Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 14 - Témoignages - 25 mars 2003
OTTAWA, le mardi 25 mars 2003
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 17 h 35 pour étudier l'impact du changement climatique sur l'agriculture, les forêts et les collectivités rurales au Canada ainsi que les stratégies d'adaptation à l'étude axées sur l'industrie primaire, les méthodes, les outils technologiques, les écosystèmes et d'autres éléments s'y rapportant et en faire rapport.
[Traduction]
Mme Keli Hogan, greffière du comité: Honorables sénateurs, en ma qualité de greffière du comité je me dois de vous informer de l'absence du président, retenu ailleurs.
Conformément aux Règlements du Sénat, je vais maintenant présider à l'élection d'un président suppléant. Je suis prête à accepter vos motions de candidature.
Le sénateur LaPierre: Je propose que le sénateur Gustafson prenne le fauteuil.
Mme Hogan: Il est proposé par le sénateur LaPierre que le sénateur Gustafson soit élu président suppléant du comité. Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter la motion?
Des voix: Oui.
Mme Hogan: J'invite le sénateur Gustafson à occuper le fauteuil.
Le sénateur Leonard J. Gustafson (président suppléant) occupe le fauteuil.
Le président suppléant: Honorables sénateurs, nous accueillons aujourd'hui le professeur Robert Mendelsohn de l'École des sciences forestières et environnementales à l'Université Yale. M. Mendelsohn, qui est spécialisé en économie des ressources naturelles, a élaboré plusieurs modèles d'évaluation des effets du changement climatique sur l'agriculture et les forêts.
Nous avons aussi parmi nous John Reilly, directeur adjoint de la recherche, Programmes conjoints en sciences et en politique du changement climatique mondial à l'Institut de technologie du Massachusetts.
Bienvenue parmi nous, messieurs. Je vous en prie vous pouvez commencer, professeur Mendelsohn.
M. Robert Mendelsohn, professeur, Université de Yale: Monsieur le président, je suis honoré par votre invitation.
Je me propose de vous entretenir des effets du changement climatique au Canada. Je pense pouvoir contribuer à vos travaux parce que j'ai réalisé plusieurs études relativement à ces effets sur l'agriculture et les forêts aux États-Unis. Nous avons fait le même genre d'études pour l'agriculture dans d'autres pays dont certains sont aussi méridionaux que le Brésil et l'Inde. De plus, nous avons réalisé une étude sur les forêts dans le monde entier. Bien sûr, le Canada joue un rôle très important sur ce plan.
Nous connaissons relativement bien le Canada, mais tout ce que je vais vous dire sera fondé sur ce qui se passe aux États-Unis, votre voisin du sud.
Nous pensons que le changement climatique aura une triple incidence sur l'agriculture et la foresterie au Canada en modifiant la superficie productive et la productivité. Il y aura aussi des effets sur le reste du monde comme une évolution des prix mondiaux, laquelle constituera d'ailleurs une troisième incidence pour le Canada.
Je me propose de vous parler de ces trois effets sur l'agriculture et la forêt.
Nous nous attendons à ce que le réchauffement entraîne une augmentation de la superficie de terres agricoles au Canada. De plus en plus de terres seront exploitées dans les régions rurales. Sous l'effet du réchauffement, le territoire cultivé sera donc plus important.
Nous en sommes venus à cette conclusion parce qu'à l'occasion des études que nous avons conduites sur différentes régions des États-Unis, nous avons constaté une augmentation de la superficie de terres agricoles dans les régions nord, le long de votre frontière méridionale. Le changement climatique semble y avoir stimulé l'activité agricole. Nous avons toutes les raisons de croire que ce phénomène sera encore plus maqué au Canada.
Nous avons conclu que les relations entre la santé économique de l'agriculture et des forêts, d'une part, et l'élévation de la température moyenne, d'autre part, suit une courbe en cloche. En agriculture, par exemple, nous estimons que les températures optimales — qui correspondent au sommet de la courbe — se situent dans la partie médiane des États- Unis que nous appelons Midwest. Dans le cas des forêts, nous pensons que ce sommet se trouve plutôt sous les tropiques, au sud des États-Unis.
Pour l'instant, cela veut dire que la température est trop froide au Canada; du moins, c'est ainsi qu'on pourrait voir la chose. Vous ne bénéficiez pas d'une température assez clémente. Nous tenons pour avéré que le Canada se situe plutôt dans la partie gauche de la courbe pour les deux secteurs d'activités à l'étude. Grâce au réchauffement planétaire, nous nous attendons à ce que le Canada transite vers le haut de la courbe. Tout le monde ne bénéficiera pas du réchauffement planétaire, mais le Canada oui. Ce sera également vrai pour d'autres pays bordant le pôle Nord.
Nous avons tiré le même constat dans le cas des forêts. Les modèles écologiques donnent à penser qu'il y aura une très nette augmentation de la superficie forestière boréale. Celle-ci s'étendra vers le nord pour remplacer la toundra. Vous constaterez une augmentation très importante de la superficie des forêts au Canada, surtout dans des régions inaccessibles. Cela dit, ces forêts ne seront pas commercialement viables. Nous assisterons donc à l'apparition de vastes étendues fauniques au Canada. La forêt commerciale devrait s'étendre, elle aussi, mais pas autant que la forêt en général. La croissance devrait être la plus forte dans le cas des essences résineuses de l'Est et des essences boréales.
Le changement climatique devrait avoir différents effets sur la productivité. Nous pensons qu'il devrait favoriser une augmentation de la productivité à l'hectare. Nous assisterons forcément une hausse de la productivité sous l'effet de la fertilisation par le carbone, plus précisément de l'augmentation du niveau de dioxyde de carbone qui est bon pour les plantes, les arbres et les cultures.
En revanche, on ne sait pas ce que vont donner les précipitations. Il est difficile, à partir de modèles de changement climatique, d'envisager ce que vont donner les précipitations dans chaque région. On pense que les niveaux de précipitation vont augmenter à la surface de la planète en général, mais on ne sait pas encore exactement à quoi va ressembler la distribution. Certains modèles prévoient que le Canada sera plus sec, tandis que d'autres envisagent le contraire. Il est certain que plus le Canada sera arrosé, surtout dans le centre du continent, plus cela favorisera la production.
Il faut, par ailleurs, chercher à comprendre ce que vont donner les variations météorologiques d'une année sur l'autre. Je ne vous apprendrai rien en vous disant que vous êtes actuellement affectés par de telles variations, surtout dans les Prairies. Vous connaissez des années de sécheresse intense où vous obtenez de piètres rendements agricoles et forestiers et êtes aux prises à de nombreux incendies de forêt. C'est là une caractéristique connue depuis longtemps de la partie centrale du continent. Ces sécheresses intermittentes sont le résultat du changement climatique que subit le Canada depuis longtemps. Les climatologues ne savent pas si la situation va empirer, s'améliorer ou demeurer la même. Nous sommes, là aussi, en présence d'un facteur que nous ne connaissons pas bien. Il est certain que les variations ne sont pas bonnes, mais nous ne sommes pas du tout certains de la façon dont les choses vont évoluer.
Nous obtenons exactement les mêmes résultats dans le cas de la productivité forestière. Nous pensons que la productivité par hectare va augmenter sous l'effet du réchauffement planétaire. Nous pensons que vos forêts seraient plus productives si elles bénéficiaient d'un climat plus tempéré. Pour l'instant, la productivité est limitée parce que la saison de croissance est courte. La fertilisation au carbone devrait aussi améliorer les rendements, mais nous ne sommes pas certains que ce soit dans la même proportion que pour les cultures.
Nous ne savons donc pas ce que les précipitations vont donner ni quels seront les effets des variations d'une année sur l'autre. C'est la même chose que dans le cas des cultures.
Quant à ce qui va se produire à l'échelle de la planète, notre étude des forêts nous a convaincus qu'un climat plus chaud, plus humide et un taux de CO2 supérieur ne peuvent qu'être bons pour les forêts. Les forêts vont s'étendre et pousser plus vite. Sous l'effet du changement climatique, les prix des produits du bois devraient diminuer, ce qui aura un effet néfaste sur les producteurs canadiens mais qui sera bon pour les consommateurs de votre pays.
Même phénomène dans le cas de l'agriculture, mais nous ne sommes pas du tout certains de l'ampleur de la baisse des prix. Nous sommes moins certains que la production mondiale va augmenter de beaucoup sous l'effet d'un repli des prix mondiaux. Il demeure que nous pourrions assister au même genre de phénomène que dans le cas des forêts.
Toujours à propos des modèles appliqués à la forêt, outre que nous ne savons pas exactement quelle sera l'ampleur du réchauffement, nous ignorons comment les forêts vont réagir. Deux hypothèses circulent parmi les écologistes à cet égard. Certains disent qu'à la faveur du changement, tout va dépérir. On parle d'ailleurs de «dépérissement terminal», ce qui veut dire que nous pourrions perdre la majeure partie de notre inventaire forestier à cause du réchauffement planétaire. Ainsi, à terme de 100 ans, tout notre inventaire forestier pourrait être victime d'un dépérissement terminal.
L'autre hypothèse veut que rien de tout cela n'arrive et que l'on assiste plutôt à une régénération, soit à l'apparition de nouvelles essences, et qu'il n'y ait bien sûr pas de dépérissement terminal. Si c'est le scénario de régénération qui s'avère, c'est toute la planète qui s'en portera mieux, grâce à une augmentation de la production généralisée, mais les effets seront particulièrement positifs au Canada.
Nous pensons alors que les prix mondiaux s'écrouleront. Ce serait surtout le cas dans le secteur du bois d'œuvre. En agriculture, cela dépendra de l'importance du changement climatique. Bien sûr, les prix subiront un repli moindre en cas de dépérissement terminal parce qu'il y aura eu perte d'inventaire.
Pour résumer, je dirai que la production agricole et forestière est susceptible d'augmenter au Canada. L'effet sur les agriculteurs et les forestiers dépendra en partie de l'évolution des prix mondiaux et de l'ampleur des changements constatés ailleurs dans le monde, c'est-à-dire des avantages ou des inconvénients constatés dans d'autres pays.
Nous estimons que ce qui sera bon pour le Canada ne le sera pas pour les pays situés au sud des États-Unis. Nous ne savons pas exactement ce que tout cela donnera dans le monde. Il y aura de très nettes améliorations dans les pays voisins du pôle, comme le Canada. Il faut s'attendre aussi à des améliorations sous les latitudes moyennes, dans les pays tempérés, à moins que le réchauffement ne soit extrême et que le climat ne devienne très chaud, auquel cas ces pays souffriront. En revanche, nous ne nous attendons à aucune bonne nouvelle pour les pays situés sous des latitudes inférieures. Les pays en développement à proximité de l'Équateur seront durement touchés par les changements climatiques mais, pris à l'échelle de la planète, il y aura un équilibre des effets d'une région à l'autre.
Il est fort probable que les consommateurs de produits du bois sortiront gagnants. Aussi étrange que cela puisse paraître, les changements climatiques sont tels que les résidents des villes sont tout aussi concernés que les autres à cause des variations de prix.
Du côté de l'agriculture, nous pensons assister à une augmentation de la productivité de 16 à 50 p. 100 dans les régions du Nord pour une augmentation de la température moyenne de 2,5 degrés, et de 12 p. 100 à plus de 50 p. 100 pour une variation de 5 degrés. Ces changements seront fortement influencés par les niveaux de précipitation. En cas de faibles précipitations et d'un réchauffement moyen, les terres agricoles seront touchées, même dans le Nord. Si le niveau de précipitation est important sans augmentation de température ou s'il est relativement faible mais combiné à un phénomène de réchauffement, les retombées pourraient être très importantes.
Nous avons estimé à près de 7 milliards de dollars les retombées économiques positives découlant des scénarios à 2,5 et à 5 degrés d'augmentation des températures. Nous nous attendons à ce que les avantages soient assez conséquents dans le secteur agricole au Canada.
Pour ce qui est des forêts, le tout dépendra de deux éléments: d'abord, le climat. Le premier scénario formulé à cet égard est celui de «Hambourg», du nom de la ville où réside l'équipe ayant conçu le modèle. L'autre, scénario découle du modèle «Schlesinger», du nom de son créateur. Ce dernier modèle est plus favorable au Canada que celui de Hambourg, parce qu'il prévoit un réchauffement relativement plus important ici que dans le reste du monde. Ce qui est intéressant à propos des effets planétaires envisagés, ce n'est pas uniquement qu'on envisage un réchauffement, mais c'est l'ampleur que revêtira ce phénomène par rapport à d'autres régions du globe. Certains modèles prévoient un réchauffement très marqué sous nos latitudes, tandis que d'autres envisagent un réchauffement plus ou moins bien réparti au Nord comme au Sud. Les scénarios font tous ressortir d'énormes avantages associés à un réchauffement planétaire, notamment le modèle forestier.
Se pose ensuite la question de savoir s'il y aura régénération ou dépérissement. En cas de dépérissement, la superficie forestière sera réduite au Canada. Le processus de dépérissement pourrait être lié à de très importants feux de forêt ou à des dégâts causés par les insectes. Les écologistes ne sont pas à court de sombres prédictions. Si ce scénario se produisait, les propriétaires forestiers et les fournisseurs de produits forestiers bénéficieraient de légers avantages, mais ils pourraient aussi subir des pertes. Les consommateurs, eux, en sortiront systématiquement gagnants.
Dans tous les cas de figure, le secteur forestier canadien sera gagnant. Bien évidemment, les avantages seront beaucoup plus grands si, plutôt que de perdre vos forêts, vous parvenez à les conserver intactes.
Le sénateur LaPierre: Pouvez-vous nous expliquer ce qu'est le dépérissement?
M. Mendelsohn: C'est ce qui se passe sous l'effet du réchauffement, selon les modèles écologiques. Les forêts progressent de l'Équateur vers le Nord. Tous les types d'essence migrent progressivement vers le pôle. Cela veut dire que les forêts de l'Est des États-Unis progresseront vers la forêt boréale et que la forêt boréale empiétera sur la toundra. Tous les systèmes sont donc poussés vers le pôle Nord.
Le sénateur LaPierre: Et c'est bon, ça?
M. Mendelsohn: C'est bon pour les forêts. Deux types de changement sont envisageables. D'abord, juste avant que le changement soit établi, les forêts actuelles vont connaître une dégradation rapide à cause de feux de forêt gigantesques ou d'une vulnérabilité accrue à la maladie. Les modèles prévoient que les pressions climatiques favoriseront les feux de forêt. Pour l'instant, les modèles donnent à penser que vous pourriez perdre très rapidement vos forêts à l'occasion d'une série de feux très importants dans les années de sécheresse. C'est cela le scénario du dépérissement.
Si c'est ce scénario qui s'avérait, le Canada sortirait moins gagnant. Une grande partie de vos forêts est vulnérable à ce phénomène. Dans tous les cas, les consommateurs en tireront de grands avantages qui se chiffreront entre 0,5 et 3 milliards de dollars par an. Les effets sur la forêt seront semblables à ceux constatés pour l'agriculture.
Pour résumer, le Canada pourrait donc ressortir gagnant d'un réchauffement planétaire, mais il pourrait aussi être touché par certains aspects seulement du phénomène et dans d'autres secteurs économiques, comme celui de l'eau. En règle générale, pour ce qui est de l'agriculture, des forêts et de l'énergie, nous nous attendons à ce que le Canada tire de très importants avantages dans d'autres secteurs.
Il y a aussi la question du piégeage du carbone. Le Canada a une grande capacité sur ce plan, compte tenu de la superficie de ses forêts. Vous pourriez aussi grandement contribuer au piégeage du carbone dans les terres agricoles mais je ne vais pas vous parler de cet aspect aujourd'hui. Pour en revenir à la forêt canadienne, on évalue sa capacité de piégeage à 0,75 milliard de tonnes d'ici 2050 et à 2 millions de tonnes d'ici 2100, à condition que vous incitiez les propriétaires forestiers à piéger le carbone.
Nous avons envisagé la formule selon laquelle le gouvernement pourrait «louer» des augmentations de volumes de carbone. Dès qu'un forestier augmenterait le volume de carbone piégé sur ses terres, l'État lui verserait un loyer qui serait maintenu tant que le niveau de carbone demeurerait inchangé. En revanche, en cas d'exploitation de la forêt pour le bois de coupe, les niveaux de carbone disparaîtraient et les loyers seraient ramenés à zéro. Si vous appliquiez ce genre de formule et versiez des loyers équivalents à ce que nous pensons être à la valeur du carbone du point de vue du réchauffement planétaire, vous stimuleriez le piégeage.
Le potentiel de piégeage de carbone est énorme. On peut y parvenir en allongeant les rotations et en diminuant le nombre d'incendies. C'est ce qu'il faudrait faire pour augmenter les volumes de carbone au Canada.
Le réchauffement favorisera une augmentation du couvert forestier. Le réchauffement favorisera le piégeage du carbone au Canada, même si rien d'autre ne se passe.
La question qui se pose est celle de l'adaptation, autrement dit le Canada parviendra-t-il à s'adapter? Quand on pense adaptation, en général, on songe aux intérêts des agriculteurs ou des forestiers. L'étude suggère certaines façons pour que le libre marché s'adapte au changement climatique, ce qui veut dire qu'il faut veiller à ce que les agriculteurs soient sensibilisés au changement climatique. Si on y parvient, on peut s'attendre à ce que les changements soient bénéfiques et à ce que les agriculteurs augmentent leur productivité. On voudra qu'ils augmentent les superficies cultivées et qu'ils soient ouverts à ce nouveau phénomène. Pour bénéficier d'un maximum de souplesse, il faudra que la prise de décision soit décentralisée. Ce n'est qu'en présence de ces éléments que pourra se faire l'adaptation aux phénomènes annoncés. C'est une leçon très importante à retenir.
Il faudra permettre aux agriculteurs d'apporter les changements qu'ils jugent utiles en fonction du changement climatique. Il faudra veiller à rédiger des ententes de concession qui ne soient pas aussi rigides qu'à l'heure actuelle afin que les concessionnaires puissent apporter des changements à la façon dont ils exploiteront les territoires qui leur auront été confiés. Il faudra permettre aux forestiers d'apporter des changements de dix ans en dix ans.
Le dernier aspect est celui de la recherche. Les études que je viens de vous citer ont été conduites aux États-Unis. Il n'est pas besoin d'entreprendre des études coûteuses mais, à ce que je sache, jamais aucun examen du genre n'a été réalisé au Canada. Je vous recommande donc fortement d'étudier l'agriculture et la forêt ici pour que vos experts confirment la validité des scénarios que j'ai énoncés.
Le président suppléant: Merci, professeur Mendelsohn. Nous allons vous poser quelques questions.
Le sénateur Chalifoux: Nous avons entendu beaucoup de témoignages sur le changement climatique, puisque nous examinons ce problème depuis plusieurs années au Canada. Je vis dans la partie centrale du Nord de l'Alberta. J'espère que vous savez où c'est.
M. Mendelsohn: Oui. J'ai travaillé dans la province voisine, en Saskatchewan.
Le sénateur Chalifoux: Effectivement, je constate que vous travaillez avec Weyerhaeuser.
M. Mendelsohn: En un certain sens oui. Weyerhaeuser est un ami de l'école des sciences forestières de Yale.
Le sénateur Chalifoux: Eh bien, là où j'habite, nous subissons les effets d'une grave sécheresse depuis plus de trois ans. J'ai peur que mon puits ne s'assèche. Cette année, nous avons connu notre deuxième ou troisième Noël vert. Nous avons eu un peu de neige et, Dieu merci, il y en a dans les montagnes. La sécheresse a été telle que les agriculteurs n'ont pas pu produire de canola. Le sénateur Gustafson pourra vous en parler davantage, parce qu'il a une exploitation agricole, tandis que je ne fais que résider dans une région agricole. La situation est grave. Du côté des forêts, les incendies ont été absolument incroyables. Nous avons été envahis par des insectes qui ont détruit les arbres, surtout les pins. Et cela perdure depuis des années.
D'autres témoins nous ont dit que l'Alberta et une partie de la Saskatchewan se transformeraient en désert. De toute façon, il y a déjà une région désertique dans le Sud de l'Alberta, qui est une partie très aride du pays. Toutefois, le phénomène va remonter vers le nord. Quand j'étais enfant, j'ai connu la grande sécheresse des années 30, mais l'année dernière, pour la première fois de ma vie, en route d'Alberta à la Saskatchewan en passant par le Manitoba, j'ai assisté à des tempêtes de vent alcalin qui se forment au-dessus de lacs asséchés et qui donnent naissance à d'énormes nuages blancs qui s'élèvent en panache. Je n'ai jamais rien vu de tel, même pas durant la sécheresse des années 30. C'est très grave.
Avez-vous communiqué avec certains de nos chercheurs là-bas? Avez-vous communiqué avec nos universités qui étudient ce phénomène depuis longtemps?
M. Mendelsohn: Je suis en contact avec beaucoup de gens dans le milieu de la climatologie au Canada. J'ai décidé de témoigner aujourd'hui parce que je crains que tous ces gens-là ne soient un peu trop pessimistes. Tous estiment que la situation va empirer pour le Canada. Vous avez raison, ces scénarios sont possibles et j'ai d'ailleurs essayé de vous dire que, selon le niveau de précipitation, c'est effectivement ce qui risquerait de se passer.
En revanche, prenez les modèles climatiques envisagés et vous constaterez que tous ne disent pas la même chose et que ce scénario est même le moins probable de tous. Certains modèles prévoient une augmentation du volume des précipitations au Canada. Il n'y a rien de certain au sujet des précipitations. Je voulais que cela soit bien clair pour vous. Même si la sécheresse est un des scénarios possibles, scénario qui serait effectivement néfaste pour le Canada, les probabilités que cela arrive sont faibles.
Le sénateur Chalifoux: Je ne dis pas que le changement climatique va être néfaste pour le Canada. Nous devons nous préparer à toutes les circonstances susceptibles de nous contraindre à modifier nos habitudes. Plutôt que de cultiver du blé ou d'autres cultures, nous devons nous intéresser à l'adaptation de nos cultures et à ce genre de chose.
Nous importons beaucoup de fruits et de légumes de Californie. Quel effet ce réchauffement aura-t-il sur cet État américain?
M. Mendelsohn: Nous venons juste de terminer l'étude concernant la Californie. Cet État est vulnérable au scénario de sécheresse, surtout à cause d'une population croissante et d'un approvisionnement limité en eau. Les Californiens se demandent ce qu'ils vont faire dans l'avenir, même s'il n'y avait pas de changement climatique et ils redoutent une augmentation de la sécheresse. Ils se sont dit qu'il leur faudrait limiter l'irrigation de certaines cultures de faible valeur, comme la luzerne et le riz. S'ils renonçaient à irriguer ces cultures, il leur resterait beaucoup d'eau pour celles qui sont plus intéressantes, celles-là même que vous achetez des producteurs californiens, c'est-à-dire les noix, les fruits et les légumes. Cet État pourrait limiter les répercussions du changement climatique en dérivant une partie de son irrigation vers certaines productions.
Le sénateur Chalifoux: Je m'interroge au sujet des effets du réchauffement sur l'habitat faunique. Je suis Autochtone et je peux vous dire que les Autochtones dépendent beaucoup du piégeage, de la chasse et de la pêche. La pollution est terrible pour eux. Elle se fait ressentir partout. Avez-vous étudié les effets du réchauffement sur les habitats situés dans les forêts?
M. Mendelsohn: Votre instinct ne vous trompe pas. Il y a deux possibilités: le réchauffement pourrait directement faire du tort aux animaux ou à leurs habitats. Nous avons constaté que, en général, les animaux résistent assez bien au changement climatique et qu'ils en seront à peine touchés. Toutefois, ils dépendent de leur habitat. Or, si ces habitats changent, la faune changera aussi. Si l'on retient le scénario proposé par les écologistes pour le Canada — c'est-à-dire une progression de vos forêts vers le nord — vous aurez beaucoup plus d'habitats que par le passé.
Le sénateur Chalifoux: Dans le Nord, dans l'Arctique, nous avons constaté que le réchauffement global a un effet tellement négatif que les ours polaires meurent de faim, que de nombreux changements sont déjà en cours et que cela a un effet négatif sur le poisson, le morse, le phoque et tout ce qui vit dans le Nord. J'ai constaté que certains oiseaux ne migrent plus vers le Sud. Dans les trois dernières semaines, j'ai vu des lapins commencer à tourner au brun, ce qui est annonciateur d'un printemps précoce. On assiste aujourd'hui à beaucoup de choses qui, dans le passé, ne se produisaient pas avant le mois d'avril. Nous avons trois semaines à un mois d'avance partout.
M. Mendelsohn: Vous êtes une fine observatrice. Beaucoup de gens aux États-Unis pensent qu'ils sont en présence d'un changement climatique, mais ils ont tort. Les changements dont vous parlez sont confirmés par les scientifiques qui l'ont prévu dans leurs modèles: plus on s'approche des pôles et plus l'effet du réchauffement se fait sentir. C'est là qu'on peut s'attendre à ce que les changements apparaissent en premier et c'est ce que vous avez constaté, ce sont des changements climatiques.
Le sénateur Chalifoux: Au bout du compte, nous pourrons peut-être un jour exporter des tomates, des concombres et que sais-je encore vers la Californie?
M. Mendelsohn: Peut-être.
Le président suppléant: Honorables sénateurs, nous allons passer à notre prochain témoin, John Reilly. Vous pouvez commencer, monsieur.
M. John Reilly, directeur adjoint de la recherche, Massachusetts Institute of Technology: J'apprécie l'occasion de témoigner devant vous et j'espère pouvoir vous être utile. Je n'ai pas étudié la situation canadienne en particulier, mais j'ai conduit des études pour la planète qui englobaient forcément la situation canadienne.
J'ai surtout travaillé dans le dossier de l'agriculture aux États-Unis et dans le cadre du projet U.S. National Assessment of Climate Variability and Change, que je coprésidais. Je me proposais de vous parler de ce projet et de vous communiquer certains résultats de nos travaux, avant de vous faire quelques recommandations sur la façon dont vous pourriez adapter ces résultats au changement climatique, dans la limite de nos réflexions. Je vais donc me concentrer sur ces aspects après quoi je serai heureux de répondre à vos questions.
Le professeur Mendelsohn a traité de certaines de ces questions. La première qu'il convient de se poser est de savoir si le changement climatique va être bénéfique ou néfaste. Il pourrait être néfaste à cause de ses répercussions sur la productivité, mais comme il existe maintenant un marché international des produits agricoles, même si la productivité était touchée au Canada, les agriculteurs canadiens pourraient tout de même sortir relativement gagnants si la situation était pire ailleurs. Les exportations augmenteraient et nombre d'agriculteurs au Canada bénéficieraient donc du changement climatique.
D'un autre côté, si le changement climatique était trop avantageux pour le reste du monde, les agriculteurs d'ici sortiraient perdants à cause de la chute des prix. C'est le consommateur qui y gagnera. La diminution des prix des produits agricoles n'est pas nécessairement bonne pour les agriculteurs. Si les prix s'effondraient à l'échelle internationale, c'est tout le secteur agricole qui pourrait en souffrir parce que les exploitants seraient contraints de vendre à des prix inférieurs. Toutefois, tout dépendrait alors de la différence de variation de productivité entre le Canada et le reste du monde. Le Canada, comme on le sait, est un gros exportateur et la variation des prix ailleurs dans le monde a un effet déterminant sur ce qui se passe ici.
Ce qui est très déroutant dans cette question de changement climatique, c'est la durée sur laquelle le phénomène va s'étaler. La plupart des études que nous avons examinées porte sur ce qui adviendra dans 50 ou 100 ans d'ici. Bien qu'intéressants, ces résultats ne s'appliquent pas forcément à ce qui se passe de nos jours ni à ce qu'il conviendrait de faire tout de suite à cet égard. Dans le domaine agricole et même dans celui des infrastructures, la planification porte sur quelques années seulement. Même les décisions concernant les infrastructures se limitent à un horizon de 20 à 30 ans. Ainsi, les prévisions concernant le changement climatique ne correspondent pas aux calendriers d'action qu'il faudrait appliquer aujourd'hui.
Il faut d'abord faire la distinction entre les tendances lourdes associées à un réchauffement graduel et les variations climatiques d'une année sur l'autre, c'est-à-dire entre le phénomène de réchauffement et le régime annuel de précipitations. Le résultat d'une alternance climatique marquée, avec des fortes précipitations une année suivies d'une sécheresse l'année suivante, serait catastrophique même si le climat moyen demeurait inchangé. Malheureusement, les modèles climatiques ne permettent pas vraiment de prévoir les variations d'une année sur l'autre, surtout pas en ce qui concerne les précipitations. Nous ne savons donc pas très bien ce qui pourrait se passer à ce sujet.
La majorité des études conduites dans le domaine agricole se concentre exclusivement sur ce qui se passe au niveau de l'exploitation ou sur les marchés agricoles. Dans notre évaluation nationale américaine, nous nous sommes attardés à examiner ce qui se passe hors de l'exploitation agricole, sur les plans des ressources et de la pollution. Nous nous sommes ensuite intéressés au transport et aux collectivités voisines. Quand il y a eu la sécheresse dans la vallée du Mississippi, les gens ont été très surpris de découvrir que les barges ne pouvaient plus naviguer sur le fleuve. Il faut donc songer à ces aspects. Si le niveau de précipitations était supérieur, il faudrait alors s'attendre à des inondations. Or, comme les nouveaux scénarios formulés en climatologie prévoient une augmentation très nette des précipitations, il faut s'attendre à des inondations.
Nous avons observé des tendances dans les données historiques et nous essayons d'établir un lien entre ces tendances et les changements envisagés. Nous connaissons bien sûr les tendances observées, mais il y a lieu de se demander s'il faut réagir à ces tendances ou essayer de prévoir ce qui pourrait se produire dans l'avenir. Si nous optons pour la deuxième solution, se pose alors la question de la précision des prévisions. Ce sont là certains des problèmes auxquels nous nous heurtons quand nous essayons d'envisager l'adaptation et de placer en contexte certaines études.
Le diaporama que j'ai apporté donne des exemples du problème de la variation climatique. Le graphique de gauche représente les résultats de six ou sept modèles d'anomalies dans le régime des précipitations dans le monde, de 1850 à 2100. Le graphique de droite représente les mêmes modèles, pour les mêmes années, mais pour les États-Unis uniquement. On constate d'importantes variations climatiques aux États-Unis tandis que les changements semblent être de faible ampleur dans le reste du monde. Toutefois, dès que l'on prend une région en particulier, on se rend compte que les variations sont très importantes. C'est là une des difficultés que nous avons de prévoir les changements climatiques.
J'attire aussi votre attention sur les très importantes variations d'une décennie à l'autre. Les deux modèles que nous avons établis dans le cadre de notre évaluation nationale, l'un pour les États-Unis et l'autre pour le Canada, sont illustrés par les deux courbes en noir sur le graphique de droite, celui qui concerne les États-Unis. La courbe en rouge correspond au modèle du centre Hadley, au Royaume-Uni. Nous avons retenu deux périodes: les décennies 2030 et 2090. Soit dit en passant, vous verrez que, dans le modèle climatique du Centre canadien, le niveau des précipitations est faible dans les années 2030, décennie qui correspond à une période de sécheresse aux États-Unis. Puis, les précipitations augmentent de nouveau et le climat demeure humide jusqu'à la fin du siècle. On ne peut pas parler ici de tendance établie. Il y aura peut-être une période de 10 ou 20 ans de sécheresse qui sera suivie d'une période où les précipitations pourraient augmenter.
Le modèle du Centre Hadley donne un résultat plutôt contraire à celui-ci, puisqu'il prévoit une importante augmentation du volume des précipitations à la fin du siècle — c'est la courbe rouge — ainsi qu'en 2030, le volume de précipitations diminuant quelque peu entre ces deux bornes. En général, ce modèle prévoit un climat beaucoup plus humide pour les États-Unis pendant la même période.
Ce constat s'applique à l'ensemble du monde mais le modèle Hadley, qui prévoit plus de précipitations pour les États-Unis, n'envisage pas forcément la même chose pour le reste de la planète. Le modèle ECHAM, quant à lui, envisage un climat relativement plus humide pour l'ensemble du globe. Il est beaucoup plus difficile, quand on veut s'intéresser à telle ou telle région, de dériver des tendances régionales à partir de ce modèle.
Je suis désolé de ne pas avoir étudié précisément la situation du Canada mais nous avons effectué des études détaillées en ce qui concerne les États-Unis pour déterminer l'influence des changements climatologiques prévus dans le modèle canadien et dans le modèle du Centre Hadley sur les niveaux de production régionaux. Cela donne un tableau qui n'est guère différent de ce que vous a décrit le professeur Mendelsohn à propos des régions septentrionales des États-Unis — c'est-à-dire les États riverains des Grands lacs jusqu'aux États du Nord-Est — où la production augmente de façon marquée de 50 à 100 p. 100 dans les années 2030 ou 2090, selon le scénario retenu. Dans les Rocheuses sur la côte Pacifique, on constate aussi des augmentations marquées, mais presque aucune augmentation, voire une légère diminution dans les plaines sud et nord à cause de la sécheresse envisagée dans ces scénarios pour les secteurs concernés. Ce scénario prévoit effectivement une sécheresse.
À cause de l'apparition d'un avantage concurrentiel relatif, certaines régions qui souffrent sur le plan de la production vont subir des contrecoups économiques. Elles ne seront plus rentables pour la production d'une grande partie des cultures actuellement pratiquées. Dans le Sud-Est, on prévoit d'importants déclins de production à cause de la sécheresse découlant d'une augmentation de la température.
Les résultats sont quelque peu différents dans le cas du modèle Hadley. On note d'importantes augmentations presque partout, bien que le régime régional correspondant à de fortes augmentations soit à peu près le même dans le cas des États riverains des lacs et bine que l'augmentation soit légèrement moindre dans les États du Sud et surtout dans les plaines. Dans ce scénario, ce sont les plaines septentrionales qui sont les plus avantagées. Tout cela se produit dans les années 2030 et l'augmentation va en s'accroissant sous l'effet des précipitations et de la chaleur plus importantes. Les choses auraient donc tendance à s'améliorer.
Cette diapositive illustre les résultats obtenus en fonction du modèle du Centre canadien pour 2030 et 2090 — les barres en bleu et en rouge — et ceux correspondant au modèle du Centre Hadley pour 2030 et 2090 — les barres en jaune et en bleu clair. Le premier ensemble de barres montre ce qui se produit sur les terres irriguées. On s'attend à une forte réduction de la superficie de terres irriguées à cause d'une augmentation de l'humidité ambiante mais, sous l'effet de la chaleur, la production des cultures irriguées augmentera relativement moins que les cultures en terres arides qui bénéficient d'une augmentation des niveaux de précipitations. En effet, les cultures irriguées ne bénéficient pas d'une augmentation des pluies. La facture d'irrigation diminue, mais il n'y a pas d'augmentation de la productivité. L'avantage va donc aux cultures en terres arides. On constate une diminution globale de la superficie des terres arables — exprimée en unités animales-mois (UAM) — dans les pâturages de l'Ouest et une très nette diminution de la consommation d'eau. Il n'y a pas de changement sur le plan de l'utilisation de la main-d'œuvre. La productivité par acre est généralement supérieure dans ces modèles, ce qui donne lieu à une diminution des intrants.
S'agissant de l'utilisation des ressources, nous avons effectué des études spécifiques dans la baie de Chesapeake et dans la région irriguée d'Edwards Aquifer. Nous avons constaté qu'à cause du climat plus sec dans cette région du Texas, la population consomme davantage d'eau extraite de la nappe aquifère et impose plus de contraintes sur les écosystèmes ayant leurs habitats en surface. Dans cette région, le pompage est réglementé afin de protéger les écosystèmes en question, mais d'après les projections, il sera nécessaire d'abaisser énormément ces limites de pompage pour maintenir les deux scénarios.
Dans la baie de Chesapeake, nous avons constaté que l'augmentation du niveau des précipitations donne lieu à une augmentation du volume de décharge et donc à plus de rejets d'azote dans la baie, ce qui nous a amenés à conclure qu'il y a un effet environnemental. La baie de Chesapeake étant déjà très polluée, il faudra de toute façon régler ce problème. Le changement climatique ne ferait qu'empirer les choses si les pratiques agricoles étaient maintenues. Nous avons examiné la situation et conclu que, moyennant un certain nombre de modifications apportées aux pratiques agricoles, il serait possible de diminuer la pollution dans le scénario prévoyant un changement climatique tout comme dans le scénario du statu quo, mais plusieurs problèmes ne seront pas réglés pour autant.
Dans notre étude des variations climatiques, nous avons tenu compte de la variable El Niño. Le phénomène El Niño-oscillation australe, ou ENSO, n'a pas d'effet marqué au Canada, mais le modèle prévoit une augmentation des pertes si le phénomène El Niño s'installait. Ce n'est toutefois que spéculation pour l'instant, puisque nous ne savons pas vraiment ce que pourrait donner un épisode El Niño, ni si celui-ci va augmenter d'intensité ou de sévérité.
J'aimerais vous dire quelque chose de positif à propos de l'adaptation, mais je suis obligé d'émettre certaines mises en garde. Les prévisions à long terme fondées sur l'observation de quelques années seulement peuvent être trompeuses. J'ai essayé de vous démontrer que certains modèles tendent à nous prouver cela. Malheureusement, il est difficile, voire impossible de faire des prévisions selon des échelles spatiales pertinentes. Il faut se dire que les tendances ne sont pas forcément cohérentes et qu'il ne nous est pas possible de nous livrer à des prévisions exactes. Nous sommes donc dans l'inconnu.
Il faut se demander si les mesures d'adaptation seront viables advenant que la tendance se maintienne. L'irrigation pourrait donner des résultats un certain temps, mais pas si les sources d'eau venaient à disparaître, parce qu'on aurait alors investi dans quelque chose qui ne fonctionne pas. Si les agriculteurs se retrouvent en difficulté, il faudra les aider, mais une aide économique pourrait décourager les intervenants à apporter eux-mêmes des changements difficiles mais nécessaires. Voilà certaines des facettes problématiques de l'adaptation au changement climatique.
Que pourrait-on envisager pour faire en sorte que l'agriculture soit en mesure de s'adapter au changement climatique et qu'elle puisse le faire avec une certaine souplesse? Je rejoins le professeur Mendelsohn quand il dit que l'évolution des prix, des profits et des pertes nous indique ce qu'il y a lieu de faire. Les marchés doivent être souples pour que les prix se répercutent de façon efficace. Il faudra gérer le risque et mettre en œuvre un grand nombre d'instruments commerciaux de gestion du risque, comme les marchés à terme, les instruments dérivés axés sur la météorologie, la production à contrat et d'autres outils de mise en commun des pertes subies par certains agriculteurs pour opérer une répartition sur l'ensemble du marché. L'assurance-récolte en vigueur aux États-Unis est subventionnée, ce qui complique les choses parce que cette formule n'incite pas les agriculteurs à agir de leur côté, raison pour laquelle ils connaissent des échecs 10 années sur 11.
On pourrait aussi aider les gens à s'adapter aux variations climatiques en surveillant les tendances météorologiques et en essayant de se livrer à des prévisions à court terme. Il faut examiner la solidité des stratégies envisagées face au changement climatique et le genre de mesures qu'il conviendrait d'adopter. Nous savons qu'il n'est pas possible de prévoir le changement climatique, mais nous savons qu'il faut envisager toute la palette des options éventuelles.
Certains ont trouvé des solutions d'ordre technologique. Il faut se demander comment parvenir à mieux gérer l'eau, les variétés de culture, les dates de plantation et la lutte contre les ravageurs. Comme nous avons constaté une tendance à une aggravation de la situation à cause des ravageurs et des maladies, il faut craindre que les animaux nuisibles se retrouvent dans des régions où ils n'étaient pas présents avant. J'ai couvert ces deux aspects en dernier parce que c'est par eux qu'il faudra commencer, puisqu'il n'est pas possible de prévoir précisément ce que le changement climatique va donner, qu'on ne sait pas s'il faut envisager d'augmenter l'irrigation ou de se protéger contre les inondations, et que les prévisions étant généralement insatisfaisantes, il n'est pas possible de formuler de recommandation pour l'instant.
Je vais m'arrêter ici et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
Le président suppléant: Histoire de faire un peu d'humour, je dois m'inscrire en faux contre ce qu'a dit M. Reilly. Jamais un agriculteur ne se lancerait dans telle ou telle production pour bénéficier de l'assurance-culture. Cela étant posé, je suis heureux que vous nous ayez annoncé de bonnes nouvelles dans le cas du Canada, professeur Mendelsohn, mais comme les sénateurs sont obligés de prendre leur retraite à 75 ans, je me demande s'ils seront encore là Sénat quand tout cela va arriver? Quel est votre horizon de planification?
M. Mendelsohn: Certains changements très importants ne se produiront pas avant 2050. Il y a donc peu de chances que vous assistiez vous-mêmes à ces effets positifs.
Le sénateur LaPierre: Je suis confus. Jusqu'ici, on nous a parlé de choses horribles, tandis que vous venez juste de nous décrire un paradis rempli de joies et de plaisirs. Je me demande s'il faut simplement attendre que les choses s'améliorent ou si je dois continuer ma campagne visant à secouer les Canadiens pour qu'ils s'apprêtent à affronter le grand désastre que signifiera le changement climatique.
Est-ce le niveau de précipitations qui est déterminant dans ce cas?
M. Mendelsohn: Le problème que vous êtes en train d'observer n'est sans doute pas dû à un changement climatique, mais à des variations d'une année sur l'autre. Même en l'absence d'un changement climatique, le régime météorologique varie d'une année à l'autre. Le Canada a toujours connu des années de sécheresse, de temps en temps, certaines plus graves que d'autres.
Le sénateur LaPierre: Si le sénateur Fairbairn était présente elle vous dirait ce qu'elle a vu dans sa région. Elle n'estime sûrement pas que ces phénomènes sont occasionnels, parce qu'elle croit que c'est une catastrophe épouvantable.
M. Mendelsohn: Je reconnais que les sécheresses sont lourdes de conséquence, cela ne fait aucun doute. En revanche, on sait qu'elles font partie du régime climatique continental de ce pays depuis longtemps. Par exemple, j'ai travaillé en Saskatchewan et j'ai appris que les forêts de cette province avaient été presque entièrement ravagées par les flammes, il y a une centaine d'années. C'est cela qui se produit en cas de sécheresse.
Le sénateur LaPierre: Je m'interroge au sujet du genre de message que notre comité va transmettre aux Canadiennes et aux Canadiens. Pour près de 85 p. 100 de notre population, qui est urbaine, le changement climatique revêt une importance relative, mais nous ne sommes pas vraiment conscients de ce qui se passe au quotidien. Le sénateur Gustafson vous dira que les forêts, les cultures et les ressources naturelles ne se trouvent pas dans les villes. Elles se trouvent dans les régions rurales.
En quoi les résidents des régions rurales vont-ils être touchés par ce que vous nous avez dit, je veux parler des agriculteurs, des forestiers et des autres?
M. Mendelsohn: Nous avons effectué des études aux États-Unis sur la relation entre le climat et les revenus dans les campagnes. Nous avons constaté que, dans les climats favorables à une augmentation de la productivité agricole, les revenus sont plus élevés.
Il est fort probable que la répartition des revenus dans les régions agricoles soit actuellement liée aux conditions climatiques. Au Canada, cela veut dire que, plus on remonte vers le Nord, moins les terres sont productives et plus la situation est difficile pour les résidents de ces régions. Vous avez sûrement déjà constaté cela au Canada.
Le sénateur LaPierre: D'après votre scénario, les terres du nord devraient être plus productives.
M. Mendelsohn: Toutes les terres au Canada devraient être plus productives, c'est simplement l'agriculture qui progressera davantage vers le Nord. Il est vrai cependant qu'une partie de votre population demeurera au nord de la région productive, comme les Autochtones.
M. Reilly: Les précipitations joueront un rôle essentiel, mais il est difficile de prévoir ce qui va se passer de ce côté. Les études mondiales auxquelles j'ai participé tendant à montrer une augmentation généralisée de la production dans les parties septentrionales de la planète où se trouve le Canada.
Il est quasiment certain que certaines régions du Canada seront plus sèches, comme les plaines. D'après certains modèles, cette sécheresse pourrait donner lieu à des pressions très importantes sur l'environnement, dans certains endroits.
Dans l'ensemble, on constate cependant une amélioration de la productivité, mais il y aura des différences, qu'on ne peut prévoir, d'une région à l'autre.
Le sénateur LaPierre: Qu'arrivera-t-il aux enfants et petits-enfants du peuple auquel appartient le sénateur Chalifoux? Les Autochtones vivent surtout dans les régions rurales, dans des réserves et dans le Nord.
M. Reilly: La situation des peuples autochtones qui vivent dans des régions bien délimitées, comme les réserves, changera beaucoup. Il y aura des perturbations sur le plan des ressources, ce qui aura des conséquences particulièrement négatives dans leur cas. Leurs coutumes évolueront. Il est fort possible que les hivers seront moins rigoureux, qu'ils seront plus courts, mais s'ils n'ont plus accès aux genres de ressources qu'ils avaient l'habitude d'exploiter, ils devront considérablement modifier leur mode de vie. Je ne peux pas vous dire comment ils vont percevoir ces changements, parce que je ne suis pas spécialisé dans ce domaine.
M. Mendelsohn: La majorité des peuples des Premières nations résident trop haut dans le Nord pour bénéficier des améliorations auxquelles le changement climatique pourrait donner lieu sur le plan agricole. Ils devraient plutôt se retrouver dans une zone forestière.
Le sénateur LaPierre: Est-ce que l'amélioration de la situation du côté des forêts va les aider?
M. Mendelsohn: Oui, dans la mesure où ils pourront effectivement les exploiter. S'ils ont des titres fonciers sur des terres se situant au nord de leurs actuels territoires, ils pourront exploiter commercialement la forêt puisque celle-ci sera plus productive. Il leur serait possible, ainsi, d'améliorer leur situation économique.
Le sénateur Tkachuk: Est-ce que l'augmentation des températures se traduira par une réduction ou, au contraire, par une augmentation de la consommation énergétique dans le monde ou en Amérique du Nord associée au piégeage du carbone?
M. Mendelsohn: Dans le cas des États-Unis, la consommation d'énergie augmentera à cause de l'augmentation de la température ambiante. Au Canada, on pourrait assister à une réduction de la consommation d'énergie, parce que vous chaufferiez moins qu'avant.
Le sénateur Tkachuk: Pour le chauffage, nous utilisons les combustibles fossiles.
M. Mendelsohn: C'est exact.
Le sénateur Tkachuk: Si nous devions bénéficier d'une augmentation du couvert forestier et végétal, est-ce que la situation s'améliorerait sous l'effet d'une diminution des émissions de CO2?
M. Mendelsohn: Les forêts s'alimenteraient en absorbant le carbone de l'atmosphère.
Le sénateur Tkachuk: A-t-on étudié ce que tout cela allait donner à l'échelle mondiale? Si c'est vrai dans notre cas, est-ce que ça pourrait l'être également pour la Russie ou d'autres pays nordiques qui consomment beaucoup d'énergie ou de combustibles fossiles? Est-ce que l'énergie produite par les combustibles fossiles continuera d'occuper une place aussi importante en cas d'augmentation des températures?
M. Mendelsohn: Vous savez, la planète est grande. Le phénomène apparaît dans les pays polaires, surtout au Canada et en Russie, mais il pourrait aussi s'étendre aux pays scandinaves. Tous les effets de ce changement seront positifs. Vous utiliserez beaucoup moins d'énergie pour chauffer vos intérieurs, mais plus on s'approchera de la zone tempérée et plus les gens devront consommer d'énergie parce qu'ils auront plus de besoins de climatisation que de chauffage. Dans les régions tropicales et subtropicales, les populations devront utiliser davantage la climatisation et elles ne retireront aucun gain du côté du chauffage.
M. Reilly: Le problème de la climatisation est relativement important, mais il ne se traduira pas par une importante consommation d'énergie, puisqu'il ne représente qu'une faible proportion de la consommation en général. Comme les consommations les plus fortes concernent l'électricité, le secteur industriel et le secteur du transport, M. Mendelsohn a raison et je ne pense pas que les pays du Sud retirent de grands avantages du réchauffement.
M. Mendelsohn: Rien de ce que j'annonce ne se produira avant 2080. À la fin du siècle, nous devrions commencer à assister à de véritables bouleversements, mais rien de tel à court terme.
Le sénateur Tkachuk: Comme certains sénateurs l'ont dit, nous avons entendu plusieurs témoins qui nous ont fait part de prévisions et de théories très différentes. Il est déjà difficile de prévoir le temps qu'il fera la semaine prochaine. Par exemple, même s'il a été tardif, l'hiver a été très froid. En général, nous avons toujours une semaine de beau temps en février, mais cette année, il n'a pas arrêté de faire froid et le froid a été généralisé.
Est-ce que l'hiver que nous avons connu était aussi froid que je le pense ou est-ce que je l'ai imaginé?
M. Mendelsohn: C'était effectivement un hiver froid, même aux États-Unis.
Le sénateur Tkachuk: Que se passera-t-il si cela se poursuit deux ou trois ans de suite? L'hiver a-t-il été plus froid dans le reste du monde ou nous avons été les seuls touchés?
M. Mendelsohn: Nous avons été les seuls. Il faut faire attention quand on examine les effets de climat à l'échelle régionale. À cause des changements de régime éolien à la surface de la planète, certaines régions sont plus froides et d'autres plus chaudes. Dans les Rocheuses, l'hiver n'a pas été froid, mais en Nouvelle Angleterre, nous avons eu aussi froid que vous. L'hiver a été très froid. Il faut faire attention de ne pas extrapoler les phénomènes régionaux à l'échelle de la planète. En général, les choses ne se passent pas ainsi.
Le sénateur Tkachuk: Ce n'est pas ce que je voulais faire, mais le climat est généralement plus clément sur la côte Ouest et, cette année, il a même été un peu plus doux.
Le président suppléant: J'ai cru comprendre que nous venons de connaître le troisième mois de février le plus froid depuis que l'on tient des statistiques.
Le sénateur Tkachuk: J'ai lu quelque part que, s'il ne fait pas trop chaud, c'est qu'on est en présence d'un réchauffement planétaire et que s'il ne fait pas très froid, c'est la même chose. Le changement climatique s'avère être une grosse industrie. Il est difficile de faire la part de choses. Tout le monde nous invite à consacrer plus d'argent à la recherche sur le climat. C'est bon pour vous, mais qu'est-ce qui me dit que nous en avons vraiment besoin?
Qu'est-ce que vous en pensez? C'est là une question politique, ici comme aux États-Unis.
M. Mendelsohn: Il est toujours plus facile de tenir une conférence sur le changement climatique en été qu'en hiver. Vous avez raison de dire que, dans l'étude du changement climatique, les gens tiennent beaucoup trop compte de ce qui se passe aujourd'hui. Le changement climatique est un phénomène qui s'étale sur plus d'un siècle. Il est difficile d'en percevoir les effets aujourd'hui. Je crois que les gens réagissent de façon excessive, car ils s'arrêtent à des phénomènes qui sont des variations météorologiques normales. Ils associent ces variations au changement climatique quand il y a une élévation des températures moyennes, puis ils ne disent plus rien quand il fait inhabituellement froid. Tout cela n'est qu'une exagération de ce qui pourrait se produire dans l'avenir.
M. Reilly: Certains de ceux qui sont sensés être nos homologues sauteraient sur ce qu'on peut lire sous la plume de certains éditorialistes, je veux parler du fait que cette année a été incroyablement froide, pour affirmer que nous sommes forcément en présence d'un changement climatique. C'est un peu décourageant parce qu'en concluant a priori que tout est synonyme de changement climatique, ces gens-là jettent le discrédit sur notre profession. D'un autre côté, il est possible qu'à la fin d'un cycle thermique, sous l'effet du réchauffement planétaire, on assiste à des refroidissements à l'échelle locale. Tout cela est possible. En fait, les renseignements que nous recueillons sur une seule année, ou même sur deux ou trois, ne nous disent pas grand-chose des tendances de fond.
Il faut envisager la chose à terme d'une décennie. Il faudrait une bonne décennie de températures froides à l'échelle de la planète pour remettre note théorie en question. Il faudra 10 ans! C'est ainsi qu'il faut appréhender cette réalité.
Le sénateur LaPierre: Et Kyoto, est-ce de la propagande?
M. Reilly: C'est un traité.
Le sénateur LaPierre: Je veux parler de l'esprit de Kyoto — de tout ce qui l'entoure. Est-ce que tout est à rejeter?
M. Mendelsohn: Nous estimons que le changement climatique est un véritable phénomène. Nous pensons que les climatologues ont raison quand ils affirment que toute augmentation du volume de gaz à effet de serre contribue au réchauffement de la planète. Nous n'en doutons pas. Quand nous essayons de modéliser les répercussions du réchauffement planétaire, nous nous partons des prévisions des climatologues. Il se trouve que nous sommes conscients des écarts qui existent dans ces prévisions. Le changement climatique pourrait être relativement doux, soit de un degré ou deux. Le cas échéant, le monde entier en bénéficierait et Kyoto serait une erreur.
Il est aussi possible que le changement climatique soit plus marqué et qu'il donne plutôt lieu à un réchauffement de 5 degrés. Le cas échéant, les pays situés sous des latitudes inférieures en subiraient de graves conséquences. Ce ne serait peut-être pas le cas au Canada, mais d'autres régions de la planète pourraient être durement touchées.
Le sénateur LaPierre: Le changement climatique peut-il être occasionné par des émissions de gaz à effet de serre?
M. Mendelsohn: Il est certain que nous émettons ce genre de gaz. Il est certain que ces gaz s'accumulent dans l'atmosphère. Certains signes tendent à indiquer que la planète s'est réchauffée au cours du dernier siècle à cause de ces gaz. Mais ce n'est pas ce qui s'est passé jusqu'ici qui nous inquiète, c'est ce qui va se passer au cours du siècle prochain.
Le sénateur LaPierre: Si nous continuons ainsi?
M. Mendelsohn: Oui.
M. Reilly: À en croire certaines recherches statistiques effectuées par mes homologues du MIT, une partie du réchauffement historique serait attribuable à des causes anthropogéniques. Je pense que la théorie du réchauffement planétaire et du piégeage radiatif de chaleur par les gaz à effet de serre est largement acceptée. On se demandait s'il y avait lieu d'attribuer les tendances observées à ces problèmes et l'on débat encore beaucoup de cette question. Des scientifiques affirment que les tendances ne confirment pas le réchauffement. Les nouvelles preuves recueillies montrent que le changement climatique est en grande partie attribuable à des facteurs anthropogéniques.
Ce qui vient compliquer les choses, c'est que les aérosols sulfatés peuvent provoquer un refroidissement. Ce faisant, l'être humain a de multiples incidences sur le climat, certaines contrant même le réchauffement. Nous avons changé tous ces facteurs en même temps pour constater qu'ils donnent lieu à des effets différents.
Le président suppléant: Le sénateur Oliver est président du comité. Nous allons lui donner un peu de latitude.
Le sénateur Oliver: Merci beaucoup, monsieur le président suppléant et merci à vous, monsieur l'ex-président.
Nous sommes très honorés d'accueillir deux éminents scientifiques américains qui contribuent à notre étude. Comme vous êtes Américains et que vous avez une expérience dès lors américaine, je vais vous poser quelques questions théoriques pour en savoir un peu plus de vos études et de votre expérience aux États-Unis et pour voir comment nous pourrions nous en inspirer ici au Canada.
Des témoins sont venus nous dire que le changement climatique est une réalité et que nous devons maintenant adopter des stratégies d'adaptation. Comme notre comité contribue à la formulation des politiques gouvernementales, nous nous demandons quel genre de politique nous devrions recommander en matière d'adaptation.
Pourriez-vous nous dire quelle stratégie d'adaptation pourrait fonctionner et ce à quoi elle devrait ressembler? Avez- vous des exemples d'initiatives d'adaptation déjà entreprises à l'un ou l'autre de vos niveaux de gouvernement aux États-Unis? Voilà pour ma première question.
Ma deuxième question est plus théorique, parce que des stratégies d'adaptation bien conçues pourraient favoriser les répercussions positives et atténuer les effets négatifs du changement climatique sur le pays, surtout dans des secteurs qui dépendent fortement du climat comme l'agriculture et les forêts. Pourriez-vous nous citer quelques-unes des principales caractéristiques d'une stratégie d'adaptation publique bien conçue que les gouvernements pourraient promouvoir? Deuxièmement, quel est le plus important défi auquel vos gouvernements font face dans la formulation de politiques efficaces en matière d'adaptation?
Je m'intéresse surtout aux secteurs de la forêt et de l'agriculture. Je suis en quête d'un cadre théorique quelconque que nous pourrions recommander, cadre qui serait fondé sur votre expérience et vos études.
M. Mendelsohn: Nous nous projetons très loin dans l'avenir, en 2050 et surtout en 2100, et nous nous attendons à ce que les agriculteurs apportent un grand nombre de changements à leurs techniques d'exploitation à cause du réchauffement climatique. Vous pouvez vous attendre à ce qui est prévu dans certains modèles écologiques annonçant la migration des biomes vers le nord. Nous nous attendons au même phénomène dans le cas des cultures. Chaque culture est conçue pour pousser dans une zone climatique donnée. Nous nous attendons à ce que ces zones climatiques se déplacent vers le nord sous l'effet du réchauffement. On s'attend, de façon générale, à ce que les cultures progressent jusqu'à 500 milles plus au nord, dans le scénario des changements climatiques les plus marqués envisagés pour les années 2100.
Les agriculteurs devront adapter leurs cultures en fonction du réchauffement. Il est important de le faire de façon graduelle et d'attendre que le climat se soit suffisamment réchauffé pour introduire de nouvelles cultures. Il ne faut pas inciter les agriculteurs à commencer à faire tout de suite ce qui s'imposera en 2100, parce que les cultures ne prendront pas.
Le sénateur Oliver: Existe-t-il des modèles susceptibles de nous aider à déterminer quand il faudra passer à une certaine culture et sur combien de jours s'échelonnera la croissance?
M. Mendelsohn: Oui. Nos experts agricoles pourront vous dire, dans le cas des principales cultures actuelles, quelle gamme de températures et quels types de conditions seront nécessaires à leur survie.
Vous devriez commencer par voir quel genre de culture se pratique actuellement dans le nord des États-Unis. Voyez quelles sont les gammes dont je viens de parler et où ces cultures poussent plus facilement. Au fur et à mesure du réchauffement climatique, d'une décennie à l'autre, vous constaterez qu'une partie de ces cultures commencent à migrer vers le nord, vers le Canada. Dans le même temps, les cultures que vous pratiquiez ici remonteront légèrement vers le nord.
Le sénateur LeBreton: D'autres témoins nous ont parlé du potentiel associé au déplacement des régions fertiles vers le nord. Et dans le sud des États-Unis? La situation demeurerait-elle inchangée ou pourrait-il y avoir des cultures différentes? Est-ce uniquement dans le Nord que les régimes climatiques changeraient et que la zone de croissance s'étalerait?
M. Mendelsohn: Dans le cas d'un changement climatique modéré, si les températures n'augmentent pas trop, l'accroissement de CO2 permettra d'atténuer les dommages que pourrait occasionner le réchauffement dans le sud des États-Unis. Dans un scénario très modéré, il y aurait même des avantages pour tout le pays. En revanche, en cas de réchauffement très marqué de quatre à cinq degrés Celsius, toute la partie sud des États-Unis serait très vulnérable.
Nous envisageons même des dégâts possibles et dans tous les modèles que nous avons examinés, les États-Unis sont plus vulnérables.
Le sénateur LeBreton: Est-ce que des cultures pourraient ne pas pousser là-bas parce qu'il ferait trop chaud?
M. Mendelsohn: Oui. Il serait toujours possible d'introduire des cultures subtropicales pour les remplacer, mais elles n'ont pas la même valeur commerciale.
M. Reilly: Dans les scénarios que nous avons examinés pour les États-Unis, nous estimons que les agrumes seront beaucoup moins touchés par les périodes de gel. Il n'y aurait plus les mêmes gelées fréquentes qui occasionnent beaucoup de dégâts aux plantations. Il y aurait des retombées positives pour certaines cultures mais aussi des pertes, surtout pour le soja, à cause de la sécheresse accrue.
Les conséquences varient d'une culture à l'autre. Les cultures propres à la saison chaude se comporteront mieux. Le pire des scénarios dans le cas des États-Unis est celui de la sécheresse, parce que plus grand-chose ne pousserait à moins de disposer de réseaux d'irrigation.
M. Mendelsohn: Une méthode d'adaptation dans le Sud consisterait à recourir davantage à l'irrigation.
M. Reilly: Je veux revenir sur votre question au sujet de l'adaptation. Pour avoir travaillé dans le passé avec des scientifiques canadiens, je sais que vous avez davantage réfléchi que nous aux stratégies d'adaptation. Nous ne nous sommes pas beaucoup interrogés aux États-Unis sur ce qu'il fallait faire pour s'adapter au changement climatique, du moins pas jusqu'ici.
Il y a bien des groupes de travail sur la sécheresse et d'autres aspects de la variation du climat, mais rien sur le changement climatique.
Le sénateur Oliver: Pouvez-vous nous dire, à partir de vos lectures, de ce que vous savez, des expériences que vous avez conduites et de votre expérience en général quel genre de mesures publiques nous devrions envisager?
M. Mendelsohn: Le qualificatif «publiques» est très important ici. La plupart des mesures que je vous ai décrites sont privées.
Le sénateur Oliver: Vous nous avez parlé de la progression vers le Nord.
M. Mendelsohn: Ce que vous voulez savoir, c'est ce que le gouvernement doit faire.
Le sénateur Oliver: Effectivement.
M. Mendelsohn: Par exemple, le gouvernement pourrait mettre en œuvre un programme d'administration des régimes d'irrigation qui serait très intéressant parce qu'il permettrait de répartir équitablement l'eau entre les différents utilisateurs. Le gouvernement doit aussi fournir des informations sur le climat. Il peut aussi prévenir les agriculteurs des changements possibles et les informer de ce qu'ils devraient faire en prévision des changements prévus, sur la base des expériences que nous avons conduites. Les agriculteurs seraient donc informés et pourraient décider en conséquence.
Le sénateur Oliver: Il y a de nouveaux ravageurs et de nouvelles variétés de plantes. Quel rôle le gouvernement devrait-il jouer à cet égard?
M. Reilly: Vous voulez savoir comment j'envisage l'évolution de l'agriculture canadienne? Eh bien, depuis plusieurs années, le financement public de la recherche agricole a permis de mettre au point un grand nombre de variétés et d'hybrides. Les chercheurs se sont penchés sur la façon dont les agriculteurs pourraient s'adapter à différents scénarios. Vers 1980, quand je travaillais au département américain de l'agriculture, nous avons étudié le financement de la recherche pour constater que le financement privé avait dépassé de loin le financement public de la R-D.
Pour l'instant, le secteur privé est très efficace dans certains domaines de la recherche que vous pourriez envisager de faire financer par le secteur public. Aux États-Unis, des grandes compagnies de production de semences collaborent avec des climatologues pour essayer de mieux comprendre les réalités du climat. Ces sociétés veulent déterminer quelles modifications elles devraient apporter à leur stratégie de sélection.
Aux États-Unis, nous avons un service de prolongement coopératif très important. Nous offrons différents programmes d'assistance aux agriculteurs. Ces programmes publics sont utiles dans une certaine mesure, mais il y en a de plus en plus que nous avons basculé à des entreprises privées. Ainsi, des organismes de prévision météorologique privés utilisent les données produites par le Service météorologique national. Les agriculteurs souscrivent à cet organisme privé qui les prévient d'avance des risques de gel ou autres.
Tout dépend de la place que le secteur privé devrait, selon vous, occuper dans votre économie par rapport au secteur privé. Aux États-Unis, ce secteur peut prendre à son compte une grande partie de la gestion du risque qui relevait avant de la politique agricole fédérale, politique qui avait pour objet de niveler les prix ou d'offrir une assurance-culture subventionnée.
Nous estimons que les instruments du privé permettent aux agriculteurs de mettre leurs risques en commun. La meilleure stratégie consiste à aider les agriculteurs en les informant, en maintenant le marché ouvert, en les renseignant davantage sur leurs marchés et en leur offrant des programmes de formation et d'enseignement. Nous ne pouvons prédire ce qui va se passer. Tout ce que nous pouvons faire, c'est de mobiliser les gens pour qu'ils s'adaptent de la façon la plus intelligente possible.
Le sénateur Oliver: Autrement dit, il faut maîtriser le changement.
Le président suppléant: Grâce à l'introduction de nouvelles variétés et à l'expérience acquise nous avons, en quelque sorte, devancé le réchauffement planétaire. Le canola en est un bon exemple. Pendant des années, on nous a dit que le seul endroit où l'on pouvait cultiver du canola, c'était à Melfort, en Saskatchewan, là haut dans le Nord. Maintenant, le canola pousse dans le Dakota du Sud parce que c'est une variété différente. L'inverse est vrai dans le cas du tournesol. On nous disait qu'il n'était pas possible d'en faire pousser dans le Nord, mais on le trouve maintenant beaucoup plus au nord qu'avant grâce à de nouvelles variétés.
M. Reilly: Cela me rappelle un résultat très intéressant auquel nous sommes parvenus à l'occasion de notre évaluation nationale. Nous avons examiné les variations enregistrées sur le plan des rendements, les régions où l'on faisait pousser telle ou telle culture aux États-Unis et l'évolution constatée de 1880 à 1990. Nous avons effectué ces études pour le blé, le maïs et le soja. Nous avons constaté que ces cultures se sont d'abord déplacées vers l'ouest, puis vers le nord. Avant même d'avoir reporté le résultat de nos constats, nous avons remarqué que l'emplacement moyen où l'on cultivait ces produits avait subi un refroidissement de quatre degrés Celsius. Sous l'effet d'un changement de variété, la production de maïs a migré vers le nord. La mise au point de nouvelles variétés a permis de contrer tous les effets du changement climatique.
Nous nous attendions à ce que la température ait augmenté là où l'on cultivait ces produits, mais il se trouve que les cultures en question sont remontées beaucoup plus vers le nord que le changement climatique aurait pu l'imposer. Nous en avons été étonnés au début, mais cela confirme ce que vous disiez.
M. Mendelsohn: Il y a autre chose en ce qui concerne les précipitations. S'il s'avère que le centre du Canada devient plus sec, vous pourriez vous tourner vers des cultures adaptées à la sécheresse. Il serait prématuré que vous investissiez tout de suite dans ce genre de recherche, parce que vous pourriez très bien ne jamais connaître un tel degré de sécheresse. Et si ce scénario devait se révéler, eh bien le Sénat pourrait toujours s'attaquer à ce problème dans l'avenir.
Le sénateur Hubley: Comme quelqu'un l'a dit, nous sommes rentrés depuis peu de l'Ouest canadien où nous avons examiné les différentes facettes de l'agriculture. Nous avons eu l'occasion de nous entretenir avec un aîné autochtone. Cette conversation a été très intéressante. Il n'a pas eu besoin ni de graphique ni de diagramme pour nous dire qu'il avait été le témoin, tout au long de sa vie, de nombreux changements dans le régime météorologique et dans les régimes de croissance de la végétation. Toutes ces informations existent déjà, non seulement chez les Autochtones du Canada mais aussi chez les agriculteurs.
Nous en avons parlé à maintes reprises. Nombre de mes collègues en ont parlé. Dans quelle mesure pourrions-nous exploiter les constats scientifiques pour les transmettre aux milieux agricole et forestier? À votre connaissance, les États-Unis ont-ils déjà entamé ce processus? Envisagez-vous des façons de progresser sur ce plan?
Vous n'estimez peut-être pas être en mesure de répondre à ce genre de question et que d'autres devraient peut-être s'en charger. Quoi qu'il en soit, comment vous y prendriez-vous pour transmettre aux gens sur le terrain toute l'information dont nous disposons sur le changement climatique?
M. Mendelsohn: Il est utile de dire aux agriculteurs ce qui pourrait se passer dans les 100 prochaines années afin qu'ils puissent se préparer aux changements qui guettent l'agriculture. Le genre de communication fondamentale dont vous parlez devrait sans doute se faire tous les dix ans. Vous indiqueriez très clairement aux gens ce que vous pensez de l'évolution du climat au Canada ainsi que le genre d'orientation qu'ils devraient prendre en fonction de la nouvelle dynamique climatique. Vous apprendriez en cours de route. .
Il nous est difficile de prédire ce que vous devriez faire en 2050, mais vous en aurez une bonne idée en 2040. En actualisant régulièrement les données en cours de route, les conseils d'adaptation prodigués aux agriculteurs demeureront pertinents.
Le sénateur Hubley: Nous sommes tous d'accord avec cela. L'information dont nous disposons va aider le milieu agricole à prendre des décisions, mais pas forcément avec trop d'avance. Toutefois, les agriculteurs devront être mis au courant des données dont nous disposons pour décider de ce qu'ils doivent faire au quotidien, mais pas après coup, faute de quoi, ils seraient confrontés à des récoltes déficitaires et à ce genre de chose avant que nous n'ayons pu réagir.
M. Mendelsohn: Je ferai une seule mise en garde, qu'a soulevée M. Reilly avant moi. Il faut éviter que les agriculteurs aient à se soucier du problème du changement climatique. En Europe, par exemple, on a constaté que, plus les subventions sont élevées et plus la situation est compliquée pour les agriculteurs. Ce serait très précisément le mauvais genre d'incitatif à leur donner ici, parce qu'ils n'auraient plus ensuite à chercher à s'adapter au changement climatique.
Le sénateur Fraser: Comme le sénateur Oliver l'a dit, le comité du Sénat est principalement chargé de recommander la politique gouvernementale. Au Canada, cette politique consiste surtout à déterminer ce qu'il faut faire au sujet des collectivités éloignées. Je sais que ce phénomène existe aussi en partie aux États-Unis, mais sachez que nous souffrons beaucoup de l'exode rural.
L'une des questions que nous nous posons au sujet de la politique gouvernementale consiste, par exemple, à savoir si nous devons maintenant promouvoir l'arrière-pays parce qu'il pourrait avoir un véritable avenir dans 20 ans d'ici. Il en va de notre intérêt national de maintenir nos collectivités en vie, pour qu'elles aient un avenir. Or, si l'arrière-pays n'a d'avenir que dans 80 ou 100 ans d'ici, nous devrons alors indiquer au gouvernement qu'il ne vaut pas la peine de dépenser l'argent du contribuable d'ici là. L'arrière-pays pourra toujours être bâti dans 100 ans.
Vous avez dit que les gros changements s'annonceront en cours de route, mais d'après les graphiques et les tableaux que vous nous avez montrés, quand tout cela va-t-il arriver? À quel moment va-t-on commencer à être suffisamment conscients des changements que nous subirons pour que l'on puisse se dire, dans le cadre de la politique gouvernementale, dans 20 ou 30 ans d'ici: «Cette intervention est valable, parce qu'elle donnera des résultats plus tard, même si elle ne donne rien maintenant».
M. Mendelsohn: Nous venons juste d'entamer une analyse d'impact dynamique et c'est précisément l'une des questions auxquelles nous essayons de répondre. Nous nous sommes demandés: «Quand va-t-on commencer à vraiment percevoir le changement climatique d'une façon telle que nous aurons la confirmation qu'il s'agit bien de cela et que ce changement va avoir des répercussions?» Nous avons conclu que vers 2030-2060, nous devrions commencer à percevoir les répercussions du changement climatique dans deux régions. D'abord dans les pays polaires, dont le Canada fait partie, puis dans les tropiques. C'est là où nous allons voir que les choses commencent à changer. Nous pensons que c'est à ce moment-là que vous commencerez à percevoir les avantages du réchauffement, que les choses seront visibles pour vous.
Le sénateur Fraser: C'est-à-dire dans 25 ou 30 ans.
M. Mendelsohn: De notre vivant.
Le sénateur Fraser: Et même du vivant de certains sénateurs.
M. Reilly: D'après certains relevés établis par satellite, il semble que le changement climatique est déjà enclenché puisqu'on constate des printemps de plus en plus précoces dans les régions septentrionales extrêmes. Vous avez déjà constaté certains effets du changement climatique à un certain niveau. Nous nous sommes déjà plus ou moins adaptés à ce qui se passe depuis une trentaine d'années et, à cause des variations climatiques qui surviendront dans la vingtaine d'années à venir, nous ne serons pas vraiment en mesure de tirer des constats probants.
Nous nous tournerons toujours vers le passé, vers ce qui se sera passé au cours des deux dernières décennies, mais nous aurons de la difficulté à détecter un changement climatique rapide tant que la température n'aura pas commencé à augmenter d'au moins trois dixièmes de degrés Celsius ou plus par décennie. Où va se situer ce signal par rapport aux variations climatiques constatées par ailleurs? Étant donné l'ampleur des variations, une vingtaine d'années pourrait suffire pour voir au-delà de ce que donnent les variations climatiques.
Le sénateur Fraser: J'apprécie toujours que les scientifiques hésitent à nous dire «voici ce que je vous prédis», et ils ont raison. Je ne discute pas cela. D'un autre côté, en politique gouvernementale, il faut toujours formuler des hypothèses et prendre des décisions. Voilà une hypothèse dont nous devrions très certainement tenir compte.
Professeur Mendelsohn, l'une de vos diapositives parle d'une augmentation relativement importante de la superficie de la forêt boréale. Cela m'étonne parce qu'il y a deux ou trois ans de cela, à un autre comité auquel je siégeais, j'ai entendu un climatologue nous dire qu'il y avait de bonnes chances que, comme vous le souteniez vous-même, les frontières nord et sud de la forêt boréale subissent de très importants changements. Il nous a dit que la forêt pourrait migrer vers des terres qui ne sont pas propices à ces essences. Avez-vous examiné cette question?
M. Mendelsohn: Oui. Nous prévoyons que les forêts vont migrer jusque sur le bouclier canadien. Cela étant posé, s'agira-t-il de forêts productives, luxuriantes? Certainement pas. Elles seront limitées à cause de la nature du sol. Il demeure que la terre devenant plus favorable pour la forêt, on y trouvera bien des essences d'arbre, mais pas de grands arbres.
Le sénateur Fraser: Est-ce qu'on intègre ces augmentations fantastiques de superficie dans la production forestière?
M. Mendelsohn: Il y aura une énorme augmentation de la forêt boréale parce que les écologistes prédisent que la progression sur la toundra sera énorme. Il est possible qu'une partie des forêts caducifoliées de l'Est migrera vers le sud du Canada. Nous prévoyons que l'augmentation de la superficie des autres essences repoussera un peu plus la limite méridionale de la forêt boréale, mais cela ne sera pas aussi marqué que la progression de la forêt boréale vers le nord.
Pour ce qui est de l'expansion de la forêt commerciale, il est essentiellement question de la bande des essences situées dans le sud. Tout ce qui pousse au nord n'est pas commercialement intéressant.
Le sénateur Oliver: Monsieur Reilly, depuis mon arrivée, vous avez parlé deux fois d'assurance-culture, de programmes de soutien agricole et de certains de leurs effets. Quand nous étions dans l'Ouest, des agriculteurs nous ont dit que nos actuels programmes de soutien agricole et d'assurance-culture ne les aident pas, même pas après le petit changement climatique qu'ils ont déjà subi. Ils nous ont notamment demandé de voir dans quelle mesure il serait possible de modifier les programmes en question qui ne leur permettent actuellement pas de s'adapter.
Pour répondre, j'aimerais que vous me parliez de votre expérience aux États-Unis. Sachant ce que permettent de réaliser les assurances-cultures et les programmes de soutien agricole actuellement en place face au changement climatique qui est maintenant une réalité, quel genre de changement devrait-on apporter sur le plan politique pour que ces programmes contribuent à l'adaptation de l'agriculture?
M. Reilly: Je souhaiterais qu'on les élimine. Les économistes estiment que les programmes d'assistance agricole, dans la mesure où ils consistent à complémenter les revenus, induisent un phénomène de «survalorisation de la terre». La valeur commerciale des terres agricoles que possède toute personne s'attendant à toucher des subsides au titre des programmes d'assistance agricole augmentent parce qu'on s'attend à ce que l'exploitation soit plus productive. Au début, il y a un «effet richesse», mais quand l'exploitation est vendue, le prix est stimulé en conséquence. L'acheteur de la ferme se retrouve alors avec un rendement normal, pour une propriété dont la valeur avait été légèrement gonflée sous l'effet du programme d'assistance agricole. Le nouvel acheteur se retrouve dans une situation précaire, parce qu'il a payé pour une propriété dont la valeur a été majorée à cause du programme d'assistance agricole. J'ai l'impression que cela ne fonctionne pas, dès lors que pour maintenir la santé du milieu agricole il faut sans cesse augmenter les versements effectués au titre du programme d'assistance agricole pour que la génération suivante puisse justifier le prix qu'elle a payé pour sa terre.
C'est un problème délicat à résoudre parce que ce qui semble être la solution évidente à court terme ne fonctionne pas à long terme.
Le président suppléant: Je vous répondrai ceci: tant que vous aurez le American Farm Bureau — qui est le lobby le plus puissant à Washington — cela n'arrivera jamais.
M. Reilly: Et ce sera le cas tant que nos élections seront décidées à quelques voix près.
Le président suppléant: Merci. Merci pour vos excellents exposés, messieurs. Nous nous réjouissons d'avoir entendu vos points de vue très positifs à ce sujet.
La séance est levée.