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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 17 - Témoignages du 3 juin 2003


OTTAWA, le mardi 3 juin 2003

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, à qui a été renvoyé le projet de loi C-6, loi constituant le centre canadien du règlement indépendant des revendications particulières des Premières nations en vue de permettre le dépôt, la négociation et le règlement des revendications particulières, et modifiant certaines lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 9 h 08 pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Thelma J. Chalifoux (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Bonjour à tous. Aujourd'hui, nous accueillons le chef Chris Shade et Will Long Time Squirell, du conseil tribal Gens-du-sang/Kainaiwa. Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Chef Shade, je vous en prie.

Le chef Chris Shade, conseil tribal Gens-du-sang/Kainaiwa: C'est un honneur que d'être ici. Nous remercions le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones de nous avoir donné l'occasion de vous faire part de nos préoccupations et de nos opinions au sujet du projet de loi C-6.

Dans la documentation que nous avons distribuée, on trouve au début un résumé que je vais lire et je distribuerai l'information plus détaillée ensuite.

La tribu des Gens-du-sang/Kainaiwa est située dans le sud de l'Alberta sur la réserve des Gens-du-sang et comprend une population de 9 400 membres. La réserve a une superficie de 2 000 kilomètres carrés et on y pratique surtout l'agriculture. La tribu des Gens-du-sang administre et gère ses propres installations pour l'éducation, la santé, les services correctionnels, les forces policières et autres services.

Nous avons adopté des codes législatifs sur les finances, les élections et l'appartenance à la tribu qui renvoient à la déclaration de nos aînés, Kainaysinni, qui définit qui nous sommes, quel est notre territoire, notre régime gouvernemental, nos sources de pouvoir et notre relation à la terre et à nos frères.

La tribu des Gens-du-sang a participé au Traité 7 en 1877. Nous considérons ce traité comme solennel et exécutoire en toute perpétuité. Le Traité 7 est la fondation même de notre relation avec le Canada et a créé une relation unique entre notre peuple et la Couronne, ne modifiant qu'un seul aspect de nos droits inhérents: le droit à l'utilisation exclusive de notre territoire.

La tribu des Gens-du-sang existe comme nation depuis toujours et nous avons continuellement contrôlé nos terres et nos destinées religieuses, politiques, économiques et culturelles. L'établissement des Européens a modifié du tout au tout la vie de la tribu des Gens-du-sang notamment en créant le processus des traités qui a entraîné de nombreuses promesses, y compris la promesse par la Couronne que nos terres de réserve ne pourraient pas nous être prises sans notre consentement.

Nous avons honoré cet accord. Nous avons signé le Traité 7. Nous savons garder la paix et partager notre territoire avec les nouveaux arrivés. Le Canada, toutefois, n'a pas fait cela. Au lieu de respecter ses promesses, le Canada nous a imposé des lois étrangères qui ont miné notre indépendance et sapé notre pouvoir inhérent. Pourtant, malgré les attaques constantes sur la validité de nos systèmes de vie et les tentatives de nous éliminer comme peuple, nous avons survécu. Nous continuons à lutter pour préserver à l'intention de nos générations futures, les valeurs, principes, droits et libertés de nature fondamentale qu'il nous faut pour demeurer un peuple distinct et unique.

Nous considérons le Traité 7 comme la fondation de notre relation avec le Canada. Le droit canadien caractérise également la relation entre les Premières nations et la Couronne comme étant fiduciaire. Par conséquent, outre notre relation aux termes de notre traité, nous avons également une relation fiduciaire avec le Canada. À cause de cette relation où la Couronne est fiduciaire et la tribu des Gens-du-sang est bénéficiaire, la Couronne a certaines obligations fiduciaires envers nous.

Le traité et la relation fiduciaire nous donnent les directives qui gouvernent notre relation. Le Canada doit honorer ses promesses aux termes du traité tout en s'assurant de respecter son obligation fiduciaire envers nous de se comporter à notre égard avec la plus entière bonne foi et d'agir pour protéger nos intérêts. Le Canada doit agir dans notre intérêt dans les lois qu'il propose et rédige conformément à son pouvoir constitutionnel exclusif de légiférer en ce qui concerne les Indiens et les terres réservées aux Indiens.

Le ministre des Affaires indiennes n'a pas agi dans nos intérêts en proposant le projet de loi C-6. Le projet de loi favorise les intérêts du Canada avant les nôtres, ce qui va à l'encontre des normes que le Canada doit respecter dans ses rapports avec les Premières nations.

On appelle le projet de loi C-6 la «Loi constituant le Centre canadien du règlement indépendant des revendications particulières des Premières nations en vue de permettre le dépôt, la négociation et le règlement des revendications particulières, et modifiant certaines lois en conséquence». Le gouvernement fédéral affirme également que ce projet de loi modifiera la procédure actuelle touchant les revendications particulières en créant de nouveaux organismes administratifs pour faciliter la négociation des revendications et le règlement des différends et pour confirmer le bien- fondé des revendications et le montant de l'indemnisation.

Nous convenons que le projet de loi C-6 modifiera la procédure actuelle, mais nous déclarons solennellement que cette modification n'est pas une amélioration. En fait, c'est au plus grand détriment des Premières nations puisqu'il s'agit tout simplement de légiférer la protection des intérêts du Canada à l'encontre de la relation prévue par le traité et de l'obligation fiduciaire.

En examinant le projet de loi C-6, et son éventuelle incidence sur la tribu des Gens-du-sang, nous avons considéré nos valeurs, principes, droits et libertés de nature fondamentale et notre longue histoire ainsi que les réalités du monde d'aujourd'hui. Dans notre mémoire, nous avons tenté de donner au comité du Sénat un aperçu de la taille et de la complexité de la tribu des Gens-du-sang, de nos territoires et de nos structures économiques, sociales, culturelles et politiques.

Comme nous l'avons déjà mentionné, la fondation même de la relation de la tribu des Gens-du-sang avec le Canada repose sur la relation créée par le traité qui a force exécutoire. La direction de la tribu des Gens-du-sang a le mandat clair et des instructions des membres de la tribu afin d'assurer que l'on respecte et que l'on protège l'esprit et l'intention du Traité 7.

La tribu des Gens-du-sang a également une relation fiduciaire avec le Canada qui oblige ce dernier à agir dans nos intérêts et à protéger ceux-ci. Nos dirigeants doivent aussi s'assurer que le Canada respecte cette obligation.

La tribu des Gens-du-sang a de grandes préoccupations au sujet du projet de loi C-6 que nous avons expliquées de façon plus détaillée dans notre mémoire. Nous avons toutefois voulu vous présenter les questions suivantes.

Tout d'abord, la relation nation à nation dont témoignent les traités constitue la base pour la création d'une nouvelle procédure de règlement des revendications particulières. La création de cette nouvelle procédure doit inclure la participation active des Premières nations de sorte qu'en réalité et en pratique, on fasse preuve d'équité et de justice à l'égard de celles-ci dans le règlement de leurs revendications particulières. Il est inacceptable que le Canada propose une loi qui ne modifie la procédure actuelle qu'à son propre avantage et au plus grand détriment des Premières nations. Cela va à l'encontre de la relation entre les parties prévues par le traité.

Deuxièmement, la nature fiduciaire de la relation entre les Premières nations et la Couronne gouverne également la création de cette nouvelle procédure de règlement des revendications particulières. En créant quelque chose de nouveau, le Canada doit s'assurer qu'en réalité et en pratique, il s'agit d'une amélioration par rapport à ce qui existe déjà et que le tout est dans l'intérêt des Premières nations. Le projet de loi C-6 protège les intérêts du Canada au détriment des Premières nations. Cela va également à l'encontre de la relation fiduciaire et porte atteinte aux obligations fiduciaires du Canada envers les Premières nations.

Voici nos recommandations au comité du Sénat sur le projet de loi C-6:

En ce qui concerne le manque d'autonomie et l'objectivité, il faut prévoir dans le projet de loi C-6 la création d'un organisme véritablement autonome et impartial pour régler les revendications particulières, et cet organisme doit non seulement paraître autonome et impartial, il doit l'être dans les faits. Pour ce faire, il faut accepter la participation des Premières nations.

Il faut exiger que le ministre consulte les Premières nations pour le choix des membres à nommer à la commission et au tribunal. La sélection des membres doit se faire conjointement par le ministre et les Premières nations et ce n'est qu'avec le consentement mutuel des deux parties qu'une recommandation sera transmise au Cabinet fédéral pour la nomination des membres.

En ce qui concerne la question des procédures injustes, il faut que dans le projet de loi C-6, on établisse des délais très clairs et raisonnables dans lesquels le ministre doit décider si une revendication sera ou non négociée. Il ne doit pas y avoir des délais illimités qui lui donnent l'occasion de retarder encore plus le processus. Des délais précis forceraient le ministre à considérer les revendications dans des délais raisonnables et seraient conformes aux intentions énoncées dans le projet de loi.

Il ne faut pas imposer dans le projet de loi C-6 une limite au montant des revendications qui peuvent être portées devant le tribunal car sinon les Premières nations n'auront d'autre choix que de porter en justice leurs revendications supérieures à 7 millions de dollars. Il ne faut pas que le projet de loi C-6 soit gouverné uniquement par les réalités financières du Canada. Il faut également considérer les réalités financières des Premières nations et augmenter le budget annuel de sorte qu'il y ait vraiment des chances que les revendications puissent être réglées équitablement et dans des délais raisonnables.

Au sujet des séances du comité parlementaire, ce sont les Premières nations à titre individuel qui présentent des revendications particulières. Le gouvernement fédéral a par conséquent l'obligation juridique non seulement de respecter les traités et son obligation fiduciaire, mais également l'obligation juridique de s'assurer que des consultations réelles ont lieu avec chaque Première nation. Le comité parlementaire n'a pas honoré cette obligation. La tribu des Gens-du-sang recommande que le Sénat mène une étude spéciale sur le projet de loi C-6 afin de déterminer ses conséquences, comme nous les énumérons ci-dessus, pour les Premières nations et afin de décider si le Canada a rencontré son obligation juridique de s'assurer qu'il y a de véritables consultations avec les Premières nations.

J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à la délégation de la Nation Tsuu T'ina. Avant de passer aux questions, j'aimerais donner la parole aux membres de cette délégation et entendre leur exposé. Ensuite, nous pourrons passer à la période de questions.

M. Jim Big Plume, recherchiste sur les terres et les traités, nation Tsuu T'ina: Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs, je m'appelle James Big Plume et je suis le directeur de la recherche sur les terres et les traités pour la nation Tsuu T'ina.

[Le témoin parle dans une langue autochtone.] Il fait beau dehors. J'espère que vous avez tous notre mémoire sous les yeux, je l'ai fait parvenir au greffier.

Madame le sénateur Chalifoux et honorables sénateurs, au nom de la nation Tsuu T'ina, j'aimerais vous dire à quel point nous sommes reconnaissants de l'occasion qui nous est donnée de comparaître devant votre comité et de vous faire part de nos opinions et préoccupations au sujet du projet de loi C-6. Je suis accompagné aujourd'hui de Ron Maurice, conseiller juridique pour les revendications de la nation Tsuu T'ina, de Stanley Big Plume, conseiller de la nation Tsuu T'ina, et de Gilbert Crowchild, conseiller et président de la Commission des revendications particulières pour la nation Tsuu T'ina. En ma qualité de gestionnaire et directeur de la recherche sur les revendications territoriales et les traités pour la nation Tsuu T'ina, j'aimerais vous faire part de nos expériences avec la procédure de revendication pour vous montrer les problèmes qui découlent de la politique actuelle. Je vais également vous faire part de ce que nous croyons être nécessaire pour vraiment régler nos griefs légitimes contre la Couronne.

Les signataires du Traité 7 font partie de la Confédération des Pieds-Noirs dans le sud de l'Alberta. Nous sommes entourés sur trois côtés de la réserve, qui occupe la superficie de trois comtés, par la ville de Calgary. Compte tenu de notre proximité à un si grand centre urbain, notre nation a fait l'objet de pressions constantes et extraordinaires depuis au moins les années 1880 pour céder et vendre notre territoire et l'ouvrir à l'établissement de non-Indiens. En fait, encore la semaine dernière, un promoteur immobilier a tenté de contourner l'autorité de notre chef et conseil en offrant un pot-de-vin de 80 000 $ à chaque homme, femme et enfant afin de construire une autoroute sur nos terres. Vu la proximité de la ville de Calgary, nous avons toujours été considérés comme le dernier tronçon du boulevard périphérique de la ville de Calgary. On considère que nos terres retardent le développement de la ville de Calgary. Ce n'est pas notre point de vue. C'est drôle que de telles tactiques soient encore utilisées aujourd'hui dans le but de s'approprier nos terres et de nous priver de nos droits issus de traité, mais comme le dit l'expression: plus ça change, plus c'est pareil. C'est la même chose en ce qui concerne le projet de loi.

À elle seule, la nation Tsuu T'ina a plusieurs revendications particulières qui affirment toutes que la Couronne a violé les conditions du Traité 7 et n'a pas respecté son obligation fiduciaire de protéger nos terres et nos ressources. Au cours des 30 dernières années, depuis la mise en œuvre de la politique sur les revendications particulières, nous n'avons réussi qu'à régler une petite revendication liée à la saisie et à l'utilisation de nos terres à des fins d'irrigation. On a jugé que cette revendication particulière n'était pas fondée sur le pouvoir approprié de céder des terrains et que les terrains utilisés devaient servir à l'irrigation des terres Tsuu T'ina. Il a été constaté au cours des négociations sur cette revendication particulière, que l'on appelle généralement la revendication de la Calgary Irrigation Company, qu'on n'a jamais versé d'indemnisation aux Tsuu T'ina. Les autres revendications font toujours l'objet de recherches ou sont enlisées dans la procédure actuelle.

Deux de nos revendications méritent d'être mentionnées. Il y a tout d'abord les 1 173 acres que nous avons cédées en 1913 sur la foi de la promesse de la Couronne qu'ils seraient vendus pour au moins 150 000 $. Plutôt que de vendre ces terres pour le prix minimum, le gouvernement les a louées au ministère de la Défense nationale à un prix inférieur à leur valeur. Pire encore, ce terrain de premier ordre, est situé à proximité de la ville, a été détruit puisqu'il a servi de site de formation militaire et de champ de tir. Malgré nos efforts constants pour nettoyer le dégât laissé par les militaires, nous travaillons encore avec le ministère de la Défense nationale pour enlever les munitions non explosées et nettoyer la contamination environnementale. À cet égard, j'aimerais vous dire, sur une note personnelle, que ma grand-mère, ma tante et deux de mes cousins ont été blessés par une grenade. Ils n'ont jamais reçu d'indemnisation. Deux d'entre eux sont encore parmi nous aujourd'hui, Dieu merci.

La deuxième revendication concerne la cession et la vente de 593 acres à la Ville de Calgary en 1931 pour l'aménagement du réservoir Glenmore. Il est bien connu que le réservoir Glenmore fournit au moins 80 p. 100 de l'eau qu'utilise la ville de Calgary. La revendication a été déposée en 1996 et en 1994 nous avons fourni au ministère de la Justice une abondance de documents supplémentaires pour les aider à accélérer leur examen juridique. Bien que le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien ait promis de nous dire au plus tard à l'été 2002 si la revendication était négociable, cette échéance est passée et nous attendons toujours une réponse du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien et du ministère de la Justice. À propos, le réservoir Glenmore est voisin des terres qui avaient été louées au ministère de la Défense nationale et il empêche la nation Tsuu T'ina de continuer à coopérer avec la ville de Calgary pour la construction de son autoroute périphérique.

Ce retard est inacceptable. Toutefois, le processus actuel ne nous donne pratiquement aucun recours. Ce processus est d'une injustice flagrante. Premièrement, nous devons dévoiler notre jeu et divulguer toutes nos preuves afin de convaincre le ministère de la Justice que notre revendication est fondée. L'avocat du ministère de la Justice se trouve en situation de conflit d'intérêts inhérent puisqu'il est à la fois juge, jury et défendeur des poursuites contre la Couronne. Il n'est guère surprenant, lorsqu'une revendication est rejetée, que la Première nation ait du mal à accepter la décision du ministère de la Justice puisqu'elle est fondée sur l'interprétation étroite et partisane du droit et des faits par une partie. Contrairement à un tribunal, le ministère de la Justice n'est pas tenu de motiver ses décisions. Pour se soustraire à cette obligation, il invoque le secret professionnel de l'avocat.

En outre, lorsqu'une revendication est rejetée, il n'y a aucun mécanisme d'appel efficace. La revendication peut être renvoyée à la Commission des revendications des Indiens pour qu'elle fasse enquête et prépare un rapport, mais l'expérience nous a montré que très souvent la Couronne ignore en toute impunité ses décisions, même si les rapports de la commission sont impartiaux, détaillés et bien documentés. Il n'existe pas non plus d'organisme neutre ayant le pouvoir d'obliger la Couronne à répondre dans un délai raisonnable. Au bout du compte, nous nous trouvons dans la situation peu enviable d'avoir à attendre indéfiniment pour voir si la Couronne acceptera de négocier la revendication ou alors nous sommes obligés d'aller devant les tribunaux.

Nous pouvons attendre de nombreuses années avant de recevoir une réponse à nos revendications et entre-temps nous continuons à perdre des aînés qui sont reconnus comme étant nos encyclopédies, nos dictionnaires, nos historiens. Il est tragique que tant de nos aînés ne verront jamais le jour où notre histoire sera reconnue et ou justice nous sera rendue pour les manquements de la Couronne à ses obligations envers nos ancêtres.

Ce qui rend cette injustice encore plus grave c'est le fait que nous avons perdu des preuves et des aspects importants de notre histoire et de notre tradition orales qui racontent en nos propres mots comment nous avons perdu nos terres. Sur une autre note personnelle, récemment, la semaine dernière, nous avons perdu une autre grand-mère, Lucie Big Plume, et une autre tante, Clarabelle Pipe Stem, qui étaient reconnues pour leurs connaissances approfondies de l'histoire de la nation Tsuu T'ina.

Même si le nombre de revendications en suspens continue de croître, la Couronne n'a pas affecté les ressources financières et humaines nécessaires pour éliminer cet arriéré. Il faut que quelque chose cède; il faut faire quelque chose. C'est dans ce contexte que le groupe de travail mixte a entrepris d'élaborer un nouveau processus pour accélérer le règlement juste et équitable de nos revendications. Au cours des dernières semaines, vous avez entendu de nombreux témoins vous dire que le projet de loi C-6 ne reflète pas tout le travail et les recommandations conjointes des Premières nations et des représentants du gouvernement qui ont participé à ce processus. Nous nous sentons obligés de joindre notre voix à celle des autres Premières nations qui se sont opposées au projet de loi C-6.

Cela dit, je demande maintenant à Ron Maurice, conseiller juridique de la nation Tsuu T'ina, de faire quelques commentaires.

M. Ron Maurice, conseiller juridique, nation Tsuu T'ina: C'est un honneur pour moi d'être ici aujourd'hui. J'aimerais vous souligner quels sont d'après nous les principaux problèmes du projet de loi qui vous étudiez. Sentez-vous libres d'intervenir n'importe quand, si vous voulez des précisions. Je préfère de loin un dialogue au monologue ennuyant que je vais vous réciter.

La présidente: Monsieur Maurice, si cela vous convient, nous écouterons votre exposé puis nous passerons aux questions. Veuillez nous souligner ce qui vous semble important à titre de conseiller juridique. Nous avons déjà entendu la tribu des Gens-du-sang et nous passerons à la période de questions dans 10 minutes environ.

M. Maurice: Au cours des 12 dernières années, j'ai participé à un certain nombre de revendications à titre de conseiller juridique de la Commission des revendications des Indiens. J'ai constaté que nous avons grandement besoin d'un organisme indépendant qui rend des décisions exécutoires en plus d'une commission qui fournirait les autres formes moins contraignantes de règlement des différends. Elle aiderait les parties à régler leurs différends sans avoir recours à un tribunal qui peut rendre des décisions exécutoires et les sortir de l'impasse chaque fois qu'il y a un différend — pas seulement en ce qui concerne les responsabilités de la Couronne mais également en ce qui a trait à l'indemnisation. Le processus de négociation n'est pas aussi efficace sans un système de frein et de contrepoids. Si les retards n'entraînent aucun risque ou conséquence, il y a une partie qui exerce toujours trop de contrôle sur le processus.

Au départ, le projet de loi C-6 devait corriger ce problème. Le groupe de travail mixte a travaillé très fort pour corriger cette importante lacune en formulant à l'intention du gouvernement des recommandations qui auraient permis de régler toutes ces revendications — petites et importantes — de la même manière. Malheureusement, ce processus n'est pas allé assez loin pour régler les problèmes fondamentaux du processus actuel.

J'aimerais attirer votre attention sur la nature des droits dont nous parlons en faisant une analogie. Il est important de souligner le fait que nous parlons des droits juridiques et constitutionnels des Premières nations reconnus au paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Il est important de garder à l'esprit que la Commission sur les Indiens de l'Ontario a souligné cela dans son rapport de 1994 intitulé «Indian Negotiations in Ontario: Making the Process Work.» Elle a dit que le règlement des revendications territoriales n'allait pas accorder des privilèges spéciaux aux peuples autochtones mais qu'il s'agissait plutôt d'appliquer des principes juridiques canadiens fondamentaux.

Si vous acceptez que la politique concerne les obligations légales de la Couronne et que notre Constitution — c'est- à-dire tout notre système démocratique et nos institutions juridiques et politiques — reposent sur la notion de la suprématie du Parlement et de la primauté de la loi, il en découle que la Couronne a une responsabilité spéciale en ce qui concerne le maintien et le respect de ces droits et qu'elle doit mettre en place des mécanismes efficaces pour que les Premières nations puissent exercer ces droits. C'est là-dessus que doit être axé le processus et son premier objectif doit être de donner aux Premières nations l'accès aux institutions compétentes pour que justice soit faite. C'est vraiment la clé.

D'après cette analogie aux droits de la personne — qui est tout à fait appropriée —, les droits ancestraux et issus de traité sont suprêmes et il est curieux que le gouvernement n'a pas créé des institutions qui donneraient aux Premières nations un accès suffisant au système juridique pour faire valoir leurs droits constitutionnels. Le contraste avec la Loi canadienne sur les droits de la personne est frappant puisque cette loi prévoit une commission et un tribunal munis de vastes pouvoirs pour faire enquête sur les allégations de pratiques discriminatoires et pour rendre des décisions de vaste portée pour rectifier les situations où la Couronne, ou toute autre partie d'ailleurs, a enfreint des droits que nous considérons comme étant fondamentaux.

Prenez, par exemple, la décision rendue en 1998 par le Tribunal des droits de la personne en ce qui concerne la parité salariale pour les femmes à la fonction publique. Dans cette affaire, un tribunal a déterminé que la Couronne était obligée de verser une indemnisation aux femmes à cause de leur rémunération insuffisante. Dans cette affaire, personne n'aurait jamais eu l'idée de douter du bien-fondé de cette décision ni de la nécessité d'avoir un tribunal pour trancher ces questions. Toutefois, les questions relatives aux revendications des Autochtones doivent être gérées à l'intérieur d'une enveloppe budgétaire. C'est fondamentalement préjudiciable, discriminatoire et rétrograde. Ça n'aidera tout simplement pas à régler les problèmes.

Si vous admettez que nous devons nous soumettre à la norme juridique, alors il nous faut des institutions qui nous assurerons un accès équitable au système juridique. L'une des principales préoccupations soulevées par un certain nombre de personnes au cours des dernières semaines concerne le plafond de 7 millions de dollars. À mon avis, cela reviendra à créer — avec fanfare et beaucoup d'argent — une cour des petites créances pour les revendications territoriales des Autochtones. Au bout du compte, je ne pense pas que le coût justifiera le traitement de ces revendications de moins de 7 millions de dollars. Il y a déjà un élan suffisant pour régler ces revendications individuellement.

En fait, certains commentateurs ont dit que la majorité des revendications s'élèvent à moins de 7 millions de dollars et le gouvernement a présenté des preuves à cet effet. Eh bien, la majorité des revendications réglées à ce jour représentent moins de 7 millions de dollars. Cela montre tout simplement qu'il est plus facile d'éliminer l'arriéré et de régler les petites revendications car elles représentent une ponction moins importante dans votre budget annuel.

Lorsque vient le temps de s'attaquer aux questions plus importantes, nous avons vraiment besoin d'un organisme indépendant et impartial ayant le pouvoir de rendre des décisions exécutoires, d'obliger les parties à respecter des délais raisonnables et d'attribuer les coûts lorsque les délais ne sont pas respectés. Voilà le genre d'outils qu'un tribunal des revendications indépendant pourrait utiliser efficacement pour rendre le processus plus rigoureux et pour permettre le règlement efficace de nombreuses revendications.

J'aimerais parler de l'institutionnalisation du processus d'analyse du bien-fondé des revendications dont il n'est peut-être pas question dans les documents du groupe de travail mixte. Dans ce processus, le traitement des revendications compte deux étapes: premièrement, il faut convaincre le gouvernement que selon la prépondérance des probabilités la revendication reflète une obligation légale. Nous ne pouvons franchir cet obstacle tant que nous n'avons pas apporté suffisamment de preuves pour que le gouvernement déclare que la revendication est fondée. Cela place le ministère de la Justice dans une situation où il est à la fois juge, jury et défendeur.

Cela crée également un problème à la table de négociation. La revendication est acceptée si elle est conforme à l'interprétation très étroite par le ministère des critères et de ce qui constitue une obligation légale; c'est un seuil très élevé. Puis, on demande aux Premières nations d'accepter un compromis dans la négociation de l'indemnisation. Cela enlève la possibilité de concession mutuelle dans la dynamique du processus de négociation et accorde trop de contrôle à une partie. Cela m'inquiète.

Il serait préférable qu'un tribunal rende ces décisions exécutoires et encourage les parties à régler chaque revendication par la négociation. Les Premières nations pourraient déposer une revendication et une commission ferait des recherches indépendantes, ce qui donnera un meilleur rendement et des économies d'échelle. Une commission pourrait offrir des services de médiation aux parties pour les aider à régler leurs différends; ce serait une approche productive et axée sur l'avenir. Ce serait une excellente idée d'ajouter cela au projet de loi.

Cela dit, le processus fonctionnerait beaucoup mieux si le tribunal existait pour rendre des décisions exécutoires sur la responsabilité et l'indemnisation dans les cas où les parties sont incapables de s'entendre. Il suffit de regarder ce que font les plaignants tous les jours devant les tribunaux. Invariablement, la grande majorité des poursuites devant les tribunaux se règlent parce que les parties savent qu'elles devront se présenter au procès. C'est la date du procès qui encourage les négociations de bonne foi. Avec l'aide de médiateurs et de facilitateurs compétents, il est beaucoup plus facile de trouver un terrain d'entente.

Toutefois, aussitôt que les deux parties évaluent les risques, la plupart d'entre elles essaieraient de trouver une solution raisonnée plutôt que d'essayer de tout gagner. Or, je crains que les dispositions du projet de loi confirment ce comportement plutôt que d'offrir la possibilité aux parties de régler ce genre de question.

J'aimerais ajouter quelque chose au sujet de l'autonomie. Moi aussi, je critique ce projet de loi parce qu'il ne respecte pas le principe énoncé par l'APN et le groupe de travail mixte. Je faisais partie de ce groupe de travail et je sais ce qu'on y a discuté. Il ressort très clairement de ces discussions qu'on doit avoir une forme de procédure conjointe de nomination. Il ne faut pas bien sûr empiéter sur les prérogatives de la Couronne, mais il faut à tout le moins une procédure de nomination qui prévoit une présélection par les Premières nations et le Canada afin de s'assurer que les candidats sont qualifiés, impartiaux et qu'ils seront perçus comme impartiaux. Ce sont là les qualités requises pour quiconque souhaite assumer cette importante responsabilité. À la limite, cette liste de candidats pourrait être envoyée au ministre et au premier ministre pour qu'une décision soit prise sur les nominations.

C'est là un aspect important dont il doit être question dans ce projet de loi. Sinon, les Premières nations n'auront pas ce sens de légitimité et d'impartialité nécessaire pour mettre en place un organisme efficace de règlement des différends. Si la procédure est trop unilatérale et s'il semble que le gouvernement puisse piper les dés, alors cet organisme sera considéré avec méfiance, ce qui serait malheureux. Ce serait facile d'apporter de légères modifications au projet de loi pour éliminer ce problème.

Voilà mes commentaires. Merci beaucoup. S'il y a des questions, je serai heureux d'y répondre.

Le sénateur Austin: Messieurs, merci de vos exposés de ce matin. Je pense que chacun s'en est tenu exactement aux questions qui sont à l'étude par notre comité.

Laissez-moi vous expliquer ma vision du rôle du Sénat dans l'examen de ce projet de loi. Le gouvernement a proposé ce projet de loi. Le Sénat a créé ce comité parce qu'il considère avoir une responsabilité toute particulière dans le cas des peuples autochtones et des affaires autochtones. Au fil des ans, nous avons acquis, j'espère, une certaine expertise en la matière.

Ce que j'aimerais faire valoir ce matin n'a rien de nouveau pour vous. Je veux remercier tout particulièrement Ron Maurice de son analyse très approfondie des questions qui entourent ce projet de loi.

Cela dit, j'aimerais examiner certaines de ces questions avec vous. Comme vous le savez, nous avons ici un projet de loi que le gouvernement estime être préférable à la situation actuelle. Comme notre présidente l'a dit, notre comité a décidé qu'il conviendrait de proposer quelques amendements au gouvernement. Nous considérons actuellement la nature et la forme de ces amendements. Ils refléteront les mémoires que nous avons reçus. Ces amendements ne seront probablement pas emballants pour l'une ou l'autre partie à ce débat, mais nous espérons qu'ils amélioreront quelque peu la situation.

Êtes-vous plutôt satisfaits du fonctionnement de la Commission sur les revendications particulières des Indiens créée il y a très longtemps par décret? Seriez-vous heureux de continuer avec cette commission pendant plusieurs années si ce projet de loi n'est pas adopté ou est-ce que ce dernier représente une amélioration qui pourrait donner lieu à d'autres améliorations? Où vous situez-vous sur cette question?

M. Shade: La tribu des Gens-du-sang a vu comment fonctionnait la Commission sur les revendications particulières des Indiens. Dans le cas des revendications pour de petits montants, cela a fonctionné pour nous. Il s'agissait des revendications de moins de 7 millions de dollars. Mais c'est très long.

J'ai fait partie du comité des chefs sur les revendications dans le cadre des travaux du groupe de travail conjoint. Si nous avons recommandé ce changement, c'est à cause du conflit d'intérêts qui découle du fait que le cabinet du ministre examine chaque revendication présentée — surtout dans le cas des plus importantes. Pour cette raison, il était important d'assurer l'impartialité qu'un tribunal pouvait apporter. C'est ce que nous avons préconisé avec l'appui de l'APN.

Le document que nous avons présenté au cabinet du ministre nous est revenu changé. Vous l'avez probablement entendu dire déjà. Les représentants du ministre étaient à la table avec nous pour préparer ce document qui a été envoyé au ministère.

Un tribunal indépendant, c'est très important pour nous. Le ministre, je le dis respectueusement, déclare continuellement que ce projet de loi accélérera les choses. Ce ne sera pas le cas. Cela ne fera que ralentir les choses, comme nous le soulignons dans notre mémoire.

Le sénateur Austin: J'aimerais revenir sur deux points que vous avez fait valoir. D'abord, le groupe de travail conjoint a été créé afin d'améliorer la situation de la Commission sur les revendications particulières des Indiens. Le groupe de travail n'avait pas le pouvoir de conclure une entente entre les deux parties. C'était un groupe de travail conjoint qui devait recommander quelque chose à l'APN d'une part et au ministre d'autre part, n'est-ce pas?

M. Shade: Lorsque nous avons préparé le rapport du groupe de travail conjoint, il a été transmis à l'assemblée des chefs de tout le Canada. Il a été approuvé et adopté par les Premières nations.

Le sénateur Austin: Il fallait une autre étape pour qu'il soit adopté. Les membres du groupe de travail n'avaient pas le pouvoir de conclure une entente. Il fallait s'en remettre à une autorité de contrôle.

M. Shade: Nous envisagions la chose comme des partenaires à part entière dans la négociation d'une nouvelle procédure.

Le sénateur Austin: Vous pouviez rejeter ce qui était proposé s'il y avait quelque chose que vous n'aimiez pas.

M. Shade: Nous avons rejeté le projet de loi C-6.

Le sénateur Austin: Non. Vous pouviez rejeter le rapport du groupe de travail s'il ne vous plaisait pas.

M. Shade: Il nous plaisait.

Le sénateur Austin: S'il ne vous avait pas plu, vous auriez pu le rejeter.

M. Shade: Oui, nous aurions pu le faire.

Le sénateur Austin: Lorsque les représentants du gouvernement ont soumis le rapport à leurs supérieurs, ils ont fait face à des considérations politiques d'un tout autre ordre. Le gouvernement, au niveau ministériel, n'a pas accepté le rapport du groupe de travail conjoint sans les modifications que l'on retrouve dans le projet de loi C-6.

M. Shade: En effet.

Le sénateur Austin: Essentiellement, les deux parties ont négocié. Une partie aimait le résultat, l'autre ne l'aimait pas. Cette deuxième partie est revenue avec une autre version et vous a dit: «Êtes-vous prêts à accepter ceci?» Voilà où nous en sommes aujourd'hui.

M. Shade: Dans notre mémoire, nous expliquons pourquoi nous pensons avoir été lésés. Le cabinet du ministre a l'obligation fiduciaire de s'assurer qu'on nous écoute sérieusement.

Le sénateur Austin: Je le comprends. Le deuxième point que je souhaite faire valoir, suite aux arguments de M. Maurice, c'est que sur le plan conceptuel, nous devons faire une distinction entre les deux procédures. Dans un cas, il s'agit de «négociation», et dans l'autre, de «règlement» dans le cadre du système judiciaire. Il ne faut pas confondre les deux concepts. Une négociation, c'est quelque chose qui entraîne un échange d'idées, des ententes ou le manque d'ententes. L'autre procédure est censément une décision objective de la part d'un organisme impartial.

Ce que nous avons avec la Commission sur les revendications particulières des Indiens et ce que nous trouvons dans ce projet de loi ne représentent toujours pas un tribunal impartial chargé des revendications particulières des Indiens — bien que dans ce cas, il y a un tribunal dont le pouvoir est plafonné à 7 millions de dollars. Toutefois, il y a toujours des négociations et la Couronne définit comment elle veut négocier. C'est le modèle du secteur privé. Vous avez peut-être raison — et j'ai plutôt tendance à le croire — qu'il devrait y avoir un processus plus impartial que celui que la Couronne a adopté jusqu'à maintenant. Toutefois, votre comité se retrouve dans la situation de devoir prendre une décision qui revient à dire que le projet de loi est inacceptable ou qu'avec des modifications, bien qu'imparfait, ce projet de loi représente une amélioration par rapport à la Commission sur les revendications particulières des Indiens.

Je conclus que vous voulez retourner à l'étape des discussions. Vous pensez pour une raison quelconque pouvoir obtenir plus de choses de la Couronne en reprenant les discussions qu'en proposant ceci pour ensuite passer à une troisième étape qui se rapprocherait davantage de ce que vous aimeriez avoir.

M. Shade: Nous avons examiné le document et divers avocats ont présenté différentes opinions. On a bien travaillé pour préparer le présent document mais il faudrait quelques changements ou quelques amendements. Si cela était fait, je pense que nous pourrions nous en accommoder.

Voici ce qu'il faudrait changer: des mesures pour assurer une indépendance et une impartialité totales, la méthode pour établir le bien-fondé d'une revendication et le problème du plafonnement à 7 millions de dollars. Au départ, on a proposé 5 millions de dollars. Lorsque les Premières nations présentent une revendication, il ne faudrait pas qu'elles soient obligées de signer une renonciation. Dans le projet de loi, une fois à cette étape, il faut renoncer à essayer d'obtenir plus d'argent si on ne réussit pas au premier niveau. Cela limite quelque peu notre marge de manoeuvre.

Le sénateur Austin: C'est une critique valable de ce projet de loi, certainement. Ce que je cherche — et ce que je crois que mes collègues cherchent — c'est ce qu'il faut faire à la lumière des limites.

Vous dites si je comprends bien qu'il faut améliorer le processus de consultation; qu'il faut régler le problème du plafond; qu'il faut régler la question de l'impartialité et qu'il faut répondre à certaines autres de vos préoccupations.

M. Shade: Exactement.

Le sénateur Tkachuk: Puis-je poser une question supplémentaire au sujet du plafond? Est-ce que vous rejetez complètement un plafond? Quel est le montant que vous recommandez? Est-ce qu'un autre montant vous conviendrait mieux?

M. Shade: À l'origine, nous voulions quelque chose de supérieur à 5 millions de dollars. Le gouvernement a cédé et a augmenté le plafond à 7 millions de dollars. Toutefois, on a ajouté cette exigence que les Premières nations signent une renonciation, ce qui revient à dire: «Si vous choisissez cette voie, vous devez continuer dans cette voie et vous devez accepter 7 millions de dollars». L'idée à l'origine c'était que l'on puisse utiliser cette procédure pour établir le bien- fondé de la revendication et ensuite s'asseoir dans le cabinet du ministre pour négocier une revendication particulière et obtenir un règlement.

Le sénateur Tkachuk: Supérieur au plafond?

M. Shade: Oui.

Le sénateur Austin: Lorsque vous parlez de consultation, il y a lieu de se demander avec qui. Si le ministre doit, en vertu de la loi, consulter, est-ce l'APN que vous voulez qu'il consulte en votre nom? Voulez-vous qu'il vous consulte sur les nominations, vous et les autres revendicateurs? Une possibilité c'est que le ministre vous demande à vous qui avez accepté le règlement de votre revendication de réagir aux propositions de candidatures. Est-ce que vous seriez satisfaits si l'APN parlait en votre nom?

M. Shade: Nous voulons un processus de consultation sérieux. Le ministre ne s'est pas déplacé d'un bout à l'autre du pays pour tenter de consulter les Premières nations. Je dis qu'il faut des consultations sérieuses. Sinon par région, sinon par traité, au moins quelque chose d'un bout à l'autre du pays.

Le sénateur Austin: C'est justement ce que je veux dire. Dans le projet de loi C-6, si le ministre est sur le point de nommer les membres du tribunal, doit-il demander à l'APN, et seulement l'APN — au nom de tous les groupes qui pourraient présenter une revendication? Devrait-il plutôt, tel que proposé dans le projet de loi C-7, consulter tous ceux qui ont présenté une revendication?

Grâce à la technologie actuelle, c'est très facile à faire. Vous pouvez dire: «Très bien, 120 bandes ont présenté des revendications que nous négocions ou que nous sommes censés négocier. Nous allons demander leurs suggestions à ces 120 bandes et ensuite on verra». On peut le faire par l'entremise de l'APN ou on peut s'adresser uniquement à l'APN. Qui recommandez-vous que nous consultions?

M. Shade: Du point de vue de la tribu des Gens-du-sang, j'aimerais qu'ils nous consultent, ainsi que toute autre tribu qui a une revendication. Nous avons mis en branle une revendication. Elle existe depuis les années 1970. Je suis certain qu'il y a d'autres tribus ou Premières nations qui ont des revendications de longue date.

Le sénateur Sibbeston: Madame la présidente, je voudrais faire un commentaire. Je comprends la position que les témoins ont adoptée. Chose certaine, je suis d'accord avec la plupart des déclarations qui ont été faites. Je viens d'une région du pays, nommément les Territoires du Nord-Ouest, où les gens des Premières nations, les Autochtones sont respectés et participent au gouvernement et à tous les aspects de notre société nordique. Au fil des années, les relations entre les Autochtones et les gouvernements sont devenues un processus honorable et marquées par le respect. Je me sens chanceux de venir d'une région du pays où cette situation existe.

Pour ce qui est de la manière dont le projet de loi C-6 nous a été présenté, le gouvernement fédéral a eu raison de créer un groupe de travail conjoint, mais quelque chose est allé de travers. Je suis outré que le gouvernement fédéral ait créé chez les Premières nations des attentes à l'égard de ce processus qu'ils ont mis en branle, je veux parler du groupe de travail conjoint, lequel devait déboucher sur une solution valable pour le Canada et les Premières nations. Il est clair que les Premières nations s'attendaient à ce que le fruit des délibérations du groupe de travail conjoint serait repris par le gouvernement fédéral et se retrouverait dans ce projet de loi. Il est évident qu'il y a quelque chose qui est allé de travers quelque part.

Quand je vois ce qui s'est passé au sein du groupe de travail conjoint et ce que le ministère a fini par proposer, je constate qu'il y a absence totale de respect de la part du gouvernement fédéral dans ses relations avec les Premières nations. Cela me met en colère de constater que dans notre merveilleux pays, on puisse entretenir des relations de cette manière. Je comprends vos préoccupations et la position que vous avez adoptée sur ce projet de loi, à savoir qu'il est mauvais et que nous devrions tout remettre en chantier.

Le Sénat a la responsabilité d'examiner de tels projets de loi d'une manière mûrement réfléchie. Toutefois, je ne suis pas certain de pouvoir dire que j'ai le mandat d'entraver le processus démocratique. Les membres de la Chambre des communes sont élus et nous ne le sommes pas. Notre rôle est de procéder à un second examen objectif de tous les dossiers, et de représenter les peuples autochtones, les régions et les minorités de notre pays. Nous allons faire de notre mieux pour accomplir cette tâche.

J'ai réfléchi à tout cela. Il est essentiel de créer un organisme qui soit juste et impartial. Tout est là, dans ce processus: il s'agit de créer un organisme qui rendra des décisions justes et impartiales. J'ai proposé des amendements qui, à mon avis, seront utiles, et j'espère que le comité les accueillera favorablement. Tous les sénateurs qui sont présents aujourd'hui sont sympathiques à la cause des Premières nations et, en progressant dans ce dossier, ils ont fini par comprendre la position des Premières nations. Tous sont animés du désir d'améliorer le projet de loi, et non pas de lui mettre des bâtons dans les roues ou de le bloquer; nous voulons l'amender et ainsi l'améliorer. Tel est notre rôle. Les sénateurs examinent certains amendements visant à modifier les nominations.

J'ai le sentiment que les Premières nations doivent avoir un mot à dire dans les nominations. Si nous voulons que ce soit un organisme juste qui représente la Couronne et les Premières nations, alors il faut des dispositions permettant aux deux parties d'avoir leur mot à dire dans les nominations.

À propos de l'indépendance, j'ai travaillé pendant quelques années, avant de devenir sénateur, avec un tribunal des droits de la personne, ce qui m'a apporté une expérience valable. Je connais les progrès qui ont été réalisés. La question est de savoir si les tribunaux sont indépendants, et les juges ont beaucoup fait pour s'assurer qu'ils le soient, car c'est essentiel pour la bonne marche du processus.

L'accès aux tribunaux sans renoncer à la limite de 7 millions de dollars, les échéanciers et la clause de non- dérogation sont les aspects sur lesquels je me suis attardé dans mes amendements proposés. S'ils sont acceptés, ces amendements amélioreraient considérablement le projet de loi.

Je suis certainement sympathique à votre cause et je suis conscient de la position que vous avez adoptée. Si nous unissons nos efforts, nous pouvons travailler ensemble pour améliorer le projet de loi.

[Français]

Le sénateur Gill: J'aimerais soulever deux points dont nous avons déjà parlé. Le premier concerne le rôle du Sénat. Nous avons différentes conceptions du rôle du Sénat. Ce comité a pour but de tenter d'aider les groupes autochtones dans la mesure du possible. Toutefois je ne crois pas que l'on doive se substituer aux groupes et aux chefs élus par les populations autochtones.

Vos attentes, concernant le Sénat, en tant que représentants des peuples des Premières nations, sont sans doute que l'on représente votre point de vue sur la question des Autochtones. Je suis d'accord avec cette optique. En effet, nous sommes nommés pour faire valoir les points soulevés par les Autochtones, leurs préoccupations et leurs griefs.

Le deuxième point est le suivant. Lors des audiences du comité mixte sur les peuples autochtones, j'étais chef ou commissaire aux revendications territoriales. Les chefs autochtones des Premières nations ont toujours souhaité avoir des discussions directes avec le ministre des Affaires indiennes. Le ministre, étant un homme fort occupé, envoie ses représentants ou fonctionnaires s'entretenir avec les chefs. Les chefs ont toujours souhaité transiger directement avec les représentants ou les élus des gouvernements provinciaux ou fédéral, mais cela n'a jamais été possible.

Du point de vue des Premières nations, lorsqu'on transige avec le ministre des Affaires indiennes, on le fait par l'intermédiaire de gens représentant les points de vue, objectifs et mandats du ministre des Affaires indiennes.

On prétend que le ministre puisse se dissocier des recommandations formulées par le comité mixte. Qu'il en soit ainsi! Les hauts fonctionnaires doivent toutefois représenter les points de vue du ministre et les recommandations représenter les mandats du ministre. Quels sont vos commentaires?

[Traduction]

M. Maurice: Je vais essayer de répondre à ces questions.

Je suis certain que nous comprenons tous que le Sénat est limité quant à ce qu'il est en mesure de faire, compte tenu des pouvoirs dont il dispose. Cela dit, la question est de savoir si le Sénat doit parler haut et fort, en toute bonne conscience, quand il a des réserves sur l'efficacité d'un projet de loi, et s'il tiendra dûment compte des droits des Premières nations de notre pays, qui sont protégés par la Constitution.

Voilà ma position sur ce projet de loi. Je pense qu'il ne va pas assez loin et qu'il n'aborde pas les vraies questions. Si nous avons des tribunaux et des commissions des droits de la personne qui ont le pouvoir d'ordonner au gouvernement de faire marche arrière quand il a enfreint la Charte des droits et libertés et les droits individuels de chaque citoyen de notre pays, alors pourquoi ne pouvons-nous pas mettre sur le même pied les droits ancestraux et issus de traité des Premières nations, des Autochtones, qui sont également protégés par la Constitution? Les institutions devraient être parallèles et devraient refléter cette équité fondamentale. Je ne pense pas que ce soit le cas de ce projet de loi.

Pour ce qui est de la rédaction, le processus a été efficace. Le groupe de travail conjoint était positif et tourné vers l'avenir. Ce n'était pas la négociation typique que l'on constate presque toujours dans les revendications territoriales, chacun étant campé sur ses positions, les Premières nations d'une part et le gouvernement de l'autre. En fait, l'atmosphère était positive. Les Premières nations ont été amenées à croire qu'il fallait faire des compromis, dans l'esprit de la bonne foi et pour accommoder les intérêts conflictuels de la Couronne, et l'on a fini par s'entendre à l'unanimité sur les recommandations clés, lesquelles devaient se retrouver dans ce projet de loi et être mises en œuvre. On disait que les fonctionnaires étaient tous d'accord, jusqu'aux échelons les plus élevés, et que, bien sûr, ils avaient reçu des instructions du ministre lui-même tout le long du processus. Du moins c'est ce qu'on nous a incités à croire à la table de négociation.

Cependant, certaines personnes, au Cabinet et aux échelons supérieurs de la fonction publique, ne pouvaient accepter l'idée de donner au tribunal ce qu'ils qualifiaient de «chèque en blanc». Cela tombait un peu mal. Comme je l'ai dit tout à l'heure, la décision de 1998 sur l'équité salariale a été rendue à peu près en même temps que le groupe de travail conjoint publiait son rapport. C'est là qu'on a commencé à faire marche arrière: «Cela va nous coûter trop cher. Nous ne pouvons pas nous permettre de rendre justice aux Premières nations. Nous devrons essayer d'envelopper tout cela dans un quelconque processus qui sera gérable».

Nous n'avons pas le temps d'aborder tous les problèmes que présente ce projet de loi. Cependant, la notion d'un cadre financier et d'une allocation annuelle pour régler les revendications, le gouvernement du Canada agissant à titre de négociateur par l'entremise du ministère des Affaires indiennes et du Nord, en même temps que le tribunal est censé rendre des décisions, tout cela est mauvais. Qui est comptable du fonds? Comment tout cela est-il censé fonctionner? Comment peut-on établir un régime valable pour la gestion de cet argent?

La limite de 7 millions de dollars et l'exigence de renoncer au droit de recevoir plus que cette somme sont tous les deux problématiques. Vous pourrez lire tout cela dans le mémoire écrit que nous vous avons remis. Je ne suis pas certain qu'une Première nation puisse accepter dès le départ de renoncer à un droit collectif à toucher davantage sans passer par une analyse juridique assez détaillée de la nature et de l'étendue de ce droit. Il faudrait des études pour évaluer tout cela. Il en coûtera énormément cher pour décider s'il y a lieu de renoncer à ce droit. À la fin de l'exercice, au bout du compte, si l'on a une revendication valable, on s'adressera probablement aux tribunaux.

Cette mesure législative sera utilisée par les Premières nations comme mécanisme pour effectuer leur recherche et dresser leur plan d'action. Dès que leurs dossiers seront prêts, elles déposeront leurs revendications et s'adresseront aux tribunaux en utilisant ce processus subventionné pour accélérer les choses.

Je reviens au rôle des sénateurs. Compte tenu de ce processus, on s'est écarté de ce que tous croyaient être le processus sur lequel il y avait consensus, c'est-à-dire une consultation véritable, comme le chef Shade l'a dit. On s'attendrait à ce que le projet de loi reflète le fruit de ces consultations, étant donné que l'on avait fait appel à des rédacteurs législatifs du ministère de la Justice qui étaient chargés d'élaborer les instructions en vue de la rédaction définitive du projet de loi. Ce qu'il faut faire, c'est de recommander que les parties retournent à la table pour voir s'il est possible de s'entendre sur ces détails. Il y a un certain nombre de problèmes fondamentaux. Je pense que ces problèmes peuvent être résolus si les parties négocient dans un esprit de coopération et s'efforcent de s'entendre.

La présidente: Je voudrais vous remercier, chacun d'entre vous. Je dois m'excuser auprès de M. Crowchild parce qu'il devait faire un bref exposé, mais compte tenu de l'heure, ce n'est pas possible. J'espère qu'il comprendra.

Comme vous pouvez le voir, notre comité est complètement plongé dans l'étude de ce projet de loi. Nous écoutons attentivement tous les exposés. Nous constatons qu'il y a des points communs dans tous les exposés sur ce projet de loi. Nous allons l'examiner de a à z et envisager d'y apporter des amendements.

Nous devons être prudents dans nos délibérations. Je suis fermement convaincue que le Sénat est vraiment une chambre de second examen objectif. J'ai été présidente de la Commission constitutionnelle des aînés des Métis et sénateur pour l'Association de la nation Métis de l'Alberta. Nous avons appris la justice naturelle. Nous avons appris la prise de décisions mûrement réfléchie, nous avons appris à écouter toutes les parties.

Je tiens à vous remercier tous pour vos exposés fort intéressants. Je vous suis reconnaissante à tous d'être venus ce matin.

Nous invitons maintenant M. Eric Large, de la Première nation de Saddle Lake, à faire son exposé.

M. Eric J. Large, conseiller, Première nation de Saddle Lake: Honorables sénateurs, je suis un membre élu du conseil de la Nation crie de Saddle Lake, qui est située dans le centre-ouest du territoire visé par le Traité 6, dans l'Ouest du Canada. La Nation crie de Saddle Lake comprend environ 8 000 membres de bandes qui ont fusionné, soit celles des chefs James Seenum, (Pakan) Little Hunter (Oncctahminahoos), qui ont signé le Traité 6 le 9 septembre 1876, et des bandes de Fort Pitt. Les chefs Bear's Ears (Muskaquatic) et Blue Quill (Sipitac kwan) ont adhéré au même traité peu après.

La Nation crie de Saddle Lake défend actuellement une revendication particulière qui en est à l'étape préalable aux négociations. Elle a également des revendications potentielles à l'égard de terres, de ressources et d'autres avantages issus du traité, toutes des questions qui sont actuellement non résolues et qui découlent des promesses et obligations non remplies à la suite des engagements pris par les représentants de la Couronne envers nos peuples dans le traité de 1876. L'honneur de la Couronne est en jeu dans les revendications en suspens et doit donner lieu à un règlement juste et à la restitution de tout ce qui est dû à la Nation crie de Saddle Lake en conséquence du traité.

Je tiens à remercier les membres du comité et sa présidente, le sénateur Chalifoux, de bien vouloir entendre mon exposé sur le projet de loi C-6, Loi sur le règlement des revendications particulières. L'exposé que je présente au nom de la Nation crie de Saddle Lake ne doit pas être considéré ou interprété comme faisant partie de la consultation dans le cadre de l'adoption du projet de loi C-6. J'exprime par la présente les profondes préoccupations de ma Première nation relativement à ce qui s'est passé récemment dans le cadre des efforts du gouvernement fédéral en vue de créer un organisme indépendant de règlement des revendications, l'OIRR, pour s'occuper des revendications particulières des Premières nations du Canada.

Le projet de loi C-6, Loi sur le règlement des revendications particulières, a été présenté au Parlement en septembre 2002. L'organisme qui doit être créé aux termes du projet de loi a été qualifié par le gouvernement de reflet du modèle recommandé par le groupe de travail conjoint des Premières nations et du Canada sur les revendications particulières, qui a remis son rapport en novembre 1998. Le modèle du groupe de travail conjoint était vraiment le fruit d'un effort conjoint et mené en coopération par les Premières nations et le Canada. Il avait l'appui des Premières nations du Canada comme modèle privilégié qui aurait une chance réaliste de pouvoir résoudre de manière équitable les revendications d'une manière ouverte et expéditive. Le modèle de l'OIRR proposé par le groupe de travail conjoint était un organisme véritablement indépendant, ni les Premières nations ni le Canada n'étant placés en position de force. S'il avait été mis en œuvre, ce modèle aurait eu des chances réalistes de réduire l'arriéré de revendications qui afflige actuellement le système et dont le nombre est estimé à plus de 550.

Compte tenu du manque de ressources et du peu de temps dont nous avons disposé, notre brève analyse du projet de loi C-6 n'en démontre pas moins que la mesure proposée est très loin d'être à la hauteur des normes établies dans le modèle du groupe de travail conjoint. Nous ne croyons pas que l'organisme et le processus créés aux termes de ce projet de loi seraient indépendants, justes, efficients et efficaces. À bien des égards, le projet de loi créerait un processus de revendication ayant sensiblement moins de chance de traiter les revendications d'une manière juste et efficace. Nous sommes convaincu qu'il aurait au contraire pour résultat d'augmenter l'arriéré de revendications.

L'expérience du groupe de travail nous a appris qu'en travaillant en coopération et sur un pied d'égalité, les Premières nations et le Canada peuvent élaborer des politiques et des processus satisfaisants, ni l'un ni l'autre des intervenants ayant un avantage et l'objectif primordial étant d'en arriver à un règlement équitable et juste de tous les griefs et revendications légitimes. Nous exhortons le gouvernement fédéral à abandonner le projet de loi C-6 et toute autre initiative unilatérale et à revenir à une approche conjointe et davantage axée sur la coopération en vue d'élaborer une politique de règlement des revendications particulières.

Fondamentalement, l'approche adoptée dans le projet de loi C-6 face aux revendications particulières consiste à adopter une méthode «taille unique». Les Premières nations sont diverses et très différentes quant à leurs besoins et aux processus historiques et juridiques relativement aux terres et aux ressources.

Il est clair que le projet de loi C-6 viole et enfreint les conventions internationales applicables aux terres des peuples indigènes, notamment la Proclamation royale de 1763 et plus précisément le Traité 6 de 1876. Selon une notion qui est inextricablement liée au Traité 6, les terres et les ressources sont sacrées pour les Premières nations et un pacte sacré a été conclu entre la Couronne aux droits de Grande-Bretagne et d'Irlande, et son successeur la Couronne aux droits du Canada, d'une part, et d'autre part, les Premières nations de cette terre.

Il est honteux que le gouvernement fédéral n'ait pas eu la prévoyance et l'esprit de justice pouvant déboucher sur le redressement des injustices qui ont affligé et continuent d'affliger les Premières nations depuis 500 ans. Nos aînés continuent de nous rappeler que les prétendues «renonciations» dans les textes écrits des traités relativement aux terres et aux ressources, y compris la perte ou l'attribution de territoires insuffisants sous forme de réserve et l'amalgamation forcée avec d'autres tribus ou bandes, ont été imposées aux Premières nations par la force et par la ruse et pour faciliter l'administration des agents des Indiens. Le projet de loi C-6 vise à établir une situation définitive et la certitude en mettant fin une fois pour toute à toute possibilité pour les Premières nations de présenter à l'avenir des revendications légitimes relativement aux terres et aux ressources visées par les traités, ainsi que toute autre revendication connexe.

Si le projet de loi C-6 modifie les critères pour le règlement des revendications légitimes en rétrécissant la définition de revendications territoriales pour y englober seulement les revendications à l'égard de terres découlant d'un traité, il omet de mentionner les revendications relatives à tous les autres avantages découlant du traité. Ces autres avantages, sans que cette liste soit limitative, sont les suivants: l'accès aux terres ancestrales; les comptes en fiducie; les munitions; du fil à collet et des filets pour que les Indiens puissent continuer de faire la chasse, le piégeage et la pêche; sans compter la promesse de grains de provende, d'outillage agricole et de bétail qui permettraient aux Indiens de gagner leur vie d'une manière différente, compte tenu de la disparition graduelle ou totale de leurs sources ancestrales de nourriture.

Le projet de loi C-6 est une violation de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Nous craignons que l'adoption de ce projet de loi donne lieu à de nombreuses contestations constitutionnelles devant les tribunaux. Les décisions rendues par la Cour suprême favorisent de plus en plus les Premières nations. Entre autres considérations, la Cour suprême, dans la décision Delgamuuk de 1997, exige que le gouvernement fédéral négocie de bonne foi avec le Premières nations relativement à leurs droits fondamentaux. Le projet de loi actuellement à l'étude à la Chambre et au Sénat, s'il est mis en vigueur sans avoir donné lieu au consentement éclairé des Premières nations, pourrait ouvrir la porte à de nouvelles contestations judiciaires qui seront coûteuses, prendront beaucoup de temps et créeront de l'animosité entre les Premières nations et le gouvernement fédéral.

Une foule de questions restent à régler relativement au projet de loi C-6 et à son impact potentiel sur toutes les Premières nations. Je vous invite à prendre connaissance de la liste ci-jointe.

Nous, Premières nations, sommes sous-financées et n'obtenons pas juste compensation quant à la restitution de nos terres ancestrales et de notre mode de vie traditionnel. Nous ne pouvons pas nous permettre de nous lancer dans des contestations judiciaires. J'en appelle à vous, honorables sénateurs du Canada, et je vous fais part de mes préoccupations au nom de mon peuple, et je vous demande de vous faire les champions de la mise en place d'un processus juste et éthique qui a été formulé dans le rapport Penner de 1983 et dans le rapport publié en 1996 par la Commission royale sur les peuples autochtones. La nation crie de Saddle Lake ne peut pas appuyer le projet de loi C-6 dans sa forme actuelle. Cependant, nous voulons aller de l'avant dans l'esprit du Traité 6 et en tant que véritables partenaires au sein de la Confédération.

La présidente: C'était un exposé intéressant et nous vous en sommes reconnaissants. Ce projet de loi est-il meilleur, égal ou pire, par rapport à la pratique actuelle de la Commission des revendications des Indiens?

M. Large: Il limite toute revendication à un plafond de 7 millions de dollars. Il peut y avoir d'autres revendications qui dépasseraient ce plafond. Il y a d'autres raisons pour lesquelles ce n'est pas vraiment une amélioration. Nous mettons en doute l'impartialité. Toutes les nominations seront faites par le gouverneur en conseil, sur recommandation du ministre.

Nous doutons également de l'efficacité pour ce qui est de régler les revendications et d'accélérer le traitement de l'arriéré. J'ai dit qu'il y a environ 550 revendications en suspens. Si l'on en règle cinq ou six par année, comme c'est la pratique, il faudra environ 100 ans pour les régler toutes. Il y a également d'autres revendications potentielles.

Je ne peux pas être sûr que ce serait mieux, tant que la mesure ne sera pas en vigueur. Je dis qu'au lieu de créer un autre organisme, ce qui sera très coûteux, il incombe à la Couronne et au gouvernement fédéral de respecter ses engagements pris dans le traité.

La présidente: Vous avez des préoccupations semblables à celles des autres intervenants sur ce projet de loi. Notre greffier a reçu copie de votre exposé. Du moment qu'il en a un exemplaire, nous allons le prendre en considération.

Nous entendrons maintenant notre groupe de la Saskatchewan. Bonjour, mesdames et messiers. Je vous souhaite la bienvenue à la salle des Autochtones du Sénat du Canada. C'est une salle très spéciale, chacun s'en rend compte. Le dialogue y est très bon. J'aimerais vous souhaiter la bienvenue, à tous et chacun d'entre vous qui sont venus de si loin. J'habite dans le nord de l'Alberta et je sais que c'est tout un voyage.

Premièrement, je voudrais demander aux deux chefs s'ils aimeraient faire un exposé. Nous pouvons commencer par vous, chef Head, après quoi nous entendrons le chef Cook.

Le chef Marcel Head, nation crie de Shoal Lake, Grand conseil de Prince Albert: Honorables sénateurs, c'est un grand privilège. Je vous remercie de nous donner l'occasion de vous faire un exposé ici ce matin.

Premièrement, nous adoptons la même position que celle du dernier intervenant: nous devons réexaminer tout cela. Nous ne considérons pas que nos Premières nations ont été consultées, en particulier les gens que nous représentons. Nous adoptons donc une position semblable ce matin.

Je voudrais vous présenter notre groupe. Nous avons le directeur général du Grand conseil de Prince Albert, Al Ducharme; Colleen Youngs, notre attachée de recherche; Charles Whitecap, technicien en gouvernance au grand conseil de Prince Albert, et le chef Harry Cook, de la bande indienne du lac La Ronge.

Nous avons la conviction que les Premières nations ont un jour été libres et souveraines. Nous avions alors richesse, santé, des formes de gouvernement qui fonctionnaient bien, et d'autres manifestations connexes d'indépendance. Tout était inextricablement lié à nos terres et à nos ressources.

Aujourd'hui, on s'attend à ce que nos Premières nations se contentent du territoire de nos réserves. Aujourd'hui, nous sommes des spectateurs et nous voyons les provinces et le Canada récolter les bienfaits du territoire et des ressources. Nous avons été forcés d'assister en spectateurs à tout ce qui s'est passé en Saskatchewan avant et après l'adoption de la Convention sur le transfert des ressources naturelles en 1930. Les richesses de la terre que nous partagions initialement avec l'homme blanc n'étaient plus à nous et nous ne pouvions donc plus les partager quand l'homme blanc a commencé à prétendre qu'il avait un droit exclusif et à en récolter seul tous les bienfaits.

Des milliards ont été tirés de l'exploitation des ressources, et l'on continue à en récolter des milliards. Nous nous interrogeons sur la justice du processus du projet de loi C-6. Est-ce justice pour nous que de vouloir obtenir une part des ressources de la terre? À notre avis, ce sont le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux qui définissent la justice au nom des Premières nations. Dans tous les cas, la définition de «justice» favorise les gouvernements du Canada et des provinces.

Le projet de loi C-6 est un autre exemple de cas où l'on demande aux Premières nations d'accepter un compromis impossible. Le Grand conseil de Prince Albert est composé de douze Premières nations, de 26 communautés et de plus de 30 000 membres du nord-est de la Saskatchewan. Nous sommes présents dans le tiers de la Saskatchewan et nous sommes visés par les traités cinq, six, huit et dix. Nous parlons la langue denesuline, le cri-moskégonne, le cri-des- Plaines, le cri des bois et le dakota.

Aujourd'hui, nous allons nous concentrer sur les quatre principaux problèmes que pose le projet de loi C-6. Nos préoccupations rejoignent celles d'un bon nombre des Premières nations de l'ensemble du Canada — à savoir, l'Assemblée des Premières nations et notre organisation régionale, la Fédération des nations indiennes de la Saskatchewan.

D'abord, le projet de loi C-6 ne crée pas d'entité impartiale et indépendante qui permette de liquider l'énorme arriéré des revendications territoriales particulières à régler; les témoins qui nous ont précédés vous l'ont mentionné. Deuxièmement, le projet de loi C-6 limite gravement l'accès au tribunal parce qu'il ne juge recevable que les revendications ne dépassant pas sept millions de dollars. Une autre limite y est aussi cachée, du fait que le projet de loi C-6 ne permet que huit revendications de sept millions de dollars par année. Il y a un écart en ce qui concerne les dépenses de chaque année, qui incluent le coût de la commission, les frais juridiques et les dépens. Troisièmement, le projet de loi C-6 restreint la définition de «revendications» par rapport à l'actuelle politique fédérale. Quatrièmement, le projet de loi C-6 encourage les lenteurs étant donné que le ministre des Affaires indiennes n'a aucune obligation de décider dans un délai précis d'accepter de procéder à des négociations sur une revendication particulière.

Je vais traiter de certains des faits qui expliquent les préoccupations du Grand conseil de Prince Albert relativement au projet de loi C-6. Le gouvernement du Canada est en conflit d'intérêts parce qu'il est à la fois juge et partie dans les revendications particulières. Le projet de loi C-6 réduit la définition de «revendications particulières» par rapport à la politique gouvernementale fédérale en vigueur. Il exclut l'obligation découlant de traités ou d'ententes qui ne portent pas sur les terres et les éléments d'actifs. Les lenteurs ont déjà de graves conséquences qu'auront à subir un bon nombre des Premières nations du Grand conseil de Prince Albert. Selon le projet de loi C-6, aucun retard dans la présentation d'une réponse ne peut équivaloir à un «refus implicite». Le gouvernement fédéral contrôle le rythme des règlements et des décisions; et on n'a aucune obligation de régler les revendications promptement, ce qui contribuerait à accroître les retards.

Les intérêts et les frais juridiques sont inclus dans la limite de sept millions de dollars. Par conséquent, alors que le gouvernement bénéficierait de ces retards, la valeur réelle de la revendication quant à elle diminuerait. En outre, les Premières nations se verraient imposer le lourd fardeau d'un règlement de leurs revendications pour une valeur moindre que leur juste valeur.

Comment tout ce processus peut-il correspondre à ce que nous appelons la démocratie? Le Grand conseil de Prince Albert a ce matin des recommandations à présenter aux sénateurs, sous la forme des amendements suivants:

Tout d'abord, pour ce qui est de la question d'une entité impartiale et indépendante pour liquider l'arriéré dans le traitement des revendications particulières, nous disons que cette personne ne pourrait être admissible à une nomination que si l'Assemblée des Premières nations et le ministre des Affaires indiennes et du développement du Nord procédaient conjointement à sa nomination; et que la commission doit être indépendante du gouvernement fédéral.

Deuxièmement, pour ce qui est de limiter à sept millions de dollars la valeur d'une revendication pouvant être présentée au tribunal, nous disons que toutes les revendications, quelle que soit leur importance, peuvent être soumises au tribunal si la commission n'est pas parvenue à régler les revendications.

Troisièmement, pour ce qui est de resserrer la définition de «revendications particulières», nous préconisons le retour au statu quo.

Quatrièmement, pour ce qui est du retard dans le règlement des revendications particulières, nous demandons un système qui permettrait aux revendicateurs — comme les plaignants dans toute autre affaire — de renvoyer les revendications à un tribunal après une réunion préparatoire initiale.

La question que nous posons au gouvernement fédéral a trait à sa bonne volonté. Est-il disposé à modifier ou à amender le projet de loi C-6? Si vous ne modifiez pas le projet de loi C-6 ni n'y apportez d'amendements substantiels comme nous le recommandons, nous n'allons pas l'appuyer.

[M. Head parle dans la langue autochtone crie]

Le président: Merci pour cet exposé concis. Vos préoccupations ont bien été présentées et il nous sera d'autant plus facile de les examiner.

Le sénateur Sibbeston: Il est intéressant de constater qu'au lieu de dire que tout le projet de loi n'était pas bon, vous en avez fait un examen approfondi et avez proposé des amendements qui l'amélioreraient et le rendraient plus acceptable que la version que nous avons maintenant. Êtes-vous d'accord?

M. Head: C'est la position que nous défendons en ce qui a trait aux changements que nous recommandons et aux amendements que nous présentons ce matin. À ce propos, les avis seraient très partagés.

Le sénateur Sibbeston: Nous avons eu affaire à un bon nombre de représentants des Premières nations — particulièrement de l'APN — qui estiment que tout le projet de loi est déficient et qu'il ne tient pas compte des recommandations du groupe de travail mixte. L'APN soutient que tout le projet de loi est déficient et qu'il vaudrait mieux ne pas l'accepter et recommencer à zéro. Vous adoptez une approche beaucoup plus pratique et vous êtes de l'avis que, moyennant certains amendements concernant l'indépendance et l'accès au tribunal, le projet de loi vous semblerait valable et utile. Je vous sais gré de la position que vous prenez.

Le chef Harry Cook, Bande indienne du Lac La Ronge: Bonjour, honorables sénateurs, mesdames et messieurs. C'est avec grande fierté que je prends la parole au nom des Cris et j'aimerais faire une déclaration préliminaire dans ma langue autochtone.

[M. Cook parle dans la langue autochtone crie]

Je veux vous parler de l'expérience de la bande indienne du Lac La Ronge. Je suis le chef de l'une des plus grandes Premières nations au Canada. Nous avons de nombreuses collectivités. Notre langue maternelle est le cri. Nous le parlons dans nos collectivités, à la maison et à notre conseil. Il est bon d'être bilingue et je respecte les gens qui préservent leur culture. Il est très important que le Canada soit un pays multiculturel. Il est important pour nous d'avoir cette unicité et de faire preuve de tolérance à l'endroit des droits et des talents des autres collectivités humaines.

En tant que Première nation, nous nous en tirons bien économiquement. La bande indienne du Lac La Ronge possède 14 entreprises. Nous comptons parmi les plus grands producteurs de riz sauvage biologique, produit qui est vendu sur les marchés européens, au Japon et aux États-Unis. À la condition d'avoir les terres appropriées, bon nombre d'entre nous peuvent être de bons producteurs au Canada, comme le reste de la société.

Il est important que les revendications territoriales soient réglées parce que les Premières nations doivent accroître leur assise territoriale pour des raisons économiques et pour ceux qui veulent vivre dans les collectivités qui relèvent de la bande du Lac La Ronge ou pour d'autres membres des Premières nations.

Nous sommes aussi en train de renforcer nos capacités au sein de nos collectivités. Nous avons le plus vaste programme universitaire hors campus au Canada. Quatre programmes sont actuellement offerts au Lac La Ronge — le travail social, l'administration des affaires, les arts et les sciences, et une introduction aux cours universitaires avant que nos jeunes partent pour aller à l'université. Encore là, nous voulons vous dire qu'une assise territoriale adéquate peut renforcer non seulement une collectivité mais aussi l'ensemble de la société. Les étudiants du Lac La Ronge disposent d'un programme de formation des enseignants. Nous avons des écoles dont le contrôle est confié aux bandes. On a formé des enseignants très qualifiés qui parlent le cri, la langue dene et d'autres langues des Premières nations. Beaucoup de gens chez nous apprennent l'anglais, le français et d'autres langues encore.

Il est très important pour nous de maintenir une assise territoriale. Les Premières nations souffrent encore gravement d'une pénurie de logements dans les réserves. Nous avons aussi besoin de plus d'aide pour investir dans l'éducation de nos gens. Nous croyons que l'éducation est un élément clé pour le Canada. On pourrait réduire l'immigration si nous formions nos gens pour que le pays dispose des ressources humaines voulues. Nous devons nous engager à travailler. Nous avons aussi un taux de chômage encore très élevé. Soixante-deux pour cent de notre population à moins de 25 ans. Nous avons des ressources humaines, et il nous faut les développer.

En tant que chef de bande, je songe à l'avenir de ma bande. Je me considère comme l'un des chefs de bande favorisés par la chance. Je suis chef depuis 1987. J'ai servi ma communauté pendant 16 ans. Mon mandat expirera dans deux ans. J'ai 60 ans. J'ai beaucoup travaillé pour tacher d'améliorer les moyens d'existence de notre peuple. Il est gratifiant d'être chef d'une communauté des Premières nations. Il est très stimulant, mais très réconfortant lorsque l'on accomplit des choses importantes pour sa collectivité.

Les revendications territoriales particulières sont essentielles à l'essor et au développement des Premières nations. C'est en fonction des revendications particulières que sont attribuées les terres et les ressources. Il faut régler les revendications territoriales particulières. Il faut régler les obligations juridiques qu'a de longue date, le gouvernement fédéral envers les Premières nations.

Le recours aux tribunaux n'est pas la solution. Les coûts sont très élevés et c'est un processus qui prend beaucoup de temps. Notre Première nation a été en mesure de payer pour présenter notre revendication territoriale. Nous avons dû payer 2,4 millions de dollars pour porter notre revendication devant les tribunaux. À l'heure actuelle, elle se trouve devant la Cour suprême.

Comme je l'ai dit, grâce à une assise territoriale appropriée, notre Première nation serait non seulement plus indépendante du gouvernement, mais aussi plus viable. Grâce à l'aide du Sénat et du gouvernement, je suis sûr que l'on contribuerait à améliorer la situation de notre peuple ancestral — les Premières nations de notre pays — si on lui donnait plus de responsabilités et si on le rendait mieux en mesure de mettre en valeur certaines des ressources naturelles qui se trouvent sur nos territoires.

Si les revendications particulières ne sont pas réglées, les Premières nations seront privées de terre et d'argent. Elles dépendront complètement du gouvernement. Personne ne souhaite une telle chose. Je crois que les gens qui sont sains et instruits devraient avoir la possibilité de contribuer à la société au même titre que les autres Canadiens. C'est un objectif que nous voulons atteindre à un certain moment de notre histoire.

Beaucoup de gens sont obligés d'aller s'installer dans les villes. Notre conseil tribal est probablement le seul au pays ayant un programme à l'intention des jeunes. C'est un aspect très important. Si vous avez des questions à ce sujet, nous avons des gens ici qui pourront y répondre.

Le Sénat devrait examiner tous les projets de loi — le projet de loi C-7, le projet de loi C-19 et le projet de loi C-6 — que le gouvernement est en train de présenter. Il faudra les examiner pour comprendre ce que le gouvernement tâche d'accomplir à l'aide de ces projets de loi. On nous le doit, et on le doit au grand public.

Nous vous avons présenté aujourd'hui nos préoccupations légitimes concernant le projet de loi C-6. Nous vous avons proposé des options dans le cadre de certaines recommandations formulées par mon collègue plus tôt. Cependant, si nos amendements de fond ne sont pas acceptés, nous avons la possibilité de ne pas accepter le projet de loi.

Il faut améliorer les relations de travail entre le gouvernement du Canada et tous les Canadiens, y compris les Premières nations. Je respecte chacun d'entre vous. Je sais que vous avez de lourdes responsabilités et moi de même. Je suis sûr que nous pourrons faire des progrès tous ensemble. À titre de chef, d'après ce que j'ai pu voir de la situation ailleurs dans le monde, les problèmes sont nombreux. Le Canada demeure en mesure de régler les difficultés quelles qu'elles soient dans ce genre de tribune.

Le sénateur Tkachuk: Je tiens à souhaiter la bienvenue à tous les chefs et à assurer aussi mes collègues que votre riz sauvage est le meilleur au monde. Vous avez fait preuve d'un grand dynamisme pour le mettre en marché. Cela témoigne de la diversité de notre province et du fait que l'agriculture n'a pas à s'en tenir à la limite forestière.

Je dois dire que vous avez été très organisés et concis.

Les pouvoirs du Sénat ne sont pas vraiment limités. Si nous voulions rejeter ce projet de loi, nous le pourrions. Nos pouvoirs ne sont absolument pas restreints. Nous pouvons proposer des amendements. Si le projet de loi ne nous plaît pas, nous pouvons le rejeter. Il existe aussi de solides arguments selon lesquels nous pourrions en fait rejeter les projets de loi de finances. Même si de nombreux sénateurs considèrent que cela est impossible, je suis d'avis contraire.

J'aimerais avoir des précisions sur la question de l'indépendance parce que nous avons reçu de bonnes propositions d'amendements possibles au projet de loi. Nous tenons à bien comprendre de quoi il s'agit en prévision de l'examen que nous ferons de vos recommandations par la suite.

Lorsque vous dites que le ministre et l'Assemblée des Premières nations recommanderaient tous deux les nominations, que voulez-vous dire? Procéderaient-ils séparément et ensemble, ou seulement ensemble? Autrement dit, doivent-ils s'entendre auparavant? Les noms seraient-ils proposés par chaque partie, après quoi ils s'entendraient sur les candidatures avant d'en faire la recommandation au ministre ou au cabinet?

Mme Colleen Yougns, coordonnatrice et technicienne en recherche, Revendications particulières, Grand conseil de Prince Albert: Je voudrais répondre à cette question. Il est absolument essentiel qu'il s'agisse d'un processus consultatif et que les Premières nations en fassent clairement partie. Nous nous attendons à ce que le ministre et l'APN prennent les décisions ensemble.

Le sénateur Tkachuk: Formeraient-ils un comité? Comment cela fonctionnerait-il au juste?

Mme Youngs: Les deux parties pourraient proposer des candidats et suivre un processus semblable à celui qui existe dans les tribunaux où les jurés sont choisis par l'une et l'autre partie.

Le président: J'ai une question qui fait suite à celle posée par le sénateur Tkachuk: l'APN représente la majorité mais non la totalité des nations. Que pensez-vous d'un processus de nomination où les nations qui ne font pas partie de l'APN ne seraient pas consultées?

Mme Youngs: C'est une question très intéressante. Comme nous sommes étroitement affiliés à l'APN, compte tenu de notre situation particulière, nos chefs exerceraient des pressions auprès de l'APN pour promouvoir les candidats de notre choix parmi nos dirigeants élus.

Le président: Tant mieux pour vous, mais qu'en est-il des autres nations qui ne font pas partie de l'APN?

Mme Youngs: Comment ce processus les toucherait-elles? C'est une question intéressante, et j'espère qu'elles proposeront leurs suggestions à cet égard.

M. Al Ducharme, directeur exécutif, Grand conseil de Prince Albert: Pour préciser, la Federation of Saskatchewan Indian Nations ou FSIN exerce ses activités en Saskatchewan mais certaines bandes de la province n'en font pas partie. Elles ont toutefois la possibilité de présenter toutes les instances voulues à propos de projets de loi ou de toute politique qui touche la région de la Saskatchewan.

En ce qui concerne l'APN de façon globale et dans l'ensemble du pays, nous reconnaissons que certaines Premières nations n'en font pas partie, mais il est possible qu'un groupe de Premières nations décide — de sa propre initiative ou avec d'autres — de former un autre bloc qui peut nommer son propre représentant à ce tribunal ou à cette commission en particulier. Elles ne seraient pas exclues. Nous travaillons dans le cadre du processus de notre propre gouvernance que nous reconnaissons et auquel nous avons été affiliés.

Le président: Ce que vous venez de dire est intéressant, parce que si l'APN est incluse dans le projet de loi, cela empêche automatiquement la participation d'autres nations.

M. Ducharme: Il ne s'agit pas de les exclure mais uniquement de travailler dans le cadre d'un processus qui existe.

Le président: Si cet aspect est inclus dans le projet de loi, c'est effectivement le résultat qui en découlera. Comment formuleriez-vous cet amendement?

M. Ducharme: Il faudrait d'une certaine façon reconnaître que certaines nations ne font pas partie de l'APN mais qu'elles ont voix au chapitre, dans le cadre du projet de loi et à l'extérieur de l'APN. Les Premières nations sont autonomes partout au pays. Si elles ne veulent pas faire partie de l'APN, libre à elles, mais il faut les inclure d'une façon quelconque.

Je ne peux pas parler en leur nom, et personne ne peut le faire ici. Il faut qu'elles soient incluses également dans le cadre de ces consultations.

Le président: Je vous remercie.

Le sénateur Watt: Je vous souhaite la bienvenue. Sur cette même question: si nous ne nous occupons pas de cet aspect en particulier, cela risque de créer de l'animosité au sein des groupes autochtones. Je partais du principe que l'Assemblée des Premières nations, à titre d'organisation, est une instance nationale. Elle représente les Premières nations et ses membres sont élus démocratiquement. Si nous essayons de trouver une autre solution à cette difficulté particulière — et je crois que cela ne fera que créer d'autres problèmes au sein des collectivités autochtones — que cela nous plaise ou non, en tant qu'Autochtones, nous devons nous serrer les coudes et faire partie d'une organisation nationale qui représente les intérêts nationaux des Autochtones. Cela, à mon avis, est très important.

Je ne crois pas qu'il nous appartienne en tant que sénateurs de nous prononcer sur la légitimité d'un organisme. Aux yeux des peuples autochtones, il s'agit d'une organisation légitime. Comment pouvons-nous inclure celles qui seront essentiellement touchées par ce processus? Je crois qu'il existe une solution. Vous pourriez mentionner l'Assemblée des Premières nations et aussi les «collectivités touchées». Quel mal y a-t-il à consulter les collectivités?

Nous sommes en train de parler de consulter les collectivités après coup, mais je considère qu'il aurait fallu les consulter de façon beaucoup plus approfondie et ne pas se contenter de simplement leur envoyer une lettre. J'estime qu'elles auraient dû participer au processus dès le début. La constitution est très claire à cet égard. L'arrêt de la Cour suprême du Canada est également très clair à cet égard. Des mesures doivent être prises si des initiatives envisagées risquent d'influer sur la vie des Autochtones — et il ne s'agit pas uniquement de les consulter mais de tenir compte aussi du fait que leur style de vie aujourd'hui diffère nettement de celui de la société canadienne en général.

Il faut aussi tenir compte de l'indemnisation. Ici, les soi-disant «autorités» qui ont ni plus ni moins voler les terres et tout le reste sont en train fondamentalement de vous dire «un instant, vous ne pouvez pas réclamer plus de 7 millions de dollars». Je ne crois pas que cette décision doit appartenir au gouvernement mais que c'est aux communautés autochtones de déterminer le montant de la revendication. Je ne crois pas que vous devriez donner carte blanche au gouvernement en raison de sa responsabilité fiduciaire à l'endroit des Autochtones. Ce n'est pas le genre de message que vous devriez chercher à transmettre au ministre des Affaires indiennes. J'ai parfois l'impression que nous aidons le système à nous léser de plus en plus. Il faut que cela cesse.

Monsieur le président, il existe une solution à ce problème. Si nous agissons sérieusement et si la volonté politique existe, il est possible de corriger ce projet de loi. Si nous ne pouvons pas le corriger, je considère que nous devrions le rejeter.

Le sénateur Austin: J'ai entamé la période de questions plus tôt ce matin en demandant qui il faut consulter. J'aimerais ajouter quelque chose. Ce matin, le chef Shade nous a répondu que sa collectivité voulait être consultée avant que l'on procède aux nominations aux postes supérieurs. Le chef Cook a dit la même chose. Il me semble que si une bande a porté une revendication devant la commission et le tribunal, il est alors dans son intérêt d'être consultée et elle doit l'être. Cela ne pose aucun problème à notre époque, nous avons le courriel, le télécopieur, et il est possible de consulter les gens instantanément. On vous dit: «Ce poste est maintenant vacant. Voici les critères de candidature. Avez-vous un candidat à recommander?» Si les bandes qui sont affiliées à l'APN veulent demander à l'APN de coordonner la réponse ou la recommandation, elles sont libres de le faire. Pour répondre aux questions posées par le sénateur Chalifoux, celles qui ne veulent pas consulter l'APN — qu'elles en soient membres ou non — sont libres de ne pas la consulter.

On n'essaie absolument pas d'exclure l'APN du processus de consultation. De toute évidence, le ministère ne veut pas que le projet de loi précise qu'il faille consulter l'APN et uniquement l'APN. Aux yeux du ministère, cela reviendrait à donner aux responsables de l'APN le contrôle de la totalité du processus de recommandation, ce qui pourrait exclure un grand nombre de groupes qui tiennent à être consultés parce qu'ils ont une revendication.

C'est la meilleure explication que je puisse fournir, et je suppose que vous êtes plus ou moins du même avis, n'est-ce pas?

M. Head: C'est un bon exemple à l'appui de cette déclaration. Effectivement, nous élisons les membres d'organisations comme l'APN. Supposément, ils nous représentent à l'échelle nationale. On a court-circuité le processus de consultation concernant le projet de loi C-6. Cela aurait permis au premier ministre de s'habituer à consulter directement la population et à ne pas utiliser le même vote qu'il a utilisé pour le projet de loi C-7, la Loi sur la gouvernance des Premières nations, qui, à notre avis, ne constituait pas un processus de consultation légitime ni légal.

Les générations qui nous ont précédés nous ont laissé croire que nous vivions dans une société démocratique. Les deux paliers de gouvernement ont défini ce qu'ils entendent par «démocratie». Nous avons lieu de croire que les gouvernements sont en train d'abandonner l'ensemble du processus démocratique selon lequel la population prend les décisions qui influeront sur sa vie et celle des générations à venir.

Selon nous, un processus de consultation en bonne et due forme comporterait des visites auprès des collectivités et des consultations au niveau populaire afin d'entendre le point de vue de la population sur l'ensemble du processus. Je crois que certains des commentaires, des recommandations et des préoccupations concernant le projet de loi seraient exprimés au niveau populaire. Le ministre entendrait ces préoccupations, exprimées dans nos assemblées communautaires, s'il retournait visiter les collectivités dans le cadre d'un processus de consultation concis.

Le sénateur Léger: Chef Cook, vous avez dit que votre peuple compte de remarquables producteurs, ce qu'a répété le sénateur Tkachuk: plus je rencontre de témoins autochtones, plus j'apprends que vous mettez aussi l'accent sur les aspects financiers et économiques. Ce sont des éléments qui, ensemble, auront beaucoup d'impact.

J'entends beaucoup parler de participation égale — le gouvernement d'un côté et les Autochtones de l'autre dans le cadre du groupe de travail mixte. Si tous deux ont des droits, alors tous deux ont des responsabilités. Le gouvernement est responsable de l'ensemble du pays. Lorsqu'on vous invite à participer à des consultations, cela inclut-il tous les Autochtones, les Premières nations, les Métis et les Inuits ou s'agit-il uniquement de votre bande? Existe-t-il une préoccupation commune?

M. Cook: Je tâcherai d'y répondre à ma façon. Tout d'abord, nous considérons que la situation de ceux qui ont signé des traités est unique au pays. Nos ancêtres ont signé des traités. À l'heure actuelle, les Métis et d'autres groupes n'ont pas d'assise territoriale. Par conséquent, lorsque nous parlons de revendications particulières, il s'agit des obligations non remplies par le gouvernement à l'égard des peuples ayant des droits issus de traités avec lesquels il avait au départ conclu des ententes.

Le sénateur Léger: J'ai l'impression que si nous devons partager, alors les deux parties doivent...

M. Cook: Chaque peuple a son propres calendrier. La Première nation du Lac La Ronge compte à l'heure actuelle 18 réserves; j'ai six collectivités. Je décide de façon autonome ce que je considère approprié pour améliorer le sort de mon peuple, même si je suis affilié au grand chef du Grand conseil de Prince Albert, à 12 chefs et aux 30 000 personnes possédant des droits issus de traités. Je suis également affilié à la Federation of Saskatchewan Indian Nations — 100 000 personnes, 74 bandes et 633 bandes à l'échelle nationale.

Un grand nombre de membres de notre région ont des aspirations particulières et souhaitent assurer à leur peuple une plus grande prospérité et un meilleur avenir. Nous avons chacun des objectifs individuels même si parfois nous nous exprimons collectivement. En fin de compte, aujourd'hui, le Grand conseil des Cris est en train de défendre ses intérêts. Je considère qu'il faut aussi respecter ceux des autres.

J'aimerais parler d'humanité. Je crois qu'il faudrait restreindre la participation aux commission à certaines personnes seulement qui y seraient invitées. J'ai une grande confiance dans les êtres humains qui ont bon coeur et l'esprit ouvert, et qui sont prêts à écouter des propositions destinées à améliorer l'humanité. Je m'arrêterai ici.

Le président: Je tiens à remercier tous les témoins de ce matin de leurs témoignages très utiles.

La séance est levée.


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