Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense
Fascicule 16 - Témoignages pour la séance du matin
OTTAWA, le lundi 5 mai 2003
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense s'est réuni aujourd'hui à 11 h, pour étudier, afin d'en faire rapport, la nécessité d'une politique nationale sur la sécurité pour le Canada.
Le sénateur Colin Kenny (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Je déclare la séance du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, ouverte. Bonjour et bienvenue à tous. Aujourd'hui, nous entendrons des témoignages au sujet de la défense côtière canadienne.
Je suis un sénateur de l'Ontario et je préside le comité.
Est également présent avec nous aujourd'hui, M. Michael Forrestall, distingué sénateur de la Nouvelle-Écosse. Depuis plus de 37 ans, le sénateur Forrestall représente les électeurs de Dartmouth, d'abord comme député à la Chambre des communes et ensuite, en tant que sénateur. Tout au long de sa carrière parlementaire, il s'est intéressé aux questions de défense et il a œuvré au sein de divers comités de la défense, incluant le Comité mixte spécial pour l'avenir des Forces canadiennes de 1993.
Permettez-moi de vous présenter les autres sénateurs présents aujourd'hui. Le sénateur Norm Atkins de l'Ontario s'est joint au Sénat en 1986 avec un bagage de connaissances dans le domaine des communications ainsi que des antécédents professionnels comme que conseiller de l'ancien premier ministre de l'Ontario, M. Bill Davis. Le sénateur Atkins est membre de notre Sous-comité des affaires des anciens combattants ainsi que du Comité permanent du Sénat sur la régie interne, le budget et l'administration. Il est également président du caucus progressiste-conservateur du Sénat.
Le sénateur Jane Cordy de la Nouvelle-Écosse est une éducatrice accomplie, et qui possédait un dossier très étoffé en matière d'intervention communautaire au moment de se joindre au Sénat en l'an 2000. En plus d'œuvrer au sein de notre comité, Mme Cordy a été membre du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie qui a récemment publié un rapport historique sur les soins de santé et qui étudie actuellement la santé mentale. Le sénateur Cordy a récemment été élue vice-présidente de l'Association parlementaire canadienne de l'OTAN.
Le sénateur Joe Day du Nouveau-Brunswick, est un excellent avocat et homme d'affaires et il a été nommé au Sénat en l'an 2001. Le sénateur Day est vice-président du Sous-comité des affaires des anciens combattants et du Comité sénatorial permanent des finances nationales. Il œuvre également au sein du Comité permanent du transport et des communications du Sénat et du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Il a récemment été élu conseiller au sein de l'Association parlementaire canadienne de l'OTAN.
Notre comité est le premier comité permanent du Sénat ayant pour mandat d'examiner la sécurité et la défense. Au cours des 18 derniers mois, nous avons produit plusieurs rapports, en commençant par celui intitulé «L'état de préparation du Canada sur les plans de la sécurité et de la défense». Cette étude parue en février 2002, traitait des principaux enjeux pour le Canada en matière de défense et de sécurité.
Le Sénat a ensuite demandé à notre comité d'examiner la nécessité d'une politique nationale sur la sécurité. Jusqu'à maintenant, nous avons publié trois rapports traitant de divers aspects ayant trait à la sécurité nationale. Le premier rapport intitulé «La défense de l'Amérique du Nord: une responsabilité canadienne», a été publié en septembre 2002. Le deuxième rapport intitulé «Pour 130 $ de plus» Mise à jour sur la crise financière des Forces canadiennes, une vue de bas en haut», a été publié en novembre 2002. Le troisième et le plus récent rapport, intitulé «Le mythe de la sécurité dans les aéroports canadiens», a été publié en janvier 2003.
Le comité poursuit son évaluation à long terme de la capacité du Canada à contribuer à la sécurité et à la défense de l'Amérique du Nord. Dans le cadre de ces travaux, le comité a tenu des audiences portant sur le soutien du gouvernement fédéral à l'égard des hommes et des femmes partout au Canada qui sont les premiers à intervenir en cas de situations d'urgence et de catastrophe. Le comité a toutefois décidé de prioriser une évaluation permanente de la capacité du Canada à défendre ses eaux territoriales et à participer à la surveillance des côtes du continent.
Ces audiences permettent la mise à jour d'un rapport précédent du comité s'intitulant «La défense de l'Amérique du Nord: une responsabilité canadienne», publié en septembre 2002, concluant que les efforts canadiens en matière de défense des côtes du continent, étaient principalement ponctuels et fragmentaires.
Ce matin, nous entendrons un témoignage de M. Wesley K. Wark, professeur agrégé au département d'histoire du Munk Centre for International Studies de l'Université de Toronto. Cher monsieur Wark, nous sommes heureux de vous accueillir de nouveau au comité. La dernière fois que nous avons eu l'occasion de vous entendre, nous avons apprécié votre franche opinion et nous avons hâte de vous entendre à nouveau.
M. Wesley K. Wark, professeur agrégé, Département d'histoire, Munk Centre for International Studies, Université de Toronto: Je remercie tous les membres du comité pour cette invitation à témoigner. Les travaux du comité m'intéressent au plus haut point car ils traitent d'enjeux importants. Dans certains cas, c'est le seul comité qui aborde ces enjeux de façon particulière.
Je ferai tout d'abord quelques commentaires généraux et larges au sujet du rôle du renseignement dans la sécurité maritime. Je passerai ensuite à des questions plus spécifiques que je crois importantes. Le temps me semble opportun pour discuter des enjeux ayant trait à la sécurité maritime et au renseignement, et ce, pour diverses raisons. La semaine dernière, et je suis certain que le sénateur Forrestal est au courant, un rapport de presse a été publié au sujet d'un cargo égyptien affrété qui est actuellement en quarantaine suite aux recommandations de Santé Canada. On soupçonne que ce cargo affrété pourrait avoir transporté la bactérie anthrax du Brésil au Canada. Un grand mystère entoure cette affaire et ce rapport laisse penser que nous ne pouvons pas ignorer la crainte du bioterrorisme qui nous habite suite aux événements du 11 septembre.
De plus, comme plusieurs d'entre vous le savez, une célébration commémorant le 60e anniversaire de la bataille de l'Atlantique, a eu lieu récemment à Halifax. Cela est pertinent par rapport aux commentaires dont je vous ferai part, en termes d'expérimentation réussie par le Canada au cours de la Seconde Guerre mondiale afin de traiter des enjeux liés à la sécurité maritime.
Premièrement, j'aimerais formuler des commentaires généraux qui ne surprendront pas particulièrement les membres du comité, mais qui permettront d'établir le contexte nécessaire pour d'autres commentaires spécifiques que je vous communiquerai. On accorde un attachement de pure forme, et peut-être pas assez d'importance, à la notion voulant que toute politique ou activité en matière de sécurité soit axée sur le renseignement face à la réalité de l'après 11 septembre. Nous entendons souvent cette phrase, mais je ne suis pas certain que nous passions suffisamment de temps à la mettre en pratique et à essayer de penser en termes de capacités et d'institutions contemporaines actuelles. La sécurité doit être axée sur le renseignement.
Le renseignement doit avoir le potentiel nécessaire pour faire face aux menaces actuelles, constituant très souvent le point central des préoccupations et des changements proposés, mais il doit également être doté d'une capacité, qu'il ne faudrait pas oublier. Il doit détenir une capacité d'analyse afin d'évaluer les menaces possibles qui ne sont pas encore survenues mais qui pourraient se présenter. L'interconnexion entre les alertes du renseignement, l'évaluation des menaces, la stratégie militaire à long terme et les politiques d'approvisionnement, est importante. Comme vous le savez, ces éléments s'appliquent sur des périodes de plusieurs années, et souvent de plusieurs décennies.
Trois choses sont nécessaires à la réussite du renseignement. Il est en majeure partie fondé sur le bon sens et appuyé d'antécédents historiques et d'études. Il nécessite une capacité de collecte suffisante, un bon ensemble de compétences analytiques, ainsi qu'une capacité à fournir des renseignements crédibles pour un auditoire réceptif et décisionnaire.
Ceux qui étudient à fond le renseignement, seront familiers avec ce concept appelé le «cycle du renseignement». Le renseignement comprend trois composantes essentielles: la collecte, l'analyse et la diffusion. Tout système de renseignement s'efforçant de bien faire les choses, doit posséder les capacités nécessaires dans ces trois domaines et doit constamment procéder à des ajustements dans ces mêmes domaines.
Tous les organismes de renseignement partout dans le monde travaillent avec acharnement pour obtenir les capacités requises pour une bonne collecte, une bonne analyse et une bonne diffusion. À cet égard, le Canada ne diffère aucunement des autres états de même envergure, plus larges ou plus petits. Toutefois, il existe dans ce pays des problèmes uniques qu'il faudra surmonter.
Quels sont ces problèmes uniques? De façon historique, nous sommes victimes depuis plusieurs décennies d'un manque de ressources affectées au renseignement. Ce manque de ressources continue de poser un problème même dans le contexte de la réalité de l'après 11 septembre et des hausses budgétaires qui ont été accordées dans les mois qui ont suivi ces événements dans le cadre du soi-disant budget sur la sécurité de décembre 2001, de M. Paul Martin, qui était ministre des Finances à ce moment-là.
Deuxièmement, nous sommes victimes ici au Canada de ce que l'on pourrait décrire de façon charitable, des capacités d'évaluation très minimales. Essentiellement, nous ne sommes pas dotés d'une forte capacité pour considérer dans tous ses détails le flux très complexe et d'un volume considérable de données de renseignement acheminé vers les divers organismes de renseignement au Canada, et pour l'analyser afin de décider de ce qui est important et de ce qui doit être évalué et mis à exécution.
Troisièmement, nous sommes confrontés dans ce pays, à un problème réel de fonctionnement organisationnel en ce qui a trait au système de renseignement, la soi-disant communauté du renseignement. Nous sommes également victimes d'une culture politique existant à Ottawa, qui n'accorde que très peu d'attention au renseignement. Encore une fois, c'est en partie un problème historique.
En ce qui a trait au cycle du renseignement et à ses trois composantes, nous sommes aux prises avec des problèmes dans les trois domaines essentiels, c'est-à-dire la collecte, l'analyse et la diffusion. C'est le portrait général et il n'est pas très gai.
Permettez-moi de parler maintenant d'éléments spécifiques ayant trait à la sécurité maritime. J'aimerais parler des conclusions de ce comité dans le rapport de septembre 2002 portant sur la défense en Amérique du Nord, et que le sénateur Kenny a mentionné en introduction.
Je procéderai en suivant le schéma que j'ai précédemment établi pour les activités du renseignement. Je désire aborder la question des capacités de collecte du renseignement. Quelles capacités possédons-nous? Où sont les problèmes? Comment pourraient-ils être résolus? Quelle est la situation en ce qui a trait à l'évaluation? Et en ce qui a trait à la diffusion? J'aborderai ces questions de façon très brève et je serai heureux d'en discuter plus en détails lors de la période allouée pour les questions et les réponses.
Premièrement, je parlerai de la collecte de renseignement en tenant compte des problèmes de sécurité maritime. Le portrait n'est certainement pas joli. Le comité est entièrement d'accord avec cela. Les détails sont montrés tels qu'ils sont dans le rapport de septembre 2002. Nous n'avons pas de patrouille navale permanente affectée à la côte Est ou à la côte Ouest, capable de surveiller notre littoral maritime. La Garde côtière est un organisme aux prises avec de trop nombreux engagements. La sécurité maritime n'est qu'une des nombreuses fonctions de cet organisme.
L'aviation canadienne manque de ressources nécessaires pour la reconnaissance aérienne de nos principales zones océaniques ou maritimes. Lorsque des patrouilles occasionnelles sont effectuées, le personnel est forcé d'utiliser un aéronef vétuste, l'avion patrouilleur Aurora. Ces aéronefs vétustes sont munis de systèmes de détection désuets et ils ne sont pas outillés des dernières technologies.
Le Canada n'est pas doté d'une capacité spécialisée de surveillance par satellite. Nous n'avons aucun accès à des programmes pour les véhicules aériens sans pilote ou pour les drones. Cela mérite certainement un examen. Nous manquons de matériel militaire. Nous n'avons aucun système en place pour appuyer toute forme de surveillance systématique de nos zones maritimes, que ce soit la côte Est, la côte Ouest, l'Arctique, les Grands Lacs ou la Voie maritime du Saint-Laurent.
Ces problèmes semblent être des problèmes de matériel militaire et coûtant cher à résoudre. C'est vrai jusqu'à un certain point. De tels problèmes et la liste des achats militaires font partie d'un problème plus général concernant la direction prise par nos Forces canadiennes et où leur budget les conduira.
Les enjeux relatifs à la capacité de collecte de renseignement pour la sécurité maritime, posent un problème plus large. Nous devons nous demander jusqu'à quel degré une force armée de ce pays consacrera ses ressources à la capacité informationnelle plutôt qu'aux pures aptitudes de combat.
Je dirais que l'un des changements profonds que nous devons considérer en termes de politique militaire et de structure des forces, est précisément ce changement de cap, de capacités pures de combat à un accent beaucoup plus marqué sur la capacité informationnelle. Dans ce contexte, nous pourrions parler, entre autres, de notre programme sous-marin (je ne m'étendrai pas sur le sujet ici). Il y a un problème de matériel militaire.
Laissez-moi vous parler de questions plus pratiques, de ce que nous pourrions faire à l'aide des ressources existantes. Nous devons reconnaître le fait que nous sommes confrontés à une pénurie de renseignement en sécurité maritime et que nous devons combler quelques lacunes à l'aide de ressources existantes tout en pensant à l'ajout de diverses ressources pour la collecte du renseignement. Nous devons songer à instituer un système d'observation des ports. Nous avons besoins d'observateurs tels que ceux qui existaient durant la Seconde Guerre mondiale et qui ont joué un rôle important. Dans le cadre de cette capacité d'observation des ports, nous pourrions faire participer différents employés travaillant à l'étranger pour le gouvernement canadien. Les consuls au ministère des Affaires étrangères, les délégués commerciaux, le personnel de l'Immigration et les agents de liaison du SCRS, entre autres, se trouvent dans des secteurs géographiques pertinents du globe. La tâche d'assurer la surveillance du transport maritime potentiellement dangereux à partir du port d'origine, devrait leur être confiée.
Deuxièmement, nous devons développer davantage l'idée d'une liste internationale en ligne et ouverte pour la surveillance de toute expédition ou de tout mouvement maritime. Par le passé, il est arrivé que certaines entreprises du secteur privé nous fournissent de l'information de ce genre. Cette information doit maintenant être coordonnée au niveau gouvernemental dans le contexte de l'ère électronique. En ce qui a trait aux pratiques de technologie, il n'existe aucune raison pour laquelle une telle liste de surveillance en ligne pour les expéditions maritimes ne pourrait être créée. Il est peut-être temps de le faire. Cela nous donnerait une occasion de faire une distinction entre le mouvement maritime d'expéditions ne présentant aucun risque, de celles pouvant présenter un risque, et de celles qui présentent un risque, c'est-à-dire les «expéditions malhonnêtes» dans le langage contemporain.
Troisièmement, pour tout effort supplémentaire de la part du Canada dans le domaine de la sécurité maritime afin de travailler à la collecte du renseignement, nous devons intégrer dès le départ, nos efforts à ceux des États-Unis et peut-être à ceux du Mexique, bien que je sois moins au courant des efforts mexicains à cet égard, afin d'assurer un échange efficace du renseignement et une utilisation optimale des ressources disponibles. À cet égard, le lien entre le Canada et les États-Unis est très important et il doit être maintenu et élargi.
Au Canada, nous sommes confrontés à la nécessité d'accroître la quantité et la qualité du renseignement recueilli au sujet de la sécurité maritime. Nous devons essayer d'obtenir la plus grande partie du renseignement de l'extérieur, et plus ce renseignement vient de loin, plus c'est avantageux, afin de fournir une alerte avancée et d'intervenir.
La collecte du renseignement ne représente qu'un morceau du casse-tête. Vous pouvez dépenser de l'argent pour une plus grande collecte et cela ne servira à rien si les données ne peuvent être analysées de façon adéquate ou être utilisées dans le cadre d'un processus décisionnel politique ou opérationnel.
La prochaine étape du problème est la question de savoir quoi faire avec le renseignement recueilli. Cela fait partie de la fonction de l'analyse du renseignement. Toutes ces données de renseignement brut, pouvant être recueillies par des moyens existants ou améliorés dans le futur grâce à des activités nouvelles et existantes, doivent être intégrées et analysées dans les plus brefs délais et de façon judicieuse. Autrement, ces données ne sont que de petites parcelles d'information dans un vaste flux d'information.
Dans le rapport publié en septembre 2002 par ce comité, j'ai été impressionné par la mention au sujet de la création de deux centres opérationnels — que j'appelle centres opérationnels du renseignement, parce qu'il existe une raison de leur apposer cette étiquette — un centre pour chaque côte. Je pense que c'est une excellente idée, mais je suggère toutefois une modification à cet égard, que je crois importante.
Dans le cas d'une proposition ou d'un changement dans ce secteur afin de créer des centres opérationnels du renseignement, au lieu de les séparer sur deux côtes, je crois qu'il est important de centraliser cette fonction et de l'installer au cœur des opérations gouvernementales à Ottawa. Un seul centre opérationnel à Ottawa serait l'idéal.
En procédant ainsi, nous nous retrouverions dans la foulée d'une expérimentation canadienne innovatrice et probablement oubliée depuis longtemps, qui a connu un grand succès durant la Seconde Guerre mondiale. Au tout début de la bataille de l'Atlantique, nous avons créé au QGDN à Ottawa, un centre opérationnel du renseignement qui a été l'un des centres de traitement du renseignement ayant le mieux réussi dans le monde occidental. Ce centre était un élément essentiel pour le Canada dans le cadre de la bataille de l'Atlantique, cette bataille dont nous commémorons le 60e anniversaire durant la fin de semaine.
Évidemment, ce que le centre opérationnel du renseignement a fait durant la Seconde Guerre mondiale, c'est de fournir des services de renseignement maritime, particulièrement pour gérer les opérations de convois et les opérations anti-sous-marines de la marine canadienne, américaine et britannique dans l'Atlantique Nord. Il a fait de l'excellent travail. Durant la Seconde Guerre mondiale, ce centre s'enorgueillissait d'être le meilleur du genre au monde.
Peut-être que c'était seulement de la fierté de la part du Canada; mais selon les documents historiques, je ne doute nullement que nous ayons fait du bon travail et la réussite de cette expérience a été démontrée. Cette expérience pourrait, et peut-être qu'elle devrait, être renouvelée aujourd'hui pour faire face aux nouvelles menaces en matière de sécurité maritime. Il faudrait bien sûr que ces menaces incluent les menaces terroristes, mais elles pourraient également inclure diverses autres menaces qui sont actuellement à l'état de veille dans nos pensées, mais qui ne nous quittent pas. Ces menaces comprennent l'immigration clandestine, les activités criminelles internationales, le trafic de stupéfiants et plusieurs autres aspects régis par la sécurité nationale.
En quoi doit consister un centre opérationnel du renseignement à Ottawa, afin de réussir? Je pense qu'il doit posséder certaines caractéristiques. Il doit posséder un personnel interministériel doté de hautes compétences. Ce centre ne pourrait pas être dirigé par un seul ministère, en s'appuyant sur l'ensemble de compétences et le personnel d'un seul ministère. Il doit être interministériel, comme l'était le centre opérationnel du renseignement durant la Seconde Guerre mondiale. Il doit être doté d'une capacité technologique pour traiter les recherches d'information de sources ouvertes et pour le flux de données classifiées. Ce centre ne devrait pas être obligé d'utiliser des agents du renseignement qui doivent exploiter trois systèmes informatiques différents simultanément afin de choisir divers flux de données de renseignement, comme cela se fait actuellement à Ottawa et que vous saviez peut-être déjà.
Ce centre doit être doté d'une structure de rapports hiérarchiques très claire afin de permettre l'utilisation de son information, et il doit avoir la capacité nécessaire afin de s'intégrer à des organismes de coopération existant aux États- Unis et à l'étranger. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, le centre opérationnel du renseignement d'Ottawa avait intégré du personnel venant du Royaume-Uni et des États-Unis à son service et nous avions du personnel travaillant dans d'autres centres alliés, apprenant les pratiques et observant les activités quotidiennes dans ces endroits.
En ce qui a trait au front analytique, je pense que la réforme la plus importante à réaliser, c'est de centraliser cette fonction de collecte et d'analyse de l'information, de l'établir à Ottawa et de lui donner une haute priorité. Nous devrions faire de ce centre une sorte de centre de surveillance, un centre d'alerte comme celui qui existe présentement en pièces détachées à Ottawa dans la communauté du renseignement. Il serait important de le faire, non seulement pour la sécurité maritime, mais également pour aider à l'intégration et à la cohérence de la communauté du renseignement dans plusieurs autres secteurs. Si vous pouviez démontrer que cela fonctionne pour la sécurité maritime, cela constituerait un grand pas en avant afin de démontrer à un gouvernement, qui aime faire les choses dans le cadre de silos ministériels, que ce n'est pas la seule façon de faire.
Un troisième élément qui doit être changé afin de rendre la sécurité maritime plus efficace particulièrement pour la manipulation du renseignement, c'est de configurer un système qui permettrait de mieux subvenir aux besoins d'utilisation de toute information recueillie à l'aide de moyens existants ou futurs, pour fins d'utilisation opérationnelle ou politique. Pour ce faire, il faut non seulement un centre opérationnel du renseignement, mais également un type d'organisme directeur, clairement établi à Ottawa, et responsable des actions en matière de renseignement qu'un tel centre opérationnel fournirait.
L'organisme tout désigné pour accomplir cette tâche, serait le ministère de la Défense nationale. Il détient déjà certaines des ressources nécessaires pour la sécurité maritime dans la marine et dans la force aérienne, ainsi que d'autres ressources dans ce domaine. Le SCRS, la GRC, la Garde côtière, Transports Canada, et même possiblement l'Immigration, devraient reconnaître le rôle du MDN en tant qu'organisme directeur dans ce domaine, et ils devraient avoir le désir et l'expérience afin de travailler en collaboration avec cet organisme. Cela constituerait le modèle d'exploitation. Vous reliez un centre opérationnel du renseignement au ministère de la Défense nationale et à une structure de commandement existant déjà, pour les opérations en action.
Je pense que l'utilisation du renseignement en sécurité maritime pour fins de politiques, requiert un élément qui n'existe pas présentement. Il faut une capacité nécessaire pour la diffusion du renseignement important aux niveaux les plus élevés du gouvernement à Ottawa, aux niveaux supérieurs de la bureaucratie, de la fonction publique et, en fait, au Cabinet.
Afin d'obtenir un système dans lequel le renseignement important circule de façon régulière et systématique, nous devons dynamiser le système de la communauté du renseignement qui se fonde actuellement du moins en théorie, sur un ensemble de comités interministériels dirigé par le Secrétariat de la sécurité et du renseignement du Bureau du Conseil.
Je crois que le système de comités a les dents longues. Il n'est pas nécessaire de le dynamiser et de souligner le fait qu'il est au cœur du processus décisionnel et du pouvoir de la communauté du renseignement à Ottawa. En d'autres mots, nous devons donner au coordonnateur de la sécurité et du renseignement au Bureau du Conseil privé, une fonction et une capacité réelles dans le cadre de ce poste de coordonnateur.
Je crois également que quelque chose doit être fait pour rendre permanent, avant qu'il ne disparaisse, le comité spécial du Cabinet, SPAT, créé suite aux événements du 11 septembre. Le fait de rendre permanent ce comité spécial soulignerait son importance. Je pense que cela permettrait également de rendre plus solide tout système de soutien nécessaire, et cela permettrait d'envoyer un signal montrant que le gouvernement ne considère pas les mesures de sécurité comme un phénomène transitoire suite aux événements du 11 septembre.
Nous devons être en mesure de fournir aux dirigeants du gouvernement, aux niveaux supérieurs de la bureaucratie et aux échelons élevés, des dépêches sur le renseignement de façon régulière et systématique. Comme vous le savez sûrement, le président des États-Unis reçoit chaque jour un exposé de l'Agence centrale de renseignement (CIA) représentant la communauté du renseignement dans son ensemble, et du FBI. L'Agence centrale de renseignement a systématisé ce processus pour la transmission quotidienne d'un exposé au président.
Le gouvernement canadien est le seul à ne pas détenir un type de document permettant une fonction de ce genre, c'est-à-dire de fournir un type de condensé informationnel résumant les données de renseignement les plus importantes disponibles dans l'ensemble du gouvernement, au premier ministre, aux dirigeants du Cabinet et aux échelons élevés afin de les prévenir au sujet des menaces actuelles ou anticipées en matière de sécurité.
Par conséquent, la troisième pierre angulaire nécessaire pour améliorer la sécurité du renseignement maritime, consisterait à repenser le système de diffusion du renseignement. Cette troisième pierre angulaire s'ajouterait à la deuxième, qui consiste en une meilleure capacité analytique, et à la première, qui consiste en une meilleure capacité de collecte. Jusqu'au moment où nous pourrons réaliser ces trois objectifs correctement, et que nous les considérerons comme un ensemble plutôt que de façon fragmentée, je pense que nous courons toujours un danger de ne pas reconnaître le principe auquel j'ai fait allusion au début, au sujet que toute politique ou toute action utile en matière de sécurité doit être axée sur le renseignement dans cette ère où existent le terrorisme à l'échelle mondiale et d'autres menaces globales.
Le président: Je vous remercie, monsieur Wark.
Un des premiers appels que nous avons reçus suite à la publication de notre rapport — La défense de l'Amérique du Nord: une responsabilité canadienne — venait de M. Wark, qui a souligné le manque de commentaires au sujet du renseignement dans ce rapport et c'est la raison pour laquelle il est ici aujourd'hui.
Je dois vous dire que je suis nerveux à propos de notre sécurité, parce que nous venons de terminer une réunion à huis clos et vous venez de répéter 60 p. 100 de ce que nous avons discuté.
M. Wark: Pour un professeur, c'est un pourcentage élevé.
Le président: Nous sommes inquiets au sujet de ce que vous faites du reste de notre conversation.
Avant de continuer avec les questions des sénateurs, j'aimerais clarifier le fait que, parmi plusieurs autres propositions, vous proposiez que le Canada dirige ou propose l'établissement d'un organisme international pour fournir une surveillance portuaire et maritime à laquelle se joindraient probablement d'autres pays selon un traité ou un protocole, et que l'information serait envoyée au Canada pour la collecte et rendue ensuite disponible sans analyse, à tous les membres signataires. Les membres signataires seraient responsables de réaliser leur propre analyse de données, mais le Canada pourrait jouer ce rôle et se porter volontaire pour le faire, et même peut-être, établir le bureau central quelque part au Canada également, à Halifax sans aucun doute, sous la protection des «Halifax Rifles».
Ai-je bien caractérisé ce que vous suggériez?
M. Wark: Je n'ai pas fait de distinction entre une opération distincte dirigée et exploitée par le Canada et une opération internationale. Pour amorcer ce projet, le Canada pourrait et devrait peut-être prendre la tête, mais cette opération pourrait être exploitée par les Nations Unies ou par un organisme international spécial.
Le président: J'ai cru que c'était un exercice international qui avait essentiellement le rôle de créer un portrait commun pour des pays aux vues similaires et que ceux-ci pourraient ensuite utiliser cette information comme bon leur semble.
M. Wark: Absolument.
Le sénateur Day: Monsieur Wark, comme le président l'a dit, vous avez touché plusieurs des points que nous voulions aborder et vous avez répondu à plusieurs de mes questions. Je voudrais toutefois que certains points soient clarifiés. Lorsque vous avez parlé de l'analyse, vous avez mentionné que, comme nous le savons probablement, les personnes actuellement chargées de l'analyse utilisent diverses sources informatiques. Pourriez-vous nous fournir plus de détails à ce sujet? Nous ne sommes peut-être pas aussi informés à ce sujet que vous l'avez cru.
M. Wark: Je peux vous en parler brièvement.
Dans la communauté du renseignement, il existe différentes plates-formes informatiques, selon le degré de sensibilité et de parcellisation du renseignement qui circule à l'aide d'un mot-code. L'effet pratique de cette méthode est que tout analyste du renseignement voulant s'assurer qu'il ou elle a le portrait le plus complet possible provenant d'une gamme variée de renseignement, allant du matériel principalement de source ouverte pouvant être obtenu de la presse ou grâce à des recherches de toutes sortes sur le Web, jusqu'au renseignement le plus hautement classifié provenant d'une source de renseignement d'origine électromagnétique, doit se déplacer entre les trois différentes plates-formes technologiques, essentiellement trois ordinateurs différents avec différents degrés de protection des TI intégrés.
Ce n'est pas la situation idéale pour tout analyste soumis à de fortes pressions et essayant d'établir le meilleur portrait possible et d'en faire la synthèse. Le fait de devoir se déplacer constamment dans ce système informatique non intégré n'est pas la situation idéale. Cela débouche sur une question plus vaste, c'est-à-dire d'essayer de suivre le mouvement technologique, en termes de ressources d'information dans le cadre de la révolution actuelle du renseignement et de la révolution informationnelle.
Les défis auxquels nous sommes confrontés d'une part, sont l'explosion de l'information dite de source ouverte, qui est toute l'information circulant partout, et au même moment d'autre part, particulièrement dans le contexte de l'après 11 septembre, des préoccupations accrues au sujet de la protection du renseignement de nature délicate.
Il y a un phénomène faisant en sorte que d'une part, vous devez essayer de protéger les secrets et l'information et que, d'autre part, vous devez faire face à cette explosion de l'information. La solution jusqu'à maintenant, a été de créer différents flux d'information. Cela ne semble ni efficace, ni sûr d'un point de vue technologique, compte tenu de la méthode de travail utilisée pour agencer tout cela.
Je suis certain que les analystes du renseignement au gouvernement ont appris comment faire face à cette situation. Le problème est que la communauté du renseignement, selon mon expérience personnelle, est excellente pour apprendre à faire face à un manque de ressources, à une technologie inadéquate et à une attention politique inadéquate. Ils en ont fait un art. Il existe toutefois le problème spécifique de la base informatique du travail de renseignement et de la base plus large d'interfaces technologiques qui vont au-delà de cet enjeu et qui comprennent évidemment des défis tels que de savoir comment faire communiquer quelqu'un d'un ministère utilisant un système informatique à quelqu'un d'autre utilisant un système informatique différent.
Le sénateur Day: Cela a permis de clarifier ce point.
D'un point de vue de collecte du renseignement, vous avez eu la chance d'examiner nos rapports. Nous sommes tous d'accord avec le fait qu'il faudra faire encore beaucoup plus. Nous devons admettre toutefois que depuis le 11 septembre, la situation s'est améliorée. De toute évidence, vous ne croyez pas que ce soit suffisant, et nous non plus, mais il y a eu une certaine amélioration.
En ce qui a trait à une portion de l'information qui sera maintenant recueillie, il semblerait que la Garde côtière sera impliquée. Des dispositifs de signalisation électronique seront installés sur les navires, et ceux-ci auront pour résultat de permettre de recueillir l'information. Également, de l'information relative au port d'origine des navires pénétrant dans nos eaux, sera fournie et ce, 24 heures à l'avance, et le même genre d'information sera fourni lors de leur départ. Le ministère de la Défense nationale a récemment annoncé l'expansion du radar à ondes courtes qui permettrait de détecter les navires au-delà de l'horizon. En ce qui a trait à toute cette information provenant de divers ministères, serait-elle toute acheminée vers l'établissement central à Ottawa que vous avez décrit?
M. Wark: C'est ce que j'envisage. Les antécédents historiques que nous avons, laissent penser que la seule méthode pour utiliser de façon optimale l'information recueillie de différentes plates-formes, est de s'assurer qu'elle est transmise dans les plus brefs délais et de façon claire, dans un endroit central pour fins d'analyse et pour sa diffusion ultérieure. Si l'information demeure éparpillée dans les divers ministères, et que la Garde côtière manipule certains fragments qui lui sont transmis, que le MDN en reçoit d'autres, que la force aérienne et la GRC en reçoivent d'autres, ce que vous obtenez inévitablement, c'est un portrait fragmenté et équivoque.
Une des grandes leçons de l'évolution des services du renseignement au XXe siècle, comme fonction du gouvernement, c'est que la centralisation est absolument essentielle pour être efficace et que moins la centralisation est présente, plus les problèmes sont nombreux.
La deuxième chose qui devrait arriver c'est que vous ne créerez évidemment jamais un organisme unique pour la collecte de renseignement. Vous ne confierez pas le travail exclusivement à l'un des différents ministères détenant un mandat dans ce domaine. Au lieu de cela, ce que vous devrez créer, c'est une sorte de culture du renseignement dans les ministères et les organismes qui ne sont pas très familiers avec la notion ou la pratique du renseignement. La Garde côtière n'est pas un organisme de collecte de renseignement.
Jusqu'au moment où tous commenceront à connaître la nature du renseignement, ses problèmes et son importance, il surviendra des difficultés quant à l'utilisation efficace de leurs ressources et cela créera plusieurs opportunités de chevauchement et des contraintes hiérarchiques.
Des ministères tels que le MDN diront qu'ils ont des connaissances au sujet du renseignement. La Garde côtière peut transmettre l'information mais le MDN ne croira pas que la Garde côtière comprenne le problème et qu'elle soit sérieuse à ce sujet. C'est un aspect qui garde la soi-disant communauté du renseignement divisée de façon permanente. Jusqu'au moment où vous pourrez répandre l'idée que le renseignement de sécurité maritime est une fonction essentielle dans l'ensemble des organismes responsables de le gérer, qui je crois est une tâche culturelle, jusqu'au moment où vous pourrez faire cela, des ressources supplémentaires, plus d'argent et une plus grande attention à l'égard du problème, n'amélioreront pas la situation. Cela inclut de la formation, de l'expérience et un travail interministériel.
Nous apprenons également lors de situations alarmistes ou de menaces, telles que le cargo égyptien affrété et amarré sur la côte de la Nouvelle-Écosse. La plupart des actions du Canada depuis le 11 septembre ont été en réaction à une situation alarmiste quelconque que nous n'avions pas prévue. Ce qui m'inquiète à propos de cette réaction, tout en admettant que nous dépensons maintenant plus d'argent pour le renseignement et que nous nous en préoccupons davantage, c'est qu'en bout de ligne, tout cela s'évaporera ou s'érodera avec le temps et nous ne verrons pas de changements permanents ou institutionnalisés.
Le sénateur Day: D'un point de vue d'analyse, verriez-vous une approche analytique interministérielle? L'examen du renseignement du point de vue du MDN serait assez différent de celui de l'Immigration par exemple. Est-ce l'un des moyens grâce auxquels vous pensez que nous pourrions bâtir cette culture pour le renseignement?
M. Wark: Une des raisons pour lesquelles nous avons une communauté du renseignement seulement en théorie, c'est parce que chaque ministère vous dira qu'il détient des connaissances spécialisées et une compétence spéciale pour un secteur particulier d'opérations ou d'activités. C'est un des grands mythes qui continue de nuire au travail du renseignement.
Dans un centre opérationnel du renseignement, qu'il soit situé à Ottawa dans le cadre d'une fonction centralisée, ou sur la côte Est et la côte Ouest dans le cadre d'une fonction légèrement décentralisée, nous aurons besoin d'un système exploité par un personnel civil professionnel et spécialisé avec l'aide d'officiers militaires et d'autres spécialistes en détachement, venant de ministères pertinents. Il faudrait un personnel civil de base pour l'exploiter, ainsi que des personnes ayant reçu de la formation relative aux problèmes particuliers de la sécurité maritime et qui arrivent non pas avec des antécédents spécifiques à un ministère mais plutôt avec des antécédents de perspective plus large.
Durant la Seconde Guerre mondiale, le meilleur centre opérationnel du renseignement au monde était le centre britannique exploité par un avocat du nom de Jeffrey Wynn et par d'autres personnes recrutées un peu partout au Royaume-Uni, incluant un ancien directeur de cirque. Ils étaient très bons. Afin qu'un tel projet fonctionne adéquatement, il faut une vaste gamme de personnes de grand talent. Pour cette raison, je dirais qu'il faut du personnel civil spécialisé et des officiers délégués venant de divers ministères, afin de s'assurer que le travail circule au sein des ministères grâce aux rotations du personnel.
Le sénateur Day: La Garde côtière canadienne nous a envoyé de la documentation; ils nous ont dit qu'ils sont efficients et efficaces pour collecter et compiler l'information relative à la circulation maritime et que leur rôle principal consiste à observer, à enregistrer et à produire des rapports, à transmettre aux Forces canadiennes et à la GRC les noms des personnes-ressources des navires.
La Garde côtière a bien dit ce que vous aviez prévu qu'ils diraient, c'est-à-dire qu'ils font un excellent travail de collecte d'information, mais nous nous demandons toutefois si c'est le rôle que la Garde côtière devrait jouer. Devrions-nous élargir ce rôle ou recommander que le gouvernement s'adresse à quelqu'un d'autre?
M. Wark: Imaginons que la sécurité maritime, et possiblement la défense maritime en termes de sécurité, comporte trois zones différentes. Tout d'abord, on devrait retrouver une première zone très éloignée, correspondant au point d'origine de l'expédition et de l'activité maritimes. Cela nous rappelle qu'il faut un système de surveillance des ports ainsi qu'un système international pour la gestion des expéditions maritimes et la production de rapports. La deuxième zone, située plus près, devrait être exploitée par la Marine canadienne. Elle nécessiterait des patrouilles côtières et la reconnaissance des expéditions au large des côtes. La troisième zone en serait une à surveillance rapprochée et dans laquelle la Garde côtière est responsable de la reconnaissance. Pour qu'un tel système à trois zones fonctionne, il faudrait qu'il soit coordonné de façon centralisée et que la collecte et l'évaluation de l'information soient également centralisées.
La Garde côtière vous a donné un énoncé de mission parfaitement raisonnable, mais soulignant également un point dont j'aimerais vous faire part, qu'actuellement la Garde côtière ne se voit pas vraiment dans le milieu du renseignement. Je suis inquiet, rien qu'à penser à ce que la Garde côtière sait à propos du terrorisme, par exemple, ou à ce que certains organismes du gouvernement canadien seraient prêts à lui révéler à ce sujet.
Jusqu'au moment où nous pourrons fractionner cette notion que les opérations du gouvernement canadien sont constituées de composantes séparées reliées entre elles, pour le meilleur et pour le pire, et avoir un système cohérent de coopération, des rôles clairement définis et que le sens de la valeur du renseignement est propagé de façon étendue, je ne crois pas que nous irons bien loin.
Le sénateur Day: Pouvons-nous fractionner cette structure de départementalisation en confiant cette surveillance côtière rapprochée dont vous parliez à la marine plutôt qu'à la Garde côtière?
M. Wark: Oui, vous pourriez le faire. Je suppose que les difficultés associées à tout changement proposé consistent à établir la distinction, à se concentrer sur les changements importants et à ne pas aller trop vite et essayer de tout changer d'un seul coup.
Nous avons une Garde côtière détenant une longue histoire en matière d'expérience opérationnelle et de pratique, dotée d'un ensemble de navires qu'elle sait comment exploiter et grâce auxquels elle peut travailler de manière efficace en eaux côtières. À mon avis, nous devons utiliser cette expérience en s'assurant toutefois qu'elle est orientée davantage qu'elle ne l'est actuellement, sur des activités de collecte du renseignement maritime et en s'assurant que le tout est réellement coordonné avec les activités que la marine peut réaliser.
En bout de ligne, cela pourrait devenir une question budgétaire. S'il est nécessaire d'avoir un nombre X de nouvelles plates-formes maritimes pour les besoins de la sécurité maritime et qu'il fait moins de sens de partager ces plates-formes entre les nouvelles constructions pour la Garde côtière et les nouvelles constructions pour la marine, peut-être que des pressions budgétaires nous indiqueront à ce moment-là qu'il serait préférable d'avoir un seul service responsable pour les deux fonctions.
J'hésite toutefois à penser aussi loin, car cela ne me semble pas nécessaire et je ne connais pas beaucoup d'autres systèmes ailleurs dans le monde qui ont essayé d'amalgamer la garde côtière et la marine en une seule fonction. En examinant la question d'un point de vue international et historique, ma suggestion serait de garder les deux systèmes d'opérations intacts mais de les réorienter et de leur donner plus d'outils pour réaliser leur travail.
Le président: Les trois paliers dont vous parlez semblent être à l'opposé de certaines informations qui nous ont été transmises au sujet de problèmes ayant trait à l'intégration de la Garde côtière américaine à la marine américaine, indiquant que cela n'est pas une opération homogène.
Deuxièmement, nous croyons comprendre que les Pays-Bas, le Chili, l'Australie et plusieurs autres pays, n'ont pas de garde côtière et que la marine est responsable de toutes ces fonctions.
Troisièmement, au sujet des côtes et relativement au fait que cela constitue une composante de base en vue d'établir une politique de sécurité nationale, nous espérons que la coordination centrale du renseignement et peut-être d'autres questions que nous prévoyons en matière de politique côtière, pourraient également s'appliquer aux divers autres organismes du renseignement; nous pensons toutefois qu'une autre étude est nécessaire pour cette matière.
M. Wark: Je choisis le dernier point. J'ai souligné dans mes notes que je crois que les changements destinés à la pratique du renseignement de sécurité maritime pourraient entraîner d'autres changements plus importants dans la méthode de travail pour le renseignement à Ottawa.
Je n'ai pas réellement d'opinion précise à l'égard de la question ayant trait à séparer ou à combiner les fonctions de la garde côtière et celles de la marine. Si des antécédents à l'échelle internationale suggèrent qu'elles peuvent être combinées, il serait peut-être bon d'examiner cette option plus en détails.
En ce qui a trait à la situation aux États-Unis, de nombreux départements ainsi que la Garde côtière, ont été intégrés au Department of Homeland Security (Département de la sécurité intérieure), entre autres parce que les opérations diverses réalisées par les organismes tels que la Garde côtière, l'Immigration, les Douanes, etc., n'étaient pas intégrées et cela causait des inquiétudes. Le gouvernement américain a réagi en créant le Département de la sécurité intérieure (Department of Homeland Security) pour forcer cette intégration. Je ne peux pas imaginer une réorganisation départementale de ce genre au Canada.
Je pense que l'une des façons dont vous pourriez réaliser cela, du moins en partie, c'est en vous concentrant sur le côté de la manipulation de l'information. De bonnes perspectives existent pour la centralisation et la coordination de la fonction du renseignement et ces perspectives n'existent peut-être pas dans les autres secteurs d'opérations. Cela pourrait constituer le début d'un processus de réforme à plus long terme dans le cadre duquel vous pourriez créer de nouvelles institutions gouvernementales et des nouveaux organismes centraux. Pour l'instant, le besoin fondamental consiste à se concentrer sur l'aspect de coordination en utilisant les ressources existantes et à penser aux nouveaux genres de capacités nécessaires en matière de collecte et d'analyse. Vous pourriez passer beaucoup de temps à essayer de réorganiser les responsabilités ministérielles et rencontrer beaucoup de résistance. Du côté du renseignement, cela pourrait être plus facile.
Le sénateur Forrestall: Nous essayons, monsieur Wark. Je ne sais pas si nous réussirons ou non. Nos cœurs sont purs. Nous nous dirigeons dans une direction que nous croyons meilleure.
En ce qui a trait aux sujets abordés par le sénateur Day et le président, et relativement à l'analyse de l'information recueillie, je suis curieux de connaître sa valeur culturelle pour nous. Je sais qu'il doit y en avoir une. Ce doit être une valeur historique. Il doit être possible de justifier par exemple, la nécessité d'un entreposage de longue durée et des méthodes de recherche et de récupération applicables pour tout, des besoins en matière d'application et de planification du renseignement aux besoins en formation.
J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet en termes de capacité du Canada à rassembler assez rapidement des analystes très compétents et des analystes capables de poursuivre un travail laborieux avec des données brutes. Quelles sont les ressources disponibles pour le Canada pour ces besoins? Je ne crois pas qu'il existe un désaccord au sujet de ce besoin.
M. Wark: C'est une question difficile, sénateur Forrestall.
Le sénateur Forrestall: C'est la deuxième fois que j'assiste à vos conférences.
M. Wark: L'analyse est au cœur même de tout bon travail de renseignement. À défaut de pouvoir obtenir un portrait analytique juste, tout l'argent et tout le temps investis dans la collecte peuvent ne servir à rien. Vous n'auriez rien de valeur à transmettre aux décideurs des niveaux supérieurs. Si vous n'avez rien de valeur à leur transmettre, ces décideurs penseront alors que le renseignement est une sorte de créature exotique vivant dans les sous-sols et qu'ils n'ont pas à s'en préoccuper ou à verser beaucoup d'argent pour elle.
Quelles sont nos ressources à cet égard? Au sens le plus large, nous possédons des ressources remarquables. Nous avons une population instruite et un vaste système universitaire capable de donner aux gens de la formation de base en connaissances analytiques. La vraie question est: Qu'arrive-t-il lors de la transmission de ces connaissances de base, dans un contexte sociétal plus large en matière de pratiques gouvernementales et axé sur le renseignement?
Je pense que de façon traditionnelle, les communautés du renseignement — et cela fait partie de l'héritage que nous a laissé la guerre froide — aiment dépenser de l'argent pour des systèmes de collecte, et les puissances pouvant se payer les systèmes les plus gros et les meilleurs, dépensent les plus grosses sommes d'argent pour ces systèmes. C'est ainsi que les États-Unis ont obtenu un budget annuel de 32 milliards de dollars pour le renseignement.
L'analyse passe toujours en deuxième en termes de dépenses et d'attention. On se fonde sur l'hypothèse que vous avez seulement besoin de systèmes technologiques sophistiqués pour le renseignement électromagnétique, les satellites- espions, et ainsi de suite, et que le problème sera résolu. Dans la période qui a suivi les événements du 11 septembre, il est devenu évident que ces mesures technologiques dispendieuses pour résoudre le problème du renseignement n'étaient pas suffisantes. D'autres méthodes devaient êtres mises à l'essai.
Vous avez besoin d'une capacité d'analyse, définie de façon générale par le gouvernement, qui permet de puiser dans les forces plus larges de la société et dans l'expérience en formation plus spécifique des citoyens canadiens dans ce domaine. Nous ne sommes pas seulement une société instruite mais également qualifiée en matière de technologie, cosmopolite et axée sur les activités internationales. Nous voyageons. Nous aimons les organisations internationales. Nous allons à la guerre seulement lorsque les organisations internationales nous disent que nous pouvons.
Le problème qui existe actuellement à Ottawa, c'est que la fonction d'analyse a souffert, de façon traditionnelle, d'un manque de ressources et qu'elle n'a pas été considérée comme une priorité absolue si on la compare à la collecte. La ressource analytique qui existe a été développée dans le cadre de silos ministériels, selon l'hypothèse encore une fois, que les connaissances spécialisées d'un ministère constituent la compétence suprême. Vous devez par conséquent posséder des unités d'analyse dans chaque ministère qui prennent une tranche spécifique de l'information disponible et qui décident de sa signification, d'une perspective militaire, des affaires étrangères ou du transport.
Nous détenons des petites unités d'analyse partout dans l'ensemble du gouvernement. Quelquefois, ces unités d'analyse sont de qualité en termes de personnel à leur service. Et quelquefois, elles ne le sont pas. Quelquefois, elles détiennent du personnel permanent. Quelquefois, elles dépendent entièrement de personnel permutant. Nous avons ici un portrait bigarré. En vérité, que les unités d'analyse soient bonnes, médiocres ou mauvaises, elles souffrent toutes d'un problème commun, c'est-à-dire que leur travail n'a pas une très bonne cote. Elles sont perçues comme une zone reculée en matière de besoins de carrière. Tout cela doit changer si nous comptons réformer la fonction du renseignement au sein du gouvernement canadien.
L'analyse doit être considérée comme un élément beaucoup plus important. Elle doit être perçue comme une profession importante au sein de la communauté et elle doit être prise en charge au moyen d'une approche interministérielle.
En fait, nous avons procédé à l'envers. Pendant une grande partie de la période de la guerre froide, nous avons essayé d'obtenir une capacité importante d'analyse au centre du gouvernement, exploitée par le Bureau du Conseil privé, dotée de personnel et de rapports hiérarchiques interministériels. Depuis la fin de la guerre froide, nous avons abandonné cette approche. Nous détenons toujours les organismes et les pratiques nécessaires, mais ils ne détiennent plus le même prestige, le même pouvoir ou les mêmes ressources qu'ils devraient avoir selon moi.
Afin d'obtenir une capacité adéquate d'analyse à Ottawa, cette fonction devra être centralisée, et centralisée au seul endroit probablement possible, le Bureau du Conseil privé. Cette fonction peut bâtir sur des ressources existantes à cet endroit. Il y a un Secrétariat de l'évaluation du renseignement ainsi qu'un comité dirigés par le Bureau du Conseil privé; on y effectue de l'excellent travail mais cela pourrait être encore plus gros, plus puissant et cela pourrait permettre de se concentrer sur une capacité d'analyse pour l'ensemble du gouvernement.
Pour réaliser un tel projet, toutefois, il faudrait repenser le rôle du Bureau du Conseil privé à cet égard. Il faudrait réinventer le tout, afin que le Bureau du Conseil privé ne soit pas perçu comme un organisme devenant trop large, outrepassant ses limites ou empiétant sur les mandats des ministères. Il faudrait réinventer un système de comités qui existait durant la guerre froide, où des efforts importants étaient consacrés afin de s'assurer que les fonctionnaires de niveau supérieur, et dans certains cas les fonctionnaires de niveau intermédiaire, se réunissaient de façon régulière et s'échangeaient des informations importantes. Les comités existent encore et continuent de se réunir. Ils n'ont plus toutefois le pouvoir de choc qu'ils avaient.
Un problème parmi d'autres existant dans la communauté d'analyse du renseignement du gouvernement, est qu'elle a connu une croissance tout en étant habituée à trouver ses talents seulement à l'interne. En partie pour des raisons de commodité, cette communauté d'analyse en ce qui a trait à son personnel, bâtit ses ressources du mieux qu'elle peut à l'aide des ressources existantes de différents ministères du gouvernement.
Même dans le contexte de l'après 11 septembre, et avec de nouvelles sommes d'argent à sa disposition, elle n'a pas vraiment de processus en place pour le recrutement à l'extérieur du gouvernement. Elle ne détient pas un tel processus en place. C'est triste en quelque sorte car c'est facile à régler. Elle n'a pas de processus en place pour puiser essentiellement dans les ressources de talent et l'ensemble de connaissances spécialisées existant dans l'ensemble du pays, dans les universités et dans le secteur privé pour certains aspects particuliers. Elle continue d'exister à l'intérieur de ses murs, à l'intérieur d'un cadre fermé mais elle puise dans des ressources qui vont en diminuant. Afin de réinventer l'analyse, intégrée à un processus plus large, cette communauté d'analyse devra faire tomber ses murs et penser sérieusement à de nouvelles méthodes de recrutement et à de nouveaux moyens de puiser dans l'ensemble des connaissances spécialisées existant dans l'ensemble du pays.
En résumé, sénateur Forrestall, nous avons un système d'analyse trop diffus et dispersé, il existe en silos, il est trop petit, trop fragmentaire et trop construit dans le désordre en ce qui a trait au talent affecté dans son ensemble. Je ne crois pas qu'il ait vraiment eu l'occasion, ou peut-être la volonté, de s'arrêter et de penser aux nouvelles exigences réelles en analyse du renseignement suite aux événements du 11 septembre. En partie, je ne blâme pas le système d'analyse pour cela, car dans l'ensemble des différents secteurs gouvernementaux depuis le 11 septembre, je crois que cette petite communauté de l'analyse a probablement été l'une des ressources les plus débordées et les plus surchargées du gouvernement. Je sais que plusieurs de ces personnes ont travaillé durant plusieurs mois sans pratiquement aucun répit suite au 11 septembre, pour s'efforcer de dominer la situation, de faire face aux menaces, aux nouvelles opérations, et ainsi de suite. Il est temps de lui fournir les outils nécessaires et de repenser cette fonction selon une approche ascendante.
Le sénateur Forrestall: Prévoyez-vous que les universités joueront un rôle plus important à cet égard?
Existe-t-il une obligation ou une responsabilité de la part des universités en ce qui a trait à prendre une partie de ce fardeau? Peut-être que l'inertie causée par les pressions, d'autres demandes, peut-être le fait de le rendre autonome, pourraient lui donner une certaine souplesse qui ne ferait pas de mal. Qu'en pensez-vous?
M. Wark: Nous avons ici deux possibilités, et ni l'une ni l'autre n'ont été réalisées à ce jour. L'une des possibilités est que les universités pourraient jouer un rôle beaucoup plus important dans le domaine du renseignement que celui qu'elles jouent actuellement dans ce pays. La situation est différente aux États-Unis et, d'une façon un peu plus secrète, assez différente au Royaume-Uni. Dans ces deux pays, il existe une tradition depuis longtemps, consistant à faire appel aux ressources du milieu universitaire pour les questions ayant trait au renseignement et à recruter des universitaires au moyen d'un contrat ou selon d'autres moyens plus permanents, afin qu'ils puissent travailler davantage dans leur domaine au sein de la communauté du renseignement.
Ce lien, ce type de courant, composé d'idées et de personnes de la communauté universitaire et venant au gouvernement pour travailler aux enjeux du renseignement, il n'existe pas tout simplement. Bien que des efforts aient été faits depuis le début des années 90, ce lien n'existe pas. Encore une fois, je pense que nous avons reculé jusqu'à un certain point. Beaucoup pourrait être accompli dans ce domaine s'il existait au sein du gouvernement une volonté de jouer un rôle, ainsi qu'une volonté, existant déjà de la part de la communauté universitaire.
Le deuxième élément à l'égard duquel les universités pourraient avoir une responsabilité, c'est d'accroître les activités d'enseignement et de recherche qu'elles réalisent dans des secteurs essentiels en matière de politiques et de pratique de sécurité. Actuellement, il n'y a que deux ou trois cours traitant des questions liées au renseignement dans l'ensemble du pays. Il y a peut-être un ou deux cours dans l'ensemble du pays portant sur le terrorisme. Il y a quelques cours au sujet des relations canado-américaines. Il n'y a probablement aucun cours traitant de l'OTAN ou du NORAD de façon systématique. Les universités ont, pour des raisons complexes, fermé les yeux sur ces enjeux, malgré le fait que ces questions soient très populaires auprès des étudiants car ces derniers croient qu'elles sont relativement importantes. Les universités ont par conséquent une responsabilité qu'ils n'ont pas respectée, spécialement dans le contexte de l'après 11 septembre, d'investir dans de nouvelles ressources dans ces secteurs.
Toutefois, pour leur rendre justice, il faut dire que la situation n'est pas facile pour les universités. Les universités sont des institutions anarchiques. Elles ont des présidents, mais les présidents ne dictent pas les politiques. C'est nous, les professeurs individuels, qui décidons quoi faire ou ne pas faire. C'est une merveilleuse anarchie, que je ne changerais pour rien au monde, mais elle a ses désavantages.
L'autre difficulté est qu'il est toujours difficile d'orienter les universités sur de nouveaux sentiers. Compte tenu de toutes les discussions, il n'y a pas eu beaucoup de nouveaux investissements dans les universités au cours des dernières années, particulièrement du côté du professorat. Et maintenant, bien sûr, nous sommes confrontés en Ontario à la question de la double cohorte et je ne peux tout simplement pas imaginer comment nous relèverons ce défi.
En dernier lieu, nous avons été négligés par nos organismes de financement. En novembre 2001, le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada a donné suite à une initiative du secrétaire d'état responsable du CRSH, lui demandant de créer une politique pour améliorer l'étude des questions de sécurité au Canada. À ma connaissance, cela n'a mené nulle part. Il n'y a plus un sou disponible pour la recherche pour les étudiants des cycles supérieurs ou pour les universitaires, qui les orienterait vers ce secteur. C'est un échec lamentable.
Il existe plusieurs choses que les universités pourraient faire, plusieurs choses que le gouvernement pourrait faire, et plusieurs choses que la communauté du renseignement pourrait faire pour accroître notre capacité dans ce domaine.
Le sénateur Forrestall: Existe-t-il une responsabilité parallèle pour le secteur privé, afin d'examiner le financement à cet égard?
M. Wark: C'est une question intéressante. Le secteur privé s'intéresse réellement à deux choses. Selon mon expérience personnelle, il s'intéresse à la sécurité de l'information du côté des TI pour de bonnes raisons, et une partie de ce secteur s'intéresse à ce qu'ils appellent l'évaluation du risque ou l'analyse du risque, une fonction qui est surtout concentrée dans les principales banques au Canada et dans quelques firmes de comptabilité et spécialisées dans l'analyse du risque.
J'aurais pensé que dans ces secteurs du moins, compte tenu de leurs préoccupations au sujet des questions spécifiques à l'analyse du risque et à la technologie de l'information, ils auraient pris du recul et regardé la situation de façon plus large, et ils auraient réalisé qu'ils ont besoin d'investir des ressources tout en pensant au portrait d'ensemble, en songeant aux capacités nationales du Canada, en offrant une collaboration en termes de dialogues entre le secteur privé et le secteur gouvernemental à ce sujet, et peut-être en offrant leur collaboration afin de créer des opportunités de financement pour la recherche dans ce domaine.
Il existe toutefois une importante séparation entre le raisonnement du secteur privé à l'égard du renseignement et le raisonnement national du gouvernement. Ils ont une définition pour le renseignement et nous en avons une autre, et jusqu'à maintenant, les deux ne se sont pas réellement rejointes.
Le sénateur Cordy: Vous nous avez fait part de vos souhaits les plus chers en ce qui a trait aux ressources pour la sécurité maritime et je pense que nous sommes tous entièrement d'accord avec vous. Toutefois, nous n'avons pas ces ressources, à moins qu'une importante somme d'argent nous arrive de quelque part.
Vous avez parlé d'une capacité de surveillance des ports. Pourriez-vous donner un peu plus de détails au sujet de ce que nous pourrions faire à l'aide des ressources existantes?
M. Wark: Dans le jargon du renseignement, on appelle cette surveillance le «renseignement humain». En fait, les systèmes de surveillance des ports existent depuis longtemps. Ils ont probablement été institués durant les guerres de Napoléon, par les Britanniques et les Français, qui envoyaient généralement des officiers de la marine à la retraite à titre d'espions dans les ports de l'ennemi, pour surveiller le mouvement naval, les expéditions, le transport des troupes, et ainsi de suite.
Ce que j'entends par système de surveillance des ports c'est d'utiliser la disponibilité des officiers canadiens affectés à l'étranger dans les ambassades, les missions et les consulats, et de puiser dans ce personnel, particulièrement lorsqu'ils travaillent dans un pays doté d'une importante capacité maritime et d'installations portuaires importantes. Nous avons plusieurs officiers dans ces ambassades et ces consulats, qu'ils soient officiers de liaison du SCRS ou délégués commerciaux ou agents d'immigration ou officiers de liaison de la GRC. Nous pourrions leur demander de travailler de façon individuelle ou collective sur une tâche particulière, et leur dire que l'une de leurs tâches est la surveillance des ports. Une de leurs tâches sera de créer un système permettant de fournir au Canada un flux d'information, à un centre opérationnel du renseignement ou tout autre type de centre créé, qui nous indiquera ce qui se passe dans les ports maritimes importants de ce pays, quels types d'expéditions quittent ce port et quels types d'expéditions y arrivent.
Ce serait une fonction de collecte d'information ouverte, possiblement pour faciliter les efforts internationaux en vue de créer une liste de surveillance, et dans la mesure où cela est réalisable, ce serait également une fonction un peu clandestine en ce qui a trait au travail des officiers essayant d'effectuer la surveillance d'expéditions illicites de divers types de marchandises, de personnes et de matériaux dangereux. Vous auriez une capacité à caractère ouvert et vous pourriez également avoir une composante secrète du renseignement, car les terroristes n'afficheront certainement pas le contenu de leurs expéditions. Les passeurs de clandestins, les trafiquants de drogues et ceux impliqués dans la spoliation environnementale ne s'annonceront pas non plus. Vous devez détenir une capacité pour la collecte secrète d'information autant que pour la collecte ouverte.
Nous avons le personnel sur le terrain. Nous avons du personnel, capable de réaliser diverses fonctions, déjà en place dans les endroits majeurs d'expédition, et la tâche consisterait à redéfinir quelques-unes de leurs activités et de s'assurer que ces gens travaillent ensemble dans certains de ces ports et pays étrangers. Nous pourrions leur dire: «À partir de maintenant, la surveillance des ports en général, constituera une fonction importante pour vous».
La vérité c'est que certains de ces officiers ne sont pas sous-employés dans le cadre de leurs activités quotidiennes, mais plutôt sous-employés au sens de l'importance du travail qu'ils pourraient accomplir. Je confierais certainement cette tâche à des délégués commerciaux, ainsi qu'à certains des officiers de liaison de la GRC et du SCRS. Nous pourrions en faire des surveillants de ports sans avoir à augmenter leur nombre de façon importante, et ils pourraient jouer un rôle important et dans le cadre de leurs fonctions bien sûr, ils pourraient favoriser un plus grand nombre de contacts quotidiens avec les autorités adéquates dans ces pays étrangers, qui effectuent également des activités de surveillance de ce genre. Dans un système de ce genre de façon générale, ce que je veux dire c'est qu'il faut définir une nouvelle mission en se fondant sur le personnel existant dans des endroits déjà établis.
Le sénateur Cordy: Cela nous amène à ce que vous avez dit, c'est-à-dire de développer une culture du renseignement. Que faut-il faire? Vous avez parlé de formation, d'expérience et de situations alarmistes et j'espère que nous ne devrons pas trop nous fier à des situations alarmistes. D'où vient cette culture du renseignement? C'est une chose de dire que nous devons développer une culture du renseignement, et dans l'exemple que vous avez donné, on retrouve des gens qui ont de l'expérience. Si vous avez travaillé sur la scène maritime depuis un bon moment, vous savez ce qui est naturel et ce qui ne l'est pas, et quels navires peuvent susciter de l'intérêt. Comment développez-vous ce genre de culture du renseignement parmi le personnel — tous les employés du gouvernement, comme je les appellerai ici, qu'ils travaillent à la Défense ou à l'Immigration ou ailleurs — au sujet de ces petits fragments d'information qu'ils détiennent et qu'ils partagent probablement avec leur famille à l'heure du souper, et qui sont en réalité des informations du renseignement devant être transmises à quelqu'un?
M. Wark: C'est une excellente question. La réponse est plus simple qu'on peut le croire. C'est en partie de la formation, et même de la formation brève. Un programme de formation de deux ou trois jours ou d'une durée d'une semaine pourrait familiariser les nouveaux officiers avec les différents types de menaces anticipées dans le domaine de la sécurité maritime, ainsi qu'avec les pratiques de rapport aux établissements auxquels ils doivent se rapporter, aux organismes de coopération à l'étranger. La formation constituerait une composante importante.
En ce qui a trait à surmonter le problème culturel dans le sens où le renseignement est présent dans les activités quotidiennes et la raison pour laquelle il serait important pour moi, à titre d'officier dans un ministère particulier ou un poste à l'étranger, je crois qu'il faut se fonder en partie sur la formation et en partie sur le mérite, et faire comprendre à tous que c'est une activité importante et que les gens sont à l'écoute et qu'ils veulent ces renseignements au Canada. Une partie de ce problème serait résolue en créant un centre opérationnel du renseignement qui serait engagé de façon permanente dans des discussions et un dialogue avec ces personnes, leur demandant des questions telles que les suivantes: «Pouvez-vous élaborer au sujet de ce rapport que nous avons reçu de cette source? Pouvez-vous le vérifier ou croyez-vous qu'il est important? Que pouvez-vous nous dire au sujet de ce rapport, et que peut nous dire le gouvernement du pays où vous êtes au sujet de ce rapport?». Le simple fait d'impliquer ces gens dans un flux d'information, constituerait une partie de la réussite.
Il faut de la formation et de l'exposition de ce genre, ainsi que la notion pour ces personnes qu'elles ne travaillent pas seulement pour leur ministère mais également dans le cadre d'un effort interministériel et de portée nationale. Ce n'est pas difficile de faire comprendre au personnel que ce travail est essentiel, mais cette notion d'importance peut s'éroder au fil des activités quotidiennes lorsque ces personnes, se retrouvant avec une dizaine de notes de service sur leur bureau, diront: «Je suis payé par un ministère et je travaille pour ce ministère, alors je ferais mieux de m'occuper de ces notes de service en premier», et les autres tâches auront une priorité plus basse.
À cet égard, permettez-moi de vous raconter une anecdote que je n'ai jamais oubliée. Il y a quelques années, je visitais l'Australie dans le cadre de fonctions semi-officielles et j'ai eu la chance de m'entretenir avec des officiers du renseignement là-bas, ainsi qu'avec des responsables du gouvernement du Canada à notre ambassade, le Haut- commissariat à Canberra. Le haut fonctionnaire à l'ambassade canadienne était responsable des activités du renseignement. Je voulais acquérir une connaissance du système et savoir comment cela fonctionnait. Il m'a dit qu'il était lui-même très intéressé par les enjeux ayant trait au renseignement et à une liaison du renseignement avec les organismes de coopération du gouvernement australien. On ne lui a toutefois jamais confié de travail à cet égard. Et lorsqu'il a fait des démarches dans ce sens, à quelques reprises, cela n'a pas semblé avoir d'impact à Ottawa, alors il a mis ces questions de côté.
Nous sommes confrontés à un problème fondamental. Tout en reconnaissant, par exemple, qu'il serait important de maintenir une étroite collaboration avec la communauté du renseignement en Australie, compte tenu de leur portée géographique et géopolitique, nous ne le faisons tout simplement pas en pratique. On l'oublie tout simplement, parce qu'elle n'est pas perçue comme une mission importante appartenant à quelqu'un. Le lien est coupé entre les événements se déroulant à l'étranger et ceux survenant au pays, et cela est en partie dû au fait que nous n'avons pas de service secret à l'étranger. Je suis sûr que le sénateur Kenny ne veut pas entendre ceci, mais si nous avions un service secret à l'étranger, cela permettrait de redonner de l'énergie à plusieurs de ces autres activités.
Le président: Pourquoi êtes-vous sûr que je ne veux pas l'entendre?
M. Wark: Vous voulez probablement l'entendre. Je plaisantais, juste pour m'assurer que j'avais l'attention de tous.
Le sénateur Cordy: Vous êtes en train de nous dire que la culture du renseignement ne peut être seulement sur le terrain. L'information que les gens fournissent doit être considérée comme étant de l'information importante, car c'est la nature humaine. Si quelqu'un donne, donne et donne, et qu'il a l'impression que rien ne se produit, alors pourquoi continuer.
M. Wark: C'est une question de formation, d'affectation de tâches, de mérite accordé, et nous considérons que cela fait partie d'un processus important. Cela pourrait être fait, mais cela ne se fait pas souvent avec les différents types d'officiers que nous avons et qui sont affectés à l'étranger. Ces officiers affectés à l'étranger et qui détiennent des fonctions essentiellement axées sur le renseignement, travaillent de façon distincte, dans leur propre bureau au sein des ambassades. Les officiers de liaison du SCRS ont relativement peu de contacts avec les autres employés de l'ambassade, quel que soit le pays où elle se trouve, comme par exemple, à Singapour.
Le sénateur Cordy: J'aimerais revenir à la Garde côtière pour un moment, et je sais que vous avez déjà répondu à des questions à ce sujet. C'est au sujet du fait que la Garde côtière relève du ministère des Pêches et des Océans. Cela fait-il une différence que ce soit ce ministère, ou serait-il préférable que ce soit un autre qui soit responsable de la Garde côtière?
M. Wark: Si je pouvais tout refaire, je l'enlèverais de ce ministère et je la confierais au MDN. C'est malheureux à dire, mais il ne reste plus grand chose à faire pour le poisson là-bas, alors peut-être qu'ils ont un autre rôle vital.
Je pense qu'il serait bon de l'intégrer au MDN et de la retirer des fonctions des Pêches et Océans, où elle ne recevra pas l'attention ou les ressources dont elle a besoin en ce qui a trait à la sécurité maritime. Peut-être qu'elle les aurait au sein du ministère de la Défense nationale. Cela faciliterait également la nouvelle construction, le partage de plates- formes avec les plates-formes navales et les plates-formes à caractère sensible, ainsi que les activités conjointes de formation et les exercices conjoints.
Le sénateur Cordy: Ainsi qu'un nouveau rôle.
M. Wark: Je ne veux pas dire que je suis un expert en matière de Garde côtière. Je crois que nous parlons d'une Garde côtière restructurée, qui ne détiendra pas un rôle plus important de force de sécurité que celui qu'elle détenait comme force d'exécution, de maintien de l'ordre et de protection des Pêches dans le passé. Nous la réorientons dans une direction paramilitaire. Il est peut-être mieux de reconnaître que c'est la direction vers laquelle les menaces nous orientent et de réaménager sa place dans le système gouvernemental en conséquence.
Le sénateur Cordy: Faudrait-il donner un aspect paramilitaire à la Garde côtière? Devraient-ils avoir la capacité d'arraisonner un navire s'ils soupçonnent quelque chose d'anormal?
M. Wark: Oui, ils devraient avoir cette capacité mais cela ne veut pas nécessairement dire qu'ils devraient avoir une fonction d'exécution de la loi. Ils devraient toutefois avoir une fonction paramilitaire en termes de capacité, et cetera. La Garde côtière aurait besoin des navires, des capteurs, des équipes et des hélicoptères nécessaires pour accomplir ces fonctions en collaboration avec la marine.
Les besoins en matière de navires, d'équipement et de capteurs pourraient être déterminés en établissant des zones distinctes de distance pour les opérations de la Garde côtière et celles de la marine. Nous pourrions garder la Garde côtière plus près des côtes et lui confier la responsabilité de protéger la Voie maritime du Saint-Laurent et les Grands Lacs. Nous devrions également penser à l'Arctique, étant donné que le climat se réchauffe dans cette région. Nous pourrions être dépassés par les événements avant d'avoir la capacité nécessaire pour surveiller et protéger cette région.
Le président: Afin de rendre plus claire une partie de votre témoignage monsieur Wark, j'aimerais revenir à ce que vous avez dit la première fois où vous avez parlé de la surveillance des ports; je pensais que vous parliez d'autres pays partageant de l'information au sujet de l'identité de ceux qui étaient dans leurs ports et de ceux qui en partaient. La fois suivante où le sujet de la surveillance des ports a été abordé, je pensais que vous parliez d'un service du renseignement étranger, constitué de personnes établies dans les ambassades à l'étranger et passant tout simplement leur temps à courir les cocktails au lieu de travailler. Nous savons tous que le personnel travaillant dans nos ambassades est débordé et qu'il n'a pas la capacité supplémentaire nécessaire. Si un officier d'ambassade est aperçu en train de se promener dans les docks, ce n'est pas pour compter les navires mais plutôt parce qu'il fait preuve d'inconduite. Vous ne suggérez pas que ces personnes cumulent deux ou même trois fonctions, mais vous donnez plutôt à penser que c'est une capacité entièrement nouvelle pour du personnel additionnel envoyé à l'étranger pour espionner.
M. Wark: Je ne suis pas tout à fait...
Le président: Vous ne pourriez pas avoir un organisme international issu de notre service du renseignement, mais vous pourriez avoir un protocole international qui permettrait de créer un organisme qui mettrait en commun l'information relative aux expéditions. Quelle direction prenez-vous?
M. Wark: J'essaie d'aller dans ces deux directions. Nous pourrions avoir un organisme ou un système international pour maintenir une liste de surveillance ouverte et accessible pour les expéditions maritimes à l'échelle mondiale, et le Canada serait qualifié pour diriger une opération de ce genre.
Lorsque j'ai parlé des surveillants de ports, je parlais de deux possibilités: la plus probable, en termes simples, serait de confier une double tâche aux officiers déjà dans les ambassades et les missions canadiennes à l'étranger, c'est-à-dire de leur confier la tâche de surveiller les ports, dans la mesure où cela peut s'intégrer à leur calendrier actuel de tâches ou de réorganiser leurs tâches existantes. Il existe un potentiel inexploité ayant trait à améliorer notre capacité à utiliser les fonctionnaires du gouvernement canadiens affectés à l'étranger procédant à la collecte d'information de ce genre et d'assurer la liaison avec les organismes gouvernementaux de ces pays pour leur dire ce que nous savons.
Le président: Par exemple, si vous vouliez assurer la surveillance du port de Rotterdam tous les jours 24 heures sur 24, combien de dizaines de personnes auriez-vous besoin?
M. Wark: Il faudrait beaucoup de gens. Une grande partie de l'information pourrait être obtenue de sources ouvertes. Il existe probablement un journal qui est publié et qui indique les expéditions maritimes quotidiennes du port. Je ne parle pas ici d'une armée de surveillants des ports mais de personnes dont le travail serait de veiller à la collecte de cette information. Certaines de ces personnes qui détiennent déjà une fonction du renseignement, pourraient faire la collecte d'information selon une méthode plus clandestine.
Si le gouvernement canadien décidait de bouger pour d'autres raisons, une des fonctions de ce service clandestin serait la surveillance des ports, et dans ce cas, il y aurait un officier traitant et travaillant à une ambassade qui paierait des informateurs de niveau plus élevé dans les ports pour surveiller les expéditions.
Il pourrait y avoir, et c'est quelque chose que nous n'avons pas présentement, une capacité de renseignement étranger pour travailler de façon clandestine. Nous avons divers représentants diplomatiques à qui il serait possible de confier le travail d'établir des rapports au sujet des activités des ports et d'assurer une liaison avec les gouvernements selon des moyens particuliers. Nous pourrions avoir une activité d'un autre genre, qui consisterait en un effort international ouvert en vue d'effectuer le suivi et la surveillance des expéditions internationales et de partager l'information à l'échelle internationale, sans essayer de la vérifier mais plutôt de l'offrir aux états afin qu'ils puissent l'utiliser et la vérifier eux-mêmes.
Le sénateur Atkins: En plus de la question de la surveillance des ports, quel était le modèle utilisé durant la guerre et de qui relevait-il? Quelle était l'autorité responsable de ces opérations?
M. Wark: Les Canadiens n'avaient pas de surveillants pour les ports. Nous avons profité du système exploité par les Britanniques, les Américains, les Australiens et par d'autres, dans le cadre duquel ils affectaient généralement des officiers de la marine, agissant à titre d'agents clandestins dans les ports neutres, dans les ports situés dans les axes de puissance durant la Seconde Guerre mondiale dans le Pacifique et dans l'Atlantique, afin de faire rapport au sujet des expéditions militaires et commerciales. C'était un système militaire exploité par la marine de ces pays côtiers et les renseignements étaient acheminés par les canaux de transmission du renseignement de la marine de ces pays. Nous avons pu en bénéficier pleinement, dans le sens que c'était de l'information pertinente pour les intérêts du Canada, et que cette information était transmise à notre marine et ensuite acheminée à notre centre opérationnel du renseignement.
Pour des raisons techniques et de spécialisation, ce système serait mieux exploité à l'aide de personnel possédant une excellente formation dans la marine mais il ne serait pas nécessaire toutefois de faire appel à de purs officiers de la marine. Il existe plusieurs personnes avec de l'expérience dans le domaine des expéditions maritimes et cette expérience n'est pas purement navale.
Le sénateur Atkins: Vous avez dit que nous avons eu une proposition afin d'établir deux centres opérationnels, un pour chaque côte. Vous avez laissé penser qu'il serait préférable d'avoir un centre à Ottawa. J'ai toujours un peu peur de la centralisation. Vaudrait-il la peine d'avoir ces deux options?
M. Wark: Cela a une certaine valeur et nous l'admettons. J'y ai pensé avant de m'acharner à la recommandation centralisée. L'avantage d'avoir les deux — des installations sur les deux côtes — est que cela permet d'établir ces centres opérationnels près de l'action, je suppose. Il faut les établir près des structures navales de commandement sur les deux côtes. Cela serait avantageux car le milieu de travail des officiers du renseignement ou des analystes des opérations serait situé juste à côté de celui du personnel du service naval.
À cet égard, les désavantages l'emportent sur les avantages. Vous pourriez toujours conserver certains de ces avantages en vous assurant que vous avez, et en effet vous l'avez, un système existant d'officiers du renseignement travaillant sur la côte Est et sur la côte Ouest qui pourraient faire rapport directement au centre opérationnel du renseignement basé à Ottawa, tout en restant près de l'action sur les deux côtes. Les principaux désavantages sont doubles: premièrement, si vous divisez la fonction entre la côte Est et la côte Ouest, vous divisez alors une ressource limitée, particulièrement en ce qui a trait à la réserve de talents dans ce pays en matière de travail de qualité dans le secteur du renseignement, une réserve de talents qui est encore assez petite. Il faudra un certain temps pour changer cela. Si vous essayez de créer deux institutions là où une seule suffirait, il y a des risques de dilution.
Deuxièmement, si vous créez ces deux centres opérationnels du renseignement, — un établi sur chaque côte — vous les éloignerez d'une action d'un autre genre — le renseignement à Ottawa, l'occasion de collaborer à un environnement possiblement interministériel et d'avoir accès à une gamme plus large de renseignements qu'ils peuvent obtenir grâce à des flux d'information ou à quelqu'un frappant à la porte du bureau ou en téléphonant à quelqu'un dans un ministère pertinent.
Ils ont pensé à diviser cette responsabilité du renseignement selon la suggestion du comité, avec une unité sur la côte Pacifique et une unité sur la côte Atlantique et ils ont décidé que ce n'était pas une bonne idée. Nous l'avons fait durant la Seconde Guerre mondiale et le Royaume-Uni et les États-Unis l'ont fait.
Les dossiers historiques laissent penser que cela fonctionnait mieux de cette façon, quoiqu'ils n'aient pas essayé l'autre. L'un dans l'autre, je dirais qu'il vaut la peine de tenir compte de cette leçon historique.
Le sénateur Atkins: Durant la guerre, vous étiez dans un environnement de guerre. Tandis que maintenant, nous ne sommes pas en temps de guerre. En temps de guerre, tout le monde fait partie d'un même portrait, tandis qu'au moment présent, ce portrait est plus fragmenté. Il me semble que la combinaison des deux serait probablement plus efficace et permettrait une meilleure fonction du renseignement.
M. Wark: Je n'en suis pas convaincu. Vous nous laissez penser que cela apporterait un meilleur sens d'imminence en s'assurant que ces opérations sont établies sur chaque côte à proximité des structures de commandement. Cela m'amène à demander ce qui arrivera si une menace à la sécurité survient dans la Voie maritime du Saint-Laurent ou dans les Grands Lacs, des endroits éloignés de ces deux centres. Et que faites-vous de l'Arctique?
Le personnel établi à Halifax ou à Esquimalt ne pourra pas vous en dire beaucoup au sujet de ce qui se passe dans l'Arctique. Développerez-vous alors un troisième centre à cet endroit, un quatrième centre pour les Grands Lacs et un cinquième centre pour la Voie maritime du Saint-Laurent, ou vous serrerez les dents en vous disant qu'il est préférable de centraliser et de puiser dans les flux d'information venant de toutes ces régions et de garder cette fonction centralisée aussi près que nécessaire des activités opérationnelles sur tous les fronts?
Le sénateur Atkins: Cela dépend des autres ressources que nous avons.
M. Wark: C'est moins dispendieux de créer un centre que deux.
Le sénateur Atkins: Dans vos commentaires, vous avez mentionné que nous pourrions avoir besoin de changer notre capacité en matière d'aptitudes de combat pour une capacité plus axée sur la sécurité. Pourriez-vous nous expliquer de façon un peu plus détaillée?
M. Wark: Nous pouvons essayer d'imaginer en quoi devrait consister les forces armées au Canada dans le contexte du XXIe siècle, et cette armée serait très différente des forces armées que nous avons actuellement. Nous devons mettre davantage l'accent sur cet aspect, en essayant d'imaginer les futures forces armées pour la «transformation des forces», une grande phase que Donald Rumsfeld et les autres au Pentagone utilisent de façon courante. Nous devrons mettre davantage l'accent sur la capacité informationnelle, c'est-à-dire de mettre l'accent sur le savoir plutôt que sur les armes et les balles.
Nous devons procéder ainsi pour plusieurs raisons. Nous devrons le faire si nous désirons maintenir notre capacité pour le maintien de la paix. Nous devrons le faire si nous voulons conserver un rôle réel dans la sécurité nord- américaine, où notre contribution aux combats sera marginale comparée à une capacité informationnelle possiblement très importante.
Le Canada pourrait être bon dans le cadre de cette capacité de créneau. Cela aiderait le Canada à se réaffirmer dans le rôle d'un partenaire militaire important dans des opérations de coalition et des opérations alliées de toutes sortes.
C'est également la première ligne de défense du XXIe siècle. Il sera plus important d'être informé au sujet des menaces que d'avoir du gros matériel militaire pour faire face à celles-ci.
En dernier lieu, il y aura des pressions budgétaires. Il est peut-être plus important d'acheter un satellite-espion plutôt que 10 nouveaux avions de chasse. Il sera peut-être plus important d'acheter des systèmes de détection pour la sécurité maritime ou d'augmenter le nombre de sous-marins utilisés pour les plates-formes de collecte de l'information, plutôt que d'investir dans d'autres acquisitions.
Selon mon opinion, une partie de la transformation des forces dans ce XXIe siècle devrait être alimentée d'une notion consistant à obtenir le meilleur rendement pour l'investissement en information, se fondant en partie sur les ressources existantes et en partie sur des capacités d'un nouveau genre. Cela est en accord avec le rôle que nous pouvons jouer dans la défense de l'Amérique du Nord et avec le rôle que nous pouvons jouer pour assurer le maintien de la paix. Cela s'accorde à la réalité de ce monde dominé par une superpuissance militaire.
C'est un commentaire général.
Le sénateur Atkins: Vous laissez à penser que cela affecterait également les décisions concernant le type de matériel militaire que nous pourrions envisager dans l'avenir et si nous avions besoin d'un aussi grand nombre de navires et d'avions.
M. Wark: Dans le cadre de ces décisions, il faudrait tenir compte de la capacité du renseignement ou de la capacité informationnelle que possède une plate-forme militaire. Si la plate-forme A possède une capacité moins importante que la plate-forme B, alors peut-être que nous devrions avoir la plate-forme B.
C'est un scandale qu'il n'y ait pas de programme pour les drones dans les Forces canadiennes. C'est l'une des vagues technologiques les plus importantes de l'avenir. Si vous voulez fonctionner dans un environnement militaire dans l'avenir, vous devrez détenir une capacité à lancer des drones et à les utiliser pour la collecte d'information et pour d'autres activités. À cet égard, nous sommes très en retard par rapport aux puissances.
Le sénateur Atkins: Cela amène une question: devrions-nous avoir un autre livre blanc?
M. Wark: C'est essentiel. Nous avons perdu notre temps avec cela depuis plusieurs années. Cela a été promis. La vision consistant à avoir une politique étrangère et un Livre blanc sur la défense combinés est la meilleure. Nous devons avoir les deux.
Ce ne sont jamais des documents parfaits mais leur effet le plus important est de stimuler les débats. Nous avons réellement besoin de débattre de ces deux questions, particulièrement dans un contexte d'après-guerre de l'Iraq.
Le sénateur Atkins: Le sénateur Forrestall vous a questionné au sujet du secteur privé et vous avez parlé des banques. Comment le blanchiment d'argent est-il lié au renseignement?
M. Wark: C'est une bonne question et j'espère que le comité l'examinera de plus près. Nous avons un organisme assez particulier appelé CANAFE, le Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada je crois. Cet organisme a été créé avant le 11 septembre, pour s'occuper principalement des activités criminelles de blanchiment de l'argent. Dans le cadre du projet de loi C-36, CANAFE s'est vu confier un mandat additionnel afin d'être l'organisme central responsable pour retracer le financement du terrorisme.
Lors de l'avènement du projet de loi C-36, j'ai pensé confier à un organisme créé pour une mission d'un certain genre, une mission différente qui l'aurait bien éloigné de son domaine de connaissances initiales. Selon mon expérience personnelle, CANAFE est entouré de mystère. Je ne connais pas l'efficacité ni l'envergure de cet organisme ni la façon dont il est intégré à la communauté du renseignement ou s'il s'y intègre en fait. C'est quelque chose qui mérite un examen plus approfondi.
La question d'un double mandat dans laquelle sont combinées les activités criminelles et les activités de renseignement antiterroriste doit être examinée de façon judicieuse car elle peut constituer une recette désastreuse. Des connaissances spécialisées dans le domaine du blanchiment de l'argent sont bonnes à avoir et sont importantes mais elles peuvent être sans rapport avec celles s'appliquant au financement du terrorisme. Vous avez une attitude ancrée à l'effet que les activités criminelles et les activités terroristes sont pareilles et c'est un des problèmes que l'on retrouve à la GRC, mais c'est là une autre question.
Le sénateur Atkins: Existe-t-il un mécanisme en place, si les banques les avertissent de quelque chose d'anormal dans ce secteur?
M. Wark: Je ne suis pas un expert en la matière, mais je sais que les banques sont tenues en vertu de la loi de signaler toute transaction financière supérieure à un certain niveau. Mon hypothèse est que plus la somme d'argent sera élevée, plus les banques auront des soupçons.
Comme je le disais tout à l'heure, je me suis demandé comment CANAFE fonctionne. La façon dont cet organisme fonctionne avec le secteur privé et la façon de fonctionner du secteur privé, sont des questions dont le secteur privé n'aime pas parler et que le gouvernement ne souligne pas de façon particulière.
Le président: Je vous remercie monsieur, Wark. Vos points de vue ont été d'un intérêt spécial pour le comité et ils ont été utiles. Nous poursuivrons avec ce sujet au cours de la prochaine période et nous espérons publier un autre rapport provisoire à ce sujet, basé sur notre rapport précédent. Je peux vous assurer que celui-là ne négligera pas la composante du renseignement. Il se peut que ce ne soit pas parfait, mais nous ne négligerons pas ce rapport.
Pour ceux d'entre vous qui suivent nos travaux, M. John Adams, un ancien officier militaire et ingénieur, maintenant commissaire de la Garde côtière canadienne, comparaîtra devant nous aujourd'hui. Il sera suivi par M. Elliott, SMA pour le groupe Sécurité et sûreté de Transports Canada. M. Elliott s'occupera de plusieurs des recommandations du rapport du comité intitulé «Le mythe de la sécurité dans les aéroports canadiens», publié en janvier 2003. Nous prévoyons entendre leurs témoignages séparément plus tard au cours de l'après-midi.
Si vous avez des questions ou des commentaires, vous pouvez visiter notre site Web à l'adresse www.sen-sec.ca. Nous affichons dans cette page Web les témoignages ainsi que l'horaire des réunions confirmées. Autrement, vous pouvez communiquer avec le greffier du comité en composant le 1-800-267-7362 pour obtenir de plus amples renseignements ou de l'aide pour entrer en contact avec les membres du comité.
Cette portion de la séance du comité est levée.
Nous continuerons immédiatement à huis clos dans la salle adjacente.
Le comité a poursuivi à huis clos.