Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 21 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 1er octobre 2003
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, auquel a été renvoyé le projet de loi C-6, Loi constituant le Centre canadien du règlement indépendant des revendications particulières des Premières nations en vue de permettre le dépôt, la négociation et le règlement des revendications particulières, et modifiant certaines lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 18 h 22 pour en faire l'examen.
Le sénateur Thelma J. Chalifoux (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, ce soir nous allons poursuivre l'examen du projet de loi C-6 et de toutes les conséquences que peut avoir sur lui la décision de la Cour suprême dans l'affaire R. c. Powley.
J'aimerais rappeler aux honorables sénateurs les termes de la motion adoptée par le Sénat: Que le projet de loi tel qu'il a été modifié ne soit pas maintenant lu pour une troisième fois, mais qu'il soit de nouveau renvoyé au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones afin que celui-ci étudie les répercussions de la récente décision de la Cour suprême reconnaissant au peuple métis le statut de nation autochtone distincte.
Nous avons été saisis de cette question et de cette question seulement. Avant de donner la parole à nos témoins, je voudrais mentionner un événement qui s'est passé lors de la séance d'hier.
Après avoir écouté deux témoignages, l'honorable sénateur Carney a proposé une motion visant à renvoyer de nouveau le projet de loi au Sénat sans amendement. En sa qualité de membre de notre comité, elle a pleinement le droit de proposer une telle motion. Toutefois, durant le débat sur sa motion, une autre motion portant que le comité s'ajourne a été adoptée, mettant ainsi fin au débat. N'importe quel membre du comité est libre de présenter de nouveau une telle motion. Cela dit, nous avons prévu la comparution de témoins supplémentaires sur cette question, je recommanderais que nous réservions notre jugement jusqu'à la fin des audiences de tous les témoins, mardi matin prochain.
J'invite maintenant notre prochain témoin, le professeur Chartrand, à présenter son exposé.
M. Larry Chartrand, professeur, Faculté de droit, Université d'Ottawa: Honorables sénateurs, mon exposé porte sur l'impact de la décision rendue dans l'affaire Powley sur le projet de loi C-6. J'étais ici hier et je sais donc que les honorables sénateurs sont bien renseignés sur cette affaire. Je ne parlerai pas des conclusions de la Cour dans cette affaire mais seulement de l'incidence de cette décision sur le projet de loi.
À première vue, la cause Powley n'a pas d'impact direct sur le projet de loi C-6. Un autre témoin l'a mentionné. L'affaire Powley porte en effet sur la question des droits ancestraux, tandis que le projet de loi C-6 porte, lui, sur les revendications particulières et exclut expressément la question des droits ancestraux.
À mon avis, la décision rendue dans l'affaire Powley a des répercussion indirectes considérables sur le projet de loi C-6 et, à n'en pas douter, sur toute initiative du gouvernement de nature politique ou législative faisant d'importantes distinctions entre les communautés indiennes et métis.
On peut affirmer à juste titre qu'il s'agit de la plus importante affaire judiciaire pour les Métis depuis le procès de Louis Riel; et elle revêt une dimension capitale aux yeux du peuple métis.
L'arrêt Powley est déterminante dans la mesure où il reconnaît que les peuples métis forment des communautés autochtones distinctes qui méritent le même respect et qui possèdent des droits juridiques et constitutionnels équivalents à ceux des peuples indiens.
Dans une décision unanime, phénomène qui se produit rarement et qui témoigne du soutien indéfectible des juges, la Cour suprême du Canada a déclaré dans des termes très clairs, à l'article 38, qu'elle reconnaissait aux Métis «leur pleine qualité de peuple distinct titulaire de droits et dont les pratiques, qui font partie intégrante de leur culture, bénéficient de la protection constitutionnelle prévue par le paragraphe 35(1)».
D'ailleurs, la cour a déclaré que leurs propres communautés définissent leurs statuts et leurs droits. Et toute théorie qui suggère qu'ils doivent retracer leurs droits à travers leurs ancêtres indiens a été expressément rejetée. Les droits des Autochtones tiennent pas eux-mêmes en faisant partie intégrante de la Constitution.
Le soutien unanime de la Cour envers les droits des Métis influera sans aucun doute sur les initiatives politiques et législatives du gouvernement. Premièrement, la caractérisation catégorique des Métis comme l'un des trois peuples autochtones canadiens titulaires de droits attirera probablement l'attention générale sur le gouvernement et obligera celui-ci à justifier les différences de traitement observées dans la législation et les politiques entre les trois types de peuples autochtones.
Dans ce sens, l'affaire Powley aura un grand retentissement sur la jurisprudence du droit à l'égalité. Ce qui, en retour, aura un impact sur des initiatives telles le projet de loi C-6 ou toute autre mesure créant des distinctions entre les peuples autochtones.
Le gouvernement n'aura maintenant plus la possibilité d'invoquer comme excuse — comme il l'a toujours fait — le flou et les incertitudes entourant le statut constitutionnel et les droits des Métis pour ne pas les inclure pas dans les politiques et les programmes fédéraux.
Le brouillard s'est maintenant dissipé. Tout est désormais très clair grâce à la décision Powley. Le gouvernement ne peut plus ignorer la réalité des Métis. En raison de ce soutien clair et unanime en faveur des droits et du statut des Métis, le gouvernement aura beaucoup de mal à les exclure des programmes et des services gouvernementaux destinés aux Indiens et aux Inuit.
Les règlements fédéraux sur la pêche, par exemple, qui empêchent les communautés métisses d'accéder aux ressources halieutiques au même niveau et au même degré que les bandes indiennes risquent d'être perçus comme des interférences injustifiées dans les droits ancestraux légitimes de certaines communautés métisses.
Parallèlement, l'exclusion des Métis des services de la Commission des revendications des Indiens prévue dans le projet de loi doit être reconsidérée. En particulier, le sous-alinéa 26(1)a)(i) du projet de loi permet aux Premières nations, définies comme «communautés de bandes indiennes» de renvoyer les revendications fondées sur la violation ou l'inexécution d'une violation en droit, notamment une obligation fiduciaire liée à la fourniture d'une terre ou de tout autre élément d'actif. C'est une base importante pouvant permettre à une bande d'obtenir un redressement en vertu du projet de loi.
Ces obligations qui sont sujettes à des mesures de réparation de la Couronne, découlent de leur statut de peuple autochtone et de gouvernements indépendants et autonomes, et non du fait qu'ils sont Indiens en vertu du paragraphe 91(24). Il n'y a rien de fondamentalement indien dans les obligations énoncées dans cette disposition. Les Métis ont été et continuent d'être capables de négocier des ententes et des traités, tout comme leurs homologues et cousins indiens. Le fait qu'ils aient eu et qu'ils continuent d'avoir des droits ancestraux dignes d'être négociés est clairement établi par l'affaire Powley.
Je vous donne un exemple d'une revendication de Métis qui entrerait dans la définition du sous-alinéa 26(1)a)(i). Les Métis ont négocié la Loi du Manitoba avec le Canada pour l'adhésion du Manitoba à la Confédération. Certains juges ont qualifié cela de traité entre les Métis et le Canada.
C'est un exemple dans lequel la revendication répond aux critères énoncés dans l'article 26, mais bien parce que le groupe de requérants est composé de Métis et non d'Indiens. L'accès est refusé simplement parce que le groupe de requérants est métis même si, à tous autres égards, il répond aux critères énoncés dans la disposition 26(1). Je ne sais pas si les honorables sénateurs peuvent imaginer un cas plus évident de comportement discriminatoire dans le cadre d'une disposition d'exclusion.
De plus, une telle exclusion est également en contradiction avec le rapport même du Sénat intitulé Forger de nouvelles relations et adopté par tous les sénateurs en 2000. En particulier, le Sénat a recommandé la création d'une nouvelle loi ayant un large cadre législatif propre à orienter les Canadiens pour la négociation et la mise en oeuvre des relations prévues dans les traités et autres ententes conclus avec les peuples autochtones. Le rapport indique, tout particulièrement à la page 25, et il est important de citer ici:
Le Comité propose que la nouvelle loi prévoie ce qui suit [...] la reconnaissance par le gouvernement de l'engagement à participer à divers processus pour instaurer et mettre en place des relations avec tous les peuples autochtones du Canada. Cela pourrait viser la mise en oeuvre, le renouvellement et la négociation de traités et ententes, ainsi que de mécanismes pour l'exercice du droit inhérent à l'autonomie gouvernementale, dans le cadre d'un traité ou autrement. La loi devrait préciser que tous les peuples autochtones du Canada auraient également accès à ces mécanismes ou processus, qui pourraient être assez souples pour répondre aux différents besoins, aspirations et préférences des Autochtones.
L'accent était mis sur «tous» dans le rapport initial.
Bien que le Bureau recommandé par le Sénat dans son rapport sur l'autonomie gouvernementale soit plus ouvert et davantage tourné vers l'avenir que le mandat de la Commission des revendications des Indiens, et que la Loi sur les réclamations des Indiens reste, somme toute, repliée sur elle-même et rétrograde, en termes de réparation des injustices du passé — le principe est le même, à savoir que tous les peuples autochtones devraient être inclus dans de tels mécanismes. Si ces derniers sont conçus pour évaluer les injustices du passé, dont les Métis ont souffert autant que les communautés indiennes, il ne devrait pas y avoir de distinction. Il en va de la justice et de l'équité. L'exclusion des Métis des services de la Commission des revendications des Indiens est irrationnelle et discriminatoire. Elle l'a toujours été. L'affaire Powley rend cette injustice encore plus flagrante.
C'était là mon point de vue sur la question. Je recommanderais au comité d'amender le projet de loi C-6 pour inclure les communautés métisses afin que les inégalités disparaissent avant l'adoption du projet de loi, plutôt que d'attendre que la communauté métisse ne conteste son côté discriminatoire devant les tribunaux.
Je répondrai volontiers à vos questions.
Le sénateur Beaudoin: Il est vrai que l'affaire Powley, qui est très importante — j'en conviens —, n'a pas de répercussions directes sur le projet de loi, mais le fait est que les Métis disposent maintenant d'un statut nouvellement reconnu. Je reconnais que le système que nous discutons ce soir n'est pas exactement le même que celui de l'affaire Powley.
Toutefois, et certains sénateurs ont souvent soulevé ce point, nous avons une responsabilité fiduciaire à respecter. Nous devons protéger les peuples autochtones. Nous devons être généreux envers eux. S'il y a un doute, on doit décider en leur faveur. Nous devons interpréter la loi de cette façon si nous avons une responsabilité fiduciaire, et nous le faisons.
J'aimerais savoir ce que vous proposez. Êtes-vous en faveur d'un amendement pour exprimer cela plus clairement dans la loi? La responsabilité fiduciaire est inscrite partout dans nos lois. Partout dans les décisions de la Cour suprême. Elle est constitutionnelle. Nous n'avons pas le droit de l'oublier. Que proposez-vous?
M. Chartrand: Il existe deux options. La première est de modifier la Commission des revendications des Indiens afin de permettre aux communautés métisses de présenter des revendications spécifiques. Je ne dis pas qu'il faut élargir le mandat de la Commission des revendications des Indiens au-delà des revendications spécifiques pour inclure les droits ou le titre autochtones nécessairement. C'est là un sujet de réflexion, et une institution de ce genre serait plus conforme aux recommandations du Sénat dans son rapport de 2000.
Nous pourrions l'amender pour y inclure les communautés métisses — et ainsi changer la définition de «Premières nations» de façon à englober expressément les communautés métisses — et, bien sûr, réfléchir au risque de le faire. L'autre option est d'aller de l'avant avec le projet de loi tel qu'il est et d'attendre qu'une communauté métisse conteste son inconstitutionnalité devant les tribunaux parce qu'il fait une discrimination entre deux peuples qui se trouvent dans une situation semblable.
Les honorables sénateurs verront que l'alinéa 26(1)a) ne contient rien d'unique pour le peuple indien. Il y a eu des préjudices commis à l'égard des Métis qui constitueraient des revendications types. Il existe d'autres exemples que la Loi du Manitoba. Vous allez devoir peser les deux options.
L'esprit de Powley et la reconnaissance du statut distinct et égal des peuples métis devraient jouer en faveur de l'amendement. C'est l'approche que le Parlement devrait suivre dans toutes les initiatives de ce genre.
Le sénateur Beaudoin: C'est pourquoi nous devrions prendre l'initiative. Pourquoi laisser cela aux peuples autochtones? Il leur en coûterait beaucoup d'argent et de temps.
Si nous pouvons prposer un amendement qui donnerait plus d'effet, suite à l'affaire Powley, à notre responsabilité fiduciaire, pourquoi ne pas le faire?
J'ai toujours maintenu que les tribunaux avaient trop de pouvoir. C'est ainsi parce que nous n'accomplissons pas notre devoir. Voilà un cas où nous devrions peut-être prendre l'initiative. Où est le risque? Je n'en vois pas.
M. Chartrand: Le risque est vraiment minime. Tout d'abord, il n'y a pas beaucoup de revendications particulières de Métis. Il y en a probablement quelques-unes, et certaines d'entre elles seraient probablement exclues pour d'autres raisons. Toutefois, il y a un principe en jeu. Il faut faire comprendre qu'il ne convient plus, en ce millénaire, de faire des distinctions arbitraires en fonction d'une définition d'Autochtone imposée par le gouvernement. Il faudrait que la loi de dernier ressort soit la Constitution, non pas la Loi sur les Indiens. Les Métis représentent un des trois peuples égaux du pays et ils devraient être reconnus comme tels dans des initiatives de ce genre.
Le sénateur Beaudoin: L'affaire Powley est une affaire constitutionnelle, ne l'oubliez pas. Elle fait maintenant partie de la Constitution. C'est comme si elle y avait été inscrite.
M. Chartrand: C'est juste.
Le sénateur St. Germain: Souhaitez-vous voir cette modification figurer au début du projet de loi, où on peut lire:
Loi constituant le Centre canadien du règlement indépendant des revendications particulières des Premières nations en vue de permettre le dépôt, la négociation et le règlement des revendications particulières, et modifiant certaines lois en conséquence.
Aimeriez-vous y ajouter les mots «et des Métis»?
M. Chartrand: Ce serait logique, mais je n'ai pas décidé du meilleur endroit où l'inscrire.
Le sénateur St. Germain: Avez-vous un cas particulier à l'esprit en ce qui concerne l'impact sur les droits des Métis, autre que ce que vous avez dit au sujet de la loi du Manitoba ou de la décision rendue par le juge Sullivan dans l'affaire Dumont? Ce n'est pas une question piégée.
M. Chartrand: Il y a en Ontario quelques revendicateurs qui ont signé des traités en tant que collectivités métisses, non pas en tant que collectivités indiennes. Il y a aussi la question du polygone de tir aérien en Saskatchewan et en Alberta, où les collectivités indiennes ont été indemnisées pour la perte de territoires de chasse. Les Métis ont eux aussi été indemnisés, mais à un niveau beaucoup plus bas. On pourrait décrire cela comme une revendication particulière. Il faudrait que j'examine la question de plus près pour voir si cela conviendrait. Ce pourrait être un autre exemple.
Je ne puis affirmer qu'il n'y en aurait pas d'autres. Pour pouvoir le faire, il faudrait effectuer des recherches historiques.
Le sénateur Austin: Monsieur Chartrand, je vous remercie de votre mémoire dont les questions et les idées m'intriguent. L'arrêt Powley représente une nette progression des intérêts des Métis et il s'appuie surtout sur l'article 35. J'ai deux questions que connaissent bien les avocats à vous poser. La première est un point de droit et l'autre, une question d'orientation. Les arguments que vous faites valoir dans votre mémoire concernent, je crois, l'orientation. Il n'y a pas d'argument juridique, sauf celui que vous soutenez. Si j'ai bien compris, l'obligation fiduciaire à l'égard des Métis a peut-être été soulevée parce que le projet de loi C-6, en ne visant que les revendications des Indiens, est discriminatoire à l'égard des exclus. Comme vous le savez, c'est là un argument général que peut présenter n'importe quand une collectivité au sujet d'une loi. Les lois peuvent s'appliquer à différentes collectivités de différentes façons et à des moments différents. Par conséquent, je vous dirais que, sur le plan du droit, il serait difficile de soutenir que c'est une forme de discrimination à l'égard d'une collectivité. Voilà un projet de loi en faveur d'une certaine collectivité et, de par sa nature même, il n'a pas pour objet de faire de la discrimination.
Sur le plan de l'orientation, l'affaire est des plus intéressante. Ce qui fait défaut ici, c'est la position des organismes métis reconnus et la position de la collectivité autochtone, qui est directement touchée par le projet de loi C-6. Pourtant, le projet de loi est conçu pour faire avancer les revendications d'une collectivité en particulier au Canada. Nous pourrions créer un tribunal du travail, et d'aucuns affirmeraient que c'est de la discrimination, ou encore un tribunal du mariage, et il s'en trouverait pour dire que leurs intérêts ne sont pas inclus.
Pourrions-nous nous mettre d'accord pour dire que le débat sur le projet de loi C-6 et les droits métis gravitent autour de ce qui n'est pas dans la loi plutôt que de ce qui s'y trouve? Si nous pouvions nous entendre là-dessus, je crois que notre comité se montrerait disposé, comme vous l'avez entendu à notre dernière réunion, à recommander au gouvernement de faire un examen rapide et pressant des droits métis, particulièrement dans l'optique de l'arrêt Powley. Cela exigerait, et j'aimerais que vous en parliez, un dialogue sérieux et soutenu — un examen poussé — et le dégagement d'un consensus au sein de la collectivité métisse quant à ce qu'elle souhaite obtenir en termes de droits inchoatifs. Vous contesterez peut-être, mais je ne crois pas qu'il faille tout arrêter jusqu'à ce que soit réglé le problème des droits métis dont vous avez parlé.
M. Chartrand: Voilà une bonne question. Je suis certes d'accord pour dire qu'il existe sur le plan de l'orientation de bons arguments reposant sur des principes fondamentaux de justice et d'équité. Je n'ai pas eu le temps de faire une analyse juridique détaillée de la jurisprudence en ce qui concerne l'égalité des droits et la manière dont elle toucherait le projet de loi à l'étude.
Je sais par contre, d'après certaines des grandes causes comme Lovelace, qu'il y a de bonnes chances, sur le plan juridique, pour que le projet de loi à l'étude soit jugé inconstitutionnel. L'affaire Lovelace concerne une entente sur les recettes de casino aux termes de laquelle seules les bandes indiennes de plein droit en touchaient alors que les collectives métisses et les collectivités non inscrites n'y avaient pas droit. Les collectivités métisses ont perdu cette cause, et l'une des plus importantes raisons fut que l'arrangement initial ressemblait à un accord entre particuliers, en ce sens qu'il n'avait pas le statut d'un programme national. Quand vous comparez cela à l'affaire qui nous occupe, vous vous rendez compte qu'il s'agit davantage d'un programme national parce qu'il n'est pas loin des moyens pris pour résoudre des questions d'envergure nationale. De plus, la caractérisation est différente.
Je dirais qu'à première vue, en raison de la façon dont cette affaire s'applique, il pourrait encore y avoir de bonnes raisons juridiques de juger discriminatoire le projet de loi à l'étude.
Le sénateur Austin: J'aimerais réagir à ce que vous venez de dire. La nature du projet de loi C-6 est de mettre en place un processus de négociation — de prévoir dans la loi les institutions qui participeraient à la négociation. Cela ne change pas les droits de qui que ce soit. Cela n'a aucun impact sur les droits d'une collectivité autochtone. Le texte dit simplement que vous avez le choix des moyens, tout comme les Métis. Rien n'est interdit, mais on prévoit un autre processus auquel vous avez le choix de recourir. Vous pourriez demander à faire partie d'un processus de négociation dans lequel on obtient un certain résultat, mais aucun droit n'est créé de sorte qu'il ne peut y avoir de discrimination en matière de droits.
M. Chartrand: ... sauf pour ce qui est du droit à l'égalité.
Le sénateur Austin: Toutes les collectivités revendiquent le droit à l'égalité. Par exemple, je suis exclu du processus si j'ai un droit légal; je ne peux pas me joindre à cette collectivité. Les Inuits sont exclus du processus parce qu'ils ont en place d'autres arrangements. Les Métis voudront ou ne voudront peut-être pas, après avoir examiné la question de près, avoir leur propre loi. Pourquoi voudriez-vous faire la queue avec 650 autres revendicateurs quand vous pouvez avoir votre propre loi? C'est une question d'administration pour la collectivité métisse. Voilà ce que j'essaie de faire comprendre.
M. Chartrand: Ce serait magnifique s'il existait une autre voie pour traiter plus particulièrement des dossiers métis. Pour l'instant, la seule alternative est le processus judiciaire. Les collectivités métisses ont toujours été désavantagées sur le plan financier. Entamer des poursuites revient presque à ne pas avoir du tout accès à la justice en raison de l'ampleur des coûts.
Le sénateur Austin: Madame la présidente, je vais mettre fin à ce débat. La distinction, selon moi, réside dans les arguments que vous avancez au sujet de l'orientation — ce qui devrait être — et ce que vous faites valoir dans la loi. Il semble que nous ne soyons pas d'accord, car je ne vois pas en quoi l'État a l'obligation fiduciaire, l'obligation constitutionnelle d'ajouter les Métis au projet de loi particulier à l'étude. Le gouvernement a choisi d'édicter une loi à l'égard d'une collectivité particulière. Il le fait constamment. Cela ne signifie pas, sur le plan juridique, qu'une autre collectivité a le droit d'être incluse. Sur le plan de l'orientation, on pourrait soutenir que cette autre collectivité y a également droit. Je l'accepte. Je le reconnais.
Le sénateur St. Germain: J'aimerais poser une question supplémentaire en vue de préciser ce qu'a dit le sénateur Austin. Vous dites que la loi est discriminatoire à l'égard de ceux qu'elle n'inclut pas et vous vous citez vous-même en exemple, sénateur Austin. L'essentiel, c'est que l'arrêt Powley classe clairement les Métis, pour ce qui est de certains avantages inscrits dans la Constitution, comme vient de le faire remarquer le sénateur Watt, sur le même pied que les Premières nations. Je ne crois pas qu'il s'agisse d'une comparaison valable quand vous dites que votre peuple n'est pas inclus. L'arrêt change clairement la façon dont on voit les Métis et dont on les traite. Je n'irai pas jusqu'à dire que votre évaluation était juste, mais je crois qu'elle a beaucoup de plus de poids légal que vous ne le croyez. Je suis peut-être en train de défendre une position par simple intérêt personnel.
Le sénateur Austin: Je sais que vous aimeriez que cela ait plus de poids sur le plan légal. L'objet de ma comparaison est, par exemple...
Le sénateur Gill: Madame la présidente.
Le sénateur Austin: La question m'était adressée.
Le sénateur St. Germain: Pour obtenir des précisions.
Le sénateur Gill: Il s'agit tout de même d'audiences.
Le sénateur Austin: Il m'a demandé des précisions. Je crois avoir le droit de répondre quand on me pose une question directement, à moins que vous ne souhaitiez pas entendre ma réponse.
La présidente: Silence, s'il vous plaît!
Le sénateur Gill: Êtes-vous toujours en train de parler?
La présidente: Le sénateur Austin peut répondre à la question, après quoi ce sera au tour de M. Chartrand.
Le sénateur Austin: Ce que j'essaie de faire comprendre, c'est que le fait que des droits soient définis pour un groupe ne signifie pas, sur le plan juridique, que tous les autres groupes jouissent des mêmes droits. Par exemple, nous avons avec les Inuits des arrangements d'une toute autre nature que ceux que nous avons avec les Indiens de plein droit. Nous avons pris des arrangements différents selon les groupes d'Indiens de plein droit, selon qu'ils se trouvent dans des provinces ou au nord du 60e parallèle. Rien ne leur permet de prétendre comme groupe qu'ils ont plus ou moins de droits qu'un autre. Le Parlement a accordé des droits aux Nisga'as. Cela ne donne pas à toutes les autres collectivités autochtones le droit de prétendre aux mêmes droits. Les Nisga'as les ont obtenus par voie de négociation.
Je ne comprends pas l'argument, mais je vais tenter avec plaisir de dissiper la confusion dans laquelle se trouve le sénateur St. Germain.
M. Chartrand: Je vais tenter de rendre la question encore plus nébuleuse. Un des points auxquels s'attardera le tribunal pour savoir si une loi est discriminatoire est l'avantage qu'elle procure. Le projet de loi à l'étude ne confère pas d'avantages concrets aux bandes indiennes. Elles n'ont pas besoin de se présenter devant les tribunaux. Elles disposent d'un autre processus qui, aux termes du projet de loi comme tel, doit obligatoirement tenir compte des différences culturelles. C'est là un avantage. Selon l'article 15, qui porte sur l'égalité, des peuples qui se trouvent dans une situation analogue et qui estiment être exclus d'un avantage pour des raisons discriminatoires peuvent présenter une revendication.
Il faudrait essayer de déterminer si c'est vraiment discriminatoire, si la distinction est justifiée. J'ai fait valoir quelques exemples de situations où des collectivités métisses satisferaient aux exigences du paragraphe 26(1) et pourraient donc présenter une revendication. Pourtant, elles sont exclues actuellement simplement du fait qu'elles sont métisses. Cela illustre, à première vue, l'aspect discriminatoire du projet de loi puisqu'il refuse un avantage à un peuple se trouvant dans une situation analogue qui a eu des contacts avec l'État, tout comme les peuples indiens, pour faire reconnaître son autonomie et son statut en tant que peuple autochtone et sa capacité, par conséquent, de conclure des traités et des accords avec la Couronne d'égal à égal.
Les similitudes entre les peuples métis et les peuples indiens existent. Pourtant, on refuse aux Métis un avantage qu'ont les Indiens. C'est là une des grandes considérations dont s'est servi le tribunal pour prouver qu'il y avait discrimination valable. L'autre est, naturellement, de savoir si on peut affirmer que la dignité des Métis est affectée par l'exclusion. Les collectivités métisses individuelles perdent-elles de leur dignité? Les Métis semblent-ils moins méritants en tant que personnes et en tant que collectivités? Il faut que la cour se pose la question et qu'elle y réponde. Du fait qu'ils sont exclus, les Métis seront-ils perçus comme étant moins dignes et comme étant des êtres humains inférieurs? On pourrait dire qu'effectivement, c'est le cas parce que la loi renforce les exclusions du passé. Cela s'est toujours fait au détriment des collectivités métisses. Pourquoi croyez-vous que les Métis ont poussé l'affaire Powley avec autant de vigueur, en dépit de leur manque de ressources?
Le sénateur Andreychuk: Monsieur Chartrand, si j'ai bien compris, vous ne faites pas un exposé sur l'orientation. Vous faites plutôt valoir un point juridique en ce qui concerne la discrimination. Ai-je raison de conclure, de ces propos, que la Constitution reconnaît les peuples autochtones et inclut ensuite trois sous-groupes, soit les Inuits, les Premières nations et les Métis? Les Inuits étaient ou n'étaient peut-être pas satisfaits de certains processus — je ne me lancerai pas dans ce débat —, mais au moins ils sont allés devant les tribunaux. C'était un processus connu, et ils pouvaient l'évaluer tout comme leur dignité, comme vous l'appelez, et ainsi de suite.
Vous affirmez que par le passé les Métis n'ont pas été inclus, qu'ils ont été systématiquement exclus. Le projet de loi C-6 parle de Premières nations, puis survient l'arrêt Powley qui dispose catégoriquement que les Métis jouissent de certains des mêmes droits que les Premières Nations. Par conséquent, le projet de loi C-6 en sera peut-être touché. Fait plus important, les Métis peuvent être touchés par cette décision parce qu'il n'existe actuellement pas de politique claire qui précise ce qu'est le processus analogue prévu dans le projet de loi C-6 pour les Métis.
Si nous stoppions le cheminement du projet de loi C-6 et introduisions une politique à l'égard des Métis, votre argument selon moi perdrait du poids. Toutefois, c'est un argument convaincant parce que rien d'analogue n'est prévu pour les Métis, que je sache. Est-ce bien ce que vous tentez de faire valoir?
M. Chartrand: Oui.
Le sénateur Andreychuk: Par ailleurs, vous avez fait remarquer que le processus pourrait facilement être perçu comme étant discriminatoire parce que la teneur du projet de loi correspond à ce dont pourraient avoir besoin les Métis parfois. Toutefois, le gouvernement et le Parlement, qui ont la responsabilité de traiter sur un pied d'égalité les peuples qui relèvent de cette catégorie d'Autochtones, ne le feront pas. Est-ce bien ce que vous dites?
M. Chartrand: Oui.
Le sénateur Andreychuk: La question n'est pas de savoir si moi, le sénateur Austin ou d'autres en ont tiré profit, mais de savoir que la Constitution reconnaît l'égalité des trois groupes autochtones et que, malgré tout, on donne accès au processus à un groupe et on le refuse à un autre.
M. Chartrand: Vous avez bien compris.
Le sénateur Austin: La Constitution les reconnaît comme une collectivité autochtone ayant des droits ancestraux. Elle ne dit pas qu'il s'agit de collectivités égales.
Le sénateur Andreychuk: Je ne veux pas me lancer dans un débat avec vous. Toutefois, puisque vous avez posé la question, je vais y répondre.
La présidente: Veuillez vous adresser à la présidence quand vous souhaitez prendre la parole.
Le sénateur Austin: Je m'excuse de vous avoir interrompue. Les avocats aiment argumenter — toujours.
Le sénateur Andreychuk: Nous n'argumentons jamais. Nous débattons.
La présidente: Je vous rappelle que nous avons un témoin.
Le sénateur Andreychuk: L'essentiel à retenir, ce n'est pas qu'ils sont égaux en ce sens, mais que l'obligation fiduciaire vaut à l'égard des trois. Voilà où se situe l'égalité. Si vous prenez des mesures à l'égard de l'une, il faut en prendre à l'égard des autres, à moins qu'il n'y ait une raison valable de faire une distinction. Vous affirmez, dans le cas qui nous occupe, que vous ne voyez pas, à première vue, de raison d'établir une distinction entre les deux groupes?
M. Chartrand: Pas à première vue, non.
Le sénateur Andreychuk: J'ai utilisé une expression juridique: «à première vue».
Le sénateur Carney: La question que je pose au témoin s'ajoute à certains des points soulevés par le sénateur Austin, le sénateur Andreychuk et d'autres, et elle vient du fait que la Constitution identifie les trois groupes: les Inuits, les Indiens et les Métis.
Vous recommandez que notre comité modifie le projet de loi C-6 de manière à y inclure les collectivités métisses. Êtes-vous également en train de proposer qu'il soit modifié de manière à inclure les Inuits? Pourquoi ne le proposeriez- vous pas? Si vous soutenez qu'il faut les traiter également, pourquoi ne réclamez-vous pas l'inclusion des Inuits?
M. Chartrand: Je n'ai pas eu l'occasion de réfléchir au sujet de la position des Inuits quand j'ai préparé mon exposé et je connais mieux les droits métis parce qu'il s'agit de mon champ de spécialité. Je n'ai rien à dire pour ou contre les Inuits et leur position à cet égard parce que je ne l'ai pas étudiée d'assez près.
Je me sens suffisamment à l'aise avec la question des Métis pour donner mon avis juridique de chercheur universitaire. Je ne représente ni le Ralliement national des Métis, ni des organismes métis. Ils ont peut-être, à toutes fins utiles et pour des motifs politiques, une position différente. Il s'agit simplement d'un examen du droit dans le domaine des droits ancestraux, des droits à l'égalité et de leur impact.
Le sénateur Carney: Je souligne que votre argument selon lequel l'exclusion des Métis est discriminatoire pourrait également s'appliquer à l'exclusion des Inuits, dont certains sont venus témoigner ici dans un autre contexte et ont affirmé qu'ils souhaitaient avoir leurs propres institutions et ne pas être assimilés aux Premières nations.
Pourquoi laisseriez-vous entendre que les Métis souhaitent être inclus dans les Premières nations quand certains d'entre nous proposent qu'ils aient leur propre processus?
M. Chartrand: S'il y avait un litige, une collectivité métisse pourrait probablement présenter une revendication et soutenir que la loi est discriminatoire pour ces motifs. Il y a un problème d'un point de vue juridique, mais aussi d'un point de vue plus pratique, en ce sens qu'il existe déjà une bureaucratie, de l'appui et des ressources au sein de la Commission sur les revendications particulières des Indiens. Quel motif pourrait avoir le gouvernement de créer une bureaucratie distincte à l'intention des Métis, puis une autre à l'intention des Inuits, quand la distinction établie ici n'est pas fondée sur des différences culturelles? Nous parlons de peuples autochtones autonomes qui avaient le droit et la capacité de négocier des accords, et il n'y a pas de différence entre les trois groupes à cet égard. Je reconnais qu'une institution de ce genre devrait être consciente des différences culturelles qui existent entre les trois groupes. C'est important, mais en ce qui concerne les rapports entre l'État et les peuples autochtones, à ce niveau-là, il n'y a pas de distinction.
Le sénateur Carney: Je n'arrive pas à comprendre, d'après vos propos, pourquoi vous recommandez au comité de modifier le projet de loi C-6 de manière à inclure les collectivités métisses pour mettre fin à l'inégalité avant l'entrée en vigueur du projet de loi si, en fait, comme vous dites, vous ne parlez pas au nom de la collectivité métisse et que vous ignorez si votre argument tient à l'égard du troisième groupe autochtone. Je ne comprends pas vraiment comment vous pouvez en venir à une pareille conclusion, mais je n'irai pas plus loin.
Vous êtes libre de commenter, mais j'ignore pourquoi vous adoptez une position et non pas l'autre quand vous parlez d'égalité.
[Français]
Le sénateur Gill: Ma question est reliée aux questions qui vous ont été posées concernant les droit des Premières nations ou les droit des Métis. C'est une question très simple. S'il n'y avait pas eu de droits spécifiques pour les Premières nations, j'aimerais savoir si une formule comme celle-là aurait été mise en place?
J'aurai d'autres questions ensuite. On semble vouloir dire que le projet de loi C-6 n'est pas fait pour discuter des droits, pour accepter ou pour reconnaître des droits. J'ai cru comprendre cela lors de l'intervention du sénateur Austin. Comme cela ne touche pas les droits, si je paraphrase, les Métis n'ont pas de raison de se plaindre parce que les droits ne sont pas compromis.
Par contre, si à un moment donné une formule comme celle-là existe pour les Premières nations — et disons que cela ne touche pas les droits — et que vous n'y avez pas accès comme les Premières nations, ce n'est pas égal. C'est une question qui est réservée aux Premières nations, mais pas à vous. Vous dites donc à ce moment qu'il y a discrimination, peu importe si cela touche les droits ou non. Est-ce que c'est cela?
[Traduction]
M. Chartrand: Oui, tout à fait. Même si vous dites qu'il n'y a pas de droit en jeu comme tel, il subsiste tout de même une certaine forme de discrimination.
L'exemple évident d'une situation où il y aurait discrimination est le fait que le projet de loi à l'étude ne comporte pas de délai de prescription. Si vous optez pour la Commission sur les revendications particulières des Indiens, vous n'avez pas à vous inquiéter de délais de prescription.
Cependant, si les Métis ont une revendication analogue, ils doivent aller devant les tribunaux, où s'appliquent des délais de prescription. Ils doivent le faire parce que c'est la loi.
Voilà un exemple précis où le projet de loi prévoit un traitement différent.
[Français]
Le sénateur Gill: J'aurais une autre question, monsieur Chartrand, qui est un peu dans le même ordre.
En fait, la décision dans l'arrêt Powley a été rendue après que le projet de loi C-6 ait circulé ou ait été présenté. Est-ce que vous avez eu la chance de lire le projet de loi C-6 comme tel? Avant ou après la décision, peu importe.
Avez-vous eu la chance de le regarder, en y mettant un peu de temps? Je voulais vous poser une question sur le projet de loi.
[Traduction]
M. Chartrand: Je l'ai examiné jusqu'à un certain point. Je l'ai feuilleté avant l'arrêt Powley. Je sais qu'on y a apporté depuis lors quelques changements, mais j'estime en connaître suffisamment la teneur. Je l'ai relu il y a quelques jours. Je pourrais peut-être vous être utile. Je n'en sais rien.
[Français]
Le sénateur Gill: Vous savez qu'il y a un plafond financier, un «cap» comme on dit. Vous savez qu'il n'y a pas de limite de temps pour le ministre de recevoir les réclamations particulières. Le ministre peut répondre ou ne pas répondre. Vous seriez satisfait avec des formules comme celles-là?
[Traduction]
M. Chartrand: Il faut supposer que les ministres sont des personnes responsables et qu'ils ne retarderont pas arbitrairement le règlement. Je ne me suis pas arrêté à cet aspect particulier, mais je le trouve tout de même préoccupant.
La limite fixée est étrange et la manière dont on calcule les montants est franchement bizarre. Je n'ai pas encore vraiment compris cet aspect, sauf que plus vous présentez la revendication tard dans l'exercice, plus vous êtes désavantagé quant au montant que vous recevrez. Déjà, à elle seule, cette disposition laisse présager de graves problèmes.
Le sénateur Beaudoin: Je suis impressionné par l'argument portant sur la discrimination et l'égalité. Ce qui est certes égal, selon moi, c'est l'obligation fiduciaire. Elle s'applique à tous les groupes et elle devrait s'appliquer également.
Je suis d'accord pour dire qu'il faut que les Métis fassent reconnaître leur existence. C'est à eux qu'il appartient d'en faire la preuve et il faut qu'ils soient alliés à une collectivité. Par conséquent, je conviens qu'ils ne relèvent pas de la même catégorie que les Premières nations et les Inuits en ce sens. Par contre, le degré d'obligation fiduciaire qui s'applique à eux est le même qu'aux deux autres groupes.
Je constate qu'au bout de six ans, il est trop tard. Ce n'est pas une loi très juste. J'ignore qui l'affirme. Il existe des délais de prescription dans la loi. Si vous voulez faire reconnaître votre droit, vous n'avez pas plus de x années pour le faire. En vertu du Code civil tout comme du common law, il existe ce que nous appelons «des délais de prescription», mais encore, il s'agit d'une question d'égalité.
Une fois qu'on a prouvé ce que l'on avait à prouver et qu'il existe un groupe de Métis, ils ont alors la même voix au chapitre que les autres groupes. Voilà pourquoi l'arrêt Powley est si important. Ce n'est pas le cas de certains autres groupes de peuples autochtones. L'article 35 s'applique également à tous les groupes, et il est question de droits collectifs. Ce ne sont pas des droits individuels, mais bien collectifs. Ils en jouissent en tant que groupe.
Nous avons l'obligation, en tant que pouvoir législatif, de les aider. Nous en avons l'obligation parce que cela coûtera une fortune, qu'il faudra beaucoup de temps et que les Autochtones auront beaucoup de difficultés à y parvenir. Il faudrait les aider.
Si vous avez un amendement à nous proposer qui pourrait aider, je n'hésiterai pas à l'accepter. Ces gens sont ici depuis 10 000 ans. C'est long. Les Métis ne sont ici que depuis 500 ans, ce qui est très peu sur le plan historique.
C'est donc en ce sens que je suis d'accord avec le sénateur Austin qu'il n'y a pas d'égalité pure, mais que l'égalité découle d'origines différentes. Nous ne faisons pas de la discrimination. Nous reconnaissons les faits. Cependant, pour atteindre l'objectif, il faut s'acquitter de son obligation fiduciaire de manière égale. C'est là un point important, et votre amendement pourrait être bon.
La présidente: J'aimerais apporter une petite correction à ce qu'a dit le sénateur Beaudoin. Les Métis ne relèvent pas de la même catégorie que les Premières nations parce qu'ils ne sont pas considérés par le gouvernement de l'heure comme étant visés par le paragraphe 91(24) de la Loi de l'Amérique du Nord britannique. Les dirigeants métis se battent et négocient depuis 1982 pour obtenir leur inclusion, mais ils n'y sont pas encore parvenus.
Le sénateur Beaudoin: Le processus de leur inclusion est en cours. Dès qu'ils auront fait reconnaître leur collectivité, ils seront visés par le paragraphe 91(24). Si ce n'est pas le cas, qu'ils fassent immédiatement appel aux tribunaux. Ils auront gain de cause.
La présidente: Les dirigeants métis sont actuellement devant les tribunaux à cette fin et le sont depuis 1982. Il est donc très important d'en tenir compte également.
Le sénateur Beaudoin: Ils auront gain de cause.
La présidente: Je l'espère. L'affaire a débuté il y a 16 ans et elle est toujours devant les tribunaux.
Le sénateur Beaudoin: C'est que quelque chose cloche.
La présidente: En ce qui concerne les Inuits, quatre ou cinq groupes ont conclu des ententes relatives aux revendications territoriales globales dans lesquelles sont créées des institutions. Le seul groupe qui n'a pas encore finalisé d'accord complet est le Labrador Inuit Association.
Voilà l'explication pour les Inuits et pour les Métis. L'affaire est devant les tribunaux depuis 16 ans.
Le sénateur St. Germain: J'aimerais vérifier que j'ai bien compris. Monsieur Chartrand, n'est-ce pas la possibilité d'éventuels conflits dans les revendications qui pourraient découler de la plus récente reconnaissance des droits des Métis aux termes du paragraphe 35(1) qui justifierait en réalité l'inclusion des Métis dans le préambule du projet de loi à l'étude? N'en serait-ce pas là la principale raison? Les revendications particulières ont habituellement trait à des règlements de revendications foncières, là où il pourrait théoriquement y avoir conflit entre les établissements métis et les établissements des Premières nations. J'ignore si les Premières nations ont la priorité. Si tous sont traités sur un même pied, je ne vois pas comment cela pourrait se produire. Toutefois, en cas de conflit, si les Métis étaient mentionnés dans le projet de loi à l'étude, ils ne seraient pas exclus ou ignorés. Le tribunal ou processus qui chercherait à régler avec une Première nation serait obligé de tenir compte de leur position.
M. Chartrand: Oui, j'imagine que ce serait le cas. En fait, il existe de nombreuses situations de chevauchement contradictoire entre les Premières nations, et ce sont elles qui donnent le plus souvent lieu aux revendications particulières.
Le sénateur Austin: J'aimerais clarifier un point avec le professeur Chartrand.
Tout à l'heure vous avez fait une remarque qui a attiré mon attention. Je ne suis pas certain de vous avoir bien compris, mais vous semblez dire que, même si les Métis ont des droits qui découlent de la Constitution, comme vous le croyez, vous ne voudriez pas bloquer l'adoption de ce projet de loi et empêcher ainsi les collectivités qui ont plus de 600 revendications en suspens d'en bénéficier. Est-ce que j'interprète mal vos propos? Si oui, je vous prie de les reformuler.
M. Chartrand: Je ne veux pas empêcher les Premières nations de bénéficier des avantages du projet de loi. On a besoin depuis toujours d'un tribunal indépendant qui aurait un pouvoir véritable et qui ne se contenterait pas de formuler des recommandations. Il y a du bon dans ce projet de loi, mais je sais que les Premières nations y trouvent également certaines lacunes, concernant entre autres le plafond de financement et les indemnités.
Le sénateur Austin: C'est exact.
M. Chartrand: Si ces points de discorde peuvent être réglés, je ne voudrais certainement pas empêcher les Premières nations d'en profiter. Cela donnerait à penser, encore une fois, que les Métis ne valent pas la peine d'être inclus.
Le sénateur Austin: Le sénateur Carney a proposé hier que notre comité recommande au gouvernement d'entreprendre un processus auprès des collectivités métisses pour examiner les accords conclus avec la Couronne. Cette démarche ne semble pas tout à fait satisfaisante pour vous, mais serait-ce un pas dans la bonne direction?
M. Chartrand: Oui. Si votre comité recommande un amendement dans ce sens, il pourrait ensuite entreprendre d'étudier toute la question, ce qui forcerait le gouvernement à prendre la chose au sérieux.
Le sénateur Austin: Je ne comprends pas votre réponse. Permettez-moi de reposer ma question. Votre réponse me plaît dans l'ensemble, mais j'aimerais préciser un point, ce qui vous permettra de clarifier votre position.
Êtes-vous en train de dire que ce projet de loi ne doit pas aller plus loin à moins que nous ne l'amendions pour que les Métis puissent, eux aussi, en profiter des avantages, quels qu'ils soient?
M. Chartrand: Oui, c'est ce que je dis.
Le sénateur Austin: J'ai ma réponse. Merci.
Le sénateur Chaput: Je peux affirmer que chacun de nous souhaite l'égalité et l'équité. Tout le monde est d'accord sur ce principe. Nous avons le projet de loi C-6, qui a été examiné et amendé par le Sénat. Nous savons tous que ce projet de loi est loin de répondre à toutes les demandes des Autochtones. Toutefois, comme certains d'entre eux me l'ont dit, c'est un début et ils sont prêts à travailler avec le gouvernement pour l'améliorer et pour examiner d'autres questions qui seront à l'ordre du jour l'an prochain.
Il est question ici d'ajouter un autre élément au projet de loi qui, de l'avis de certains Autochtones, n'est pas parfait, ne répond pas à toutes les attentes et n'est pas aussi clair qu'on le souhaiterait. Vous voulez qu'on ajoute un autre élément.
Je ne suis pas avocate, mais cela me paraît absurde. Pourquoi ne pas accepter ce que nous avons maintenant et du même coup — puisque nous croyons à l'équité et à l'égalité — entreprendre des démarches auprès des Métis pour voir ce qu'ils veulent et réunir ensuite les deux ou trois parties pour en discuter? Entre-temps, pouvons-nous terminer une chose, en commencer une autre et assembler le tout plus tard? Je ne sais pas. Qu'en pensez-vous?
M. Chartrand: Cela suppose beaucoup de foi.
Le sénateur Chaput: Je n'en ai jamais manqué.
M. Chartrand: Personne ne peut s'y opposer. Ce serait fantastique. J'aimerais bien qu'on entreprenne de telles démarches auprès des Métis pour vraiment tenir compte de leurs besoins. Il faudrait peut-être connaître le point de vue politique du Ralliement national des Métis et d'autres organisations représentatives. Je ne sais pas si certains de leurs membres viendront témoigner devant vous, mais c'est ce que je recommande, en ajoutant que nous ne devons pas aller à l'encontre des représentants politiques métis dans ce dossier. C'est un aspect qu'il faudra éventuellement négocier. Cette démarche se rapproche davantage d'un accommodement entre nations.
Le sénateur Chaput: Monsieur Chartrand, je me demande si vous parlez au nom des Métis aujourd'hui.
M. Chartrand: Non. Je vous parle d'une analyse juridique des répercussions de l'arrêt Powley sur le projet de loi C-6, qui pourrait nous amener à conclure que l'exclusion des Métis du projet de loi est discriminatoire.
Le sénateur Chaput: Avez-vous consulté les Métis?
M. Chartrand: Non. Je n'ai pas eu le temps.
Le sénateur Chaput: Très bien.
[Français]
Le sénateur Gill: Madame la présidente, je serais porté à faire un commentaire suite à une question que je trouve savoureuse. Je trouve cela savoureux parce que la question a très souvent été posée à des groupes Indiens. La réponse a toujours été la même: si nous pouvions avoir la foi qui transporte les montagnes! Mais on n'a pas cette foi.
Il y a tellement eu d'exemples dans le passé où les traités et les promesses n'ont pas été respectés. Je pourrais vous donner des exemples concrets et très récents. Je ne le ferai pas.
M. Chartrand, on entend toutes sortes de choses, ici, sur la Colline. On entend de bonnes choses et de mauvaises choses. On entend souvent, de la part de certaines Premières nations et de la part des Métis que si on ne règle pas cela ici, on va le régler en cour.
Je vous ai entendu dire tantôt que s'il n'y a pas de résultats concrets en ce qui a trait à l'inclusion des Métis dans certains projets de loi que nous sommes à débattre, les Métis vont aller en cour.
Les gens disent toujours que les institutions gouvernementales comme le Sénat existent pour adopter des lois capables d'encadrer de manière juste et équitable les droits de tous les citoyens, sinon, les gens qui se sentent lésés vont devoir poursuivre en justice.
Notre législation doit à tout prix faire en sorte que les citoyens n'aient pas à recourir aux tribunaux pour défendre ces droits. Préférez-vous avoir des lois qui correspondent aux besoins des Métis plutôt que d'aller les revendiquer constamment en cour? Quelle est votre position à ce sujet?
[Traduction]
M. Chartrand: Il est préférable de traiter de ces questions au sein d'un organisme législatif. Un tribunal suppose un contexte conflictuel mettant en présence des antagonistes. On ignore ce que sera le dénouement, tandis qu'au Parlement, des négociations, des discussions et des débats ont lieu avant d'aboutir à un consensus ou à la tenue d'un vote. C'est donc une meilleure tribune et j'espère que la question sera réglée ici, notamment parce que c'est moins coûteux que devant les tribunaux. Je suis tout à fait en faveur de cela.
[Français]
Le sénateur Gill: Au Sénat comme ailleurs, beaucoup de gens vous appuient dans vos revendications. De plus, ils croient qu'une législation bien adaptée serait bénéfique pour tous les citoyens, autant les groupes minoritaires que les Premières nations. Pensez-vous que les poursuites judiciaires améliorent ou au contraire enveniment les relations entre les différents groupes? Parce qu'elles représentent un sérieux problème.
Au plan gouvernemental, c'est notre responsabilité d'améliorer les relations entre les groupes concernés. Cependant, ceux qui sont vraiment conscients de la question savent pertinemment que les relations ne s'améliorent pas, mais plutôt qu'elles s'aggravent. Il y a déjà beaucoup de procès du côté des Premières nations, des Métis et des Inuits. Avez-vous des commentaires à ce sujet?
[Traduction]
M. Chartrand: L'affaire Powley me donnera probablement la possibilité de faire valoir leurs revendications, qui ont été en quelque sorte mises en suspens jusqu'à présent. Toutes sortes de revendications sont en gestation. S'il existe un mécanisme pour atténuer ces conflits, c'est-à-dire si l'on peut créer des institutions visant à faire respecter les droits des Métis, il faut certainement prendre cette orientation.
Le sénateur St. Germain: J'ai un commentaire à ce sujet, qui pourrait aussi faire partie des autres points à l'ordre du jour. Mon commentaire nous concerne, vous et moi, madame la présidente, qui sommes tous deux Métis. J'aimerais proposer, en présence de M. Chartrand, qui se spécialise dans ce domaine, que notre comité sénatorial envisage sérieusement d'étudier l'arrêt Powley et ses répercussions sur tous les Autochtones du pays. Il s'agit tout de même d'une décision de la Cour suprême, sans laquelle ces discussions n'auraient pas lieu. Il faudra se pencher sur une multitude de questions et c'est là où le Sénat peut jouer un rôle intégral. Nous avons ici des gens comme le sénateur Austin, qui deviendra fort probablement le leader du gouvernement au Sénat. Nous aimerions bien le compter parmi nous.
[Français]
Comme nous le disions, il y a des affaires à Saint-Eustache, au Manitoba, et ailleurs qu'on aurait dû régler avant cela.
[Traduction]
Voilà une chose que notre comité devra examiner, de préférence avec notre présidente actuelle. Malgré votre jeune âge, je crois comprendre que certains souhaitent que vous preniez votre retraite. Je propose au comité de considérer sérieusement cet examen et de s'atteler à la tâche.
La présidente: Nous en parlons depuis un certain temps.
Le sénateur Beaudoin: C'est une très bonne idée. Nous pourrions procéder dans le cadre d'une enquête ou en comité.
La présidente: Il est question ici de l'inclusion des Métis. La première affaire portant sur les droits des Métis remonte à 1849, lors du procès de Guillaume Sayer dans la Terre de Rupert, qui est aujourd'hui le Manitoba. En 1850, les Métis de Sault Ste-Marie ont revendiqué leur inclusion dans le Traité Robinson-lac Huron. En 1869, Louis Riel a formé un gouvernement provisoire pour négocier les conditions de l'entrée du Manitoba au Canada. Et la liste continue.
Saviez-vous que ce sont les Métis qui ont commencé le libre-échange de nos fourrures? Nous faisions partie des négociations de libre-échange en 1849. La liste est longue. Il semble que nous avons toujours eu besoin de recourir aux tribunaux. Je tiens à remercier M. Chartrand et lui dire que les questions qui touchent les Métis occupent le premier rang au Sénat.
Nous avons reçu une lettre du Ralliement national des Métis nous indiquant que ses représentants ne sont pas prêts à nous rencontrer.
Le sénateur Gill: Ils ont demandé plus de temps.
La présidente: Oui. J'apprécie la proposition du sénateur St. Germain relative à une enquête par notre comité où le Ralliement national des Métis occuperait une place prépondérante. Merci beaucoup d'avoir comparu devant nous ce soir et d'avoir soulevé toutes ces questions.
La séance est levée.