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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones


Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 23 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 7 octobre 2003

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones auquel a été renvoyé le projet de loi C-6, Loi constituant le Centre canadien du règlement indépendant des revendications particulières des Premières nations en vue de permettre le dépôt, la négociation et le règlement des revendications particulières, et modifiant certaines lois en conséquence, se réunit ce jour à 9 h 04 pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Thelma J. Chalifoux (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Bienvenue, monsieur Hutchins, à cette audience sur le projet de loi C-6. Ce matin, nous allons conclure notre réexamen du projet de loi C-6 et des retombées possibles de l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans R. c. Powley sur le projet de loi.

Je rappelle encore aux sénateurs les termes du sous-amendement à la motion d'amendement qui a été adoptée au Sénat le 25 septembre 2003. Ce sous-amendement se lit en partie comme suit:

[...] mais qu'il soit de nouveau renvoyé au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones afin que celui-ci étudie les répercussions sur le projet de loi C-6 de la récente décision de la Cour suprême reconnaissant au peuple métis le statut de nation autochtone distincte.

C'est de cette unique question que nous sommes saisis. J'invite maintenant notre témoin final, M. Peter Hutchins, à commencer son exposé.

M. Peter W. Hutchins, avocat, Hutchins, Soroka et Dionne: Merci, honorables sénateurs, de cette occasion de m'adresser à vous.

Je dois commencer par quelques divulgations. Je suis ici à l'invitation du comité, une invitation dont je lui suis très reconnaissant. Je ne suis pas là en tant que représentant d'un client, et c'est une impression étrange. Je vais essayer de vous donner mon point de vue sur les répercussions de l'arrêt Powley et sur le projet de loi C-6 en général. Comme vous le savez, je le fais un peu au pied levé puisque je n'ai été contacté qu'en fin de semaine dernière. On m'a en fait invité à comparaître à ce moment-là, mais je n'ai pas pu. Je suis ici aujourd'hui et je ferai de mon mieux dans les circonstances. Je n'ai pas préparé de texte écrit à votre intention, mais si vous pensez que cela peut vous être utile, je pourrais peut-être vous aider après cette réunion. Je me propose de vous présenter quelques remarques d'ordre général sur le sujet et de répondre ensuite à vos questions. Cela me semble la meilleure façon de procéder.

Ce que je dois aussi vous préciser, comme vous pouvez le voir dans mon curriculum vitae, c'est que j'ai passé une bonne partie de ma carrière à représenter les peuples autochtones. J'aborde toutes les situations ou toutes les questions concernant les Autochtones sous cet angle, et je ne m'en cache pas.

Je dois préciser que, pour autant que je m'en souvienne, je n'ai jamais représenté les Métis et que ce n'est pas mon domaine de spécialisation. Je continue cependant à suivre avec beaucoup d'intérêt la jurisprudence de la Cour suprême du Canada. J'ai eu le plaisir de comparaître devant cette cour à maintes reprises. Je faisais justement remarquer récemment au juge Binnie, lorsque nous nous sommes rencontrés à la conférence de l'ABC, que certains jours à la Cour étaient plus faciles que d'autres.

Je suis enchanté de constater que votre comité et le Parlement dans son ensemble font appel aux lumières de la Cour suprême. Les gens qui travaillent sur des questions liées à la Charte s'appuient sur la discussion entre les tribunaux et le Parlement, une discussion indispensable à certains égards. Il faut reconnaître le travail acharné des tribunaux de première instance et des tribunaux d'appel. Il arrive que la Cour suprême formule des orientations dont nous devons tous bien tenir compte. L'arrêt Powley en est un intéressant exemple.

J'aimerais vous dire quelques mots sur mon impression à l'égard du projet de loi C-6. Je ne vais pas entrer dans le détail, sauf si vous le souhaitez. Je n'ai pas l'impression que mon rôle était de faire une critique en profondeur du projet de loi. Je suis sûr que vous avez entendu bien assez de commentaires à ce sujet, et je vais donc m'en tenir à la situation d'ensemble et aux commentaires de la Cour suprême dans l'arrêt Powley ainsi qu'à l'orientation générale de cette cour durant la dernière décennie.

Je suis convaincu que le projet de loi C-6 est une nouvelle tentative de limitation de la compétence et de la responsabilité fédérales à l'égard des peuples autochtones. Autant le dire clairement dès le début. C'est un sujet qui m'intéresse depuis plus de 30 ans en tant que praticien et spécialiste de l'étude de ce domaine juridique. J'ai pris énormément d'intérêt à examiner les actions du gouvernement fédéral concernant sa responsabilité constitutionnelle à l'égard des peuples autochtones — les droits autochtones, les collectivités autochtones. Bien franchement, à mon avis, il existe depuis 1867 un programme unique qui consiste à abolir — à éliminer — cette responsabilité spéciale à l'égard des Indiens fédéraux. Je vous expliquerai de quoi il s'agit dans un moment.

Nous nous sommes rendu compte de ce programme immédiatement après la signature des traités numérotés sur les Prairies et en constatant les modifications constantes apportées à la Loi sur les Indiens. La Loi sur les Indiens représente un effort pour limiter la catégorie de personnes qui sont des Indiens, et il est intéressant que le projet de loi C-6 fasse référence à cette Loi quand il essaie de définir les «Premières nations» dans l'optique de la préparation et de la présentation d'une revendication. À mon avis, on essaie depuis 1867 de mettre fin au statut spécial des peuples autochtones, et cet effort se poursuit encore.

L'une des manifestations flagrantes de ce programme a été le Livre blanc de 1969 sur la politique indienne qui a été promptement rejeté. Toutefois, si vous lisez les textes gouvernementaux de 1969, vous constaterez qu'on avait l'intention et qu'on essayait explicitement de supprimer l'article 91.24 de la Constitution. Tout cela se faisait soi-disant au nom de la libération des peuples autochtones et des droits civils, de l'égalité, tout cela. Mais c'est quelque chose qui était au programme et qui l'est toujours avec le projet de loi C-7, le projet de loi sur la gouvernance des Premières nations, comme les honorables sénateurs l'ont certainement constaté.

Il y a un domaine particulièrement troublant, qui est lié dans une certaine mesure aux revendications et l'est manifestement aux traités, c'est la politique du gouvernement fédéral acclamée par les provinces qui consiste, dans le processus moderne des traités, à ne pas inclure les terres visées à l'article 91.24. Autrement dit, nous allons établir une nouvelle relation entre les Premières nations et la Couronne en laissant de côté les terres visées par l'article 91.24. C'est une vaste question en soi; mais il est clair pour moi que c'est quasiment la dernière manifestation de cet effort pour, sinon modifier la Constitution, du moins vider de sa substance l'article 91.24 à toutes fins utiles. C'est une étape inquiétante dans le processus moderne des traités.

Pour ce qui est du projet de loi C-6 en général, j'y vois la poursuite de l'effort pour domestiquer la relation Couronne-Autochtones. J'y vois un effort pour limiter les relations Couronne-Autochtones, pour les définir de façon unilatérale — c'est la Couronne, le Parlement, qui définit cette relation — et j'y vois une tentative d'écarter les tribunaux du mécanisme de règlement des différends. Au fil des ans, il y a eu des plaintes au sujet des tribunaux — pas des tribunaux eux-mêmes, mais du processus et de sa lenteur.

Le contentieux coûte cher et prend beaucoup de temps, et je ne suis pas là pour vous dire le contraire. Toutefois, je veille depuis quelque temps à encourager les gens auxquels je m'adresse à ne pas critiquer les tribunaux et la procédure — encore une fois ce n'est pas des tribunaux qu'il s'agit, c'est du processus dans lequel sont entraînés les juges. J'encourage donc les gens à aider les tribunaux au lieu de critiquer la procédure et d'y renoncer, pour aider ces tribunaux à mieux faire le travail pour lequel ils sont parfaitement qualifiés et que la société que nous sommes juge depuis longtemps pertinent. Peu importe qu'on parle des cours supérieures des provinces ou de la Cour fédérale du Canada, qui fait énormément de bon travail dans ce domaine. Les tribunaux ont leur place. Je m'inquiète quand je vois suggérer dans ce projet de loi ou ailleurs de mettre de côté les tribunaux ou de remplacer par autre chose le mécanisme de règlement des différends que nous avons, le contentieux.

Cela ne veut pas dire pour autant qu'il ne devrait pas y avoir de processus parallèles. Depuis des années et des années, on parle de commissions des revendications et de processus de revendications, et c'est très bien. Ce qui m'inquiète avec le projet de loi C-6 — et j'entre ici un peu dans le détail — c'est que si je comprends bien, il ne doit pas y avoir d'actions en justice, ou en tout cas s'il y en a, elles doivent être suspendues pour que ce processus puisse être déclenché.

Je considère que les tribunaux ont dit — cela ne date pas d'hier, et nous avons d'ailleurs entendu à ce sujet la Cour suprême à maintes reprises, notamment dans l'arrêt Delgamuukw et, de manière très intéressante dans l'arrêt Powley — que la négociation et le contentieux étaient des processus parallèles et complémentaires. Ils ne rivalisent pas et ils ne s'excluent pas mutuellement. Les tribunaux sont là pour aider au processus de négociation. Ils sont là pour nous expliquer et nous guider en matière de droits et d'obligations et en ce qui concerne notre conduite; ils doivent être disponibles. En tant qu'avocat, en tant que personne ayant agi au nom des peuples autochtones lors de négociations et d'actions en justice, il y a une chose qui est importante pour moi, et qui est à mon avis importante pour le processus, c'est que les parties — et je ne parle pas simplement du côté autochtone de l'équation, je parle des Autochtones ou de la Couronne — puissent demander aux tribunaux de les guider. Autrement dit, les actions en justice ne sont pas nécessairement ajournées, elles peuvent se poursuivre en même temps que les parties continuent d'essayer de négocier ou de parvenir à un règlement — mais les tribunaux sont immédiatement disponibles. Dire qu'il ne doit pas y avoir d'action en justice, ou que l'action en justice doit être ajournée pendant qu'on négocie dans le cadre de ce processus, cela veut dire qu'on n'a peut-être pas la possibilité d'un recours immédiat au juge et aux tribunaux. Sans entrer dans le détail, ce qui m'inquiète ici, c'est que j'ai l'impression encore une fois qu'on essaie d'écarter les tribunaux.

La Couronne a peut-être intérêt à avoir une situation où elle contrôle mieux le processus que les tribunaux, où elle nomme les membres du tribunal et légifère sur le processus, les restrictions, les limites — tout ce qu'on trouve dans le projet de loi C-6. Les tribunaux sont évidemment indépendants et sont parfois dérangeants pour les deux parties. J'avoue franchement qu'il m'arrive d'avoir des jours difficiles au tribunal, et je sais donc très bien qu'on est parfois content et parfois plutôt mécontent de l'opinion qu'ils émettent. Toutefois, c'est comme cela que fonctionne le processus; et c'est pour cela que nous avons un pouvoir judiciaire indépendant qui se prononce en toute impartialité sur ces questions.

Pour moi, le projet de loi C-6 s'inscrit dans la continuité de cet effort pour enfermer les peuples autochtones, leurs revendications et leurs relations dans des boîtes fermées, des boîtes qu'on s'efforce constamment de rapetisser de plus en plus. Aussi bien du point de vue constitutionnel que du point de vue historique, j'estime que c'est une démarche injustifiée.

Que fait l'arrêt Powley? Encore une fois, d'une manière très générale, je crois que cet arrêt affirme le rôle des tribunaux. La Cour suprême dit encore une fois: «Nous avons notre mot à dire sur cette question». Je n'ai pas lu toute l'argumentation qui a été présentée aux tribunaux, mais je suis convaincu que la Couronne a multiplié les arguments pour expliquer pourquoi les peuples métis, ou tel peuple métis particulier, n'étaient pas visés par l'article 35 et ne répondaient pas aux divers critères énoncés par les tribunaux.

L'arrêt Powley vient nous rappeler que les tribunaux sont et peuvent être extrêmement utiles, même dans des questions qui peuvent paraître assez évidentes, par exemple la question de savoir si les Métis sont un peuple autochtone du Canada. Je croyais que la question avait été réglée en 1982 — elle l'a été à l'époque, évidemment: les Métis sont des peuples autochtones comme les «Indiens» et les Inuits en vertu de l'article 35. Toutefois, ce qui s'est passé tout de suite après 1982 — et c'est un peu consternant que cela continue encore en 2003 — c'est qu'il y a eu un débat sur ce que nous avions véritablement fait en promulguant l'article 35.

La Couronne, qui avait ses raisons, a constamment soutenu qu'il ne s'était pas passé grand-chose en 1982, et peut- être même rien du tout, et en fait les premières affaires que nous avons plaidées après 1982 —évidemment, tout l'argument était que l'article 35 n'avait fait que geler la situation à la date de 1982, et que les gens qui avaient des droits ou qui pouvaient exercer des droits en 1982 étaient tranquilles. Ceux dont les droits avaient été affectés, abrogés, pas nécessairement éteints mais réprimés, rendus inopérants, n'avaient pas de chance parce que c'était ce qui avait été reconnu et affirmé à l'article 35.

Un débat s'est immédiatement engagé sur la question de savoir s'il fallait aborder et lire l'article 35 dans une optique minimaliste ou suivre la démarche que la Cour suprême avait élaborée et continue de développer, et dont on trouve peut-être la meilleure expression dans l'introduction de l'arrêt Sparrow où la Cour parle de la promesse de l'article 35. Si je me souviens bien, je crois que la Cour suprême est revenue dans l'arrêt Powley sur cette notion de promesse de l'article 35. L'article 35 était une promesse. C'était, comme l'avait dit la Cour dans l'arrêt Sparrow, non pas une disposition de maintien du cours normal des choses, mais bien plutôt un changement radical dans la façon d'aborder cette relation au Canada.

L'arrêt Powley laisse aussi entendre que l'établissement de traités est une façon d'aborder les droits et la place des Métis au Canada, et je trouve cela très intéressant. Il faut examiner cela soigneusement, mais il y a deux cas. Dans l'un d'eux, la Cour évoque la possibilité que les Métis, les individus métis, aient participé aux traités historiques et que cela ne les prive pas de leurs revendications ou de leur droit à des droits métis actuellement. La Cour conclut son argumentation dans l'arrêt Powley en revenant encore une fois, comme elle l'avait fait dans l'arrêt Delgamuukw et dans bien d'autres, sur l'idée que la meilleure solution ici, c'est la négociation avec l'aide des tribunaux. C'est le leitmotiv qui revient toujours, l'idée que la meilleure façon de régler les problèmes, c'est de négocier, mais quiconque s'est trouvé en situation de négociation avec le gouvernement fédéral ou les provinces sait qu'on a besoin de l'aide de quelqu'un pour faire avancer les choses. Le processus des traités en Colombie-Britannique s'écroule sous son propre poids. Il est complètement paralysé. Les discussions s'éternisent ad nauseam. Les gens font faillite à force de discussions sans fin. J'y ai été mêlé, et je sais de quoi je parle.

Je compare toujours cette situation à l'expérience que nous avons eue en 1975 avec l'Accord de la Baie James. Le sénateur Watt sait très bien de quoi je parle. Le premier traité moderne de l'histoire de notre pays, celui qui demeure le plus important, si je puis dire, a été négocié en deux ans, un an pour l'entente de principe et un pour l'entrée en vigueur du traité. Les Nishgas se sont battus pendant 14 ans en marge du processus de traités de Colombie-Britannique. Le processus des traités en Colombie-Britannique se poursuit depuis plus de 10 ans et il n'y a toujours pas de résultats, donc il y a quelque chose qui cloche. Les négociations peuvent être très utiles et il y a beaucoup à dire en leur faveur; toutefois, malheureusement, vu la façon dont les choses ont évolué au Canada, elles sont devenues un énorme fardeau pour les Premières nations. Elles peuvent coûter beaucoup plus cher et prendre beaucoup plus de temps qu'une action en justice, franchement. Au moins, dans une action en justice, on aboutit à la fin à une solution. Quelqu'un prend une décision. Mais dans ces négociations sans fin, il arrive que personne ne finisse par prendre de décision. J'aimerais revenir sur l'Accord de la Baie James qui est un exemple de ce que l'on peut faire quand on agit en bonne foi et qu'il existe une volonté politique de trouver un règlement.

Ce qui est intéressant aussi à propos de la Baie James, et je ne vais pas m'étendre là-dessus, c'est qu'il s'agit d'un traité qui a été modifié officiellement et en profondeur 16 fois je crois jusqu'à présent. C'est un traité qui s'est révélé très dynamique et souple au fil des ans. Il y a un autre problème avec les négociations, c'est qu'à mon avis les gens ont très peur de prendre cette décision définitive parce qu'ils ont l'impression qu'ils vont signer quelque chose d'immuable, qui ne pourra plus jamais changer, et que c'est malsain. Si c'est le produit d'une négociation, il faudrait que ce soit un instrument dynamique sur lequel les parties auront le sentiment de pouvoir revenir sans problème pour le faire évoluer en travaillant de façon constructive.

Je crois qu'il y a dans l'arrêt Powley un message qui nous dit que le processus des traités et les traités sont pertinents et fonctionnent dans le contexte des Métis et par conséquent, à mon avis, cet arrêt renforce la responsabilité fédérale à l'égard des Métis. Il n'y a toujours pas de décision claire sur la question de savoir si les «Indiens» au sens de l'article 91.24 de la Loi constitutionnelle de 1867 incluent effectivement les Métis. Nous savons que ce sont des peuples autochtones aux fins de l'article 35. Il reste cependant un doute en ce qui concerne l'article 91.24, en tout cas certaines personnes ont un doute. L'arrêt Blais, une décision rendue à peu près à la même époque que l'arrêt Powley, donne matière à réflexion sur la façon dont les tribunaux peuvent aborder la question. En l'occurrence, comme les sénateurs le savent probablement, il s'agissait de savoir si les Métis sont inclus lorsqu'on parle des Indiens dans les accords sur le transfert de ressources naturelles, et la réponse a été négative. L'analyse se fondait sur le contexte historique de l'époque et sur ce que les autorités et les gens de la Compagnie de la Baie d'Hudson entendaient par Indiens dans ce contexte. Donc, ce ne sont pas des Indiens dans l'optique des accords de transfert des ressources naturelles.

Il y a aussi l'arrêt Re Eskimos de 1939 où l'on a procédé au même exercice à propos des Inuits, et où la Cour suprême du Canada a conclu que les Inuits étaient des Indiens aux fins de l'article 91.24. Donc, l'article 91.24 concernait les Indiens et les terres réservées pour les Indiens. Nous savons qu'il s'agit des Indiens, quels qu'ils soient, et des Inuits; nous ne savons pas si ces dispositions s'appliquent aux Métis.

Je soutiens qu'avec l'arrêt Powley, la Cour nous a tracé une orientation et qu'il y a peut-être un peu de tension ici entre l'arrêt Blais et l'arrêt Powley sur cette question, car j'ai l'impression que dans l'arrêt Powley, la Cour a dit: «Écoutez, la Constitution est un instrument dynamique». Lord Sankey, dans l'arrêt Edwards, a dit que la Constitution était un arbre vivant et que nous devions continuer à le nourrir. Nous devons continuer à le faire évoluer avec nous. Je crois que l'arrêt Powley nous rappelle cela, car l'une des difficultés de la question des droits autochtones des Métis consiste à voir comment on peut concilier cela avec les critères établis par la Cour au cours des cinq ou 10 dernières années, notamment dans des affaires comme Van der Peet et Delgamuukw.

Les Premières nations sont confrontées à ces critères, et j'ai beaucoup à dire à leur sujet. Je crois qu'ils sont beaucoup trop contraignants. Les peuples des Premières nations doivent établir que les activités qu'ils plaident devant les tribunaux étaient essentielles et faisaient partie intégrante de leurs cultures distinctes à l'époque du contact. Le contact est le critère des droits autochtones dans Van der Peet, et l'affirmation de la souveraineté est le critère du titre autochtone.

Où se situent les Métis dans tout cela? Je crois que la Cour a fait quelque chose de très intéressant. Elle a ressuscité un critère qu'on trouve en droit international pour la détermination de la souveraineté et qui m'avait toujours paru pertinent depuis le début dans ce contexte, c'est le critère du contrôle effectif. Ce n'est pas la première rencontre des Européens avec le premier Autochtone, en 1603, quand Champlain tombe nez à nez avec le Mohawk, et cela n'a rien à voir avec les revendications grandioses ou les affirmations de souveraineté. C'est quelque chose de bien concret — l'affirmation d'un contrôle effectif.

Dans l'arrêt Powley, la Cour a dit qu'elle avait appliqué le critère de Van der Peet mais en le modifiant et en l'adaptant. Voilà qui est intéressant. Si c'est le cas, je pense que nous allons devoir nous reporter à l'article 91.24 et à l'analyse de cet article pour savoir de qui il parle et l'adapter lui aussi.

L'arrêt Powley nous a peut-être donné une occasion d'être plus créatifs dans l'interprétation de l'article 91.24 que ne l'avait fait l'arrêt Re Eskimos. L'arrêt Blais n'est peut-être qu'un blip sur l'écran, mais la Cour a très clairement dit, comme elle le fait toujours dans ces situations: «Nous examinons un cas unique — nous examinons l'accord sur le transfert des ressources naturelles; nous ne nous prononçons pas sur les autres questions».

Il y a là un message. Si nous pouvons transposer le critère de Van der Peet concernant la situation à l'époque du contact et que nous pouvons dire à l'égard des Métis qu'il ne s'agit pas du contact, que c'est le moment où la Couronne établit un contrôle efficace qui constitue le critère raisonnable, alors je pense que nous pouvons penser à réfléchir de façon créatrice à l'article 91.24.

Je crois que le message de la Cour, c'est que non seulement les Métis sont des Autochtones au sens de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, mais il existe une responsabilité fédérale spéciale à leur égard en vertu de l'article 91.24.

Il y a d'ailleurs d'autres raisons à cela, qui me reviennent en vous en parlant. Je parle de cela parce que si j'examine le projet de loi C-6, comme j'examine d'autres instruments émanant des Affaires indiennes, je dis: où sont les Inuits, où sont les Métis dans ce processus; si nous légiférons pour établir un processus permettant à ces gens de présenter leurs griefs ou de les faire régler par la Couronne fédérale, alors pourquoi ne pas y inclure les deux autres peuples autochtones du Canada?

J'ai honte d'avouer que je n'ai pas suivi ces délibérations. Je ne sais pas ce que les autorités fédérales vous ont dit à propos de l'arrêt Powley ou des raisons pour lesquelles les autres peuples autochtones ne sont pas inclus dans le projet de loi C-6. Je suis sûr qu'il y a une explication au fait qu'ils ne relèvent pas de notre compétence: c'est qu'ils ne sont pas des Indiens au sens de l'article 91.24. Or, je suis ici pour vous dire qu'à mon avis, il existe une argumentation opposée. Je suis convaincu que c'est dans cette direction que la Cour suprême du Canada nous oriente.

Soit dit en passant, à propos de l'article 91.24, la Cour suprême a toujours dit bien avant l'article 35, mais même après, qu'il y avait des raisons à la responsabilité fédérale à l'égard des Indiens visés par la Constitution. Je suis sûr que les membres de ce comité le savent tous. Toutefois, cela remonte à la politique impériale britannique, à la relation initiale de nation à nation, à la Proclamation royale. Il est certain qu'avant 1867, la politique impériale britannique était de garder les affaires autochtones et les questions autochtones à l'écart des gouvernements coloniaux.

Cela s'est traduit en 1867 par la division des pouvoirs des articles 91 et 92. C'est à cela que sert l'article 91.24, à protéger les peuples autochtones par la division des pouvoirs. Nous avons un État fédéral. Une partie du grand rôle du fédéralisme consiste à protéger les citoyens et la population par cette division des pouvoirs. Encore une fois, comment justifier que seuls deux des trois peuples autochtones jouissent de cette protection?

Il existe une justification historique au devoir fédéral à l'égard des peuples autochtones qui s'applique maintenant tout autant au peuple métis compte tenu de l'arrêt Powley. La Cour suprême a dit qu'il fallait aborder la question de manière plus créative. Les arrêts St. Catherine's Milling and Lumber Co. c. la Reine, les premiers arrêts ont clairement établi que ce que ne dictait pas la Constitution du Canada, c'était une démarche au coup par coup en matière d'affaires autochtones dans tout le Canada. Il faut qu'il y ait une continuité. Elle s'accomplit par le biais du gouvernement central, le gouvernement fédéral s'occupant de ces questions au lieu que ce soit chacune des provinces qui en décide.

Dans R. c. Côté, un arrêt de la Cour suprême du Canada du milieu des années 90, et dans Adams, c'est le même raisonnement qui a été appliqué à l'article 35. Le Québec a soutenu en cour, dans les affaires Côté et Adams, que l'article 35 était différent au Québec, qu'il s'y appliquait de façon différente. Ses avocats citaient sa tradition de droit civil et disaient qu'il avait une histoire différente. La Cour suprême a répondu que non, que cet article faisait partie de la Constitution du Canada et qu'il n'était pas question de traiter les droits des Autochtones de façon disparate au Canada.

Ensuite, il y a les tribunaux, l'arrêt Province of Ontario v. Dominion du Canada durant les premières années du XXe siècle et R. c. Howard, une affaire récente que je n'ai pas l'habitude de citer favorablement, mais en l'occurrence c'est important car dans ces affaires, on parle du postulat que l'établissement de traités est une question fédérale. En fin de compte, la division de la Couronne qui établit les traités, c'est la Couronne fédérale et non les provinces. Cette idée a été diluée et, pour des raisons politiques, quelque peu modifiée, notamment en Colombie-Britannique où il y a une procédure tripartite. Je ne suis pas contre la participation de toutes les parties intéressées, mais il n'en demeure pas moins que, constitutionnellement, l'établissement de traités est un pouvoir fédéral.

Ceci m'amène à l'arrêt Powley et au projet de loi C-6, pour dire que si l'établissement de traités est une question d'ordre fédéral et doit impliquer les trois peuples autochtones prévus à l'article 35, le fait d'intervenir dans la relation de traités et de s'occuper des griefs découlant de la relation issue des traités est aussi une question fédérale qui doit aussi faire intervenir les trois peuples autochtones.

Ce sont là quelques points de vue d'ensemble. J'espère que vous comprenez ce que je pense du projet de loi C-6 et en quoi je crois que l'arrêt Powley peut nous avoir été utile.

Je vais vous citer deux passages de la décision Powley à propos des traités, pour le cas où vous voudriez examiner cela. L'article 35 de la décision parle de l'aspect historique de la question. La Cour déclare:

Nous soulignons que la décision des ancêtres d'un Métis de se prévaloir des avantages prévus à un traité n'exclut pas nécessairement la faculté de cette personne de revendiquer des droits reconnus aux Métis.

Voilà pour la question historique.

Ensuite, pour l'aspect contemporain et les perspectives futures de la question, à l'article 50, la Cour déclare:

À long terme, la tenue de négociations ainsi que des décisions judiciaires qui seront rendues sur la question permettront de délimiter plus clairement le droit de chasser des Métis, que nous reconnaissons comme un élément des rapports particuliers qu'entretiennent les Autochtones avec le territoire.

Vers la fin de la décision, la Cour signale que les négociations et les décisions judiciaires demeurent importantes pour le peuple métis. C'est un problème pour le projet de loi C-6. Premièrement, ils ne sont pas en train de négocier, du moins sur des revendications particulières; et deuxièmement, les tribunaux ne semblent pas avoir grand-chose à faire à cet égard conformément au projet de loi C-6.

Je me ferai maintenant un plaisir de répondre à vos questions.

La présidente: Notre comité doit examiner les répercussions de l'arrêt Powley sur le projet de loi C-6. Est-ce que cette décision va influer sur le projet de loi C-6 tel qu'il existe actuellement?

M. Hutchins: Tel qu'il est rédigé, il est difficile à voir. Si vous lisez le projet de loi tel qu'il est rédigé actuellement, il est clair qu'il vise à n'inclure que les soi-disant Premières nations qui sont définies en vertu de la Loi sur les Indiens.

Tel qu'il est rédigé, ce projet de loi a un caractère d'exclusion. Je ne crois pas que quelque chose va se produire automatiquement à cause de l'arrêt Powley. Comme j'ai essayé de vous le montrer, cette décision indique simplement au Parlement qu'il faudrait modifier quelque chose au projet de loi C-6. On pourrait y changer beaucoup de choses, mais notamment l'énoncé des peuples qui ont accès à une prétendue procédure plus libérale est plus facile.

Le sénateur Tkachuk: Pour poursuivre sur cette décision et sur vos commentaires à propos de la décision Powley, le fait est que nous avons eu très peu de temps pour réfléchir à cette décision. Il ne s'agit pas simplement du fait qu'il y a eu cette décision, mais de la vitesse à laquelle nous avançons sans avoir eu le temps d'y réfléchir. En général, les choses se décantent au bout d'un certain temps, et peut-être le projet de loi pourrait-il être modifié.

Il y a aussi la question intéressante du nouveau premier ministre à venir, M. Martin, qui a déclaré qu'il était réticent à ratifier le projet de loi C-7 et le projet de loi C-6. Ensuite, il a fait machine arrière et nous ignorons donc ses intentions. Il y a aussi le manque de clarté de la Cour suprême. Nous ne savons pas exactement ce que veut faire le gouvernement à cause de ce — je ne dirais pas «monstre bicéphale» — disons ce problème bicéphale.

Pensez-vous que ce serait une bonne idée de laisser le projet de loi C-6 en suspens pendant un moment, pour nous donner le temps d'en savoir un peu plus sur les intentions du futur nouveau premier ministre et, naturellement, les intentions de la décision Powley? Pensez-vous que cela pourrait être une démarche utile dans le cas du projet de loi C-6?

M. Hutchins: Sans vouloir me mêler des aspects politiques de la question, je vous répondrai en un mot que oui. Je suis convaincu que le projet de loi C-6 est vicié. Les récentes déclarations de la Cour suprême dans la décision Powley donnent au Parlement une bonne occasion de dire: «Attendez un instant, réfléchissons un peu à la question». Quand on parle d'un projet de loi portant sur les griefs entre les peuples autochtones, quelle que soit la façon dont ils sont définis, et la Couronne, qui découle essentiellement du processus des traités mais aussi d'autres processus tels que le devoir fiduciaire, je ne vois pas comment le Parlement pourrait allégrement continuer à légiférer sur ces questions sans se reporter aux directives de la Cour suprême du Canada.

Il faut voir la dimension temporelle ici. Vous venez de recevoir la décision Powley qui, à mon avis — et je n'ai pas eu beaucoup de temps pour y réfléchir — modifie clairement encore une fois le paysage juridique. C'est l'expression que la Cour a utilisée dans la décision Adams et dans la décision Côté à propos de l'article 35. L'article 35 a modifié le paysage juridique au Canada. Ce paysage est en train de se transformer très rapidement. Le Parlement a tort de s'engager dans un projet de loi dont on a montré qu'il était vicié et qui ne reconnaît pas deux des trois peuples autochtones. C'est un grave problème. Je ne sais pas si vous avez entendu les représentants des peuples inuits, mais ils ont un grief ici. C'est donc l'occasion toute indiquée pour le Parlement de dire: «Réfléchissons un peu plus à la question».

Une fois que ce projet de loi fera partie de nos statuts et que la procédure sera en place, il sera très difficile de le modifier. On peut améliorer un projet de loi mais, d'après mon expérience, il est difficile de modifier une loi, surtout concernant les Autochtones. Nous avons énormément de difficulté à modifier la Loi sur les Indiens. Je crois que la Commission crie-naskapie s'est adressée à vous alors qu'elle essaie depuis des années de modifier sa loi. C'est une loi qui découle d'un traité et qui a résulté d'un traité. Elle a été négociée ligne par ligne par les autorités fédérales et les Cris, mais les Cris ne peuvent pas obtenir la moindre modification à la Loi sur les Cris et les Naskapis.

Imaginez ce qui se passera quand quelqu'un se penchera dans six mois sur le projet de loi C-6 qui aura été adopté pour voir s'il serait possible de l'arranger. Cela ne se fera pas.

Le sénateur Tkachuk: Je n'approuve pas la décision Powley sur les droits de chasse. Quoi qu'il en soit, la Cour a déclaré quelque chose d'important qui peut déboucher sur d'autres choses. Le projet de loi C-6 est axé uniquement sur ce que nous entendons par Indiens, et l'arrêt Powley est un pavé dans la mare. Comme les Indiens et les Métis occupent des territoires mutuels, leurs intérêts se concurrencent. Si l'on prend des décisions concernant les Indiens, il y aura peut- être des Métis qui vont dire: «Attendez un instant, c'est une décision qui nous concerne», qu'il s'agisse d'une terre, d'une zone de chasse ou autre, ils vont commencer à se faire des procès. Autrement dit, les Métis risquent de poursuivre le gouvernement fédéral à cause des décisions qu'il prendra parce que les Métis ne sont pas englobés avec les deux autres. Je ne suis pas trop sûr pour les Inuits car je ne connais pas très bien leur histoire ni l'historique de leurs revendications et je ne vis pas chez eux.

Le projet de loi C-6 va créer ce problème si l'on ne le règle pas avant d'aller plus loin. Je vous demande vos commentaires en tant qu'avocat — ce que je ne suis pas — mais aussi en tant qu'observateur, ce que je suis.

M. Hutchins: Sénateur, vous soulevez un point intéressant qui va droit au coeur de ce qui se passe dans le projet de loi C-6 — c'est-à-dire la question du chevauchement des intérêts dont je discutais tout à l'heure avec le sénateur Watt. Je n'aime pas l'expression «rivalité d'intérêts». Je ne pense pas qu'ils soient en rivalité. Historiquement, les gens vivent ensemble. Ils ont des différences et ils règlent leurs problèmes de différences de diverses façons. Quoi qu'il en soit, historiquement, il y a toujours eu un partage et des chevauchements dans l'utilisation des terres et des ressources de ce pays par les peuples autochtones. Franchement, nous vivons dans un État fédéral avec combien de paliers de gouvernement actuellement?

Le sénateur Tkachuk: Trop.

M. Hutchins: Et pourtant nous nous débrouillons. Nous devrions tout de même bien savoir que divers paliers de gouvernement peuvent coexister et fonctionner avec un certain degré de tension. L'un des plus gros problèmes du processus moderne de traités, c'est justement la question des chevauchements et de l'attitude du gouvernement fédéral face à ces chevauchements. Malheureusement, l'attitude du gouvernement fédéral face à ces chevauchements, que ce soit dans le cas des Nishgas ou d'autres — et la liste est longue — a consisté à sélectionner un peuple en disant: «Nous allons discuter avec eux, conclure un traité et glisser une disposition de non-dérogation pour protéger tous les autres». En fait, c'est de la poudre aux yeux. Ces dispositions de non-dérogation sont totalement vides de sens. Premièrement, si des peuples autochtones voisins ou des peuples qui ont des droits qui se chevauchent jouissent de droits issus de traités ou de droits autochtones en vertu de l'article 35, ils n'ont pas besoin de disposition de non-dérogation pour affirmer que leurs droits ne sont pas éteints. Ce qui se passe, c'est qu'on crée deux catégories de peuples autochtones qui fonctionnent sur le même territoire, les uns avec un traité reconnu par l'État et les autres sans traité, non reconnus, et qui se débattent pour pouvoir exercer leurs droits. Voilà la concurrence que l'on crée.

Vous avez parfaitement raison. Le projet de loi C-6 a pour effet encore une fois d'établir entre les peuples des Premières nations et les Métis une classification ou une hiérarchie de droits et de peuples dont certains sont reconnus et ont la bénédiction du gouvernement fédéral alors que ce n'est pas le cas pour d'autres. C'est un autre problème et une raison de plus de prendre du recul par rapport au projet de loi C-6, de réfléchir non seulement à ses répercussions sur le plan juridique et constitutionnel, mais aussi à ses répercussions sur les populations, la façon dont elles exercent leurs droits, dont elles cohabitent, et de se demander comment on pourrait les encourager à coopérer au lieu de les pousser à se chicaner et à se battre.

Le sénateur Sibbeston: Monsieur Hutchins, quelle expérience avez-vous des affaires concernant les Métis? Je crois que vous vous occupez des questions de la baie James. Les Métis ont une histoire un peu particulière dans notre pays. Dans la région d'où je viens, dans les Territoires du Nord-Ouest, les Métis étaient indépendants et ils ont dans l'ensemble cherché à échapper à tout contrôle ou à toute contrainte du gouvernement fédéral. Leur histoire est très différente dans les Territoires du Nord-Ouest, où on leur a remis un certificat qui ne leur donnait pas droit à des terres mais plutôt à un paiement unique de 240 $ par personne.

Comment envisagez-vous les droits des Métis dans un projet de loi comme le C-6 où il n'est pas question de traités? Les certificats étaient de simples documents d'une page dans lesquels les gens renonçaient à leur titre indien. C'est comme cela qu'ils étaient formulés quand les agents de Sa Majesté sont partis dans le Nord les proposer aux Métis dans les années 20, 30 et 40.

Vous dites que ce projet de loi n'inclut pas les Métis alors qu'il devrait le faire. Comment régleriez-vous cette question? Vous changeriez la définition? Comment devrions-nous aborder la question à votre avis?

M. Hutchins: Honorables sénateurs, comme je l'ai dit au départ, je n'ai pas représenté les Métis pendant mes nombreuses années de pratique. Je ne suis pas venu ici à titre d'expert sur les questions touchant les Métis en particulier, et je n'ai pas la prétention de le faire. Cependant, je vois la situation dans un contexte plus large — dans le continuum des relations Autochtones/Couronne. Il est intéressant d'examiner les éléments communs entre ces peuples autochtones plutôt que leurs différences.

En général, lorsque je présente des commentaires sur un projet de loi avec ou sans clients, nous essayons de faire des suggestions concrètes sur ce qu'il y a à faire. Je n'ai pas eu le temps d'examiner ceci attentivement et de préparer des suggestions valables au sujet des Métis. Je me demandais aussi ce que je pouvais faire et s'il serait possible de changer un article ou deux. Ce n'est pas facile. Manifestement, la définition de «Premières nations» doit être changée. Ce projet de loi porte clairement sur les Premières nations telles que définies, ce qui renvoie à la Loi sur les Indiens. C'est l'un des problèmes.

Le Parlement propose de permettre à certaines personnes précises, qu'il a définies auparavant dans une loi datant d'il y a 130 ans, de bénéficier d'un processus, mais on n'inclut personne d'autre. Il faudrait une refonte majeure non seulement pour les définitions, mais aussi au plan de l'adéquation. Le paragraphe 26(1) du projet de loi est un élément clé parce qu'il définit les revendications admissibles. Quand nous parlons de revendications particulières, nous parlons aussi d'une revendication présentée en vertu de l'article 26, et ceci soulève deux questions. Il y a manifestement une obligation envers les Métis, qu'ils aient été partie prenante ou non. Il y a une obligation fiduciaire. Si ce sont des Autochtones en vertu de l'article 35 de la Loi sur les Indiens, il y a clairement une obligation financière. Cependant, l'énumération commence à rétrécir la définition découlant de l'accord des Premières nations et de la Couronne ou d'un traité. On pourrait certainement être plus large et considérer qu'il s'agit d'une entente avec n'importe lequel des trois peuples autochtones. On peut lire à l'alinéa 26(1)a):

(ii) découlant d'un texte législatif — relatif aux Indiens ou aux terres réservées pour les Indiens — du Canada ou d'une colonie [...]

J'ai eu une petite conversation sur ce que sont les Indiens et quelles sont les terres réservées pour les Indiens. On m'a demandé si l'affaire Powley avait eu un effet immédiat quelconque, et, plus j'examine les choses, plus je pense qu'il y a certaines ouvertures intéressantes. Est-ce que selon l'arrêt Powley, l'expression «les Indiens ou les terres réservées pour les Indiens» pourrait maintenant inclure les Métis? Si on lit plus loin, on voit qu'il s'agit clairement des terres d'une réserve découlant des traités.

L'article 26 est important pour toutes les personnes concernées et comporte une autre limite dans le temps. Il se lit comme suit:

(2) La Première nation ne peut déposer auprès de la Commission une revendication:

a) fondée sur des événements survenus au cours des 15 dernières années;

Pourquoi donc? S'il y a eu manquement à l'obligation fiduciaire la semaine dernière, je ne comprends pas pourquoi il n'y aurait pas de grief et pourquoi on n'aurait pas de recours. Peut-être quelqu'un est-il venu vous expliquer cette disposition. On laisse entendre que la période et la relation contemporaines sont exclues de ce processus. Le paragraphe 26(2) poursuit en ces termes:

b) fondée sur un accord sur des revendications territoriales conclues après le 31 décembre 1973 [...]

C'est une date intéressante car ceci inclut toutes les modifications à la loi, par exemple des ententes sur les revendications territoriales. Je vois ceci comme une tentative de suggérer que le soi-disant «processus contemporain des traités» moderne et la relation contemporaine entre la Couronne et les peuples autochtones sont en quelque sorte différents ou doivent être distingués de la relation «historique».

La Cour suprême du Canada laisse entendre que les traités historiques doivent être interprétés de manière différente des traités modernes, car dans le cas de ces derniers les gens savaient exactement ce qu'ils faisaient et bénéficiaient de l'aide de conseillers compétents. Quiconque a participé à des négociations de traités avec la Couronne ou des Couronnes sait parfaitement bien que les règles du jeu ne sont nullement égales. Les ressources et les possibilités ne sont pas égales. Il est toujours extrêmement difficile d'arracher des concessions sur les traités à la Couronne.

Je ne comprends pas pourquoi on exclut la période moderne de ce processus. Pour revenir à votre question, sénateur, la Cour suprême du Canada vient à peine de commencer à se prononcer sur la place des Métis au plan constitutionnel. Les Métis savent depuis des années, et je pensais que nous le savions, en tout cas depuis 1982, qu'ils font partie des peuples autochtones.

Toutefois, si nous ne faisons pour l'instant que gratter la surface, tout ceci va se développer dans la période moderne. Les Métis ne prendront conscience des possibilités ou des remèdes ou des recours qu'au fur et à mesure de l'évolution de ce processus. Pendant ce temps, le Parlement est en train de dire que rien de ce qui s'est passé depuis 15 ou 20 ans ne pourra être intégré à ce processus. Il y a quelque chose qui ne va pas ici. Il faut manifestement examiner cela du point de vue des Métis.

Le sénateur Chaput: Madame la présidente, je propose:

Qu'il soit fait rapport du projet de loi C-6 au Sénat sans autres amendements, mais avec la recommandation que l'interlocuteur fédéral des Métis et des Indiens non inscrits présente une proposition en vue de statuer législativement sur la décision Powley le plus rapidement possible.

La présidente: Merci. Avant de passer à cette motion, y a-t-il d'autres questions?

Le sénateur Tkachuk: Le sénateur Chaput accepterait-il de reporter la motion pour permettre au sénateur Gill d'intervenir?

La présidente: Êtes-vous d'accord pour reporter la motion et y revenir après la fin des questions aux témoins?

Des voix: D'accord.

[Français]

Le sénateur Gill: Je vous félicite de votre exposé. Il ne diffère pas beaucoup de ceux des témoins que nous avons entendus. La majorité de ces témoins autochtones et non autochtones demandaient l'abolition du projet de loi ou proposaient des amendements majeurs à ce projet de loi. Depuis quelques séances, la discussion tourne uniquement autour des Métis, suite au jugement rendu dans l'affaire Powley.

Je vous explique le contexte. Nous discutions du projet de loi C-6 concernant les revendications particulières des Autochtones. Un amendement en Chambre a proposé que ce projet de loi soit renvoyé au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles. Après ces discussions, nous avons convenu que ce projet de loi serait renvoyé au Comité permanent des affaires autochtones du Sénat. Entre-temps, la Cour suprême a rendu jugement dans l'affaire Powley. Maintenant, on a limité la discussion à cette cause. Vous comprenez que ce jeu politique nous oblige à discuter d'un sujet alors qu'il est beaucoup plus large. Je parle à des gens qui ne sont pas naïfs et je ne le suis pas non plus.

Votre exposé est très lucide. Nous nous connaissons depuis longtemps. Nous avons des cheveux blancs mais cela ne veut pas dire que nous sommes vieux mais que nous avons beaucoup d'expérience. Vous avez parlé de la Baie de James et de l'entente des Naskapi où il y a eu du chevauchement et beaucoup de frustration. Je le sais parce que les Innu, ma nation, étaient impliqués dans ces négociations jusqu'à un certain point. Nous nous sommes chicanés un peu. Mais nous nous chicanons encore plus parce qu'il n'y a pas eu d'entente depuis 1975.

Vous avez mentionné les institutions qui nous permettent de s'amuser et de perdre du temps pour nous empêcher de recourir aux tribunaux. Ma nation n'y a pas eu recours encore et ce, depuis 1975. Je le dis pour informer les sénateurs. On a réussi à nous amuser pendant 28 ans. Cette institution essaie de nous domestiquer pour nous empêcher d'aborder les problèmes réels.

Pourquoi toujours reporter les échéances? Pourquoi ne pas mettre le pied à terre maintenant et dire à ceux qui sont responsables au gouvernement fédéral qu'il est temps de passer aux choses convenables et de discuter avec les Premières nations? Pourquoi ne le faisons-nous pas? Ce n'est pas aujourd'hui! Quand? Demain? Dans un an? Dans six ans? J'aimerais assister à la signature d'une entente avant de mourir. J'étais très jeune lorsque les revendications ont commencé. J'aimerais bien essayer de convaincre mes collègues de l'urgence de signer des ententes avant que je meure.

Ce projet de loi sera adopté enfilé sans doute. Je suis contre. Il est temps de mette le pied à terre et de conclure des ententes convenables avec les Premières nations. Le chef des Premières nations a envoyé une lettre très claire. L'ancien chef national des Premières nations était contre mais on ne pouvait pas lui parler. Le nouveau chef, Phil Fontaine, à qui tout le monde peut parler, nous dit la même chose que l'ancien chef Matthew Coon Come.

De grâce, on vous tend la main. Nous allons nous parler et nous arriverons à conclure des ententes. Tous les chefs autochtones du pays disent la même chose et vous dites la même chose, M. Hutchins, parce que vous avez de l'expérience. Je ne sais pas si on va être entendu.

Si nous manquons le bateau cette fois, pensez-vous que devrions recourir aux tribunaux? Irons-nous toujours en cour? On dit que nous avons 600 revendications, peut-être plus. J'ai été commissaire cinq ans et nous avons étudié 40 revendications au maximum. Le processus bloquait les causes. Il n'y avait pas d'indépendance. Le ministère des Affaires indiennes ne répondait pas. Pensez-vous que le processus va encore bloquer l'engrenage et que nous irons en cour? Nous allons essayer d'arrêter ce processus parce que ce sera une institution qui amusera les gens pendant un certain temps. Il y a des revendications particulières et des revendications globales. D'après vous, pourrons-nous en régler quelques-unes avant de mourir?

M. Hutchins: Il y a plusieurs genres de revendications dont les revendications globales qui ne sont pas touchées par la loi. Les revendications particulières sont touchées par celle-ci.

On m'a invité pour parler plus précisément de l'impact possible de l'arrêt Powley sur le projet de loi C-6. J'ai beaucoup à dire sur le texte du projet de loi. Même avant la décision Powley, j'avais des réticences. Je crois que ce n'est pas un processus idéal.

Il y a beaucoup de problèmes avec le processus. Je suis sûr que les témoins ont identifié tous les problèmes imaginables et possibles de ce projet de loi qui établit un système qui n'est pas tellement utile. Le montant total de 5 millions est minime quand on regarde les revendications. Combien de revendications particulières seront vraiment appropriées pour ce processus?

Il y a toute une activité extérieure à ce projet de loi qui se poursuivra, devant les tribunaux ou dans les processus de négociation. Même si des négociations parallèles au projet loi se poursuivent, le problème de fond concerne la façon de négocier avec les peuples autochtones aujourd'hui.

J'ai comparé la situation à celle qui existait il y a 30 ans lors du conflit de la Baie de James. Je comprends très bien les préoccupations des Innu et celles d'autres nations. Il est intéressant de noter que les parties à la table des négociations voulaient en arriver à un règlement des revendications il y a 30 ans. Mais il n'y avait pas d'encadrement, de règles, de restrictions ni de limites.

Les gens voulaient tout simplement régler le problème. Pour Hydro-Québec, il s'agissait du projet de la Baie de James. Pour M. Robert Bourrassa, il fallait concrétiser le projet. Les Cris et les Inuits voulaient faire reconnaître leurs droits et désiraient avoir leur mot à dire. Il faut dire que les Cris et les Inuits ont été chanceux d'obtenir l'injonction imposée par le courageux juge Malouf. C'est grâce à cette injonction que les gouvernements ont pu en arriver à un règlement. Cet exemple démontre bien que les tribunaux peuvent encourager les parties à négocier.

Est-ce qu'on aura recours aux tribunaux? Je pense que oui. Les représentations vont se poursuivre avec ou sans la loi, puisqu'elle ne servira pas à grand-chose. Si le gouvernement consulte les Premières nations et fait des représentations pour tenter de créer un processus juste et équitable, qu'il le fasse convenablement pour éviter d'en arriver à un processus inutile. Dans cette optique, il est dommage que l'on passe beaucoup de temps à étudier un projet de loi qui ne changera strictement rien.

Le sénateur Gill: En fait, vous dites que vous étudiez la question depuis 30 ans. Le cas de la Baie de James a été apporté devant le juge Malouf. Il a certainement étudié la question intensivement et fait beaucoup de recherches. Je crois qu'avec l'injonction faite au premier ministre du Québec et celle de la Baie de James, le juge Malouf a consacré beaucoup de temps. Le jugement qui a été rendu était favorable.

Le juge Malouf a clairement dit que les Premières nations ont des droits et qu'il faut en arriver à un règlement. L'injonction imposée par le juge a forcé les fonctionnaires à régler les revendications. Croyez-vous qu'aujourd'hui nous avons la formule pour régler ces droits? Nous finirons devant les tribunaux. Vous dites que le projet de loi C-6 comporte beaucoup de faiblesses et qu'on n'arrivera à rien.

À mon avis, la Chambre des commune et le Sénat accordent trop peu de temps à l'étude de la question autochtone. Ce n'est pas beaucoup de temps à comparer aux experts qui ont étudié la question à fond. Comment se fait-il que les juges donnent des jugements favorables? Comment se fait-il que le gouvernement est toujours à couteaux tirés? Que pensez-vous de la dichotomie qui existe entre les tribunaux et les parlementaires qui légifèrent?

M. Hutchins: Vous faites une observation sur le rôle du Parlement et je ne vais pas me prononcer là-dessus. Comme je l'ai dit au départ, il est nécessaire qu'il y ait un dialogue entre les tribunaux et le Parlement. Les tribunaux ont leur mot à dire parce qu'on parle d'une question juridique qui touche aux obligations de la Couronne.

Quel est l'endroit approprié pour demander le règlement des revendications entre la Couronne, le gouvernement et les peuples autochtones? Est-ce devant un tribunal ou une entité créée par le Parlement, de la façon prévue par le Parlement? Est-ce plutôt devant la Cour supérieure, devant la Cour fédérale? On devrait d'abord concentrer les efforts pour faciliter l'accès aux tribunaux et pour rendre le processus un peu plus flexible.

Je me dirige peut-être sur un terrain glissant mais je crois que s'ils veulent vraiment coopérer dans le règlement des revendications, la Couronne et les gouvernements provinciaux devront se conduire convenablement devant les tribunaux. Présentement, de la façon dont sont plaidées les causes devant les tribunaux, c'est la guerre complète et ce n'est pas approprié.

[Traduction]

Je ne pense pas, comme je le disais, qu'il soit approprié d'adopter une loi laissant entendre que les tribunaux sont laissés de côté dans ce très important processus de règlement et de décision sur la relation continue entre la Couronne, les peuples autochtones et les Premières nations. Les tribunaux ont un rôle que j'ai mentionné. Même dans la décision Powley, la Cour l'a encore une fois répété. Il faut qu'il y ait un dialogue entre le Parlement et les tribunaux, il faut qu'il y ait une liberté de mouvement, que les Premières nations et la Couronne puissent évoluer de l'un à l'autre.

Il n'y a rien de mal ni de honteux à intenter un procès. Nous avons des tribunaux et nous avons la chance dans ce pays d'avoir une magistrature compétente et indépendante. Les tribunaux ont leur rôle, de même que les juges. Il n'y a rien de honteux à intenter une procédure judiciaire.

Le problème du contentieux dans ce domaine, c'est que c'est une démarche qui est devenue impossible pour les Autochtones, et pas par la faute des tribunaux. Je tiens des propos controversés ici, mais franchement, dans une certaine mesure, c'est à cause des obstacles mis en place par la Couronne. La Couronne fait traîner indéfiniment les litiges portant sur les droits des Autochtones.

Pourquoi cette procédure coûte-t-elle si cher et prend-elle tellement longtemps que les gens finissent par ne plus en pouvoir? C'est un peu comme la description de la Cour de chancellerie que fait Dickens dans Bleak House, où les contentieux s'éternisent pendant des dizaines d'années. Ce ne sont pas les procédures qui prennent du temps, c'est la façon dont elles sont menées.

Comme je l'ai dit au sénateur Gill, au lieu de consacrer énormément de temps et d'énergie à un projet de loi qui à mon avis ne va guère faire de différence, car il vise peut-être cinq ou 10 p. 100 des griefs possibles contre la Couronne, pourquoi ne pas faire un effort pour essayer de faciliter le contentieux? Pourquoi ne pas dire: Comment pourrions-nous aider les tribunaux à faire leur travail, à aider les parties au litige, la Couronne et les peuples autochtones à avancer dans le recours aux tribunaux? Pourquoi ne pas examiner le régime que nous avons depuis 130 ans pour trouver le moyen de donner aux plaideurs qui ne sont pas du côté du gouvernement des chances égales de se faire entendre?

Cet exercice est un peu de la poudre aux yeux. Il détourne l'attention des grands problèmes et des grandes questions.

[Français]

Le sénateur Gill a raison de dire qu'il y a des revendications globales et des revendications particulières qui ne sont pas incluses dans les 5 millions de dollars. Il y a toujours des questions qui touchent les revendications des terres.

[Traduction]

C'est entièrement une question d'argent. C'est une question d'indemnisation financière. Ce n'est pas ce que les peuples autochtones veulent dans leurs griefs à l'égard de la Couronne, et c'est un problème majeur. Je pourrais continuer en vous décrivant les problèmes techniques.

Mon principal message, en réponse au sénateur Gill, c'est que ce projet de loi est vicié à l'égard des peuples des Premières nations, des Inuits et des Métis. Il est clair qu'il est vicié. Ce n'est pas parce que je suis venu ici vous parler des Métis et de l'arrêt Powley qu'il faut en conclure que j'estime que tout va bien pour les autres Premières nations, les autres peuples autochtones, car ce n'est pas le cas.

Les revendications et les griefs contre la Couronne vont se poursuivre en dehors de cette loi, alors que faisons-nous, et pourquoi y consacrons-nous de tels efforts? Nous devrions envisager l'ensemble de la question, qui consiste à aider l'institution, à améliorer le mécanisme de règlement des différends que nous avons depuis la Confédération. Nous devrions l'aider à faire son travail et aider les peuples autochtones à avoir accès aux tribunaux et à avoir des chances égales de se faire entendre par les tribunaux.

Le sénateur Gill: J'aimerais remercier les gens des Premières nations, les Mohawks, les Cris et les autres de leur intérêt.

La présidente: À votre avis, le projet de loi C-6 a-t-il une incidence sur l'article 91.24 de la Constitution?

M. Hutchins: Non, je ne pense pas. Il est édicté, en partie au moins, je pense, en vertu des pouvoirs de l'article 91.24. Je crois que la question est de savoir ce que dit et ce que signifie maintenant cet article 91.24 après l'arrêt Powley. Ce que je dis, c'est qu'à mon avis il y a de très bonnes raisons juridiques d'affirmer qu'il signifie plus que ce qu'ont bien voulu vous dire les hauts fonctionnaires fédéraux, à cause de cette décision Powley.

Nous avons dû attendre jusqu'à 1939 pour constater que les Inuits étaient inclus dans cet article 91.24. J'ai évoqué la question de l'arrêt Blais, qui pouvait être interprété comme le signe d'un problème. Avec la décision Powley, les tribunaux ont dit que nous devions continuer à traiter la Constitution comme un arbre vivant, à être créatifs et à respecter non seulement la promesse de l'article 35 mais la promesse de l'article 91.24.

Certains d'entre nous se souviennent de l'époque d'avant 1982. Il y avait une vie avant l'article 35 en 1982. Dans le cadre de cette argumentation constitutionnelle, je crois qu'on oublie l'importance de la séparation des pouvoirs. Ce qui me préoccupe, c'est que nous avons tous détourné notre attention vers les droits des Autochtones et la signification de l'article 35 et que nous oublions quel élément de la Couronne est responsable et pourquoi, et le fait que cette Couronne est historiquement responsable depuis des siècles. Nous l'oublions à notre grand péril.

L'arrêt Powley devrait nous renvoyer au sens de l'article 35. Le texte est clair. Nous n'avons pas eu besoin de la Cour suprême pour dire: «Quand l'article 35 parlait des Métis, il voulait parler des Métis». Toutefois, la Cour émet des messages intéressants, dont celui-ci: «Soyons créatifs et souvenons-nous de la promesse de l'article 35 et de l'article 91.24».

La présidente: Je vous remercie pour votre exposé clairvoyant et intéressant. Je remercie aussi les observateurs qui ont manifesté un tel intérêt pour ce projet de loi qui est très important pour l'avenir des nations autochtones et de leurs revendications.

Nous allons maintenant reprendre l'examen de la motion du sénateur Chaput.

Le sénateur Chaput: Madame la présidente, j'ai proposé tout à l'heure qu'il soit fait rapport du projet de loi C-6 au Sénat sans autre amendement, mais en recommandant que l'interlocuteur fédéral des Métis et des Indiens non inscrits présente une proposition en vue de statuer législativement sur la décision Powley le plus rapidement possible.

La présidente: Quelqu'un veut-il intervenir sur cette motion?

Le sénateur Stratton: Si vous le permettez, sénateur Chaput, qu'est-ce que cela signifie?

Le sénateur Chaput: Cela veut dire que nous avons besoin d'obtenir plus d'information de la part de l'interlocuteur à propos des Métis et des Indiens non inscrits avant de pouvoir adopter le projet de loi C-6 tel que modifié.

Le sénateur Tkachuk: Vous voulez dire que nous ne devons pas adopter le projet de loi?

La présidente: Non.

Le sénateur Tkachuk: Laissez-la parler elle-même. C'est elle qui a présenté la motion.

La présidente: Oui, sénateur Tkachuk. Je tiens compte de votre conseil.

Le sénateur Chaput: J'aurais en tout cas besoin de plus d'information sur les Métis et les Indiens non inscrits avant de voter sur ce projet de loi. La décision du Sénat est une autre question. Nous allons tous voter en conscience. Est-ce que cela répond à votre question, sénateur?

La présidente: Le sénateur Chaput vient de répondre à votre question.

Le sénateur Stratton: Sénateur Chaput, nous estimons qu'il est beaucoup trop tôt pour évaluer les répercussions de la récente décision Powley sur le projet de loi C-6. Nous estimons qu'il faudrait laisser s'écouler plus de temps pour permettre aux provinces, aux peuples autochtones et au gouvernement de prendre la pleine mesure de ces répercussions.

Les preuves sont claires. Les témoignages des divers témoins concordent. Ils ne savent pas vraiment ce qu'il en est parce qu'ils n'ont pas eu le temps de prendre la mesure de ces retombées.

Nous estimons qu'il faudrait suspendre ce projet de loi.

Le sénateur Chaput: J'ai dit clairement lors d'une de nos précédentes réunions que, compte tenu de la façon dont le projet de loi C-6 a été modifié, nous ne pouvons pas mélanger les deux. Cela n'avait pas de sens. D'un côté, nous avions le projet de loi C-6 modifié, qui comme nous le savons est loin d'être parfait et pourrait être nettement amélioré, mais qui est un début; et de l'autre, j'ai encore besoin d'en savoir beaucoup plus sur les Métis et les Indiens non inscrits. Je ne peux pas le dire plus clairement à moins de parler en français.

Le sénateur Stratton: Je voulais m'assurer que le sénateur Chaput comprenait notre position et l'effet que la décision Powley aura sur le projet de loi C-6. Nous estimons qu'il faudrait le mettre de côté pendant six mois parce que nous pourrons alors mieux en mesurer l'impact.

Le sénateur Chaput: Si je comprends bien l'honorable sénateur, il dit que nous ne devons pas adopter le projet de loi C-6 tel qu'il a été modifié. Je ne suis pas sûre d'être d'accord, mais soit.

La présidente: Y a-t-il d'autres interventions?

Le sénateur Stratton: Allons-nous faire rapport du projet de loi compte tenu de la motion du sénateur Chaput, de façon à ce que l'opinion minoritaire soit clairement reflétée dans le rapport d'ensemble, et notamment le fait que la minorité estime qu'il faut suspendre le projet de loi pour une période de six mois afin d'avoir assez de temps pour pouvoir évaluer plus correctement les répercussions de la décision Powley sur le projet de loi C-6?

La présidente: La motion dont nous débattons actuellement a pour objet de faire rapport du projet de loi au Sénat sans autre modification, mais en recommandant que l'interlocuteur fédéral pour les Métis et les Indiens non inscrits présente une proposition afin de statuer législativement sur la décision Powley le plus rapidement possible.

Est-ce que vous proposez de modifier cette motion?

Le sénateur Stratton: Je veux m'assurer que le point de vue minoritaire soit clairement mentionné dans le rapport au Sénat.

Le sénateur Gill: Je m'associe à cette motion. Ce n'est pas seulement l'opposition qui l'appuie.

Le sénateur Tkachuk: Je veux m'assurer de bien comprendre l'auteur de cette motion. Il s'agit de faire rapport du projet de loi en demandant à l'interlocuteur fédéral de présenter une loi, des modifications ou son point de vue. Je ne comprends pas très bien. Dans la discussion, elle a dit aussi qu'elle ne voulait pas qu'on vote sur ce projet de loi en attendant. Je veux être sûr de bien comprendre ce qu'elle veut dire. Nous sommes peut-être d'accord sans le savoir.

Le sénateur Chaput: Je veux que les deux questions soient traitées différemment, de façon distincte. D'un côté, nous avons le projet de loi C-6 modifié qui va être renvoyé au Sénat, et je ne recommande pas d'y apporter d'autres modifications pour l'instant. De l'autre, j'ai besoin de plus de précisions de la part de l'interlocuteur fédéral pour les Métis et les Indiens non inscrits. Je dis ces deux choses dans la motion, mais sans les relier. Je ne dis pas qu'il faut bloquer le projet de loi tant que nous n'avons pas eu toutes les autres informations. Je dis qu'il faut faire rapport du projet de loi tel que modifié, mais je veux en savoir plus sur les Indiens non inscrits et les Métis.

La présidente: Y a-t-il d'autres interventions?

Le sénateur Stratton: Avant de voter sur la motion du sénateur Chaput, si j'ai bien compris, elle dit que nous devrions faire rapport de ce projet de loi sans amendement. C'est un premier point. Deuxièmement, elle dit que l'interlocuteur fédéral doit intervenir, examiner la situation et présenter un rapport. Toutefois, l'honorable sénateur ne dit pas que nous ne devons pas faire rapport du projet de loi et le renvoyer au Sénat. Du moins, c'est ce que j'ai cru comprendre.

Si j'ai bien compris le sénateur Chaput, ce qu'elle dit, c'est qu'il faut laisser le Sénat adopter le projet de loi. Je tiens à ce qu'il soit bien inscrit dans le rapport minoritaire joint à notre rapport au Sénat que la minorité estime qu'il faut suspendre le projet de loi pour une période de six mois afin d'avoir assez de recul pour mieux prendre la mesure de l'impact de la décision Powley sur le projet de loi C-6.

La présidente: Merci, sénateur Stratton. Ce commentaire sera inclus sans faute dans les remarques. Quand il sera fait rapport de ce projet de loi au Sénat, ces remarques devront être formulées dans le discours.

Le sénateur Stratton: La majorité va décider qu'il faut faire rapport de ce projet de loi en incluant la motion sur l'interlocuteur fédéral. Je ne saute pas du haut d'une falaise si je n'y suis pas obligé. Je veux que ceci figure à titre de position minoritaire dans le rapport pour que nous puissions en débattre au Sénat. Il faut qu'il y ait un débat plus approfondi sur la question au Sénat. Nous en avons discuté ici. Le gouvernement a une position claire à ce sujet. Nous pensons que la majorité du comité veut procéder de cette façon. Mais nous sommes suffisamment nombreux du côté de la minorité; je pense que nous sommes quatre ou cinq. Je ne vais pas nécessairement réclamer un vote par appel nominal, mais il est clair que les sénateurs de l'Opposition ne sont pas les seuls membres de ce comité à souhaiter que cette recommandation minoritaire soit incluse. Certains sénateurs gouvernementaux sont aussi de cet avis.

La présidente: Tout le monde est-il d'accord avec cela?

Des voix: D'accord.

La présidente: On vient de me donner un conseil. Au Sénat, quand on fait rapport d'un projet de loi sans amendement, nous avons coutume d'annexer les recommandations à titre d'observations. Nous pourrions ainsi refléter le point de vue de tous les membres du comité.

Le sénateur Stratton: Le sénateur Tkachuk a fait remarquer qu'il n'y avait pas eu acceptation unanime du rapport, et il faut donc noter qu'il a été agréé avec dissidence. Si d'autres sénateurs veulent un vote par appel nominal sur l'acceptation de ce rapport, à eux d'en décider.

Sénateur Gill, vous voulez un vote par appel nominal?

[Français]

Le sénateur Gill: Quelle est la différence sur le plan technique entre un vote...

[Traduction]

... par appel nominal. Personnellement, je préférerais un vote. Je connais le résultat.

Le sénateur Stratton: Demandez un vote par appel nominal.

Le sénateur Tkachuk: Je serais d'accord.

La présidente: Nous allons avoir un vote par appel nominal.

M. Adam Thompson, greffier du comité: Sénateur Chaput?

Le sénateur Chaput: D'accord.

M. Thompson: Sénateur Gill?

Le sénateur Gill: Pas d'accord.

M. Thompson: Sénateur Hubley?

Le sénateur Hubley: D'accord.

M. Thompson: Sénateur Léger?

Le sénateur Léger: D'accord.

M. Thompson: Sénateur Pearson?

Le sénateur Pearson: D'accord.

M. Thompson: Sénateur Phalen?

Le sénateur Phalen: D'accord.

M. Thompson: Sénateur Sibbeston?

Le sénateur Sibbeston: Abstention.

M. Thompson: Sénateur Stratton?

Le sénateur Stratton: Pas d'accord.

M. Thompson: Sénateur Tkachuk?

Le sénateur Tkachuk: Pas d'accord.

M. Thompson: Oui: six. Non: trois. Abstentions: une.

La présidente: La motion est adoptée.

Sénateur Stratton, quand nous ferons rapport du projet de loi au Sénat, voulez-vous qu'on inclue un compte rendu exact de ce qui s'est passé aujourd'hui?

Le sénateur Stratton: J'aimerais que les observations de la minorité soient présentées.

La présidente: Merci.

Êtes-vous d'accord pour qu'on prépare ces observations?

Des voix: D'accord.

La séance est levée.


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