas apporter notre collaboration. Toutefois, lorsque peu de liberté est accordée, sauf celle qui découle du don d'argent pour acheter la nourriture — le minimum — on devient dépendant de cet argent du Canada.
Notre peuple s'est mis à voir cet argent comme un droit. Je m'efforce de changer cette attitude en disant que l'aide sociale n'est pas un droit. Notre droit est plutôt de retourner à la terre, de récolter et de cueillir ce qui nous appartient véritablement — ce que le Créateur nous a donné — nos herbes médicinales.
À l'époque, nous avions ce droit de récolte dans le territoire mais le pays a décidé qu'il ne pouvait plus se le permettre et a cherché à nous l'enlever. Un parc fédéral nous a été imposé au moyen d'une mesure législative. Les membres de nos collectivités devaient payer cinq dollars de frais d'entrée saisonniers (somme qu'on pourrait apparenter à la compensation offerte par le gouvernement dans le traité) pour jouir de la faune et de la flore — non pour récolter ou cueillir, ou encore pour aider ou éduquer ses frères, mais pour simplement dire que, à un moment donné, ils avaient le droit de parcourir le parc librement.
La présidente: Il ne nous reste que cinq minutes pour écouter les questions de deux autres sénateurs.
M. Shannacappo: Vérifiez votre billet de vingt dollars pour déterminer où mon peuple devrait se placer pour participer à l'élaboration des mesures législatives de notre pays.
Le sénateur Tkachuk: Je souhaite la bienvenue aux chefs et à ces messieurs. Je siège au Comité des affaires autochtone plus ou moins en permanence depuis dix ans. Je le fais un peu par curiosité, mais aussi à cause des répercussions des traités sur la province de la Saskatchewan. Après dix ans, ce projet de loi me permettra peut-être d'obtenir une maîtrise en la matière.
Je ne suis pas d'accord avec la présidente qui dit que j'aimerais entendre tous les témoins; je ne vois pas pourquoi il faudrait se précipiter. On compte 75 personnes qui veulent témoigner et même s'il faut un an pour les entendre, qu'est ce que cela peut faire? Nous discutons depuis déjà deux cents ans, qu'importe un an de plus si nous pouvons bien faire le travail? À mon avis, on n'a pas à se bousculer pour faire adopter la mesure législative avant d'avoir rassemblé le plus de renseignements possible. Je tenais simplement à le préciser.
J'ai une ou deux questions. Celle de l'indépendance m'a toujours intriguée. On parle de trouver un processus de règlement des différends et du fait que les membres sont indépendants et ne représentent pas uniquement le gouvernement du Canada — ça me laisse perplexe. Le gouvernement du Canada est censé représenter tous les Canadiens, ce qui veut dire, évidemment, non seulement moi mais vous aussi, nous tous.
Ensuite, nous avons, de l'autre côté de la table, le «demandeur». Monsieur Ahenakew, lorsque vous nommez une personne à un comité, cette personne ne dépend-elle pas du point de vue qu'on y défend? Bien sûr, le gouvernement canadien nomme des personnes chargées de faire valoir son point de vue. Personne n'est impartial dans ce processus. Comment pouvons nous maintenir un certain niveau d'indépendance dans tout cela? Est-ce une tâche impossible? Nous pourrions peut-être chacun nommer un bagarreur pour régler la question dans un coin. Il ne peut y avoir une commission réellement indépendante, n'êtes-vous pas d'accord?
M. Ahenakew: Nous allons répondre à votre question de deux points de vue, sénateur Tkachuk. M. Benson, qui connaît très bien le groupe de travail mixte, pourra également répondre.
Prenons l'exemple du tribunal. Vous avez raison. Est-il vraiment indépendant? Le Canada peut former un tribunal comme celui de l'Accord du libre-échange. Le Canada et les États-Unis ont chacun nommé un représentant et ils ont convenu d'une troisième personne, ce qui donne un processus équilibré. On a chacun une voix en sa faveur et la troisième personne du tribunal est impartiale, si on arrive à la choisir d'un commun accord.
Le processus de nomination à la commission est semblable. Il doit y avoir un équilibre. Notre tâche est de préciser le processus pour obtenir un tribunal ou une commission la plus équitable possible.
M. Jayme Benson, Federation of Saskatchewan Indian Nations: Le vice-chef Ahenakew a répondu aux aspects précis du projet de loi traitant des nominations et du GTM. Le processus ne doit pas pencher d'un côté ou de l'autre. Il doit y avoir un mécanisme qui permette la nomination de personnes neutres ou, encore, que chaque partie soit représentée et une troisième personne neutre s'y joint.
Lorsqu'on examine la question de l'indépendance, il est important de voir au-delà du processus de nomination. Lors du témoignage du vice-chef Ahenakew, il a évoqué un certain nombre de nos préoccupations, dont la question des délais. Dans notre exposé, nous avons souligné que l'objectif du GTM était de transférer le contrôle du gouvernement fédéral à une entité indépendante. Au fur et à mesure que le projet de loi C-6 a cheminé dans la bureaucratie, ce contrôle a été rendu au gouvernement fédéral et confié au MAINC et au ministère de la Justice.
Les amendements que nous proposons dans quatre domaines, malgré que nous ayons d'autres préoccupations, sont une tentative de rétablissement d'un certain niveau de ce contrôle. Au moyen des délais, nous proposons des solutions de rechange pour contrer le contrôle absolu du gouvernement fédéral.
La première solution est d'établir un échéancier global pour qu'à un moment donné quelqu'un puisse dire: «ça suffit», et qu'on passe à l'étape suivante. Une autre solution consiste à donner plus de contrôle à la commission pour la prise de ces décisions. On traite donc de la question d'indépendance.
La définition d'une revendication devrait être la plus large possible et n'en exclure aucune. De cette manière, on pourrait éviter les poursuites judiciaires. Ces examens pourraient être traités par une entité indépendante du contrôle du gouvernement fédéral.
Si on examine la question de l'indépendance, on doit voir au-delà du processus de nomination. Il y a des vices de forme qui cèdent ce contrôle au gouvernement canadien.
C'est pourquoi nous proposons ces modifications précises. Puisqu'elles sont expliquées dans notre exposé, nous ne donnerons pas de détails sur cette question. Il s'agit de contrôle.
La présidente: Nous aimerions bien continuer à vous écouter, mais une autre réunion est prévue dans cette salle. Je vous présente mes excuses.
M. Benson a bien répondu.
J'aimerais réagir à ce qu'a dit le sénateur Tkachuk. Il nous a fallu bien des années pour créer un système au sein des peuples autochtones, d'abord avec l'ancienne Fraternité des Indiens, qui assure l'élection des grands chefs et des représentants par région. Il est très important de respecter ce protocole.
Nous ne recevrons pas 75 exposés. Ils sont communiqués par les grands chefs, vous et tous vos représentants. Je respecterai toujours l'esprit de ce protocole vis-à-vis des grands chefs.
Nous ne pouvons pas garder ce projet de loi en suspens pendant plus d'un an. J'ai déjà participé à des négociations de traité qui ont été paralysées pendant plusieurs années, certaines pendant presque cent ans. Le temps est venu pour le troisième palier de gouvernement et le gouvernement fédéral d'aller de l'avant.
Nous ne pouvons pas le laisser en suspens. La question doit être traitée pour que vous puissiez faire votre travail et négocier de bonne foi. Je vous remercie tous de vos exposés. Nous tiendrons compte de toutes vos remarques et communiquerons avec vous de nouveau.
Le sénateur Tkachuk: Madame la présidente, est-ce que cela veut dire que nous ne pourrons pas discuter de la manière dont nous traiterons de la question? Avez-vous déjà pris cette décision?
La présidente: Nous en discuterons à huis clos.
Le sénateur Tkachuk: Vous avez clairement exprimé votre position. À quoi bon en discuter?
La présidente: Nous allons en discuter.
Le sénateur Tkachuk: Vous avez déjà donné votre point de vue.
La présidente: J'ai réagi à votre remarque.
Merci, messieurs. C'était un plaisir de vous écouter. Nous allons maintenant nous réunir à huis clos.
M. Anderson: Peut-on demander si nos propositions sont acceptées comme témoignage devant le comité?
La présidente: Vos exposés ont été déposés et seront pris en considération.
M. Anderson: Nous sommes en train de faire traduire nos textes en français. Nous les soumettrons au comité dès qu'ils seront prêts. Notre député a accepté de nous aider à cet égard.
La présidente: Cette partie de la séance est maintenant terminée. Nous continuons à huis clos.
La séance se poursuit à huis clos.