Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 20 - Témoignages
OTTAWA, le mardi 30 septembre 2003
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, à qui a été renvoyé le projet de loi C-6, Loi constituant le Centre canadien de règlement indépendant des revendications particulières des Premières nations en vue de permettre le dépôt, la négociation et le règlement des revendications particulières, et modifiant certaines lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 9 heures pour en examiner le contenu.
Le sénateur Thelma J. Chalifoux (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, comme vous le savez, nous avons procédé au printemps à une étude exhaustive du projet de loi C-6. Depuis, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l'affaire Regina c. Powley, décision d'une grande importance pour le peuple métis du Canada. À la lumière de cette décision, le Sénat a renvoyé de nouveau le projet de loi au comité en lui demandant d'examiner les répercussions de cette décision sur le projet de loi C-6.
Il est important de rappeler que le Sénat nous a demandé d'examiner cette seule question. Nous devons donc concentrer notre discussion sur les enjeux soulevés par l'arrêt Regina c. Powley et les répercussions qu'ils peuvent avoir sur le projet de loi C-6.
Bien que je sois consciente que certains membres ne s'entendent pas sur les enjeux plus généraux soulevés par le projet de loi, la motion adoptée par le Sénat est claire: que le projet de loi, tel qu'amendé, ne soit pas lu en troisième lecture, mais qu'il soit renvoyé de nouveau au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones dans le but d'étudier l'impact de la décision récente de la Cour suprême sur le projet de loi C-6, laquelle décision reconnaît le peuple métis comme une nation autochtone distincte. C'est de cette question, et de cette seule question, dont nous sommes saisis.
Sur ce, je souhaite la bienvenue à notre premier témoin, M. MacDonald.
M. Allan MacDonald, directeur, interlocuteur fédéral auprès des Métis et des Indiens non inscrits: Madame la présidente, honorables sénateurs, quand on m'a demandé de venir vous parler de l'arrêt Powley, j'ai d'abord été un peu réticent. J'en ai parlé avec le greffier de votre comité simplement parce que l'arrêt Powley est très frais dans la mémoire de tout le monde. Le gouvernement fédéral doit prendre le temps d'analyser la décision, tout comme les gouvernements provinciaux et les Métis. Actuellement, personne n'est vraiment disposé à préciser les implications de cette décision. Personne ne peut le faire tant qu'on n'aura pas procédé à des analyses plus poussées.
Cela étant dit, comme vous l'avez précisé dans votre déclaration d'ouverture, l'arrêt Powley rendu par la Cour suprême il y a à peine 11 jours est une décision très importante. Pour la première fois, la Cour a affirmé que la collectivité métisse de Sault Ste. Marie jouit d'un droit ancestral de chasse. Certes, les répercussions immédiates de cette décision sont confinées à la collectivité de Sault Ste. Marie, dans le Nord de l'Ontario, ainsi qu'au droit de chasse ancestral, mais pour prendre cette décision, la Cour a dû déterminer un critère régissant les droits ancestraux des Métis. Bien sûr, d'autres collectivités métisses du pays qui exercent leurs droits ancestraux pourront utiliser ce critère pour voir si la décision de la Cour suprême du Canada a des répercussions ailleurs qu'en Ontario. À notre avis, cette décision aura des répercussions au-delà de l'Ontario et de la collectivité de Sault Ste. Marie.
Je dirais donc que c'est une décision très importante. Pour l'instant, les répercussions les plus immédiates touchent les provinces. La majeure partie des activités de chasse qui auront lieu, s'il y a de la chasse, seront menées bien sûr sur les terres du gouvernement provincial. Comme nous le savons, les provinces ont compétence législative en la matière. Néanmoins, cette décision comporte des répercussions immédiates pour le gouvernement. Avant de pouvoir nous prononcer sur des répercussions à plus long terme, il faudra effectuer pas mal d'analyses et d'études, travailler avec les organisations métisses et les provinces pour déterminer quelles seront les véritables implications de la décision à plus long terme.
Le ministre Ralph Goodale, dans son rôle d'interlocuteur fédéral, est le principal porte-parole pour le gouvernement du Canada au sujet de l'arrêt Powley. Il s'est entretenu avec les leaders métis et nous avons fait de même avec les provinces; actuellement, nous en sommes tous au stade où nous essayons de travailler en collaboration de façon à pouvoir appliquer la décision de la Cour en toute bonne foi.
Le sénateur Austin: Monsieur MacDonald, merci d'être venu nous rencontrer ce matin à si brève échéance. Connaissez-vous bien le projet de loi C-6?
M. MacDonald: Je le connais assez bien. Je ne suis pas spécialiste du dossier. Je vais m'en remettre à mes collègues des Affaires indiennes pour vous entretenir à ce sujet, mais j'ai une bonne idée de la nature de la politique sur les revendications particulières.
Le sénateur Austin: Diriez-vous que le projet de loi C-6 repose sur les revendications des bandes établies d'Indiens inscrits qui veulent des recours découlant des traités et des ententes juridiques conclus avec la Couronne?
M. MacDonald: À nouveau, je devrai m'en remettre à mes collègues du ministère des Affaires indiennes, mais oui, d'après ce que je comprends, c'est le cas.
Le sénateur Austin: L'arrêt Powley renferme-t-il un élément qui concerne les ententes juridiques et les traités conclus avec le gouvernement?
M. MacDonald: À mon avis, non. Ce que la Cour suprême a décidé dans l'arrêt Powley, c'est que les Métis, en tant que collectivité, ont des droits ancestraux. Et la politique sur les revendications particulières que prévoit le projet de loi C-6 ne porte pas sur les droits ancestraux, que ce soit les droits des Métis ou des Autochtones, les droits ancestraux des Indiens ou des Inuits. Cette politique concerne les revendications particulières ou les griefs déposés contre le gouvernement fédéral par les Premières nations, si bien qu'il n'y a rien de spécifique dans l'arrêt Powley qui ait des répercussions sur le projet de loi C-6.
Le sénateur Carney: Je n'ai pas lu la décision de la Cour suprême. Pouvez-vous me dire si elle définit le terme «Métis»? Nous demandons souvent aux témoins qui comparaissent devant notre comité quelle est leur définition du terme «Métis»; ou bien on ne nous répond pas, ou bien on nous donne diverses réponses.
Comment la Cour suprême règle-t-elle ce problème de définition des Métis?
M. MacDonald: La Cour suprême ne définit pas spécifiquement ce qu'est un Métis. Elle donne des repères. Par exemple, la Cour dit qu'un Métis n'est pas simplement quelqu'un qui a des ancêtres autochtones et du sang européen. On donne des balises sur la façon dont une collectivité métisse peut déterminer qui fait partie de la collectivité, mais on ne dit pas spécifiquement qui est Métis et qui ne l'est pas. En fait, la Cour esquive un peu cette question.
Le sénateur Carney: Pourriez-vous nous dire ce qu'elle dit effectivement? Cela serait utile pour le comité.
Qu'allons-nous faire maintenant? Si la Cour suprême n'a pas donné tellement d'orientation dans ce domaine, dans quelle direction le comité doit-il aller? Quelles balises pouvez-vous nous donner?
J'imagine que nous n'avons pas tellement de balises qui nous indiquent exactement ce que nous devrions faire du projet de loi qui est soumis au comité. Aucun amendement ne nous a été présenté, nous n'avons pas non plus de projet d'amendements, à ce que je sache.
À votre avis, que devons-nous faire? Puisque le comité repose entre les mains de la présidente, quel conseil nous donneriez-vous en ce qui concerne la façon de procéder?
M. MacDonald: La Cour suprême a dit qu'il existe trois critères dont il faut tenir compte pour déterminer l'appartenance à la collectivité métisse ou qui peut être un Métis. Le premier est que le demandeur doit s'auto-identifier comme membre d'une communauté métisse. Le deuxième critère est que le demandeur doit présenter des preuves de liens ancestraux avec une communauté métisse historique. Quant au troisième, le demandeur doit faire la preuve qu'il est accepté par la communauté d'aujourd'hui, laquelle entretient des liens avec la communauté historique.
Ce sont là des lignes directrices établies par la Cour suprême, mais celle-ci ne dit pas véritablement: «Voici ce qu'est un Métis». Ce sont des balises auxquelles les gens peuvent se reporter.
Le sénateur Carney: J'aimerais poser une question supplémentaire. Je suis arrivée de Vancouver hier soir avec un Autochtone canadien dont la famille m'est bien connue. Nous avons discuté du fait qu'en Colombie-Britannique, on n'utilise pas particulièrement le terme Métis dans la communauté autochtone canadienne. C'est un terme des Prairies, de l'Alberta, des Territoires du Nord-Ouest, mais qui n'est pas vraiment utilisé couramment en Colombie-Britannique. Nous nous demandions pourquoi, et je me demandais si ceux qui s'auto-identifient comme Métis tiennent compte de limites géographiques pour ce faire. L'Indien non inscrit en Colombie-Britannique, en général, ne s'identifie pas comme Métis, il y a donc là un problème.
M. MacDonald: J'aimerais soulever plusieurs points en réponse à votre question supplémentaire. Les tribunaux ont jeté les bases d'un critère définissant les droits ancestraux, critère qui s'appliquera probablement à l'extérieur de l'Ontario. Nous allons devoir évaluer exactement où ce critère s'applique d'après ce que la Cour a dit. Je ne peux pas dire qu'il s'applique en Colombie-Britannique plus qu'ailleurs, mais grâce à ce critère, nous serons capables, espérons-le, de faire une évaluation objective de l'endroit où se trouvent les communautés métisses historiques.
Le sénateur Carney: C'est fondamental. Nous devons connaître le point de référence avant de rédiger des projets de loi.
M. MacDonald: Deuxièmement, il existe une organisation politique qui s'appelle le Ralliement national des Métis, qui compte un assez bon nombre de représentants de la Colombie-Britannique. L'un des membres du conseil d'administration provient de la Colombie-Britannique, il y a donc au moins une présence métisse politique en Colombie-Britannique qui a des liens avec une organisation politique plus vaste.
En réponse à votre deuxième question, le gouvernement tente actuellement de déterminer ce que doit faire le comité au sujet des droits ancestraux du peuple métis. Là encore, il faudra effectuer des analyses plus détaillées. Les provinces sont en train de procéder à leur propre analyse et nous gardons contact avec elles. De même, les organisations métisses se débattent toujours pour savoir ce que cela veut dire. Nous allons devoir déterminer comment mettre en œuvre de bonne foi la décision de la Cour en ce qui a trait aux droits ancestraux des Métis. Je n'ai pas de réponse précise à vous donner à ce sujet.
Le sénateur St. Germain: J'allais poser une question, mais essentiellement, c'est une question supplémentaire à celle du sénateur Carney. Madame la présidente, je n'avais pas pensé que nous allions entendre le témoin sur cette question ce matin. Cependant, la plupart d'entre nous qui sommes Métis avons été forcés de virtuellement nous démanteler en tant que communauté parce qu'on nous refusait des droits inhérents. Je parle ici de mon père qui était trappeur et qui a été poursuivi en justice, persécuté, il s'est fait enlever ses armes et a subi diverses autres choses. Essentiellement, nous avons été forcés de quitter la communauté métisse dans laquelle nous vivions au Manitoba, nous avons dû nous réinstaller dans d'autres régions du pays. Avez-vous une idée de la façon dont on va régler ce problème, pour fins d'identification? Dans mon cas, c'est relativement plus simple parce que mon arrière-grand-père et mon grand-père ont obtenu des propriétés le long de la rivière Assiniboine, propriétés qui leur ont été concédées dans des documents officiels. Le lien ancestral existe. Cependant, les complexités de cette situation sont renversantes. Je suis maintenant résident de la Colombie-Britannique.
Comme je l'ai dit, mon père était trappeur et chasseur, il a été un jour forcé d'abandonner son mode de vie. Du côté de sa mère, il y avait des chasseurs de buffles à la fin des années 1800 et 1900. Est-ce que ce sera la Cour qui établira le processus d'identification? À votre avis, comment ce processus d'identification se concrétisera-t-il parce que, comme vous le savez, les conseils métis, malheureusement, ne parlent pas nécessairement tous de la même voix? Pourriez-vous faire des commentaires à ce sujet?
M. MacDonald: Votre question est énorme. Je vais revenir à votre commentaire au sujet des complexités du débat et à mes propres commentaires sur l'actualité de la décision. Certes, le gouvernement du Canada devra examiner en détail ce que nous pensons que la décision implique. Cependant, nous donnerons la réponse que nous croyons juste, parce que les provinces ont bien leur mot à dire sur les répercussions dans leur contexte. Nous allons devoir clarifier la situation dans les provinces et les modalités de notre collaboration avec elles et avec les organisations métisses. Nous allons discuter avec elles.
Je n'ai pas de réponse claire et précise à votre question, mais le gouvernement mettra la décision de la Cour en application en toute bonne foi. Cela change effectivement le paysage et nous prenons la situation très au sérieux.
Le sénateur Stratton: Pour nous aider à comprendre, je vais lire un extrait de l'arrêt Powley, que l'on trouve sur le site Web de la Cour suprême, en page 2:
Le mot «Métis», à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, ne vise pas toutes les personnes d'ascendance indienne et européenne, mais plutôt les peuples distincts qui, en plus de leur ascendance mixte, possèdent leurs propres coutumes et identité collective reconnaissables et distinctes de celles de leurs ancêtres indiens ou inuits, d'une part, et de leurs ancêtres européens, d'autre part. Une communauté métisse est un groupe de Métis ayant une identité collective distincte, vivant ensemble dans la même région et partageant un mode de vie commun.
Plus loin dans la page, on lit ceci:
Il est crucial de vérifier l'appartenance d'un demandeur à la communauté actuelle pertinente, puisqu'un individu n'est admis à exercer des droits ancestraux métis que s'il possède des liens ancestraux avec une communauté métisse et que s'il appartient à cette dernière. L'auto-identification, les liens ancestraux et l'acceptation par la communauté sont des facteurs qui établissent l'identité métisse dans le cadre d'une revendication fondée sur l'article 35. En l'absence d'une identification formelle, les tribunaux devront statuer au cas par cas sur la question de l'identité métisse en tenant compte de la manière dont la communauté se définit, de la nécessité que l'identité puisse se vérifier objectivement et de l'objet de la garantie constitutionnelle.
Si vous permettez, vous avez dit que l'arrêt Powley a changé le paysage. Je suis d'accord avec vous parce que j'aimerais maintenant revenir au sénateur St. Germain et à son droit historique le long de la rivière Assiniboine. En tant que citoyen du Manitoba qui a grandi sur les berges de la rivière Assiniboine, à l'est de l'endroit où se trouvait la famille du sénateur St. Germain, je sais que cette région n'est pas délimitée comme étant une communauté historique métisse. Nous savions tous que ce l'était, mais ça ne l'est plus parce que les terres valaient trop cher et qu'on les leur a retirées.
Il y a un impact sur cette collectivité qui n'existe plus, mais selon la loi actuelle, il y a encore des communautés métisses au Manitoba qui sont définies comme des communautés historiques. Nous voulons savoir quelles répercussions cette décision aura à ce sujet. La définition de Métis dans la décision Powley repose sur un endroit physique, un lieu géographique. L'impact de cet endroit physique et géographique pourrait se répercuter, à son tour, sur les décisions, même s'il existe des revendications autochtones en vertu du projet de loi C-6. Cette décision aura des répercussions sur le projet de loi C-6 à cause de cela. Tout à coup, les Autochtones revendiquent des terres historiques et on surimpose le potentiel de groupes métis qui invoquent l'histoire pour revendiquer un droit. Ils nous disent, attendez une seconde, ce ne sont pas seulement les Autochtones, parce que nous étions là aussi. C'est ça l'impact qu'aura le projet de loi C-6.
Comme vous l'avez dit, vous ne le connaissez pas, nous ne le connaissons pas et personne ne connaît l'impact de cette loi. Pourquoi diable adopter le projet de loi C-6 à la vapeur, à tout le moins tant que nous ne saurons pas où cela nous mènera? C'est un argument fondamental. Nous ne connaissons pas l'impact de ce projet de loi, donc est-ce qu'on va l'adopter? Devrions-nous fermer les yeux et aller de l'avant? Ce serait une mascarade. Puis-je avoir votre commentaire à ce sujet, s'il vous plaît?
M. MacDonald: En un sens, vous avez raison de dire que les droits autochtones des Métis, comme les droits autochtones des Premières nations, appartiennent à une collectivité. Vous avez également raison de dire que le gouvernement doit interpréter la décision de la Cour en consultation avec les provinces et les organisations métisses pour savoir où elle s'applique, de sorte qu'on puisse mieux comprendre l'ampleur de cet arrêt. Je suis d'accord avec vous.
Je voulais faire une distinction tout à l'heure, et mes collègues des Affaires indiennes le confirmeront, à savoir que la politique sur les revendications particulières prévues dans le projet de loi C-6 ne porte pas sur les revendications de droits ancestraux établis dans la Constitution. Elle ne porte pas sur les droits ancestraux des Métis, des Inuits ou des Premières nations. Elle porte plutôt sur un type différent de processus et de revendication. Je dirais que l'arrêt Powley confirme l'affirmation des droits autochtones parce que les revendications particulières prévues dans le projet de loi C-6 ne portent pas sur les droits ancestraux d'aucun peuple, ce sont les droits ancestraux prévus à l'article 35 de la Constitution.
Le sénateur Stratton: Il s'agit de traités antérieurs.
M. MacDonald: C'est un droit découlant de traités et une obligation de respecter les traités que le Canada n'a peut-être pas remplie. Je vais m'en remettre à mes collègues des Affaires indiennes pour parler des détails du projet de loi C-6.
Le sénateur Gill: Si vous n'y voyez pas d'objection, je vais poser mes questions en français.
[Français]
Le sénateur Gill: Selon l'information qui circule, le jugement touchera environ 300 000 Métis. Selon votre expérience et vos connaissances de la situation des Métis, estimez-vous que c'est à peu près ce nombre qui seront touchés directement ou indirectement concernant les revendications particulières?
[Traduction]
M. MacDonald: Je ne peux absolument pas dire cela. Le chiffre de 300 000 habitants a été donné par Statistique Canada qui a effectué un recensement dernièrement. C'est également le chiffre qu'utilise le Rassemblement national des Métis pour indiquer le nombre de ses membres. Dans quelle mesure les tribunaux donnent-ils une telle indication, je ne peux pas le dire pour l'instant, mais il ne fait aucun doute que le chiffre de 300 000 a été rapporté par le Rassemblement national des Métis et en général vient étayer ce que Statistique Canada indique comme ceux qui se sont auto-identifiés comme Métis au Canada.
[Français]
Le sénateur Gill: Selon votre connaissance de la situation des Métis ainsi que les buts de la revendication particulière, pensez-vous qu'actuellement dans le pays il y a quelques revendications particulières qui proviendraient des Métis, c'est-à-dire des terrains pour lesquels les Métis se sont vus privés ou des parties de terre? En fait, selon l'histoire c'est une partie de la définition des revendications particulières. Voyez-vous beaucoup de Métis qui sont touchés ou qui pourraient être susceptibles de faire une réclamation?
[Traduction]
M. MacDonald: Là encore, je ne peux pas vraiment répondre. La décision de la Cour suprême est très récente. Elle s'applique certainement à l'extérieur de la région de Sault Ste. Marie. Je ne suis pas en mesure de dire à qui la décision s'adresse ou ne s'adresse pas actuellement. Les provinces, les organisations métisses et nous-mêmes devrons entreprendre de nombreuses analyses à ce sujet.
J'aimerais revenir à ce que j'ai dit tout à l'heure. Là encore, la politique sur les revendications particulières ne porte pas sur les revendications des droits ancestraux, c'est-à-dire les droits prévus à l'article 35. Cela n'a jamais été le cas, qu'il s'agisse des droits ancestraux des Premières nations, des Métis ou des Inuits. Je ne peux pas déduire qu'étant donné que les Métis ont maintenant des droits ancestraux, les revendications particulières seront touchées. Je ne peux pas affirmer non plus que les Métis ne déposeront pas de griefs. Il y en aura certainement. Les organisations nationales en ont déposé, les tribunaux en sont remplis, mais je ne suis pas certain que cela ait quelque répercussion que ce soit sur la politique relative aux revendications particulières ou à l'approche que le ministère des Affaires indiennes est en train d'adopter.
[Français]
Le sénateur Gill: Vous ne pensez pas qu'il y a des revendications particulières provenant des Métis. Vous ai-je bien compris?
[Traduction]
M. MacDonald: Non, je ne peux pas dire cela.
Le sénateur Gill: Vous ne pouvez pas.
M. MacDonald: Non.
[Français]
Le sénateur Gill: Il y aura probablement d'autres revendications. Elles ne seront peut-être pas accordées ou respectées ou acceptées comme revendications particulières de la part des Affaires indiennes, mais vous ne pouvez pas dire qu'il n'y en aura pas.
[Traduction]
M. MacDonald: Les Métis ont certainement déposé de nombreuses revendications et de nombreux griefs contre le gouvernement. Là encore, ce que j'essaie de faire comprendre ici, c'est que l'arrêt Powley n'a pas de répercussions sur le projet de loi C-6.
[Français]
Le sénateur Gill: Vous savez que le projet de loi C-6 à un plafond financier sur les réclamations comme telles. La raison qu'on a pu savoir, c'est qu'il y a des limites financières. Ces limites financières ont été placées dans le projet de loi parce que cela touchait exclusivement les revendications particulières des Autochtones.
En supposant qu'on ajoute quelques revendications, parce que je prévois qu'il y aura certains griefs ou certaines réclamations particulières provenant des Métis. Pensez-vous que le ministère Affaires indiennes vont pouvoir à la fois transiger avec les revendications particulières des Autochtones et celles des Métis? Ces revendications auront probablement autant de mérite que celles des Autochtones.
[Traduction]
M. MacDonald: Je m'excuse. Je ne peux vraiment pas spéculer sur le type de processus qui pourrait être élaboré dans l'avenir en réponse à l'arrêt Powley, ce qui est la question dont on discute aujourd'hui, ou sur la façon dont les futurs griefs des Métis pourraient être réglés. Je ne suis pas en mesure d'avancer quelque hypothèse que ce soit.
[Français]
Le sénateur Gill: J'aimerais revenir à une déclaration que la présidente a faite au début de la séance. Elle dit que nous sommes ici pour discuter uniquement et exclusivement de la question des Métis. Ceux qui étaient présents à la Chambre du Sénat ont constaté que nous avons discuté de beaucoup de questions autres que celle des Métis.
La situation des Métis s'est ajoutée suite au jugement. Nous ne pouvons discuter d'une façon exclusive la question des Métis sans discuter des réclamations territoriales des Autochtones. Le projet de loi actuel a été fait et dessiné pour les revendications particulières que le ministère connaissait. Il ne pouvait pas faire un projet de loi sur des situations qu'il ne connaissait pas.
La situation des Métis ou les revendications possibles de ceux-ci n'étaient pas présentes. Maintenant si l'on dit que nous allons discuter exclusivement de la question des Métis, en sachant que ce projet de loi a été fait uniquement pour les revendications particulières des Indiens — c'est marqué «Indian claims» —, je vois mal maintenant que nous discutions exclusivement de la question des Métis. Cela a impact direct sur le reste.
[Traduction]
M. MacDonald: Je vais laisser au comité et au ministère des Affaires indiennes le soin d'expliquer cela plus en détail. Ce que je peux dire, c'est que l'arrêt Powley est tout à fait nouveau et très récent et que beaucoup de travail reste à faire avant d'en voir les répercussions. Là encore, d'après ce que je comprends des revendications particulières, c'est que cette décision n'a rien à voir avec les revendications foncières, elle ne porte pas sur les revendications concernant les droits ancestraux de quelque sorte. Elle porte sur un type particulier de griefs qui n'ont rien à voir avec la décision Powley.
Le sénateur St. Germain: Dites-moi, est-ce que le dossier des Métis va être confié au ministère des Affaires indiennes?
M. MacDonald: Là encore, on nage dans l'hypothèse. Je suis un peu mal à l'aise aujourd'hui parce que je n'ai pas de réponses nettes à ce genre de questions.
Le sénateur St. Germain: Je n'essaie pas de vous coincer, monsieur. En tant que Métis, je m'inquiéterais si le dossier était confié aux Affaires indiennes parce qu'actuellement, c'est un interlocuteur qui relève du ministre Goodale qui est responsable du dossier. En fait, je vous demande une précision. Est-ce que sa responsabilité relève du ministère des Affaires indiennes ou si cet interlocuteur est indépendant du ministère?
Ce n'est pas un piège que je vous tends. Je veux avoir une précision à ce sujet parce que la question se pose depuis l'arrêt de la Cour suprême.
M. MacDonald: La fonction d'interlocuteur a été volontairement créée en dehors du ministère des Affaires indiennes et n'a rien à voir avec celui-ci. C'est un poste qui a été créé au début des années 80, reconnaissant que les Métis faisaient partie de la Constitution. Le gouvernement avait besoin de ce qu'il appelle un interlocuteur pour faire valoir les intérêts des Métis au Cabinet et auprès du gouvernement. C'est une très petite division avec un petit budget qui est tout à fait distinct du ministère des Affaires indiennes.
La présidente: Monsieur MacDonald, j'aimerais obtenir quelques précisions. Dans le projet de loi C-6, à la section des définitions, l'expression «Premières nations» signifie ceci:
a) bande au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens;
b) groupe de personnes qui, bien qu'il ne soit plus une bande au sens de l'alinéa a), a maintenant, en vertu d'un accord sur des revendications territoriales, son droit de présenter une revendication particulière;
c) groupe de personnes qui, bien qu'il ne soit plus une bande au sens de l'alinéa a) en raison d'une loi ou d'un accord figurant à l'annexe, n'a pas abandonné son droit de présenter une revendication particulière.
Est-ce que l'arrêt Powley permettra d'intégrer les Métis à cette définition?
M. MacDonald: Je vais laisser le soin aux gens du ministère des Affaires indiennes de vous donner une réponse précise à ce sujet, mais d'après moi, non, les Métis ne figureront dans aucune de ces catégories particulières après la décision Powley.
La présidente: À l'alinéa 26(2)f) du projet de loi, on dit qu'une Première nation ne peut déposer auprès de la Commission une revendication fondée sur des droits ou titres ancestraux ou invoquant de tels droits ou titres. Est-ce que les Métis seraient inclus dans quelque chose de ce genre?
M. MacDonald: Il semble que cela empêche les Premières nations de présenter des causes touchant les droits ancestraux. Cela exclurait certainement toutes les causes de ce genre, c'est ce que j'ai dit tout à l'heure. La revendication ne consiste pas à déterminer les droits ancestraux, qu'il s'agisse de ceux des Indiens, des Inuits ou des Métis.
La présidente: Merci, monsieur MacDonald, votre présentation est on ne peut plus nécessaire et des plus utiles.
Nous invitons maintenant les prochains témoins, Mme Stewart et M. Winogron, du ministère des Affaires indiennes et du Nord.
Comme vous l'avez entendu dans ma déclaration d'ouverture, le Sénat a été saisi d'une motion disposant que le projet de loi, tel qu'amendé, ne soit pas lu en troisième lecture, mais qu'il soit renvoyé de nouveau au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones dans le but d'étudier l'impact de la décision récente de la Cour suprême sur le projet de loi C-6, laquelle décision reconnaît le peuple métis comme une nation autochtone distincte. C'est la question que le Sénat nous a demandé d'examiner et au sujet de laquelle nous devons prendre des décisions.
Soyez les bienvenus, et je vous demande de faire vos exposés.
Mme Audrey Stewart, directrice générale, Revendications particulières, ministère des Affaires indiennes et du Nord: Madame la présidente, honorables sénateurs, en tant que directrice générale des Revendications particulières, je suis responsable du groupe qui a donné des conseils techniques à l'équipe de rédaction du projet de loi C-6. C'est la raison pour laquelle je suis ici aujourd'hui, pour tenter de vous aider en vous donnant certains renseignements.
Je crois que vous avez déjà entendu M. Winogron antérieurement. Il représente le ministère de la Justice.
Je réfléchissais à l'information que je pouvais vous donner et qui pouvait vous être utile, et je me suis dit qu'il serait peut-être préférable, d'abord, de voir comment le projet de loi C-6, dans son libellé actuel, traite le type de revendications des Métis à l'égard des droits ancestraux qui sont établis dans l'arrêt Powley, et ensuite d'expliquer les raisons pour lesquelles le projet de loi a été conçu de cette façon.
Je crois que la réponse à la première question est assez directe et il s'agit ici d'information qui a déjà été fournie ce matin. Le projet de loi C-6 ne porte tout simplement pas sur ce genre de revendications. Cela est clairement précisé à l'article 26, auquel on a déjà fait référence et qui précise que les Premières nations peuvent présenter des revendications en regard de la définition qui a été mentionnée il y a quelques minutes. En fait, on veut vraiment s'assurer que les bandes indiennes, qu'elles relèvent de la Loi sur les Indiens ou qu'elles s'en soient exclues parce qu'elles ont signé et mis en œuvre une entente d'autonomie politique, ou encore parce qu'elles ont signé une entente de règlement globale, peuvent présenter des revendications particulières. Comme il a été précisé ce matin, le projet de loi exclut aussi toute revendication fondée sur un titre ou des droits autochtones ou invoquant de tels titres ou droits. C'est ainsi que le projet de loi actuel aborde ce genre de revendication.
Je vais prendre quelques minutes pour vous expliquer pourquoi le projet de loi a été conçu de cette façon. Le Centre de règlement des revendications particulières et les processus établis dans le projet de loi ont été conçus pour aider le gouvernement du Canada et les Premières nations à régler un certain type de revendications, c'est-à-dire les revendications particulières. Il s'agit de différends qui découlent des rapports qu'a toujours eus le Canada avec les Premières nations. Pendant longtemps, le gouvernement du Canada a géré les actifs collectifs des Premières nations, notamment les terres et l'argent, en leur nom.
Le Canada a également signé un ensemble de traités que l'on appelle les traités historiques avec les Premières nations, et parfois, le Canada n'a pas livré aux Premières nations les terres ou les autres biens promis dans ces traités.
Le Canada n'a pas exercé le même genre de pouvoir au sujet des droits collectifs des Métis, ou des biens collectifs et des droits des Inuits. C'est là une des principales caractéristiques qui précisent le type de revendications sur lesquelles porte le projet de loi C-6. Le genre de revendication particulière qui pourrait découler de cela serait le suivant: lorsqu'une Première nation a suivi toutes les étapes d'un processus, c'est ce que l'on appelle techniquement un processus d'abandon pour accorder des terres de réserve pour d'autres développements. Le processus n'a pas été mené comme il se devait et, par conséquent, la réponse ne reflétait pas les désirs des Premières nations, ou l'abandon a été effectué adéquatement mais la Première nation n'a jamais reçu l'argent, ou en fait l'argent qui a été géré par le gouvernement au nom de la bande n'a pas été bien géré si bien que la Première nation a perdu de l'argent. C'est là le genre de revendications qui font l'objet du projet de loi C-6.
Lorsque je dis que le projet de loi C-6 a été conçu pour aider à résoudre ce genre de revendication — et cela se voit dans le projet de loi — nous pouvons faire appel à certains articles du projet de loi permettant d'aider le gouvernement du Canada et les Premières nations à régler ces problèmes. Je vais vous donner deux ou trois exemples. Premièrement, je vais parler des parties aux différends. Quand on examine le genre de différends que j'ai décrits, ce que l'on appelle des revendications particulières, les différends sont habituellement entre le Canada et les Premières nations. Il est rare, mais cela arrive parfois, que les provinces soient en cause.
Donc, le projet de loi C-6 se veut un instrument efficace entre le gouvernement fédéral et les Premières nations. Les provinces peuvent y participer mais, règle générale, ce ne serait pas le cas.
L'initiative fédérale qu'est le projet de loi C-6 établira la façon dont le gouvernement fédéral participera à ce genre de règlement de différends. Il ne peut lier les provinces sans leur consentement, ce qui caractérise la nature de ces revendications. Elles surviennent surtout entre le gouvernement fédéral et les Premières nations.
Je signale que la décision Powley porte sur les droits de chasse, tout comme dans l'affaire Blais, l'autre cause concernant les Métis au sujet de laquelle la Cour suprême a rendu une décision.
La chasse est essentiellement une compétence provinciale et il semblerait donc approprié que les gouvernements provinciaux aient un rôle central à jouer dans le processus qui sera mis au point pour régler ce genre de revendications.
Les parties sont soigneusement définies et les recours qui sont offerts grâce au projet de loi C-6 reflètent le type de revendications que vise ce projet de loi. Ces revendications concernent l'indemnisation pour perte.
Le tribunal ne peut qu'accorder un dédommagement pécuniaire. Ces revendications — et nous prévoyons que ce seront la majorité qui seront réglées par le processus de négociation facilité par la commission — peuvent être plus larges, et nous nous attendons à ce qu'elles incluent la récupération de terres perdues lorsque cela est possible, par exemple.
Cependant, le type de revendications et de règlements qui pourraient résulter du traitement d'une revendication concernant les droits autochtones seront probablement plus larges et n'exigeront peut-être pas autant de recours, mais peut-être une réconciliation ou des approches différentes ou un ensemble de recours différents.
En fait, le processus établi dans le projet de loi C-6 est, encore une fois, établi en fonction du type de revendications qui y sont décrites. Il s'agit d'un processus qui facilite le règlement des problèmes et la négociation à l'aide d'un tribunal décisionnel qui peut intervenir. Le processus convient aux revendications qui exigent un type particulier de recherche et qui peuvent être réglées à l'aide d'un dédommagement.
Ce sont trois exemples, et nous pourrions vous en donner d'autres, indiquant comment ce projet de loi est assorti de diverses caractéristiques visant un type particulier de revendications.
Je peux également dire que le processus de règlement des différends concernant les revendications particulières n'est qu'un processus parmi d'autres qui ont été mis au point pour régler les différends entre le gouvernement du Canada et les Premières nations. Mis à part les tribunaux, ce processus n'est pas le seul recours que le Canada et les Premières nations peuvent utiliser pour régler les problèmes qui les concernent.
Quelques exemples: Résolution des questions des pensionnats indiens Canada établit certains processus visant à régler les revendications de particuliers concernant leur expérience dans les pensionnats. C'est là un problème très différent, et un processus de règlement lui aussi très différent.
Au fur et à mesure que les ententes majeures interviennent, les ententes sur les revendications globales et les ententes d'autonomie politique, notamment, sont suffisamment complexes pour que l'on y ait prévu des processus de règlement des différends; des processus conçus exactement pour le genre de différends qui sont susceptibles de se poser. Il y a de plus en plus d'exemples de processus de règlement des différends conçus pour être adaptés aux types de revendications, de griefs et de différends qui existent.
En ce qui concerne les droits ancestraux, on peut tirer beaucoup d'histoires et d'expériences des contacts avec les Premières nations pour le règlement des revendications touchant les droits ancestraux. Cela nécessite un processus de règlement très différent de celui qui est prévu pour les revendications particulières. Le gouvernement fédéral dispose de deux politiques: la politique des revendications territoriales globales et la politique sur la négociation des droits inhérents qui ont aidé à établir l'interaction entre les Premières nations et le gouvernement fédéral au sujet des droits ancestraux.
Ces deux politiques visent à négocier les ententes qui établissent les droits des demandeurs autochtones en ce qui a trait à la propriété, à l'utilisation et à la gestion des terres et des ressources, de même que des ententes pratiques pour l'exercice des pouvoirs d'autonomie politique. Ces négociations sont plus de nature politique. Elles nécessitent la participation des Autochtones, du gouvernement fédéral, et tout aussi important, des gouvernements territoriaux et provinciaux intéressés. Ce sont des revendications qui ne peuvent être réglées par un tribunal ou à l'aide d'un dédommagement pécuniaire.
Elles visent plutôt une réconciliation politique et l'adoption de changements législatifs prévoyant l'exercice de droits, des garanties d'accès aux ressources, la participation à la gestion et des pouvoirs d'établir des lois.
Tout comme le projet de loi C-6, et le tribunal qui en fait partie, ne constitueraient pas un mécanisme satisfaisant pour régler les droits ancestraux des Premières nations, compte tenu des besoins de l'approche que je viens tout juste de décrire, cela ne constituerait pas une méthode appropriée pour régler les problèmes des droits ancestraux des Métis.
Avant de m'arrêter, j'aimerais conclure par quelques autres considérations. Par exemple, le processus de règlement des différends dans le projet de loi C-6 a été conçu grâce à une participation importante des Premières nations. Les Métis, qui sont un peuple autochtone distinct avec une histoire distincte et leur propre type de revendications, n'ont pas participé aux années de travail qui ont mené à l'adoption de ce projet de loi.
J'aimerais également vous parler de la charge de travail. Comme le comité l'a remarqué, il y a actuellement beaucoup de revendications dans le système. Les Premières nations et nous-mêmes souhaitons ardemment réduire le délai nécessaire pour régler ces revendications. Nous espérons que le Centre de règlement des revendications accroîtra l'efficacité et l'efficience du processus, de sorte que l'on puisse accélérer les règlements. Le fait d'élargir la portée de son mandat pour inclure un type très différent de revendication, qui n'est pas encore très bien comprise, et qui serait déposée par un peuple autochtone différent, à mon avis, viendrait miner la capacité du Centre de donner les résultats que nous attendons de lui.
[Français]
J'ai fait ma présentation en anglais, mais s'il y a des questions en français je serais contente de les recevoir.
[Traduction]
J'espère que ces quelques renseignements auront été utiles pour le comité.
M. Robert Winogron, avocat-conseil principal, ministère des Affaires indiennes et du Nord: Je n'ai rien à ajouter, mais je suis disposé à répondre aux questions, madame le sénateur.
Le sénateur Austin: Je crois que nous avons déjà établi qu'en ce qui concerne notre mandat, on devait retourner au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones le projet de loi C-6 dans le but d'étudier l'impact de la décision récente de la Cour suprême sur le projet de loi C-6, décision qui reconnaît le peuple métis comme une nation autochtone distincte. C'est là notre mandat, madame la présidente.
M. MacDonald et Mme Stewart l'ont dit officiellement, il n'existe aucun lien entre l'arrêt Powley et le projet de loi C-6. Les deux portent sur deux communautés très distinctes, et comme la présidente l'a consigné au compte rendu, la communauté dont il est question dans le projet de loi C-6 que nous étudions actuellement est une Première nation. Monsieur Winogron, c'est ce que vous pensez aussi, mais peut-être pourriez-vous donner votre opinion officielle.
M. Winogron: Je suis d'avis que non seulement nous traitons avec des communautés autochtones différentes, mais que nous devons régler des types différents de revendications, des revendications fondamentalement différentes, comme l'a dit Mme Stewart. C'est aussi mon opinion.
Le sénateur Stratton: Les autres mécanismes de règlement n'étaient pas assortis du même plafond ou de la même limite. Dans le cadre de nos discussions, nous avons tenté de définir le plafond ou cette limite imposée. Nous allons déposer un amendement à ce sujet.
À votre avis, le fait d'imposer une limite restreint-il l'application des garanties accordées aux Premières nations en vertu de la Charte?
M. Winogron: À mon avis, non. Comme vous le savez, c'est un processus entièrement volontaire. La limite de compétence à laquelle vous faites référence n'est qu'une limite qui s'applique au tribunal de l'organisme et non à la commission. N'importe quelle revendication, peu importe son envergure, peut être déposée auprès de la commission, comme on peut le faire auprès du ministère actuellement. Cet organisme examinera les revendications de toute envergure qui seront déposées devant la commission.
La commission dispose de divers outils pour examiner et régler ces revendications. Ce n'est que lorsque le problème ne peut être réglé, à cette étape, que le demandeur a le choix de soumettre sa revendication au tribunal, s'il y est admissible. À mon avis, il n'y a aucun obstacle juridique ou autre.
Le sénateur Stratton: Les dispositions de ce projet de loi sont optionnelles, en ce sens qu'une communauté autochtone, ou une bande, peut décider de s'assujettir aux dispositions du projet de loi. Cela veut dire que l'on peut utiliser l'ancien ou le nouveau système. Si on décide d'utiliser les paramètres du projet de loi C-6, pourquoi y a-t-il alors une limite?
Mme Stewart: La limite juridique a été incluse pour s'assurer que le tribunal peut fonctionner selon des paramètres financiers. En tant qu'institution nouvelle et décisionnelle, le tribunal doit fonctionner dans le cadre de certains paramètres. Il doit avoir un budget. Une somme doit être déterminée afin que le tribunal puisse prendre des décisions.
Le sénateur Stratton: J'en conviens. Il est clair dans le projet de loi C-6 qu'une limite a été imposée aux revendications. Je pense qu'on est passé de cinq à sept, corrigez-moi si j'ai tort. Il y aurait ensuite un budget global annuel pour le règlement des revendications. C'est ce que je comprends.
Par contre, vous dites qu'il n'y a pas de limite. Pardonnez-moi, mais je ne comprends tout simplement pas. Si vous décidez d'adopter ce mécanisme et de respecter les lignes directrices établies dans le projet de loi C-6, il y a une limite de 7 millions de dollars. Cependant, vous dites de l'autre côté: «Eh bien, il n'y a pas véritablement de telle limite». Que faut-il comprendre?
Mme Stewart: La réponse est que, pour les règlements négociés, il n'y a pas de limite. Le gouvernement et la Première nation peuvent en venir à une entente au niveau qu'ils jugent approprié. Il peut y avoir des composantes incluant, par exemple, le paiement sur un certain nombre d'années ou d'autres arrangements.
Pour appuyer ces règlements, le gouvernement sera capable de conclure des ententes pour s'assurer qu'il dispose, en fait, de l'argent nécessaire pour respecter les engagements pris dans ces ententes.
Lorsqu'une revendication est soumise au tribunal, elle échappe au processus décisionnel du gouvernement. Ainsi, le tribunal doit pouvoir intervenir immédiatement. C'est une décision budgétaire que de fournir ces ressources.
Il existe deux systèmes différents ici. Parce que l'un fonctionne dans le contexte de la négociation, de l'obtention de mandats et d'une décision volontaire, il peut être libre de toutes contraintes. L'autre doit être appliqué dans des limites prédéterminées parce qu'il délègue des pouvoirs, renvoie ou change des décisions qui ne relèvent plus des processus gouvernementaux habituels.
Le sénateur Stratton: Si un groupe décide d'emprunter cette avenue et de s'en remettre au tribunal, doit-il accepter la limite?
Mme Stewart: Oui.
Le sénateur Stratton: Pourquoi le ferait-il alors? Pourquoi ne pas procéder selon l'ancien système où il n'y a pas de limite définie? Je ne vois pas comment vous pouvez convaincre les gens ou des groupes de s'adresser à un tribunal qui a une limite de 7 millions de dollars, s'il découvre plus tard, peut-être, que leur revendication vaut plus de 7 millions de dollars et pourrait valoir 10 ou 12 millions de dollars. Se retireraient-ils alors?
Mme Stewart: C'est une décision que chaque Première nation devra prendre pour elle-même à l'égard de chaque revendication qu'elle examine.
Au moment où une Première nation devra décider si elle veut ou non s'adresser à un tribunal qui imposera un règlement, des études auront été faites au préalable de sorte que tant la Première nation que le gouvernement du Canada pourront évaluer ce qui constitue, à leur avis, la valeur future de la revendication. Il y aura eu des négociations à cet effet. Il pourrait y avoir aussi des activités de consultation ou de facilitation.
La Première nation ne prendra pas cette décision sans une base solide de renseignements.
L'avantage pour une Première nation, et peut-être pour le gouvernement fédéral, de la décision d'un tribunal à ce moment-là, c'est que le problème serait réglé. Si l'on est emmêlé dans des négociations et qu'il est impossible d'avancer, parfois il est utile que quelqu'un dise: «J'ai examiné la question de façon indépendante et voici la réponse». Ça arrête tout.
Le sénateur Stratton: J'aimerais me réserver le droit d'intervenir plus tard. La liste des témoins est assez longue, et j'aimerais leur poser des questions. Peut-être, après cela, si nous avons d'autres questions, vous pourriez revenir.
Le sénateur St. Germain: Merci à nos témoins d'être là ce matin.
Vous dites clairement qu'à votre avis, la décision Powley n'aura pas d'impact sur le projet de loi C-6. Si je comprends bien la situation, je crois que la décision ajoute une toute nouvelle dimension aux enjeux autochtones du pays. Les revendications territoriales ont fait partie des mesures prises par les Métis pour régler les différends et s'établir du milieu à la fin des années 1800.
Compte tenu du fait qu'ils ont tenté d'exercer leurs droits territoriaux, sans succès, dans la plupart des cas, n'y a-t-il pas une possibilité qu'ils puissent tenter d'exercer leurs droits concernant les terres, les ressources et d'autres domaines de compétence qui, maintenant qu'ils sont reconnus, pourraient avoir des répercussions sur certaines des décisions prises en vertu du projet de loi C-6?
M. Winogron: Sénateur, je crois que la question que vous soulevez est la même que celle qu'a soulevée le sénateur Stratton tout à l'heure, c'est-à-dire si un groupe métis présente une revendication qui porte sur des terres ou des ressources, peut-être y aura-t-il possibilité d'un certain conflit à cet égard que le commissaire du tribunal pourra régler en vertu du projet de loi C-6?
La façon dont cet organisme est actuellement conçu, c'est qu'il ne peut régler les problèmes de terres ou de ressources soulevés par des groupes métis pour les raisons que j'ai signalées tout à l'heure.
D'après la définition du projet de loi C-6, les groupes métis ne sont pas des Premières nations et les revendications fondées sur les droits ou les titres ancestraux sont spécifiquement exclues de l'examen par cette entité.
Poussons la chose un peu plus loin. Si une revendication qui risque d'une certaine façon d'avoir trait à un problème qui est actuellement examiné par l'organisme, ou qui entre en conflit avec cela, même si la revendication ne peut pas être examinée par cet organisme, je peux dire que le processus qui a été conçu dans le projet de loi est suffisamment souple pour permettre de l'entendre, tant à la commission qu'au tribunal. Le projet de loi renferme des dispositions spécifiques permettant à la commission d'entendre les parties intéressées. Si une question a des répercussions directes sur l'enjeu que la commission et le tribunal sont en train d'examiner, le projet de loi prévoit une disposition à cet effet. Même si, à mon avis, la possibilité d'un tel conflit est extrêmement éloignée, il y a toujours une disposition qui peut être invoquée.
Le sénateur St. Germain: Comment pouvez-vous venir nous dire que vous ne savez pas en quoi la décision Powley aura des répercussions sur le résultat global du règlement des revendications autochtones, parce que c'est une inconnue pour l'instant. C'est quelque chose dont on n'a jamais traité. Non pas que je veuille encombrer ou gêner le processus des Premières nations pour régler leurs revendications particulières, mais vous semblez avoir adopté une nouvelle croisade ici aujourd'hui pour tenter de répondre aux besoins ou prétendus besoins du gouvernement d'accélérer l'adoption du projet de loi C-6.
Je pense que ces revendications particulières pourraient quand même continuer d'être examinées en dépit du projet de loi C-6 ou sans le projet de loi C-6, et selon la méthode actuelle, on devrait s'assurer que les Métis, par exemple, ont des terres de réserve en Alberta, des communautés distinctes. Voyez-vous un danger, si éloigné soit-il, à procéder ainsi?
Mme Stewart: L'impact de l'arrêt Powley en tant que tel touche les droits ancestraux. Le projet de loi ne porte pas sur ces droits ancestraux. À cet égard, je pense que nous sommes à l'aise de dire qu'il n'y a pas d'interaction.
Le sénateur St. Germain: Êtes-vous en train de dire que les droits ancestraux n'ont rien à voir avec les droits territoriaux ou l'établissement de terres?
Mme Stewart: Absolument pas. Ce n'est pas ce que je dis.
Le sénateur St. Germain: Je n'essaie pas de vous piéger. C'est du nouveau pour moi. On nous a tout simplement chassés de nos terres, nous n'avions rien à dire, et maintenant le monde entier a changé. Je n'essaie pas de piéger qui que ce soit. Je veux obtenir des précisions. La pire chose qui puisse se produire dans un règlement avec les Premières nations, c'est qu'il y ait des dédoublements, notamment. J'ai toujours eu la même opinion à ce sujet. J'entrevois la possibilité, aussi éloignée soit-elle, de conflits. Pourquoi accélérer les choses à cette étape s'il existe un processus permettant de régler maintenant des revendications particulières? Pourquoi exacerber la situation? Pourquoi ne pas simplement déterminer où on en est dans cette nouvelle décision? Elle pourrait avoir des répercussions sur les revendications territoriales et les terres. C'est la seule raison pour laquelle je soulève la question.
Mme Stewart: On a toujours parlé de «revendications territoriales» et cela vient mêler les cartes ici. Le genre de revendications territoriales dont il est fait état à l'article 35, c'est le genre de revendications qu'aborde l'arrêt Powley et elles portent particulièrement sur les terres et les ressources et les résidences des gens. Une revendication particulière peut porter sur une terre, mais seulement sur un type de terre, c'est-à-dire les terres de réserve prévues pour les Indiens et gérées en leur nom par le gouvernement fédéral. C'est ce genre de terres que les revendications territoriales peuvent régler. Tout comme dans l'usage courant, les gens parlent parfois de revendications territoriales, mais c'est à cause de cette différence — et c'est une différence fondamentale qui a trait aux droits ancestraux d'une part et aux revendications particulières d'autre part — que je suis à l'aise de dire qu'il n'y aura pas ce genre de dédoublement. Comme M. Winogron l'a fait remarquer, si on en vient à devoir examiner ce genre de problème, le processus renferme un mécanisme qui permettra de procéder à cet examen.
Le sénateur Carney: Je souhaite que nous ayons tous l'occasion d'aborder le problème qui nous a été soumis aujourd'hui, c'est-à-dire le renvoi du Sénat qui demande que le projet de loi, tel qu'amendé, ne soit pas lu pour une troisième fois. Le Sénat soumet de nouveau le projet de loi au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones pour qu'il analyse l'impact de l'arrêt récent de la Cour suprême sur le projet de loi C-6, arrêt qui reconnaît le peuple métis comme une nation autochtone distincte. Nous avons jusqu'à maintenant entendu des témoins qui nous ont dit qu'en fait, ce projet de loi n'est pas touché par cette décision, qu'il porte sur les Premières nations, et que même si nous ne savons pas ce qu'est un Métis, on nous dit que ce n'est pas une Première nation.
Ce projet de loi porte sur les Premières nations. Si les Métis ne sont pas une Première nation, je pense que nous pouvons informer nos collègues du Sénat que puisque le projet de loi porte sur les Premières nations et qu'il propose un processus permettant de régler leurs revendications, que nous devrions aller de l'avant.
On nous a dit également que ce projet de loi ne repose pas sur un titre autochtone. Il porte sur le processus spécifique de revendication territoriale. Puisque c'est l'objectif du projet de loi, je pense que nous devrions songer à informer le Sénat, et ceci pour que les Premières nations puissent faire progresser leur processus de revendications territoriales, que nous devrions adopter ce projet de loi et demander au gouvernement de créer ce genre de commission ou de structure permettant d'examiner les droits ancestraux au fur et à mesure qu'ils émergeront.
Compte tenu du délai prévu dans le projet de loi et du travail qui attend les provinces et le gouvernement fédéral et les Métis eux-mêmes pour mettre en place un processus convenable, tant qu'à comparer des pommes et des oranges, pour utiliser cette analogie culinaire, nous devrions adopter le projet de loi puisqu'il porte sur un groupe entièrement différent et sur une question entièrement différente de celle que nous a renvoyée le Sénat.
Si vous êtes d'accord, je propose une motion indiquant que nous avons examiné la question, et qu'à la lumière des témoignages que nous avons entendus, nous recommandons au Sénat de procéder à la troisième lecture du projet de loi, mais que nous demandons au gouvernement d'examiner la possibilité d'établir un processus semblable pour les Métis, lorsque cela sera nécessaire. J'aimerais déposer cette motion, madame la présidente.
Le sénateur Austin: J'appuie la motion du sénateur Carney. Nous devrions avoir le libellé exact de la recommandation concernant les Métis. Je me demande si nous pourrions rédiger la motion comme telle?
Je crois que cela ressemble à ceci, il est proposé:
Que le projet de loi C-6 soit renvoyé au Sénat sans amendement, mais en recommandant que le ministre [...]
Je ne suis pas sûr exactement du titre de M. Goodale à cet égard.
Mme Stewart: Il est l'interlocuteur.
Le sénateur Austin: Le ministre est l'interlocuteur.
Est-ce que M. MacDonald est encore ici?
Mme Stewart: Non, il est parti.
Le sénateur Austin: Je crois que le libellé devrait se poursuivre ainsi:
[...] que l'interlocuteur fédéral des Métis et des Indiens non inscrits présente dans les meilleurs délais une proposition permettant d'examiner sur le plan législatif l'arrêt Powley.
Le sénateur St. Germain: Madame la présidente...
La présidente: Un instant s'il vous plaît. Finissons d'abord ça. Sénateur Carney, êtes-vous d'accord? Vous êtes l'auteure de la motion, en acceptez-vous le libellé?
Le sénateur Carney: Est-ce qu'on pourrait me la relire? Il faut que tout le monde comprenne bien le libellé.
Le sénateur Gill: J'aimerais intervenir.
La présidente: Continuons.
Le sénateur Carney: Pourriez-vous attendre que la motion soit déposée avant de passer à la discussion?
M. Adam Thompson, greffier du comité: Il est proposé:
Que le projet de loi C-6 soit renvoyé au Sénat sans amendement, mais en recommandant que l'interlocuteur fédéral des Métis et des Indiens non inscrits présente dans les meilleurs délais une proposition visant à examiner, sur le plan législatif, l'arrêt Powley.
Le sénateur Austin: Nous avons fait rapport du projet de loi avec amendements, il faut ajouter les mots «avec d'autres amendements».
Le sénateur St. Germain: Lorsque le sénateur Gill obtient le droit de parole, madame la présidente, il doit pouvoir parler et on ne doit pas redonner la parole au sénateur Austin.
La présidente: Nous étions en train de préciser la motion. Sénateur Gill, je m'excuse.
[Français]
Le sénateur Gill: Madame la présidente, je voudrais connaître les règles du jeu de ce comité. Établissez-vous les règles à mesure que l'on avance ou suivez-vous des règles d'éthique, par exemple, écouter les gens qui veulent parler? Nous avons encore un témoin à entendre. Nous avons soumis une liste complète de témoins. Cela veut dire que vous refusez le droit de parole à ces gens qui veulent se présenter pour témoigner devant le Comité des affaires autochtones. Vous refusez le droit de parole à ces gens alors que nous devions avoir quelques jours pour écouter des témoins additionnels. C'est cela la démocratie au Canada?
Je veux savoir sur quoi vous basez-vous ainsi que les sénateurs Austin et Carney pour mettre un bâillon, passer le bulldozer aux gens qui veulent parler, ici, dans la salle des Autochtones, dans la salle des Premières nations, dans notre pays? Quel droit vous arrogez-vous pour faire cela?
[Traduction]
La présidente: Le sénateur Gill, le sénateur Carney ou n'importe quel autre sénateur peuvent déposer une motion à quelque moment que ce soit au comité. Je ne fais que respecter la procédure établie. Nous avons des témoins. Il s'agit d'une motion qui est soumise à la discussion.
[Français]
Le sénateur Gill: Vous n'avez pas le droit de couper la parole aux gens qui veulent parler dans cette tribune. Voue ne pouvez pas les arrêter de parler.
[Traduction]
La présidente: Pour l'instant, nous examinons une motion. Nous ne refusons à personne le droit d'intervenir. Les présentations vont se poursuivre. Entre-temps, nous discutons de la motion.
Le sénateur St. Germain: Le sénateur Gill a été logique en disant que nous n'avons pas entendu tous les témoins. Dans un cas de ce genre, dans un cas où le dossier métis contient tellement de zones grises, le moins que nous puissions faire serait de demander au ministre Goodale de comparaître devant le comité pour clarifier la situation.
Bien que je respecte l'opinion de ces deux personnes sur l'évolution du processus particulier, il est prématuré de déposer une motion avant d'avoir entendu tous les témoins. Le ministre Goodale, par exemple, qui sera l'interlocuteur pour ce dossier-là, devrait au moins être convoqué au comité pour témoigner au sujet de quelque chose d'aussi important que cela pour l'instant.
La Cour suprême a rendu une décision qui fait autorité et qui pourrait avoir — même si cela est une possibilité éloignée — des répercussions ou provoquer des conflits, comme M. Winogron l'a signalé. Pourquoi est-ce que l'on se dépêche? Je suis conscient que le sénateur Austin a eu le mandat du gouvernement d'accélérer l'adoption du projet de loi, mais les choses ont changé.
La présidente: Est-ce que vous recommandez que la motion soit réservée tant que nous n'aurons pas entendu d'autres témoins?
Le sénateur St. Germain: C'est ce que je propose.
Le sénateur Stratton: J'appuie. Nous sommes en train d'avoir une discussion.
Est-ce que la présidente voudrait bien lire le mandat, dont le libellé est explicite.
La présidente: Le mandat se lit comme suit:
Que le projet de loi tel qu'amendé ne soit pas lu en troisième lecture mais qu'il soit plutôt renvoyé de nouveau au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones dans le but d'étudier l'impact de la décision récente de la Cour suprême sur le projet de loi C-6, décision qui reconnaît le peuple métis comme une nation autochtone distincte.
Le sénateur Stratton: Si l'on doit examiner l'impact du projet de loi C-6, entre autres, on ne devrait pas entendre deux témoins qui viennent appuyer la position du gouvernement et ensuite déposer une motion visant à faire rapport. Nous avons une liste de 17 témoins qui pourraient comparaître devant le comité. Nous n'avons pas encore entendu un seul témoignage d'un représentant de l'autre partie. C'est notre devoir de le faire. Si nous devons examiner ce projet de loi, comme le Sénat le fait bien, nous devons faire exactement cela, entendre l'autre partie. C'est certainement pour cela que nous sommes ici. Pourquoi nous dépêcher? On nous a donné jusqu'au 7 octobre pour faire rapport. Est-ce qu'on est en train de sauter dans le vide? Pourquoi agissons-nous ainsi? Nous ne faisons pas notre travail si nous n'entendons pas d'autres témoins.
Le sénateur Carney: Je m'oppose à cette déclaration, cher collègue. J'ai le droit de déposer cette motion, et le sénateur Austin a le droit d'appuyer cette motion et de la discuter. Vous avez fait vos commentaires, et je ne pense pas que vous devriez dire quoi que ce soit de nature à discréditer une motion présentée par un collègue.
Le sénateur Austin: Honorables sénateurs, je tiens à préciser la raison pour laquelle j'ai appuyé la motion du sénateur Carney. Nous avons entendu trois témoins et chacun d'eux nous a dit ce que nous savons déjà, c'est-à-dire que l'arrêt Powley n'a rien à voir avec le projet de loi C-6.
On nous a demandé d'examiner le lien entre le projet de loi C-6 et la décision de la Cour suprême dans l'affaire Powley. La preuve est on ne peut plus claire: il n'y a pas de lien entre les deux. Nous le savons tous. Nous savons tous que l'on nous a renvoyé le projet de loi pour définir cette question et cette seule question.
Le Sénat a autre chose à faire. Les membres de ce comité ont d'autre travail à faire. Je suis tout à fait sympathique à la cause du peuple métis. Je faisais partie du comité mixte qui a déterminé que le peuple métis est un peuple autochtone. J'étais tout à fait d'accord avec ce comité. Je suis tout à fait d'accord avec l'évolution de la définition de peuple métis et des droits de ce peuple. Cependant, ce n'est pas l'endroit où avoir ce dialogue.
Je pense que le sénateur Carney a fait une très bonne suggestion en demandant à l'interlocuteur de nous préciser la conception du gouvernement sur le statut du peuple métis. Ce n'est pas à nous, au comité, de le faire en regard du projet de loi C-6.
Avec le plus grand respect que je dois à tous mes collègues, toutes les questions du projet de loi C-6, que ce soit la limite ou les niveaux d'indemnisation ou les consultations, ont été soigneusement étudiées par le comité. Aucun de ces enjeux n'a été renvoyé à notre comité pour examen plus détaillé. Le moment approprié pour le faire est lors de la troisième lecture. Si les sénateurs ont des amendements à faire en troisième lecture, c'est à ce moment-là que nous devrions débattre du projet de loi C-6.
Le projet de loi C-6 ne doit pas être à nouveau renvoyé au comité. Par conséquent, je crois que le sénateur Carney a tout à fait raison de déposer son amendement et pour ces raisons, je l'appuie.
[Français]
Le sénateur Gill: Madame la présidente, le sénateur Austin dit qu'il est satisfait des argumentations et des commentaires qu'il a reçus jusqu'à maintenant. J'aimerais lui donner certaines informations.
Il y a quelques centaines de revendications particulières au pays: environ quinze ou seize sont des revendications particulières de l'Ontario. Je voudrais qu'on nie cette chose si ce n'est pas vrai. Le gouvernement de l'Ontario est impliqué dans les négociations d'environ une douzaine de ces revendications particulières. Pouvez-vous me contredire là-dessus?
Au Québec, la plupart des revendications particulières ont lieu sur des territoires municipaux ou provinciaux, pas dans les réserves, comme vous l'avez mentionné, pas dans des territoires réservés.
Ce sont des réclamations particulières que les gens font parce qu'ils pensent que les territoires leur appartiennent et leur ont toujours appartenu. Je peux vous apporter des preuves, si vous en voulez.
Maintenant on dit que tout est réglé. On peut passer à l'action pour le projet de loi C-6. Avez-vous entendu ces commentaires? Savez-vous combien il y a de revendications particulières dans lesquelles les provinces sont impliquées? Savez-vous combien il y a de revendications particulières dans lesquelles il y a un chevauchement au Québec et ailleurs au pays? Si tout est réglé, alors vous devez savoir ces informations aussi. J'imagine que le ministère des Affaires indiennes a la réponse. Les sénateurs à cette table ont-ils cette information? Si tout est réglé, nous devons tout savoir à ce sujet.
[Traduction]
La présidente: Madame Stewart, aimeriez-vous répondre?
Mme Stewart: Oui, merci. En fait, il y a quelques négociations sur des revendications particulières qui impliquent les provinces. Par exemple, la négociation des règlements concernant les droits ancestraux dans les Prairies a nécessité la participation d'un gouvernement provincial. Ce n'est pas de cette façon que la plupart des revendications sont abordées. En fait, au Québec et ailleurs au pays, lorsque les revendications portent sur les terres, ces terres ne font pas toujours partie d'une réserve. En fait, nombre des revendications spécifiques aux terres portent sur les terres qui, autrefois, faisaient partie des réserves. Les Premières nations estiment qu'elles n'auraient pas dû perdre ces terres. Presque par définition, cela renvoie aux terres qui ne font pas actuellement partie des réserves mais qui en avaient déjà fait partie. La revendication dénonce la procédure juridique inappropriée utilisée pour soustraire des terres à des réserves.
Sénateur, vous avez tout à fait raison. Nombre des revendications au Québec — et ailleurs, ce n'est pas exclusivement au Québec — concernent des terres qui ne font pas partie des réserves actuellement mais qui en ont déjà fait partie. Le cœur même de la revendication est la façon de voir comment le changement s'est opéré.
[Français]
Le sénateur Gill: Je peux conclure, madame, que même si le jugement sur les Métis, concerne les Métis et ne concerne pas les droits aboriginaux. Nous pouvons dire que dans le cas des Indiens, c'est la même chose. La chasse et la pêche se trouvent souvent sur des territoires, normalement des territoires de juridiction provinciale, et vous avez à transiger avec la province ou la municipalité. Comment pouvez-vous dire que le jugement sur les Métis n'a pas d'incidence sur la revendication particulière actuelle? Vous ne le savez pas. Pourquoi ne pourrait-on pas avoir des témoins qui nous diraient, d'une façon certaine, que le jugement n'a pas d'incidence, à cause des juridictions, de l'histoire et ce qui concerne actuellement les Indiens?
Les provinces réclament des juridictions. Je suis un Indien, je vais à l'école, je suis sous la juridiction provinciale; je suis un Indien, donc je suis sous la juridiction fédérale. Vous savez, d'ailleurs, qu'il y a toujours chevauchement de juridictions. Il y a des bureaux aux Affaires indiennes qui s'en occupent.
[Traduction]
M. Winogron: Sénateur Gill, je crois que la question de la participation provinciale est que la majorité des revendications actuelles ne nécessitent pas la participation de la province, mais il est clair que le projet de loi C-6 prévoit la participation d'un gouvernement provincial si nécessaire et si la province accepte. C'est prévu dans le processus. Ce n'est pas que les provinces ne peuvent pas participer. Ça, c'est le premier point.
Deuxièmement, la raison pour laquelle l'arrêt Powley n'a pas de répercussions sur ce projet de loi est en grande partie une question de définition. L'arrêt Powley porte sur un droit ancestral. C'est la nature du droit qui est en cause. Par définition, ce projet de loi exclut spécifiquement une revendication fondée sur ce type de droit. C'est pourquoi nous croyons que l'on peut dire que l'arrêt n'a aucune répercussion.
Les honorables sénateurs se souviendront peut-être que j'étais avocat pour le gouvernement du Canada et membre du groupe de travail mixte lorsque nous avons discuté de ce projet de loi pendant plusieurs années. Dans nos discussions, nous avons examiné le type de revendications qui devraient être examinées par ce nouvel organisme. Il a été convenu très tôt que les revendications fondées sur les titres et les droits ancestraux ne devraient pas être confiées à cet organisme.
Tous les participants au groupe de travail mixte ont reconnu qu'en raison de la nature de ces revendications, en raison des efforts extraordinaires que cela nécessite pour établir ce qu'est un droit ancestral — et nous avions alors en tête la décision Delgamuukw qui comptait quelque 60 000 pages de transcription au niveau de la première instance — et en raison des dimensions de ce genre de cause, il était assez facile de convenir à ce moment-là que cet organisme ne devrait pas examiner ce genre de revendication. Nous avons un arriéré et un registre de ces revendications particulières. Si nous devions y ajouter les nouvelles causes, le processus ne serait pas efficace. Nous avons pu nous entendre dès le départ pour dire que ce n'est pas le genre de revendication que cet organisme en particulier devrait examiner.
Le sénateur Tkachuk: Je ne suis pas d'accord sur quelques points qui ont été soulevés par l'auteure de la motion et la personne qui l'a appuyée. Il est évident que le Sénat pensait que l'on s'interrogeait sur les ramifications de la récente décision politique concernant le projet de loi C-6 parce qu'on nous a demandé de l'examiner. Ce ne serait pas normal que le comité convoque deux témoins du ministère et prenne ensuite une décision. En tant que sénateur et membre de ce comité, je ne suis pas à l'aise de faire rapport à la Chambre pour dire que nous avons étudié la question, que nous avons fait ce qu'on nous a demandé, que nous avons entendu trois représentants du gouvernement et que nous avons terminé notre travail.
Madame la présidente, je ne sais pas si vous le savez, mais à 10 h 30, l'opposition a été convoquée à une réunion spéciale du caucus. Il nous sera donc difficile de poursuivre le débat et j'aimerais que nous étudiions cette question lors de la prochaine réunion. Je propose l'ajournement de la présente réunion.
La présidente: Nous avons déjà une motion en cours.
Le sénateur Tkachuk: Il n'y a pas de débat sur une motion d'ajournement — on vote et on s'en va. Je demande que nous examinions cette question lorsque nous pourrons tous être présents.
Le sénateur Austin: J'aimerais faire un rappel au Règlement. Nous avons un témoin qui est venu ici pour cette réunion. Je n'étais pas au courant de l'ordre du jour à 10 h 30 aujourd'hui. Sinon, j'aurais fait le nécessaire. Je me demande si une personne de l'opposition pourrait rester pour entendre le témoignage de M. Chartrand?
Le sénateur Tkachuk: La motion d'ajournement n'est pas une motion discutable.
La présidente: Quelqu'un s'y oppose-t-il? Honorables sénateurs, êtes-vous d'accord pour que nous nous ajournions?
Des voix: Oui.
La présidente: Ceux qui sont pour? Contre?
La motion est adoptée, avec mes excuses à M. Chartrand.
La séance est levée.